le dernier avatar de saint roch

4
Mddecine et Maladies Infectieuses -- 1988 -- Sp6cial Novembre - 663 & 666 LE DERNIER AVATAR DE SAINT ROCH par H.H. MOLLARET* Saint Roch peint par Alfred Courmes en 1977 (huile sur toile 162x63 cm) (clich6 J. Hyde, 7 rue du Maine, 75014 Paris). L e recours h Saint Roch, le plus c616- bre des saints protecteurs contre la peste, remonte au d6but du XV~me si~cle, soixante arts apr~s les ann6es terribles 1348-1350, durant lesquel- les l'Europe perdit les deux tiers de sa popu- lation. Si plus d'une centaine de saints furent, au tours des si~cles, invoqu6s contre la peste, le culte de Saint Roch, bien que suivi de pros par celui de Saint S6bastien, reste dominant. N~ vers 1295 5 Montpellier, et miraculeuse- ment marqu6 sur la poitrine d'une tache en forme de croix, le petit Roch manifesta tr~s t6t une rigoureuse pi6t6: ainsi refusait-il le sein maternel le vendredi. A sa majorit6, ayant distribu6 ses biens aux pauvres, il partit pour l'Italie o), trois ans durant, il se consacra aux pestif6r6s qu'il gu6rissait d'un Signe de croix. C'est en retournant ~ Montpellier qu'il con- tracta, ~t son tour, la peste, et se retrouva, mo- * Unita d'Ecologie bact6rienne, Institut Pasteur, 25 rue du Dr. Roux, F-75015 Paris. ribond, ~ la sortie de Piacenza. Un ange appa- rut alors, qui appliqua un baume sur le bubon du malheureux et, de surcro~t fit jaillir une source. Restait encore ~ nourrir le convales- cent: c'est ce que fit le chien d'un certain seigneur Gothard qui demeurait non loin de 1~ et dont, chaque matin, il d6robait le pain pour le porter ~ Roch ; intrigu~ par ce man~ge, Go- thard suivit son chien, d6couvrit Roch, le fit transporter chez lui et l'h6bergea jusqu'~ complete gu6rison. Converti, en retour, par Roch, il se retira dans un ermitage sur une montagne proche - le Saint Gothard mainte- nant - cependant que Roch regagnait Mont- pellier. Malheureusement, pris pour un es- pion, il fut jet6 dans une cellule o~ il resta 5 ans, jusqu'~t ce qu'un matin le ge61ier la trou- va illumin6e d'une clart6 c61este : Roch 6tait mort, le chien 6tait allong6 h ses pieds et l'ange proclamait ~ Eris es peste patronus >>. Identifi6 grace "~ la croix toujours pr6sente sur sa poitrine, Roch fut enterr6 dans la ca- th6drale o?a les miracles ne manqu6rent pas d'6clater autour de son tombeau. Roch fut ca- nonis6 et son culte prit r6ellement naissance durant le Concile de Constance en 1414: la peste venait d'6clater, le concile risquait de 663

Upload: hh

Post on 03-Jan-2017

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le dernier avatar de Saint Roch

Mddec ine e t Malad ies In fec t ieuses - - 1988 -- Sp6c ia l N o v e m b r e - 663 & 666

LE DERNIER AVATAR DE SAINT ROCH

par H.H. MOLLARET*

Saint Roch peint par Alfred Courmes en 1977 (huile sur toile 162x63 cm) (clich6 J.

Hyde, 7 rue du Maine, 75014 Paris).

L e recours h Saint Roch, le plus c616- bre des saints protecteurs contre la peste, remonte au d6but du XV~me si~cle, soixante arts apr~s les ann6es terribles 1348-1350, durant lesquel-

les l 'Europe perdit les deux tiers de sa popu- lation.

Si plus d'une centaine de saints furent, au tours des si~cles, invoqu6s contre la peste, le culte de Saint Roch, bien que suivi de pros par celui de Saint S6bastien, reste dominant.

N~ vers 1295 5 Montpellier, et miraculeuse- ment marqu6 sur la poitrine d'une tache en forme de croix, le petit Roch manifesta tr~s t6t une rigoureuse pi6t6: ainsi refusait-il le sein maternel le vendredi. A sa majorit6, ayant distribu6 ses biens aux pauvres, il partit pour l'Italie o), trois ans durant, il se consacra aux pestif6r6s qu'il gu6rissait d 'un Signe de croix. C'est en retournant ~ Montpellier qu'il con- tracta, ~t son tour, la peste, et se retrouva, mo-

* Unita d'Ecologie bact6rienne, Institut Pasteur, 25 rue du Dr. Roux, F-75015 Paris.

ribond, ~ la sortie de Piacenza. Un ange appa- rut alors, qui appliqua un baume sur le bubon du malheureux et, de surcro~t fit jaillir une source. Restait encore ~ nourrir le convales- cent : c'est ce que fit le chien d'un certain seigneur Gothard qui demeurait non loin de 1~ et dont, chaque matin, il d6robait le pain pour le porter ~ Roch ; intrigu~ par ce man~ge, Go- thard suivit son chien, d6couvrit Roch, le fit transporter chez lui et l'h6bergea jusqu'~ complete gu6rison. Converti, en retour, par Roch, il se retira dans un ermitage sur une montagne proche - le Saint Gothard mainte- nant - cependant que Roch regagnait Mont- pellier. Malheureusement, pris pour un es- pion, il fut jet6 dans une cellule o~ il resta 5 ans, jusqu'~t ce qu'un matin le ge61ier la trou- va illumin6e d'une clart6 c61este : Roch 6tait mort, le chien 6tait allong6 h ses pieds et l 'ange proclamait ~ Eris es peste patronus >>. Identifi6 grace "~ la croix toujours pr6sente sur sa poitrine, Roch fut enterr6 dans la ca- th6drale o?a les miracles ne manqu6rent pas d'6clater autour de son tombeau. Roch fut ca- nonis6 et son culte prit r6ellement naissance durant le Concile de Constance en 1414: la peste venait d'6clater, le concile risquait de

663

Page 2: Le dernier avatar de Saint Roch

Saint Roch, sculpture sur bois, XVIII~me si~cle, Basse-Allemagne.

prendre fin avant d'avoir seulement commen- c6 lorsqu'un jeune moine proposa d'implorer Saint Roch : pri6res et processions ~t peine termin6es, la peste cessa, le concile put avoir lieu et les P6res conciliaires de retour dans leurs p a n e s respectives, implant6rent le culte de Saint Roch dans toute l'Europe. Telle est la 16gende qu'ont corrig6e, entre autres, A. Fliche (2), J. Segondy (6), J.E. Saumade (5) et J. Brossollet (1): anachronisme des 6v~ne- ments, tombeau introuvable, canonisation ab- sente, etc ; aujourd'hui les historiens proposent une version extr~mement italienne et plus tar- dive de cette 16gende.

La persistance de la peste en Europe fit la fortune du culte de Saint Roch qui allait se trouver, au d6but du XVII6me si6cle, le saint ayant, en France, le plus grand nombre d'6gli- ses, de chapelles et d'autels h son nom. Ses repr6sentations, statues, peintures, ex-voto sont innombrables et, "~ quelques d6tails pr6s, tou- jours identiques : le saint, en habit de p~lerin, porte les cl6s crois6es ou la coquille de Saint Jacques de Compostelle sur son chapeau ou son manteau et d6voile son bubon inguinal qu'il d6signe de l'index. Le chien qui l 'accompa- gne - ce qui fit parfois invoquer Saint Roch contre la rage - tient un pain dans sa gueule. L'accompagne aussi l'ange, un pot ~t onguent dans une main et dans l'autre une plume pour oindre le bubon.

Toujours inguinal et le plus souvent ?a gauche (survivance du caract~re sinistre - s in is ter- de ce c6t6 ?), l 'emplacement du bubon varie d'une repr6sentation a une autre ; jamais il ne sera r6ellement inguinal, par ddcence, car il cut fallu trop d6shabiller le saint; aussi le trouve-t-on ~ des hauteurs variables sur la face interne de la cuisse, le plus souvent son tiers sup6rieur, patrols au genou, voire au mollet, ou sur la face externe. Sa figuration m~me varie, elle aussi, depuis le r6alisme du Saint Roch de Carlo Crivelli-5 l'Accademia de Venise jusqu'~, le plus souvent, l'aspect d'une simple plaie verticale avec parfois quelques gouttes de sang.

I1 y aurait beaucoup 5 dire - et ~ 6tudier - sur la race du chien repr6sent6, variant selon les pays et les 6poques, comme sur le pot ~ on- guent dont la forme, la mati6re et l'ornemen- tation varient elles aussi avec la patrie de l'artiste (albarello en Italie, bo~te plate en Eu- rope centrale, pot ~ couvercle en France) et sur le pain que tient le chien : petit pain ou grosse miche, ou couronne ou pain long ou rond, fendu ou non, pain bis, blanc ou noir, pain viennois, pain polka, ~ pistolet~ dans les Flandres, ~ choucane ~ en Touraine, etc.

Les reproductions de Saint Roch connurent leur apog6e au XVII6me si~cle, 5 la fois parce que la peste, favoris6e par la Guerre de Trente Ans, faisait rage dans toute l'Europe et parce que les recommandations du Concile de Trente (1563) avaient orient6 les artistes vers la repr6sentation des souffrances des

664

Page 3: Le dernier avatar de Saint Roch

saints plut6t que vers les madones et vers les ni Dali, ni Magritte, mais il se plait ~ d6truire nativit6s, l 'emphase des th~mes classiques en d6rivant,

au gr6 d'une inspiration subite, d 'un fan- Outre les milliers de statues, de toiles ou tasme, ou d'une vision onirique. Nombre de d'ex-voto repr6sentant le saint, seul ou flan- ses toiles sont autant de calembours peints, qu6 d'autres saints th6rapeutes, il existe des tel son~ Raz d ' eaude laM~duse >>. ~ cycles Saint Roch >> repr6sentant sa vie : cycles de Nuremberg, h la cath6drale Saint Son Saint Roch est certainement l 'une des Laurent (1484) et ~t la chapelle du cimeti6re toiles les plus caract6ristiques de la mani~re Saint Roch (1521); cycle de l'6glise Saint la fois classique et subversive de Courmes. Jacques d'Anvers (1517), cycle de l'6glise Saint Roch de Lisbonne (1520), cycle de la cath6drale de Cr6mone (1645-46) et, les plus c616bres, les cycles ~ v6nitiens >> avec les toi- les du Titien (1515) et du Tintoret (1540-1576)

l'6glise et h la Scuola San Rocco.

La fin de la deuxi~me pand6mie pesteuse en Europe n'entra~na pas la disparition du culte de Saint Roch, toujours vivace comme en t6- moignent les processions men6es encore au- jourd'hui dans plusieurs localit6s de l'Ari~ge, du Calvados, du Cher, de la Creuse, de la Haute-Loire et du Nord; en Belgique ~ les Marches Saint Roch >> de Ham-sur-heure, Thuin et d'autres localit6s de l'entre Sambre-et- Meuse sont toujours l'occasion de f&es fol- kloriques; mais la production artistique s'6- teignit avec la disparition de la peste en Europe. Relevons tout de m6me le cycle de Saint Roch ex6cut6 en 1870 h la chapelle du sana- torium pour malades mentaux de Libge et les fresques de Le Scouezic, 61~ve de Soutine et de Modigliani, h la chapelle de Pont d'Ouilly restaur6e en 1933.

La derni6re repr6sentation de Saint Roch est r6cente : peinte par A. Courmes en 1977, elle est visible au Mus6e d'Issoire (ce qui aurait bien r6joui ~ Les Copains >> de Jules Romain), apr6s avoir 6t6 expos6e ~t Paris rue Gu~n6- gaud et au Mus6e de Peinture de Grenoble.

~ D6tourneur d'images >> selon l'expression de P. Gaudibert (3), Courmes reprend les th~- mes 6ternels de la mythologie antique, de la Bible ou de l 'hagiographie: Oedipe et le Sphynx, chute d'Icare, Judith et Holopherne, etc. Mais Holopherne parade en uniforme d'o- p6rette, Icare, tir6 au fusil par des lavandi~res fessues choit dans le canal Saint-Martin et le ~b6b6 Cadum >> des affiches de 1930 tient lieu d'Enfant-J6sus. Volont6 de choquer ? Non. A. Courmes n'est pas Clovis Trouille,

Carlo Crivelli (1430-1495?). Saint Roch peint vers 1485-1487 (huile sur bois,

70x33 cm, Venise, Galleria dell'Academia).

665

Page 4: Le dernier avatar de Saint Roch

Le saint au bubon d6nud6, le geste de l'in- dex, le chien panif6re, sont dans la tradition, comme le paysage mais le costume, le col cas- s6, le chapeau melon, le rat dans la nasse, sont autant d'ajouts d61ib6r6ment anachroni- ques, de clins d'oeil et de provocation sou- dante. Le saint ne porte plus les cl6s de Saint Pierre ou la coquille de ComposteUe que rem- placent la valise et l'6tiquette <~ P.L.M. >>, at- tributs du p~lerin moderne, comme Courmes lui-m~me qui fut, pendant deux ans, visiteur m6dical (4). Ayant 6crit, voici quelques an- n6es, ?~ A. Courmes pour lui demander pour- quoi il avait peint Saint Roch et si souvent

l'autre grand intercesseur antipesteux, Saint S6bastien, Courmes nous r6pondit : << Les rats et les puces de l 'ex-voto h Saint S6bastien, la plaie ~ l'aine de Saint Roch, ne sont que des 616ments pittoresques qui, je ~pense, s'adap- talent bien au sujet du tableau (...). J'ai peint aussi l'ange de l'Annonciation avec un lys, Saint Joseph avec un baton fleuri, Judith avec ou sans la t&e d'Holopherne, Th6s6e avec un taureau, e tc ; j 'aurais pu peindre Sainte Ca- therine avec un violon ou une guitare, ces ins- truments de musique sont de tr6s beaux objets... Peinture, peinture d'abord ; ma r6flexion n'est que d'ordre plastique et pictural >>. *

BIBLIOGRAPHIE

1. BROSSOLLET J. - - Saint Roch et la pudeur. La Clinique, 1971, LVI, 677, 225-229.

2. FLICHE A. - - Le probl~me Saint Roch. Anal. Boll., 1950, LXV//, 343-361.

3. GAUDIBERT P. - - Alfred Courmes o u le d@tournement des images. Preface du catalogue de rexposition = Alfred Cour- mes ,, au Mus~e de peinture de Grenoble, 1979, p. 3.

4. JULIEN P. - - Note sur Alfred Courmes, la pharmacie, Saint Roch et saint S~bastien. Revue d'Histoire de /a Pharmacie, 1984,237-242.

5. SAUMADE J.E. - - L'admirable p~lerln de Montpellier Saint Roch. Montpellier, Imp. J. Martet, 1876, 222 p.

6. SEGONDY J. - - Saint Roch de Montpellier. Monspeliensis Hippocrates, 1964, 7, 3-12.

0

• •

Paginat ion des pages hors tex tes : I-I I-I I I - I V - V - V I -V I I -V I I I - I X - X - X I -X I I -X I I I -X I V - X V - X V I - X V I I - X V I I I - X I X - X X - X X I En t re les pages 5 6 4 et 666 , 21 pages sp@ciales incluses, numdrot@es de I & X X I , concernan t la publicit@.

A P I S Y S T E M . . . . . . . . . . .

R O G E R B E L L O N . . . . . . . . B R I S T O L . . . . . . . . . . . . . C L I N M I D Y . . . . . . . . . . . .

D I A M A N T . . . . . . . . . . . . .

G L A X O . . . . . . . . . . . . . . IC I P H A R M A . . . . . . . . . . . L E D E R L ~ . . . . . . . . . . . . .

L I L L Y F R A N C E . . . . . . . . .

M E R R E L L D O W . . . . . . . . . P F I Z E R . . . . . . . . . . . . . .

P H A R M U K A . . . . . . . . . . .

R O C H E . . . . . . . . . . . . . . R O C H E D I A G N O S T I C A . . . .

SPECIA . . . . . . . . . . . . . .

S Q U I B B . . . . . . . . . . . . . . T A K E D A . . . . . . . . . . . . .

U N I C E T . . . . . . . . . . . . . .

R E P E R T O I R E DES A N N O N C E U R S

S Y S T E M E . . . . . . . . . . . . . X I I - X I I I

P E F L A C I N E . . . . . . . . . . . X A M I K L I N . . . . . . . . . . . . . X X I

F O S F O C I N E . . . . . . . . . . . V O F L O C E T . . . . . . . . . . . . . V I I - V I I I

F O R T U M . . . . . . . . . . . . . X V I I I

A PA C E F . . . . . . . . . . . . . . V I P I P E R I L L I N E . . . . . . . . . . . I V

A L F A T I L . . . . . . . . . . . . . X X T A R G O C I D . . . . . . . . . . . . 3~me de Couver tu re

T R I F L U C A N . . . . . . . . . . . I1-111 J O S A C I N E . . . . . . . . . . . . 2~me de Couver tu re

R O C E P H I N E . . . . . . . . . . . I C O B A S B A C T . . . . . . . . . . . X I V - X V - X V I - X V I I P Y O S T A C I N E . . . . . . . . . . 4@me de Couver tu re

A Z A C T A M . . . . . . . . . . . . X I

P A N S P O R I N E . . . . . . . . . . . I X N E T R O M I C I N E . . . . . . . . . X l X

DirectTice de la Pub l i ca t i on : C. G A L L U L A - D # p 6 t I#gal 4@me t r imest re 1988 - CPPP 5 1 4 6 0 - I m p r i m e r i e d u Ma ine L ib re - L e Mans

666