le dÉfi de la sorbonne

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Page 1: LE DÉFI DE LA SORBONNE
Page 2: LE DÉFI DE LA SORBONNE

OL - - 6 6 1969 . 100 82

LE DÉFI DE LA SORBONNE

Page 3: LE DÉFI DE LA SORBONNE

Du même auteur chez le même éditeur

LE SEUL TÉMOIN. HORS DE CETTE OMBRE. LES COULISSES DE VERSAILLES : Le règne de Louis XIV. LES COULISSES DE VERSAILLES : Louis XV et sa cour. LES MAUVAIS TOURS.

chez d'autres éditeurs

HISTOIRE DE GRASSE AU MOYEN AGE (Picard). J'ÉTAIS AU P.S.F. (Editeurs français réunis). MEURTRE A KANG-SÉ (Editeurs français réunis). LE BOIS DU SILENCE (Editeurs français réunis). HISTOIRE SECRÈTE DE PARIS (Stock).

Page 4: LE DÉFI DE LA SORBONNE

GILETTE ZIEGLER

LE DÉFI

DE LA SORBONNE

(Sept siècles de contestation)

JULLIARD

Page 5: LE DÉFI DE LA SORBONNE

© Julliard, 1969.

Page 6: LE DÉFI DE LA SORBONNE

A la mémoire de mon

cher parrain Octave Martin.

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INTRODUCTION

L'occupation de la Sorbonne par les forces de police fut, a-t-on dit, le détonateur qui provoqua les événements de mai 1968. Pourquoi ? Sans doute parce que la Sorbonne garde, même pour les étu- diants les moins conformistes, valeur de symbole. Il y a ainsi, dans l'Histoire, des noms qu'on pro- nonce sans toujours savoir ce qu'ils désignent, mais qui sont lourds de souvenirs.

Simple collège au temps de Saint Louis, deve- nue au Moyen Age la grande école de théologie, la Sorbonne a accueilli, depuis sa fondation, des étu- diants venus de tous les pays ; elle a été la pierre angulaire de l'Université, le berceau de l'imprime- rie française, l'assemblée qui exprimait des cou- rants d'opinion divers.

Chargée officiellement de pourchasser l'hérésie, gagnée parfois elle-même par les idées nouvelles, la Sorbonne a connu d'innombrables disputes théo-

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logiques et politiques, maintenu sa renommée à travers des luttes qui la dressaient non seulement contre l 'enseignement d'Aristote ou celui des Jésuites, mais contre l'évêque de Paris, le pape, le roi — et les prévôts de police — au nom de la liberté. Son histoire est tissée de drames, de per- sécutions, de révoltes jusqu 'au XIX siècle, où elle devient « la t r ibune retentissante du haut de

laquelle des maîtres parlent à toute l 'Europe ». C'est cette histoire qui est résumée ici, avec celle

des étudiants, de leurs contestations et de leurs violences, qui permirent d'obtenir, il y a plus de sept siècles, les premières libertés universitaires.

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CHAPITRE PREMIER

Une émeute au Quartier latin. — Comment était née l'Université. — Abailard. — Indif- férence religieuse et goût de la nouveauté.

— Philippe Auguste et les étudiants.

En ce début du mois de mai, le Quartier latin s'agite. Des berges de la Seine à la montagne Sainte-Geneviève, de la rue de la Harpe à la rue Saint-Victor, les écoliers se rassemblent et s'inter- pellent, tandis que les commerçants se terrent dans leurs boutiques. Soudain une petite troupe de jeu- nes gens se lance à l'assaut d'une taverne, en brise les portes et frappe à coups de poing et de bâton l'hôtelier, qui s'écroule en appelant au secours.

Ceci se passe en l'an 1200, sous le règne de Phi- lippe Auguste. Le matin, un étudiant allemand, Heinrich, a envoyé son valet chercher du vin dans ce cabaret et l'a vu revenir tout ensanglanté, disant

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que le propriétaire l'avait battu et avait brisé son pot. C'en était assez pour déchaîner la colère d'une jeunesse, qui s'estime continuellement brimée par les gens du négoce — qu'elle fait vivre — et pour provoquer cette expédition punitive.

Mais le prévôt de Paris, Thomas, a, lui aussi, un vieux compte à régler avec ces étudiants tapageurs : à la tête de ses archers, il cerne le logis des agres- seurs — tous de la Nation d'Angleterre qui com- prend Anglais, Allemands et Nordiques. Une bataille s'engage et devient vite sérieuse, car les écoliers français arrivent à la rescousse. Quand la police se retire, elle laisse derrière elle de nombreux jeu- nes gens blessés, dont cinq mortellement.

Imaginons le Quartier latin à cette époque : on y accède, de la rive droite, par le Petit-Pont, chargé de moulins et de maisons. Le chemin royal qui deviendra la rue Saint-Jacques, le divise en deux. A l'ouest, prés et vignes se succèdent et un che- min rural les traverse, dont le tracé est celui des rues actuelles de la Huchette, Saint-André-des-Arts et de Buci. Près du clos Garlande s'élèvent déjà les églises Saint-Séverin et Saint-Julien, celle-ci encore inachevée.

Les pentes de la montagne Sainte-Geneviève sont aussi couvertes de vigne, mais un peu partout des habitations ont surgi, des embryons de rues se dessinent, grâce à la présence des maîtres de l'Ecole de Paris et de leurs élèves.

Combien y a-t-il d'étudiants ? Vingt ou vingt- cinq mille, peut-être, dans une ville qui ne compte pas encore cent mille habitants, mais parmi eux

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se trouvent des Anglais, des Ecossais, des Alle- mands, des Hongrois, des Italiens... venus suivre des cours dans ce Paris des Etudes, où le latin est la langue universelle.

Le berceau de ce qui va devenir l'Université se trouve cependant sur l'île de la Cité. Alcuin d'York a dirigé l'école du palais de Charlemagne, dès la fin du VIII siècle, et l'Eglise qui, pour la forma- tion de ses prêtres, ne peut se désintéresser de l'instruction, a créé, dans les paroisses, des écoles dont la plus fameuse est celle du Cloître Notre- Dame. Là on continue à enseigner les sept sciences alors connues, les sept arts libéraux, selon saint Augustin : grammaire, rhétorique et dialectique (le Trivium), arithmétique, géomotrie, astronomie et musique (le Quadrivium). En principe, cet ensei- gnement doit conduire aux études théologiques et à l'entrée dans l'Eglise, mais on les entreprend aussi pour devenir légiste et administrateur.

L'enseignement est d'ailleurs déchiré entre la tradition païenne reçue des Grecs et des Romains — et la nécessité de propager la religion chré- tienne : les richesses de la culture classique ne peuvent servir que d'instrument et l'on en retient les éléments les plus utiles, en éliminant tout ce qui ne cadre pas avec la doctrine. C'est ainsi que la philosophie scolastique s'inspire des théories (déformées) de Platon et d'Aristote, non sans que surgissent de nombreuses disputes : tandis que les partisans de Platon, dits réalistes, croit à la réalité des universaux — genres et espèces —, réalité indé- pendante des individus, leurs adversaires nomi-

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nalistes, qui invoquent Aristote, affirment que les concepts ne désignent aucune réalité différente de celle que nous percevons par les sens : le genre n'est rien en dehors de l'individu, théorie dange- reuse aux yeux de l'Eglise, puisque le nominalisme équivaut à l ' impossibilité de penser la Trinité.

L'idée est-elle un modèle ou un reflet des choses

naturelles ? Les clercs se passionnent pour ce pro- blème. Des élèves arrivent de province — curés ou moines, désireux de par t ic iper aux débats, souvent contre la volonté de leurs supérieurs 1 Des maîtres fameux ont enseigné à l'école du cloître Notre- Dame, au XI siècle, parmi lesquels Alexandre de Paris — le créateur des vers de douze pieds, dits alexandrins — et Guillaume de Champeaux, chef des réalistes, mais, au début du siècle suivant, une peti te révolution s'est accomplie, grâce à Pierre Abailard, professeur resté célèbre à la fois pour son audace religieuse et pour ses amours tragiques avec la belle Héloïse.

Elève de Guillaume de Champeaux, Abailard était Breton et têtu : il contredit son maî t re avec succès

et entraîna une part ie des étudiants avec lui à Melun, tandis que Guillaume se retirait , sur la rive gauche, dans l 'ermitage de Saint-Victor et y fondait une école.

Devenu en 1115 maître de rhétorique et dialec-

t ique à l'école du cloître Notre-Dame (après plu- sieurs brouilles et réconciliations avec son vieux

1. Comme ce moine de Saint-Pierre-sur-Dives, nommé Benoît, qui, en 1186, s'enfuit de son abbaye pour venir à Paris « à cause des écoles ».

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professeur), le jeune Pierre, beau garçon, poète e t musicien, exerçait sur ses élèves — et sur les femmes — une véritable fascination, s'il faut en croire Héloïse : « Vous aviez, lui écrivait-elle, deux talents particuliers, je l'avoue, qui pouvaient vous gagner le cœur de toutes les dames : le talent de la

parole et celui du chant. Jamais philosophe ne les avait possédés à un tel degré. »

Abailard enseignait à ses é tudiants une nouvelle théorie philosophique : le conceptualisme. (Pour lui, le genre n 'étai t pas la seule réalité, mais repré- sentait cependant une idée de l 'esprit : conceptus.) Il se rapproche, en somme, du nominalisme, mais sur tout il démontre qu'il faut arriver à la vérité pa r la raison, que, dans les faits qui sont du domaine de la raison, il est inutile de recour i r à la foi et que, même en théologie, la foi doit être éclairée p a r le raisonnement.

C'est le principe du libre examen et il es t jugé dangereux. Ses supérieurs reprochent d'ailleurs bien autre chose au jeune maî t re : dans sa défi- nit ion de la Trinité, ne refuse-t-il pas au Fils et au Saint-Esprit la réalité de personnes divines ?

Chassé du cloître Notre-Dame pour ses idées t rop hardies, Abailard, à la fin de l 'année 1118, était pa r t i poursuivre son enseignement sur la rive gauche1 se met tan t sous la protect ion de l 'abbé de Sainte- Geneviève et en t ra înant avec lui trois mille éco-

1. C'est à cette époque que le chanoine Fulbert, dont Abailard avait séduit la nièce, Héloïse, s'empara, avec quelques hommes de main, du jeune maître et lui fit subir une terrible mutilation.

Page 15: LE DÉFI DE LA SORBONNE

l i e r s , d o n t c e r t a i n s a l l a i e n t d e v e n i r é v ê q u e s , c a r -

d i n a u x , e t m ê m e p a p e s , c o m m e I n n o c e n t I I I .

A t t a q u é v i o l e m m e n t p a r s a i n t B e r n a r d , c o n d a m n é

p a r l e c o n c i l e d e S e n s , e n 1141 , l e m a l h e u r e u x p r o -

f e s s e u r d e v a i t m o u r i r , l ' a n n é e s u i v a n t e , a u p r i e u r é

S a i n t - M a r c e l , c h e z l e s m o i n e s d e C l u n y , m a i s g r â c e

à l u i , u n d é b u t d ' U n i v e r s i t é é t a i t n é s u r c e t t e r i v e

g a u c h e d e v e n u le P a y s l a t i n .

E n t r e l e s c l o s e t l e s v i g n e s , d e s é c o l e s n o u v e l l e s

s ' é t a i e n t é t a b l i e s r u e d u F o u a r r e , o ù l ' o n e n s e i g n a i t

l e s s e p t a r t s l i b é r a u x , c o m m e d a n s l a r u e G a r l a n d e ,

q u i t r a v e r s a i t l e c l o s d e c e n o m 1 a u c l o s B r u n e a u

o ù s e l o c a l i s e r a p l u s t a r d l ' e n s e i g n e m e n t d u D r o i t ,

e t q u i p r o l o n g e a i t l a r u e G a r l a n d e j u s q u ' à l a m o n -

t a g n e S a i n t e - G e n e v i è v e — p l a c e M a u b e r t e n f i n ,

q u i a l l a i t p r e n d r e c e n o m e n 1202 , e t d a n s l a

g r a n d ' r u e S a i n t - G e r m a i n , f u t u r e r u e S a i n t - A n d r é - d e s - A r t s .

L e s m a î t r e s p r o f e s s a n t s u r l a r i v e g a u c h e d é p e n -

d a i e n t t o u j o u r s , e n p r i n c i p e , d u c h a n c e l i e r d e

l ' é v ê q u e , e n l ' é g l i s e N o t r e - D a m e ; i l s d e v a i e n t d ' a i l -

l e u r s o b t e n i r d e l u i l a l i c e n c e d ' e n s e i g n e r ( e t l u i

v e r s e r p o u r c e l a u n e s o m m e d ' a r g e n t ) , m a i s , p l a c é s e n t r e s o n a u t o r i t é e t c e l l e d e l ' a b b é d e S a i n t e -

G e n e v i è v e , s u r l e s t e r r e s d u q u e l i l s é t a i e n t i n s t a l l é s ,

i l s s ' e f f o r ç a i e n t d e c o n q u é r i r p e u à p e u l e u r i n d é -

p e n d a n c e , s e s a c h a n t i n d i s p e n s a b l e s à l a v i e e t à l a

g r a n d e u r d e P a r i s , o ù , d e t o u t e s p a r t s l e s é c o l i e r s a f f l u a i e n t .

1. Propriété de Mathilde de Garlande, femme de Matthieu de Montmorency.

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E n 1161 , l e p a p e A l e x a n d r e I I I i n f o r m a i t l e c h a -

p i t r e d e P a r i s d e s o n d é s i r d ' e n v o y e r s e s n e v e u x

é t u d i e r d a n s l a c a p i t a l e e t l u i d e m a n d a i t d e l e s

l o g e r . L ' a n n é e s u i v a n t e , u n l a n d g r a v e d e H e s s e

é c r i v a i t a u r o i L o u i s V I I p o u r l u i r e c o m m a n d e r s e s

d e u x f i ls , é t u d i a n t s à P a r i s . E n 1164 , l e s s é n a t e u r s

d e R o m e d é c l a r a i e n t q u ' i l s a l l a i e n t d i r i g e r l e u r s

c l e r c s s u r l e s é c o l e s p a r i s i e n n e s . E t l e r o i d ' A n g l e -

t e r r e , H e n r i I I , e n l u t t e c o n t r e T h o m a s B e c k e t , s e

d i s a i t p r ê t à a c c e p t e r s o i t l ' a r b i t r a g e d e l a c o u r

d e F r a n c e , s o i t c e l u i d u c l e r g é f r a n ç a i s o u d e l ' é c o l e

d e P a r i s .

L e s c o n d i t i o n s d e v i e d e s é t u d i a n t s , à l a f i n d u

X I I s i è c l e , é t a i e n t b i e n p r é c a i r e s : l e s l e ç o n s é t a i e n t

d o n n é e s e n p l e i n a i r o u d a n s d e p e t i t e s c h a m b r e s

q u e l e s m a î t r e s l o u a i e n t — l e s p r e m i è r e s d a n s l a

r u e d u F o u a r r e , a i n s i n o m m é e p a r c e q u e l e s é l è v e s

é t a i e n t g é n é r a l e m e n t a s s i s s u r d e s b o t t e s d e f o i n ,

l e m a î t r e s e u l a y a n t d r o i t à u n e c h a i s e .

L e s é c o l i e r s s e l o g e a i e n t o ù i l s v o u l a i e n t : c h e z

l ' h a b i t a n t q u a n d i l s p o u v a i e n t p a y e r u n e p e n s i o n ,

— m a i s c e t t e p e n s i o n é t a i t c h è r e : e n 1 1 6 4 , J e a n

d e S a l i s b u r y , v e n u é t u d i e r à P a r i s , d o i t v e r s e r , e n

e n t r a n t d a n s s o n l o g e m e n t , l a l o c a t i o n d ' u n e a n n é e ,

s o i t d o u z e l i v r e s . — L e p l u s s o u v e n t i l s s e g r o u -

p a i e n t à p l u s i e u r s d a n s u n e p i è c e e t f a i s a i e n t l e u r

c u i s i n e e n c o m m u n . B e a u c o u p s e p l a ç a i e n t c o m m e

d o m e s t i q u e s , q u e l q u e f o i s c h e z l e u r p r o f e s s e u r , p o u r a r r i v e r à v i v r e . D ' a u t r e s m e n d i a i e n t d a n s l e s r u e s

e n c h a n t a n t :

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Les bons enfans orrez crier De pain ne vueil pas oublier !

Ils avaient aussi d'autres problèmes car leur soif de savoir ne se contentait pas d'une instruction uniquement basée sur la foi et ils repoussaient sou- vent les vérités imposées. L'abbé Richard de Saint- Victor, en 1186, se lamente sur le mal du temps qui frappe la jeunesse : l'indifférence religieuse.

« Je vois, dit-il, beaucoup de gens studieux, j'en vois peu qui soient religieux. Beaucoup aiment l'instruction, peu aiment la religion. Bien plus : par amour de l'instruction, ils tombent souvent dans la haine de la religion. » Et Etienne de Tournai écrit au pape pour lui signaler la maladie qui a frappé le corps universitaire : l'abandon de l'ancienne théo- logie. Il se plaint que les maîtres soient trop jeunes et que « ces adolescents écrivent des manuels, des sommes et compilations mal digérées, humectées, mais non nourries du sel philosophique ».

On discute publiquement, et avec irrévérence sur l'incompréhensible Divinité, sur l'incarnation du Verbe. Dans les rues du pays latin, et sur le Petit- Pont, les jeunes gens vont et viennent « et les pro- pos agiles s'envolent dans l'air 1 ». Maîtres et écoliers se gorgent de littérature profane, lisent les auteurs latins qui célèbrent « l'idolâtrie sensuelle du paga- nisme » et s'en inspirent parfois pour composer des chansons et des contes (qui seront les fabliaux)

1. Guy de Basoche, clerc champenois, note que le Petit-Pont appartient aux dialecticiens, qui s'y promènent tout le jour en discu- tant (1190).

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I l s r e f u s e n t d e s e b o r n e r à l a l e c t u r e d e s P è r e s d e

l ' E g l i s e : « M a l g r é l e s a b o i e m e n t s d e s c h i e n s e t l e s

g r o g n e m e n t s d e s p o r c s , é c r i t E t i e n n e d e B l o i s , j e n e c e s s e r a i d ' i m i t e r l e s œ u v r e s d e s A n c i e n s . »

C ' e s t a u s s i u n d é s i r d e n o u v e a u t é q u i a n i m e

m a î t r e s e t é l è v e s : « N e v e u l e n t - i l s p a s c o n n a î t r e l a

c o n f o r m a t i o n d u g l o b e , l a v e r t u d e s é l é m e n t s , l e

c o m m e n c e m e n t e t l a f i n d e s s a i s o n s , l a p l a c e d e s

é t o i l e s , l a n a t u r e d e s a n i m a u x , l a v i o l e n c e d u v e n t . . .

V o i l à l e b u t d e l e u r s é t u d e s . C ' e s t l à q u ' i l s c r o i e n t t r o u v e r l a r a i s o n d e s c h o s e s . »

D ' a u t r e p a r t , e n t r e 1 1 8 0 e t 1 2 0 0 , c o m m e n c e n t à s e f o r m e r d e s a s s o c i a t i o n s d ' é t u d i a n t s e t d e

p r o f e s s e u r s , s e l o n l e s s p é c i a l i t é s c h o i s i e s e t s e l o n

l e s p a y s , a s s o c i a t i o n s q u i d e v i e n d r o n t l e s F a c u l t é s e t l e s N a t i o n s . C a r m a î t r e s e t é l è v e s o n t l e s m ê m e s

r e v e n d i c a t i o n s m a t é r i e l l e s à p r é s e n t e r e t é p r o u v e n t

l e b e s o i n d e s ' u n i r , p o u r t e n i r t ê t e à l ' é v ê q u e d e

P a r i s a u s s i b i e n q u ' à l a p o l i c e r o y a l e .

L ' é v ê q u e d ' a b o r d : s o n c h a n c e l i e r , q u i r e s t e t o u t

p u i s s a n t , a c c o r d e p e u d e l i c e n c e s d ' e n s e i g n e r , p o u r

n e p a s p e r d r e d e s o n a u t o r i t é , e t l e s é t u d i a n t s

d e v i e n n e n t d e p l u s e n p l u s n o m b r e u x c h a q u e

a n n é e . L e s c l a s s e s s o n t s u r c h a r g é e s , l ' e n s e i g n e m e n t

e s t r é g l é e t c o n t r ô l é p a r l ' E g l i s e , a l o r s q u e l e s p r o -

f e s s e u r s v o u d r a i e n t p o u v o i r o r g a n i s e r l e u r t r a -

v a i l , e n a c c o r d a v e c l e u r s é l è v e s . D ' o ù d e s c o n f l i t s

q u i s ' a g g r a v e r o n t a u s i è c l e s u i v a n t .

Q u a n t a u p r é v ô t , i l e s t i m e q u e l e s é t u d i a n t s s o n t

s u r t o u t o c c u p é s à c o u r i r l e s f i l l e s e t à b o i r e a u x

t a v e r n e s q u i s e s o n t o u v e r t e s p o u r e u x d a n s l e

q u a r t i e r . D e s c o n t e s t a t i o n s s u r g i s s e n t q u a n d i l

Page 19: LE DÉFI DE LA SORBONNE

s'agit de payer et il faut bien prêter main-forte aux bourgeois du roi. C'est ainsi qu'a éclaté la bagarre de l'an 1200.

Mais cette affaire des cinq écoliers tués par sa police a beaucoup ému Philippe Auguste. Il est né à Paris ; il aime cette ville et l'a embellie de son mieux, en faisant daller les principales rues, en construisant des fontaines, en entourant ce ter- ritoire d'environ deux cent cinquante hectares d'une solide muraille défensive. Il est fier de voir les marais et les champs disparaître pour faire place aux églises et aux maisons de pierre, le nombre des marchands et artisans augmenter sur la rive droite, mais surtout de constater l'empressement des étrangers vers la capitale 1

Au lendemain de l'émeute, une délégation des professeurs et étudiants s'est rendue auprès du souverain pour se plaindre du prévôt Thomas. Tous se déclarent solidaires des étudiants allemands. Le roi, d'ailleurs, est frappé du courage dont ont fait preuve ces jeunes gens : « Ils sont, dira-t-il à ses proches, plus hardis que les chevaliers, car ceux-ci, couverts de leur armure, hésitent à engager la lutte, et les clercs qui n'ont ni haubert ni heaume, avec tête tonsurée, se jettent sur les autres en jouant du couteau ! » Philippe Auguste ouvre donc une enquête

1. Son contemporain Philippe de Harvengt dira : « Il y a un tel concours, une telle abondance de clercs que leur nombre tend à surpasser celui des laïcs. Heureuse ville, où les saints Livres sont étudiés avec une application si grande et leurs mystères si bien résolus, où parmi les lecteurs règne une telle diligence et où se rencontre enfin une telle science des Ecritures qu'on peut l'appe- ler la Cité des Lettres. »

Page 20: LE DÉFI DE LA SORBONNE

e t f a i t a r r ê t e r le p r é v ô t . Les b o u r g e o i s m ê l é s à l ' a f fa i re v e r r o n t l eu r s m a i s o n s r a s é e s e t l e u r s

v ignes a r r a c h é e s . C 'es t u n e p u n i t i o n sévère , e t les

u n i v e r s i t a i r e s i n t e r c è d e n t p o u r les c o u p a b l e s : q u ' i l s s o i e n t s e u l e m e n t f o u e t t é s e t r e m i s e n s u i t e e n

l ibe r té . Ma i s le ro i r e f u s e e t m a i n t i e n t s o n of f ic ier

e n p r i s o n (celui-ci se t u e r a e n e s s a y a n t de s 'éva- der ) . I l e s t i m e d ' a i l l e u r s q u e des s a n c t i o n s n e suf-

f isent p a s et qu ' i l d o i t m o d i f i e r les c o n d i t i o n s d a n s

l e sque l l e s v i v e n t ces j e u n e s gens q u i d o i v e n t p l u s

t a r d f a i r e r a y o n n e r l ' e n s e i g n e m e n t f r a n ç a i s d a n s

de n o m b r e u x p a y s .

P a r u n a c t e d a t é de j u i l l e t 1200, il a c c o r d e a u x

é t u d i a n t s de P a r i s des p r i v i l è g e s e x c e p t i o n n e l s :

i ls é t a i e n t d é j à e x e m p t s d ' i m p ô t e t de d o u a n e .

O n n e p o u r r a p lus , s o u s a u c u n p r é t e x t e , les c h a s s e r

de l e u r logis o u les e m p r i s o n n e r p o u r de t t e s . I l s

é c h a p p e r o n t à l a j u s t i c e roya l e , s a u f s ' i l s ' a g i t d ' u n

c r i m e o u dé l i t g r a v e et , d a n s ce cas , i ls s e r o n t

r e m i s a u x j u g e s e c c l é s i a s t i q u e s , a p r è s a v o i r é t é

g a r d é s n o n d a n s u n e p r i s o n , m a i s d a n s u n e m a i s o n

à eux. E t il e n s e r a de m ê m e p o u r l e u r s s e r v i t e u r s ,

à c o n d i t i o n qu ' i l s ne s o i e n t p a s b o u r g e o i s d u r o i e t

n e f a s s e n t p a s de c o m m e r c e .

Le p r é v ô t d e v r a c h a q u e a n n é e , à s o n e n t r é e e n

c h a r g e , j u r e r de r e s p e c t e r ce r è g l e m e n t , e t les b o u r -

geo is d e v r o n t m ê m e p r ê t e r m a i n - f o r t e a u x éco l i e r s q u i p o u r r a i e n t ê t r e a t t a q u é s .

Ainsi , f o r t s d e l e u r s p r iv i l èges , m a î t r e s e t é lèves

1. Dès 1191, le pape Célestin III avait décidé que les clercs habitant Paris avaient le droit de porter leurs procès devant la juridiction de l'Eglise.

Page 21: LE DÉFI DE LA SORBONNE

CET OUVRAGE A ÉTÉ IMPRIMÉ SUR LES

PRESSES DE L ' I M P R I M E R I E MOURRAL

POUR JULLIARD, ÉDITEUR A PARIS

Page 22: LE DÉFI DE LA SORBONNE

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