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LE DROIT DE VIVRE 668 | OCTOBRE 2017 PRIX DE VENTE : 8 LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE FORCES DE L’ORDRE ET CITOYENNETÉ RÉTABLIR LA CONFIANCE DOSSIER Alice Zeniter : « L’Art de perdre » Universités d’automne Conseil constitutionnel La scandaleuse invalidation de l’amendement Licra. © : AFP Photo / Anne-Christine Poujoulat DDV 668_Mise en page 1 28/09/17 09:29 Page1

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LE DROITDE VIVRE 668 | OCTOBRE 2017

PRIX DE VENTE : 8 €

LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE

FORCES DE L’ORDREET CITOYENNETÉRÉTABLIR LA CONFIANCE

DOSSIER

Alice Zeniter : «L’Art de perdre»

Universitésd’automne

ConseilconstitutionnelLa scandaleuse invalidation del’amendement Licra.

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3OCTOBRE 2017

Notre relation à la police est ambivalente. Il suffitde voir comment nous sommes passés des em-

brassades du 11 janvier 2015 et ces images fortesde fraternisation de la population avec ses forcesde l’ordre, aux échauffourées liées à l’affaire Théoet aux violences policières. Dans le contexte quenous traversons, dans un pays placé en état d’ur-gence depuis le 13 novembre 2015, nous avonspourtant besoin de restaurer un lien de confianceapaisé et dépassionné entre nos concitoyens, nospoliciers et nos gendarmes. Rétablir la confiance, c’est tout d’abord veiller à ceque notre police soit pétrie de nos principes fonda-teurs, universels et républicains. En la matière, ilfaut bien reconnaître que le doute s’est installé etque d’immenses fragilités existent. Les études d’opi-nion estiment aujourd’hui que plus de la moitié denos policiers sont acquis au Front national, tandisque les contrôles au faciès pourrissent la vie d’unbon nombre de nos compatriotes. Cette semaine en-core, on pouvait lire sur la page Facebook de lagendarmerie de l’Ain, des commentaires ouverte-ment racistes, qui n’avaient pas été modérés. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur quiconque.Mais de remédier sans faiblesse aux manquementsà la déontologie et au droit qui peuvent être consta-tés, et encore plus lorsqu’ils émanent de fonction-naires ayant vocation à être des modèles pour nosconcitoyens. Depuis de nombreuses années, la Licra a acquis laconviction que la formation des forces de l’ordrene devait pas se limiter à la simple acquisition desrègles du métier. C’est évidemment essentiel, maispas suffisant. Nos futurs policiers et gendarmes doi-vent être éclairés davantage sur les fondements ré-publicains qui ont prévalu à leur institution dans unpays démocratique. Ils sont les héritiers d’une tra-dition révolutionnaire qui a proclamé, dans la Dé-claration des droits de l’homme et du citoyen de1789, que « la garantie des droits de l’homme etdu citoyen nécessite une force publique. Cette forceest donc instituée pour l’avantage de tous, et nonpour l’utilité particulière de ceux à qui elle estconfiée ».Cet héritage les oblige à prendre conscience du faitqu’ils tiennent dans leurs mains la pérennité de notrerégime de libertés et une partie de la cohésion natio-

nale. Leur exemplarité en la matière doit être totale.Rétablir la confiance, c’est aussi témoigner à nosforces de l’ordre le soutien et la reconnaissanceauxquels elles ont droit, légitimement. Le climatterroriste les a considérablement éprouvées. La miseen œuvre du plan Sentinelle et les dispositionsde l’état d’urgence font peser sur elles une chargeet une responsabilité considérables. Pire, elles sontdevenues les cibles privilégiées des terroristes isla-mistes, précisément parce qu’elles défendent notrerégime de libertés et notre mode de vie. Depuis plu-sieurs mois, d’aucuns font profession de les vili-pender, de crier à l’Etat policier et de les entraver.Notre Etat de droit est une garantie largement suf-fisante, permettant in fine de mettre un terme auxdérives et aux abus. En ces temps difficiles, il seraitvain de se tromper d’ennemi et d’oublier que lesvéritables liberticides sont ceux qui veulent nouségorger ou écraser nos enfants à tombeau ouvert.

Le gouvernement s’apprête à inscrire dans notredroit commun les dispositions d’exception de l’étatd’urgence. Sans en connaître les contours et la na-ture, certains criaient avant même d’avoir mal.Si la période est propice à faire perdre certains re-pères, il serait maladroit, voire dangereux, de faireaccroire l’idée que nous serions au bord de la dic-tature. Notre socle fondamental, né il y a plus dedeux siècles, est suffisamment solide pour garantirnos libertés tout en veillant, dans le contexte terro-riste actuel, à garantir notre sécurité. La Conventioneuropéenne des droits de l’homme forme un bou-clier solide, malgré les appels à son abrogation. Ceux qui voudraient expliquer que nous allons bien-tôt vivre sous l’empire d’un régime autoritaire de-vraient s’enquérir de ce qui se passe actuellementau Venezuela, par exemple…●

Police:des tas d’urgences!

« NOTRE SOCLE FONDAMENTAL, NÉ IL YA PLUS DE DEUX SIÈCLES, EST SUFFISAMMENTSOLIDE POUR GARANTIR NOS LIBERTÉS TOUTEN VEILLANT, DANS LE CONTEXTE TERRORISTEACTUEL, À GARANTIR NOTRE SÉCURITÉ. »

Alain Jakubowicz / Président de la Licra

LICRA DDVn°668 / octobre 2017

• Fondateur : Bernard Lecache• Directeur de la publication :

Alain Jakubowicz• Directeur délégué :

Roger Benguigui• Rédacteur en chef :

Antoine Spire• Comité de rédaction :

Ader Pia, Barbanel Alain,Colomès Michèle, David Alain,Demarigny Alexandra, Dupuy Georges, KersimonIsabelle, Lacroix Alexis,Lemaire Marina, LewkowiczAlain, Mattioli Justine, NivetStéphane, Ollier Monique,Quivy Mireille, RachlineFrançois, Rotfus Michel, Roze Raphael, Sayad Ourida, Selles-FischerEvelyne, Siri Mano.

• Coordinatrice rédaction :Mad Jaegge

• Editeur photo :Guillaume Krebs

• Couverture : policier devant l’hôtel de police de Marseille.

• Maquette et réalisation :Micro 5 Lyon. Tél. : 04 37 85 11 22

• Société éditrice :Le Droit de vivre42, rue du Louvre, 75001 ParisTél. : 01 45 08 08 08E-mail : [email protected]

• Imprimeur :Riccobono Offset Presse115, chemin des Valettes,83490 Le Muy

• Régie publicitaire :Micro 5 Lyon327-355, rue des Mercières69140 Rillieux-la-PapeTél. : 04 37 85 11 22Port. : 06 25 23 65 66

Les propos tenus dansles tribunes et interviewsne sauraient engagerla responsabilité du « Droit de vivre » et de la Licra.Tous droits de reproductionréservés ISSN 09992774CPPAP : 1115G83868

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L E M O T

Antoine Spire / Rédacteur en chef

Depuis les années 1970, toutes les statistiques dé-montrent l’augmentation du nombre de crimes

et de délits dans le domaine de l’atteinte aux biens(vols avec effraction) et aux personnes. Il ne fautdonc pas s’étonner qu’un sentiment d’insécurité aitémergé en France, et les attentats l’ont largementamplifié. A l’augmentation des statistiques de policejudiciaire est venu s’ajouter le retentissement mé-diatique des crimes terroristes signés par Daech etpar les islamistes qui s’en réclament. Tout dans le monde nous rappelle chaque jour l’am-pleur de la violence. Contre les femmes, contre lesenfants, les musulmans, les juifs, les policiers, lesmanifestants, les grévistes… Cela peut sembler étrange, en particulier dans unpays développé comme le nôtre où, de fait, tout esten place pour qu’il y ait au contraire moins d’agres-sivité : les famines ont disparu de notre horizon ;l’Etat de droit interdit la violence par la loi, et lanon-violence est enseignée à l’école ; nous bénéfi-cions d’une liberté sexuelle qui devrait permettre desoulager bien des pulsions ; et d’une liberté politiqueque beaucoup nous envient. Mais la violence est deretour : plus personne ne supporte personne à l’heureoù la tolérance de la violence va diminuant.Une des explications les plus convaincantes estsans doute la difficulté pour l’homme de vivre du-rablement dans une société policée, urbaine, enétant encagé, entassé, prisonnier comme ses congé-nères de règles, de conventions et de réseaux. Dansun tel univers, où la fausse transparence exacerbela compétition, le désir et la jalousie, la violences’accumule et finit par exploser comme un arcbandé envoie sa flèche. Les plus pessimistes affir-ment que l’homme a besoin de jouir du mal qu’ilfait aux autres pour se prouver à lui-même qu’il

est vivant et contenir sa propre haine de soi. Dans une telle conjoncture, les forces de l’ordreformées et armées sont plus nécessaires que jamais.Les nouvelles formes d’agression terroriste ont untemps mobilisé les publics aux côtés des policiers,et personne n’a oublié le chanteur Renaud affirmant« J’ai embrassé un flic » après les crimes perpétréscontre Charlie et l’HyperCacher. Mais cet hommageà la protection policière n’a duré qu’un temps.Quelques bavures, dont la mort par étouffement dujeune Traoré et le viol du jeune Théo, ont rappelé àl’opinion que certains policiers se croyaient toutpermis. Pour autant, les violences exercées placede la République à Paris, il y a quelques mois,contre une voiture de police ont également rappeléque, du côté des manifestants, la « haine des flics »pouvait être tout aussi meurtrière. Aussi avons-nous voulu faire le point, dans cette li-vraison du « Droit de vivre », sur la violence anti-policière et des dérapages qui la provoquent parfois.L’état d’urgence a été prolongé, en juin dernier,jusqu’au 1er novembre et, pour renforcer « la luttecontre le terrorisme et pour la sécurité intérieure »,le gouvernement a décidé d’inscrire dans le droitcommun un grand nombre des mesures d’exceptionen vigueur depuis près de deux ans : assignations àrésidence, perquisitions administratives, fermeturesde lieux de culte ou de réunion, interdiction de cor-tèges, contrôles d’identité et fouilles de bagages etde véhicules vont donc demeurer à l’ordre du jour. Même si l’extrême gauche crie aux mesures liberti-cides, peu nombreux seront nos concitoyens à contes-ter l’utilité de ces mesures. Pourtant, elles n’ont pasfait leurs preuves en face de la complexité du terro-risme, et on peut se demander si le recours au contrôlede l’autorité judiciaire ne devrait pas rester la norme. ●

Du bon usage des forces de l’ordre

« PLUS PERSONNENE SUPPORTE

PERSONNEÀ L’HEURE OÙ

LA TOLÉRANCE DE LA VIOLENCEVA DIMINUANT. »

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SOMMAIRE DDV

ÉDITORIAL p. 2par Alain Jakubowicz

LE MOT p. 3par Antoine Spire

ACTUALITÉS p. 5-11• Simone Veil• Etats-Unis : les antiracistes• Marche des musulmans • Conseil constitutionnel• Frédéric Potier à la Dilcrah• Etre juif en Seine-Saint-Denis ?

DOSSIER p. 12 à 30POLICE ET CITOYENNETÉ

INTERNATIONAL p. 31• Le Brexit et xénophobie

UNIVERSITÉS D’AUTOMNEp. 31 à 35

SOCIÉTÉ p. 36-37• Parole d’ADN• Les races n’existent pas

SPORT p. 38

• Les Gay Games à Paris

CULTURE p. 39 à 49LIVRES• A. Zeniter : « L’Art de perdre »’

• S. Combe et Antoine Spire :« Maladie et privation d’amour.De Christa Wolf à Canguilhem,pour un retour à la clinique ».

• O. Guez : « La Disparition de Josef Mengele ».

• J.-L. Marion : « Brève Apologiepour un moment catholique ».

• O. Marongiu-Perria : « Rouvrir lesportes de l’islam ».

• D. Castino : « Rue Monsieur-le-Prince »

• E. Brault :« Les Peaux Rouges »,• Richard Bennaïm :«Le Journal

du soldat juif »,

THÉÂTRE• « Le Voyage de Benjamin »,

de G. Wajcman. • « Zig Zig », Laila Soliman, CINÉMA• A vos marques, prêts, parlez !• Tirailleur et résistant• La Shoah devant la CourEXPOSITION• « La corrosion antisémite

en Europe. 1886-1945. »FESTIVAL DE RAMATUELLE

VIE DES SECTIONS p. 50 à 54

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LICRA DDV12

Policeet citoyenneté

Rétablir la confianceDenis Vaultier.

Dans un pays comme la France, il ne peut y avoirde sécurité durable sans un lien fort entre lapopulation et ses forces de Police et deGendarmerie. Non seulement les forces assurantla sécurité doivent bénéficier du respect de lapopulation, mais elles doivent aussi, de leur côté,pour accomplir leurs missions, mieux associerla population dans toutes ses composantes(collectivités locales, acteurs économiques, sociaux,associatifs, etc.). La spécialisation de nos forces nedoit pas conduire à négliger ce partenariat citoyenqui seul permet d’établir un lien de confiance.Le policier ou le gendarme n’attend pas d’être aiméde la population, mais la manière dont il estaujourd’hui traité par une minorité de plus en plusimportante d’individus me paraît intolérable etdangereuse pour notre démocratie. Cette situation peut conduire à de graves désordres,qui finiront de convaincre une majorité de citoyensde la nécessité d’avoir recours à des politiquesextrémistes. Mettre en avant le dérapage toujourspossible de certains policiers et gendarmes pourjustifier le dénigrement des forces de sécurité,l’agressivité et la violence à leur encontre relèvede la manipulation.

La lutte contre le terrorisme islamiste doit constituerune véritable priorité, sinon les forces de sécurité vontcontinuer de s’épuiser et de se décourager. Cela exigede réduire nos exigences dans d’autres domaines,au moins provisoirement, de transférer certainesmissions et de réduire le champ pénal. Le recours auxarmées et aux réservistes (Garde nationale) doitprogressivement permettre de libérer les servicesspécialisés dans la surveillance et le renseignement,dans l’intervention et dans la police judiciaire,leur permettant de se concentrer sur l’essentiel. Même avec d’excellents services de Police et uneparfaite coordination entre les autoritésadministratives (préfets) et judiciaires (procureurs),la confiance ne pourra revenir que si les moyenshumains, budgétaires et matériels sont donnés à lajustice pour simplement lui permettre l’applicationde la loi voulue par les Français. A cet égard, l’accroissement du nombrede magistrats, la simplification des procédures et unusage plus intelligent de la détention (qui ne doitplus être un lieu de radicalisation) paraissentindispensables pour que la population, mais aussiles policiers et les gendarmes, retrouvent confianceen eux-mêmes et en leur justice.

D O S S I E R P O L I C E

Le 24 mars 2010,Vaulx-en-Velin (69),des policiers del’Unité territorialede quartier (Uteq)patrouillent dans lequartier du Mas-du-Taureau.

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1. Denis Vaultier estmembre du Bureauexécutif de la Licra,chargé des relationsavec la Police et la Gendarmerie.

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OCTOBRE 2017 13

ENTRETIEN

Gérard Collomb, ministre de l’IntérieurFidèle partisan du rétablissement de la police de proximité, Gérard Collomb se prononce ici pour une « police de sécurité du quotidien ». Il a tenu à répondre à deux de nos questions. Nous irons plus loin avec lui dans une prochaine livraison du « DDV ».Propos recueillis par Alexandra Demarigny.

Retour de la police de proximité !Raphaël Roze.

DDV Pensez-vous qu’il soit possible de trouver unéquilibre entre la légitime critique de la police et ladéfense de son travail ?Gérard Collomb. Dans leur immense majorité, lesforces de sécurité intérieure font un travail remar-quable, alors même que les conditions d’exercicede leur métier sont difficiles : il suffit, par exemple,de dialoguer avec des membres d’une brigadeanti criminalité intervenant la nuit pour le mesurer.Qu’il puisse y avoir, de manière très isolée, des dif-ficultés, n’est évidemment pas à exclure. Et àchaque fois que de tels faits sont rapportés, nousdemandons à nos inspections générales une enquêteapprofondie. Je mets cependant en garde contre les allégationset les accusations qui ne reposent pas sur desfaits précis, étayés, et qui contribuent à nourrirun climat de défiance envers la police et la popu-lation, alors même qu’elles sont invérifiables.

DDV Faut-il renouer un pacte d’alliance avecles Français ? Comment y parvenir ?G.C. Je veux travailler à renforcer le lien entrePolice, Gendarmerie et population. Les Françaiscélèbrent leurs forces de sécurité intérieure quandsurvient un attentat – on se souvient du 11 janvier.

Il faut qu’un tel élan ne soit pas seulement de cir-constance. C’est notamment pour cela que noussouhaitons mettre en œuvre la police de sécuritédu quotidien. Quand, dans un quartier, vous voustrouvez en contact avec des policiers ou des gen-darmes, uniquement quand se produit un incident,cela n’est pas de nature à créer un climat deconfiance. Au contraire, quand, chaque jour, despoliciers ou des gendarmes sont présents sur leterrain, qu’ils connaissent les habitants et que leshabitants les connaissent, alors il y a la possibilitédu « pacte d’alliance » que vous évoquez. ●

Des villes-tests bénéficieront, dès cet automne,d’une police de proximité, imaginée quand

Lionel Jospin était à Matignon, en 1997, maisabandonnée par Nicolas Sarkozy en 2003 – lesagents « ne sont pas là pour organiser des matchsde rugby », avait lancé l’ancien Président.Cette « force de sécurité du quotidien », selonl’expression du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, doit se généraliser sur l’ensemble duterritoire courant 2018.

UNE LONGUE PARENTHÈSE

Si la parenthèse a duré longtemps, c’est parceque la police de proximité a été fustigée par ladroite et dans les commissariats eux-mêmes, oùdominait le sentiment de moins réprimer avecdes tâches d’animation « laxistes ».Des spécialistes estiment cependant que l’initiativede Lionel Jospin a permis le maillage des quartiers

difficiles, utile en matière de renseignement (anti-terrorisme, par exemple), et d’apaiser les tensionsà l’échelle du voisinage.La question est surtout financière : le dispositif adonné des résultats mitigés car il consommaitbeaucoup d’énergie, alors que la Police nationaleétait déjà en manque de personnel. Il a été réalisédans la précipitation, et des services ont été dépouillés pour un « redéploiement » au rabais,regrettent les syndicalistes, qui ne cachent pasleur méfiance à l’égard du projet de Gérard Collomb. Tout indique pourtant que les Français jugent lespatrouilles insuffisantes sur la voie publique. Lebut de l’exécutif est de réduire fortement le travailadministratif, au profit de missions plus humaines,au contact des citoyens, des jeunes susceptiblesde basculer dans la délinquance et/ou la radica-lisation. Une manière de lutter, du même mouve-ment, contre les préjugés et le racisme. ●

Gérard Collombà Paris,

le 25 août 2016.

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Au début du XVIIIe siècle, la sécurité(1) était l’objectifcommun à tous, avant que la Révolution fran-

çaise ne la consacre comme domaine exclusif del’Etat et ne la confie au militaire et à la diplomatiepour le maintien de l’ordre et le rétablissement dela paix(2). Engendré par la peur de périls menaçantl’être dans son existence même, le désir de sécuritécrée ainsi, après la Révolution, le mythe d’un Etatprotecteur qui parviendrait à sécuriser le territoireet à assurer la sauvegarde du citoyen, en rétablissantl’ordre et en neutralisant toute menace.

LE VIRAGE SÉCURITAIRE

Face à des enjeux fluctuants, le politique est au-jourd’hui tenté de transformer les sources de vul-nérabilité potentielles en risques et, donc, en ques-tions de sécurité. Il en va ainsi, par exemple, del’immigration ou de l’Islam, prétendus facteurs dedésintégration sociétale, considérés comme menacesà l’identité de la nation. D’où les dérives du natio-nalisme, liées à la représentation stéréotypée quedes citoyens se font d’eux-mêmes au sein d’unesociété-communauté partageant la même culture. De la confusion entre société (lieu d’interactionentre citoyens) et nation sourd une politique iden-titaire, le plus souvent xénophobe, fondée sur unarsenal de mesures sécuritaires. Le pas est franchientre sécurité passive, préventive, et sécurité ac-tive, protectrice. La sécurité ne répond plus àune menace réelle émanant d’une situation exis-tante, elle est motivée par un discours sécuritairequi crée la situation théorique par anticipation.Récurrence de la menace terroriste, montée desincivilités, exacerbation du sentiment d’insécuritéont conduit à une inflation législative renforçantle pouvoir policier, et à pléthore de lois : celles-ciautorisent l’application de mesures extra-ordinairesdans des situations supposées exceptionnelles,et visent l’inscription dans la permanence de laConstitution de l’aléatoire et du ponctuel.

SÉCURITÉ JURIDIQUE ET SÛRETÉ

Toutes les Constitutions, depuis la Révolution,ont comme préalable la Déclaration des droitsde l’homme et du citoyen de 1789 (DDH) et lesprincipes qu’elle met en avant. Le droit à lasécurité juridique n’y est pas reconnu commetel, contrairement au droit à la sûreté. « Le but detoute association politique est la conservationdes droits naturels et imprescriptibles de l’homme.Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté etla résistance à l’oppression » [art. 2]. Il est même

fondateur de la constitutionnalité [art. 16]. Cedroit à la sûreté est entériné par les Déclarationsgirondine et jacobine qui éclairent sa définition :« La sûreté consiste dans la protection accordéepar la société à chaque citoyen, pour la conser-vation de sa personne, de ses biens et de sesdroits(3). » Le concept de sûreté renvoie ainsi à laprotection globale des libertés individuelles contrel’arbitraire, quelle que soit son origine.

SÛRETÉ ET ÉTAT DE DROIT

Dans l’Etat de droit il n’existe pas d’autorité supé-rieure à la loi. Les normes y sont hiérarchisées et lapuissance de l’Etat s’en trouve limitée. Au sommetde la hiérarchie, la Constitution, qui comprend laDDH et confirme la sûreté comme droit impres-criptible. Or, le projet de loi antiterroriste entre ma-nifestement en conflit avec l’article 2, et sa consti-tutionnalité est problématique, notamment au sujetde la séparation des pouvoirs et de l’indépendancede la justice. La question de la surveillance « demasse » qu’elle préconise aussi rappelle sans am-bages la fiction cauchemardesque d’Orwell (1984).Il ne saurait être question de nier la menace ter-roriste ou le danger de balkanisation de la sociétéface à la montée des intégrismes et nationalismes,pas plus que la nécessité de défendre les sociétésoccidentales contre les menaces objectives quisurgissent. Mais respecter la différence entre sé-curité et sûreté est garant de liberté, comme l’af-firme cet habeas corpus à la française : « Toutepersonne a droit à la liberté et à la sûreté(4). »Gardons aussi en mémoire, comme nous y invitele Conseil de sécurité de l’ONU, que seule unesécurité respectueuse de la sûreté pourra conduireà la paix. ●

Le discours sécuritaireEn qualifiant une situation « d’urgence », elledevient une urgence. La simple énonciationdu mot « sécurité » par l’autorité (politique,policière, judiciaire…) suffit à le transformeren situation réelle. C’est ce que l’on nomme enpragmati que le performatif [Austin, « How to DoThings with Words », 1962]. La force illocutoiredu discours l’enrobe alors de conviction et depersuasion, et il devient un instrument de prisede pouvoir sur l’opinion publique, visant à modifierses représentations, à générer de l’insécurité,voire de la peur, et par là même à justifierla nécessité des mesures envisagées.

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D O S S I E R P O L I C E

Sécurité, sûreté… liberté ?Respecter la différence entre sécurité – la protection de la personne, des droits et des biens –et sûreté – la protection contre l’arbitraire – est garant de liberté. C’est à cette problématiquequ’est confronté le projet de loi antiterroriste.Mireille Quivy.

1. La sécurité,une sinécure ? Hasard de la filiationétymologique, sécuritéet sinécure ont la mêmeorigine latine, sine cura(absence de souci,sentiment de tranquillitéet de confiance).Si le mot sinécure a figétrès tôt son sens religieux,le mot sécurité est, lui,doté d’une plasticitésémanti que qui a permisau concept de couvrir,au fil des siècles, presquetous les domainesde la vie en société. 2. Vers 1794 apparaîtun quasi-antonyme,l’insé curité, sentimentqui manifeste l’inquiétudesuscitée par un éventueldanger. Deux préfixesprivatifs s’annulent : in- + se- (sine). Il ne reste plus quela racine, cure, le souci.3. Déclaration girondinede 1793, art. 10.La Déclaration jacobinede la même année stipuledans son article 8 :« La sûreté consiste dansla protection accordéepar la société à chacunde ses membres pourla conservation de sapersonne, de ses droits,et de ses propriétés. »4. Convention européennede Sauvegarde des droitsde l’homme, art. 5, 2002.

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Licra/ministère de l’Intérieur : l’union est un combatA l’heure où la convention cadre de 2010, renouvelée en 2014, est en cours de négociation, retour sur un partenariat qui a fait ses preuves.Mireille Quivy.

En 2001, la très controversée Conférence mondialede Durban – rendue tristement célèbre par les

prises de position farouchement antisionistes et an-tisémites des ONGs, qui ont entaché les débats etsont restées gravées dans les mémoires – enjoignaitnéanmoins la communauté internationale d’« assignerun rang de priorité élevé à la lutte mondiale contre leracisme, la discrimination raciale, la xénophobie etl’intolérance qui y est associée » ; elle s’alarmait de« la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobiedans diverses régions du monde », et réaffirmaitque « l’Holocauste ne doit jamais être oublié ».

LA CONVENTION AVEC LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

Il fallut attendre 2010 pour que voie le jour, enFrance, un Plan national de lutte contre le racisme.La Commission nationale consultative des droitsde l’homme y fut associée, et une conventioncadre de lutte contre le racisme et l’antisémitismefut signée, le 1er décembre 2010, entre la Licra etle ministère de l’intérieur. Racisme et antisémitismey furent définis comme constituant « une rupturedu pacte républicain et un danger pour la démo-cratie », requérant de ce fait l’expertise de laLicra aux côtés du ministère de l’Intérieur.Au terme des trois ans de sa durée légale, laConvention fut prorogée d’autant, le 29 juillet 2014.

UN PARTENARIAT EN TROIS AXES

– Les actions de formation et de sensibilisationLes sections de la Licra sont depuis lors sollicitéespour intervenir au sein des écoles de la Police etde la Gendarmerie, tant sur le plan de la formationinitiale que continue, et à l’Ecole nationale de lamagistrature. Une lutte efficace contre la hainenécessite en effet une connaissance des préjugés,des idéologies – parfois de l’irrationnel – qui lanourrissent, et une mise en perspective autorisantla compréhension et la déconstruction de sesmécanismes, là où la seule connaissance de l’ar-senal juridico-policier ne saurait plus suffire.– La documentation. Outre ses permanencesde veille et son réseau d’avocats experts assurantpro bono une mission de conseil, la Licra porteune attention particulière au recueil des actes etmenaces de nature raciste, antisémite ou isla-mophobe, et accompagne les victimes dans leursdémarches auprès des référents Police et Gen-darmerie. Son guide juridique est mis à disposition

de tout un chacun dans les commissariats depolice et les gendarmeries.– La mutualisation. L’action conjointe de la Licra,du Service de protection de la communauté juive,du Conseil français du culte musulman et de laSous-Direction de l’information générale permetla comptabilisation des plaintes et mains-courantesqui fondent les statistiques ministérielles.Mais, depuis quelques années, l’échange d’in-formations vise aussi le fléau viral des incitationsà la haine sur Internet, en complément des si-gnalements traités par la plate-forme Pharos.Enfin, la Licra prête main-forte à la Police, laGendarmerie et la Division nationale de luttecontre le hooliganisme, pour combattre le racismedans le sport et animer des séances de formationauprès des footballers en herbe.

FORMATION ET AIDE AUX VICTIMES

Les pôles Formation police et Aide aux victimesconstituent une partie non négligeable de l’actioncitoyenne de la Licra, et c’est donc dans un cadreinstitutionnel et juridique très rigoureux que s’exercentpartenariats et actions contre le rejet de l’autre. Considérant que l’éducation est un vecteur in-contournable de responsabilité citoyenne, les bé-névoles, forces vives des sections locales de laLicra, travaillent sans relâche à sensibiliser citoyenset forces de l’ordre aux valeurs de la Républiqueet la démocratie, par la tolérance, et garantirontaux générations futures la pérennité des droitsde la personne humaine. ●

SUR TOUS LES FRONTS

L’ONU préconisaitd’associer pouvoirspublics, institutionsinternationales, ONGset société civile, etd’engager des plansd’action nationaux« pour lutter contrele racisme, la discri mination raciale,la xéno pho bie et l’into lérance qui y estassociée, y comprisleurs manifestationssexo-spécifiques ».

1. Nations Unies,Conférence de Durban, 31 août-8 sept. 2001,A/Conf.189/12. 2. La Licra bénéficie d’unaccès privilégié à la plate-forme Pharos (créée en2009), qui dépend de laDCPJ (dont la Licra estpartenaire). Elle estcomposée de gendarmes,policiers et enquêteursformés à la qualificationde la délinquance racisteet à ses spécificitésprocédurales (voir le rap -port 2013 de la CNCDH). 3. La Licra est égalementsignataire d’uneconvention-cadre avecl’Education nationaledepuis 2002, et travailleen partenariat avecla Dilcrah (Délégationinterministérielle à la luttecontre le racisme,l’antisémitisme et la haineanti-LGBT) depuis sacréation, en 2012.

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Des forces de police de qualitéLa Conférence soulignait aussi la nécessitéde mettre en place « des politiques et desprogrammes visant à prévenir et à décelerefficacement les abus de la police et des autresagents des forces de l’ordre », ainsi qu’àéradiquer le « délit de faciès », afin de « constituerdes forces de police de qualité, plurielles ».L’Inspection générale de la police nationale (IGPN)a ouvert, en septembre 2013, une plate-formedédiée au signalement de comportementsracistes, antisémites ou xénophobes de la partde fonctionnaires de police.L’encadrement des contrôles d’identité a été régulépar le code de déontologie du 1er janvier 2014.

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DDV Emmanuel Macron a annoncé la levéede l’état d’urgence. Comprenez-vous le débathouleux qui a agité l’opinion, justementà propos de nos libertés individuelles ? Céline Berthon. Sur le plan philosophique, jepeux le comprendre. Là où je suis plus ennuyée,c’est que j’ai parfois le sentiment qu’il est ins-trumentalisé, ce débat !

DDV Par les médias ?C.B. Non, pas forcement, ils font leur job etprennent des positions. C’est plutôt parquelques politiques que je trouve dangereu-sement doctrinaires, et qui ne sont pas cellesou ceux qui viendront assumer les actes quenous n’aurons pas été en mesure d’empêcher.Ce ne sont pas eux qui auront des vies sur laconscience quand il surviendra quelque chose !Que le débat ait lieu, c’est plutôt sain dansune démocratie, Après, il ne faut pas perdrede vue l’objectif qu’on poursuit, en tombantd’accord sur la recherche d’un minimum d’ef-ficacité. C’est pour moi l’alpha et l’oméga.

DDV Après les attentats de Charlie Hebdoet de l’Hyper Cacher, on pouvait s’attendreà de meilleures relations entre les citoyenset la police. Pourtant, tout s’est rapidementdégradé à nouveau. Comment l’expliquez-vous ? C.B. Quand on est sorti de cet effet louped’une police protectrice, on retombe dansl’ambivalence un peu complexe des relations

des Français avec leur police. En France, onaime bien jouer avec les règles, mais on n’aimepas se faire rattraper par les gendarmes. Ne nous voilons pas non plus la face surl’existence de groupes d’idées qui font de lapolice un portrait caricatural, violent, raciste,liberticide, avec un écho phénoménal dansles médias. Si la police peut avoir, commetout corps social, des gens imparfaits dansses rangs, vis-à-vis de qui nous devons prendrenos responsabilités, l’immense majorité deses agents sert avec déontologie, profession-nalisme et justice. Le problème, c’est qu’on aperdu la bataille médiatique qui s’est engagéedepuis l’après Charlie Hebdo.

DDV L’affaire Théo et celle de cet hommede nationalité chinoise tué dans sa cuisine sont tout de même très graves ?C.B. Voilà justement des cas où, médiatique-ment, la police a perdu, car elle est jugée cou-pable par les médias. La présomption d’inno-cence semble ne pas exister pour les policiers.Dans l’affaire de cet homme d’origine chinoise,personne ne sait ce qui s’est vraiment passé, en

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G R A N D E N T R E T I E N C É L I N E B E R T H O N

“Nous avons perdu la bataille médiatiquedepuis l’après Charlie Hebdo !”

Céline Berthon,secrétaire généraleadjointe du Syndicat descommis saires de police,considère que laconfiance entre policeet citoyens relève de laresponsabilité de l’Etat. Il doit assumer son rôlesans tomber dans deseffets de basculementsdoctrinaires en passantdu tout préventionau tout répression…Et laisser de côtéles intérêts politiciens.

PROXIMITÉ

Paix publiqueSupprimée par NicolasSarkozy, la policede proximité pourraitrevoir le jour. Mais,selon les syndicats,avec une missionclaire, pour éviterl’éparpillement :préserver la paixpublique et interpellerles auteurs d’infractionsen faisant respecterle lien social qui nousunit. Autrement dit,apporter une plus-value dans le quotidiende la population.

« IL N’Y A PAS DE PLACE CHEZ NOUS POUR LES VIOLENTS, LES VOYOUS OU LES CORROMPUS ! »

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dehors des enquêteurs ! Qui était dans lacuisine au moment des faits ? Le problème,c’est que la presse a déjà jugé.

DDV Et l’affaire Théo, c’est aussi une bataillede communication ? C.B. Justement, parlons-en ! La magistrate duparquet qualifie d’abord les faits de viol, sansavoir vu la vidéo. Puis, quand elle la regarde,elle dit qu’elle s’est trompée et qu’elle n’auraitjamais dû qualifier cette affaire ainsi !Le problème, c’est que quand c’est parti média -tiquement, impossible de faire machine arrière ! Laissons les services compétents travaillerdans le temps, car ces affaires sont souventcomplexes, et ce n’est pas dans un tweet ousur une chaîne d’info que la vérité est écrite.Même quand c’est faux, les médias ne re-viendront jamais en arrière ! C’est profondémentinjuste pour l’Institution. Une fois encore, les policiers qui se livrent àdes comportements inadaptés sont, croyez-moi, durement sanctionnés. On est l’institutionpublique la plus contrôlée, avec le taux de révocation le plus important. Il n’y a pas deplace chez nous pour les violents, les voyousou les corrompus !

DDV Alors, pourquoi la police ne communique-t-elle pas mieux ? On a le sentiment d’un flouartistique, et de n’entendre finalement que lesmédias... C.B. Quand un policier fait usage de son arme,c’est toujours un drame à la fois personnel etprofessionnel. Il y a forcément un silence vouluet souhaitable de la part de l’institution judiciairedans ce cas de figure. Du côté de l’institutionpolicière, il y a une forme de résignation, carde toutes les façons on aura tort et on estjugé coupable avant que l’enquête n’aboutisse.Je souhaite que cette résignation et cetteauto censure cessent dans l’institution policière.Il faut une approche équilibrée, raisonnée etdépassionnée, qui prenne en compte le tempsde l’enquête, la vérité des faits et non pas l’in-terprétation, et une décision finale juridiquementadaptée.

DDV L’idée qu’il existe un racisme d’Etatvéhiculé par la police se développe danscertains milieux proches de la gauche radicaleou de certains courants antiracistes.Comment réagissez-vous à ces accusations ?C.B. Beaucoup de courants doctrinaires ontfabriqué une entreprise de démolition systé-matique de la police et des services de l’Etat,dans une optique d’instrumentalisation politique.C’est aussi le cas de groupes radicaux dan-gereusement communautaires, qui véhiculent

une vision totalitaire infondée de la sociétépour soigner leur clientèle. C’est la raisonpour laquelle Il faut qu’on mette vraiment àplat le sujet du contrôle d’identité en France,et passer à un autre type de contrôle : celuides personnes et des territoires, qui conviendraitmieux aux situations des quartiers. Ainsi, lespoliciers qui seraient requis par les bailleurs,les habitants, les associations, exerceraientce contrôle dans le cadre d’un territoire. Il fau-drait que cette approche soit gravée dans laloi et dans le code de procédure pénale, dansun cadre juridique, sans ambiguïté.

DDV C’est un souhait que vous soumettrezà votre ministre de tutelle ?C.B. Oui, tout à fait. Il y a aussi la question dela traçabilité du contrôle, qui est évoquée parceux qui souhaitent un récépissé. Le problème,c’est qu’on parle de contrôle au faciès, maison n’assume pas du tout le principe des sta-tistiques ethniques interdites en France. Or,les statistiques policières établies à partir desdépôts de plainte établissent que, dans certainsterritoires, les infractions sont davantage com-mises par des jeunes gens porteurs de capucheque par des hommes en costume-cravateporteurs de sacoche. C’est un fait irréfutable.Mais pour cela, il faut être en mesure d’assumeret de se doter de moyens et d’outils objectifspour enfin sortir de la suspicion. A partir de là,il sera plus facile d’assurer la traçabilité detous les contrôles. Mais arrêtons de faire leschoses à moitié ! Quant au récépissé pour le récépissé, sansaccompagnement, j’attends de voir les réac-tions des associations et de la Cnil(1) quand ils’agira de classer ces fiches dans nos ordina-teurs ! On ne souhaite pas que la ligne soitpolitique, édictée à Beauvau et appliquée defaçon autoritaire. On ne veut ni affichage, nieffet d’annonce.

DDV Quelle serait, pour vous, la définitiond’une police républicaine, universellementreconnue et acceptée ?C.B. Une police républicaine serait une policedont on redéfinit le mandat avec l’ensembledes parlementaires, pour clairement préciserson cahier des charges. C’est le mandatsocial que la nation remettrait à ses forcesde sécurité, avec ses droits et ses devoirs.A partir de là, il faut mettre les outils juridiquesadaptés et compris par la population.Nous attendons de l’Etat qu’il nous défende.C’est un message que nous allons continuerde porter à ce nouveau gouvernement, avecdes élus qui ont, je l’espère, un regard nouveausur leur police. ●

17OCTOBRE 2017

POSTES

7 500 créationsA l’unisson, lessyndicats de policiersdéplorent la perte deseffectifs chaqueannée, alors que lestâches sont de plusen plus lourdes. Avec les attentats,une politique deredéploiement deseffectifs destinés à la lutte antiterroriste et au renseignementa été mise en placeau détriment descommissariats. Pour y remédier,le Président dela République aannoncé la créationde 7 500 postesde policiers.

PROJETDE LOI

AntiterrorismeEn juillet dernier,le Sénat a votéle nouveau projetde loi antiterroriste,qui remplacera, au1er novembre, lerégime de l’étatd’urgence. Parmi les principalesmesures : les assi -gnations à résidence,rebaptisées mesuresindividuellesde surveillance,ordonnées par lepréfet ; la fermetureadministrative de lieuxde culte faisantl’apologie du terro ris -me ; l’usage depérimètres de protec -tion aux abords desites à risque terroriste ;les perquisitionsadministratives, désor -mais dénommées visites domiciliaires.

1. Commission nationalede l’informatiqueet des libertés.

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D O S S I E R P O L I C E

A lors que l’intolérance et l’obscurantisme mor-cèlent et divisent le monde, notre société est

aux prises avec ses démons et meurtrie par uneviolence multiple et sournoise. La Police et laGendarmerie sont aux avant-postes. Si violencesverbales et physiques sont à déplorer trop régu-lièrement, policiers et civils sont responsables.Dans ce contexte comment la Licra peut-ellejouer son rôle de sensibilisation à l’antisémitismeet au racisme ? Un partenariat a vu le jour en2010 entre le ministère de l’Intérieur et la Licra.

LE LABORATOIRE NÎMOIS

Patrice Bilgorai, président de la section nîmoise,et Philippe Mercier, vice-président, ne sont paspeu fiers du chemin parcouru. En l’espace decinq ans, leur petite équipe Licra a su devenir lepartenaire incontournable de la DDSP (Directioncentrale de la sécurité publique) de l’école dePolice et de la Gendarmerie. Nîmes abrite la plus grande Ecole nationale depolice (ENP) de France. « Ce qui frappe lorsquenous poussons les lourdes portes de la vastesalle, c’est de découvrir un public dense, jeune,féminin et mixte », constate, amusé, le présidentde la section. Cela tord le cou à quelques géné-ralités sur la Police. Néanmoins, ce milieu n’estpas épargné, loin de là, par le racisme et lesexisme. La Licra Nîmes s’est donc attachée àdévelopper avec la direction de l’école de solidesliens de confiance et de réciprocité. » L’ENP a accueilli à plusieurs reprises cette annéeles membres de la Licra, les 9, 23 et 30 janvier, etc’est à l’occasion d’une nouvelle intervention, le23 août dernier, que Patrice Bilgorai s’est confié.« Cette fois-ci je n’étais pas présent, c’est PhilippeMercier qui y était. » Il poursuit : « Cela s’est unenouvelle fois très bien passé. Nous intervenions

devant la 244e promotion des élèves gardiens dela paix. Ils étaient 614 […] Nous souhaitionsrappeler la nécessaire impartialité dont doiventfaire preuve les forces de l’ordre. »L’association des policiers/gendarmes LGBT étaitégalement présente aux côtés de la Licra.En plus de cet agenda chargé, la section assuredepuis deux ans des interventions, début sep-tembre, devant les nouveaux effectifs de la DDSP,qui seront ensuite répartis dans tout le départe-ment, une manière de disséminer çà et là les valeurs défendues par la Licra.Grâce à l’expérience acquise par Nîmes, une ému-lation s’est créée et d’autres sections ont pu éga-lement monter des partenariats avec les ENP dePérigueux, Roubaix, Tulle, Montbéliard, Montluçonou Reims. Au moment où nous nous interrogeons,dans notre dossier sur la police, sur son rôle et sonévolution, les sections Licra offrent un vivier d’anec-dotes et de récits édifiants. Même s’il n’est paspossible de divulguer l’intégralité des échanges,Patrice Bilgorai évoque certains débats récurrents :« Nous avons des questions sur le racisme anti-Blancs, sur l’islamophobie, sur la place de l’islam.Mais on nous interroge aussi sur le rôle de la Licraet la question : si les élèves gardiens de la paix dé-rapent, la Licra portera-t-elle plainte contre eux ? »

INNOVATIONS ET PISTES D’ÉVOLUTION

Outre l’importance d’expliquer comment recevoirles victimes de racisme et d’antisémitisme dansles commissariats, l’équipe nîmoise a rapidementcompris qu’il fallait des interventions didactiques.Chaque année, l’ENP de Nîmes est le théâtred’une exposition. Au mois de mai 2017, au cœurdu tourbillon électoral, la section avait choisi lethème de la laïcité. Les vingt panneaux avaientété prêtés par la Ligue de l’enseignement. Les bénévoles nîmois ont également expérimentéune nouvelle forme de rapprochement avec lesélèves policiers par le truchement d’une expositionou de films dans le hall de l’hôtel de police. Uneinitiative qui peut contribuer à démystifier la policedans les jeunes esprits(1). Quid de la Gendarmerie ? Le public est différentpuisque la section intervient auprès des chefs debrigade, des commandants, etc., essentiellementsur l’accueil des victimes et la formalisation desplaintes. Une anecdote lui revient en évoquantl’image de la Licra : « Nous avons développéd’excellentes relations avec le nouveau comman-dant de Nîmes, qui a 34 ans, Julien Bullock […]Un événement nous a donné encore davantagede crédit. Nous sommes intervenus récemmentpour soutenir une femme gendarme victime deracisme. Nous n’avons malheureusement pas pualler très loin, puisque le Parquet n’a pas retenula circonstance aggravante de racisme. » La re-nommée de l’association est telle que le nouveauprocureur, Eric Maurel, les a rencontrés et qu’il en-visage de créer un pôle antidiscrimination à Nîmes.

Formation nîmoise despoliciers et gendarmesL’expérience nimoise de la Licra à l’école de Police et en direction de la Gendarmerie sert d’exemple national.Justine Mattioli.

Les conventions à l’âge de raisonLa première convention-cadre entre la Licra et le ministère de l’Intérieur a été signée le 1er décembre 2010, pour trois ans. Elle a été renouveléele 29 juillet 2014. Interventions auprès des forces de l’ordre, diffusion dedépliants dans les commissariats et les gendarmeries et lutte contre lescontenus haineux sur Internet sont les axes majeurs de ce partenariat. Le bilan de la convention stipule que, « en 2016, 331 000 dépliants ontété édités et distribués dans toutes les DDSP et dans toutes les casernesde gendarmerie ». En outre, nouveauté : « 5 700 dépliants ont été distribuésdans les écoles de Police et 13 300 pour les écoles de Gendarmerie ».

1. Du 20 au 24 mars2017, des tableauxet dessins sur le thème« Tous différents, tous égaux » ont été exposés.« Une manifestationinédite, qui n’a lieuque dans le Gard »,précise StéphaneFrégiers, directeur ducentre loisirs jeunessede la Police nationale.Pendant quatre jours,les élèves des collègesJean-Rostand, Condorcet,Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle et Jules-Vallèsse sont pressésaux portes de l’hôtelde police.

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Patrice Bilgorai,président de la sectionLicra Nîmes.

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Dans les projets, Patrice Bilgorai évoque un par-tenariat avec la PJJ et de futures interventionsavec l’Ecole nationale supérieure d’applicationde la Police nationale de Toulouse (Ensapn). Le retour de la police de proximité – une décisionpositive, évidemment – inquiète le président dela section, qui voit les policiers confrontés aux

quartiers sensibles de l’agglomération. « Il faudray mettre les moyens, sinon c’est une folie douce ! »,s’exclame-t-il. S’il existe une issue aux labyrinthes complexesde la société moderne, elle s’ouvre sûrement parune approche comme celle défendue par la LicraNîmes. ●

Que voit-on sur cette photo prise à Rennes ?Un motard de la Police casqué, descendu de

sa moto, pointe son arme de service sur un mani-festant en noir, cagoulé, sans arme, qui tend lamain vers lui comme pour lui demander de se cal-mer. Brut de fonderie, la photo résume la violenced’Etat face au droit constitutionnel de manifester.

QUE SE PASSE-T-IL HORS CHAMP ?

C’est cette photo qui a servi d’illustration à unevirulente tribune intitulée « Rennes, laboratoire del’ordre en marche », publiée dans le quotidien« Libération », le 18 juin 2017. Les signataires dela tribune (dont l’éditeur Eric Hazan et le directeurde recherche au CNRS Frédéric Lordon) dénoncentles méthodes des policiers et des magistrats, quis’affranchiraient de plus en plus de l’Etat de droit.Ainsi écrivent-ils : « Ce comportement dangereuxet injustifiable d’un policier qui n’était nullementmenacé, comme le montrent les vidéos, est devenuprétexte à une enquête contre de présumés ma-nifestants pour… violence avec arme […] »Le drame est que cette image ne rend absolumentpas compte de la violence à laquelle a étéconfronté le policier quelques minutes auparavant.Des photos diffusées par la Police montrent cemême motard submergé par un groupe d’une di-zaine de manifestants violents qui l’agressent etle frappent. L’un d’entre eux se sert comme armed’un robinet monté sur un flexible de douche (etnon d’un simple pommeau de douche, commel’avancent les signataires de la tribune !) .Devant le tribunal qui juge sept de ses présumésagresseurs, le motard raconte : « Les choses vonttrès vite. Je reçois des impacts sur mon dos, surmon casque, mais je ne connais pas le nombrede mes agresseurs. Ils sont dans mon dos. Je neles vois pas, je peux être renversé à tout moment,et la seule manière de me protéger est de sortirmon arme et de les tenir en respect, pour éviterun nouveau mouvement de foule. » Le 20 juin, une excellente contre-enquête de« Libération » fait litière des allégations de latribune publiée dans ses pages deux jours aupa-

ravant. Images inédites à l’appui, un photographeconfirme à « Libé » l’agression violente du motardet la fuite des agresseurs quand il sort son arme.Calmement, et en toute légitime défense ! Cinqsecondes après, une nouvelle photo le montremenaçant un manifestant isolé. Ceux qui accusent les flics de tous les crimes neretiendront que celle-là ! ●

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Analyse d’une bavure médiatiqueEn boucle sur les réseaux sociaux, une photo prise le 27 avril, rue de l’Alma, à Rennes,lors d’une manifestation « Ni le Pen, ni Macron ».Georges Dupuy.

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Le motard se fait agressé par le groupe de manifestants

Le policier porte sa main à son arme pour faire reculer les manifestants

La photo de la « bavure médiatique »

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D O S S I E R P O L I C E

Ce matin-là, 12 septembre, l’amphi de l’Ecolenationale de la police d’Oissel (lire ci-contre),

à côté de Rouen, était plein à craquer. MireilleQuivy, vice-présidente de la Licra Fécamp, Jean-Marie Bruguera, son trésorier, et Donatien LeVaillant, représentant de la Délégation interminis-térielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitismeet la haine anti-LGBT (Dilcrah), planchaient – avecbrio – devant les 346 élèves gardiens de la paixde la 244e promo. Une deuxième session étaitprévue en début d’après-midi devant la 245e etses 180 garçons et filles. L’assistance était parfoisrigolarde, mais en général, attentive et réactive, àpart une poignée de roupilleurs bien vite expulséspar l’encadrement.

« VOUS ÊTES LES GARDIENS DE LA PAIX »Oubliez les petites trahisons du matériel de pro-jection ! Spots, présentation historique de la Licraet de ses combats, décryptage du racisme, del’antisémitisme et de tout ce qui est peur de l’autre,rôle des forces de l’ordre… pour sa troisièmeédition depuis 2015, la prestation de la toute jeunesection de Fécamp a fait son petit effet. Notammentquand Mireille Quivy a rappelé à son auditoirequ’ils étaient, comme leur nom l’indique, lesgardiens de la paix. Et qu’à ce titre, ils devaientêtre irréprochables. Qu’ils étaient là pour faire res-pecter le droit. Appliquer le « juste ». Prendre durecul sur l’action. Ecouter les autres avec humanité,quelle que soit la religion ou la couleur de la peau.Dépasser leurs stéréotypes et leurs préjugés, etse souvenir que le racisme est un délit. En 2017, la Licra peut compter sur une trentainede militants armés pour bâtir des partenariats ouporter la bonne parole. En 2016, avec une trentained’interventions en formations de base ou continue,le rythme s’est intensifié. L’histoire avait démarré en 2008, à Bordeaux, parun partenariat entre la section locale et la Gendar-

FORCES DE L’ORDRE

La Licra faitsa rentrée scolaire

La Licra multiplie les interventions en formation initialeet continue pour sensibiliser les policiers

et les gendarmes au racisme et à l’accueil des victimes.La convention signée en 2010 avec le ministère

de l’Intérieur sera-t-elle renouvelée en 2017 ?Reportage à l’Ecole nationale de la police d’Oissel.

Georges Dupuy.

EN BREF

Oissel L’Ecole nationale de la police d’Oissel (Seine-Maritime) est l’une des douze ENPspécialisées dansla formation initialedes élèves gardiensde la paix, des adjointsde sécurité et descadets de la République.Installée sur64 hectares, elle a une capacité d’accueilde 1 017 lits, dont 220réservés au personnelen formation continue. La durée de la scolaritéest aujourd’hui de10,5 mois pourles élèves gardiensla paix, qui passentun mois en stagede terrain.L’admission se faitsur concours. La fin des études est sanctionnée parun examen national.Le rang de sortiedétermine le choixdes affectations.

GD.

« A FORCE DE NE PAS RÉPONDRE À CE TYPEDE PROBLÈMES, ON LAISSE SE DÉVELOPPERL’IDÉE QUE […] LA POLICE ET LA JUSTICE SONT RACISTES, QUE L’ÉTAT EST RACISTE. » Donatien Le Vaillant, Dilcrah.

La Licra MarseilleMétropole lors de

la journée d’accueildes adjoints de sécurité,

ayant intégré laDirection de la sécuritépublique des Bouches-

du-Rhône.

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merie. Que le responsable de cette initiative aitété Denis Vaultier, ancien général de gendarmeriedans une vie antérieure, a incontestablement faitavancer le projet. De même que Philippe Mercier,le vice-président de Nîmes, autre section trèsactive, avec cet ancien de la BAC. Qui mieux qued’anciens responsables de la Police et de laGendarmerie pourrait répondre à ceux qui arguentde situations difficiles pour justifier tel ou tel dé-rapage : « C’est souvent très dur, personne ne lenie. Mais si vous ne savez pas contrôler vosnerfs, les gars, changez de métier ! »Il fallait passer à la vitesse supérieure. Le 1er janvier2010, une convention-cadre nationale est passéeavec le ministère de l’Intérieur. Renouvelée en2014, elle porte sur une mutualisation des forcesen matière d’accueil aux victimes, de formationà la lutte contre le rejet de l’autre, de combatcontre le racisme sur Internet ou dans les stades.

« MERCI, LA POLICE ! »

L’après-midi, Mireille Quivy avait conclu sur un« Merci, la Police » très applaudi. La Licra a eneffet choisi de se faire accepter par des milieuxassez hostiles d’ordinaire aux antiracistes, enleur montrant qu’elle est loin d’être systémati-quement négative vis-à-vis d’institutions quisont des piliers de l’Etat de droit. Elle veut doncaider les forces de l’ordre à éviter des bavuresqui peuvent déboucher sur des procès et desaccusations de « police raciste ».Pour autant, la Ligue n’entend pas renoncer à saliberté de dénoncer et de poursuivre en justicetous les manquements au « vivre ensemble ».Notamment en matière de contrôle d’identité.Du côté des forces de l’ordre, la convention-cadre est arrivée à un moment où la Police na-tionale commençait à bouger. Où son évolutionvers une police de service au public l’obligeait àêtre attentive à la qualité de son action. « Onentend passer d’une police d’ordre à une policede sécurité. D’une légitimité politique à une légi-timité civique […] On est entré dans une réflexionpermanente sur les bonnes pratiques profes-sionnelles, une approche comportementale »,rapporte la sociologue Anne Wuilleumier.

PLACE AUX PSYCHOLOGUESET AU MODULE “RELATIONNEL”

Le problème est qu’au même moment, un bilanmontre que les élèves sont bien formés, maisqu’ils manquent de qualités relationnelles.A l’heure où les policiers doivent mieux entendrela société civile, mieux prendre en compte lesbesoins de la population, mieux accueillir les

victimes, il convient donc de redresser la barre.Les psychologues entrent dans les écoles, oùils animent certains exercices de mise en situation,aux côtés des formateurs professionnels.A Oissel, trois psy ont en charge un module« relationnel ». L’autre façon est de se frotter aux organismeset aux associations qui peuvent apporter d’autresfaçons de voir, d’autres clefs pour bien réagir.« Les interventions de la Licra sensibilisent lesjeunes au racisme dans la société, mais les ren-voient à leurs propres stéréotypes et au racismequi peut aussi avoir cours à l’école », commenteun formateur. Outre la Licra, Oissel a accueilli le Défenseurdes droits, le Centre d’informations et de défensede la famille et de la femme, et FLAG, une asso-ciation de défense des homosexuels créée pardes policiers… homosexuels. « Vous voyez qu’onévolue », souligne la capitaine Valérie Lespérance,responsable de la communication d’Oissel. Déjà certains résultats sont au rendez-vous. Laparole des victimes, mieux accueillies par despersonnels mieux formés et disposant d’aidespratiques (lire ci-contre), commence à se libérer.D’où une augmentation des plaintes pour racismecomparable à celle qu’ont connue les plaintespour violences intrafamiliales depuis quinze ans. Donatien Le Vaillant, de la Dilcrah, veut allerplus loin. A Oissel, il a ainsi appelé les élèves àqualifier systématiquement les délits de racismeen circonstances aggravantes, sans attendrequ’il y ait crime pour le faire. « Ne rien faire,c’est favoriser l’escalade. A force de ne pas ré-pondre à ce type de problèmes, on laisse se dé-velopper l’idée que la police et la justice ne s’in-téressent pas aux victimes, parce qu’elles sontracistes, parce que l’Etat est raciste », prévientcet ancien juge d’instruction qui exhorte àprendre du temps pour écouter les victimes. Mais du temps, c’est bien ce qui manque le plus.D’autant que le maintien de l’ordre et de lasécurité publics sont devenus prioritaires.

LA LICRA N’EST PAS SHIVA

De plus, note Denis Vaultier, « les difficultés ren-contrées dans l’exercice de leur métier, commel’augmentation des charges de travail, une com-plexification juridique et administrative croissanteet une réponse judiciaire insuffisante, ont eu tendanceà prendre le pas sur les autres préoccupations ».Il y a plus inquiétant. Rien ne dit que la conven-tion-cadre sera renouvelée en l’état. Si son en-veloppe financière n’est pas fondamentalementremise en cause, certains s’interrogent sur uneévolution de son contenu, compte tenu des im-pératifs du combat contre le terrorisme. Ainsi,loin de ses missions traditionnelles, pourrait-ondemander à la Licra de participer à la luttecontre la radicalisation.Et c’est ainsi qu’Allah est grand ! ●

L’AIDE À L’ACCUEILDESVICTIMES

En 2016, la Licraa distribué330 000 dépliantsd’informations dansles commissariats,les gendarmeries etles écoles de police etde gendarmerie.Ce petit fasciculerouge contient desinformationsessentielles, comme lenuméro de laplateformed’assistance auxvictimes de la Licra,l’adresse mail duservice juridique, unexemple d’attestationmanuscrite detémoignage d’un acteraciste, les délaisde prescription desinfractions ainsi qu’untableau récapitulatifde celles-ci avecles articlescorrespondantsdu code pénal. (Source : rapportd’activité Licra 2016.)

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« PASSER D’UNE POLICE D’ORDRE À UNE POLICE DE PROXIMITÉ. D’UNE LÉGITIMITÉ POLITIQUE À UNE LÉGITIMITÉ CIVIQUE. » Anne Wuilleumier, sociologue.

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Qu’est-ce qu’un policier républicain ?Seule une formation initiale et continue – pratique, tactique, physique, réglementaire, mais aussi intellectuelle –permettra que la police, républicaine sur le papier et dans la loi, le soit aussi dans les faits et sur le terrain.Mano Siri.

11 janvier 2015. Au lendemain des attentatsqui déciment « Charlie Hebdo » et l’HyperCacherde Vincennes (sans oublier la jeune policière deMontrouge), le peuple de France sort dans lesrues pour une gigantesque marche républicaine.

Les policiers, surpris – certains diront qu’ils nesont pas habitués –, y sont à l’honneur : des ma-nifestants scandent « Merci, la police ! », d’autresembrassent des CRS confus, et quand les carsde police entrent sur la place de la Bastille, ilssont ovationnés.2 février 2017. Au cours d’une interpellationdans la cité des 3 000, à Aulnay-sous-Bois, undes policiers, filmé par une caméra de surveillance,enfonce sa matraque dans les fesses du jeuneThéo, 22 ans, le blessant gravement. Cette violencepolicière ravive immédiatement d’autres affairesrestées en suspens ou jugées au détriment desvictimes présumées : notamment la mort du jeuneAdama Traoré, au cours de l’été 2016.Il ne s’agit pas tant de savoir ce qui se serait passéentre ces deux événements, ni si le policier républicainserait une espèce en voie d’apparition ou d’extinction.Mais de s’interroger sur les conditions nécessairespour qu’une police, républicaine sur le papier etdans la loi, le soit dans les faits et sur le terrain.

Selon l’article 12 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen de 1789, la police a pourvocation de protéger non seulement les droits deses citoyens, mais également ceux des membresde la société qui ne le seraient pas, au titre deleur simple humanité. Elle serait donc essentiel-lement républicaine…

MISE EN CAUSE DE L’ADHÉSION AU MODÈLE RÉPUBLICAIN

Bavures à répétition, violences policières, homo-phobie, sexisme et racisme sont pourtant pointéscomme relevant de la nature de la police : on necompte plus les récits de jeunes violentés, voiresimplement malmenés, qui n’ont pas obtenu jus-tice. Mais faut-il tomber dans le piège d’une re-présentation nécessairement fasciste de la police,quoi qu’on puisse s’inquiéter de la progressiondu vote FN dans ses rangs ? Car la police se confronte à la réalité des zones denon-droit sur tout le territoire français : insultes,agressions de policiers dont les voitures sont prisespour cibles, caillassées et parfois incendiées, con -fron tation à l’économie parallèle de la drogue quironge certaines cités, impossibilité d’y pénétrer… Ce n’est pas la seule police mais tout simplementl’adhésion au modèle républicain qui est en cause,aussi bien du côté des jeunes que du côté desserviteurs de l’Etat, qui se sentent rejetés etabandonnés par la République insensible à leurtravail et à la réalité du terrain qu’ils affrontent.

LA FORMATION AUX COMMANDES

Il y a des conditions pour que la police soit répu-blicaine et qu’elle ne bascule pas dans la violencearbitraire. Car ceux qui intègrent la police y entrentavec leur expérience sociale et populaire, qui nedoit pas être niée. Il ne s’agit pas d’exiger desjeunes aspirants policiers qu’ils soient des lauréatsde l’université, il s’agit de la façon de les formerinitialement et continûment : formation qui sedoit d’être pratique, tactique, physique, régle-mentaire, mais aussi intellectuelle ; et qui doitcomprendre de l’analyse de pratique, des exercicesde dialogue en situation de crise, une réflexionsocratique sur les notions de bien commun, dejustice, de liberté, d’égalité, et un travail deréflexion critique sur ce qui fonde notre Etat dedroit – à savoir, le rejet fondamental du racismeet de l’antisémitisme, qui en sont la négation.On ne veut pas avoir de cow-boys dans nosrues ? C’est moins une question de surveillanceet de contrôle que de formation citoyenne…●

LA POLICE DOIT PROTÉGER LES DROITS DE SES CITOYENS, MAIS AUSSICEUX DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ QUI NE LE SERAIENT PAS, AU TITREDE LEUR SIMPLE HUMANITÉ. Selon la Déclaration de 1789…

DDHC 

Force publiqueArticle 12 de la DDHC(Déclaration citée dansle préambule de notreactuelle Constitution) :« La garantiedes droits de l’hommeet du citoyen nécessiteune force publique :cette force est doncinstituée pourl’avantage de tous,et non pour l’utilitéparticulière deceux auxquels elleest confiée. »

11e arrondissement de Paris, rue de la Fontaine-au-Roi, dimanche 15 novembre.Deux policiers se recueillent devant le bar La Bonne Bière pris pour cible, vendredi 13 novembre, par des terroristes de Daech.

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Inscrit en 2008 dans la Constitution mais instaurépar la loi organique du 29 mars 2011, le Défenseur

des droits(1) est une autorité indépendante, encharge de faire respecter l’égalité dans l’accès auxdroits et de défendre les personnes dont les droitsne sont pas respectés. Dans les sombres abyssesdu terrorisme, la France a adopté de nouvelles me-sures de protection, sécuritaires, octroyant de faitdavantage de pouvoir aux forces de l’ordre.Les braises de la flambée des banlieues en 2005ne sont pas encore éteintes, et l’étincelle sécuritairepourrait incendier à nouveau les tissus urbains sen-sibles. Dans ce contexte comment le Défenseurdes droits peut-il ou doit-il intervenir pour protégerla police et la population ?

ETAT DES LIEUX

L’article R. 434-14 du code de déontologie de laPolice et de la Gendarmerie nationales stipule :« Le policier ou le gendarme est au service de lapopulation. Sa relation avec celle-ci est empreintede courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement.Respectueux de la dignité des personnes, il veille àse comporter en toute circonstance d’une manièreexemplaire, propre à inspirer en retour respect etconsidération. »Cette déclaration est-elle en adéquation avec leterrain ? N’est-ce pas une utopie ? Et commentcontrôler, sachant que – et des vidéos amateur quisurgissent aux Etats-Unis, en France et ailleurs, ledémontrent – la rencontre entre la police et la po-pulation n’est pas sans heurts, physiques ou verbaux. Le Défenseur des droits a ouvert une enquête sta-tistique sur les « Relations police/population : lecas des contrôles d’identité », portant sur un échan-tillon représentatif de 5 000 personnes.82 % de la population déclarent faire confiance à lapolice. La défiance se trouve chez les jeunes, etsurtout chez ceux des grands ensembles. Lescontrôles sont indéniablement ciblés et concernent« des hommes, jeunes (18-24 ans), perçus comme

noirs ou arabes/maghrébins, résidant en zoneurbaine, particulièrement dans les cités ou grandsensembles […] Si seulement 16 % de la populationgénérale déclarent avoir été contrôlés dans les cinqdernières années, cette proportion atteint 40 %parmi les jeunes de 18-24 ans ».

« TRAÇABILITÉ DES CONTRÔLES »

Des manquements sont fréquemment rapportéspar les jeunes des cités, mais quel est leur poidsface à l’administration ? Les plaignants ne disposentd’aucune preuve tangible. Si les contrôles d’identitésont suivis d’une garde à vue ou d’une vérification,ils sont reportés et comptabilisés, mais s’il n’y aaucune suite, rien n’apparaît. Depuis 2012, le Défenseur des droits préconise lamise en place d’une « identification du contrôleur ».Jacques Toubon a précisé que cette identificationpourrait prendre la forme d’une « attestation enre-gistrée sous forme anonyme ou sous forme nomi-native ». Lors d’un contrôle, il serait remis un docu-ment où figureraient en matricule, grade ou service,nom de la personne contrôlée, et le motif avecdate, lieu, heure. Un double serait conservé par lesforces de l’ordre. Justifier et expliquer les raisonsd’un contrôle inopiné pourrait également désamorcerdes situations explosives. Faute de récépissé – le gouvernement Valls a enterrécette proposition –, les forces de l’ordre sont dansl’obligation de porter de façon visible leur matriculeen intervention. Mesure qui n’est pas suivie de ma-nière exemplaire. Police et Gendarmerie arguentqu’il est difficile de s’y plier avec la contrainte deséquipements (difficulté de mettre un brassard ouun matricule sur des coques de protection, desgilets tactiques…). En outre, les syndicats de Police et les militaires dela Gendarmerie craignent la mise en évidence d’unmatricule qui, pourtant, figurait sur les uniformesdes policiers jusqu’en 1984. Et sont perplexes faceà l’efficacité d’une telle mesure. Pour la Licra, il s’agit d’une « fausse bonne solution »qui ne réglera pas les problèmes liés aux contrôles.Depuis plusieurs années, elle soutient la mise enplace de caméras-piéton pour toutes les unitésprocédant au contrôle d’identité. Depuis la fin del’année 2016, la loi autorise les municipalités àdoter leurs policiers de caméras individuelles. Nousen sommes encore au stade de l’expérimentation. ●

Le contrôled’identitéà l’heuresécuritaireLe débat s’est cristallisé autour desrelations entre la police et la population.Si on repère des abus de part et d’autre,force est de constater que les contrôlesd’identité continuent à faire problème. Quidde la position du Défenseur des droits ?Justine Mattioli.

1. Le Défenseur des droits est nommépar le présidentde la République pourun mandat de six ans.Dominique Baudis fut le premier à occuperce poste ; à son décès,Jacques Toubon luisuccède, en juillet 2014.La fonction est néede la fusion de plusieursinstances : Médiateur dela République, Défenseurdes enfants, HauteAutorité de lutte contreles discriminationset pour l’Egalité (Halde)et Commission nationalede déontologie de la sécurité (CNDS).

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Paris,14 novembre 2015.

Contrôle sur la placede la République

après les attentatsde la veille, qui ont fait

plusieurs morts.

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Violence d’Etat contre tous les exclus ?Si les bavures policières sont plus rares et mieux sanctionnées que par le passé,certains y voient toujours la volonté délibérée de réprimer ceux qui « nuisent à l’ordre social ».Une rhétorique en vogue à la gauche de la gauche, mais pas toujours fausse.Raphaël Roze.

Les affaires de violences policières défraient ré-gulièrement la chronique. L’expression est

sujette à caution, dans la mesure où les forces del’ordre, bras armé de l’Etat, détiennent précisémentle monopole de la violence légitime dans une so-ciété civilisée. Il faudrait plutôt parler d’agressionsexagérées ou injustifiées, sans rapport avec lamission confiée aux agents concernés.

ADAMA TRAORÉ, UNE SUCCESSIOND’EXPERTISES CONTRADICTOIRES

Le cas Adama Traoré, en particulier, attire l’attentiondes médias depuis la mort de ce jeune délinquantdans une gendarmerie de l’Oise, en juillet 2016,après son interpellation mouvementée (avec troistentatives de fuite). Les expertises se sont succédé et contredites.Il est donc difficile de savoir si une bavure a étécommise ou si Traoré a succombé du fait de sesgraves antécédents médicaux.Toujours est-il que des gradés ont menti sur certainspoints, sans doute pour faire retomber la pression.C’est l’inverse qui s’est produit, et on a assisté à denombreuses manifestations de protestation. La gauche radicale s’est emparée du « scandale »pour étayer une thèse invariable depuis des dé-cennies : les forces de sécurité réprimeraient im-punément ceux que « le système » rejette. « Elles

criminalisent les jeunes des quartiers populaires »,selon Assa Traoré, sœur du disparu et auteure dupamphlet « Lettre à Adama », paru au Seuil auprintemps 2017.

DES PROPOS SANS NUANCESDESSERVENT UNE CAUSE JUSTE

Dans ce domaine, le débat est tranché. Commenos compatriotes modérés s’intéressent peu auxdommages physiques provoqués ou… subis parla Gendarmerie et la Police, on entend surtoutdes propos sans nuances sur le sujet, émanantde personnalités ancrées très à droite ou très àgauche. Par ailleurs, les vrais chiffres restent flousou tabous, ce qui favorise les fantasmes.Un collectif réunissant des dizaines de chercheursen sciences sociales a publié, fin juin dans « Li-bération », un manifeste intitulé « Faire front contreles violences policières ». Il dénonce des attaquesvolontairement « raciales » ou anti syndicales,considérant que les commissariats défendent lepouvoir capitaliste, le creusement des inégalités,la politique antimigratoire, etc. Plus encore : lessignataires soutiennent qu’ils s’expriment « scien-tifiquement », en raison de leur statut académique. Ce genre de rhétorique issue des années 1970dessert une cause juste : la lutte contre des dé-rapages qui ont toujours existé, mais que le

ÉTATD’URGENCE

L’antiterrorismecomme prétexte ?Dans son manifestede juin, le collectifd’universitaires contreles violences policièresestimait qu’en France,les lois liberticidesliées à l’état d’urgenceavaient provoqué unerépression socialeaccrue sous prétexted’antiterrorisme.

19 février 2017,place de la République.Affrontements entremanifestants et policiers,suite au rassemblementcontre les violencespolicières.

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climat d’intolérance sévissant dans l’Hexagonerend plus acceptables pour une partie de l’opinion,notamment chez les sympathisants FN.

UNE POLICE AU SERVICE DESPRIVILÉGIÉS, CONTRE LES EXCLUS ? ...

Kevin Vacher, jeune sociologue habitant Marseille(il a milité dans les quartiers Nord) et enseignantà Paris VIII, est membre du collectif. En l’interro-geant, on ressent une impression de « déjà vu »renvoyant aux heures de gloire du stalinisme in-tellectuel français. Pour lui, la violence d’Etat« se généralise » et s’inscrit dans le prolongementdu colonialisme raciste et de l’anticommunismedu temps de la guerre froide. C’est pourquoi lesforces de l’ordre réprimeraient systématiquementles « basanés », les mouvements sociaux ou lesuniversitaires dénonçant ce comportement « dictéd’en haut ». Ainsi, Kevin Vacher met en avant le tabassagesupposé de Guillaume Vadot, un autre enseignant,dans la gare RER de Saint-Denis. C’était à l’au-tomne 2016. Militant du Nouveau Parti anticapi-taliste (NPA), celui-ci s’est plaint d’avoir étéagressé par des policiers au moment où il lesfilmait en train d’arrêter « abusivement » uneAfricaine. L’enquête a été classée sans suite,mais Guillaume Vadot, lui aussi membre du col-lectif, réclame de nouvelles investigations.Notre interlocuteur ajoute que le manifeste estun premier pas vers un dispositif de veille etvers des partenariats avec le monde associatifvisant à démontrer, « études à l’appui », que lapolice est au service des privilégiés contre lesexclus, avec la complicité active des médias.

... OU CORSETÉE ET ENCADRÉE ?

Pour Laurent-Franck Liénard, avocat spécialiséqui se vante d’avoir plaidé « dans des centainesde contentieux » liés aux rapports entre citoyenset forces de l’ordre, il est difficile d’argumenter« devant une telle mauvaise foi ».« Jamais la police n’a été aussi corsetée, nousdit-il. Depuis au moins quarante ans, la violencequ’elle exerce – légitimement ou pas – ne cessede s’atténuer. Et surtout, lorsque des groupes soi-disant anti-fascistes affirment que les bavures sont cou-vertes par la hiérarchie, c’est exactement l’inverse !L’encadrement est organisé de telle manière queles gradés ont tout intérêt à dénoncer les man-quements, aussi minimes soient-ils. Je passe delongues heures, chaque mois, à la 14e chambredu tribunal correctionnel de Bobigny, où lesjuges condamnent lourdement les abus de cesfonctionnaires très surveillés. » A propos du double héritage colonial et anti-communiste, le juriste parle de « délire » souscouvert de « sociologisme dévoyé ». « L’immensemajorité des agents n’ont pas connu ces périodes,note-t-il. Beaucoup sont eux-mêmes issus de

l’immigration, et les commissariats figurent parmiles espaces de travail les plus multiethniques deFrance ! Il y a, bien sûr, des excités d’extrêmedroite, mais moins qu’ailleurs, contrairement àla légende. Quand je suis entré au barreau, voilàvingt-cinq ans, la police était plutôt raciste. Glo-balement, elle ne l’est plus. Quant au contrôleau faciès, c’est souvent exagéré. On arrête sim-plement les individus suspects, qui se cachentsous une capuche ou prennent la fuite. La plupartd’entre eux sont de souche étrangère, commeles prisonniers : c’est ainsi dans tous les Etatsaux frontières ouvertes, pour d’évidentes raisonssocio-économiques. Prétendre que les policierspourchasseraient sciemment les “non-Blancs”,c’est n’importe quoi. En outre, ils exercent unmétier ingrat, mal rémunéré, et ont parfois lecœur à gauche. Mais ils voudraient réprimer les“mouvements politiques progressistes” ? Com-ment répondre posément à ce genre d’élucu-brations ? » On ne dispose pas de chiffres officiels, maisdix-sept agents en moyenne seraient blessésen mission chaque jour, et les délinquants sontde plus en plus agressifs et armés. Manque demoyens, engorgement des lieux d’incarcérationet absence de réponses pénales : cela conduità la présence constante des mêmes voyousaux mêmes endroits. Parfois, les coups pleuvent...de part et d’autre.

MÉFIANCE SOUS-JACENTE

A rebours de ce que laisse croire une certainepresse conservatrice, les forces de l’ordre nesont pas toujours victimes. Les provocationsexistent, et une seule suffit pour alimenter laméfiance, y compris dans les manifestations. Malgré l’atmosphère houleuse régnant alors,rien ne saurait justifier l’attitude des deux fonc-tionnaires en civil qui ont matraqué et blesséfroidement, dans le dos et au visage, des lycéensparisiens qui, le 24 mars 2016, défilaient contrela loi travail.L’essentiel est que le système français reposesur des procédures de plus en plus drastiquespour contenir la violence d’Etat. Evoquer unlaisser-faire généralisé ou, pire, une volonté dé-libérée de tabasser gratuitement encouragéepar la hiérarchie, relève d’une idéologie para-noïde. ●

« ON ARRÊTESIMPLEMENTLES INDIVIDUSSUSPECTS, QUI SE CACHENTSOUS UNECAPUCHE OUPRENNENTLA FUITE. »Me Laurent-FranckLiénard,avocat spécialisé

Des statistiques inexistantesAu printemps 2016, l’IGPN (la « police des polices ») projetait de créer un outilde mesure des violences injustifiées commises par les agents. Mais rien n’estacté, car seule la justice décide, des années après, ce qui relève de la bavure.Etablir des statistiques fiables et actualisées reste donc une gageure – d’autantque l’exécutif ne semble guère pressé d’aboutir.

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Le passage de la Gendarmerie sous la tutelledu ministère de l’intérieur a montré une conver-

gence forte de ses missions avec celles de laPolice nationale. Sur les sites de discussion desforces de l’ordre, on peut d’ailleurs constater larareté des arguments proposés aux jeunes pos-tulants qui hésitent entre les deux corps. Endehors du fait que la Gendarmerie reste uneforce armée et qu’on peut y être logé en caserneavec la contrepartie d’astreintes de service, onn’y trouve pas de différences notables.

POLICE ET GENDARMERIE NATIONALESSOUS TUTELLE DE L’INTÉRIEUR

Toutefois, l’univers de la police se recomposedepuis que la France vit sous la menace d’atten-tats. Les rôles ont été redistribués entre policemunicipale d’un côté et Police et Gendarmerienationales de l’autre, mais aussi entre celles-ci etles entreprises privées de sécurité. Pour que les forces de police nationales puissentse consacrer à leurs missions de sécurité intérieureet de lutte contre le terrorisme, les polices muni-cipales sont amenées à leur prêter main-forte audétriment de leurs missions propres.

Dans le même temps, les entreprises privées desécurité sont appelées par l’Etat à intervenir surdes missions de sécurité publique. Ce qui susciteproblèmes et interrogations.

LA POLICE MUNICIPALE

A côté de la Police et de la Gendarmerie nationales,la police municipale a connu un renouveau àpartir de 1980 et a gagné une dignité nouvelle.Son rôle est défini dans le Code général des col-lectivités territoriales. La dimension de police deproximité y est dominante.Agents de police judiciaire adjoints, les policiersmunicipaux sont placés sous l’autorité du maire,et lui-même sous celle du préfet. Ils peuvent se-conder les officiers de police judiciaire, et sontdépositaires de l’autorité publique au même titreque les policiers nationaux et les gendarmes.Ils sont reconnus par le ministère de l’Inté -rieur comme troisième composante des forcesde sécurité intérieure. Si les effectifs ont quadruplé en dix ans, atteignantaujourd’hui 21 000 policiers, ils sont peu nombreuxcomparés aux 149 700 policiers nationaux et aux101 000 gendarmes. Le nombre de communes

L’univers complexe des forces de l’ordreLes forces de Police et de Gendarmerie sont aujourd’hui sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. La redistribution des rôles consécutive aux attentats touche également la police munici pale et lesentreprises privées de sécurité employées par l’Etat. Michel Rotfus.

MAIRIES

Armement« Beaucoup de mairessont attachés àla distinction entreles missions degestion de la sécuritéet de l’ordre public,qui relèvent de l’Etat,et la mission généraledes polices municipa -les, qui est le respectde la tranquillitépublique... De ce point de vue,la question del’armement apparaîtsecondaire », déclareCaroline Cayeux,sénateur-maire deBeauvais, présidentede Villes de France.

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qui s’en sont doté a connu la même augmentation.Mais elles ne sont que 3 900, ne représentantque 11 % de l’ensemble des communes(1). Ces policiers y sont très inégalement répartis :les trois quarts d’entre elles comptent au mieuxcinq agents, faute de moyens. La plupart desvilles sont concentrées en Ile-de-France et dansle Sud-Est. Si, en 2014, les programmes sécuritaires desmaires FN ont occupé avec tapage la scène mé-diatique, de nombreuses polices municipales ontété équipées depuis de gilets pare-balles, de

casques, matraques etbombes lacrymogènes, deFlash-Ball, de pistoletsélectriques et d’armes àfeu. Des maires – à l’exem-ple de ceux de Lyon, dePau, de Metz ou de Mar-seille –, bien que rétifs àl’armement létal, ont dotéleur police de revolversaprès les premiers atten-tats. Ils ont dû céder auxfortes demandes de leurspoliciers. D’après le mi-nistère de l’Intérieur,8 282 policiers municipauxont été équipés d’une

arme à feu en 2015, sous la condition d’une for-mation réglementaire. Ce chiffre est en haussedepuis. Autre raison de malaise : les policiers municipauxont dû se substituer à la Police nationale en as-sumant ses tâches de contrôle routier, de verba-lisation sur la voirie, ou de sécurisation des sortiesd’école, et en intervenant davantage pour lemaintien de l’ordre sur la voie publique. Beaucoup de maires le regrettent et dénoncentce mélange des genres.

LES ENTREPRISES PRIVÉESDE SÉCURITÉ

Ce quatrième partenaire de la police d’Etat connaîtdepuis quelques années un succès foudroyant :les Entreprises privées de sécurité (EPS). Outreleur présence devenue habituelle au sein descentres commerciaux, des salles de spectacleset des zones attirant d’importants flux de popu-lation, elles accèdent à des tâches qui relèventde la sécurité publique. Le Conseil national des activités privées desécurité (Cnaps), instauré en 2012, est un servicede police administrative rattaché au ministère del’Intérieur. Il est chargé de délivrer les autorisationsd’exercice dans le secteur de la « sécurité privée »,d’en contrôler les acteurs, personnes physiques

et morales, de les sanctionner le cas échéant, etd’assurer une mission de conseil à la profession.Il a délivré et contrôlé 317 019 cartes profession-nelles depuis sa création en 2012. Comparé auxeffectifs cumulés des trois polices (nationale, municipale et Gendarmerie), soit 271 700, l’im-portance de ce chiffre ne peut que nous surpren-dre : le marché de la sécurité privée est florissanten période d’attentats !

LA CONCEPTION DE LA SÉCURITÉEN DÉRIVE

Le rapport d’activité du Cnaps pour 2016 montrela dérive que connaît la conception de la sécurité.Alors que cet organisme, né six ans plus tôt à lademande des sociétés de transports de fonds etde gardiennage, a d’abord une fonction de régu-lation et de contrôle, il se livre à une justificationquasi euphorique de l’action des EPS en matièrede sécurité publique : « En 2016, le Cnaps et la sécurité privée ontrelevé un double défi […]. D’abord par leur capacitéà monter progressivement en puissance pour répondre aux nouvelles demandes de sécuriténées de la vague d’attentats, sans précédent parson ampleur, qui a frappé la France depuis janvier2015. Puis, dans un tel contexte, en se montrantcapables d’assurer une présence active lors del’Euro 2016 sur l’ensemble des sites et tout aulong de la compétition. Cette implication des entreprises de sécurité et de leurs agents est lapreuve que la sécurité privée est désormais durablement inscrite dans la coproduction de sé-curité […] La sécurité privée a permis d’assurerun renfort essentiel en termes d’effectifs, avec13 000 agents déployés. » On pourra apprécier ce remarquable sophisme :puisque ces EPS ont pu s’impliquer avec succèsdans des actions de sécurité publique, celaprouve qu’elles sont nécessaires à cette sécuritéD’ailleurs, cette sécurité qui a été, depuis 1789,un droit fondamental reconnu à tous et garantipar les pouvoirs publics – on la nommait alors« sûreté », et ça n’est pas qu’une différence demots – est devenue, selon le propos du ministèrede l’Intérieur, une marchandise qui circule selonl’offre et la demande, coproduite par les forcesde l’ordre et par ces EPS. Ainsi veut-on nous faire croire que, grâce à leurprivatisation, les forces de police sont « libérées »de certaines de leurs missions et vont pouvoir seconsacrer plus et mieux à leurs tâches d’investi-gation et d’enquête. Pourtant, pour qu’elles puissent « en mêmetemps » faire les deux, il suffirait de leur en donnerles moyens... ●

ÉLECTION

Progression du vote FNPoliciers, gendar mes et militaires votent de plus en plus pourle FN : 51,5 % en2015, 30 % en 2012. Cette tendance s’estconfirmée à la dernièreélection présidentielle.(Etude du Cevipof,Centre de recher ches politiquesde Sciences Po.).

1. La France comptait, au1er janvier 2017, 35 498 communes, aprèsune spectaculaire dimi nu -tion due au regroupe ment. Mais 90 % d’entre ellescomptent moinsde 5 000 habitants,et 2,3 % plus de 10 000.

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« LA SÉCURITÉEST DEVENUEUNEMARCHANDISEQUI CIRCULESELON L’OFFREET LADEMANDE »

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« S urtout ne me citez pas. Et si vous passezpar ma hiérarchie, il y a peu de chance

qu’ils vous accordent une autorisation d’interview.C’est une question de sécurité. Depuis le doublemeurtre de policiers à Magnanville et l’attaque deViry-Chatillon, on est des cibles vivantes. »Nous l’appellerons donc Stéphane. Affecté dansune unité de sécurisation et d’intervention, cejeune policier de 26 ans intervient chaque jourdans les quartiers dits « sensibles » du Val-de-Marne. Sa brigade est aussi amenée à agir ensoutien opérationnel en amont du Raid ou duGIGN, à l’occasion d’arrestations dans le cadred’opérations antiterroriste. « Le risque sans leshonneurs, déplore-t-il. Récemment, nous avonsinterpellé un jeune radicalisé qui posait avec sonarme sur Facebook. Une autre fois, un autre radi-calisé nous attendait avec des explosifs derrièresa porte : trois blessés dans nos rangs ! »

«UN MIRACLE QU’IL N’Y AIT PAS PLUS DE VICTIMES»

Les journées de Stéphane démarrent tôt, à l’aubepour les interpellations, suivies de patrouilles parbrigade de quatre policiers qui peuvent réaliserplus d’une vingtaine de contrôles par jour. Les in-sultes, les crachats, les caillassages sont un lotquotidien. « Un soir, après le service, j’ai été suivipar une voiture pour m’intimider. Les types sesont approchés, puis sont repartis. Je m’en suisbien sorti. Avec le nombre d’armes qui circulent,c’est un miracle qu’il n’y ait pas plus de victimes. »Le risque du métier ? Stéphane amorce un sourire :« Je n’ai pas signé pour mourir à moins de2 000 euros par mois, c’était pas dans le contrat !

Mais parce que j’avais, et j’ai toujours eu, unehaute idée de la fonction du maintien de l’ordreet du rôle de l’Etat de droit dans notre République. »Au-delà des violences, les agressions verbalessont parfois encore plus dures à supporter pourStéphane, surtout quand on le traite de raciste etde « vendu », lui qui est né d’une mère africaine. Pourtant, rien n’entame sa détermination, il restevolontaire pour aller dans les quartiers chauds,alors que bon nombre de ses collègues se conten-tent d’attendre les appels et de patrouiller dansles zones pavillonnaires plus tranquilles. « On mereproche de faire du zèle, mais si on ne fait pas lejob, qui le fera ? Chaque jour, je pense auxhabitants des quartiers qui subissent cette guérillaurbaine au quotidien, ces bandes qui sèment laterreur pour mieux régner et dealer tranquillement.Si je n’avais pas cette vocation, j’aurais arrêtédepuis longtemps. »

«FAIRE DU CHIFFRE SANS PLUS DE MOYENS»

Comment en est-on arrivé là ? « On nous a de-mandé de faire du chiffre, mais derrière, rien n’asuivi, ni les effectifs, ni la formation, ni les réponsesjudiciaires adaptées. Dans une journée, j’ai interpellédix fois le même type pour insultes, violences,trafic de stup. Il s’en foutait. C’est l’officier depolice judiciaire qui prend le relais. Une garde àvue ? Et alors, ça change quoi ? Le lendemain, ilrecommence. Je préfère ne pas savoir ce qui sepasse après l’interpellation, ça me déprime !Les magistrats sont débordés, ils n’y arriventplus. » Alors, quels remèdes, quelles solutions pourrecréer ce lien social dont on parle tant dans lesquartiers ? Stéphane n’en démord pas : « Parler,convaincre, éduquer, ni le tout-répressif, ni letout-préventif, mais un mixte qui concilie le respectde la loi et la réinsertion, quand c’est encore pos-sible, avec des missions d’intérêt général quisoient exécutées. Mais cela demande des moyenset une volonté politique qui doit prendre encompte la réalité du terrain. »Alors, pour changer d’air et nourrir sa vocationau service du public, Stéphane suit une formationpour devenir… pompier volontaire et bénévole.A ses heures perdues ! ●

L’usage des armesDans quelles conditions un policier ou ungendarme peut-il utiliser son arme en France ?La loi fixe un cadre à la fois précis et restrictif.En réalité, les policiers ne bénéficientpas de privilège juridique, ni de « permisde tuer », puisque le recours à l’arme de servicedéclenche automatiquement une enquêteadministrative pour déterminer les raisonsde cette utilisation. Exception faite des situationsde légitime défense ou de menaces directes surune personne tierce, clairement avérées.

“Je n’ai pas signé pour risquer de mourir chaque jour !”Au quotidien, les patrouilles de policiers dans les quartiers « sensibles » sont confrontées à la violence et auxinsultes. Des conditions de travail qui rendent difficiles les missions destinées à faire respecter l’Etat de droit.Témoignage de Stéphane, policier dans le Val-de-Marne, qui raconte ses journées ordinaires.Alain Barbanel.

CHIFFRES

Policiers blessésSelon une étude del’Observatoire nationalde la délinquance etdes réponses pénales(ONDRP), 34 policierssont blessés enmission chaque jouren France. Pour l’année 2015,12 388 policiers ontainsi été blessés, dontplus de la moitiéau cours de missionsde sécurité publiqueet pendant les heureseffectives de travail.La même année,6 policiers sontdécédés dansl’exercice de leursfonctions, uneproportion, notel’Observatoire, « deux fois moinsimportante qu’en2014, année durantlaquelle 11 policiersavaient perdu la vie ».

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OCTOBRE 2017 29

DDV Xavier Jugelé vous a-t-il relaté des faitsd’homophobie ou de discriminations dans le cadrede sa profession ?Etienne Cardilès. Xavier disait ne pas avoir souffertd’homophobie dans la Police, non pas parce qu’iln’y en a pas, mais parce qu’il parvenait à resterindifférent à ce qui se voulait parfois blessant.Son comportement lui permettait de rallier à luiceux qui voulaient l’isoler. Dans ce métier, la co-hésion du groupe est essentielle, en être marginaliséest invivable. Il faut donc une certaine force decaractère pour être intégré. Les générations évo-luent, et la Police que décrivait Xavier n’est, enmajorité, pas raciste, antisémite ou homophobe.Beaucoup sont issus de l’immigration, ils reflètentla population dans son ensemble, et ceux quiveulent les réduire à une image d’homophobesracistes sont d’un autre âge.

DDV. Comment expliquez-vous la mauvaiseimage dont souffrent les policiers aujourd’hui ?E.C. La fracture entre la Police et la populationest terrible, parce qu’il y a une double peine : lepolicier qui s’est engagé pour faire régner l’ordreet la justice dans une population qu’il doit protégerconstate non seulement qu’il n’y réussit pas tou-jours, mais en plus, il ressent le rejet de la popu-lation, ce qui est une vraie souffrance.S’engager dans la Police ne se fait jamais parhasard, ça correspond à un besoin de justicechevillé au corps, ancré dans l’enfance, orientévers l’intérêt général, le bien commun et non pasl’intérêt personnel.La fracture vient peut-être de la période post-68.Le « tout permis » a fait sauter un verrou, et celan’a pas rendu service au maintien de l’ordre. Un certain détournement des missions de lapolice est aussi responsable : un policier quin’est bon qu’à mettre un PV ou installer un radardonne une image très négative de sa fonction. Il y a également une fracture entre la Police et lajustice. Les policiers se sentent discrédités parl’absence de certitude de la sanction, qui estpourtant un principe de base en criminologie.Le manque de moyens, les prisons débordées,la récidive sont des problèmes de société qui secristallisent sur les policiers.Le rétablissement de la police de proximité,garante d’un lien avec les citoyens, permettantde mieux les connaître et les protéger, le rétablis-

sement du service national, qui avait un véritablerôle social, pourraient aider à fonder un nouveaupacte entre les Français et les forces de l’ordre.

DDV. Lors de l’hommage national rendu à Xavier,vous avez pris la parole, fait inédit en France. Avez-vous le sentiment que votre parole a eu pour effet de « normaliser » l’homosexualitéau sein de la République ?E.C. Je voulais d’abord rendre un hommage aupolicier qui était mon conjoint et au courage dela Police. Certains ont entendu l’hommage aupolicier, d’autres cette normalisation de l’homo-sexualité dont vous parlez. J’avais à cœur demontrer autre chose que les clichés habituels surl’homosexualité. C’est ce que je devais à Xavier.J’ai depuis reçu plus de 16 000 messages, mon-trant qu’une certaine parole a été libérée : « Jevivais caché, plus maintenant » ; « Ma famille merejetait, ce n’est plus le cas ». Inéluctablementles choses vont évoluer. Les comportements homophobes violents vont se déliter, car la minoritésera bientôt du côté des homophobes. Dans l’histoire, la liberté a toujours le dessus. ●

FLAG !

Contrel’homophobieFlag ! : une associationindispensablecontre l’homophobie dans la Policeet la Gendarmerie, qui a beaucoup œuvré pour unmeilleur accueildes victimes au seindes commissariats.

Racisme et homophobie dans la Police :de vieux démons en voie de disparitionEtienne Cardilès, le conjoint de Xavier Jugelé, gardien de la paix décédé lors de l’attentat des Champs-Elysées, le 20 avril dernier, nous livre son témoignage sur la Police d’aujourd’hui.Propos recueillis par Alexandra Demarigny.

« AUX TERRORISTES : VOUS N’AUREZ PAS MA HAINE. ET À TOUS CEUXQUI M’ONT ÉCRIT POUR ME DIRE LEUR SOUTIEN, LEUR FIERTÉ DES FORCESDE L’ORDRE, JE VOUDRAIS ICI DIRE MA GRATITUDE ET MON ÉMOTION,DANS L’ESPRIT DE COMMUNION NATIONALE DU 11 JANVIER. » Etienne Cardilès

Etienne Cardilès, le 25 avril 2017, lors del’hommage national aupolicier Xavier Jugelé.

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D O S S I E R P O L I C E

Après quinze ans dans la police, Aurélia rac-croche, totalement démotivée. Fini, terminé,

basta ! Dans quelques semaines, elle quittera laBrigade anticriminalité (BAC) du 92. Non sansamertume, car pour cette belle jeune femme de33 ans, plus qu’un métier, c’était une vocation.Celle qui voulait servir, protéger et combattre lesinjustices est aujourd’hui révoltée, démotivée,écœurée. Pascal, son époux, la soutient, assisprès d’elle sur le canapé de leur modeste appar-tement parisien, tandis que le cendrier ne cessede se remplir. Comme ses yeux gonflés de larmes.

LE TOUT-RÉPRESSIF

L’ambiance est à la colère et à l’incompréhension àl’égard de « nos dirigeants laxistes-politiciens-sanscourage » qui, du jour au lendemain, lui ont imposéle tout-répressif sans même lui en donner les moyens,après avoir laissé faire pendant vingt ans. « On paie pour avoir la paix, pour limiter les dégâts,mais on ne règle pas les problèmes. Jour et nuit onse fait caillasser, insulter et cracher dessus par desindividus de plus en plus jeunes et de plus en plusviolents, au casier long comme le bras : outrage, ré-bellion, vol à l’arrachée ou à la roulotte. Aprèsquelques heures en garde à vue, ils sont dehors,avec au pire un rappel à la loi, et au mieux, uneconvocation ultérieure chez un juge avec du sursis àla clef. Et nous, on n’a pas le temps de finir la procé-dure qu’ils sont déjà dehors. Alors, on sélectionne.Un jeune sans permis, on laisse tomber. Une voiturequi refuse de s’arrêter, aussi. C’est un ordre. Vousrajoutez les attentats et vous comprenez que, pour2 200 euros par mois, j’ai pas envie de me faire ex-ploser par un illuminé au nom de sa religion, ou deme faire agresser tous les jours », m’explique-t-elle,à moi le journaliste mal informé, qui ignore évidemment

que chaque nuit, en banlieue, des véhicules brûlent,et pour qu’il n’y en ait pas plus, on ne fait rien. Au ministère, on ne veut surtout pas d’un nouveau2005. « Si on appliquait les lois qui existent déjà,ça serait énorme ! Pour un crime qui mérite20 ans, le mec, il n’en fait que 5. Aberrant ! Pourpeu qu’il y ait un vice de procédure, il fera quedalle. Même les faits son requalifiés. Il n’y a plusde place dans les prisons. Alors, on fait quoi ? »,se demande-t-elle.

UN COUP D’ÉPÉE DANS L’EAU

Son métier ? Un coup d’épée dans l’eau quotidien,avec une justice aux abois et des réponses inappro -priées. « On a tellement laissé faire qu’aujourd’hui,c’est effrayant… ça craint. Ça craint pour tout lemonde. Il n’y a plus de respect, il n’y a plusvaleurs, il n’y a plus rien. Il ne me viendrait jamais àl’idée de passer à tabac une fille pour lui voler sonportable pour se faire 300 euros, ni même cramerla voiture de mon voisin qui a le courage de selever tous les matins pour être payé au Smic.Ma vie à moi, elle a pas été rose non plus, etpourtant je m’en suis sortie. Les trois quarts, ontrime, et c’est pour tout le monde pareil », pour-suit-elle.

TROP DE SOCIAL...

Et le social, le dialogue, la proximité ? Elle rigolenerveusement. « Il y en a trop ! L’assistanat, çasert à rien. » La répression ? La seule solution.« Ce n’est pas une police de proximité qu’il faut,mais une famille de proximité. Si un jeune partfaire le djihad, c’est pas de ma faute, ni celle del’Etat, mais de ses parents », assure-t-elle. Pascal intervient : « Aujourd’hui, les cowboys pro-tègent le fort tant bien que mal. Mais les Indienssont beaucoup plus nombreux, mieux armés,sans foi ni loi. Vous, vous devez vous en tenir àune déontologie parce que les médias vous scru-tent et vous jugent. On vous demande de mettredes pansements là où vous devriez mettre despoints de suture. » ●

“Il n’y a plus de respect”Aurélia, quinze ans dans la Police, est envahie par un sentiment d’impuissance et d’écœurement : Elle dénonce le laxisme politique, la justice en panne, l’impunité, des aides sociales outrancières, le manque de moyens, les attentats djihadistes... Rencontre avec une démissionnaire à bout de souffle.Alain Lewkowicz.

« JOUR ET NUIT ON SE FAIT CAILLASSER, INSULTER, ET CRACHER DESSUS... »

DÉMISSIONS 

En Suède,c’est la saignée.Un rapport confidentielindiquait, en août2017, que 80 % desagents de policeenvisageaient dedémissionner en raisondu danger croissantauquel ils doivent faireface sur le terrain.Chaque jour, troispoliciers donneraient leur démission.

LES CHIFFRES

SuicidesSelon « l’Associationprofessionnellenationale des militairesde la gendarmeriedu XXIe siècle », lessuicides de policiersont été moinsnombreux en 2015qu’en 2014, avecrespectivement45 et 55 suicides.

Paris, 18 mai 2016. voiture de policeincendiée lors d'une contre-manifestationen marge du rassemblement de policiersdénonçant la « haine anti-flics » .©

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