le monde - 08 07 2020
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MERCREDI 8 JUILLET 202076E ANNÉE– NO 23481
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
SCIENCE & MÉDECINE – 4 PAGES LES ÉTATSUNIS VEULENT METTRE LA MAIN SUR LA LUNE
LE REGARD DE PLANTU
LA LIGNE DROITE DU GOUVERNEMENT▶ Le gouvernement deJean Castex, dont la composition a été annoncéelundi 6 juillet au soir,comprend trente ministres et ministres délégués
▶ Proche de NicolasSarkozy et de Xavier Bertrand, Gérald Darmaninhérite de l’intérieur,en remplacement deChristophe Castaner
▶ Issu également du partiLes Républicains, Bruno LeMaire est désormais seulaux commandes du ministère de l’économie, desfinances et de la relance
▶ Cette nouvelle équipeconsacre l’évolution dumacronisme vers la droite,à deux ans de l’électionprésidentiellePAGES 8 À 14
PolognePrésidentielle : Duda courtise l’extrême droite en vue du second tourPAGE 2
ParisLe préfet de région délivre le permis de construire du projet gare du NordPAGE 18
DisparitionLes partitions incandescentesd’Ennio MorriconePAGES 26-27
L’énergéticien prévoit des coupes budgétaires massives, avoisinant 2,5 milliards d’euros, afin de compenser les pertes liées à la crise sanitairePAGE 16
EDF« Mimosa », un plan drastique d’économies
Avec « Tout simplement noir », le cinéaste interpelle avec humour le racisme et le communautarisme. EntretienPAGE 28
CinémaJeanPascal Zadi : « Il y a autant d’identités noires que de Noirs »
Gérald Darmanin, intérieur – Barbara Pompili, transition écologique – Eric DupondMoretti, justice. AFP - REUTERS - AFP
Bruno Le Maire, économie, finances et relance – Elisabeth Borne, travail, emploi et insertion – Roselyne Bachelot, culture. REUTERS - AFP - AFP
DÉCRYPTAGELe point sur le gouvernement Castex : quelques surprises et une droite renforcéePAGE 8
PORTRAITEric DupondMoretti, l’« ogre » des assises à la justicePAGE 10
ÉCOLOGIELa tâche ardue de Barbara Pompili, chargée d’incarnerle volontarisme vert au seinde l’exécutifPAGE 13
CULTURELe retour inattendu de Roselyne BachelotPAGE 14
CHRONIQUELe remaniement dessine aussi un positionnementstratégique, qui se veut plus « populaire », pour 2022PAGE 8
1 ÉDITORIALLE MESSAGE RÉGALIEN DE MACRONPAGE 35
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ROÏK
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UN DÉLICIEUX VENT DE LIBERTÉ !★★★
PREMIÈRE
ET SI LA VRAIE SURPRISE DE L'ÉTÉC'ÉTAIT FELICITÀ ?
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2 | INTERNATIONAL MERCREDI 8 JUILLET 20200123
En Pologne, Duda mise sur une ligne dureLe dirigeant ultraconservateur cherche à séduire les électeurs d’extrême droite avant le second tour du 12 juillet
varsovie correspondance
A moins de cinq jours dusecond tour de l’élection présidentielle du12 juillet, la campagne
électorale polonaise a pris un virage à droite et s’est durcie, sur le fond comme sur la forme. Les deux adversaires, le président sortant Andrzej Duda, du parti national conservateur Droit et justice (PiS), et son rival libéral Rafal Trzaskowski (Plateforme civique, PO), sont à quasiégalité dans les intentions de vote. Parmi les indécis, les électeurs les plus convoités se révèlent être ceux du candidat d’extrême droite Krzysztof Bosak, qui a recueilli au premier tour 6,8 % des voix, soit 1,3 million d’électeurs, dont la mobilisation tranchera dans une large mesure le résultat du scrutin.
Le président Duda a ainsi multiplié ces derniers jours les initiatives visant à mettre son adversairelibéral sur la défensive. Sa proposition phare de fin de campagne : inscrire dans la Constitution l’interdiction de l’adoption par lescouples homosexuels. « Je n’accepterai jamais les expérimentations sur nos enfants, commel’adoption par les couples de mêmesexe, de même que leur sexualisation malsaine », déclaraitil le1er juillet. Le président a déposé officiellement un projet de modification de la Constitution au Parlement, lundi 6 juillet, qu’il a justifiépar la « protection » des enfants qui ont le « droit d’être élevés dans des conditions normales ». Il a mis au défi ses opposants de centre droit de soutenir le projet.
Jeu d’équilibrismeRafal Trzaskowski, de son côté, qui en tant que maire de Varsovie a étéle premier élu local à signer, en février 2019, une « charte LGBT+ » mettant en place des mesures antidiscriminatoires inédites en Pologne, notamment dans les écoles,s’est vu obligé de répondre froidement : « Je ne connais aucun responsable politique sérieux qui concourt à la présidence qui serait d’accord avec le postulat de l’adoption »par des couples du même sexe. « Sur ce point, je suis d’accord avec le président. Même si je considère que c’est un sujet secondaire. »
Le candidat libéral s’est également attiré les foudres d’une partie de la gauche en déclarant qu’ilpourrait se rendre à la « marche de l’indépendance », une manifestation organisée chaque année le 11 novembre par les mouvements nationalistes. Beaucoupont estimé que dans ce jeud’équilibrisme, Rafal Trzas
kowski avait davantage à perdredu côté des électeurs de gauchequ’à gagner du côté des électeursd’extrême droite, même si unepartie de ces derniers se retrouvedavantage dans le libéralismeéconomique de la Plateforme civique que dans l’étatisme du PiS.
Message répété à chaque débutde meeting, la « défense de la famille traditionnelle » s’est ainsi retrouvée, une fois de plus, au cœur de la campagne du président sortant. En référence aux campagnes antidiscriminatoires dans les écoles de Varsovie, le président Duda arépété qu’il fera en sorte que toutes les associations ou ONG devront obtenir un accord des parents « avant de rentrer dans les écoles » pour que « personne ne transmette aux enfants des idéologies ennemies ou immorales ».
Les derniers jours de campagneont également été marqués par de virulentes attaques de l’équipe decampagne du président visàvis des médias étrangers, particuliè
rement allemands, accusés de prendre parti pour le candidat de l’opposition. Une vive controverse a entouré la révélation par la presse de la grâce présidentielle que M. Duda a accordée à un homme condamné pour des faits de pédocriminalité – une grâce accordée des années après les faits, à la demande de la victime, concernant uniquement l’interdiction del’approcher, et après avis positif des tribunaux. L’équipe du président a dénoncé une « manipulation abjecte » de l’opposition.
Après que le tabloïd Fakt, propriété de l’entreprise de presse allemande Axel Springer, a multiplié les « unes » peu nuancées sur cette affaire, le chef de campagnedu président Duda, Adam Bielan, est allé jusqu’à demander des explications à l’ambassadeur allemand. Le président Duda n’a, quant à lui, pas mâché ses mots aucours de ses meetings : « C’est une manipulation par une propagandeallemande perfide, qui rappelle
celle d’il y a cent ans. Les Allemandsveulent choisir le président polonais, c’est odieux ! (…) C’est un exemple supplémentaire d’une attaque allemande dans cette élection, de cette campagne sale et sans merci tournée contre moi. »
« Repoloniser » les médias privésL’ONG Reporters sans frontières a demandé au président polonais deprésenter ses excuses au correspondant du journal allemand Die Welt, pris a partie personnellement en plein meeting. L’ambassadrice américaine, Georgette Mosbacher, a pour sa part recadré publiquement l’ancienne porteparole du PiS, Beata Mazurek, qui ainsinué que la chaîne privée TVN 24, propriété américaine, était liée aux anciens services de renseignement communistes. « Nous devons nous interroger sur la situation des médias en Pologne, a pour sa part commenté Zbigniew Ziobro, le ministre de la justice et représentant de l’aile radicale de la
majorité. J’espère qu’après la campagne présidentielle nous en tirerons les conséquences. » Cette intervention a relancé les inquiétudes sur la volonté annoncée du PiSde « repoloniser » et de « déconcentrer » les médias privés.
Pour le président sortant, un enjeu majeur de cette fin de campagne est la mobilisation de l’électorat des séniors. Au premier tour, le 28 juin, leur participation électorale a chuté de 10 points par rapport aux législatives de novem
L’extrême droite fait monter les enchères sans consigne de voteArrivée quatrième au premier tour, l’alliance Konfederacja défend les « valeurs traditionnelles » d’une « Pologne chrétienne »
varsovie envoyée spéciale
A ccroché sur un balcon,juste en face de ses fenêtres, un drapeau arcen
ciel, symbole du mouvement LGBT, semble le narguer, mais, comme on le lui fait remarquer, Krzysztof Bosak choisit de s’en amuser. « Ah oui, c’est une association qui l’a fait exprès pour qu’on le voie lorsque l’on reçoit des télévisions étrangères ! », s’esclaffetil.De fait, des journalistes venus des quatre coins du monde affluent ausixième étage de ce bâtiment historique, situé au cœur de Varsovie,où siège le candidat de Konfederacja (« confédération »), l’extrême droite polonaise arrivée en quatrième position au premier tour de l’élection présidentielle et, dé
sormais, en mesure de peser pour le second tour, dimanche 12 juillet.
Le million de voix – 1,3 millionprécisément, soit 6,8 % des suffrages – récoltées satisfait pleinement M. Bosak. « C’est peutêtre lemeilleur score pour un candidat politiquement incorrect comme moi, ironisetil avec un large sourire. Il y a quelques années, nous aurions obtenu 1 %. » Cet homme tiré à quatre épingles qui, à 38 ans,en paraît dix de moins peut surtout se targuer d’avoir séduit prèsde 22 % des 1829 ans. De quoi attiser les appétits, et faire monterles enchères sur son terrain favori, les « valeurs traditionnelles » d’une « Pologne chrétienne ».
Fondée en 2018, Konfederacjaest une alliance entre trois formations, composée de nationalistes
catholiques du Mouvement national, dont est issu M. Bosak ; de libertariens conservateurs dirigés par le sulfureux Janusz KorwinMikke, présent dans lepaysage depuis des années ; et detraditionalistes monarchistes catholiques, pilotés par Grzegorz Braun, complotiste patenté.
Percée saisissante en 2019Moins d’un an après sa création,cette alliance envoyait à la Diète, l’Assemblée polonaise, onze députés d’un coup, lors des élections législatives d’octobre 2019. Une percée saisissante dans lamesure où le credo des « valeurs familiales et traditionnelles », sur fond d’homophobie et de discours antimigrants sur lesquelss’appuie l’extrême droite polo
naise, est déjà saturé par le parti ultraconservateur Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015.
« Le PiS se paye de mots, il n’y aque vous, les médias mainstream, pour les désigner “ultraconservateurs”, en réalité, ce serait plutôt unparti centriste, jamais ils ne changeront la Constitution pour interdire l’adoption par des couples homosexuels », s’insurge M. Bosak. Elu député dans la vague d’il y a dix mois, ce dernier se définit plutôt « Marion Maréchal » que « Marine Le Pen » – bien qu’il n’ait,ditil, rencontré ni l’une nil’autre – et affirme « haïr l’Union européenne [UE] et l’establishment bruxellois qui veut faire pression pour changer notre culture ». « Mais je suis aussi réaliste, complètetil, et si un “Polexit”, une
sortie de l’UE, est impossible, nous devons au moins sécuriser nos positions avec la Hongrie. »
Libéral sur le plan économiqueet viscéralement opposé à la politique sociale du PiS, qu’il qualifie de « populiste », M. Bosak se garde bien de donner la moindre consigne de vote à ses électeurs pour le second tour, sachant que cela joueen faveur de l’extrême droite. Dans le bureau du patron deslibertariens, M. KorwinMikke, situé à quelques encablures et tapissé d’un mélange hétéroclite de portraits, qui vont de Ronald Reagan à Philippe Pétain, de Milton Friedman à Augusto Pinochet, Julia Polakowska, 22 ans, et WojciechMachulski, 17 ans, approuvent.« Depuis deux semaines [date du premier tour de la présidentielle,
le 28 juin], nous sommes devenusfantastiques ! », se réjouissentils.
Farouchement hostiles à touteintervention de l’Etat dans le domaine économique et social, de « l’argent gaspillé » d’après eux, oude l’éducation, ils prônent enchœur « la liberté », la disparition de tous les médias publics, le « respect de la famille » et la fin de « l’idéologie LGBT ». Et lorsqu’on rappelle la sortie, fort peu goûtée au Parlement de Strasbourg, en mars 2017, de leur chef de file, exdéputé européen, selon lequel« les femmes seraient statistiquement inférieures et moins intelligentes que les hommes », et devraient donc être « moins bien payées », Julia, une petite brune énergique, préfère en rire.
isabelle mandraud
Le président polonais, Andrzej Duda, lors d’un meeting à Starachowice, dans le sud de la Pologne, lundi 6 juillet. AGENCJA GAZETA/REUTERS
La « défensede la famille
traditionnelle »s’est retrouvée,
une fois de plus,au cœur de
la campagnedu président
bre 2019 – 55 % au lieu de 65 % –, une différence due aux craintes liées au Covid19. Le premier ministre, Mateusz Morawiecki, a multiplié les appels à la mobilisation électorale, assurant qu’« il n’ya plus rien à craindre du coronavirus ». Le nombre de cas dépistés enPologne n’en reste pas moins stable (environ 400 chaque jour).
En signant une « charte de la liberté sur Internet », Andrzej Duda a également voulu faire un geste en direction de l’électorat jeune. Ledocument prévoit notamment le refus de signer la directive européenne sur les droits d’auteurs ACTA 2, et met en place une prétendue « lutte contre la censure sur Internet », avec notamment la « transparence » des « filtres et des mécanismes de modération » sur les réseaux sociaux. C’est une revendication de longue date des milieux nationalistes polonais, qui s’estiment censurés par des platesformes comme Facebook.
jakub iwaniuk
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 international | 3
Schäuble en défense de la « souveraineté » de l’UELe président du Parlement allemand invite à aller audelà du plan de relance pour approfondir l’intégration
berlin correspondance
L a pandémie de Covid19restera sans doute dansl’histoire de l’Allemagnecomme un puissant accé
lérateur de transformation. En quelques semaines, le pays qu’on jugeait hésitant, voire procédurierdans son rapport au projet européen, a franchi des étapes considérables. En témoigne le texte publié par Wolfgang Schäuble, figure incontournable de la droite allemande, dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung dulundi 6 juillet. Après le soutien d’Angela Merkel à un vaste plan derelance financé par une dettecommune aux VingtSept, l’actuelprésident du Bundestag défendl’idée qu’il faut tirer les leçons de la crise sanitaire pour effectuerdes « progrès substantiels » dansl’intégration européenne.
Le texte est résolument politique et peut être lu comme une réponse au discours de la Sorbonne prononcé par Emmanuel Macron à l’automne 2017, où il présentait luimême ses idées pour renforcerl’Union. A l’époque, il n’avait reçu qu’un accueil distant. Chez Wolfgang Schäuble, la crise sanitaire semble avoir révélé les faiblesses de l’Union européenne, mais aussi sa nécessité. « Il y a eu uneforte prise de conscience », analyse Claire Demesmay, experte des relations francoallemandes au
Conseil allemand des relations étrangères (DGAP). « En 2017, l’analyse d’Emmanuel Macron avait été vue comme trop abstraite. Les Allemands ne voyaient pas à quel danger il fallait vraiment répondre. Maintenant, ils ont la preuve concrète qu’il faut avancer dans l’intégration. Wolfgang Schäuble est le porteparole d’un mouvement assez profond, qui témoigne d’une nouvelle approche des questions européennes en Allemagne. »
Coordination insuffisanteWolfgang Schäuble débute ainsi son texte en évoquant le choc qu’a constitué la fermeture des frontières intraeuropéennes, improvisée sans concertation pourlutter contre la propagation du virus. Pour celui qui est depuis 1972 député d’Offenburg, à quelqueskilomètres de Strasbourg, l’expérience a agi comme un révélateur : « Il est devenu évident quenous n’apprécions les choses que lorsqu’elles nous manquent : lesfrontières ouvertes ! »
Le Covid19 a montré l’insuffisance de la coordination des Etats européens, déploretil. Il a aussi mis en évidence la fragilité de l’Europe, sa dépendance des fournisseurs lointains pour les biens de première nécessité comme les masques. « L’Union européenne doit mieux se préparer afin que, dans les crises, elle soit plus résistante et plus souveraine », écritil. Il
s’agit de renforcer son « autonomie stratégique », en repensant les chaînes d’approvisionnement de ces biens essentiels.
La « communauté de destin » devenue concrète et évidente à la faveur de la crise, M. Schäuble considère qu’il est temps de développerune « dynamique permettant à l’Europe de s’affirmer, dans la concurrence mondiale, par ses propres forces ». De façon inattendue pour un représentant du camp conservateurlibéral, il juge indispensable d’« examiner tout notre modèleéconomique de façon critique et de corriger les excès de la mondialisation, là où ils ont participé aux conséquences dramatiques de la pandémie ». Dans les efforts de relance économique, l’ancien ministre des finances, intraitable lorsdu naufrage de la Grèce voici dix ans, appelle à « porter une attention particulière à leur viabilité sociale et écologique à long terme ».
Ce « modèle européen », attachéà la liberté, à la justice sociale, à
l’Etat de droit, aux droits de l’homme, au développement durable, doit être défendu face au« totalitarisme » chinois, soulignetil. La menace chinoise, encore diffuse il y a quelques annéeschez les responsables politiques allemands, est désormais bien identifiée et constitue un élément essentiel pour comprendre l’évolution actuelle. Elle justifie le besoin « urgent » de réformer l’Europe, qui doit « retrouver une capacité d’action globale ».
Sur le plan de la défense, face audésengagement croissant des EtatsUnis, M. Schäuble estime que l’Europe doit, « bien plusqu’elle ne l’avait fait jusqu’à présent, prendre ses responsabilités dans le monde et pour sa propre sécurité ». Sur le plan de l’unionmonétaire, il appelle à « avoir le courage qui a manqué en 2010pour renforcer enfin la zone euro ».Son idée est de profiter du « fondseuropéen de reconstruction » – le plan de relance de 750 milliards
d’euros qui doit financer les pays et les secteurs les plus touchés parl’épidémie de Covid19 – pourfaire de l’union monétaire une « union économique ».
C’est là qu’il adresse des critiques au projet actuellement envisagé par la Commission : il s’agit moins de débattre des modalités de financement de ce fonds, estimetil, que des projets concretsqu’il devra financer. « A cet égard, la proposition actuelle de laCommission me semble ne pas
aller assez loin », écritil. Pour M. Schäuble, il manque une réflexion commune sur la façon d’organiser les investissements afin qu’ils servent à une transformation en profondeur vers une« souveraineté européenne » en matière économique, technologique et énergétique. Au passage, il se dit même favorable à la création de « ressources propres » au bénéfice de l’UE, comme une taxesur les transactions financières ou sur les géants du numérique. Une percée soutenue par le président Macron, mais rejetée à ce stade par Angela Merkel.
Il estime enfin que cette transformation doit se faire « en coopération avec les voisins immédiats », ce qui implique de se doterd’« un droit d’asile européen », qu’il considère comme nécessaire pour défendre la sécurité et la stabilité européenne, mais aussi sa « crédibilité en tant quecommunauté de valeurs ».
cécile boutelet
L’Europe doit « prendre ses
responsabilitésdans le monde
et pour sa propresécurité »
WOLFGANG SCHÄUBLEprésident du Bundestag
L’intellectuel Xu Zhangrun arrêté à PékinFigure de l’opposition chinoise, l’universitaire était déjà privé du droit d’enseigner
pékin correspondant
X u Zhangrun, un des derniers universitaires àoser critiquer Xi Jinping,
aurait été arrêté lundi 6 juillet, à son domicile pékinois. Une vingtaine de policiers auraient pris part à l’opération, selon des proches qui ont donné l’alerte.
Professeur de droit de la prestigieuse université de Tsinghua, à Pékin, Xu Zhangrun avait fait sensation en publiant, en juillet 2018,un texte littéraire critiquant la réforme de la Constitution adoptée quatre mois plus tôt et supprimant la limite de deux mandats pour un président chinois. « Je m’interroge : assistonsnous à lafin de l’ère des réformes et del’ouverture, et à un retour vers un régime totalitaire ? », écrivaitil.
Long, complexe, truffé de références, ce texte était tout sauf un manifeste destiné à un large public. Néanmoins, il avait rencontré un très large écho dans la communauté intellectuelle. Il a valu à Xu Zhangrun, né en 1962, d’être privé du droit d’enseigner, à la fin de mars 2019, alors que l’université lançait une enquête disciplinaire à son encontre. Entretemps, cet indomptable avait publié une dizaine de textes.
Parmi ses demandes, Xu Zhangrun manifestait également « l’espoir » de voir « réhabiliter le 4 juin[1989] ». Officiellement, le recours à l’armée fut nécessaire pour mater une « rébellioncontrerévolutionnaire ». Son souhait, évidemment, ne pouvait qu’aggraver son cas auprès desautorités. En avril 2019, des centaines de personnes, dont troiscents universitaires (en fonctionou retraités) et étudiants de l’université de Tsinghua (dans le nordest du pays), avaient signé une pétition demandant la réhabilitation de l’intellectuel.
Le 28 avril 2019, alors que l’université célébrait son 108e anniversaire, les amis de Xu Zhangrunavaient organisé une petite cérémonie de soutien. « Nous sommestous des Xu Zhangrun », avaientdéclaré les participants.
« Noyau pourri »Le 4 février, en pleine épidémie deCovid19, Xu Zhangrun a de nouveau publié en ligne un long texte intitulé « Alerte au virus : quand lafureur est plus forte que la peur », une nouvelle critique acerbe et passionnée du pouvoir communiste. « L’épidémie due au coronavirus a révélé le noyau pourri de la gouvernance en Chine », écrivaitil.
Il ne se faisait guère d’illusionsur son sort : « Il est maintenant facile de prévoir que je vais faire l’objet de nouvelles sanctions. En fait, cela pourrait bien être le dernier texte que j’écris », notaitil en conclusion de son article. Selon le quotidien britannique The Guardian du 16 février, Xu Zhangrun,après la publication de cet article, a été placé en résidence surveillée et privé, pour un temps, de tout moyen de communication avecl’extérieur. En juin, il aurait publiéun article dénonçant « l’esthétiquefasciste » du pouvoir. Le 30 juin, selon ses amis, il lui aurait été interdit de quitter son domicile.
En deux ans, cet austère professeur est devenu un symbole. « Au moins, ils n’ont pas arrêté Xu Zhangrun », disaiton, parfois, dans les milieux intellectuels. En s’en prenant à cet enseignant de la plus prestigieuse université du pays – celle dont est diplômé le président, Xi Jinping –, le pouvoir envoie un message à l’ensemble des universitaires. Alors que le Parti est entré dans sa centième année d’existence, l’heure est moins quejamais à la tolérance envers les voix dissidentes.
frédéric lemaître
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4 | international MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Une explosion sur un site iranien attribuée à IsraëlTéhéran semble vouloir éviter une escalade qui obligerait les Européens à se rallier à la position américaine
jérusalem correspondant
L’ explosion qui a eu lieu,jeudi 2 juillet, sur un sitedu complexe nucléaireiranien de Natanz appa
raît de plus en plus clairement comme un acte délibéré, auquel Israël pourrait avoir contribué. Unofficiel d’un service de renseignement au ProcheOrient a affirmé,dimanche, au New York Times, sous le couvert de l’anonymat, que l’Etat hébreu était responsablede cette attaque, qui a causé une puissante explosion dont on ignore encore l’origine exacte. Cette déclaration a suscité des critiques d’un ancien ministre de la défense israélien, Avigdor Lieberman, qui l’attribuait, sans le nommer explicitement, au patron du Mossad, Yossi Cohen. M. Lieberman estimait que cet officiel devait être réduit au silence.
Suivant la politique israéliennequi consiste à ne pas nier ni confirmer officiellement de telles informations, le ministre des affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, s’est contenté de souligner, dimanche, qu’Israël avait pour objectif d’empêcher l’Iran de développer une arme nucléaire, précisant qu’Israël menait pour cela des « actions qu’il vaut mieux taire ». Les autorités du pays ont par ailleurs annoncé, lundi 6 juillet, avoir mis en orbite un nouveau satellite espion, capable d’améliorer leur observation des activités nucléaires iraniennes.
Série récente d’incidentsTéhéran a pour sa part confirmé,dimanche, que les installations de Natanz, où sont assemblées ettestées des centrifugeuses avancées, utilisées pour la productiond’uranium enrichi, avaient été endommagées par l’incident, et que leur développement en serait ralenti. Dès vendredi, lesautorités iraniennes avaient annoncé avoir achevé leur enquêteet connaître l’origine de l’incident, tout en se refusant à la divulguer pour l’heure, pour des« raisons de sécurité ». Ce mélange de transparence et de précaution est notable, alors quel’opinion iranienne s’interrogesur une série récente d’incidentsdans des infrastructures d’Etat, dont deux sur des sites liés auxprogrammes nucléaire et balistique iraniens.
En Israël, on l’explique par la réticence de Téhéran à s’engager dans une escalade militaire. « Les Iraniens font face à un dilemme : ils nevoulaient pas d’escalade avant les élections américaines » prévues en novembre, selon Amos Yadlin, ancien chef du renseignement militaire israélien. Cet attentisme a même pu contribuer à motiver l’attaque présumée de jeudi. Car vu de TelAviv, l’Iran se trouve en partie immobilisé par une crise économique sans précédent, sous l’effet des sanctions américaines et de l’épidémie de Covid19, et craint de provoquer la force militaire américaine en période préélectorale. Cette faiblesse présuméeouvre donc une fenêtre d’opportunité de quelques mois, que le quotidien Yediot Ahronoth compare, lundi, à celle dont Israël a profité récemment pour frapper des cibles iraniennes en Syrie.
« Leur objectif final est de faire lever les sanctions, pas l’escalademilitaire », rappelle aussi Sima Shine, ancienne directrice de la division recherche et évaluationdu Mossad, et responsable de l’Iran à l’Institute for National Security Studies. « Mais il est difficiled’imaginer qu’ils ne répondentpas, par crainte de faire preuve de faiblesse (…). Ils pourraient estimerqu’une cyberattaque contre Israëlet les EtatsUnis ne risquerait pas de dégénérer en confrontation militaire. Reste à savoir si cela peutfonctionner : leur dernière tentative [menée en avril], contre le système d’alimentation en eau israélien, avait été un échec. »
Jeudi, à la suite de l’incident deNatanz, l’agence de presse officielle de la République islamique,l’IRNA, avait publié un texte mettant en garde les adversaires américain et israélien de Téhéran et évoquant « le franchissement deligne rouge » et la nécessité de repenser une stratégie iranienne
qui serait restée jusqu’ici prudente dans ses ripostes. Pourtant,la retenue semble toujours prévaloir à Téhéran. « On ne peut pasdonner des prétextes aux EtatsUnis en réagissant de manière irréfléchie, même si c’est un coupdur. La vengeance est un plat qui doit se manger très, très froid », relève un connaisseur des affaires diplomatiques iraniennes.
Offensive diplomatiqueL’administration Trump, dont la politique de pression maximale contre l’Iran n’a pas donné de résultat probant, est de fait engagée dans une nouvelle offensive diplomatique de grande ampleur contre Téhéran. Washington fait campagne au Conseil de sécurité des Nations unies pour que l’embargo sur les armes contre l’Iran, qui arrive à échéance en octobre, soit prolongé, et menace de déclencher cet été le retour intégral des sanctions onusiennes contre la
République islamique. Cette démarche est dénoncée par les autres Etats, notamment européens, qui siègent au Conseil de sécurité. Isolés, les EtatsUnis pourraient donc tirer parti d’une éventuelle riposte iranienne, qui obligerait les Européens à se rallierà contrecœur à leur position. L’exécutif iranien semble, à ce stade, vouloir éviter un tel scénario, en privilégiant la prudence.
Les activités menées sur le sitede Natanz n’avaient pas de quoi rendre urgente une action de l’Etathébreu, motivée par la crainte de voir l’Iran se doter à court terme de l’arme nucléaire. Selon les prévisions du renseignement militaire israélien, le risque nucléaireiranien demeure en effet mesuré, depuis la reprise par Téhéran d’une activité d’enrichissement accrue en 2019. Le site touché jeudiest par ailleurs ouvert aux inspections de l’Agence internationale del’énergie atomique, qui y avait do
cumenté des tests de centrifugeuses avancées au mois de mai.
L’incident de jeudi est susceptible de plonger désormais cette partie du programme nucléaire iranien dans l’opacité. « En matièrede prolifération, ce genre de situation peut avoir des conséquences négatives, relève David Albright, président de l’Institute for Science and International Security, uncentre de recherche de Washington. Téhéran pourrait vouloir reconstruire des installations d’une nature similaire à celles qui ont été détruites jeudi, mais de manière clandestine. » Dans sa déclaration de dimanche, Behrouz Kamalvandi, le porteparole de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran, a indiqué qu’une « discussion » était en cours sur l’emplacement d’un futur site, qu’il a promis « plus grand et mieux équipé » que le précédent.
louis imbertet allan kaval (à paris)
Un expert reconnu du djihadisme assassiné en IrakLa mort d’Hicham AlHachémi, critique des milices chiites proiraniennes, ravive la peur des meurtres politiques
D ans son dernier Tweet,Hicham AlHachémi dénonçait, une fois en
core, inlassablement, la responsabilité des partis confessionnels et religieux dans les divisions de la société irakienne.
Une heure plus tard, lundi6 juillet au soir, un flot de messages émus et consternés a submergé le réseau social à l’annoncede sa mort. L’expert du djihadisme, et père de famille de 47 ans,a été abattu par balles par des hommes armés devant son domicile à Bagdad. L’attaque n’a pas étérevendiquée, mais beaucoup yvoient la main des milices chiites proiraniennes, qui l’avaient menacé pour ses prises de position. Tous redoutent une vague d’assassinats politiques destinée à faire taire leurs détracteurs.
Le premier ministre, MustafaAlKadhimi, a dit « promettre auxauteurs de les retrouver ». « Nous ne permettrons pas le retour desassassinats sur la scène irakienne(…) et nous allons déployer tousles efforts possibles pour placer
les armes sous l’autorité de l’Etat,pour qu’aucune force ne s’érigecontre l’Etat de droit », atil assuré dans un communiqué.
Membre du groupe d’expertsIraq Advisory Council, HichamAlHachémi évoluait dans le cercle proche du nouveau chef du gouvernement − aussi chef du renseignement depuis 2016 − ainsi que du président BarhamSaleh. Ce dernier a dénoncé un« crime abject qui cible tout Irakien et son droit à une vie libre etdigne ». De nombreuses chancelleries, des Nations unies à l’Unioneuropéenne et à l’Iran, ont aussiadressé leurs condoléances.
Chercheur passionnéNatif de Bagdad et fin connaisseurdes groupes djihadistes − d’AlQaida à l’organisation Etat islamique (EI) −, Hicham AlHachémi s’est imposé comme un spécialisteincontournable de cette mouvance pendant la guerre contre l’EI(20142017). Il était consulté par tous les médias internationaux pour son expertise, qu’il parta
geait avec générosité et simplicité. Chercheur passionné et bourreau de travail, il écrivait pour de nombreux centres de recherche comme Chatham House, à Londres, et le Center for Global Policy, à Washington, et il intervenait dans des médiations de réconciliation entre communautés déchirées par la guerre en Irak. A la fin de la bataille contre l’EI, il avait étendu son champ d’analyse à la politique irakienne et aux activités des factions armées chiites proIran, dont il dénonçait la mainmise sur l’Etat.
Ces critiques lui avaient valu, enseptembre 2019, d’être menacé demort, avec treize autres person
nalités irakiennes, par des groupes en ligne proIran, les accusantd’être des « collaborateurs », des« traîtres à la patrie », « proIsraël »et « proAméricains ».
Déjà la cible de menaces de l’EI,Hicham AlHachémi n’avait pasvoulu renforcer sa sécurité nitaire ses critiques, en dépit de menaces réitérées.
En octobre 2019, il avait épouséentièrement les revendicationsdu mouvement de contestation contre le pouvoir. A la télévision et sur les réseaux sociaux, il dénonçait la confessionnalisationdu système politique, la corruption et la mainmise de l’Iran sur Bagdad. Il n’hésitait pas à pointer le rôle des milices chiites proiraniennes et des autorités dans larépression des manifestations, qui ont fait au moins 600 morts.
« Ils n’ont pas pu supporter tescritiques, ta brillante analyse, toncourage à révéler leurs écueils », atweeté l’analyste Farhad Alaaldin, président de l’Iraq AdvisoryCouncil. Pour beaucoup, la mort d’Hicham AlHachémi est un
sombre présage, un douloureux rappel de la vague d’assassinatspolitiques qui avait secoué lepays durant la guerre civile(20062009), tant du fait des milices que des djihadistes. Sa mortintervient après une série d’assassinats de militants et de journalistes liés aux manifestationsd’octobre 2019, que les observateurs imputent aux milices chiites proiraniennes.
Elle survient surtout en pleinbras de fer entre le premier ministre et les milices proTéhéran.Déterminé à imposer l’autoritéde l’Etat aux factions armées quimultiplient les attaques contredes intérêts américains, M. Kadhimi se heurte pour l’heure à unmur. Pour éviter une confrontation ouverte, le chef du gouvernement a dû concéder la libération de membres des Brigades duHezbollah, quelques jours aprèsleur arrestation le 26 juin par lecontreterrorisme, au motifqu’ils préparaient une nouvelleattaque.
hélène sallon
Le complexe nucléaire iranien de Natanz, endommagé après une explosion, le 2 juillet. AP
L’incident de jeudi est susceptible de plonger
une partie du programme
nucléaire iraniendans l’opacité
LE CONTEXTE
UN « INCIDENT » MYSTÉRIEUXLes autorités iraniennes avaient d’abord évoqué un « incident » à la portée mineure, après l’an-nonce d’un incendie sur un site nucléaire du complexe de Na-tanz, le 2 juillet. Depuis lors, des fuites ont commencé à pointer vers une opération délibérée menée par Israël. Les autorités iraniennes se refusent à préciserl’origine du sinistre, pour des « raisons de sécurité », tandis que Washington poursuit son offensive diplomatique contre Téhéran.
HONGKONGLoi sur la sécurité : l’exécutif exige le retrait de livres scolairesLe gouvernement de Hongkong a ordonné lundi 6 juillet aux écoles de retirer les livres qui pourraient violer la loi sur la sécurité nationale imposée la semaine dernière par Pékin. Les directeurs d’école et les enseignants « doivent examiner le matériel pédagogique, y compris les livres » et les « retirer s’ils y trouvent des contenus périmés ou pouvant s’apparenter aux quatre types d’infractions » définies par la loi. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a dénoncé un acte « orwellien » de « censure ». – (AFP.)
AUSTRALIEMelbourne à nouveau confinéePlus de 5 millions de personnes ont reçu, mardi 7 juillet, l’ordre de rester confinées pendant au moins six semaines à Melbourne, la deuxième ville d’Australie, à la suite d’une flambée des cas de Covid19. La limite qui sépare les Etats de Victoria et de NouvelleGalles du Sud est fermée depuis lundi soir. – (AFP.)
HichamAl-Hachémi dénonçait
la corruption etla mainmise de
l’Iran sur Bagdad
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 international | 5
Au Rwanda, la longue traque des génocidairesPlus de 1 000 suspects sont encore recherchés, vingtsix ans après l’assassinat de 800 000 Tutsi
kigali correspondance
L es dossiers colorés, marqués « confidentiel », sontempilés du sol jusqu’auplafond. « Chacun de ces
classeurs correspond à un suspect de génocide et contient un acte d’accusation et un mandat d’arrêt international », explique le procureur John Bosco Siboyintore. « Depuis la création de cette unitéen 2007, nous en avons émis 1 144, envoyés à 33 pays différents », expliquetil, en faisant visiter lesbureaux de l’Unité rwandaise detraque des fugitifs suspectés de crime de génocide (GFTU).
Situés dans trois pavillons duquartier de Nyarutarama à Kigali, les locaux de la GFTU sontdiscrets, presque anonymes. Seul un poster à l’entrée, avec lesphotographies des principauxsuspects du génocide des Tutsiencore en fuite, trahit les activités de cette équipe de vingttroisprocureurs et d’enquêteurs pascomme les autres. Leur mission :rédiger des actes d’accusation contre les fugitifs suspectésd’avoir participé aux massacresqui, en 1994, ont coûté la vie à plus de 800 000 personnes ; envoyer des mandats d’arrêt dansles pays où ils vivent ; enfin, espérer qu’ils soient jugés sur placeou extradés vers le Rwanda.
Course contre la montreAlors que le pays s’apprête àaccueillir une enquête de l’ONUpour préparer le procès dufinancier présumé du génocide,Félicien Kabuga, arrêté près de Paris le 16 mai, la GFTU traquesans relâche les ultimes fuyards.Ceux qui n’ont pas été jugés parle Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), chargé de poursuivre les idéologues desmassacres et les ministres du gouvernement génocidaire de 1994 à 2015. Ceux, également,qui ont échappé à la justice rendue au Rwanda par les tribunaux traditionnels populairesgacaca de 2005 à 2012.
« Le principal problème, c’estque ces fugitifs changent régulièrement d’adresse et de nom. Ilsdisent qu’ils ne sont pas rwandais, ils se font passer pour morts,
ou alors ils sont protégés par lestatut de réfugié », déplore JohnBosco Siboyintore, à la tête de la GFTU depuis 2011.
La plupart des suspects identifiés par l’unité se trouvent actuellement en République démocratique du Congo, en Ougandaet au Malawi. La France occupe lapremière position pour les paysoccidentaux, ayant reçu quarantesept mandats d’arrêt rwandais. Trois de ces accusés sontpassés devant la justice française.Aucun n’a été extradé.
Pour les enquêteurs de la GFTU,la bataille commence sur leterrain. En se fondant sur unelongue liste de « suspects de première classe » établie par le bureau du procureur général,ainsi que sur des plaintesdéposées directement à l’unité,
ils sillonnent le Rwanda à la recherche de témoins à charge et àdécharge, retournent sur les scènes de crime, interrogent des prisonniers. Vingtsix ans après,c’est une véritable course contrela montre pour tenter de reconstituer les faits.
« Le grand défi, aujourd’hui,c’est que les témoins ont un âgeavancé, à tel point qu’ils ont dumal à se souvenir », note YvesNdizeye, le chef du service d’enquête à la GFTU. Pour trouver destémoignages, l’équipe s’appuieprincipalement sur les anciensjuges des tribunaux populairesgacaca, qui avaient été choisis parmi la population en fonctionde leur intégrité. Une fois que lespreuves contre un suspect sont suffisantes, et qu’il a été localisé,les procureurs entament la ré
daction d’un acte d’accusation etd’un mandat d’arrêt.
Commence ensuite la longueroute vers une éventuelle extradition. « Pour le Rwanda, juger lesgénocidaires sur son propre sol a toujours été une priorité. Les rescapés sont ici, les témoins sont ici. Pourquoi les envoyer témoigner dans un autre pays alors que lesprocès peuvent avoir lieu ici et êtresuivis par les premiers concernés ? », s’interroge Sam Rugege, juge en chef de 2011 à 2019.
Ce retraité aux yeux vifs et à lavoix fluette a été un acteur incontournable des réformes de lajustice rwandaise. Le pays a misen place un système de protection des témoins en 2006, abolila peine de mort l’année suivante, puis créé une chambrespéciale pour les crimes interna
tionaux. De quoi rassurer lajustice internationale qui, jusquelà, doutait de la capacité destribunaux rwandais à garantirdes procès équitables.
Longue bataille juridiqueEn 2012, le TPIR, basé à Arusha enTanzanie, transfère ainsi unpremier accusé à Kigali. JeanUwikindi, ancien pasteur arrêté en Ouganda, sera condamnéà la prison à vie. SuivrontBernard Munyagishari en 2013,puis, en 2016, Ladislas Ntaganzwa, accusé d’avoir personnellement dirigé un groupe qui a tuéplus de 20 000 Tutsi.
Aujourd’hui, le Mécanismeinternational appelé à exercer lesfonctions résiduelles des tribunaux pénaux (IRMCT), qui a pris le relais du TPIR, garde seule
ment compétence pour l’affaireFélicien Kabuga, ainsi que pour l’affaire Protais Mpiranya, excommandant de la garde présidentielle toujours en fuite. Lesdossiers des six derniers accusésdu TPIR ont été transférés à lajustice rwandaise.
Reste que, sur les 1 144 mandatsd’arrêt envoyés par l’unité dansdes dizaines de pays, seuls vingtquatre accusés ont été renvoyés au Rwanda, souvent au terme d’une longue bataille juridique. Vingttrois autres ont été jugésdans leurs pays d’accueil. « Il reste encore des centaines de suspects du génocide des Tutsi dans despays qui ont les moyens de les juger et qui disent protéger les droitsde l’homme. Je pense que ces pays ne donnent pas assez d’importance aux vies perdues ainsi qu’aux crimes qui ont été commis », s’indigne Sam Rugege.
Après la fermeture du Mécanisme international appelé àexercer les fonctions résiduellesdes tribunaux pénaux, dansquelques années, Kigali devra compter sur la seule coopérationdes Etats dans lesquels les suspects se trouvent. Une gageure, selon Serge Brammertz, procureur en chef de l’IRMCT : « C’estdéjà difficile pour une institutioninternationale comme la nôtre,un tribunal des Nations unies, d’obtenir une coopération de lapart de certains Etats. J’imagineque, pour un Etatnation, c’estencore plus difficile. »
laure broulard
Dialogue de sourds entre l’Union européenne et la TurquieJosep Borrell, en visite à Ankara, et les dirigeants turcs ont divergé au sujet de la situation en Méditerranée orientale et en Libye
bruxelles bureau européenistanbul correspondance
L e chef de la diplomatieeuropéenne, Josep Borrell,était venu à Ankara, lundi
6 juillet, pour, selon ses mots, « prendre la température » de la Turquie en amont d’une réunion des ministres des affaires étrangères des VingtSept au cours de laquelle pourraient être adoptées,lundi 13 juillet, de nouvelles sanctions contre le pays du président Recep Tayyip Erdogan. Et les sourcils du haut représentant ont dûroussir au fil de ses rencontres dans la fournaise du plateau anatolien. Si le ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu,s’est montré très courtois lors d’une conférence de presse commune, il ne lui a, en effet, épargnéaucune récrimination.
Sur la question migratoire,d’abord, le ministre a, une fois encore, accusé le bloc européen de nepas respecter ses promesses. « Tout attendre de la Turquie pendant que l’Union européenne [UE] ne s’acquitte pas de ses obligations ne résout pas le problème mais l’aggrave. C’est pourquoi il faut mettre en œuvre les assurances données à
la Turquie », atil affirmé. « La modernisation de l’accord d’union douanière est importante. La libéralisation des visas est une promesse de l’UE. Que ça vous plaise ou non, vous devez l’appliquer. »
Sur ce dossier, la Turquie dispose d’un levier puissant visàvisdes Européens : celui des 3,6 millions de réfugiés syriens présents sur son territoire, auxquels s’ajoutent des centaines de milliers de migrants d’origines diverses, en route vers l’Europe. Le chef de la diplomatie turque a aussi déploré l’éviction de la Turquie des listes européennes des pays dits « sûrs »au regard de la pandémie de Covid19, qui risque de torpiller la saison touristique dans son pays.
« Sérieux problèmes »Toutefois, c’est sur la question du partage des richesses en hydrocarbures de la Méditerranéeorientale – Ankara y a lancé desforages dans des espaces considérés par l’UE comme relevant de la zone économique maritime exclusive de Chypre – et sur le différend entre la Turquie et la France sur la question libyenne que lechef de la diplomatie turque s’est montré le plus véhément.
« Certains pays de l’UE soutiennent [le maréchal Khalifa] Haftar,un putschiste sans légitimité. LaFrance, très clairement. Elle le soutient, lui fournit des armes.Comme elle perd du terrain,elle devient plus agressive et reporte son aigreur sur la Turquie »,a commenté le ministre, dontle pays soutient avec détermination la faction adverse, le gouvernement d’accord national (GAN)de Faïez Sarraj.
M. Cavusoglu est également revenu sur l’affaire de la frégate française Courbet, qui, en juin, a été empêchée par des navires de guerre turcs de contrôler un cargo soupçonné de faire de la contrebande d’armes pour le compte de la Turquie, à destination de la Libye. Paris avait accusé la marine turque d’avoir, par trois fois, menacé d’ouvrir le feu sur le Courbet. « La France doit présenter des excuses claires et nettes à la Turquie. Elledoit aussi s’excuser auprès de l’UE et de l’OTAN pour les avoir induits en erreur », a martelé le ministre.
Sur les forages en Méditerranéeorientale, il a affirmé que la Turquie était « prête au dialogue et à la coopération », mais qu’« un partage des revenus doit être mis en
place » entre la République de Chypre, membre de l’UE et seuleentité reconnue internationalement, et la République turque de Chypre du Nord, autoproclaméeet reconnue par la seule Turquie. « Il n’est pas question ici d’un accord bilatéral. Il peut s’agir d’unmécanisme de l’UE », atil précisé.
Evoquant d’éventuelles nouvelles sanctions contre son pays– pour lesquelles a plaidé le ministre français des affaires étrangères, JeanYves Le Drian –, il a affirmé que son pays entendait montrer « toute la bonne volonténécessaire » mais serait, le cas échéant, « obligé de riposter ».
En réponse, M. Borrell a prôné,avec flegme, le dialogue. A Bruxelles, son entourage avait eu soin de
« La France doit présenter
des excuses claires et nettes
à la Turquie »MEVLÜT CAVUSOGLU
ministre turc des affaires étrangères
Dans les bureaux de l’Unité rwandaise de traque des fugitifs suspectés de crime de génocide, à Kigali, le 22 mai. SIMON WOHLFAHRT/AFP
« Le grand défi,aujourd’hui, c’estque les témoins
ont un âge avancé, à tel pointqu’ils ont du mal
à se souvenir »YVES NDIZEYE
chef du service d’enquête
préciser, avant son voyage, que la Turquie restait « un candidat à l’adhésion à l’UE et un allié au sein de l’OTAN ». Lundi, le haut représentait a indiqué : « La situation actuelle est loin d’être idéale. Il y a de sérieux problèmes et nous devons nous en occuper immédiatement. » Il poursuivait : « La Méditerranée orientale est une zoneclépour l’UE. Et, pour pouvoir progresser, il faut restaurer la confiance. Il ne peut pas y avoir d’approche unilatérale. »
Plus tard, lors d’un débriefingavec la presse étrangère, l’ancienministre espagnol a admis la profondeur du fossé séparant actuellement les VingtSept de la Turquie. « Il est apparu clairement,pour les deux parties, qu’il y avait de forts désaccords, en particulier sur la question des forages, sur la situation en Méditerranée orientale, et des inquiétudes profondes de la part de la Grèce et de Chypre, que l’UE comprend et soutient. »
S’il estimait, avant ses entrevues, qu’il s’agissait de tracer des« propositions de solutions » et detrouver « une nouvelle approche » pour les divers contentieux entre Ankara et Bruxelles, il sera apparemment reparti sans avoir beau
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coup progressé. En mars déjà M. Borrell s’était rendu à Ankara, avec le président du Conseil européen, Charles Michel, pour affronter les récriminations de M. Erdogan. En réponse aux critiques sur l’initiative turque visant à encourager les migrants à se rendre en Grèce, le président avait déploré l’absence de soutien des VingtSept à son offensive en Syrie et réclamé une libéralisation des visas pour ses concitoyens. Une mesure toujours impossible à envisager, selon Bruxelles, pour des raisons juridiques et pratiques.
Une semaine plus tard, le président turc effectuait une visite éclair à Bruxelles pour exiger la levée de barrières commerciales etexiger une refonte de l’accord migratoire signé en mars 2016. A cesquestions non résolues se sontajoutées celles de la Libye et des tensions de plus en vives qui règnent, au sein de l’OTAN, entre la Turquie et une partie du campeuropéen. « La question, aujourd’hui, c’est : combien de temps toutcela pourratil encore tenir ? »,s’interrogeait, lundi soir, un diplomate européen.
jeanpierre stroobantset jeanfrançois chapelle
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6 | PLANÈTE MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Au Japon, des inondations sur fond de virusLa nécessité de prévenir les contaminations complique les secours après la catastrophe, qui a fait 49 morts
tokyo correspondance
C’ est une épreuve quise superpose à uneautre. Les fortespluies tombées sur
la région japonaise du Kyushu(sudouest), qui ont déjà causé lamort de quaranteneuf personnes, s’ajoutent aux craintes depropagation du SARSCoV2, quia contaminé 20 000 personnes et entraîné près de 1 000 décèsdans l’Archipel.
La menace contraint les autorités à prendre des mesures de prévention, tout en protégeant lespopulations des inondations etdes glissements de terrain, qui sepoursuivent.
Mardi 7 juillet, le ministère duterritoire et des transports a dûse résoudre à ouvrir le barrage deShimouke, dans le départementd’Oita (Kyushu), avec le risque defaire monter un peu plus le niveau des eaux en aval. De quoi inquiéter, dans une région durement touchée depuis le 3 juillet.
Le premier ministre, ShinzoAbe, a demandé le passage deszones sinistrées sous le statut de« catastrophe naturelle » dans lesmeilleurs délais, « pour une reconstruction rapide ». Il avaitauparavant ordonné le déploiement de 40 000 policiers, pompiers et membres des Forces japonaises d’autodéfense, dans larégion sinistrée.
Séparations en cartonPlus de 500 millimètres de précipitations sont tombés en troisjours sur de larges zones duKyushu et la pluie pourrait, selonl’agence de météorologie (JMA),durer jusque dans la matinée du 8 juillet. La JMA maintient son niveau 5 – le plus élevé – d’alerte spéciale aux fortes précipitations dans certaines zones du nord du Kyushu. Elle a émis unniveau d’alerte élevée sur unelarge partie de l’archipel, le frontpluvieux se dirigeant vers leNordEst. « Nous voulons que les habitants des zones soumises auxalertes spéciales prennent immédiatement des mesures pour assurer leur sécurité », a déclaré Yoshihisa Nakamoto, responsable des prévisions de la JMA.
Sur le terrain, les autorités ontrecommandé à 1,22 million depersonnes d’évacuer. Elles lefont, avec la contrainte supplémentaire d’éviter la propagation du coronavirus. Un peu plus de1 000 cas de Covid19 ont été détectés dans le Kyushu.
Dans les centres d’évacuation, leplus souvent des gymnases, les autorités prennent la températurede chaque personne et ont aménagé l’espace pour maintenir la distanciation physique. « Un centre peut accueillir normalement soixante évacués. Pour respecter lesdistances, nous limitons la capacitéà trente et demandons à certains dese rendre dans un autre refuge », a déclaré à l’agence de presse Kyodo Toshihiko Nakamura, responsable des pompiers de Minamata, dans le département de Kumamoto.
La mairie d’Amakusa, égalementà Kumamoto, demande aux déplacés de se désinfecter les mains et de vérifier leur température corporelle. Une personne en quarantaine ayant dû évacuer a été orientée vers un centre équipé de compartiments individuels. Dans le département voisin de Kagoshima, les autorités veillent à bien ventiler la centaine de centres ouverts. Le gouvernement a expédié des séparations en carton et des thermomètres sans contact.
La menace de contaminationdissuade certains habitants de se rendre dans les centres d’évacuation. Certains restent dans leur voiture. La ville de Kagoshima avait mené, en juin, une campagne pour inciter les habitants, en cas de catastrophe, à se réfugier prioritairement chez des parents ou des amis, afin de réduire le risque d’infection dans les centres.
Typhons de plus en plus violentsCette catastrophe sur fond d’épidémie a un impact économique. Le ryokan (auberge traditionnelle) Yoshino de la ville d’Hitoyoshi, inauguré en 1934 et dont les bâtiments sont classés, a été ravagé par la montée des eaux. Il avait rouvert en juin, après trois mois defermeture en raison de la crise sanitaire. « Il faudra au moins un an pour tout reconstruire », se désole le directeur, Yoshihiro Taguchi.
Le Covid19 représente un défisupplémentaire dans un pays où se multiplient les catastrophes naturelles liées au climat. « Le nom
bre annuel d’inondations et de tempêtes extrêmes au Japon est le double de celui du pays “moyen”. Les événements météorologiques extrêmes ont été plus fréquents ces dernières années et, avec l’accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, les inondations et les tempêtes pourraient doubler en treize ans », explique Vinod Thomas, ancien viceprésident de la Banque mondiale et coauteur d’une étude sur les effets des émissions de CO2 sur les catastrophes hydrométéorologiques, parue, en janvier 2020, dans le Climate, Disaster and Development Journal.
« Les pluies torrentielles observées sont traditionnellement provoquées par le front stationnaire Baiu, qui amène de l’humidité selonun flux nordest sur l’Asie de l’Est, dont le Japon, depuis la moussonindienne. Ce front se forme chaqueannée en juinjuillet dans le sud duJapon. Il provoque de fortes pluies et des glissements de terrain », explique Jonathan Belles, météorologue du site Weather.com.
Or, le niveau d’humidité ambiant pourrait être supérieur à lamoyenne, comme il le fut en 2018et 2019, ce qui expliqueraitl’abondance des pluies. La catastrophe actuelle du Kyushu coïncide avec le deuxième anniversaire des inondations ayant fait296 morts dans les départementsd’Hiroshima et d’Okayama (ouest).Les 4 300 personnes qui avaient
La pollution aux microplastiques affecte aussi les terresLa présence généralisée de particules pourrait modifier le fonctionnement des sols, des végétaux et de l’atmosphère
D epuis plusieurs années,l’impact de la pollutionaux plastiques dans les
océans est largement étudié. Maisles effets sur les écosystèmes terrestres sont encore méconnus.
Pourtant on sait aujourd’huique le plastique se retrouve sur la totalité du globe. Début juin, des scientifiques américains ontdécouvert que l’équivalent de120 millions de bouteilles en plastique se déversait chaque année sur les parcs nationaux des EtatsUnis par l’intermédiaire des eaux de pluie. Quelques semaines plus tard, une autre étude américaine faisait état de la pollution aux microplastiques en Antarctique,pourtant un des endroits les plus reculés de la planète.
Des scientifiques allemands del’Institut de biologie de Berlin ont voulu connaître les effets de cette
pollution sur la terre ferme. « Onne sait pas grandchose sur ce sujet,explique Matthias Rillig, chercheur à l’institut et auteur de l’étude, parue le 26 juin dans Science. La recherche sur le milieu terrestre a environ dix ans de retardsur [celle concernant] les océans. »
« Cette étude est très intéressante, confirme JeanFrançois Ghiglione, directeur de recherche
CNRS à l’Observatoire d’océanographie microbienne de BanyulssurMer (PyrénéesOrientales), qui n’a pas participé aux recherches, car c’est la première fois quedes travaux donnent l’état desconnaissances sur les microplastiques en milieu terrestre. »
Et les résultats sont alarmants :des sols aux animaux, en passant par les plantes, toutes les strates des écosystèmes terrestres sont touchées. « Nous avons par exemple observé que les particules de plastique, en particulier les fibres,peuvent induire des changementsdans la structure des sols, expliqueMatthias Rillig. Alors que cette structure est justement une caractéristiqueclé du sol qui influence de nombreux paramètres. »
Mais l’étude montre une choseétonnante : à certaines plantes, la présence de microplastiques
pourrait être favorable. Certains végétaux voient en effet leur croissance s’accélérer en présencede polymères, probablement parce que leurs racines rencontrent moins de résistance dans lesol, selon les auteurs de l’étude.
Le cycle de l’eau est transformé« Cependant, nuance MatthiasRillig, même si certains effets peuvent être positifs pour certains végétaux, comme la croissanceaccélérée, cela signifie toujoursque d’autres plantes en pâtiront. Ainsi, s’il y a des changements dans la composition des communautés végétales, et que certaines plantes se développent mieux, çasera toujours aux dépens desautres. » De plus, de nombreux effets négatifs pourraient contrebalancer les effets positifs. Parexemple, selon l’étude, les addi
tifs contenus dans les plastiquesdiminueraient la résistance desplantes à certaines maladies.
Mais, plus étonnant encore, leplastique pourrait avoir des effets sur la quantité de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère. « Beaucoup de bactéries se développent sur les microplastiques quand ils sont dans le sol, explique M. Ghiglione. Certaines vont consommer de l’oxygène et rejeter du dioxyde de carbone, pour d’autre ce sera l’inverse. De la même manière elles vont avoir une incidence sur le cyclede l’azote. Ce que dit cette étude, c’est que ces bactéries ont un effet qu’on ne peut plus considérer comme négligeable dans les cycles des gaz et dans les sols. »
Ainsi, la présence de plastiquepourrait, dans certains cas, avoir des conséquences sur l’agriculture. « Certaines bactéries présen
tes sur les polymères vont capter des engrais, en consommant del’azote par exemple, poursuit le chercheur, donc les champs agricoles pourraient nécessiter un traitement différent selon la densitéde microplastiques dans les sols. »
« Le problème, c’est que le plastique modifie les milieux à tous les niveaux possibles », note M. Rillig. Selon l’étude, les films plastiqueet les fibres peuvent par exemple altérer l’écoulement de l’eau dans les sols et l’évapotranspirationdes plantes. Le cycle de l’eau, le bilan énergétique des écosystèmes et même les taux d’érosion sont transformés par la simple présence de ce matériau. « Nous parlons d’une immense diversité de conséquences en matière de chimie, de physique, de biologie », relève l’auteur de l’étude.
clémentine thiberge
Des personnes réfugiées dans le gymnase de Yatsushiro, dansla régionde Kyushu, lundi 6 juillet.CHARLY TRIBALLEAU/AFP
« Un centre peutnormalement
accueillir 60 évacués.
Pour respecterles distances, nous limitons
la capacité à 30 »TOSHIHIKO NAKAMURA
responsable des pompiers de Minamata
perdu leur maison vivent encore dans des logements provisoires.En juillet 2019, de fortes pluiesavaient déjà conduit les autorités à recommander l’évacuation deplus de 1 million de personnesdans le Kyushu.
En parallèle, l’Archipel subit destyphons de plus en plus violents, comme Hagibis, en octobre 2019. Dans le Pacifique, sous l’influence du réchauffement climatique, ces phénomènes se forment plus au nord, révélait, en 2019, la Société américaine de météorologie, qui constatait une « migration vers le pôle de la latitude de l’intensité maximum [des typhons] dans le nordouest du Pacifique », ce qui pourrait « influencer l’exposition aux dangers causés par les typhons ». Les régions jusquelà moins exposées, tels le centre et le nord du Japon, devraient l’être davantage pendant la saison des typhons, entre juillet et octobre. Cette année, ce sont aussi les zonesles plus touchées par le Covid19.
philippe mesmer
Les additifs contenus dans les plastiques
diminueraient la résistance des plantes à
certaines maladies
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 planète | 7
Devant les députés, la « positive attitude » de HirschLe directeur de l’APHP et son homologue du CHU de Strasbourg ont souligné leur réactivité et éludé les difficultés
P endant plusieurs semaines, ils ont été enpremière ligne dans lalutte contre la pandé
mie de Covid19. Du jour au lendemain, pour ainsi dire, ils ont dû réorganiser leurs hôpitaux, libérer des lits de réanimation, dénicher des respirateurs, récupérer les masques et les surblousesqui leur faisaient défaut.
Et pourtant, lundi 6 juillet, devant les députés de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ce qui s’est passé cesdernières semaines, Martin Hirsch, directeur de l’AssistancepubliqueHôpitaux de Paris (APHP), et Christophe Gautier, directeur général du CHU de Strasbourg, ont préféré mettre enlumière leur « mobilisation » etleur « réactivité » plutôt que leséventuels dysfonctionnements.
A la demande du rapporteurEric Ciotti, Martin Hirsch a commencé par revenir sur le taux de mortalité des patients atteints de
Covid19 dans les services de réanimation de l’APHP. Citant deuxsources de données différentes, il l’a estimé entre 25 % et 35 %, et non 43 % comme l’avait affirméDidier Raoult. L’infectiologue marseillais avait dit devant la même commission le 24 juin : « La mortalité dans les réanimations [de l’APHP] (…) est de 43 %.Chez nous, elle est de 16 % », en s’appuyant sur un rapport de la cellule de crise de l’APHP daté du 14 avril. Martin Hirsch a confirmél’authenticité de ce documentmais souligné qu’il était obsolète.
Pas de rupture des stocks« Personne ne peut donner aujourd’hui le taux de mortalité définitif pour une bonne raison :nous avons encore des patients quisont en réanimation et que nousespérons sauver », a observéMartin Hirsch, en précisant qu’une étude − Covid ICU − était en cours pour comparer les taux de mortalité en fonction de diffé
rents critères comme l’âge des patients. « Quand vous avez peu de patients en charge, vous pouvezmettre des patients plus légers en réanimation, alors que, quand vous avez beaucoup de patients à prendre en charge, vous faites ensorte que ce soit les patients gravesqui aient accès aux réanimations, ce qui a une influence sur le taux demortalité », atil rappelé.
Interrogé sur les critères d’hospitalisation, M. Hirsch a fait savoir qu’aucun « tri » n’avait été effectué parmi les patients. Un constat partagé par son homologue de Strasbourg : « Tous les critères qui ont présidé à l’admission en réanimation pendant la crise étaient identiques à ceux qui existaient avant la crise », a assuré M. Gautier.
Le directeur de l’hôpital deStrasbourg a défendu les évacuations sanitaires, insistant sur le fait qu’elles avaient précisément permis d’offrir à tous les patientsles « meilleures techniques de réanimation » lorsque la capacité
maximale des hôpitaux avait été atteinte dans l’est du pays.
Christophe Gautier est aussi revenu sur la question des pénuriesde masques. Admettant des « tensions », il a toutefois déclaré qu’iln’y avait « pas eu de rupture » dansles hôpitaux grâce aux livraisonsissues du stock national.
Selon les chiffres communiquésaux députés, l’hôpital disposait d’un stock de 125 000 masques chirurgicaux − soit environ trente jours de consommation −, avec un déclenchement de commande dès que le niveau atteignait vingt jours. « Ce qui n’étaitpas prévisible, évidemment, c’estla rupture de la filière d’approvisionnement », atil insisté.
« Il y a eu des périodes difficilesoù nous avions des incertitudes surcombien de temps nous pourrions tenir », a, pour sa part, témoigné Martin Hirsch, qui a indiqué avoir1,2 million de masques chirurgicaux en stock et 1,8 million en commande au début de la crise
pour une consommation quotidienne qui a atteint 170 000 unités au printemps (contre 37 000 l’an passé). Préférant, malgré les questions des députés, ne pas s’avancer sur les origines de cette pénurie, il a simplement confié son regret de ne pas avoir pu donner de masques aux soignants quise déplaçaient en métro.
Il a aussi raconté avoir « appeléla Terre entière » pour essayer de mettre la main sur des surblousesavant de se résoudre à recommander l’utilisation de « sacs en
plastique redécoupés ». « Cette période a été particulièrement inconfortable pour nos personnels », a souligné le patron de l’APHP.
Un peu décontenancés par lediscours très mesuré des deux directeurs, plusieurs députés se sont interrogés. « On a du mal àidentifier finalement où étaient vos difficultés », a ainsi avoué BorisVallaud (PS, Landes), revenant à la charge sur la question des stocksstratégiques d’Etat. « Estce qu’ils ont fait défaut ? Fautil reconstituer des stocks de FFP2 ? Estce que,vousmême, vous devez avoir des stocks plus importants ? », atil demandé, sans obtenir de réponse.
« J’ai un peu eu l’impressionquand même, dans la présentation des choses, d’une forme de “positive attitude”, a, quant à lui, regretté Pierre Dharréville (PCF, BouchesduRhône). Estce que vous n’avez pas été en colère à la place oùvous êtes, face à la situation dans laquelle vous vous êtes trouvé ? »
chloé hecketsweiler
Martin Hirsch a fait savoir
qu’aucun « tri »n’avait été
effectué parmi lespatients atteints
de Covid-19
Coronavirus : l’immunité croisée remise en causeL’infection par des coronavirus saisonniersne protégerait pas les enfants du Covid19
L es infections par des coronavirus saisonniers, fréquentes et responsables de
rhumes hivernaux, peuventelles contribuer à protéger contre leSARSCoV2 ? A cette question récurrente d’une immunité croisée,une étude française sur une population de 775 enfants répond par la négative. Les résultats de ce travail PEDCovid, mené par Isabelle SermetGaudelus (Inserm,Assistance publiqueHôpitaux de Paris) et Marc Eloit (Institut Pasteur), ont été prépubliés, le30 juin, sur le site MedRxiv.
Au fil de la pandémie, il est apparu que les jeunes semblaient moins touchés que les adultes, et présentaient surtout moins de formes graves de l’infection, d’où l’hypothèse d’une protection croisée, conférée par les quatre coronavirus saisonniers, auxquelschacun est exposé dès la petite enfance. Une étude américaine, publiée par la revue Cell, a récemment apporté des arguments en faveur de cette immunité croisée, en montrant que 50 % des personnes qui n’ont pas été exposées auSARSCoV2 ont des lymphocytes T4 reconnaissant ce virus.
Les chercheurs français ontabordé la question sous l’angle de la protection conférée par une infection préalable par les coronavirus saisonniers, détectée par la présence de leurs anticorps. Ils ontconstitué une cohorte de 775 enfants âgés de 0 à 18 ans, consultantou étant hospitalisés dans des hôpitaux franciliens entre le 1er avril et le 1er juin, pour un autre motif qu’un Covid19. L’étude transversale a aussi inclus trentesix jeunespatients avec un syndrome inflammatoire multisystémique, un tableau apparenté à la maladie de Kawasaki pouvant être associée à l’infection au SarsCoV2. Dans cette population, les chercheurs ont recherché des anticorps contrece nouveau virus et contre les quatre coronavirus saisonniers.
Résultat, 10 % à 15 % des enfantsavaient une sérologie positive au SARSCoV2. C’est un taux comparable à celui observé récemment par l’équipe de Robert Cohen, dansune étude sur 600 jeunes Franciliens suivis par un pédiatre libéral. Comme dans d’autres séries pédiatriques, l’infection a été
souvent peu bruyante, voire inapparente : près de 70 % de ces jeunesn’avaient jamais eu de symptômesévocateurs. Dans plus de la moitié des cas, les chercheurs ont mis en évidence des anticorps dits « neutralisants » : « Cela signifie qu’ils neutralisent le virus en laboratoire, mais, en termes cliniques, on ne saitpas quelle concentration permet deprévenir une nouvelle infection », précise la professeure SermetGaudelus, pédiatre à l’hôpital Necker et première autrice de l’étude.
Questions en suspensLa principale nouveauté de ce travail tient surtout dans la démonstration de l’absence d’immunité croisée entre coronavirus. Des anticorps contre les quatre coronavirus saisonniers ont été retrouvés chez 70 % à 100 % de ces enfants, de manière similaire entreles jeunes séronégatifs ou séropositifs au SARSCoV2, quelle quesoit l’intensité des symptômes. Cerésultat suggère que les infections par les coronavirus saisonniers ne confèrent pas de protection contre le nouveau coronavirus ni ne facilitent l’infection.
Un constat qui n’étonne pasM. Eloit. « Les immunités croisées protectrices entre virus d’espèces différentes, même d’une même famille, sont exceptionnelles, souligne le virologue. Si le nouveau coronavirus se comporte comme les coronavirus saisonniers, qui circulent malgré le très haut niveau d’immunité populationnelle montré dans l’étude, cette observation interroge sur la capacité de la population à atteindre un niveaud’immunité suffisant pour empêcher la réapparition régulière de lamaladie. » En d’autres termes, le SARSCoV2 pourrait bien s’installer durablement dans le paysage…
Bien des questions restent ensuspens : à défaut d’immunitécroisée, quel niveau de protectionconfère une première infection par ce virus et combien de temps ?« Nous aurons des éléments de réponse avec les études de cohorte, etdes essais vaccinaux chez les primates », répond M. Eloit. La cohorte d’enfants franciliens va êtresuivie pour mesurer l’évolution dans le temps des anticorps et de l’immunité cellulaire.
sandrine cabut
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8 | FRANCE MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Deux « stars » et un coup de barre à droite
I l avait promis de se « réinventer », de promouvoir « denouveaux visages » et dedonner une coloration plus
sociale et écologique à la fin de son quinquennat. Mais, finalement, Emmanuel Macron n’a pasdécidé de renverser la table.Après avoir affirmé à plusieursreprises qu’il ne changerait pas lefond de sa politique, puis avoirnommé Jean Castex à Matignon,un homme du centre droit,comme Edouard Philippe, lacomposition du gouvernement,présentée lundi 6 juillet, ressemble elle aussi à une forme de changement dans la continuité.
Alors que de « nombreuses surprises » étaient annoncées, la nouvelle équipe − composée de trente ministres et ministres délégués et un secrétaire d’Etat porteparole du gouvernement − enregistre peu de nouvelles prises. Lors d’une rencontre avec les parlementaires de la majorité, lundi soir, le nouveau premier ministre a luimême reconnu qu’il n’y avait « pas de gros changements ».
Les principales surprises sontl’arrivée de l’exministre de la santé Roselyne Bachelot à la culture et de l’avocat médiatique et souvent en conflit avec la magistrature Eric DupondMoretti à lajustice. Deux figures connues dugrand public, destinées à donnerdu clinquant à l’exécutif, parfois jugé trop terne, trop « techno ».« DupondMoretti, c’est le choix paillettes du président », concèdeun intime du chef de l’Etat.
Autre enseignement : la promotion de Gérald Darmanin àl’intérieur, en remplacement deChristophe Castaner, qui avaitperdu la confiance des forces de
l’ordre. Un choix qui confirme laplace de premier plan occupéepar le maire de Tourcoing (Nord)au sein de la Macronie, après avoir réussi un sansfaute aubudget et avoir été réélu au premier tour des municipales. « Darmanin a donné des gages. Il est loyal visàvis du président et méritait cette promotion », justifieun conseiller du chef de l’Etat. Unchoix qui étonne néanmoins ausein de la majorité, où l’on souligne que ce transfuge de la droitereste proche de Nicolas Sarkozyet de Xavier Bertrand, un potentiel rival de M. Macron pour laprésidentielle de 2022.
Grands équilibres inchangésParmi les huit entrants figurentégalement la députée La République en marche (LRM) de laSomme, Barbara Pompili, qui devient ministre de la transition écologique et gagne le logement.L’exsecrétaire d’Etat sous François Hollande aura la lourde responsabilité d’incarner le volontarisme vert de M. Macron, aprèsle départ de Nicolas Huloten 2018 et le passage jugé trop effacé de sa prédécesseure, Elisabeth Borne, qui avait succédé à François de Rugy. Le député (exLRM) de MaineetLoire Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, l’exhorte à « tenir bon pour traduire sans filtre les146 engagements de la convention citoyenne et pour gagner de beaux arbitrages budgétaires ».
Audelà de ces nouveautés, lesgrands équilibres restent inchangés. Neuf ministres conserventleur portefeuille, parfois avec desajustements. Parmi les poids lourds, Bruno Le Maire garde
Bercy, en élargissant son périmètre (économie, finances) à la relance. Pas de mouvement nonplus pour JeanYves Le Drian (Quai d’Orsay), Florence Parly (défense), Olivier Véran (solidarités et santé) ou encore JeanMichel Blanquer (éducation, jeunesse et sports). Pour le reste, ce remaniement consiste essentiellement en des changements deportefeuille. Julien Denormandie prend ainsi l’agriculture, laissant le logement à EmmanuelleWargon. Autre exemple : Sébastien Lecornu passe des collectivités territoriales à l’outremer.
Une absence de nouveautés quipeut s’expliquer par la volonté d’avoir des ministres capables« d’entrer en action tout de suite »,comme l’a souhaité M. Castex, la
veille. « Ce gouvernement affiche une forme de normalisation, il ressemble davantage à la France,il est très hétérogène, très composite », vante l’Elysée. Mais ce nouvel exécutif fait aussi tiquer au sein de la Macronie. « Ce n’est qu’un jeu de chaises musicales.Pas sûr qu’on soit en train de seréinventer juste avec Bachelot et DupondMoretti », peste un cadrede LRM.
L’aile gauche de la majorité s’interroge notamment sur le poidspris par les ministres venus de ladroite. Roselyne Bachelot et Brigitte Klinkert, exLes Républicains (LR) elle aussi, viennent s’ajouter à Bruno Le Maire, GéraldDarmanin, Sébastien Lecornu, Franck Riester et Amélie de Montchalin, déjà présents. Sans comp
ter le chef du gouvernement, issu lui aussi de LR. En face, les éléments issus de la gauche − JeanYves Le Drian, Florence Parly, Barbara Pompili, Olivier Dussopt ou Brigitte Bourguignon − sont moins nombreux à occuper despostesclés. Matignon, Beauvau,Bercy… « La droite tient les rênes. La gauche est sur les accessoires etles ministres délégués », grimaceun fidèle du chef de l’Etat, quisouligne les départs de Christophe Castaner, Didier Guillaume, Sibeth Ndiaye et Nicole Belloubet,tous exsocialistes.
« Ce n’est pas un remaniementmais un reniement. Celui des valeurs fondatrices d’En marche ! et du dépassement politique », s’emporte un cadre de la majorité. « La droite paraît renforcée. Il va pourtant falloir tenir compte du résultatdes municipales, avec la poussée dela gauche et des écologistes », prévient la députée (LRM) des BouchesduRhône Claire Pitollat. Certains de ses collègues pointent du doigt un gouvernement « giscardosarkozyste » et l’évolution de LRM vers un parti de centre droit, ressemblant à l’UDF.
La veille du remaniement, l’Elysée décrivait pourtant un chef del’Etat « toujours dans l’esprit du “enmême temps” », désireux de « continuer à travailler au dépassement politique ». « La poutre va continuer à travailler des deux côtés », assurait un conseiller, promettant des « surprises » venues de la gauche. Certaines personnalités ont bien été approchées mais ont refusé les offres de l’exécutif, comme la présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, ou l’écologiste Laurence Tubiana.
Sans surprise, l’Elysée se défendde tout parti pris. Au contraire, « ce gouvernement conforte le “en même temps” prôné par le prési
dent. Les grands ministères sontaux mains de “marcheurs” de la première heure, Le Drian, Véran, LeMaire, Blanquer, le directeur de cabinet de Matignon vient de la gauche… », énumère un proche de M. Macron. De même, pas question de voir dans le nouvel exécutif l’ombre de Nicolas Sarkozy,comme accusent certains macronistes. « Péchenard, Fontenoy, Bazin n’ont pas été nommés, contrairement à ce que certains disaient, c’est la preuve que Sarkozy n’impose rien », assure un conseiller.
« La fin de l’aventure initiale »En ne reconduisant pas Christophe Castaner à Beauvau, ni SibethNdiaye au porteparolat, M. Macron coupe aussi les ponts avec leshistoriques de sa campagne de2017. Sibeth Ndiaye « a eu de bellespropositions pour continuer dans ce gouvernement, mais elle a prisla décision d’arrêter », indique son entourage, évoquant « un choixpersonnel ». Outre Gabriel Attal,qui la remplace, seuls Julien Denormandie et Marlène Schiappa sont pour l’instant sauvés par le président. « C’est la fin de l’aventure initiale », regrette un macroniste historique. « Christophe Castaner et Sibeth Ndiaye sont lesdeux grands brûlés du remaniement », concède un habitué de l’Elysée. Le premier conseil des ministres du nouveau gouvernement aura lieu mardi, avant l’annonce de la dizaine de secrétaires d’Etat, qui viendront compléter l’équipe, dans les prochains jours.
En attendant, ce nouveau casting consacre d’ores et déjà la prééminence de M. Macron.Alors qu’il avait dans un premier temps prévu de prononcer sa déclaration de politique généraledevant l’Assemblée nationale dès le milieu de cette semaine,M. Castex devra finalement attendre que le chef de l’Etat s’exprime le 14 juillet.
En juillet 2017, ce dernier avaitprocédé de la même manièreavec Edouard Philippe. Il avait déjà tracé les grandes lignes de son quinquennat devant le Parlement réuni en Congrès, à Versailles, à la veille du discours de son premier ministre.
alexandre lemarié et cédric pietralunga
L E G O U V E R N E M E N T C A S T E X
Des « grandes gueules » au gouvernement
CHRONIQUE |par solenn de royer
DES DÉPUTÉS MACRONISTES
POINTENT DU DOIGT UN GOUVERNEMENT
« GISCARDOSARKOZYSTE »
Place à « l’incarnation ». En 2017, Emmanuel Macron avait nommé des techniciens, inconnus et peu flamboyants. L’objectif affiché était de recentrer la focale sur le fond, l’action et l’efficacité, loin des ego et des effets de manche, jugés contreproductifs par les théoriciens du « nouveau monde ». Après trois ans et autant de crises (« gilets jaunes », retraites, Covid19), le chef de l’Etat fait le pari inverse. Exit les ministres qui n’ont pas « imprimé » (Pénicaud, Belloubet…), place à de fortes personnalités, identifiées par les Français. C’est le cas du ténor du barreau Eric DupondMoretti et de l’exministre Roselyne Bachelot, deux figures des émission « Les Grandes Gueules » sur RMC et « Les Grosses Têtes » sur RTL.
La promotion du maire de Tourcoing, Gérald Darmanin, qui réclamait une « politique pour le peuple », et de Marlène Schiappa, connue pour son francparler, procède du même mouvement. « C’est le gouvernement de la cause du peuple »,
analyse un proche de Macron, qui évoque l’urgence à « retrouver la France, ses valeurs, ses repères, son enracinement ».
A l’Elysée, les stratèges du président s’inquiètent en effet de la fracture entre la France d’en haut et celle d’en bas, cristallisée récemment autour du professeur marseillais Didier Raoult, héraut du « peuple » contre les élites. Ils ont étudié les résultats des municipales marqués par une abstention massive (une « rébellion politique ») et une progression des maires « divers droite » ou « divers gauche », soit des « élus de proximité ».
« La fin de la “start-up nation” »Dans un registre plus anecdotique, ces mêmes stratèges ont noté pendant le confinement que les téléspectateurs avaient plébiscité les vieux films français,ceux de Louis de Funès ou la trilogie de Robert Lamoureux (Mais où est donc passée la septième compagnie ?). « Des films du patrimoine », note un proche du chef de l’Etat, persuadé que les Fran
çais, qui se sentiraient « dépossédés sur le plan politique (mondialisation) ou culturel (communautarisme) », veulent « renouer avec un imaginaire traditionnel ».
Le remaniement ferait « écho »à cette tendance. Sont ainsi vantées, dans l’entourage du président, les qualités des promus ou des entrants : DupondMoretti, « grand avocat à la française » ; Bachelot, une « femme populaire » qui sera « ministre de la culture grand public » ; Darmanin, « produit de la méritocratie républicaine » ; Schiappa, « notre Arletty à nous ! ». Finalement, « un gouvernement qui ressemble à la France », axé sur l’« authenticité » et les « territoires », veuton croire au palais. « C’est la fin de la “startup nation” arrogante », résume un ami du chef de l’Etat.
Avec ce casting, Macron veut tenter de rompre avec son image de « président des riches », déconnecté et sans empathie. Tout en apportant une réponse à la défiance qui s’est installée avec la crise des « gilets jaunes » et la crise sanitaire.
En filigrane, ce remaniement s’inspire de Nicolas Sarkozy. Pas seulement dans le choix des personnalités (Darmanin, Castex, Bachelot…), mais aussi dans le positionnement stratégique qu’il semble dessiner pour 2022. « Macron pense que la vague populiste est plus forte que la vagueécolobobo, décrypte un familier de l’Elysée. Il va essayer de siphonner du LFI [La France insoumise], du RN [Rassemblement national] et du “gilet jaune”, comme Sarkozy, qui s’était présenté comme candidat du peuple contre les élites en 2007, avait fait avec le Front national. » La récente attention portée à des figures médiatiques, comme JeanMarie Bigard, Didier Raoult ou Eric Zemmour, relèverait de cette stratégie.
Reste à savoir si ce nouveau visage de la Macronie, voulu « plus incarné » et « populaire », convaincra les Français. A la veille du remaniement, selon un sondage Elabe, ils étaient 60 % à ne pas faire confiance au président.
Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, lors de l’annonce du gouvernement, à l’Elysée, le 6 juillet. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Eric DupondMoretti nommé à la justice et Roselyne Bachelot à la culture sont les seules véritables surprises du nouveau gouvernement, qui consacre une belle place aux anciens du parti Les Républicains
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 france | 9
C’ est sans conteste laplus belle promotion de cette cuvéegouvernementale.
Nommé en remplacement deChristophe Castaner, lundi, Gérald Darmanin est devenu à37 ans le plus jeune ministre del’intérieur de la Ve République. Après trois années passées à Bercy avec le portefeuille de l’action et des comptes publics, il hérite d’un des postes régaliens dans le gouvernement formé par le nouveau premier ministre, Jean Castex.
Plusieurs obstacles se dressaientpourtant sur la route de l’ancien membre du parti Les Républicains(LR) pour obtenir ce ministère très convoité. Il n’a pas pour lui d’être un fidèle de la première heure du président de la République, comme Gérard Collomb et Christophe Castaner. Une qualité que l’on exige souvent du ministre de l’intérieur, l’un des hommes les mieux informés de France.
Proche de Nicolas Sarkozy et deXavier Bertrand, le jeune maire de Tourcoing (Nord) a réussi à gagner au fil du temps les faveurs d’Emmanuel Macron. Gérald Darmanin n’a pas non plus à son crédit la réputation d’être un expert des questions de sécurité. Sa nomination a d’ailleurs été accueillie avec
une circonspection polie par les syndicats de police.
Mais l’homme a montré à Bercysa force de travail. Réputé bosseur, il s’est affirmé comme l’un des rares ministres politiques dans un gouvernement de technocrates. Lestyle direct, à la fois proche des gens et volontiers caustique, et les origines sociales populaires qu’il met en avant, ont fait mouche dans sa précédente fonction. De quoi valoir au duo qu’il formait avec le flegmatique Bruno Le Maire le surnom de « Danny Wildeet Brett Sinclair », l’Américain gouailleur et l’aristo britannique guindé, héros de la série Amicalement vôtre. Il faudra autre chose qu’un numéro d’artiste pour résoudre la crise qui mine le ministère de l’intérieur et l’institution policière qui en dépend.
Risque judiciaireAprès avoir traversé difficilement l’épisode des « gilets jaunes » et la crise sanitaire liée au Covid19, les forces de l’ordre font désormais face aux accusations de violences policières, de racisme, et plus généralement à une remise en cause de leurs pratiques. Un discours maladroit de Christophe Castaner, prononcé le 8 juin, a achevé de semer la pagaille dans les rangs.
Après un mois de manifestations nocturnes, les policiers ont obtenugain de cause avec le départ du ministre. M. Darmanin est prévenu.
Ces derniers temps, Gérald Darmanin avait distillé les messages, faisant montre d’une ambition assumée. Le 24 mai, il posait en une du Journal du dimanche sous le titre : « Je veux peser ». Le message a été entendu par Emmanuel Macron. Pour ce faire, le chef de l’Etat afait fi du risque judiciaire. Le nouveau ministre de l’intérieur fait en effet l’objet d’une enquête à la suited’une accusation de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance qu’il aurait commis en 2009.
Il avait bénéficié d’un nonlieuen 2018. Mais la cour d’appel de Paris a ordonné début juin la reprise
des investigations. Gérald Darmanin est désormais à la tête des services chargés d’enquêter sur lui. L’Elysée a fait savoir lundi soir qu’ilne s’agissait nullement d’un « obstacle » à sa nomination.
Savoir-faire en réformesLe nouveau locataire de Beauvau est l’un des ministres avec la feuille de route la plus chargée du gouvernement. La police de sécurité du quotidien, principale promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 sur le volet sécurité, a bien été créée par Gérard Collomb, mais Christophe Castaner a échoué à lui donner une véritable identité. Elle se résume aujourd’hui principalement à une question d’affectation de postes
dans les quartiers sensibles. Le schéma national du maintien de l’ordre qui devait être publié en début d’année dort toujours dans les cartons. Tout comme le Livre blanc de la sécurité intérieure, quidevait redéfinir la politique gouvernementale en la matière et préfigurer une ambitieuse loi de programmation. Quant à la Préfecture de police de Paris, dont on a annoncé maintes fois le démantèlement ces dernières années, elle tient plus que jamais debout, avec un Didier Lallement à sa tête qui sort renforcé de cette crise, lui qui a semblé être davantage aux côtés des troupes que de son ministre pendant la fronde.
S’il n’a pas d’expérience en matière de sécurité, Gérald Darmanin
Gérald Darmanin veut « peser » à l’intérieurProche de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand, le maire de Tourcoing remplace Christophe Castaner
peut faire valoir un savoirfaire en termes de réformes. A son actif parexemple, la périlleuse application d’une mesure héritée du précédent quinquennat et maintes fois repoussée : le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Se posant en défenseur du pouvoir d’achat, il a également fait passer une loi pour le droit à l’erreur en matière fiscale dans les entreprises et c’est sous son mandat qu’a été assoupli le « verrou de Bercy », ce monopole de l’administration fiscale sur les poursuites pénales en matière de fraude fiscale. La réorganisation de l’administration fiscale dans les régions luivaudra davantage de critiques.
nicolas chapuis et audrey tonnelier
▶▶▶
son sort faisait peu de doute tant il incarnait les difficultés de la précédente équipe gouvernementale. Christophe Castaner n’a pas été reconduit au poste de ministre de l’intérieur par Jean Castex. C’est la fin d’un parcoursmouvementé pour ce ministre arrivé place Beauvau le 16 octobre 2018, à la faveur de la démission surprise de Gérard Collomb. Malgré son lien indéfectible avecEmmanuel Macron, il aura souvent donné l’image d’un homme peinant à habiter la fonction, toutau long des vingt et un mois passés aux commandes..
A peine un mois après sa promotion, du secrétariat d’Etat aux relations avec le Parlement au ministère de l’intérieur, commençait le mouvement des « gilets jaunes ». Et, avec lui, le plus long épisode de maintien de l’ordre de la Ve République. Le terrorisme ne lui aura pas été épargné, frappant même au cœur de la préfecture de police de Paris, avec l’attaque d’un agent qui a tué en octobre 2019 quatre deses collègues avant d’être luimême abattu. Enfin, il aura dû gérer le confinement de la France, dans lequel les forces de l’ordre ont joué un rôle central, malgré l’absence de masques.
Sa relation avec les forces de l’ordre aura été ambiguë tout au long de son passage à Beauvau. La nomination en tant que secrétaire d’Etat de Laurent Nunez, ancien patron de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), avait dès le départ donné l’impression qu’il fallait un spécialiste à ses côtés. Tout d’abord apprécié pour son francparler, Christophe Castaner a rapidement fait face à une fronde syndicale réclamant des augmentations. Une demande quiarrivait après le saccage de l’Arc de triomphe, le 1er décembre 2018. Surordre d’Emmanuel Macron, il avait très rapidement cédé à ces revendications. « Ce jourlà, on a compris qu’il n’était pas le vrai patron », raconte un leader syndical.
Tout à sa volonté de soutenir lestroupes mobilisées sur des opérations de maintien de l’ordre extrê
mement compliquées, Christophe Castaner a incarné pour les manifestants le déni des violencespolicières, une expression qu’il aura toujours contestée. Le bilan est cependant extrêmement lourd. On compte des milliers de manifestants blessés, des dizainesd’entre eux gravement mutilés, des centaines de vidéos mettant en cause la police et la gendarmerie… et deux personnes qui ont perdu la vie : Zineb Redouane, uneoctogénaire victime d’un tir de grenade lacrymogène à Marseille ;et Steve Maia Caniço, tombé dans la Loire à Nantes lors de la Fête de la musique 2019, alors que la police procédait à une évacuation duquai où il se trouvait.
Nombreuses bourdesLe soutien sans faille apportéaux forces de l’ordre par M. Castaner n’a pas payé. Car, de l’autrecôté, ses nombreuses bourdes– comme l’invention d’un saccage de la PitiéSalpêtrière pardes manifestants le 1er mai 2019ou sa communication trop hâtive sur l’absence d’antécédentsde Mickaël Harpon, l’assaillant de la Préfecture – ont diffusé uneimpression d’amateurisme. L’épisode de sa virée nocturnedans une boîte de nuit parisienne, au soir d’un « acte » des« gilets jaunes », n’a pas arrangéson image de dilettante.
Le 8 juin, sa dernière conférencede presse a achevé de dégrader ses liens avec les troupes. Il avait assuré que les fonctionnaires pour lesquels il y aurait des « soupçons avérés » de racisme seraient durement sanctionnés. Une maladresse juridique à laquelle s’ajoutait une décision controversée pour les policiers : l’annonce de la fin de la clé d’étranglement, une technique d’interpellation utilisée notamment sur Cédric Chouviat, un livreur à scooter décédé le 5 janvier des suites de son arrestation par quatre policiers. Il n’en fallait pas plus pour mettre les policiers dans la rue. Une mobilisation qui acontribué à mettre fin à son bail.
n. ch.
Castaner, vingt et un mois d’un bail mouvementé
Photographieretouchée©
AstriddiCrollalanza
SPLENDIDE ! Olivia de Lamberterie, ElleBRÛLANT. Bernard Géniès, L’Obs
DU PANACHE ET DU STYLE. Fabienne Pascaud, TéléramaUNE ÉNERGIE QUI VOUS EMPORTE. François Rey, Le JDD
DÉMENT.Marine de Tilly, Le PointHABITÉ. Éric Libiot, L’Express
BOULEVERSANT. Pascale Vergereau, Ouest FranceENIVRANT. Gaëlle Maindron, Page des Libraires
CLAIREBEREST
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10 | france MERCREDI 8 JUILLET 20200123
PORTRAIT
L’ infectiologue DidierRaoult a été nomméministre de la santé.Non, reprenons. L’avo
cat pénaliste Eric DupondMorettia été nommé garde des sceaux.L’effet est le même. Sidération. Incrédulité. Et polémique immédiate chez les professionnels de la justice. Effet de blast garanti. Les autres annonces du remaniement renvoyées dans l’ombre, oupresque. « Nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c’est unedéclaration de guerre à la magistrature », a affirmé, dès lundi 6 juillet, Céline Parisot, présidentede l’Union syndicale des magistrats. Mais les juges n’ont pas dansl’opinion la même popularité que les médecins à l’ère du Covid19.On peut donc prendre le risque dese les mettre à dos si, en échange, on gagne l’opinion.
Le président de la République enmal de popularité peut savourerson coup : il a attiré à lui le seul avocat dont tous les Français connaissent le nom, le visage, les exploits, les coups de gueule et les bons mots. Celui dont la moindre apparition dans une émission de télévision ou de radio fait bondir l’Audimat et dont la signature sur une jaquette de livre vaut garantiede bestseller. Celui qui remplit lessalles de théâtre quand il monte seul sur scène et que les cinéastes s’arrachent à l’affiche de leurs films. Emmanuel Macron a peutêtre pensé à son lointain prédécesseur, François Mitterrand,confiant en 1992 le ministère de la ville à une personnalité aussipopulaire que controversée,l’homme d’affaires, exanimateur de télévision et patron d’équipessportives Bernard Tapie, dans le gouvernement crépusculaire de Pierre Bérégovoy.
A moins qu’un autre exemple,bien plus récent, n’ait inspiré le président de la République. Confronté aux audiences enberne de sa station de radio, Arnaud Lagardère, patron dugroupe éponyme et exdirecteur d’Europe 1, venait de décider d’offrir à la rentrée de septembre une chronique matinale quotidienne à… Eric DupondMoretti. Interrogé le 24 juin sur cette même radio, l’avocat confiait : « J’ai acceptésans hésiter. On m’offre une carte blanche de totale liberté. » Ilpromettait de « dire un certainnombre de choses sur cette époquequi commence à [l]’exaspérer ».
Clientèle de voyousAvant d’être, à 59 ans, celui quedeux hommes de pouvoir se disputent, Eric DupondMoretti a étéle plus grand avocat d’assises de sa génération. A la fin des années 1990, pendant que les plus réputés de ses confrères pénalistes parisiens abandonnaient peu à peu leur clientèle de voyous, de trafiquants de stup, de braqueurs ou de violeurs pour celle des personnalités politiques et des grands patrons poursuivis par la justice, l’avocat lillois continuait de défendre « le Gitano qui a éventré une vieille femme pour lui piquer 40 euros », selon sa formule.
Le futur ténor naît dans ces« heures sombres où vous tournez la clé de contact, quand le type quevous avez défendu vient de prendre quinze ans et que vous refaites tout le procès, avec l’odeur de la sueur qui remonte, les lumièresblanches sur l’autoroute, la fatigueet le sandwich au thon dans la station essence ». Sa notoriété ne dépasse alors guère les frontières du
Nord, mais son exceptionnel talent d’orateur impressionne déjà les jurés d’assises. Parmi eux, sapremière épouse et la mère de sesenfants, dont il est séparé depuis :« Je l’ai trouvée très belle, j’ai plaidé pour elle », racontaitil.
Acquittements inespérésL’affaire d’Outreau le projette surle devant de la scène. Avocat deRoselyne Godard, l’une des dixsept personnes renvoyées pour viols, agressions sexuelles ou corruption de mineurs devant la cour d’assises du PasdeCalais, à SaintOmer, en 2004, il fait voler en éclats l’instruction du jugeFabrice Burgaud, obtient l’acquittement de sa cliente et s’impose comme la voix qui dénonce l’undes plus graves dysfonctionnements judiciaires de la décennie.
La carrière d’Eric DupondMoretti est lancée. On le réclame dans toutes les prisons de France, il sillonne les cours d’assises du
nord au sud, d’est en ouest, devient le champion des acquittements inespérés. On redoute l’artiste des prétoires qui sait renifler comme personne l’atmosphère d’une salle d’audience et surtoutparler aux jurés dans la languequi est la leur et pas celle du code de procédure pénale. « Il faut que les jurés aient envie de prendre le Ricard avec vous, pas le champagne, confiaitil en 2008. Devant une cour d’assises, on parletoujours de la même chose : de l’amour, de papamaman, de safemme, de ses gosses. Avec les mots des pauvres gens, comme dit Ferré. Moi, j’adore les mots, mais jedéteste la littérature. »
Pendant que, dans les écoles dubarreau, il est consacré comme le meilleur d’entre eux, il n’est pas une promotion de futurs magistrats, pas une session de formation continue de l’Ecole nationale de la magistrature sans que le nom de DupondMoretti soitévoqué avec colère. Son bâtonnierreçoit des plaintes en rafale de magistrats « outragés » par le pénaliste. « On dit que je terroriseles juges. C’est faux, je terrorise lescons », revendiquetil.
A JeanClaude Decaux, le patrondu groupe du même nom, qui l’invite un jour à déjeuner au débutdes années 2000 pour lui demander conseil, il répond que les domaines dans lesquels l’homme d’affaires pourrait avoir besoin delui ne sont pas les siens. Mais il ajoute : « Si un jour vous tuez votre femme, je serai là. »
Le nom d’Eric DupondMorettiest alors associé aux plus belles af
faires criminelles. Il défend les nationalistes corses, dont Yvan Colonna, comme les grandes figuresmafieuses insulaires, l’exvedettenationale de rugby Marc Cécillon, le professeur de droit de ToulouseJacques Viguier ou le médecin JeanLouis Muller, accusés l’un etl’autre du meurtre de leur femme.Les acquittements s’ajoutent auxacquittements, il en a longtempstenu le compte scrupuleux.
Devant la cour d’assises spécialequi, à l’automne 2017, juge Abdelkader Merah, le frère de Mohammed Merah, auteur des attentats qui ont coûté la vie à sept personnes à Toulouse, dont trois enfantsjuifs, il déclenche une tempête en s’indignant des questions posées par les parties civiles à la mère desdeux hommes, citée à la barre destémoins. « Cette femme, c’est la mère d’un accusé, mais c’est aussi la mère d’un mort », lancetil.
Invité le lendemain surl’antenne de France Inter, il foudroie le journaliste Nicolas Demorand qui lui demande :« Vous ne trouvez pas ç a obscène de le dire comme ça, devant les familles de victimes ?
– Pourquoi, c’est pas une mère ?Cette femme n’est pas une vache qui a vêlé. Votre question est obscène. »
A l’audience, juste avant cetéclat, on l’avait entendu murmurer : « Putain, si c’était à ma mère qu’on faisait ça… »
Eric DupondMoretti est aussicela : le fils unique d’une femme de ménage italienne, orphelin d’un père mort quand il avait 4 ans. Il y puise sa rage de réussir,
socialement et financièrement, sa volonté d’être le « premier avocat de France » et le plus redouté,mais aussi le besoin, inextinguible, d’être aimé et admiré. Mais « l’ogre » des assises commence à s’y ennuyer. Il veut lui aussi des chefs d’Etat africains, des personnalités politiques, des patrons duCAC 40 dans son portefeuille declientèle. En janvier 2016, il quitte le barreau et son bureau de Lillepour installer son cabinet dans le triangle d’or parisien, rue de la Boétie, dans le 8e arrondissement de Paris. Les clients affluent. Le roidu Maroc, des anciens ministres,dont Jérôme Cahuzac ou le maire de LevalloisPerret Patrick Balkany, renvoyés devant la justicepour fraude fiscale.
Blagues sans filtreL’avocat qui murmurait à l’oreille des jurés et savait arracher leur clémence en faveur des accusés des crimes les plus lourds ne rencontre pas le même succès auprèsdes magistrats professionnels qui composent les chambres financières. Sa gouaille devient grossièreté, ses coups de gueule n’effraient personne et butent sur latechnicité des dossiers dans lesquels ses confrères pénalistes des affaires obtiennent de meilleurs résultats que lui. Le plus grand desavocats d’assises touche sonplafond de verre.
Alors il prend la tangente, vachercher auprès du public qui sepresse à son onemanshow, les applaudissements et l’admirationqui sont son oxygène. Y rencontreBrigitte Macron, qui vient le félici
Eric DupondMoretti, à Bobigny, en janvier 2015. JOEL SAGET/AFP
L E G O U V E R N E M E N T C A S T E X
DupondMoretti, un « ogre » des assises à la justiceA 59 ans, le très médiatique avocat pénaliste devient garde des sceaux. Sa nomination irrite les magistrats
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ter. Fait l’acteur sur les écrans de cinéma. Accourt dès qu’on le sollicite sur les plateaux de télévision et dans les émissions de radio, toujours aussi affamé de notoriété. A un ami lillois qui lui demandait récemment pourquoi il continuait d’accepter autant d’invitations, il a répondu : « J’ai tellement peur que ça s’arrête. »
Ses formules à l’emportepiècecontinuent de ravir téléspectateurs et auditeurs. Il tempêtecontre la limitation de vitesse à80 km/h, se moque de la féminisation des noms − « Pourquoi pasécole paternelle et la matinoire ? » −, se fige dans son personnage d’amateur de havanes,de viande saignante et de blaguessans filtre. « Nous vivons une époque avec laquelle j’ai un peu demal. Nous sommes dans un tempsde médiocrité absolue, hypermoraliste et hygiéniste », ne cessetilde répéter au risque de ratiociner. Il cogne toujours autant surles juges, dénonce leur soumission à l’air du temps, rêve de supprimer l’Ecole nationale de la magistrature et le lien entre le parquet et le siège. Il y a quelquesjours, il tonnait encore contre lesmagistrats du Parquet national financier (PNF) à propos d’uneenquête menée en marge de l’affaire qui vaut à l’un de sesmeilleurs amis, l’avocat et conseil de Nicolas Sarkozy, ThierryHerzog, d’être poursuivi au côtéde l’ancien président de la République pour trafic d’influence. Dans le cadre de cette enquête, les procureurs cherchaient à savoir qui avait pu informerThierry Herzog que le téléphoneocculte qu’il utilisait pour s’entretenir avec Nicolas Sarkozyétait sur écoutes. Les fadettes de plusieurs avocats avaient étéépluchées et leurs téléphonesgéolocalisés, dont celui d’EricDupondMoretti, qui a porté plainte. Il l’a retirée dans la fouléede sa nomination à la chancellerie, a fait savoir l’Elysée.
Mais face aux protestations desténors et à l’émoi du barreau de Paris, l’exgarde des sceaux NicoleBelloubet avait demandé le 1er juillet à l’inspection générale de la justice de « conduire uneinspection de fonctionnement sur cette enquête », dont les conclusions doivent être rendues le 15 septembre. Elles seront donc déposées sur le bureau de son successeur… Eric DupondMoretti.
L’associé de son cabinet,Antoine Vey, a pour sa part préciséqu’Eric DupondMoretti a été omis du barreau dans la foulée de son entrée au gouvernement. Sa nomination pose toutefois la question des remontées d’information sur les affaires judiciaires en cours auxquelles il aura accès et qui sont susceptibles de concerner son ancien cabinet.
Il y a un an, alors que la rumeurd’un remaniement courait, unémissaire de la présidence de la République avait confié, à l’un desavocats les plus réputés de Paris, qu’Emmanuel Macron « cherchait son Badinter ». Il a peutêtre trouvé son Didier Raoult.
pascale robertdiard
« ON DIT QUE JE TERRORISE
LES JUGES. C’EST FAUX, JE TERRORISE
LES CONS ȃRIC DUPOND-MORETTI
avocat pénaliste
L’AFFAIRE D’OUTREAU LE PROJETTE SUR LE
DEVANT DE LA SCÈNE. IL S’IMPOSE COMME
LA VOIX QUI DÉNONCE L’UN DES PLUS GRAVES DYSFONCTIONNEMENTS
JUDICIAIRES DE LA DÉCENNIE
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12 | france MERCREDI 8 JUILLET 20200123
A Bercy, la « relance » de Bruno Le MaireA la tête d’un ministère élargi, l’exLR sera épaulé par Olivier Dussopt, Agnès PannierRunacher et Alain Griset
L e symbole est clair, à défaut d’être subtil. Lundi6 juillet au soir, BrunoLe Maire a été nommé mi
nistre de l’économie, des finances« et de la relance » dans le premier gouvernement de Jean Castex. Ces quatre mots, ajoutés à la fonction de celui qui occupe depuis trois ans le sixième étage deBercy, soulignent l’importance que l’exécutif entend porter au soutien de l’économie, en récession après la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid19.
Un plan de relance ou de « rebond » est attendu à la rentréepour faire suite aux différentes mesures d’urgence prises depuis quatre mois. C’est aussi une manière de conforter BrunoLe Maire, en première ligne durant la pandémie pour coordonner les aides d’Etat et les soutiens sectoriels aux secteurs les plus sinistrés.
L’ancien du parti Les Républicains (LR), dont le nom avait été cité à plusieurs reprises dans les dernières semaines comme possible prétendant à Matignon, et qui assurait toujours en public vouloir rester à son poste, est désormais seul ministre aux commandes à Bercy, sans la caution « droite sociale » de Gérald Darmanin, parti au ministère de l’intérieur. Il aura auprès de lui trois ministres délégués : Olivier Dussopt, chargé des comptes publics, Agnès PannierRunacherà l’industrie, et Alain Griset pour les PME.
Franchir le Rubicon« On récupère tout Bercy, se félicitait lundi soir l’entourage deBruno Le Maire. C’est une reconnaissance du travail accompli, dela constance et de la cohérence à continuer notre politique de l’offre,tout en prenant en compte les plus faibles et l’environnement. » « On revient au Bercy des années Hollande, avec un ministre quiporte tout. C’est un peu étonnantvu les enjeux budgétaires actuels »,
estime Eric Woerth, président LRde la commission des finances de l’Assemblée nationale.
« C’est une victoire pour Le Maire,glisse un habitué des couloirs dela “forteresse”, mais peutêtre pas totale vu l’intitulé du portefeuille de Franck Riester. » L’ancien ministre de la culture hérite en effet au ministère des affaires étrangères d’un portefeuille « commerce extérieur et attractivité », ce dernier domaine étant traditionnellement du ressort de Bercy.
L’arrivée d’Olivier Dussopt aubudget, auparavant secrétaired’Etat à la fonction publique, n’estpas totalement une surprise. Malgré une enquête du Parquet national financier qui le vise pour avoirreçu deux lithographies en cadeau en 2017, alors qu’il était maire d’Annonay et député de l’Ardèche, le nom de ce transfuge du PS rallié à Emmanuel Macron ennovembre 2017 revenait régulièrement pour succéder à M. Darmanin. Il a gagné ses galons en menant avec les syndicats la délicate réforme de la fonction publique. « Olivier Dussopt est très bon en fiscalité des collectivités. Il a un bon sens politique et s’est formé auprès de Gérald Darmanin », apprécie le rapporteur LRM du budget Laurent SaintMartin.
A l’industrie, Agnès PannierRunacher, jusqu’ici secrétaire d’Etatauprès du ministre sans attribution précise, prend elle aussi dugalon. Cette inspectrice des finan
ces passée par le privé continuera au demeurant à suivre des dossiers qu’elle avait déjà pris en main. « L’industrie a été pour nous un cheval de bataille depuis le début du quinquennat. On veut réindustrialiser le pays mais compte tenu de la crise, on sait aussi qu’on aura beaucoup de problèmes industriels », indiqueton à Bercy.
En revanche, rares sont ceuxqui s’attendaient à voir Alain Griset entrer au gouvernement.Chargé des PME, cet inconnu dugrand public était jusqu’à présentprésident de l’Union des entreprises de proximité (U2P), maisBercy s’empresse de mettre enavant son ancien métier d’artisantaxi. Le sexagénaire originaire duNord a pris les rênes du syndicat patronal en 2017 – son mandat
devant s’achever en 2021. Pour lenouveau premier ministre, JeanCastex, cela permet d’afficherune prise patronale. « La nomination d’un ministre des PME, quiplus est ancien syndicalistepatronal, comme celle d’un ministre de l’industrie est une bonne nouvelle pour la relance », se félicite Geoffroy Roux de Bézieux,président du Medef.
Le choix de M. Griset a cependant surpris : il est rare de voir lenuméro un d’une organisationd’employeurs ou de salariés franchir le Rubicon. « Nous, on ferait ça, on nous pendrait immédiatement ! », confie un dirigeant d’un syndicat. Un autre fait remarquer que « s’il y a quelqu’unqui connaît les petites entreprises,c’est lui, même s’il n’a jamais eu de
salariés. Par contre, il ne sait pasce que sont les PME. Reste à savoirquelle sera sa marge demanœuvre visàvis de Bercy »…
Déconcentration de l’EtatDernier changement de taille : leportefeuille de l’action publiquesort du giron strict de Bercy. Dumoins sur le papier, puisqueAmélie de Montchalin, économiste de formation et jusqu’à présent secrétaire d’Etat chargée des affaires européennes, a été nommée ministre de la transformation et de la fonction publiques.Lundi soir, son entourage assurait ne pas encore savoir si son bureau serait ou non installé au ministère de l’économie.
Sa mission pourrait être stratégique alors que le chef de l’Etat
entend faire de la déconcentration de l’Etat un axe majeur de lafin du quinquennat, en laissantles élus locaux davantage à la manœuvre. Mais « ce n’est pas que la réforme de l’Etat, assure son entourage. Il s’agira de passerau crible les politiques publiques,de les cibler par populations, par critères d’accès, et de dialogueravec tous les ministères. La crise aaussi montré que les Français enont assez de la bureaucratie ».
La nouvelle ministre déléguée,issue de l’aile droite de la majoritéet diplômée de HEC, sera également chargée de l’épineuse réforme de l’ENA, sur la sellette depuis la crise sociale des « gilets jaunes » fin 2018.
raphaëlle besse desmoulièreset audrey tonnelier
Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, dans son bureau, à Bercy, le 9 avril. OLIVIER CORET/DIVERGENCE
« ON REVIENT AU BERCY DES ANNÉES HOLLANDE, AVEC UN MINISTRE QUI
PORTE TOUT. C’EST UN PEUÉTONNANT, VU LES ENJEUX
BUDGÉTAIRES ACTUELS »ÉRIC WOERTH
président de la commission des finances de l’Assemblée
Au travail, Elisabeth Borne devrait hériter de la réforme des retraitesL’ancienne ministre des transports et de la transition écologique devra gérer les conséquences sur le marché de l’emploi de la crise due au Covid19
L a tâche s’annonce rudepour Elisabeth Borne.Nommée, lundi 6 juillet,
ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, en remplacement de Muriel Pénicaud qui quitte le gouvernement, elle va affronterles conséquences ravageuses de larécession entraînée par l’épidémie de Covid19. Et un dossierexplosif devrait tomber dans son escarcelle : la réforme des retraites, qui avait été suspendue au début de la crise sanitaire et que l’exécutif vient de relancer, avec l’intention d’aller vite.
Sa désignation constitue unesurprise pour tous ceux qui voyaient Gérald Darmanin occuper le poste – avec des responsabilités très larges couvrant tout lespectre des affaires sociales. Lundi soir, sur Twitter, cette polytechnicienne, qui avait intégrél’équipe d’Edouard Philippe, dès mai 2017, après avoir été la collaboratrice de personnalités socialistes (dont Ségolène Royal), s’estdite « déterminée à relever les défis économiques et sociaux des mois à venir ».
Mme Borne n’arrive pas en terrain complètement inconnu. Avant d’être ministre des trans
ports (de mai 2017 à juillet 2019), puis chargée de la transition écologique et solidaire au sein du gouvernement, elle avait exercédes responsabilités importantes dans des entreprises publiques : à la SNCF, tout d’abord, de 2002 à 2007, en tant que directrice de la stratégie, puis à la RATP, dont elle a pris la présidence en 2015. Une expérience qui lui a permis de se frotter à des syndicats exigeants.
Dossiers brûlantsSi « elle ne s’est pas beaucoup occupée de sujets d’emplois » jusqu’àprésent, « elle a une grande habitude des relations sociales », résume Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et président de la société de conseil Alixio. Un atout, à l’heure où les organisations d’employeurs et de salariésattendent que les décisionssoient le fruit d’une réelle concertation et non plus dictées par un pouvoir « jupitérien ».
A ce stade, les leaders patronauxet syndicaux se montrent peu diserts sur elle. « Nous avons bien travaillé avec Muriel Pénicaud, etnous espérons faire de même avec Elisabeth Borne », réagit Geoffroy
Roux de Bézieux, président duMedef. « Elle connaît les sujets », dit François Asselin, le numéro un de la Confédération des petiteset moyennes entreprises (CPME). « On jugera aux actes », indique, pour sa part, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. « Elle aune grosse aptitude de travail et semontre plutôt ouverte au dialoguesocial », selon Cyril Chabanier, lepatron de la CFTC. « Il n’y a qu’une seule chose qui pèsera, ce sera sa capacité à instaurer un lien de confiance, souligne François Hommeril, président de la CFECGC. On a toujours été bien reçus par Mme Pénicaud, mais les partenairessociaux n’étaient pas sa priorité. »
Le responsable d’une confédération exprime toutefois des doutes, à propos de Mme Borne, en précisant n’avoir « jamais entendu quelqu’un manier avec autant dedextérité la langue de bois ». Le faitde lui attribuer ce maroquininspire de « l’étonnement » au DRH d’un grand groupe : « Je nesais pas s’il y a quoi que ce soit dans son parcours qui lui aurait permis de constituer une compétence sur le sujet ou même de montrer un intérêt. Estce le signe qu’il ne va pas se passer grand
chose dans le champ travailemploi d’ici à la fin du quinquennat ? »
La prédécesseure de Mme Bornea mené à bien plusieurs réformesstructurelles, promises par Emmanuel Macron quand il était candidat à la présidentielle : réécriture du code du travail en 2017,transformation en profondeurde la formation professionnelle et de l’apprentissage l’année suivante… Mais l’agenda de la nouvelle ministre du travail n’est pas pour autant épuisé. De nombreux dossiers brûlants l’attendent. A commencer, donc, par lamise en place d’un système universel de retraites, qu’elle devraitpiloter, selon deux sources au sein de l’exécutif. Jusqu’à présent,ce chantier était entre les mainsd’un secrétaire d’Etat, Laurent
Pietraszewski, placé sous l’autorité du ministre des solidarités etde la santé, Olivier Véran.
Cette redistribution des tâchesobéit à une « logique », expliqueun conseiller : Mme Borne va êtreamenée à rencontrer très fréquemment les partenaires sociaux. La refonte des régimes depension est, de surcroît, « connectée » à des thématiques liées àl’emploi et au travail – par exemple l’aménagement des fins de carrière ou la pénibilité de certaines professions. Enfin, avancecette même source, « il n’est pas nécessaire d’empiler les réformesau même endroit ». C’estàdirechez M. Véran, dont la besace estdéjà bien garnie, entre le Ségur dela santé et les questions touchantà la dépendance.
Mise sous cloche de l’économieMme Borne va, par ailleurs, être aux avantpostes face à la vague de plans sociaux qui a commencéà s’abattre : Renault, Air France, Airbus, Nokia… Des réductions d’effectifs massives, de nature à alimenter la hausse du nombre de chômeurs, qui a repris à partir de mars dans des proportions spectaculaires, du fait de la mise
sous cloche de l’économie lors du confinement. Désormais, il y a plus de 6 millions de demandeursd’emploi, avec ou sans activité. Dujamaisvu. Le sujet est d’autantplus sensible que des arbitrages sont attendus sur le sort de la réforme de 2019, qui a durci les règles de l’assurancechômage. Laplupart des dispositions, dénoncées par les syndicats, ont, certes, été suspendues ou reportées,mais on ignore encore si le gouvernement entend les rétablir, les amender ou les abroger. Secrétaire général de FO, Yves Veyrier a la ferme intention de lui rappeler qu’il faut y renoncer. « Mon autre message portera sur la protectionde l’emploi et la revalorisation des salaires », ajoute le syndicaliste.
La ministre devrait très prochainement abattre ses cartes surd’autres thèmes, dont certains en relation étroite avec Bercy : l’emploi des jeunes, avec une série de mesures pour encourager leur embauche ; le partage de la valeur– c’estàdire la promotion de l’intéressement et de la participationdans les entreprises ; la régulationdu recours au travail détaché.
r. b. d.et bertrand bissuel
L E G O U V E R N E M E N T C A S T E X
DES ARBITRAGES SONT ATTENDUS SUR
LE SORT DE LA RÉFORME DE 2019, QUI A DURCI
LES RÈGLES DE L’ASSURANCECHÔMAGE
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 france | 13
Barbara Pompili, une écologiste ralliée à LRMLa nouvelle ministre avait été secrétaire d’Etat sous Hollande
L a nouvelle ministre dela transition écologique,Barbara Pompili, connaîtle chemin. Elle a déjà oc
cupé un bureau de l’hôtel de Roquelaure, de février 2016 à mai 2017, comme secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, auprès de Ségolène Royal, ministre dans les gouvernements socialistes de Manuel Valls puis de Bernard Cazeneuve. Elle ne connaît pas seulement les lieux mais aussi un certain nombre de thématiquesdont celle, en particulier, de laprotection de la nature : elle a porté une loi pour la reconquête de la biodiversité promulguée le8 août 2016, qui a notamment introduit la notion de préjudiceécologique dans le code civil.
Depuis juin 2017, comme présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée, elle a pu aussi se familiariser avec les protagonistes de nombre de dossiers. Mais Barbara Pompili auratelle les moyens d’incarner l’accélération de la transition écologique promise par le chef de l’Etat, et attendue par une partie des Français, ainsi que l’ont montré les résultats des élections municipales, dimanche 28 juin ?
En transmettant les clés du ministère à sa successeure, Elisabeth Borne lui lègue une tâche ardue : transcrire dans la loi et la politiquegouvernementale les propositionsde la convention citoyenne pour leclimat − remises au chef de l’Etat le21 juin −, et inscrire la transition écologique comme marqueur de la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron. La ministre est d’ailleurs numéro deux du gouvernement et hérite d’un vaste périmètre intégrant la thématique du logement, cruciale pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dont Emmanuelle Wargon sera la ministre déléguée. Le chef de l’exécutif n’a pourtant pas fait le choix d’un nom emblématique pour le ministère, comme pouvait l’être celui de Ni
colas Hulot, préférant une diplômée de sciences politiques, au passé écologiste mais ralliée à la majorité présidentielle dès 2017.
Barbara Pompili, 45 ans, est, defait, peu connue du grand public. Pas plus que ne l’étaient la plupart de ses prédécesseurs, dont François de Rugy, avec qui elle avait quitté les Verts en 2015 pour créer le Parti écologiste. Elle a ensuite rejoint La République en marche (LRM), à l’occasion de sa réélection comme députée de la Somme en juin 2017 − en juin 2012, c’est sous l’étiquette Europe EcologieLes Verts (EELV) qu’elle avait été élue.
Peser de l’intérieurDoiton voir dans son arrivée à la tête du ministère une reconnaissance pour être restée fidèle aux « marcheurs » du président et n’avoir pas rejoint les dissidents emmenés notamment par le député du MaineetLoire Matthieu Orphelin, exLRM, qui a créé, en mai 2020, le groupe parlementaireEcologie Démocratie Solidarité (EDS), comprenant dixsept députés ? « Je me souviens que, lors du projet de création de ce neuvième groupe parlementaire, des émissaires de la majorité m’ont fait passer le message d’un possible poste au gouvernement pour incarner l’écologie, en cas de renoncement », relate Matthieu Orphelin.
Barbara Pompili, qui avait assistéaux prémices d’EDS, a choisi de rester dans le giron de la majorité. Tout en prenant parfois la liberté de faire des pas de côté. Ainsi, aux dernières municipales à Amiens, elle soutenait une liste écologiste, emmenée par son compagnon, Christophe Porquier (exEELV), contre la maire sortante Union desdémocrates et indépendants (UDI), Brigitte Fouré, qui avait le soutien de LRM.
C’est néanmoins au sein de lamajorité qu’elle décide d’œuvrer, pour peser de l’intérieur, ditelle.Elle lance, fin mai 2020, un courant au sein de LRM, regroupant une cinquantaine de députés,
baptisé « En commun pour une France humaine, écologique et solidaire ». « Nous aurons aussi à concrétiser les travaux de la convention citoyenne sur le climat, fruit d’une délibération citoyenne éclairée et libre. Ils dessinent unnouveau contrat écologique », écrivent les signataires dans la tribune de lancement.
Barbara Pompili connaît les difficultés qui l’attendent. Elle dénonçait, dans une interview auMonde en mai 2016 l’influencedes « lobbys » de la chasse, de l’agriculture intensive, ou del’agrochimie. Elle a manifestéson opposition à certains intérêts, en signant par exemple, le22 juin dans Libération, une tribune contre le développementdes projets d’entrepôts et mégacentres de tri de l’ecommerce, ciblant en particulier Amazon.
L’un des premiers objectifs de laministre sera de tenir les orientations fixées dans la loi énergie climat, avec notamment l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Sur le nucléaire, la nouvelle ministre va se trouver dans une position délicate. Barbara Pompili aderrière elle un parcours de militante antinucléaire. Lors de sa réélection en 2017, elle met sur pied une commission d’enquêteparlementaire sur la sûreté et lasécurité des centrales nucléaires.Elle expliquait alors au Mondevouloir « sortir de l’opacité » sur ce sujet. Et affirmait n’être « pasd’accord » avec Emmanuel Ma
cron sur le fait que le nucléaireest une énergie d’avenir.
Or elle sera la ministre de tutelledes principaux groupes du secteur, EDF et Orano (exAreva).Mme Pompili aura ainsi à échanger avec la filière sur le chantierhors norme de l’EPR de Flamanville (Manche), et surtout à avancer sur des dossiersclés : le découpage d’EDF pour sanctuariser les activités nucléaires et surtout les projets de construction de nouveaux réacteurs. En 2018, elleestimait ainsi « absurde » cetteidée. Elle s’est également opposéeau projet Cigéo de stockage de déchets nucléaires de longue duréeà Bure (Meuse). La filière nucléaire risque donc d’accueillir fraîchement la nouvelle ministre.
Mais celleci saura certainementtrouver des soutiens du côté des professionnels des énergies renouvelables. Mme Pompili s’est régulièrement prononcée pour une accélération du développement del’éolien et du solaire. Elue de la Somme, un département très divisé entre pro et antiéolien, elle a
souvent pris parti pour desserrer les contraintes pesant sur la création de nouveaux parcs.
Sur ce sujet, elle devra faire appliquer la feuille de route énergétique de la France, qui prévoit unfort développement des énergiesrenouvelables. Et également conduire la fermeture des quatredernières centrales à charbon enFrance avant 2022. Une promessed’Emmanuel Macron qui sera difficile à tenir.
« Dans une équipe si ouvertementprochasse ou procorrida ou si peu encline à prendre sérieusement encompte les enjeux écologiques (…), la tâche paraît bien lourde », commentait, lundi 6 juillet, EELV. « L’expérience et l’engagement de Barbara Pompili pour l’environnement ne font aucun doute, mais nous sommes malheureusement sceptiques sur l’influence réelle qu’elle pourra avoir face à un président omniprésent », estimait de son côté Greenpeace.
Les marges de manœuvre dontbénéficiera Barbara Pompili devraient être rapidement connues. Fin juillet se tiendra unnouveau conseil de défense écologique, annoncé par EmmanuelMacron le 22 juin, alors qu’il recevait les membres de la convention pour le climat à l’Elysée. Uneoccasion pour le gouvernementde matérialiser son ambitionverte affichée.
rémi barroux,alexandre piquard
et nabil wakim
Nadia Hai, une élue de Trappes au ministère de la villeAussitôt après sa nomination, la nouvelle ministre déléguée a démissionné de son mandat de députée LRM
C’ est une femme qui apassé son enfance àTrappes, un des symbo
les de la France des banlieues,qu’Emmanuel Macron a choisie comme ministre déléguée à la ville. Nadia Hai, 40 ans, était depuis 2017 la députée de la 11e circonscription des Yvelines. Elle a transmis sa démission « sèche »dès l’annonce de sa nomination. Sous les couleurs de La République en marche (LRM), cette noviceen politique avait battu dès le premier tour des législatives Benoît Hamon, candidat malheureux à la présidentielle.
« Je me suis engagée à En marche ! parce que je voulais défendre l’égalité hommesfemmes, unthème qui m’est cher », avait déclaré Nadia Hai devant l’assemblée quasi exclusivement masculine qui l’avait reçue, quelques
jours après sa victoire, pour célébrer à la mosquée la rupture du jeûne du ramadan. Pour promouvoir l’égalité des chances aussi.
Durant la campagne, aucunedes figures locales n’avait prêté attention à elle. Ni Hamon ni le leader de la droite locale, JeanMichel Fourgous, n’avaient cru à l’époque que cette femme, mariéeet mère de deux enfants, pourraitleur voler avec 53 % des voix lefauteuil tant convoité.
Fille d’un ouvrier arrivé du Maroc, cadre d’une banque privée et désormais parisienne (16e arrondissement) depuis plus d’une dizaine d’années, la nouvelle ministre se souvient très bien de la manière dont la directrice du personnel de Valeo l’avait accueillie alorsqu’elle postulait pour son premier contrat en alternance, après un BTS banque et des dizaines
d’emplois en intérim. « Mais vous êtes blonde ! », s’était étonnée la DRH. A rebours des affirmations identitaires d’aujourd’hui, Nadia Hai juge que cette blondeur et « l’absence d’accent trop prononcé des quartiers » ont été une chance « pour compenser le handicap deTrappes ». Mme Hai intègre ensuitela banque HSBC dans le cadre des politiques de « discrimination positive » mises en place dans les années 2000 au sein de plusieurs entreprises privées, avant de devenir conseillère en patrimoine. En 2015, elle entre chez Barclays. C’est là que la politique la cueille : début 2017, elle adhère au comité Femmes en marche avec Macron.
Nadia Hai reste liée à la ville deson enfance, où elle a grandi et oùvit encore sa mère. Sa permanence de députée, dans la zoneindustrielle de Trappes, est le plus
souvent déserte, mais, dès qu’elle le peut, elle y convie ses collègues ministres ou députés.
A l’Assemblée, Nadia Hai estmembre de la commission des finances et viceprésidente du groupe d’études villes et banlieues. Elle évoque à plusieurs reprises cette thématique à l’Elysée avec Emmanuel Macron. En septembre 2017, après l’une de leurs rencontres, le président annonce devant les préfets son futur« plan de lutte contre la radicalisation », testé à Trappes. Il s’agit alorsde mobiliser les services publics dans des quartiers qui ont connu de nombreux départs en Syrie, comme à Trappes. Plus de 70 jeunes de cette ville de 32 000 habitants sont partis mourir au djihad – un record européen.
Premier souci pour la nouvelleministre : son siège à l’Assemblée
nationale. Son suppléant, Moussa Ouarouss, un des premiers à s’êtreengagé en 2016 au sein des Jeunes avec Macron, ne « souhaite pas » siéger, confietil au Monde. Moussa Ouarouss, qu’elle a connu en février 2017 au siège du Medef lors d’une rencontre avec l’association Les Déterminés (qui œuvrepour aider les entrepreneurs en banlieue), se trouve dans une situation délicate. Cet entrepreneur de Reims est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire dansune affaire de stupéfiants. Une élection législative partielle est donc probable, non sans risque pour LRM. A Trappes, Ali Rabeh, deGénération.s, vient de rafler la mairie à Guy Malandain, le maire divers gauche sortant, qui était soutenu par Nadia Hai et LRM.
raphaëlle bacquéet ariane chemin
LE CONTEXTE
GOUVERNEMENTAvec dix-sept femmes, quatorze hommes, seize ministres de plein exercice, quatorze ministres délé-gués et un secrétaire d’Etat porte-parole du gouvernement, le gou-vernement Castex respecte la parité. Parmi les ministres de plein exercice, une relative stabi-lité est de mise, avec seulement trois nouveaux noms.Promu premier dans l’ordre pro-tocolaire, Jean-Yves Le Drian reste ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Suivent Bar-bara Pompili, ministre de la tran-sition écologique ; Jean-Michel Blanquer, à l’éducation natio-nale ; Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance et Florence Parly aux armées. Gérald Darmanin ob-tient le ministère de l’intérieur, Elisabeth Borne celui du travail et Sébastien Lecornu les outre-mer, quand Jacqueline Gourault garde le ministère de la cohésion des territoires. Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, est dixième dans l’ordre protocolaire, quand Nicole Belloubet était deuxième. L’ancienne ministre Roselyne Bachelot est nommée à la culture ; Olivier Véran garde les solidarités et la santé tandis qu’Annick Girardin hérite d’un nouveau ministère, celui de la mer. Frédérique Vidal garde l’en-seignement supérieur, Julien De-normandie passe du logement à l’agriculture. Amélie de Mont-chalin, ex-secrétaire d’Etat aux affaires européennes, devient mi-nistre de la transformation et de la fonction publiques. Roxana Maracineanu reste aux sports, mais désormais rattachée à l’éducation nationale.Parmi les ministres délégués, on trouve cinq nouveaux entrants : Elisabeth Moreno, à l’égalité en-tre les femmes et les hommes, la diversité et l’égalité des chances ; Alain Griset, patron de l’union des entreprises de proximité (U2P) aux petites et moyennes entreprises, l’ex-présidente du Haut-Rhin Brigitte Klinkert, chargée de l’insertion, les dépu-tées Nadia Hai à la ville et Bri-gitte Bourguignon, chargée de l’autonomie. Pour clôturer cet or-ganigramme encore incomplet, Gabriel Attal, fidèle du chef de l’Etat, devient porte-parole du gouvernement. Quant aux secré-taires d’Etat, ils ne seront pas connus avant la fin de la se-maine, voire la semaine pro-chaine, après un premier conseil des ministres, mardi à 15 heures.
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SON PARCOURS DE MILITANTE ANTINUCLÉAIRE
VA LA PLACER DANS UNE POSITION
DÉLICATE FACE À LA FILIÈRE
La nouvelle ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, le 7 juillet, à Paris. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
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14 | france MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Le retour surprise de Roselyne BachelotRetirée de la politique depuis 2012, l’ancienne ministre de la santé de Nicolas Sarkozy revient à la culture
T oujours là. Inoxydable.73 ans, et un enthousiasme probablementintact. Roselyne Bache
lot, nommée ministre de la culture ? Pourtant, elle avait juréqu’on ne l’y prendrait plus. La politique, c’était fini pour Roselyne Bachelot, et parfaitement assumé devant les caméras. Elleavait assez donné. Ministre del’écologie en 2002, sous JacquesChirac, puis ministre de la santésous Nicolas Sarkozy en 2007,puis ministre des solidarités en 2010… Des gaffes en pagaille,une bonne humeur inaltérable,un francparler plaisant.
On l’avait ainsi croisée en Afrique du Sud, en 2010, appelée encatastrophe au chevet d’uneéquipe de France de football proche du ridicule, avec ses piètres leaders qualifiés par elle de « caïds ». Puis revue, à son domicile parisien, neuf ans plus tard, àdeux pas du siège du parti LesRépublicains (LR), pour parlerde « son » François Fillon, cetétrange homme politique qu’elleconnaît mieux que personne. Làencore, avec une sincérité peucourante, elle l’étrillait tout en lecouvant de son affection, ce qui lui avait valu le courroux de l’ancien premier ministre, avec ensuite des échanges par SMSaigresdoux. Elle n’avait rien lâché, quand c’est dit, c’est dit.
Amour de l’opéraCe jourlà, dans le 15e arrondissement, elle était pressée, elle devait se rendre à l’opéra, et finir unarticle sur le sujet. Son grandamour, c’est vraiment la musique, on l’avait compris. Avant lapolitique, avant même son premier métier, docteur en pharmacie. Cinquante opéras par an,des voyages initiatiques à Bay
reuth ou Salzbourg, des livresdans ses étagères, par dizaines,sur Wagner, et surtout son cherVerdi ; d’ailleurs, Roselyne Bachelot arrive toujours une demiheure en avance au spectacle, aubas mot, pour s’imprégner. Le« dépucelage opératique », elle leconseille avec Verdi, à qui elle aconsacré un livre.
Animatrice d’une chroniquesur France Musique, où elle
avoue aimer l’art lyrique commele rappeur Youssoupha, elle peutvous dégainer un grand air àtout moment, comme ça, sansprévenir. Tout en conservantpour elle ses grandes peines. Unenfant en souffrance, sur le planmédical. Des douleurs personnelles qu’elle sait taire.
Ce sont ses avanies professionnelles qui l’ont, peutêtre, propulsée rue de Valois. Parce que le retour de Bachelot, c’est quand même du jamaisvu, personne n’y croyait, et pas sûr que quiconque l’espérait vraiment.
Elle avait disparu de l’espace politique pour s’amuser sérieusement sur les plateaux de télévision, de C8 à LCI, rigoureuse, toujours, bossant ses sujets. C’est d’ailleurs à LCI, dans des studiosde maquillage déserts, qu’on l’avait revue. Pour raconter son retour en grâce médiatique, en plein déconfinement, alors que la France cherchait des masques et du matériel médical. Elle qui avait
tant peiné, en 2009, à promouvoir le principe de prévention,quoi qu’il en coûte, déjà.
Souvenezvous : dès le 4 juillet2009, Roselyne Bachelot, soutenue par Nicolas Sarkozy et son premier ministre, François Fillon, passe commande de 94 millions de doses de vaccin pour lutter contre la grippe A, tandis que195 millions d’euros sont prévus pour l’acquisition de masques, chirurgicaux et FFP2. Tant et si
L E G O U V E R N E M E N T C A S T E X
a priori, rien ne prédestinait Elisabeth Moreno à intégrer le gouvernement français. Mais c’est peu de dire que la femme d’affaires francocapverdienne, âgée de 49 ans, n’est pas du genre à suivre un parcours en ligne droite. Directrice générale Afrique du groupeHP (HewlettPackard) depuis janvier 2019, cette patronne discrètede la tech devient ministre déléguée chargée de l’égalité femmeshommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Un nouveau chapitre pour cette fille d’immigrésqui s’est faite à la force du poignet. « Je cochais toutes les cases de l’impossibilité : des parents qui ne savent ni lire ni écrire, une femme,noire, élevée dans une cité », confiaitelle, en 2019, au Figaro.
Née au CapVert, archipel d’îlesvolcaniques situé au nordouestdes côtes africaines, elle arrive àl’âge de 6 ans avec ses cinq frères etsœur en France, où sa famille s’ins
talle dans l’Essonne. L’école, durant ces premières années, est un « refuge », raconteratelle plus tard. Titulaire d’un bac littéraire, elle étudie le droit mais s’oriente finalement vers l’entrepreneuriat en créant, avec son exmari, unesociété spécialisée dans la réhabilitation thermique.
En 1998, elle bifurque à nouveauet rejoint le premier groupe de télécommunications français, France Télécom, devenu Orange, où elle pilote le département ventes PMEPMI. Elle ne cessera plus de gravir les échelons dans la sphère des entreprises technologiques. Elle est ainsi débauchée en 2002par le groupe informatique américain Dell, où elle reste dix ans, avant d’intégrer le chinois Lenovo, numéro un mondial du PC. En 2017, cette battante entrée comme commerciale y est promuePDG de la filiale française. Deux ans plus tard, son arrivée chez HP
lui permet de renouer avec son continent d’origine. Installée à Johannesburg, en Afrique du Sud, elle professe sa foi en la technologie pour accompagner le développement du continent.
S’il ne s’agit pas d’un fil rougedans son parcours, la promotion des femmes est l’un de ses engagements. Le 4 juillet, participant en visioconférence depuis Johannesburg aux rencontres économiques organisées par le Cercle des économistes, elle invitait les femmes à s’investir davantage dans son secteur, connu pour manquer de profils féminins. « Si on laisse les technologies se construire uniquement avec des valeurs masculines, on aura des exemples malheureux (…) où les machines deviennent racistes,misogynes, exclusives », affirmait cette membre du Cercle InterElles, qui réunit les réseaux féminins d’entreprises de la technologie.
marie de vergès
ÉLISABETH MORENOUne patronne de la tech à l’égalité femmes-hommes
à bientôt 40 ans, Julien Denormandie reste ministre dansle nouveau gouvernement Castex, mais il quitte le logementpour l’agriculture, où cet ingénieur des eaux et forêts retrouve son domaine de formation. D’une famille de médecins – son père est un chirurgien orthopédique reconnu, aujourd’hui dirigeant du comité « Bien vieillir » dugroupe de maisons de retraite Korian –, père de quatre enfants, catholique, il s’est beaucoup impliqué, comme secrétaire d’Etat puis ministre du logement, depuis 2017, dans l’hébergement des sansabri.
Sa déclaration maladroite, le30 janvier 2018, estimant à « une cinquantaine d’hommes isolés » le nombre de personnes dormant dans les rues de lacapitale, avait vite été démentie par le premier comptage,
baptisé Nuit de la solidarité et organisé par la Mairie de Paris, qui, le 15 février suivant, recensait près de 3 000 hommes,femmes et enfants à la rue. Les contraintes budgétaires dictées par Bercy n’ont pas permisà Julien Denormandie de mener à bien la politique ambitieuse de construction et de rénovation qu’il était censé mettre en œuvre, les fameux « choc de construction » puis « choc de rénovation de l’habitat ancien » annoncés par leprésident de la République.
M. Denormandie est uncompagnon de la premièreheure d’Emmanuel Macron,membre de son cabinet lorsque ce dernier était ministrede l’économie et des financesentre 2014 et 2016, avant d’êtreappelé à fonder le parti En marche ! – dont il aime à direqu’il fut, en tant que secrétaire
général adjoint, l’un des premiers salariés – pour conquérir l’Elysée, en mai 2017, etremporter, dans la foulée, lesélections législatives de juin.
Apprécié pour ses qualitésd’écoute et de courtoisie ainsi que pour sa force de travail, le nouveau ministre de l’agriculture n’a pas néanmoins d’expérience d’élu local : lors d’une de ses premières apparitions en public, le 27 septembre 2017, au congrès HLM, à Strasbourg, et au lendemain de l’annonce d’une baisse brutale des recettes HLM, il avait eu du mal, sousles huées des 5 000 congressistes, à achever son discours. Depuis, il a tout fait pour rétablir ledialogue avec le monde HLM, levier essentiel pour la construction de logements abordables, en France, sans jamais vraiment y parvenir.
isabelle reylefebvre
JULIEN DENORMANDIELe fidèle de Macron déménage à l’agriculture
bien qu’à l’automne 2009, la France compte un stock de1,7 milliard de masques. Au final, au moins 662 millions d’euros dépensés, et des tonnes de critiques,pour, « seulement », 342 décès.
A l’époque, elle admoneste lesdéputés qui s’en prennent à sagestion de la crise : « Les masques sont un stock de précaution – excusezmoi si ce mot devient un gros mot ici. Et ce n’est pas évidemmentau moment où une pandémie surviendra qu’il s’agira de constituerles stocks. Un stock, par définition, il est déjà constitué pour pouvoirprotéger. » Sacrément divinatoire.
Respect nouveauRoselyne Bachelot est écartée de l’Avenue de Ségur, en 2010, puis quitte la vie politique, en 2012.Amère. Elle a au moins une certitude, nous confietelle ensuite : « Je ne me suis jamais dit : “J’ai déconné !” Il y a bien des proches qui m’ont conseillé de m’excuser, de dire que je m’étais trompée… Non !
J’ai fait des choix, je les ai assumés, et je n’ai pas rejeté la faute sur Sarkozy ou d’autres. »
Ce qui la tourmente, encore, enmars, quand la France se calfeutre, et que l’on est encore loin des 30 000 décès imputables au coronavirus ? « J’éprouve un sentiment de culpabilité : si nous avions été devant une pandémie très grave, estce que je n’aurais pas dû en faireplus, n’auraisje pas dû mieux convaincre ? Mon affaire a amené un désarmement général, cela a décrédibilisé la parole politique. Les gens se sont dit : “On en fait trop.” Et pournous, politiques, le risque d’en faire trop est devenu plus grand que de ne pas en faire assez. »
Reste qu’après cet épisode, elleavait pu arpenter à nouveau les plateaux, toute requinquée, devinant dans le regard de ses interlocuteurs un respect nouveau : ellen’était plus la Roselyne Bachelotétrangement vêtue et friande de bons mots, elle était celle qui avaitsu, avant tout le monde.
Quatre mois plus tard, enjuillet 2020, la voici d’ailleurs devant la commission d’enquêteparlementaire, convoquée pourdonner son opinion sur la gestionde la crise sanitaire par le gouvernement. On l’espère peutêtre sanglante ? Elle se montre magnanime, épargnant les errances du pouvoir exécutif, là où elle aurait pu jouer les revanchardes : « Il fautse méfier des leçons du passé et desretours d’expériences dont noussommes si friands », lancetelleaux députés. En pensant, peutêtre, à cette correspondance de son Giuseppe Verdi vénéré : « Laissons cela, écrivaitil en 1873, et neparlons plus de ces gens qui un jourou l’autre nous anéantiront. » L’avantage de l’expérience : plus besoin de sortir les daguesd’opéra, de se cacher dans les décors. Sur scène, c’est définitivement là que ça se joue.
gérard davet et fabrice lhomme
Roselyne Bachelot, avant la passation des pouvoirs au ministère de la culture, à Paris, lundi 6 juillet. ALAIN JOCARD/AFP
« Le temps m’est compté »Lundi soir, lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur, Frank Riester, Roselyne Bachelot a dévoilé son plan de vol avec une priorité : « mettre la culture au cœur du plan de reconstruction de notre pays » après la crise due au Covid-19. « Je sais que le temps m’est compté, a-t-elle souligné. L’urgence absolue en ce début d’été sera d’aider à la remise en route et en état des lieux de culture : festivals, musées, cinémas, monuments historiques. » Mme Bachelot souhaite en particulier tenir « dans les prochains jours » des « états généraux des festivals », touchés par une vague d’annulations cette année, « pour que la saison prochaine retrouve sa vitalité artistique ». Elle a aussi dit vouloir s’« impliquer pour que les salles de théâtre, d’opéra et de concerts puissent redémarrer ».
ROSELYNE BACHELOT ANIME UNE CHRONIQUE SUR FRANCE MUSIQUE, OÙ ELLE AVOUE AIMER L’ART LYRIQUE COMME
LE RAPPEUR YOUSSOUPHA
« JE NE ME SUIS JAMAIS DIT : “J’AI DÉCONNÉ !” J’AI FAIT DES CHOIX, JE
LES AI ASSUMÉS ET JE N’AI PAS REJETÉ LA FAUTE SUR SARKOZY OU D’AUTRES »
ROSELYNE BACHELOTministre de la culture
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 france | 15
Mediator : « C’est une affaire de justice ou d’argent ? »Le jugement sera rendu le 29 mars 2021, plus de onze ans après la révélation du scandale de ce médicament
RÉCIT
N ous allons devoir mettre de côté l’émotiontrès forte que nousavons ressentie, car
cette émotion ne doit pas être le guide de notre décision. Seul le respect du droit et de la procédure peut être le fil conducteur de notreréflexion. » A l’issue de « 517 heures et quelques minutes d’audience » marquées par les témoignages de dizaines de victimes, le procès du Mediator a pris fin, lundi 6 juillet, et c’est par cetavertissement que la présidenteSylvie Daunis a clos les débats entamés le 23 septembre 2019 devant la 31e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.
Pour la dernière fois, la défensedes laboratoires Servier – jugés notamment pour « tromperie »,« homicides involontaires » et « escroquerie » – a tenté de convaincrequ’ils n’avaient pas menti sur les propriétés du Mediator, médicament mis sur le marché en 1976 comme antidiabétique mais largement prescrit comme coupefaim, et qu’ils n’avaient pas volontairement commercialisé jusqu’en 2009 un produit toxique ayant causé la mort de centaines de consommateurs. Deux semaines plus tôt, persuadée que le groupe pharmaceutique avait fait« en toute connaissance de cause le choix cynique de ne pas tenir compte des risques qu’il ne pouvait ignorer », la procureure avait requis plus de 10 millions d’euros d’amende contre lui, et cinq ansde prison dont deux avec sursis contre son ancien numéro 2,JeanPhilippe Seta.
Point final d’un procès extraordinaire par sa longueur et sa complexité, une journée de plaidoirie à deux voix, celles de François de Castro et Hervé Temime, avocats historiques des laboratoires Servier. Au premier, plus de quatre heures d’un exposé exhaustifet minutieux. Au second, une heure et demie d’envolées flamboyantes. Pour les deux, un même numéro d’équilibriste : ladéfense totale de leurs clients dont ils réclament la relaxe, sans froisser les parties civiles.
« L’enjeu de ce procès est quel’histoire et la voix des victimes soient respectées sans qu’en pâ
tisse la vérité judiciaire, a expliquéFrançois de Castro, premier à plaider. Ce n’est pas parce que la parole des victimes est sincère qu’elledoit se confondre avec la réalité et interdire tout débat. La tâche dutribunal n’est pas de déterminer siles parties civiles ont souffert, mais quelle part de cette souffrance, qui n’est pas contestée, estimputable aux actions ou aux omissions des prévenus. L’apaisement moral que certaines partiesciviles réclament n’a pas sa place dans une instance pénale. »
Au fil d’une défense centimètrepar centimètre, appuyée sur lalongue énumération de « 26 événements importants dans l’histoire du Mediator », l’avocat a dédouané ses clients tant qu’il pouvait. « A aucun moment, les laboratoires Servier n’ont laissé le Mediator sur le marché en connaissance des risques », a assuré Me de Castro, mettant en garde contre le « biais d’anachronisme »qui laisserait penser que la toxicité du Mediator, évidente aujourd’hui, l’était déjà il y a plusieurs décennies. « Le pire, c’estqu’au sein des laboratoires Servier,on croyait à ce médicament », atilajouté, avant de citer Mark Twain :« Le danger, ce n’est pas ce que l’on ignore, c’est ce que l’on tient pour certain et qui ne l’est pas. »
« La faillite d’un système »Me de Castro n’a pas totalementabsous ses clients – « Je ne veux pasque le tribunal pense que les laboratoires Servier sont dans le déni ouqu’ils se croient irréprochables » – mais son début de mea culpa n’a servi qu’à incriminer l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), accusée de n’avoir pas empêché le scandale, et jugée elle aussi pour « homicides involontaires » : « Les laboratoires Servier savent qu’ils ont été mauvais, et même très mauvais, dans l’appréciation du risque, en se reposant sur les autorités sanitaires. »
« Ce serait tellement déculpabilisant qu’un seul homme ou un seul laboratoire puisse être responsable de tout. Mais non, c’est lafaillite d’un système, a enchaîné Hervé Temime. On ne dilue pasnotre responsabilité. La responsabilité des laboratoires Servier, elleest première. Mais on dit : “Croyezvous que c’est si manichéen que
ça” ? » Une réponse directe à l’avocate de l’ANSM, Nathalie Schmelck, qui avait reconnu une partde responsabilité de l’agence, mais affirmé lors de sa plaidoirie :« Cette affaire n’est pas la faillitedes autorités sanitaires. Il s’agitd’un médicament, et d’un seul,commercialisé par un laboratoire qui n’a cessé de mentir. »
Me Temime a balayé l’argumentde la dissimulation aux autorités des propriétés anorexigènes du Mediator, sur lequel se fondetoute l’accusation – « une fable ». Il
a dénoncé un « défaut de preuveévident » dans un dossier auquel ilmanque des pièces, notammentau sujet de l’escroquerie, pour laquelle l’Assurancemaladie réclame 500 millions d’euros d’indemnisation après trentetrois ans passés à rembourser un médicament qui n’était pas ce qu’il semblait être : « Comment voulezvous condamner pour escroquerie sans avoir le dossier de demande de remboursement ? » Puis il s’en est pris aux avocats de parties civiles ayant réclamé, eux aussi,
500 millions d’euros d’indemnisation pour les victimes et leurs proches : « C’est une affaire de justice ou une affaire d’argent ? »
6 793 victimes partie civileLe ton s’est fait plus calme quand il s’est agi de voler au secours de JeanPhilippe Seta, seule personne physique jugée pour« tromperie » et « homicides involontaires » compte tenu de ses responsabilités au sein dugroupe. L’occasion d’un nouveau numéro d’équilibriste consistantà se défausser sans en avoir l’airsur Jacques Servier, mort en 2014 :« Je ne trahirai pas Jacques Servier.Mais c’était évidemment son laboratoire, il était seul maître à bord (…) JeanPhilippe Seta est un prévenu de substitution, a expliqué Me Temime. Il ne peut pas y avoir de coupable de substitution. Ledocteur Seta doit répondre de ses actes, mais je veux que vous ayez en tête que les laboratoires, c’était le docteur Servier. »
Les deux avocats se sont enfinélevés contre la « présomption d’innocence violée » et la « diabolisation » des laboratoires, « accusés définitifs depuis 2011 », selonMe de Castro, « traités comme des malpropres, surveillés comme personne d’autre », selon Me Temime.Ce dernier a appelé le tribunal à la mesure, au nom d’une forme de patriotisme pharmaceutique, alors que Servier fait presque toutson chiffre d’affaires à l’étranger mais « emploie en France ». La personne morale que le tribunal a à juger, a insisté Me Temime, « ce sont 22 000 personnes qui travaillent sans ambiguïté au servicede la santé des patients, et qui vivent cette affaire depuis dix anscomme une terrible douleur – quin’a évidemment rien à voir aveccelle des victimes ».
Le tribunal doit maintenant décider de déclarer les prévenus coupables ou non. Le cas échéant,il lui faudra s’arrêter sur la situation de chacune des 6 793 victimes qui se sont constituées partiecivile, et déterminer une indemnisation éventuelle. Le processus sera extrêmement long. Le jugement sera rendu le 29 mars 2021, un an et demi après l’ouverture du procès, plus de onze ans après la révélation du scandale.
henri seckel
Renseignement : l’Etat veut étendre l’usage de l’algorithmeDans un rapport remis au Parlement, le gouvernement souhaite que cette technique soit étendue audelà du terrorisme
C rise sanitaire oblige, unerumeur persistante laissait croire que le gouver
nement prendrait six mois de plus pour dire ce qu’il pensait de l’expérimentation des algorithmes au sein des services de renseignement. Cette technique desurveillance permet à ces derniers, grâce à un programme informatique, de passer en revue entemps réel une masse de donnéesnumériques pour détecter des menaces terroristes.
Finalement, comme la loi l’imposait, le gouvernement s’est prononcé dans un rapport confidentiel transmis, le 30 juin, à la présidente de la commission des lois del’Assemblée, Yaël BraunPivet. Selon les informations du Monde, il propose la validation du dispositif mais il veut étendre les capacités de l’algorithme à des données pluspersonnalisées.
Le ministère de l’intérieur et ladirection générale de la sécurité intérieure (DGSI), maîtres d’œuvre de cette arme technique,même si ce sont les ingénieurs dela direction générale de la sécuritéextérieure (DGSE) qui la conçoi
vent, veulent étendre son champ de surveillance. Ils souhaitent que l’algorithme puisse aussi s’attaquer aux adresses dites « URL », connues sous le nom « d’adresses Web ». Ces dernières sont enregistrées par chaque utilisateur lorsd’une consultation Internet ou d’une recherche sur les réseauxsociaux. En guise d’explication, le gouvernement assure que, à ce jour, cet outil chargé de détecter lamenace terroriste de basse intensité n’a permis de déboucher sur aucun dossier opérationnel.
Lecture « restrictive »Ce projet gouvernemental fait émerger une divergence de fondavec l’analyse de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR),instance administrative et indépendante chargée de donner un avis consultatif pour l’utilisation de chacune de ces techniques. Pour la CNCTR, en effet, « l’adresseURL » n’est pas une simple donnée technique de communication, comme le pensent les services. Pour elle, il s’agit de données personnelles puisqu’elles déli
vrent des indications de « contenu » sur nos recherches. Unelecture jugée, au sein de l’Etat régalien, comme « restrictive ».
Le débat est ouvert. Dans ses conclusions, remises le 10 juin, la mission d’évaluation de l’Assemblée sur la loi renseignement du 24 juillet 2015 suivait les attentes des services. Elle partage leur souhait de valider le dispositif et d’intégrer les adresses URL dans le champ de surveillance de l’algorithme. Elle écrit ainsi « les trois algorithmes actuellement mis en œuvre ont fourni des résultats intéressants mais limités aux seules données téléphoniques ».
Selon le gouvernement, son rapport nourrira le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et surle renseignement qui doit être présenté, le 17 juillet, au Parlement. Cetexte doit notamment prolonger la phase dite « d’expérimentation » de l’algorithme. Elle devait se clore fin 2020. Créé par la loi renseignement de juillet 2015, l’algorithme comportait une clause dite « de revoyure », imposant un nouveau passage devant le Parlement pour vérifier la pertinence de
l’outil. Il devait être réexaminé deux ans après sa mise en service, mais, l’algorithme n’ayant vu le jour que fin 2017, rendezvous étaitpris pour décembre 2020.
« Travail très “light” »La crise sanitaire a, de nouveau, posé la question du report du débat sur cette technique de surveillance et même donné lieu, mimai, à une passe d’armes entre le gouvernement et l’Assemblée. Les présidentes des commissions des lois et de la défense et quelques députés ont fait obstacle à la tentative du gouvernement de pérenniser sans contrôle démocratique des techniques de renseignement et des mesures de surveillance.
Noyé dans un projet de loi fourretout sur la crise sanitaire, unsimple alinéa reportait « jusqu’au1er janvier 2022 la date d’entrée envigueur ou d’application de dispositions législatives ou celle du terme d’expérimentations », dontl’algorithme. D’ici là, le gouvernement aurait agi par voie d’ordonnance. Inacceptable pour l’Assemblée, d’où le nouveau rendezvous du 17 juillet.
« Compte tenu de la crise du Covidet d’un agenda parlementaire perturbé, explique Yaël BraunPivet, on risquait de rendre illégal l’algorithme si on n’arrivait pas à organiser le débat avant la fin 2020, néanmoins nous n’avons pas suivi le gouvernement qui voulait repousser la discussion fin 2021, il sera donc examiné d’ici la fin juillet 2021. » Concernant le rapport du gouvernement sur l’algorithme, qui lance d’ores et déjà le débat sur le fond, la présidente de la commission des lois rétorque que pour elle, « il s’agit d’un travail très light et que la vraie évaluation de cet outil sera faite en 2021 ».
Par ailleurs, ajoutetelle, « le Parlement doit prendre toute sa part sur les questions de renseignement,je n’envisage pas que le débat se limite à la seule clause de revoyure sur l’algorithme, il faudra, par exemple, sérieusement réfléchir à l’évolution du rôle de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en matière de contrôle, je suistrès mécontente, notamment, de l’absence de réponse sur la transmission de documents ».
jacques follorou
Pour la dernièrefois, la défense
des laboratoiresServier a tenté de convaincre qu’ils n’avaientpas menti sur les propriétésdu Mediator
RASSEMBLEMENTLe Conseil d’Etat suspend l’autorisation préalable pour manifesterLe juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu, lundi 6 juillet, le décret du 14 juin instaurant une autorisation de manifestation mais a maintenu l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes au regard de la situation sanitaire. Le juge administratif, saisi par plusieurs syndicats, estime qu’il existe « un doute sérieux » sur le fait que cette nouvelle procédure d’autorisation « ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester ». – (AFP.)
DÉFENSEUn nouveau chef d’état-major pour MacronLe viceamiral d’escadre JeanPhilippe Rolland a été nommé chef d’étatmajor particulier du président Emmanuel Macron à compter du 1er août, selon un arrêté paru dimanche 5 juillet au Journal officiel. JeanPhilippe Rolland, 56 ans, commande depuis 2017 la Force d’action navale. Il remplace l’amiral Bernard Rogel, 64 ans, qui occupait le poste de « CEMP » depuis juillet 2016. – (AFP.)
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16 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MERCREDI 8 JUILLET 20200123
« Mimosa », le nouveau plan d’économies d’EDFLes pertes causées par la crise sanitaire se situent entre 2 milliards et 3 milliards d’euros pour l’énergéticien
E DF se prépare à trois années difficiles. Selon nosinformations, le premierproducteur d’électricité
en Europe a engagé, en interne, unvaste plan d’économies, baptisé « Mimosa », qui vise à combler les pertes causées par la crise sanitaire, qui devraient se situer entre 2 milliards et 3 milliards d’euros.Le groupe étudie plusieurs possibilités : des cessions d’actifs importants, un gel des embauches etdes investissements, tout en cherchant des réductions budgétaires à tous les étages.
Selon plusieurs sources internes, la direction a demandé auxdifférentes branches et filiales de présenter des budgets revus à la baisse. Selon des documents consultés par Le Monde, le groupe souhaite stabiliser ses dépenses d’exploitation pendant les deux prochaines années et réduire fortement ses investissements.« Pour atteindre 2,5 milliards d’euros d’économies, il n’y pas beaucoup de choix, il faudra faire une grosse cession », souligne une source interne. « On nous a demandé de faire remonter toutes lespossibilités d’économies », rapporte un responsable d’une filialeimportante.
Interrogée par Le Monde, la direction d’EDF confirme l’existence d’un tel plan, sans pourautant en livrer les détails, quidoivent être présentés, fin juillet, au conseil d’administration. « Les arbitrages définitifs ne sont pasencore pris », précise une sourceinterne.
Le PDG du groupe, JeanBernardLévy, a luimême évoqué ce plandans le journal de l’entreprise,vendredi 3 juillet. « Certains ont entendu parler d’un plan d’économies baptisé “Mimosa”, explique M. Lévy. Tout en réduisant certaines dépenses, nous n’abandonnons aucun de nos grands projets.(…) Nous ne renoncerons à riend’essentiel, mais, dans quelquescas, nous retarderons certaines dépenses, nous étudierons certains actifs du groupe si c’est nécessaire, et nous serons très atten
tifs à ce qui n’est pas immédiatement indispensable. »
L’entreprise sort déjà d’une cured’économies relativement sévère. En 2016, au moment de sarecapitalisation par l’Etat, elle s’était engagée à économiser 1 milliard d’euros par an et céder 10 milliards d’actifs. L’objectif a été tenu. Réaliser 2,5 milliards d’euros d’économies supplémentaires représente un effort très significatif. « D’autant qu’on n’a plus grandchose à vendre qui nesoit pas stratégique », s’inquièteun syndicaliste.
EDF ne peut se séparer d’aucuneactivité dans le domaine du nucléaire et n’entend pas désinvestirles énergies renouvelables. Plu
sieurs options seraient évoquées en interne, notamment la cessionde la filiale italienne du groupe,Edison, dont les activités d’exploration pétrogazière ont déjà étéabandonnées en 2019. D’autres évoquent la cession de parts dudistributeur Enedis (exERDF) à la Caisse des dépôts, comme cela a été fait pour le réseau de transport RTE en 2017.
L’objectif d’EDF : se donner del’air et faire remonter du cash, alors que les perspectives ne s’annoncent pas réjouissantes. Selon les documents consultés par LeMonde, le groupe anticipe « une forte baisse de l’Ebitda [équivalentde l’excédent brut d’exploitation] » et « une forte hausse de ladette, + 5 milliards à + 10 milliards d’ici à 2022 sans action correctrice ». Très endetté – 41 milliardsd’euros fin 2019 –, le groupe pour
Or ces années sont crucialespour le parc nucléaire, qui doitconnaître de nombreuses visitesdites « décennales », nécessairesà la prolongation de la durée de vie des réacteurs.
Ces opérations entraînentde longs arrêts, mais aussi des investissements considérables,compte tenu des exigences de sûreté demandées par l’Autorité desûreté nucléaire (ASN).
Dans ces conditions, l’agence denotation S&P a dégradé la noted’EDF à BBB +, fin juin. L’agence estime que l’Ebitda de l’entreprisedevrait être inférieur de 5 milliards à 6 milliards à ce qui étaitprévisible en 20202022. « Nous nous attendons à ce que le que le groupe travaille sur des mesures fi
Valeo met la pression sur ses salariés françaisL’équipementier automobile veut faire baisser de 10 % les coûts salariaux dans l’Hexagone
clermontferrand correspondant
E viter des mesures douloureuses pour l’emploi. » C’est,selon les termes de la direc
tion du groupe, l’objectif que s’est fixé l’équipementier français Valeo, en ouvrant, mardi 30 juin, desnégociations avec les syndicats. Il souhaite conclure, en septembre, un accord de performance collective en vue « d’une réduction descoûts salariaux français de 10 %, soit 100 millions d’euros ».
« Nous faisons face à une crise incroyable, bien pire que celle de 2008, explique au Monde la direction. Il y a une véritable nécessité de travailler sur la compétitivité de
l’entreprise dans le cadre d’un dialogue social constructif. » La crise qui touche la filière automobile est de grande ampleur. Valeo – 114 000 salariés dans le monde, dont 14 000 en France – prévoit « une baisse de son chiffre d’affaires de 10 % en moyenne sur les cinqprochaines années », selon un document remis aux syndicats. « Il est donc nécessaire d’adapter nos coûts d’investissement, de R&D, de personnel… en conséquence. » « Notre priorité reste le cash », avertissait déjà, le 24 juin, le PDG de Valeo, Jacques Aschenbroich, dans un entretien au Monde.
« C’est une négociation sans tabous », a annoncé le directeur des ressources humaines, Bruno Guil
lemet, aux représentants du personnel. Et les sujets soumis à discussion en témoignent : jours de congé, flexibilité horaire, incitation aux congés sans solde, gel dessalaires, rémunération des ingénieurs et des cadres, montant des indemnités de départ à la retraite ou de licenciement, majoration des heures de nuit, intéressement,etc. Jusqu’aux primes liées aux médailles du travail.
« Axes de travail »Pour le moment, il ne s’agit que « d’axes de travail » sur lesquels la direction souhaite « recueillir les premières réactions et propositionsdes organisations syndicales ». « La crise est un effet d’aubaine pour re
mettre en cause un certain nombre d’accords », estime Pascal Phan, le délégué syndical central de la CFECGC. Les syndicats ont aussi des interrogations sur le niveau de l’effort demandé. « La production est redevenue proche de son niveau d’avantcrise », dit Olivier Renaglia,délégué central CGT, qui reconnaîtque le développement de nouveaux produits souffre du report ou de l’abandon de projets de la part des constructeurs.
Valeo a prévu un rythme de réunions soutenu pour tenter de trouver un accord. Mais, au regard des concessions demandées, les contreparties devront être significatives.
manuel armand
Le confinement,avec l’arrêt
d’une partiede l’économie,
a provoquéune chute de 15 %
à 20 % de la consommation
d’électricité
nancières extensives », soulignaient déjà les analystes, qui n’attendent pas d’améliorationssignificatives avant 2022.
Les observateurs s’inquiètentaussi des importants investissements que doit réaliser EDF dans les années à venir : assurer la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires, finir la construction des EPR de Flamanville(Manche) et d’Hinkley Point (sudouest de l’Angleterre), investir dans les énergies renouvelables.Tout cela alors que le groupe continue de perdre 100 000 clientsrésidentiels par mois depuis deux ans.
En parallèle, EDF continue depeser de tout son poids pour obtenir une réforme de la régulation nucléaire. Un mécanisme complexe, appelé « Arenh »,l’oblige à vendre à ses concurrents à prix fixe une part de sa production. Un changement dece dispositif dans un sens plus favorable à EDF pourrait influencerpositivement le résultat. Mais lesnégociations entamées entre la France et la Commission européenne – très sourcilleuse sur laquestion de la concurrence – n’ont visiblement pas avancé d’un pouce en pleine crise sanitaire. Au grand désarroi d’EDF.
nabil wakim
Réseau de transport d’électricité : François Brottes ne sera pas reconduitL’ancien député socialiste François Brottes, patron du Réseau de transport d’électricité depuis 2015, ne sera pas reconduit à la tête du gestionnaire de réseau. Le conseil de surveillance de la filiale d’EDF a acté, vendredi 3 juillet, que M. Brottes devrait quitter son poste le 31 août, à la fin de son mandat. Le président du directoire était candidat à sa succession, mais aurait été atteint par la limite d’âge de 65 ans au printemps 2021, ce qui aurait nécessité une modification des statuts de RTE pour le maintenir en poste. Le nom de son successeur devrait être connu pendant l’été, a expliqué RTE au Monde. Selon le journal Les Echos, l’ancien conseiller énergie de Jean-Marc Ayrault à Matignon, puis de François Hollande à l’Elysée, Xavier Piechaczyk, serait bien positionné pour lui succéder.
rait ainsi pâtir d’une dette d’environ 50 milliards d’euros.
Première raison de cette situation catastrophique : pendant le confinement, la fermeture detout un pan de l’économie française a provoqué une chute de15 % à 20 % de la consommation d’électricité. Sur le premier trimestre, le chiffre d’affaires d’EDF a été amputé de 250 millions d’euros, sur la fin mars. Les chiffres pour avril et mai ne sont pasconnus. La baisse marquée des prix de l’électricité conjuguée àune faible demande a pesé lourdement sur les comptes.
Une note dégradée par S&PLe confinement a aussi contraintEDF à décaler de nombreuses opérations de maintenance sur les réacteurs nucléaires, bousculantle calendrier déjà fragile de la filière. Les conséquences de cettedésorganisation sont importantes : EDF anticipe que sa production d’origine nucléaire sera en forte baisse sur l’ensemble de l’année, autour de 315325 terrawattheures (TWh) pour 2020, contre près de 393 TWh en 2018. Le groupe s’attend aussi à un impact pour 2021 et 2022, avec une production se situant entre 330 et360 TWh, ce qui pénalisera les revenus du groupe.
« On n’a plus grand-chose
à vendrequi ne soit pas stratégique »,
s’inquièteun syndicaliste
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont bé-néficiait la :
SAS LC GESTION14 Rue Notre-Dame
94120 FONTENAY-SOUS-BOISRCS: 831 808 092
depuis le 01/01/2018 pour ses activités de :GESTION IMMOBILIERE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devrontêtre produites dans les trois mois de cetteinsertion à l’adresse de l’Établissementgarant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’ils’agit de créances éventuelles et que le pré-sent avis ne préjuge en rien du paiementou du non-paiement des sommes dues etne peut en aucune façon mettre en cause lasolvabilité ou l’honorabilité de la SAS LCGESTION.
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont bé-néficiait la :
SARLG-REALTY1 boulevard de la LibérationL’Aiguillette RDCH Droite
06230 SAINT JEAN CAP FERRATRCS: 528 883 374
depuis le 31/12/2010 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devrontêtre produites dans les trois mois de cetteinsertion à l’adresse de l’Établissementgarant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’ils’agit de créances éventuelles et que le pré-sent avis ne préjuge en rien du paiementou du non-paiement des sommes dues etne peut en aucune façon mettre en causela solvabilité ou l’honorabilité de la SARLG-REALTY.
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 économie & entreprise | 17
Quand on est spécialisé dans le transport individuel de personnes et qu’un méchant virus oblige tout le monde à rester chez soi, la situation devient critique. Uber, qui a dû se séparer du quart de ses effectifs, a pu se féliciter d’avoir, parmi ses multiples tentatives de diversification, choisi de se développer dans le contraire absolu de la mobilité des personnes : la livraison à domicile. Au mois de mai, l’activité de taxi VTC d’Uber a chuté de 80 %, quand celle de sa filiale Uber Eats a bondi de 100 %. D’autant que le confinement a apporté de nouveaux besoins. En avril, la firme a conclu un accord avec Carrefour pour livrer, non plus uniquement des repas, mais aussi de l’épicerie. Une expansion bienvenue, car cette réussite comporte un petit bémol, ce métier, hyperconcurrentiel, n’est pas rentable.
D’où la nécessité à la fois de faire le ménage dans le secteur et de lui ouvrir de nouveaux horizons. C’est la raison pour laquelle le roi du VTC a signé ce lundi 6 juillet l’acquisition de son concurrent américain Postmates pour 2,6 milliards de dollars. Ce n’était pas son premier choix, puisqu’il visait un autre acteur, GrubHub, bien plus gros, mais se l’est fait souffler par l’européen Just Eat Takeaway. Postmates est surtout actif autour de Los Angeles, mais il peut se prévaloir
d’une bonne expérience dans la livraison d’articles en tous genres. Sur son site, on peut commander un hamburger, mais aussi du vin, des écouteurs de musique ou des cachets d’aspirine, en provenance du magasin de la ville et livrés dans l’heure.
Joueur d’un autre calibreC’est ce modèle qui intéresse Uber, qui vient également d’acquérir Cornershop, autre société spécialisée dans ce même domaine. En France, Deliveroo a signé un accord de ce type avec Franprix. La restructuration de ce métier naissant et coûteux prend la forme d’une course où seules les plus richement dotés par leurs actionnaires pourront gagner. Pour l’instant, la pertinence économique de cette diversification n’est pas trouvée et cette cavalcade va rapidement trouver sur sa route un joueur d’un autre calibre, Amazon. Celuici, allié en France avec Casino, est à la fois un magasin, avec ses entrepôts, une place de marché sur Internet ouverte à tous ses concurrents et une société de logistique capable de livrer elle aussi dans l’heure. Ainsi, pour échapper à la malédiction du taxi, Uber, si riche malgré ses pertes, tente la voiture, le vélo, la trottinette, la livraison de repas, et maintenant l’ecommerce. Tous les chemins mènent à Amazon, mais pas forcément au succès.
PERTES & PROFITS | UBERpar philippe escande
Des livreurs à la poursuite d’Amazon
INTERNETTikTok annonce la suspension de son application à HongkongLes habitants de Hongkong ne pourront bientôt plus utiliser le réseau social TikTok, très populaire chez les jeunes, à cause de la récente loi sur la sécurité nationale imposée par la Chine, a annoncé la société, lundi 6 juillet. L’arrêt complet va prendre quelques jours, selon TikTok, qui doit communi
quer avec ses utilisateurs et ses annonceurs.
CONJONCTURELa Banque de France table sur un rebond du PIB au troisième trimestreLe produit intérieur brut (PIB) de la France pourrait rebondir de 14 % au cours du troisième trimestre, a estimé, lundi 6 juillet, la Banque de France. Entre avril et juin, il avait reculé de 14 % en raison du confinement.
Croissance : la crise due au Covid19 aggrave les écarts entre pays européensBruxelles estime que l’activité devrait se contracter de 8,7 %, cette année, dans la zone euro
bruxelles bureau européen
C’ est pire que prévu. Et lasituation pourrait encore s’aggraver. Tel est,
en substance, le message que nous livre la Commission européenne dans ses dernières prévisions économiques, publiéesmardi 7 juillet, deux mois après s’être livrée au même exercice.Non seulement la récession importante liée à la crise due au coronavirus devrait être plus violente qu’attendu – cette année, l’activitédevrait se contracter de 8,3 % au sein de l’Union européenne et de 8,7 % dans la zone euro, avant de rebondir, en 2021, de 5,8 % sur le continent et de 6,1 % au sein del’Union monétaire.
Mais, en plus, elle devrait aggraver les écarts entre pays dans des proportions que les économistes européens n’imaginaient pas au printemps. Car les pays les plus touchés sont le plus souvent ceux où la pandémie a le plus frappé et qui ont le moins les moyens de dépenser pour soutenir leur économie. Les chiffres des aides d’Etat débloquées par les uns et les autres
pour voler au secours des entreprises en difficulté sont, à cet égard, symptomatiques. A ce jour, elles représentent, en Europe, près de 2 300 milliards d’euros, et, sur ce total, une petite moitié (43,5 %) a été injectée en Allemagne. Arrivent ensuite l’Italie (avec 19 % du total) et la France (17,9 %). L’Espagne suit, avec seulement 4 %…
Des signes de repriseDans ce paysage déprimé et contrasté, la France s’en tire particulièrement mal : avec un produitintérieur brut (PIB) qui devrait chuter de 10,6 % en 2020, elle fait à peine mieux que l’Italie (– 11,2 %)et l’Espagne (– 10,6 %), et fait doncpartie du peloton de queue del’Union européenne. A titre de comparaison, l’Allemagne devrait voir son activité se contracter de 6,3 % cette année, tandis que laPologne affiche la moins mauvaise performance (– 4,6 %).
Pour justifier cette contreperformance hexagonale, la Commission évoque un « confinement obligatoire » qui « a duré plus longtemps » qu’ailleurs et la surreprésentation de certains secteurs
dans son économie particulièrement affectés par la pandémie, comme le tourisme, les loisirs ou les transports. Et même si l’Hexagone devrait, en 2021, être le pays européen où le rebond sera le plusfort (+ 7,6 %), cela ne lui permettra pas de rattraper son retard. Loin de là. La richesse nationale française devrait rester inférieure de 3,25 points à ce qu’elle était au dernier trimestre 2019, avant que la pandémie fasse sentir ses effets.
L’économie européenne a touché un point bas, et, depuis mai, des signes de reprise se font voir, estime la Commission. Les dépenses publiques massives entreprises par les VingtSept – mesures deliquidités (garanties et reports d’impôts) représentent 23,5 % du PIB européen et mesures de soutien budgétaire, 4,5 % – « constituent la première ligne de défense » contre la récession, soulignent les experts. Le matelas d’épargne forcée que les Européens ont accumulé durant le confinement devrait également contribuer à sortir le Vieux Continent de la pire récession qu’il ait eu à connaître depuis la seconde guerre mon
diale. Si tant est que les consommateurs reprennent confiance.
Mais, dans ce contexte extrêmement dégradé, prévient la Commission, les aléas à la baisse sont nombreux. D’abord, parce qu’une seconde vague pandémique n’est pas exclue. Mais aussi parce que les faillites pourraient être plus nombreuses, et donc le chômage plus élevé que ce qu’ont prévu ses experts. La multiplication desplans d’aide au chômage partiel, mis en place partout en Europe, etle soutien en liquidités aux entreprises ont jusqu’ici permis de limiter les dégâts en termes d’emplois : en avril, le taux de chômagea atteint 7,3 % dans la zone euro,contre 7,1 % en mars. Mais ces mesures – temporaires – pourraientne pas suffire à soutenir à bout de bras des économies malades.
L’environnement internationalde l’Union européenne pourrait également être moins porteurque ne l’a prévu la Commission, qui évoque la hausse des cas aux EtatsUnis et dans les pays émergents. Sans oublier le Brexit et lerisque d’un « no deal ».
virginie malingre
Les opérateurs face à de multiples défis pour déployer la 5GRestrictions imposées à Huawei, hostilité d’une partie de la population… la nouvelle norme de téléphone mobile affronte des vents contraires
L es opérateurs téléphoniques français pourrontils utiliser des antennesfabriquées par Huawei
dans leurs futurs réseaux 5G ? Pour ceux qui en ont fait la demande, il y a déjà plusieurs mois, la date couperet approche. « Lesdécisions sont prêtes », a affirmé,dans un entretien avec Les Echos lundi 6 juillet, Guillaume Poupard, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi),chargée depuis une loi de 2019 d’autoriser – ou non – l’utilisationd’équipements conçus par la firme de Shenzhen. Encore un paraphe de la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale et les opérateurs seront fixés.
Enjeu de souveraineté« Il n’y aura pas de bannissementtotal de Huawei », a prévenu le chef des cyberpompiers de l’Etat, mais il s’agit bien de limiter la présence de l’entreprise chinoise en France : elle seule a fait l’objet derefus dans certaines villes, contrairement à ses concurrents, les européens Ericsson et Nokia, a précisé M. Poupard. Ce dernier aavoué « inciter les opérateurs qui
n’utilisent pas Huawei à ne pas y aller ». L’Anssi a aussi limité dansle temps l’utilisation des matériels du groupe chinois à une période de trois à huit ans. Bref, « ça se durcit sur Huawei et il n’a jamaisété dit de façon aussi claire » que l’exécutif ne veut pas du fabricantchinois, décrypteton chez l’un des opérateurs.
Il n’a pas fallu longtemps pourque Pékin réagisse. Le porteparole du ministère chinois des affaires étrangères, Zhao Lijian, interrogé lundi lors d’un point presse, aappelé la France à « prendre des mesures concrètes pour mettre enplace un environnement ouvert, équitable et non discriminatoire pour les entreprises de tous les
pays, y compris les entreprises chinoises ». M. Poupard justifie le regard plus sévère porté sur Huawei par les « risques », différents selon qu’« on parle d’équipements chinois ou américains ». Mais il donnepeu de détails. Les autorités mettent en avant un enjeu de souveraineté : elles veulent parer tout risque d’espionnage, mais aussi de« débranchement » à distance d’un réseau appelé à devenir critique pour le transport, l’énergie, l’industrie, la santé…
Enchères en septembreDe son côté, Huawei, présent « depuis dixsept ans en France », a toujours affirmé qu’il n’y avait « jamais eu de sujet d’espionnage » avec ses équipements : « En France,Huawei ne respecte que la loi française », a assuré aux Echos fin février Linda Han, sa responsable des affaires publiques en France, ajoutant que « Huawei n’irait jamais à l’encontre des intérêts de sesclients ». Dans quelles villes les équipements fournis par Huawei pourrontils être utilisés, et pendant combien de temps ? Les décisions de l’Anssi seront scrutées parles opérateurs, qui pointent depuis des mois le manque de clarté des autorités françaises.
« Audelà des déclarations deprincipe, nous attendons toujoursdes règles du jeu claires et précises afin de pouvoir en évaluer les conséquences en termes de concurrence », a réagi Orange. Fin février,déjà, Martin Bouygues avait craint que limiter l’usage des équipements de Huawei crée« des distorsions de concurrence entre les opérateurs » et il n’avait pas exclu de déposer des recours. Bouygues Telecom, Free et SFRn’ont pas souhaité commenter lesdéclarations de M. Poupard.
Les opérateurs ne sont pas égauxface aux équipements de Huawei : une petite moitié du réseau de SFR et de Bouygues y a recours, quand Free ou Orange ne l’utilisent pas. Orles antennes 4G Huawei ne peuvent
être converties à la 5G qu’avec du matériel Huawei : une interdiction des équipements chinois dans certaines zones pourrait à terme obliger SFR et Bouygues à de lourdes dépenses. Par ailleurs, les opérateurs concernés arguent qu’une antenne s’amortit sur dix ans environ : une durée d’autorisation inférieure rendrait donc impossible leur rentabilisation. En compensation du coût du démantèlement d’antennes et suivant l’exemple des EtatsUnis, Bouygues Telecom et SFR avaient réclamé au gouvernement une indemnisation – une option non retenue. A ce coût s’ajouterait celui du renoncement à Huawei, dont les matériels, en plus de bénéficier d’une avance technologique, sont considérés comme moins chers.
Audelà des décisions de l’Anssi,d’autres défis se dessinent pour les opérateurs : il y a bien sûr, enseptembre, les enchères pour l’octroi des fréquences 5G, que Bouygues aurait aimé voir décalées pour digérer l’impact d’une limitation de l’usage de Huawei. Maischez certains opérateurs, on craint aussi l’ouverture d’un nouveau front, lié à l’hostilité d’unepartie de la population à cette technologie. Il y a les discours complotistes liant 5G et Covid19 sur les réseaux sociaux, ou les incendies d’antennesrelais. Mais aussi, plus politiques, les positions écologistes de certains maires nouvellement élus qui fustigent une technologie énergivore et aux effets encore incertains surla santé. Stéphane Richard, le patron d’Orange, a appelé la semainedernière devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale les politiques à « purger le débat », craignant de devoir affronter « l’Afghanistan de la téléphonie mobile, où il faudrase battre pylône par pylône, commune par commune pour essayer de mettre la 5G ».
martin untersingeret alexandre piquard
Les autorités veulent parer
tout risque d’espionnage, mais aussi de
débranchement à distance
par Huawei
Le Royaume-Uni prêt à revoir sa positionLa décision prise par le Royaume-Uni d’accorder un rôle limité à Huawei dans le déploiement de la cinquième génération de télé-phonie mobile (5G) n’est pas gravée dans le marbre, et celle-ci est susceptible d’évoluer en fonction des sanctions américaines con-tre le groupe chinois, a déclaré, lundi 6 juillet, le secrétaire d’Etat britannique au numérique et à la culture, Oliver Dowden. Huawei est au cœur d’un différend de longue date avec Washington, qui tente de convaincre ses alliés d’exclure le géant chinois des appels d’offres pour la 5G, en arguant du fait que ses infrastructures pourraient faciliter les activités d’espionnage chinoises. Le gouver-nement britannique a décidé, en janvier, que les équipementiers « à haut risque » seraient autorisés à jouer un rôle « limité » dans la 5G, mais, entre-temps, l’administration de Donald Trump a choisi, en mai, de restreindre les ventes de semi-conducteurs à Huawei. Le Centre national britannique de cybersécurité étudie, depuis, les conséquences de ces nouvelles sanctions. M. Dowden a déclaré sur Sky News que ces sanctions auraient sans doute une profonde incidence sur la fiabilité des équipements de Huawei.
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18 | économie & entreprise MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Gare du Nord : feu vert à la rénovation controverséeLe préfet de la région IledeFrance autorise le projet présenté par la SNCF et Ceetrus, une filiale d’Auchan
E n délivrant, lundi6 juillet, le permis deconstruire de rénovationet d’agrandissement de
la gare du Nord, le préfet de régionIledeFrance, Michel Cadot, a donné son feu vert au projet présenté par la SNCF et son partenaire Ceetrus, la filiale d’immobilier commercial du groupe Auchan. La polémique autour de cette opération contre laquelle la Ville de Paris et tout un collectif d’architectes et d’urbanistes s’opposent depuis des mois, n’en est pas pour autant terminée.
« Le gouvernement vient de s’inventer un NotreDamedesLandes en plein Paris. Je lui souhaite beaucoup de courage sur le plan politique et juridique », a aussitôt annoncé Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo (PS) à la Mairie de Paris et nouvel élu chargé des questions d’urbanisme, d’architecture et du Grand Paris. La Ville prendra « tous les chemins politiques et juridiques pour faire obstacle à ce projet », prometil. Pas mieux du côté du collectif associatif Retrouvons le nord de la gare du Nord. « Ce projetcontrevient à la satisfaction des usagers et au confort des habitants. A la suite de l’épidémie quenous venons de connaître, il faut reconsidérer les projets économiques menés pas le gouvernement. Nous ne varierons pas, nous sommes le front du refus », a déclaré son président, Serge Rémy. Autrement dit, dans l’histoire déjà mouvementée de cette opération, le chapitre juridique vient de s’ouvrir.
La tournure qu’allait prendretout cela est restée en suspens jusqu’au dernier moment. Quelques heures avant l’expiration du délai légal, et alors que les élus parisiens envoyaient encore des messages au plus haut niveau pour alerter sur les conséquences d’un tel programme s’il était mené à terme, le préfet n’avait toujours pas rendu publique sa décision. Ledossier étant devenu ces derniers mois très politique, Michel Cadot a attendu la nomination du nouveau gouvernement pour validerl’orientation à donner à ce projet d’envergure nationale.
700 000 personnes chaque jourLa nécessité de moderniser et de réaménager la plus grande gare d’Europe n’est guère discutée, surtout à l’approche des Jeux olympiques (JO) de 2024. Mais les adversaires de la rénovation à 600 millions d’euros dessinée par l’agenceValode et Pistre dénoncent depuis des mois une opération « surdimensionnée », « incohérente », « un projet dépassé avant même d’être construit » dans un des quartiers les plus denses d’Europe, et sans qu’aucune étude d’intégration avec son environnement n’ait été véritablement menée. « Nous ne sommes pas opposés à la rénovation, insiste Emmanuel Grégoire, mais c’est une gare avant toute autre chose, et non un centre commercial avant une gare. »
Pour désengorger la premièregare d’Europe par laquelle transitent 700 000 personnes chaque jour et bien davantage à l’horizon
2030, selon les dires de StatioNord, le consortium qui unit laSNCF à Ceetrus, il a été imaginéd’arrimer un édifice de 300 mètres de long, haut de cinq étages, àla halle historique de Jacques Ignace Hittorff (17921867). A l’intérieur : la création d’un nouveau terminal des départs, mais aussi une bonne partie des 19 000 m2 de boutiques du projet devant lesquels devraient passer les voyageurs, 13 000 m2 de bureaux,12 000 m2 d’équipements sportifs et culturels, dont une salle despectacle de 2 800 places. Et sur les toits, un parc public.
C’est à l’automne 2019 que laVille de Paris a commencé à dénoncer le gigantisme de l’opération. Dans le même temps, un collectif d’architectes, d’urbanistes etd’historiens dénonçait un projet « inacceptable », dans une tribune publiée dans Le Monde. En mars, la commission d’enquête a rendu un avis favorable. Mais, comprenant depuis le début qu’il serait compliqué d’avancer contre la
« [Paris prendra]tous les chemins
politiques et juridiques pour
faire obstacleà ce projet »
EMMANUEL GRÉGOIREpremier adjoint d’Anne
Hidalgo à la Mairie de Paris
La reconnaissance du Covid19 comme maladie professionnelle en questionLe gouvernement est accusé de ne pas tenir ses promesses, notamment celles faites aux soignants, sur ce sujet sensible
L e gouvernement est accuséd’avoir manqué à sa parolesur une question sensible :
la reconnaissance en maladie professionnelle du Covid19 lorsque des travailleurs l’ont contracté dans le cadre de leur activité. Des responsables associatifs et syndicaux trouvent, en effet, qu’il y a untrès net écart entre les annonces récemment faites sur ce dossier et les dispositions concrètes qui sontsur le point d’être prises. L’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) s’en est même émue, en parlant de « mensonge » dans une lettre adressée,lundi 6 juillet, au nouveau chef du gouvernement, Jean Castex.
A l’origine de ce courroux, il y aun projet de décret et un projet d’arrêté, que Le Monde a pu consulter. Ces textes sont censés traduire les engagements que l’exécutif a affichés, le 30 juin, dans un communiqué diffusé par les ministères du travail et des solidarités et de la santé, et par le secrétariat d’Etat à la réforme des retraites. Il faisait état d’« une reconnaissance automatique » et systématique pour les soignants et d’« une reconnaissance facilitée »pour les autres professionnels « ayant travaillé en présentiel pendant la période du confinement ».
Ces intentions, évoquées àgrands traits, avaient déjà été critiquées par plusieurs associationset syndicats, au motif qu’ellesmanquaient d’ambition et introduisaient un régime à deux vitesses (entre les soignants et les autres). Aujourd’hui, la déception s’est muée en colère chez certainsprotagonistes, l’Andeva qualifiant de « mesquinerie » le projet de décret. Aux yeux de cette association, les « promesses (…) ne seront
pas tenues sur deux points essentiels ». S’agissant des soignants, seule « la prise en charge des séquelles respiratoires graves » du Covid19 sera possible. « Toutes lesautres séquelles sévères de cette maladie – séquelles rénales, neurologiques… – sont exclues, s’alarme l’Andeva. Cela constitue une iniquité flagrante entre les catégoriesde malades. » Quant aux nonsoignants, elle juge que le texte « les envoie dans une impasse totale » :« Ils devront établir “un lien directet essentiel” entre leurs conditions d’exposition et leur pathologie » – ce qui, en matière de Covid19,est « absolument impossible ».
« Parcours du combattant »Un tel décalage entre la parole et les actes « inspire du dégoût », confie Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva : « On se gargarise de grands flonflons à propos des soignants mais, dès qu’il s’agit de passer aux travaux pratiques, les mesures ne suivent pas. » Un avis partagé par Catherine Pinchaut, qui suit ces dossiers à la CFDT : « On est loin d’une reconnaissance automatique pour les soignants, y compris pour des séquelles qui pourraient survenir demain. » C’est
d’autant plus dommageable, selon elle, que de tels choix tombent en plein Ségur de la santé – la concertation destinée à améliorer le sort des personnels de santé. Quant aux autres catégories de travailleurs, elle déplore que « la charge de la preuve soit de [leur] responsabilité ». « Ça va être le parcours du combattant et beaucoup vont laisser tomber », craintelle.
Alors qu’il avait accueilli favorablement le communiqué gouvernemental du 30 juin, PierreYves Montéléon (CFTC) s’interroge désormais : « On peut imaginer que le dispositif envisagé soit plus restrictif que ce qui avait été dit au départ », observetil. « Dans la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie, on ne retrouve pas ceux accomplis par des médecins de ville », s’inquiète, poursa part, Alain Prunier, de l’Association des accidentés de la vie. Pour les soignants, il relève que le délai de prise en charge pourrait excluredu dispositif des personnes ayant développé la maladie bien après y avoir été exposées.
Seule Force ouvrière se montremoins critique : « Cela va dans lebon sens même si ce n’est pas parfait, estime Serge Legagnoa, en charge de ces questions pour la confédération. On aurait préféré que, pour les nonsoignants, il y aitune reconnaissance plus directe, mais on a quand même une facilitation [des démarches] qui n’était pas prévue jusqu’à présent. »
Au ministère des solidarités etde la santé, on assure rester « à l’écoute » et que « les principes énoncés dans le communiqué seront au cœur du dispositif » quisera construit.
raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel
« Dès qu’il s’agitde passer
aux travaux pratiques,
les mesures ne suivent pas »
ALAIN BOBBIO secrétaire national
de l’Andeva
LES DATES
2014Le président de la SNCF de-mande de lancer des études sur la rénovation de la gare du Nord.
JUILLET 2018Au terme d’un appel à candida-tures, le projet de Ceetrus, filiale du groupe Auchan, est retenu. Celui porté par Altarea-Cogedim, avec l’architecte Dietmar Feichtinger, et celui du groupe-ment Apsys/Wilmotte & Associés sont écartés.
MAI 2019Dépôt d’une demande de permis de construire.
JUIN 2019Avis défavorable de la commission départementale d’aménagement commercial : la hausse des surfaces de 457 % est « surdimension-née ». Quatre mois plus tard, la commission nationale approuve le programme.
MARS 2020Au terme de l’enquête publique, les commissaires rendent un avis favorable.
Mairie, même si celleci n’a qu’un avis consultatif dans l’histoire, lepréfet de région lançait, dans le même temps, une médiation pour que les représentants de StatioNord et les élus travaillent ensemble à l’amélioration du projet. L’idée : s’entendre sur un protocole sur la base duquel StatioNord pourrait alors déposer une demande de permis modificatif.
De nombreuses réunions se sonttenues, jusqu’à deux par semaine, ces derniers temps. La Ville de Paris avait listé les cinq points sur lesquels elle ne transigerait pas. Des compromis ont été trouvés. L’obligation de passer par le terminal dedépart pour les passagers des Transilien, selon la méthode des flux aéroportuaires, n’est, par exemple, plus d’actualité. En revanche, pour les TGV, StatioNord n’en démord pas : il faudra passer par le premier étage du terminal, puis redescendre par l’une des passerelles qui enjambera les voies avant de monter dans le train.
Concernant l’accès à la gare, lenombre de places de stationnement pour vélos va considérablement augmenter. Cela n’est pasencore le volume de ce qui se pratique à Amsterdam, mais StatioNord a donné son accord pour aménager 3 000 places, contre 1 200 puis 2 000 sur les documents présentés initialement. De son coté, la Ville s’engage à en installer 3 000 supplémentaires dans les rues avoisinantes. Pour ladépose taxi, Gares & Connexions ne serait pas hostile à un aménagement du parking en soussol de
la gare. Une bonne chose pour les techniciens de la Mairie de Paris,qui craignent une saturation du quartier aux heures de pointe.
En revanche, c’est une fin denonrecevoir pour l’ouverture de la gare vers le nord, à laquelle la maire du Xe arrondissement est pourtant très attachée. Quant à la dédensification du projet, les concessions obtenues sont largementinsuffisantes, expliquaient encore, en fin de semaine dernière, JeanLouis Missika, l’exadjoint àl’urbanisme d’Anne Hidalgo. Les discussions se heurtent à un problème de fond : une grande partie de l’équilibre financier de la rénovation de la gare, pour laquelle les pouvoirs publics ne voulaient initialement pas verser 1 euro, reposesur l’édification de ce grand complexe commercial le long de la ruedu faubourg SaintDenis.
Le permis de construire délivré,StatioNord pourrait ne pas attendre que tous les recours soient purgés avant de démarrer le chantier. Ce dernier pourrait même débuter avant la fin du mois de juillet. Le calendrier est très serrédans la perspective des JO de 2024. Surtout, certains travauxpréparatoires doivent être menés directement sur les voies ferrées. Or, s’il fallait ajouter de la complexité au dossier, il s’agit d’intervenir sur l’un des réseaux ferrés les plus fréquentés d’Europe. Et les interruptions de circulationdes trains se demandent et se calent des mois, voire deux ou trois années, à l’avance.
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 économie & entreprise | 19
L’annulation des festivals d’été, coup dur pour les communesSelon une étude de deux chercheurs, la déprogrammation des manifestations culturelles estivales coûtera jusqu’à 2,6 milliards d’euros à l’économie française
L es 7, 10 et 13 juillet,dans le Grand Théâtrede Provence, à AixenProvence (BouchesduRhône), sous la baguette de Sir Simon
Rattle, à la tête du London Symphony Orchestra, le baryton allemand Christian Gerhaher auraitdû interpréter Wozzeck. Dans un rôle de brave soldat méprisé, il devait assassiner sa maîtresse. Il n’en a rien été. En revanche, lapandémie de Covid19 s’est avéréeplus sombre et a eu raison de laquasitotalité des festivals en France, cet été.
Ces annulations en cascade provoquent une onde de choc violente, qui se répercute chez les artistes, les compagnies, les organisateurs de ces manifestations, mais qui affecte aussi très durement l’économie des villes et l’emploi. Avec des milliards d’euros évaporés et des dizaines de milliers d’emplois volatilisés. L’urgence est telle que Roselyne Bachelot, la nouvelle ministre de la culture, a annoncé, lundi 6 juillet, lors de sa passation de pouvoirs avec Franck Riester, vouloir tenir « dans les prochains jours » des « états généraux des festivals ».
Dans une étude publiée, enmai, sur la perte économique etsociale des festivals annulés– 4 000 manifestations toutes disciplines confondues (musique pour les deux tiers, mais aussithéâtre, danse, opéra, cinéma, littérature, arts du cirque…), entreavril et fin août –, Emmanuel Négrier, chercheur au Centre national de la recherche scientifiqueCentre d’études politiques del’Europe latine (CNRSCepel) de l’université de Montpellier, et sonconfrère Aurélien Djakouane, du laboratoire Sophiapol de l’université de Nanterre, estiment, dansleur fourchette haute, à quelque 2,6 milliards d’euros le coût de cesannulations.
Cela inclut les pertes liées à l’absence de dépenses des festivaliers (avec un panier moyen de 53 euros), la réduction des dépenses des festivals (dont le budget moyen s’élève à 740 718 euros) et les effets induits (l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, la vente des spectacles…). Piètre consolation, le ministère de la culture a annoncé, le 1er juillet, la créationd’un fonds de 10 millions d’euros pour faire face au séisme auquel sont confrontés ces événements…
UNE CATASTROPHEEn termes d’incidence sociale, les deux chercheurs prévoient, dans l’hypothèse la plus sombre, la suppression de 111 065 emplois (hors bénévoles et personnelsmis à disposition de ces manifestations), d’ici à la fin août. Encomptant les bénévoles et ceux qui ont travaillé quatre mois avant la tenue espérée des festivals, plus de 359 000 personnessont concernées.
Rien que pour les cachets payésaux artistes, 238 000 engagements se sont volatilisés. Un calcul au minimum, puisque Emmanuel Négrier n’attend guère un retour de l’effervescence festivalièreau 1er septembre. Le président de la commission culture de l’Association des maires de France, JeanMarc VayssouzeFaure, redoute, lui aussi, que les protocolessanitaires, qui évolueront encore,
incitent, par prudence, à l’annulation de tous les festivals jusqu’à lafin de l’année.
La suppression de ces grandesmanifestations culturelles s’apparente, localement, à une catastrophe. Devant la cour d’honneur du Palais des papes, c’est le désert,et les commerçants attendent les clients. Tout semble en suspens.Paul Rondin, directeur délégué duFestival d’Avignon, désespère :« Nous allons indemniser près de 450 saisonniers et intermittents pour les cinquante créations déprogrammées. Et 70 % de ces salariés viennent de la région, où la maind’œuvre est très qualifiée, grâce à l’Institut supérieur des techniques du spectacle d’Avignon. » « Tant qu’on peut embaucher localement, on le fait », assurele directeur délégué. La majoritédes prestataires, les locations degradins, grues ou matériel de son viennent de la région.
Les compagnies, venues dumonde entier, pâtissent, elles,d’un effet domino, avec l’annulation des spectacles : c’est leur passage dans la cité des Papes qui déclenche des tournées en Franceet à l’étranger. Même si le Festivald’Avignon a maintenu ses parts de coproduction pour tous les spectacles prévus, les compagnies traverseront une périodefinancière délicate en 2021. Personne n’échappe à la crise. Après
la Féria, les Rencontres d’Arles, lerendezvous annuel de la photographie, ont été supprimées danscette ville des BouchesduRhône. « Le tourisme enregistreune baisse de 60 % à 70 %, se désole Stéphane Paglia, président de la chambre de commerce etd’industrie (CCI) du Pays d’Arles.Quelque 40 % des hôtels sont encore fermés, et les touristes étrangers attendus la première semaine des Rencontres ne sont paslà. » En 2019, la direction des Rencontres estimait à 35 millionsd’euros les retombées économiques sur Arles et sa région. Les 3 000 saisonniers habituels n’ontpas été recrutés cet été, détailleM. Paglia, et Pôle emploi proposeaujourd’hui cinq fois moins d’offres dans le Pays d’Arles qu’avantle confinement de mars.
Le président de la CCI craint unhiver difficile : « Les PME qui viventgrâce aux festivals réalisent leurs marges en été – une saison inexistante, cette année. Elles devront àl’automne de nouveau payer leurs charges courantes. » M. Paglia s’attend à la fermeture d’une entreprise sur trois dans le tourisme – entre les hôtels, les restaurants, les prestataires de services et les sociétés d’événementiel.
De fait, Cédric Angelone, président du nouveau Syndicat des activités événementielles, qui regroupe 307 soustraitants importants des festivals, évalue à 159 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires de ses adhérents,entre mars et fin juin, soit unechute de 72 % par rapport à 2019.
Egalement maire PS de Cahors,JeanMarc VayssouzeFaure assure pourtant que « les collectivités locales montrent, très majoritairement, une réelle solidarité visàvis des festivals, en versant les
subventions promises, même siles spectacles n’ont pas eu lieu ». Ce qui a été rendu possible grâce àun assouplissement de la règlehabituelle. Toutefois, « cela resteune perte sèche pour toutes les dépenses indirectes, les cafés, restaurants, hôtels, fournisseurs… », ajoutetil.
« Dès qu’on a appris l’annulationdes Eurockéennes, nous avons assuré JeanPaul Roland, le directeur de cette manifestation, du maintien de notre soutien financierpour l’aider à passer ce cap difficile », témoigne Damien Meslot,maire LR de Belfort. De son côté,Paul Rondin, opposé par le passé àla mairie d’Avignon, assure, cettefois, que « les collectivités localeset l’Etat ont été admirables en maintenant 100 % de leurs subventions ». Même si certaines villes n’ont pas joué le jeu, déploreEmmanuel Négrier.
« DES REPORTS DE CONCERTS »La crise est là. Partout. A Clisson (LoireAtlantique), commune de 7 400 habitants où le festival de rock métal Hellfest ne s’est pas tenu, « le manque à gagner s’élève entre 8 millions et 9 millions d’euros », souligne le maire (divers droite) Xavier Bonnet. « Les habitants qui louaient aux festivaliers ne pourront pas partir en vacances cette année », constate l’édile. A Arras, orpheline, cet été, des concerts du Main Square, Frédéric Leturque, le maire divers centre, constate : « Pour le territoire, 2 millions d’euros s’évaporent et plus d’une centaine d’emplois précaires ne sont pas conclus. » La population de la ville n’apas doublé, alors qu’elle passe d’ordinaire de 40 000 à 80 000 personnes pendant ces trois joursde fête. A CarhaixPlouguer (Fi
nistère), où Les Vieilles Charrues s’autofinancent grâce à des cohortes de bénévoles et drainent, chaque été, 270 000 fans de musique, là encore, personne n’est aurendezvous. Aucun coup de projecteur estival. Les habitants de cette petite commune ne louentni chambres ni bouts de jardin.« Plus encore que l’impact économique, c’est l’absence d’un moment festif, de retrouvailles, qui manque », regrette le maire diversgauche, Christian Troadec.
Comment être attrayant sansces rendezvous ? A HérouvilleSaintClair (Calvados), le festival Beauregard fédère habituellement 110 000 amateurs de musique dans un parc de 43 ha et génère près de 6 millions d’euros de retombées économiques locales. Le maire MoDem, Rodolphe Thomas, regrette le millier de bénévoles et les centaines d’emplois créésen 2019 (180 intermittents embauchés au pic de la fête et 400 CDD). Ilredoute qu’à l’avenir, les mécènesdélaissent la manifestation.
Organisateur de Jazz in Marciac,dans le Gers, bien avant d’être élu maire PS de cette petite commune, JeanLouis Guilhaumon déclare : « Nous portons le deuil de notre festival. Tous, la petite équipe
des sept salariés de Jazz in Marciac comme le millier de bénévoles qui yconsacrent une partie de leurs vacances estivales. » La dernière étude du cabinet Traces TPi faisaitdéjà état, en 2014, de près de20 millions d’euros de retombées économiques sur la région. « Aujourd’hui, nous négocions desreports de concerts en 2021 avecNile Rodgers & Chic et Lenny Kravitz », explique le maire.
Cette équation difficile a aussibien occupé la direction du Festival international d’art lyrique d’AixenProvence. FrançoisVienne, directeur général adjoint, a réussi à reporter cinq productions à 2021. « C’est un cassetête », déclare Stéphanie Deporcq, la directrice administrative et financière. Pour les créations impossibles à reprogrammer, une grille d’indemnisation permet de rembourser à70 % les petits cachets (les chanteurs de chœur, par exemple),mais à 10 % seulement les grandes stars. « Nous sommes les seulsau niveau international à le faire, les agents et les artistes nous sontreconnaissants », se félicite François Vienne. Le festival a aussi parié sur dix jours de concerts en ligne gratuits, du 6 au 15 juillet.
Même problématique maisautres solutions à Montpellier Danse. « On a imprimé notre programme le 3 mars, le 13, il était obsolète », explique JeanPaul Montanari, le directeur. « Il était hors dequestion de baisser les bras : 70 % de la programmation sera présentée, entre septembre et fin décembre, dans les différents théâtres partenaires de Montpellier », ajoutetil. Et si un nouveau confinement est annoncé ? « On reste chezsoi et on pleure… », conclutil.
nicole vulser
Dans l’hypothèsela plus sombre,111 065 emploispourraient êtresupprimés d’ici
à la fin août
La nouvelle ministre de la
culture, RoselyneBachelot,
a annoncé vouloir tenir des« états généraux
des festivals »
PLEIN CADRE
Le Théâtre de l’Archevêché, le 24 juin, à AixenProvence(BouchesduRhône), où devait se tenir le Festival international d’art lyrique.CLEMENT MAHOUDEAU/AFP
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20 |horizons MERCREDI 8 JUILLET 20200123
En Côte d’Ivoire, la fièvre de l’orL’orpaillage illégal a pris une ampleur considérable dans le pays et engendre bouleversements environnementaux et tensions communautaires
hiré (côte d’ivoire) envoyé spécial
S oudain, au milieu d’une clairièrese découvre un trou où plongentdes êtres animés par des rêves defortune. Une fosse de terre bruneet de rocailles d’une cinquantainede mètres de diamètre, qui ai
mante des dizaines d’hommes, de femmes etd’enfants portés par l’espoir d’y découvrir le filon susceptible de changer leur destin. Armés d’une pioche ou d’une pelle, certains creusenten surface, dégoulinant de sueur. D’autres s’enfoncent au péril de leur vie dans des galeries souterraines. Selon la légende, l’or est une matière vivante qui, pour s’offrir aux audacieux, exige certains sacrifices.
En sortant de la ville d’Oumé (50 000 habitants), au centre de la Côte d’Ivoire, il suffit de faire quelques kilomètres de voiture, puisune demiheure de marche à travers une forêt copieusement tronçonnée, pour tomber sur cette mine d’or clandestine. Ce lieu sans nom a des allures de tour de Babel inversée. Dans les entrailles de la terre s’engouffrent des migrants venus du Ghana, de Guinée, mais surtout du Mali, et plus encoredu Burkina Faso. Les deux voisins septentrionaux de la Côte d’Ivoire possèdent la plus longue expérience et les réseaux lesplus performants dans le secteur aurifère.
Creuser, piocher, broyer, trier, laver, concasser, retrier pour ne souvent récolter qu’une pincée de poussière dorée est le quotidien deces forçats, payés au prorata de leurs découvertes. Les rêves de richesse sont le meilleuraimant pour les filières de recrutement oupour ceux qui sont simplement portés par l’aventure du moment. Mais la confrontation avec la réalité peut être cruelle.Seydou, un Guinéen arrivé il y a trois ans, dit n’avoir toujours rien trouvé dans les soussols de la région. Dès lors, c’est devant les barset les restaurants qu’il mendie son butin.
Voilà une dizaine d’années que la fièvre del’orpaillage clandestin frappe tout le Sahel et, audelà, une large partie de l’Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, en parallèle d’uneproduction industrielle en constante progression, le phénomène a pris une telle ampleur que les équilibres économiques et environnementaux de certaines régions sont endanger. Les bouleversements engendrés ontsuscité en plusieurs endroits des tensions communautaires, toujours promptes à déborder sur le champ politique.
LES FLAMBEURS DES MAQUISCes risques, Idrissa – tous les prénoms ontété modifiés – s’en fiche comme d’une guigne. « Quatre mois après l’ouverture, on adéjà tiré plus de 10 kg de la mine », prétend lejeune « chef de chantier ». Gestionnaire du site pour le compte d’un investisseur extérieur dont il préfère taire le nom, ce trentenaire alerte est chargé de payer le droit d’accès à la terre aux chefs locaux, de rémunérerles orpailleurs, d’acheter le matériel, de revendre l’or extrait, de corrompre les fonctionnaires pour qu’ils ferment les yeux,comme lui clôt les siens sur certainestechniques destinées à ne perdre aucuneparticule de métal jaune. Devant un alignement de « piscines » d’environ deuxmètres de côté, creusées à même la terre, oùle sable extrait est une dernière fois filtré dans du cyanure, Idrissa s’amuse de nos inquiétudes sanitaires : « C’est sans danger.Regarde ! Il y a encore de l’herbe à côté. »
Combien de mines illicites, semblables à celleci, se sont ouvertes ces dernières années en Côte d’Ivoire ? Un comptage précis s’avère impossible, mais les autorités et les acteurs du secteur admettent que le phénomène, s’il n’est pas nouveau, a connu une forte expansion. De bonnes sources parlent d’au moins un millier de sites sur l’ensemble du territoire.En 2014, le gouvernement ivoirien estimaitque, sur les 25 millions d’habitants du pays, environ 500 000 vivaient de cette activité. « L’orpaillage clandestin a pris des dimensions inquiétantes, durant les dix dernières années, faisant perdre à l’Etat quelque 479,22 milliards defrancs CFA, soit environ 878 millions d’euros », s’inquiétait alors le ministère des mines.
L’embargo imposé par les Nations unies surles exportations d’or et de diamants durant les années de guerre (20022011) avait été levéun an plus tôt. Des experts, cités dans un rapport de l’organisation African Security SectorNetwork, évaluaient à « environ 30 tonnes d’orpar an la production artisanale qui échappe à l’Etat ». En 2019, la production officielle étaitde 32,5 tonnes. Appuyée par les industriels canadiens, australiens et nigérians ayantinvesti dans ce qui est encore un territoire prometteur pour le secteur minier, une politique de répression a été engagée – plus de200 sites illégaux ont été démantelés et une
centaine de personnes interpellées depuis un an –, mais la stratégie a montré ses limitesface à l’attrait du gain rapide.
En visite dans le centre du pays, en septembre 2019, le président Alassane Ouattara avaitexprimé sa volonté d’« éradiquer une bonne fois pour toutes ce problème » et menacé :« Lorsque nous découvrirons que des ressortissants d’un pays voisin sont impliqués dans ce phénomène, nous les expulserons immédiatement. » A quelques kilomètres du lieu où le chef de l’Etat a tenu ce discours, Souleymane ne se sent guère concerné par cet avertissement. A Hiré, une souspréfecture d’un peu plus de 50 000 habitants, lui et son frère, tousdeux âgés d’une cinquantaine d’années, ontété des pionniers de l’orpaillage sauvage. A cejour, ils ont quatre « chantiers » en activité.
« Si tu as l’accord des autorités locales, ça suffit pour travailler. En Côte d’Ivoire, l’argent finit toujours par tout arranger », confie l’entrepreneur clandestin, qui n’a jamais cessé lesallersretours entre son Burkina Faso natal etla Côte d’Ivoire, où il mène ses affaires. Sarecette ? « Pour monter des chantiers, on paye 250 000 CFA [380 euros] par mois à la gendarmerie. La même chose aux Eaux et forêts.Entre 250 000 et 500 000 aux soldats des FRCI [Forces républicaines de Côte d’Ivoire]. Le flair compte, mais il y a des signes. Si tu vois dans la forêt un endroit où l’herbe est morte, ilest possible qu’il y ait un filon en dessous. »
A l’entendre, le travail serait plus aisé enCôte d’Ivoire que dans les pays du Sahel. La terre y est plus meuble, les filons moins profonds. « Ici, quand il pleut, tu peux même voir les enfants ramasser l’or qui remonte dans les rues », plaisante Souleymane. L’acheminement de substances très toxiques, comme le mercure, utilisé pour amalgamer les poussières d’or, et le cyanure, pour laver une dernièrefois les roches, ne lui cause aucun souci.« C’est un frère qui va régulièrement en Chine qui nous les envoie jusqu’au port d’Abidjan. » Une fois collecté, l’or est revendu à des bijoutiers du quartier de Treichville, à Abidjan, au Mali, au Burkina, « en fonction de là où le cours est le meilleur », avant de prendre le plussouvent la direction de Dubaï, la plaque tournante mondiale du business de l’or.
La seule évocation de la brigade derépression des infractions au code minier,montée décembre 2018, notamment pourcontourner les administrations locales corrompues, éveille sur le visage de Souleymane un sourire complice. Par un gestede la main en direction de sa poche, il rappelle que tout est négociable. Risqué, aussi.« Sauf pour la Tabaski [nom donné à l’AïdelKébir en Afrique de l’Ouest], tu ne me verrasjamais bien habillé. Pour ne pas te faire attaquer par des concurrents, il ne faut jamais attirer l’attention », prévient ce père de famillequi ne s’intéresse « ni au ballon, ni à la musique, ni aux filles ».
Les hommes du coin ne sont pas tous aussiaustères. En fin de semaine, dans les « maquis » (barsrestaurants en plein air) d’Hiré,certains creuseurs flambent leur magot dansla boisson et les plaisirs tarifés.
JARDIN SECRETAvec ses alignements d’échoppes remplies de pelles, de pioches et autres outils indispensables, Hiré est un Far West contemporain. L’Etaty a organisé des descentes pour chasser les orpailleurs clandestins arrivés par cars entiers du Burkina Faso. Les prostituées venues d’Abidjan ont filé, mais l’attrait pour le métal jaune n’a pas cessé. Les réseaux en place et les travailleurs ont repris leurs activités.
A la sortie de la ville, dans un atelier clandestin, des femmes et des adolescentes concassent des pierres au prix de 2 500 francsCFA le sac de 50 kg. Des garçons d’une douzaine d’années viennent ensuite les broyer en une poudre grise ou ocre, puis laver etamalgamer le tout avec du mercure. Les forces de l’ordre veillent à leur façon : à une centaine de mètres de là, un gendarme paresse sur sa moto, à l’ombre d’un arbre. Comme unrêve ou une hallucination, un VTT dernier crimonté par un Blanc en tenue de coureurcycliste file sur la piste, puis disparaît.
Natif d’Hiré, qu’il n’a jamais quittée, Rogerest un commerçant accueillant, comme enatteste l’étonnante bande d’évangéliques ayant investi sa terrasse, très portés sur laprière, la boisson et les billets de banque. Lechaleureux sexagénaire, très au fait des
affaires de sa ville, peste volontiers contre lasociété Afrique Gold. La compagnie, montéepar un consortium canadien et des investisseurs du continent africain, exploite en pleine ville une mine industrielle.
« Les explosions quotidiennes fissurent mamaison », s’insurgetil en montrant des lézardes sur les murs. « Les productions de cacao sont maintenant à plus de 15 kilomètres. Les champs où étaient plantées les cultures vivrières ont disparu, et les prix ont doncmonté », s’agace Roger, avant de laisserdécouvrir son jardin secret. « Un filon passeen dessous de chez moi, ditil devant un conduit d’à peine deux mètres de diamètrecreusé dans son arrièrecour. En quatre mois, nous avons extrait soixante sacs de cailloux qui nous ont donné 2,2 kg d’or. »
L’affaire est rentable. Roger ne donne pas lemontant, mais il dit avoir reçu la moitié dumagot – au cours actuel, le lingot de 1 kg se négocie environ 50 000 euros –, l’autre moitiéayant été partagée entre le « chef de chantier » et les creuseurs. L’un de ses voisins a même installé une excavatrice dans son jardin. Lorsque les militaires ont tenté de racketter Roger,un coup de fil à un officier, vieille connaissance de la famille, a permis de transformer les voleurs en protecteurs rémunérés.
Plusieurs officiers des FRCI, venus de l’ancienne rébellion, se sont enrichis en parrainant des sites clandestins, d’abord dans le nord du pays, puis sur l’ensemble du territoire.« Cela a, d’une certaine manière, aidé à les démobiliser. Ils sont encore dans le commerce, mais se font plus discrets », confie une sourcesécuritaire. L’une des inquiétudes est que ce trafic puisse profiter aux réseaux djihadistesactifs au Sahel, dont les ramifications s’étendent jusqu’aux côtes ivoiriennes. En novembre, l’organisation International Crisis Group rappelait que « plusieurs membres de la katiba [brigade] Khalid Ben Walid, branche sud d’Ansar Eddine [groupe lié à AlQaida], auraient reconnu avoir reçu une formation aux explosifs sur une des nombreuses mines d’or artisanales du nord de la Côte d’Ivoire, près de la frontière malienne ». Le centre de recherche alertait sur le fait que, depuis 2016, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, « des groupes armés, y compris djihadistes, trouvent dans les mines d’or une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement ».
cyril bensimon
Orpailleurs travaillant dans une mine clandestine proche d’Oumé (Côte d’Ivoire), le 12 décembre 2019. CYRIL BENSIMON/« LE MONDE »
L’UNE DES INQUIÉTUDES DES FORCES DE SÉCURITÉ
IVOIRIENNES EST QUE CE TRAFIC
PUISSE PROFITER AUX RÉSEAUX DJIHADISTES
ACTIFS AU SAHEL
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 carnet | 21
Paul SebanDocumentariste
D ès le 2 octobre 1965, lecritique Jacques Siclierécrivait dans LeMonde à propos d’un
reportage de Paul Seban, Ruth oule cap de l’été, diffusé dans le magazine « Les Femmes aussi »,d’Eliane Victor : « Ce que nousdonne Paul Seban aujourd’hui sur le plan du récit télévisé dépasse dans l’écriture les fictions inspiréesdu réel. » Pionnier en la matière, il fera école auprès de nombreux documentaristes.
Si l’on devait résumer la richevie professionnelle de Paul Seban,mort le 1er juillet à Paris à l’âge de 90 ans, elle s’écrirait en trois mots : réalisateur, documentariste et communiste. Epousant passionnément les soubresauts du monde du XXe siècle, il a su le traduire en images dès les années1960, ce que l’on appellera plustard le « cinéma du réel ».
Né le 21 octobre 1929 à Sidi BelAbbes (Algérie) dans une famille d’origine juive, il a passé son enfance en terre algérienne avant de débarquer en France à l’âge de 19 ans. Diplômé d’une licence de droit, il choisit en 1949 de s’orienter vers le cinéma, après avoir étéadmis à l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) – ancêtre de la Femis –, d’où il sort diplômé en 1952.
« Athée et marxiste »Paul Seban démarre sa carrière cinématographique en 1954 comme assistant réalisateur de Jean Renoir sur son film French Cancan. Le « patron » qui, à l’époque, ne cache pas ses sympathiescommunistes, accueille avecbienveillance Seban qui, se déclarant « athée et marxiste », a pris sa carte du Parti communiste français (PCF) en 1946. Il enchaîne plusieurs films de réalisateurs de renom : Marcel Carné (Les Tricheurs,en 1958), Alexandre Astruc (Une vie, en 1958), Claude Chabrol (Les Godelureaux, en 1961), Orson Welles (Le Procès, en 1962) et Stanley Donen (Charade, en 1963).
Des rencontres qui, disaitil,l’ont beaucoup marqué, mais pas au point de poursuivre sa carrière dans le cinéma. A cette époquebalbutiante, il choisit la télévision.Il devient réalisateur de plusieurs magazines, dont « Lectures pour tous », présenté par le journalistePierre Dumayet, ou « Les Femmes aussi », d’Eliane Victor. Il réalise aussi de nombreux sujets pour lesmagazines « Cinq colonnes à la une » et « Le Monde en quarante minutes ». Ses entretiens avec Jean Cocteau et Georges Simenon sont des modèles. En 1961, sur le plateau de « Lectures pour tous », il rencontre Marguerite Duras
avec qui, en 1967, il réalisera le filmLa Musica, adapté de la pièce dethéâtre de cette dernière, avec Delphine Seyrig et Robert Hossein.Selon Seban, le tournage futéprouvant, mais il le décrivit comme « une belle expérience ».
Dans les studios des ButtesChaumont, ruche créatrice de la télévision française, Paul Seban côtoie d’autres réalisateurs comme Stellio Lorenzi et Marcel Bluwal, spécialistes des « dramatiques » transmises en direct (en 1966, Seban tournera Le Manteau, de Gogol), ou encore Jacques Krier, Maurice Failevic, Raoul Sangla et Marcel Trillat, journalistesréalisateursqui, comme lui, ne cachent pas leur appartenance au PCF. En 1967, à travers son reportage « A la recherche du temps futur », une série en cinq épisodes, il dresse un tableau de la jeunesse française à quelques mois de Mai 68.
Ces réalisateurs et d’autres noncommunistes (Claude Barma, Claude Loursais, Claude Santelli)formeront « l’école des ButtesChaumont », qui revendique – ettente d’imposer – une télévision de qualité malgré le corset politique exigé par le général de Gaulle.Ensemble, ils créeront le Syndicat français des réalisateurs CGT, en défendant le droit d’auteur des réalisateurs. Paul Seban en sera son secrétaire général de 1972 à1979. A la même époque, il réalise plusieurs fictions telles que Pour Elisa (1973) et des films sur la peinture comme Le Solennel Monsieurde Champaigne (1975).
Son engagement syndical et politique lui valut d’être souvent mis à l’écart par les dirigeants des chaînes sous tutelle du pouvoir pompidolien et giscardien.
Au milieu des années 1980, refusant les contraintes économiques et artistiques imposées par les chaînes du service public, qui ne lui donnent plus de travail, Paul Seban travaille en Suisse où il réalise quelques reportages pour la Télévision suisse romande, dontNous les exclus du travail, en 1986, et Etranges étrangers, en 1992. En 1981, la Société civile desauteurs multimédias lui décerna le Grand Prix du documentaire pour l’ensemble de son œuvre.
daniel psenny
21 OCTOBRE 1929 Naissance à Sidi Bel Abbes1954 Assistant réalisateur de Jean Renoir1960 Réalise « Lectures pour tous », « Les femmes aussi »1968 « A la recherche du temps futur », série de reportages sur la jeunesse1ER JUILLET 2020 Mort à Paris
En 1972. ARCHIVE FAMILIALE
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LE LIVRET
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Pierre Ardouin,son époux,
Perrine et Kean Ardouin-Foo,Blaise et Catherine Ardouin,
ses enfants,Adelaïde, Maxence et Théophile,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Mme Anne-Marie ARDOUIN,
survenu dans sa quatre-vingt-septième année.
La cérémonie d’obsèques setiendra dans la plus stricte intimitéfamiliale.
Villennes-sur-Seine.Les Melles-Annepont.
Tous ses amis et proches
ont la tristesse de faire part du décèsde
Jean-Jacques ARSONNEAU,
survenu à Saint-Germain-en-Laye,le 25 juin 2020.
Les obsèques ont lieu ce mardi7 juillet, à 15 h 30, au crématoriumdes Mureaux (Yvelines).
« L’humour est une affirmationde la dignité, une déclarationde la supériorité de l’homme
face à ce qui lui arrive. »Romain Gary.
Sylvie et François,ses enfants,
Philippe et Maud,ses gendre et belle-fille,
Julien, Thalie, Marin et Isée,ses petits-enfants
Et toute sa famille,
ont la grande tristesse de faire partdu décès de
Robert AYME,agrégé de l’Université,
fidèle lecteur du Monde,
survenu le 1er juillet 2020.
Les obsèques ont eu lieu le lundi6 juillet, au funérarium de l’hôpitalEuropéen, à Marseille et ont étésuivies de la crémation.
« Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici,pas besoin de regarder en arrière,
les jonquilles sont devant toi »Eugène Guillevic.
Sylvie Ayme-Valéry,166, boulevard Baille,13005 Marseille.François Ayme,136, rue de Charonne,75011 Paris.
Yvonne Beyneix,son épouse,
Isabelle et Florence,ses filles,
Jacques Vacher,son gendre,
Valentine et Flavie,ses petites-filles,
Eric Beyneix,son frèreainsi que son épouse,
Michèle et Philippe Senez, HélèneRovinski, Jean et Christine Rovinski,ses belles-sœurs et beaux-frères
Ainsi que ses neveux et nièces,
ont l’immense tristesse d’annoncerle décès du
docteur Alain BEYNEIX,
survenu à Nice, le 4 juillet 2020.
Les obsèques auront lieu dansl’intimité familiale.
« Ni le soleil ni la mortne peuvent se regarder en face ».
Héraclite.
Laurent Fabius,président
Et les membresdu Conseil constitutionnel,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Jean CABANNES,ancien membre
du Conseil constitutionnel,
survenu le 1er juillet 2020.
La famille de
M. Jean-Pierre FALAISE,psychologue,
psychanalyste,
a la douleur d’annoncer son décès,survenu à Grenoble, le 30 juin 2020,à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
Sa générosité, son écoute, sonardeur à aider, à réparer, à faire,demeurent en nos cœurs.
Les obsèques ont eu lieu aufunérarium de La Tronche (Isère),ce mardi 7 juillet, à 13 h 45.
La famille de
M. Jean KILEDJIAN,docteur,
a la douleur d’annoncer son décès.
La célébration religieuse de sesfunérailles aura lieu le mercredi8 juillet 2020, à 11 heures, en l’églisearménienne de Paris, rue Jean-Goujon.
Marie Le Quément-Bordet,son épouse,
Matthieu Le Quément et AnoukLepage, Antonin,
Anne et Duncan Seekings-LeQuément, Joséphine et Ferdinand,
Guillaume Le Quément et MarionCharles,ses enfants et petits-enfants,
Ses frère, sœur, beaux-frères,belles-sœurs, neveux et nièces,
ont la profonde tristesse d’annoncerle décès de
Joël LE QUÉMENT,né à La Roche Derrien
(Côtes-d’Armor),le 14 juillet 1944,
décédé à Bruxelles,le 26 juin 2020.
La cérémonie religieuse etl’inhumation ont eu lieu le 2 juillet,à Bruxelles, dans l’intimité.
La famille tient à remercier lesmédecins et le personnel soignant del’hôpital Sainte-Elisabeth, à Bruxellespour leur grande humanité.
Le présent avis tient lieu de faire-part.
Clos du Manoir, 30,1150 Bruxelles.
Bordeaux. Pessac.
Jean-Pascal, Véronique et Benoît,ses enfantset leurs conjoints,
Jean-Paul, Jean-Pierre,ses frères,
Jules, Emilien, Louis, Anna,Lucien et Valentine,
ses petits-enfants,Ses belles-sœurs,Ses neveux et nièces,Les familles Poublan, Gerbeaud,
Belissen, Corsan, Maire,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Mme Marie, Bernadette MAIRE,née POUBLAN,
des suites d’une longue maladie.
La cérémonie religieuse seracélébrée le jeudi 9 juillet 2020,à 10 heures, en l’église Notre-Dame-des-Anges, à Bordeaux, suivie de lacrémation à Mérignac.
La famille tient à remercierl’équipe soignante de Cos Villa Piaet le réseau Estey.
Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.
La familleEt les amis, de
MireilleMILLET SZATAN DEMEAUX,
ont l’immense tristesse de faire partde son décès, survenu le 2 juillet 2020.
La cérémonie aura lieu le mercredi8 juillet, à 10 heures, au crématoriumde Champigny-sur-Marne.
Elle sera suivie d’un moment departage convivial, dans sa maison, enson hommage et celui de son mari,
Jean Pierre DEMEAUX,
décédé le 19 mai 2020.
Ni fleurs ni couronnes, mais desplantes qui feront vivre sa mémoire.
Geneviève Moreau,son épouse,
Vincent Moreau,Marie et Julien Faucher,
ses enfants,Pierre, Elise, Apolline,
ses petits-enfants,Joëlle et Thierry Lepoultier,
sa sœur et son beau-frère,Marc et Katalin Berthel,
son beau-frère et sa belle-sœur,Les familles parentes et alliées,
ont la tristesse de faire part du décès,survenu à l’aube de ses soixante-dix-huit ans,
M. Bernard MOREAU,directeur honoraire
des servicesde l’Assemblée nationale.
La cérémonie religieuse aura lieule mercredi 8 juillet 2020, à 9 heures,en l’église Notre-Dame-d’accueil,de Vergèze (Gard), suivie del’inhumation dans le caveau familialau cimetière Saint-Baudile de Nîmes.
Ni fleurs ni couronnes. Des donspeuvent être faits à l’association Orionde lutte contre le cancer du pancréas([email protected]) ou àtoute autre association caritative.
M. Stéphane Péjouanet son épouse,
Mme Valérie Brajon-Péjouan,ses enfants,
Samantha, Chloé,Ludovic, Laura, Martin,
ses petits-enfants,Jules, Léonard,
ses arrière-petits-enfants,Les familles Péjouan, Belaman,
Turlin, Dalard, Guitard,
ont le regret de faire part du décès de
M. Bernard PÉJOUAN,docteur en pharmacie,
présidentde l’académie nationale de Pharmacie,
chevalierde l’ordre national du Mérite,
survenu le 1er juillet 2020,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Les obsèques se sont dérouléesdans l’intimité.
Catherine,sa femme,
Jean-Marc, Dominique et Sophie,ses enfants,
Jeanne, Camille, Martin, Antoine,Nicolas, Juliette, Pauline, Louis, Manonet Ève,ses petits-enfants,
Léo, Ernestine, Violette, Emmy,Isadora, Aleph et Nina,ses arrière-petits enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Paul SEBAN,cinéaste,
survenu le 1er juillet 2020, à Paris.
Il sera inhumé, entouré de safamille, dans le Gard.
En mémoire de
David VÉZARD,
dont le décès est survenu le 6 juillet2018.
« J’ai cueilli ce brin de bruyère.L’automne est morte, souviens-t’en.
Nous ne verrons plus sur terreOdeur du temps, brin de bruyère,Et souviens-toi que je t’attends. »L’adieu - Guillaume Apollinaire,
Alcools, 1913.
Anniversaire de décès
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22 | SCIENCE & MÉDECINE MERCREDI 8 JUILLET 20200123
A pparue au plus fort de la pandémie de Covid19, l’affaire est passée au second plan, voire inaperçue. Pourtant, au printemps, les
EtatsUnis ont, en deux temps, bousculé le vieux consensus international sur l’exploitation et l’appropriation des ressources « extraterrestres », celles que l’on pourra tirer de la Lune et, à plus long terme, des astéroïdes.
Premier temps, le 6 avril. Ce jourlà, DonaldTrump signe un décret présidentiel visant à « encourager le soutien international pour la récupération et l’utilisation des ressources spatiales ». Qu’y atil derrière cette formulation abstraite ? Le texte commence par dresser le constat que « l’incertitude concernant ledroit de récupérer et d’utiliser les ressources spatiales, y compris l’extension du droit à la récupération et à l’utilisation commerciales des ressources lunaires, a découragé certainesentités commerciales de participer à cette entreprise ». Donald Trump décide donc declarifier les choses en affirmant que « lesAméricains devraient avoir le droit de s’engager dans l’exploration commerciale, la récupération et l’utilisation des ressources dans l’espace extraatmosphérique, conformément au droit applicable. L’espace extraatmosphérique est un domaine de l’activité humaine unique sur le plan juridique et physique, et les EtatsUnis ne le considèrent pas comme unbien commun mondial ».
UNE MODERNISATION NÉCESSAIREPour dire les choses de manière triviale, lelocataire de la Maison Blanche donne, du haut de son poste de numéro un de la première puissance mondiale, le coup d’envoi de la ruée vers « l’or lunaire » – sachant que, dans un premier temps au moins, la plus importante des ressources de notre satellite sera l’eau, pour en extraire de l’hydrogène etde l’oxygène, fort utiles pour le Lunar Orbital PlatformGateway (LOPG), la station spatiale que les EtatsUnis veulent mettre enorbite autour de la Lune d’ici quelques années. A condition de pouvoir faire le voyage, tout un chacun aurait donc le droit de s’accaparer les ressources de Séléné.
Le deuxième étage de cette « fusée » surl’exploitation de la Lune est mis à feu quelques semaines plus tard par Jim Bridenstine, l’administrateur de la NASA. Le 15 mai,ce dernier présente une liste de dix grandsprincipes pour un avenir dans l’espace « sûr,pacifique et prospère », qui doivent soustendre une série d’accords bilatéraux que l’agence spatiale américaine est chargée de négocier avec ses partenaires internationaux. La plupart de ces principes ne sontpas nouveaux : ils font déjà partie de la pratique et découlent du traité de l’espace de1967, un texte élaboré sous l’égide de l’ONU,qui a posé les fondements juridiques del’exploration spatiale. On retrouve ainsil’idée que l’espace est un lieu de paix et de
coopération entre nations et que les pays sedoivent mutuelle assistance en cas de danger pour les astronautes.
Certaines déclarations de vertu ont une coloration plus technique. Le texte de la NASA met ainsi en avant la notion d’« interopérabilité », c’estàdire l’idée que les matériels utilisés par les uns et les autres soient compatibles entre eux et répondent à des standards. Il est aussi demandé à ceux qui signeraient ces accords dits Artemis (du nom du programme lunaire américain de retour sur la Lune) d’enregistrer tous les objets envoyésdans l’espace, de renforcer l’action contre la prolifération des débris spatiaux en orbite autour de la Terre et de partager les données recueillies par les sondes scientifiques.
Tout cela est bel et bon, mais deux desprincipes énoncés par Jim Bridenstine vien
nent bousculer le statu quo du droit spatial en voulant le moderniser. Le traité de l’espace a en effet été rédigé à une époque où aucun humain n’avait encore posé le piedsur un autre corps du Système solaire. Comme le fait remarquer Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste des questionsspatiales, « depuis plusieurs années, le département d’Etat américain fait passer l’idéegénérale selon laquelle le droit doit s’adapter aux nouvelles technologies », maintenant qu’Homo sapiens s’apprête à retourner sur la Lune et envisage notre satellite comme unavantposte pour le voyage vers Mars.
Premier point abordé, l’appropriation desressources lunaires par ceux qui les exploiteront. Le traité de 1967 étant relativementvague à ce sujet, les choses ont été précisées
dans un second texte signé à l’ONU en 1979, l’accord régissant les activités des Etats sur laLune et les autres corps célestes, plus connu sous le nom de traité sur la Lune. Son article 11 prévoit notamment que « la Lune et sesressources naturelles constituent le patrimoine commun de l’humanité » et que « lasurface et le soussol de la Lune ne peuvent être la propriété d’Etats, d’organisations internationales intergouvernementales ou non gouvernementales, d’organisations nationales, qu’elles aient ou non la personnalité morale, ou de personnes physiques ». Le texteva plus loin, en disant qu’en cas d’exploitation il faut « ménager une répartition équitable entre tous les Etats parties des avantages qui en résulteront, une attention spéciale étant accordée aux intérêts et aux besoins despays en développement, ainsi qu’aux effortsdes pays qui ont contribué, soit directement,soit indirectement, à l’exploration de la Lune ». Bref, partager.
LE RÉGIME DE L’ANTARCTIQUE REJETÉLa France a signé cet accord mais ne l’a jamaisratifié, pas plus qu’aucune grande puissance spatiale actuelle. Chef du service juridique de l’Agence spatiale européenne, Marco Ferrazzani constate que « le traité sur la Lune est de moins en moins pris en compte. Le présidentaméricain le dit clairement dans son décret du6 avril. L’idée d’instaurer un régime partagé et multilatéral de la Lune comme cela existe pour l’Antarctique est rejetée ». Pour ce qui est des futures ressources extraites de notre satellite, « certains juristes américains établissent l’analogie avec le droit de la mer, expliqueXavier Pasco : dans les eaux internationales, lamer n’est à personne, mais le poisson appartient à celui qui le pêche ».
Le second point sensible des accords Artemis est de nature territoriale. Dans la présentation de Jim Bridenstine, il est fait état de « zones de sécurité » entourant les installations lunaires des uns et des autres, zonesqui seraient établies pour « prévenir des interférences nuisibles ». « En clair, cela signifie qu’on est installé, qu’on a ses investissements sur la surface de la Lune et qu’on veut êtretranquille dans son périmètre, traduit, sous couvert d’anonymat, un spécialiste des politiques spatiales. C’est avant tout un positionnement géopolitique des EtatsUnis visàvisde certaines puissances, mais cela peut aussi
Les EtatsUnis veulent mettre la main sur la LuneDonald Trump souhaite imposer de nouvelles règles d’exploitation des ressources spatiales, alors que la NASA projette de placer une station en orbite lunaire dans les prochaines années. Ecartant un modèle multilatéral, il bouscule le statu quo international
Donald Trump assistant au décollage de la fusée SpaceX vers la Station spatiale internationale, le 30 mai, à Cap Canaveral, en Floride. ALEX BRANDON/AP
CHINE ET RUSSIE NE COMPTENT PAS SE LAISSER DISTANCER
E n relançant un ambitieux programme lunaire et en retrouvant leur autonomie dans le vol
habité avec le lancement de la capsuleCrew Dragon fin mai, les EtatsUnismontrent qu’ils ont fermement remis le cap vers l’espace. Comme le ciel constitue le prolongement du terrainde jeu d’influences qu’est la Terre, la Chine et la Russie viennent tour à tour de manifester leur intention de ne pas se laisser – trop – distancer.
Fin mai, Zhou Jianping, le concepteurdu programme des vols habités chinois, s’est ainsi exprimé, en marged’une réunion politique à Pékin, pouraffirmer que la construction de lastation spatiale chinoise commencerait en 2021, avec le lancement du module central, et s’étalerait sur deux ans.Contrairement à Tiangong1 et 2, quiétaient davantage des prototypes quede véritables stations, Tiangong3 devrait être occupée en permanence pardes équipages de trois personnes se relayant tous les six mois.
Son assemblage était suspendu ausort du lanceur lourd Longue Marche5,le seul capable, dans la gamme des fusées chinoises, de satelliser les troisgros « bidons » qui formeront l’ossature de la station. Longue Marche5 a en effetconnu plus de deux ans d’arrêt après untir raté en juillet 2017. Deux décollages réussis, l’un en décembre 2019 et l’autreen mai dernier, ont rassuré les autoritéschinoises sur sa fiabilité. Lors de sa prisede parole, Zhou Jianping a également annoncé que la sélection du troisième groupe d’astronautes chinois, qui comprendra des ingénieurs et des scientifiques en plus des traditionnels pilotes dechasse, se terminerait en juillet.
Longue Marche5 devrait être sollicitédeux fois en 2020 pour d’importantes missions d’exploration. Tout d’aborden juillet, afin de lancer vers Mars un ambitieux trio spatial formé d’un orbiteur, d’un atterrisseur et d’un petit rover. Quant à la seconde mission, Chang’e5, prévue à la fin de l’année, ellesera la continuation du programme
lunaire chinois. Après avoir posé deuxastromobiles sur notre satellite, l’une sur sa face visible en 2013, l’autre sur sa face cachée en 2019, Pékin passe à la phase suivante, celle du retour d’échantillons. Chang’e5 est un atterrisseur quise posera dans la région lunaire connuesous le nom d’océan des Tempêtes. Des échantillons de sols seront prélevés et placés dans un module de remontée qui décollera pour se mettre en orbite lunaire, où il aura rendezvous avec la capsule qui rapportera ensuite le précieux chargement sur Terre.
Le glorieux héritage soviétiqueSi cette mission complexe réussit, la Chine sera la troisième nation à récupérer du matériau sélène. Les derniers à l’avoir fait sont… les Soviétiques, avecla mission Luna24 en 1976. Leurs héritiers russes, désireux de renouer avec leur glorieux passé spatial, ont ressuscité le programme Luna de l’URSS et prévoient d’envoyer Luna25 en 2021. Il s’agirait d’une relance modeste avec
juste un atterrisseur, doté de peu d’instruments scientifiques et avant tout destinée à « réapprendre » les techniques d’alunissage. L’idée consisterait à monter ensuite en puissance au fil dela décennie 2020, avec les missions Luna26, 27 et 28, la dernière étant censée rapporter des échantillons.
Toutefois, même si Moscou remetsur les rails son programme lunaire etcompte, comme l’a rappelé, le 31 mai, le porteparole de l’agence spatialerusse, reprendre les tirs de son nouveau lanceur lourd Angara, qui n’a pas volé depuis 2014, tout cela ressemble àun cachemisère et paraît dérisoire au regard des ambitions spatiales américaines et chinoises. Comme nous le confiait récemment Isabelle SourbèsVerger, directrice de recherches auCNRS et spécialiste des politiques spatiales, le problème de la Russie « estqu’elle n’a pas de grand programme national dans le spatial habité ni le budget pour en avoir un ».
p. b.
« NOUS NE CONSIDÉRONS PAS L’ESPACE
ATMOSPHÉRIQUE COMME UN BIEN
COMMUN MONDIAL »DONALD TRUMP
PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS
DOSSIER
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 science & médecine | 23
La progression exponentielle d’une épidémie, défi cognitif pour la populationUne étude met en évidence la difficulté à appréhender la croissance explosive de ce type de courbes. Un biais qui a un impact sur l’adhésion aux mesures de distanciation
A ux EtatsUnis, la propagation du SARSCoV2 s’estaccélérée ces derniersjours, notamment dansles Etats du Sud. Dans cer
tains d’entre eux, les mesures d’isolement avaient entraîné des manifestations en avril. De l’autre côté de l’océan Atlantique, le déconfinement de la majorité des pays européens a aussi entraîné un certain relâchement dans les mesures de distanciation physique.
Des chercheurs allemands se sont livrés à une analyse regroupant troisétudes menées aux EtatsUnis pour comprendre pourquoi une importante partie de la population a du mal àaccepter et à comprendre l’utilité deces mesures. Les résultats, publiés par la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), mettent en évidence l’impact d’un biaiscognitif, le biais de croissance exponentielle, sur l’adhésion de la population aux règles de distanciation.
Modèle linéaire comme référenceLa courbe exponentielle décrit un phénomène explosif, qui peut avoir cours dans les premiers temps d’une pandémie : si le nombre de nouvelles infections double tous les trois jours, cela signifie que la moitié des personnes infectées depuis le début de l’épidémie l’ont été depuis moins de trois jours. Cephénomène d’emballement est difficile à appréhender, selon les expériences rapportées dans PNAS.
Ces trois études ont été menées surtrois groupes différents de plus de 500 personnes pendant la secondepartie du mois de mars, alors que lacroissance de l’épidémie s’emballait aux EtatsUnis. Pour la première étude,les chercheurs ont demandé aux participants d’estimer le nombre de nouveaux cas sur les cinq jours passés. Surles trois premiers jours de la semaine,ces derniers ont tendance à surestimerle nombre de cas, mais la tendance s’inverse sur les deux derniers jours.Ainsi, sur l’ensemble de la période, les personnes interrogées ont en moyennesousestimé la croissance de l’épidémie de 45,7 % par rapport à son évolu
tion réelle. Cette double tendance s’explique par la difficulté à appréhender la propagation exponentielle du virus. Les estimations de la majorité des participants suivent en fait un modèle linéaire d’évolution de l’épidémie.
Les chercheurs ont également cherché à mettre en évidence l’influence des convictions politiques sur les estimations des participants. Globalement, ceux se considérant comme conservateurs ont eu plus de mal à estimer la vitesse de diffusion du virusque ceux se présentant comme libéraux. Pour autant, les auteurs indiquent que les conservateurs ne sousestimaient pas l’ampleur du problème. Ils ont même eu tendance à davantage surestimer le nombre de cas que les libéraux pendant les trois premiers jours, mais ils ont eu plus demal à prendre en compte la rapiditéavec laquelle les cas se sont effectivement multipliés.
Pour la deuxième étude, les chercheurs ont répété les conditions de lapremière expérience, mais en séparantle deuxième groupe en deux sousgroupes. La moitié des participants ontreçu un message d’avertissement leur indiquant que la plupart des personnes n’arrivaient pas à estimer correctement la vitesse de propagation du
Covid19 et qu’« aux EtatsUnis (commedans presque tous les autres pays) le nombre de patients double et continuede doubler tous les trois jours ». Encore une fois, les deux groupes ont eu tendance à surestimer le nombre de cas dans un premier temps, puis à le sousestimer ensuite. Toutefois, les estimations du groupe ayant reçu l’avertissement se sont révélées plus proches del’évolution réelle de la maladie que celles du groupe de contrôle.
Cette difficulté à appréhender lephénomène de croissance exponentielle a déjà été mise en évidence dansd’autres études, notamment dans ledomaine économique. En 2009, deschercheurs avaient montré que les
ménages touchés par ce biais avaienttendance à emprunter plus et à épargner moins. Une autre étude, de 2015, a révélé que plus une personne étaittouchée par ce biais, plus elle se montrait confiante dans sa capacité à évaluer une croissance exponentielle. Leschercheurs notent également que lesparticipants avertis ont davantagetendance à soutenir les mesures de distanciation physique.
Une amélioration est possiblePour la troisième étude, ils se sont donc demandé s’il était possible de corriger ce biais. Cette fois, l’ensembledes participants du troisième groupe(scindé en deux) ont reçu les chiffres de l’évolution réelle du nombre de casaux EtatsUnis ainsi que l’avertissement sur l’incapacité des gens à appréhender cette croissance exponentielle.Il leur a ensuite été demandé d’estimerl’évolution de l’épidémie sur les quinzejours à venir. Le sousgroupe decontrôle a dû donner directement le nombre de cas à la fin de la période,tandis que le second devait estimerl’évolution du virus en cinq étapes espacées de trois jours. Le second groupea donné des estimations proches d’une courbe exponentielle et un résultat final supérieur de 173 % par rapport au groupe de contrôle.
Ce dernier volet montre qu’en demandant à certains participants deprendre en compte différentes étapes de progression du nombre de cas dansle futur, ils ont une meilleure compréhension des effets d’une croissance exponentielle de l’épidémie et soutiennent davantage les mesures dedistanciation physique. Pour lesauteurs, ces résultats montrent à quelpoint l’impact de ce biais cognitif estimportant dans la perception que lapopulation a de l’épidémie et quant àson soutien aux mesures de distanciation physique. Ils soulignent également que, dans le cadre d’une criseaussi médiatisée que celle liée au Covid19, il est possible de corriger ce travers en avertissant la population.
étienne meyervacherand(« le temps »)
CARTE BLANCHE
Par STÉPHANE VAN DAMME
P roduit de la nouvelle société dela connaissance, l’histoire dessavoirs a envahi ces dernières
années aussi bien les rayons des librairies que les programmes de recherche des universités. En 2017, la création de larevue américaine Know, tout comme, en 2019, celle du Journal for the History of Knowledge aux PaysBas, parachèvent un processus d’institutionnalisation qui avait commencé une quinzaine d’années plus tôt par la parution de l’ouvrage emblématique de Peter Burke, Social History of Knowledge (Polity, 2000, non traduit). La France ne futpas en reste, avec la publication des monumentaux Lieux de savoirs dirigéspar Christian Jacob en 2007 et en 2011 (Albin Michel), témoignant d’une dynamique interdisciplinaire attentive à la matérialité et à la géographie des savoirs, au proche comme au lointain, et
aujourd’hui prolongés par une bibliothèque numérique sur la plateforme Savoirs, rendant accessible toute cette production savante.
Désormais, l’histoire des savoirs nese définit plus par défaut comme unehistoire des sciences à laquelle l’enquête naturaliste aurait été soustraite,mais comme un véritable champ derecherche. Selon Martin Mulsow, professeur à l’université d’Erfurt (Allemagne), cette histoire des savoirs n’est pasmonolithique, mais suit différents modèles. Un premier s’intéresse à une épistémologie historique, et reste largement une histoire culturelle de concepts scientifiques tels que l’objectivité, la démonstration, la preuve, l’observation complétée par des études sur la face obscure de la rationalité scientifique (l’erreur, l’ignorance, l’incertitude, la croyance).
Une seconde orientation consiste àrapprocher l’histoire des savoirs de
l’histoire de l’information et de la communication. Il s’agit d’explorer l’articulation entre production de savoirs et pratiques d’information. La troisième voie concerne ce que Mulsow nomme une « poétique des savoirs » dans une proximité avec l’art et la littérature, insistant sur les ressorts discursifs. Enfin, une quatrième approche repose sur l’ouverture à des savoirs pratiques. Même si ces différents courants ne sontpas toujours aussi nets, ils témoignent d’une volonté nouvelle de conceptualisation, en particulier outreRhin, où les historiens des savoirs sont légion et proposent de sortir des limites traditionnelles de l’histoire des sciences, qu’il s’agisse de Jakob Vogel, de PhilippeSarrasin ou de Claire Gantet.
D’autres disciplines accueilliesConséquence de ce déplacement, cette histoire ample des savoirs accueille les disciplines de l’érudition (antiquariat, philologie, grammaire,numismatique) comme les sciences del’information (histoire du livre, histoire des médias, etc.), mais l’enquête sur la nature n’est plus au centre duchamp. En s’intéressant aux « savoirs précaires » dans un ouvrage traduit en français, Savoirs précaires. Pour une autre histoire des idées à l’époque moderne (Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2018), Mulsow a
donné l’exemple, frappant, d’une histoire fragile des sciences peu intéressée par les grands récits de conquête,d’accumulation et de domination,mais attentive à la précarité matérielle,à la marginalité, à la perte.
Sur ce point, il rejoint les conclusions de l’ouvrage Tant de choses à savoir (Seuil, 496 p., 25 €), d’Ann Blair,professeure à Harvard, qui montreque la révolution de l’imprimerie fut contemporaine d’une révolution destechnologies intellectuelles pour maîtriser les nouveaux flux d’informations, surmontant l’anxiété devant lamenace de la perte et de l’oubli. AnnBlair propose même de relire les ambitions encyclopédiques des humanistes comme une réponse au scepticisme épistémologique qui court duXVIe au XVIIIe siècle parmi les tenants de la révolution scientifique désirantfaire table rase du passé. Mais, en retour, cet objectif n’est pas sans modifier l’histoire des sciences ellemême, en conférant une dignité nouvelle à cemonde savant empiriciste, qui a souvent été identifié à la pratique de laphilologie ou de l’histoire naturelle, jadis considéré en dehors de la révolution scientifique.
L’histoire des savoirs a 20 ans
être vu comme un premier pas vers la propriété des terrains. » Un droit de propriété qui est fermement exclu en théorie. Pour sa part, Marco Ferrazzani reste prudent : « Maméthode de juriste, c’est de lire les textes. Pourl’instant, on n’a qu’une annonce de la NASA avec des principes généraux sans plus de détails. Il faudra décliner ces principes dans de vraies dispositions juridiques pour savoir ceque la notion de zone de sécurité recouvre. »
« On voit émerger aux EtatsUnis une visionde l’espace qui est presque géographique, analyse Xavier Pasco. Aller dans l’espace de façon plus routinière fait gonfler la surface et l’environnement terrestres. Cela conduit à s’y projeter dans une logique presque territoriale et on y a besoin d’une protection parce que le spatialest considéré comme une infrastructure d’intérêt vital. » Cette vision est déjà clairement àl’œuvre pour les satellites artificiels, ajoute le directeur de la FRS : « Les Américains estiment que si quelqu’un s’approche trop de leurs satellites, il est hostile. Cette idée pourrait d’ailleurs devenir la règle pour les grands pays spatiaux. Le projet d’établir des zones de sécurité sur la Lune semble prolonger cette logique. »
Il en est un qui n’a pas du tout apprécié leconcept de zone de sécurité : Dmitri Rogozine, le directeur général de Roscosmos (l’agence spatiale russe), pas spécialement réputé pour faire dans la dentelle. Dans unTweet publié une semaine avant que ne soit dévoilée officiellement la philosophie des accords Artemis, il comparait les plans lunaires des EtatsUnis à « une invasion », évoquant les interventions militaires américaines des années 2000 en Afghanistan et en Irak… Le 25 mai, à peine plus calme, il déclarait à l’agence de presse russe TASS : « Nous n’accepterons en aucun cas les tentatives deprivatisation de la Lune. C’est illégal, c’est contraire au droit international. »
LA CHINE EXCLUE DU DEALContrairement au traité de l’espace de 1967, élaboré sous l’ombrelle onusienne, les futurs accords Artemis ne seront pas empreints de multilatéralisme, lequel n’est pas du tout en odeur de sainteté à la Maison Blanche. « Alorsque les Russes et les Chinois veulent promouvoir des traités internationaux juridiquementcontraignants, les Américains préfèrent des arrangements politiques mettant en place une espèce de club dont les membres adhèrentà leur vision », explique Xavier Pasco. En signant toute une série d’accords bilatéraux avec des « likeminded countries » (des pays qui ont des vues similaires), ils envisagent une structure en roue de vélo dont ils constitueraient le moyeu et leurs alliés les rayons.
La Chine sera de facto exclue de ces accords Artemis. En effet, depuis 2011, pourprévenir tout transfert de technologie avec l’empire du Milieu, le Congrès américain a interdit à la NASA « d’élaborer, de concevoir,de planifier, de promulguer, de mettre en œuvre ou d’exécuter une politique, un programme, un ordre ou un contrat bilatéral dequelque nature que ce soit » avec la Chine, à moins d’y être expressément autorisée par une loi. La situation est plus floue pour la Russie : celleci est partenaire des EtatsUnis depuis une vingtaine d’années dans la Station spatiale internationale (ISS) et elle est a priori désireuse de poursuivre la collaboration en participant à la construction duLunar Orbital PlatformGateway. Moscoupourrait donc en théorie se voir proposer designer les accords Artemis, bien que les déclarations récentes de Dmitri Rogozine ne soient guère encourageantes sur le résultat d’éventuelles négociations.
Quid de l’Europe ? S’aligneratelle surcette nouvelle vision du droit spatial ? « Les EtatsUnis conduisent vraiment le jeu dansl’approche intellectuelle et juridique de ce quedoit être l’occupation de l’espace, souligneXavier Pasco. Ils donnent le “la”, ils sont leschefs d’orchestre de toute l’activité d’exploration du Système solaire. Pour eux, les choses doivent se faire à leur manière et, pourl’instant, je ne note pas de réaction particulière de la part des Européens. » Ceuxci sont d’ailleurs déjà bien engagés, via l’Agencespatiale européenne, dans le LOPG.
Directeur de la programmation, de l’international et de la qualité au Centre national d’études spatiales (CNES), JeanPascal Le Francrappelle que « l’objectif à terme est de poser unEuropéen ou une Européenne sur le sol lunaire,et cela ne se fera qu’avec les EtatsUnis. Les Américains sont clairement leaders dans cette nouvelle aventure et nous avons intérêt à enêtre partie prenante, avec les Canadiens et les Japonais. Nous suivrons le mouvement, sauf si cela heurte des principes auxquels nous ne voulons pas déroger… » La France a été officiellement contactée par les EtatsUnis au sujet des accords Artemis. Les discussions juridiques vont pouvoir commencer.
pierre barthélémy
Une gestion de la crise fausséePourquoi, durant cette pandémie, les Américains se sont-ils beaucoup plus inquiétés de l’absence de respirateurs que des défaillances dans les politi-ques de distanciation physique et de dépistage, qui auraient permis de sauver bien plus de vies ? Pour Scott Halpern (université de Pennsylva-nie, Philadelphie) et ses collègues, cela tient à une série de biais cognitifs « qui privilégient le facilement imaginable au détriment des statistiques, le présent au détriment du futur, et le direct au détriment de l’indirect ».Dans un « point de vue » publié par la revue JAMA (Journal of the American Medical Association) le 29 juin, ils détaillent ces biais partagés tant par le public que par les médecins et les décideurs, qui ont pu affaiblir la réponse sanitaire face au Covid-19. Nous serions ainsi « précâblés » pour favoriser les victimes identifiables au détriment des décès cachés, considérés comme des « statistiques ». Une tendance doublée d’un optimisme souvent mal placé. Nous sommes aussi biaisés par le présent, préférant des gains immédiats à des bénéfices futurs pourtant plus grands. Le biais d’omission nous fait préférer un dommage résultant d’un défaut d’action plutôt que d’un choix délibéré. Les dirigeants seraient bien inspirés de tenir compte de ces biais « fâcheux » pour mieux gérer ce type de crise, plaident les chercheurs.
EN 2009, DES CHERCHEURS AVAIENT MONTRÉ QUE LES MÉNAGES
TOUCHÉS PAR CE BIAIS AVAIENT
TENDANCE À EMPRUNTER PLUS ET À ÉPARGNER MOINS
Stéphane Van DammeProfesseur d’histoire des sciences à l’Institut universitaire européen (Florence)
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24 | science & médecine MERCREDI 8 JUILLET 20200123
E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2020 [email protected]
À table !
Une plaque de carton fort a pour côtés 13 dm, 20 dm et 21 dm. Lors d’une colonie devacances mathématiques, il est proposé aux jeunes de construire une table à partirde cette plaque. La démarche : définir (en pointillés) des segments parallèles aux côtés(ne se coupant pas, sauf éventuellement aux extrémités) et plier la plaque selon cessegments de sorte que les triangles ainsi constitués forment les pieds (verticaux) dela table. Evidemment, le plateau de la table doit être horizontal.1. Quelle est la hauteur maximale d’une telle table ? 2. Quelle est alors l’aire de son plateau ?
Solution du problème 1152
1. Il y avait au moins dix équipes.Lors de chaque match, on affecte un point à l’équipe vic-torieuse. La moyenne des scores des équipes est de deuxpoints. L’équipe A a deux points de plus que la moyenne,les équipes B, C et D ont un point de plus. Total : + 5.Personne n’ayant perdu ses quatre rencontres, il y a donc,pour justifier la moyenne de deux points, cinq équipesqui n’ont gagné qu’un match.Avec A, B, C et D, cela fait un minimum de neuf équipes.Mais le nombre étant pair, dix équipes, au moins, ont par-ticipé à Euromath. Reste à montrer que c’est possible.2. Il est possible qu’il n’y ait que dix équipes. Voici un exemple de résultats, semaine par semaine.On appelle E la dixième équipe, celle qui marque deuxpoints et termine à la cinquième place. F, G, H, I et J sontles cinq équipes qui n’ont qu’une victoire.Lors de chaque match, l’équipe gagnante est en rouge.Semaine 1 : A - B C - F D - J H - I E - GSemaine 2 : A - C B - F D - H G - I J - ESemaine 3 : A - D C - G B - E F - H I - JSemaine 4 :A - F B - H C - J D - G E - I
RÉOUVERTURE DE LA CITÉ DES SCIENCES La Cité des sciences est à nouveau ouverte.Petits et grands peuvent maintenant profi-ter des animations de l’été, comme le« Bubulles Show », pour percer les mystèresdes bulles de savon, leur taille, leur forme…ou « La face cachée des codes secrets », où,à travers une exploration historique de lacryptographie, chacun pourra découvrir,chaque jour à midi, les grands principes ducodage et tenter soi-même de décoder. Ne pas oublier non plus que la Cité dessciences, ce sont aussi d’innombrable res-sources virtuelles, comme le programmeLa science est là ou La Bibliothèque chezvous, une bibliothèque numérique.Informations sur www.cite-sciences.fr
I AM A.I. EXPOSITION VIRTUELLE SUR L’I.A. La nouvelle exposition d’Imaginary, lejardin des mathématiques interactives, exa-mine des questions autour de l’intelligenceartificielle. Pourquoi un ordinateur est-ilcapable de reconnaître mes propres mots ?Comment un réseau neuronal apprend-il ?L’I.A. peut-elle se tromper ? Une expositionphysique sera mise en circulation début2021, mais on peut en consulter la versionnumérique à l’aide d’un guide virtuel. Vouspourrez tour à tour lire un essai comiquesur l’I.A., construire votre propre jeu de Nimet y jouer contre une I.A., et même vousprendre pour un pianiste virtuose ouencore découvrir des trésors enfouis. .Informations sur www.i-am.ai
DEUX PRIX AUX ACTEURS DE LA VULGARISATION DES MATHS Les deux prix 2020 de la Société mathéma-tique de France (SMF), honorant les acteursde la popularisation des mathématiques,ont été attribués.- Le Prix d’Alembert, qui récompense uneaction destinée à mieux faire connaître lesmathématiques auprès d’un large public, aété décerné au festival « Les maths danstous leurs états » (à Castanet-Tolosan), portépar l’Association Les maths en scène. - Le Prix Jacqueline Ferrand, qui honore uneopération pédagogique innovante, va à « LaGrange vadrouille/La Grange Ecole » portéepar l’association La Grange des maths.Bravo aux heureux lauréats !Informations sur Smf.emath.fr
N° 1153
AFFAIRE DE LOGIQUE – N° 1153
DIX MILLE PAS ET PLUSREPRENDRE LE SPORT EN DOUCEUR POUR ÉVITER LES BLESSURES
Par PASCALE SANTI
D epuis quelques semaines, les médecins dusport et kinésithérapeutes voient arriverdans leurs cabinets des personnes avec des
tendinites, du genou, du pied, de la cheville, des décompensations articulaires comme des poussées d’arthrose… En cause, une reprise trop brutale de l’activité physique. « Nous avons une recrudescence nette des inflammations tendineuses de l’appareil locomoteur depuis la reprise postconfinement, constate le docteur Romain Rousseau, chirurgien du sport à l’Institut Nollet (Paris) et président de la Société française de traumatologie du sport. L’incidence a été multipliéepar deux ou trois en consultation de médecine dusport. » Dans son cabinet, il voit « deux à trois personnes avec des tendinites aiguës par jour alors qu’habituellement c’est une à deux par semaine ».
Même constat pour Mathieu Abbot, responsable dela traumatologie au service de médecine du sport duCHU de ClermontFerrand : « Je reçois un à deux patients par jour pour ces motifs, alors qu’en tempsnormal c’est trois ou quatre par semaine. » Des personnes qui ont voulu reprendre « comme avant », sans échauffement. Difficile à chiffrer toutefois. Uncas est documenté : aux EtatsUnis, en 2011, les
joueurs n’avaient pas pu s’entraîner en raison d’un mouvement de grève de la Ligue nationale de football américain. Douze ruptures de tendons d’Achille ont été enregistrées dès le premier mois de reprise d’entraînement après dixhuit semaines d’arrêt.
Certains sont moins catégoriques, comme le docteur Béchir Boudjemaa, médecin du sport à la Ligue HautsdeFrance d’athlétisme : « Certes, il y a des souffrances articulaires, mais pas tellement plus de tendinites que d’habitude. » Les kinésithérapeutes voient deleur côté plus de lumbagos fonctionnels, qui peuvent être en partie liés au confinement. La position assise, plus fréquente en raison du télétravail, ne favorise pasles choses. En tout cas, « le déconditionnement fait le litde blessures ostéoarticulaires ou tendinomusculaires », souligne Mathieu Abbot.
Concrètement, lors d’une période d’inactivité, il y aune perte musculaire, une altération de la fonction cardiovasculaire, de la sensibilité profonde (appelée« proprioception »), et de la capacité élastique des tendons. Le risque de chute est aussi majoré lors des déplacements rapides ou sur terrain accidenté. Le temps de reconditionnement est plus long. Autrement dit, on perd plus vite du muscle qu’on en gagne. Après ce temps de confinement de près de deux mois, il faut environ trois mois pour récupérer, et cela en faisant
du sport trois fois par semaine. Le message est clair : « En cas d’arrêt, même bref, il est nécessaire d’être progressif en volume et en intensité », rappelle le docteur Boudjemaa. Il est indispensable « d’avoir un temps deremise en condition physique, indique Romain Rousseau, avec des activités fractionnées, afin de refaire du muscle, de reconditionner l’appareil cardiovasculaire ». Et cela est valable pour un athlète de haut niveau, un sportif averti, ou un coureur du dimanche.
La régularité est le maître mot. Le ministère dessports a publié un guide de recommandations pourune reprise progressive afin de limiter les risques d’accidents notamment cardiaques, musculaires ou articulaires. En revanche, « je n’ai pas vu de recrudescence de macrotraumatologie, comme une rupture du ligament croisé ou des lésions traumatiques des ménisques, car lareprise sportive est encore très encadrée, par exemple lesclubs de judo n’ont pas rouvert, les championnats n’ont pas repris », constate le docteur Rousseau.
Les sportifs de très haut niveau sont également exposés mais très entourés. Afin d’éviter le cercle vicieuxde devoir de nouveau ralentir pour cause de douleur, ilest impératif de reprendre doucement, et régulièrement. Car, rappelonsle, la pratique régulière d’une activité physique et la réduction du temps passé en position assise sont bénéfiques pour la santé.
L’EXPOSITION
Charcot de retour au HavreLe célèbre explorateur, célébré au Muséum d’histoire naturelle, était parti du port normand pour ses premières expéditions
L ever l’ancre et prendre le sillage ducommandant Charcot. C’est l’invitation lancée par le Muséum d’histoire
naturelle du Havre, du 1er juillet au 3 janvier 2021, avec l’exposition « L’Aventure Charcot, du Havre à l’Antarctique ». Le célèbre scientifiqueexplorateur a en effet effectué ses deux premières expéditions au départ du port normand, direction le pôle Sud.Toutes les suivantes, douze au total, seront consacrées à l’Arctique.
Le 8 août 1903, il appareillait à bord duFrançais, avec vingt hommes à bord, et cinq ans plus tard, jour pour jour, il était à la barre du mythique Pourquoi Pas ?, avectrente compagnons. Irrité par l’absence de la France des régions polaires dont il soupçonnait tout l’intérêt, il entendait réparercette indifférence en finançant une bonne partie des frais.
Ce sportif, champion de France de rugbyet double médaillé d’argent, en voile, auxJO de 1900, n’était animé par aucun esprit de compétition ou de conquête, seul l’intérêt scientifique l’intéressait, ce qui lui valutle surnom de « Polar Gentleman ». Chacunede ses expéditions, qui durèrent deux ans, aété marquée par neuf mois d’hivernage surle bateau volontairement laissé paralysé par les glaces pour effectuer repérages, collectes, études…
Moisson d’observations et de relevésLes résultats de ses deux missions furent considérables, avec une colossale moissond’observations et de relevés météorologiques, géologiques, océanographiques, géographiques (4 000 km de côtes explorés, création de nouvelles cartes marines), decollectes zoologiques et botaniques.
Ces expéditions furent aussi des aventures humaines. On découvre que JeanBaptiste Charcot portait une grande attentionau bienêtre de son équipe, qui passait par la qualité de la table. En plus d’un vrai cuisinier, il y avait même un maître d’hôtel, et lechampagne ne manquait pas. Il avait prévuun grand nombre de distractions : luge, ski,tir à la carabine, jeux d’échecs et de dames, lecture (2 000 livres), cours d’anglais, de maths et de navigation… On apprend aussi qu’il fut très soucieux de la protection environnementale et animale ; on n’y tuait des« pingouins », comme il disait, que par stricte nécessité et, lorsqu’un léopard de mer, dont le crâne est exposé, a dû être abattu, il a confié que sa mort lui avaitlaissé « une impression pénible ».
Tous ces aspects sont évoqués avec, pourla partie scientifique, des instrumentsréunis par Agnès Voltz, comme un théodolite, un thermographe et un hygromètre àcheveux, qui utilise la propriété du cheveu de se raccourcir ou de s’allonger en fonction de l’hygrométrie. La commissaire présente encore bon nombre d’objets et de souvenirs qui racontent souvent une histoire ou une anecdote, comme un carnet decroquis, un pullover, des cartes postales envoyées lors d’escales ainsi que des dizaines de photos – comme celle qui nousmontre Charcot faisant écouter de la musique aux manchots. Une vidéo de PaulEmile Victor nous rappelle fort à proposque le commandant est le père des expéditions polaires françaises.
Une seconde exposition, « Carnets d’exploration, cap sur la diversité », suit lestravaux et le parcours de deux jeunes biologistesexplorateurs, Barbara Réthoré etJulien Chapuis, en Amérique centrale et àMadagascar. Audelà de l’intérêt scientifique, elle permet de comparer les moyensmis en œuvre, à un siècle de distance, etl’évolution des matériels.
francis gouge
« L’Aventure Charcot, du Havre à l’Antarctique » et « Carnets d’exploration, cap sur la biodiversité », du 1er juillet au 3 janvier 2021. Muséum d’histoire naturelle du Havre, place du Vieux Marché, Le Havre (76). Tél. : 0235413728, Museumlehavre.fr
150 TOMBES ANTIQUES DÉCOUVERTES À AUTUNDepuis le 8 juin, une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) met au jour une nécropole proche de l’église paléochré-tienne de Saint-Pierre-l’Etrier, à Autun (Saône-et-Loire). Sur ce lieu d’inhumation, qui devait être utilisé entre le IIIe et le Ve siècle, près de 150 tombes ont été identifiées, les sépultures se présentant selon des modes très divers : certains défunts ont été enterrés dans des sarco-phages en grès, d’autres dans des coffrages en tuiles qui évo-quent des pratiques funéraires du Haut-Empire romain, d’autres encore dans des cercueils de bois ou de plomb. Très peu d’objets accompagnent les squelettes, comme cela était la coutume dans l’Antiquité tardive. Un des huit cercueils de plomb retrouvés sur le site semble hermétique-ment fermé, et les archéologues espèrent que l’individu qu’il contient sera bien conservé, ainsi que ses vêtements. L’ouverture de ce cercueil est programmée à la fin de la fouille, qui se termi-nera aux alentours de la mi-août.(PHOTO : CHRISTOPHE FOUQUIN/INRAP)
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 science & médecine | 25
« La crise sanitaire a révélé le faible rôle reconnu aux patients et aux associations »Trois membres de Renaloo, qui accompagne les insuffisants rénaux, rappellent l’importance des structures associatives, et espèrent être davantage écoutés à l’avenir par les autorités de santé
L e constat est unanime : lesassociations d’usagers dela santé ont été oubliées
au plus fort de la crise liée auCovid19. En première ligne, Yvanie Caillé, fondatrice, MagaliLeo, responsable du plaidoyer, etChristian Baudelot, viceprésident de l’association de patients insuffisants rénaux Renaloo, analysent cette période.
Comment, en tant qu’association de patients, avezvous vécu ces derniers mois ?
Yvanie Caillé : Comme beaucoup d’associations de patients, nous avons été précipités dans cette crise de manière très brutale fin févrierdébut mars, quand la circulation du virus a posé des difficultés massives, inédites et très aiguës. L’inquiétude chez les patients souffrant d’insuffisance rénale chronique, dialysés et greffés, et chez leurs proches, a rapidement pris une ampleur sans précédent. Très vite, nous avons compris qu’ils feraient partie des personnes les plus susceptibles de développer une forme grave d’infection par le SARSCoV2. Et cela s’est hélas confirmé. La mortalité chez ces patients infectés par le Covid19 est élevée, de l’ordre de 20 %. Et 25 % des décès chez les greffés concernent des personnes de moins de 60 ans. Hélas, plus de trois mois après le début du confinement, nous n’avons toujours pas pu accéder aux données sur le rôle de l’âge et des comorbidités, comme l’obésité, pour voir à quel point le risque diffère de celui dela population générale. Il s’agit pourtant d’informations majeures pour les patients dont la vie esten jeu. Nous ne désespérons pas de les obtenir un jour…
Quelles mesures avezvous préconisées ?
Y. C. : Dès début mars, nousavons dit aux patients « protégezvous, ne l’attrapez pas ». Nous avons interpellé l’Agence de la biomédecine à propos de l’absence derecommandations officielles. Il y en a eu un peu plus tard pour les greffés, mais jamais pour les personnes dialysées. Avant même lepassage au stade 3 de l’épidémie, le14 mars, et avant le confinement du 17 mars, nous avons décidé de produire nos propres « conseilsaux patients » pour lesquels nousnous sommes inspirés des recommandations internationales, desCentres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américains et des informations qui nous venaient de Chine et d’Italie. Nous leur avons ainsi conseillé de rester chez eux et de ne plus se rendre sur leur lieu de travail.
Magali Leo : Il y a eu un signalavec le discours d’Emmanuel Macron le 12 mars, qui a recommandé à « toutes les personnes qui souffrent de maladies chroniques de rester chez elles », mais aucun dispositif n’était prévu pour qu’elles puissent arrêter le travail. Beaucoup de médecins doutaient encore de la gravité de l’épidémie et refusaient de délivrer des arrêts de travail. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale de l’assurancemaladie, a été sensibleaux témoignages des patients, et en quelques jours, les patients « à risque » ont pu s’autodéclarer en arrêt de travail.
L’arrêt des greffes de rein ne vous atil pas étonnés ?
M. L. : L’activité de greffe de reina été interrompue à partir du
18 mars, les greffes de cœur, de foieou poumon ont à l’inverse été maintenues. Ni l’Agence de la biomédecine ni les sociétés savantes ne nous ont associés, ni même informés. Nous le regrettons. A l’époque, nous n’avons pas contesté cette mesure, qui semblait raisonnable. Mais avec le recul, certains transplanteurs admettent que si c’était à refaire, l’activité de greffe devrait être maintenue dans certaines conditions, comme cela a été décidé dans plusieurs pays.
Pensezvous qu’il y a eu des dommages collatéraux ?
Y. C. : Sans aucun doute, des donneurs décédés ont été prélevés du cœur ou du foie, mais leurs reins ont dû être « jetés ». Au moins 200 reins ont ainsi été perdus. Par rapport à la même période de 2019, ce sont 600 greffes de rein qui n’ont pas été réalisées. Pendantce temps, les patients en attente ont été surexposés au virus à cause de l’obligation de se rendre en dialyse trois fois par semaine.
Fin mars, de nombreux centres d’hémodialyse manquaient de masques. Nous avons alerté à plusieurs reprises sur cette question qui, nous le savions, constituait unenjeu de survie. En IledeFrance, plus de 10 % des patients dialysés ont ainsi été contaminés.
Alors que le plan Ma santé 2022, adopté mi2019, faisait une grande place au patient, dans le prolongement de la loi sur les droits des malades de 2002, pensezvous que l’on assiste à un recul ?
Christian Baudelot : Oui, c’estévident. La coopération avec les patients a été considérée comme accessoire. L’autorité médicale met tout le monde devant le fait accompli. Les répercussions de certaines mesures sur leur vie quotidienne sont trop souvent négligées par les autorités médicales, administratives ou politiques.
Cette crise est un véritable révélateur du fonctionnement de la médecine, des activités de santé et du faible rôle reconnu aux patients et à leurs associations.
M. L. : Certes, des évolutions positives ont eu lieu depuis la loi de 2002, et avec Ma santé 2022. Mais cette crise a montré que ces avancées, acquises de haute lutte par lesmilitants associatifs, restent extrêmement fragiles. L’édifice s’est effondré en quelques jours. La démocratie en santé a beaucoup souffert pendant cette crise alors même qu’elle aurait, plus que jamais, dû être mobilisée au regard des enjeux auxquels nous étions collectivement confrontés.
Peuton parler de renoncement aux droits des patients ?
Y. C. : Le fait de fermer les portesde l’hôpital aux familles des malades a été une des premières décisions, très symbolique. Cette atteinte aux fondements mêmes de l’humanisation des soins et de l’hôpital, qui semblaient des acquis depuis des décennies, constitue un recul considérable. Certes, l’hôpital a dû s’organiser très rapidement pour affronter l’épidémie.Mais le fait d’avoir considéré que la présence des proches auprès des patients, y compris durant leurs derniers instants, était devenue accessoire, pose des questionséthiques majeures.
M. L. : Au moment où ces décisions douloureuses ont été prises, personne ne les a contestées. Tétanie collective ? Sans doute, y compris du côté des acteurs associatifs.Avonsnous eu tort de ne pas protester ? Que dit cette forme d’acceptation sociale et de résignation de notre éthique du soin et denos valeurs ? Sontelles si relatives qu’elles ont si vite cédé ? A nous de mieux définir les lignes rouges que nous ne devrons plus accepterde franchir, même lors d’une crise.
Ces choix ayant été faits, on a prisle risque d’ouvrir une brèche, de créer des précédents pour de nouvelles formes d’abus de pouvoir médical, qui aboutissent, notamment aujourd’hui, à priver les personnes dialysées de repas durant des heures, alors que c’est médicalement et humainement inacceptable. Les patients en souffrent beaucoup et leur état de santé comme leur moral se dégradent. Alors que la phase aiguë de la crise
est derrière nous et que la Haute Autorité de santé a recommandé de rétablir les collations, beaucoupde centres de dialyse ne l’ont toujours pas fait, tandis que d’autres ont réduit leur composition. Nous sommes inquiets pour la suite, nous craignons la poursuite et l’amplification de ces dérives qui utilisent le principe de précaution comme un alibi.
Quels sont vos souhaits pour le Ségur de la santé ?
M. L. : Lorsque le Ségur a été annoncé, nous aurions souhaité qu’un cinquième pilier autour de l’humanisation des soins et desdroits des patients y soit intégré.Mais nous avons vite compris quece n’est pas du tout le sujet, restreint au champ de l’hôpital et aux dimensions organisationnelles. La représentation des patientsest d’ailleurs ultraminoritaire.
Quelles actions envisagezvous ?M. L. : Pour nous, la crise est loin
d’être finie. Sans parler des incertitudes des prochains mois, la vie des patients reste aujourd’hui très compliquée : en raison de leur fragilité, le retour des « jours heureux » est un espoir bien lointain pour eux. On leur demande de poursuivre un « confinement volontaire », qui implique des difficultés majeures, psychologiques, familiales, professionnelles, financières, etc. La communication gouvernementale sur les personnes fragiles ne cible que les seniors, alors que nous parlons ausside personnes jeunes et actives.
Il y a un risque réel d’exclusionet que ces populations, qui paient déjà un lourd tribut à leur maladie, sortent de là très pénaliséeset stigmatisées. Elles se sententoubliées et laissées pour compte.Renaloo a lancé voici quelques jours une grande enquête, pourmesurer l’expérience particulière de l’épidémie vécue par ces personnes et en tirer des connaissances nouvelles. Nous espéronsque ses résultats contribueront àles sortir de l’invisibilité danslaquelle elles sont plongées et àfaire en sorte qu’elles soient enfin entendues. Et surtout, nous souhaitons que désormais,plus rien nous concernant ne sefasse sans nous.
propos recueillis parpascale santi
Magali Leo, Yvanie Caillé et Christian Baudelot, le 29 juin, à Paris. BRUNO LEVY POUR « LE MONDE »
« FERMER LES PORTES DE L’HÔPITAL AUX
FAMILLES DES MALADES A ÉTÉ UNE DÉCISION TRÈS SYMBOLIQUE »
ENTRETIENASTRONOMIEUne exoplanète géante réduiteà son noyauSituée à 730 annéeslumière, l’exoplanète TOI 849b est si proche de son étoile qu’elle en fait le tour en seulement dixhuit heures et que sa température de surface est de plus de 1 500 °C. Mais là n’est pas sa caractéristique la plus surprenante : dotée d’une masse équivalant à 39 fois celle de la Terre, son diamètre n’est que de 3,4 fois celui de notre planète. Ce qui fait de TOI 849b l’exoplanète la plus dense pour sa taille. Pour l’équipe internationale à l’origine de cette découverte, cet astre est en réalité le noyau d’une planète géante gazeuse… sans gaz. Les chercheurs émettent deux hypothèses : ou bien l’exoplanète, lors de sa naissance, n’a pas été en mesure d’accumuler une épaisse enveloppe gazeuse autour de son noyau, ou bien elle en a été dépouillée par la suite.> Armstrong et al., « Nature », 1er juillet.
ZOOLOGIELe venin ancien des céciliesLes cécilies sont des amphibiens dépourvus de pattes qui pourraient être confondus avec des serpents. Ces animaux vermiformes, qui résident dans les régions intertropicales, sont des carnivores apparus il y a 250 millions d’années, soit 150 millions d’années avant les serpents. Il semblerait que certaines espèces de cécilies disposent elles aussi de dents permettant l’injection de venin stocké dans des glandes. Carlos Jared (Institut Butantan de Sao Paulo) et ses collègues les ont découvertes en étudiant d’autres glandesdisposées sur la tête de l’espèce Siphonops annulatus, qui excrète un mucus facilitant sa progression dans des corridors souterrains. Ses glandes à venin buccales se développent comme chez les serpents à partir du tissu dentaire, mais, à l’inverse des reptiles, où elles alimentent généralement une paire de crochets, elles équipent toutes les dents supérieures. Elles produisent de la phospholipase A2, une toxine de nombreux venins.> MailhoFontana et al., « iScience », 3 juillet.
PALÉONTOLOGIEUn lointain parent des dinosaures découvert à MadagascarL’origine et les ancêtres des grands reptiles du Mésozoïque que sont les dinosaures et leurs cousins volants, les ptérosaures, restent mal connus. Une équipe américanomalgache a mis au jour à Madagascar ce qui pourrait être un de ces ancêtres. Autant les dinosaures ont atteint des tailles gigantesques, autant cet animal vieux de 237 millions d’années était petit : le Kongonaphon kely ne devait pas dépasser les 10 centimètres de haut. Les restes de la bestiole, découverts en 1998 dans un gisement contenant des centaines de fossiles, n’ont été étudiés que récemment par les paléontologues. En raison des traces d’usure observées sur ces dents, les chercheurs avancent qu’il devait se nourrir d’insectes à carapace dure et que le passage à un régime insectivore est probablement associé à la « miniaturisation » de ce groupe d’animaux. (DESSIN : ALEX BOERSMA)> Kammerer et al., « PNAS », 6 juillet.
ÉTHOLOGIEObserver les animaux de ferme pour prédire les séismesDe nombreux témoignages décrivent des animaux ayant un comportement anormal avant un séisme, comme s’ils pressentaient la catastrophe. Une équipe internationale a voulu confirmer ce phénomène dans une ferme italienne située dans une zone sismique. Ces chercheurs ont équipé d’accéléromètres six vaches, cinq moutons et deux chiens qui avaient déjà manifesté ce type de pressentiment et ont pu enregistrer leurs mouvements et les mettre en regard de l’activité sismique. Résultat : plus un séisme était proche de la ferme, plus les animaux avaient des mouvements inhabituels, et ce, jusqu’à 20 heures avant l’événement. Les scientifiques suggèrent d’intégrer la détection de ces comportements animaux aux systèmes de surveillance et d’alerte.> Wikelski et al., « Ethology », 3 juillet.
T É L E S C O P Eb
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26 |disparitions MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Ennio Morricone
Compositeur italien
J oueur chevronné, EnnioMorricone avait composél’hymne de l’Olympiaded’échecs de 2006, qui s’étaitdéroulée à Turin. « Le jeu
d’échecs est bien plus qu’un simple passetemps, affirmaitil, en 1991,au magazine spécialisé Torre & Cavallo. C’est une chose importante ; une philosophie, un moyende mieux se connaître, un miroir de la lutte de la vie. » Anecdotiques, sans doute, au regard d’une œuvre musicale parmi les plus prodigieuses du XXe siècle, ces phrases peuvent être transposées au rapport passionnel qu’il entretenait avec la chose artistique :une affaire « importante », où l’intimité le dispute au lyrisme, et laconflictualité à l’apaisement.
Pour le partenaire emblématique du cinéaste Sergio Leone, qu’il a accompagné de Pour une poignée de dollars (1964) à Il étaitune fois en Amérique (1984), cettelutte s’est achevée, lundi6 juillet : le chef d’orchestre etcompositeur italien est mort, à91 ans, dans une clinique de saville de Rome, où il avait été admis à la suite d’une chute.
Il était une fois, donc, EnnioMorricone. Né le 10 novembre 1928, à Rome, il grandit à Trastevere, alors l’un des quartiers les plus populaires de la capitale italienne. Sa mère, qui travaille dans le textile, l’élève au côté de ses trois sœurs, Adriana, Maria et Franca. La peintre yougoslave Eva Fischer, de retour de déportation, est sa voisine. Plus tard, Morricone conviendra que cette enfance sous haute protection féminine a pu nourrir son attrait pour les voix de femmes − l’un des leitmotivs de sa proliférante discographie. « L’instrument par excellence, celui qui ménage les plus impressionnantes variations, du cri au murmure, c’est la voix humaine− en particulier féminine », confesseratil, en 2014, au Monde.
Débuts dans la musique légèreTout aussi décisive sera l’influence paternelle : originaire d’Arpino, dans le Latium, MarioMorricone est trompettiste dans divers orchestres. C’est cet instrument que le jeune Ennio décide d’étudier au conservatoire SainteCécile, en même temps que l’orchestration et la composition. Une encre dont se servira le maestro pour établir sa « signature » : altières et mélodieuses, ses parties de trompette figurent en tête des sonorités auxquelles l’adjectif« morriconnien » est le plus souvent associé, avec le tressautement de la guimbarde ou lechuintement des chœurs.
Si ces « gimmicks » l’ont renducélèbre bien audelà du cercle des amateurs de musique de films, le Romain prenait ombrage de ce que l’on réduise son écriture à une succession d’effets, aussi accrocheurs fussentils : « La trompette produit des sons tellement intenses qu’il faut l’utiliser avec parcimonie », disait celui qui a
gravé quatre morceaux avec lejazzman Chet Baker, en 1962.
Car c’est dans la « musique légère », comme disent les Transalpins, qu’Ennio Morricone a fait ses gammes. D’abord sur les plateaux de la télévision nationale, laRAI, où il effectue quelques piges d’arrangeur, entre 1956 et 1958. Puis, plus fondamentalement, au sein de la filiale italienne de RadioCorporation of America (RCA).
Nommé directeur artistique decette maison de disques, en 1956,Vincenzo Micocci a de grandesambitions : offrir au « boom » − lemiracle économique italien −une bandeson digne de ce nom.En 1961, Micocci fait édifier de vastes studios d’enregistrement,via Tiburtina, dans le nordest deRome. Il en confie les clés à untrio d’arrangeurs qui viennent des’illustrer sur plusieurs productions siglées RCA : l’Argentin LuisBacalov, ainsi qu’un duo d’amisfraîchement diplômés duconservatoire, Bruno Nicolai etEnnio Morricone.
Grâce à ce trident exceptionnel,la pop de la Botte rivalise bientôt d’inventivité avec ses rivalesanglosaxonnes. Morricone, en particulier, officie derrière les principales vedettes de l’époque, àun rythme effréné : Mina (Se telefonando), Gianni Morandi (Fattimandare dalla mamma), Gino Paoli (Sapore di sale), Rita Pavone (T’ho conosciuto), Edoardo Vianello (O mio signore), Jimmy Fontana (Il Mondo), Paul Anka (Stasera resta con me)…
Pour le jeune orchestrateur,cette école est le contrepointidéal à ses études académiques.A SainteCécile, son maître Goffredo Petrassi l’avait initié au répertoire classique − Bach, Beethoven, Stravinsky − comme àl’avantgarde contemporaine, deLuciano Berio à Luigi Nono. ChezRCA, Morricone découvre un instrumentarium que les mandarins du conservatoire vouaientaux gémonies, et qui fera le sel deses futures partitions : guitareélectrique, basse, batterie… Il apprend la vitesse d’exécution, l’efficacité mélodique, l’émulationcollective. Surtout, il saisit le potentiel artistique de formes alors jugées mineures, car populaires :la pop music, dont il goûte la malice et la sensualité, tout en onomatopées ; et, bien sûr, le cinéma.Fautil s’en étonner ? Le premiercinéaste à faire appel à lui, Luciano Salce, a frayé avec le musichall. Artiste prolixe que ce Salce, tour à tour acteur, parolier, metteur en scène de théâtre, de télévision ou de cinéma.
Morricone l’a brièvement côtoyé dans les studios de la RAI,en 1958, puis lors des répétitionsd’une pièce avec le mime FélicienMarceau, La Pappa reale (1959,version italienne de La BonneSoupe, créé l’année précédente), dont il assure l’illustration sonore. Leurs sept collaborationsfilmiques, de Mission ultrasecrète (1961) à Comment j’ai appris
à aimer les femmes (1966), sontdans le ton des travaux de Morricone chez RCA : entre autres merveilles, la voix ténébreuse du chanteur Luigi Tenco yfait mouche, servie par les paroles de Salce et les cordes lancinantes du maestro.
Lyrisme facétieuxDans le sudest de Rome, dans les studios de Cinecittà, les jeunesTurcs du cinéma italien repèrentce compositeur prometteur.Parmi eux figure une vieille connaissance de Morricone, Sergio Leone, qui a fréquenté la même école primaire que lui.
Enfant de la balle − son père estréalisateur, sa mère actrice −,épris de cinéma américain, Leone cherche à subvertir les stéréotypes du western. En croisant cetimaginaire avec ceux du péplumet du film de samouraïs, il comptebien en révéler l’ironie ; pire, lacruauté. Fini les poursuites effrénées de cowboys et d’Indiens : place à une ronde de mercenaires et de gringos, cupides et laconiques. Le scénario de Leone tient en quelques lignes ? A chargepour Morricone, préposé à la bandeson, d’en déployer toute la richesse. Le maestro pioche dans le lexique qu’il a commencé à élaborer pour Salce et la RCA − arpèges obsédants, chœurs incongrus… −, dont il accentue les facéties opératiques. Le résultat, Pour une poignée de dollars (1964), est un carton international, et propulse Morricone au rang de star, en même temps que la vedette du film, un certain Clint Eastwood.
Dès lors, le compositeur sera detous les longsmétrages de Leone.Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la Brute et le Truand(1966), Il était une fois dans l’Ouest(1968), Il était une fois… la révolu
tion (1971) creusent la veine du western à l’italienne, auquel la presse a cru bon d’accoler le terme « spaghetti », ce qui a le dond’irriter Morricone.
Quant à leur ultime collaboration, Il était une fois en Amérique (1984), elle fera date : le film estune méditation mélancolique surle temps et l’amitié, et la partition,le plus vertigineux des sabliers.Du reste, il n’est pas interdit delire, dans le duo formé par Max(James Woods) et Noodles (RobertDe Niro), un écho de la relationtempétueuse qu’entretenait le cinéaste avec son alter ego musical.
Estil couple plus dissemblableque Leone, ogre débonnaire etgénéreux, et Morricone, ludionsec et nerveux ? « Sergio supportait la Lazio de Rome, et Ennio leclub de foot rival, l’AS Roma, racontait au Monde l’acteur et cinéaste Carlo Verdone, en 2019. Jeme demandais comment ils pouvaient s’entendre aussi bien l’unavec l’autre… Lorsque Leone m’aannoncé qu’il produirait mon premier film, Un sacco bello [1980], ila emmené Morricone dans ses bagages. C’était non négociable,j’étais terrorisé ! Dieu soit loué : sabandeson est un joyau. »
Cela a contribué à sa légende : lecaractère du compositeur était plutôt du genre trempé. Dans unpremier temps, cet orgueil rageur sera son meilleur atout. Apartir de la moitié des années1960, l’Italie bascule dans la violence politique ; une nouvelle génération de cinéastes, aussi dorée que séditieuse, s’en fait l’écho.
Pour leurs pellicules irrévérentes, les partitions incandescentesde Morricone s’avèrent le combustible idoine : Bernardo Bertolucci l’enrôle sur Prima della rivoluzione (1964), Marco Bellocchio sur Les Poings dans les poches
(1965), Pier Paolo Pasolini sur Des oiseaux, petits et gros (1966). Suivront Marco Ferreri, Elio Petri, Mauro Bolognini, Dario Argento,Mario Bava, les frères Taviani… « Ilne se passe pas un mois sans qu’Ennio et moi nous nous engueulions par téléphone, confiait le réalisateur Paolo Taviani au Monde, en 2018. C’est un génie, et une sacrée tête de mule. »
Les choses se gâtentIl n’empêche, sur les génériques,« Musique d’Ennio Morricone » devient le plus fiable des labels dequalité. D’autant qu’il franchitsans encombre les frontières :en 1969, son nom apparaît aussi bien à l’affiche du Clan des Siciliens, du Français Henri Verneuil, que de La Tente rouge, du Soviétique Mikhaïl Kalatozov ; deux ans plus tard, Here’s to You, extrait de Sacco et Vanzetti, de Giuliano Montaldo, est un tube international, porté par la voix de Joan Baez.
Mais, très vite, les choses se gâtent : « Ennio demandait qu’on luiapporte le film déjà monté, expliquait Marco Bellocchio au Monde, en 2016. Alors seulement il pouvait se mettre au travail : il regardait les images et composaitla musique, point final. Je voulaisdavantage d’interaction ; à partirde 1972, je me suis tourné vers un compositeur plus jeune et conciliant. » En authentique auteur,Morricone exige, auprès de chacun de ses collaborateurs, le finalcut : il ne l’obtiendra pas toujours, loin s’en faut. Malgré la fidélité que lui témoigneront Bernardo Bertolucci, Mauro Bolognini ou Giuseppe Tornatore, sacarrière, jalonnée de fâcheriesplus ou moins définitives, souffrira en partie de cette irascibilité. Elle lui devra aussi, paradoxalement, ses plus beaux trésors.
Avec Sergio Leone, au Festival de Cannes, le 13 mai 1984. JEAN-MARC ZAORSKI/GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES
Discours pour son Oscar d’honneur, en 2007, à Hollywood, avec Clint Eastwood. KEVIN WINTER/GETTY IMAGES/AFP
SA DISCOGRAPHIE PREND UNE ALLURE
SCHIZOPHRÈNE : D’UN CÔTÉ, LES PARTITIONS
« RESPECTABLES », DE L’AUTRE,
DES BANDESSON DÉMONIAQUES,
ILLUSTRANT LES SOUSBOIS
LES PLUS PERMISSIFS DU CINÉMA « BIS »
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 disparitions | 27
10 NOVEMBRE 1928 Naissance à Rome1961 Compose sa première bande originale pour Il federale (Mission ultra-secrète), de Luciano Salce1962 Ecrit, avec Chet Baker, sur l’album Chet Is Back1964 Pour une poignée de dollars : première colla-boration avec le réalisa-teur Sergio Leone. Sui-vront Le Bon, la Brute et le Truand (1966), Il était une fois dans l’Ouest (1968)…1971 Compose Here’s to You, chantée par Joan Baez2007 Oscar d’honneur pour sa carrière2015 Compose la musique du film Les 8 Salopards, de Quentin Tarantino, pour laquelle il reçoit un Oscar6 JUILLET 2020 Mort à Rome
En 2003, à Rome, au studio Forum Music Village, dont il fut l’un des fondateurs. FERDINANDO SCIANNA/MAGNUM PH
Dès 1966, Morricone, qui ne désire rien davantage que de garder le contrôle sur ses créations, s’éloigne de RCA : il fonde avec son vieux complice Vincenzo Micocci la maison de disques Parade. Un nom ô combien morriconnien, tout d’esquive et d’esbroufe, qui tient autant de la revue militaire que de la rêverie.Quatre ans durant, Morricone y publiera certains de ses meilleurs disques, ainsi que ceux d’arrangeurs (Piero Piccioni, Luis Bacalov, Armando Trovajoli…) et d’interprètes dont il partage la sensibilité. Las, entaché par les malversations d’un avocat possédé par ledémon du jeu, le label ferme boutique en 1970. Cet échec ne dissuade guère le compositeur d’ouvrir, la même année, et aucôté des mêmes musiciens, unstudio d’enregistrement derniercri, le Studio Orthophonic.
Il donne sur la basilique du SacréCœur Immaculé de Marie,une église massive du très chicquartier des Parioli, dans le nordde Rome : « Quand j’y pense, celame semble incroyable que Morricone ait enregistré les bandessondes premiers films de mon père,Dario Argento, dans un environnement aussi coincé », racontaitau Monde la fille du maître du cinéma d’épouvante, AsiaArgento, en janvier.
De fait, au tournant des années1970, Morricone semble une parfaite incarnation de la notabilité.Avec le groupe d’improvisation Nuova Consonanza, ou sous sonpropre nom, ce fervent catholique cède à son penchant pour lamusique sérieuse, ou plutôt « absolue », ainsi qu’il la définit :« La musique de films, à l’inverse de la musique absolue, est appliquée et contrainte, insistaitil, non sans une pointe de condes
cendance. Elle s’adresse à un public de culture moyenne. »
Toujours impeccable avec sesmontures foncées et sa mine concentrée, déjà bardé d’hommageset de récompenses, Morriconefile, depuis 1956, un mariage sans histoires avec Maria Travia, qui luidonnera quatre enfants. Sauf que sa discographie prend une allurede plus en plus schizophrène : d’un côté, les partitions « respectables », adoubées par l’establishment du classique et du cinéma international ; et de l’autre, des bandesson démoniaques, illustrant les sousbois les plus permissifs du cinéma « bis ».
Improbable bacchanaleComposées à une cadence de satyre, publiées en catimini, voire sous des pseudonymes dignes d’acteurs pornos (Dansavio, LeoNichols…), ces bandes originalesvoient Morricone prendre part à une improbable bacchanale. Danscette Italie à cheval entre les années 1960 et 1970, l’heure est au mélange des genres cinématographiques le film érotique drague le policier, le péplum pactise avec le western. Pour célébrer ces noces torrides, le maestro trouve desnotes insensées : débarrassé des étiquettes esthétiques, confrontéà des cinéastes aux ego moinssusceptibles, il laisse dériver sa virtuosité vers de voluptueux rivages, qui empruntent autant à la musique baroque qu’au funk et à la bossanova. N’atil pas enregistré tout un album, en cette prolifique année 1970, avec le maître de la musique populaire brésilienne,Chico Buarque de Hollanda ?
Comble de la lascivité, il inviteses camarades de jeu à participer à l’orgie : à la même époque, les condisciples les plus proches de Morricone − Bruno Nicolai, Piero
Umiliani… − se livrent à des caresses musicales similaires, même siaucune de leurs bandes originales n’égalera ses prouesses. Avecle temps, ces musiques composées pour d’obscures séries B − LaDonna invisibile (1969), de Paolo Spinola, Metti, una sera a cena(1969), de Giuseppe PatroniGriffi, Maddalena (1971), de Jerzy Kawalerowicz… − ont été réévaluées, au point d’apparaître aujourd’hui comme les chapellessixtines de sa discographie.
Morricone luimême étaitconscient de leur valeur. N’atil pas « recyclé » l’un de ces thèmes,Chi mai ?, pour la fameuse bandeson du Professionnel (1981), deGeorges Lautner ? Le compositeur n’oubliait jamais d’inclureces partitions sensuelles au répertoire des concerts qu’il donnait depuis des décennies, dansles arènes du monde entier. Avecleur protocole réglé comme dupapier à musique, ponctuées pard’interminables ovations, ces cérémonies insistaient, non sansemphase, sur la carrière internationale de Morricone.
C’est que celleci, à partir deL’Exorciste II, de John Boorman(1977), connaît une vive accélération. Là encore, la liste des cinéastes qui se sont tournés vers luidonne le tournis : Terrence Malick (Les Moissons du ciel, 1978),John Carpenter (La Chose, 1982), Brian De Palma (Les Incorruptibles, 1987), Roman Polanski(Frantic, 1988), Pedro Almodovar (Attachemoi !, 1989) ou QuentinTarantino (Les Huit Salopards, 2015, qui lui valut son premierOscar, en 2016, neuf ans après celui reçu pour l’ensemble de sacarrière)… Rien moins que le gotha du cinéma mondial, même siMorricone s’adonnait, de tempsà autre, à des choix plus compro
mettants : qui se souvient de saparticipation à La Cage aux folles 2 (1980), d’Edouard Molinaro, par exemple ?
L’« anxiété » de la scèneAvant de se rendre à la pharmacieoù il avait ses habitudes, dans le centre de Rome, le compositeurpassait systématiquement uncoup de fil : « Morricone ! »,criaitil dans le combiné. « Lequel ? », répondait la pharmacienne, qui comptait un homonyme parmi sa clientèle.
Le compositeur faisait alors fuser les noms d’oiseaux : « Lemaestro, bon Dieu ! Celui dont lenom a été donné à un astéroïde ! »Une passe d’armes qui évoquecelle qui l’opposa à Quentin Tarantino, en novembre 2018, surun mode bien plus planétaire etpolémique : « Cet homme est uncrétin, aurait dit Morricone à unjournaliste de la version allemande de Playboy. Il n’a rien des grands d’Hollywood, comme JohnHuston, Alfred Hitchcock ou BillyWilder. Tarantino ne fait que duréchauffé. » Après la publication,l’Italien nia ardemment avoirtenu de tels propos, menaçant même le magazine de poursuitesjudiciaires. Du reste, on touche làau cœur du système Morricone :la musique atelle déjà connu unêtre à ce point écartelé entrela quête d’honorabilité et l’appel de la dépravation ?
Avant chaque interview, le« staff » du musicien glissait aux journalistes une liste d’expressions prohibées et de « conseils »pour que l’entretien se déroule dans de bonnes conditions : mieux valait, vous faisaiton comprendre, prononcer le mot« maestro » que « spaghetti ». Cependant, le même entourage seplaisait à raconter les « vices ca
chés » de Dottore Ennio et Mister Morricone : parmi eux, une passion quasi pathologique pour les clés de chambres d’hôtel, dont il avait assemblé, murmuraitondu bout des lèvres, une impressionnante collection. Curieuse manie pour quelqu’un qui apassé sa vie cloîtré dans son studio d’enregistrement, non ?
Pas tant que ça, répondront ceuxqui ont déjà assisté à l’un de ses concerts. Sur scène, Morricone semblait user de sa baguette comme un serrurier manœuvre lagâche, le pêne ou la bouterolle. En fin mécanicien, il privilégiait les sonorités métalliques − carillon, glockenspiel, clavecin, arpèges de guitare électrique, cuivres −, qu’huilaient violons et violoncelles. Si certaines parties paraissaient un brin rouillées (basses et batteries notamment, très kitsch), le dispositif, dans l’ensemble, fonctionnait à merveille : chez chaque spectateur, la boîte à images s’ouvrait grand, laissant défilerune cavalcade de cowboys et de coyotes, de mafieux et de filles fardées. « Avant de monter sur scène,je ressens une grande anxiété, reconnaissaitil en 2014. Comme tout chef d’orchestre, j’ai une responsabilité visàvis des musiciens et du public. Si le concert se passe bien, je redeviens tranquille. »
De toutes ces grandsmesses, lesplus poignantes furent données àRome, comme il se doit. Pour ses adieux à la Ville éternelle, Morricone reçut, le 11 janvier, une longue standingovation, au Sénat. Six mois plus tôt, du 15 au 23 juin 2019, il s’était produit dansun lieu à l’histoire autrement sulfureuse, les thermes de Caracalla :c’est que, chez cet hommelà, leshonneurs se doublaient toujours d’un frisson de volupté.
aureliano tonet
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28 | CULTURE MERCREDI 8 JUILLET 20200123
« Il y a autant d’identitésnoires en France que de Noirs »Au communautarisme, qu’il tourne en dérision dans « Tout simplement noir », le cinéaste JeanPascal Zadi préfère le dialogue
ENTRETIEN
J eanPascal Zadi fait feu detout bois. A 39 ans, issud’une famille trouvant sesorigines en Côte d’Ivoire etcomptant dix frères et
sœurs, ce natif de Bondy (SeineSaintDenis) tôt installé en Normandie n’aura attendu personne pour se lancer dans le rap (La Cellule), la télévision (Canal+), le Web(Mouv’) et le cinéma (trois longsmétrages autoproduits et autovendus avec succès).
Un esprit d’aventure et de bricole qui lui réussit. Il entreaujourd’hui comme réalisateur dans le circuit commercial avecTout simplement noir, une comédie qui colle drôlement à l’actualité. L’histoire est celle d’un acteurnoir raté qui organise une marche de la colère antiraciste. Oucomment être en même tempsau cœur des choses et à côté de laplaque. Ce déphasage n’estil pasun autre nom de l’humour ? On envisage sérieusement l’hypothèse avec l’intéressé.
Entre la mort de George Floyd aux EtatsUnis et la marche pour Adama Traoré en France, votre film est au diapason de la vigoureuse dénonciation du racisme antinoir, mais en même temps tourne en dérision le lieu commun d’une communauté noire qui se révèle introuvable. Cette position n’estelle pas un peu instable ?
Cette instabilité est cellelàmême de l’humour. Ce film était tellement important pour moique je ne voyais pas comment le traiter autrement qu’avec humour. Je n’ai pas beaucoup de cordes à mon arc, mais j’ai au moins cellelà. L’humour, dansma vie, m’a permis de me sortir
de beaucoup de situations. Je ne voyais pas comment parlerautrement de l’identité noire française, et questionner aussi le communautarisme.
Entre tenants de la laïcité républicaine et défenseurs des identités, il y a aujourd’hui deux conceptions de la société qui semblent se radicaliser. C’est dans ce plat que votre film met, en quelque sorte, les pieds…
Pour moi, il n’y a en Francequ’une seule République, mais chacun la voit et la veut différemment. Je pense en fait que tout le monde veut l’égalité et va dans le même sens. Même les déboulonneurs de statues, qui ne revendiquent rien d’autre que la reconnaissance du déni d’une certainehistoire de ce pays. Leur acte restecriant d’amour pour la France, selon moi. Ce qu’il faut comprendre, c’est que sont des gens qui se sentent rejetés, qui ont l’impression de ne pas avoir les mêmes droits que leurs concitoyens, etque la seule manière de luttercontre cela, c’est de se regrouperentre soi. Je crois que le film faitun sort à la notion de communautarisme noir. Je suis noir, Fary est noir, Fabrice Eboué est noir, onn’a rien en commun.
Comment rapprocher ces visions différentes ?
En s’écoutant, en discutant.Quand le président Macron ditqu’on ne déboulonnera aucune statue en France, je crois qu’ilferme la porte à ce dialogue. Je ne dis pas pour autant que c’est bien de déboulonner les statues, je dis simplement que ces gens ont un truc à dire, et qu’il est primordial de les écouter. Ce n’est pas qu’ils sont devenus fous et qu’ils ont décidé de déboulonner des statues
pour se faire plaisir. Moi, je suis un fils de la République. Je ne pense pas qu’il faille rayer une partie de l’histoire française, comme la colonisation, mais je pense en revanche qu’il faut l’enseigner et l’expliquer plutôt que lataire. Trouvezvous normal que, du haut de mes 39 ans, tout ce queje sais sur la question, je l’ai apprisen dehors de l’école ? Ce n’est pas la République qui me l’a appris, c’est mon père.
Etesvous partisan, dans le domaine du cinéma, d’une politique des quotas ?
Je me fous complètement qu’oncolle deux Noirs dans Joséphine,ange gardien. Ce n’est pas ça quicompte. On ne peut pas en vouloir à un réalisateur de ne pas mettre des Noirs dans un film alors que rien dans l’univers dufilm ne l’exige. Il fait ce qu’il veut,c’est sa liberté. En revanche, ce
qu’on veut, c’est faire des films,nous aussi. Ce qui importe, c’est que, en France, tout le monde aitles mêmes chances et les mêmesopportunités de s’exprimer, etqu’on fasse vivre la pluralité des points de vue de ce pays.
Votre film comporte un casting des principales têtes d’affiche noires de ce pays (Fary, Claudia Tagbo, Lilian Thuram…). Pourquoi ?
C’est simple. Je ne trouve pasnormal qu’on connaisse mieuxen France l’histoire des Noirs américains que celle des Noirsfrançais. Pourquoi Martin LutherKing et Malcolm X, et pas GastonMonnerville et Frantz Fanon ? Enimaginant, autour de l’arche narrative d’un acteur raté, une sériede rencontres avec des artistesnoirs, je voulais aborder toute ladiversité de l’identité noire en France. Le métissage avec Eric
Judor, le binôme AntillesAfriqueavec Fabrice Eboué et LucienJeanBaptiste, etc. Histoire de montrer qu’il y a autant d’identités noires en France que de Noirs.Et que c’est vrai des juifs, des Arabes, des homosexuels et, bien entendu, des Français.
L’équivalent esthétique de cette intention, c’est lorsque vous prétendez avoir réalisé « African Gangster » (2010) sous l’influence de « Touchez pas au grisbi » (1954), de Jacques Becker, plutôt que de « Scarface » (1983), de Brian De Palma…
Ah mais oui ! On a tous, évidemment, été influencés par la culture américaine. Mais moi, mes références, elles sont à 200 %françaises. Eddie Murphy, bien sûr. Mais plus encore Louis de Funès, JeanPaul Belmondo, c’est complètement mon ADN. Et Jean
L’antiracisme sur la corde raideSuccession de sketchs, le premier film de JeanPascal Zadi, réalisé avec John Wax, séduit par la qualité de son écriture et son esprit corrosif
TOUT SIMPLEMENT NOIR
C’ est le propre d’un pland’ouverture de toutdire d’une œuvre qui
s’annonce. Dans le premier film « industriel » du prodigue JeanPascal Zadi (rappeur, humoriste, chroniqueur à la télé, cinéasteamateur…), associé ici avec le photographe John Wax, il y a tout à la fois une intelligence du cadre,une subtilité de l’humour et l’élaboration d’un comique ahuri quile placent sous des auspices favorables. Soit, au premier plan, JP(Zadi en personne), acteur visiblement raté en même temps que sousemployé, qui lance en direct depuis chez lui un appel grave surles réseaux sociaux – « Je suis en
colère… Les Noirs ne sont nullepart… appel à une grosse marchede la colère noire… le jour de l’abolition de l’esclavage » –, tandis que sa femme, blanche, s’affaireindifférente en arrièreplan et l’interpelle à plusieurs reprises sur des affaires domestiques, ruinant à chaque fois par la trivialité de ses interventions la colère de ce dispositif.
On en saisit immédiatementl’enjeu. D’une part, sur fond demorts violentes d’hommesnoirs, la contemporanéité tragique avec un mouvement de colère antiraciste dont le film està l’évidence solidaire. De l’autre, des éléments comiques qui infléchissent la radicalité opportuniste de certains discours identitaires : l’acteur noir qui politise sa
nullité, sa femme blanche quipart bosser pour faire bouillir la marmite, la mixité avérée dufoyer. C’est sur cette corde raide,mais assez joyeuse, que le film,non sans culot ni courage, s’étend. Tenant son argument – un acteur noir, suivi pour undocumentaire par une équipe de télévision, tente de mobiliser la communauté des artistes demême couleur en vue d’une mar
che de protestation –, JeanPascalZadi tient ipso facto sa forme. Elleconsiste, comme souvent avec lestransfuges humoristes, en une succession de sketchs agrégés lesuns aux autres.
Déboulonnage interneCe que l’on pourrait considérer comme une facilité (formecourte réitérée pour atteindre la longueur d’un longmétrage, effet d’aubaine du défilement des célébrités plutôt que construction de personnages sur la durée)est ici compensé par la qualité del’écriture, l’ambiguïté de la miseen abyme, alors même quechacun joue son propre rôle, et l’esprit corrosif qui emporte sur son passage tant le racisme réel de la société que l’hypocrisie du
discours communautariste qui lui répond. Une brochette imposante de « beautiful people » noirs s’est prêtée au jeu.
Le standupeur Fary y incarneun opportuniste intégral, surfant sur la colère politique pourrenforcer son image. Eric Judor,fort d’un métissage peu visible, yjoue le Noir honteux, se revendiquant à 100 % autrichien. L’Antillais Fabrice Eboué et l’AfricainLucien JeanBaptiste en viennentaux gros mots puis aux mainsdans un restaurant. Ramzy Bediaet Jonathan Cohen, amis sur le fildu rasoir, y font entendre dansun dialogue délicieusementaigredoux la concurrence victimaire et la possibilité del’antisémitisme comme panacéeuniverselle…
A la manœuvre de ce déboulonnage interne, JeanPascal Zadi – grand corps burlesque, tête de pied nickelé farceur, zigomar gaffeur et passablement couard – agit comme un révélateur de fauxsemblants. Non sans s’assurer au passage, par quelques fulgurants retournements du faisceau humoristique, que la société globaleet la cohorte de ses racistes ordinaires en prennent aussi pour leur grade. Zadi est un universaliste dans l’âme, son film nous montre que la connerie n’a ni couleur ni frontière.
j. ma.
Film français de JeanPascal Zadi et John Wax. Avec JeanPascal Zadi, Fary, Claudia Tagbo, Caroline Anglade, JoeyStarr (1 h 30).
Le réalisateur et comédien, place de la République, à Paris, le 3 juillet. JULIEN MIGNOT POUR « LE MONDE »
Gabin, Touchez pas au grisbi, Le Gentleman d’Epsom, Archimède le clochard…
Vous avez toujours fabriqué vos œuvres, votre musique, vos films, vos DVD dans un esprit d’aventure et de bricole. Vous voici aujourd’hui produit par l’un des plus grands opérateurs industriels du cinéma français, la Gaumont. Qu’advientil de votre liberté ?
Concrètement, ils sont venus mechercher, parce qu’ils ont sans doute senti qu’il y avait besoin, dans un cinéma populaire qui tourne un peu en rond, d’un espritnouveau. Avec mon coréalisateur John Wax, je pense qu’on est dans cette mouvance, dans cet esprit. Lefilm a été réalisé avec un budget relativement modeste, tout le monde y a été payé au même prix,ça a été démocratique, ça a été la République !
Lors de la sortie de « Sans pudeur ni morale », en 2011, vous avez déclaré à « Libération » que, dans votre enfance, dans les années 1980 en province, c’était « les Noirs entre eux, les Arabes entre eux, les Blancs entre eux ». Diriezvous de même aujourd’hui ?
Non. Moi, je n’entrais pas dansles boîtes de nuit, en Normandie. C’était le rap et le foot, et point barre. Mes enfants grandissentdans une France où il y a Christiane Taubira au gouvernement, Harry Roselmack à la télévision,Omar Sy et Ladj Ly au cinéma, et même leur papa est cinéaste…Bon, les gens vont devoir se faire àl’idée qu’il y a des Noirs dans ce pays. Qu’on fait partie de son histoire et de son paysage. Les chosesévoluent, ça avance, j’ai espoir. Je suis un vrai républicain.
propos recueillis parjacques mandelbaum
CHEFD'ŒUVRE À NE PAS MANQUER À VOIR POURQUOI PAS ON PEUT ÉVITER
« Je suis noir, Fary est noir,
Fabrice Eboué est noir,
on n’a rien en commun »
Une brochette imposante de
« beautiful people » noirs
s’est prêtée au jeu
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 culture | 29
Deux regards sur une séparationLes films de Yaron Shani chroniquent la rupture d’un couple, du point de vue masculin puis féminin
CHAINEDBELOVED
D eux longsmétragespour suivre les derniers instants de la vied’un couple. Le tour
billon Chained et Beloved, de Yaron Shani, arrive en salle à une semaine d’écart, Chained dès le 8 juillet, Beloved le 15. Si la ruptureamoureuse est un thème rebattu au cinéma, le réalisateur israélien, né en 1973, renouvelle le genre avec un dispositif faussement documentaire, plutôt sophistiqué, au terme duquel Chained suit le point de vue masculin de la séparation, et Beloved le versant féminin. La même scène inaugurale – avec des prisesde vue différentes – ouvre les deux films : Rashi (Eran Naim) et Avigail (Stav Almagor) attendentun enfant et sont à l’hôpital pour l’échographie de la huitième semaine. Mais le cœur du bébé a cessé de battre, et Avigail est en pleurs dans les bras de son mari.
Chained nous met dans les pasde Rashi, policier à TelAviv, marié à Avigail, qu’il aime « plus que tout ». On le découvre en pleine mission, intervenant au domicile d’un homme qui frappe ses enfants. Rashi est un homme sous tension qui va être écrasé de pressions de plus en plus fortes. Professionnelle d’abord, puisqu’il se voit accusé d’agression sexuelle après avoir effectué une fouille corporelle sur des jeunes, dont l’un a un père haut placé dans la police. Familiale ensuite, car il est confronté à la rébellion permanente de la fille d’Avigail, née d’un précédent mariage, qui n’a que 13 ans mais se comporte comme sielle en avait 17 ou 18. Sentimentale,enfin, puisque, de jour en jour, il voit sa femme lui échapper jus
qu’au moment où elle lui dit les choses : c’est fini entre eux.
Si Chained suit une ligne droite,tranchante comme une lame, Beloved déploie ses ondes comme après le choc d’une pierre dans un lac : Avigail, qui travaille comme infirmière dans un hôpital, se lie d’amitié avec une femme qui vientrendre visite à son père mourant. Cette quadragénaire accompagne aussi des futures mamans, prend Avigail sous son aile et la fait entrer dans son cercle féminin.
Une multitude de signauxDans cette atmosphère d’attention bienveillante, Avigail se révèle à ellemême et découvrequ’elle n’est pas heureuse. Estce lavie quotidienne avec ses récurrentes disputes conjugales au sujetde sa fille, Jasmine (Stav Patay) ?
Estce parce qu’elle se voit infantilisée par son mari qui lui rappelle qu’une adolescente a besoin d’un cadre, et de limites ? Estceparce qu’elle refuse que ce soit l’homme de la maison, Rashi, qui dicte les règles comme il a l’habitude de le faire quand il patrouille ? Enfin, atelle encore envie d’un homme dans sa vie ?
Comme dans Ajami (2009), unpolar coréalisé par Yaron Shani et Scandar Copti, empreint d’une fine connaissance de la société israélienne, Chained et Beloved envoient une multitude de signaux de l’époque contemporaine, oùl’homme, travaillé par les questions d’égalité avec les femmes, est à la fois fragilisé et tenté de reprendre le pouvoir par d’autres moyens. Ainsi, Rashi accepte que sa compagne parte quelques jours
avec des amies, mais, en retour, ilse montre de plus en plus possessif, et laisse faire un collègue de la police qui lui propose d’enquêter sur sa femme… Beloved déploie unlarge éventail de portraits féminins comme pour suggérer que, désormais, c’est de ce côtélà que s’ouvrent tous les possibles. Une femme trouve une échappatoire et un gagnepain comme travailleuse du sexe, d’autres dans la
maternité, avec ou sans homme. Yaron Shani a écrit et affiné les dialogues pour les acteurs principaux dont certains ont vécu dessituations assez proches de celles décrites dans le scénario. Les comédiens ne font pas que jouer, ils sont leurs personnages, énonce lecinéaste, qui les a filmés en plan serré, dans une esthétique de téléréalité – jusqu’à cet accouchement dans l’eau dont on traverse toutes les étapes. Rashi et Avigail, eux, sont criants de vérité. Il n’en faudrait pas beaucoup pour que le spectateur se sente un peu voyeur, à suivre d’aussi près les faits et gestes de ce couple et des personnages secondaires.
Yaron Shani s’est cependantposé une limite, jouant avec les codes du reportage télévisé et floutant certains visages (ceux des
personnes âgées à l’hôpital) ou parties du corps – surtout dans Beloved. On peut juger ce parti pristrop envahissant, mais il vise à distinguer, et à protéger, des personnages du film qui ne sont pas comédiens. On peut aussi apprécier l’étrangeté de ces corps sans tête, aux visages aspirés, qui évoquent des toiles de Francis Bacon (19091992), ainsi que la volonté de ne pas simplement reproduire des modèles. Jouant ainsi avec la déformation, esthétique et narrative (le vrai et le faux), Yaron Shani propose un autre regard sur le couple,cette énigme.
clarisse fabre
Films israéliens et allemands de Yaron Shani. Avec Eran Naim, Stav Almagor, Stav Patay (1 h 52) et (1 h 48).
« Crash », la collision des corpsMontrant des personnages qui ne trouvent d’excitation sexuelle qu’à la vue d’accidents de voiture, le film de David Cronenberg a fait scandale lors de sa sortie en 1996
REPRISE
O bjet d’un scandale retentissant lors de sa présentation à Cannes en 1996,
contant l’attrait érotique de quelques personnages pour les accidents de voiture, Crash, quiressort en version restaurée,apparaîtra peutêtre un jourcomme le plus grand filmd’amour des années 1990. Encore faudraitil voir ce que l’onentend par « amour ».
Le film de David Cronenbergn’a que peu à voir avec le domaine des sentiments, galvaudés par un siècle de romantismehollywoodien, et qui n’ont jamais véritablement intéressé leréalisateur de La Mouche et deVideodrome, féru de dérives psychanalytiques et d’horreur organique. Pour le maître canadienné en 1943, le cœur et ses raisonsn’existent pas, puisque toutel’aventure humaine se passequelque part entre le cerveau et la chair, dans l’influence souventmonstrueuse qu’ont les idées sur le corps. La grande affairede Crash est donc celle de l’attraction des corps. Ou, pour le dire autrement, des stratégiesqu’ils mettent en œuvre pour entrer en collision.
Crash est le fruit d’une rencontre entre le cinéaste, alors ausommet d’une créativité qui le voit enchaîner les films importants (FauxSemblants, Le Festinnu, d’après Burroughs, et M. But
terfly), et l’œuvre de J. G. Ballard (La Foire aux atrocités, SuperCannes), auteur britannique de sciencefiction fourrageant lesrecoins inavouables de l’hypermodernité, et dont le romanCrash !, publié en 1973, fut sansdoute l’un des plus sulfureux etcontroversés. Cronenberg en transpose simplement l’argument de Londres à Toronto, enAmérique du Nord. James Ballard (James Spader), réalisateurde publicités, forme avec safemme Catherine (Deborah KaraUnger) un couple libre, multipliant les aventures, mais traversant néanmoins une mauvaisepasse sexuelle.
Songe languideAprès une violente sortie de route, qui le laisse la jambe brisée, James fait la rencontre à l’hôpital du mystérieux Bob Vaughan(Elias Koteas), au visage scarifié,dont le passetemps favori est de reconstituer clandestinementdes célèbres accidents de voiture(comme ceux qui coûtèrent la vieà James Dean ou à Jayne Mansfield). Autour de lui gravite unepetite communauté de fétichistes (Holly Hunter, Rosanna Arquette) plus ou moins éclopés,qui ne trouvent d’excitation quedans les désastres automobiles,au contact de la tôle froissée.
Le désir où s’immerge Crash estdonc médiatisé par la voiture, fétiche technologique de la civilisation occidentale, dont l’imagi
naire érotique et la promesse decatastrophe transforment en profondeur l’expérience ducorps humain. En intégrant legroupe, James et Catherine accèdent non seulement à de nouveaux partenaires, mais aussi àune sexualité renouvelée, singulièrement dépersonnalisée, où lesujet compte moins que l’attelage rutilant qui l’entoure. L’accident devient une scène fantasmatique, où décombres et débris, comme tous les stigmates de la destruction, renvoient aumoment fatidique de l’impact,image décuplée de la jouissance.Dans cette perspective de la collision, le corps tout entier devientl’objet d’une secousse puissamment érotique, les dommagessubis remodelant petit à petit leschairs – la longue cicatrice ornant la cuisse de Rosanna Arquette qui ressemble à un nouvelorifice sexuel. Cronenberg filme
cette aventure comme une sortede songe languide (le riff inquiétant et planant d’Howard Shore àla guitare électrique), où les personnages quittent leur modernité atone (celle des métropoleset de leurs mille reflets glauques)pour plonger dans une dimension marginale de l’existence : unoutremonde fait de parkings etde fourrières, de bretelles abandonnées et de virées nocturnes, où le désir prend des formes extrêmes. La beauté sidérante de Crash est ainsi la distance de sa mise en scène, qui setient à la lisière de la réalité et invente un territoire presque exclusivement cérébral.
Si le film a tant choqué à sonépoque, c’est sans doute parcequ’on attendait qu’il dénonce leculte de la voiture ou la perversion de ses personnages. Loins’en faut. Cronenberg les dépeintsurtout comme des êtres enquête d’expérience, d’un contact renouvelé avec notre monde, terriblement déréalisé. L’amour selon Crash est un empirisme :qu’un morceau de fer pénètredans un morceau de chair et c’esttoute la réalité qui, d’un seul coup, chavire sur son axe.
mathieu macheret
Film canadien de David Cronenberg (1996).Avec James Spader, Deborah Kara Unger, Holly Hunter, Elias Koteas, Rosanna Arquette (1 h 40).
Le film de DavidCronenberg
n’a que peu à voiravec le domainedes sentiments,
galvaudéspar un siècle
de romantismehollywoodien
Eran Naim et Stav Almagor, dans « Chained », de Yaron Shani. NIZAN LOTEM & SHAI SKIFF
La même scèneinaugurale, avecdes prises de vue
différentes, ouvre les deux
longs-métrages
Les quatre cents coupsd’une jeune gymnasteEva Riley filme le corps d’une adolescente comme un territoire à recomposer
L’ENVOLÉE
C ontrairement à ce que sontitre pourrait laisser entendre, L’Envolée, d’Eva Ri
ley, n’est pas un film de plus sur l’émancipation d’une jeune fille par le sport, ici la gymnastique. La réalisatrice et scénariste écossaise,qui avait présenté un courtmétrage en compétition à Cannes en 2014, Patriot, a su trouver un récit moins prévisible, et deux acteurs très convaincants, non professionnels : Frankie Box, qui joue Leigh, la gymnaste qu’elle est dans la vie, et Alfie Deegan, jeune menuisier repéré lors d’un castingsauvage, qui interprète Joe, sondemifrère, faux beau gosse et gueule cassée dans l’esprit des personnages de Ken Loach.
Dans les alentours de Brighton,en Angleterre, Leigh répète quotidiennement, dans sa chambre, l’enchaînement de gymnastiquequ’elle doit présenter lors d’unecompétition. La professeure, Gemma (Sharlene Whyte), lui semble entièrement dévouée, persuadée que la jeune fille a quelque chose de profond à donner, en dépit de ses absences et irrégularités.Les filles de l’équipe en revanchene sont pas de bonnes copines, quise moquent des justaucorps de la petite brunette ou lui font remarquer qu’elle n’est là qu’en vertu de
son statut de boursière. Ce rapide tableau de la méchanceté ambiante – ou de la lâcheté, concernant le père – manque sans doute de nuances, mais c’est en s’échappant de ce cadre convenu, grâce à l’irruption de nouveaux personnages, que L’Envolée se détournede son programme annoncé.
Un matin, Leigh voit débarquerun adolescent un peu plus âgé qu’elle, qui se présente comme sondemifrère. Ils n’ont que leur père en commun, lequel ne leur a jamais rien dit. Cette soudaine fratrie vient à la fois perturber et réveiller la jeune fille. « Notre père a baisé une fois ta mère, cela ne fait pas de toi mon frère ! », lui lancetelle. Joe est un petit délinquant qui vole des motos pour le compte d’un caïd du coin, Reece (Billy Mogford). Leigh découvre l’argent facile, les soirées de bikers, fait les 400 coups, et son agilité lui donne un avantage quand il s’agit d’entrerpar effraction dans une maison.
La réalisatrice filme une adolescente qui sort de l’enfance avectous ses traumas sur le feu. Plusque les prouesses d’une gymnaste, elle capte le corps d’une jeune fille par fragments, pointes, bras, mains, comme un territoireà recomposer.
cl. f.
Film britannique d’Eva Riley. Avec Frankie Box, Alfie Deegan, Sharlene Whyte (1 h 23).
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30 | culture MERCREDI 8 JUILLET 20200123
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POURQUOI PASLucky StrikeFilm coréen de Kim Yonghoon (1 h 48).Il ne faut pas toucher au grisbi, fûtil planqué dans un très chic fourretout Vuitton. Ça porte malheur. Pour avoir ignoré ce conseil pourtant ancien de Jacques Becker en 1953, les protagonistes de ce premier film du SudCoréen Kim Yonghoon vont se retrouver dans de sales draps. Parmi eux, on compte un employé de club de sauna exrestaurateur dans la débine, un douanier, un prêteur sur gage, une hôtesse de bar. Seule une technicienne de surface pourra peutêtre y trouver son bonheur. Adapté d’un roman japonais, Lucky Strike est chapitré comme un film de Tarantino (Kill Bill), un réalisateur qui semble inspirer Kim Yonghoon, sans que ce dernier parvienne toutefois à l’égaler. L’histoire se traîne un peu et la liberté que prend le réalisateur avec la chronologie dérange plus qu’elle ne stimule. ph. r
La Forêt de mon pèreFilm belge, français, suisse de Vero Cratzborn (1 h 31)Pour son premier longmétrage, la réalisatrice belge Vero Cratzborn traite d’un sujet personnel, la « folie » dont a souffert son père et la façon dont, enfant, elle a tenté d’appréhender cette maladie jugée « anormale ». Gina, 15 ans, vit dans la belle insouciance d’une famille aimante – entre un petit frère, une mère qui travaille et un père fantaisiste, étrange aux yeux des autres, magique et drôle aux yeux de ses gosses. Jusqu’au jour où se produit l’écart de trop, un épisode psychotique qui fait tout basculer. Le père est hospitalisé, la famille trébuche et Gina s’acharne à vouloir libérer son père. Rien dans la mise en scène (fort conventionnelle), ni dans le scénario, en revanche, ne dérape. Piloté avec une extrême timidité, le film fait regretter les aspérités qui auraient apporté plus de vigueur au propos. v. cau
À L’AFFICHE ÉGALEMENTMalmkrogFilm roumain, de Criti Puiu (3 h 20).Scooby !Film américain de Tony Cervone (1 h 34).
La Grèce chute de son OlympeDes adolescents errent dans les vestiges des Jeux olympiques d’Athènes
PARK
D imitris, Anna et lesautres… Des adolescents sans collier, à lafois graciles et disgra
cieux, musculature noueuse, peau lisse. Ils zonent dans ce qui fut, lors des Jeux olympiques d’Athènes en 2004, un stade (envahi d’herbes folles et sèches), unepiscine (où croupit un reste d’eausale), un vestiaire (aux armoires en fer déglinguées). Il fait chaud. Ils s’ennuient. Ils font des fêtesqui tournent en « binge drinking » (biture express). Les filles se tortillent, les garçons matent. Ils se battent parfois, sans qu’onsache trop pourquoi, comme deschiots trop nombreux dans un panier. D’ailleurs, ils aiment bien les chiens. Les pitbulls. Et les scooters qu’ils pilotent sur une seule roue, en wheeling.
Dimitris paraît le plus âgé decette petite bande – 17 ans, à tout casser. Il a de faux airs de Rafael Nadal, une coupe de cheveuxcomme cette génération l’aime à cet âge – long sur le dessus, tempes rasées – et porte des teeshirtssans manches et des shorts toutmous de basketteur. C’est sur lui
que la caméra s’attarde le plus. Elle le cerne, lui tourne autour, détaille la finesse de ses attaches, levelouté de sa peau. Dimitris a uneliaison avec Anna, une jeune fillequ’on devine dessalée et sentimentale. Ils font l’amour crûment sur des tapis de sol. Parfois, ils vont au bord de la mer. Il estmal, il hurle plus souvent qu’il ne parle. Il bosse chez un marbrier, amant de sa mère. Celleci boit, peutêtre un peu trop. Annas’éloigne. Bientôt, Dimitris perdson boulot. Inapte à polir la pierredans laquelle la Grèce a figé sesdieux et ses statues…
« Je veux me casser d’ici »C’est à peine une histoire. La tension de ce film ne vient pas du scénario, des événements. Elle naît d’aucun effet de suspense, mais de la seule confrontation des personnages entre eux, de leurs frôlements ou de leur bousculade soudaine. Principe de la dynamo. Film électrique et tendu, il ne va pas sans un peu d’ennui. Sa réussite tient à son casting exceptionnel : cinq cents auditions et six mois de tests ont été nécessaires pour trouver les acteurs, pourla plupart non professionnels, les mettre ensemble, et attendre que naisse entre eux l’alchimie, l’étin
celle. Ils ont en commun d’être lesreprésentants de la génération 2004 quand la Grèce, au prix de quelques contorsions budgétaireset avec la complicité du CIO (Comité international olympique), se prit pour une grande puissance.
2004 : les JO retrouvent leur patrie. Rien n’est trop beau pour accueillir dignement l’événement. Il faut y croire, se motiver, tricher. Des stades, des gymnases et des piscines sortent de terre comme par miracle ; 22 sites sont créés ; 9 milliards d’euros sont mis sur la table par le gouvernement de l’époque. Les promoteurs, les bâtisseurs et leurs intermédiaires, lesaigrefins se frottent les mains. Tout sera prêt au jour J, après bien des polémiques et des retards. Ce petit pays peut être fier. Pour beaucoup, le ver de la crise financière de2010 était déjà dans le fruit… Dimi
tris, Anna et les autres sont les enfants de ce mensonge olympique.
Ils sont les héritiers de piscinesvides, de stades sans athlètes, deParthénon de béton armé disparaissant sous le chiendent et les ronces. Sur les 22 sites créés pourl’occasion, une grande majorité a été abandonnée et constitue ce qu’on appelle des « éléphants blancs ». Ils sont aujourd’hui le refuge, le cocon, de Dimitris et de sapetite bande d’adolescents sans avenir. Sofia Exarchou, formée à New York et à Toulouse, a fait d’eux une métaphore d’un paysqui, depuis, ne s’est jamais totalement relevé de ce mirage.
« Je veux me casser d’ici, dit Dimitris à Anna. – Pour aller où ?, lui demandetelle. – N’importe où, je m’en fous. »
Projeté à SaintSébastien et àToronto dès 2016, il a fallu quatreans pour que ce film arrive jusqu’à nous. Comme Ulysse, il afait un long voyage. Mais sa fébrilité est intacte. Son absoluenécessité aussi.
philippe ridet
Film grec de Sofia Exarchou (2016). Avec Dimitris Kitsos, Dimitra Vlagopoulou, Enuki Gvenatadze (1 h 40).
Dimitris, Anna et les autres sont les héritiers des « éléphants blancs » des Jeux olympiques de 2004. TAMASA DISTRIBUTION
Film électrique et tendu, il ne vapas sans un peu
d’ennui. Sa réussite tient à son casting exceptionnel
Quatre courtsmétrages pour un opéraDes films réalisés par Sergei Loznitsa, Karim Moussaoui, Julie Deliquet et Jafar Panahi
CELLES QUI CHANTENT
D epuis sa création, en2015, par le directeur del’Opéra de Paris, Sté
phane Lissner, la plateforme3e Scène est devenue le terrain de fructueuses expérimentations au croisement du cinéma, de la vidéo, de la photographie, du théâtre, de la danse, du chant et de l’artlyrique… Des cartes blanches sont données à des « signatures », réalisateurs ou metteurs en scène – Mathieu Amalric, Clément Cogitore, Valérie Donzelli, Apichatpong Weerasethakul… – pour concevoir une œuvre originale liée à l’opéra. Plusieurs dizaines de courtsmétrages ont ainsi été produits sous la houlette de Philippe Martin, des Films Pelléas, diffusés en accès libre.
Pour la première fois, un programme de quatre courtsmétrages de 3e Scène, Celles qui chantent,sort en salles mercredi 8 juillet. Hasard ou magie du cinéma, ces films, signés respectivement par Sergei Loznitsa (Une nuit àl’Opéra), Karim Moussaoui (Les Divas du Taguerabt, Julie Deliquet (Violetta) et Jafar Panahi (Hidden) résonnent entre eux et donnent corps à un film avec ses personnages de chanteuses, tel un quatuorà cordes… vocales. Si chacune de ces œuvres a sa part de singularité, les quatre réalisateurs explorent une seule et même question :qu’estce qui fait opéra ?
Deux faux documentairesSergei Loznitsa répond avec un film d’archives qui revisite le protocole des soirées de gala au PalaisGarnier dans les années 1950 et 1960, lorsque le toutParis, de Bri
gitte Bardot au général de Gaulle, se pressait pour entendre les plus grandes voix (ici Maria Callas). Karim Moussaoui et Jafar Panahi proposent deux faux documentaires en forme de roadmovie. Le réalisateur d’En attendant les hirondelles (2017) part dans le désertdu Sahara à la recherche de ces femmes qui interprètent, dans desgrottes, un chant traditionnel berbère, dont il filme magnifiquement une reconstitution. Jafar Panahi, lui, finit par trouver la cantatrice qui n’a pas le droit d’exercer son métier – luimême a été condamné, en 2010, à ne plus tourner de films pendant vingt ans, interdiction qu’il contourne régulièrement. La chanteuse va se cacher derrière un rideau blanc. Fragile etsublime écran de cinéma.
Un opéra n’estil qu’un opéra ?,s’interroge de son côté la metteuse en scène Julie Deliquet, qui
réalise ici son tout premier film, des plus audacieux. Les couloirsde l’Opéra Bastille, à Paris, avec leurs portes qui s’ouvrent toutes seules et leurs chariots remplis de costumes, lui ont fait penser à l’hôpital. Dans la vivacité d’un montage qui nous fait passer de « Bastille » au centre de cancérologie GustaveRoussy de Villejuif(ValdeMarne), la réalisatrice suit deux personnages : l’une, chanteuse, interprète Violetta Valéry cheminant vers la mort dans La Traviata (une mise en scène de Benoît Jacquot en 2018) ; l’autre, comédienne, incarne une femme démarrant sa chimiothérapie. Celles qui chantent nous emmène en eau trouble.
clarisse fabre
Quatre courtsmétrages de SergeiLoznitsa, Karim Moussaoui, Julie Deliquet, Jafar Panahi (1 h 15).
La Bonne Epouse 3 99 217 1 065 ↓ – 21 % 479 770
Les Parfums 1 96 408 561 96 408
En avant 4 58 940 880 ↑ + 6 % 741 830
De Gaulle 4 56 730 999 ↓ – 41 % 773 479
L’Ombre de Staline 2 42 944 520 ↓ – 36 % 127 824
Invisible Man 5 32 280 449 704 560
The Demon Inside 2 24 896 321 ↓ – 36 % 73 153
L’Appel de la forêt 6 18 267 496 ↑ + 5 % 1 221 667
10 jours sans maman 6 16 034 270 ↑ + 4 % 1 145 259
Nous, les chiens 2 15 565 441 ↓ – 19 % 37 715
Nombrede semaines
d’exploitationNombre
d’entrées (*)Nombred’écrans
Evolutionpar rapport
à la semaineprécédente
Totaldepuis
la sortie
AP : avantpremièreSource : « Ecran total »
* EstimationPériode du 1er au 5 juillet inclus
La deuxième semaine du déconfinement cinématographique n’a rien à envier à la première. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la fréquentation reste très médiocre, même si certains l’avaient imaginée pire encore. Avec 620 000 tickets vendus, contre 590 000 du 24 au 28 juin, elle signe une hausse trop faible pour qu’on puisse conclure à un redémarrage. Ce chiffre est à comparer avec celui de 710 000 entrées enregistrées la semaine précédant le confinement (du 11 au 14 mars), alors que déjà la jauge des salles avait été réduite, et, plus cruellement encore, avec celui de la même période de l’année dernière, quand 2,9 millions de spectateurs avaient trouvé le chemin des salles… Autres temps. Dans le détail, les mêmes films se partagent la part du (maigre) lion : La Bonne Epouse, En avant, De Gaulle et L’Ombre de Staline. A noter, les bons débuts (dans ce contexte) du film de Grégory Magne, Les Parfums, avec Emmanuelle Devos, qui totalise près de 100 000 entrées pour 561 copies dès sa première semaine d’exploitation.
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 télévision | 31
HORIZONTALEMENT
I. Souvent sincères dans les moments difficiles. II. Reste en bordure de forêt. Piquante et mordante. III. Passas. Créateur du « New Look ». Luth à trois cordes. IV. Manifestent leur mécon-tentement. Garde pour lui. V. Chez les filles. Recommandée en partant. Em-poigné. VI. Un geste pour la planète. Qui fait quoi au Monde. VII. Lâcha son coup. Baigne amoureusement dans le miel. Le césium. VIII. Choisi par les autres. Levé en partant. Surface sur le terrain. IX. Blessés en profondeur. Bonne disposition avant de commen-cer. X. Lourd souvenir.
VERTICALEMENT
1. A toujours un mauvais coup en préparation. 2. Ouverture en façade. Rejoint la Vilaine à Rennes. 3. Ses eaux sombres gardent leur mystère. De bons moyens pour s’en sortir. 4. Roule au hasard. Fit le bon poids. Introduit les qualités. 5. Porte souvent un faux col. Carré, il faudra le défendre. 6. Belle, elle est souvent vierge. Assure le maintien. 7. Partici-pation individuelle. Rien de nouveau de ce côté-là, chez Remarque. 8. Trotte en tête. Relie le Cattégat à la Baltique. 9. Aux bouts du nœud. Mauvaise part de l’héritage. Deu-xième tour du cadran. 10. Convo-quais au palais. Blonde anglaise. 11. Supports provisoires. Mouvement en tête. 12. Equipent les chatons.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 157
HORIZONTALEMENT I. Brut. Hameçon. II. Aines. Carabe. III. Naines. Senec (cènes). IV. As. Data. Soir. V. Tuners. Pro. VI. EPR. Trotte. VII. Maïs. Emoi. Da. VIII. Ensor. Erebus. IX. Netcam. Edens. X. Tresser. Elée.
VERTICALEMENT 1. Banalement. 2. Rias. Paner. 3. Uni. Triste. 4. Tendu. Socs. 5. Séant. Ras. 6. Stère. Me. 7. Ac. Arôme. 8. Mas. Store. 9. Eres. Tiède. 10. Canope. Bel. 11. Obéir. Dune. 12. Nécrosasse.
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GRILLE N° 20 - 158PAR PHILIPPE DUPUIS
SUDOKUN°20158
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7 8 9 6 2 1 3 5 4
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6 4 5 8 9 3 2 1 7
4 7 1 3 8 2 6 9 5
3 9 8 1 5 6 7 4 2
5 2 6 9 7 4 8 3 1
8 3 7 4 1 9 5 2 6
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France 221.05 L’Amie prodigieuseSérie. Avec Gaia Girace, Margherita Mazzuco (It.-EU, 2018).23.00 Daria Marx, ma vie en grosDocumentaire de Marie-Christine Gambart(Fr., 2020, 68 min).
France 321.05 Le Monde de JamyMagazine présenté par Jamy Gourmaud et Eglantine Emeyé.23.05 Papa s’en vaDocumentaire de Pauline Horovitz (Fr., 2020, 50 min).
Canal+21.07 Ahmed Sylla : DifférentSpectacle.22.50 Le Coup du siècleFilm de Chris Addison. Avec Anne Hathaway, Rebel Wilson(EU, 2019, 95 min).
France 520.50 Les Secretsde François TruffautDocumentaire de Grégory Draï et Jérôme Bermyn(Fr., 2020, 90 min).23.30 Le Mystère du loch NessDocumentaire de Mike Wafer(RU, 2011, 50 min).
Arte20.55 Woman at WarFilm de Benedikt Erlingsson. Avec Halldora Geirharthsdottir, Johann Sigurtharson(Isl.-Fr., 2018, 100 min).22.35 Aux pieds de la gloireDocumentaire de Fabrice Macaux (Fr., 2019, 53 min).
M621.05 Zone interditePrêts à tout pour organiser le mariage de leurs rêvesMagazine présenté parOphélie Meunier.23.00 Zone interditeMagazine présenté parOphélie Meunier.
AixenProvence libère son plein air sur le petit écranEn raison de l’annulation de ses spectacles, le Festival propose une programmation alternative en ligne
ARTE.TVÀ LA DEMANDE
SPECTACLES
L’ édition 2020 du Festival d’AixenProvencen’est pas annulée, elleest simplement empê
chée. » Cette sensible atténuationsémantique ne parviendra cependant pas à masquer la tristesse et la consternation ressenties à l’entour du mythique théâtre (en plein air) de l’Archevêché où, depuis 1948, se donne l’un des festivals lyriques internationaux les plus notables.
Le directeur de la manifestation,le LibanoBritannique d’expression française Pierre Audi, metteur en scène, ancien directeur de l’Almeida Theatre de Londres, de l’Opéra d’Amsterdam et, entre autres, du Holland Festival, n’imaginait sûrement pas que son mandat serait affecté aussi dramatiquement dès sa deuxième saison, en raison de la crise sanitaire mondiale générée par le Covid19.
Mais il a dû se rendre au durprincipe de réalité : « J’ai bataillé, bataillé, avant de me rendre à l’évidence : on ne verra jamais cette constellation de productions. Ce sont des années de travail qui s’écroulent », confiait Pierre Audi au Monde, en avril, en évoquantles spectacles d’opéra prévus cet été, Wozzeck, de Berg, Le Coq d’or,
de RimskiKorsakov, Cosi fan tutte,de Mozart et la création mondiale d’Innocence de Kaija Saariaho.
« Scène numérique »Il a donc été décidé de produireune alternative à la programmation en public des récitals, concerts et opéras de l’été 2020 sousforme d’une « scène numérique »,qui propose non seulement des
films d’archives de productions récentes qui ont marqué le Festival, mais aussi des captationsnouvelles de récitals dans la courde l’hôtel Maynier d’Oppède, ainsique des rencontres et débats.
Du 6 au 15 juillet, le site du festival, Arte.tv, Arte et France Musique se partagent la diffusion de ces événements : sur la scène numérique d’Aix, les opéras sont
proposés chaque soir à 21 heures, tandis que le site d’Arte les rend d’ores et déjà tous disponibles.
Les récitals, diffusés par le sited’Aix à 19 heures chaque soir, ont en revanche été tournés en juin sans public : cet inconvénient est pallié par la liberté plus grande quiaura été donnée aux caméras filmant les artistes, dont le baryton allemand Christian Gerhaher
dans un programme de lieder, ou la mezzosoprano tchèque Magdalena Kozena, accompagnéeau piano par son époux le chef d’orchestre Sir Simon Rattle.
La proposition lyrique est largeet riche : on notera l’Elektra de Richard Strauss, mise en scène par Patrice Chéreau en 2013 ; la première Tosca de Puccini à l’affichedu Festival en 2019, dans la mise en scène insolente de Christophe Honoré ; l’opéra Pinocchio, de Philippe Boesmans et Joël Pommerat, créé en 2017…
Parmi les films d’opéra retenus,on aura plaisir à revoir la mise en scène de A Midsummer Night’sDream, de Benjamin Britten d’après Shakespeare, qui est probablement l’une des plus réussiesdu prolifique Canadien Robert Carsen, créée au Festival en 1991, reprise et captée en 2015.
On avait gardé un vif souvenir decette mise en image enchanteresse de la subtile musique de Britten, notamment de cette scène où l’on voyait une série de lits aéroportés au pays des songes, tandis que le grand contreténor britannique James Bowman incarnait le rôle d’Obéron, ici chanté par son jeune collègue Lawrence Zazzo…
renaud machart
Festival d’AixenProvence 2020, disponibles sur Arte.tv et sur Festivalaix.com.
La « Tosca », de Puccini, au Festival d’AixenProvence, en 2019. JEAN LOUIS FERNANDEZ
Joseph Kessel, romancier et chasseur d’horizonsA l’occasion de l’entrée de l’auteur dans « La Pléiade », France Culture propose une approche originale de son œuvre
FRANCE CULTUREPODCASTÉMISSION
Q uelle merveilleuse idée,pour accompagner lasortie de son œuvre dansla prestigieuse collection
« La Pléiade », chez Gallimard, que d’imaginer cette « Grande Table d’été » autour de – et même presque avec, tant il se donne ici à entendre – Joseph Kessel (18981979). Académicien, grand reporter, résistant, il est l’auteur de romans connus de tous – puisque souvent
enseignés : de Belle de jour (1928), dont Buñuel tira un film devenu culte, au Lion (1958) en passant parLes Cavaliers (1967).
Homme sans frontièresPour évoquer cet homme inclassable, séduisant séducteur, auteur dequelque quatrevingts livres, trois invités : Serge Linkès, qui a dirigé l’édition en deux tomes de « La Pléiade » ; Gilles Heuré, journaliste qui, après s’être occupé de l’édition« Quarto », publie un Album Kessel,et Dominique Missika, autrice d’Un amour de Kessel (Seuil).
Comme le rappelle Gilles Heuré,pour Kessel, « le style est unemachine à crémaillère » – il est donc hors de question de « laisser le lecteur en plan ». Parmi les auteurs que Kessel admirait : Dumas, Maupassant, Dostoïevski ou encore Tolstoï (Guerre et paix étaitsa bible). S’il considérait perméables les frontières entre reportageet roman, il n’est pas certain que son style hyperbolique, si bien accueilli par Pierre Lazareff alors directeur de ParisSoir, soit encoretoléré dans les colonnes des journaux d’aujourd’hui…
Son insatiable curiosité l’emmène d’Afghanistan au Yémen, de Syrie en Ethiopie puis en Chine. EnIsraël aussi, dès la création de l’Etathébreu, en 1948 : il rappellera son judaïsme lors de son entrée à l’Académie française, en 1962.
Homme sans frontières, Kesselest, selon la belle expression deGilles Heuré, « un chasseur d’horizon », et sa vie une aventure dans un siècle de guerres et de révolutions. « Plus long le chemin, plus riches ses promesses », disaitil. Excessif, intimidant, auteur d’une œuvre multiforme et hétérogène,
c’était aussi, comme le rappelle Olivier Weber, auteur d’un Dictionnaire amoureux de Joseph Kessel (Plon, 2019), un homme doué d’une profonde empathie. C’est donc heureux que, voyageurs immobiles mais auditeurs attentifs, nous partons un peu avec lui grâceà cette belle émission.
émilie grangeray
« La Grande Table d’été », présenté par Olivia Gesbert, réalisé par Alexandra Longuet (72 min). Disponible sur Franceculture.fr et sur les platesformes de podcast.
V O T R ES O I R É E
T É L É
0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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32 |styles MERCREDI 8 JUILLET 20200123
AUTOMOBILE
L e néoconverti Porsche n’aurapas tardé à se poser en puriste.Poussé dans les bras de la Féeélectricité par le succès de Tesla
aux EtatsUnis et la mutation du marchéchinois, le constructeur aborde, comme à son habitude, le sujet avec beaucoupd’assurance. Alors que les autres marques sportives de luxe, Ferrari en tête, hésitent à franchir le Rubicon, le constructeur le plus rentable au monde lancele Taycan. Un modèle en rupture avec son histoire, mais sur lequel les ingénieurs maison, dépositaires du pouvoir au sein de la maison de Zuffenhausen (BadeWurtemberg), se sont investisaprès avoir jugé la révolution électrique compatible avec leur savoirfaire.
Cette greffe tentée – et réussie, précisonsle – offre une illustration supplémentaire du darwinisme appliqué à l’automobile. Le Taycan propose une lecture porschiste d’une berline quatre portes dépourvue de moteur thermique, jusqu’alors cœur battant des modèles de la gamme, y compris des hybridesrechargeables. Sa carte de visite annonce une puissance délivrée par les deux moteurs synchrones (un sur chaque essieu) située entre 530 ch (390 kW) et 761 ch (680 kW).
En pratique, cela peut donner un 0100 km/h abattu en seulement 2,8 secondes en utilisant la fonction dite« launch control », qui gère électroniquement le dosage de l’accélération et sa transmission aux quatre roues. Legenre de séquence émotion dont on
conseillera aux estomacs fragiles de nepas abuser.
Compte tenu de la capacité du moteurélectrique à délivrer un couple constant,ce genre de performance n’est, à vraidire, pas ce qu’il y a de plus difficile à réaliser, mais le Taycan convoque tout unarsenal technologique pour canalisercette force brute. Motoristes distingués, mais aussi experts en châssis et enliaisons au sol, ces messieursdames de chez Porsche ont mis sur la route unevoiture très réactive lors des changements d’appui et aux réactions on nepeut plus saines.
Plongeant et galbéLa suspension pneumatique adaptative et les quatre modes de conduite programmables se plient à l’humeur du conducteur. La direction hyperprécise met à profit l’équilibre de la répartition des masses et l’abaissement du centre degravité pour faire complètement oublierque l’on se trouve aux commandes d’un véhicule de quelque 2,3 tonnes. Le Taycan, dont le freinage réclame une période d’adaptation, n’est pas seulementtaillé pour de rageuses montées à l’abordage sur le circuit Maison Blanche,au Mans, où nous l’avons testé. Sur les routes de campagne, il fournit avec tact des accélérations franches mais brèves, source de ces plaisirs minuscules sans être frustrants que sait mieux qu’aucun autre prodiguer un véhicule électrique.
Pour convertir à cette sportive d’ungenre nouveau les riches aficionados (le tarif est compris entre 109 000 euros et 189 000 euros) d’une marque vouée au
culte du flatsix, le Taycan a également été conçu pour ne pas trop désorienterson public. Le rayon d’action a été calibré pour varier, selon la capacité de la batterie (79,2 ou 93,4 kWh), entre 407 kmet 463 km. Seul modèle bénéficiantd’une infrastructure électrique en800 volts, la nouvelle Porsche est compatible avec des bornes délivrant de 225 kW à 270 kW en courant continu. Cela permet de passer d’une charge de 5 % à 80 % en un peu plus de vingtdeuxminutes sur l’une des stations du consortium Ionity (une quarantaine enFrance, réparties sur les grands axes) associant le groupe Volkswagen, Ford, BMW, Kia et Hyundai.
Le faible encombrement de son moteur électrique permet au Taycan d’accentuer les traits caractéristiques dustyle Porsche en dessinant un capot très plongeant et des ailes toujours plus galbées. Long (4,96 m) et bas, ce modèle à laprésentation sobre offre un profil fluide,avec des porteàfaux réduits qui le « posent » bien sur la route. La partie arrière est délibérément inspirée de celle de la911, l’icône indéboulonnable.
Pour ne pas trop perturber le petit peuple des porschistes, les accélérationspeuvent s’accompagner d’une sonorité spéciale, mais la marque a eu le bon goûtde ne pas reconstituer les vocalises caverneuses de ses moteurs thermiques. Elle a poussé le sens de l’authenticité jusqu’à amplifier le vrai bourdonnement du moteur électrique et le diffuserdans l’habitacle.
Autre élément de mise en scène conçupour ne pas rompre le cordon avec les
modèles à propulsion du XXe siècle : le petit coup de pied aux fesses provoquépar l’inédite boîte de vitesses (à deux rapports) implantée sur l’essieu arrière. Curieusement, le réglage de la récupération d’énergie au freinage ne permetqu’un effet de rétrogradage limité au lever de la pédale d’accélérateur, privant leconducteur de sensations qui font aussi le sel de la conduite en mode électrique. Les arguments avancés – un « manque d’efficience » et un effet « contre natureen conduite sportive » – ressemblent à autant de coquetteries d’ingénieur.
Enfin, l’habitacle tiré à quatre épinglesrespecte les canons de la porschitude, avec son alignement réglementaire decinq cadrans et des écrans lisibles mais d’envergure standard. Seule concession notable : la possibilité d’opter pour un revêtement intérieur en cuir végan.
Malgré de premiers mois de commercialisation troublés, le Taycan semble répondre aux espérances. Le plan decharge de l’usine de Zuffenhausen est bien garni, la moitié des acheteurs n’ontjamais acheté de Porsche, et leur moyenne d’âge est inférieure de septans à la moyenne de la marque.
Dans les prochains mois, sera lancéeune version Cross Turismo (une sorte debreak de chasse), en attendant une adaptation toutélectrique du Macan. Hardi mais prudent, le constructeur se convertit au zéro émission mais n’abjure pas ses anciennes croyances. Il vient d’annoncer le retour du flatsix atmosphérique sous le capot du roadster 718, et d’unopulent V8 à bord du SUV Cayenne.
jeanmichel normand
Pour ne pas trop perturber
le petit peuple des
porschistes, lesaccélérations
peuvent s’accompagnerd’une sonorité
spéciale
Insaisissable MX30Imaginée comme un coupé SUV, la première électrique de Mazda joue sa petite musique dans la catégorie des « zéro émission »
P remière électrique conçuepar Mazda, qui s’est toujours posé comme un dé
fenseur zélé de la cause du moteurthermique, l’inédit MX30 était attendu avec un brin de curiosité. Lafirme d’Hiroshima a pris les choses très à cœur et opté pour deschoix tranchés qui lui permettront de répondre, comme à son habitude, aux besoins d’un publicciblé. Hélas, cette nouvelle Mazda ressemble fort à un exercice imposé, réalisé avec rigueur mais sans grande passion.
Le MX30, dont la dénomination fait référence pour d’obscures raisons très « corporates » aupetit roadster MX5 qui n’a pourtant rien à voir, se contente d’unebatterie à la capacité relativement modeste (35,5 kWh) qui limite d’autant son rayon d’action(262 km en ville et 200 km en cycle mixte). Mazda, qui destine le
MX30 à des usages urbains, n’apas voulu se lancer dans la courseà l’autonomie. Ses porteparolefont remarquer que le kilométrage moyen quotidien d’un automobiliste européen n’excède par 48 km et font valoir que leur approche contribue à alléger le poids du véhicule (1 645 tonnes dont 310 kg de batteries) ainsi queson prix (26 900 euros, une foisdéduit le bonus écologique de7 000 euros).
Des plastiques recyclésD’ici début 2022, l’objectif est devendre 1 000 unités en France de ce modèle qui pourrait, à terme,être équipé d’un prolongateurd’autonomie sous la forme d’un moteur à essence à piston rotatif.
Le raisonnement pourrait êtreconvaincant si le MX30 ne mesurait pas 4,39 mètres, gabarit pour le moins généreux pour circuler
en ville au quotidien. L’habitabilité intérieure n’est pas particulièrement généreuse aux places arrière auxquelles on accède (en se déhanchant légèrement) par unoriginal système de portes antagonistes et la capacité de chargement du coffre (366 litres) est toutjuste moyenne.
Ce parti pris n’est pas, non plus,prodigue en sensations de conduite. Malgré le poids contenu, la voiture n’apparaît pas très agile sur la route et les suspensionspercutent au passage du moindre
ralentisseur. Le moteur électrique développe 107 kW (145 ch) et propose cinq niveaux de réglagedu freinage régénératif, mais ilmanque de tempérament ; il faut presque dix secondes pour passerde 0 à 100 km/h. Chaque accélération s’accompagne d’un bruit artificiel imitant celui d’une turbine, point trop intrusif et assezchantant mais qui, aussi curieuxque cela puisse paraître, ne peut être désactivé. Comme si les conducteurs de voiture électrique devaient forcément porter le deuil
de la sacrosainte sonorité d’un moteur à explosion.
Pour être honnête, on s’ennuieun peu au volant du MX30, ce quiest doublement surprenant. D’abord parce que les autres Mazda sont tout sauf ennuyeuses etensuite parce que les autres modèles électriques modernes mettent davantage en évidence le dynamisme et l’élasticité d’un moteur à aimants.
Imaginé comme un coupé SUV(concept en passe de s’imposer comme la tarte à la crème des de
signers), le MX30 présente desdécoupes massives et des passages de roues rectangulaires pour faire « costaud ». Sa partie arrière fuyante, sans doute la composante la plus réussie, adopte de jolis feux ronds. On appréciera ceteffort destiné à donner une personnalité particulière à cette voiture, mais, à tout prendre, on préfère les formes affûtées et l’élégante sobriété qui prévalent à bord des Mazda.
L’habitacle, classique mais debon goût, dispose d’une consolecentrale très réussie dont la baseest en partie recouverte de liège. Les tissus des contreportes sont garnis de textiles élaborés à partirde plastiques recyclés alors que le cuir des sièges est végan, caractéristique devenue incontournableà bord de ce genre de véhicule.
Ces traits de caractère dessinentune voiture finalement assez insaisissable, dont la cohérence ne saute pas toujours aux yeux. Au moins le MX30 apportetil la démonstration que, contrairementà une crainte récurrente, les nouvelles voitures électriques ne sont pas une armée de clones.
j.m. n.
Le Taycan de Porsche.PORSCHE
Le MX30 de Mazda a un rayon d’action de 262 km en ville.MAZDA
Révolution électriquechez Porsche
Berline quatre portes, le Taycan est le premier modèle 100 % électrique du constructeur allemand. Et, dans l’habitacle,le changement, c’est aussi pour maintenant, avec l’option « cuir végan » pour le revêtement…
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 IDÉES | 33
Non, M. Macron n’est pas l’incarnation d’un racisme systémiqueEn réponse aux accusations portées dans nos colonnes par des universitaires, sept chercheurs affirment que le président de la République mène bel et bien des politiques mémorielles et de lutte contre les discriminations
Dans une tribune publiéele 23 juin dernier par LeMonde, quatorze universitaires s’alarmaient de la
position jugée accablante duprésident de la République faceaux manifestations antiracistesde ces dernières semaines et affirmaient trouver une source d’« inspiration » dans cettemobilisation. Nous voudrions icifaire entendre une autre voix,venue elle aussi de l’université,et témoigner d’une inquiétude et d’un trouble.
C’est que le racisme est unfléau si ancien, si lourd et si criminel qu’il est requis de ne paslaisser son analyse à la seule « inspiration » dont se réclamentnos collègues. Et l’antiracismeune affaire si sérieuse qu’elle nesaurait être abandonnée aux« énervés de la race », pour reprendre l’expression du Canard enchaîné du 24 juin dernier.Commentant les propos accusatoires qui seraient ceux, privés,du président de la République, etrapportés dans un article duMonde du 12 juin – « Le mondeuniversitaire a été coupable. Il aencouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant quec’était un bon filon » –, les quatorze affirment qu’ils n’ont été « à l’instigation » de rien.
Ils s’estiment donc innocentset, accusés tel Socrate de corrompre une jeunesse innocente elle aussi dans son enthousiasme juvénile, ils se contentent de retourner l’accusation. Le réquisitoire dressé est sévère : qui atué George Floyd ? Et, partransitivité, qui a tué Adama Traoré ? Le coupable, pardelà tousles noms qu’on pourrait avancer,est désigné, il s’appelle Emmanuel Macron.
Coupable désignéIl faut mesurer la significationde chacune des accusations portées contre lui dans ladite tribune. Elles affirment en touteslettres que la société françaiseest dans sa pratique « ordinaire »une société principalement structurée par la « ségrégation »et les « discriminations » ; que laviolence policière est la principale cause de la violence sociale ;que le président luimême,complaisant envers le pétainisme et ses alliés, envers les crimes de la colonisation, et engageant une lutte contre l’antiracisme, est en conséquence undéfenseur patenté du racisme.
Comment, au bout de toutesces allégations, ne pas conclurequ’il existe bien un racismed’institution, un racisme systé
mique, et finalement un racismeincarné par le président de la République en personne – alors quele racisme, en France, est si peu « d’Etat » que nombre de figures« décoloniales » ou « indigénistes » se retrouvent au sein mêmede ses appareils idéologiques.
Ne nous résignant pas à admettre des conclusions dont les conséquences seraient dramatiques,nous voudrions en appeler à lanuance, toujours suspecte, évidemment, aux yeux du militant,c’estàdire aussi à la précision.Ainsi, Emmanuel Macron, donton peut déplorer sur ce point les
oscillations de pensée, n’atilpas qualifié, alors qu’il étaitcandidat à l’élection présidentielle, la colonisation de « crime contre l’humanité » ?
N’atil pas conduit l’Etat, depuis son élection, à faire amendehonorable dans l’affaire Audin[en 1957, le mathématicien communiste et anticolonialiste Maurice Audin disparaît à Alger, emmené par des parachutistes français, et meurt sous la torture ;Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’Etat danscette affaire en 2018], en parlant même de torture systémique ?N’atil pas retenu les dates du 7et du 24 avril, pour la commémoration du génocide des Tutsiet de celui des Arméniens,les premières à prendre acte du sens universel du génocide désormais inscrit dans le calendrier de la République ?
Et de plus, lui qu’on désignecomme un adversaire de l’antiracisme, n’atil pas prorogé etdéveloppé la délégation interministérielle à la lutte contre leracisme, l’antisémitisme et lahaine antiLGBT (Dilcrah) ? Et ne reçoitil pas chaque année unrapport de la Commissionnationale consultative des droitsde l’homme, remis au premier ministre, le « Rapport sur la
lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » ? Quant à la violence dans lapolice, patente aujourd’hui, peutelle être sérieusementprésentée comme l’origine principale, voire exclusive, des violences sociales ?
Responsabilité universelleIl ne s’agit pas de nier la réalitédes rémanences de schèmes coloniaux dans la société française,ni de minorer la violence exercée par des membres des forcesde l’ordre dans l’exercice de leurfonction. Il convient néanmoinsd’interroger la pertinence, la justesse et la justice d’une démarche dont les conclusions ruinentla confiance qu’on voudraitmettre dans la République etfont perdre aux citoyens la conviction qu’ils sont euxmêmes parties prenantes, comptables etcoresponsables de ce qui va et de ce qui ne va pas.
L’expertise des sciences sociales a tendance à rapporter la responsabilité de chacun à l’institution, au système, à l’oppressionsociale. Ainsi – et c’est bien ce quis’exprime dans la tribune desquatorze – le « racisme systémique » se cristallise tout d’un coupautour de la personne d’unhomme, devenu, un peu puérile
ment, l’incarnation et la cause principale du Mal universel.Nous pensons, en revanche,que ce qui est ici en cause estavant tout la question de laresponsabilité. Cette responsabilité est universelle.
Mais cette universalité ne sepeut qu’à condition de croiser des singularités, irréductiblesà l’intelligence statistique ousociologique. Et de cette universalité, l’Université – puisqu’ilest question d’elle – se doit de toujours témoigner en faisant « profession de la vérité »(Jacques Derrida).
Gérard Bensussan, philoso-phe, université de Strasbourg ; Alain David, philosophe, Collège international de philo-sophie, Paris ; Christian Godin, philosophe, université Clermont-Auvergne ; Géraud de la Pradelle, juriste, univer-sité de Paris-Nanterre ; Avital Ronell, philosophe, université de New York ; Yves Charles Zarka, philosophe, université de Paris, directeur de la revue Cités ; Paul Zawadzki, politiste, université Paris-I
Lun ZhangLe maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté exige plus que jamais de prêter attention à HongkongLa loi relative à la sécurité nationale, imposéele 30 juin par Pékin à Hongkong, signe la mort du modèle unique développé par cette île et accélère l’essor d’« une nouvelle guerre froide » entre la Chine et les EtatsUnis
Hongkong est morte ! Cette phrase,je ne cesse de la répéter depuis uncertain temps, surtout depuis l’andernier. C’est à présent confirmé :
l’application de la loi relative à la sécuriténationale fait de Hongkong une villesemblable aux autres villes chinoises du point de vue politique.
« Un pays, deux systèmes » devient uneexpression désuète. Il est vrai que la Bourse de Hongkong peut encore afficher une image relativement sérieuse. Grâce d’une part aux fonds mobilisés par Pékin pour la soutenir et, d’autre part, aux capitaux des entreprises chinoises se retirant du marché américain àla suite du contrôle de plus en plus sévère de l’administration américaine. Le secteur des services hongkongais pourra garder une prospérité relative si la pandémie reste sous contrôle et si les dépenses et l’investissement des continentaux s’y maintiennent. Ces derniers tentent,en effet, d’échapper à une situation économique et politique qui ne cesse de se dégrader en Chine continentale.
Néanmoins, la situation de Hongkongne pourra pas se stabiliser comme le souhaitent Pékin et certains hommes d’affaires hongkongais ou étrangers, et ce
malgré une loi extrêmement dure en termes de répression. Cette loi demeure volontairement floue sur la définition de certains crimes, laissant à Pékin une très grande latitude pour condamner à son gré. La perle d’Orient s’éteint ; une page historique est décidément tournée.
L’Occident en OrientPour le comprendre, il faut se rappelerque Hongkong est d’abord un produit « mixte » issu de deux cultures, orientale et occidentale, mélange de tradition etde modernité, à la périphérie de la Chine,mais représentant l’Occident en Orient.Son charme et son dynamisme proviennent de ce mélange qui est lié à une période historique aujourd’hui révolue, à l’origine de ses forces mais aussi de sesfaiblesses. Les institutions britanniques, qui garantissaient les libertés individuelles, tout comme la fuite des cerveaux, de la maind’œuvre et des capitaux de la Chine continentale, après la prise du pouvoir par les communistes, lui ont permis un décollage économique significatif. Ces facteurs ont posé les bases deson rayonnement international.
A cela s’ajoute une conjoncture internationale favorable. Si le succès d’hier de
Hongkong est en partie le résultat de la guerre froide, son destin tragique d’aujourd’hui est aussi lié à un nouveau rapport de force, à une nouvelle guerre froide qui s’amorce.
La situation actuelle constitue, en effet, la première bataille de cette nouvelle guerre froide qu’on peut qualifier de warm war (« guerre tiède »), en raisondu niveau et de la nature du conflit entre la Chine et les EtatsUnis. La température peut varier y compris jusqu’à larupture des liens commerciaux ou même un conflit armé. Cette « troisième guerre mondiale » provoquel’ébranlement des organisations internationales. L’ordre mondial est en passed’être modifié profondément.
Cette décomposition de la structure internationale ne date pas d’aujourd’hui, le risque est apparu depuis des années. Parmi les principaux facteurs en cause,la montée en puissance de la Chine et le renforcement de la tendance isolationniste américaine, tous deux intrinsèquement liés. La Chine a su tirer les bénéfices de la globalisation pour renforcer sa capacité au détriment de certains intérêts américains, favorisant l’émergenced’un sentiment de frustration et de colère aux EtatsUnis.
Ce sentiment explique en partie l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. En jouant habilement le jeu « démocratique », Pékin a imposé une influence grandissante au sein des organisations internationales, en s’appuyant sur lesoutien des « Etats voyous », selon lavieille expression américaine, et de cespays ou hommes politiques proPékin soutenus par la Chine via diverses aides financières. L’action de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) contre la pandémie est, une nouvelle fois, représentative de cette influence.
Comment faire face à une telle situation ? La crise de Hongkong nous offreaujourd’hui l’occasion d’observer unnouvel ordre mondial en gestation. Ellenous permet surtout de vérifier si les Occidentaux, en particulier les Européens, auront le courage et l’intelligence de défendre les principes qu’ils ont euxmêmes conçus et promus dansle monde. Ce sont bien les Européensqui devraient avoir en mémoire certains dangers, plus que n’importe quelautre peuple du monde : ils sont les
mieux placés pour entrevoir ce quipourrait arriver si un pouvoir totalitaireexprimait son avidité territoriale et administrative au nom de la gloire nationale, sans être freiné par la résistancedes pays démocratiques.
Il ne faut pas oublier la garantie de cinquante ans d’autonomie aux Hongkongais inscrite dans la déclaration conjointe sinobritannique signée en 1984sur le statut de Hongkong, et cautionnéepar les Nations unies. Le maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté,ainsi que la sauvegarde de la structure internationale dont l’humanité a besoinpour faire face aux nouveaux défis communs, exigent plus que jamais de prêter attention à ce qui se passe à Hongkong.
Il est crucial d’agir plus énergiquementpour que ce nouvel ordre mondial postpandémie ne soit pas marqué par la victoire aussi facile d’un pouvoir néototalitaire. Si les Européens ferment les yeux,comme ils l’ont fait durant les années 1930 dans d’autres circonstances, ils subiront euxmêmes, tôt ou tard, les conséquences de leur inaction.
Lun Zhang est chercheur au labora-toire Agora et au Collège d’études mondiales (FMSH, Paris), actuellement chercheur invité à l’université de Harvard, rédacteur en chef du site Chinese-future.org. Il est l’auteur, avec Aurore Merle, de « La Chine désorien-tée » (Charles Leopold Mayer, 2018)
CETTE LOI DEMEURE VOLONTAIREMENT FLOUE SUR LA DÉFINITION DE CERTAINS CRIMES, LAISSANT À PÉKIN UNE TRÈS GRANDE LATITUDE POUR CONDAMNER À SON GRÉ
N’A-T-IL PAS CONDUIT L’ÉTAT À FAIRE AMENDE HONORABLE DANS L’AFFAIRE AUDIN, EN PARLANT MÊME DE TORTURE SYSTÉMIQUE ?
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34 | idées MERCREDI 8 JUILLET 20200123
Thomas Philippon et David Thesmar Les instances dirigeantesde Polytechnique doivent faire plus de place aux universitairesLes deux économistes se prononcent en faveur d’une réforme en profondeur de la gouvernance de l’X, un des fleurons de l’élite française. Et ce, au moment où cette institution prévoit un partenariat financier avec le groupe pétrolier Total
L’Ecole polytechnique, autrement dit l’X, prévoit de signer un accord avec Totalpour accueillir la direction
de la recherche du groupe pétrolier en bordure de son campus. Cette affaire est emblématique des problèmes de l’enseignement supérieur en France : absence d’autonomie, faiblesse des contrepouvoirs et ignorance des bonnes pratiques internationales.
Il y a trois modalités de financement des universités par des fonds privés : les donations individuelles, pour mettre son nom sur un bâtiment ou un amphithéâtre ;les laboratoires de recherche sur des projets communs ; et l’implantation de bâtiments extérieurs. Les donations individuelles préservent l’indépendance des universités et les laboratoires communs créent des synergies scientifiques. L’implantation debâtiments extérieurs est l’option la moins attrayante du point de vue de l’université, mais peut se justifier pour peu que l’entreprise partenaire y mette le prix.
De ce point de vue, le projet Total est pour le moins surprenant. Total prévoyait de payer 50 000 euros par an pour un bâtiment destiné à sa recherche et développement (R&D) au milieu du campus. Pour établir une comparaison, rappelons qu’IBM s’est engagé à financer des projets de recherche sur l’intelligence artificielle (IA) avec les chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT, à Cambridge) à hauteur de 24 millions de dollars (21 millions d’euros) par an sur dix ans. L’accord XTotal semble donc hors des normes de ce qui sepratique dans le secteur.
Enjeux stratégiquesComment en eston arrivé là ? Un élément de réponse est que la gouvernance de l’Ecole polytechnique n’est pas aux normes internationales. Dans les grandes universités étrangères, le président est nommé à la suite d’un processus transparent conduit par uncomité ad hoc, composé d’universitaires de réputation internatio
nale, d’anciens élèves et de membres du conseil d’administration.
Ce processus débouche presquesystématiquement sur l’embauche d’un universitaire de haut niveau. Par exemple, Rafael Reif (MIT) est spécialiste des semiconducteurs, Andrew Hamilton (université de New York, NYU) est chimiste, Carol Christ (Berkeley, Californie) est professeure de littérature, Robert Zimmer (président de l’université de Chicago, Illinois)est mathématicien, et Marc TessierLavigne (président de l’université Stanford, Californie) est spécialiste des neurosciences.
Il est certes possible que lemeilleur profil ne soit pas universitaire, mais c’est en pratique rarement le cas. De même que les groupes pétroliers sont dirigés par des ingénieurs, les cabinets deconseil par des consultants, on dirige difficilement une université d’élite sans être un enseignantchercheur expérimenté. Au fond, l’éducation supérieure est un secteur comme les autres : il faut des années pour comprendre les en
jeux stratégiques du secteur et sesbonnes pratiques.
Dans une université bien gérée,le conseil d’administration est divers et ouvert : il peut se composer de chefs d’entreprise, d’inventeurs, de journalistes, d’artistes, de personnalités étrangères. Mais,in fine, ce n’est ni le conseil, ni le ministère, ni les anciens élèves qui détiennent les clés du succès. Ce sont les enseignants et les chercheurs, qui ont la vision la plus fine de l’évolution du paysage international de la recherche et savent attirer les meilleurs élèves.
La gouvernance de l’X est piégéeentre le fait du prince et l’influence excessive de quelques anciens, qui, malgré leur bonne volonté, ignorent trop souvent les réalités du secteur. Pour se mettre aux normes internationales, les dirigeants de l’X doivent faire plus de place aux universitaires et s’ouvrir vers l’extérieur.
C’est une condition nécessaire àla survie de cette grande institution dans un univers plus concurrentiel que jamais.
Thomas Philippon est professeur de finance à New York University (NYU) ;David Thesmar est économiste, professeur de finance au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Tous deus sont anciens élèves de l’Ecole polytechnique
Il faut donner un cadre à l’exercice du métier d’attaché parlementaireAprès la condamnation en première instance, le 29 juin, des époux Fillon, les organisations syndicales de l’Assemblée nationale plaident en faveur de la création d’un statut pour les collaborateurs des députés
Il y a trois ans, un métier jusquelà peuconnu devenait, l’espace de quelquessemaines, le plus célèbre de France. Tousles fantasmes de l’antiparlementarisme se
sont déployés, dégradant l’image d’un métier et rendant difficile la reconversion des 1 492 collaborateurs licenciés au lendemain des élections législatives de 2017. Trois ans plus tard, après une loi symbolique et un timide accord collectif, la situation reste précaire et opaque pour les quelque 2 000 collaboratrices et collaborateurs de députés. La condamnation, le 29 juin, en première instance devant le tribunal correctionnel des époux Fillon jette un nouvel éclairage sur les «petites mains de la République » et les leçons que l’Assemblée nationale pourrait en tirer.
Dans le souffle de déflagration et l’élan du« nouveau monde », une loi fut votée et promulguée, le 15 septembre 2017. Pour retrouver « la confiance dans la vie politique », elle proscrit les emplois familiaux, la rémunération par des représentants d’intérêts et la déclaration des fonctions exercées par lescollaborateurs au sein d’une formation politique. Une loi qui n’apporte pas de garantie sur l’emploi de complaisance ou fictif qui pourrait subsister. Une loi qui déclare desinterdictions mais détourne le regard de la réalité et des besoins d’une profession pourtant au cœur des rouages démocratiques.
Un accord collectif, obtenu en octobre 2018, offre une timide avancée : une fiche de poste, personnalisable mais non obligatoire. Rude bataille qui ne fait pas oublier que les collaborateurs parlementaires font
partie des 2 % de salariés à ne pas bénéficier d’une convention collective complète. Onmesure combien la transparence sur les tâches demandées est encore à achever.
Pourquoi estce important ? Pour rappelerque notre métier est lié essentiellement auxmissions que l’article 24 de la Constitution confère au Parlement : élaborer la loi, contrôler l’action du gouvernement, évaluerles politiques publiques. En énumérant lestâches liées à l’exercice du mandat parlementaire, nous voulons mettre fin à l’emprise que certains employeurs pensent pouvoir exercer sur leurs salariés de droit privé, liés par une clause exorbitante de loyauté et de confiance. Non, « brumiser les jambes » de son employeur, garder les enfants deceluici ou lui faire ses courses et son ménage personnel ne sont pas les missions d’un collaborateur parlementaire.
Ces faits amènent trop souvent à des situations de harcèlement dans notre institution. Si la parole se libère, notamment grâce à la mise en place d’une cellule d’écoute antiharcèlement, la peur de représailles et le manque d’audace de la partdes autorités à l’Assemblée nationale en la
matière sont regrettables. Composée depsychologues et de juristes en droit du travail, la cellule n’a pas de capacité de signalement en dehors des interlocuteurs désignés au sein de l’Assemblée. Pourquoi nepas rendre possible le signalement au procureur de la République ?
De même pour l’inspection du travail, quine peut aujourd’hui accéder au PalaisBourbon au nom d’une conception trèsextensive de la séparation des pouvoirs.Une ligne que le tribunal correctionnelvient de mettre en pièces méthodiquement, rappelant que « le contrat du collaborateur est détachable de la fonction du parlementaire » et que « l’examen de la prestationde travail ne revient pas à porter une appréciation sur les discours, écrits, opinions ouvotes émis dans l’exercice de ses fonctions dans les enceintes parlementaires ».
La loi doit s’imposerDe la même manière qu’un député doit respecter le code de la route et payer ses impôts, le droit du travail, qu’il contribue àélaborer, s’impose à lui. Combien faudratil de drames humains pour comprendreque les abus abîment le lien de confiance nécessaire entre les citoyens et leurs représentants ? Les citoyens doiventils accepterque la loi puisse s’arrêter aux murs del’Assemblée nationale ? Fautil que la statuede Montesquieu, située à proximité del’Hémicycle et de la très médiatique salle des QuatreColonnes, s’anime et dise que« pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » ?
Durant la crise sanitaire, le Parlement aété au rendezvous par des législations d’urgence, y compris par des innovations procédurales parfois tortueuses. Les collaborateurs parlementaires n’ont pas failli. S’adaptant aux circonstances, tout fut mis en œuvre, dans des conditions techniques,professionnelles et familiales parfois
dégradées et utilisant souvent des moyensmatériels et financiers personnels, pourcontinuer à être un relais entre les besoinsde nos compatriotes et l’action de la représentation nationale.
Il est temps que l’Assemblée nationalereconnaisse l’existence complète des collaborateurs parlementaires, acteurs et usagers quotidiens de ces lieux communs de laRépublique. Par une participation aux décisions touchant au cadre général de leursconditions de travail à travers une représentation au comité d’hygiène, de sécuritéet des conditions de travail. Par la reconnaissance de notre ancienneté quand noussommes amenés à changer de parlementaire employeur. Par le respect des règles générales de conciliation de la vie personnelle et familiale, en appliquant le droit à ladéconnexion et la compensation destemps supplémentaires accordés à notreemployeur. Par le remboursement des fraisprofessionnels engagés dans le cadre denotre activité professionnelle, sur justificatifs et avec des procédures de contrôle.
Hommes et femmes passionnés, dévouéset attachés à l’institution parlementaire, nous n’acceptons pas de voir notre métier, nos compétences et notre esprit de service ainsi mis à mal. Nous demandons du respect, sa traduction concrète par un statut, et,plus que tout, que la loi s’applique là où elle est votée. Pas demain, pas à la prochainelégislature. Aujourd’hui.
Gonzague de Chantérac, CFTC-Parle-ment ; Simon Desmarest, CGT-CP ; Tavana Livardjani et Camille Aspar, SNCP FO ; Astrid Ribardière, UNSA USCP ; Laurence de Saint-Sernin, Solidaires ; Brayen Sooranna, CFDT ; Maxime Torrente, CFE-CGC.
DÉVOUÉS ET ATTACHÉS À L’INSTITUTION PARLEMENTAIRE, NOUS N’ACCEPTONS PAS DE VOIR NOTRE MÉTIER AINSI MIS À MAL
DANS LES GRANDES UNIVERSITÉS ÉTRANGÈRES, LE PRÉSIDENT EST NOMMÉ À LA SUITE D’UN PROCESSUS TRANSPARENT
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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 0123 | 35
L e nouveau premier ministre est vexé que l’onpuisse le considérercomme un simple « colla
borateur » du président de la République. « Quand vous aurez appris à me connaître, vous verrez que ma personnalité n’est pas soluble dans ce terme », a riposté Jean Castex dans une interview au Journal du dimanche. Dont acte. Mais si la presse a été unanime àinterpréter le remaniement ministériel qui vient de se produire comme une reprise en main élyséenne, c’est bien parce qu’elle manquait d’une grille d’analyse plus solide. De ce changement d’ampleur, un seul message clairémerge : Macron joue Macron pour tenter de sauver la fin de sonquinquennat. Et il le fait à rebours des canons traditionnels.
Au lendemain d’élections municipales marquées par une abstention record et une forte poussée écologiste, le président de la République aurait pu choisir, au nom du rééquilibrage, de remplacer Edouard Philippe, venu des rangs de la droite juppéiste, par une figure de gauche. Depuis le début du quinquennat, le camp dont il est issu lui fait en effet le procès d’être devenu un président de droite au service des puissants.
La thèse du rééquilibrage étaitd’autant moins incongrue que la dépression économique liée à lacrise sanitaire a conduit le président de la République à « socialiser » sans réserve l’économiefrançaise. En finançant le chômage partiel pour plus de 30 milliards d’euros, l’Etat s’est, de fait, substitué aux employeursprivés, et, en accumulant les plans de soutien aux secteurs lesplus fragiles, le gouvernement alaissé filer, sans sourciller, les déficits publics et la dette publique,comme l’ont d’ailleurs fait la plupart des autres pays.
Dans ce contexte, il n’aurait pasété très difficile de plaider quel’ampleur du drame social qui s’annonce ainsi que les failles de l’Etat protecteur apparues durant la crise sanitaire nécessitaientd’assumer dans les paroles le virage à gauche qui venait de s’opérer dans les faits. Emmanuel Macron a récusé ce choix en considérant que celuici l’exposait à deux risques majeurs : perdre le centredroit, qui constitue son socle électoral depuis les élections européennes de 2019. Et, surtout, diluer l’offre politique nouvelle qu’il tente d’incarner depuis trois ans en niant la pertinence du clivage gauchedroite.
Dès la veille du remaniement, leprésident de la République avait levé toute ambiguïté en déclarantdans la presse régionale : « Je crois que le cap sur lequel je me suis engagé en 2017 reste vrai. » Une gageure tant le contexte politique, économique et social a été bouleversé par l’ampleur de la dépression économique et la montée des préoccupations écologiques.
A Matignon, Jean Castex a pourmission de continuer le « enmême temps » : poursuivre la « modernisation » du pays et l’apaiser. A peine dit cela, ressurgit le chiffon rouge de la réforme des retraites, qui, avant le confinement, avait bloqué les transports et précipité des milliers de manifestants dans les rues. Ils
étaient peu nombreux dans l’entourage présidentiel à plaiderpour le retour de cette réforme mal emmanchée et mal comprise. Mais à force d’être contestée, la retraite par points a fini pardevenir le marqueur du quinquennat, peutêtre le seul qui survivra à cette période chahutée decinq ans. Emmanuel Macron ne veut pas y renoncer sans avoir essayé, au moins, une dernière fois.
Nouveau compromis socialLe nouveau premier ministre a aussi la charge de renforcer le modèle social, à travers le Ségur de la santé et la création d’un cinquième « risque dépendance ». Mais il doit aussi dégager les moyens de le financer, alors quele président exclut d’augmenter les impôts pour contenir les déficits publics, qui dépassent désormais les 10 % du PIB. La Cour des comptes refuse de croire à la fableselon laquelle le retour de la croissance permettra de tout financer. Seul un nouveau compromis social fondé sur l’augmentation du volume de travail permettrait desortir de l’ambiguïté. Jean Castex est prêt à en discuter sans relâche.Mais qui, parmi les partenaires sociaux, est disposé à conclure ?
C’est la deuxième fois que leprésident de la République mise sur un changement de méthode pour tenter de sauver l’essence deson quinquennat. La premièretentative a été engagée après lemouvement des « gilets jaunes », lorsqu’il vantait l’acte II, fondé sur le dialogue et la concertation.Et ce fut un échec. Cette fois, lapartie s’annonce encore plus compliquée, car l’élection présidentielle de 2022 approche, au risque de cristalliser les oppositions : à droite, trois présidents derégion sont des rivaux potentiels,de même que le président de l’Association des maires de France. Agauche, les manœuvres unionistes ont commencé dans la foulée des municipales pour tenter debarrer la route à l’« usurpateur »qui prétendait, il y a trois ans, restructurer à son profit le paysagepolitique.
La fin du quinquennat Macronn’est pas sans rappeler les difficultés éprouvées par Valéry Giscard d’Estaing à l’issue de son septennat. Surpris par le second chocpétrolier alors qu’il commençait à engranger des résultats, le héraut de la « société libérale avancée » s’était retrouvé pris en tenaille entre une gauche unie etune droite réfractaire. Le giscardisme, qui se voulait une offre de renouvellement entre le socialisme et le gaullisme, n’a été, au bout du compte, qu’une parenthèse dans l’histoire.
C’est contre la reproductiond’un tel scénario que se bat Emmanuel Macron en misant, face au dégagisme, sur le dernier levier qui lui reste : l’appareil d’Etat.Décrit comme l’homme des missions impossibles, Jean Castex estchargé de le rendre, en quelques mois, moins procédurier et plus efficace afin que le plan de relance donne quelques résultatstangibles d’ici à 2022. De ce pointde vue, le premier ministre a raison : il ne sera pas qu’un simple collaborateur.
L’ urgence, au cours des prochainsmois, sera de nature économiqueet sociale. C’est pourtant du côté
des fonctions régaliennes que sont intervenus, lundi 6 juillet, les bouleversements lesplus significatifs, au terme du remaniement ministériel annoncé dans la soirée.
Au ministère de l’intérieur, Gérald Darmanin remplace Christophe Castaner. Un homme issu de la droite se substitue à un autre, venu de la gauche. Avant même de connaître la feuille de route du nouveau ministre, son nom est déjà un symbole. Le maire de Tourcoing est un ancien élu de l’UMP. Il a été coordinateur de la campagne de Nicolas Sarkozy lors de la primaire de la droite. Devenu ministre du budget dans les gouvernements Philippe, il s’est présenté comme le défenseur des milieux populaires.
Très tôt, il a plaidé pour que la sécurité devienne l’un des marqueurs de la fin du quinquennat. Gérald Darmanin rêvait d’occuperle bureau de la Place Beauvau, qui avait servi de rampe de lancement à son ancien mentor. Il a fini par obtenir le poste, au moment où Christophe Castaner vivait une véritable crise de confiance avec les policiers.
Au terme de vingt et un mois éprouvants,marqués par la crise des « gilets jaunes » et des manifestations à répétition contre la réforme des retraites, l’ancien socialiste s’est retrouvé dans l’incapacité de répondre à la double injonction qui lui était adressée : soutenir fermement ses troupestout en condamnant les violences et les actes racistes commis par la police. Revendiqué par Emmanuel Macron, le « en même temps » s’est révélé intenable dans cette période de forte tension.
Après la démission de Gérard Collomb etl’échec de Christophe Castaner, le présidentde la République s’est vu dans l’obligation de changer pour la troisième fois de ministre. Le choix de Gérald Darmanin est un signal fort adressé aux policiers autant qu’àl’électorat de droite. Il montre aussi la difficulté qu’éprouve Emmanuel Macron à incarner, depuis le début du quinquennat, « l’ordre républicain juste ». Devenue ministre délégué à la citoyenneté, au côté dunouveau ministre de l’intérieur, MarlèneSchiappa devra aussi relever le défi.
L’autre changement important concernele ministère de la justice. A la surprise géné
rale, Emmanuel Macron a décidé d’y nommer l’avocat pénaliste Eric DupondMoretti, personnage aussi truculent et controversé qu’était effacée Nicole Belloubet. Cette nomination est à l’évidence faitepour choquer, mais dans quel but ? Masquer la fadeur du reste du remaniement ?Céder à l’air du temps populiste en intégrant dans le gouvernement une « grandegueule » ou régler leur compte aux juges ? Car, ces derniers temps, l’avocat n’a pas mâché ses mots à l’égard du Parquet nationalfinancier, qui a épluché ses factures téléphoniques, comme celles d’autres avocats, pour tenter d’identifier une « taupe » dans l’affaire dites des « écoutes » impliquant Nicolas Sarkozy.
Le clin d’œil à toute une partie de l’électorat de droite, prompte à dénoncer, comme le pénaliste, « la République des juges », semble évident, mais si le prix à payer estcelui d’une déstabilisation de la justice, ilapparaît très élevé. Jusqu’à présent, le président de la République s’était interdit d’introduire de la disruption dans le fonctionnement des institutions. Cette fois, il a pris le risque d’installer une bombe à retardement Place Vendôme. Si les avocats saluentla nomination d’Eric DupondMoretti, l’Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession, parle d’une « déclaration de guerre ». Ils paraissent loin, les appels au rassemblement lancés par le président de la République tout au long duconfinement.
MACRON JOUE MACRON
POUR TENTER DE SAUVER
LA FIN DE SON QUINQUENNAT
LE MESSAGE RÉGALIEN DE MACRON
FRANCE | CHRONIQUEpar françoise fressoz
A rebours des canons traditionnels
LE GISCARDISME N’A ÉTÉ, AU BOUT
DU COMPTE, QU’UNE PARENTHÈSE
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LE VOLUME 1
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LE LIVRET
La liberté commence où l’ignorance fi nit.
Victor Hugo
Léon
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lot
Et dès maintenant sur www.collection-victorhugo.frDÈS LE 8 JUILLET CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
présentée par Érik Orsenna de l’Académie française
Une collection
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
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