le nirvâna et le problème de dieu, par ram linssen
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7/28/2019 Le Nirvna et le Problme de Dieu, par Ram Linssen
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Le Nirvna et le Problme de Dieu
L tat de N irvn a est-il divin ? Re con na it-il m me lexisten ce de
Dieu ? A van t de rpondre cette question il est nccess aire de procder
une mise au point prliminaire. Le mot Dieu se rencontre assez ra
rement dans les crits vdiques. Quant aux textes bouddhiques, ces der
niers ne le mentionnent jamais. Est-ce dire que ces tendances de la
pense se refusent admettre lexistence dun Princcipe ternel de nature
divine ?Loin de l. C ette r alit centrale, cet absolu de profondeu r reste
au contraire le but fondamental vers lequel convergent tous les efforts
des penseurs vdiques et boudhistes. M ais ces derniers ont t tel
point hants par la nostalgie de l'infini, de l'absolu, qu'ils lont inlassa
blement dpouill de tous les noms, de toutes les formes, de tous lesattributs que nous serions trop facilement enclins donner. Cette svrit
exceptionnelle explique la perception dun contraste contenant un carac
tre dune telle violence, que la plupart des penseurs europens nont
pas hsit traiter les doctrines orientales, soit dathisme soit de
nihilisme.
Pour dfinir lexprience nirvanique dans ses rapports avec un prin
cipe divin nous devrons dfinir ce quest Dieu dans la pense boud-
hique et vdique.
C e que les hommes nomm ent D ieu comprend la totalit des
aspects visibles et invisibles de l'Univers. Dieu est la somme de lesprit
et de la matire. Rien nest en dehors de Lui. Tout est fait de Lui. Ilest l nergie-Une dont les mouvements alimentent l innombrable hirar
chie des sphres, depuis latome jusqu ltoile.
Dieu est cette indfinisable Totalit-Une ; indivisible dont lune
des faces est constitue par lunivers matriel apparemment immobile, et
l'autre face, par les lumineuses splendeurs des mondes spirituels.
Encore faut-il insister sur tout ce que ces divisions du Tout
divin en esprit ou en matire ont darbitraire. Il s'agit l, tout au plus
de divisions ncessaires pour les commodits de lexpos. Dieu est en
Lui-mme suprmement-Un, infini, ternel. Seul, notre esprit gar, vic
time des illusions peroit une multiplicit daspects qui semblent irrduc
tiblement contradictoires. Et lun des plus grand mrites de la scienceactuelle consiste nous dmontrer de faon premptoire tout l'arbitraire
de nos compartimentations.
Si Dieu est cette Totalit-Une, quelle est notre situation, notre rela
tion son gard ? Nou s en sommes les lm ents con stitutifs. N ous ne
sommes que les parties du Tout. Et par ignorance, nous avons tendance
nous croire des personnages rigoureusement autonomes, isols, tota
lement indpendants.
Nous nous arrogeons illgitimement de ce fait les seuls droits
lexistence. La nature nous a rigs comme autant de vases clos, et nous
pourrions dire quen un certain sens, la plupart des occidentaux pensent
quils se limitent leur peau. Etant donn que nos premires manifestations d'intelligence et de conscience se sont labores au cur mme
dune citadelle d'gosme faonne au cours de millions de sicles, il
est normal que nous inclinions, par une sorte de vitesse acquise, ramener
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tous les faits de lex isten ce nous-m m es. M ais le moi limit n'est
pas une fin de soi . Il ne marque quune borne sur la route infinie
d'un devenir volutif en perptuelle gestation. Et la science nous dmontre
avec loquence quil n'y a pas, proprement parler dexistant indpendant,tant au point de vue biologique, que des points de vue physico-chimiques
et astronomiques. T ou t est solidaire de tout. E t cette immense interdp en
dance, cette solidarit prodigieuse tend son rayon d'action depuis la
plus dense m atire jusqu'au x plus ultimes con fins de l esprit. L homme
n'est donc quune partie du grand tout matriel, faite de matire, et partie
du Grand Tout Spirituel .faite d'esprit.Et ce que le destin attend de nous pour nous lever la condition
d'homme accompli nest rien dautre que notre acceptation de lvidence
de cette vrit et surtout de la mise en pratique de ses consquences.
Il va de soi que l'vidence de la totale unit du monde est pleine
de consquences. Mais notre gosme ne veut pas les admettre.
Il faut cependant que nous nous inclinions devant l'vidence de
lUnit. Il faut que nous nous insrions la juste place que le destin
nous a confre dans la hirarchie des mondes et des rgnes de l'esprit
et de la matire.
Le nirvana nest ni plus ni moins que cette rponse intgrale et
parfaitement natuelle au fait de l'Unit.
Nous parlions dune rponse intgrale. Rien dans l'go ne doit
se rserver, aspirer secrtement la perptuation de ses gostes limites.
Il faut nous dpouiller du vieil homme .
Le nirvana est donc ltat d'tre dans lequel cesse le vouloir individuel
au bnfice du vu cosmique. Il consacre l'abdication de lmotion et
de la pense personnelles en vue de laffirmation de lmotion et de lapense divines. Ceci, loin de constituer lanantissement de l'homme con
tribue son accomplissement intgral selon les vux les plus profonds
de la nature. Car ne perdons pas de vue, que si le dynamisme spirituel
qui alimente un homme affranchi de l'illusion de son go, est absolument
un, universel, indivisible aux ultimes profondeurs, les consquences ne
sen manifestent en surface que dans et par l'homme individuel.
Il est bon de ne pas perdre de vue, pour tre complet, que la carac
tristique de la Ralit transcendantale que nous nommons Dieu . est
dtre pure joie. La participation au dlice de cette infinitude divine a pour
ranon labdication des limites de notre go. Le seul obstacle la percep
tion de lharmonie divine rside en nous-mmes. Ds linstant o nousnous affranchirons de lillusion d'tre un existant indpendant nous nous
intgrerons automatiquemen t dans l'harmonie du T ou t dont nous ne
sommes qu'un ment constitutif. Mais cette intgration ne peut se
limiter au simple concept intellectuel. La seule adhsion de notre pense
une vrit dont nous percevons le bien fond est insuffisante. I! faut
que nous y donnions le meilleur de notre cur. La T ota lit- U n e de l'U n i
vers pourrait tre compare un corps. Lorsqu'y rgne l'unit et l 'harmo
nie, aucune souffrance ne sy dcle. Chaque homme est un organe de ce
grand corps. L illusion de la soi-conscien ce plonge cet organ e d ans un
tat de souffrance comparable celui quprouve tout organe dsqui
libr dans un corps quelconque : l'tat normal nous ne sentons pasles organes constitutifs du corps, ils ne se rvlent nous que dans
l'hypothse d'un dsquilibre. Certains penseurs indous comparent la
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soi-conscience individuelle exacerbe au dsquilibre d'un organe malade.
Si nous dsirons participer a joie divine, il est ncessaire que
nous nous affranchissions de l'illusion de la conscience de soi. Ds lins
tant o nous nous librerons de lencombrement de nous-mmes, leuphoriecosmique de la Tota lit-U ne s' installera en nous spontanment.
La joie de lunit nous inondera de son dlice. La perception de
son charme infini est ce que les occidentaux appellent la grce.
La grce est rellement un toucher divin. Par elle, la substantialit
de la ralit divine nous devient accessible. Un nouveau sens sveille
chez lhomme qui s'achemine vers sa ralisation spirituelle. Une nouvelle
facult tactile sinstalle en son me.
Il peut par une sorte de prhension subtile, et cependant infiniment
prcise, saisir par contact direct la substantialit des mondes spirituels.
Ainsi s'accomplit lentement mais srement le premier pas : celui
reliant la vie individuelle de surface aux ultimes profondeurs de lessenceuniverselle.
La seconde tape franchir est celle de la matrialisation des ner
gies de profondeur, ici la surface. Il s'agit de leur expression dans la
matire et par la matire.
La premire tape est symbolise aux Indes soit par le Savikalpa
Samadhi (si l y a image), soit par le Nirvikapa Samadhi (si l n'y a
pas dimage). Ce dernier samadhi est de loin suprieur au premier.
La seconde tape sappelle frquemment Sahaja Samadhi.
Au cours de son dveloppement l'homme accompli spanouit com
pltement selon les vux de la Totalit-Une de lUnivers.
Il en a peru les lumineuses splendeurs par les mondes spirituels desultimes profondeurs. Ceci nest quune face. Il en matrialise ensuite les
richesses dans la matire. Ceci est l 'autre face.
M ais il aura compris, senti et vu dans un merve illem ent sans borne
quau del du voile apparamment pais de la matire se cachent les
ineffables batitudes de l'esprit. Au del du temps, o il vit la surface,
il contemplera la gloire prestigieuse de l'Eternit. Tel est le Nirvana :
le plus haut sommet de la vie mystique o se fondent en une synthse
apothotique les plus hautes cimes de lIntelligence et de lAmour.
R a m L I N S S E N .