le poète et l’urbaniste - ecole-boulle.org · 1 anne cauquelin, essai de philosophie urbaine,...
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ESTHER MIRABEL
Le poète et l’urbanistePièce en trois actes
DSAA Territoires Habités 2015ESAA Boulle Paris
Le poète et l’urbanistePièce en trois actes
Sous la direction deArlette Cailleau et Erwan Le Bourdonnec
DSAA Territoires Habités2015
ESAA Boulle Paris
Table des matières
Préface
Acte i: Entre ville conçue et ville vécueLa ville, un objet idéaliséEntre géopolitique et géopoétiqueUne rébellion ludique et poétique
La dérive, une alternative urbaine
Acte ii: Les traces de l’événementUne lecture alternative de la ville Une influence sur les comportements des citadinsL’échelle de l’événement
Domestiquer l’espace urbain
Acte iii: L’événement urbainNancy, entre créativité et passivitéL’événement, un second temps dans la ville
La ville révélée par l’événement
Postface
Table des images
Bibliographie
9
16223239
56617380
94101
109
114
121
123
«Ce qui fait évènement, c'est ce qui est
vivant et ce qui est vivant, c'est ce qui ne
se protège pas de sa perte.»
Christian Bobin
Personnages
LE POÈTE, ami de l’urbaniste
L’URBANISTE, ami du poète
La scène est à Paris, dans l’appartement de l’urbaniste.
9
Préface*
La sonnerie retentit dans l’appartement! L’urbaniste ajuste son
nœud-papillon, remonte ses grandes lunettes noires, se dirige
vers la porte et l’ouvre. Il accueille son ami, le poète, qui remonte
lui aussi la fine monture de ses lunettes avant de lui adresser un
sourire. Après une franche accolade, l’urbaniste invite le poète à
entrer. Ce dernier lui offre une bouteille de rosé Sancerre, et ils
rejoignent le salon.
Le poète
As-tu vu toutes les affiches pour la Fête de la musique?
L’urbaniste
Comment ne pas les voir? Je suis presque sûr que les trois quarts
des murs de Paris en sont recouverts.
Le poète sourit, conscient de l’agacement que ses propos
provoquent et décide de le taquiner un peu.
L’urbaniste
Non mais franchement! La plupart de ces soi-disant artistes
sont à peine reconnus! Et leurs prestations sont loin d’être
exceptionnelles... Pour moi, ce n’est qu’une bande d’amateurs qui
chantent aux quatre coins de Paris!... En plus, la scénographie est
toujours assez minable...
Le poète
Tu exagères...
L’urbaniste
Non! Quand je vois à quel point cet événement est vanté et mis sur
un piédestal!... Je me demande même si les affiches n’ont pas coûté
plus cher que la scénographie....
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Le poète, faussement candide
Certes, cet événement est largement médiatisé, mais j’apprécie le
concept: transformer Paris en une grande scène pour inciter les
passants à s’arrêter, à danser et à participer à la fête!
L’urbaniste
Quel poète!
Le poète
Connais-tu seulement l’origine du concept? A la base, ce n’est pas
«Fête de la musique» mais «F-A-I-T-E-S de la musique»! L’idée
c’est justement de valoriser les pratiques amateurs et d’éveiller la
force créative des citadins.
L’urbaniste
Arrête! Tu sais comme moi que ce ne sont que des stratégies
de marketing territorial, mais que les élus ne se soucient pas
réellement des citadins. L’objectif est de valoriser l’image de la
«ville» car la ville est avant tout, un objet «géopolitique» conçu
pour retranscrire des valeurs et une politique.
Le poète ne peut s’empêcher de rire, ce qui lui vaut le regard
dubitatif de son ami, qui lui demande la raison de son hilarité tout
en préparant son cocktail Mimosa.
Le poète
Je reconnais bien là l’Urbaniste! Ta définition de la ville montre
bien que les concepteurs approchent la ville comme un objet conçu,
tandis que les arpenteurs de l’espace, catégorie dans laquelle je
me reconnais plus, l’approchent comme un espace perçu. C’est
l’opposition classique entre le «démiurge» et l’héritier de sa
«chose», pour reprendre la philosophe Anne Cauquelin1. Pour moi,
la ville, c’est avant tout «les personnes qui l’habitent».
1 Anne Cauquelin, Essai de philosophie urbaine, 1982
11
L’urbaniste ajoute à son cocktail deux feuilles de menthe qui
flottent doucement sur un mélange de champagne, de Grand
Marnier et de jus d’oranges sanguines.
L’urbaniste, tout en servant la boisson
Oui, je sais. La philosophe Françoise Choay dit que la ville est
conçue indissociablement de ce que les Romains appelaient «urbs»
(le territoire physique de la ville) et «civitas» (la communauté de
citoyens qui l’habitent). En toute logique, la ville construit alors sa
forme selon sa société. C’est cette quête «d’idéal», d’équilibre de la
ville qui en fait sa beauté et sa spécificité.
Le poète
Pourtant la conception des villes, dans l’Histoire, a moins tenu
compte des enjeux sociaux et psychologiques des citoyens que des
enjeux politiques et fonctionnels. Les figures de «l’inhabitable»,
pour reprendre un terme de Perec2, le prouvent! Par ailleurs,
la quête d’idéal dont tu fais l’éloge a engendré un espace urbain
«rationaliste» et «autoritaire», et une «aliénation» des citadins.
L’urbaniste
«Une aliénation des citadins»! «Un espace urbain rationaliste et
autoritaire»! Me condamnes-tu tout en condamnant les architectes
et les urbanistes modernes?!
Le poète
Rassure toi, il n’est pas question de faire ton procès ni celui du
modernisme et encore moins tout l’historique de l’urbanisme!
J’aborde l’évolution de l’espace urbain pour en saisir les effets
actuels, en particulier sur les citadins. Ces derniers, face à «l’espace
conçu», ont développé des «tactiques»3 qui échappent au contrôle
et à la gestion des «stratégies» territoriales. Pour moi, ce sont ces
2 George Perec, Espèces d’espaces, Galilée, [1974], 20003 Michel de Certeau, L’invention du quotidien 1 - Arts de faire, Gallimard, 1990
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gestes «d’affirmation» pour reprendre Le droit à la ville d’Henri
Lefebvre, qui font la beauté de la ville.
L’urbaniste, dont le poète a piqué la curiosité
A quels gestes fais-tu allusion? Tu parles des pratiques individuelles
des habitants?
Le poète
Oui, notamment. Que ce soient le flâneur qui, au lieu de les
escalader, s’assied sur les marches de l’église locale pour contempler
le paysage, ou encore le skateur qui voit le muret comme le support
de ses acrobaties et non comme du mobilier urbain. Ces pratiques
de détournement sont individuelles mais aussi collectives. Pense
aux groupes alternatifs comme Stalker4, GRAV5 ou encore les
situationnistes!...
L’urbaniste hausse son sourcil gauche et fait une moue
désapprobatrice.
L’urbaniste
Mais la ville a d’abord des obligations fonctionnelles. Et ces
mouvements alternatifs urbains n’en tiennent pas compte! Ce
manque de réalisme explique pourquoi ces fantaisies urbaines ont
été aussi courtes et vaines! (Avec une pointe de provocation)
Le poète
Certes, ces mouvements manifestes ont été éphémères mais leurs
préceptes subsistent. Ils ont justement été repris par «l’événement
urbain». S’ils ne tiennent pas compte de la fonction autant
que l’urbanisme, ils comprennent une discipline fondamentale
délaissée par l’urbanisme: la «géopoétique»6. Sa nécessité
est plus que fondée, lorsqu’on voit à quel point les villes y ont
4 Collectif Stalker, créé par l’architecte Francesco Careri en 19965 GRAV: Groupe de Recherche d’Art Visuel (1960-1968)6 Théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tout les domaines de la vie, qui cherche à rétablir et enrichir le rapport Homme-Terre, développant ainsi de nouvelles perspectives sur les plans écologique, psychologique et intellectuel.
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actuellement recours. D’ailleurs, si l’événement perturbe la ville et
son organisation, il rend aussi la composition urbaine autrement
lisible, autrement ressentie et autrement éprouvée. L’événement
permet alors aux citadins de s’approprier la ville.
L’urbaniste
En tant qu’arpenteur de l’espace urbain, selon une périphrase que
tu affectionnes, tu as bien conscience de l’importance du temps
dans l’approche de l’espace. Ne penses-tu pas que, parce qu’il est
éphémère, l’événement ne peut justement pas être une réponse
territoriale pertinente?
Le poète
L’événement est éphémère mais son influence sur les
comportements et la perception des citadins le rend, d’une certaine
façon pérenne. D’ailleurs, cela remet en question l’utilité actuelle
de l’urbaniste dans l’espace urbain?
L’urbaniste
Qu’insinues-tu?! Penses-tu sincèrement que l’espace urbain puisse,
face à tous ses enjeux, se passer d’urbanistes?!
Le poète
Je crois en l’autonomie du citadin! Et je pense qu’à présent, face
à l’espace déjà construit de la ville, le meilleur moyen d’agir sur
l’espace urbain implique davantage le citadin que l’urbaniste.
Celui-ci ne peut plus être un démiurge.
L’urbaniste
L’urbaniste a encore un rôle à jouer, il est aussi conscient de ces
nouveaux enjeux contemporains et il sait que son rôle a évolué. Il
n’est évidemment plus question de construire de nouvelles villes
idéales, au vu de l’espace bâti.
14
Le poète, avec un sourire taquin
Nous sommes d’accord sur ce point. Mais est-ce que nous percevons
la relation entre «l’espace urbain» et ses «citadins» de la même
manière? Accordons-nous la même valeur à leur place dans la ville,
et surtout à celle de l’événement dans un projet urbain?
L’urbaniste, amusé
Passons à table alors! (Conscient de tout ce que son propos insinue
et des enjeux qu’il amorce).
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ACTE I*
L’urbaniste apporte l’entrée, des toasts de chèvre chaud sur un lit
de mâche, accompagnée du rosé Sancerre que le poète a rapporté.
L’urbaniste verse le vin dans deux verres, le plus équitablement
possible et relance le sujet sur la ville à peu près là où ils l’avaient
arrêté.
L’urbaniste
«In vino veritas! Le jus de la vigne clarifie l’esprit et l’entendement,
apaise l’ire, chasse la tristesse et donne joie et liesse.» Exactement
ce qu’il nous faut pour ce repas! Alors, commençons par le
commencement, comment définirais-tu la ville? Brièvement?
Le poète
«Stricto sensu», la ville est une agglomération relativement
importante où les habitants ont des activités professionnelles
diversifiées, notamment dans le secteur tertiaire. Mais la ville ne se
résume pas à ça et il n’est pas possible de la définir «brièvement»...
L’urbaniste
Et pourquoi pas?! Dès lors que l’on maîtrise un concept, on est
capable de le définir en quelques mots, non?
Le poète
Tu sais très bien que la ville est un concept complexe qui implique
une dualité...
L’urbaniste
Oh! Arrête! Espèce de mystificateur! (Il l’interrompt tout en
croquant dans un toast au chèvre). Je te demande simplement de
définir spontanément la ville!...
Le poète
Non, ce n’est pas aussi simple...
17
L’urbaniste
Si, ça l’est! Et ce qui t’est naturellement venu à l’esprit, c’est la
dimension utilitaire et économique de la ville, celle qui associe les
habitants à leurs activités, parce que c’est ce que la ville représente
en priorité. Mais tu ne veux pas le reconnaître parce que ce serait
admettre que les enjeux fonctionnels et pragmatiques de la ville ont
la primauté sur ta fameuse «géopoétique»...
Le poète
Non, c’est faux! J’ai défini la ville ainsi parce que c’est ce qui est
communément admis mais pas forcément légitime.
L’urbaniste
Pourtant, c’est une réalité, quand on pense ville, on pense avant tout
à un lieu concentrant une population et des activités permettant
son fonctionnement.
Le poète
Oui, mais des citadins y vivent! Voici une autre réalité: la ville s’est
construite sans penser à eux en des termes qualitatifs, mais surtout
en des termes estimatifs et rationnels...
L’urbaniste
Attends! Si nous n’avons pas le même point de vue, nous sommes au
moins d’accord sur le fait que penser et fabriquer la ville reste avant
tout une activité intellectuelle. Tu sais ce que disent Thierry Paquot
et Michel Lussault1 : «Produire de la ville, c’est essentiellement
projeter de la pensée dans la morphologie et les structures»
Le poète
Oui, la ville est une création de l’esprit avant d’être matière, dans
la mesure où elle a donné lieu à de fabuleuses utopies qui ont
scandé l’histoire de l’humanité; de la Babylone d’Hammourabi aux
1 Thierry Paquot, Michel Lussault, Habiter, le propre de l’humain, 2007
la ville, un objet idéalisé
18
mégastructures d’Archigram...
L’urbaniste
Oui! Les Hommes ont toujours rêvé de villes idéales, des Utopia
qui symbolisent, par leur situation et leur topologie, les aspirations
d’une société. L’Utopia est la métaphore spatiale de la société idéale
et sa forme urbaine est censée influencer les mœurs des habitants
et les relations sociales.
Le poète
Hum, hum, nous sommes d’accord.
acte i
19
Piero Della Francesca, La Cité idéale, 1470
Pieter Brueghel l’Ancien, Tour de Babel (Babylone), 1563
22
Jusqu’à présent d’accord, le poète et l’urbaniste s’affrontent
lorsqu’ils abordent les enjeux politiques de la ville. L’urbaniste les
conçoit comme une nécessité pour administrer la ville et le poète,
comme une forme de domination sur les citadins.
Le poète, qui finit son fond de rosé
Je n’invente rien! Lefebvre2 l’a dit bien avant moi: l’espace urbain
résulte des stratégies et des modèles socio-culturels de ceux qui ont
le pouvoir! Les urbanistes notamment! Ils ont le pouvoir d’instituer
la ville à partir d’une organisation de l’espace. Les intérêts
individuels des habitants sont alors relégués au second plan et la
ville s’impose à travers les aspirations des «démiurges». Tout cela
crée un rapport de force en faveur des démiurges et au détriment
des citadins. La ville n’est alors qu’un espace conçu, pas vécu.
L’urbaniste
Qu’entends-tu par «vécu» ? (Il devine le terrain sur lequel le poète
entend le mener)
Le poète
C’est la ville perçue dans sa pratique, au quotidien par les habitants.
Elle implique les notions d’ «affect» et d’espace public «privatisé».
En d’autres termes, elle renvoie à la ville habitée.
L’urbaniste
Bon, je te rejoins sur la distinction de la ville en deux formes... Toi,
tu parles «d’espace conçu» et «d’espace vécu», à la manière de
Lefebvre, De Certeau parlerait plus de «lieu» et d’«espace»: le lieu
étant l’endroit dans lequel les choses sont conçues et organisées
selon un ordre établi, et l’espace étant le lieu pratiqué.
Par contre, opposer ces deux formes comme tu le fais est trop
manichéen puisque dès qu’il y a temporalité, le lieu devient espace!
2 Henri Lefebvre, sociologue de l’urbain Le droit à la ville, 1968
acte i
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C’est en pratiquant ces lieux que les habitants les transforment en
espace. Il y a donc une concordance entre ces deux formes.
Le poète
Cette concordance existe mais elle se concrétise difficilement parce
que ces deux espaces sont abordés à des échelles et selon des points
de vue différents. Le lieu est pensé à l’échelle territoriale et malgré
sa matérialité, il se rapproche plus d’une abstraction, d’un concept
exprimé en plan alors que l’espace est perçu en perspective, à
l’échelle de l’individu. Un rapport antagoniste existe donc entre ces
deux notions car l’une est pensée en termes «quantitatifs» tandis
que l’autre se comprend en termes «qualitatifs» (Son ton laisse
entendre son fatalisme).
L’urbaniste, s’étant absenté quelque temps, revient à point nommé
avec le plat de résistance: des grenadins de veau aux cèpes et un
gratin dauphinois. Bien que le rosé Sancerre du poète soit encore
sur la table, l’urbaniste apporte un rouge du Marsannay. A son
sens, ce vin sec, au bouquet délié de fruits rouges et noirs, convient
mieux au plat de résistance.
L’urbaniste, les deux bouteilles de vin à la main.
Tu préfères continuer sur le rosé ou tenter le rouge?
Le poète
Hum... Je vais me laisser tenter par le rouge!
L’urbaniste, versant le Marsannay.
En dépit de mon statut, je vais jouer le quidam et adopter le point
de vue d’un pratiquant de l’espace urbain. Ainsi, cet espace m’est
imposé parce qu’il a été conçu par d’autres que moi (Il semble
attendre l’acquiescement du poète, qui hoche la tête). En fait,
la quête d’une ville idéale a conduit à la volonté d’en contrôler
tous les paramètres et à créer des extrêmes comme l’urbanisme
entre géopolitique et géopoétique
24
normé selon un modèle. C’est le cas de La Charte d’Athènes de Le
Corbusier, qui valorise un réductionnisme3 fonctionnaliste, qui fait
de la maison une « machine à habiter » et de l’existence humaine,
une série de besoins primaires.
Le poète, animé au point de faire virevolter le vin dans son verre
Exactement! Et l’on pourrait aussi bien évoquer toutes ces
monstrueuses barres de béton, produites à la chaîne! A partir de ces
abjections, de grands ensembles ont été reconstruits et imposent
maintenant aux habitants un mode de vie normalisé et monotone!
Tu te rends compte!
L’urbaniste
Doucement avec ton verre, je sens que tu vas salir ma nappe!
Le poète, toujours aussi agité
Quand je pense à tout ça, j’en ai la chair de poule! Le cinéma de la
dernière partie du XXème siècle a pourtant rendu compte des risques
de cette quête d’idéal. En prenant souvent pour cadre de l’action,
un futur proche, le cinéma de science-fiction a déjà évoqué les
dérives potentielles de notre société... Tu te souviens de Bienvenue
à Gattaca4?
L’urbaniste, distrait par le tourbillon qui se soulève dans le verre
du poète
Hum, Bienvenue à Gattaca, oui... C’est un film de science-fiction
sur l’eugénisme...
Le poète, déclenche maintenant une tempête dans son verre
Oui! J’adore ce film, une autre forme de «Big Brother»! Il met en
scène une société où la génétique a pris le pouvoir! Les naissances
sont programmées par des généticiens qui analysent et organisent
3 Attitude de l’esprit ne considérant dans le donné, que les seules essences et non les faits dans leur individualité concrète, réduisant un domaine de connaissance à ses composants fondamentaux. 4 Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol, 1997.
acte i
25
le «produit final»: l’enfant.
L’urbaniste
Attention, je t’ai dit! Ne salis pas ma nappe, c’est du lin!
Le poète, pose son verre pour apaiser son ami
Oui, je sais! Ce film m’a vraiment marqué! La mise en scène montre
bien la froideur de cette société qui réduit l’Homme à ses fonctions
utilitaires. Pour moi, ce film incite vraiment à se poser des questions
sur la quête d’absolu, les ambitions de perfectionnement et de
contrôle de l’Homme...
A l’étonnement du poète, l’urbaniste ne fait pas la moindre
objection. Aucun geste désapprobateur, ni approbateur. Est-il
d’accord avec le poète? Est-il lui-même en pleine réflexion?
entre géopolitique et géopoétique
32
Ayant montré le rapport de forces entre espace vécu et espace
conçu, le poète poursuit son propos. Il démontre que l’espace
vécu est donc l’espace dominé. En effet, celui-ci est marqué par
les représentations de la vie quotidienne et relégué au second
plan, alors que l’espace conçu, celui des concepteurs (architectes,
urbanistes, décideurs), constitue l’espace dominant. Pour le poète,
c’est ici que se trouve l’enjeu d’une «lutte révolutionnaire» dans
la vie quotidienne entendue en termes d’espace urbain. Cet enjeu
s’applique en particulier à l’urbanisme et à l’architecture moderne
des années 1950-1960. En effet, régie par la standardisation et
la rationalisation, la ville moderne a été conçue pour répondre
à des besoins élémentaires, prédéterminés et normalisés, mettant
à mal la notion d’individualité. Ainsi, à ses dépends et contre
ses intentions premières, la ville moderne, c’est-à-dire «la
machine à habiter», a généré de «l’inhabitable». Que ce soient
le «standardisé», c’est-à-dire le pensé pour tous, finalement
impersonnel, dont parle Georges Perec5 ou le «monumental»
pensé à une échelle inadaptée pour le citadin, ces différentes
conceptions empêchent l’individu de s’affirmer dans l’espace
de la ville. La pensée rationnelle de l’urbanisme est donc source
d’aliénation urbaine, puisqu’elle restreint la marge de liberté des
citadins: une autre forme de domination.
Paradoxalement, cet asservissement génère de nouveaux
comportements alternatifs, plus ou moins conscients. Les
tactiques décrites par Michel de Certeau dans L’invention du
quotidien en sont un exemple. Ces «tactiques» s’expriment
différemment dans l’espace de la ville, selon chaque habitant,
mais se définissent comme une volonté de s’approprier l’espace
5 George Perec, Espèces d’espaces, Galilée, [1974], 2000
acte i
33
urbain et d’agir en marge de l’autorité des urbanistes. Déjà, en
1939, Walter Benjamin, dans Paris Capitale du XIXème siècle6,
associait le passage urbain à une fantasmagorie collective et
dressait l’inventaire des différentes figures marginales qui étaient
apparues en réponse à l’autoritarisme urbain. Par exemple,
la figure du «flâneur» qui déambule, et crée sa propre lecture
de la ville. Walter Benjamin y voyait, une lutte de l’individu
moderne pour restaurer un rapport créatif à la ville, et ne pas
laisser la marchandise et le commerce lui dicter des logiques de
déplacement. Alors, la «flânerie» se rapporte à un déplacement
citadin réfléchi, qui a pour but de couvrir un certain territoire et
d’y expérimenter des états de perception variés.
6 Walter Benjamin, Paris capitale du XIXe siècle, Cerf, 1990.
une rébellion ludique et poétique
35
7 Johan Huizinga, Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, [1951], 1988.
L’urbaniste entame sa dernière bouchée tandis que le gratin
dauphinois du poète trône encore dans son assiette. Non que
le plat lui déplaise, mais il est plus prolixe que l’urbaniste. En
attendant, ce dernier verse à nouveau du vin dans leurs verres:
un demi-verre de rouge pour lui et un fond de rosé pour le poète.
Le poète
Le flâneur et tous ces comportements apparus pour contester
l’urbanisme établi prouvent qu’avoir un rapport sensible à l’espace
urbain est un vrai besoin! C’est d’ailleurs sur le modèle du joueur,
de l’Homo ludens qu’elles s’appuient.
L’urbaniste, qui recule sa chaise de la table pour étendre ses
jambes et se pencher en arrière
L’Homo ludens, tu parles du concept de Johan Huizinga7, n’est-ce
pas?
Le poète hoche la tête tout en mangeant un morceau de grenadin
avec quelques pommes de terre
L’urbaniste
Il définissait la pratique ludique comme «une action libre, sentie
comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable
néanmoins d’absorber totalement le joueur ; une action dénuée de
tout intérêt matériel et de toute utilité». En fait, selon sa théorie,
le jeu serait une source de création culturelle et pas seulement une
lubie, ni une simple perturbation du monde. Il en réinventerait
constamment – mais toujours provisoirement – les règles.
Le poète
Exactement! Et c’est précisément ce qui manque à la ville. Les
règles que l’urbanisme moderne propose manquent tellement
de plasticité qu’il n’est plus possible de se perdre dans la ville,
une rébellion ludique et poétique
36
c’est-à-dire de jouer avec les codes. Mais le citadin peut devenir
un Homo ludens grâce à une pratique ludique de la ville! Que ce
soient la «marche», la «déambulation» ou encore le «parcours»8,
ces pratiques permettent aux citadins d’avoir une approche
personnelle de la ville.
En ce sens, le jeu rejoint les enjeux de la géopoétique, en favorisant
le lien sensible entre l’Homme et son milieu: la géopoétique est
au citadin ce que la géopolitique est à l’urbaniste. L’urbanisme
a souvent mésestimé cette discipline dans la conception de la
ville. Pourtant, elle serait en mesure d’assurer des visées sociales
concrètes car elle peut être fédératrice et construire une vraie
communauté (Le poète se désole et l’intonation de sa voix trahit
une certaine frustration).
L’urbaniste, d’un air mutin
Je te vois venir. Je sais précisément ce que tu as en tête. Tu penses
à ces mouvements alternatifs qui aspiraient à transformer l’espace
du quotidien en proposant des initiatives collectives, n’est-ce pas?
Le poète
Plus précisément, je pense à la «dérive».
8 Francesco Careri, Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Rayon Art, 2013
acte i
39
9 Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard, 1996.
Le poète
Pour défaire «l’ordonnance cartésienne» des villes, les
situationnistes ont développé des stratégies ludiques dont la
«dérive». Celle-ci rejoint en partie la flânerie car elle préconise
l’expérimentation de la ville, associée à une «réserve de virtualités».
Mais, selon les propres termes de Guy Debord, la dérive n’est pas
qu’un comportement expérimental, elle possède aussi une «vertu
heuristique»...
L’urbaniste
Heuristique? Que veux-tu dire?
Le poète
Il s’agit de découvrir la ville par étapes, et non d’y chercher une
échappatoire, comme le flâneur. La dérive n’est pas un moyen
de s’évader du quotidien, mais un instrument pour le réinventer.
Pour Guy Debord, c’est la «technique du passage hâtif à travers
des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement
lié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique, et
à l’affirmation d’un comportement ludique-constructif, ce qui
l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de
promenade. Une ou plusieurs personnes se livrent à la dérive,
renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de
se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux
relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se
laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y
correspondent»9.
L’urbaniste, dubitatif
Je sais que tu es un fervent admirateur de ce cher Guy!... Et même
si cette citation sonne bien à l’oreille, elle reste assez opaque...
la dérive, une alternative urbaine
41
Le poète
Ce que je veux dire, c’est que la dérive implique aussi une
phase d’analyse! Le but est de repérer les «articulations
psychogéographiques»10 de la ville, c’est-à-dire les effets du milieu
géographique touchant à l’affect des individus. La dérive n’est pas
seulement ludique, mais aussi constructive, puisqu’elle révèle la
structure cachée des espaces urbains. La visée est de construire
des «situations», c’est-à-dire des moments de vie singuliers et
éphémères...
L’urbaniste
Je te ressers?
Le poète
Pardon?
L’urbaniste
Veux-tu encore des grenadins de veau? Je vois que tu as fini ton
assiette et je sais que tu n’as pas un appétit d’oiseau. Il m’en reste
encore un peu, ça te dit?...
Le poète, avec un sourire
Bien-sûr, ce plat est savoureux!
L’urbaniste
Un instant alors. Désolé de te couper dans ton élan comme cela! Ne
vas pas croire que tu m’ennuies! Au contraire, ce que tu viens de
dire m’a justement interpellé!... (Il s’élance vers sa cuisine)
10 Psychogéographie: Relation entre le lieu et le psychique, fondement de la dérive.Ci-contre: Guy Debord, carte psychogéographique «The Naked city», 1957
la dérive, une alternative urbaine
44
L’urbaniste revient avec le plat de grenadins, il répartit les
derniers morceaux dans leurs assiettes, il est plus généreux avec
le poète. Prenant son temps pour s’installer, il avale une première
gorgée de Marsannay avant de reprendre le fil de la conversation.
L’urbaniste
A part une approche «géopoétique» et ludique de l’espace urbain,
as-tu remarqué que toutes ces alternatives ont un autre point
commun? (Il pose cette question sans réellement attendre la
réponse du poète). Elles sont toutes radicales et utopiques, et elles
méprisent les obligations fonctionnelles de la ville. La pratique
ludique du territoire urbain-à travers le jeu-semble être une
proposition sensible de prime abord. Mais lorsque je pense à la
New Babylon de Constant, je me dis que si la normalisation urbaine
que tu décrivais tout à l’heure est source d’autoritarisme, ces
alternatives sont aussi totalitaires et si elles venaient à remplacer
la ville établie, elles ne seraient que sources de chaos! Je ne nie pas
l’importance de la poésie dans la ville, mais au XXIème siècle, aucune
société ne peut raisonnablement placer l’enjeu poétique ou ludique
au-dessus ou au même niveau de l’enjeu fonctionnel, au risque de
perturber la lisibilité du territoire et de nuire à l’organisation de
la ville. Or, c’est exactement ce qui se passerait si ces alternatives
étaient prises en compte dans le dessin du territoire!
Le poète
Ces mouvements ne peuvent pas s’ancrer dans l’espace de la ville.
Mais ce n’est pas leur objectif puisqu’ils sont des manifestes et
assument leurs projets utopiques et événementiels. Ce qui fait leur
force, c’est cette capacité à se développer en un temps limité sur un
lieu sans chercher à le remplacer. Ces démarches constituent à la
acte i
45
11 Définition de l’utopie donnée par Joseph Gabel en 1974 puis développée par Henri Desroche en 1996.
fois un événement et une utopie. Mais l’utopie, au sens de Joseph
Gabel et d’Henri Desroche11, c’est-à-dire une critique qui conçoit
le «projet imaginaire d’une réalité ou d’une société autre» pour
«percevoir dans le présent le possible ignoré». Il s’agit d’idées qui
transcendent une situation spatiale, historique et sociale donnée,
non pas en la niant, mais en explorant ses potentialités, et en
dépassant cette situation.
L’urbaniste
Cela reste extrêmement abstrait! Ces prétendues alternatives
critiquent la ville existante sans être capable de proposer une
solution viable. Quelle est l’enjeu concret de ces démarches? En
quoi ces alternatives peuvent-elles prétendre à un bouleversement
de la ville?
Le poète
La transformation de la ville, au sens large, est possible sans altérer
son dessin! Ce n’est pas forcément le cadre de vie qui détermine le
mode de vie et les comportements des citadins, l’inverse est aussi
possible! Peut-être est-ce en transformant les pratiques urbaines
que la ville conçue pourrait être justement modifiée?
L’urbaniste
Dans ce cas, il s’agit d’intervenir sur les habitudes et le quotidien
des citadins. Or, l’événement est un concept éphémère. Pense à
cette Fête de la Musique, dont nous parlions tout à l’heure! Certes,
elle va entraîner des pratiques ludiques, comme des déambulations
dans la ville, des danses spontanées ou bien chorégraphiées; ce
notamment grâce à la musicalité. Mais, crois moi, ce n’est pas ce
qui va bouleverser les pratiques urbaines au quotidien! Dès la fin
de cet événement, tout sera oublié!
la dérive, une alternative urbaine
46
Le poète
Dans le cas de la Fête de la musique, la dérive n’est pas l’objectif
premier, il s’agit surtout de rendre les citadins créatifs et actifs, en
participant à un événement artistique. Donc évidemment les zones
investies n’ont pas été choisies selon l’importance qu’elles revêtent
dans le quotidien des Parisiens. Elles ne pourront donc pas autant
affecter leur quotidien, après l’événement, ça je te l’accorde.
Mais sur le reste, je ne suis pas d’accord avec toi! Je suis convaincu
que ceux qui auront assisté à cet événement et qui repasseront
à l’avenir par les lieux où ils ont pu danser, chanter ou jouer en
garderont une trace. Ainsi, c’est cette trace qui modifiera les
usages à long terme, une relation familière presque domestique ou
affective, pourra s’établir entre ces lieux et ceux qui les arpentent.
acte i
New Babylon (1959-1974), projet utopique de Constant, était fondé sur l'idée de l'Homo ludens. Contrairement à la conception de l'Homo faber ("l'homme le fabricant") et de la société utilitariste, la culture de New Babylon est libérée du travail productif et développe ainsi des activités créatives. La mobilité et la fluctuation permanente de la population créent un rapport à la ville différent: l'être humain est censé s’approprier un mode de vie nomade dans un environnement entièrement construit. La ville est organisée en blocs et secteurs qui forment un réseau d’unités socioculturelles d’échelle planétaire. Ces secteurs changent sans cesse de forme et d'atmosphère en fonction des activités qui s’y déroulent.
Carnets: Les utopies post-modernistesNew Babylon
«New Babylon est l'œuvre des New Babylonians mêmes, le produit de leur culture. Pour nous, ce n'est qu'un modèle de réflexion et de jeu.»Constant Anton Nieuwenhuys
Haus-Rucker-Co
Groupe radical emblématique de la scène viennoise des années 1960 et 1970, Haus-Rucker-Co se concentre sur l’expérience du corps. Il développe des espaces cognitifs et sensibles qu’ils pratique lors de performances dans l’espace urbain. Ces événements doivent stimuler et libérer la conscience, permettant à l’esprit de s’ouvrir à une autre dimension.
Oasis n°7, une cellule gonflable accrochée à la façade du bâtiment de la documenta 5, reste une image iconique de ce rapport critique et spectaculaire à la ville, toujours à la recherche de nouveaux modes d’habiter.
Superstudio
Groupe radical fondé à Florence en 1966-67, Superstudio revendique, dans ces années de contestation, une pratique conceptuelle et iconoclaste de l’architecture.
Le groupe travaille dans le domaine de la critique opérative en réalisant des films de vulgarisation et des projets utopiques. Il tente, à travers une série de processus réducteurs, de trouver les voies d’une refondation philosophique et anthropologique de l’architecture.
56
ACTE II*
L’urbaniste débarrasse la table et s’en va vers la cuisine,
enchaînant plusieurs allers retours. Le poète lui propose son
aide, mais l’urbaniste refuse. Sur la table, ne restent plus que
leurs verres, leurs serviettes et les deux bouteilles de vin déjà bien
entamées.
L’urbaniste, s’assoit en fronçant les sourcils
Donc selon toi, l’événement serait La solution pour réconforter les
citadins avec la ville, si j’ai bien compris?!... Eh bien! Je crois que je
t’ai servi trop de vin, mon ami! Enfin, tu n’es pas sérieux! Il suffirait
donc seulement de bousculer le petit citadin dans ses habitudes
pour le transformer? Ce serait aussi simple?!...
Le poète
Non, ce n’est pas ce que je dis...
L’urbaniste
Bien sûr que c’est ce que tu dis! En des termes plus flatteurs
évidemment, mais concrètement, ça revient au même. Selon
toi, c’est en donnant un semblant de distraction et d’imprévu
aux citadins, dans leur pauvre et triste quotidien, qu’ils vont
s’épanouir!...
Le poète
Non! L’événement, ce n’est pas juste un «semblant de distraction
et d’imprévu», ni seulement ce qui rompt le cours des choses, c’est
aussi ce qui initie une nouvelle trame...
L’urbaniste
Mais de quelle nouvelle trame parles-tu? Qu’est-ce que l’événement
crée concrètement?!
57
Le poète
«Concrètement», tu n’as que ce mot à la bouche depuis le début!
Tout ce qui est digne d’intérêt n’est pas forcément tangible! Les
apports de l’événement s’estiment surtout sur les plans immatériel
et perceptif car ils affectent des comportements et des affects. De
plus, l’événement étant éphémère, ses effets sont d’autant plus
difficilement quantifiables, n’en déplaise au pragmatisme de
l’urbaniste!
L’urbaniste
Très bien. Alors quels sont ces apports immatériels?
Concrètement?(Avec une pointe d’ironie))
Le poète, l’air hardi
Il y en a plusieurs mais pour moi, le principal apport de l’événement
est la transformation des comportements et des perceptions
des citadins. En fait, lorsque l’événement survient dans l’espace
urbain, il le détourne temporairement en donnant lieu à des modes
d’occupation alternatifs qui montrent aux citadins que la ville
peut être utilisée à d’autres fins. En ne réduisant pas la ville à des
pratiques purement utilitaires, il révèle son potentiel.
L’urbaniste, lassé
Pff! C’est trop abstrait!... Tu ne peux pas vanter les prétendus
mérites de l’«événement» de la sorte! Il te faut des exemples
concrets! Dis-toi bien que sans exemple concret, ton propos n’a
aucune valeur, ce n’est que de la démagogie!
Le poète
De la démagogie...
Le poète est piqué au vif par cette remarque. Voyant qu’il a
blessé son ami, l’urbaniste se dit que c’est le moment de passer
aux douceurs. Après un rapide aller-retour en cuisine, il revient
une lecture alternative de la ville
58
avec deux soucoupes, au centre desquelles trônent deux sublimes
pâtisseries bombées.
L’urbaniste
J’avoue ne pas avoir fait ce dessert. Je l’ai acheté ce matin même!
Le poète
C’est le fameux Mont Blanc du salon de thé Angelina. C’est vrai que
tu raffoles de ce gâteau...
L’urbaniste
Ah! Ces vermicelles de marron, cette chantilly et ce cœur de
meringue! Je crois que, toi aussi, tu aimes ce dessert?
Le poète, qui fait la moue
Sûrement pas autant que toi!..
Concernant ton besoin de «concret», le street art serait un bon
exemple pour illustrer mon «propos».
L’urbaniste, qui a déjà attaqué son Mont Blanc
C’est-à-dire?
Le poète
Les artistes du street art s’insèrent dans l’espace urbain et le
détournent. Certains plus que d’autres, mais regardes les Nids de
poule de Juliana Santacruz Herrera. Tu vois ce dont je parle?
L’urbaniste
Oui, je vois. Pour autant que je m’en souvienne, elle avait décoré
les trottoirs parisiens en bouchant les fissures et les trous avec des
tissages en laine.
Le poète
Ce n’était pas que de la décoration! Ses textiles colorés servaient
à attirer le regard sur des détails subtils de l’espace urbain. En ce
sens, son travail était un événement dans l’espace urbain puisqu’il
a capté et modifié le regard que les passants y portaient. De plus,
acte ii
59
en étant visible directement à même le sol, cet événement a aussi
influencé leur mobilité.
L’urbaniste, esquissant une moue désapprobatrice
A influencé leur mobilité....
Le poète
Oui je sais, de manière très subtile voire dérisoire, c’est ce que tu
comptes me dire. Son travail n’a peut-être pas révolutionné les
pratiques urbaines, mais il a constitué un événement dans l’espace
parisien, en révélant des détails de manière sensible et créative.
L’urbaniste
Oui, c’était peut-être esthétique mais rien de plus! Ce genre
d’intervention comme le street art n’a pas d’usage. Ces artistes ne
peuvent pas agir sur les gestes des citadins...
Le poète
Les Nids de poule de Juliana Santacruz Herrera n’ont pas cette
ambition mais des artistes comme Ernest Zacharevic, oui. Son
travail sur l’espace urbain consiste à révéler les possibilités d’action
et d’interaction des citadins.
L’urbaniste
Je n’ai jamais entendu parler de cet artiste, je ne vois pas de quoi
tu parles.
Le poète
Eh bien, tu devrais jeter un coup d’œil sur son site internet: Zachas.
C’est un artiste lituanien, on le surnomme déjà le nouveau Banksy!
Il fait, à la bombe ou au crayon, des dessins qui mettent en scène
des objets réels dans l’espace urbain. Il suggère ainsi aux citadins
des scénarios d’usage pour ces objets. C’est une sorte d’invitation à
interagir, à jouer avec la ville! Ne me dis pas qu’un tel travail n’agit
pas sur le comportement des citadins!
une lecture alternative de la ville
61
L’urbaniste
Et après?! Selon ta théorie, ce type de démarche est censé provoquer
un changement conséquent des pratiques urbaines. Or, un tel
travail surprend, voire émerveille les citadins dans un premier
temps, mais ensuite ils s’y habituent. Ils ne vont pas jour après jour
éprouver une émotion aussi forte face à ces réalisations. J’appelle
cela le conditionnement.
Le poète
C’est vrai. Ces événements dans la ville ne peuvent agir durablement
qu’à condition d’impliquer un dynamisme au niveau temporel. Il
s’agit d’être capable d’ancrer le projet dans le temps et de laisser
une trace effective. Est-ce que tu connais le collectif Improv
everywhere?
L’urbaniste
IE pour les intimes. Oui, c’est un groupe d’improvisation new-
yorkais contemporain, connu pour son slogan «We cause scenes»
qui exécute fréquemment des événements artistiques dans des
lieux publics.
Le poète
Plus que fréquemment, ils interviennent quotidiennement. Ils font
des improvisations dans différents lieux, à New-York, au moyen de
happenings, de performances qui impliquent la participation des
passants. Ils entretiennent ainsi un événement urbain continu,
qui détourne le quotidien des citadins sans devenir ni un poncif ni
prévisible. Personnellement, je suis réceptif à leur démarche qui
rend le quotidien plus ludique mais aussi plus social.
Je pense notamment à «The MP3 Experiment»: l’expérience mp3
invitait les participants à télécharger un fichier mp3 sur leurs
lecteurs, mais sans directement lire ce fichier pour garder un effet
une influence sur les comportements des citadins
Ci-contre: Juliana Herrera Santacruz, Nids de poule, 2011
62
de surprise. Puis, selon les instructions données sur leur site qui
indiquaient un code vestimentaire et un lieu, un rendez-vous à
un horaire précis était programmé. Une fois réunis au lieu et au
moment prévus, les participants pouvaient déclencher l’ouverture
du fichier et exécuter de manière synchrone les actions interactives
enregistrées sur ce fichier: gestes, mouvements ou danses. Cet
événement participatif était certes décalé, mais il avait le mérite de
faire se rencontrer les citadins et de les rendre plus actifs.
L’urbaniste
Bien qu’elles soient quotidiennes, ces interventions restent quand
même anecdotiques car elles ne socialisent qu’à une échelle infime.
Ces actions sont disséminées dans la ville et elles n’ont pas de force
fédératrice suffisante. Je reconnais leurs vertus sociales, mais elles
n’ont pas d’ambition ni de cohérence territoriales!
Le poète
Sauf si elles font partie d’un parcours, d’une «itin-errance» dans
la ville. Si ces interventions ponctuelles sont associées pour former
une unité, comme plusieurs points liés et répartis dans la ville, elles
peuvent devenir pertinentes à l’échelle territoriale.
L’urbaniste
Oui, mais dans ce cas, il ne s’agit plus de penser en termes
d’événement, on parlera plutôt d’événementiel.
Le poète
Qu’entends-tu par là exactement?
L’urbaniste
L’événement désigne ce qui survient, étant relativement imprévu,
comme tu l’as dit. A l’inverse, l’événementiel relève d’un savoir-
faire intégré à l’action urbaine dans le cadre de stratégies de
marketing urbain.
acte ii
A gauche: Improv Everywhere, The MP3 Experiment, New-York, 2014. Ci-dessus: Rolighetsteorin, The piano staircase, Stockholm, 2009.
71
L’urbaniste
Il tient donc compte de l’échelle territoriale comme des enjeux
artistiques et de l’image de la ville. Dans cette mesure, il est plus
approprié que l’événement.
Le poète, affichant un sourire narquois
Cette fois-ci, c’est moi qui te demande d’être plus clair...
Concrètement, peux-tu me donner des exemples d’événementiel
concrets?
L’urbaniste, qui pose nerveusement sa cuillère à côté de son Mont
Blanc
J’en ai plus d’un! Les phénomènes comme les carnavals1 ont bien
plus d’intérêt et d’ampleur que les événements que tu décrivais tout
à l’heure, vu qu’ils rendent la ville lisible à travers son histoire et
sa culture. Ils impliquent une valeur commémorative, qui fait leur
force, à l’exemple du Carnaval1 de Venise. L’an dernier, j’y avais
assisté justement. Ça avait débuté par la fête de Marie, puis par
le Vol de l’ange, deux cérémonies rituelles. En fait, le Carnaval de
Venise n’est pas tant un défilé de masques puisque les costumés
déambulent parmi la foule, dans des lieux réputés, comme la
place Saint Marc, la Salute et dans les ruelles. Cela permet non
seulement de révéler le potentiel ludique de la ville, mais aussi sa
force patrimoniale. Et puis, de nombreuses animations complètent
les parades des masques. Le carnaval renoue ainsi tous les ans avec
son histoire, entretenant une mémoire collective, mais il renoue
aussi avec l’agora!
Le poète
L’agora?! Rien que ça...
1 Période qui précède le Carême notamment jours gras, durant lesquels se déroulent des réjouissances publiques (mascarades, défilés de chars, batailles de confetti, etc.) ou semi-publiques (bals, etc.)
une influence sur les comportements des citadins
72
L’urbaniste
Parfaitement, oui! L’agora ou le forum, si tu préfères. Je te parle
d’un lieu public important, capable de réunir les citoyens, d’être
fédérateur et d’impulser un dynamisme social. Dans ce registre, je
pourrais aussi te citer le carnaval de Rio ou encore...
Le poète
Venise est une ville théâtrale, c’est un cas particulier. En effet,
c’est une «ville événementielle», mais au final, elle est plus visitée
qu’habitée! Les participants du carnaval de Venise ne sont pas ceux
qui arpentent cette ville au quotidien, ce ne sont pas des vénitiens
pour la plupart, mais des touristes qui viennent occasionnellement.
Ton propos est donc assez discutable, surtout lorsqu’on sait que,
depuis plusieurs années, Venise s’est transformée en un véritable
parc touristique!... Concernant le carnaval de Rio, je ne vois pas en
quoi il rend l’espace urbain de Rio de Janeiro plus lisible!..
L’urbaniste
... Parce que c’est un événement populaire qui permet à la foule
d’agir et d’interagir avec des spectacles de danse et de musique
dans les rues, pendant des jours et des jours. Alors peut-être que
oui, le carnaval de Venise est plus touristique que local, mais le
Carnaval de Rio est vraiment culturel et régional! Les habitants de
plusieurs villes du Brésil se joignent aux Cariocas2 dans les rues, et
des bals costumés s’improvisent dans tout Rio. Il y a des concerts
partout, c’est un vrai moment de frénésie, presque dionysiaque!
Le poète
Oui, ce carnaval valorise la culture brésilienne et des pratiques
urbaines ludiques et libres, mais il ne rend pas l’espace de la ville
plus lisible! Au contraire!...
2 Cariocas: Habitants de Rio de Janeiro.
acte ii
73
Le poète
Cela remonte à plusieurs années maintenant, mais j’ai assisté à
ce carnaval et je me souviens encore de ses somptueuses parades,
comme la parade multicolore du Sambódromo3. Il y avait des chars
géants, des percussions et des danseurs survoltés, qui stimulaient
toute la foule. Mais la démesure de ces installations écrasait l’espace
urbain, le Sambódromo, qui est pourtant un axe de circulation
important, était complètement fermé pour les défilés pendant le
carnaval! Les manifestations monumentales du carnaval effaçaient
littéralement la ville, à tel point que l’espace urbain, perçu lors de
ces parades n’était pas le même que celui perçu quotidiennement!
Pour l’avoir vu, je peux t’assurer qu’entre le Rio du carnaval et le
Rio du quotidien, il y a un monde! Or, pour toucher les pratiques
quotidiennes des citadins, il faut s’insérer dans leur quotidien, non
contre lui. C’est pour cela que, contrairement à ce que tu dis, parler
d’événement pour transformer les pratiques urbaines est plus
approprié que de parler d’événementiel.
L’urbaniste
Que veux-tu dire encore? En gros, l’événement ferait partie du
quotidien et l’événementiel ferait disparaître le quotidien...
Le poète, agacé, fend le cœur meringué de son Mont Blanc d’un
coup de cuillère incisif
Mais non, ce n’est pas ça! Il n’y a pas obligatoirement de rapport
duel entre l’événement et l’événementiel! L’événement peut faire
partie d’une stratégie événementielle, mais l’événement sera ce
qui surgit dans le quotidien tandis que l’événementiel désignera
toute l’organisation qui existe autour de l’événement en question.
Prenons l’exemple de la Fête de la musique!
3 Sambódromo: Aussi appelé le sambodrome Marquês de Sapucaí, situé dans le centre-ville de Rio de Janeiro. Il s’agit d’une avenue d’une douzaine de mètres de largeur, bordée de gradins à ciel ouvert.
l’échelle de l’événement
74
L’urbaniste lève les yeux au ciel, en prenant sa dernière cuillerée
de Mont Blanc.
Le poète
La Fête de la musique fait partie d’une stratégie événementielle
mais c’est aussi un événement dans l’espace urbain, puisqu’elle
détourne les comportements des citadins, mais sans effacer la ville.
Au cours de cette fête, tu peux voir des personnes danser, jouer et
même chanter dans les rues, sur les places ou encore aux terrasses.
Paris est alors transformée, non par la scénographie qui vient
la couvrir mais par la nouvelle pratique des citadins. A l’inverse
du carnaval de Rio, c’est grâce à sa scénographie élémentaire et
presque dépouillée, que la fête de la Musique favorise la lisibilité de
la ville et la liberté d’usage des citadins.
L’urbaniste, avec ironie
Donc l’événement doit nécessairement avoir une écriture spatiale
pauvre, sans ampleur et sans force architecturale pour s’insérer
harmonieusement dans l’espace urbain...
Le poète
Pas nécessairement. Je dis seulement qu’il faut intervenir à
l’échelle des citadins pour pouvoir les toucher. Des dispositifs qui
surplombent l’espace urbain sont moins atteignables par ceux qui
l’arpentent. Les pratiques qu’ils impliquent semblent donc moins
saisissables. Or, pour se les approprier, le citadin doit sentir que ces
pratiques sont accessibles. C’est pour lui le moyen de domestiquer
l’espace urbain, d’habiter la ville.
acte ii
79
Sambodrome Marquês de Sapucaí, Rio de Janeiro, de haut en bas: en période de carnaval et au quotidien.
80
Le poète marque un temps d’arrêt . L’urbaniste ne dit mot, il se
ressert un fond de Marsannay en secouant la tête, l’air abasourdi.
L’urbaniste, d’une voix aiguë
Domestiquer l’espace urbain?!...
Le poète
J’entends par «domestiquer l’espace urbain», le fait de comprendre
et saisir la ville au point d’éprouver des sentiments d’intimité et
d’autonomie vis-à-vis d’elle.
L’urbaniste
Mais l’espace public n’a pas été créé à cette fin! Vouloir concilier
intimité et espace public, tu vois bien que c’est contradictoire,
non?! Enfin c’est absurde!
Le poète
La domestication de l’espace urbain représente pourtant un enjeu
urbanistique réel. C’est d’ailleurs un enjeu de longue date quand on
pense au travail d’Ugo La Pietra, qui remonte au XXème siècle. Dans
les années 70, La Pietra a repris l’ambition situationniste pour la
réappropriation subjective de la ville et il a réalisé un programme-
slogan : «Habiter la ville, c’est être partout chez soi»...
L’urbaniste
Je connais le travail de ton Ugo! Ce sont des projets prétendument
urbanistiques, mais surtout très irréalistes!
Le poète
Ils sont radicaux, surtout au vu de leur époque, mais pas pour autant
irréalistes. Dans sa série «Reconversion projectuelle», il avait
travaillé sur la récupération et la réinvention du mobilier urbain en
lui attribuant de nouveaux usages. La série des Attrezature urbane
per la collettivita4 illustrait encore plus fidèlement son concept en
4 Ugo La Pietra, Attrezature urbane per la collettivita, 1978-1979
acte ii
81
présentant des reconversions déclinées en trois volets. A l’instar
des notices de montage, il avait proposé une photographie du
mobilier urbain dans son contexte habituel, un schéma technique et
descriptif expliquant la procédure de détournement et enfin l’objet
domestique obtenu, mis en situation. Il s’agit de domestiquer et
rendre plus familier l’espace urbain du quotidien en y insérant
des objets que les citadins connaissent intimement, il n y a rien
d’irréaliste là-dedans...
L’urbaniste
Ah bon?! Eh bien! Va donc faire un tour à Saint-Germain des Prés,
ce n’est pas loin d’ici! Arrête-toi au boulevard Saint-Michel, installe
des petits oreillers par terre et deux ou trois chandails, tu verras
bien si les citadins du 6ème arrondissement vont se sentir plus actifs
et plus proches de leur quartier...
Le poète, secouant la tête, l’air désabusé
Pff! Toujours autant d’humour!... Les projets d’Ugo La Pietra sont
des manifestes. Ils ont donc été conçus de manière radicale pour
exprimer des idées fortes! Ce n’est pas la forme de ces projets
qu’il faut retenir mais les principes qui les gouvernent! Il s’agit
de démystifier la ville, de briser l’image d’une entité anonyme,
autoritaire et purement utilitaire, en montrant que «public» n’est
pas à confondre avec «impersonnel». L’objectif est de montrer
que les citadins ne sont pas les créatures de la ville, mais qu’ils
en sont les créateurs, libres de l’habiter en y déployant des gestes
domestiques. Si ce postulat se traduit de manière utopique dans
le travail de La Pietra, il a déjà été réalisé dans des manifestations
plus concrètes.
L’urbaniste
Lesquelles?
domestiquer l’espace urbain
86
Le poète
L’événement du Burning Man, par exemple, puisqu’au cours de ce
festival les participants viennent former une «cité».
Certes, il s’agit d’une ville temporaire dans le désert du Nevada5
donc tout cela reste empreint d’utopie. Mais toujours est-il que
chaque année des milliers de participants, appelés les Burners,
aménagent dans ce désert pour y avoir des pratiques ludiques,
créatives et domestiques. Cet événement prouve que l’individu peut
devenir actif et autonome dans un milieu dès lors qu’il le perçoit
comme familier et personnel.
L’urbaniste
«Empreint d’utopie», quel euphémisme! Le Burning Man est une
utopie! C’est une ville qui se crée momentanément dans un espace
désertique et hors du monde habité! Il ne matérialise pas la théorie
de domestication de l’espace urbain de La Pietra, puisqu’il ne se
déroule pas dans un espace quotidien, ni urbain d’ailleurs. Je ne
vois pas en quoi cet exemple est pertinent pour les espaces urbains
déjà bâtis, ceux dont il est réellement question!
Le poète
Il démontre qu’associer l’événement à des pratiques, soient
domestiques soient créatives, mais en tout cas intimes permet aux
citadins de s’approprier l’espace. Ils voient alors la ville comme un
espace aussi public que personnel qu’ils peuvent habiter.
L’urbaniste, l’air pensif, après un court silence
Selon toi, pour que les citadins s’approprient durablement la ville,
l’espace urbain doit leur être intime?
Le poète
Exactement! L’événement leur permet alors d’éprouver un
5 Black Rock Desert, Nevada, USA.Ci-contre, des installations du festival du Burning Man dans le Black Rock Desert.
acte ii
87
sentiment d’autonomie, de participation et d’appropriation.
L’urbaniste
Mais comment veux-tu que l’espace public devienne intime pour
les citadins dans le cas des villes contemporaines?! C’est possible
dans des zones désertiques et non aménagées mais pas sur des
territoires déjà bâtis, organisés et aménagés!... D’accord, l’idée de
domestiquer la ville est un moyen pertinent pour que les citadins
se l’approprient et s’y sentent maîtres mais cela n’implique pas
forcément l’idée d’intimité!
Le poète
Et comment veux-tu que le citadin puisse domestiquer la ville
alors?!
L’urbaniste
A mon sens, domestiquer ne s’entend pas au sens d’«intimement
connaître» un lieu mais plus au sens d’y «demeurer»6, c’est-à-dire
d’y rester, d’y avoir des pratiques durables au point de l’habiter.
Pense à notre ville de Paris! Quand elle devint une métropole
dynamique2, elle devint en même temps une ville événementielle
qui était pratiquée et habitée par ses habitants, jour et nuit!
Paris a créé un spectacle autour de sa propre métropolisation, c’est
ce qui a rendu ce phénomène géopolitique perceptible à l’échelle
des citadins.
Le poète, pensif
Hum! Je vois, oui! Tu veux dire que l’événement nocturne a fait
de Paris une ville habitée jour et nuit, que les citadins ont pu
s’approprier! Mais sans tomber dans une relation monotone et
aliénante parce que la ville changeait de visage grâce à la dynamique
diurne/nocturne!
6 L’origine de domestique vient de «domus» qui signifie «maison», «demeure» 2 XIXème siècle
domestiquer l’espace urbain
88
L’urbaniste
Oui! A cette époque, le jour, Paris était perçue comme une
métropole fonctionnelle et utilitaire, mais la nuit elle devenait un
objet de fascination et un vecteur de curiosité. Les innovations de la
ville comme les éclairages urbains ou les expositions universelles,
étaient quotidiennement mises en scène la nuit, et permettaient
une expérience libre et ludique de la modernité...
Le poète
En fait, ce n’est pas forcément le rapport diurne-nocturne qui
importe, c’est surtout la dynamique entre différentes temporalités
qui anime le quotidien! Ces temporalités peuvent être des
saisons ou des semaines encore, et selon elles différents types
d’appropriations sont possibles...
L’urbaniste
Hum, si tu veux, oui c’est aussi une piste... Mais le jeu diurne/
nocturne est singulier: Quand on découvres une ville de nuit, on
se rend compte qu’il est difficile d’en comprendre la forme et la
topologie, on se concentre alors sur une échelle plus humaine, en
observant plus les espaces publics. C’est non seulement une autre
pratique de la ville mais aussi un exercice mental intéressant. En
imaginant concevoir un urbanisme nocturne, ce serait surtout le
moyen de créer une identité alternative urbaine.
Le poète
Ton hypothèse est intéressante mais que ce soient la tienne ou la
mienne, les deux renvoient finalement aux mêmes questions. Quel
rôle peut être laissé aux citadins, dans une stratégie territoriale
urbaine? Quels degré de liberté peuvent leur permettre de s’inscrire
dans la phase événementielle et ludique de la ville?
acte ii
Ci-contre: Exposition des arts décoratifs et industriels, Paris, 1932
94
ACTE III*
La nuit est maintenant tombée, l’urbaniste et le poète ont quitté
la table pour s’installer dans le salon. Le poète, étendu sur la
méridienne, regarde par la fenêtre l’air rêveur. L’urbaniste
revient avec un plateau sur lequel se trouvent deux tasses de café,
du sucre dans une jatte en porcelaine et un sachet de spéculoos.
Il le dépose soigneusement sur la table basse et s’assied sur son
fauteuil Eames lounge chair, face au poète.
L’urbaniste (Il prend un spéculoos)
Je n’ai pas été très raisonnable cette semaine, entre le repas
d’aujourd’hui et le restaurant de demain!...
Le poète
Tu vas au restaurant demain?! Eh bien! Moi, qui pensais être le
plus gourmand de nous deux!
L’urbaniste
Oui, je me rends à Nancy demain pour revoir un vieil ami, un
confrère urbaniste qui travaille maintenant à l’ADUAN1. Je ne
sais pas encore dans quel restaurant il compte m’inviter mais je ne
manquerai pas de prendre un baba au rhum!
Le poète
Nancy, c’est une ville avec un beau patrimoine mais elle est trop
figée, passéiste. Tu ne trouves pas?
L’urbaniste
Au vu de son important patrimoine, c’est sûr que cette ville est
très conservatrice. Mais je n’irai pas jusqu’à dire figée... Avec tous
les styles architecturaux et artistiques qui ont marqué Nancy, je
1 ADUAN: Agence de Développement et d’Urbanisme de l’Aire urbaine Nancéienne, créée en 1975.
95
trouve que lorsque tu t’y promènes, tu traverses des lieux variés et
changeants: tantôt médiévaux, tantôt art déco...
Le poète
Oui, le patrimoine nancéien est riche et sublime, mais il est
tellement exposé dans la ville que le regard que tu y portes reste
constamment contemplatif. Tu as les places illustres comme la
Places Stanislas ou encore l’Esplanade de la Carrière, sans oublier
les grandes portes, qui sont de pures merveilles architecturales,
mais tout cela laisse... Je ne sais pas, passif!...
L’urbaniste (Il reprend un spéculoos)
Qu’entends-tu par passif?
Le poète
Tu sais, quand je vois Nancy, je repense à un article de Perla Serfaty
Garzón2 sur la place Vendôme, elle la comparait à un «étalage de
biens somptueux» qui décourage les usagers potentiels. Au même
titre, les lieux trop ornementés de Nancy maintiennent une distance
avec les citadins! Comme elle le disait dans cet article: «il n’est
pas nécessaire de formuler explicitement une exclusion de nature
institutionnelle ou légale pour limiter l’accès à des lieux publics
extérieurs”. Pour moi, c’est ce que font ces lieux patrimoniaux vis-
à-vis des citadins.
L’urbaniste
Je vois ce que tu veux dire, le patrimoine très auguste de Nancy
domine, voire inhibe les citadins mais cela ne vaut que pour certains
endroits! Au final, ce ne sont pas tant ces lieux patrimoniaux qui
rendent les citadins passifs à Nancy. C’est plus la typologie des
autres lieux ; ceux qui ne font pas partie du patrimoine nancéien!
C’est dû à la morphologie de Nancy même!
2 Perla Serfaty Garzon, “La sociabilité publique et ses territoires – Places et espacespublics urbains”, Architecture and Comportment, Vol. 4, 1988
nancy, entre créativité et passivité
96
Le poète
Oui je sais, à l’origine, ces lieux illustres étaient des repères dans
cette ville médiévale. L’espace urbain s’articulait autour de ces lieux
emblématiques d’où s’élevaient des architectures plus prestigieuses
les unes que les autres.
L’urbaniste
Oui et aujourd’hui encore, à l’échelle du territoire, tu peux
clairement percevoir les perspectives qui alignent les différentes
places de la ville, elles s’entrecroisent orthogonalement sur la
trame de Nancy. Ces grands axes servent à conduire les regards et
les déplacements vers les lieux illustres de la ville. C’est pourquoi
les citadins les arpentent presque machinalement.
Le poète
Oui exactement! (Il se redresse sur la méridienne et met du sucre
dans son café). Et ce sont pourtant les lieux les plus fréquentés par
les citadins, puisque ce sont d’importantes voies de circulation!
Avec le phénomène de métropolisation, des allées marchandes et
des galeries attractives ont été créées sur ces axes...
L’urbaniste
Oui, et puis certes ces pôles sont les plus dynamiques et fréquentés
de la ville, mais ils ne rendent pas les citadins plus actifs! Il est
courant de voir des citadins y passer leur après-midi. Mais dans
ces lieux, ils n’interagissent pas vraiment, à moins de se frôler.
Et l’usage de l’espace se réduit à aller d’un magasin à l’autre, en
achetant des bricoles...
Le poète
Toujours est-il que c’est là que les citadins circulent et s’arrêtent
pour avoir des activités professionnelles et ludiques... Mais pour
autant c’est vraiment à son patrimoine que Nancy préfère se
acte iii
97
dédier...
L’urbaniste, le teint rosé et le sourire aux lèvres
Ah ça! C’est ce sur quoi repose l’identité même de la ville!
Le poète
Dire qu’à une époque, cette ville était considérée comme l’une des
plus créatives et avant-gardistes de France! Avec le Festival de
Théâtre Universitaire de Nancy, c’était quand même le berceau du
théâtre! T’en souviens-tu?
L’urbaniste
Et comment?!
Le poète
C’était la première fois que je découvrais un théâtre aussi politisé!
Le système et les conventions étaient remis en question à travers
l’expression théâtrale. Cela allait même jusqu’aux lieux où se tenait
cet événement ; les spectacles se déroulaient non plus dans les
instituts ou centres culturels conventionnels, mais dans la ville de
Nancy même!
L’urbaniste
Tu sais, je me rappelle encore du spectacle de Pina Bausch en 77,
le Café Muller!
Le poète
Oui! Les danseurs avaient joué dans la vitrine d’une concession
automobile, nous étions sur des gradins abrités par de grands
plastiques qui claquaient au vent et, dans ce grand bocal, nous
voyions pour la première fois des corps danser tout en se mettant
en danger: «L’événement à l’œuvre»...
L’urbaniste
Ou bien «L’œuvre de l’événement» puisque ce festival a transformé
l’image de Nancy. Pour le coup, il a abouti à un résultat concret:
nancy, entre créativité et passivité
100
donner à cette ville une nouvelle valeur culturelle.
Le poète, qui hoche la tête l’air pensif
C’est vrai! Et Nancy pourrait renouer avec ce passé de ville
créative, si elle développait à nouveau un événement in situ. Cela
rassemblerait les citadins dans l’espace urbain et leur permettrait
d’avoir une nouvelle approche de leur ville!...
L’urbaniste
Mais c’est une stratégie que Nancy cherche déjà à développer! Tu as
dû entendre parler de l’événement «Nancy Renaissance». Il a lieu
tous les cinq ans et révèle aux citadins les strates de la ville, depuis
la Renaissance. Cet événement très ambitieux comptait plus de 300
programmations et 350000 spectateurs, en 2013! Il proposait entre
autres des expositions et des spectacles populaires dans toute la
Lorraine. Il y avait aussi des parcours patrimoniaux qui donnaient
à voir le patrimoine autrement, celui-ci était mis en scène par des
techniques de projections numériques assez novatrices. C’était une
manière de rendre l’histoire et l’espace de la ville autrement lisible.
Le poète
Oui! Mais, dans le fond, cet événement reste ciblé sur le patrimoine
nancéien! Malgré l’emploi d’outils modernes, le regard des citadins
reste orienté vers le passé de Nancy. L’espace urbain est rendu
lisible à travers son histoire et non à travers sa pratique...
L’urbaniste
Mais en proposant des parcours qui détournent le patrimoine par
des technologies numériques, «Nancy Renaissance» permet tout de
même aux citadins de porter un nouveau regard sur ce patrimoine.
Et puis le numérique représente un outil commun et accessible à
la plupart des citadins, lorsque la ville en devient le support, une
forme de proximité se crée entre les citadins et la ville.
acte iii
101
Le poète
Plus ou moins... Le patrimoine n’est pas réellement «détourné»
par le numérique ici, puisque son usage par les citadins n’est pas
modifié. En fait, le patrimoine est seulement autrement théâtralisé
par ces technologies. Je te rejoins sur le fait que le numérique
devient familier au citadin parce qu’il le manie au quotidien! Le
numérique ne peut donc générer une sensation d’appropriation
vis-à-vis du patrimoine que s’il est manipulé par le citadin pour
interagir avec ce patrimoine.
L’urbaniste
Interagir avec le patrimoine? Ne dis pas n’importe quoi! Tu sais
comme moi qu’il y a des lois et des réglementations territoriales
qui protègent le patrimoine de chaque ville! A juste titre d’ailleurs!
La valeur patrimoniale reste tout de même ce qui fonde l’identité
d’une ville et entretient sa mémoire collective.
Le poète
Je sais! Je dis juste que le citadin doit être actif voire interactif
pour qu’il y ait une réelle appropriation. Mais je n’ai pas dit que le
patrimoine devait être rendu interactif!... D’ailleurs, je n’ai jamais
dit qu’il fallait investir les lieux patrimoniaux de Nancy pour
transformer les pratiques des citadins!...
L’urbaniste, agacé par les réponses allusives du poète
Mais de quels lieux parles-tu alors?! Depuis le début, ce sont
ces lieux illustres que tu critiques, tu dis qu’ils s’imposent trop
dans l’espace urbain nancéien et rendent les citadins passifs au
quotidien.
Le poète
Rappelle-toi des lieux dont nous parlions tout à l’heure, ceux qui
sont réduits à de pures fonctions de circulation par la ville de
l’événement, un second temps dans la ville
102
Nancy, mais qui sont pourtant ceux que les citadins arpentent le
plus. Pour atteindre les citadins dans leurs pratiques urbaines, il
faut investir leurs lieux de fréquentation habituels.
L’urbaniste
Quoi? Tu voudrais mettre en œuvre un événement dans les espaces
que les citadins pratiquent au quotidien?
Le poète
Oui c’est le meilleur moyen d’affecter leurs habitudes! Mais cela
implique une démarche spécifique: il faudrait dès les premières
phases du projet, analyser les comportements et les gestes existants
pour que l’événement se développe en fonction d’eux.
L’urbaniste
En fait, les pratiques des citadins constitueraient un outil d’analyse
territorial.
Le poète
Mais plus que ça! Il s’agirait d’extraire la typologie et la morphologie
des lieux arpentés, à partir des flux et des usages des citadins. Ce
serait un moyen d’obtenir de nouvelles informations et d’établir la
psychogéographie de Nancy.
L’urbaniste
«La psychogéographie de Nancy»? Attends, de quoi parles-tu
encore? D’une autre manière de cartographier Nancy, en quelque
sorte?...
Le poète
Oui, l’objectif serait de confronter, sur des cartes, l’objectivité
apparente du plan à l’expérience subjective de la ville. En
introduisant de la subjectivité là où on ne l’attend pas, dans la ville
et dans la carte, la psychogéographie pourrait détourner la ville de
sa fonction utilitaire mais aussi détourner la carte officielle pour
acte iii
103
lui faire dire ce qu’elle cache. Ce serait non seulement un moyen
de faire la critique des espaces urbains vécus, mais aussi un moyen
d’explorer la ville, d’apprendre à la connaître intimement.
L’urbaniste, l’air dubitatif
D’accord... Mais tu l’as dit toi-même, ces lieux ont déjà une fonction
utilitaire importante. Ils sont quotidiennement empruntés par
énormément de citadins, cette fonction me semble essentielle! Il
ne faut pas mépriser la nécessité!
Le poète
Je ne méprise pas la nécessité!...
L’urbaniste
A t’entendre, on pourrait le croire! Tu suggères quand même de
détourner ces lieux pour rompre avec leur fonction utilitaire!
Le poète
Non, je ne parle pas de rompre avec la fonction utilitaire, de ces
lieux mais avec leur image purement utilitaire.
L’urbaniste
Au cours de l’événement que tu projettes, tu entends bien reléguer
la fonction utilitaire de ces lieux au second plan pour en proposer
une approche plus ludique, non?
Le poète
Oui, mais il s’agit d’un événement temporaire qui n’a pas pour
objectif de remplacer une fonction urbaine, mais d’en proposer une
alternative. L’événement révélerait le potentiel ignoré de cet espace
urbain réduit à une fonction, certes nécessaire mais pas exclusive.
L’urbaniste
Comment ça? Sois plus clair!
Le poète
Je conçois cet événement comme un second temps introduit dans
l’événement, un second temps dans la ville
104
le quotidien de la ville de Nancy. Il s’agirait de donner un autre
visage à la ville, de créer une forme de bivalence. S’insérer dans
des lieux urbains qui remplissent, au quotidien, des fonctions
purement utilitaristes et y créer une approche alternative, au cours
de l’événement!
L’urbaniste
«Un second temps dans le quotidien de la ville», tu imagines un
événement à l’échelle de tout le territoire de Nancy?!...
Le poète
Eh bien, il faudrait que l’événement relie les différents lieux urbains
en question selon une certaine cohérence territoriale pour ne pas
rester anecdotique. C’est inévitable mais ce n’est pas l’objectif
principal...
L’urbaniste
Et puis tu parles d’un événement qui introduit un second temps
dans l’aménagement de la ville! Tu veux qu’un événement assure
des visées urbanistiques?! Enfin, ce n’est pas réaliste!...
Le poète
Et pourquoi pas?
L’urbaniste
... Parce que l’aménagement de l’espace public est conçu pour
structurer la ville à long terme! En revanche, l’événement est
temporaire, tu l’as dis toi-même. Comment veux-tu introduire son
action éphémère dans l’espace urbain pérenne? Tu n’en as peut-
être pas conscience, mais tu parles de transformer un territoire,
son identité et ses pratiques: tu parles de «renouveau urbain»! Ce
phénomène de mutation est l’affaire d’urbanistes!
Le poète
Pas uniquement, regarde Nantes! Elle est devenue la capitale verte
acte iii
105
de l’Europe en 2013, c’est d’ailleurs la première ville française à
avoir obtenu un tel titre!... Cette distinction est due à une stratégie
de transformation urbaine rondement menée...
L’urbaniste
Oui, une stratégie initiée dans les années 90 par Jean-Marc Ayrault3,
qui s’est étendue sur plus de vingt ans! Elle a débuté lorsque
le tramway a été relancé pour rééquilibrer le poids de la voiture
dans les déplacements. C’était un geste initiatique et significatif,
Nantes montrait ainsi sa volonté de considérer l’environnement!
La ville a concrétisé cette démarche dans les années 2000, en se
densifiant pour éviter l’étalement urbain. Des écoquartiers, plus
compacts, avec d’importants espaces verts ont été créés pour y
parvenir. C’est par ses choix de politiques publiques et son mode
de développement urbain durable que Nantes s’est transformée et
qu’elle est devenue un exemple en Europe! Quel est le rapport avec
l’événement?!
Le poète
L’événement a été une composante décisive dans cette stratégie
de transformation urbaine, il a été son manifeste dans l’espace
urbain! L’itinéraire in situ, les installations et le mobilier urbain
créé pour les événements des Allumés, du Voyage à Nantes et de
l’Estuaire ont servi de symboles et ont permis de structurer les
politiques publiques tout en contribuant à transformer le territoire.
D’ailleurs, certaines de ces productions événementielles sont
finalement restées pérennes et elles constituent désormais des
équipements culturels emblématiques de Nantes, mais aussi des
traces de l’événement.
3 Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, élu en 1989.
l’événement, un second temps dans la ville
108
Productions de l’événement du «Voyage à Nantes» (de haut en bas): Aéroflorale (2013) et les Anneaux (2007).
109
Le poète
L’œuvre de l’événement est d’accompagner et d’incarner une
mutation urbaine, celle-ci doit être vécue et éprouvée par les
citadins, pour qu’ils saisissent la transformation et s’approprient
leur ville...
L’urbaniste
Oui, l’événement peut en effet devenir le manifeste d’un projet de
renouvellement urbain...
Le poète
Bien sûr, elle en devient alors l’expression sensible et perceptible!...
Nancy est justement en plein renouvellement urbain, elle a
récemment entamé un grand projet de rénovation, je crois...
L’urbaniste
Oui tu parles de «Nancy Grand Cœur», c’est le projet phare de la
ville en ce moment! L’ami que je vais voir demain m’en a beaucoup
parlé, l’ADUAN a travaillé sur ce projet, en termes de diagnostic et
d’orientation stratégique.
Le poète
Oui, c’est ça, Nancy Grand Cœur! D’après ce que j’ai lu, il s’agit
d’un projet gigantesque, qui va durer jusqu’en 2019! C’est la friche
ferroviaire, autour de la gare TGV et du nouveau centre des congrès,
qui va être transformé en «poumon vert» du centre-ville. Dans
l’article4, ils parlaient du «chantier de la prochaine décennie»...
L’urbaniste
Et ce sur une emprise de quinze hectares! En fait, c’est un projet
de requalification du quartier de la gare qui va accueillir des
logements, des bureaux et des commerces. Ce nouvel écoquartier a
même été labellisé par le Ministère de l’Écologie, de l’Énergie et du
Développement durable. Des parcs et jardins vont être créés dans
la ville révélée par l’événement
4 Rubrique de...
110
ce secteur où les moyens de transports seront mixtes : vélo, piéton,
voitures et transports en commun...
Le poète
Le développement durable et l’écoquartier sont les ambitions fortes
de ce projet?
L’urbaniste
Pas seulement! En investissant un quartier qui implique les flux
de neuf millions de voyageurs, le projet s’attaque à la zone la plus
fréquentée de Nancy. Le mot clé c’est donc la mobilité! Nancy mise
dessus pour aspirer à une réelle métropolisation. Pour répondre
à cet enjeu qui concerne directement les pratiques urbaines, un
système de gouvernance a même été imaginé, plaçant le citadin au
cœur des projets de déplacements et d’aménagements urbains.
Le poète, , hochant vigoureusement la tête
Oui, j’en ai aussi entendu parler. Cette gouvernance s’inscrit
dans une structure appelée la Fabrique de Nancy. Différents
intervenants: concepteurs, techniciens, associations et citoyens s’y
réunissent, se concertent et débattent ensemble. L’objectif est que
cette participation permette au citadin de se projeter positivement
dans le changement proposé, de se l’approprier et de s’y investir.
L’urbaniste, très fier
Exactement! Et ce concept d’urbanisme participatif est une belle
initiative! Comme je te l’ai dit, l’urbaniste d’aujourd’hui a compris
que son rôle de démiurge est révolu, il cherche maintenant à
favoriser la participation entre les acteurs d’un projet en orchestrant
leur communication sur le futur d’un territoire. Cette stratégie est à
la fois fédératrice et démocratique!
Le poète
Oui, c’est un belle manière de penser la ville, mais cette participation
acte iii
111
reste limitée puisque tous les citadins n’interviennent pas dans le
projet!...
L’urbaniste, très agacé
Évidemment! Mais comment veux-tu que ce soit possible?! Si
l’on attend l’avis de tous les Nancéiens sur le projet, on n’est pas
prêt d’avancer! Quelques représentants des citadins, ce n’est
pas suffisant pour toi peut-être?! Tu ne voudrais pas créer une
gouvernance lorraine, non plus?!...
Le poète
Mais laisse-moi finir au moins, au lieu de t’emporter comme ça!...
Tout ce que je dis, c’est que cet urbanisme participatif permet à
une partie des citadins de mieux comprendre et s’approprier
leur territoire mais il peut être repoussé encore plus loin pour
sensibiliser les citadins, en général. Comme Nantes l’a montré,
l’événement peut être le manifeste d’une stratégie urbaine. Et
les enjeux de mobilité de Nancy Grand Cœur rejoignent ceux de
toute la ville, il y a une cohérence que l’événement pourrait mettre
en évidence dans sa mise en œuvre. D’autant que le chantier
Nancy Grand Cœur prend place dans une zone très fréquentée au
quotidien, il ne serait donc pas seulement question de toucher les
citadins de Nancy Grand Cœur, mais les Nancéiens en général!...
L’urbaniste, ouvrant de grands yeux
Hum! Je vois où tu veux en venir, ce serait un moyen de permettre
aux citadins d’avoir deux approches complémentaires de l’espace
conçu: une participation utilitaire et une autre, ludique.
Le poète
Oui! Mais l’événement rendrait surtout lisible la ville. Les citadins
verraient ce qui a été créé et cela leur permettrait de s’approprier
cette nouvelle identité urbaine.
la ville révélée par l’événement
112
L’urbaniste
Auquel cas, il serait question de s’inscrire dans une stratégie et
un temps long de l’action du projet urbain, l’événementiel peut
constituer dès lors un terrain d’interrogation pour penser les
articulations complexes entre événementiel et pérennisation, dans
un contexte de ville «mutable». Mais qu’imagines-tu concrètement
comme type d’événement, une inauguration?
Le poète
Forcément, cet événement devrait se manifester lors de la
«naissance» de Nancy Grand Cœur! En assistant à cette
naissance du quartier (ou plutôt renaissance), les citadins seront
présents à un événement fort et marquant qui s’ancrera dans
leur mémoire durablement. Mais pour que l’événement soit
manifeste de la stratégie urbaine de Nancy Grand Cœur, il devra
en être représentatif. Il devra donc, au même titre, faire partie d’un
processus de transformation progressif et impliquer différentes
temporalités.
L’urbaniste
L’enjeu d’un tel projet résidera alors dans le dialogue entre
l’urbaniste et le citadin, mais aussi entre les différentes temporalités
du quotidien des citadins.
114
POSTFACE
*Le poète sent ses paupières lourdes, il se redresse de la méridienne,
retire ses lunettes, se frotte les yeux. Il range ses lunettes dans la
poche de sa veste, puisque de toute façon, à présent il y voit flou
avec ou sans lunettes.
Le poète
Bon! Je vais te laisser te reposer, je sais que demain un long trajet
t’attend! Nous reprendrons notre discussion une autre fois... Tiens,
la prochaine fois, c’est moi qui t’invite!
L’urbaniste, l’air fatigué, les yeux cachés derrière le verre épais
de ses lunettes
Entendu...
Le poète, secouant la tête avec un sourire badin
Je m’impressionne quand même de t’avoir fait admettre la dualité
entre la ville conçue par les urbanistes et l’espace vécu par les
citadins! Qui l’eut cru?!
L’urbaniste
Eh bien, il en faut peu pour t’impressionner, surtout que je n’ai
pas, à proprement parler, admis cette dualité! Je reconnais
seulement, en tant qu’humble urbaniste, que l’espace urbain tel
que nous l’avons conçu n’a pas été en mesure de répondre à tous
les besoins des citadins, en dépit des honnêtes et bonnes intentions
de ses concepteurs. Je suis juste lucide et surtout je fais preuve de
modestie, tu devrais essayer à l’occasion!...
Le poète, riant
Oh je te taquine! Je suis juste surpris que nous ayons pu avoir
une conversation aussi ouverte, mais positivement surpris! Je
115
redoutais que l’on ait un dialogue de sourd, où chacun campe
sur ses positions, mais ça n’a pas été le cas, au contraire! Moi
même, tu sais, je reconnais que j’avais tendance à voir un rapport
trop manichéen entre les enjeux de la géopolitique et ceux des
citadins! Certes, dans la conception des villes modernes, les enjeux
géopolitiques ont été privilégiés au point de générer un rapport de
force entre les citadins et les concepteurs urbains. Mais je pense,
à présent, que cette dualité entre l’urbaniste et le citadin n’est pas
inéluctable, ce n’est pas une fatalité!
L’urbaniste
Oui, cela dépend de la relation qui s’instaure entre l’urbaniste et le
citadin... Mais, en même temps, la posture et les intérêts concrets
du citadin ne peuvent pas être fidèlement et assurément anticipés
avant que la ville ne soit déjà construite, c’est peut-être là que se
trouve la véritable fatalité!
Le poète
Sûrement, oui. Mais on peut contourné cette fatalité, ou plutôt la
détourner comme nous l’avons vu ...
L’urbaniste
Oui, par l’événement... Vois-tu, pour moi, cette conversation
aura surtout eu le mérite de nous faire réfléchir à l’événement!
Ce concept reste complexe, mais il est à présent plus clair! J’avais
peut-être tendance à le mésestimer...
Le poète
Et comment le définirais-tu maintenant alors?
L’urbaniste, un sourire en coin
Ah! Tu as hâtes de me l’entendre dire, n’est-ce pas?... Eh bien, ce
que j’en retiendrai, c’est surtout que la notion d’événement ne se
résume pas au fait de perturber, de rompre le cours des choses.
116
C’est aussi un moyen de révéler autre chose, dans le contexte de la
ville, une alternative urbaine.
Le poète
Oui! Que l’événement se définisse comme une dérive dans la
ville, comme une déambulation ou comme une intervention, c’est
surtout ce qui peut générer une pratique ou une vision alternative
de la ville.
L’urbaniste
En revanche, j’insisterai sur un fait! L’événement peut certes
perturber l’établi urbain et créer une alternative temporaire, mais il
n’a de pertinence et d’efficacité réelles sur le citadin, sur ses gestes
et ses comportements que s’il lui révèle le potentiel de la ville.
Le poète
Oui, bien sûr! Il s’agit de laisser une trace, de faire en sorte que
l’événement ne soit pas une simple anecdote dans l’espace de la
ville! L’enjeu temporel est une des limites de l’événement et reste
évidemment problématique... Mais l’un des moyens de s’en défaire,
ou du moins de ne pas réduire la pertinence de l’événement, est
de l’ancrer fortement dans le temps de la ville et la mémoire des
citadins. Plus que l’événement même, c’est sa trace mémorielle qui
permettra un déconditionnement réel du citadin...
L’urbaniste
Oui, mais cette trace mémorielle doit quand même impliquer une
dynamique temporelle, elle n’est pas impérissable et doit être
entretenue! La mémoire est une notion encore plus complexe que
l’événement, nous l’avons abordée avec moins d’audace... Mais une
chose est sûre, il ne suffit pas de juste «marquer le coup», du moins
pas si l’objectif se veut durable, il faut à la fois que l’événement se
réitère dans le temps, mais sans devenir prévisible pour autant...
117
Un enjeu spatio-temporel assez complexe...
Le poète
De toute manière, tenter d’étudier la «mémoire» aurait été assez
présomptueux de notre part, d’autant que ce n’est pas le fond du
problème ici! Bien que l’on parle de trace mémorielle, l’enjeu est
surtout d’affecter le quotidien des citadins, c’est la question du
«quotidien» qui importe plus puisqu’elle met en évidence les enjeux
spatio-temporels de l’événement, à la différence de la mémoire qui
implique plus le temps que l’espace!
L’événement doit tenir compte du quotidien des citadins, de leur
mode de vie habituel. Il doit agir dans le quotidien des citadins et
non contre lui pour pouvoir le rendre lisible. Mais il doit aussi tenir
compte de l’échelle du citadin dans l’espace, il doit intervenir à sa
mesure pour qu’il puisse être perçu comme appropriable....
L’urbaniste
Mais l’inverse vaut aussi! Si l’échelle de l’événement est trop infime,
on risque de tomber dans l’anecdotique ou alors dans le relatif, en
ne s’adressant qu’à certains. L’enjeu n’est pas de se placer à l’échelle
d’un citadin mais à l’échelle des citadins. Alors l’événement peut
même devenir fédérateur et socialisant.
Le poète, se massant les paupières comme pour s’éveiller
Oui oui enfin, en tout cas, il s’agit de se placer à l’échelle des
citadins pour que les pratiques alternatives proposées par
l’événement semblent appropriables. Les citadins doivent sentir
que ces pratiques sont possiblement maîtrisables. C’est ce qui leur
permettra de domestiquer l’espace urbain ; d’habiter la ville...
L’urbaniste, coupant le poète par un geste de la main
Concernant ce principe de domestication, nous ne sommes pas tout
à fait d’accord sur la manière de le définir et de le mettre en œuvre,
118
plusieurs hypothèses sont possibles! (Le poète hoche légèrement
la tête)
Le poète
Oui, il n’a jamais été question d’une réponse univoque! Je ne rejette
pas les autres possibilités mais, à mon sens, domestiquer la ville
est surtout la comprendre et avoir un lien intime avec elle. Je suis
convaincu que c’est en éprouvant un sentiment de familiarité vis-à-
vis de l’espace urbain que le citadin pourra percevoir la ville comme
un espace personnel et appropriable! Un événement qui place le
citadin dans la posture de concepteur urbain peut le permettre....
L’urbaniste, fronçant les sourcils et remuant la tête
Enfin, dans la posture de concepteur urbain... Dans la posture de
participant, ou collaborateur à un projet urbain, à la rigueur...
Le poète, plissant les yeux
Si tu préfères, oui!... Moi, je préfère l’appellation de citoyen-
créateur, je la trouve plus poétique! L’idée est qu’il participe à la
création d’un projet urbain, qu’il contribue à sa naissance ou à
son façonnage. Le citadin accède ainsi, par ce geste créateur et
participatif, au statut d’acteur urbain. Et c’est enfin un moyen
d’établir un échange concret entre l’urbaniste et l’habitant de la
ville.
L’urbaniste
Certes, mais concrètement, cet échange a plus de chance de se
faire au détriment d’un des deux partis... Et puis, ta proposition
ne répond pas tellement à la problématique du temps, l’enjeu du
quotidien. En rattachant le principe de domestication à la demeure,
la temporalité pourrait être mieux prise en compte. A mon sens,
domestiquer la ville, c’est demeurer dans la ville au point de la
percevoir comme un lieu où il est possible de rester durablement
119
pour y avoir différentes activités à différents moments.
Le poète
Pour concrétiser cette forme de domestication, l’événement créerait
alors, dans des lieux urbains utilitaires, des pratiques urbaines
secondaires qui entraîneraient la participation des citadins et leur
permettraient d’être actifs.
L’urbaniste
Oui notamment... Cela créerait un dialogue spatial plus que littéral
entre le concepteur et le citadin. La connivence entre les deux
s’exprimerait par le dessin d’un espace qui serait le support des
fonctions utilitaires comme celui des pratiques ludiques et libres...
Le poète
Ton esquisse aborde un peu plus l’enjeu de la temporalité, mais
sans vraiment y répondre non plus! Développer à la fois l’utilitaire
et le ludique dans un même espace urbain transformable nécessite
de placer ces deux pratiques, presque antagonistes, dans une
dynamique spécifique.
L’urbaniste
Oui, il ne s’agirait pas simplement de concevoir un lieu mutable,
tantôt utilitaire, tantôt ludique. Il doit y avoir un rapport
complémentaire entre les moments laissés à ces deux pratiques. Et
cela va dépendre des besoins qu’éprouvent les citadins au cours du
temps.
Le poète
Il s’agira de créer une véritable eurythmie dans l’espace urbain pour
que l’Homme moderne puisse simultanément être Homo Ludens.
TABLE DES IMAGES
Peintures, photographies et projetsPiero Della Francesca, La Cité idéale, 1470 19
Pieter Brueghel l’Ancien, Tour de Babel, 1563 19
Johann Froben, Utopia, 1518 20
Ron Herron, Walking city, 1964 21
‘‘Habitats normalisés’’ à Toulouse, 2008 27
‘‘Urbanisme normalisé’’ à Toulouse, Cergy et Marseille 28
Le Corbusier, Le Plan Voisin, 1923 29
Andrew Niccol, Bienvenue à Gattaca, 1997 31
Paul Gavarni, Le flâneur, 1842 34
Constant A. Nieuwenhuys, New Babylon, 1956-1974 48
Haus-Rucker-Co, Oasis n°7, Documenta 5, 1972 51
Superstudio, Projet utopique pour New York, 1969 51
Fête de la musique, Paris, 2014 5 4
Juliana Herrera Santacruz, Nids de poule, 2011 60
Ernest Zachaveric, George town, 2012 67
Improv Everywhere, The MP3 Experiment, 2014 68
Rolighetsteorin, The piano staircase, 2009 69
Carnaval de Venise, Italie 77
Carnaval de Rio, Brésil 78
Ugo La Pietra, ‘‘Habiter la ville, c’est être partout chez soi’’ 82
Festival du Burning man, Nevada 84
Exposition des arts décoratifs et industriels, Paris, 1932 89
Le Moulin rouge, Paris 90
L’esplanade de la Défense, de jour et de nuit 92
Productions du «Voyage à Nantes» 108
Projet de Nancy Grand Cœur 119
Dans l’appartement de l’urbanisteDans la cuisine de l’urbaniste 42
Dans la salle à manger de l’urbaniste 52
Dans le salon de l’urbaniste 106
Dans la tête du poèteSouvenirs de Nancy 98
BIBLIOGRAPHIE
OuvragesPaul Ardenne, Un art contextuel, Flammarion, Paris, 2002.
Francesco Careri, Walkspaces, la marche comme pratique
esthétique, Rayon Art, Paris, 2013.
Michel de Certeau, l’Invention du quotidien, Gallimard, Paris,
1990.
Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1996.
Henri Lefebvre, le droit à la ville II: espace et politique, [1973],
Anthropos, Paris, 2000.
Thierry Paquot, L’espace public, La découverte, Paris, 2009
Thierry Paquot, Michel Lussault, Habiter, le propre de l’humain -
Villes, territoires et philosophie, La découverte, Paris, 2007.
Marc Armengaud, Matthias Armengaud, Alessandra Cianchetta,
AWP, Paris la nuit, chroniques nocturnes, Pavillon de l’Arsenal /
Picard, Paris, 2013.
Johan Huizinga, Essai sur la fonction sociale du jeu, [1951],
Gallimard, Paris, 1988.
Walter Benjamin, Paris capitale du XIXe siècle, Cerf, Paris, 1990.
George Perec, Espèces d’espaces, Galilée, Paris, 2000.
Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, Les grandes questions sur la
ville et l’urbain, Puf, Paris, 2011.
ArticlesBoris Grésillon et Antoine Loubière, «Que fabrique l’événement?»,
Urbanisme, n°389, été 2013, p. 24-65.
Perla Serfaty Garzon, «La sociabilité publique et ses territoires -
Places et espaces publics urbains», Architecture and Comportment,
Vol. 4, 1988.
Conjointement et à l’unisson, le poète et l’urbaniste
remercient tous ceux qui ont permis leur rencontre.
Ils remercient également ceux qui ont contribué à leur
entente comme ceux qui les ont accompagné dans cette
histoire.
Deux autres noms leur viennent à l’esprit aussi, un grand
merci à Mme. Cailleau et M. Le Bourdonnec, qui ont
largement participé à cet événement.
Le poète et l’urbaniste.Pièce en trois actes.
Dans son appartement parisien, l’urbaniste reçoit son ami, le poète. En dépit de leur entente, tous deux ne perçoivent pas la ville du même œil: l’un revendiquant son statut de «concepteur de la ville» et l’autre, celui d’«arpenteur de la ville».Mais peut-être que ces deux figures sont en fait complémentaires? Peut-être même que l’accord de leurs idées respectives pourrait répondre aux enjeux actuels urbains? Ce serait un événement...
Le poète et l’urbaniste
Pièce en trois actes
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