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Le rythme dans la musique acousmatique

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Page 1: Le Rythme Dans La Musique Acousmatique - Lautaro Vieyra

 

Le  rythme  dans  la  musique  acousmatique  

 

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Le  Rythme  Dans  la  Musique  Acousmatique  Lautaro  Vieyra  Travail  de  recherche  e  réflexion  pour  le  DEM  en  composition  électroacoustique.  

 

 

 

Directrice  du  travail  :  Christine  Groult        Conservatoire  à  Rayonnement  Départementale  de  Pantin    

 

 

 

   

2009    

 

 

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Introduction

En demandant, à l'auditeur sans expérience d’écouter de la musique acousmatique, quel est son avis sur une œuvre de ce type, on entend très souvent des affirmations telles que : « je ne trouve pas le rythme » ; affirmation qui, très probablement, vient du fait qu’on associe le rythme à l’idée de pulsation isochronique.

En dépit de l’affirmation précédemment évoquée, le rythme est très présent dans la musique acousmatique : l’objet de ce mémoire sera d’en dévoiler ses différents aspects.

La mission n'est pas simple, puisque pour l'entreprendre nous devons retenir un concept du rythme utile pour notre travail, une entreprise peu évidente de prime abord. À la difficulté propre de la tâche nous devons lui ajouter les limitations propres à l’auteur ce mémoire, puisque cette réflexion est le travail d'un musicien et non d'un musicologue.

Nous commencerons par étudier l'étymologie du mot rythme et les différentes significations que le dictionnaire lui accorde. Nous mobiliserons également les apports de la psychologie dans son approche de la notion de rythme en particulier dans la manière dont il peut être perçu.

Pour illustrer cette première approche du rythme, nous analyserons un antécédent historique d’une manifestation musicale avec un rythme non isochronique : la monodie liturgique et la polyphonie médiévale.

Enfin, nous développerons succinctement les concepts de rythme structurel, geste, Unités Sémiotiques Temporelles et séquence - jeu.

Conceptualisation du rythme

Dans la construction d'un concept de rythme approprié pour la suite de cette réflexion, nous verrons que le rythme n'implique pas nécessairement régularité. Ce n’est qu’en se défaisant de cette limitation que l'aspect rythmique de la musique acousmatique peut apparaître sous des formes très diverses. Evidemment, ceci ne signifie pas que la musique acousmatique est dénuée de régularité.

Si nous nous référons à l'étymologie du mot, le rythme provient du grec. Émile Benveniste1 le rattache plus précisément à la philosophie ionienne et notamment des philosophes comme Leucippe et Démocrite. Ceux-ci associent le concept de rythme à la « forme », c'est-à-dire, selon Démocrite, « disposition caractéristique des parties ».

                                                                                                               

1  Émile  Benveniste  (1902  –  1976),  linguiste  français.  

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Benveniste est allé plus loin et clarifie que le rythme est appliqué à la forme au moment où elle est assumée par ce qui se déplace : c’est la forme inattendue, momentanée, modifiable. Plus tard, Platon définira le rythme comme l’« ordre dans le mouvement ».

Si nous poursuivons notre approche de la notion de rythme dans le dictionnaire, nous nous trouvons face à une pluralité de significations. En consultant le site Web du CNRTL (Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicaux), le concept de rythme peut être lié aux phénomènes naturels (le jour et la nuit, les marées, les saison de l'année, etc.), les processus corporels (le rêve, l'alimentation, quelques organes du corps, etc.), le rythme vital (division de la vie humaine en de grandes périodes caractéristiques physiquement ou psychiquement), le rythme mécanique (comme le rythme du moteur d'un camion), le rythme des mots (ou prosodie), le rythme social, etc.

Évidemment, le concept de rythme est polysémique, mais nous pouvons trouver quelques dénominateurs communs à toutes ces significations :

« Il n'y a pas de structuration rythmique qui ne soit temporelle, sauf dans le cas analogique des rythmes spatiaux. »2. En effet, le rythme est constitué comme « la première technique ou manière de dominer ou de domestiquer le temps. »3

Le rythme implique mouvement, alternance, variation, contraste entre, au moins, deux éléments (par exemple deux gestes). « Comme variation d’intensité, alternance de temps accentués et atones, activité et intervalle, le rythme implique de la discontinuité, une variation, mais sa périodicité constitue la répétition d'une séquence, d'un mouvement. Le rythme est ainsi une configuration de la variation et la répétition. »4 De plus, l'alternance peut apparaître, bien sûr, tant de manière isochronique que non isochronique.  

Mais notre regard est orienté vers le rythme musical en particulier. La musique, sans sous-estimer les problèmes de spécialité, est un art temporaire, puisque c’est dans le temps qu’elle dévoile ses structures, sa concrétisation, elle se manifeste dans le temps et c’est dans le temps que nous prenons conscience d’elle. Il est très

                                                                                                               

2  Psychologie  du  rythme.  Paul  Fraisser.  Presses  Universitaires  de  France,  1974,    page  108.  

3  Contre  le  temps.  Agustin  García  Calvo.  1993.  Page  134.  

4  Rythmes  sociaux  et  arythmie  de  la  modernité.  Amparo  Lasén  Díaz.  Politique  et  Société  Nr.  25º,  1997.  

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compréhensible alors que Stravinsky ait défini la musique comme une « certaine organisation du temps ».5

Si on parle de temps, on peut distinguer deux catégories différentes, le « temps chronologique », qui peut être mesuré en minutes et secondes, et le « temps psychologique », c’est-à-dire, la représentation interne, construite par le sujet et sa perception du devenir temporel. C’est plutôt le temps psychologique le centre d’intérêt du compositeur, puisque les processus formels et sémiotiques de l'œuvre prennent vie quand ils sont reconstruits dans la conscience du percepteur.

La perception et l'expérience rythmique

L'auditeur accède à la musique grâce à sa perception, fonction psychique qui, à travers les sens, permet au sujet de recevoir, d'élaborer et d'interpréter l'information provenant de son environnement.

La psychologie de la Gestalt (mot provenant de la langue allemande, qui pourrait être traduit comme forme, figure ou structure) a consacré une attention particulière aux phénomènes de la perception. Un de ses apports fondamentaux est l’idée de champ temporel ou temps psychologique. « Comme en ouvrant les yeux nous saisissons un champ spatial, à chaque instant nous avons un champ temporel. Du temps, qui coule comme une source, nous ne retenons, selon la métaphore d’Henri Piéron, que ce qui contient le creux de notre main. Il faudrait ajouter qu’à mesure que notre main s’est remplie nous la vidons pour la remplir à nouveau. »6

Ce champ temporel ou présent psychologique est la caractéristique fondamentale de notre perception et sa façon d’assimiler le devenir temporel. Sans présent psychologique, pas de perception globale du successif et sans perception globale pas de structure rythmique.7

On peut constater avec le psychologue Paul Fraisser, dans son libre « Psychologie du rythme », que l’utilisation du concept de structure rythmique est due au fait que notre perception a tendance à grouper les stimulations sensorielles, « dans certaines conditions de succession, les stimulations sont perçues comme groupées et la                                                                                                                

5  Poetics  of  Music  in  the  Form  of  Six  Lessons.  Igor  Stravinsky.  Trad.  De  Arthur  Knodel  et  Ingolf  Dahl.  Cambridge,  Mass.,  1947.  Page  28.  

6  Psychologie  du  rythme.  Paul  Fraisser  .  Presses  Universitaires  de  France,  1974,    page  10.  

7  Ibis.  Page  75.  

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répétition de ces groupes donne naissance à la perception du rythme. »8 Le groupement des éléments peut être subjectif ou objectif et a ses limites, liés à la durée et la quantité d'éléments. Par exemple, si on écoute tomber des gouttes d’eau provenant d’un robinet mal fermé, on les percevra groupées par deux ou trois, plus rarement par quatre, même si la cadence de leur chute est parfaitement régulière. Dans ce cas là on parle de rythmisation subjective. Par contre, si un intervalle périodique plus long que les autres crée une pause, ou si un élément sur deux ou sur trois est accentué, la rythmisation serait dite objective.9

Nous pouvons aussi voir qu’il y a des paramètres déterminants pour le groupement des stimulations sensorielles, ce sont la pause et l'accent (ce principe est évidement attaché à l’idée schaefferiene d’articulation et appui). La pause a la fonction de séparer les différents groupes de la structure rythmique, ou à travers un son d'une plus grande durée ou un silence (Piste 1), elle dépend de cette structure. « L’intervalle entre deux groupements successifs apparaît plus long que les intervalles entre les éléments du groupe (à égalité physique), on parle alors de pause. »10 L’accent (Piste 2) est, bien sûr, lié à l’intensité, mais aussi à la durée, la hauteur et le timbre du son, une variation d’un de ces paramètres peut être perçue comme un accent. La répétition (Piste 3) joue aussi un rôle important, même dans les compositions où « (…) tout phénomène de répétition a été aboli consciemment par le compositeur, ces œuvres peuvent néanmoins contenir certaines répétitions repérables au moment de la réception. »11 En fait, un message doit présenter un certain degré de redondance pour ne pas tomber dans l’entropie, c’est-à-dire dans l’absence de toute signification causée par un excès d’information.12

La psychologie de la Gestalt a énoncé des postulats qui nous aideront à comprendre les phénomènes perceptifs :

• La perception consiste en une distinction de la figure sur le fond (vase de Rubin). Ce rapport entre figure et fond peut changer, c’est à dire, la figure peut devenir fond et vice-versa. (Piste 4)

                                                                                                               

8  Ibis.  Page  74.  

9  Ibis.  Page  74  et  75.  

10  Ibis.  Page  74.  

11  L’analyse  des  musiques  électroacoustiques  ;  Modèles  et  propositions.  Stéphane  Roy.  Editions  L’harmattan,  2003.  Page  268.  

12  Ibis.  Page  268  

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• La structuration des formes ne se fait pas au hasard, mais selon certaines lois dites "naturelles" et qui s'imposent au sujet lorsqu'il perçoit.

Nous mentionnerons certaines de ces lois :

• Loi de proximité : Le sujet a tendance à associer les éléments à proximité et à séparer ceux qui sont éloignés (espace tridimensionnel, localisation temporelle, ambitus spectral et mélodique). (Piste 5)

• Loi de similarité : Le sujet aura une propension à associer des éléments semblables et à dissocier les éléments dissemblables (timbre, facture, morphologie des sons en général, texture). (Piste 6)

• Loi de bonne fermeture : indique que le sujet a tendance à percevoir une forme complète là où les éléments qui composent cette forme ferment adéquatement celle-ci (profils mélodiques, dynamiques, spectraux, spatiaux). (Piste 7)

• Loi du destin commun : stipule qu'un sujet a tendance à grouper des éléments disparates en une forme lorsque la variation de ces éléments converge vers une même direction (profils mélodique, dynamique, spectral, spatial). (Piste 8)

• Loi de bonne continuité : favorise le groupement lorsque la variation des éléments présente une continuité prévisible (profils mélodique, dynamique, spectral, spatial, homogénéité du timbre, de la hauteur). (Piste 9)

• Loi de mouvement commun : montre qu'un sujet favorise le groupement d'éléments qui varient simultanément et de façon similaire (profils mélodique, dynamique, spectral, spatial) (Piste  10)

Ces lois agissent en même temps et sont parfois contradictoires.

Ce que nous venons d’énoncer sur la perception pourrait être résumé ainsi : le rythme est perçu à travers ses structures, le sujet perçoit et ordonne ces structures en fonction des limites de sa perception, des lois qui la régissent, des différences de durée, des pauses et des stimulations accentuelles.

Mais la psychologie s’était déjà intéressée au rythme avant les chercheurs de la gestalt. « Les premiers psychologues qui décrivent notre vie consciente se sont d’abord souciés d'expliquer les effets émotifs du rythme. L'interprétation proposée par Herbart depuis 1850 sera reprise et vulgarisée par les éditions successives du Traité de Psychologie Physiologique de Wundt : l'émotion produite par le rythme vient de la succession répétée de phases d’attentes et de

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satisfactions».13 C'est-à-dire que le rythme a aussi attiré l'attention des premiers psychologues à cause de son aspect émotif.

Nous allons maintenant présenter un style musical antérieur à la musique acousmatique. Il illustre très bien cette idée d’alternance sans temps isochrone et de succession de phases d’attentes (Arsis) et phases de satisfaction (Tesis) : il s’agit de la monodie liturgique et la première polyphonie médiévale.

Rapport avec la rythmique de la monodie liturgique et de la polyphonie médiévale

Selon Platon, le rythme est «un ordre dans le mouvement », pourtant cet ordre n’implique pas de pulsation régulière. La musique acousmatique n'exclut pas le temps isochrone , en fait, les exemples de répétition régulière dans la musique acousmatique sont abondants (Piste 11) même si elle est plutôt attachée à son absence.

Il existe un antécédent historique de musique non mesurée, qui n’était pas attachée à la pulsation régulière, mais où le rythme est plutôt la conséquence des impulsions, des accents et des durés des syllabes, c’est la monodie liturgique et la première polyphonie médiévale.

On peut trouver des parallélismes entre la façon d’organiser le temps dans le plain-chant et la musique acousmatique. Dans la monodie liturgique, en absence de temps isochronique « le rythme proprement musical était tissé dans le langage. Le langage était, par conséquent, en lui-même musical ; il était offert comme un corps sonore »14 bien que nous préférions l'appeler objet sonore. Ainsi, ce que sont l’articulation et l’appui, dans la musique acousmatique se trouvent représentées par le langage, les consonnes et les voyelles, dans le chant grégorien.

Nous devrons dire que les caractéristiques du rythme dans la monodie liturgique a été sujet á discussion. Les plus anciens manuscrits contenant des mélodies de plain-chant comportent un certain nombre de signes dits « rythmiques », en plus de la notation neumatique (qui, comme le terme l’indique, se base en neumes qui guident l’interprète en ce qui concerne la hauteur des sons). Pour les moines de Solesmes, ces signes « rythmiques » indiquent seulement des nuances d’exécution, dans un flux musical essentiellement continu. D’autres savants, au contraire, voient dans ces signes et dans les

                                                                                                               

13  Ibis.    Page  7.  

14  Le  rythme  grec  (Der  griechische  Rhythmus).  Georgiades,  Thrasybulos  ;  .  Tutzing,  Hans  Scheinder,  1977,  page  51.  

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différentes façons d’écrire les neumes eux-mêmes, des indications claires de valeurs de notes longues ou brèves. 15 Ce dernier groupe a reçu le nom de mensuralistes.

Pour Wagner et Gastoué, par exemple, c’est la quantité métrique qui explique l’alternance de la virga et du punctus dans les notations neumatiques, la virga équivalant à une syllabe longue de la prosodie et le punctus à une syllabe brève. De même, les neumes simples équivaudraient à l’ïambe (brève – longue), au trochée (longue – brève) ou au spondée (longue – longue), dans les neumes de deux notes ; au dactyle (longue – brève – brève), à l’anapeste (brève – brève – longue)ou au molosse (longue – longue – longue) pour les neumes de trois notes, etc. 16 Pendant l'âge moyen, ce type de rythme mesuré (mensura certa) a reçu le nom de musique métrique .

Selon les premières sources théoriques dont nous disposons (deuxième moitie du XII siècle), les débuts de l'annotation mesurée est en rapport, d'une part, avec l’annotation neumatique (carrée) et d’autre part avec la métrique quantitative latine, c’est à dire, les modes rythmiques que nous mentionnions dans le paragraphe précédent. Toutefois, les mêmes sources rattachent le plain-chant à un autre type de musique, avec une mesure continue (mensura non certa, numerose canere) qu’ ils ont appelé musique rythmique.17

Les divergences entre les spécialistes concernant la véritable nature rythmique du chant grégorien réside en l’inadéquation de la notation ancienne. Même si les notes longues et brèves étaient clairement indiquées, la notation ne fournit toujours pas d’indication concernant la valeur relative de ces notes.

Aujourd’hui, il semble que le chant grégorien soit généralement considéré comme appartenant à ce que l’’on appelle la musique rythmique. « Il n’y a pas lieu d’insister longuement sur les théories mensuralistes du début de ce siècle (XIX) qui n’ont trouvé aucune application durable dans la pratique »18. Guido d’Arezzo disait que le

                                                                                                               

15  La  Musique  au  Moyen  Age.  Richard  H.  Hoppin,  Nicolas  Meeùs.  Trad.  Nicolas  Meeùs,  Malou  Haine.  Editions  Mardaga,  1991.  Page  111  

16  La  rationalisation  du  temps  au  XIII  siècle  :  musique  et  mentalités  :  actes  du  colloque  de  Royaumont,  1991.  Marcel  Pérès,  Catherine  Homo-­‐Lechner,  Centre  européen  pour  la  recherche  et  l’interprétation  des  musiques  médiévales,  Fondation  Royaumont.  Creaphis  Editons,  1998.  Page  17.  

17  Réflexions  sur  l'origine  et  l'évolution  du  rythme  dans  la  monodie  liturgique  et  la  polyphonie  médiévale.  José  V.  Gonzalez  Valle.  Annuaire  musical  Nº  62.  ISSN  0211-­‐3538.  Année  2007.  Conseil  supérieur  des  recherches  scientifiques.    

18  La  rationalisation  du  temps  au  XIII  siècle  :  musique  et  mentalités  :  actes  du  colloque  de  Royaumont,  1991.  Marcel  Pérès,  Catherine  Homo-­‐Lechner,  Centre  

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rythme du chant résulte à la fois du nombre et de la durée des notes et que ces inégalités rationnelles produisent des figures rythmiques analogues aux « pieds » métriques, chaque « pied » correspond à un « temps » rythmique constitué d’un nombre variable de notes relativement longues ou brèves. 19« Il faut donc considérer les transcriptions mesurées comme des interprétations personnelles ; leur authenticité est nécessairement douteuse.20

Cette controverse dépassée, on dira que dans le chant grégorien et les premières manifestations de polyphonie médiévale, le rythme était perçu comme une conséquence de la distinction entre les sons au caractère impulsif, qu’on appelle Arsis, et les sons qui produisent une sensation de repos, qu’on appelle Tesis. Le langage, à la manière d'un objet sonore, était la « matière » qui déterminait le groupement des éléments et des différentes structures rythmiques. Le rythme repose alors sur les variations continues de hauteur et d’intensité à l’intérieur de groupes de mots, qui n’ont ni durée précise ni nombre fixe de syllabes, mais qui se situent toujours entre deux inspirations (Piste 12). En fait, certains pensent même que le neume a pour étymologie le pneuma, mot provenant du grec et qui pourrais se traduire comme haleine, souffle, vent21.

On peut donc avancer que le plain-chant possède une grande quantité de particularités rythmiques comparables à celles de la musique acousmatique :

• L’absence du temps isochrone.

• Le groupement des impulsions en groupes rythmiques : dans le plain-chant ce groupement est le neume, dans la musique acousmatique ce pourrait être le geste,

• L’importance des durées, des accents et des pauses comme « signes de ponctuation » ordonnant le discours.

• Le rôle décisif du matériau dans la structuration rythmique du discours : dans le chant liturgique le matériau est le langage, dans la musique acousmatique c’est l’objet sonore.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     

européen  pour  la  recherche  et  l’interprétation  des  musiques  médiévales,  Fondation  Royaumont.  Creaphis  Editons,  1998.  Page  18.  

19  Le  Chant  grégorien  et  la  tradition  grégorienne.  Jacques  Viret.  L’âge  d’homme,  2001.  Page  85  

20  La  Musique  au  Moyen  Age.  Richard  H.  Hoppin,  Nicolas  Meeùs.  Trad.  Nicolas  Meeùs,  Malou  Haine.  Editions  Mardaga,  1991.  Page  111  

21  Psychologie  du  rythme.  Paul  Fraisser  .  Presses  Universitaires  de  France,  1974,    page  134.  

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Le rythme structurel ou le temps structure

Au XVIIIe siècle Rameau écrivait que « la simple résonance du Corps Sonore donne la loi à toute la musique théorique et pratique »22 Le son en lui même a un « caractère rythmique », le son dans sa forme la plus simple, celui que nous appelons sinusoïdal, pourrait être vu comme un rythme isochronique, s'il était possible pour notre perception de séparer chacune de ses périodes. Il y a même des sons qui ont des propriétés rythmiques à la portée de notre perception, comme par exemple les sons qu’on appelle itératifs. (Piste 13)

Il est indéniable qu'avec l'apparition de Pierre Schaeffer et la musique concrète, une véritable révolution s'est produite. Il a fait usage de lois formulées par la psychologie de la Gestalt et des principes énoncés par la phénoménologie (méthode philosophique conçue par Edmund Husserl), pour développer son analyse typologique et morphologique du son. Il nous a montré une nouvelle façon d’écouter la musique qu’il a appelé « écoute réduite ». Cette nouvelle attitude d’écoute repose sur la séparation du son (objet sonore) de sa source (corps sonore), l'attention est alors focalisée sur les caractéristiques du son en lui-même. L’écoute réduite et l’objet sonore sont ainsi corrélats l’un de l’autre ; ils se définissent mutuellement et respectivement comme activité perceptive, et comme objet de perception.23

Malgré tout, c’est Schaeffer lui-même qui dit que c’est une erreur d’« appliquer les critères d’analyse du sonore (typologie et morphologie sonore) à des structures musicales. »24 En fait, il précise dès les premières pages du Traité des objets musicaux que « les objets sont faits pour servir »25 et il ajoute : « dès qu’ils sont groupés en structures, ils se font oublier en tant qu’objets, pour n’apporter, chacun, qu’une valeur à l’ensemble. (…) En réalité, nous ne percevons pas les objets mais les structures qui nous permettent de les identifier. »26 C’est pour cela que pour comprendre le rythme dans l’art acousmatique on doit analyser la façon d’organiser les structures constitutives d’une œuvre.

                                                                                                               

22  Les  théories  scientifiques  de  la  musique  aux  XIXe  et  XXe  siècles.  Laurent  Fichet.  Publique  par  Vrin,  1996.  Page  9.  

23  Guide  des  Objets  Sonores.  Michel  Chion.  Eds.  Buchet/Chastel,  Paris  1983.  

24  Traité  des  objets  musicaux.  Pierre  Schaeffer.  Seuil.  Paris  1966  (réédition  de  1977).  Page  663  

25  Ibis.  Page  33.  

26  Ibis.    

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En fait, nous pouvons dire que le rythme musical est le « temps structure », mais aussi, que la manière de grouper les différentes structures constitutives de l'œuvre donne un « rythme structurel », qui sera perçu dans la « grand forme » de la composition.

En revenant sur ce que nous avons évoqué jusqu’ici, bon nombre de concepts semblent intimement liés et d’une certaine façon se juxtaposent. Cette observation n’est pas sans importance.

Si l’on se réfère à la définition du mot « groupe », on trouve généralement la proposition suivante « Ensemble d'êtres animés ou de choses rapprochés formant un tout. »27 De la même façon, si nous cherchons la définition du mot « structure » on obtiendra un « ensemble construit, qui fait de cet ensemble un tout cohérent et lui donne son aspect spécifique. »28 Enfin, si nous cherchons la signification du mot forme (rappelons que forme était une des traductions possibles du mot gestalt) nous arriverons à un « ensemble de traits caractéristiques qui permettent à une réalité concrète ou abstraite d'être reconnue ».29

Evidemment, les significations données aux notions de groupe, structure et forme semblent se superposer et l’on parvient à se demander où finit l’une et où commence l’autre.

Pour distinguer structure et forme on dira que la structure réside dans l’agencement des parties (objets sonores, gestes, groupes) conçu en vue de constituer un tout, une unité. La forme, c’est ce tout en tant que tel, c’est-à-dire la façon dont l’œuvre parvient à l’unité, ou la conséquence de la manière d’organiser les structures. Nous avons précédemment évoqué Platon, pour qui le rythme est « un ordre dans le mouvement » et la forme, la manière d’organiser les structures dans le temps, c’est pour cela que l’on parle du « rythme structurel ».

Le concept de forme musical a subi des modifications au cours de l'histoire. « La forme musicale de l’époque classico - romantique occidentale était une sorte d’archétype objectif intemporel (…) fondée sur un matériau thématique dont les transformations successives se bornaient à nous le présenter sous divers aspects reconnaissables dans leur essence par l’auditeur. »30 Plus tard, avec Debussy par exemple, la musique renonce au développement d’un thème mais l’œuvre une fois fixée par l’auteur est toujours égale à elle-même. À partir du XXe siècle, avec des compositeurs comme Charles Ives, nous trouvons des compositions où la forme est donnée par une série de                                                                                                                

27  Centre  National  de  Ressources  Textuelles  et  Lexicales  –  www.cnrt.fr  

28  Centre  National  de  Ressources  Textuelles  et  Lexicales  –  www.cnrt.fr  

29  Ibis  

30  Approche  d’une  esthétique  de  la  musique  contemporaine.  Luis  de  Pablo  et  Louis  Jambou.  Trad.  par  Louis  Jambou.  Presses  Paris  Sorbonne,  1996.  Page  65.  

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fragments qui peuvent soit se juxtaposer en forme libre, soit changer de dynamique et d’agogique, etc. Le temps est conçu comme quelque chose de multiple, pluridimensionnel. C’est « l’œuvre ouverte » dont Umberto Eco nous parle dans son livre « Opera aperta », de l’année 1962. On parle de pièces qui « acceptent des types opposés d’exécution, opposition dont le compositeur est lui-même spectateur, car il n’a pas préalablement défini un unique chemin à suivre. »31

En résumé, la forme dans la musique contemporaine a cessé d'avoir la fonction d'un « moule » préétabli que le compositeur remplit, bien au contraire, il est libre d'établir ses propres critères d'ordre micro et macro structurel, et par conséquent, le rythme structurel et la grande forme de sa composition.

Analyser tous les éléments qui participent à l'élaboration de la structuration rythmique – formelle (ou, si on veut, formelle – rythmique) de la musique acousmatique, est un sujet très vaste. Par conséquent, nous focaliserons notre attention sur le geste, les UST et la séquence – jeu, puisque ces trois concepts nous semblent fondamentaux pour comprendre l’organisation du temps en musique acousmatique.

Le geste, les « unités sémiotiques temporelles » (« UST ») et la « séquence-jeu»

Pendant les années 1950 on assumait que les différents paramètres d'une œuvre musicale pouvaient être traités de façon indépendante et que chaque paramètre devait être neutre.32 Suite à cette conception, l’attention était orientée sur la façon de combiner les paramètres, sur la structure de la composition. Cependant, depuis la fin des années 1970 et le début des années 80, l'influence que pouvait avoir les paramètres entre eux a commencé à être prise en considération (le concept de la psychologie de la gestalt selon lequel le tout est plus que la somme de ses parties, est très lié à ce changement de position). L'aspect symbolique et évocateur des matériaux a aussi clairement été pris en compte. Dès lors, plusieurs propositions ont émergé pour traiter ce nouveau panorama compositionnel, l’une d’elles est le geste.

En ce qui concerne la composition musicale, le geste se présente comme un « mouvement au matériel sonore qui produit une configuration délimitée, reconnaissable par l'écoute comme une unité

                                                                                                               

31  Approche  d’une  esthétique  de  la  musique  contemporaine.  Luis  de  Pablo  et  Louis  Jambou.  Trad.  par  Louis  Jambou.  Presses  Paris  Sorbonne,  1996.  Page  67.  

32  Gesture  In  Contemporary  Music.  On  The  Edge  Between  Sound  Materiality  And  Signification.  Edson  Zanpronha.  Transcultural  Music  Review  v.9,  2005.  

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(Piste 14). »33 Denis Smalley a produit de nombreux écrits sur le concept de geste - texture comme principe structurant de la musique électroacoustique et de l’analyse. Le terme geste désigne une action à partir d’une précédente position ou vers une prochaine position et implique l’utilisation de l’énergie et de ses conséquences. De plus, il est synonyme de : intervention, croissance et progrès, et est associé à la notion de causalité.34

Une pièce musicale ne peut pas être traduite. Dans la musique acousmatique, une idée ne peut être expliquée en utilisant d'autres sons comme peuvent l’être des mots, dans des langages verbaux, en ayant recours à des synonymes. C’est pour cela que le sens est étroitement lié aux matériaux, et se mélange avec lui, les sons sont des entités à part entière. Le véhicule matériel est une partie fondamentale pour la construction du sens musical. Tout ceci a permis à Edson Zanpronha affirmer que le geste se place à la limite entre la matérialité et le sens du son.35

On peut ajouter que « les gestes peuvent également être manipulés comme si étaient des motifs. »36 Un geste peut laisser dans la mémoire de l'auditeur une marque qui peut être associée à ce geste et, en réapparaissant, être interprété comme une nouvelle apparition du même geste ou semblable (Piste 15). De cette manière, le geste est établi comme une unité avec un sens propre, qui permet de construire une « superposition ou succession d’oppositions dialogiques », et par là même des structures rythmique.

Le concept de geste est très proche d’un autre concept développé au Laboratoire Musique et Informatique de Marseille (MIM) suite à la nécessité de trouver de nouveau élément d’analyse pour la musique acousmatique : Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST)

L’objet de la recherche menée par les chercheurs du MIM consistait à trouver des unités élémentaires d'organisation temporelle, non pas au niveau morphologique, mais au niveau du sens. En effet, nous disposons d'une description morphologique assez riche de l'objet sonore, grâce au travail de Pierre Schaeffer, mais la définition de l’objet sonore donné par Schaeffer est conditionnée à l’écoute réduite qui implique justement de séparer l'objet sonore de toute signification,

                                                                                                               

33  Ibis  

34  "Spectro-­morphology  and  Structuring  Processes".  Denis  Smalley  (1986).  En  Emmerson,  S.  (ed.)  The  Language  of  Electroacoustic  Music.  London:  Macmillan:  61-­‐93.  

35  Gesture  In  Contemporary  Music.  On  The  Edge  Between  Sound  Materiality  And  Signification.  Edson  Zanpronha.  Transcultural  Music  Review  v.9,  2005.  

36  Ibis  

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pour le percevoir comme pure forme et matière. Cependant, dans la pratique actuelle de la musique acousmatique, le compositeur choisit très souvent ses matériaux en fonction d'un ensemble de significations associées à ces matériaux. « Ils étaient donc à la recherche, non d’objets sonores, mais de quelque chose comme des objets sémantiques »37

De la même façon qu’un geste (ou un groupe), une UST peut comporter plusieurs unités morphologique (Piste 16) (objets sonores de Schaeffer). Ensuite, la signification temporelle n’est pas liée au contexte, c’est-à-dire, qu’elle n’est pas une conséquence de sa position dans la composition générale mais bien une conséquence de l’organisation morphologique interne.

Donc, nous définirons les UST comme segments musicaux, qui possèdent une signification temporelle en raison de leurs organisations morphologiques et cinétiques. Elles peuvent être considérées comme des représentations iconiques qui entretiennent des rapports de ressemblance avec des modèles temporels naturels. L’UST ne traduit pas le phénomène musical à son niveau acoustique, mais cherche à y trouver en quelque sorte une intentionnalité.

La méthodologie utilisée pour découvrir et décrire les UST est empirique et elle s’est basée essentiellement sur des impressions perceptives et des raisonnements par analogies. Elle a été mise au point par une équipe pluridisciplinaire comprenant des compositeurs, des peintres et des scientifiques. À l’origine de leurs hypothèses se trouve une intuition provenant de leur pratique, certaines figures sonores semblent produire un effet kinesthésique et/ou paraissent avoir une certaine « signification » temporelle : accélération, ralentissement, immobilité, etc. Les auteurs ont cherché à constituer un véritable répertoire de figures temporelles en écoutant des musiques très diverses. Ils ont donc utilisé une procédure d’observation.

Après avoir repéré les figures musicales qui présentaient une certaine signification temporelle, ils ont regroupé les « unités temporelles » qui semblaient présenter des significations analogues et ils leurs ont attribué des qualités sémiotiques, en essayant de trouver des analogies avec des « modèles naturels ». Ensuite ils sont passés à une étape plus intellectuelle, clarifier la raison de cette classification et constituer une fiche de description de chacune des différentes UST en fonction de leurs caractères morphologiques et cinétiques.

Pour chaque UST, des caractéristiques morphologiques et cinétiques ont été décrites.

                                                                                                               

37  Les  unités  sémiotiques  temporelles.  Un  niveau  d’analyse  de  l’organisation  musicale  du  temps.  Pascal  Gobin  et  François  Delalande.  Ed.  par  MIM.  Pag.  574  

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Quatre caractéristiques morphologiques ont été identifiées :

• La durée : qui peut être non délimitée ou délimitée dans le temps.

• La présence d’une seule ou de plusieurs phases.

• La présence de réitérations

• La matière (profil de masse, timbre, grain, profil mélodique)

Les caractéristiques cinétiques sont au nombre de deux :

• L’accélération, qui s’applique tant à l’évolution rythmique qu’au défilement interne de la matière.

• Le déroulement temporel.

De la configuration de ces différentes caractéristiques émergent des qualités sémantiques en rapport avec les impressions ressenties par le sujet à l’écoute de l’œuvre musicale. Trois caractéristiques sémantiques ont ainsi été décrites :

• La direction : Un ensemble de variables évolue dans le même sens ce qui rend prévisible cette évolution.

• Le mouvement : sensation de mobilité ressentie à l’écoute.

• L’énergie : Forces dégagées par la matière sonore qui sous-tendent son trajet temporel.

Dix neuf UST ont été décrites : Chute, trajectoire inexorable (Piste 17), contracté – étendu, élan, étirement, en flottement (Piste 18), sans direction par divergence d’information, lourdeur, freinage, obsessionnel, qui avance, qui tourne, qui veut démarrer (Piste 19), sans direction par excès d’information, suspension – interrogation, en suspension, par vagues, stationnaire, sur l’erre.38

Ces dix-neuf UST ont été divisées en quatre groupes, en fonction des figures temporelles kinesthésiques et attentionnelles auxquelles elles pouvaient correspondre :

• 1º groupe : Il comprend les UST délimitées dans le temps, comportant les caractères de prévisibilité, mobilité, avec des points d’appui et/ou des accélérations. Ces UST font penser à des mouvements transitifs, orientés vers un but et présentant un caractère configural. Elles suscitent

                                                                                                               

38  Les  Unités  Sémiotiques  Temporelles  (ust).  Un  nouvel  outil  d’analyse  musicale.  Description  et  approche  biosémiotique.  M.  Timsit-­‐Berthier,  Ph.  Bootz,  J.  Favory,  M.  Formosa,  J.  Mandelbrojt,  J.  Paillard,  L.  Pro’dhomme  et  M.  Frémiot.  MIM  

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l’attention volontaire de l’auditeur. On y trouve : Elan, chute, Etirement, Freinage, Contracté – étendu, Suspension – interrogation

• 2º groupe. Il comprend les UST non délimitées dans le temps comportant les caractères de prévisibilité, de mobilité mais sans accélération et sans rupture. Les dénominations données par le musicien se réfèrent à un espace bidimensionnel et évoquent des mouvements transitifs á caractère tonométrique accompagnés d’une attention automatique. On y trouve : qui avance, lourdeur, trajectoire inexorable, obsessionnel.

• 3º groupe. Ce groupe réunit des UST non délimitées dans le temps comportant bien des caractères des groupes précédents. Cependant les mouvements évoqués semblent être subis passivement, sans intentionnalité. Il comprend des réitérations, des accélérations variables sans prévisibilité. De plus, leur schème rythmique statique évoque des impressions archaïques que l’on retrouve aussi bien dans les bruits du monde intérieur (cœur, respiration), que dans les mouvements subis par le corps (bercement, balancement) Ils induisent une attention flottante. On y trouve : Par vagues, qui tourne.

• 4º groupe. Ce groupe réunit les UST non délimitées dans le temps, sans mobilité et sans prévisibilité. Elles présentent une organisation temporelle floue et les dénominations qu’en donnent les musiciens ne font pas référence à l’espace. Aucun mouvement ne peut être évoqué et l’on peut y trouver une analogie avec les mouvements expressifs. On y trouve En flottement, qui s’accompagne d’une attention flottante, En suspension, qui renvoie à un sentiment d’attente, Sans direction par Divergence d’information qui renvoie à une attention saturée par l’excès d’informations sans direction par excès d’information qui renvoie à un état de tension.

Les UST « qui veut démarrer » et « sur l’erre » n’ont pas été classées.39

Avec les UST nous nous trouvons face à des structures de type morphologique et sémiotique, qui, à la manière du geste, interagissent en oppositions dialogiques, en constituant un élément structurel qui dérive de la construction du rythme et en même temps du caractère sémantique et formel de l'œuvre.

Reste à évoquer la « séquence – jeu ». Ce concept a été mis au point par Guy Reibel, dans le cadre de son enseignement de la musique

                                                                                                               

39  ibis  

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électroacoustique au CNSMD de Paris à partir de 1975 pour sortir de la logique d'écriture par montage d'objets sonores ou de l'utilisation de trames informes et redonner vie au geste "instrumental". Sa proposition a été bien reçue et utilisée par une grande quantité de compositeurs. Il s'agit d'une idée liée à l'action d'exécution instrumentale, qui a de l'importance fondamentale pour le compositeur acousmatique au moment de la prise de son. Le corps sonore est manipulé à la manière d'un instrument traditionnel, en explorant les possibilités qu'il nous offre pour l'obtention de sons, en faisant des recherches sur différents modes d'exécution, où, si on veut, de jeu et les différentes possibilités qui offrent les moyens d’enregistrement (par exemple, les différents positions des micros). De cette manière « l'exécutant » construit une séquence (suite ordonnée d'éléments, d'opérations, de phases40) ou « phrase musical » qui aura un sens d'unité, conséquence du matériel et des modes d’action utilisé. Pendant la prise de son, il manipulera les durées, les accents, la gestualité, les différents modes de jeu, en développant un discours. Ce n'est qu'après avoir expérimenté toutes les possibilités de ce corps sonore, en relation avec le meilleur emplacement possible du micro, que l’exécutant détermine le paramètre dont il va tirer, par des gestes maîtrisés, une "écriture" variée. Pour résumer, une séquence - jeu est une phrase musicale enregistrée obtenue par une continuité d'exécution à partir d'un mode de jeu sur un corps sonore et dont le déroulement toujours renouvelé respecte les caractéristiques "naturelles" du dispositif.41 (Piste 20)

Le rôle de la séquence - jeu est central dans l'organisation temporelle du discours acousmatique, comme élément ordinateur de ce dernier.

Conclusions

D’après ce qui a été exposé dans le présent travail, nous pouvons avancer que le rythme de la musique acousmatique est loin d'être un élément absent. En fait, n'étant pas attaché à l'imposition d'un temps isochronique, mais sans l'exclure, elle nous offre des configurations d’une richesse et d’une liberté considérable.

Le compositeur, à la manière d'un sculpteur, modèle les matériaux dont il dispose en fonction de ses qualités morphologiques et sémiotiques. Son discours est tissé dans ces matériaux et les « gestes » ou « séquences » qu'il construira se succèderont ou superposeront dans une opposition dialogique qui déterminera la structure rythmique et formelle de son œuvre. Opposition dialogique parce que le développement est intimement lié à la relation entre les unités composantes de la pièce. Chaque groupe, geste ou séquence                                                                                                                

40  Centre  National  de  Ressources  Textuelles  et  Lexicales  –  www.cnrt.fr  

41  La  séquence  –  Jeu.  Denis  Dufour.  (2001)  

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participe à ce « dialogue » où il modifie tout en étant modifié, pas seulement du point de vu morphologique, si non aussi sémiotique.

Nous sommes à un moment de l'histoire musicale où les schémas préétablis n'ont pas poids. La liberté expressive s’impose et la responsabilité repose plus que jamais sur le compositeur, à lui de trouver son propre langage, sa propre structure formelle et qui plus est ses propres matériaux. Le chemin semble être sa propre recherche.

Dans cette recherche la musique acousmatique joue un rôle d’un protagonisme indéniable. La technologie numérique offre une variété de ressources considérable pour la manipulation du matériel sonore et les possibilités paraissent virtuellement infinies. L'horizon de possibilités qui s’offrent au compositeur acousmatique au moment de modeler les matériaux est très vaste.

Finalement, si le rythme est une configuration de la variation et la répétition c’est bien au compositeur seul de trouver le point juste entre ce deux possibilités.

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Exemples du CD :

1. Fragment de « Etude aux tourniquets ». Pierre Schaeffer. / Fragment de « Tempi ». François Bayle.

2. Fragment de « Les Frontières de l'autre ». Christine Groult. / Fragment de « Ronde – Notre Dame du Regret ». Michel Chion.

3. Fragment de « Concrescence ». François Bayle. / Fragment de « Capture éphémère «. Bernard Parmegiani

4. Fragment de « Music Promenade ». Luc Ferrari. / Fragmanet de « Etincelles ». Christine Groult.

5. Fragment de « Hiver ». Bernard Fort / Fragment de « Etude Elastique ». Bernard Parmegiani.

6. Fragment de « Chanson de geste ». Roger Cochini / Fragment de « La Philosophie du non - énergie libre, énergie liée » François Bayle

7. Fragment de « Trajectoire du rêve ». Adolfo Kaplan / Fragment de « La vie mécanique »

8. Fragment de « La mémoire de sons ». Bernard Parmegiani

9. Fragment de « Dans un point infini ». Beatriz Ferrreyra.

10. Fragment de « GTR ». Lautaro Vieyra

11. Fragment de « Murmureln (Tango) « de Beatriz Ferreyra. / Fragment de « La vie mécanique ». Ake Parmerud. / Fragment d’ « Eclats de voix ». Robert Normandeau / Fragment de « Foutel Project ». Matías Giuliani. / Fragment de « Prelude ». Denis Dufour.

12. Fragment de « Laetatus Sum». / Fragment de « Puer natus est novis »

13. Fragment de « Anchoic Pulse ». Panayiotis Kokoras.

14. Fragment de « Space – Scape ». Francis Dhomont. / Fragment de « Tango ». Santiago Diez Fisher / Fragment de

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« Etincelles ». Christine Groult. / Fragment de « GTR ». Lautaro Vieyra.

15. Fragment de « Sonatada ». Sergio Barroso. Fragment de « Circadian Rhythm ». Tsai-Yun Huang. / Fragment de « Space – Scape ». Francis Dhomont.

16. Fragment de « CC10 ». Joan Bagés I Rubi. / Fragment de « GTR ». Lautaro Vieyra.

17. Fragment de « Passagers Imminents ». Christine Groult

18. Fragment de « Etincelles ». Christine Groult

19. Fragment de « GTR ». Lautaro Vieyra

20. Fragment de « Coulée 1 ». Denis Dufour.

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Bibliographie :

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• Contre  le  temps.  Agustin  García  Calvo.  1993.  

• Rythmes   sociaux   et   arythmie   de   la   modernité.   Amparo   Lasén   Díaz.  Politique  et  Société  Nr.  25º,  1997

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• L’analyse   des   musiques   électroacoustiques  ;   Modèles   et   propositions.  Stéphane  Roy.  Editions  L’harmattan,  2003

• Le   rythme  grec   (Der  griechische  Rhythmus).  Georgiades,  Thrasybulos  ;   .  Tutzing,  Hans  Scheinder,  1977

• La   Musique   au   Moyen   Age.   Richard   H.   Hoppin,   Nicolas   Meeùs.   Trad.  Nicolas  Meeùs,  Malou  Haine.  Editions  Mardaga,  1991

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• Réflexions   sur   l'origine   et   l'évolution   du   rythme   dans   la   monodie  liturgique   et   la   polyphonie  médiévale.   José   V.   Gonzalez   Valle.   Annuaire  musical   Nº   62.   ISSN   0211-­‐3538.   Année   2007.   Conseil   supérieur   des  recherches  scientifiques.

• Le   Chant   grégorien   et   la   tradition   grégorienne.   Jacques   Viret.   L’âge  d’homme,  2001.  

• Les   théories   scientifiques  de   la  musique  aux  XIXe  et  XXe   siècles.   Laurent  Fichet.  Publique  par  Vrin,  1996.

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