le télescope spatial hubble est un projet international ... · l’institut scientifique du...
TRANSCRIPT
Le Télescope spatial Hubble est un projet international mené en coopération par la NASA et l’Agence spatiale européenne (ESA). L’accord de coopération ESA/NASA a été signé le 7 octobre 1977.
L’ESA a fourni deux jeux de panneaux solaires, un instrument scienti-fique (la caméra pour objets faiblement lumineux) et quelques autres éléments. Quinze chercheurs européens travaillent actuellement à l’Institut scientifique du télescope spatial (STScI), à Baltimore. Le STScI, géré par l’Association of Universities for Research in Astronomy (AURA) pour le compte de la NASA, est responsable de l’exploitation scientifique du télescope. Au titre de cette coopération, les astronomes européens sont assurés de disposer de 15 % du temps d’observation de Hubble.
Le Centre Européen de Coordination du Télescope Spatial (ST-ECF), hébergé par l’Organisation Européenne pour les Recherches Astrono-miques dans l’Hémisphère Austral (ESO) à Garching (Allemagne), offre une assistance aux utilisateurs européens. Il est géré en commun par l’ESA et l’ESO.
Textes :Lars Lindberg Christensen
Publié par :ESA Publications DivisionESTEC, PO Box 299,2200 AG Noordwijk,Pays-Bas
Rédaction :Bruce Battrick
Mise en page et maquette : Martin Kornmesser and Lars Lindberg Christensen
Traduction française :Pascale Molina et Evelyne Ron
Adaptation française :Nathalie Fourniol
Copyright:©2000 Agence spatiale européenneISBN No.: 92-9092-611-2
Clichés :
Images prises par Hubble : NASA, ESA et chercheurs
Images des missions de maintenance : NASA
Panneaux solaires (p. 15) :Russ Underwood, Lockheed Martin Missiles & Space
Image du VLT (p. 16) et image du siège de l'ESO( p. 10) : European Southern Observatory (ESO)
Image NGST (p. 16/17) : NASA
L e p r o j e t H u b b l e
10 ans d’observations … Une vision nouvelle de l’Univers – l’Europe et Hubble
A la différence des grands télescopes au sol, emprisonnés dans leur impressionnante carapace, Hubble flotte librement dans l'espace : léger, svelte, fragile en apparence, et pourtant si puissant !
Claude NicollierAstronaute et astronome, ESA
Une vision nouvelle
Hubble : un aperçu
Problèmes initiaux
L’Europe et Hubble – Science et opérations
Hubble et l’Europe – Technologie
Lancement et missions de maintenance
L’avenir
Les champs profonds L’âge et la taille de l’Univers
Evolution stellaire
Le système solaire
Trous noirs, quasars et galaxies actives
Formation des étoiles
Composition de l’Univers
Lentilles gravitationnelles
m a t i è r e s
Mission scientifique
Présentation générale 4
6
8
10
12
14
16
18
20
22
24
26
28
30
32
2
Table des Table des
4
’est en 1977 que l’ESA s’associe au projet Hubble. Dans les premiers temps, l’espoir de voir aboutir Ccette entreprise scientifique est ébranlé par deux évé-
nements : l’accident de la navette spatiale Challenger, puis la découverte de l’aberration sphérique du miroir du télescope peu de temps après son lancement. Toute perspective de retour scientifique semble alors lointaine. Aujourd’hui, dix ans après la mise en service du télescope, nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute que l’Europe, à travers l’ESA, est largement récompensée de sa participation au projet Hubble !
L’influence spectaculaire de Hubble sur l’astrophysique et la cosmologie est due pour une part non négligeable à la con-tribution intellectuelle des chercheurs européens qui, grâce à l’ESA, ont pu utiliser cet instrument exceptionnel. La pré-sence importante des astronomes européens dans les pro-grammes d’observation de Hubble et dans les publications scientifiques en découlant confirme que l’ESA a eu raison de se rallier à ce projet.
Au-delà du succès scientifique proprement dit, l’ESA peut se féliciter de l’excellence de ses contributions technologi-ques et opérationnelles au projet : caméra pour objets faible-ment lumineux, panneaux solaires, présence de chercheurs européens à l’Institut Scientifique du Télescope Spatial et au Centre Européen de Coordination du Télescope Spatial, mais aussi professionnalisme des astronautes européens lors
Une vision nouvelle Une vision nouvelle
des missions de maintenance du télescope. Dans tous ces domaines, le partenaire européen a apporté la preuve de sa fiabilité.
Les dix prochaines années de Hubble s’annoncent encore plus fructueuses pour l’ESA en termes de retour scientifi-que, car les astronomes européens profiteront de l’effet de synergie de Hubble et des grands télescopes au sol actuelle-ment en cours de mise en service. De plus, l’ESA est aujourd’hui en mesure de négocier une participation impor-tante au Télescope Spatial de Prochaine Génération (NGST) avec la NASA et l’Agence spatiale canadienne.
Compte tenu de ces excellentes perspectives, il importe que la communauté européenne, et notamment la jeune généra-tion, soient tenues au courant des progrès accomplis par l’Europe dans ce domaine. C’est pourquoi l’ESA a créé le Centre d’Information Hubble, chargé de maintenir la com-munication entre les projets Hubble et NGST, et les médias européens.
Notre vision de l’Univers a déjà changé avec Hubble. Et nous espérons tous que la deuxième décennie de ce téle-scope nous apportera un nouveau feu d’artifices de décou-vertes !
R.M. Bonnet
ESA Director of Science
« … l’ESA largement récompensée de sa participation au projet Hubble ! »
5
« Nous espérons tous que la deuxième décennie
de Hubble nous apportera un nouveau feu d’artifices de découvertes ! »
Nébuleuse Helix.
ans l’Univers « transparent » qui nous
entoure, la lumière visible peut voyager Dpendant plusieurs milliards d’années sans
subir d’altération. Mais quelques microsecondes avant
d’atteindre le miroir des télescopes terrestres, elle doit
encore traverser les turbulences atmosphériques, qui
vont brouiller l’image. C’est le même phénomène qui,
la nuit, fait scintiller les étoiles.
Pour éviter ce problème, il suffit d’envoyer un télescope
dans l’espace. C’est chose faite avec le télescope Hubble,
qui a déjà réalisé une série de découvertes parmi les plus
spectaculaires de l’histoire de l’astronomie. Hubble (bap-
tisé ainsi en hommage à l’astronome américain Edwin
Hubble) scrute l’espace lointain, qui recèle certaines
des grandes énigmes de l’Univers. De son poste
d’observation à 600 km de la Terre, il peut capter la
lumière avant qu’elle ne soit déformée par l’atmosphère
grâce à son « œil » dix fois plus perçant que celui des
télescopes au sol les plus puissants. Son instrument
d’observation dans l’ultraviolet, le plus grand jamais
emporté dans l’espace, capte des longueurs d’ondes qui
sont complètement absorbées par l’atmosphère avant
d’atteindre le sol. Loin au-dessus de l’atmosphère,
Hubble bénéficie d’une vue claire jusqu’aux frontières
de l’espace et aux origines du temps.
.
Hubble
6
Hubble
Q u e l q u e s c h i f f r e s
Date de lancement – 24 avril 1990
Masse au lancement – 11.110 kg
Dimensions – Longueur : 15,9 m – diamètre : 4,2 m
Panneaux solaires – 2,4 m x 12,1 m chacun
Instruments actuels – WFPC2, STIS, NICMOS, FOC et
détecteurs de guidage de précision
Orbit – circulaire à 593 km au-dessus de la Terre, inclinaison de
28°5 par rapport à l’équateur
Durée de vie prévisionnelle – 20 ans
Coût – participation financière de l’ESA au projet Hubble : 593
millions d’euros (aux conditions de 1999)
U n
Hubb
le r
énov
é ap
rès
la m
issi
on S
M3A
.
U n a p e r ç u
I n s t r u m e n t s
Dès sa conception, il était prévu de faire de Hubble un ob-
servatoire spatial permanent et d’en assurer la maintenance
au moyen de la navette spatiale. Ces missions de mainten-
ance permettent aux astronautes de remplacer et remettre à
jour les instruments scientifiques à bord. Parmi ces instru-
ments scientifiques, on compte actuellement deux caméras,
deux spectrographes-imageurs et plusieurs dispositifs de gui-
dage de précision (pour l’astrométrie).
Affranchis des contraintes atmosphériques, les instruments
peuvent produire des images à haute résolution des objets cé-
lestes. Alors que les télescopes au sol affichent rarement une
précision meilleure que 0,5-1,0 seconde d’arc, même dans
des conditions d’observation optimales, Hubble se distingue
par une précision de 0,05 seconde d’arc, environ dix fois
meilleure.
1Caméra Planétaire à Grand Champ 2 (WFPC2)
WFPC2, instrument vedette du télescope, enregistre des
images via une sélection de 48 filtres couleurs, dans une
plage spectrale allant de l’ultraviolet lointain au proche
infrarouge en passant par le visible. C’est cette caméra
qui a livré la plupart des images saisissantes portées à la
connaissance du grand public. Sa résolution et son ex-
cellente qualité en ont fait l’instrument le plus utilisé au
cours des dix premières années d’exploitation de Hub-
ble.
2Spectrographe-Imageur du Télescope Spatial (STIS)
STIS est un instrument à double emploi de haute
technologie : il consiste en une caméra et un spectrogra-
phe, conçus pour fonctionner dans une large gamme de
longueurs d’ondes allant du proche infrarouge à
l’ultraviolet.
Caméra Proche Infrarouge et Spectromètre Multi-Objets 3(NICMOS)
NICMOS peut prendre des images dans l’infrarouge et
réaliser des observations spectroscopiques de cibles astro-
nomiques. Il détecte la lumière infrarouge, invisible à
l’œil humain, entre 8 000 et 25 000 angströms. Actuelle-
ment en sommeil, NICMOS sera doté d’un nouveau sys-
tème de refroidissement lors de la prochaine mission de
maintenance (3B).
4Caméra pour Objets Faibles (FOC)
Cette caméra été construite par l’ESA. Conçue pour
fonctionner dans le visible et l’ultraviolet, elle compte les
photons (particules lumineuses) incidents. Elle livre des
images d’une netteté exceptionnelle, supérieure à celle de
WFPC2.
5Instruments de Guidage de Précision (FGS)
Hubble possède à son bord trois FGS, dont deux assurent
le pointage et le verrouillage du télescope sur sa cible. Le
troisième, utilisable en astrométrie, effectue des mesures
de position très précises visant à déterminer les distances
stellaires et à étudier les systèmes d’étoiles binaires.
7
a p e r ç u
Rem
plac
emen
t de
la W
FP
C1 p
ar la
WF
PC
2 (
mis
sion
Sm
1).
Rem
plac
emen
t du F
GS
(mis
sion
SM
2).
Hubb
le w
ith i
ts i
nst
rum
ent
bay
open
, SM
3A
.
(1)Wide Field and Planetary Camera 2, (2) Space Telescope Imaging Spectrograph, (3) Near Infrared Camera and Multi-Object Spectrograph, (4) Faint Object Camera, (5) Fine Guidance Sensors
8
Au cours de la première mission de maintenance
(décembre 1993), les astronautes ont exécuté les
réparations nécessaires pour permettre au téles-
cope de fonctionner au niveau de performance
prévu initiallement. Bien que les deux missions
suivantes aient été au moins aussi complexes et
astreignantes, la première a captivé l’attention de
la communauté scientifique et du grand public à
un degré inégalé par d’autres vols de navette.
Méticuleusement préparée, brillamment exécu-
tée, la mission fut un succès à tous les niveaux.
Elle marquera un des temps forts de l’histoire des
vols spatiaux habités.
Problèmes initiaux Problèmes initiaux
A b e r r a t i o n s p h é r i q u e
Aujourd’hui, l’excellent fonctionne-
ment du Télescope Spatial Hubble
nous semble aller de soi. Néanmoins,
tout juste après le lancement, la réalité
nous a rappelé qu’un engin aussi
complexe et techniquement innovant
pouvait rencontrer quelques problè-
mes.
Le problème le plus grave a été celui de
l’aberration sphérique. Ce défaut
d’optique, dû au dysfonctionnement
d’un dispositif de mesure utilisé
pendant le polissage du miroir,
condamnait Hubble à offrir une
qualité d’image qui, si elle surpassait à
bien des égards celle des télescopes au
sol, n’était pas encore optimale.
L’analyse de ce problème et la mise au
point d’une optique correctrice, véri-
table prouesse technique, ont remar-
quablement illustré la qualité de la
collaboration entre ingénieurs et scien-
tifiques européens et américains.
P a n n e a u x s o l a i r e s
Autre difficulté, moins complexe mais gênante et
inacceptable : les panneaux solaires transmet-
taient au satellite des vibrations déstabilisantes
causées par leur système de fixation, sensible aux
écarts thermiques de l’ordre de 200° C enregi-
strés lors des passages de la phase diurne à la
phase nocturne (et vice versa) de l’orbite.
R é p a r a t i o n
Inst
alla
tion
de
l'opt
ique
corr
ectr
ice
CO
STA
R (
mis
sion
SM
1).
A v a n t c o r r e c t i o n A p r è s c o r r e c t i o nGalaxie spirale M100 avant et après la correction du défaut optique de Hubble.
Noyau de la galaxie active NGC 1068 avant et après la correction du défaut optique de Hubble.
9
A v a n t c o r r e c t i o n A p r è s c o r r e c t i o n
L’Europe et HubbleL’Europe et HubbleS c i e n c e e t o p é r a t i o n s
Utilisation de Hubble par l’Europe
En échange de la contribution de l’ESA, les cher-
cheurs européens sont assurés de disposer de 15%
du temps d’observation de Hubble. Le temps est
alloué sur la base de critères strictement scientifiques
par un groupe international comprenant des experts
européens. Pendant les neuf cycles d’observations
précédents (environ 9 ans), le temps alloué aux Euro-
péens a toujours dépassé le minimum garanti. Il a
même avoisiné les 25% ces dernières années.
Hubble a été utilisé par des chercheurs de la plupart
des Etats membres de l’ESA. Au cours des neuf pre-
miers cycles, plus de 850 astronomes européens ont
participé, en tant que responsables de recherche (PI)
ou chercheurs associés (Co-I), à au moins un pro-
gramme d’observation. Nombre d’entre eux ont été
associés à plusieurs cycles d’observation.
Le succès d’une mission scientifique peut se mesurer
au nombre et à la qualité des communications pub-
liées dans la presse spécialisée. Le nombre des arti-
cles s’appuyant sur les observations de Hubble est en
constante augmentation chaque année depuis le lan-
cement du télescope. Environ 3 articles sur 10 comp-
tent au moins un auteur ou coauteur européen,
signe de l’importance de Hubble pour l’astronomie
européenne.L’équipe du STScI à Baltimore comprend 15 scientifiques dépêchés par l’ESA au titre de la participation de l’Europe au projet Hubble. Ce contingent européen n’a pas seulement joué un rôle important dans l’exploitation de l’observatoire, mais a aussi souvent compté dans ses rangs de jeunes astronomes. De nombreux scientifiques européens ont effectué des recherches au STScI et plusieurs étudiants européens y ont terminé leur doctorat. Il s’agit d’un excellent retour sur investissement.
Duccio MacchettoAstronome à l’ESA, Chef de la Division Programmes scientifiques au STScI
Le projet Hubble est d’une importance capitale pour l’Astronomie européenne. Il a permis aux scientifiques européens de bénéficier d’un observatoire de classe mondiale que l’Europe n’aurait jamais pu construire ni exploiter à elle seule et de rester compétitifs, voire d’occuper le devant de la scène dans plusieurs domaines de l’astrophysique et de la cosmologie. Aujourd’hui, l’astronomie européenne est bien placée pour tirer parti de l’expérience de Hubble et exploiter efficacement les grands observatoires en cours de construction ou en projet, par exemple le VLT de l’ESO, Gemini et le NGST.
Piero BenvenutiResponsable scientifique du projet Hubble pour l’ESA, Directeur du ST-ECF
10
Sièg
e de
l’ESO
à G
arch
ing,
prè
s de
Mun
ich.
11
Centre Européen de Coordination du Télescope
Spatial (ST-ECF)
Géré conjointement par l’ESA et l’ESO, le ST-ECF
aide les utilisateurs européens à préparer des propo-
sitions d’observations et à mener l’analyse scientifi-
que de ces dernières. Il gère également les archives
scientifiques de Hubble, dont les données sont ac-
cessibles aux astronomes via Internet.
Les données recueillies par Hubble sont la propriété
exclusive des observateurs pendant un an. Passé ce
délai, toutes les données sont rendues publiques. En
dix ans, les archives Hubble ont accumulé plus de
130 000 images exceptionnelles, véritable mine d’or
pour la recherche astronomique dans les années à
venir.
Institut scientifique du Télescope Spatial
(STScI)
Le STScI assure l’exploitation scientifique de
l’Observatoire International Hubble. Installé sur le
campus de l’Université Johns Hopkins à Baltimore,
le STScI est géré par l’AURA (Association of Uni-
versities for Reasearch in Astronomy) pour le comp-
te de la NASA. Ses effectifs actuels sont de l’ordre de
500 personnes, dont une centaine d’astronomes et
de scientifiques, parmi lesquels 15 sont détachés par
l’ESA.
Le STScI assure la sélection et l’exécution des pro-
positions d’observations, le suivi scientifique du
télescope et de ses instruments ainsi que l’archivage
et la distribution des données.
La NASA vient de désigner le STScI comme respon-
sable de l’exploitation scientifique du Télescope Spa-
tial de Prochaine Génération (NGST).
Néb
ule
use
par
réf
lexi
on N
GC
1999 d
ans
Ori
on.
12
T e c h n o l o g i e
Hubble et l’Europe Hubble et l’Europe
Hubble offre aux scientifiques européens la
possibilité de mener des recherches d’avant-
garde. De plus, conformément à l’un des
objectifs majeurs de l’ESA, il permet à
l’industrie européenne de développer et fab-
riquer du matériel spatial sophistiqué fai-
sant appel aux technologies les plus évoluées.
L’ESA et l’industrie européenne ont tra-
vaillé ensemble à la conception, au déve-
loppement et à la fabrication de la caméra
pour Objets Faiblement Lumineux
(FOC). Cet instrument représentait un
défi considérable puisqu’il fallait faire
fonctionner dans les conditions extrêmes
de l’espace une technologie éprouvée uni-
quement en laboratoire. En dépit de ces
difficultés, l’instrument fournit de mer-
veilleux résultats.
A. LinssenChef du Bureau « Soutien de gestion du projet » à l’ESA
Au-delà du retour scientifique, l’esprit d’équipe qui s’est développé dans le cadre de Hubble entre l’ESA/l’industrie européenne et la NASA/l’industrie américaine a été propice à la naissance de liens d’amitié durables.
FOC
Panneaux solaires
13
Hubble pendant la mission SM2.
Panneaux solaires de Hubble.
L’observatoire est alimenté en énergie par
deux immenses panneaux solaires conçus,
développés et fabriqués par l’industrie
européenne sous la direction de l’ESA.
Ces frêles structures, qui s’effondreraient
sous leur propre poids si elles étaient
déroulées sur Terre, ont été conditionnées
de manière à résister aux contraintes
extrêmes du lancement. Déployés en orbi-
te, les panneaux doivent rester orientés
vers le Soleil, rechargeant sans discontinu-
er les batteries du télescope. Les respons-
ables de leur conception n’ont pas eu le
droit à l’erreur, la mission ne pouvant sur-
vivre à une panne totale d’alimentation
causée par une éventuelle défaillance des
panneaux.
L’industrie européenne a participé, au
côté de l’ESA, à la réussite de Hubble,
fruit d’une collaboration réellement inter-
nationale entre l’Europe et les Etats-Unis.
Si cela n’a peut-être rien de surprenant de
nos jours, il ne faut pas oublier que lors
du démarrage du projet, au milieu des
années 1970, l’Europe n’était pas aussi
unie qu’aujourd’hui. Des projets spatiaux
de grande envergure comme Hubble ou
certains projets strictement ESA ont joué
un rôle de catalyseur dans la consolidati-
on de l’Union européenne telle que nous
la connaissons aujourd’hui.
14
Lancement
et missions de maintenance
Le télescope spatial Hubble est lancé à bord
de la navette Discovery le 24 avril 1990 à
12 h 34 (TU) et largué dans l’espace le 26
avril à 19 h 38 (TU) à une altitude de plus
de 600 km.
Missions de maintenance
Les missions de maintenance qui ont per-
mis de conserver le télescope et ses instru-
ments en parfait état de marche sont l’une
des idées novatrices de Hubble. Il était
prévu à l’origine de desservir le télescope
tous les 30 mois et de le ramener au sol
tous les 5 ans pour une révision générale.
Ce plan a changé et prévoit maintenant
une visite de la navette tous les 3 ans envi-
ron, sans révision à Terre.
Première mission de maintenance
(SM1)
Handicapé par l’aberration sphérique de
son miroir primaire, Hubble n’a pas
répondu aux attentes des astronomes
pendant les trois premières années. A
l’occasion de la première mission de
maintenance (1993), les astronautes,
parmi lesquels le Suisse Claude Nicollier,
ont installé un dispositif de correction
optique, le COSTAR, pour remédier à la
«myopie» de l’instrument. Dès lors, l’âge
d’or de Hubble a commencé : les images
étaient d’une excellente netteté et des
résultats nouveaux et surprenants étaient
régulièrement obtenus. Le COSTAR a
remplacé le Photomètre à Grande Vitesse
(HSP), alors que WFPC (caméra
planétaire à grand champ) a cédé la place à
WFPC2. Les panneaux solaires, souffrant
d’une torsion excessive, ont été échangés.
Nombreux sont ceux qui voient dans cette
mission le véritable tournant du projet.
Par leurs interventions très complexes, les
astronautes ont fait de Hubble l’outil
scientifique le plus puissant de l’histoire
L a n c e m e n t
Lan
cem
ent
le 2
4 a
vril
1990.
15
en mode de sauvegarde, interdisant toute
observation. Une intervention devenait
cruciale. La NASA, qui avait anticipé ce
problème et scindé en deux la troisième
mission, a avancé la date de la mission
SM3A. Discovery a décollé en décembre
1999 et son équipage – comprenant les
astronautes de l’ESA Claude Nicollier et
Jean-François Clervoy – a mené à bien les
réparations ainsi que d’autres interven-
tions programmées. Depuis, Hubble livre
à nouveau des images superbes.
Futures missions de maintenance
En 2001, les astronautes de la mission
SM3B remplaceront la FOC par la
Caméra pour Observations Panoramiques
(ACS). Ils installeront aussi un nouveau
jeu de panneaux solaires et un système de
refroidissement pour NICMOS, qui sera
remis en service. Les travaux de rem-
placement de l’isolation thermique se
de l’astronomie.
Deuxième mission de maintenance
(SM2)
L’équipage de la deuxième mission
(1997), qui incluait cinq sorties dans
l’espace, a remplacé deux instruments
scientifiques de première génération, le
Spectrographe à Objets de Faible
Luminosité (FOS) et le Spectrographe
Goddard à Haute Résolution (GHRS),
par la Caméra dans le proche
infrarouge/Spectromètre Multi-Objets
(NICMOS) et le Spectrographe-Imageur
du Télescope Spatial (STIS).
Mission de maintenance SM3A
En novembre 1999, un quatrième gyros-
cope sur les six d’origine est tombé en
panne. Or, il faut au moins trois gyros-
copes opérationnels pour assurer le poin-
tage du télescope. Hubble est alors passé
poursuivront et le télescope sera hissé sur
une orbite plus élevée. Pour la quatrième
mission de maintenance, deux nouveaux
instruments scientifiques sont en pré-
paration : le Spectrographe des Origines
Cosmiques (COS), qui remplacera le
COSTAR, et la caméra WFPC3, qui se
substituera à WFPC2. Au terme de son
existence (vers 2010), le télescope devra
être ramené sur Terre, sa retombée dans
l’atmosphère n’étant pas exempte de
risque.
1993 1999 1997
Servicing Mission 1 Servicing Mission 3AServicing Mission 2
Pendant les missions de maintenance SM1 et SM3A, je ne me lassais pas d’admirer la beauté du télescope en orbite, se détachant sur le fond noir de l’espace environnant, ses panneaux solaires miroitant sous le Soleil … A la différence des grands télescopes au sol, emprisonnés dans leur impressionnante carapace, Hubble flotte librement dans l'espace : léger, svelte, fragile en apparence, et pourtant si puissant !
Claude Nicollier
Astronaute et astronome, ESA
Avenir
SM3B SM4 SM5
Inst
alla
tion
du
CO
STA
R -
mis
sion
SM
1.
Fix
atio
n du
FG
S -
mis
sion
SM
3A.
Ast
rona
utes
au
trav
ail -
mis
sion
SM
2.
Tro
isiè
me
jeu
de p
anne
aux
sola
ires
(m
issi
on S
M3B
).
16
Hubble a réalisé de nombreuses percées en astrophy-
sique et en cosmologie. Il a aussi ouvert la voie à une
utilisation plus efficace des grands télescopes au sol et
influencé la conception de nouveaux instruments
d’observation.
Doté d’une résolution hors pair, Hubble peut dis-
cerner des galaxies lointaines, peu lumineuses, mais
son miroir primaire n’est pas suffisamment grand
pour analyser dans le détail la lumière venant de ces
objets lointains. Une fois les galaxies découvertes, les
télescopes au sol de 8 à 10 mètres de diamètre (VLT
de l’ESO, télescopes Keck et Gemini, par exemple)
peuvent les observer, analyser leurs signaux et en
déterminer la nature et la composition. C’est
l’utilisation combinée de Hubble et des moyens au
sol qui permet aux astronomes non seulement de loca-
liser les objets mais aussi d’en déterminer la compo-
sition et l’âge.
L’expérience et la solide base de connaissances
acquises grâce à Hubble influenceront profondément
l’exploitation initiale de plusieurs observatoires en
projet, aussi bien terrestres (télescope d’astronomie
millimétrique ALMA de l’ESO, télescopes optiques
de 40 à 100 mètres) que spatiaux (FIRST/PLANCK
de l’ESA, MAP de la NASA, etc.).
L’avenir L’avenir
Les progrès en astrophysique et en cosmologie dépendent plus que jamais de l’utilisation combinée des observatoires spatiaux et des télescopes au sol. Les organisations à la tête des grands observatoires devraient consentir un effort particulier pour améliorer la synergie entre systèmes spatiaux et systèmes au sol, aussi bien en termes d’opérations que d’exploitation des données, cette coordination permettant de dégager des économies substantielles. L’ESA et l’ESO unissent d’ores et déjà leurs efforts dans plusieurs secteurs stratégiques et envisagent d’intensifier cette fructueuse collaboration.
Catherine CesarskyDirectrice générale de l’ESO
L a s y n e r g i e s o l - e s p a c e
Cou
cher
de
Sole
il s
ur
le t
éles
cope
VLT
de
l’ESO
.
La qualité exceptionnelle des images de Hubble a
influé sur la conception de nouveaux observatoires
encore p lus ambit ieux. Dans un Univers en
expansion, plus les astronomes remontent loin dans le
temps, plus la lumière est décalée vers les grandes
longueurs d’onde. Pour « voir » plus loin que Hubble
et remonter le fil du temps jusqu’à la naissance des
galaxies, nous devrons observer dans l’infrarouge. Le
télescope NGST de 8 mètres pourra capter dix fois
plus de lumière que son prédécesseur et affichera une
sensibil ité extraordinaire à l ’ infrarouge. Son
lancement est prévu en 2009.
Des études sur le NGST sont en cours à la NASA, à
l’Agence spatiale canadienne et à l’ESA.
17
Vu le succès de la participation de l’Europe au projet Hubble, il est logique que l’ESA s’intéresse aujourd’hui activement au projet de Télescope spatial de prochaine génération (NGST) avec la NASA et l’Agence spatiale canadienne. Le NGST, télescopeinfrarouge à grande ouverture, scrutera les confins de l’Univers pour remonter jusqu’à la « lumière primordiale » des premières étoiles et galaxies.
Sergio VolontéCoordinateur des missions d’astronomie à l’ESA
18
Les champs profondsLes champs profonds es scientifiques ont
justifié la construction Ldu télescope Hubble
notamment par le fait qu’il
permettrait d’établir la taille et
l’âge de l’Univers et de mettre à
l’épreuve les théories sur son
origine. Les images de galaxies
faibles livrent en effet de précie-
ux indices sur l’Univers tel qu’il
était dans sa prime jeunesse et
sur la façon dont il a pu évoluer.
Les champs profonds observés
par Hubble (« Hubble Deep
Fields ») ont offert aux astrono-
mes une première vision claire
de l’époque à laquelle sont nées
les galaxies.
A mon avis, les champs profonds comptent parmi les images qui ont le plus marqué la cosmologie observationnelle. Ces plongées dans les profondeurs de l’espace et du temps ont levé le voile sur les premières étapes de la formation des galaxies, voici plus de 10 milliards d’années, et figurent sans aucun doute au nombre des grandes réussites de Hubble.
Stefano Cristiani
Centre Européen de Coordination du Télescope Spatial (ST-ECF)
Hubb
le D
eep
Fie
ld N
orth
(W
FP
C2).
19
L’idée des champs profonds est née de l’analyse des premières images de l’Univers lointain prises par Hubble après la réparation de 1993. Sur ces images apparaissaient de nombreuses galaxies souvent très différentes de celles qui peuplent l’Univers local et inaccessibles aux télescopes terrestres classiques.
Le premier champ profond, le Hubble Deep Field North (HDF-N), a été observé dix jours d’affilée aux alentours de Noël 1995. Cette image est le résultat de 342 « poses » distinctes, représen-tant au total plus de 100 heures d’exposition, contre seulement quelques heures pour des observations normales de Hubble. La région observée du ciel dans la Grande Ourse avait été soigneuse-ment selectionnée comme étant la moins dense possible de manière à pouvoir scruter l’Univers bien au-delà de la Voie lactée et des galaxies voisines.
Stupéfaits, les astronomes ont dénombré dans le HDF-N presque 3000 galaxies ! Hubble, remontant le temps, leur avait livré un cliché de l’Univers très jeune, dans lequel la majorité des galaxies n’avaient pas encore formé d’étoiles. On peut parler d’un véritable rendez-vous avec le Big Bang !
Ces galaxies très lointaines se sont révélées plus petites et plus irrégulières que les galaxies proches, ce qui tend à montrer que les galaxies se forment par coalescence gravitationnelle de structures plus petites.
En 1996, il a été décidé d’observer un deuxième champ profond, le Hubble Deep Field South (HDF-S), pour vérifier si le HDF-N était une région spéciale, non représentative de l’Univers. Le nouvel HDF contenait cette fois un quasar qui, tel un «phare » cosmologique, a livré de précieux renseignements sur la matière qui le sépare de la Terre.
Par la suite, d’autres instruments terrestres et spatiaux ont longuement étudié les mêmes régions du ciel. Nous devons certains des résultats les plus intéressants à ces synergies entre instruments de tailles différentes opérant dans des milieux et des longueurs d’ondes différentes.
Hubb
le D
eep
Fie
ld S
outh
(ST
IS).
20
L’ â g e L’ â g e e t l a t a i l l e e t l a t a i l l e de l ’Un i v e r s
Nous vivons une époque passionnante. Grâce à Hubble, la cosmologie a accompli des progrès prodigieux. Nous avons aujourd’hui une image beaucoup moins parcellaire de l’Univers, avancée impensable il y cinq ans encore, alors que la cosmologie traversait une phase de crise. Nous avons pu vivre ce changement spectaculaire qui nous afait passer de la misère à la gloire !
Gustav A. TammannAstronome, Université de Bâle
Les Céphéides
La principale justification scientifique de la construction de Hubble a été de déterminer la taille et l’âge de l’Univers en observant des Céphéides dans des galaxies lointaines. Cet objectif prioritaire a imposé des contraintes quant à la taille minimale du miroir primaire du télescope.
Les céphéides sont des étoiles variables d’un type particulier, affichant des variations de luminosité très stables et prévisibles. La période de ces varia-tions dépend de certaines propriétés physiques des étoiles, notamment de leur masse et de leur lumino-sité intrinsèque. Cela signifie qu’à partir de la seule variabilité de leur luminosité, les astronomes peuvent déterminer la nature physique des Céphéi-des et, partant de la, leur distance. C’est pourquoi les Céphéides servent d’étoiles standard en cosmolo-gie.
Plusieurs astronomes ont utilisé Hubble pour obser-ver des Céphéides et ont obtenu des résultats extra-ordinaires. Ces céphéides ont ensuite servi d’étalon de mesure pour estimer la distance de certaines su-pernovae qui, à leur tour, ont fait office de jalons cos-miques pour évaluer l’échelle de l’Univers. Grâce à Hubble, l’âge de l’Univers a été établi avec une pré-cision bien meilleure : 15 milliards d’années envi-ron.
Gal
axie
spir
ale
NG
C 4
603
cont
enan
t des
cép
héid
es u
tilisé
es p
our
les m
esur
es d
e di
stanc
es.
21
Hubble a déterminé les distances des quatre premières supernovae qui ont remis en cause notre compréhension de l’Univers. Bien que la preuve définitive de l’accélération de l’Univers ne soit venue que plus tard, les observations de Hubble ne s’accordaient déjà pas avec un ralentissement de l’expansion de l’Univers.
Bruno LeibundgutAstronome, European Southern Observatory (ESO)
Les Supernovae
Grâce à son acuïté exceptionnelle, Hubble peut voir des étoiles qui explosent, les supernovae, distantes de plusieurs milliards d’années-lumière que d’autres télescopes ont du mal à étudier.La plupart des chercheurs estiment aujourd’hui que l’expansion de l’Univers connaît une accélération. Cette affirmation, surprenante, repose sur une com-binaison de mesures de supernovae lointaines faites par les meilleurs télescopes du monde, Hubble inclus. On s’était longtemps demandé si l’expansion de l’Univers allait s’arrêter dans un lointain avenir ou si elle se poursuivrait plus lentement. Il semble que nous soyons loin d’un ralentissement. En fait, sous l’effet d’une propriété mystérieuse de l’espace (l’énergie du vide), l’expansion s’accélère et elle se poursuivra indéfiniment.Hubble, grâce à sa haute résolution, a amélioré la précision des mesures de supernovae. Prise depuis la Terre, l’image d’une supernova se confond générale-ment avec celle de sa galaxie-hôte. Hubble, pour sa part, distingue les lumières des deux sources et mesu-re directement la supernova.
Supernova 1994D (en bas à gauche).
22
a lumière et le rayonnement que nous pouvons observer dans Ll’Univers viennent essentiellement
des étoiles : étoiles individuelles, amas stel-laires, nébuleuses ou galaxies constituées de milliards d’étoiles. Sphères composées d’hydrogène et d’autres éléments chimi-ques, les étoiles sont le siège de réactions nucléaires similaires à celles de la bombe H qui, par la conversion d’éléments légers en éléments plus lourds, dégagent une pro-digieuse quantité d’énergie. Comme les êtres humains, elles naissent, grandissent et meurent, mais sur une échelle de temps incommensurable.
Hubble a démontré sa supériorité sur d’autres télescopes en établissant un lien entre la naissance, la vie et la mort des étoiles et les théories de l’évolution stel-laire. En observant avec Hubble des étoiles dans d’autres galaxies, les astro-nomes ont pu étudier l’influence exercée par des environnements différents sur l’évolution stellaire et recueillir des données indispensables à une meilleure compréhension de notre propre galaxie, la Voie lactée.
Hubble a, à mon avis, révolutionné l’étude des amas globulaires, en particulier de ceux présents dans d’autres galaxies. Dans ces objets si denses, les étoiles sont si concentrées qu’il était quasiment impossible de les distinguer les unes des autres avec les télescopes terrestres. Désormais, nous pouvons déterminer la nature de ces étoiles et l’évolution des amas, mais aussi comprendre comment la gravité intervient dans ces systèmes complexes.
Gerard Gilmore Astronome, Université de Cambridge
EvolutionEvolution s t e l l a i r e
Hubble a été le premier télescope à observer directement des naines blanches dans des amas stellaires globulaires. Ce résidu d’étoile qu’est la naine blanche livre des indices sur l’étoile originelle, laquelle a brillé avec tant d’ardeur qu’elle a épuisé son combustible nucléaire depuis bien longtemps. Hubble a permis d’établir l’âge de ces anciens amas, paramètre important pour les cosmologistes.
Les qualités de Hubble ont aussi fait merveille dans l’étude de la relation entre formation et évo-lution stellaire (cf. pages 28-29). NICMOS, instrument de Hubble sensible à l’infrarouge, peut voir à travers le cocon de poussière entourant les étoiles dans leur plus jeune âge. Des décou-vertes parmi les plus extraordinaires ont été faites en jetant un coup d’œil à travers les nuages de poussière entourant le centre de la Voie lactée. Ce centre, où semblait régner un calme plat, est en fait peuplé d’étoiles massives très jeunes, regroupées en amas.
Poup
onni
ère
d’ét
oile
s mas
sives
dan
s la
nébu
leus
e Pa
pillo
n.
23
Les phases ultimes de la vie des étoiles de type solaire ont été
étudiées par l’observation de nébuleuses planétaires et proto-
planétaires, enveloppes de gaz multicolores ejectés dans
l’espace par des étoiles à l’agonie. Ces structures de
forme variable, dont les différentes couleurs sont
le signe de la présence d’éléments chimiques
différents qui, souvent, viennent tout juste
d’être créés, montrent l’extrême com-
plexité des dernières étapes de la vie
des étoiles.
Supernova 1987A
L’événement rare que consti-
tuait l’explosion d’une super-
nova dans le Grand Nuage
de Magellan en 1987 avait
mobilisé l’attention de tous
les télescopes terrestres.
Depuis son lancement en
1990, Hubble a égale-
ment tourné son regard
vers ce phénomène excepti-
onnel situé à 150 000
années-lumière, profitant de
sa très haute résolution pour
suivre en détail l’évolution de
cette explosion cataclysmique. Il
a décelé de part et d’autre de la
supernova deux anneaux de gaz qui
avaient été expulsés dans les derniers
spasmes de l’étoile agonisante plusieurs
milliers d’années avant l’explosion finale.
Au cours de ces dernières années, les astrono-
mes ont observé la collision entre l’onde de choc
issue de l’explosion et s’étendant dans l’espace et diffé-
rentes parties de ces anneaux.
Ann
eaux
aut
our
de
la su
pern
ova
1987
A.
Néb
uleu
se E
squi
mau
(né
bule
use
plan
étai
re).
Vie
il am
as st
ella
ire
Hod
ge 3
01,
ento
uré
des v
estig
es d
’une
supe
rnov
a.
Néb
uleu
se d
e l’A
nnea
u M
57 (
nébu
leus
e pl
anét
aire
).
24
Le système Le système solaire
Avec Hubble, nous avons mené une série d’observations approfondies de Pluton, suivies d’un traitement élaboré des données au sol. Sur nos écrans sont alors apparus, pour la première fois dans l’Histoire, des détails de la surface de cette planète. Personnellement, ce fut pour moi un moment inoubliable que de pouvoir présenter cette image à l’astronome qui avait découvert Pluton, Clyde Tombaugh, permettant ainsi a Hubble de saluer sa découverte.
Rudi Albrecht
Centre Européen de Coordination du Télescope Spatial (ST-ECF)
n ce qui concerne les planètes et les satellites
du système solaire, Hubble fournit des ima-Eges d’une qualité que seules des sondes dépê-
chées vers ces corps célestes seraient à même de surpas-
ser. Hubble possède toutefois un avantage sur les son-
des, celui de pouvoir réexaminer régulièrement ces
objets sur plusieurs années.
L’observation régulière de la surface des planètes est
indispensable à l’étude de la géologie et de
l’atmosphère de ces objets, L’évolution de certains phé-
nomènes météorologiques (tempêtes de poussière, par
exemple) pouvant en dire long sur les processus sous-
jacents. Hubble peut aussi observer directement des
éruptions volcaniques. A la surface de Vesta - astéroïde
de 500 km de diamètre « photographié » d’une distan-
ce de 250 millions de kilomètres - les astronomes ont
découvert un paysage étrange, présentant de nom-
breux écoulements de laves, dominé par un énorme cra-
tère d’impact.
Hubble peut aussi réagir rapidement à des événements
spectaculaires survenant soudainement dans le système
solaire. La comète Shoemaker-Levy 9, par exemple, a
suscité beaucoup d’émotion lors de sa plongée dans
l’atmosphère de Jupiter (16-22 juillet 1994). Hubble a
été témoin du parcours final des fragments de la
comète et a livré des images stupéfiantes de leurs sites
Plu
ton
et
son
sat
elli
te C
har
on.
d’impact, d’où les astronomes ont tiré de précieux
renseignements sur l’atmosphère jovienne.
Lors de leur survol de Jupiter et de Saturne (planètes
géantes gazeuses), les sondes Voyager avaient déjà sig-
nalé l’existence de phénomènes lumineux similaires à
nos aurores boréales. Mais Hubble a été le premier à en
révéler la structure délicate. Ses caméras sont sensibles
au rayonnement ultraviolet qui, absorbé par
l’atmosphère terrestre, ne peut être capté par les obser-
vatoires au sol.
Pluton est la seule planète à ne pas avoir été survolée
par une sonde spatiale. En 1994, toutefois, Hubble a
pris les premiers clichés sur lesquels Pluton et son
satellite Charon, vus d’une distance de 4,4 milliards de
kilomètres, apparaissent nettement comme deux
objets distincts.
25
Site
d’im
pact
d’u
n d
es f
ragm
ents
de
la c
omèt
e Sh
oem
aker
-Lev
y 9.
Le
sate
llit
e n
ature
l Io
pro
jett
e so
n o
mbr
e su
r le
s ce
intu
res
de
nuag
es d
e Ju
pite
r.
Cyclone sur Mars.
26
ans les années 1950 et 1960, les
astronomes ont découvert des Dobjets (quasars, radiosources)
libérant une énergie fantastique qui ne
s’accommodait d’aucune des explications
avancées pour des sources d’énergie classi-
ques comme celles produites par les étoi-
les. On émit l’hypothèse que l’énergie
dégagée par ces objets était due à la pré-
sence de trous noirs massifs en leur centre.
Avant le lancement de Hubble, une poig-
née de trous noirs potentiels avaient été
étudiés, mais les observatoires terrestres,
compte tenu de leurs limitations inhéren-
tes, n’avaient pu fournir de preuve irréfu-
table de leur existence. Les trous noirs
sont des objets qui, par définition, ne peu-
vent être observés car aucun rayonnement
ne peut s’en échapper. On peut toutefois
étudier leurs effets sur leur environne-
ment, notamment les puissants jets
d’électrons qui s’éloignent jusqu’à plusie-
urs milliers d’années-lumière du centre
des galaxies. On peut aussi observer le ray-
onnement intense de la matière qui tombe
sur les trous noirs ; mesurer la vitesse de
cette matière permet de déterminer la
masse du trou noir proprement dit. Ces
mesures complexes supposent d’exploiter
les capacités extraordinaires de Hubble.
Hubble tient un rôle important dans
Trous noirs,Trous noirs, q u a s a r s e t g a l a x i e s a c t i v e s
l’étude des jets et des disques de matière
entourant certains trous noirs. Il est le pre-
mier à avoir effectué des mesures précises
de ces masses. Ainsi a-t-il découvert, au
centre de certaines galaxies, des trous noirs
de 3 milliards de fois la masse du Soleil.
Hubble a surpris tout un chacun en liv-
rant des preuves solides de l’existence de
trous noirs au centre de toutes les gala-
xies. De plus, comme il semble que les
grands trous noirs se situent dans les gran-
des galaxies, il doit exister un lien entre la
formation de la galaxie et celle de son trou
noir et vice versa. Ces considérations ont
une profonde incidence sur les théories de
la formation et de l’évolution des galaxies
et fourniront à Hubble matière à de nou-
velles recherches dans les années à venir.
Quasars
Dans les années 1980, des observations au
sol ont révélé la présence d’une lumière
floue autour de certains quasars. Les astro-
nomes ont supposé que ces quasars se trou-
vaient dans des galaxies et que ces zones de
flou lumineux correspondaient aux gala-
xies-hôtes. Cette théorie a été clairement
confirmée par la caméra pour objets fai-
blement lumineux de Hubble. En outre,
les quasars semblent se manifester dans
Tro
u n
oir
de
300 m
illi
ons
de
fois
la
mas
se d
u S
olei
l dan
s la
gal
axie
NG
C 7
052.
tous types de galaxies, alors qu’on croyait
les trouver uniquement dans des galaxies
elliptiques. Voilà un élément important
puisque l’on suppose que la lumière des
quasars provient des trous noirs nichés au
centre de leurs galaxies-hôtes. Les astrono-
mes en ont maintenant la preuve formelle
et peuvent démontrer que les galaxies-
hôtes des quasars sont du même type que
celles observées dans notre voisinage. La
question se pose alors de savoir pourquoi
la plupart des galaxies voisines, y compris
la Voie lactée, abritent des trous noirs «dor-
mants», inactifs pour le moment. Hubble
se penchera bientôt sur ce sujet.
Un modèle unifié
La plupart des astronomes estiment
aujourd’hui que les quasars, les radiogala-
xies et les centres des galaxies actives sont
simplement des manifestations différentes
d’un même phénomène : un trou noir
d’où s’échappent, de part et d’autre, des
jets de particules énergétiques. Lorsque le
jet est orienté vers la Terre, nous
l’assimilons au « phare » d’un quasar.
Orientée différemment, l’émission est per-
çue comme une galaxie active ou une
radiogalaxie. De nombreux astronomes
ont adhéré à ce concept de «modèle uni-
fié» sur la base d’un certain nombre de pro-
grammes d’observation de Hubble. Les
idées simplistes des premiers temps ont
toutefois cédé la place à une notion plus
complexe du phénomène, qui continuera
à évoluer.
27
Le
quas
ar P
G 0
052+
251 e
t sa
gal
axie
-hôt
e.
Hubble nous a livré des signes probants de la présence, dans toutes les galaxies, de trous noirs de plusieurs millions ou milliards de fois la masse du Soleil. Notre conception des galaxies s’en trouve radicalement modifiée. Je suis convaincu que dans les dix ans à venir, Hubble découvrira que les trous noirs tiennent un rôle beaucoup plus important dans la formation et l’évolution des galaxies que nous ne le croyons aujourd’hui, nous contraignant peut-être à réviser notre conception de la structure générale de l’Univers.
Duccio MacchettoAstronome de l’ESA, Chef de la Division Programmes scientifiques au STScI
28
Formation d e s é t o i l e s
Dans le domaine de la formation des étoiles, Hubble a eu un formidable impact : tout d’abord, il a permis d’étudier la formation d’étoiles semblables à notre Soleil et, littéralement, de voir des disques de poussière susceptibles de devenir de futurs systèmes planétaires. De plus, il a eu des conséquences dans une discipline que l’on pourrait appeler la « formation stellaire cosmologique », à savoir la formation des étoiles à l’échelle de l’Univers. Le champ profond Hubble Deep Field North a ouvert le coffre au trésor et nous a permis de suivre l’historique de la formation des étoiles à travers tout l’Univers, et ainsi d’appréhender « l’évolution cosmique » des étoiles.
Hans Zinnecker
Astrophysicien, Institut d’Astrophysique de Potsdam
La
néb
ule
use
d’O
rion
, M
42, co
nti
ent
plusi
eurs
dis
ques
de
pouss
ière
app
elés
« d
isqu
es p
roto
plan
étai
res
» (à
dro
ite)
. Il
pou
rrai
t s’a
gir
de
syst
èmes
pla
nét
aire
s en
for
mat
ion
.
La formation stellaire suscite chez le
profane une fascination qui n’a d’égale que
celle qu’elle exerce sur les astronomes. En
effet, derrière la poussière des nuages de
molécules dans lesquels se forment les étoiles
se cachent des indices de taille sur notre
propre genèse. La Terre et le système solaire
sont apparus il y a 4,6 milliards d’années
dans des circonstances dont nous savons peu
de choses. Aussi les astronomes braquent-ils
leurs regards sur d’autres étoiles et systèmes
stellaires en formation dans les « poupon-
nières » stellaires les plus proches ; ils s’en
servent comme de machines à remonter le
temps pour assister à une nouvelle pro-
jection des événements qui ont donné nais-
sance à notre système solaire.
29
La
néb
ule
use
de
l’Aig
le, M
16.
a grande mosaïque, composée de 15 images prises par Hubble, montrant Lle cœur de la nébuleuse d’Orion est
l’une des images les plus détaillées d’une pouponnière d’étoiles que l’on possède à ce jour. On y voit un amas d’ étoiles jeunes souf-flant une « bulle » dans les restes de leur nuage géniteur – comme lorsque les volutes de fumée d’un incendie sont dispersés par la chaleur - de sorte que les étoiles commen-cent à être observables dans la lumière visi-ble.
Le surprenant pouvoir de séparation de Hubble, bien supérieur à celui des télescopes basés au sol, a été capital dans l’étude des disques de poussière qui entourent les étoiles jeunes de la nébuleuse d’Orion. Ces disques pourraient parfaitement être de jeunes systèmes planétaires au tout premier stade de leur formation. Grâce à Hubble, nous avons aujourd’hui la preuve tangible de ce que les disques de poussières sont chose commune autour des étoiles jeunes.
Étant donné que la naissance des étoiles semble toujours se dérouler dans des nuages de poussière, les capacités d’observation de Hubble dans l’infrarouge ont été détermi-nantes. L’instrument infrarouge NICMOS se joue de la poussière et révèle les processus complexes qui se déroulent dans les régions de formation d’étoiles. NICMOS a pu détecter des systèmes doubles ou multiples, invisibles à tout autre oeil que le sien, ainsi que les compagnons naines brunes substel-laires de faible éclat. Avec NICMOS et son homologue dans le visible, WFPC2, Hubble a observé le fantastique spectacle de jets de matière géants crachés par des étoiles aux tous premiers stades de leur vie, entourées de vastes disques de poussière.
Composition d e l ’ U n i v e r s
La composition chimique de l’Univers et la
nature physique de la matière qui le consti-
tue sont des sujets que les chercheurs étudient
depuis des siècles. De son poste d’observation
sans équivalent puisque situé au-delà de
l’atmosphère terrestre, Hubble a contribué
de façon significative à faire progresser nos
connaissances dans ce domaine.
Les étoiles fonctionnent comme de gigantes-
ques usines de retraitement qui transforment
les éléments chimiques légers en éléments
plus lourds. Si l’on étudie avec tant de soin
la composition initiale de l’Univers, dite
aussi « primordiale », c’est qu’elle contient
une des clef des processus à l’œuvre au tout
début de l’Univers.
L’hélium dans l’Univers primordial
Peu après que la première mission de main-
tenance a eu permis de corriger l’aberration
sphérique du miroir de Hubble, une équi-
pe dirigée par l’astronome européen Peter
Jakobsen a étudié la nature de la matière ga-
zeuse qui emplit les vastes espaces interga-
lactiques. En observant la lumière ultravio-
lette d’un quasar distant (qui aurait autre-
ment été absorbée par l’atmosphère terre-
stre), cette équipe, mettant fin à une lon-
gue quête, a repéré la signature spectrale de
l’hélium dans l’Univers primordial. Il
s’agissait là d’un indice important qui con-
forte la théorie du Big Bang. Il confirme
également l’hypothèse selon laquelle dans
l’Univers primordial la matière non encore
piégée dans les étoiles et galaxies est pres-
que entièrement ionisée (atomes dépouil-
lés de leurs électrons), ce qui représente un
grand pas pour la cosmologie.
Les quasars : des phares
L’étude de l’hélium primordial est l’une des
nombreuses occasions où Hubble s’est ser-
vi de quasars éloignés comme s’il s’agissait
de phares : lorsque la lumière des quasars
passe à travers la matière intergalactique, la
Am
as g
lobu
lair
e M
80.
30
Composition
31
Je crois que nous avons maintenant une assez bonne idée de la quantité de matière « normale » existant dans l’Univers et de sa composition. En remontant toujours plus loin dans le temps, nous commençons à reconstituer l’histoire de cette matière depuis qu’elle a émergé du Big Bang et qu’elle s’est amalgamée en étoiles et galaxies pour donner l’Univers actuel. Hubble a levé un grand pan du voile. Avec le Télescope Spatial de Prochaine Génération, nous espérons pouvoir remonter à des époques plus reculées encore et observer l’apparition des toutes premières étoiles.
Peter JakobsenAstronome de l’ESA, Responsable scientifique de l’étude NGST
modification caractéristique qu’elle subit
trahit la composition du gaz traversé. Les ré-
sultats obtenus ont mis en place des pièces
importantes du puzzle de la composition
globale de l’Univers, maintenant et par le
passé.
Matière noire
Aujourd’hui, les astronomes estiment que
près de 95% de la masse de l’Univers se
compose de matière noire, substance entiè-
rement différente de la matière ordinaire
qui compose les atomes et notre monde fa-
milier. Hubble a joué un rôle important
dans les travaux destinés à établir la quanti-
té de matière noire existant dans l’Univers
et à déterminer sa composition. L’énigme
de cette fantomatique matière noire est en-
core loin d’être résolue mais l’incroyable
précision avec laquelle Hubble a par exem-
ple observé les lentilles gravitationnelles
(voir page 32-33) pose le fondement des fu-
turs travaux dans ce domaine.
Néb
ule
use
du S
agit
tair
e.
32
a lumière ne se propage pas toujours en ligne
droite. Dans sa Théorie de la relativité Lgénérale, Einstein prédisait que les objets
massifs déformaient la structure même de l’espace.
Lorsque la lumière passe devant un tel objet, un
amas galactique par exemple, sa trajectoire est
légèrement déviée. Ce phénomène de lentille
gravitationnelle n’est visible que dans de rares cas et
seuls les meilleurs télescopes sont en mesure de
l’observer.
La sensibilité et le pouvoir de séparation de Hubble
lui permettent de distinguer des lentilles gravitation-
nelles faibles et lointaines que ne peuvent discerner
les télescopes basés au sol, dont la vue est brouillée
par l’atmosphère terrestre. L’effet de lentille
gravitationnelle se manifeste sous la forme de
multiples images de la galaxie initiale, chacune
présentant une déformation caractéristique en arc
de cercle.
Hubble est le premier télescope a avoir pu distinguer
des détails à l’intérieur de ces multiples arcs. Son
pouvoir de séparation lui permet de déceler
directement la forme et la structure interne des
galaxies à l’origine de ces mirages gravitationnels de
sorte qu’il devient facile de retrouver sur ses images
les différents arcs correspondant à la même source.
Étant donné que l’ampleur de l’effet de lentille
gravitationnelle dépend de la masse totale de l’amas,
cet effet peut servir à calculer cette masse,
découverte qui a considérablement amélioré notre
connaissance de la répartition de la matière noire
« cachée » dans les amas galactiques et donc dans
l’Univers en totalité.
LentillesLentilles g r a v i t a t i o n n e l l e s
En 1995, lorsque nous avons procédé à la première observation avec Hubble de l’amas galactique Abell 2218, notre objectif était d’étudier l’amas et ses gala-xies. Quelle n’a pas été notre surprise en voyant sur les images ultraprécises de Hubble des dizaines et des dizaines d’arcs gravitationnels. Les astronomes ont tout de suite saisi l’intérêt d’utiliser le phénomène de lentille gravitationnelle comme un outil cosmologique.
Richard Ellis
Astronome, Université de Cambridge et Institut de Technologie de Californie
33
Imag
e d’
un g
roup
emen
t d’a
rcs g
ravi
tatio
nnel
s dan
s l’a
mas
Abe
ll 22
18.