Confédération Aime et Sers

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Le Travailleur

Ernst Jünger

[Deux extraits de l'ouvrage Le Travailleur d'Ernst Jünger, dont c'est aujourd'hui le

9e anniversaire de la mort.

[Début du chapitre "Le passage de la démocratie libérale à l’Etat du travail"]

De nombreux signes indiquent que nous sommes aux portes d’un âge où il peut de nouveau être question de Domination réelle, d’ordre et de subordination, de

commandement et d’obéissance. Aucun de ces signes n’est plus éloquent que la discipline volontaire à laquelle la jeunesse commence à se plier, son mépris des

jouissances, son sens guerrier, le sentiment des valeurs viriles et absolue qui s’éveille en elle.

Quel que soit le camp où l’on rende visite à cette jeunesse, partout on aura l’impression d’une conspiration suscitée par la simple existence, le simple

regroupement d’un certain type humain. Partout également le refus de la tradition bourgeoise et al référence au Travailleur est manifeste, que ce soit dans les

programmes ou dans la manière de vivre. Cette conjuration est forcément dirigée contre l’Etat, non parce qu’elle chercherait à délimiter contre lui un espace de liberté, mais parce qu’elle entend qu’un autre concept de liberté pour lequel

Domination et service revêtent le même sens soit intégré à cet Etat tenu pour le moyen de changement le plus important et le plus complet.

Il ne manquée pas de tentatives pour récupérer ce sens nouveau qui témoigne qu’aucune éducation ne peut au fond corrompre l’homme, et pour l’inféoder aux

vieux systèmes de la société bourgeoise. La plus importante de ces tentatives consiste à voir dans toute force nouvelle qui surgit un partenaire éventuel pour une négociation et à l’inclure dans un système fonctionnant à base de négociation. Le degré de résistance susceptible d’être opposé à ces efforts est une attestation de

l’aptitude à s’intégrer à un ordre d’une autre nature. Il existe des puissances dont

on ne peut accepter la légalité sans s’en rendre complice comme si l’on acceptait les présents d’un escroc. Cela vaut aussi pour la société bourgeoise qui s’est hissée au rang d’exploiteuse de l’Etat. Le visage de la démocratie tardive où la trahison et l’impuissance ont gravé leur marque est trop connu. Dans cette atmosphère,

toutes les puissances de décomposition, tous les éléments moribonds, étrangers et hostiles ont merveilleusement prospéré ; leur but secret est de l’éterniser à tout

prix. Il est par conséquent très important de savoir comment s’effectue le remplacement de la Domination apparente de la bourgeoisie par la Domination du Travailleur, et donc l’alternance de deux images fondamentalement différentes de l’Etat. Plus cette alternance empruntera les voies de l’élémentaire, plus elle aura

lieu sur le terrain de la force authentique du Travailleur. Plus le Travailleur renoncer à utiliser dans son combat les concepts, les ordonnances, les règles du jeu et les constitutions inventées par les bourgeois, plus il sera capable de réaliser sa loi propre et moins il faudra attendre de tolérance. La première condition d’une

construction organique de l’Etat est d’incendier tous ces repaires d’où, aux heures de la plus haute exigence, la trahison appelle ses auxiliaires à la rescousse, comme

sortis du ventre du cheval de Troie. Derrière ces marionnettes qui pérorent sur des tribunes publiques déjà en train de

s’effondrer et qui aplatissent la phraséologie libérale au point de lui laisser l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes, des esprits plus subtils et plus

expérimentés préparent un changement de décor. Sous des formulations nouvelles, surprenantes, « révolutionnaires », on va rencontrer comme buts de politique

intérieure la monarchie légitime et l’articulation « organique », de même qu’une entente avec toutes les puissances dont l’existence assure la pérennité de la

chrétienté et de l’Europe, et par là aussi du monde bourgeois. Le bourgeois est parvenu à un tel degré de désespoir qu’il est prêt à s’accommoder de tout ce qui avait constitué jusque-là l’objet inépuisable de son ironie, pourvu que la sécurité

lui demeure garantie. La réussite de tentatives de restauration de ce genre ne pourrait qu’accélérer le

train du changement. Elle créerait un adversaire stable et désignerait les responsables d’une façon bien différente de l’état d’anonymat propre à la

démocratie tardive où la violence de l’Etat est attribuée à un obscur concept du peuple. Et en second lieu, les camps où vit cette nouvelle image de l’Etat qui

cherche à s’exprimer d’une part dans le programme d’un nationalisme révolutionnaire, de l’autre dans celui d’un socialisme révolutionnaire, tous ces

camps prendraient conscience de leur unité d’une manière très tangible. Certes, tout doit disparaître de ce qu’offrent encore les réserves romantiques ou traditionnelles qui céderont la place à une attitude que les mots ne suffisent pas à influencer. Sous peu, aucune grandeur politique ne tentera d’air sans se réclamer du socialisme et du nationalisme et il faut bien voir que cette phraséologie est à la disposition de tous ceux qui savent se servir de s vingt-quatre lettres de l’alphabet. Ce fait donne à penser, il indique qu’il ne s’agit pas ici de principes qu’il faudrait « réaliser » mais que derrière tous ces efforts se dissimule ce caractère dynamique

et niveleur qui caractérise le paysage de transition. La liberté que peuvent engendrer les deux principes du nationalisme et du

socialisme n’est pas de nature substantielle ; elle constitue un présupposé, une grandeur mobilisatrice mais non un but. Cette situation fait conjecturer que le

concept bourgeois de liberté est ici en jeu de quelque façon et qu’il s’agit d’effort auxquels l’individu et la masse participent encore de manière déterminante.

[Conclusion de l'ouvrage]

L’entrée dans l’espace impérial est précédée d’une mise à l’épreuve et d’un durcissement du paysage planifié dont on ne peut encore avoir aucune idée

aujourd’hui. Nous allons ici vers d’étonnantes expériences. Par-delà la démocratie du travail où le contenu du monde que nous connaissons est refondu et

métamorphosé s’ébauchent les contours d’un ordre d’Etat qui se situe en dehors de toute comparaison possible. On peut néanmoins prévoir qu’il n’y sera plus question de travail ni de démocratie dans le sens où nous l’entendons. La

découverte du travail comme élément de plénitude et de liberté reste encore à venir ; de la même façon, le sens du mot démocratie change lorsque la langue maternelle

du peuple apparaît comme support d’une nouvelle race. Nous voyons que les peuples sont au travail et nous saluons ce travail, où qu’il s’accomplisse. La rivalité réelle concerne la découverte d’un monde nouveau et

inconnu – découverte plus destructrice et plus riche de conséquences que celle de l’Amérique. On ne peut que ressentir une profonde émotion lorsqu’on voit

comment l’homme, au sein des zones de chaos, s’affaire à tremper les armes et les cœurs, comment il sait renoncer à l’expédient du bonheur.

Participer à cette activité et prendre du service : voilà la tâche que l’on attend de nous.

Buste d'Ernst Jünger réalisé par Arno Breker.

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