l’Économie au travail - printemps 2013

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L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL PRINTEMPS 2013 1 Au cours des dernières années, les Canadiens ont été témoins d’intrusions gouvernementales extraordinaires dans la libre négociation collective. Les gouverne- ments ont légiféré pour mettre fin à des grèves légales dans les secteurs public et privé, privant ainsi les travailleurs de leur droit de refuser de travailler. Au fédéral, le gouvernement conserva- teur est intervenu à plusieurs reprises, privant les travailleurs de Postes Canada, d’Air Canada et du Canadien Pacifique de leur droit de grève. Le gouvernement libéral de l’Ontario a fait de même en pré- sentant le projet de loi 115, une loi qui a permis d’imposer des contrats de travail aux employés des conseils scolaires. De plus, en évoquant la possibilité de remettre en cause la formule Rand, les conservateurs, tant fédéraux que provin- ciaux, ont indiqué qu’ils prévoyaient s’ingérer davantage dans le processus de libre négociation collective. LISEZ notre reportage à la page 4 décrivant l’importance de la formule Rand. Les travailleurs des secteurs privé et public savent ce que faire des sacrifices im- plique. Au cours des dernières décennies, les salaires réels ont à peine augmenté et les compressions dans les services publics se sont multipliées. Durant la même période, les revenus et les avantages des personnes appartenant au 1 % des mieux nantis ont augmenté rapidement. L’inégalité croissante constitue un grave problème pour notre économie. Et c’est d’autant plus frustrant que l’ingérence des gouvernements dans le processus de négociation collective favorise l’accrois- sement de cette inégalité. Pourtant, la réalité est toute simple : la négociation collective fonctionne. Elle donne aux travailleurs voix au chapitre dans leur relation avec l’employeur, une relation qui autrement serait à sens unique. La négociation permet d’établir des conditions de travail équitables et de s’assurer que l’on offre des salaires et des avantages justes non seulement aux travailleurs syndiqués, mais, en fin de compte, à tous les travailleurs également. La vitalité de la classe moyenne, le moteur de notre économie, dépend de la libre négociation collective. Ce droit doit donc être défendu avec vigueur. TENDANCES POLITIQUES PUBLIQUES La négociation collective, ça fonctionne Canada : 3,57 $/heure À L’INTÉRIEUR 2 COUP D’ŒIL SUR L’ÉCONOMIE 3 ORIENTATIONS ÉCONOMIQUES L’ACHAT LOCAL RENFORCE L’ÉCONOMIE 5 TAUX DE SYNDICALISATION AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS 6 ENCORE UN ÉCART SALARIAL POUR LES FEMMES 7 INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION LA TENDANCE SE POURSUIT, LES TRAVAILLEURS GAGNENT MOINS REPORTAGE La formule Rand : l’importance des cotisations automatiques page 4-5 NÉGOCIATIONS Tisser des alliances solides : discussions sur l’économie à la Conférence nationale sur les négociations page 8

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Dans le présent numéro : La négociation collective, ça fonctionne Encore un écart salarial pour les femmes L’achat local renforce l’économie La formule Rand : l’importance des cotisations automatiques Abonnez-vous à la version en ligne : scfp.ca/abonnement

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L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL PRINTEMPS 2013 1

Au cours des dernières années, les Canadiens ont été témoins d’intrusions gouvernementales extraordinaires dans la libre négociation collective. Les gouverne­ments ont légiféré pour mettre fin à des grèves légales dans les secteurs public et privé, privant ainsi les travailleurs de leur droit de refuser de travailler.

Au fédéral, le gouvernement conserva­teur est intervenu à plusieurs reprises, privant les travailleurs de Postes Canada, d’Air Canada et du Canadien Pacifique de leur droit de grève. Le gouvernement libéral de l’Ontario a fait de même en pré­sentant le projet de loi 115, une loi qui a permis d’imposer des contrats de travail aux employés des conseils scolaires.

De plus, en évoquant la possibilité de remettre en cause la formule Rand, les conservateurs, tant fédéraux que provin­ciaux, ont indiqué qu’ils prévoyaient s’ingérer davantage dans le processus de libre négociation collective.

LISEZ notre reportage à la page 4 décrivant l’importance de la formule Rand.

Les travailleurs des secteurs privé et public savent ce que faire des sacrifices im­plique. Au cours des dernières décennies, les salaires réels ont à peine augmenté et les compressions dans les services publics se sont multipliées. Durant la même période, les revenus et les avantages des personnes appartenant au 1 % des mieux nantis ont augmenté rapidement.

L’inégalité croissante constitue un grave problème pour notre économie. Et c’est d’autant plus frustrant que l’ingérence des gouvernements dans le processus de négociation collective favorise l’accrois­sement de cette inégalité.

Pourtant, la réalité est toute simple : la négociation collective fonctionne. Elle donne aux travailleurs voix au chapitre dans leur relation avec l’employeur, une relation qui autrement serait à sens unique. La négociation permet d’établir des conditions de travail équitables et de s’assurer que l’on offre des salaires et des avantages justes non seulement aux travailleurs syndiqués, mais, en fin de compte, à tous les travailleurs également.

La vitalité de la classe moyenne, le moteur de notre économie, dépend de la libre négociation collective. Ce droit doit donc être défendu avec vigueur.

TENDANCES POLITIQUES PUBLIQUES

La négociation collective, ça fonctionne

Canada : 3,57 $/heure

À L’INTÉRIEUR

2 COUP D’ŒIL SUR L’ÉCONOMIE

3 ORIENTATIONS ÉCONOMIQUES

L’ACHAT LOCAL RENFORCE L’ÉCONOMIE

5 TAUX DE SYNDICA LISATION AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS

6 ENCORE UN ÉCART SALARIAL POUR LES FEMMES

7 INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION

LA TENDANCE SE POURSUIT, LES TRAVAILLEURS GAGNENT MOINS

REPORTAGE La formule Rand : l’importance des cotisations automatiques page 4-5

NÉGOCIATIONSTisser des alliances solides :discussions sur l’économie à la Conférence nationale sur les négociations page 8

INÉGALITÉ L’écart de revenu se creuse au Canada

Selon les dernières données de Statis­tique Canada, les revenus et les avantages des personnes appartenant au 1 % des mieux nantis continuent d’augmenter, alors qu’ils stagnent pour les 99 % res­tants. En effet, si on tient compte de l’inflation, le revenu moyen de 90 % de la population n’a augmenté que de 5 % au cours des trois dernières décennies. Le revenu du 1 % des mieux nantis, lui, a presque doublé, atteignant en moyenne 493 000 $ en 2010. Pour sa part, le taux moyen d’imposition sur le revenu pour ce groupe est passé de 40 % en 1997 à 33 % en 2010. Or, si le 1 % des plus riches payait de l’impôt en vertu du taux d’impo­sition en vigueur en 1997, les gouverne­ments provinciaux et fédéral percevraient 8 milliards de dollars de plus en revenus.

ENVIRONNEMENT Travailler moins, sauver la planète

Selon une analyse du Center for Economic and Policy Research (Centre de recherche sur l’économie et les poli­tiques, situé aux États­Unis), une réduc­tion des heures de travail de 0,5 % par année permettrait de réduire de 50 % l’augmentation de la température liée au

réchauffement climatique d’ici la fin du siècle. Une réduction des heures de travail de 0,5 % chaque année (soit 10 heures de moins par année au début, sur un total annuel de 2 000 heures) résul terait en bout de ligne en une semaine de travail de 30 heures et à neuf semaines de vacances. Un nombre plus élevé d’heures de travail entraîne une augmentation proportionnelle des émissions de gaz à effet de serre.

VACANCES Les travailleurs veulent plus de congés payés

Selon un sondage réalisé par la firme Mercer, la grande priorité des travail­leurs canadiens consiste à obtenir une semaine supplémentaire de congés payés. Une augmentation de salaire de 500 $ représente la deuxième priorité en importance, suivie par une contri­bution de l’employeur égale à celle de

l’employé au régime de retraite ou au régime d’épargne. Les priorités des tra­vailleurs américains étaient similaires. En Europe, les travailleurs accordent plus d’importance aux protections en matière de santé. La moyenne annuelle des heures travaillées est beaucoup plus élevée en Amérique du Nord que dans la plupart des pays européens.

AUSTÉRITÉ Effets secondaires inattendus en Grèce

En Grèce, les mesures d’austérité budgétaire ont ralenti la croissance économique de 25 %, fait grimper le chômage à 25 % et ont entraîné une diminution des salaires de plus de 30 %. Elles ont aussi causé la réappari ­tion de problèmes vieux de plusieurs siècles. De plus en plus de familles ont en effet opté pour le bois afin d’économiser sur le chauffage, ce qui la nuit contribue à la pollution de l’air dans les grandes villes et cause des problèmes de santé. La réduction des pulvérisations contre les moustiques a également entraîné la réapparition de cas de malaria en Grèce après quarante ans d’absence. Le Center for Disease Control (Centre de contrôle des épidémies du département améri ­ cain de la Santé) a émis des avertisse­ments destinés aux voyageurs, un mauvais présage pour un pays dont l’économie dépend du tourisme.

2 PRINTEMPS 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

L’Économie au travail est publiée sur une base trimestrielle par le Syndicat canadien de la fonction publique pour offrir aux travailleurs et à leurs représentants de l’information accessible, des analyses éloquentes des tendances économiques et des outils pour faciliter les négociations. L’Économie au travail remplace la publication antérieure du SCFP, Le climat économique pour les négociations.

Découvrez les éditions de l’Économie au travail en ligne à scfp.ca/economieautravail. Accédez aussi à d’autres liens utiles.

Pour s’abonner par courriel ou par courrier à l’Économie au travail, allez à scfp.ca/abonnement.

À moins d’indications contraires, tout le contenu a été rédigé par Toby Sanger. Wes Payne et Philippe Gagnon sont les rédacteurs en chef. La mise en page a été réalisée par Jocelyn Renaud. Veuillez communiquer par courriel ([email protected]) pour toute correction, question, suggestion ou contribution.

SEPB491

COUP D’ŒIL SUR L’ÉCONOMIE PLEINS FEUX SUR LES RÉCENTES ÉTUDES ET DÉVELOPPEMENTS ÉCONOMIQUES

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL PRINTEMPS 2013 3

Croissance On s’attend à ce que la production augmente de moins de 2 % en 2013. Ce rythme est économique inférieur à la moitié de celui enregistré lors des reprises précédentes, ce qui prouve que

les restrictions de dépenses des gouvernements et l’endettement élevé des ménages pèsent lourd sur l’économie.

Emploi La croissance médiocre de l’emploi se traduira par une faible amélioration des taux de chômage qui atteindront plus de 7 % en moyenne en 2013, pour ensuite diminuer légèrement en 2014.

Inflation L’inflation moyenne était de 1,5 % en 2012. On s’attend à ce qu’elle soit de 1,8 % en 2013, avant d’augmenter à 2,1 % en 2014.

Salaires L’augmentation moyenne des salaires prévue dans les principales conventions collectives conclues l’an dernier s’approche du 1,8 % enregistré lors des deux années précédentes. On prévoit que les hausses seront à nouveau de 1,8 % en moyenne en 2013. Cette « nouvelle norme » risque de limiter les perspectives au plan salarial.

Taux Compte tenu de la faible croissance, la Banque du Canada a indiqué qu’elle reportait d’intérêt à nouveau la hausse des taux d’intérêt. Une augmentation est désormais peu probable

avant 2014.

Les salaires des travailleurs syndiqués confèrent un plus grand pouvoir d’achat. Malheureusement, l’argent dépensé dans les magasins à grande surface ou versé aux entreprises multinationales ne demeure pas dans la collectivité. Il y a par conséquent moins d’emplois locaux, les revenus des municipalités diminuent et cela entraîne une érosion graduelle de l’assise écono­mique locale.

Pour s’attaquer à ce problème crois ­ sant, Barry O’Neill, président du SCFP – Colombie­Britannique, a lancé la campagne « Ten Percent Shift » (Dix pour cent) pour que plus d’argent demeure au sein des collectivités locales.

« Je passe beaucoup de temps sur la route, à parler aux membres du SCFP, aux membres des chambres de commerce, aux élus et aux gens d’affaires », affirme M. O’Neill. « Ce que j’ai entendu dans presque toutes les régions de la province, c’est que les gens veulent passer à l’action pour améliorer leur économie locale. Le « Ten Percent Shift » leur offre un moyen simple d’y parvenir. »

L’idée est en effet très simple : il s’agit pour les gens de consacrer au moins 10 % des dépenses de leur ménage aux produits, aux entreprises et aux services locaux.

En achetant localement, l’augmentation des retombées économiques locales est évaluée à 25 %. Les économistes appel­lent cela l’effet multiplicateur. Ainsi, plus l’argent circule dans la collectivité, plus la constitution de réseaux au sein de l’éco­nomie locale est facilitée, ce qui, à son tour, a pour effet d’augmenter l’impact des dépenses effectuées en créant des emplois locaux et de l’activité économique.

Le concept gagne en popularité. Depuis le lancement de la campagne en 2011, M. O’Neill a fait des douzaines de présen­tations devant des chambres de commerce, des groupes communautaires et lors de congrès des divisions du SCFP. Le SCFP – Nouvelle­Écosse a également lancé sa propre campagne.

« Les collectivités sont plus fortes lorsque les économies locales sont plus solides », a affirmé M. O’Neill. « Les membres du SCFP comprennent bien

cela. Le « Ten Percent Shift » leur permet donc de contribuer à la vitalité de leur communauté. »

Consultez le site TENPERCENTSHIFT.CA (en anglais seulement) pour appren dre des trucs qui vous permettront de changer vos habitudes de dépenses. Vous pourrez aussi y visionner une vidéo intéressante et plus encore.

EN PREMIÈRE LIGNE CAMPAGNE « DIX POUR CENT »

Notre pouvoir d’achat au service de l’économie locale

Le président du SCFP – C.-B., Barry O’Neill. PHOTO : JOSHUA BERSON PHOTOGRAPHY

ORIENTATIONS ÉCONOMIQUES Coup d’œil sur les plus récentes tendances économiques

Un pilier de longue date du régime de négociation collective au Canada est menacé.

Les politiciens conservateurs, dont le chef de l’opposition de l’Ontario, Tim Hudak, et un certain nombre de dépu­tés du gouvernement Harper, ont indiqué qu’ils prévoyaient légiférer afin d’éliminer ou de limiter la portée de la formule Rand.

Élaborée en 1946 par Ivan Rand, juge de la Cour suprême, afin de régler une grève difficile chez Ford à Windsor en Ontario, la formule Rand (qu’on désigne également par « déduction automatique des cotisations ») a établi un partage fondamental des responsabilités en milieu de travail.

Ainsi, lorsque des travailleurs d’un milieu de travail ont voté pour se syndiquer, le syndicat est tenu de représenter chaque travailleur de façon juste. La formule Rand exige que les employeurs déduisent des cotisations pour tous les travailleurs afin de s’assurer que tous contribuent au coût lié à la représentation syndi cale. Il n’est pas né­cessaire que les travail leurs soient membres du syndicat, mais étant donné qu’ils bénéfi­cient des services du syndicat, ils doivent également partager les coûts s’y rattachant. Cette formule est essentielle pour assurer l’équité dans le milieu de travail.

Depuis sa création, la formule Rand

constitue un élément central des conven­tions collectives comme de la plupart des codes du travail au Canada. Elle a contribué à l’avènement de la période sans précédent de prospérité, de partage de la richesse et d’augmentation du niveau de vie que nous avons connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Grâce à la formule Rand, les travailleurs se font entendre avec succès dans leur milieu de travail, alors que sans elle, les employeurs auraient le monopole du pouvoir.

Certains travailleurs croient qu’ils économiseraient de l’argent en ne payant pas de cotisations syndicales. La preuve est cependant irréfutable : la négociation collective, possible lorsqu’un syndicat est implanté, permet d’obtenir des hausses moyennes de salaires, bien supérieures au coût des cotisations. Bannir ou limiter le

prélèvement automatique des cotisations aurait de graves conséquences.

Dans les États américains où la déduc­tion automatique des cotisations est inter­dite, le rapport de force a changé et les salaires ont chuté. Un récent rapport pré­senté par le Congressional Research Service des États­Unis (Service de recherche du Congrès américain), un organisme non par­tisan, démontre que dans ces États antisyn­dicaux, les salaires annuels moyens étaient inférieurs de 14 % par rapport aux États qui autorisent la déduction automatique.

Selon les estimations, les salaires des travailleurs syndiqués canadiens sont plus élevés de 8 à 23 %. Cela représente environ cinq dollars de plus par heure que ce que reçoit un travailleur non syndiqué, soit près de 10 000 $ par année.

Il n’y a pas que les travailleurs syndiqués qui en profitent. Des salaires syndicaux plus élevés et plus équitables contribuent à l’augmentation du salaire de tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non. Les collectivités avec un taux d’adhésion syndicale élevé ont tendance à avoir, dans l’ensemble, des revenus plus élevés. Ces revenus moyens plus élevés contribuent à soutenir les entreprises et les services locaux.

Plusieurs politiciens conservateurs au pays cherchent toutefois à faire taire l’opposition aux politiques axées sur les profits des sociétés. Lorsque les politiciens s’immiscent dans les négociations collec­tives, les syndicats doivent réagir politi­quement. Cela fait partie de leur travail de représentation des travailleurs. Les syndi­cats doivent continuer à jouer un rôle poli­tique actif afin de veiller à ce que les droits relatifs aux négociations collectives soient maintenus et que les lois qui régissent le milieu de travail soient justes et équitables.

L’action politique du mouvement syndical a profité non seulement aux syndi­qués, mais également à tous les Canadiens. Des lois en matière de santé et de sécurité, des heures de travail raisonnables, les congés payés, les prestations pour congé de maternité, l’assurance­emploi, le Régime de pensions du Canada, les soins de santé universels ainsi que de nombreuses autres composantes essentielles de notre filet de sécurité sociale ont été obtenus grâce au pouvoir collectif des travailleurs, exercé aussi bien à la table de négociations que dans l’arène politique. Les syndiqués ont décidé de ces mesures démocratiquement, par des réso lutions dont ils ont débattues

REPORTAGE NÉGOCIATIONS

La formule Rand : l’importance des cotisations automatiques

4 PRINTEMPS 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

Source : Bureau américain des statistiques en matière de travail (données de mai 2011)

En décembre 2012 à Lansing au Michigan, des manifestants dénoncent les lois de « droit au travail » qui font baisser les salaires. PHOTO : PETER KLEIN, AFL-CIO DU MICHIGAN

et qui ont été adoptées lors des congrès. Bénéficiant de ressources presqu’illi mi­

tées, les lobbyistes des entreprises n’ont pas de difficulté à faire avancer les priorités de leur patron. Pour s’assurer que les intérêts des travailleurs soient également écoutés, il faut du financement et de l’organisation. Le droit d’utiliser les cotisations syndicales pour effectuer de l’action politique conforme à la volonté des membres

a été inscrit dans la loi à la suite de la décision Lavigne rendue par la Cour suprême du Canada en 1991.

Les priorités politiques actuelles du mouvement syndical sont nombreuses. Elles comprennent notamment l’accès à des pensions gouvernementales décentes pour tous les travailleurs grâce à la boni­fication du Régime de pensions du Canada, l’amélioration des soins de santé

publics, l’amélioration des normes de santé et de sécurité au travail, des places en garderie et une éducation postsecondaire de qualité et abordables, l’augmentation des salaires minimums, l’amélioration de l’assurance­emploi et des indemnités pour les travailleurs blessés, l’équité salariale, la justice sociale, la protection des droits de la personne, des logements abordables, l’amélioration des infrastruc­tures publiques, le renforcement des lois en matière d’environnement et des impôts plus équitables.

Les droits des travailleurs, leurs condi­tions de travail et les indemnités qui leur sont versées sont meilleurs – et sont plus susceptibles de s’améliorer – là où le pré­lèvement automatique des cotisations et les taux de syndicalisation plus élevés constituent la norme. Au Canada, la déduc­tion automatique est établie depuis des dé­cennies. On l’a mis à l’épreuve, mais il a été démontré maintes fois, notamment par les plus hauts tribunaux, que ce processus est équitable et démocratique. Toucher à la for­mule Rand entraînera une détérioration de la situation des travailleurs canadiens et fera en sorte qu’il sera plus difficile pour eux de se faire entendre. Cela aura aussi pour effet d’accroître l’écart grandissant entre les riches et les pauvres.

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL PRINTEMPS 2013 5

Vue d’ensemble : Taux de syndica­lisation au Canada et aux États­Unis

Les taux de syndicalisation aux États-Unis et au Canada ont suivi des tendances similaires jusqu’au milieu des années 1960. Par la suite, ils ont chuté aux États-Unis et atteint l’an dernier leur taux le plus bas depuis près d’un siècle, soit 11,3 %. Cette diminution draconienne des taux de syndicalisation s’est produite dans un environnement politique de plus en plus hostile aux syndicats qui ont par conséquent plus de difficulté à recruter des membres et à conclure des conventions collectives dans de nouveaux milieux de travail.

Qu’est-ce que la décision LAVIGNE?Devant payer des cotisations au Syndicat des employés de la fonction publique

de l’Ontario en vertu de la convention collective, Mervyn Lavigne, un professeur de collège communautaire, a contesté cette obligation parce que le syndicat appuyait des causes qu’il ne partageait pas. M. Lavigne n’était pas membre du syndicat, mais devait tout de même verser des cotisations syndicales comme le prévoit la formule Rand. Selon lui, cela violait son droit d’association et sa liberté d’expression garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

La cause de M. Lavigne qui bénéficiait de l’appui de la Coalition nationale des citoyens, un lobby de droite, a été entendue par la Cour suprême du Canada en 1991. Le tribunal a confirmé la validité de la formule Rand.

La cour a statué que les individus ont le droit de refuser de devenir membres d’un syndicat, mais que, dans une société libre et démocratique, ils doivent néan-moins verser des cotisations au syndicat puisqu’ils sont protégés par la convention collective. Les juges ont aussi conclu que l’utilisation des cotisations pour financer la participation d’un syndicat aux débats politiques, économiques et sociaux est cohérente avec le devoir du syndicat de revendiquer au nom de ses membres.

Source : W. Craig Riddell, “Unionization in Canada and the United States: A Tale of Two Countries”; base de données ICTWSS.

L’écart salarial défavorable aux femmes diminue au Canada, mais lentement.

Le salaire horaire moyen des Cana­diennes était de 21,85 $ l’an dernier, soit 86 % du salaire horaire moyen versé aux hommes. Cet écart a diminué par rapport au ratio de 82 % qui prévalait il y a 15 ans, mais à ce rythme, il faudra encore 40 à 50 ans pour l’éliminer.

L’écart salarial est plus marqué lorsqu’on examine les revenus annuels. Étant donné que les femmes occupent plus souvent des postes à temps partiel ou travaillent moins d’heures que les hommes, leur revenu annuel moyen ne représente que 68 % du revenu des hommes. En ce qui concerne celles qui sont considérées comme des travailleuses à temps plein, toute l’année, leur revenu annuel moyen correspond à 76 % de celui des hommes.

Comme le montre notre graphique, l’écart est moins important au Québec et dans les Maritimes, avec l’Île­du­Prince­Édouard en tête de liste. En Ontario, les femmes gagnent en moyenne 87 % du salaire horaire versé aux hommes, un pourcentage légèrement supérieur à la moyenne nationale. Toute fois, cela repré­sente une faible améliora tion par rapport à la moyenne de 82 % qui prévalait il y a quinze ans.

Les femmes de la Colombie­Britannique vivent la pire situation. Non seulement leur écart salarial a diminué le plus lentement, de seulement 3% depuis 1997, et ce sans aucune amélioration au cours de la dernière décennie, mais leurs salaires ont également connu l’augmentation la plus lente de toutes les provinces.

L’écart salarial est beaucoup moins important pour les femmes syndiquées ou protégées par une convention collective. Les femmes syndiquées gagnaient un salaire horaire moyen de 26,32 $ en 2012,

soit 95 % du salaire horaire des hommes syndiqués. En revanche, les femmes non syndiquées gagnaient un salaire moyen de 19,67 $, ce qui représente seulement 81 % du salaire des hommes non syndiqués et 25 % moins que les travailleuses syndi­quées. Au cours des dernières années, la situation des femmes non syndiquées a beaucoup moins progressé en matière de réduction de l’écart salarial.

Pour les travailleuses syndiquées plus jeunes, l’écart pour les salaires horaires a presque disparu. Par contre, les femmes syndiquées plus âgées gagnent en moyenne un salaire 5 à 10 % inférieur à celui de leurs homologues masculins.

Il subsiste manifestement des inégalités entre hommes et femmes syndiquées, mais en faisant de la réduction de l’écart salarial une priorité, des résultats très positifs ont été obtenus. De plus, comme le démontrent les données sur les revenus annuels moyens présentées plus haut dans le texte, les femmes occupent plus souvent des postes à temps partiel ou travaillent moins d’heures que les hommes. De nombreuses autres femmes – particulièrement les femmes issues de minorités ethniques – occupent un emploi tempo raire, à contrat ou un autre type de travail occasionnel.

Les syndicats ont joué un rôle essentiel dans la réduction des inégalités auxquelles se heurtent les femmes, mais il y a encore place à amélioration. Les dispositions en matière d’équité salariale constituent une façon efficace d’obtenir des gains et de contribuer à réduire l’écart. Plus les femmes syndiquées réaliseront de progrès, plus la situation des travailleuses en général s’améliorera.

6 PRINTEMPS 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

ANALYSER LES CHIFFRES ÉQUITÉ SALARIALE

Encore un écart salarial pour les femmes

N.-É. 2,51 $Ontario

3,33 $

N.-B. 2,35 $

Alberta 6,04 $

C.-B. 4,26 $

Manitoba 2,64 $

T.-N. 3,62 $

I.-P.-É. 0,50 $

Québec 2,54 $

Saskatchewan 3,76 $

Canada 3,57 $

Source : Statistique Canada, Tableau 282-0070, estimations tirées du sondage sur la main-dœuvre.

LES FEMMES GAGNENT MOINS ÉCART DU SALAIRE HORAIRE MOYEN ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ÂGÉS DE 15 ANS ET PLUS EN 2012

En 2012, les augmentations moyennes de salaire ont atteint près de 1,8 %, tout comme lors des deux dernières années. Cela démontre que les travailleurs se contentent ou sont contraints d’accepter des augmenta­tions salariales modestes qui correspon dent à la croissance économique anémique.

Selon le Conference Board du Canada, cela représente une « nouvelle norme » au Canada en matière de négociation collective. D’ailleurs, l’organisme prévoit des augmentations du salaire de base dans le secteur public de 1,8 % en moyenne en 2013, une hausse identique au trois dernières années, tandis que la moyenne pour les travailleurs du secteur privé augmentera légèrement, soit de 2,1 %.

Il y a encore des différences impor ­ tan tes entre les augmentations moyennes de salaire obtenues selon les régions et les secteurs, bien que l’écart monétaire ne soit pas énorme. Les travailleurs du secteur parapublic ontarien ont été contraints d’accepter un gel salarial de deux ans et, dans certains cas, des salaires d’entrée plus bas pour les nouveaux travailleurs. Dans le

secteur privé de l’Ontario, plus de 25 000 travailleurs de l’automobile affiliés aux TCA ont également accepté un gel salarial d’une durée de quatre ans et une réduction des salaires d’entrée pour les nouveaux employés.

Les travailleurs des autres régions et secteurs devraient être en mesure d’obtenir des augmentations de salaire correspon­dant à l’inflation. Toutefois, même dans les régions connaissant une rapide crois­sance économique comme l’Alberta et la Saskatchewan, peu nombreux sont ceux ayant obtenu des augmentations de salaire de plus de 3 %, ce qui était pourtant cou­rant jusqu’en 2010. Les augmentations de salaire plus importantes sont plus courantes dans le secteur privé.

Avec des gouvernements prônant l’austérité, un faible taux d’inflation, une faible croissance de l’emploi, des attaques multipliées contre les syndicats et le pou­voir de négociation des travailleurs, les chances immédiates d’obtenir des augmen­tations de salaire décentes sont faibles. Pourtant, l’économie s’en porterait mieux.

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL PRINTEMPS 2013 7

SALAIRES QUI OBTIENT QUOI

La tendance se poursuit, les travailleurs gagnent moins

INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION

L’inflation a été plus faible que prévu en 2012L’inflation a chuté tout au long de la dernière année. La

variation sur douze mois de l’indice des prix à la consommation était de 2,5 % en janvier 2012. Elle a ensuite diminué de façon constante pour atteindre 0,8 % en décembre. La moyenne annuelle a été de 1,5 %. Malgré la hausse des prix des aliments, la diminution des prix des vêtements, des chaussures, des automobiles, du gaz naturel et des hypothèques a fait diminuer le taux d’inflation en général.

L’inflation a été plus élevée en 2012 dans l’est du Canada où son taux moyen a été de 2 % ou plus, sauf au Nouveau-Brunswick. L’inflation a été à son plus faible en Alberta et en Colombie- Britannique, avec un taux de 1,1 %. L’inflation se rapprochait de la moyenne nationale en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan.

Les principales banques s’attendent à ce que l’inflation demeure modérée en 2013, à un taux moyen de 1,6 % à l’échelle canadienne, avant d’augmenter à 2,1 % en 2014. La Banque du Canada prévoit une inflation légèrement plus basse pour ces deux années. Dans les provinces riches en ressources naturelles comme l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador, on s’attend à ce que les prix augmentent plus rapidement par rapport à la moyenne nationale.

Source : Données sur les négociations collectives de Travail Canada

Sources : Statistique Canada, tableau Cansim 326-0020, et prévisions récentes des banques TD, RBC, CIBC et BMO

INFLATION DES PRIX À LA CONSOMMATION

Actuel Prévisions Prévisions 2012 2013 2014

Canada 1,5 % 1,6 % 2,1 %Terre-Neuve-et- Labrador 2,1 % 1,9 % 2,2 %Île-du-Prince-Édouard 2,0 % 1,7 % 1,9 %Nouvelle-Écosse 2,0 % 1,8 % 2,1 %Nouveau-Brunswick 1,7 % 1,6 % 1,8 %Québec 2,1 % 1,8 % 1,9 %Ontario 1,4 % 1,7 % 2,1 %Manitoba 1,6 % 1,8 % 2,0 %Saskatchewan 1,6 % 2,0 % 2,4 %Alberta 1,1 % 1,8 % 2,2 %Colombie-Britannique 1,1 % 1,2 % 1,8 %

PAR SECTEUR JANV. À NOV. 2012

Total national 1.7%

Secteur public 1.7%

Secteur privé 1.6%

PAR PROVINCE

Terre-Neuve-et-Labrador 6.0%

Île-du-Prince-Édouard 2.0%

Nouvelle-Écosse 2.3%

Nouveau-Brunswick 2.0%

Québec 2.0%

Ontario 1.1%

Manitoba 2.7%

Saskatchewan 1.2%

Alberta 2.9%

Colombie-Britannique 1.0%

AUGMENTATIONS DE SALAIRE MOYENNES DES PRINCIPALES CONVENTIONS COLLECTIVES JANVIER À NOVEMBRE 2012

8 PRINTEMPS 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

Plus de 1 000 membres du SCFP se sont réunis à Ottawa pour assister à la pre-mière Conférence nationale sur les négociations. Pendant quatre jours, les membres, le personnel, les militants et les dirigeants de tout le pays ont partagé des stratégies et appris les uns des autres sur la meilleure façon d’aborder les défis auxquels nous som-mes confrontés en matière de négociations au Canada.

Une discussion sur l’économie, un sujet qui touche les syndicats et les services publics de près, a eu lieu en début

de conférence.La table ronde « Construire

une économie qui fonctionne », animée par Anne Lagacé Dowson, présidente et directrice générale

d’ENSEMBLE, a en effet permis de se pencher sur le climat économique

actuel et sur ce que peut faire le mouvement syndical pour recadrer

le débat public.« On cible les syndicats, non pas parce

que ce sont des syndicats, mais parce qu’ils représentent la classe moyenne », a indiqué Armine Yalnizyan, économiste en chef du Centre canadien des politiques alternatives. « Écrasez les syndicats et vous permettrez aux entreprises de faire tout ce qu’elles veulent ».

Si elles ont le champ libre, a souligné Mme Yalnizyan, les entreprises feront plus que nuire directement aux travailleurs. Les politiques qu’elles soutiennent, comme une soi­disant loi sur le « droit au travail » et les ententes à deux vitesses, feront mal à toute l’économie.

« Si tout le monde touche moins d’argent, le capitalisme ne marche pas. Ainsi, les mesures qui semblent parfois les plus bénéfiques à court terme pour une entreprise, comme réduire les salaires des travailleurs, affectent l’économie dans son ensemble. Les travailleurs n’ont alors plus d’argent pour faire rouler l’économie », a expliqué Mme Yalnizyan.

Deena Ladd, coordonnatrice au Centre d’action des travailleurs, un organisme qui œuvre auprès des travailleurs immi­grants à Toronto, a aussi affirmé que nous avons trop à perdre si on laisse les intérêts de l’entreprise privée dominer la vision canadienne de l’économie. Les syndicats doivent agir afin d’élargir les perspectives.

Mme Ladd a aussi souligné l’impor tance de tendre des perches à l’extérieur du mouvement syndical pour résister aux attaques de la droite.

« Nous devons tisser de fortes alliances pour nous appuyer les uns les autres dans les moments difficiles », a­t­elle affirmé. « Sans cela, lorsque les attaques pleuvront, les gouvernements auront beau jeu d’adopter un discours du type “ils sont privilégiés et ont un régime de retraite, alors que vous n’en avez pas”. Il faut tisser des alliances qui réorienteront le discours vers quelque chose comme “ils ont un régime de retraite, mais moi aussi j’en veux un”. »

Ces deux participantes ont convenu que, pour contrer ces fausses conceptions, il fallait collaborer avec les travailleurs non syndiqués et les défendre.

« Cela implique d’être solidaire des travailleurs immigrants. Cela signifie de se battre pour une hausse du salaire minimum. Cela signifie de participer aux campagnes pour conserver nos acquis », a indiqué Mme Ladd. « Si nous ne résistons pas à ces attaques, que croyez­vous qu’il nous arrivera lors de la prochaine ronde de négociations? »

■ Greg Taylor

POUR EN SAVOIR PLUS sur la conférence, consultez le SCFP.CA/ NEGOCIATIONS/CONFERENCE

NÉGOCIATIONS ÉCONOMIE

Tisser des alliances solides : discussions sur l’économie à la Conférence sur les négociations

Armine Yalnizyan, panéliste à la Conférence nationale du SCFP sur les négociations.

Deena Ladd, panéliste à la Conférence nationale du SCFP sur les négociations. PHOTOS : JOSHUA BERSON PHOTOGRAPHY