legends at the abyss

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50 | STANCE STANCE | 51 TRIP MARSHALL TRIP MARSHALL Texte: Gavin McClurg Photos: Jody McDonald Texte: Gavin McClurg Photos: Jody McDonald ai attendu et préparé ce moment pendant des mois, mais maintenant qu’il se présente, je me sens misérable devant le retard pris sur le planning. Ma nouvelle assistante était censée se présenter il y a quelques jours, mais elle a manqué son vol à Honolulu. Conséquence directe, à la place de me consacrer aux cauchemars logistiques, je fais les lits et nettoie les recoins. J’ai juste été capable de réunir à temps les informations relatives à notre itinéraire. Le bateau de marchandise n’était pas encore arrivé pour remplir les magasins de denrées. Ma liste de chose à faire demeure bien trop longue. L’ambiance est tropicale, humide et moite, et mon cerveau vibre. Au lieu d’insister, je ferais mieux de donner à mon corps quelques heures de sommeil plutôt que ces innombrables tasses de cafés qui m’ont cependant permis de tenir le coup ces derniers jours. J

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50 | STANCE STANCE | 51 Texte: Gavin McClurg Photos: Jody McDonald Texte: Gavin McClurg Photos: Jody McDonald Je rencontre Pete Cabrinha pour la première fois, mais on s’embrasse comme de vieux potes. Son corps est sculté d’une vie entière passée à surfer, et bien que moins massif que ce que j’imaginais, il dégage force et puissance. Son sourire est humble et Ma VHF portable aboie à mort. « Discovery, Discovery, Discovery, c’est Bilderback ! ». 54 | STANCE STANCE | 55

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Texte: Gavin McClurg Photos: Jody McDonaldTexte: Gavin McClurg Photos: Jody McDonald

ai attendu et préparé ce moment pendant des mois, mais maintenant qu’il se présente, je me sens misérable devant

le retard pris sur le planning. Ma nouvelle assistante était censée se présenter il y a quelques jours, mais elle a manqué son vol à Honolulu. Conséquence directe, à la place de me consacrer aux cauchemars logistiques, je fais les lits et nettoie les recoins. J’ai juste été capable de réunir à temps les informations relatives à notre itinéraire. Le bateau de marchandise n’était pas encore arrivé pour remplir les magasins de denrées. Ma liste de chose à faire demeure bien trop longue. L’ambiance est tropicale, humide et moite, et mon cerveau vibre. Au lieu d’insister, je ferais mieux de donner à mon corps quelques heures de sommeil plutôt que ces innombrables tasses de cafés qui m’ont cependant permis de tenir le coup ces derniers jours.

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n a organisé des trips semblables à celui-ci pendant près de 11 ans… Vous pensez que je devrais être plus

relax… Normalement oui, mais aujourd’hui est différent. Notre liste d’invité inclut 4 des meilleurs waveriders du monde. Ces gars parcourent le globe pour dénicher le meilleur, et j’ai réussi à les motiver pour venir dans un endroit dont personne n’a jamais entendu parler. Je sais qu’il y a du vent. Je sais que c’est lointain. Je sais que d’après les cartes, il y a des chances d’avoir des vagues. Mais à côté de ça, c’est peut-être un piège affreux. Tous les ingrédients sont réunis pour que ce soit une grande expédition, mais mon optimisme naturel est supplanté par un doute sous-jacent.

Ma VHF portable aboie à mort. « Discovery, Discovery, Discovery, c’est Bilderback ! ».

Tout part de là. C’est l’heure de jouer. Notre équipe vient d’arriver. Je descends d’un trait une Nième tasse de café et je froisse définitivement la liste des choses à faire. Certains trucs devront rester inachevés on dirait. Je trace vers le quai à bord de l’annexe et je distingue deux gros vans. Le premier rempli de corps jet-laggés, le second de matos. Des faces souriantes émergent et je me sens immédiatement plus à l’aise. Une bonne expédition commence toujours avec des bonnes personnes, et de ce côté là, on est pas en manque.

Je rencontre Pete Cabrinha pour la première fois, mais on s’embrasse comme de vieux potes. Son corps est sculté d’une vie entière passée à surfer, et bien que moins massif que ce que j’imaginais, il dégage force et puissance. Son sourire est humble et

magnétique. Je me tourne pour rencontrer la « 4 times world champion » Kirstin Boese, et je suis instantanément sous le charme. C’est une déesse, il n’y a pas d’autre mot. Moe et Mauricio reviennent pour leur 3eme trip sur le Best Odyssey, et j’ai déjà une petite idée de ce que sont capables de faire ces gars au boulot. John Bilderback et Jody MacDonald sont là pour capturer l’action en photo et vidéo. Deux invités vont faire le trip avec nous (le bateau propose un time-sharing pour ceux qui veulent partager cet état d’esprit d’exploration). Bruce Marks, un adorable docteur Australien, et Scott Wisenbaker, récemment relevé de ses obligations à New York suite à une restructuration de Goldman Sachs. Sole, notre chef Chilienne, m’averti qu’elle a déniché tout ce dont elle avait besoin au marché. Et je rencontre finalement Pia, notre second, également du Chili.

Je dispense un bref résumé des règles de sécurité à bord, tout le monde est prêt et découvre l’itinéraire. Nous devons naviguer un long moment vers un endroit dicté par la carte, on ne sait pas grand-chose. Les îles Marshall s’étendent sur une large partie de l’océan Pacifique, à 2000 miles au sud-ouest d’Hawaii, et consistent en 29 atolls dotés de plus de 1200 îles décimées dans le périmètre. Seuls d’eux d’entre eux sont desservis par voie aérienne. Les autres sont partiellement peuplés, fantastiquement isolés et inaccessibles sauf pour les bateaux de taille certaine. Il n’y a aucune sécurité où nous allons. Pas d’hôpitaux, pas de magasin, aucune offre ou service quelconques.

Le premier tronçon du voyage dure 18 heures, à une allure modérée. L’estomac de Bilderback est en désaccord violent avec les mouvements du bateau, et mes propres doutes augmentent. Dans quoi est ce que je nous ai embarqué ?L’île en question a deux passes sur la côte nord, et la première est totalement flat. Ça a l’air prometteur, mais

il n’y a pas de vague. Je suis au bord des larmes alors que nous naviguons jusqu’à la seconde passe. Et si on s’était complètement trompé ? Je sais que ce ne sont pas le genre de gars qui se plaignent, mais j’ai l’impression d’être du mauvais côté de la cocotte-minute. Heureusement, la seconde passe lève un petit swell, et les prévisions annoncent un swell arrivant dans notre direction. Nous décidons de nous mettre à l’eau, c’est surement le meilleur médicament pour les estomacs récalcitrants, et, chacun notre tour, nous décollons depuis le pont de Discovery. Une douzaine de locaux apparaissent de derrière les arbres, comme un mirage dans le désert. Nous pensions tous que l’île en question était déserte, et je me surprends en train de les bloquer comme s’il s’agissait d’une apparition. Leurs yeux sont tournés vers le ciel pour leur première rencontre avec le kite, et peu après, ils sautent et crient des « whoas ! » et des « woows ! » révélateur de l’impression que notre sport dégage.

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e lendemain matin, notre espoir pour un swell conséquent est à son paroxysme. Nous sommes ancrés sur un petit reef à la fin d’une droite massive qui s’enroule volontairement le long d’une

passe profonde jusque dans le lagon intérieur. J’ai été éveillé toute la nuit, en partie pour garder un œil sur le mouillage, mais aussi essayer de deviner ce que ferait le point break à la première lueur du jour.« Whhaaaaaaaaaaat ? » gueule Moe avant même que le soleil ait éclairé les cocotiers. Je jette un coup d’œil, et je suis paralysé, je ne peux rien dire si ce n’est un « my god ! ». Le break a doublé de taille et le vent side-off a transformé l’endroit en spot de rêve pour le kite. Des mois de tension s’évacuent en un instant de mon corps soulagé, je suis finalement comme exorcisé, et je retrouve la paix. Nous allons récolter les fruits maintenant.

ujourd’hui, Scott, Bruce et moi-même ridons avec Pete Cabrinha, qui donne l’impression de glisser sans effort dans la plus grande vague du set. On expérimente le frisson d’être témoin du premier

drop ridiculement profond de Moe. Puis on admire aussi le style notoire de Mauricio. Kristin avait déjà charmé chacun d’entre nous au préalable à bord du bateau, et maintenant, elle est là, à apprivoiser des géants à son rythme. Je ne peux m’empêcher de me demander comment une femme peut faire tout ça ET poser sur la couv de Playboy !! Jody revient d’une session de shooting sur la plage, et nous rapporte une remarque constructive. Une des habitantes lui a demandé « Ils n’ont pas peur des requins ? »… Jody a répondu « Non… Ils devraient ? ». La femme lui répondit en lui montrant deux gosses qui traînaient sur la plage avec de larges cicatrices sur les jambes. On continuera à s’amuser ici, mais on fera plus gaffe pour davantage rester debout sur nos boards.

Durant le lunch break, Bruce demande à Pete, qui a ,je pense, une connaissance approuvée dans les vagues, à combien il estime la qualité de ce spot sur une échelle de 1 à 10. Pete se marre et répond « 9,9 ». Mais ce n’est pas seulement la qualité de la vague et du vent qui rendent ce spot trop beau pour être vrai. C’est que nous sommes les seuls ici. Chacun d’entre nous jure que nous ne quitterons jamais cet endroit, mais en fait, il n’y a nulle part ou aller à part ici. Dès que nous quitterons cette vague, nous serons desoeuvrés de façon irrémédiable, enfin, au moins le temps de se rendre ailleurs.

La journée laisse place à un magnifique ciel noir, et le vent siffle dans les haubans. Je règle l’alarme de l’ancre alors qu’une grosse pluie m’empêche de dormir sur le pont pour garder un œil sur ce qui se passe. Juste après que tout le monde ait regagné sa couchette, l’alarme se met à hurler. Un rapide check de la jauge de profondeur et du radar confirme que nous avons perdu notre ancrage et qu’on dérive à grande vitesse sur un reef situé sous le vent. Je me précipite sur les moteurs pendant que mon second lève l’ancre. Nous devrons longer le reef pendant 10 miles jusqu’à la prochaine passe afin de trouver un endroit plus sûr où passer la nuit. Cette sale histoire, plus le fait d’être trempé, me laisse complètement vidé. Mais ce changement forcé de spot s’avère payant. La passe lève un swell, et la vague engendrée est immédiatement comparée à la fameuse « Restaurants » de Fiji, mais en droite, et qui déroule très longtemps. Nous décollons depuis une île que Jody qualifie de « stupidement splendide ». Nous sommes d’ailleurs tous d’accord avec cette description. La session parle en photo.

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est à peine le quatrième jour, et l’équipe commence déjà à se lever de plus en plus tard. Les muscles font mal, la peau est brûlée. Besoin

de trois tasses de café au lieu d’une. Inspiré de ce que j’ai pu voir ces jours derniers, je gonfle une 8 et me jette à l’eau pour une bonne session. Je reviens peu après avec la première, et heureusement unique, blessure douloureuse du trip. Un problème de tympan après avoir droppé un peu trop profond sur une belle vague. La douleur n’était pas due au choc en lui-même, mais à l’infection qui en découla. On ressent exactement comme si quelqu’un perçait directement avec un foret de 12 dans le cerveau. En même temps, la douleur était atténuée par le fait que je n’ai jamais autant pris de plaisir que cette fois là à rider dans les vagues.

De façon regrettable, nous avons pris la décision de laisser nos corps se reposer, et nous avons planifié un trajet sur un autre atoll, situé à 70 miles d’ici. Nous nous dirigeons à travers le reef vers une passe profonde. Le seul son qui brise le silence est celui de la voile gonflée par le vent et celui des longues déferlantes qui ont créé le swell que nous avons ridé les jours précédents. À seulement quelques centaines de mètres de l’atoll, la profondeur plonge à 10000 pieds et plus. Le vent qui ne faiblit pas fouette l’océan qui crée des

moutons impressionnants. La carène de Discovery descend le swell, et je m’émerveille de sa résilience. Pete dessine la scène sur son bloc d’esquisses, alors qu’une ligne de pêche retentit de ce son magique. Une heure plus tard, Scott sort un Yellow Fin Tuna énorme de 120 pounds. Sans attendre davantage, les sashimis sont servis, et de bons gros steaks sont rapidement congelés pour la suite du trip.

Au loin sur tribord, une ligne bleu clair se distingue nettement puis disparaît, c’est le premier signe de notre destination. En dehors de cette ligne, nous naviguons dans une mer quasiment sans fond, alors qu’a l’intérieur de cette ligne aux couleurs irréelles se trouve bien sur un énorme lagon. Nous chassons la passe qui nous permettra d’y pénétrer. Cet atoll n’est mentionné sur aucun guide de voyage. Cette ligne semble être la démarcation de la fin du monde, l’abysse, nous venons d’atteindre l’endroit le plus loin de la terre. Jamais lors de mes nombreux trips précédant je ne me suis senti si lointain, si isolé de tout. Mais cet atoll n’est pourtant pas inhabité, il y a des gens qui vivent sur ces petites îles. En périmètre du lagon, ils nous approchent dans des pirogues à voiles faites maison. Ils arborent de francs sourires, mais des regards désorientés et inquisitoires. Ils ne reçoivent aucun visiteur. J’ai parlé avec d’autres marins qui ont passé des années dans les îles Marshall, aucun n’est jamais venu jusque-là. J’ai cherché sur internet, pas un seul clic d’info. Nous sommes arrivés en limites des conquête de l’homme blanc.

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fond sablonneux 10 mètres sous Discovery, dans ce qui doit être la plus grande piscine du monde. Les locaux approchent dans leurs pirogues typiques creusées dans des troncs d’arbres fruitiers, elles ont d’ailleurs l’air bien trop frêles pour leurs propriétaires. Des gros gabarits dans des bateaux de pygmées.

Le village est rempli d’enfants souriants, de mamans fières, et des grands mère très coquettes et élégantes. Nous sommes littéralement accueillis à bras ouverts. Ils hurlent de joie lorsqu’ils voient leur visage dans l’écran de la cam LCD. Je pense que Pete avait raison quand il dit que nous devrions rester là pour toujours. On devrait…

Les jours suivants, nous jouons des heures durant sur un autre point break, et les pros trouvent même l’énergie d’initier et de divertir quelques jeunes locaux sur les eaux plates devant leur village. Les enfants crient, tapent des mains, les adultes se marrent.Un jour, nous sommes assis sur le sol, chez le professeur local, et nous buvons de l’eau de noix de coco. Quelqu’un demande quel est le plus gros problème de la communauté dans un endroit aussi reculé. L’homme sourit, regarde amoureusement sa femme, puis nous regarde innocemment et répond : « Des problèmes ? Nous n’avons aucun problème ici… ». La vie est ainsi au bout du monde.

Alors que la fin du trip se profile, chacun tire ses conclusions, nous avons tous eu nos propres révélations. Nous sommes tous d’accord pour dire que ce fut le trip de notre vie, mais peut être que ça fait trop cliché de dire ça… Je peux sans aucun doute dire que c’est le meilleur endroit… Non, Que c’est le meilleur moment de ma vie.

unique passe pour pénétrer le lagon est identifiée. Elle est profonde mais très étroite. Deux lignes bleu foncé forment un Y vers le nord et vers le

sud, elles sont bordées de murs verticaux de corail qui remontent des profondeurs jusqu’à quelques centimètres à peine de la surface. Des colonies de petits poissons bleu électrique se déplacent à l’unisson le long de la barrière. Dans le lagon, tout le monde se jette à l’eau et se fait tirer par Discovery pour profiter au mieux du spectacle. Je n’ai tout simplement jamais vu un endroit comme celui-ci. La beauté ne s’explique pas par des mots, j’ai essayé d’écrire quelque chose, mais c’est impossible.

Nous voyageons sous voile, sans stress, pour rejoindre quelconque destination qui nous attend devant. Des miles de reef original défilent à un rythme langoureux. Chacun d’entre nous est calme, perdu dans ses pensées et réflexions, nos esprits sont complètement absorbés par notre environnement. Nous atteignons une île solitaire à l’extrémité nord du lagon. L’ancre coule et se pose sur un

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uand on sent la fin arriver, le feeling est souvent le même. Je pense qu’il est partagé par mes pairs. Ce sentiment est la tristesse. Ces jours hors du temps, hors du monde, qui semblaient être éternels, furent en fait

bien trop courts. Un trip de plus derrière nous. D’autres à venir. Je me sens immensément reconnaissant de cette folle vie que je sais apprécier. Je suis également conscient de comment c’est éphémère. Comme le swell, comme le vent… Ça arrive… Puis c’est fini.

The Best Odyssey is a 5 year world kiteboarding expedition headed up by the author, Gavin McClurg. The expedition would like to thank Continental Airlines for their generous support. To find out more and see a short video from the trip, please visit www.offshoreodysseys.com

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