le_hadj laroussi belkacem
TRANSCRIPT
-
EPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRER
MINISTERE DE LENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET
DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE EL HADJ LAKHDAR BATNA-
Facult des lettres et sciences sociales
Dpartement de Franais
Ecole doctorale Algro-Franaise
Antenne de Batna
Thme
Mmoire labor en vue de lobtention du diplme de magistre Option : sciences du langage Sous la direction de : Prsent et soutenu par : Pr. Abdelhamid Samir Hadj laroussi Belkacem
Membres du jury:
Prsident : Pr.Bensalah Bachir universit de Biskra
Rapporteur : Pr. Abdelhamid Samir universit de Batna
Examinateur : Pr.Manaa Gaouaou universit de Batna
Examinateur : Dr.Khenour Salah universit de Ouargla
Anne Universitaire : 2011 / 2012
Le jeu du je et du nous ou la multiplicit du
sujet dans luvre de Mouloud Feraoun
Le fils du pauvre
-
Certes, il ya des travaux pnibles ;
mais la joie de la russite na-t-elle pas
compenser nos douleurs ?
Jean de la bruyre
-
Remerciements
Je tiens remercier tout dabord mon directeur de recherches,
Professeur SAMIR ABDELHAMID, pour sa patience, et surtout pour sa
confiance, ses remarques et ses conseils, sa disponibilit et sa
bienveillance.
Quil trouve ici le tmoignage de ma profonde gratitude.
Je voudrais galement remercier les membres du jury pour avoir
accepter dvaluer ce travail et pour toutes leurs remarques et
critiques, ainsi que le personnel et les enseignants de lannexe de
Batna de lcole Doctorale sans oublier les enseignants trangers qui
ont contribu ma formation.
Je tiens aussi remercier monsieur le chef du dpartement de franais
lUniversit de Msila : Dr Lakhdar Kherchi ainsi que tout le
personnel et les enseignants du dpartement pour leur soutien
inestimable.
A tous mes enseignants qui mont initi aux valeurs authentiques, en
signe d'un profond respect et d'un profond amour !!!
Merci vous tous
-
Ddicace
A la mmoire de mon dfunt pre.
la plus belle crature que Dieu a cre sur terre ,,,
cet source de tendresse, de patience et de gnrosit,,,
ma mre !
ma femme qui a toujours tait mes cots
A mes chres filles : Sirine, Racha, Fatima Zohra
mon grand frre et pre Djamel
tous mes frres et surs, ainsi que leurs enfants
mes beaux parents et toute ma famille
tous mes amis et collgues
tous les tudiants de la promotion 2009/2010
Option : sciences du langage
A tous ceux qui, par un mot, mont donn la force de continuer ..
-
1
Introduction gnrale et objectif de ltude :
Je me voulais crivain sans en mesurer la souffrance et le vertige !
En commenant par cette citation de lcrivain marocain A.Khatibi, nous
voulions montrer la difficult du produit scriptural, mais ltude et/ou la critique de
ce produit reste plus difficile encore.
Lvolution des espces vivantes a suivi des voies qui peuvent nous paraitre
bien mystrieuses. En ralit, chaque organisme vivant reprsente sa manire une
incroyable russite, et il est difficile de dire ce que cette volution a fait de mieux,
tant chacun de ses produits force en quelque sorte notre admiration !
Il nen reste pas moins que cependant que le langage a toujours t considr
comme un fruit trs particulier et fascinant de cette volution, comme sil sagissait
dun inestimable cadeau quaurait reu lespce humaine !
Dun animal intelligent ne dit-on pas : il ne lui manque que... , et cest
sans doute ce qui fait dire au philosophe Alain1 : qui na point rflchi au langage
na point rflchi du tout .
Le langage humain est considr comme un objet la fois familier, trange et
surtout merveilleuxcest le comportement symbolique humain le plus dvelopp !
Les langues naturelles nimposent pas de limites lexpression : tout ce que
nous percevons, concevons, imaginons, pensons, prvoyons peut trouver une
expression langagire et, par consquent, se communiquer autrui.
En ralit, alors que la communication animale se limite un rpertoire
limit de messages relativement strotyps (appel, alerte, demande, menace,..) le
langage humain nous rend capable dexprimer un nombre de significations quasi
illimit. Outil de communication, il participe de laction de lhomme sur le monde.
Lapplication de certaines mthodes linguistiques des textes littraires est
fconde : elle permet den faire surgir certains aspects qui intressent les linguistes
dune part et les spcialistes de lautre part. Et partir des annes 1980, ltude
linguistique de la littrature sest renouvele grce aux acquis de lnonciation, de la
linguistique textuelle et de lapragmatique.ces approches ont donn une grande 1 mile Chartier, dit : Alain, essayiste franais n Mortagne (1868-1951)
-
2
pousse pour ltude du texte littraires et ont permis laccs des phnomnes
linguistiques dune grande finesse() o se mlent troitement la rfrence au
monde et linscription des partenaires de lnonciation dans le discours 1.
Ltude de ces phnomnes ouvre alors, plusieurs voies la lecture littraire,
notamment des rflexions sur la construction de la rfrence et les figurations de la
subjectivit.
La structure de la langue est lie au sujet humain de lnonciation et la
socit dont il appartient ; tout auteur qui crit une uvre sadresse un public, un
ou des lecteur(s), do la situation doit se dterminer par la relation entre
nonciateur(auteur) et un nonciataire (lecteur), () cest par le langage que
lhomme se constitue comme "sujet"; parce que le langage seul fonde en ralit,
dans sa ralit qui est celle de ltre, le concept d"go" 2
En gnral, et dans toute production, crite soit-elle ou orale (notre tude
sintresse la production scripturale), les pronoms personnels sont omniprsents ; et
par consquent, personne ne peut sen passer de leur usage. Ce sont dailleurs la
catgorie que nous rencontrons le plus dans tous les discours.
Les pronoms personnels sont des formes linguistiques qui ont t toujours
considres comme une seule et mme classe fonctionnelle et formelle :
Les indicateurs je- et tu-, ne peuvent exister comme signes virtuels, ils
nexistent quen tant quils sont actualiss dans linstance du discours o ils
marquent par chacune de leur propre instance le procs dappropriation par le
locuteur .3Mais, alors peut-on imaginer une langue sans pronoms ?jamais !
Le problme des pronoms nest pas un problme de langue, mais plutt un problme
de langage, et cela est du luniversalit de ces formes linguistiques.
Problmatique :
Les pronoms personnels ne sont distingus des autres pronoms, que
seulement par leur dnomination.
Dans la mesure o Toute manifestation verbale (...) a la facult (...) de
communiquer ses intentions aux lments du langage intgrs dans ses vises
smantiques et expressives, et de leur imposer des nuances de sens prcises, des tons
1 D. Mainguenau,, pragmatique pour le texte littraire, Nathan universit, paris, 2001 2 E. Benveniste, problmes de linguistique gnrale I, Ed. Gallimard, Paris, 1966, p.256 3 Ibid. P.255
-
3
de valeur dfinie 1,luvre littraire est considrer, la fois, comme une uvre
esthtique et comme un lieu de questionnements sur la langue, suggrs par les
priorits syntaxiques, stylistiques et lexicales de lauteur dterminant ses vises ou
ses intentions.
Les pronoms personnels ou comme les appellent dautres linguistes
embrayeurs ou dictiques , ont suscit un intrt majeur dans les tudes et
recherches linguistiques rcentes linstar de celles de Dominique Mainguenau, et
Catherine Karberat-Orecchioni.
En langue franaise, lusage des pronoms personnels de la premire personne
je et nous permet de se dfinir en tant qunonciateur, mais lalternance dans
cet usage posera des problmes, ce qui nous oblige tre attentif et marquer du recul,
afin de bien saisir lnonciateur.
Notre objet dtude porte sur les deux pronoms personnels de la premire
personne savoir je et nous dans le rcit autobiographique (dans la mesure o
le roman de Mouloud Feraoun le fils du pauvre est purement une autobiographie
de lauteur lui mme ),car nous savons que le nom du personnage central du rcit
Fouroulou Menrad nest que lanagramme de lauteur ,ainsi que ce passage de
Mouloud Feraoun son ami Robls dommage, car une prface de toi au fils du
pauvre naurait fait de mal ni toi, ni moi, ni lcole.de toute faon, dis-moi ce
quil faut faire :je suis prt parler de moi en 15lignes comme je lai fait en
200pages 2, et dans une lettre Madame Landis-Benos,le 4fevrier
1955: Fouroulou, ctait peu prs moi 3.
Le rcit autobiographique est une narration la premire personne avec
excellence, cest lhistoire de soi-mme, cest--dire narrer avec un je , mais ce
je se mtamorphose souvent en nous , premire personne du pluriel. Lauteur
change ainsi de statut, ce choix des pronoms nest pas innocent :
Le choix dun pronom personnel entraine et inspire dautres choix ()
touche la question fondamentale de la place o est situ un rcit donn dans les
catgories des possibles narratifs 4.Lauteur cherche donc, se raconter par le
1 M. Bakhtine, Esthtique de la cration verbale, Paris, Gallimard, 1984, P.112 2 Mouloud Feraoun, lettres ses amis, d. seuil, 1969, p.92 3 Ibid. P.93 4 Glowinski Michael, Sur le roman la premire personne, dans Esthtique et potique, textes runis et prsents par G. Genette, Ed. Seuil, Paris, 1992, p.229
-
4
truchement d'un personnage "fictif" ou "romanesque. Il suffit de chercher "hors du
texte" les dtails autobiographiques pour s'assurer qu'il s'agit du personnage auteur.
Cette tude s'intresse donc, la description de ce que nous avons appel le
jeu du "je" et "nous" .Par le mot jeu , nous visons montrer la multiplicit du
sujet nonciateur mme sil sagit dune autobiographie ou une criture de soi, et
aussi nous visons par l ,le jeu de la langue, et les diffrentes situations
nonciatives qui permettent ainsi un va-et-vient des deux pronoms dj mentionns
et comment ce processus de mutation du je en nous prend place dans
lcriture de Mouloud Feraoun .Ce va-et-vient entre ces pronoms ,donc ,relve dune
stratgie adopte par lcrivain afin daccder un but dtermin :montrer son
appartenance et sa relation avec son groupe social (son village),les deux pronoms
seraient donc des marqueurs relationnels, une relation de solidarit surtout, et aussi
celui dagir sur autrui et limpliquer tout en dnonant une situation de vie des plus
misrable, car lcriture est une entreprise singulire et collective la fois, cest
dire quon ncrit pas pour soi-mme seulement, mais aussi pour les
autres ; lcriture est bien entendu une entreprise singulire, mais elle ne se
dtache pas ici des proccupations collectives, quil sagisse de traduire une
exprience linguistiquede traduire une exprience socioculturelle, daccepter ou
de refuser tel aspect de lhistoire littraire occidentale 1.
Notre hypothse est que lcriture de Mouloud Feraoun dans le fils du
pauvre renferme des stratgies discursives mises au point par lauteur afin de
construire et de dfendre une thmatique particulire : il ne sagit pas seulement
dune autobiographie mais plutt dune biographie collective. Il sagit pour nous
donc, de sintresser lusage altern des pronoms personnels de la premire
personne je et nous , tout en prenant compte de la situation dnonciation et
identifier qui renvoie lun et lautre et daborder les modalits dnonciation de ce
jeu langagier et la diversit du sujet dans le roman le fils du pauvre .
Nous montrons comment celui-ci sous-tend la dimension nonciative du discours de
lauteur et ses intentions, de montrer aussi les degrs dimplication de lauteur dans
son nonc et sa relation avec sa socit (le contexte de cette production artistique)
do cette relation de solidarit , do surgit une relation dinterdpendance entre
une identit personnelle et une identit collective, en cherchant associer son
destinataire et par la suite linfluencer ! 1 Moura Jean-Marc, Littratures francophones et thories postcoloniale, PUF, Paris, 1999, P.43
-
5
Est-ce que cest sa voix quil veut nous faire entendre ?ou cest la voix collective
de toute une population opprime ? Sagit-il dune biographie individuelle ou une
biographie collective ?
Aprs une introduction gnrale o nous avons essay de montrer lutilit de la
langue en gnral chez le sujet humain et du langage en particulier, un aperu sur la
littrature maghrbine dexpression franaise savre ncessaire (puisque le corpus
dtude y est inscrit), nous avons divis le travail en trois chapitres.
Dans le premier chapitre, nous procderons montrer lintrt qui a t donn
la linguistique saussurienne c'est--dire tudier la langue comme les algorithmes ,
et comment dautre linguistes ont pens que lnonc possde dautres niveaux
dorganisation plus profonds do lapparition de la linguistique nonciative, et
aussi sans oublier et ngliger lapport qua fourni la psychanalyse ; le sujet
producteur de tout nonc est influenc par ce quil lentoure.
Ainsi, la comprhension et lanalyse de lnonc ne peut se faire sans recourir
lextratexte. Le langage humain est rgi par un contexte qui impose un choix de
mots ; le rcit autobiographique que nous le prsenterons brivement en est une
grande preuve avec surtout ces voix multiples qui accompagnent toujours linstance
de la narration savoir je !
Tout en sappuyant sur les travaux de Bakhtine et la notion de polyphonie, le fruit
dune conception Lacanienne du sujet le je- nest quun autre
Le deuxime chapitre sera consacr aux pronoms personnels dune faon
gnrale et ceux de la premire personne je et nous plus particulirement.
nous essayerons donc dans ce chapitre de faire une synthse aussi cohrente que
possible des divers travaux dj effectus sur les pronoms personnels dune manire
gnrale et plus particulirement ceux de la premire personne, ainsi que la place
qu'ils occupent dans la pratique scripturale surtout. Nous parlerons aussi de
lapproche nonciative dans laquelle sinscrit notre recherche et mettre en exergue le
degr dimplication de lauteur avec ses lecteurs.
Dans le troisime chapitre, nous commencerons par une brve prsentation
de luvre et une analyse simple du titre de luvre en tant que paratexte et nous
prsenterons par la suite des contenus choisis noncs , et leurs situations
-
6
dnonciation et montrer aussi les diffrentes stratgies et astuces adoptes par
lauteur afin de bien manier cet usage des pronoms de la premire personne ; tantt
parler avec je et tantt parler avec nous !
Nous navions nullement lintention daborder tout ce qui concerne les
pronoms personnels dans le discours littraire et faire une analyse approfondie, mais
faire plutt de ce travail juste une initiation la recherche dans ce domaine et une
tentative de description de ce jeu interminable de la production littraire !...car
approcher la littrature cest approcher les rives dun ocan avec tous ces risques, la
littrature restera sans profondeur puisque tout simplement : cest une cration de
lhomme !!!
-
7
PREAMBULE
Aperu sur la littrature algrienne
Dexpression franaise
Le rcit commence avec lhistoire mme de
lhumanit ; Il nya pas, il nya jamais eu nulle
part, aucun peuple sans rcit .
Roland Barthes
Introduction lanalyse structurale des rcits
-
8
Au demeurant, crire en franais est un choix douloureux mais cest un mal
ncessaire Kateb Yacine.
Ne dans un contexte colonial, la littrature algrienne dexpression franaise
fut sans cesse interroge par les questions nationale et identitaire : elle se devait
dtre lcho des mouvements de libration.
La littrature se veut donc militante : crire en se rvoltant contre la socit
coloniale et lordre ainsi instaur.
Un grand nombre dcrivains algriens avaient un choix limit ds le dpart :les
autres langues quils possdent ne sont en majorit quexclusivement orales (crire
en arabe cest avoir un public restreint et la suite le message narrivera jamais
lautre , lhexagone),le franais tant, de toute faon, dsign davance du fait quil
tait la seule langue crite quils maitrisent ;quelques consquences en dcoulent par
la suite, comme le signale lcrivain hongrois Arthur Koestler : ladoption dune
nouvelle langue ,surtout par un crivain, entraine une transformation progressive
inconsciente de ses modes de penser, de son style et de ses gouts, de son attitude et
de ses ractions. Bref, il acquiert non seulement un nouveau moyen de
communication, mais un nouveau fond culturel1.les crivains ayant choisi la
langue de Molire furent svrement harcels et traits de non-patriotiques.
Les Algriens se mettent alors crire aprs la premire guerre mondiale. Ils
saventurent dans le journalisme, publient des essais et des tmoignages sur plusieurs
sujets sociopolitiques. Certains critiquent linfluence ngative du colonialisme sur la
vie des Algriens, dautres vantent la mission civilisatrice de la France. Tous ces
romans sont exotiques et moralisants. Les crivains dcrivent la vie quotidienne,
recourent souvent au folklore et sadressent toujours au lecteur franais. Leur critique
retenue ne touche que certains aspects de la morale. Dune faon gnrale, les
romans des annes 20 et 30 constituent, selon les chercheurs presque unanimes, la
priode dassimilation, dacculturation ou de mimtisme dans lhistoire de la
littrature algrienne. A cette poque, les Algriens matrisent suffisamment le
franais pour pouvoir crer des uvres littraires en imitant leurs crivains prfrs.
1 Koestler Arthur, hiroglyphes , 2, Calmann-Lvy, 1955, traduction D.Van Mops, p, 145
-
9
Une nouvelle tape du dveloppement de la littrature algrienne de langue franaise
commence aprs la deuxime guerre mondiale.
Elle est dabord caractrise par laccroissement de lactivit littraire des
Algriens. Ils crent des cercles, des clubs, des associations littraires, travaillent
dans les rdactions des journaux et des revues. Ils maintiennent galement des
contacts plus ou moins troits avec lcole nord-africaine dont ils se sparent bientt.
Bref, la deuxime moiti des annes 40 et le dbut des annes 50 est, pour les
crivains algriens, un moment de scolarit , dinitiation active la littrature.
En mme temps, cest le moment de rupture avec la littrature prcdente,
puisque lpoque dassimilation est dpasse et les romanciers des annes 20 et 30
ncrivent plus. Seul Jean Amrouche continue produire et simpose comme matre
aux yeux de la nouvelle gnration des crivains algriens.
La parution des romans Le Fils du Pauvre (1950) et La Terre et le Sang (1953)
de Mouloud Feraoun, La Grande Maison (1952) de Mohammed Dib et La Colline
oublie (1952) de Mouloud Mammeri est donc la consquence de laccroissement de
lactivit littraire des Algriens aprs la deuxime guerre mondiale. Ces romans ont
marqu le dbut dune littrature nouvelle que plusieurs chercheurs considrent
comme authentiquement algrienne. Le trait commun de la nouvelle littrature est
son caractre ethnographique.
Les romans ethnographiques dcrivent la vie traditionnelle et dessinent le
portrait collectif du peuple, en mme temps ils sont biographiques et rappellent le
roman dapprentissage europen qui suit lvolution du hros depuis son enfance et
adolescence. Mais par rapport au roman europen, le hros ne se rvolte pas contre la
socit, tout au contraire, cest le milieu national qui forme son caractre et sa vision
du monde. Cependant la perception du monde de hros est toujours subjective, par
consquent, le roman ethnographique algrien est toujours psychologique, car la vie
du peuple y est dcrite le plus souvent travers les sentiments du hros. Lmergence
du psychologisme chez les romanciers algriens peut tre considre comme un
vritable exploit parce que, comme tmoigne Dib, les Algriens levs dans un
milieu musulman considrent lintrospection comme un peu malsaine 1.
La parution des romans ethnographiques (beaucoup plus autobiographiques) a t
dicte avant tout par la volont de sexprimer. Les crivains ont essay de raconter 1 Claudine Acs. In : LAfrique littraire et artistique, Paris, aot 1971, 18, p. 10
-
10
leur enfance et leur jeunesse, de parler de leurs problmes et de leurs sentiments, de
dcrire la vie du peuple dont ils faisaient une partie intgrante. Cest alors que des
uvres issues du Maghreb font leur entre sur la scne littraire franaise. La langue
vient sinscrire alors comme une urgence, en raction contre la langue de bois de
lpoque. Les conditions de lmergence de la littrature maghrbine de langue franaise
furent plus que difficiles. En effet, cette littrature, dite francophone, posait le
problme dacculturation de ces auteurs. Ceux-ci possdaient un double bagage
culturel, de par leur scolarisation lcole franaise durant le colonialisme et leur
hritage maghrebo-musulman.
Les dbuts du roman algrien sont contemporains de la guerre dAlgrie ou de
ses prmisses, et beaucoup de lecteurs franais ou algriens associent encore
lmergence de cette littrature cet vnement politique capital pour la mutation
des mentalits de toute une gnration. Pourtant, contrairement ce que lon pourrait
attendre, il y a peu de romans algriens consacrs la guerre dAlgrie, mme si les
blessures de celle-ci sont en filigrane dans un grand nombre dentre eux. On a par
contre limpression que litinraire de lintellectuel vers cet engagement commence
par une description de sa double culture et des contradictions de comportement
quelle entrane dans la vie quotidienne, et que cette description dbouchera ensuite
sur un cahier de dolances adress la culture humaniste franaise qui na pas tenu
ses promesses, pour narriver que dans un troisime temps des rcits dengagement
proprement dit dans la guerre elle-mme.
La littrature algrienne dexpression franaise est donc une littrature
hybride, au mme titre que ses crateurs (dans le sens o ils possdent un double
fond culturel), qui vont prsenter au public une situation donne dans un langage
hrit de limprialisme. Pourtant, grce la conqute du franais, ils dvoilrent
enfin la ralit de leur monde dans toute sa vrit. Ils parvinrent se dire librement et
imposrent une forme nouvelle : lautobiographie, le rcit du moi , qui saffirme
dans toute sa singularit, libr des chanes de la tradition qui lont opprim jusqu
prsent. Ainsi, les romanciers furent traits de parjures, dune part parce quils
crivaient dans la langue du colonisateur, quils se rvoltaient contre leur milieu et
dautre part parce que parler de soi la premire personne dans le but de raconter sa
vie prsuppose que lon se dtache totalement du groupe social. Les auteurs ont
donn leur hros le pouvoir dutiliser le je , ce qui a t rendu possible par leur
accs lducation franaise, alors que chez eux, cest le nous qui domine.
-
CHAPITRE PREMIER
De la phrase lnonc !
Au del du signe saussurien
ou lapproche nonciative du
discours :
Savoir danser avec les pieds, avec les ides,
avec les mots : faut-il que je dise quil est ncessaire de le savoir avec la plume- quil
faut apprendre crire
Nietzche
Le crpuscule des idoles
-
12
Introduction :
La question du discours nest pas nonce dans le cours de linguistique de
Ferdinand de Saussure qui circonscrit le domaine de la linguistique comme une
tude de la langue, elle-mme dfinie comme un systme de signes. Sa thorie
repose sur une opposition langue / parole qui recoupe lopposition socit /
individu. La recherche en linguistique soriente ainsi vers ltude du systme de la
langue par opposition aux manifestations individuelles de la parole. La
sparation langue / parole prsuppose du coup une opposition entre ce qui est
social et ce qui individuel. Par rapport cette opposition, le discours est le tiers-
exclu. La premire mise en cause de lopposition saussurienne qui rhabilite la
parole apparat en 1909 chez Charles Bally1, dans son trait de stylistique. Celui-
ci expose les principes dune linguistique de la parole qui ouvre la voie de la
recherche sur la relation entretenue par le sujet parlant, son discours et le contexte.
Chez Guillaume2on trouve la notion de lacte de discours, qui tend
apporter plus de prcisions sur la place du sujet parlant ; mais cette thorie ne
dpasse pas celle de Saussure. Cest chez les formalistes russes, par contre, que se
dveloppe partir de 1915 une recherche sur les structures narratives de la
littrature orale et crite. En 1928, on dcouvre, dans La morphologie du conte
russe de Propp, lambition de dpasser le principe de limmanence pour
sintresser aux vastes ensembles discursifs que sont les textes, afin de rendre
compte de lorganisation syntaxique et smantique dun texte. Benveniste qui
effectue des recherches sur lnonciation et la smiologie de la langue, en partant
de la philosophie analytique et en particulier de la thorie des actes de parole de
1 Charles Bally, Trait de stylistique franaise, Ed. Leroux, Paris, 1909 2 Gustave Guillaume, Langage et sciences du langage, 1964
-
13
langlo-saxon Austin1, contribue introduire dans la linguistique franaise un
thme nouveau, qui reprsente aujourdhui ce quon appelle communment
lanalyse de discours.
Une nouvelle voie sest ouverte pour aborder lanalyse des textes
littraires ; celle de la pragmatique quun grand nombre de linguistes la
dfinit comme lutilisation du langage, comme la description du langage en
action, ou comme du langage en contexte. Elle relve non seulement de la
linguistique, mais aussi de la sociologie, de la psychologie, de philosophie du
langage, de lthique, etc.
On ne peut aborder la pragmatique sans parler de la situation
dnonciation .cette dernire concerne, outre que les aspects spatio-temporels, la
connaissance quen ont les locuteurs ou lide quils en font, la reprsentation
intersubjective de ceux-ci, et les intentions apparentes ou caches de chacun des
participants et les buts quils poursuivent travers lnonciation.
Nous ne pouvons ngliger le contexte proprement linguistique, savoir
lensemble des phrases o baigne lnonc pris en considration et qui doit tre
galement compris comme faisant partie de la situation dune nonciation.
1 J-L Austin, Quand dire, cest faire, Ed. Seuil, Paris. (1re ed.How to do things with words Oxford 1962)
-
14
I. Le langage dans le(s)contexte(s) ; une nouvelle voie pour
lanalyse textuelle :
Le langage peut tre dcrit comme une activit humaine qui senracine dans une situation et permet une interaction. Cette conception soppose celle
bien connue de la thorie de linformation qui envisage la communication comme
un simple passage dinformations partir dun code unifi ou commun.
La pragmatique en tant que discipline des sciences du langage, na que
depuis peu reu un statut autonome. Cela est du essentiellement la dpendance
troite de la pragmatique vis vis la linguistique. Lavnement et lessor de la
pragmatique constituent en effet un des faits les plus saillants. On tudie et on
examine trs attentivement tout ce qui relve de lutilisation langage dans des
situations particulires (effet de facteurs contextuels sur linterprtation
dnoncs, reconnaissances des intentions communicatives des locuteurs, etc..)
La grammaire traditionnelle qui se prsente comme un bon usage des
rapports systmatiques entre des squences de sons et le sens quelles expriment.
Mais elle nest pas apparemment capable de fournir une dfinition prcise de ce
quil faut entendre par le sens dun nonc .cette limite est videment plus
accablante pour une grammaire qui se veut une description de la comptence du
locuteur :plus un programme est ambitieux ,plus on peut lui tenir rigueur de ses
insuffisances.
Trois insuffisances des thories syntaxiques purement formelles, pourront tre cites : 1-le fait de ne tenir compte que des phrases.
2-le fait de ngliger la situation dnonciation.
3-le fait de ngliger la fonction communicative des noncs.
I.1.La question du contexte :
Les approches nonciatives, qui par del leur diversit ont en commun
ltude des noncs rapports lacte dnonciation dont ils sont le produit, se
sont naturellement poses cette question de la situation de communication .
-
15
linstar de lacte de communication lui-mme, la situation de communication est
ncessairement unique, non ritrable, et par l mme difficilement observable.
Mais fondes sur lhypothse que tout dans lnonciation nest pas
individuel, mais quil existe un invariant travers la multiplicit des actes
dnonciation.les approches nonciatives cherchent thoriser la situation
dnonciation .elles vont ainsi laborder en termes de situation dnonciation,
circonscrite en tant que systme de trois coordonns qui dfinit toute situation de
communication : un temps, un lieu, et des actants.
Catherine Kerbrat-Orecchioni1, en reformulant le schma de la
communication quelle propose, revient sur ce point, en montrant que les donnes
dites situationnelles ne sont pertinentes que sous la forme de reprsentations que
les sujets nonciateurs sen construisent, et que ce sont ces reprsentations ou
images , et non la situation en elle- mme, qui contraignent toute production.
Elle dtaille ces images que se font les actants de lchange en ces termes : images
deux-mmes, de leurs discours, du support de leur discours, de la langue quils
utilisent, du destinataire, de la ralit sociale et physique.
1 C.Kerbrat-Orecchioni, lnonciation, de la subjectivit dans le langage, Armand colin, Paris, 2006
-
16
Voici le schma propos par Orecchioni :
I.2.nonciation, nonc et situation dnonciation : 2.a) nonciation et nonc :
Lnonciation est lopration prsuppose par tout nonc qui en est le fruit. Traditionnellement on pose que linstance de lnonciation est lassociation
du je , de ici et du maintenant ( ego , hic et munc ), tandis que
RFRENT
METTEUR encodage MESSAGE dcodage RCEPTEUR
canal
Modle de Production
Contraintes de lunivers de discours
Comptences Linguistique
et para-linguistique
Comptences Idologique et culturelle
Dterminations psy-
Modle D interprtation
Contraintes de lunivers de discours
Comptences Linguistique
et para-linguistique
Comptences Idologique et culturelle
Dterminations psy-
-
17
lnonc (verbal ou non verbal) est comme leur ngation et correspond alors
ces termes opposs que sont le il , lailleurs et lalors 1.
Dans son analyse de discours, mile Benveniste souligne l'importance du
"sujet", le processus de lnonciation, et les deux faons de signification de langue
(rcit/discours). Selon lui, ce qui est important, c'est de dsigner les conditions
d'utilisation dune langue ; ainsi lnonciation est dfinie comme la mise en
fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation 2.mais avant cela
nous allons jeter un coup dil sur la dfinition de lnonciation chez certains
linguistes.
O .Ducrot considre que lnonciation est une suite de phrases, identifie
sans rfrence telle apparition particulire de ces phrases ; soit comme un acte
au cours duquel ces phrases s'actualisent, assumes par un locuteur particulier,
dans des circonstances spatiales et temporelles prcises 3.
Et pour Todorov, elle est comme l'acte individuel par lequel la langue
devient nonc, est appel nonciation 4.ou encore chez D. Bernard acte
d'noncer, de produire un ensemble de signes linguistiques 5.
2.b) Situation dnonciation ou contexte effectif de lnonciation :
Les approches nonciatives, qui par del leur diversit ont en commun ltude des noncs rapports lacte dnonciation dont ils sont le produit, se
sont naturellement poses cette question de la situation de communication. A
linstar de lacte dnonciation lui-mme, la situation de communication, cest--
dire le contexte effectif de lacte dnonciation, est ncessairement unique, non
ritrable, et par l mme difficilement observable Mais, fondes sur lhypothse
que tout dans lnonciation nest pas individuel, chaotique, mais quil existe un
invariant travers la multiplicit des actes dnonciation, les approches
nonciatives cherchent thoriser la situation de communication. Elles vont ainsi
laborder en termes de situation dnonciation, circonscrite en tant que systme de 1 Joseph Courts, la smiotique du langage, Ed. Armand colin, 2007, P.112 2 mile Benveniste, problmes de linguistique gnrale ll, Gallimard, Paris, 1974, p 3 O.Ducrot /T.Todorov, Dictionnaire encyclopdique des sciences du langage, 1972, p.405 4Ibid. 5 Dupriez Bernard, les procds littraires (dictionnaire), union gnrale ddition, 1984, p181
-
18
trois coordonnes qui dfinit toute situation de communication : un temps, un lieu
et des actants.
Dans la reformulation du schma de la communication quelle propose,
Catherine Kerbrat-Orecchioni (1980) revient sur ces images en montrant que les
donnes dites situationnelles ne sont pertinentes que sous la forme d images ,
de reprsentations que les sujets nonciateurs sen construisent, et que ce sont ces
images, et non la situation en elle-mme qui contraignent la production verbale.
De son cot la sociolinguistique pose un problme : celle du mode de mise
en relation de la dimension linguistique avec la dimension sociale constitue un
problme pineux en linguistique. Ce problme, est celui du rapport entre la
linguistique et ses extrieurs, ou entre le linguistique et lextralinguistique.
Ainsi la linguistique a-t-elle d traiter la problmatique de lnonciation
qui tient une grande place dans les recherches linguistiques modernes. Car, quand
il s'agit de l'analyse du texte littraire, on ne peut prtendre que ni la linguistique
structuraliste ni la grammaire gnrative-transformationnelle, compte tenu de
leurs approches mthodologiques, napportaient des rponses satisfaisantes aux
questions suivantes : "qui parle? O il parle ? Quand il parle ? Avec qui il parle ?
De quoi il parle ?".
I.3.La relation comme acte illocutoire :
Le langage nest pas un phnomne surajout ltre- pour autrui, il est
originellement ltre-pour-autrui, cest--dire le fait quune subjectivit sprouve
comme sujet pour lautre. () Le surgissement de lautre en face de moi comme
regard fait surgir le langage comme condition de mon tre 1.
Le thoricien russe Bakhtine, la plusieurs fois soulign dans ses ouvrages,
lnonciation du texte se fait toujours dans une situation dialogique : tout discours
dpend dun autre qui on sadresse quil soit linterlocuteur du discours ou le
narrataire dun texte littraire 2, et cette dialogicit est en effet une premire
condition quun texte puisse tre nonc. Bakhtine, renvoie ainsi au principe
1 J-P. Sartre, Ltre et le nant, Gallimard, Paris, 1943, pp.422-423. 2 M. Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, Ed. Minuit, Paris, 1977, P.189
-
19
dialogique du langage. De ce point de vue, la littrature maghrbine de langue
franaise sinscrit indniablement dans le champ postcolonial, dans la mesure o
la relation avec lAutre sera douloureusement marque par lexprience
historique. Exprience qui, de son ct, marquera en mme temps la production
textuelle en la dotant dune signification particulire de la situation postcoloniale.
I.4.Llment linguistique seul, est-il suffisant pour linterprtation
des noncs ?
Lintention du locuteur associe la production dun nonc ou dun discours est trs dterminante afin dtudier le mcanisme dinterprtation de cette
production. Si nous tenons compte de linterprtation d un nonc ou dun
discours, cest--dire lacte accompli par le destinataire, il faudrait prendre en
considration aussi un acte effectu par le locuteur, savoir la production dun
nonc ou d un discours qui suppose l intention de ce dernier de produire
suffisamment dfets contextuels chez son destinataire, Sperber & Wilson
affirment ce propos que (...) la communication met en jeu la manifestation et
la reconnaissance dintentions .1 Selon Sperber & Wilson, pour quun nonc
soit correctement interprt et que la communication soit russie, il ne suffit pas
que linterlocuteur connaisse le sens linguistique de lnonc : il faut quil infre
en plus le vouloir-dire du locuteur, savoir quil rcupre l intention de ce
dernier.
Mais comment le destinataire procde t-il et quels sont les lments qui
interviennent dans le processus de linterprtation ?
Dans leur thorie de la pertinence, Sperber et Wilson ont suppos que la russite
de la communication dpend de la manifestation et la reconnaissance
dintentions 2. Le locuteur a Lintention de mettre une certaine information en
vidence dans un nonc, intention que le destinataire cherche quant lui
identifier. Le locuteur tente de faire connatre au destinataire par son nonc l
1 Sperber D. & Wilson D. La Pertinence. Communication et cognition, Paris, Minuit1989, P.43 2 D .Sperber, D. Wilson, La Pertinence, Ed, Minuit, Paris, 1989.P.94
-
20
intention quil a de lui faire reconnatre une certaine information. De son ct, le
destinataire fait des infrences pour reconnatre cette intention.
I.5.L'importance du contexte dans lanalyse des noncs :
Pour mieux lire et comprendre un discours littraire, il est utile de le mettre en perspective avec tout ce qui constitue son contexte.
Tout en dpassant le cadre limit de son poque, un crivain appartient une
priode historique, au cours de laquelle il a ragi. Il convient de savoir situer
l'crivain dans son temps, surtout lorsque son uvre est devenue insparable d'un
certain contexte politique, idologique et social.
Situer les crivains chronologiquement les uns par rapport aux autres permet en
outre de comprendre des filiations, les influences qu'ils ont pu exercer ou subir,
leur rejet parfois de ce qui a prcd. Dautres paramtres ne peuvent tre ngligs
(la situation actuelle ne peut permettre de les citer tous), do le contexte
artistique et littraire pour mieux situer luvre dans les courants, et aussi
identifier les rfrences culturelles qui sy trouvent.
Une premire page de roman apporte les informations ncessaires la lecture
(l'identification des personnages, le cadre spatio-temporel dans lequel l'action
prendra place...). Ces incipits , annoncent souvent aussi les vnements venir,
et cela de faon explicite, implicite ou symbolique.
-
21
II.Lcriture autobiographique : Une projection de la personnalit ?
Que se passe t-il quand on dcide de raconter quelque chose ?comment sy prend-t-on et pourquoi ? La stratgie adopte dpend sans doute du genre dans
lequel on dcide de dire ou decrire.la posture de lmetteur nest pas la mme
selon que le rcit est fictif ou rel, selon que lauteur se raconte ou raconte le
monde.
On sait quen linguistique un acte de parole nest jamais totalement objectif
entant quil est chaque fois la situation dans laquelle il est produit. Ainsi,
mme quand il sagit dun rcit de vie (autobiographie), celui-ci peut comporter
une part de fiction dans la mesure o son auteur peut tre tent, selon les
situations, domettre, de dissimuler, de faire valoir, ou tout simplement doublier
des dtails ou des lments personnels ,souvent trs ncessaires.
II.1.Lautobiographie et le pacte autobiographique1 : 1.a) Difficult dune dfinition de lautobiographie :
Le mot autobiographie apparat en France vers 1850 comme un synonyme du terme mmoires. Son allure composite (auto - bios - graphie, c'est--dire
crire sa vie soi-mme) Par ailleurs, le terme d'autobiographie fait sens par
l'opposition qu'il tablit avec celui de biographie, qui est le rcit de la vie de
quelqu'un raconte par un autre que lui. Aucun critre purement linguistique ne
semble pertinent. Rien ne distingue a priori autobiographie et roman la premire
personne.
Lautobiographie peut-tre dfinie selon Lejeune lautobiographie est un rcit
rtrospectif en prose quune personne relle fait de sa propre existence,
1 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975
-
22
lorsquelle met laccent sur sa vie individuelle, en particulier sur lhistoire de sa
personnalit 1.
Donc, cest un rcit que lon fait de sa propre vie. Celui qui raconte, celui dont on
parle et celui qui crit et signe le livre, sont une seule personne, une identit
explicite entre le narrateur, lauteur et le personnage est alors dclare.
Le je na de rfrence actuelle qu lintrieur du discours : il renvoie
lnonciateur, que celui-ci soit fictif ou rel. Le je nest dailleurs nullement la
marque exclusive de lautobiographie: le tu aussi bien que le il sont des figures
dnonciation que lautobiographe utilise pour insister, par des effets de
distanciation, sur la fiction du sujet, ou pour mettre en situation le discours de
lautre dans celui du sujet .
Dans le rcit autobiographique on pense donc trouver la vie de lauteur.
Celui-ci se dfinit comme tant simultanment une personne relle socialement
responsable, et le producteur dun discours. Pour le lecteur, qui ne connat pas la
personne relle, tout en croyant son existence, lauteur se dfinit comme la
personne capable de produire ce discours, et il limagine donc partir de ce
quelle produit 2Dans ce sens, lautobiographie (rcit racontant la vie de
lauteur) suppose quil y ait identit de nom entre lauteur (tel quil figure, par
son nom, sur la couverture), le narrateur du rcit et le personnage dont on
parle3.
1.b) Le "pacte autobiographique" :
Dans les annes soixante-dix, la rflexion sur l'autobiographie a t
enrichie par les travaux de Philippe Lejeune. Sa dfinition, tant donne comme
point de dpart dans la thorie du genre.
Le mot pacte renvoie donc un contrat entre lauteur de lautobiographie et
lecteur : dans lautobiographie, on suppose quil ya identit entre lauteur
dune part et le narrateur et le protagoniste de lautre part. Cest dire que le
je renvoie lauteur. Rien dans le texte ne peut le prouver. Lautobiographie 1 Ibid. p : 14 2 Ibid. P.23 3 Ibid. P.25
-
23
est un genre fond sur la confiance, un genre fiduciaire, si lon peut dire .do
dailleurs, de la part des autobiographes, le souci de bien tablir au dbut de leur
texte une sorte de pacte autobiographique , avec excuses, explications,
pralables, dclaration dintention, tout un rituel destin tablir une
communication directe .1
Ce pacte se prsente comme la clef qui permet aux lecteurs douvrir la caverne
magique et de contempler le trsor quil habite.
Lidentit entre auteur, narrateur et personnage garantie par ce pacte, peut tre
implicite ou concrte (concrte dans le cas o le narrateur-personnage porte le
mme nom que lauteur, non signal sur la couverture du livre) ,implicite si
luvre contient un indice : () o le narrateur prend des engagements vis-
vis du lecteur en se comportant comme sil tait lauteur, de telle manire que le
lecteur na aucun doute sur le fait que le je renvoie au nom port sur la
couverture ,alors mme que le nom nest pas rpt dans la texte .2
1.c) le pacte rfrentiel :
Philippe Lejeune, et en abordant lautobiographie a cit diffrents pactes et se propose de daborder la question de la ressemblance ; cest--dire de
ladquation des faits raconts la vrit relle : le rapport du texte son model,
un rapport impossible .cette relation extrmement difficile rside dans ce jeu
de lintriorit du texte et lextriorit de la ralit :
Lidentit se dfinit partir des trois termes : auteurs, narrateur
et personnage. Narrateur et personnage sont les figures auxquelles renvoient,
lintrieur du texte, le sujet de lnonciation et le sujet de lnonc ; lauteur,
reprsent la lisire du texte par son nom, est alors le rfrent auquel renvoie,
de par le pacte autobiographique, le sujet de lnonciation 3.
Philippe Lejeune, affirme de par l que le genre autobiographique est
rfrentiel ,do il prsuppose un pacte rfrentiel qui doit inscrire le texte
1 P. Lejeune, lautobiographie en France, Ed. Seuil, Paris, 1980, P : 24 2 Ibid., P : 27 3 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975 .p.35
-
24
dans le champs de lexpression de la vrit ,c'est--dire une vrit du texte ,dite
par le texte ,cest une question dauthenticit en tant quelle est limage du
narrateur entrain de se peindre et de limage quil veut donner de ce quil tait
telle ou telle poque de sa vie .le pacte rfrentiel est un contrat que conclut le
lecteur avec le texte autobiographique quand il entreprend sa lecture.
1.d) Traits distinctifs de l'autobiographie :
La dfinition de Lejeune a le mrite d'attirer l'attention sur plusieurs
dimensions importantes de l'acte autobiographique ; ainsi seule une personne
relle - laquelle s'oppose la personne imaginaire de la fiction - peut l'assumer.
Il faut donc un tre humain constitu en tant que personne psychologique, morale
et sociale pour noncer une autobiographie. Ce sont aussi et beaucoup plus, les
indices externes qui renseigneront mieux le lecteur, notamment le nom de l'auteur
sur la couverture du livre.
II.2.La psychanalyse une voie incontournable pour lanalyse
biographique :
Lapplication des acquis de la psychanalyse la linguistique a engendr des analyses trs intressantes.les structuralistes ne pouvaient pas concevoir un
discours chappant au contrle du sujet crivant, ce qui fera distinguer entre
sujet crivant et sujet de linconscient ; notion labore par J.Lacan :
linconscient partir de Freud, est une chaine de signifiants qui quelque
part(sur une autre scne ,crit-il)se rpte et insiste pour interfrer dans les
coupures que lui offre le discours effectif et la cogitation quil informe.() la
structure du langage, une fois reconnue dans linconscient quelle sorte de sujet
pouvons-nous lui concevoir ?.On peut ici, tenter, dans un souci de mthode, de
partir de la dfinition strictement linguistique du JE comme signifiant : o il
nest rien que le schifter ou indicatif qui dans le sujet de lnonc dsigne le sujet
en tant quil parle actuellement. Cest dire quil dsigne le sujet de lnonciation
mais quil ne le signifie pas"1
1 J.Lacan, crits, Ed. Du seuil, 1966, pp790-800
-
25
Dans la perspective psychanalytique, l autre qui intercde dans tout
discours est considr comme autre-sujet de linconscient ou encore pour
faire rfrence J. Lacan comme Autre .
Et au moment o lautobiographe noncerait le constat de son imaginaire russite
je parle et je dis cela de moi , la psychanalyse pourrait lui souffler : ce nest pas
toi qui parles, ou bien : tu parles dautre chose que tu nnonces pas, ou encore :
tu nonces une chose dont pourtant tu ne parles pas. lgard de
lautobiographie, la psychanalyse est essentiellement suspicieuse. Dans Un
souvenir denfance dans "Fiction et Vrit" de Goethe, Freud signale demble,
citant Goethe, une des difficults de lautobiographie : Quand on cherche se
rappeler ce qui nous est arriv dans la toute premire enfance, on est souvent
amen confondre ce que dautres nous ont racont avec ce que nous possdons
rellement de par notre propre exprience . La psychanalyse viendra donc
couper le discours de lautobiographe, comme pour dmonter lobjet que le sujet a
construit pour satisfaire ses "intentions imaginaires" selon les propos de Lacan. Il
faut passer par la place vide o ne snonce pas le sujet pour reprer comment le
"je", absent de la mmoire comme du rve, se donne forme imaginaire dans des
piphanies qui manquent tout autant dorigine que dissue.
Lutilisation des concepts et des processus heuristiques de la psychanalyse
dans le rcit de (sa) vie signale du moins que toute autobiographie nest peut-tre
son tour quun rcit-cran labor pour tre substitu un autre. La fonction
protectrice de lcriture ne serait jamais aussi efficace que dans le cadre dramatis
dune mise nu, sa fonction dilatoire jamais aussi prsente que lorsque tout
semble avoir t dit. Par ailleurs, lcart not par Jean-Bertrand Pontalis "entre le
rve mis en images et le rve mis en mots" (Entre le rve et la douleur) ne
dsigne-t-il pas, de manire plus large, lincomptence du langage signifier autre
chose que les empchements de la parole ? Dans les strotypes et les
objectivations de discours sofficialisent davantage les clivages du sujet que ne
sannonce le retour dun langage premier : au moins conviendra-t-il de ne pas
sen tenir lide que le moi du sujet est identique la prsence qui vous
-
26
parle 1. En dfinissant la psychanalyse comme cette assomption par le sujet de
son histoire, en tant quelle est constitue par la parole adresse lautre 2,
Lacan rappelle avec force le caractre interlocutoire de lnonciation o le sujet
sexpose une dpossession toujours plus grande de cet tre de lui-mme, jusqu
reconnatre que cet tre na jamais t que son uvre dans limaginaire et que
cette uvre doit en lui toute certitude. Car, dans ce travail quil fait de la
reconstruire pour un autre, il retrouve lalination fondamentale qui la lui a fait
construire comme une autre, et qui la toujours destine lui tre drob par un
autre 3.
II.3.Pour une approche nonciative du discours autobiographique :
En tant qunonciation, lcriture est la fois, le reflet et le vhicule dune pense, ou plus exactement de plusieurs ordres de penses, qui
sinterpntrent 4.
Cette nouvelle approche signale un changement cardinal dans la lecture
autobiographique des textes de plusieurs aspects.
Lejeune relativise la valeur de la vrit , catgorie centrale, mais
quelquefois tout aussi difficilement discernable et livre lautorit des critiques.
Ensuite, en dfinissant le pacte comme une formule inhrente au texte, il limite
la comptence du lecteur au devoir didentifier ce pacte, non moins difficile si on
considre combien linterprtation de la notion de pacte est vague dans les
diffrentes lectures 5. Enfin, Lejeune propose une analyse des conditions
linguistiques de lidentit de la premire personne au niveau de lnonciation.
La dfinition de Lejeune, la fois incontournable mais aussi incommode
pour ses opposants, a un avantage incontestable : dune part, elle prouve quil
existe des conditions formelles quune autobiographie doit remplir, dautre part,
par lintgration des lments linguistiques (plus prcisment ceux de la
1 J. Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse , crits I, Seuil, coll., Points 1953.P.136, 2 Ibid. P.155 3 Ibid. P.160 4 Francis Berthelot, Du rve au roman, Ed. Universitaire de Dijon, Paris ,1998.P.80 5 -Philippe Lejeune, je est un autre, Ed, seuil, Paris, 1980, p32
-
27
pragmatique), elle suggre que la rception des textes est insparable des
conditions de son nonciation. Comme nous allons voir, ce dernier aspect, jug
maintes fois trs importante pour nos analyses, offre, mme si un peu malgr elle,
une occasion excellente pour confronter les prsupposs dune lecture
autobiographique aux modes et aux codes de fonctionnement de la rception des
textes maghrbins.
Parmi ces aspects un des plus remarquables serait le problme de linstance
narrative je qui, pour la critique maghrbine, demeure insoluble, voire une
obsession principale, (comme la dcouverte du pluriel, de sa part, (elle) une
grande nouveaut) jusqu ce quil ne soit objet dune rflexion pragmatique.
Dans son tude sur lautobiographie la troisime personne, Lejeune1 a fait un
premier pas en explorant certains fonctionnements rhtoriques des textes de
caractre autobiographique, mais apparemment sans instance je . Mais dans
lespace postcolonial, le fonctionnement figuratif des instances narratives des
textes nest pas un phnomne indit non plus.
II.4. Analyse de lnonciation autobiographique :
Pour Kte Hamburger, parat-il, la sparation entre nonc et nonciation et
leur analyse sera pertinente ce sujet. Elle entend par le rcit la premire
personne dans son sens propre , comme une forme autobiographique qui
rapporte des vnements vcus, mis en relation avec un narrateur qui dit je 2,
cest lanalyse du sujet de lnonciation (oppose celle du sujet de lnonc) des
textes littraires qui sera dcisive dans des questions de genre du rcit la
premire personne. En revanche, mme si la diffrenciation quelle fait entre les
diffrentes modalits de lnonc lui permet de traiter le je de lautobiographie
en tant que sujet dnonciation historique ; elle semble ignorer le risque quelle
court en basant tout sur la seule vrit du sujet et le vcu que celui-ci
thmatise dans son rcit.
Lexistence dun pacte autobiographique au sens pragmatique, stipule une
coopration entre lmetteur du texte (serait dans ce cas lauteur ou, plus
1 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975 2Kte Hamburger, Logique des genres littraires, Ed. Seuil, Paris, 1986, P. 274
-
28
prcisment, le narrateur qui il prte sa voix) et son narrataire. Or, la
coopration devient ainsi ncessairement un acte unilatral, face lautorit du
lecteur. Comme Bruss affirme : un auteur ne peut lgitimement conclure un
contrat quavec des lecteurs qui comprennent et acceptent les rgles qui
gouvernent son acte littraire .1
II.5. Le statut de narration dans lautobiographie :
La question qui parle? mrite bon droit l'attention qu'on lui prte dans les analyses des textes littraires, en particulier de la prose narrative. Le problme
du point de vue n'est pas un problme marginal Le point de vue n'est pas
seulement un problme purement technique ; plusieurs tudes rcentes sur la
prose narrative ont prouv que l'analyse de la perspective narrative peut clairer
certains aspects du message humain vhicul par l'uvre littraire aussi bien que
la valeur esthtique de celle-ci.
La prsence du locuteur dans un discours, quel quil soit, se fait sentir des
degrs diffrents, selon des besoins communicatifs spcifiques, selon des
conditions particulires imposes par le co(n)texte. La communication est assure
par la proprit qua le langage de constituer lhomme en tant que sujet.
Ainsi, Paul Ricur a voqu la question de limportance du langage dans le
processus dindividuation, et par la suite, a forg ce quil a appel lidentit
narrative :
On nindividualise que si on a conceptualis et individualis en vue de
dcrire davantage. Cest parce que nous pensons et parlons par concepts que le
langage doit en quelque manire rparer la perte que consomme la
conceptualisation. [] Logiciens et pistmologues regroupent sous le titre
commun doprateurs dindividualisation des procdures aussi diffrentes que les
descriptions dfinies Le premier homme qui a march sur la Lune, Linventeur
1 BRUSS, lisabeth W., Lautobiographie considre comme acte littraire, in Potique, N 17, janvier 1974.
-
29
de limprimerie, etc. , Les noms propres Socrate, Paris, la Lune , les
indicateurs Je, Tu, Ceci, Ici, Maintenant 1.
Dans la deuxime partie du roman le fils du pauvre , le narrateur
nintervient pas dans le rcit comme personnage-narrateur. Il reste dans lombre la
plupart du temps, discret et anonyme. Il est, selon la terminologie de Grard
Genette, un narrateur htrodigetique : Le choix du romancier [se fait] entre
deux attitudes narratives [] : faire raconter lhistoire par lun de ses
personnages , ou par un narrateur tranger a cette histoire []. Je nomme le
premier type, pour des raisons videntes, homodigtique, et le second htro
digtique .2
a) Le je dans le texte autobiographique :
Nous sommes donc en prsence dun texte autobiographique qui exige du lecteur,
une fois de plus, des connaissances sur la vie et la personnalit de lauteur que le
texte, lui seul, ne livre pas.
Ainsi, le narrateur-personnage principal conduit son nonciation sur le mode du
je. Ce mode dnonciation rpond parfaitement aux propos de Ph. Lejeune qui dit
que lautobiographie doit tre un rcit () quune personne relle fait de sa
propre existence, (mettant) laccent sur sa vie individuelle () 3 .Cette citation
fait office de premire condition dfinitoire de lautobiographie. Le je, ici, rpond
cette dfinition, toujours selon Lejeune : Le pronom personnel - je - renvoie
lnonciateur de linstance de discours o figure le je- ; mais cet nonciateur est
lui-mme susceptible dtre dsign par un nom (quil sagisse dun nom
commun, dtermin de diffrentes manires, ou dun nom propre) 4.
b) Le nous inclus dans le je ou la voix de la socit dans le texte autobiographique :
Raconter sa socit au dtriment de son individualit est une fonction cardinale
dans un texte auto-bio-sociographique. Si lintention strictement autobiographique
est clairement affiche, elle est en apparence subvertie quand le Je qui snonce 1 P. Ricur, Soi-mme comme un autre, p. 40. 2 G.Genette, Figures III, op. Cit. p. 262. 3 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975, p : 36 4 Ibid.
-
30
devient prtexte lnonciation du tableau social. Ainsi je figure part entire
dans une auto-bio-sociographie .derrire le je sinscrit une double instance
narrative qui permet lauteur doccuper au plan narratologique des points de
vue diffrents. Cest ce qui apparat dans le texte de Mouloud Feraoun.
En effet, il existe une relation constante entre luvre, en tant que matriau
littraire, le rfrent individuel ayant pour principal intrt le Moi de lcrivain et
la dimension sociohistorique que peut communiquer lauteur, tant en premier
lieu, un tre-acteur social, et en second lieu, un tmoin privilgi de son poque.
Luvre de Mouloud Feraoun le fils du pauvre , propose un rcit o
domine lide que lhistoire personnelle de lauteur est lie celle de sa
communaut. C'est--dire que Mouloud Feraoun inscrit son histoire, son vcu, au
sein mme de son tmoignage sur lHistoire de sa socit, Cest de limbrication
de la voix dominante du je avec les autres voix. Cette transcendance dsigne la
pluralit des voix nonciatives dans le texte en question, et se traduit par lusage
du Nous communautaire supplantant le je individuel. Lauteur glisse sur
limportance de sa propre instance narrative, porteuse de son individualit, au
profit de la narration collective.
III.Le rcit autobiograpgique ou le jeu de lambiguit:
L'autobiographie propose un thtre dans le thtre, thtre d'ombres o l'auteur joue la fois les rles de l'auteur, du metteur en scne et des
acteurs.1 crire sa vie ncessite une vritable mise en scne o un seul acteur
s'expose et joue (avec) son destin. Et comme nous lavons dja mentionn, Le
rcit autobiographique est un rcit rtrospectif . Le narrateur de ce rcit est
identifi par le pronom personnel je : lidentit du narrateur et du
personnage principal se marque le plus souvent par lemploi de la premire
personne 2.Ce rcit est suppos tre vraisemblable. Le lecteur le conoit comme
tel, la diffrence dun rcit fictif, il sattend ce que le premier soit, au moins en
partie vridique , et envisage le second comme une ralit fictive . Il peut
cependant sy reconnatre.
1 G.GUSDORF, Les critures du moi : lignes de vie I, op. Cit, p. 311 2 Ibid. P.15
-
31
Le rcit autobiographique renvoie lexprience de la vie de lauteur,
raconte par lui. Dans le rcit autobiographique on pense donc trouver la vie de
lauteur. Celui-ci se dfinit comme tant simultanment une personne relle
socialement responsable, et le producteur dun discours. Pour le lecteur, qui ne
connat pas la personne relle, tout en croyant son existence, lauteur se dfinit
comme la personne capable de produire ce discours, et il limagine donc partir
de ce quelle produit () lautobiographie (rcit racontant la vie de lauteur)
suppose quil y ait identit de nom entre lauteur (tel quil figure, par son nom,
sur la couverture), le narrateur du rcit et le personnage dont on parle 1. Mais
cette identit est toujours en instance de reconstruction, une dialectique
permanente entre le je , le tu , le il , lAutre, celui dont lidentit semble
identique ou diffrente. Lusage voudrait que celui qui parle dit je . Mais la
fiction peut utiliser un il ce qui permet lauteur dcrire plus ou moins sa
guise. Car celui qui crit imagine un rcepteur comme dans la communication
ordinaire. Mme si la communication nest pas immdiate, il conoit toujours un
retour. Le lecteur de son cot nest pas entirement passif, il intervient sur luvre
en la lisant. Il la remodle selon sa propre exprience.
Lauteur du rcit pratique le jeu de lambigut en oscillant entre le
vridique et le fictif : quen fin de compte le lecteur ne puisse pas
rduire ou fixer la position de lauteur, malgr le dsir quil aura invitablement
de le faire, tant donn le problme que posent presque toutes ses uvres. Cette
ambigut sera implicite ou explicit, selon que lauteur se cache ou se
manifeste.2
III.1.Lautobiographie : le point de vue ou le regard du narrateur
Le problme des visions ou des points de vue, n'a cess de proccuper
jusqu' nos jours les thoriciens littraires et les crivains eux-mmes.
Dans un rcit autobiographique ou de vie, la transmission de l'information,
des vnements se fait de la faon suivante : un regard tmoin ; celui de l'enfant-
1 Ibid. P.23 2 Ibid. P.167
-
32
hros, qui enregistre la scne et la voix-adulte quand il la transmet (on parle ici du
rcit denfance). A ce sujet, une dfinition est propose par Philippe Lejeune :
Dans le rcit d'enfance classique, c'est la voix du narrateur adulte qui
domine et organise le texte : s'il met en scne la perspective de l'enfant, il ne lui
laisse gure la parole. (...). Il ne s'agira plus de se souvenir mais de fabriquer une
voix enfantine, cela en fonction des effets qu'une telle voix peut produire sur un
lecteur .1
Il y a des moments o la voix du narrateur-adulte domine la voix de l'enfant
marquant ainsi la supriorit du point de vue du narrateur au dtriment de celui de
l'enfant.
A d'autres moments, les deux voix, du narrateur et de l'enfant,
s'entremlent et s'entrelacent, ralisant une sorte de "fondu" de ces deux voix, afin
de "fabriquer" cette voix enfantine. Dans ce cas l'effet produit est galement celui
d'une superposition de deux voix, mais aussi de deux points de vue ; ainsi
l'explique Dominique Maingueneau :
De deux "voix" inextricablement mles, celle du narrateur et celle du
personnage. (...). On peroit deux "noncia-teurs" mises en scne, dans la parole
du narrateur, lequel s'identifie l'une de ces deux "voix". Ce ne sont pas deux
vritables locuteurs, qui prendraient en charge des nonciations, des paroles,
mais deux "voix", deux "points de vue" auxquels on ne peut attribuer aucun
fragment dlimit du discours rapport. Le lecteur ne
repre cette dualit que par la discordance qu'il peroit entre les deux "voix",
discordance qui lui interdit de tout rapporter une seule instance nonciative. 2
Si le but de la technique du point de vue est de prsenter une histoire en
fonction de la conscience d'un personnage et vue travers cette conscience, le pas
dcisif et le plus consquent, a t fait par l'adoption du narrateur la1re
personne. Dans le roman racont du point de vue d'un personnage la 3eme
1 P. Lejeune : Je est un Autre, op.cit., p. 10. 2 D.Mainguenau : lments de linguistique pour le texte littraire, Paris, Bordas, 1986, p.96.
-
33
personne, il existe toujours implicitement un sujet, qui occupe la place d'un
narrateur omniscient qui sait tout sur ce personnage :
Au moment o le narrateur devient grammaticalement le je de
l'nonc, la situation narrative de base se complique. Entre le sujet de
renonciation (l'auteur) d'une part et les personnages et les vnements de l'autre,
un nouvel lment narratif est intercal, celui du je narrateur qui est le sujet de
l'nonc et qui, dans la plupart des cas, n'est pas identique au je qui crit le
livre 1 .
Le je narrateur est un phnomne technique et formel et il est charg
d'augmenter l'authenticit du rcit, la vraisemblance ou l'effet de celui-ci, donc des
aspects extrieurs l'uvre littraire.
Le pronom je dsigne la personne qui nonce la prsente instance de
discours contenant Je 2. Donc je na dexistence que par et dans le discours
qui lemploie. Il est dans un changement continuel car il acquiert chaque fois une
instance discursive particulire, il ne peut tre identifi que par linstance de
discours qui le contient et par l seulement. Il ne vaut que dans linstance o il est
produit () ; la forme je na dexistence linguistique que dans lacte de
parole qui la profre. 3.
Genette constate que le narrateur est toujours prsent dans son crit ou
lhistoire quil narre, il dclare donc : Je ne puis aucun instant ngliger la
prsence du narrateur dans l'histoire qu'il raconte 4.ceci nous conduit donc
dfinir la notion du point de vue (pdv).
Selon Paul Ricur, le point de vue :
Dsigne dans un rcit la troisime ou la premire personne
l'orientation du regard du narrateur vers ses personnages, les uns vers les autres
(...). Ds lors que la possibilit d'adopter des points de vue variables - proprit
inhrente la notion mme de point de vue - donne l'artiste l'occasion
1 T.Todorov, Potique, in Quest-ce que le structuralisme ? Ed. Seuil, Paris, 1968, P.166 2 mile Benveniste, problmes de linguistique gnrale 1, Paris, Gallimard 1966, p.233 3 Ibid. 4 G. Genette, Figures III, Ed .Seuil, Paris, 1972, p.225.
-
34
systmatiquement exploite par lui, de varier les points de vue l'intrieur de la
mme uvre, de multiplier et d'en incorporer les combinaisons la configuration
de l'uvre 1.
Il s'agit de voir non seulement comment le narrateur voit ses personnages,
comment voit-il le monde (durant son enfance) et se voit, mais surtout de quelle
manire l'criture reflte cette vision.
Le rcit de Mouloud Feraoun le fils du pauvre convoque une
reprsentation du monde. Il aura donc faire le choix d'un narrateur - une voix
pour le profrer - et aussi d'un "regard" par la mdiation duquel le monde sera
"vu". L'auteur peut ainsi choisir de jeter sur les vnements, les lieux, les
personnages, le regard sans limites d'un dieu omniscient, le regard - restreint et
singulier - d'un personnage de la digse, enfin le regard extrieur objectif, et
cest-ce qui se passe dans la deuxime partie du rcit quand le narrateur-hro-
cde la parole un ami qui connait tout de lui !Ne serait-il pas entrain de prendre
la distance pour mieux voir ?
III.2.Lautobiographie en il ou lcriture objective !
Le concept de la distance correspond le plus souvent une tension
objectivisante et peut dans certaines conditions servir emphatiser un tat
subjectif ;
Il ne suffit pas dcrire : je suis malheureux ; tant que je ncris rien
dautre, je suis trop prs de moi, trop prs de mon malheur, pour que ce malheur
devienne vraiment le mieux sur le mode du langage : je ne suis pas encore
vraiment malheureux .ce nest qu partir du moment o jen arrive cette
substitution trange : il est malheureux, que le langage commence se constituer
en langage. Malheureux pour moi, esquisser et projeter lentement le monde
du malheur tel quil se ralise en lui 2.
1 P.Ricoeur : Temps et Rcit II : La configuration dans le rcit de fiction, Ed. Seuil, Paris, 1984, p.140. 2 M. Blanchot, la part du feu, Ed, Gallimard, Paris, 1949, P.28-29
-
35
Contrairement la littrature franaise du dix-huitime sicle o le je de
lauteur se masquait, la substitution de la troisime personne la premire
personne dans la deuxime partie de luvre de Mouloud Feraoun, se prsente
alors comme une chappe la structure personnelle et suggre une exploitation
psychanalytique comparable celle dont est passible le je est un autre de
Rimbaud.
Si le discours subjectif porte de nombreuses marques de cette personnalisation du
message, le discours objectif tend effacer toute trace de jugement personnel.
IV. Le discours autobiographique e(s)t les voix multiples !
IV.1.La notion de polyphonie chez Bakhtine :
labore par Bakhtine pour dcrire certains caractres des romans de
Dostoevski, elle a connu par la suite de nombreux emplois, notamment en
linguistique de l'nonciation o elle dsigne un discours o s'exprime une
pluralit de voix 1.la polyphonie est, d'abord une marque distinctive du roman
dostoevskien, par opposition au roman traditionnel, devient bientt une
caractristique du roman en gnral, puis du langage un certain stade de son
dveloppement (..) et enfin de tout langage.
Inspire dune vision de Lacan qui supposera une division complte de
lidentit en soulignant le clivage du sujet et la prsence de lextriorit au sein du
mme, la polyphonie donc, au sens de Bakhtine, peut tre sommairement dcrite
comme une pluralit de voix et de consciences autonomes dans la reprsentation
romanesque. Bakhtine conclut que l'tre humain est toujours en communication
avec autrui.
La notion de polyphonie dsigne, d'une manire gnrale, la prsence dans
l'nonc et dans le discours des "voix" distinctes de celle de l'auteur de l'nonc.
Le postulat de l'unicit du sujet parlant est ainsi mis en cause. Un nonc
n'quivaut plus un seul sujet parlant, responsable la fois des activits psycho-
physiologiques dont dpend la production de l'nonc et des points de vues 1 Moeschler, Jacques & Reboul, Anne, Polyphonie et nonciation, Dictionnaire encyclopdique de pragmatique, Ed. Seuil., Paris, 1994, P : 326
-
36
exprims par celui-ci. Il s'agit de mettre au jour la pluralit constitutive du sujet,
vu que Ducrot conteste le principe selon lequel un nonc correspond un sujet
de conscience. On insiste sur la prsence de voix diffrentes travers une mme
nonciation, sur la pluralit des nonciateurs accomplissant des actes illocutoires,
sur les diverses attitudes du locuteur vis--vis de ces nonciateurs,
Pour Bakhtine, le langage n'est pas un systme abstrait de formes, mais une
opinion multilingue sur le monde. Son systme thorique procde une
valorisation de la relation interlocutive : l'orientation dialogique du discours est
(...) un phnomne propre tout discours (...) Sur toutes les voies vers l'objet,
dans toutes les direction, le discours en rencontre un autre, tranger, et ne peut
viter une action vive et intense avec lui. Seul Adam mythique abordant avec sa
premire parole un monde pas encore mis en question, vierge, seul Adam - le
solitaire - pouvait viter totalement cette orientation dialogique sur l'objet avec la
parole d'autrui 1.
Pour O. Ducrot2, il faut cependant distinguer entre le sujet parlant, sujet
empirique, producteur matriel de l'nonc, et le locuteur, tre de discours,
prsent comme source de l'nonc et "responsable de l'nonciation", dune part,
De lautre part, il introduit une distinction fondamentale, en insistant sur la
diffrence entre le locuteur et l'nonciateur, ce dernier tant dfini comme
"l'origine des points de vue exprims". Tout nonc consiste donc dans la mise en
scne de quelques instances nonciatives distinctes, auxquels le locuteur peut se
prsenter comme associ ou non. Pour saisir la signification d'un nonc, on doit
saisir les diffrentes voix (les nonciateurs) et les instructions concernant la
manire dont ces nonciateurs sont pris en charge par le locuteur (l'tre que
l'nonc prsente comme auteur)
1.a) Polyphonie littraire et polyphonie linguistique :
Il est bien connu que les textes vhiculent, dans la plupart des cas, beaucoup de
points de vue diffrents et provenant de diffrents cts. La situation normale est
que plusieurs voix se font entendre dans le mme texte : les textes sont 1 Mikhal Bakhtine, Esthtique et thorie du roman, Ed, Gallimard, Paris, 1978, p. 102 2 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Ed, Hermann, Paris, 1972
-
37
polyphoniques. Avec l'intrt croissant en linguistique pour des aspects
pragmatiques et textuels qui s'est manifest durant la dernire vingtaine d'annes.
On commence ds lors distinguer deux types de polyphonie : lune littraire et
lautre linguistique (cest cette dernire qui nous intresse) ; ce propos, deux
questions se prsentent immdiatement :
-l'analyse polyphonique linguistique pourra-t-elle appuyer l'analyse littraire ?
- lanalyse littraire pourra-t-elle enrichir l'analyse linguistique ?
Ce qui caractrise la polyphonie en tant que thorie linguistique est qu'elle
s'occupe principalement de la cration du sens au niveau de l'nonc. Que l'nonc
renferme des traces de ses protagonistes est bien connu. Et cela de multiples
faons. On peut songer aux pronoms personnels, aux adjectifs connotatifs, aux
modalits, etc. Cette prsence des participants du discours est un phnomne
profondment intgr dans la langue naturelle. Celle-ci renvoie en effet
constamment son propre emploi : elle est sui-rfrentielle. On verra que d'autres
points de vue que ceux de l'metteur et du rcepteur peuvent tre vhiculs
travers l'nonc.
La structure polyphonique se situe au niveau de la langue (ou de la phrase), elle
fournit des instructions relatives l'interprtation de l'nonc de la phrase, ou plus
prcisment aux interprtations possibles de celui-ci.
1.b) Polyphonie en linguistique de lnonciation :
La voix humaine oscille dsormais entre deux vies, tantt textualise, tantt
rincarne. Cest dans ce sens, que la thorie Lacanienne du sujet tre du langage
met en vidence le sujet divis, qui se fait dans le langage et non faisant le
langage ; dans cet environnement, la parole dautrui est la fois invitablement
prsente dans sa propre parole (cest lhtrognit constitutive du langage), mais
qui demande tre circonscrite en quelque sorte, pour quil reste un espace pour
lidentit, laffirmation didentit du sujet parlant. Ce dernier en montrant les
zones dhtrognit de son discours svertue en dsignant lautre, et
revendique en quelque sorte la paternit du reste de son propos. le sujet parlant
-
38
alors, use de plusieurs formes pour marquer cette htrognit du discours, et
cela en utilisant par exemple le style indirect libre.
Toutefois, le style indirect libre produit sur le lecteur un effet de confusion ,
car il ne reconnait plus si ce sont les rflexions du personnage ou bien celle de
lauteur comme lexplique Dominique Maingueneau :
il sagit de deux voix inextricablement mles ,celle du narrateur et
celle du personnage ().on peroit deux nonciateurs mis en scne dans la
parole du narrateur, lequel sidentifie lune de ces deux voix .ce ne sont pas
deux vritables locuteurs, qui prendraient en charge des nonciations, des paroles
,mais deux voix ,deux points de vue auxquels on ne peut attribuer aucun
fragment dlimit du discours rapport. Le lecteur ne repre cette dualit que par
la discordance quil peroit entre les deux voix , discordance qui lui interdit de
tout rapporter une seule instance narrative 1.
IV.2.La polyphonie dans le discours autobiographique :
La catgorie narrative de la voix a t dveloppe pour la premire fois
par M. Bakhtine en 1929 lors de son analyse des textes de Dostoevski. Pour
Bakhtine la voix est une catgorie idelle plutt que narrative : il entend par
voix la position idologique, lopinion dun personnage, et naccorde pas
dimportance la faon narrative par laquelle la voix est exprime dans le
texte 2.
Alors que pour Genette, il entend par voix la fonction du texte produisant
le rcit dans lacte de la narration. Linstance narrative (= la voix) nest pas
invariable mais peut changer dans un mme rcit, ce qui implique lide dun
texte polyphonique. Cependant, dans la conception de Genette : tout
changement de voix implique un changement du niveau narratif : une deuxime
voix produit son rcit au niveau intradigtique, une troisime au niveau
mtadigtique etc. 3. Linconvnient de la conception de Genette est quelle
ne distingue pas clairement le rcit intradigtique du simple discours direct dun 1 D .Maingueneau, lments de linguistique pour le texte littraire, Bordas, Paris, 1986, P : 96 2 -M. Bakhtine, Problmes de la potique de Dostoevski, lAge dhomme ( slavica ), Paris, 1970(1red.1929) 3 -G. Genette, Figures III, Ed. Seuil, Paris, 1972, P.
-
39
personnage (cest--dire la dlgation de la voix principale un personnage de
son texte).
Dans le discours autobiographique, comme dans tout autre discours, la question
de lintelligibilit se pose lnonciateur : il sait quil ne peut exprimer par des
mots tout ce qui se passe dans sa tte. Il sait quil faut matriser la parole pour
tre compris, quil faut chercher exprimer par une voix plus ou moins claire et
nette ce monologue intrieur plusieurs voix qui se droule dans sa tte au
moment de lcriture. Pourtant, un discours autobiographique net et clair o il ny
aurait quune voix qui sexprime laisserait les lecteurs attentifs sur leur faim
malgr lintelligibilit apparente : nous ne lisons gure pour comprendre les
paroles au premier degr mais pour comprendre ce qui se cache derrire elles. Par
consquent, la question de la matrise de la parole dans le discours
autobiographique nous mne droit au centre dintrt de lanalyse de ce genre
littraire : le conflit permanent ou plutt le dialogue intrieur permanent entre
nonciateur et nonc, la tension entre ce qui ce passe dans une conscience et ce
qui se laisse exprimer de faon plus ou moins intelligible par des paroles.
Afin de pouvoir reprer ces voix de narrateur - indpendantes ou non - dans le
discours autobiographique, tablissons une distinction entre deux je du narrateur
autodigtique: le je narrant et le je narr. Le je narrant, cest celui qui narre, qui
raconte : cest lautobiographe en train dcrire lhistoire de son pass, tandis que
le je narr, cest le protagoniste de cette histoire raconte, de ce vcu. Dans Les
Mots, le je narrant est donc lcrivain Jean-Paul Sartre en train de rdiger le rcit
de son enfance, tandis que le je narr est la fois Sartre, adulte, jusquau moment
de la rdaction en cours, et le petit Jean-Paul, nomm Poulou, lenfant que fut
Sartre jusqu lge de douze ans environ. Au niveau de la perspective du
narrateur, le cas normal dune autobiographie est en principe celui que lon trouve
dans Les Mots : la dominance apparemment complte du je narrant sur le je narr,
de celui qui crit sur celui qui est dcrit, notamment sur lenfant reprsent par le
je narr. Les ractions et rflexions du petit Jean-Paul, appel Poulou, sont
clairement formules par lcrivain adulte : elles sont choisies par ladulte pour
tre revcues travers ses yeux.
IV.3.Le style indirect libre ; une forme de la polyphonie linguistique :
-
40
Le style indirect libre, comme le dcrit Maingueneau, est : un mode
dnonciation original, qui sappuie crucialement sur la polyphonie 1
Le style indirect libre devrait essentiellement servir dans le pass rapporter des
paroles, alors que certains crivains se sont mis lutiliser pour reprsenter des
penses, ce qui impliquait forcment un narrateur aux pouvoirs tout fait excessif
(omniscient, omniprsent), capable de tout, comme le dieu lui-mme, de lire et de
savoir ce qui se passe dans lme de ses cratures sans aucun peine !
Du point de vue smantique, le discours indirect(DI) est strictement oppos
au discours direct(DD) ; ce dernier est fidle et textuel, alors que le premier (DI)
est infidle et non textuel. Alors que le discours direct(DD) est la juxtaposition de
deux nonciations, le discours indirect(DI) est linsertion ou lenchssement qui
rduit les deux nonciations en une seule.
Le discours indirect(DI) opre une transposition des temps, des personnes, et
des dictiques ; il traduit lnonciation quil rapporte.
Une ralit linguistique dont il ne faut pas nier et que lon doit reconnaitre :
les frontires entre le discours direct(DD) et le discours indirect(DI) existent !
Une rduction des frontires entre les deux discours au profit de lactualisation de
lnonciation permet de dfinir le discours indirect : cest la notion de libert.
Cette dernire se rpercute sur lambigut nonciative : on ne sait pas