lehman brothers - crise des subprimes
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Le 15 septembre 2008, la quatrième banque de Wall Street faisait faillite.TRANSCRIPT
LEHMAN BROTHERS GRANDEURS ET DÉCADENCES DU NUMÉRO 4 DE WALL STREET.
Guillaume ALLEGRE, Magistère Droit, Fiscalité et Comptabilité.
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Nous sommes dans la nuit du 14 septembre 2008 (nuit de dimanche à lundi) sur la septième avenue de Manhattan à New York. Il est exactement 2.18 AM lorsque les lumières de la banque d’affaires Lehman Brothers s’éteignent à tout jamais, dans le bureau le plus élevé du bâtiment. Harvey R. Miller, le plus grand avocat américain en droit des faillites selon le New York Times, vient de décréter, en compagnie de Richard Fuld et de quelques collaborateurs, la banqueroute de l’établissement bancaire.
Le 11 septembre 2008, le Président du conseil d’administration et Directeur général (PDG) de Lehman Brothers déclarait « on va coincer tous ceux qui pratiquent la vente à découvert sur notre action, et on va serrer très fort ! Ce que je veux, c’est les attraper, leur arracher le cœur et le bouffer avant qu’ils crèvent ! ». Quelques jours plus tard, la multinationale faisait faillite faute de repreneurs, entrainant pour les jours, semaines, mois et désormais années à venir, une crise sans précédent sur les places financières mondiales. Malgré le sauvetage des banques partout dans le monde par les Etats, la faillite de Lehman Brothers outre les marchés financiers, aura également eu un impact sur l’économie réelle, plongeant les USA et l’Europe dans la plus grosse connue depuis 1929 et le jeudi noir. Si le contexte économique actuel n’est qu’en partie la conséquence de la crise des dettes souveraines qui a pris le relais de la crise de 2008, si les erreurs grossières commises par les banques semblent peu à peu se faire oublier des citoyens et des Etats, l’Histoire se souviendra à jamais des employés de la banque quittant les bureaux du siège social le lundi matin, un carton dans les mains et sensation que le ciel leur tomber sur la tête.
Mais comment a-‐t-‐on pu en arriver à une telle désillusion ? Quels ont été les facteurs financiers, politiques et économiques qui ont conduit Lehman Brothers à la faillite ? Comment l’un des plus gros établissements financiers du monde a-‐t-‐il pu garder aussi longtemps les yeux fermés sur les produits toxiques en circulation sur les marchés ?
Histoire d’une faillite inévitable aux conséquences dramatiques…
En 1844, Henry Lehman quitta l’Allemagne pour se rendre à Montgomery, en Alabama, où il créa une petite boutique vendant des produits d'épicerie, produits secs, et des ustensiles pour les producteurs de coton locaux. En 1850, ses deux frères, Emanuel et Mayer, le rejoignent dans l'entreprise qu’ils décident ensemble
d’appeler « Lehman Brothers ». Après la mort de Henry Lehman en 1855 à l'âge de 33 ans, les deux jeunes frères dirigent l'entreprise pour les quatre prochaines décennies.
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Peu de temps après sa fondation, Lehman Brothers a rapidement évolué vers une activité de courtier en marchandises. Comme l'entreprise grandit vite, un partenariat est conclu avec le marchand de coton John Wesley Durr pour construire un entrepôt de stockage de coton, ce qui permet à Lehman Brothers se livrer à des ventes de plus en plus importantes. Un bureau de New York ouvre ses portes en 1858, donnant à la société une présence plus forte dans le négoce des matières premières mais lui offrant surtout un véritable pied dans la communauté financière.
L’essentiel de ses activités étant liées à l'économie du Sud, Lehman Brothers n'a pas échappé à la misère de la guerre civile. Le siège social fut reconstruit après la guerre, en concentrant l’activité au bureau de New York. En 1870, Lehman Brothers dirige la formation du « New York Cotton Exchange », la première entreprise commerciale. Mayer Lehman fut nommé à son premier conseil d'administration. Comme les ventes de marchandises et les activités commerciales ont augmenté pour inclure d'autres produits, la société a également contribué à établir la Bourse du café et la Bourse du pétrole. En raison de son héritage du Sud et les connexions du Nord, Lehman Brothers a été désigné pour être l'agent financier du gouvernement de l'Alabama afin d’aider à vendre les obligations de l'État en 1867. L’entreprise a également été affectée au service des dettes de l'Etat, des paiements d'intérêts et autres obligations, ce qui fût le commencement d’une longue tradition dans les finances municipales.
Le développement rapide des chemins de fer a contribué à transformer profondément l’économie américaine dans les années suivant la guerre civile. Le boom de la construction du chemin de fer a entraîné une énorme activité sur Wall Street, les entreprises se tournant évidemment vers les marchés financiers pour lever les fonds nécessaires. Kuhn, Loeb & Co., qui a fusionné avec Lehman Brothers près d'un siècle plus tard, a été l'un des principaux conseillers financiers et assureurs de l'industrie ferroviaire. Le cabinet a été engagé dans le financement des chemins de fer à travers le pays.
En 1887, l'entreprise est devenue membre de la Bourse de New York, marquant l'évolution de Lehman Brothers à partir d’une entreprise de matières premières à une banque d'affaires. Le bureau de New York développa une véritable activité de négoce de titres et Lehman Brothers intensifia cette voie. La banque est également de plus en plus impliquée dans le conseil financier, ce qui fut la base pour le développement de l'activité de souscription dans les années 1900.
Pendant 20 ans à compter de 1906, le fils Emanuel, Philip Lehman, et Henry Goldman, le partenaire dominant de la firme Goldman Sachs, ont formé petit à petit une alliance pour financer l'industrie du détail émergent.
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Lehman Brothers était un bailleur de fonds au début de l'industrie du divertissement, Comme l'industrie du cinéma s’est développée dans les années 1930, Lehman Brothers a pu, notamment, aidé à financer « 20th Century Fox ».
Lehman Brothers a été l'une des premières entreprises à mettre au point un nouveau mode de financement connu sous le nom de private equity. Ces prêts entre emprunteurs de premier ordre et prêteurs privés permettait aux emprunteurs de lever des capitaux et aux prêteurs de recevoir un rendement approprié avec un niveau de risque tolérable. Novatrice à l'époque, le private equity est une technique de financement majeure aujourd'hui.
Le développement rapide du high-‐tech depuis les années 1980 constitua un nouveau marché pour la banque d’affaires. Lehman Brothers a acheté sur ces nouveaux marchés des entreprises comme Intel, la société qui a introduit le premier microprocesseur au monde. En 1984, Lehman Brothers est acquis par American Express et fusionne avec Shearson (banque d’investissement et société de courtage) pour former Shearson Lehman Brothers. Petit à petit American Express a commencé à se séparer de ses services financiers et finalement, en 1993, Lehman Brothers a été cédé.
En 2000, Lehman a célébré son 150ème anniversaire. Les bureaux de la société ont été détruits par les attentats terroristes de 2001, et finalement elle emménage dans son nouveau siège social mondial à Manhattan en 2002.
Après avoir brièvement décrit l’histoire de Lehman Brothers, il faut, avant d’en étudier la faillite, se concentrer quelques instants sur l’origine de cette faillite à savoir, la crise des subprimes.
Contrairement à ce que pense la majorité des analystes aujourd’hui, cette crise est selon moi au moins aussi grave que la crise financière (et non pas la crise économique) de 1929.
Tout commence à l’éclatement de la bulle internet en 2000 aux Etats Unis. La bulle internet représente ce que l’on pourrait appeler l’engouement très rapide pour le world wide web avec un retour de bâton fracassant. Dans les années 1990, le développement d’internet aux Etats Unis prend un envol décisif, notamment par la naissance du premier navigateur grand public. D’innombrables start-‐ups voient fleurissent comme des champignons et beaucoup de grandes sociétés commencent à investir massivement en la matière. L’euphorie atteint une première apogée en 1995 avec l’IPO de Netscape. Le prix d’introduction est de 28 dollars au matin de l’introduction en bourse, il clôturera à plus de 75 en fin de journée, de la pure folie, la société est valorisée en quelques heures à 2 milliards de dollars de capitalisation. Alan Greenspan, le patron de la Fed aux Etats Unis, voie là une opportunité pour booster encore plus le développement de l’économie, il décide d’abaisser le taux directeur de la Fed ce qui incite de plus en plus de start-‐ups à se lancer dans la grande aventure d’internet. L’apogée de la stupidité
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financière est atteinte en 1999 lorsque Nokia connaît une croissance de 246% en un an. On croirait rêver. Devant ce signal alarmiste de déconnection absolument totale de l’économie réelle avec les marchés financiers, Greenspan sait qu’il doit absolument relever le taux de refinancement. C’est ce qu’il fera en 1999, à six reprises. Malheureusement, il est déjà trop tard, en mars 2000, un krach boursier commence à se profiler et les pertes sur Wall Street sont démentielles. Plusieurs sociétés font faillites et comme si cela ne suffisait pas, des scandales financiers frappent certains grands noms comme Enron qui était parvenu à dissimuler des pertes via des actifs non consolidés. Il faudra plus de deux ans au NASDAQ, pour s’en remettre et retrouver des niveaux habituels.
En effet, le 11 septembre 2001 éclatent les attentats des tours jumelles du World Trade Center implantées à New York en plein quartier d’affaires. L’Amérique, symbole de la puissance économique et militaire mondiale, est touchée en plein cœur et l’économie des Etats Unis est sur le point d’être asphyxiée. La bulle internet en 2000 et les attentats de 2001 ont presque eu raison des américains. La Fed (Federal Reserve, la banque centrale des Etats Unis) est alors contrainte de prendre deux mesures afin d’éviter le drame financier. Deux mesures d’essence keynésienne vont être adoptées, Alan Greenspan étant encore à la tête de la Fed. D’une part, l’injection d’argent dans le système monétaire pour relancer l’économie via un quantitative easing massif. L’afflux de liquidités via la planche à billets permettra selon Greenspan de relancer la croissance en berne. D’autre part, le maintien du principal taux directeur dit « taux REFI » (c’est à dire le taux auquel les banques se refinancent auprès de Fed) à 1%. L’action sur le taux de refinancement d’une banque centrale est l’emprunte keynésienne par nature. Les hauts fonctionnaires peuvent ainsi maitriser l’émission et surtout, la valeur de la monnaie en circulation dans l’économie.
On a coutume de dire que la valeur de la monnaie dépend uniquement de la confiance qu’en ont les épargnants et investisseurs, et c’est vrai. Quelle valeur peut bien avoir un bout de papier si ce n’est représenter la confiance accordée par celui qui l’accepte à celui qui l’émet ?
Dès lors, il apparaît comme une évidence que plus un Etat produit de monnaie, moins celle-‐ci a de la valeur par rapport aux autres (il est intéressant de faire le parallèle avec la politique mondiale menée actuellement par la BoJ – Bank of Japan, la Fed, et depuis le 2 mais 2013, la BCE qui par l’intermédiaire de Mario Draghi consent à entrainer l’Europe dans la course folle vers les ruine qui semblait pourtant déjà acquise aux Etats Unis via le quantitative easing infini appliqué par Bernanke, nouveau directeur de la Fed ayant succédé à Greenspan). La décision prise en ce sens par Greenspan avait donc deux objectifs principaux. En premier lieu, diminuer le taux directeur aurait permis de faire baisser le dollar et donc de booster les exportations américaines. En second lieu, la pratique d’un taux d’intérêt à 1% aurait eu une conséquence également sur les ménages américains qui, y voyant une condition de financement préférentielle et exceptionnelle, auraient tout le loisir de consommer d’avantage et d’accentuer massivement l’offre sur le marché.
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Quoi qu’il en soit, libéraux et keynésiens sont d’accord sur un point. La politique de Greenspan soutenue par Bush aura contribué en très grande partie à la crise des subprimes que connaîtront les Etats Unis en 2007.
Dans le jargon bancaire, le « prime » est un prêt dont la solvabilité estimée du débiteur permet de considérer comme très faible la probabilité d’un défaut de paiement, bénéficiant par conséquent du taux d’intérêt le plus favorable possible. Par conséquent a contrario, le terme « subprimes » représente quant à lui les prêts octroyés à des débiteurs de moindre solvabilité, d’où le risque de non remboursement élevé, d’où évidemment le taux d’intérêt de plus en plus élevé au fil du temps. Les ménages américains qui, malheureusement pour eux, ont consenti à emprunter des fonds aux banques spécialisées en subprimes, sont appelés « ménages subprimes ». Les prêts subprimes étaient dits prêts menteurs, ou encore prêts à neutrons dans le milieu financier de l’époque (cette dénomination tire en réalité sa source du fait que le neutron est une arme qui détruit les hommes mais laisse intacts les bâtiments). Quelles étaient les cibles privilégiées des prêts subprimes ? D’une manière générale, toutes les catégories vulnérables de la société américain : les minorités ethniques, les hispaniques, les noirs, les pauvres, les vieux et les handicapés. Les contrats de prêts étaient le plus souvent conclu en infraction avec les règles pénales classiques : abus de confiance, escroquerie, abus de faiblesse etc. Le prix de maison lui aussi, était très souvent truqué et élaboré de manière frauduleuse, ce qui fait dire à certains auteurs que la crise des subprimes est une crise criminelle.
Les banques spécialisées en subprimes ne sont pas toutes des banques comme les autres que l’on a l’habitude de voir dans le paysage bancaire américain. On croise en effet plus souvent des institutions bancaires constituées par le gouvernement lui-‐même, dont les plus connues sont Freddie Mac et Fannie Mae. Elles ont pour objet l’achat d’hypothèques sur le marché des prêts hypothécaires et leur revente sur le marché financier mondial, contaminant
ainsi tout le système boursier.
Dans les années 2004/2005, le rêve américain si on peut l’appeler ainsi, en est à son apogée. Tout américain quel qu’il soit, du cadre supérieur au maçon, rêve de devenir propriétaire de son logement. Il faut dire que la politique interventionniste étatique conduite jusqu’alors n’a fait qu’accentuer le symbole bobo et inciter les particuliers quel que soit le niveau de leurs revenus, à solliciter un prêt pour être propriétaires de leurs toits.
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Les ménages à faibles revenus sont en outre attirés par la pratique d’un accroissement progressif des taux d’intérêts qui demeurent très faibles lors de la conclusion du contrat de prêt, mais ne cessent d’augmenter au fil du remboursement. Pour ne prendre aucun risque démesuré, les banques ont veillé à prendre les garanties qui s’imposaient. Des clauses d’indexation du taux d’intérêt sur le taux directeur de la Fed étaient en effet systématiquement incluses dans les contrats de prêts conclus avec les ménages subprimes. Par conséquent, le prêteur prévoyait contractuellement la possibilité de relever, à sa guise, le taux d’intérêt du prêt si Greenspan au cours d’un instant de folie eut l’idée de rehausser le taux REFI. Enfin, dans l’hypothèse où le ménage ne parviendrait pas à rembourser sa dette, l’établissement créditeur conserverait bien évidemment la possibilité de faire saisir le bien et de le faire vendre pour se payer sur le prix de vente.
Malgré cette couverture contractuelle, quel peut bien être l’intérêt pour une banque de prêter à des personnes dont elle sait pertinemment qu’elle ne remboursera pas le capital versé? Aucun pourriez vous penser a priori, mais il convient de se poser la question inverse. Quel est le risque encouru par la banque en prêtant à un insolvable ? Aucun non plus puisque les prix de l’immobilier en Amérique à cette époque ne cessent de croitre. Comme l’immobilier augmente, la valeur du logement vaut (x) fois plus que la valeur qu’il avait lors de la mise à disposition des fonds dans le cadre du prêt contracté. Dès lors, les deux parties au contrat sont gagnantes dans tous les cas de figure. La banque impayée revend l’immeuble et retrouvera quoi qu’il en soit le montant qu’elle a prêté. Le particulier s’il parvient à rembourser le prêt peut quant à lui réaliser une incroyable plus-‐value (on remarque ici, qu’il s’agit ni plus ni moins d’une application de l’acquisition à effet de levier par une personne physique).
Courant 2006, les impayés pour les banques s’accentuent assez fortement et l’équation mathématique jusque là très simple se complique légèrement pour les banques. En effet, quand la proportion de ménages insolvables qui ne parviennent pas à rembourser leur prêt reste faible et que l’immobilier augmente, la banque ne court aucun risque, mais quand cette proportion augmente et que la hausse de l’immobilier se tasse, l’opération jusqu’alors ultra-‐bénéfique et bénéficiaire pour la banque peut basculer et se transformer à une opération à perte. Mais, cela serait bien mal connaître les banquiers de la place qui, plus que jamais attirés par l’appât du gain, vont trouver un remède à ce premier obstacle financier.
Les dispensateurs de crédits bien décidés à ne pas porter à eux mêmes la majeure partie du risque, eurent l’ingénieuse idée d’acheter des bons du Trésor américain, obligations dont la valeur est sûre et qui inspire confiance à tous les investisseurs. Très simplement, le bon du Trésor, américain ou autre peu importe, est un titre de créance que détient le propriétaire (l’investisseur/épargnant) sur l’Etat. Ce titre de créance est dénommé « obligation » par opposition à l’action (l’actionnaire contrairement à l’obligataire est détenteur d’un titre de propriété). Le raisonnement des banques était bien huilé. Qui mieux que l’Etat offre une capacité de remboursement infaillible ? Pour renforcer le raisonnement, il faut noter qu’en 2005/2006, l’Etat américain s’est d’ores
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et déjà bien désendetté, sa capacité de rembourser le capital investi par les détenteurs de bons du Trésor est quasi parfaite, aucun risque donc pour nos banques, qui se lancent dans une course folle à l’achat sur le marché de ces titres de créances négociables. Pendant ce temps, la bulle immobilière continue de grossir. Fin 2005, les analystes font les comptes : l’immobilier a pris 15% en seulement une année, incroyable.
Parallèlement à ces acquisitions d’obligations, les banques commencent dès 2005 à regrouper les crédits subprimes dans un pool structuré (asset backed securities – ABS), titrisé et déplacé dans un véhicule spécial d’investissement (special purpose vehicle – SPV) par le biais d’un CDO – collateralized debt obligation. Le CDO est un malin moyen pour se défaire du risque d’un crédit, surtout quand ce dernier est douteux. Il permet en effet de déconnecter le risque de crédit du portefeuille de la banque qui a consenti le prêt et ce comme dit ci-‐dessus par la création d’un véhicule ad hoc c’est à dire, crée pour l’occasion (en France, ce véhicule est appelé « Fonds commun de titrisation »). Les techniques d’émission des CDO sont diverses et extrêmement complexes, mais pour faire simple, il s’agit d’un titre qui représente un portefeuille de créances bancaires (ici, le CDO représente donc les créances de prêt et indirectement, les créances portant sur le prix de vente de l’immeuble si le ménage subprime ne rembourse pas le capital dû).
Les CDO sont découpés en plusieurs tranches et les banques y ont vu là l’opportunité de créer un millefeuille incroyable. Elles avaient le choix de vendre aux acquéreurs des produits plus ou moins risqués selon la tranche choisie.
Les praticiens et financiers présentent la mise en place d’un CDO en trois étapes. Dans un premier temps comme exposé précédemment, la banque cède son portefeuille de créances bancaires au SPV. Ces créances bancaires peuvent être adossées à des obligations, d’où le lien avec l’achat de bons du Trésor. Une masse inestimable de créances douteuses adossées à des bons du Trésor US ont été transférées par montages financiers à des véhicules fictifs par les plus grosses banques d’affaires comme Lehman Brothers. Une fois la créance cédée (et le risque avec !), le SPV émet des tranches de CDO comme exposé ci dessus pour se refinancer. Très schématiquement, le SPV a un bilan composé à l’actif par les créances cédées, et au passif par les tranches de CDO plus ou moins sûres. La tranche la plus sûre est dite « tranche super senior ». Intervient ensuite la tranche senior, la tranche mezzanine ou dite encore « tranche subordonnée » puis la tranche equity. Les tranches composant les titres font l’objet d’une notation par
les agences de rating (agences de notation comme Fitch ou S&P). Par exemple, la tranche super senior est
systématiquement notée AAA, quoi de plus normal, elle représente une créance sûre et
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certaine qui porte soit sur un emprunteur solvable soit sur les obligations du Trésor US. La tranche senior est notée AA ou A pour les moins sûres. Toutes les composantes de la tranche mezzanine sont notées de BBB à BB. Enfin, la tranche equity est le plus mal notée, elle absorbe tous les risques attachés au portefeuille d’actifs titrisés (donc les créances douteuses des subprimes font partie de cette tranche).
Nous venons de comprendre le point de départ de la crise des subprimes : la titrisation de créances. Titriser une créance, c’est donc tout simplement le fait d’incorporer une créance dans un titre négociable et échangeable sur les marchés financiers. Titriser, c’est rendre un actif peu liquide en un actif extrêmement liquide et circulant rapidement entre les investisseurs. Titriser, c’est aussi et surtout se débarrasser du risque d’insolvabilité du client en dissimulant ce risque dans un titre qui regroupe des actifs risqués et non risqués.
Une fois les titres échangés sur le marché, d’énormes gains furent réalisés par les SPV, lesquels remontaient aux sociétés mères, les banques d’investissement, par voie d’intérêts et primes diverses.
Les banques avaient trouvé là un moyen bien commode pour cacher les défauts de paiement des ménages subprimes. J’emploie le mot cacher volontairement, car s’il convient d’affirmer que la banque mère ne détient plus les créances douteuses, elle détient quand même les participations du fonds commun de titrisation ou SPV qu’elle a crée et auquel elle a cédé les créances. Par conséquent, si en apparence, la situation financière des banques d’investissement comme Lehman apparaissait saine dans les années 2005/2006, en réalité, il en allait déjà tout autrement, et il est par conséquent faux de dire que la crise des subprimes s’est produite d’un coup l’été 2007. Il est faux de dire que le système financier s’est écroulé en quelques jours, ce système était en réalité en survie artificielle depuis déjà au moins un an.
La dérive s’accentuait au fil des mois et la défaillance des ménages dans le remboursement des prêts ne cessait de s’accroitre.
Courant 2006, les banques, conscientes de la défaillance qui s’accentue, continuent à diluer les titres subprimes dans les SPV et les banquiers/avocats d’affaires réfléchissent à un mécanisme permettant de prendre des garanties supplémentaires afin d’éviter au maximum les défauts de paiement qu’accusent les ménages américains.
Eureka, les financiers avaient inventé les CDS – credit default swaps. Le credit default swaps est un titre assurance contre le défaut de paiement. Le principe est simple : la banque achète à un « vendeur de protection « (protection seller) des CDS en versant une prime à l’émetteur, prime dont le montant varie selon le degré de risque attaché au prêt accordé aux ménages. En contrepartie de la prime, le vendeur s’engage à couvrir l’impayé en cas d’incident de paiement. Le CDS est un produit dérivé et plus précisément un dérivé de crédit puisqu’il porte dans notre cas sur le prêt.
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La transaction d’achat du CDS se fait via un PSI – prestataire de services d’investissement qui la réalise sous la forme d’un OTC – over the counter (marché de gré à gré non organisé et non contrôlé qui se trouve en dehors du marché régulé comme l’est NYSE Euronext par exemple). Ce PSI est un IS – internalisateur systématique dont les activités échappent aux autorités de contrôle nationales et internationales.
Les incidents de paiement en proportion des titres demeurent encore assez rares début 2007 et grâce aux CDS, les banques imaginent pouvoir faire face aux plus grandes catastrophes. Elles savent que la situation est malsaine mais n’ont plus réellement connaissance du niveau de solvabilité des emprunteurs primaires (dits emprunteurs « NINJA » pour no income, no jobs, no assets), et ce en raison de l’importance du marché. Toutes les banques sont concernées, américaines, européennes, asiatiques. Les prêts toxiques qui étaient à l’origine cantonnés sur le marché hypothécaire américain ont été titrisés. Les titres circulent sur toutes les places financières et devant le haut niveau de rendement offert par ces titres, toutes les banques en achètent : Société Générale, BNP Paribas, Santander.
Le potentiel de risque est grand, mais devant une supercherie aussi complexe, seuls les banquiers d’affaires et financiers dotés d’une connaissance du marché sont au courant. Ceux qui ne veulent pas l’avouer sont des menteurs, car en réalité, si la crise continue à faire la une des médias aujourd’hui, elle n’était pas une surprise pour ceux qui l’ont provoqué.
Face à ce potentiel de risque, les banques tentent de se rassurer du fait qu’elles ont acheté un nombre de CDS pour un montant bien supérieur au risque encouru. Par conséquent, quand la crise relèvera son étendue, les banquiers imaginent qu’ils revendront ces garanties/CDS excédentaires à prix d’or.
Voilà bon sang, l’attractivité et l’opportunité qu’offrent ces fameux CDS : acheter à découvert c’est à dire sans courir un risque et en s’exonérant de verser la garantie normalement exigée pour couvrir le défaut de la livraison du sous jacent (produit qui correspond au CDS). Les CDS sont donc achetés à découverts et sont dits « à nu », ils ne représentent aucune charge pour la banque.
Les défaillances se multiplient, le CDS devient très recherché et les banques les revendent comme prévu à prix d’or en réalisant des plus-‐values considérables. Comme les ventes de CDS ont lieu par le biais d’un PSI internalisateur systématique, les profits n’apparaissent nul part et seuls les banquiers sont au courant de la supercherie qui est en train de se produire sous les yeux du monde entier.
Fascinées par le profit, ce que recherche quoi qu’on en dise tout entrepreneur, les banques rachètent des CDS en masse, mais comme le risque pour lequel elles les achètent a déjà été couvert, aux mêmes causes s’appliquent les mêmes effets et la crise s’accentue hiver 2006/printemps 2007. Le premier signe qu’une crise majeure s’annonce intervient en février 2007. Peu d’analystes en parlent et pourtant, ce signal
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représente selon moi un élément clef à prendre en compte dans le déclenchement de la crise. Le 8 février 2007 au matin, HSBC à la réputation impeccable trébuche. La banque annonce un profit warning en raison d’impayés immobiliers plus importants que prévus. Le titre dégringole en bourse. Il sort brutalement du canal haussier par le bas et vient taper un plus bas depuis 9 mois. La cause ? HSBC relève de 10 milliards de dollars soit une hausse de 20% par rapport à ce que prévoyait UBS ou Morningstar, de ses provisions pour créances douteuses. Mais pourquoi les provisions doivent elles être revues à la hausse ? La raison est très simple, dès l’hiver 2006, début 2007, la pente des prix de l’immobilier s’inverse. Le secteur perd 4% en quelques mois. La bulle immobilière est bel et bien en train d’exploser. Le 8 février 2007 est une date décisive, c’est le premier profit warning de HSBC dans son histoire. Pourtant, les médias n’en ont quasiment pas parlé et les banques quant à elles, continuaient leur course folle vers l’argent.
Elles ne sont pas toujours pas satisfaites, elles veulent plus de profit et moins de risques, le beurre et l’argent du beurre. Elles décident de changer d’échelle et de s’attaquer aux Etats en achetant de la dette souveraine notée AAA qu’elles couvrent (pour le risque quasi nul évidemment, à cette époque la crise de la dette souveraine n’existe pas ou du moins, personne ne veut la voir) en achetant des CDS. Même opération que pour les ménages subprimes, les banques achètent énormément de CDS, beaucoup trop.
Elles vendent à perte la part de dette des Etats sous forme de titres. Les agences de rating sont dans le coup et aident alors les banques à dégrader la notation de certains opérateurs économiques afin de les affaiblir financièrement.
Les agences de notation, encore elles, diffusent l’information financière à travers le monde, les marchés baissent et les investisseurs s’inquiètent de voir le marché s’écrouler ainsi. Ils vendent à leur tour leurs titres, à perte puisque les cours sur les différentes places boursières sont bien en deçà de leur valeur normale. Les investisseurs sont obligés d’assumer des pertes de plus en plus importantes jusqu’à se rendre dépendants des CDS que détiennent les banques. La demande étant disproportionnée par rapport à l’offre, les prix des CDS augmentent et les banques les vendent par millions et par minute, c’est ce que l’on a appelé le trading haute fréquence.
Le 12 mars 2007, onde de choc à Wall Street, la SEC (Securuties and Exchanges Commission, le gendarme de la bourse aux US) annonce que la New Century Financial Corporation est décotée du NYSE (New York Stock Exchange). Les choses s’accélèrent. Courant mars, la compagnie annonce qu’elle ne peut plus accorder de prêts car elle n’arrive plus à se refinancer. Par ailleurs, comme HSBC, elle relève le niveau de ses provisions pour créances douteuses. Elle frôle le ravin. Un pas de plus et la crise des subprimes fera sa première « grande » victime. Ce pas est franchi. Le 2 avril 2007, la NCFC se déclare en faillite et se place sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites. KPMG, cabinet d’audit comptable et financier est nommé vérificateur et la boite est chargée de vérifier les états financiers de la compagnie. Mark Kim, Directeur
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Senior de KPMG affirmait dans la presse « avoir failli à son devoir de conseil » en refusant d’alerter (et ce dès 2004 !) la compagnie sur la sous estimation de ses provisions.
Pourtant, le monde de la finance se porte au mieux. Le 1er juin 2007, le CAC touche une résistance majeure et fait son plus haut de l’année à 6.168 points. Si l’on regarde les graphiques historiques, ce point correspond clairement à la fin d’un cycle 2003/2007, cycle globalement haussier et ce, bien évidemment, grâce aux politiques monétaires très accommodantes appliquées dans le monde entier par les banques centrales, BCE et
Fed (énormes injections de liquidités sur le marché en 2003 pour la BCE et 2004 pour la Fed). Le 1er juin, c’est aussi le jour du DAX, l’indice allemand qui tape également une résistance majeure et fait un plus haut. Mais encore le S&P500 pour les US, plus haut qui a été récemment battu (plusieurs fois à répétition courant avril 2013, encore une fois grâce à la politique folle de Bernanke et des quantitative easing).
Le 17 juillet 2007, le DJ – dow jones – franchit les 14.000 points, le plus haut de son histoire (record battu également pour l’indice phare américain courant avril 2013). Le 18 juillet 2007, un jour plus tard, un hedge fund de la banque d’investissement Bear Stearns accuse des pertes importantes. Dans la presse, ce fait reste invisible, personne n’en parle pourtant, quelques mois plus tard en 2008, la faillite devra être prononcée comme nous allons le voir. Le lendemain, l’atmosphère commence à se tendre chez certains financiers. On sent que les choses sont en train de basculer et ces trois jours consécutifs représentent pour moi un moment décisif dans la crise des subprimes. Alors que l’indice américain bat un record historique, deux jours plus tard, l’agence de rating S&P dégrade plus de 400 titres subprimes, les fameux titres émis par les SPV divisés en tranches. C’est la panique sur les marchés financiers. 6 ans plus tard, avec un peu de recul, on peut dire que la crise des subprimes prend véritablement un tournant majeur le 19 juillet 2007. Jusqu’à cette date comme nous l’avons vu jusqu’à présent, les banques avaient connaissance des risques, parfois même, elles avaient accusé des pertes importantes et leur capacité de refinancement était bien endommagée. Mais ces difficultés financières étaient masquées et il est vrai que les CEO (chief executive officers) de certaines grandes banques comme Dick Fuld à la tête de Lehman Brothers ont réellement cru pouvoir s’en sortir. Mais il n’y avait rien à faire, début aout, IKB Deutsche Industriebank, grande banque allemande, fait l’objet d’un plan de sauvetage par le gouvernement. La crise apparaît pour la première fois en Europe. Elle finira par succomber et sera cédée pour un prix ridicule en 2008 à un fonds de pension américain. En France maintenant, toujours courant aout 2007, la BNP ferme temporairement trois fonds d’investissement implantés aux USA et très investis en titres subprimes dont BNP
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Paribas ABS Euribor. Suite à cette annonce, le CAC dévisse et perd plus de 5% en deux jours. Le 17 aout, le CAC n’est plus qu’à 5.200 points, la chute est inquiétante selon les analystes.
Le 22 aout 2007, Lehman Brothers ferme à son tour une filiale de crédit à risques – BNC Mortgage. BNC Mortgage était tout simplement une filiale de crédit immobilier subprime, elle s’était rapidement mise à prêter de l’argent aux ménages définis comme insolvables. Premier coup de semonce pour le numéro 4 de Wall Street qui va accuser à cette occasion une perte de 25 millions de dollars. Cette fermeture entraina la suppression de plus de 1200 emplois aux USA. Pour ne pas créer de panique, Lehman Brothers publie dans la journée un communiqué de presse. Dick Fuld prend contact avec une connaissance haut placée dans la presse américaine afin de d’enjoliver l’information (de la fausser…). Ainsi apprend-‐t-‐on que Lehman Brothers, malgré cette fermeture, ne compte pas cesser d’octroyer des prêts à ses clients. A cet effet, son autre filiale dénommée Aurora Loan Services assurera dès lors cette activité. Le maquillage médiatique marche ! La fermeture de la filiale est passée presque inaperçue, plus personne ne parle de Lehman dans les journaux. En réalité, si personne ne parle de Lehman, c’est parce que la crise a frappé ailleurs, et cette fois, un géant de la finance.
Le 14 septembre 2007, Northern Rock, numéro 5 du crédit immobilier au Royaume Uni est au bord de la faillite. Les clients de la banque sont affolés, ils se ruent dans les agences pour vider leurs comptes en banque. En à peine 24 heures, 1 milliard de livres sont retirées par les anglais. Le cours de bourse plonge de plus de 25%. Les médias sont présents sur place et filment les scènes. Certains journalistes de Times racontent que certains clients se battent avec les agents de sécurité pour récupérer à tout prix leurs fonds. Sur internet, le service de consultation des comptes à distance ne fonctionne plus, les clients ne peuvent plus accéder à leurs comptes. Nous sommes dans les heures les plus enfiévrées de 2007. Dans un premier temps, la Banque d’Angleterre consent un prêt de 25 milliards de livres, prêt bien évidemment garanti par l’Etat. Finalement, la banque sera nationalisée, les autorités britanniques ne voulant pas laisser une telle emblème nationale faire faillite (cette banque était un véritable symbole en Angleterre car elle résultait de la fusions de deux anciennes banques, dont l’une servait la cause ouvrières et l’autre l’aristocratie. Les anglais étaient très attachés à cette institution).
Octobre 2007, les mauvaises nouvelles s’enchainent les unes sur les autres. Les indices boursiers dévissent, Citigroup annonce une baisse de 60% de son bénéfice au 3ème trimestre 2007, le PDG de Merril Lynch, Stanley O’Neal, démissionne sous la pression, la banque a déjà perdu plus de 2 milliards de dollars. Un mois plus tard en novembre, Charles Prince, le PDG de Citigroup démissionne à son tour. Pendant ce temps, la Fed
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s’inquiète de plus en plus, Greenspan est sur tous les fronts, il sait qu’une catastrophe est inévitable mais il cherche la meilleure solution pour la retarder. Décembre 2007, baisse du taux directeur de la Fed accompagnée d’une injection de plusieurs milliards de dollars dans l’économie. Effets de secousses garantis ! La parité EUR/USD se déséquilibre de plus en plus, chaque jour, la monnaie européenne prend le pas quand le dollar américain prend l’eau. La politique de Greenspan soutenu par Bush porte ses fruits, le dollar chute.
Pourtant, la mascarade continue. Le 9 décembre, AIG – American International Group, immense compagnie d’assurance, annonce que je cite « la crise des subprimes est sous contrôle ». Elle en profite pour annoncer une perte de 352 millions de dollars (en réalité en février 2008, la compagnie révisera cette estimation de quelques chiffres… Il lui suffira finalement d’y ajouter un zéro et de multiplier le résultat par deux). Toujours en décembre, la Fed baisse encore son taux directeur et contacte ses homologues dans le monde entier pour en faire de même. Appel entendu ! Courant décembre, la majorité des banques centrales entament une action concertée : les fonctionnaires ont prit conscience de la crise de liquidités. Désormais, ce n’est plus une crise à laquelle il faut faire face, mais deux : la crise des subprimes qui n’en a pas fini (au contraire, elle vient juste de commencer) et la crise de liquidités des banques qui ne peuvent plus prêter et donc, ne peuvent plus financer l’économie réelle. Le monde va mal, très mal. Le début 2008 s’annonce déjà tonitruant, plusieurs entreprises industrielles, commerciales, se déclarent déjà en faillite. En réalité, la crise de liquidités se poursuit, les banques ne prêtent plus aux entreprises, elles ne peuvent plus. Or, quel est le rôle d’une banque si ce n’est faire le pont entre les dépôts des épargnants et les besoins en cash des investisseurs et des entreprises ?
Le 8 janvier 2008, James Cayne, CEO de Bear Stearns démissionne. Les pertes s’accentuent et Merril Lynch bat tous les records jusqu’alors atteints : pas moins de 9 milliards de pertes au quatrième trimestre 2007. Bush doit agir. C’est ce qu’il fait. Il convoque une conférence de presse et annonce un plan d’aide de 150 milliards de dollars, la folie outrancière continue. 24 janvier 2008, date clef pour la Société Générale. C’est sa fête. Elle fête deux chiffres, 2 milliards d’euros de pertes sur la crise des subprimes, 5 milliards de pertes sur les opérations de Kerviel.
En février, l’affaire AIG revient au devant de la scène. Le groupe annonce des problèmes de survalorisation sur ses dérivés mais, deuxième mensonge, il annonce avoir pris les mesures nécessaires pour valoriser correctement ses investissements dans les fameux CDO. Enfin les investisseurs se réveillent ! Le titre chute et le spectacle donné se transforme en tragédie. Les agences de notation deviennent bien moins clémentes qu’auparavant. Elles ne sont plus dans le coup et préviennent qu’elles vont abaisser la note d’AIG.
Mais pendant ce temps, la plaisanterie sur les titres subprimes continue et s’étend au delà des banques. Les titres toxiques sont vendus à des fonds dits agressifs que sont les hedge funds (fonds de couverture en français) contrôlés eux mêmes par des fonds de
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private equity. Les titres sont également cédés à des fonds dits non agressifs comme les fonds de pension ou encore, les fonds d’assurance. Le marché s’enlise.
Les prix de l’immobilier baissent de plus en plus, les ménages ne peuvent plus rembourser et la pyramide s’écroule comme un château de cartes et comme le veut la théorie des risques de contrepartie. Cette théorie tente d’expliquer les conséquences des relations qu’entretiennent les banques d’affaires avec les hedge funds, fonds spéculatifs agressifs très investis dans les crédits subprimes. Lorsque les prix de l’immobilier baissent, les crédits subprimes créent des pertes de plus en plus importantes pour les hedge funds. Pendant longtemps, aucun problème n’apparaît au grand jour car ces immenses groupes reçoivent énormément d’argent de la part de fonds de pensions, et grâce à la règle du lock up, l’argent investi ne peut pas être retiré avant un certain temps. Surtout, les hedge funds ne sont pas obligés d’évaluer en valeur de marché leurs actifs. Par conséquent, seuls les spécialistes avaient connaissance de la tromperie qu’ils pratiquaient sur leurs propres comptes.
Mais en mars 2008, l’un des hedge funds les plus puissants, Carlyle Capital Corporation (dirigé par un ami intime des Bush, David Rubinstein) dépendant du fond de Private equity Carlyle Group, accuse des pertes énormes avoisinant les 16 milliards de dollars et ne parvient plus à refinancer les actifs en pertes. Il est sur le point d’être liquidé.
La banque d’investissement Bear Stearn, numéro 5 de Wall Street, qui alimente Carlyle Capital en liquidités sous forme de prêts se trouve donc devant un trou immédiat d’argent frais, le fonds n’alimentant plus en cash l’établissement bancaire. Comme la Bear Stearns avait déjà été très agressive dans la titrisation et accusait des pertes considérables dès l’été 2007, ce choc fut l’ultime. C’est le plus grand bank run de Wall Street à cette époque.
Le 16 mars 2008, la Fed décida de soutenir la cinquième banque de Wall Street en lui procurant des financements sur 28 jours par l’intermédiaire de la banque JP Morgan Chase. Le 17 mars 2008, on apprenait que les conseils d’administration des deux banques s’étaient mis d’accord pour que Bear Stearns soit rachetée par JP Morgan et ce par échange de titres, certes avec une faible valorisation (l’action BS vaut environ 30 dollars alors qu’elle en valait encore 110 en 2007).
Les médias et politiques prennent réellement conscience de la dureté de la crise. Si Bear Stearns, la cinquième banque de Wall Street prend froid, la quatrième risque d’éternuer. La situation de Lehman Brothers inquiète. En mars 2008, le titre perdait déjà 14% en bourse le même jour que Bear Stearns était rachetée par JPMC. Toutefois, bien malin est celui qui peut prédire à cet instant précis que le numéro 4 de Wall Street sera en faillite quelques mois plus tard. Et pourtant…
Le mois d’avril commence mal, très mal. En Europe, la Deutsche Bank que les montants de dépréciations sur des dettes LBO (leveraged buyouts) pourraient être de 3 milliards
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(contre 750 millions selon les prévisions des analystes). L’Europe prend l’eau tout autant que les USA. Le PDG d’UBS Marcel Ospel démissionne le 1er avril et le lendemain, UBS annonce une augmentation de capital pour 15 milliards de francs suisses. Lehman Brothers fait de même dans une moindre mesure. Le 2 avril également, la banque d’investissement de NY procède à une augmentation de capital de 4 milliards de dollars.
En mai, c’est le Crédit Agricole SA qui procède à son tour à l’augmentation de capital pour 6 milliards d’euros. La banque est assez exposée aux subprimes et risque d’y laisser des plumes.
Début juin, Lehman coule petit à petit, mais toujours pas d’alerte dans la presse ou pour le pouvoir politique. Le 9 juin, Dick Fuld demande à son Directeur général Joe Gregory de démissionner. La banque annonce plus de 2,8 milliards de pertes pour son deuxième trimestre, la situation est réellement alarmante. La topline (le chiffre d’affaires) est aussi mauvais : -‐ 668 millions de dollars ce qui prouve l’ampleur de la dépréciation des actifs de l’établissement. Depuis début 2007, la banque a déjà lâché 17 milliards pour les dépréciations… La crise chez Lehman se poursuit. La même semaine, le directeur financier démissionne à son tour. L’action perd 6% en une journée. Il est urgent pour Lehman de se renflouer, sinon, son sort en est jeté.
L’été 2008, ce sont deux établissements dont nous avons déjà parlé qui sont dans le rouge : Fannie Mae et Freddie Mac. Le gouvernement ne peut pas laisser des institutions qu’il a lui même créées, non ! Greenspan le Magnifique déverse 100 milliards de dollars sur les deux établissements.
Nous sommes le vendredi 13 septembre 2008, les limousines noires des maîtres du monde, en clair, une trentaine de banquiers de Wall Street (Goldman Sachs, JPMC, Citigroup, Bank of America, Barclays…), s’agglutinent aux pieds de la Banque centrale de New York. Timothy Geithner qui est le Président, a convoqué une réunion le vendredi 12 septembre, à 6.00 PM, pour évoquer sort de Lehman.
La réunion se prolongera en réalité tout le week-‐end devant la gravité de la situation. Henry Paulson, le grand argentier de l’Etat, s’est déplacé tout comme Christopher Cox, le patron de la SEC, qui a suivi tout comme Ben Bernanke, le numéro 1 de la Réserve fédérale. Les plus grands sont là, c’est une réunion au sommet entre les puissants. Le message de Washington aux banquiers new-‐yorkais ne variera pas d’un iota tout au long du week end: la solution doit venir de l’industrie. Aux banquiers de se mobiliser pour sauver l’un des leurs.
L’Etat, cette fois-‐ci, ne bougera pas. L’heure est grave. Le maire de New York, Michael Bloomberg, qui fut en son temps un salarié de la société Salomon Brothers, a annulé sa petite escapade en Californie pour rencontrer Arnold Schwarzenegger. Il préfère rester près de son téléphone pour savoir à quelle sauce vont être mangés les 25.000 employés de Lehman Brothers.
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Nous sommes désormais le dimanche 14 septembre 2008. La crise ne faiblit pas, bien au contraire, elle s’aggrave. A la manière du loto, une question taraude les financiers : à qui le tour ?
Aujourd’hui, c’est le jour du seigneur. En principe, personne ne travaille. En principe seulement. Chez Lehman Brothers, au siège social à Manhattan, dans les bureaux les plus élevés du bâtiment, les influents sont inquiets. Une réunion est organisée vers 3.00 PM avec les avocats et banquiers d’affaires de la société. La situation est grave, mais elle est pire que prévu. Harvey Miller, l’avocat d’affaires spécialisé en droit des faillites prévient Richard Fuld que Lehman Brothers va devoir se déclarer en faillite. Pourtant, plus tôt dans la journée, l’espoir était toujours là, notamment lorsque Bank of America a envisagé le rachat de Lehman.
John Thain, ex-‐Goldman boy mais désormais PDG de Merill Lynch, a, lui, retourné sa veste le samedi matin lors de la réunion organisée par Geithner. Comprenant que sa banque serait très probablement la prochaine à tomber, il appelle sur le champ Ken Lewis, le PDG de Bank of America, pour lui offrir… Merrill Lynch ! Pendant ce temps, un autre ancien de Goldman Sachs, Christopher Flowers, épluche la comptabilité de Lehman avec les équipes de Bank of America. Tout cela ressemble à un complot (encore faut il savoir que Goldman Sachs est la banque rivale de Lehman…).
Au final, les représentants de Bank of America ont analysé les livres de compte de Lehman pendant douze jours en vue du rachat, et en un seul week-‐end, Merrill Lynch a raflé la mise.
Bank of America accepte de payer 50 milliards de dollars pour racheter Merril. Lehman ne l’intéresse plus, c’est une grande opportunité qui s’envole.
C’est alors que Barclays, banque d’investissement britannique, contacte Lehman qu’elle sait sur le point de faire faillite. Elle lui propose de l’acheter. Dick Fuld sûr de lui n’imagine pas une seule seconde sa boite faire banqueroute, surtout qu’il l’a amère depuis la trahison de Bank of America. Il est donc prêt à accepter la proposition de la banque britannique. Il en parle aux avocats mais ces derniers l’alerte sur un point sensible : l’accord des pouvoirs publics américains. En effet, une acquisition de cette envergure est risquée pour Barclays, très risquée, d’autant plus que les conseilles financiers de la banque britannique savent très bien que la situation « officielle » de Lehman cache de graves irrégularités, et qu’en réalité, l’état de sa situation financière officieuse est dramatique. Barclays demande donc à Fuld pour concrétiser le rachat de Lehman la meilleure garantie qu’il soit : la Fed ou le Trésor américain. Sans plus tarder, Fuld et ses collaborateurs se précipitent sur le téléphone pour contacter Greenspan, le boss de la Fed. Ils obtiennent un rendez et s’y rendent sur le champ. Les négociations ont lieu, longtemps, très longtemps, et le verdict finit par tomber dans l’après midi. La Fed refuse d’aider Lehman Brothers et ne donnera pas de garanties à Barclays pour finaliser le rachat. Aux alentours de 4.00 PM, la situation semble acquise : Lehman Brothers va se déclarer en faillite. Ce sera une onde de choc terrible, du jamais vu,
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explique un proche collaborateur de Fuld. Mais, le CEO est tenace, il ne supporte pas l’idée de voir sa société plonger. Mais, quelle solution lui proposer ? Par quels moyens peut-‐il donner des garanties à Barclays, la Fed ayant refusé ? Ah oui, demander la garantie du Trésor américain, bon sang, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt. Lehman est sauvé. Si le Trésor accepte de donner une garantie à Barclays, Fuld restera à la tête de Lehman. Toutefois, il y a un petit problème dans cette mécanique. En réalité, le problème, c’est le secrétaire du Trésor, Heny Paulson. Henry Paulson est un homme d’affaires américain, mais avant d’être le secrétaire du Trésor, il a occupé un poste bien plus gratifiant de 1998 à 2006: CEO de Goldman Sachs, or, Goldman Sachs est l’ennemi juré de Lehman Brothers. Dès lors, le petit problème est en réalité énorme. Fuld et Paulson se détestent, mais une lueur d’espoir reste permise si la morale et la conscience humaine de Paulson le pousse à se rendre à l’évidence : comment pourrait-‐il, même par vengeance personnelle et par le plaisir qu’il prendrait à faire couler son rival, refuser de venir en aide au numéro 4 de Wall Street ? Osera-‐t-‐il mettre la banque en faillite, osera-‐t-‐il créer l’onde de choc qu’il combat depuis des mois ? Les négociations commencent dans la soirée, par voie téléphonique uniquement. Les deux hommes se contactent directement, pas d’entremetteur, paroles d’homme à homme. Les deux puissants ont le destin du monde entre leurs mains. Si Paulson refuse de venir en aide à Lehman, il condamnera le monde à des années de récession économique. Vers 01.00 AM, le lundi 15 septembre, les négociations échouent. Maintenant, c’est sûr, Lehman va faire faillite, les banquiers d’affaires quittent la tour, les avocats quant à eux se mettent au travail et rédigent la mise en faillite de la banque américaine. Paulson se justifie en mettant en avant le fait que « l’Etat refuse de payer les bêtises des uns par l’argent des contribuables ». Nul ne saura jamais s’il était sincère ou s’il a refusé d’aider Lehman par pure fierté. Seul probablement Richard Fuld le sait, étant le seul lui ayant parlé au téléphone dans la nuit de dimanche à lundi.
Quoi qu’il en soit, cette nuit du 14 au 15 septembre 2008 fût l’événement le plus médiatisé depuis 2007, et encore aujourd’hui. La journée de lundi s’annonçait déjà comme dramatique…
Le 15 septembre 2008 au petit matin, plusieurs institutions financières sont dans la tourmente. En France, les agences de presse attendent, postées devant les entrées des principales banques françaises (BNP, CA, SG). Les patrons arrivent en avance, ils savent à cette heure que Lehman à fait faillite mais ce qu’ils ne savent pas, c’est la réaction du marché. Et le pire arriva… les Bourses chutent. L’indice dow jones finit la séance à 10 917.5 points, en retrait de plus de 4 %. C’est la plus forte baisse depuis sept ans. Le titre Goldman Sachs s’affiche en recul de 19 %, l’action Citigroup suit de près à 15 %. La société Lehman Brothers, créée en 1850 par l’immigré allemand Henry Lehman dans un coin perdu de
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l’Alabama, n’est plus. Rideau sur Lehman Brothers. L’image que l’on voit en direct grâce aux médias au journal de 13H00 restera à jamais gravée dans les mémoires des gens. Les employés quittent le siège de Lehman, un par un… Une page de l’histoire se tourne pour le monde entier.
Pendant ce temps, le flux stable de dollars américains qui abreuve habituellement le monde n’est plus là. Les prêts interbancaires cessent et le marché des billets de trésorerie qui anime habituellement les relations interentreprises coince, laissant les entreprises dans un vide financier sans précédent.
Depuis 1980, les américains investissent leurs économies dans les fonds du marché monétaire qui prête ensuite l’argent aux entreprises. Au moment de sa chute, Lehman devait 800 millions de dollars à un fond de marché monétaire, argent qu’il ne reverra jamais.
Les actionnaires des fonds mutuels retirent peu à peu leur argent du marché monétaire, les liquidités disparaissent au fil de la journée et c’est une grande menace pour les entreprises qui ont besoin de ces liquidités à très court terme. Le mercredi, tous les établissements n’ont plus accès aux crédits, la crise franchit un nouveau seuil. Les entreprises américaines les plus puissantes n’avaient plus de cash pour les salaires ou les stocks ! Pendant les 3 jours qui suivent la chute de Lehman, les gouvernements gèrent les problèmes au cas par cas. Ils doivent notamment s’occuper d’un patient malade depuis déjà plusieurs mois, AIG. Le groupe approche du ravin dans lequel Lehman vient de tomber. L’Etat ne veut pas prendre le risque de le laisser s’écrouler, il s’engage à investir 85 milliards de dollars en échange de 85% de participation dans le groupe.
Les banques britanniques quant à elle sont au fond du trou. Prochaine victime, HBOS (Halifax Bank of Scotland), l’Etat doit en effet renégocier sa revente pour 12 milliards de livres.
Gordon Brown pense alors que c’est au Royaume Uni de lancer un plan de sauvetage financier. Ce plan changera radicalement le cours de choses mais pour l’heure, les USA doivent faire face à la situation qui est la leur. Ce qui menace les banques, ce sont toujours ces actifs toxiques acquis par les banques avec un effet de levier qui ne cesse de s’accroitre. L’effet de levier augmente les bénéfices mais décuple les pertes… Il est impossible pour les banques de vendre des actifs au prix du marché, elles vendent
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toutes à pertes. Elles n’avaient plus assez de capitaux et de liquidités, elles étaient vraiment coincées.
En fin d’après midi, le mercredi 17 septembre, le Trésor américain par la voie du fameux Paulson décide de prendre le problème à bras le corps. En réalité, quatre options lui été proposées : soit racheter directement les actifs toxiques, soit assurer ces actifs, soit
injecter des capitaux en achetant des parts aux fonds, soit le renflouement monétaire.
Toutes ces options sont chères et nécessitent dans tous les cas l’accord du Congrès. Une conférence a lieu à 01.00 AM dans la nuit le jeudi 18 septembre. Paulson demande alors à Bush de
soutenir le projet de rachat des actifs toxiques, c’est la première option qui a été retenue. Bush hésite, mais sous l’importance la rapidité de décision qu’appelle la situation, le Président accepte que la demande soit faite au Congrès pour introduire une motion d’urgence. La nouvelle se répand très vite. Une heure plus tard, Bernanke et Paulson s’entretiennent avec les hommes les plus influents de Washington.
Paulson demande l’autorisation d’acheter des centaines de milliards d’actifs toxiques avec l‘argent du contribuable (que c’est bizarre, ce cher Paulson qui quelques jours plus tôt refuser d’utiliser l’argent de ce même contribuable pour renflouer Lehman). Lors des discussions, un membre du Congrès suggère que l’Etat achète des parts aux banques et les nationalise en partie, mais cela n’était pas concevable dans la politique de Bush donc cette proposition fut rejetée.
Suite à la réunion, Paulson parle d’une Amérique unie. Le secrétaire au Trésor fit une déclaration retentissante parlant d’un pays capable de s’unir et d’agir vite quand la situation l’exigeait pour le bien de ses citoyens. Cette action malgré la mauvaise foi flagrante suffit à dynamiser les marchés du monde entier. A Londres le FTSE (dit « footsie », l’indice boursier des 100 entreprises les plus capitalisées à la Bourse de Londres) gagne plus de 400 points. À 6 semaines des élections, il ne sera toutefois pas facile d’obtenir l’accord des législateurs.
Paulson s’est adressé aux congrès 3 jours après la faillite de Lehman. La facture est de 700 milliards de dollars. John McCain, candidat républicain à la Présidence, refusa de se prononcer pour ou contre le projet de loi, ce qui retarda considérablement l’adoption du plan.
Le plan de sauvetage s’enlise, comme toujours quand les politiques s’en mêlent. Cela fait 10 jours que Lehman Brothers n’est plus, les bourses mondiales s’affolent, l’Irlande
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est en récession, une demi douzaine de banques françaises sont au bord de l’insolvabilité.
Le président Français est le premier à faire scission et à remettre en cause les politiques de Londres et NY depuis des décennies. Dans un célèbre discours, Nicolas Sarkozy déclara « L’auto régulation pour régler tous les problèmes, c’est fini, le laissez faire, c’est fini, le marché tout puissant qui a toujours raison, c’est fini ». Comme la plupart des politiques parmi les moins bêtes, Sarkozy sait parler, mais il n’a pas su agir. Ce discours est resté lettre morte, et il est souvent reproché à l’ancien Président.
En Grande Bretagne, les prestations bancaires sont ce qui s’exporte le mieux et il faut à tout prix que Brown répare le système. Pour ce faire, il a voulu se rendre compte de la façon dont les américains analysaient la situation. Il décida de se rendre sur place pour apprécier au mieux les mesures en vogues. Le plan américain était pour lui voué à l’échec car ne traitant pas le problème majeur à savoir, la fuite du capital des banques. Selon lui, il fallait injecter de l’argent. Brown demanda alors à Bush comment ce plan pouvait augmenter les capitaux des banques américaines. A ce stade, la seule source de capital, c’est l’Etat, et Brown demanda à Bush s’il était prêt à nationaliser au moins en partie les banques américaines. En quittant les USA, il n’était pas convaincu par les bonnes paroles du Président américain.
Pendant ce temps, le conseil des ministres et la FSA (gendarme de la bourse au Royaume Uni) proposent en Grande Bretagne un plan de recapitalisation des banques afin de traiter les actifs dépréciés. Brown reçoit ce plan pendant le vol retour des US par fax. Le Premier ministre prend une décision sans précédent : il décide de l’intervention de l’Etat pour recapitaliser directement les banques. Il s’affranchit alors de l’avis des USA. Le choix de Brown est tenu secret, il veut attendre que Washington se prononce sur le plan de rachat des actifs toxiques.
Le 29 septembre 2008, le projet de loi de renflouement est justement présenté devant le Congrès américain. Les avis sont très partagés, et les enjeux sont énormes pour le monde entier. La majorité des électeurs sont contre. Ce vote comptabilise 205 oui et 228 non. 11 jours de perdus et toujours pas de solution. Paulson déclarera plus tard avoir vécu la pire journée de son mandat.
Il faudra encore 4 jours pour que la motion soit adoptée, mais le mal fût déjà fait. Quelques minutes après le non originaire, la bourse de Wall Street s’effondrait de plus de 700 points, les taux interbancaires s’envolaient. Un véritable lundi noir.
Les différents gouvernements du monde interviennent pour sauver les banques en France, Irlande, Islande, GB, Allemagne. Dans toute l’Europe.
La faillite de Lehman et les blocages de fonds affectent une banque Islandaise qui sera recapitalisée le 29 septembre mais l’opération est très couteuse. Les filiales de dépôt au Royaume Uni et Pays Bas sont prises d’assaut.
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L’explosion du marché immobilier a également en Irlande emporté les banques. Le Directeur de la Bank of Irland proposa de nationaliser les institutions en difficultés car elles étaient au bord de faillite financière. L’Etat irlandais finit par soutenir ces banques.
Au Royaume Uni, la Ministre des finances et le Premier ministre se rencontrent. Le jeudi 2 octobre au matin, une réunion secrète a lieu avec les banquiers de la City au siège londonien de la Standard Bank. Personne ne dira ce qu’il s’y est vraiment passé. La réunion se termine à 3.00 AM avec comme proposition d’injecter des fonds et du capital dans le secteur bancaire britannique.
A la fin du week end le projet est adopté. Les choses se précipitent, le pic de la crise approche à grands pas car les investisseurs veulent retirer leur argent des banques les plus fragiles : HBOS et Royal Bank of Scotland. Le matin du mardi 7 octobre, les conseillers de la City se rendent au ministère des finances pour rencontrer les hommes du gouvernement. Matinée mouvementée à la bourse, les actions des banques plongent : 30% pour la RBS. Vers 10.00 AM, le cours de l’action chute encore plus : 40%. Au même moment le Directeur adjoint de la Banque d’Angleterre reçoit un appel du Directeur des opérations bancaires.
Le système bancaire était sous pression, la RBS pouvait-‐elle se renflouer seule ? Sûrement pas. La RBS qui faisait partie des 10 plus grosses banques au monde était a cours de dollars et risquait de ne pas passer la nuit, elle était au bord du gouffre. Les comptes servant à payer les employés ne seraient plus disponibles, les particuliers ne pourraient plus accéder à leurs comptes, les entreprises plongeraient, bref, la catastrophe imaginable devenait de plus en plus réaliste à Londres. L’Etat de Grande Bretagne regarda alors la situation au nord de l’Europe. Le même jour, le gouvernement irlandais déclarait l’urgence nationale pour protéger les petits épargnants. La banqueroute de Lehman a entrainé une série d’évènements qui ont précipité la perte d’un Etat souverain, l’Irlande.
A Londres, toute la journée, les responsables du Trésor, la FSA et la Banque d’Angleterre veillent la RBS avec anxiété. Ce n’est que vers 7.00 PM que l’on a su qu’elle tiendrait jusqu’au lendemain.
Le lendemain matin, deux nationalisations sont prévues pour la recapitalisation : HBOS et RBS. Ces deux banques ont désespérément besoin de l’Etat mais toutes les grandes banques doivent participer au plan pour qu’il fonctionne. L’Etat détient encore 70% de la RBS aujourd’hui…
Tous savent que le moment est décisif pour le pays et peut être pour le monde. La banque d’Angleterre se prépare à prêter suffisamment d’argent pour que les deux banques tiennent jusqu’à la fin de la semaine. Il fallait injecter 50 milliards de livres, et cet argent, c’était l’argent des contribuables ! Pour que le plan fonctionne, il faut l’accord de l’Europe est des USA.
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Un pays en particulier apparaît en filigrane dans les débats comme une mise en garde de ce qui arrivera aux autres en cas d’échec du plan : l’Islande.
Le ministre britannique trouve le bon interlocuteur : le même Henry Paulson. La tactique audacieuse de la Grande Bretagne qui consistait en une garantie des prêts avec injection d’argent des contribuables dans les circuits économiques, plaçait les USA dans une situation inconfortable. Désormais Londres avait un temps d’avance sur son rival New Yorkais.
Henry Paulson annonça que le Trésor allait engager une participation dans diverses banques. Le Royaume Uni avait réussi à convaincre les USA de suivre son plan. L’Etat américain consacra l’argent à l’achat d’actions bancaires.
Les pays de la zone euro suivent Paulson, ils acceptent le plan de la Grande Bretagne. Les deux opérations (injection capital et garantie des prêts) sont les clefs de la stabilisation financière étatique. Les choses s’arrangèrent dans les semaines qui suivent, grâce au Royaume Uni. Le pire de la crise des subprimes était passé.
Cette crise s’étale sur plusieurs décennies. Il faudra des années de recul pour connaitre la facture globale. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui encore, les conséquences de la crise des subprimes sont visibles aux USA, ainsi la ville de Cleveland qui a fait l’objet d’une énorme spéculation immobilière. Des maisons, en ruine, sont abandonnées et vendues aux enchères chaque jour. Les acheteurs de ces maisons sont à la grande surprise en majorité des banques, qui essayent tant bien que mal de rentrer dans leur frais et de limiter la casse. Des statistiques prouvent la faute volontaires et la responsabilité des banques dans les crédits subprimes. Dans 70% des dossiers de prêts, aucun justificatif de revenu n’était exigé par la banque qui fermait les yeux. Dans 76% des cas, les maisons étaient achetées sans apport initial !
Encore aujourd’hui, les systèmes économiques des 20 Etats les plus puissants appellent une régulation plus stricte des marchés financiers mais ces souhaits s’envoleront quand les crises se seront totalement apaisées.
La chute de Lehman a fait voler en éclat les idées reçues de ces dernières années, celles qui veulent que la finance moderne soit sans risque et que le marché fonctionne mieux seul.
Cette faillite a brisé l’illusion selon laquelle on pouvait ignorer le passé. Cette crise est une parmi tant d’autres, peut être et sans doute la plus grave. Chaque crise est l’incarnation de son époque mais elles ont toute une chose en commun : une soif immodérée de l’argent.