les anges tome 3 - wordpress.com · 2018. 5. 14. · — regarde-moi, mia. là… mes prunelles,...
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TinaM.LesAngesTome3Roman
Celivreestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,descomportementsdepersonnesoudeslieuxréelsseraitutiliséedefaçonfictive.Lesautresnoms,personnages,lieuxetévénementssontissusdel’imaginationdel’auteur,ettouteressemblanceavec
despersonnagesvivantsouayantexistéseraittotalementfortuite.ÉDITION:LeCodefrançaisdelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudeses
ayantsdroitouayantcause,estillicite(alinéa1erdel’articleL.122-4)etconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL.425etsuivantduCodepénal
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondecelivreoudequelquescitationsquecesoit,sousn’importequelleforme.Lespeinesprivativesdeliberté,enmatièredecontrefaçondansledroitpénalfrançais,ontétérécemmentalourdies:depuis2004,la
contrefaçonestpuniede«troisansd’emprisonnementetde300000€d’amende».
CouverturephotoCopyright:CokaPremièreédition:aout2016ISBN:9782375760789
Copyright©2016Correctrice:Amélie
Illustratrice:ConstanceAttachéedepresse:Phanie
www.passioneditions.comRetrouvezlessorties,lesnewset
lesjeux-concours:
PassionEditionsRetrouveztoutel’actualitésurl’auteur:
TinaM.
Tabledesmatières1234567891011121314
TinaM.,auteured’origineréunionnaise,vitdansl’ouestdelaFranceavecsafamille.Après une adolescence à noircir des carnets entiers, des classeurs et des cahiers de toutes les
histoiresimaginairesquifourmillaientdanssonesprit,engrandissant,elledécidedeselancer.Etc’estledébutd’uneaventurefantastique.Un chapitre après l’autre, elle entame l’histoire d’une passion dévorante et d’un amour
inconditionnelentredeuxâmessœurs.Passionnéedelecture,cinéphileetmélomane,elleestaussihétéroclitequesespersonnages.Ayantfait toutessesétudesdanslamode, loindumondedel’éditionetdela littérature,rienne
prédisposait cette jeune femme à être l’écrivaine porteuse des maux et des rêves de toute unegénérationd’adultesendevenir.
ÀPerrine,Nolwenn,Aurore,Julie,Elise,Iris,Fufu,Mélodie,parcequesanslesavoir,chacuned’entrevousm’inspireàvotremanière.
Àtoutesmeslectricesencoreettoujours.Mercipourvotreamouretvotresoutienindéfectible.
1
Aussiprofondquel’océanMia
«Elleparlecommel’eaudesfontainesCommelesmatinssurlamontagneEllealesyeuxpresqueaussiclairsQuelesmursblancsdufonddel’EspagneLebleunuitdesesrêvesm’attireMêmesielleconnaîtlesmotsquidéchirentJ’aipromisdenejamaismentirÀlafillequim’accompagne»
CabrelJelesens.Quis’inviteenmoi.Siprofondément.RespireMia.Respire.Jefermebrusquementlespaupièresalorsqueleslarmesmenacent.Cen’estpasDeacon…,cen’estpasDeacon…cen’estpasDeacon…—Ouvrelesyeux,Mia.Regarde-moi.Monsouffleestsaccadé.J’ail’impressiond’étouffer.—Mia,regarde-moi.Ilsefaitautoritaire.J’ouvrelesyeuxetIsaacm’observe,nebougepasalorsqu’ilestdéjàenmoi.Il remontemes bras au-dessus dema tête et referme ses doigts dans lesmiens. Ce geste plus
intimepourmoiquecequenoussommesentraindefairemefaitpleurerpourdebon.Leslarmess’échappentdechaquecôtédemesprunellesclairespourallerseperdredansmescheveux.
—Tumesens,Mia?Jesuisdéjàentoi.Toncorpsm’aaccepté.C’estàtoidelefairemaintenant,sweetheart.C’estdanstatête.Accepte-moi,Mia.Jeneteferaipasmal.Situveuxarrêter,onarrête.
Jenedisrien,nebougepas,nepeuxrienfaired’autrequ’essayerdenepaspleurer.—Regarde-moi.Zacvrillesesyeuxauxmiens.—Tumesenspetiteguerrière?Mavoixestrauquequandjeparle.—Jetesens,soldat.Ilvaetvientdoucementetunesensationincroyabledechaleursediffuseenmoi.Quelquechose
quejen’aijamaisressentiavant.Çanefaitpasmal.C’estbienlapremièrefoisquejen’aipasmal.Çachauffe.Çabrûleetçameconsumedel’intérieur,maiscen’estpasdouloureux.Lesveinesdesonfrontetdesoncouontsaillisoussapeauetilesttenduau-dessusdemoi,mais
ilnemelâchepasdesyeux.—C’estça,bébé.Regarde-moi.Nemelâchepasduregard.Resteavecmoi.C’estbien…Sa bouche est si proche de la mienne que nos souffles se mélangent. Et cette odeur de
chèvrefeuille, de corps en sueur, ses cheveux quime frôlent, son nez qui caresse lemien, tout çadécuplemessensations.
Moncorpsestlégèrementdéportéenarrièrequandils’enfonceplusprofondémentenmoi,maiscommeuneautomate,monbassinrepartàlarencontredusien.
OhmonDieu…Jesuisvraimententraind’allerverslui.Encoreplus.Àchaquefois.Àchaquecoup.—Regarde-moi,Mia.Là…Mes prunelles, qui avaient quitté les siennes, vertes et pailletées d’or, pour parcourir sa peau
luisante de sueur, y reviennent.Mes larmes ont tari. Il y a cette urgence quimonte le long demacolonnevertébraleetquej’aivraimentdumalàcontenir.Jeneveuxpascrier.
JecroisemesjambesautourdeluietZacsemordlalèvreinférieurequirougitviolemment.Jedégagemamaindelasienneetlaplaquesurmabouchepournepascrier.
Maisaussitôt,Zaclaretire.Doucement.—Nefaispasçabébé.Laisse-toialler.Situveuxgémir,gémis,situveuxcrier,cries.Maisnete
cachepas.Pasavecmoi.Jenesaispascequ’illitdansmesyeux,maiscequejevoisdanslessiensmedonnedesvertiges.
Autrementplusvertigineuxquecequej’aidéjàpuconnaître.Je soulève la têteet l’embrassedoucement.Unsimplebaiserd’abord,qu’ilme rend.Puis,plus
profondément.Ma langueva chercher la sienne alors qu’avec fièvre, il glisse sesmains sousmesfessespourmeleverunpeuplushautets’enfoncerencoreetencoreenmoi.
Jen’auraisjamaiscruaimerçaunjour.Pourtant…Unincroyablesentimentd’urgences’estemparédemoietleparadismesembleàportéedemain.
Jen’aiqu’àpousserlaporte.Plusloin.Plusprofondément.Plusvite.Ilsepassequelquechosedetropfortenmoi,jelesais,jelesens.Quelquechosequimedépasse,
medéborde,metransporte.Cen’estpasseulementlàdansmonbasventre,c’estdanstoutmonêtre,
sousmapeau,dansmonsang,çameserredel’intérieur.Zacm’enlacemaintenantdesesbraspuissantsetmusclés.Ilpourraitsifacilementmebriser…Jem’étouffepresqueetlaisseéchapperuncriardent.Mesyeuxsevoilent.—Zac!L’orgasmemeprendaudépourvu.Moncorps se soulève tout seul et jemecolleunpeuplus à lui en tremblantviolemment.Mon
périnéesecontracte.Mesjambesseresserrentaussietmesorteilssetendent.Mesbrasl’étranglent.Mesongless’enfoncentdanssachair.
Dansungémissementgutturalquitémoigneduplaisir,Isaacsedéversealorsquejejouispourlapremièrefoisdemavied’unepénétration.
Le monde, la pièce autour de nous, nos corps, tout a pris des teintes de bleu incroyable. Uncamaïeudebleudanslequeljemeperds.
—Mia…Zacsoufflecontremabouche,sapoitrinesesoulevantaussivitequelamienne.Despetitesperles
saléess’échappentdemespaupièresàdemicloses.Mapeausecouvredelui.—Miaouvrelesyeux…C’est ce que je fais, doucement, encore éblouie par ce que je viens de vivre et desserre mon
étreinteenmerendantcomptequejel’étranglevraiment.—Tuvasbien?Ilfautquetumeledises.Ilhalètecontremabouche.J’essayederespirernormalement.—Je…jevais…Bien.—Est-cequetuasmal?Jevoislaréellelueurd’inquiétudedanssesyeuxsibeaux,simagnifiques.Ohbonsang…Jecroisquejevaispleurerpourdebon.—Non.Jen’aipasmal.Ilmereposedoucementsurlematelasetmecaresselescheveux.—Tuesparfaite.Magnifique.Tuaslesplusbeauxyeuxdumonde,tulesaisça?Unbleu…aussi
profondquel’océan.Jemecontentederapprochermonvisagedusienetdefrôlersonnezaveclemien.Peut-êtreque
demain,iloublieratoutcequ’ilm’adit,maismoi,jen’oublieraipas.Mêmequandilpasseraàautrechose,àuneautrefille,jen’oublieraipaslesparolesqu’ilaprononcéespourmoi.Onnem’ajamaisditdebelleschosespendantl’amour.
Detoutefaçon,jen’avaisjamaisfaitl’amour.MaisZacm’embrasseavectoutelatendressedumonde.Encorecouvertdesueurcommemoi.Ilseretiredoucementdemoi.Ettoutàcoup,jemesensvide,incomplète.
Ilsedétachedemoipourôterlepréservatif,lenoueretleposersurlemorceaud’alu.Moncœuradumalàsecalmer.Maisaussitôt,lefaitd’êtreséparéedeluimefaitpeur.Jemesens
toutdesuitemalàl’aise.Pendantl’acte,concentrésurcequenousfaisons,iln’apasletempsdemeregarder,pasvraiment,ilveutjustemeprendreetilestaveugléparsesenvies.Après,c’estdifférent.Jeneveuxpasqu’ilmevoiecommeça.Nue.Avecdeshanchessiépaisses,descuissesdestarlatinoalorsquejesuisloind’enêtreuneetquelerestenesuitpas.Descicatricesunpeupartoutettoussesgrainsdebeautésdontlagénétiquem’afaitcadeau…
Jemetournedecôté,merecroqueville,et tire lacouverturesurmoi.Detoutefaçon, ilvas’enaller.Lesmecscommeluinerestentpasaprèsavoir…baisédesfillescommemoi.
Isaacremetsonboxeravantdem’interpeller.—Mia…—TupeuxpartirZac.Jevaisdormir.Mavoix est cassée.D’avoir crié.D’envie depleurer. Je neveuxpas gâcher ce que je viensde
vivreenessayantdeparleraveclui.—Est-cequej’aiététroploin?Tum’enveux?Jeluitourneledos.Ilnepeutpasmevoir,alorsj’essuieduboutdudoigtlalarmequiroulesur
majoue.Trop loin ? Jeviensdeprendreduplaisir dans l’acte sexuel.Pour la première fois demavie.
Ainsic’estpeut-êtrebeaucoup,oui,maispastrop.—Jenet’enveuxpas.Jenetereprocherien.—Pourquoituveuxquejepartedanscecas?J’inspireprofondémentavantderépondre.—Jesuissûrequetun’aspasl’habitudededormiraveclesfillesavecquitubaises.Mes mots un peu hargneux restent suspendus dans l’air durant quelques secondes. J’ai
l’impressiond’avoirbrisélemomentmagiquequenousvenonsdevivre.Quejeviensdevivre.Maisdetoutefaçon,ladernièrefoisqu’onapassélanuitensemble,j’aiessayédeletuer.Alors,il
vautmieuxqu’ilparte.Ilvautmieuxpourlui.Isaacmetlongtempsavantderépondre.Jemedemandeàquoiilpense.S’ilselèveets’enva,je
vaispleurer,jelesais.Maisc’estautomatiquepourmoidelerepousser.Jenevoispaspourquoiilresteraitetjeneveuxpasqu’ils’ysenteobligé.
—Ettoi,est-cequetuasl’habitudededormiraveclesgarsavecquitufaisl’amour?Sontonaussiesthargneux.Jemesenshonteusetoutàcoup.Iladit«fairel’amour»eninsistant
biensurlesmots.Exprès.Jelesais.Commesitoutcecireprésentaitpluspourluiquepourmoi.
Alorsquec’estfaux.Etpuis,commentluiexpliquerquej’aiencorepeurdeluifairedumal…—Réponds-moi,Mia.—Non.Non…Jenedorsavecpersonne.HormisavecArizonaoumamère,ça,illesait.Etjen’aijamais«fait
l’amour».Alorsdormiravecungarçonaprèsl’acte…Le matelas s’affaisse sous le poids d’Isaac. Il se rapproche de moi, glisse sa main sous la
couvertureetlaposesurmahanchenue.Jesursaute.— Eh bien, moi non plus. Peut-être que c’est quelque chose qu’on pourrait expérimenter
ensemble.Toietmoi.Jen’aipasenviedepartir.S’ilteplaît…Ilafinidansunsouffle.J’aiuncreuxdanslapoitrine,quelquechosequimefaitmal.Isaacrepousseledrappourmedécouvrir,maisjecroiselesbrasautourdemoi.—Netecachepas,jet’enprie.Jeviensdetetoucher,t’embrasser,tefairel’amour,j’aitoutvude
toi.Magorgeseserre.J’aienviedemourir.Jeneveuxpasqu’ilvoietoutdemoi.Commejenebougepas,longtemps,ilfinitparretirersamain.—Trèsbien.Sic’estcequetusouhaites.Jem’envais.Unpoids sur lematelasme fait comprendrequ’il s’assied.Unepaniqueque jen’avaispasvue
venirs’emparedemoi.—Non!Neparspas…,s’ilteplaît.Jeme suis retournée vivement vers lui, les bras toujours croisés pour cacherma poitrine. Ses
yeuxrencontrentlesmiens.Lessienssontinjectésdesang.Commes’illuttaitcontrequelquechoseouqu’ilétaitfatigué.Ilalescheveuxébouriffésetunairdequelqu’unquisortdulit.J’aidumalàmedirequec’estmoiquiaifaitça.
Jenesaispassijedonnel’impressiond’êtredésespérée,maisjevoisdusoulagementsepeindresursonvisage.Ilsoupire.
Jemesensencoreplusidiote.—Jenesaispas,maisjecroisqueçame…,çameblessequandtumerepousses,Mia.Sonaveuestcommeuncoupdepoingdansl’estomac.Jenesoutienspassonregardetbaisseles
yeux.Ilnepeutpasmediredeschosescommeça.Iln’apasledroit.—Viens.Metsçasituneveuxpasêtrenuedevantmoi.Il aattrapé son t-shirt et faitminedeme lepasser.Les sourcils froncésen faced’uneattention
commecelle-là,jemelaissenéanmoinsfaireetlèvelesbras.Ilmepassesonhautpar-dessuslatête.Jetirevivementdessusetmecouvre.
Isaac s’allonge de nouveau et m’attire contre lui. Je me recroqueville sur moi-même sans letoucher,mais le laisse enrouler ses bras autour demoi. Il sent bon.Terriblement bon.Le tissu est
imprégnédesonodeur.Fahrenheit,tabac,cuir,menthol,chèvrefeuille…Isaacposesonfrontcontrelemien.Jefermelesyeux.Et ce trou immense dansmapoitrine semble pour une fois s’être refermé. Jeme sens apaisée.
Calme.Isaacmurmure:—Dis-moiquelquechose,Mia.—Quoi?—N’importequoi.Jenesaisriendetoi.Dis-moiunechose.Uneseule.S’ilteplaît.J’aimerais dire… tellement de choses. Que je viens de passer le meilleur moment de mon
existence.Qu’avantluijenepensaispasréussiràvivreçaunjour.Quej’aimeraispouvoirluifaireconfiance.Quej’aipeurdel’avenir.Quej’aipeurtoutcourt.Quetoutemavie,jen’aijamaissuquij’étaisvraiment.Quemêmequandonseréveilleraetqu’ilredeviendraceluiqu’ilestetmoicellequejesuis,jen’oublieraijamaiscettenuit.Quejel’enfermeraipourmoitouteseuledansuncoindemoncœuretdema tête.Quemêmesinousnenousaimons jamais, je lui serai toujours reconnaissantepourm’avoiraidéeàsurmontermespeursetàvivreça…
Lesmotss’étranglentdansmagorge.Jemetslongtempsavantderépondre,doucement,lavoixpleined’émotion.—Quelquefois…,jemesensvraimentseule.Etc’estsivrai.Sivraiqueçafaitmal.Mêmemamèreetmasœurn’arriventpasàfairedisparaîtrecesentimentdesolitudequejeme
traîne.Isaachochelatête.—Merci.Tusais…,jecroisquemoiaussi.J’aibeauêtreentouré.Jemesensparfoistrèsseul.L’émotion,autantpalpabledanssavoixquedanslamienne,medonneenviedehurler.Jenerépondspas.Maiscommentçamefaitmal.Simal.Isaacfermelesyeuxetcroisesesmainsdansmondos.J’enfouismonvisagedanssoncouetun
instant,ilsemblesurpris,maisfinitparfrottersonnezsurmajouedansungesteterriblementtendre.—JefaisdescauchemarsIsaac.Jevaissûrementbeaucoupbouger.Ilsecouelatêteetmurmureàmonoreille.—Jesais.Cen’estpasgrave.Jeteprendraidansmesbrassituaspeur.Etpuis,ceneserapasla
premièrefois.J’espèrejustequetunemetueraspasauréveil.Ilritdoucement.Jesouffleàboutdelèvres:—J’aienlevélecouteau.Jerefouleletrop-pleindesentimentsquejesensaffluerenmoi.Etjefermelesyeux.Enécoutantnoscœursbattreensemble.
IsaacLelendemainEllen’apasouvertlesyeuxquejesaisdéjàqu’elleestréveillée.J’espèrejustequ’ellenevapas
péteruncâblecematinenserendantcomptedecequ’onafaitlaveille.Collinevientdem’envoyerunmessage:*Elleabesoind’êtrerassuréeetdesavoirquetueslàpourelle.Voilàcequ’ellem’aréponduquandjeluiaidemandécommentjedevaisréagiraprèscequ’ona
fait.Je soulèveunpeu ses cheveuxbrunsetobserve sonvisagedélassé.Elle est superbequandelle
dort.Bordel.—Zac?Miaouvrelesyeuxdoucement.Sesyeux,putain…Jem’empressedelarassureretplongelesmiensdanslebleudessiens.—Oui,c’estmoi.Bonjour.Tuasbiendormi?Seslèvress’étirentenunsourirelascifetelletendlamainpourprendrelamienne.—Oui.Jen’aipasfaitdecauchemar,hein?Jen’aipastropbougé?Jerisdoucement.— Hmmm… ça va. À part que tu as frotté tes fesses contre moi à plusieurs reprises, en me
réveillant.Sesjouesrosissentlégèrement.—J’aipasfaitexprès.—Ettuaimesdormirenétoiledemeraussi.Cequiestparticulièrementagréableàregarder.Là,ellerougitcarrémentettiresurmonhautpoursecouvrir.Troptardbébé,j’aidéjàtoutvu.Jemesuisrincél’œilplusd’unefois.Enmêmetemps,sansculotteetdansmont-shirt,comment
nepasl’admirer?Elleestbelle,putain.Égoïstement,j’aieuenviedelacaresserencoretoutelanuit.Puis,maraison,ouautrechose,l’a
emporté.Jen’aipasvoulularéveilleretcassercesommeilsibienentamé.Jen’aipasvouluqu’ellecessederespirersifortdansmoncouetquesapoitrinearrêtedesesouleversousmont-shirtquiluivabienmieuxqu’àmoi.
Jeme penche pour l’embrasser juste sous l’oreille et elle frémit. J’adore lamanière dont soncorpsréagitaumien.Elleabeauavoirpeur,creverdetrouilleetêtreempliededoutes,soncorpsne
mentpas.Ilaimeclairementlemienetlafaçondontjeletouche.—Est-cequetuasbiendormi?medemande-t-elledoucementlavoixtraînanteetcasséedumatin.—Oui,soufflé-jeàsonoreille.Commeunbébé.J’aiaimédormiravectoi.Àprésent,certainqu’ellenevapasessayerdemeplanter,j’enfouismonvisagedanssanuqueet
rentredenouveausouslacouverturepourmeglissercontresoncorpschaudetmoelleux.Elleestjustecommeilfaut.Avecdesformeslàoùilfautpourquej’ailasensationdemefondre
dansunnuagedouillet.Miarefermesesdoigtsdansmescheveuxet jeposemes lèvresdanssoncoupour l’embrasser
doucement.Ellesentvraimentlebébé,c’estfou.Ondiraitqu’elleagardéleseffluvesdesonenfance.Nous restonsunmoment commeça, commehappépar l’autre, en apesanteurdans lesbrasqui
nousenserrent.Lesoleilquifiltreparsonveluxfaitchatoyerseslonguesmèchesbrunes.J’yglissemesdoigtsetrelèvelevisagepourmemettreenfaced’elleetpouvoirl’observeràmaguise.Ellearefermélesyeuxetjedétaillechacundesestraitspourlesgarderenmémoire.Lapulpedesalèvresupérieuresipleineetentrouvertequandellerespire,lestachesderousseursursonnezetsoussespaupières aux cils si longs qu’ils viennent chatouiller ses pommettes, les petites rides qui ont éludomicileentresessourcils,lacicatricetoutefinesoussonmenton…
Jetendslamainetlacaresseduboutdesdoigts.Miaouvrelesyeux.Jesuisperdu.Jesavaisquej’étaisperdulapremièrefoisquej’yaiplongélesmiens.Maisjerefusaisdel’admettreetmaintenantjesuisdanslamerdejusqu’aucou.Parcequej’aipassélamoitiédelanuitàessayerdetrouverunmoyenpourqu’elleneregrettepascequivientdeseproduireetqu’ellerecommenceavecmoiautantdefoisquejeledésirerai.C’estégoïste.Jen’aijamaisprétenduêtrelecontraire.
—Àquoitupenses?souffleMia.—Tuesbelle.Tropbelle.Jeneveuxpassortird’icietquecetteimages’évanouisse.Ellesouritetjesenstoutmonsangseconcentrerentremesjambesrienqu’àlavuedecevisage
éclatant.Avant que ce soit fini, j’avais déjà envie de recommencer. Je savais que je voudrais la baiser
encoreetencore.Commequelqu’unquivientdedécouvrir lesplaisirsdusexe.Alorsquej’ensuisloin,trèsloin.
—Ehbien,neparspas,continue-t-elle.Savoixestunpeucasséeparlesommeil.Bonsang,elleestplusquesexycommeça.—Jedoismelever,Miguelm’aenvoyéunmessagepourmedirequ’ilarrivaitchezmoidanspas
longtemps.C’estvrai.C’estluiquim’aréveilléenplus.Àcausedecequ’ils’estpasséhiersoir,j’ensuissûr.
Ilveutsavoirsiçavaetilvadébarquerchezmoi.Faischier.Miaaesquisséunegrimacepresqueimperceptible.Ohbébé,moinonplusjen’aipasenviedepartir…
—Je reviendrai.De toute façon, il fautque j’ailleprendreunedoucheetmechanger.Tuavaisprévuquelquechoseaujourd’hui?
—Non.—Etcesoir?Ellesecouelatêteencorepourdirenon.Ellenebossepasnonpluscesoir.Ellecroitéchangersa
soiréeavecAdelequienabesoin,maisc’estmoiquiaifaitensortequecettedernièretravailleàsaplace.Inutilequ’ellelesache,elleenferaittouteunehistoire.
—Tuveuxfairequelquechoseavecmoi?Ellesemordlalèvreethochedoucementlatête.Jesouris,content,etm’avancepourl’embrasser
tendrement.Elle gémit et je sens ma queue grandir dans mon caleçon. Je n’approfondis pas le baiser. Je
pourraisnepasm’arrêtersinon.—Ilfautquejeparte,jeluidistrèsdoucementencaressantsajoueduboutdesdoigts.—D’accord.Elle s’éloigne un peu, tire les draps sur elle, et d’un geste fluide, retire mon t-shirt. Sa peau
bronzéeetparseméedegrainsdebeautém’apparaîtdistinctement.Jesoupireetm’assiedspourmedétournerunpeud’elle.Sijem’écoute,jefaisvolerlescouverturesàtraverslapièceetmejettesurellepourrecommencer.
AudiableMiguel!—Tiens.Ellemeletendets’enrouledanslesdrapsavantderefermerlesyeuxetdeplacerl’oreilleravec
lequelj’aidormicontreelle.Ellelerespireetenfouitsonnezdedans.Mapoitrinedéborde.Dequoi?Jenesaispas.Maisquelquechosemedépasse.
J’enfilemont-shirtetmepencheunedernièrefoispourl’embrasseravantdemelever.Unefoisenbas,jeremetslesvêtementsetleschaussuresquej’airécupérésavantdesortirdans
l’airfraismatinal.Le lac brille sous le soleil. J’avais oublié ce que c’était de passer une nuit dans cettemaison.
Mêmesic’esttotalementdifférentcettefois.Jemesensbiencematin.Calme.Reposé,mêmesijen’aipasbeaucoupdormi.JerefusedepenseràKillianpourl’instant.Onn’apasfininousdeux.Maisplustard.Danslavoiture,j’allumemacigaretteetjetteunœilautableaudebord:10heures.Jelancemaplaylistdesbonsjoursetfilejusquechezmoiensifflant.Enarrivant,lavuedetroismotosgaréesdevantlamaisonmefaitfroncerlessourcils.Sérieux,ilétaitobligédelesappeler?Bordeldemerde!Pasenviedem’expliquermaintenant.LaMaseratiGranCabriodeMaloun’estvisiblenullepart.Siellen’estpaslà,çaveutdirequ’ils
sont entrésquandmême. Jedétestequ’ilsviennent foutre lespiedsdansmachambrequand je suisabsent.
Bonsang!Jemedépêchedemegareretdefilerdansl’escalierquimèneàl’étageengrimpantlesmarches
quatreàquatre.Etquandjepousselaportedemachambre,MigueletGabrielmetombentdessusenmêmetemps.—Ohputain,levoilà,lebranleur!—MeilleurcoupdeKaloa,hein,c’estça?Ilsmebousculent,mechambrent,mesautentdessus.Jemedégaged’euxcommejepeux.Maisdequoiilsparlentbordel?M.J. est assis sur le lit, contre lemur, les bras derrière la tête et ne semble pas du tout enjoué
commeeuxlesont.Ilmefixeavecunairdément.Maisçafaitunesemainequ’ilestdanscetétat,qu’ilaretrouvésesdémonsetqu’ilnevapasbien,alors…
—T’asréussiàlasauter,t’escontentdetoi?Jeserre lespoingsencomprenant toutàcoup.Monordiestallumé.Ilya toujourscettefoutue
caméraenmarche.Etmêmesijen’ypensaisplusuneminute,elleaexactementserviàcepourquoielleaétéinstallée.Ilyauneimagesurpauseouverteengrand.Mia…etmoi.
Ilsontvisionnétoutelavidéo,toutelabande.La jalousie, la colère, envers eux, envers moi-même, la frustration, tout s’empare de moi
tellementvitequejenesauraispastoutgarder,impossible.—Onn’avait pas le son,mais c’était inutile. Finalement, ça a été plus rapide queprévu, lâche
Miguelunpeuamer.Jen’auraispascru.Gabrielcrache,unpeumauvais:—ElleestmarranteàdonnerdesleçonstoutletempsetselajouerSainteNitouchealorsqu’elle
selaisseembobinerdupremiercoup…BAM!Monpoing est parti tout seul. Il s’écrase violemment contre la joue deGabriel qui tombe à la
renverseetserattrapeàlabibliothèquequitangueunpeu.Cettebonnejournéenedevaitpasdurer.MigueletM.J.sesontredressésd’unmêmemouvementetmefixent,effarés.Gabrielsemassela
joueetmelanceunregardperdu.—Sortez.Ilsmefixenttouscommesij’étaisunextra-terrestre.Rienàfoutre.M.J.s’estlevédulit.—Qu’est-cequiteprend?—J’aidit,dehors!Etsivousparlezdelavidéoàquiquecesoit,àelle,jevousexploseraitous
unparun.Miguelserrelespoingsetmerepoussedesmains.—T’aspétéuncâbleouquoi?!Oh!C’estnouslà!—DEHORSPUTAIN!!!Monhurlementderagelefaitreculer.Ilsm’observenttousunmomentsansriendire,avantd’attraperleurscasquesetvestespoursortir.
Gabrielm’envoieleregardleplusmauvaisqu’ilm’aitjamaislancé.Onnes’estjamaisbattutouslesdeux.Jamais.J’attendsqu’ilssoientpartispourm’effondrersurmonbureau.Ehmerde!Merde.Merde.Merde!Jesuisdansunemerdenoiremaintenant.SiMiaapprenaitça,sûrqu’elleendeviendraitfolle.Jemepasselesmainssurlevisagededésespoir.Putain,commentjevaisarrangertoutça…M.J.avaitraisondepuisledébut.Onauraitdûl’intégreraugroupe.Jenepeuxpasdirequej’ai
confianceenelle,totalement,non,loindelà.Jenelaconnaismêmepasvraiment.Maisjen’aipaslechoixd’ycroireunminimum.Sielletrouvaitlejournal,j’ignorequelleseraitsaréaction.Maisjeneveuxpasypensermaintenant.Pourl’instant,jesaisquejenepeuxpasresterloind’elle.C’esttout.
Ilnefautsurtoutpasqu’elleapprennepourlavidéo.Jepourraisdirequej’aitotalementconfianceenMigueletGabrielpour la fermer,mêmesionn’estplusdu tout sur lamême longueurd’onde,maisM.J.estbientropinstable,surtoutencemoment.
Etilsembleavoirdéveloppéunesorted’obsessionpourMia.Commentluienvouloir?Jesuispareil.Jepeuxlecomprendre.Maisjenelelaisseraipasfaire.
JerelèvelatêteetappuieimmédiatementsurlatoucheSupprimer.Jenelaferaipaschanteravecça.Hiersoir,c’étaittrop…spécial.Hébah,çapromet.—Aaaaaaahhhhhrg…Jemelaissetombersurmonlitdansunhurlementderageetdefrustration.Etjefermelesyeuxuninstant,levisagedansmonoreiller.Toutecettenuitmerevientenmémoireaussiclairementquesijevenaisdelefaire.Je sens encore sa peau veloutée sous mes doigts, les imperfections par endroits dues à ses
cicatricestoutesfines,l’odeurdecerise,dedoudou,debébé,quilacaractérise…Et surtout, cemoment où elle a joui sousmoi. Jamais rien vu d’aussi beau. Jamais rien senti
d’aussi fort. Elle avait les yeux à demi fermés, à demi ouverts, d’un bleu-gris si limpide, voilés,emplis de larmes de plaisir, qui ne voyait rien d’autre que le paradis, et cette bouche rose quis’ouvraitàlarecherchedel’airdontellemanquait.
C’est la première fois que je sentais un vagin palpiter comme ça. Elle battait contre moi,m’enserrantetfrémissantàlafois.Cen’estpasellequipourraitsimuler.
Etpuis, ilyace trucqui s’estpasséenmoi.Si fortet siviolentque j’ai joui sanspouvoirmecontenir.Sansvoirsijeluifaisaismaloupas.Jenepouvaisplusm’arrêter.
C’estçaqu’onappellefairel’amour?Toutàcoup,lesexequej’aiconnuavantelleparaîtbienfadeàcôté.Etonnepeutpasdirequeje
n’aipasexplorélesujetdelongenlarge.«Zac…»J’entends encore son murmure de bonheur alors qu’elle s’accrochait à moi comme une
naufragée.C’estbon,jepeuxmourir.Jeviensdetrouverleparadis.Engrommelant,jemesensmerépandredansmonboxeretsurlesdraps.Merde!Jeviensdejouirtoutseul.Rienqu’enrepensantàelle!Sansmêmemetoucher.Commeunado
prépubèredevantunmagazineplay-boy.L’effetMiaGilmore.Jerestelàuninstant,allongésurmescouverturessales,àmeremémorerlaformedesesseins,
ses gémissements à peine perceptibles comme si elle avait peur de s’exprimer.C’est ça, elle avaitpeur.J’auraisvouluarrachercettecrainted’elle,qu’ellese lâche,qu’ellesoitaussi transportéequemoi.Jenesaismêmepascequ’ellepensedecequ’onvientdevivreensemble.Ellenemeparlepas.Jedois lui arracher lesmots.Etcedont j’avais lepluspeurest arrivé.Ellem’a repoussé.Commej’avais l’habitude de repousser les filles avec qui je couchais avant. Ça fait tout drôle et c’estdésagréable.
Maisj’aibiencompris.AvecMia,toutestuncombat,mêmeunenuitàdeux.Jesuisprêtpour laprochainebataille,valkyrie. Ilesthorsdequestionque tum’échappes.Plus
jamais.Plusjamais?!Oui,plusjamais.Jesuisprêtàl’assumermaintenant.Ilfautquejel’amèneàsedécouvrir.Jeveuxbrisercettecarapacequ’elleaérigéeautourd’elle
pourseprotéger,semurer.Jeluiaifait l’amour,c’estunpasversundébutdequelquechoseentrenous.Maisputain,jemesuisretenu.Commejenemesuisjamaisretenuavecpersonne.Jenel’aipasbaiséaussifortquejel’auraisdésiré.
J’aieupeur.Pourlapremièrefoisdemavie,j’aieupeurenbaisantunefille.Deluifairemal.Delafairefuir.
Deluifaireressentirdeladouleurplutôtqueduplaisir.Pourunefois, jemesuispréoccupéd’elleplusquedemoi.
Bordel!Matêtevaexploseravectoutça.Jenesaisplustropcequejesuisentraindefaire.Maboussolea
perdu le Nord. Avantmême dem’enfouir en elle, je savais que je nem’en contenterais pas. Quej’auraisenviedeplus.Quej’auraisbesoinderecommencer,delatoucherencore,alorsquejen’avaismêmepasencorebougé.
Jesuisdanslamerdejusqu’aucou.Jevoudraisbrisersacarapace,oui,maisest-cequeçam’obligeraàbriserlamienneparlamême
occasion?Jeneveuxpasqu’ellemeperceàjour.Jen’aiaucuneconfiancedanslesfemmes.Jenepourraijamaisluidonnerplusqueça.Ellepourraitcroirequesi,àcausedetoutcequejeluiaiditjusqu’àmaintenant,maiscen’estpaslecas.Jenesaismêmepasd’oùçasortaittouscesmots.Ellemefaitdisjoncter.
Lepire,lepiredetout,c’estqu’ellememanquedéjà.Auboutd’unmoment,jeregardel’heure.Uneheure.Çafaitàpeineuneheurequejesuispartiedechezelleetellememanque.C’estpossibleça?Il
m’arrivequoi,merde!C’estunesituationinextricable.Jenesaispascommentjevaism’ensortir.Jenel’aimepas.Impossible.J’aimesoncorpsetlafaçondontilmerépond,maisjenel’aimepas
elle.Pasausensoùlesgenss’aimentd’habitude.Non,vraimentimpossible.Parcequesic’étaitlecas,ceseraitvraimentlamerde.Ungrosbordel.Jenesauraispasyfaire.Etjenesauraispasluiaccordertoutel’attentionqu’ellemérite.Etellenesauraitpasnonplus.Miaabientropdechaînesaupied.Àtroplaregarder,j’enoublielesmiennes.Elleluttedéjàcontresespropresdémonspours’attarderunpeusurlesmiens.Etjesaisqu’ellenem’aimerajamais.Personnenem’aimerajamaiscommeça.Lesfilles sont attirées parmoi,mais je n’ai jamais laissé à l’une d’elles le temps deme donner autrechosequeleurscorps.ÀpartAmbre.MaisAmbreestuneidiote.Etunparistupideaussi.
Miaest…Bonsang,jeréfléchistrop.Des bruits dans la maison me parviennent et me font relever la tête. CertainementMaggy ou
Malou.Je décide deme lever et de filer sous la douche.Histoire demedébarrasser de cette bandede
taureauxquimetientaucorps.Après laplus longuedouchede tous les temps, sansdoute, je redescends jusqu’à lacuisine.Ce
n’estpasMaggyquifaitdubruit,c’estMalou.Ellesortunevingtainedemuffinsdufour immensequenousavons.
—Bonjour.—Bonjourmongrand.Commentçava?
—Çava.Iln’yavraimentqu’ellepourm’appeler«mongrand»commesij’avaisencoredixansetbesoin
qu’onreconnaissequejesuisdéjàunhomme.J’attrapeungâteautoutchaudetmordsdedans.—Jepeuxteposerunequestion,Malou?—Biensûr,Isaac.Tusaistrèsbienquetupeuxtoujoursmeposertouteslesquestionsquetuveux.
Dis-moi.Commentdireça…—Comment…commentonfaitpourmontreràunepersonnequiavécudesalestrucsqu’ontient
à elle, sans qu’elle prenne la fuite ? Je veux dire… c’est vraiment quelqu’un qui a vécu des trucshorriblesetquin’acceptepasquelesautrespuissentvouloirl’aider,tuvois…
Malou reste un instant à m’observer par-dessus les gourmandises fumantes, son torchon decuisineàlamain.
Jemesensmalà l’aise toutd’uncoupetcroqueunenouvelle foisdans lepetitgâteauque j’aidanslamainpouréviterdelaregarderenface.
—Ehbien…,c’estmarrantquetoi,tuposescettequestion.—Pourquoi?—Parcequec’estexactementcequej’aifaitavectoi.Chercheràapprivoiserceluiquineveutpas
êtreapprivoisé.Jedirais…qu’ilfautunebonnedosed’amouretdepatience.Jemanquedem’étoufferavecunmorceaudemuffinetlerecrachepresque.D’amour?Çanevapaslefaire.Rienquedel’entendredireça,çamestresse.Jemarmonneunvague«humm»avantdeluitournerledospourpartir.Jen’auraisjamaisdûluiposercettequestion.LavoixdeMaloum’arrête.—Unjour,j’espèrequetumelaprésenteras,Isaac.Elledoitêtretrèsspéciale.Jemeretourneverselle,maisellefaitvolte-faceetenfournesadeuxièmetournéedemuffins.Iln’yaqueMaloupourlireenmoicommeça.Pfff…Là,jesaisvraimentplusquoifaire.Paroùcommencer.Oùtoutçavamemener.Maisc’estvraiqu’elleestplusquespéciale.
2
ToutesmespremièresfoisMia
Mia,ouvrelesyeux…Etc’estcequejefais.J’observemonrefletdanslemiroir.Mesprunellesbleues,sividesd’ordinaire,sontaujourd’hui
rempliesd’uneattentequimefaitpeur.J’ail’impressiondemeregarderenfacepourlapremièrefois,depuislongtemps.Jeredécouvre
laformedemonnez.Mesouviensdufrottementdeceluid’Isaacdessus.Etdesonodeurparlamêmeoccasion.Duparfumquiembaumesachair,mêmequandelleest luisantede transpiration,deceluiquiflottedanssescheveux,douxetplussoyeuxquelesmiens.
Jeposedélicatementmesdoigtssurmeslèvresunpeurosées.Etmesouviensdessiennessurlesmiennes.Satendresseetsaduretéàlafois.Legoûtdesalangue,sonsoufflesurmapeau,lacaressedesontouché.
Monpoulsralentit.Jesoulèvedoucementmescheveuxettournelatêtepourobservermoncoudanslemiroir.Ilyaunetracerougeetunpeuviolettesousmonoreillegauche.Ilm’amarquéelàaussi,comme
latracedesesdents,restéesurmonsein.Jecaressela tâchedoucement.C’est lapremièrefoisquej’aidesmarquesquinemelaissepashonteuse.Etquejen’aipasl’obligationdecacher.
Celles-làsontlessouvenirsd’unenuitparticulière.C’estcommeçaqu’auraitdûêtremapremièrefois.C’estavecquelqu’uncommeluiquej’auraisdûlavivre.
Jemesuissouventdemandésitoutcequinousarrivedanslavieesttoujoursécritd’avance.Est-cequej’auraisdûlerencontrer?Etsijen’avaispascroisésonregardcejour-lààl’aéroport?Etsijen’étaispasvenuehabiterdanscettemaison,maischezLuke?Etsi j’étaisrestéeavecArizonaetmaman?
Est-cequ’alors,jel’auraisquandmêmerencontré?Parunautremoyen?D’uneautrefaçon?Ounon?
Jecommenceàpéteruncâble.Àdevenirvraimentcinglée.Àmeposerdesquestions…Jemesouvienstoutàcoupdemamère,assiseenfacedemoiàlatableenmétal,lesmainsserrées
surlechapeletquegrand-mèreluiavaitlégué.Elleavaitl’airsidésespérée,amaigrie,creuséeparlestracasetlessoucisquejeluicausais.Ellenecomprenaitpasquejemesentaisbien.Quejemesentaislibre,enfin,malgrétout.Elleavaitpeur.Moiaussi.Maisjesavaisquequoiqu’ilpouvaitarriveraprès
ça,intérieurementj’étaislibre.Elleavaitparléd’unetoutepetitevoix.« Amy, rien ne nous arrive par hasard dans la vie. Tout a une raison d’être. Tu ne dois pas
abandonner.Ilnefautpasavoirpeur.Chaqueépreuvequetutraversest’estenvoyéeparcequetupeuxlessurmonter.»
Jen’avaispasréponduàmapetitemamansiinquiètepoursafille,qu’elleseremettaitàprier,ellequin’avaitpasmislespiedsdansuneéglisedepuislamortdesonmari.
Toutauneraisond’être.Vraiment?Lesvibrationsdemontéléphonemetirentdemespenséestordues.Moncœursemetàbattretrèsfortquandjevoisquec’estIsaac.Commeuneadolescenteenattente
ducoupdefildel’amoureuxtransi.*Réveillée,bébé?Jen’auraisjamaisdûm’enalleretresterdormiravectoi.Tumemanquesdéjà.
Jevienstechercherà17heures.Nemetspasdetalons,onyvaenmoto.Pourquoi,chaquefoisqu’ilm’appellebébé,çamefaitceteffetdedingue?Jequittelasalledebainetparsm’asseoirsurmoncanapépournepasm’effondrer.Avantdepianoterunmessageenretour.*Oui,jesorsdeladouche.Tuauraisdûrester,oui.Oùest-cequ’onva?Laréponsenesefaitpasattendre.*Tuestropcurieuse.Jem’apprêteàluirétorquerquelquechosedepluspiquantquandonsonneàlaporteLuke?Jen’aipasentendulebruitd’unevoiture,nid’unemoto.JemelèvepourouvriretdécouvreavecsurpriseM.J.surlepasdemaporte.Desyeuxcernéset
une tête affreuse, même s’il reste toujours aussi sexy. N’empêche, avec tous ses tatouages et sonexpressionmauvaise,ilferaitpeuràn’importequi.
—M.J.?—Salut.Jet’aimanqué?Jefroncelessourcils.Aveclui,cettephrasepourraitêtreironique,voiresarcastique.Maissonair
sérieuxmefaitdouter.Jerépondstotalementautrechose:—Tun’aspasl’airdanstonassiette.Est-cequeçava?Ilretiresesmainsdesespochespourlespassernerveusementdanssescheveuxcourts.—Çava.Jesuisjustefatiguéparcequejesuisunpeuinsomniaque.Jepeuxentrer?Il est vraiment bizarre.Rien qu’àme demander la permission d’entrer déjà. Je suis sûre qu’en
d’autresmoments,ilm’auraitdéjàbousculéepourallers’effondrersurmoncanapé.Jelefaisentreretrefermederrièrelui.Iljetteunregardfurtifversmamezzanineavantdepartir
s’asseoirsurlefauteuil.Est-ce qu’il sait ce que j’ai fait avec Isaac hier soir ? Rien que d’y penser j’en ai des sueurs
froides.Zacserait-ildugenreàraconterendétailsesnuitsenfiévréesàsesamis?—Qu’est-cequetuasprévuaujourd’hui?Jehausselesépaulesàsaquestion.Enfait,jemesuisréveilléecematinavecl’intentiondenerienfaired’autrequemerepasserles
détailsdecettesoiréeetdecettenuitmagiqueenmémoire.—J’allaismepréparerunpetitquelquechose.Tumangesavecmoi?HolàMia!Qu’est-cequetufais?Jeperçois la petitevoixpaniquéedansma têtequimedit que jene saisplus ceque je fais. Je
m’entendsbienavecM.J.engénéral.C’estleplusgentildetous.Maisçanefaitpasdenousdesamis.Troptard.—Ouais,j’aifaimenplus.Qu’est-cequetuvaspréparer?Ilaretrouvédesasuperbe.Jefileverslacuisine,Minuitsurmestalons.Ilgrimpesurleborddelafenêtreetattendquejelui
servesapâtée.Enfait,jesuislagardienneduchatd’Isaac.Oui,c’estça.—VousfaitesunegardepartagéeZacettoi?JerougisetmedétournepourqueM.J.levoiepas.Ils’appuieauplandetravailetm’observedonneràmangeràMinuit.—Où est-ce que tu étais passé cette semaine ?Et hier soir ? Je ne t’ai pas vu auRubis, ni au
manoir.Jefaisdansl’artdel’esquivemaintenant.Parlerlapremièrepouréviterlesquestionsfâcheuses.M.J.aouvertunplacardcommes’ilétaitchezluietscruteminutieusementàl’intérieuravantde
plongerlamaindansundemessachetsdesucettesàlacerise.—J’avaisdes trucsà faire.Ethier soir, çam’intéressaitpas. J’étais fatigué.Paraîtqu’ilyaeu
bastonentreKillianetZac?Jehausselesépaulesnonchalamment.Ilestdéjàaucourant,alorspourquoimeposerlaquestion?Jesoupireetsorsmesustensilespour
nouspréparerdesgalettesde légumesetdesbruschetta{1}saubacon,olives, tomatesetmozzarella.J’aimebienpréparerdespetitsplats.J’auraispréférécuisinerpourIsaac,maisbon…
Sérieusement?Cuisinerpourlui?Alorsquetuignorescequevousêtesvraimentl’unpourl’autre?
—Paraîtqu’ilssesontbattuspourtoi.Ehbien,décidément,M.J.n’apasl’airdevouloirlâcherlemorceau.—Non, ce n’est pas ça. Je crois juste qu’ils ont unproblème tous les deux, je réponds, sur la
défensive.Ettulesaismieuxquemoi.Ilmeregarde,unesucettedanslabouche.—C’estvrai.Ilsnesesontjamaisvraimententendus.MaisKillianestungroscon,alors…—C’est-à-dire?Qu’est-cequ’ilvousafait?J’airemarquéquevousne l’aimiezpasvraiment.
Pourquoiilestvenusurlaplagel’autresoirdanscecas?—Parcequemêmesinousnenousentendonspasbien,ilrestelefrèred’Isaac.Etenplus,Jonet
luisontamisavecCora.Jedécidedecreuserlesujet.C’estvraiquejen’aijamaispenséàposerdesquestionsàCora.M.J.s’assiedàmêmeleplandetravailenmeregardantpréparerlesbruschettas.—PourquoiKillianetIsaacneviventpasensemble?Ilenchaînedutacautac.—Pourquoituneleurdemandespas?—Jeteledemandeàtoi.Ilmetuntempsinfiniàrépondre.—Ilsn’ontpasgrandiensemble.JenecroispasqueZacvoudraitquej’enparleàsaplace.Tu
devraisluiposerlaquestionsituveuxvraimentsavoir.Iladitçad’untonunpeuhautain.—Trèsbien,jeleferai.Etc’estvrai.Jecomptebienlefaire.—Pourquoitut’intéressesautantàlui?Jemeretiensderire.—La question serait plutôt : pourquoi vous tous vous êtes intéressés àmoi depuis le début ?
Normalqu’àmontour,jeveuillesavoirquivousêtes.M.J.faittournerlasucettedanssaboucheavantdemerépondre.—Jenecroispasquetuveuillesvraimentsavoirquinoussommes.Tuveuxjustesavoirquiest
Isaac.Nousnoustoisonsduregard.J’aisentilereprochedanssavoix.Y’aurait-illà-dedans,unsoupçon
dejalousie?—N’importequoi.Serais-tujalouxparhasard,Junior?—C’esttoiquidisn’importequoi!Jesuisplusbeauqu’Isaac,jen’aipasderaisond’êtrejaloux.Jesourisensecouantlatête.Eneffet,M.J.esttrèsbeauetbienplusgentilavecmoiqu’euxtousréunis.Maispeut-êtreunpeu
troptatouépourlecoup.Ilenavraimentpartout.Etmêmesijeletrouvemagnifique,Isaacrestebienpluscharmeuràmongoût.
QuandjeremarquelafaçonperçantedontM.J.m’observe,jenepeuxm’empêcherderougiretdedétournerleregard.
J’enfournelesbruschettasetmetslesgalettesdelégumesàdoreràlapoêle.— Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-il, une expression de répulsion intense plaquée sur le
visage.OK,cen’estpasletopdugoût,maisc’estbonpourlasantéetsurtoutpourmoi.Jefaistoujours
attentionàcequejemange.—Desgalettesdelégumes.Ilesquisseunegrimacededégoût.—Nonseulementçaal’aircancérigène,maisenplus,çaressembleàunetumeurmalopérée,se
moque-t-il.Jenerésistepasàluiasséneruncoupdecuillèreenbois.—C’esttrèsbon,espèced’imbécile.Situneveuxpasmangercequejecuisine,vavoirailleurs.Illèvelesmainsdevantluiensignedereddition.—Çava…detoutefaçon,ilsaurontsûrementtoutboufféàlamaison.—Quiça,ils?—Mesfrèresetsœurs.J’aiunhoquetdesurprise.—Tuasdesfrèresetsœur?!—Bahoui.Pourquoi?Çatesurprend?Jehausselesépaules.—Jenesaispas.Lesgarçonset toi…,vousêtesunebande, j’imaginaissansdoute…quevous
étieztousfilsuniquesetquevousvousétieztrouvés,commedesfrères…Tuvois.Ilsecontentedeleverlessourcils.—Tuastort.GabrielaCora,IsaacaKillian,Miguelaunesœuretdeuxfrères,maisilsnevivent
pasici,moij’aideuxpetitsfrèresetunepetitesœur.Etpuis,Ashtonila…ilaErine,enfinbref.Onatousnosfamilles,tusais.Cen’estpasparcequ’onseconsidèrecommedesfrèresqu’onn’apersonned’autre.
—Oui,c’estbête,jenesaispaspourquoijepensaisça.Commentvousvousêtestousrencontrés?M.J.descendduplandetravailetouvrelefrigo.—Évidemment,iln’yapasdebièrescheztoi…,nidesodas?Tudoisêtreladernièrepersonne
aumondequin’enapasdanssonfrigo.Tuneboisréellementqueduthé?—Lessodasc’estmauvaispourlasanté.Tupeuxboiredel’eaudurobinetsituveux.Ilsoupirededésespoiravantdes’effondrersurunechaise.—Etdonc?Larencontre?Aveclesgarçons?J’aitellementenvied’ensavoirplussureux.Sur lui.MaishorsdequestionqueM.J.s’enrende
compte,alorsjepassepard’autreschemins.Jenepeuxpasdirequejen’aipasrepenséàcetorchondepapierquiestenfouidanslepuitsdu
jardinetquiregorgedemomentsdeleurexistence.Maisj’aimeraisvraimentdécouvrirquiilssontdemoi-même.Pasautraverslesyeuxdecettefille.
—J’avaisonzeansquandj’airencontréIsaac.Enfait,ilm’adéfenducontreKillian.Cebâtardmepiquaitmesaffairestoutletempsetm’obligeaitàluidonnermongoûter.Tuvoiscommec’estvieux.Aujourd’hui,Killiannepourraitplusmedemanderquoiquecesoitsansprendremonpoingdanslagueule.
—Etlesautres?—IsaacétaitdéjàamiavecAshton.Ilsseconnaissentdepuisunlongmomentdéjà.Onarencontré
Gab surdespistesde coursedans lenord. Il a été lepremier à avoirunemotoetona tous suivi.Miguelestarrivéledernier.Onaeudumalavecluiaudébut.Ilesttrèssecret.Onnesaitriendesafamille,saufqu’ilestportoricain.
—Miguel?Maisilsembletrèsprochedevous.—Ill’est.Çaajustemisdutemps.Isaacavaitconfianceenluiplusqu’enn’importequialorson
lui a fait confianceaussi. Jene saispas toutdeMiguel,mais je saisqu’il est làpourmoi, commeIsaac.
Jefinisdemettrelesgalettesdanslesassiettesetdedresserlatableenessayantd’assimilertoutcequeM.J.medit.
Ilregardelesplatsd’unairencoreplusdégoûtéqu’auparavant.—Goûteaumoinsavantdefairelagrimace!—Jetejurequeçanedonnepasenvietontruc.Jesorslesbruschettasdufoursansreleversaremarque.—Tucuisinestoipeut-être?Jenesuispassûrequetuarriveraisàfairemieux.— Oh, mais je n’ai pas dit le contraire. Moi, je me contente de prendre le téléphone et de
commanderlespizzas,c’estbienplussimpleetbienmeilleur.—Bienplusgrassurtout!Etquandtuaurasunefemme,tuferascomment?Jenesuispassûre
qu’elleacceptedefaireàmanger,lavaisselleettoutleresteavecquelqu’unquicritiquetoujourstout.—Jenecritiquepastoujourstout.—C’estça,ouais.M.J.soupireetfourreencorelasucettecerisedanssabouche.—Detoutefaçon,unjour,quandj’auraisunefemme,elleestmoi,ontravailleraenéquipe.—C’est-à-dire?Ilfaittournerlebonbondanssabouchedefaçonostentatoire.Etunpeudégueuaussi.—Bah,genre…elleferaàmangeretmoi,bah,jemangerai.Travaild’équipe.Jeluibalancelacuillèresurlatête.—Idiot!—Bahquoi?C’estvrai.
Nous rions tous lesdeuxet j’ai l’impressionquesonairdemort-vivantdisparaîtpeuàpeu. Jel’aimebienM.J.,maisfautavouerqu’ilestétrange.
Toutlelongdurepas,jeneluidemandeplusriencarilnem’enlaissepasl’occasion.Etpuis,jen’aipasenviederépondreàsesinterrogationssurIsaacetmoi.J’ignorecequ’ilsait,maisilesthorsde question que je discute avec lui de ce que j’appelle encore «ma vie privée ». Si entre eux ilspartagenttout,moijen’aipasl’habitudedepartagerquoiquecesoitaveclesautres.Surtoutpasça.
Nous passons une partie de l’après-midi sous la véranda à regarder mes dessins. M.J. estimpressionnéparcequejefaisetmefaitpromettredeluifaireleportraitunjour.
JelenégociecontreunnouveaurepasdanscemerveilleuxrestaurantitalienàGrandBay.Quandilrepartenfindejournée,aumomentoùjerentresousladouche,jereçoisunmessage
d’Isaac.*Qu’est-cequetufais?Jevaisplustarder.Jetaperapidementavantd’entrersousl’eauchaude.*M.J.vientdepartir.Jeprendsmadoucheetjesuisprête.Montéléphonevibreencoresurl’étagèreenbois.D’undoigtmouillé,j’ouvrelemessage.*M.J.?!Qu’est-cequ’ilfaisaitcheztoi?Qu’est-cequ’ilt’adit?Bonsang,ilm’agace!Jefréquentequijeveux,merde!Jedécidedenepasluirépondreetmeprélassesousl’eauchaude.Pasquejesoisstresséequ’ildésirepasserdutempsavecmoicesoir,maisjemedemandeencore
commentréagiraveclui.Cequenoussommesl’unpourl’autre.Unmillierdequestionsmetaraude.Iln’estpasrestécematin.Oui,maisiladormilà.Iln’ajamaispromisquoiquecesoit.Oui,maisilamontréuneincroyablepatienceàmonégard.Etpuis,moinonplusjen’aijamaisrienpromis.Unbruitassourdissantmefaitbondirsurmespieds.MoncœurrateunbattementJesursauteetcoupel’eaupourécouter.ÇanepeutêtrequeMinuitquiafaittomberquelquechose.—Mia!Mia!Moncœurrateunbattement.Lavoixd’Isaacmeparvientautraversdelaporte.Ilhurlecommeunmalade.Bonsang!Jem’enrouledansuneservietteetouvre,encoretoutetrempée.Isaacestcommeunfou,ilsortdelacuisineoùiltourneenrondpourseretrouvernezànezavec
moi.Ilacetteodeurdefrais,depropre.Ils’estchangé.Jemesensbrusquementintimidée.Maisjemereprendsetarrivetoutdemêmeàémettreuncriaigu.—Espècedemalade!T’escingléouquoi?!Pourquoituhurlescommeça?!Isaacmeregardeenclignantdesyeuxuninstantavantdem’attraperlevisageentresesgrandes
mainstatouées.—Qu’est-cequeM.J.t’adit?Jeretiresesmainsuneàuneenessayantd’empêchermaserviettedeglisser.—Maisdequoituparles?Etd’abord,jet’interdisd’entrerchezmoicommeça!—Qu’est-cequ’ilfaisaitlà?—J’ailedroitderecevoirquijeveux.Isaacsepencheetposesonfrontcontrelemien.Jerespireleseffluvesdesonparfum.BonDieu,
s’ilsentaussibonàchaquefois,jenesaispascommentjevaisfaire.—Il…ilt’aparléd’untruc?—Queltruc?Ilsoupireavantdesecouerlatête.—Non,rien.Je…Tunepourraispaschoisirquelqu’und’autrequeM.J.commeami?Je reculealorsqu’ilchercheencoreàme tenir.Unepeur insidieuseetmauvaiseesten trainde
s’infiltrerpartousmespores.Objectifnuméro1:apprendreàgérersespeurs,objectifnuméro2:apprendreàsedéfendre.Non,maisilseprendpourqui?Jeneseraipluslapropriétédepersonne.Jamais!— Tu te prends pour qui ? dis-je alors à voix haute. Parce qu’on a… qu’on a passé la nuit
ensemble, tu crois avoir des droits sur moi ? Je suis amie avec qui je veux. Et ça ne te regardeabsolumentpas!C’estclairça?!
Isaacnerépondpas,maissamâchoireseserredurement.Ilaintérêtàbienlecomprendrecettefois.Sinon,ilestsûrqu’onn’aplusrienàsedire.
Je lui tourne ledosetclaque laportede lasalledebain.Avantdem’yadosser.Parcequemoncœurbatsourdement.
BonDieu…Affrontercesyeuxverts,cen’estpasaussifacilequejetentedeluifairecroire.—Mia…OK,j’aicompris.Excuse-moi.C’estjusteque…M.J.,jeleconnais,tuvois…Ilmeparleautraversduboisfinquimeséparedelui.—Jesuisjaloux.Tulesais, jetel’aidit.Et…,jeneconnaissaispascesentimentavant.Jedois
apprendreàlegérer,c’esttout.Savoixgênéeetunpeuhachéemefaitdirequ’ilcherchesesmots.Etquandilestbeaucoupmoins
arrogantetbeaucoupmoinssûrdeluicommeça,j’ensuistoutebouleversée.—Mia?Jedoismettrelamainsurmapoitrinepourmecalmeretfermeuninstantlesyeux.Ilm’exaspère
tellement.Maisjesoupireavantderépondre.—Ilfautquejefinissedemepréparer.Lesilence.
Avantqu’ilneparledenouveau.—D’accord.Jet’attends.Jepatientequelquessecondesavantd’avoirledrôledesentimentqu’iln’apasbougédederrière
laporte.—Tun’espasobligéd’attendrederrièrelaporte,Zac!Jel’entendsgrognerquelquechoseavantquelebruitdesespasquis’éloignentretentisse.Non,maisquelleplaie…Jemeformulecettepenséeetaussitôt,elleestremplacéeparuneautrequimefaitdirequ’ilest
adorableenfait.Tropjaloux.Etlajalousienemènejamaisàquelquechosedebon.Maisilvientdem’avouerqu’iln’avaitjamaisressentiçaetqu’ildevaitfaireavec,alors…
Jenecroispasqu’IsaacsoitunsociopathecommeDeacon,maisj’aiencorebesoindetempspourcomprendrequiilestetsijepeuxréellementavoirconfianceenlui.
Mes pensées s’emmêlent dansma tête tout le long où jeme prépare. J’hésite un longmomententretroisouquatrepullsdifférents,entremesbottes,mesDrMartens,mestennis,entreunequeuedecheval,unetresse,lescheveuxlâchés…
Jen’arrive pas àmedécider pour quoi que ce soit. Je défais, refais,me change encore enmeregardantmillefoisdanslemiroir.Jemebrosselesdents,inspectelesmoindresrecoinsdisgracieux,lesoreilles,lenez,changeunefoisdeplusdepullparcequecelui-cilaissetropvoirmapoitrineetmesgrainsdebeauté…
Jenemerendscomptedetoutletempsquejemetsqu’unefoisqu’Isaacvientfrapperàlaporte.—T’estombéedanslabaignoire?medemande-t-il.—J’aipasdebaignoire!jeluicrie.—T’asbientôtterminé?Çafaituneheurequet’eslà-dedans.J’aieuletempsdefumerlamoitié
demonpaquetdeclopesetderegarderunépisodedesExpertsàlatélé.—J’aipresquefini.—Onvasebalader,onnevapasàl’opéra.Tupourraistemagnerlecul?Jeretiensunhurlementderageetsoupireenserrantdespoings.Parfois, j’aivraimentenviede
l’étrangler.—J’aidit:j’aipresquefini!jehurle.Jel’entendsgrommeleruntrucens’éloignant.Bah oui quoi, comment je fais,moi, pour être à sa hauteur ? Il estmarrant lui.On doit sortir
ensemblecesoiret iln’apasl’airdeserendrecomptequejen’aipasl’habitudedeça.Quejemevoismalmepromeneràcôtédeluisousleregarddesautres.Ilesttrop…,troplui!
Unbrusquevertigemeprend,jedoism’accrocheraulavabo.IsaacMiles.JevaissortiravecIsaacMiles.Moi!Monespritvientjustedelecomprendre.
Inspire.Expire.Prānāyāmā.Jemeconcentreprofondémentsurmarespirationettentederecouvrermoncalmeintérieur.Leyogafaitpartiedesespetiteschosesqui,cesdernièresannées,m’ontempêchéedemeflinguer
quandjepensaisatteindrelefond.—Mia,çasuffitlesconneries.Ouvreoujetejurequej’ouvremoi-même.Isaaccognedupoingsurlaportecettefois.Jerespireàfond,retirevivementl’élastiquedemescheveuxetlessecoueenpassantmesmains
dedans.Çairacommeça.Çavaaller…Ilnevapasmemanger.Qu’est-cequ’ilpourraitm’arriver,hein?J’ouvrepourfairefaceàsonregardvertforêt.Ilalesirisfoncésquandilestsurlesnerfs.Nousnoustoisonscommeçaunmoment.Jedéglutisquandilécarquilledoucementlesyeuxen
mescrutantdelatêteauxpieds.J’aifinalementmismonjeansbrutetunsimplepull,enmaillestrèsfines,avecmesbootsnoires.Riend’extraordinaire.
Jejetteuncoupd’œilverslemiroirpourmeregarderetvoircequilefaitfairecettetête-là.Mescheveux sont volumineux, très volumineux !Unpeu en désordre aussi.Çamedonne un petit côtésauvage.Trèssauvagemême.
Jerougisenmeretournantverslui.Benvoilà!S’ilmedonnaitdutempspourmeprépareraussi…—Quoi?jedemandeenfin.C’estfouça,ilmefaittoutuncirquepourquejesortedecettesalledebainetmaintenant,ilme
fixeavecdesyeuxdehibouenrestantmuet.Isaacsemordbrusquementlalèvredubas.—C’estquoiça?Iltiresurlamancheduperfectoencuirquejeportepourlapremièrefois,par-dessusmonpull.Jemesensrougirencoreplus.Idiote!Pourquoiavoirmiscelui-là?Ilvacroirequejefaistoutpourluiplaire.Oui,maiscen’estpascequ’ilsepasse,pasvrai?Labouleauventre,moitiéterreur,moitiéexcitation,quejemetraînedepuiscetaprès-midi,n’a
rienàvoiraveclefaitquejevaissortiravecluicesoir,n’est-cepas?Jemedégageet lepousseunpeupourquitter la salledebain, afinqu’ilne remarquepasmes
oreillestoutesrouges.—Rien.Jen’aipasmisçapourtoi.Jel’entendsémettreunpetitrirederrièremoi.—OK,Pinocchio,onpeutyallermaintenant?J’attrapemonsacquej’enfileenbandoulièreavantdemeretournerversluipourlefustiger.
—Commentça,Pinoc…Jesuispriseaudépourvuquandilécrasesabouchesurlamienneetplaquesamainderrièrema
nuquepourm’attirerverslui.Jedoism’accrocheràsavestepournepastomber.Ai-jedéjàconnupareillesensation?Non.Jamais.Avec lui, tout est nouveau, parce que je ne redécouvre pas le plaisir. Je le découvre, tout
simplement.Isaacenroule sa langueautourde lamienne.Elleest chaude,humide. J’en redemandeetgémis
contrelui.Hiersoir…,hiersoir,bonsang…Quandilsedétachedemoi,ildéposedoucementunpetitbaisersurleboutdemonnez.—Tuaslenezquis’allongequandtumens,amour.Il esquisse un sourire, puis me tire par la main pour m’entraîner avec lui. Mais je dois
m’empêcherdetrébucherpourréussiràlesuivre.Jecligneplusieursfoisdesyeuxpouressayerd’imprimerdansmoncerveaulafaçondontilvient
dem’appeler.
3
Danslesbrasd’unangeMia
«Non,jenemetairaipas!Jeveuxsavoircommentjem’yprendrai,moiaussi,pourêtreheureuse.Toutdesuite,puisquec’esttoutdesuitequ’ilfautchoisir.Vousditesquec’estsibeaulavie.Jeveuxsavoircommentjem’yprendraipourvivre.»
AntigoneUn jour, à l’époque je ne savais pas encore quand, jeme rappellerai de cemoment et de cette
odeur.Cemomentoù,colléeaudosd’Isaac,jeregardaislespaysagesdéfilerdevantmesyeuxprotégés
paruncasque.CeluideSloanapparemment.Cemomentoùjepouvaismegriserdel’odeurdesoncuirquandilnemevoyaitpas.
Est-cequejeperdslatête?Jen’aijamaiseuenviederespirerquelqu’un.Après lanuitd’hier, j’ai l’impressiond’êtrepresquequelqu’und’autre.Peut-êtreque jedevrais
appelerledocteurTran…Ellem’avaitconseillédenejamaisarrêterdeconsulter,c’étaitmêmedansmondossier,maisjen’aijamaisfaitcequ’elleadit.
Pourtantjeparleraisbienàquelqu’un,là,toutdesuite.Detouscessentimentsquisemblentaffluerenmoi,decettecraintedel’inconnuquej’ai,decetteétrangeimpressiondebienêtrequandjesuisaveclui,luiquin’arienfaitpourmefaireressentirçadepuisquejel’airencontré.Isaacm’afaitpeurdès le début, ilm’a tout de suite annoncé la couleur. Pourtant, je ne cesse deme confronter à lui.D’êtreattiréeverslui.Commeaimantée.
Aujourd’hui,maplusgrandecrainteestdemerendrecomptequejenesuisqueledindondelafarce.Prisedansune immensemascaradedont ilm’aurait réservé lepremier rôle.Après tout, il al’habitudedecoucheravecdesfilles,bienplusjoliesetbienplusséduisantesquemoi.Çamefaitmaldel’avouer,maisrienqu’Ambreal’aird’unmannequintoutdroitsortitd’unmagazineàcôtédemoi.Longues jambes, taille étroite, poitrine rebondie, lèvres pulpeuses, chevelure de rêve. MissMaryIsland,jevousdis!
Moi,avecmesyeuxd’aveugle,jefaispeurauxgens.Jeleuraitoujoursfaitpeur.ÀCarmel,onmetraitaitsouventdesorcière.Pireaprèscequej’aifait.Mamèreenétaitdésespérée.Moi,j’avaisjusteenviedemourir.
—Mia?Je me rends compte que nous sommes arrêtés et qu’Isaac s’est tourné vers moi. Il retire son
casqueavantdesecouersescheveuxdansungesteterriblementsexy.
Jemeredressevivementenrougissantcommes’ilpouvaitliretoutesmespenséestordues.—Çava?Ondescendici.J’ôtemaprotectionàmontouretregardeautourdemoi.Noussommesgarésauborddelaroute,enhauteur,aumilieudehautesherbessèches.Etàmoins
decentmètres,lamervientlécherlesableblondenpetitesvaguelettes.Ildoitbienêtre18heures.Lecielsecolored’orange;lesoleilvasecoucher.
Autourdenous,iln’yapasâmesquivivent.Justelaroutequilongelacôteàpertedevue.Jen’aiaucuneidéedel’endroitoùnoussommes.Nousavonsbiendûroulerquarante-cinqminutes.
Jedescendsde laTriumphenm’appuyantsursesépaules.Puisbrusquement, jemesouviensdequelquechose.Jeregardesonpotd’échappementquiestnoirmaintenant,puismajambe.
—Jenemesuispasbrûlée,jeconstateenfronçantlessourcils.Isaacsouritetmeretournepourretirerlesacnoirqu’ilm’amissurledosetquicontientjene
saisquoi.—Oui,j’aipassél’après-midiaugarageavecLuke.J’aifaitrecouvrirlepotdecarbone.Tune
risquesplusrien.J’ouvrelabouche,ahurie,avantdelarefermersansrientrouveràrépondre.Ilafaitdeschangementssursamoto?Justepourmoi?!—Detoutefaçon,jedevaislefairedepuislongtemps,reprendIsaaccommes’illisaitdansmes
pensées.Enrevanche,jen’auraispeut-êtrepasdûlefaireaujourd’hui.Jeme retournevers lui alorsqu’il enfile le sac suruneépaule etmeprends le casquepour se
dirigerverslaplageencontrebas.—Pourquoi?—Luke.Iln’apasarrêtédemechercher.Monpoulss’accélère.Jedoisfairedegrandspaspourlesuivrealorsqu’ildescenddanslesable
quisecreuseunpeuplus.—Commentça?—Ilavumavoitureallerverscheztoihiersoiretremontercematin.Mesjouessecolorent.Ehmerde.Lukesaitqu’iladormichezmoi.Est-cequ’iladéjàappelémamèrepourmebalancer?Pasque
jen’aipasledroitdefairecequejeveux,maisdansuncascommeça,j’imaginequemamanestdéjàenpleinecrised’hystérieparcequejeneluienaipasparlé.
J’ailaissémontéléphonedanslasalledebainàlamaison.—Qu’est-ceque…qu’est-cequ’ilt’adit?jebalbutie.—Quej’aipasintérêtàdéconneravectoiparcequ’ilseferaunplaisirdemepéterlagueule,les
dentsuneparune,lesgenouxaussis’illefaut,etqu’ilferaensortequejenemarcheplusjamais.
Isaacparlenonchalammentcommesitoutçaluiétaitcomplètementégalalorsquej’écarquilledegrandsyeux.
Luke,bordel!Ilfaudraqu’ondiscutesérieusementluietmoi.—Eteuh…tuasréponduquoi?—Qu’ilsaittrèsbienqu’iln’estpasenmesuredememenacerdequoiquecesoit.Maisquejeme
conduiraibienavec toi, toutdemême.C’estcompréhensiblequ’il réagissecommeça, jene luienveuxpas,maisilmeconnaît.J’enairienàbattredecequ’ilpense.
Jenerépondspas.Enfait,jeréfléchis.PourquoiLuken’estpasenmesuredemenacerIsaac?—Hé…Isaacs’estbrusquementarrêtéetseretourneversmoi.Jeluirentrededansviolemment.Ilritetmetiensparlescoudespourm’empêcherdetomber.—Tulesais,n’est-cepas?Tusaisqu’hiersoircen’étaitpas…justecommeça.Jesuisconscient
decequeçareprésentaitpourtoidetedonneràmoicommeça.Etc’étaitimportantpourmoiaussi.J’enailarespirationcoupée.Nousrestonscommeçaànousobserver,sesyeuxvertsdansmesyeuxbleus.Jesaisquejesuisrougetomateetquej’aiunregarddemerlanfrit.Pathétique.—Mia?—C’étaitimportantpourtoi?Mavoixestàpeinesortie.Isaacsouritensemordantl’intérieurdelajoue.—Siçan’enavaitpasl’air,alorsjen’aipasgéré.—Ohsi!jem’affoleensecouantdesmains,c’estjusteque…jecroyais…enfin,tuasl’habitude
d’autres…—Filles?Oui,c’estvrai,mecoupe-t-il.Maisaucunecommetoi.Çachange.Il se moque, je le sens. Et son expression espiègle me fait dire que je ne me trompe pas. Il
continue.—Sicen’étaitpasimportant,jenecroispasquejeseraislàcesoiraprèsavoirpassélajournéeà
penseràtoi.Bon,viens,sinononvalesrater…Ilmetirebrusquementparlamainetm’entraîneavecluilelongdelaplage.Lesrater?Raterquoi?Quelquessecondesplustard,noussommesplusloinsurlajetéeetils’installesurunepetitebutte
desableoùdesherbesfollesontéludomicile.Jem’effondreàcôtédelui,complètementintriguée.—Onestvenuadmirerlecoucherdusoleil?Eneffet,àl’horizon,lesoleilsecouchesurunPacifiqueéclatant.Lecielvireàl’orange.Est-cequ’Isaacestcapabled’ungesteaussiromantiquequeceluid’emmenerunefilleobserverle
coucherdusoleilauborddelamer?
—Non,jem’étaisditqueceseraitcooldebaisersurlaplage.Monrêvefleurbleuevientdecreverdansl’œuf.Jemeretourneverslui,choquée,lesyeuxgrands
écarquillés,etm’étranglepresque.Isaacouvresonsacetfouillededans.Jenetrouvemêmepaslesmotspourrépondreàcetteespècede…goujat!—Jedéconne!continue-t-ilpince-sans-rire.Onestvenufairedesphotosetjevoulaistemontrer
labeautédecetteîle.Tuvascomprendre.Je soupire et enfouisma tête dansmesmains en étouffant un cri d’exaspération.Le problème,
c’estqu’aveclui,jenesaisjamaisoùestlalimitedelaplaisanterieetdusérieux.Quandj’entendsunclic,j’écartelesdoigtspourlevoir,unappareilcolléàl’œildroit,entrainde
prendredesclichésdemoi.—Qu’est-cequetufais?jegrommelleenretirantmesmains.Plusieursclicss’ensuiventencorejusqu’àcequejetendelamainpourluiboucherl’objectif.—Stop!—Pourquoi?Çategênequejetephotographie?Depuislapremièrefoisquejet’aivue,j’aieu
enviedeteprendre.Jenepeuxm’empêcherderougir.—Enphoto,jeveuxdire,sereprend-ilensemordantlalèvreetensouriantàmoitié.Exaspérant.—ArrêteIsaac,nefaispasça.Jen’aimepascegenredechose.Ilnepeutpassavoir.Quej’aitellementétéhumiliéequejenesupportepasdemevoirenphoto.
Quejeneposeraiplusjamaispourpersonne.Jamais.Isaacabaissesonappareiletm’observeenfronçantlessourcils.—Pourquoi?Tuesvraimentjolie.J’aivraimentenviedetephotographier.Pourquoiçategêne?
Jenelesmontreraiàpersonnesic’estcequetucrains,jetepromets.C’estjustepourmoi.Jesecouelatêteavecvirulence.—Non.Jeneveuxpas.C’esttout.N’insistepas.Jeme retourne vers l’horizon et observe le soleil qui se couche. Le spectacle estmagnifique.
C’estçaqu’ildevraitphotographier.Pasmoi.Lesdoigtsd’Isaacserefermentbrusquementsurmonmenton.Ilmeforceàluifaireface.Jetremble.Mesyeuxseplongentdanslevertdessiens.Ilaunairtrèssérieux.—Est-cequec’estàcauseducliché?Celuidetonenfancequ’onaressorti?Commejenerépondsrienetserreleslèvres,ilreprend.—Tusaisquejeregrettecetteconnerie.Jetejurequejenememoquepasdetoilà.—Cen’estpasça.Jeneveuxpasêtrephotographiéeoufilmée,c’esttout.
Ilcaressemabouchedupouceetcegestemelaissepantelante.Monpoulsralentit.—Parcequ’ontel’adéjàfait,c’estça?—S’ilteplaît,Zac…,jeneveuxpasendiscuter,jegémispresque.Ilhochelatêteetretiresondoigt.—OK.Tuneveuxjamaisparlerderiendetoutefaçon.Maisçanem’empêcherapasdetepercer
àjour,MiaGilmore.Jesoupireencoreetrésisteàluidemandercequejeficheiciaveclui.Pourtant,jen’ignorepas
lesdrôlesdechatouillesquifourmillentdansmonventrequandilditmonnomdecettefaçon.—Voilà,regarde…Iltendledoigtversl’horizonoùlesoleilformeunarcflamboyantde180degrés.Jevoisalors
unechoseimmenseetnoirefendrelesflotsetsoufflerdel’eauenl’air.Uneautresuitlemouvement.Jeplissedesyeux,maisouvregrandlabouche.
—Oh…mais…,cesontdes…—Desbaleines,oui.Plutôtcool,hein?Àcettepériode,ellesmigrentverslesud,versl’Australie
etlescourantschaudsdel’océanIndien.Isaaca changé l’objectifde sonappareilpourunplusgrosetplus long. Ilme faitpenser àun
paparazzi à mitrailler l’horizon comme ça, comme s’il en prenait des centaines pour capter lemeilleurcliché.
—Ilfaitpresquenuit,constaté-je.Tunevasrienvoirsurtesphotos.—Mais si, il suffit d’avoir le bon appareil et les bons réglages. Une ISO plus puissante, une
balancedesblancsbienajustée…Macuriositéàsonégardmefaitoublierlefabuleuxspectacledesbaleinesauloin.—TuétudieslaphotographieàConstance?—Ouais,c’estmamatièreprincipale.—C’estcequetuveuxfaire?Photographe?—Cequejeveuxc’estparcourirlemondeentierimmortaliserlesendroits,lesgens,toutcequi
metaperadansl’œil.Sa voix s’est animée d’une sorte d’envie et d’excitation. Je l’observe de profil, intriguée.
Comment j’aipufaire…l’amour,avecungarçondont jeneconnaisrien,commelui?Ila leplusbeauprofilquej’aijamaisvuc’estsûr,maisjeneconnaispascettepersonne-làquirêvedesillonnerlesroutesdumonde.
Quandilsetournebrusquementversmoi,j’arrêtederespirer.Priseenflagrantdélit.—Quoi?—Rien.—Si,dis-moi.Àquoitupenses?Savoixgraveetchaudemefaitfrissonnerbienplusquelabrisemarinequisouffle.
—Jemedisaisjusteque…bah,jenesaispresqueriendetoi.Sonexpressionpassedusérieuxàl’espiègle.Ilrangesonappareiletmetendlamain.—IsaacMiles,enchanté.Jetapededans,exaspérée.—Arrête,t’esbête.Tum’asbiencomprise.Ilsepenchealorsversmoi,etsansquejel’aievuvenir,écraseseslèvressurlesmiennes.Son
souffle mêlé de menthol me tétanise. Instinctivement, j’entrouvre la bouche et ferme les yeux. Ilm’embrassevoracement,avidement,goulûment.
Jemedéliteetme retiensdegémir, lesdoigtsenfoncésdans le sable.Etquand il sedétacheetposesonfrontcontrelemien,marespirationsaccadéesefondàlasienne.
—Tuvoisquetumeconnais,souffle-t-il.Tusaistrèsbiencommentmerendredingue.Non.Enfait,c’estluiquimerendfolle,maisiln’enaaucuneidée.Paslamoindre,dudésiretde
l’enviequej’éprouvepourlui.Ilnesaitpascequejeressenslorsqu’ilmeregarde.Commentjebrûlequandilmetouche.Combienjemequestionnesurmoi-mêmechaquefoisqu’ilestlà.
—Ettoi?Quelesttonrêve?Qu’est-cequetuvoudraisfaireplustard?Moncerveauadumalàseremettreenmarche.—Moi?Je…jen’ensaisrien…enfin…jecroisquejeveuxjusteêtreheureuse…Çasemblaitmoinscondansmatêtequeditàvoixhaute.Ilm’observesi intensémentquejeme
sensrougirdanslademi-pénombre.Qu’est-cequejepeuxêtreidiote…Ildoitpenserquejesuisvraiment,vraimentdébile.Les gens veulent tous des choses extraordinaires, un boulot qui les passionne, sauver des vies,
parcourirlemonde,voyager,écrireunlivre,gagnerlamédailleauxJ.O.,déposerunbrevet,rédigerunethèse,fairedegrandes,trèsgrandesétudes,construireunesuperbemaison…
Etmoi,toutcequejetrouveàdire,c’estêtreheureuse.Pathétique.Legenrede trucsqu’ondit quandonn’apasd’ambitionouqu’onne sait absolumentpasquel
cheminprendre.J’aivraimentfiniparmeperdreenroute.ÀcausedeDeacon.J’ailongtemps,trèslongtemps,cru
quejen’avaisplusd’avenirnullepart.Maisdepuisquejesuislà,jemesenspresque…neuve.Refaite.—C’estbiend’êtreheureux.Laplupartdesgensnelesontpas.Lavoixd’Isaacmetiredemespensées.Ilaretiréunepetitelampedecampingdesonsacets’affairemaintenantàextraireuntrucplus
gros.Ilfaitàprésentquasimentnuit.Etjemerapprochedeluiimperceptiblement,pasdutoutrassurer
danslenoir,surcetteplageavecpasâmequiviveautour.
Quandj’aperçoislesacdecouchagerouléenboulequ’ilextirpedusac,jem’écris:—Onnevapasdormirlà?!—Maissi.Tuasvulesbaleines,maistun’aspasvulestortues.Ellessortentaupetitmatin.Alors
onvadormirici.—T’escomplètementfou.En quelques secondes, je suis sur mes pieds et m’époussette les fesses, regardant fébrilement
autourdemoi.Etmerde,dansquoijemesuisembarquée?—Fais-moiconfiance,continueZacendépliantlesacetenl’installant.Ilyapleind’étoilesetily
auraunebellelunecesoir.Personnenevientjamaisici,jedorssouventdanscetendroit,toutseul.Tuvasjustedormiravecmoicesoir.
Bienque l’idéededormiravec luià labelleétoilenesoitpaspourmedéplaire, jenesuispasentièrementrassurée.
—Etsiquelqu’unvenait?Unpsychopathe,unclochard,desgensivres?Ilritetretiredessandwichsdesonsac.—Jetedisquepersonnenevientjamaisici.—T’esmarranttoi.Enfait,c’estpeut-êtretoilepsychopathe.Jen’auraisjamaisdûaccepterdete
suivre.Ilritplusfort.Etmoijeneplaisantequ’àmoitié.—Thon-mayonnaiseoupouletavocat?Ilsefichedemoi,carrément.Jefaisvolte-faceetm’éloignedanslenoir.—Mia!Jenemeretournepasetluimontremonmajeurbienhaut.Moiaussi,jepeuxmefoutredetoi,Miles.—Mia…J’avanceplusvite.Versoù,jenesaispas,versnullepartcertainement.Maisloindeluietdeson
arrogancequimesortparle…—Mia,reviens.Iln’yarienparlà.Etcen’estmêmepasparlàquetuvis.Lamotoestgaréede
l’autrecôté!J’avanceplusviteenentendantsavoixserapprocherderrièremoi,mesbootss’enfonçantdansle
sable.Maisdesbraspuissantsserefermentsurmoietmesoulèvent.Jehoquettedesurprise.—Hé!Maislâche-moi!—T’esvraimentchiantequandtut’ymets,Gilmore!Jemedébats, lui donnedes coupsdepied,mais ilmemaintient trop fermement et je finis par
abandonnerquandilmeportepourretournerausacdecouchage.
—Jeneveuxpasdormirlà!—Tais-toi.Quandilmereposeprèsdelapetitelampedecamping,jem’apprêtedéjààriposter,maisIsaac
mepivotepourquejeluifassefaceetrefermeautoritairementmesbrasautourdesatailleavantdem’attraperlementondanssagrandemaintatouéed’uneroseetdelierre.
—Tuterendscompteaumoinsquetufaisdestrucsabsurdesdesfois?Ilfaitnuitettunesaismêmepasoùonest.
Je hausse les épaules, complètement perturbée par le fait qu’ilm’étreint, prise dans son odeurenivrante.
Il parle, mais je n’écoute plus. Je me retrouve comme cette fois où je l’ai respiré dans cetamphithéâtrealorsquejeleconnaissaisencoremoinsquemaintenant.
Jelerespire,lenezplongédanssonpullnoirettoutchaudsoussavesteencuir.Ilréussitàmefairem’asseoiretmanger,jenesaismêmepluscomment.Aveclui,c’estunpeu
commesimoncerveauétaitconstammenthorsservice.Unpeuplustard,jemeretrouveallongéecontrelui,lesacdecouchagerefermésurnous,matête
sursonbrasetmondoscolléàsontorse.Isaacneparleplus.Ilfumelentementenregardantleciel.Ilavaitraison,ilyaunebelleluneetla
plageestpartiellementéclairée.Lebruitdesvaguesemplitnosoreilles.Çamerendpresquenostalgique.Çamerappellelaplage
deCarmel.CelledechezmoietcesfoisoùArizonaetmoirestionsdormiraumêmeendroitoùmonpèrem’emmenaitpetite.
—Àquoitupenses?murmureIsaac.Sonsoufflesurmachairmefaitfrissonner.—Àmamaison.J’aiétéhonnêtepourunefois.—Etc’estoùtamaison?—C’étaitauborddelameraussi.Quelquesfois,jedormaissurlaplageavecmasœur.Isaacneditplusrien,maisécrasesacigaretteavantderemettrelemégotdanssonpaquet.Écolo,enplus.Benvoyons.S’ilestsurprisquejem’ouvreàlui,iln’enmontrerienentoutcas.Etmoi,jesaisquejedevrais
changerdeconversation.—Tafamilletemanque?Jerépondssanshésiter.—Oui.—Mêmetonpère?Jemetsunmomentavantdecomprendrelesensdesaquestion.
—Oui,mêmemonpère.Etcen’estpasluiquim’afaitça,Zac.Ilestdécédéquandj’avaiscinqans.
Ilglissesesdoigtsdansmescheveux,dansungesteterriblementtendre.—Jesuisdésolé.Jemeretournevers luienme tortillant légèrement. Ilmefaitunsourire triste.Avecsespetites
fossettesqui apparaissent commesiunangeyavait posé lesmains.Alorsquec’est censé être lui,l’ange.
Macuriositél’emportesurtoutlereste.—Ettoi?Tafamillenetemanquepas?Samère semblebienvivante etKillian et lui enparlentvaguement,même si jen’y comprends
rien.Maissonpère?Oùest-il?Saréponseaussiestdirecte.—MalouetSloansontmafamille.Jehochelatêteaveclecœurquibatplusvite.Jesaisbienqu’ilvasûrementvireràl’orage,maisc’estluiquiacommencéavecsesquestions.—Et…Cassiopée?Isaac se retourne vivement vers moi et son expression me glace d’effroi. Ses doigts se sont
immobilisésdansmescheveux.—Killian,jemurmurerapidementavantdemefairejeterauxrequinsplusloin.Il…ilm’aditque
samère…,enfinvotremère…,s’appelleCassiopée.Isaacmefixelonguementsansrépondre.Puis…—Cassie.Toutlemondel’appelleCassie.Jedéglutisethocheencorelatête.J’aisentitoutelatensiondanssavoix.—Elletemanque?—Non.Etjen’aipasenvied’enparler.Killiandevraitapprendreàlafermer.—Techniquement,c’esttoilepremieràavoirabordélesujet,fais-jeremarquer.Maisilnerelèvepasetseretourneverslecielétoilé,unbrasderrièrelatête.Ilyaunsilence,seulementbriséparlebruitdesvagues.J’observeencoresonmagnifiqueprofilquisedétachesurl’immenseaplatsombreau-dessusde
nostêtesetrésisteàl’enviedeluitracerl’arêtedunez.—Mia?Jesursautequandilprononcemonnomtoutbas,commeunecaresse.Jen’osepasrépondre.Ilcontinue:—Tuveuxchanterpourmoi?Isaacseretourneversmoietmetoucheleslèvresduboutdesdoigts.Cegestemebrûle,mebrûle
doucement.
—Chantepourmoi,bébé.Unemultitudedepapillonsontéludomiciledansmonestomac.Ilsdansentcommedesfous.J’acquiesced’unhochementdetêteetquandilretiresesdoigts,jememetsàfredonnertoutbas.«Spendallyourtimewaiting/Passertouttontempsàattendre,Forthatsecondchance/CettedeuxièmechanceForabreakthatwouldmakeitokay/CettepausequiarrangeraittoutThere’s always some reason to feel not good enough/Il y a toujours une raison de ne pas se sentir
complètementbien
Andit'shardattheendoftheday/Etc’estduràlafindelajournée.I need some distraction, or a beautiful release/J’ai besoin de distraction ou d’un beau
soulagementMemoriesseepfrommyveins/LesouvenirssuintentdemesveinesLetmebeempty,oh,andweightlessandmaybe/Laisse-moiêtrevide,oh,etsanspoidssurmes
épaules,etpeutêtrequeI'llfindsomepeacetonight/JetrouveraiunpeudepaixcettenuitInthearmsoftheAngel/Danslesbrasdel’ange.»{2}
—Tupourraisêtreunestardelamusiqueavecunevoixcommeça.Jesourisetluiattrapelamainparcequ’ildessinedistraitementl’arrêtedemonnezcommej’aieu
enviedelefaireiln’yapascinqminutes.—Jecroyaisquetuavaistrouvémaprestationpourrie?Isaac sourit. D’un sourire insolent, à vous couper le souffle. La première fois que je l’ai vu
sourirecommeça,c’étaitàunefilleàl’aéroport.Unefillequin’étaitpasmoi.—C’estvrai…Maistut’améliores.—Mauvaisjoueur.Jenemeconnaispasbeaucoupdequalités,maisjesaisquejesaischanter.—Pasmodestepourunsou,souffle-t-il.—Non,pasdutout.Cepetitjeudeséductionentrenousfaitgrimperlatempératurecommechaquefois.Jerefermemesdoigtsdanslessiens.—Pourquoitufaisça,Isaac?Ilcessedesourire,commemoi.—Pourquoijefaisquoi?— Pourquoi tu mets des protections sur ta moto pour que je ne me brûle pas, pourquoi tu
m’emmènesvoirdesbaleines,pourquoiest-cequ’ondortàlabelleétoile?—Etpourquoipas?répond-ildutacautac.Maisjenelâchepasl’affaire.J’aibienl’intentiondemettreleschosesauclair.—Tun’espasobligédefaireça.Jen’attendsriendetoi.Hiersoir…hiersoir,ettoutescesautres
foisoùtum’astouchée,nefontpasdenousuncouple,n’est-cepas?Cen’estpastongenreetjenesuispasprêtepourça.Jenemesuispassentieobligée,hiersoir,tusais.Tun’aspasàfairetoutça,parceque tucroisconnaîtremonpasséetque tu tesensobligéouque tuculpabilises.Jevaisbien.C’étaitgénial.Maistun’aspasàfairetoutça.
Ilmefixeunlongmomentcommeça,sansriendire,aprèsquej’aisorti toutcequej’aisur lecœur,maisquimefaitmalquandmême.
Jenesaismêmepaspourquoiçamefaitmaldeluidiretoutçaetd’enparlerhonnêtement.Toutàcoup,ilserremesdoigtsdanslessiens.—C’est ceque tupenses ?Que jeme sensobligé caron apassé lanuit ensemble ?T’as rien
compris, Mia. Vraiment rien. Personne ne m’a jamais forcé à rien, ça ne va pas commenceraujourd’hui.J’aitoujoursétébientropégocentriquepourmesoucierseulementdecequelesautrespeuventpenser,ycomprislesfillesavecquijecouche.Sionestlà,c’estparceque…,j’ensaisrien.J’enavaisenvie,c’est tout.Onapassélanuitensembleetc’était…c’étaitextraordinaire.Cen’étaitpasjustegénial.Etjemefousdetonpassé,iln’arienàvoirdanscettehistoire.Jet’aiemmenéeiciparcequejevoulaistefairevoirl’endroitquejenepartagejamaisavecpersonne,c’esttout.J’avaisenviedelefaireavectoi.
Jenepeuxdétachermesyeuxdesabouchequandilparle.—Personne?—Personne.—Pasmêmelesgarçons?—Pasmêmeeux.—Pourquoi?Isaacsepenchedoucementeteffleuremeslèvresdessiennes.Celasuffitàmefairetournerlatête.
Àmefaireoublierquijesuis.—Parceque jen’ai jamaiseuenviede lepartageravecpersonne,c’est tout.Tuposes toujours
autantdequestions?—Tuenposesplusquemoi.Ilsouritcontremabouche.—D’accord.Alors…unedernière.Jesoupireenfaisantsemblantd’êtreagacée.—Quoiencore?—PourquoiMia?Jeclignedesyeux.—Quoi?—Pourquoitesparentst’ontappeléeMia?Jemereculelégèrementpourleregarder.Ilal’airtrèssérieux.C’estquoicegenredequestion?
Est-cequ’ilsedoutedelavérité?Jetentedechercherdesréponsesdanssesyeux,maisjen’entrouveaucune.J’aimeraispouvoir
luidirequemamèreaeulederniermotsurmonpèrequi,lui,voulaitvraimentm’appelerMia,maisquelesfemmesonttoujourslederniermotetquec’estMeganquiaobtenugaindecause.Ellem’aappeléeAmyparcequ’enlatinAmysedit«amatus»quisetraduitpar«êtreaimé».
—Monpèreaimaitbeaucoupceprénom.Danssaformeancienne,ilsignifie«cher»ou«aimé».Isaacmecoupe:—MaisenHébreux,ilveutaussidire«mer».LesMiapossèdentunefortepersonnalitédoublée
d’une audace impressionnante. Elles sont, en outre, sociables et ne supportent pas l’isolement.Ambitieuses,ellessontconsidéréescommedes«guerrières»quinelâchentrien.
Sontonderobotmefaithausserlessourcils.Ilsecouelatêteetjedéglutis.— C’est facile de regarder sur internet bébé, je l’ai déjà fait. Tu ne veux pas répondre à ma
question?—Mesyeux.Monpèreavoulumenommerainsiàcausedeça.Tul’asdit,Miaveutaussidire
merenhébreux.Leregardd’Isaacseplisse.Ilsaitquejemens.Etmoi, jesaisqu’ilacompris.Sesquestionsne
sontpasanodines.Ilveutmefaireparler.Ets’iln’enestpassûr,ilsedoutequeMian’estpasmonvrainom.Sinonpourquoitoutça?
—Jecroyaisquemonpassénecomptaitpas?Ilmetoisesansplusriendire.Jeretiremesdoigtsdessiensetmecontorsionnepourpivoteretluitournerledos.Plusaucundenousneparle.Longtemps.Avantqu’ilnerefermesesmainssurmonventreetserapprochedemoi,posantsatêtedansmon
cou.—Pardon.C’estjusteque…jeveuxsavoirquitues…Quituesvraiment.Je ne réponds pas, prise d’une terrible envie de pleurer.Mais cela suffit. Je l’ai bien trop fait
devantlui.—Mia…—Jem’appelleMiaGilmore. Jevis sur le lacKaloaet jen’ai riendemandéàpersonne.Si tu
n’arrivespasàtecontenterdeça,alors…alorsilvautmieuxquenousarrêtionsdenousvoir.—Tudisn’importequoi.Commesionpouvaitneplussevoir…Jenet’embêteraiplusavecça.
OK?Pourl’instant…Ilafinisaphraseenmurmurant.Je ferme les yeux en essayant d’oublier son odeur, samain surmon ventre, la chaleur de son
corpsquim’enveloppedansl’airfraisdelanuit.Soudain, je crois sentir qu’il ferme les yeux. S’il dort contre moi comme cela, comment je
pourraimoidormir?Mon cœur met longtemps avant de ralentir ses pulsations. Impossible d’avoir une pensée
cohérente.Jesoupireetouvrelesyeuxpourfixerdenouveaulecieletlaplagesansfin.Etsijefaisaisuneerreuraveclui?Uneterribleerreur?Jemecroyaisendurcie.Enfait,jenelesuispasdutout.Combattremapeurnem’apprendpasà
combattremessentiments.Maisjesuisunegrossetrouillarde.Etjemesuistrompéetantdefoisquec’enestaffolant.
Accusée,lynchée,montréedudoigt,j’aidéjàétédel’autrecôtédumiroir.Jereviensdelàoùonnerevientpasnormalement.Maisjeneveuxplusrefairelesmêmeserreurs.Jesuisvenueicipourprotéger ma famille de moi-même, bien sûr, mais aussi pour un nouveau départ, pour mereconstruire.
Maiscommentmereconstruiresijedevaisretomberamoureusedequelqu’un?Quelqu’uncommeIsaacMiles…
4
Dites-leavecdesfleursMia
—Mia.Jesensunsoufflechaudsurmajoueetdesbrasquim’entourentvigoureusement.Bizarrement, aucun sentiment de peur ne vient gâcher ce moment. Je me sens bien. Un peu
endolorie,maisj’aibiendormi.—Ouvrelesyeux,bébé.J’ouvredoucement.Etlà,jemeretrouveenfacedelacréaturelaplusétrangequej’aivud’aussiprèsdemavie.De
petitsyeuxglobuleuxmefixentavecattention.Etlabêteaunetêtedepetitverdeterretoutnoir.Jeretiens ma respiration un instant en clignant des yeux avant de me rendre compte qu’elle estminusculeetadorable.
—Tuaschopéunvirusdanslanuitpouravoircettetêteauréveil?jedemandedoucement.Isaacquiabiencomprisquejem’adresseàlui,ritdoucementdansmoncoualorsquelatortue
rentrebrusquementlatêtepuisseretournepours’enaller,sespetitesnageoiresfrayantlesablesursonpassage.
Jetendslamainpourattraperl’appareild’Isaacau-dessusdematêteetlecollecontremonœilenouvrantl’objectif.Zactendlamainetl’allume.Jerestecommeça,allongéecontreluietmitraillelesdizainesdepetitesbêtesquisortentd’untroujusteàcôtédenous.C’estsurréaliste.
—Tumelaissesfaire?Jeluitendssonappareiletilseredressesuruncoudepourlesphotographier.Ilnefaitmêmepas
jour.Lecielestd’unbleuindigo,l’airfraisetlamercalme.Sonressacmebercedoucement.Jedoisavoirunetêteaffreuse.Quelleidéegénialededormirdehors,merci,Isaac!—Netelèvepas.Isaacmerepousseduplatdelamainalorsquejetentedemeredresser,jeretombeallongéesurle
sacdecouchage.Illaissesonappareilsursonsacetserecoucheàcôtédemoi.Jedécidedenepasmebattretoutde
suite.Aprèstout,jesuiszenlematin,pasd’humeuraucombat.D’ordinaire,jemelèveàpeuprèsàcetteheure-cietjefaisduyogasousmavérandaenregardantleleverdusoleil.
Quand Isaac pose son front contre lemien, je retiensmon souffle, les yeux fermés.Avant quej’aiepuréagir,ilfaufilesamainsousmonpulletleposesurmonventre.Jefrémisaucontactdesesdoigtsfroids.
—Bonjour,toi.Jemedélectedecemomentdedouceur.Desavoixadorablelematin.—Bonjour.Il pose ses lèvres au coin des miennes, doucement, très doucement. C’est si doux que j’en
gémiraissijepouvaisémettrelemoindreson.Maisnon,jesuisanesthésiée.J’aipeurdebouger,deparler,degâchercemoment.
—Mia?—Hmm…Je n’émets qu’un grognement d’ours indistinct. Isaac sourit contrema bouche, je le sens à ses
lèvresquis’étirent.—Tuasvu,onn’estpasmort.Etonn’apasétéattaquéparjenesaisquioujenesaisquoi.—Hmmm…,jegrogneencore.Ilritetmemordgentimentlementon.Seigneur…—Ouvrelesyeux.J’ouvre et fais face à ses pupilles vertes. Très sombres ce matin sous l’indigo du ciel. De le
regarderdanslesyeuxcommeça,mecoupelesouffle,commechaquefois.—Jecroisquej’yprendsgoût.—Àquoi?—Dormiravectoi.Jedéglutis.Ilsepassequoi?Ilsepassequoientrenous?J’aipeur.Troppeur.Àencrever.Isaacmefixeuninstantcommejenerépondspas.Puisfinisparsoupirer.—C’estquandmêmeépuisantdetediredeschosescommeçaetquetuparaissessi…froide.Jem’étranglepresque.Froide?Moi?!—Commentça,jeteparaisfroide!Jenesuispasfroide,OK!Jesuisjuste…Isaachausselessourcilsdevantlamontéedemonton.Jelerepoussevivementpourmerelever.Reprends-toiMia.Merde!—Çava,net’énervepas.Jedisjustequetuneréagispastoujoursquandjetediscequeje…ce
quejeressens.Je m’assieds en le repoussant et attrape mes chaussures pour les remettre. Et je ne peux
m’empêcherd’émettreunpetitriredédaigneux.—Cequeturessens?Avecmoi?Tuveuxdireàpartl’enviedebaiserinsatiablequisemblete
caractériseretdontjesuisencemomentlesujetd’attention?
Àluides’étranglermaintenant.Jememetsdeboutvivementalorsqu’ilpousseungrognementderageens’asseyant.—Non,maistuvasarrêter,oui!Jecroyaisqu’onavaitdéjàeucetteconversation!—Quelleconversation?Jerestedeboutenfacedelui,lespoingssurleshanches.Isaacsoupireensepassantlesdeuxmainssurlevisage.—Jepeuxsavoirlà,cequetumereproches?Jen’ycomprendsrien.Jepensaisqueçateplairait
deveniriciavecmoi.Etdepuishiersoir,tumefaisunplatderiendutout.Est-cequec’estparcequeturegrettescequis’estpasséentrenousetquetucherchesunmoyendem’éloignerdetoi?
Jenerépondspasetmecontentedeluilancerleregardleplusnoirquej’aienrayon.Leseulmoyenquejeconnaissedevaincrelapeurquim’anime,c’estlaméchanceté.L’éloigner
demoioui.Riposter.Jenesaispasfaireautrement.Méchantelapremière,etriennemeferamal.Isaacfinitparsereleveraussi.—ÉcouteMia,situasquelquechoseàmereprocherouàmedire,c’estmaintenant.Jesuisbien
quand je suis avec toi, mais je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile non plus. On estensembleouonn’estpasensemble?Parcequesionl’est,tuarrêtesçatoutdesuite.
Lamâchoirem’entombe.Ilvientdedireça?!Ensemble?Est-cequ’onestensemble?Pourquoic’estluiquiposelaquestionquimetaraudeetpasmoi?!C’estillogique.Jem’adoucisimmédiatement.—Jenepensaispasquetuvoulaisqu’on…Enfin,tun’asjamaisdemandé…Isaacsoupireencoreetsembleréfléchiruninstant.Est-cequ’ilserendcomptedecequ’ilvientde
direetqu’ilregrettedéjà?—Écoute, sweetheart…Avec les filles que je fréquente, je n’ai pas l’habitude de dépasser un
certainstade,sentimentalementparlant,jeveuxdire…Maisjel’aidéjàdépasséavectoi,ilyadeuxjours.Alors,arrêtedemerepousseroudetevexerchaquefoisquej’essayedetedirequelquechose,d’accord?
Jenesoutiensplussonregard,etlesbrascroisés,jemedétournedelui.Quelstade?Àquelniveauest-il,«sentimentalementparlant»commeildit?Parceque,moiet
monpetitcœurchamallowquichercheàs’endurcir,nousnesommespassûrsdepouvoirsurvivreàtoutça.
Quandjesenssesbrasserefermerautourdemataille,jesursaute.—Jenediraiplusriensiçategêne.Detoutefaçon,sachequejen’aipasl’habitudededireceque
jeressensnonplus.Avectoi,c’estjustebizarredepuisledébut,jefonctionneàl’envers.
Jenerépondspas,maisposemesmainssurlessiennes.Moiaussi,aveclui,jenetourneplusrond.N’importequiauraitprissesjambesàsoncou.Après
lafaçondontilm’atraitéeaudébut.N’est-cepas?Maisc’estfaciledeledirequandonnefaitpasfaceàIsaacMiles.—Tuveuxrentrer?Jehochedoucementlatête.Quefaired’autre?Isaacsedétachedemoietrangelesaffairessansunmot.Jel’aidesansparler.Maisjesensbien
quemêmes’ilmesouritetfaitcommesitoutallaitbien,ilnecomprendpasdutoutmesréactions.Peut-êtres’attendait-il,aprèsnotrenuitd’avant-hier,quejeluifasseentièrementconfianceetque
jem’abandonnetotalement?Cen’estpaspossibleça.Jeluiaidéjàfaitcomprendre.Mais jemesens toutdemêmeunpeucoupable.Parceque jesenscette tensionsous-jacente. Je
sens qu’il neme comprendpas.Et j’ai ce poids quime comprime la poitrine. Je ne veuxpas êtredésagréableavecluietj’aipeurdenepassavoircequ’ilfautfaireetquandilfautlefaire.
Lorsqu’ilattrapelecasquedeSloanpourmel’enfiler,jel’arrêteenposantunemainsurlasienne.—Tuveuxvenirprendrelepetitdéjeunerchezmoi?Isaacsouritenfaisantlamoueets’empared’unemèchedemescheveuxpourlaremettrederrière
monoreille.Jeneveuxmêmepassavoirquelletêtej’aicematin.Lesoleilselèveenfinetjen’aiqu’uneenvie:rentrerchezmoimerefaireunefraîcheur.—Tun’asmêmepasdecafé,bébé.Etlespapillonsquis’envolentencorequandilm’appellecommeçaetqu’ilestaussitendre…—Onpeutenacheter.—C’estdimancheaujourd’hui.Non,tusaiscequ’onvafaire?C’esttoiquivasvenirprendrele
petitdéjeuner chezmoi.MalouetSloanne sont sûrementpas réveillées,maisMaggie,oui.Et ellepréparelesmeilleuresgaufresdetoutlepays.
Jem’étranglepresque.—Moi?!Moi,cheztoi?!Avectoi?!—Oui,toi,chezmoi.Pourunpetit-déj’.Allez,c’estparti.Ilm’enfilelecasquetoutenm’empêchantderépondreetmefaisantrefermerlaboucheaussisec.
**Lorsquejeposeunpiedàterredevantl’immensemaisonduDomainedespaonsbleus,mesjoues
s’empourprent toutesseulesenrepensantà laseulefoisoùj’aimis lespieds ici. Isaac leremarquequand ilm’aideà retirermoncasqueetsemetà riredoucement.Ceriremoqueur, fraiset rauque,avecsavoixcasséedumatin.
—Tutesenscon,hein?raille-t-il.Jeprendsunairtotalementarrogantpourrépondre:—Jenevoisabsolumentpasdequoituparles.
Ilritplusfortetm’entraîneavecluiparlamainenouvrantlagigantesqueportecommesi toutcelaétaitnormaletabsolumentpasgênant.
Nous traversons le hall d’entrée, pour filer directement vers la cuisine. Il n’est même pas 07heuresetiln’yapasunbruitdansl’immensedemeure.
Touticiestsibeau,sipropre,bienrangé,biendécoré…Tropparfait.—Depuisquandtuvisici?—Unequestionpourunequestion?répondZacdutacautac.Jegrogne.—Hum.Cen’estpasdujeu.—Jenejouepasavectoilà.Unequestioncontreunequestion.—D’accord.Alors,depuisquand?—DepuisqueMaloum’aprischezelleen tantque familled’accueilprovisoire. J’avaisdouze
ans.Leprovisoires’esttransforméendéfinitifquandelleadécidédedevenirmatutricelégale.Nouspénétronsdanslacuisineetaussitôt,mesnarinessontenvahiesparunedélicieuseodeurde
gaufresfumantestoutdroitsortied’ungaufrierdemarque.Lagouvernantedemaison,Maggy,celle-làmêmequim’aouvertladernièrefois,setientdevant
unpianodecuissonmonstrueuxets’agiteenchantantgaiement.—‘lutMag!Isaacmelâchelamainetsedirigedirectementversunemachineàexpressodeluxe.Ladameseretourne,maissonsouriresefigeàmavueetelleécarquilledegrandsyeuxl’espace
d’unedemi-secondeavantdereprendreunairinsondableetd’essuyersesmainssursontablierrosepâle.
—MonsieurIsaac.Vousêtesbienmatinaleaujourd’hui.Etaccompagnéquiplusest.Ellesetourneversmoietajoute:—Bonjour.Jemesensrougirdelatêteauxpiedsetnesaisplusoùmemettre.—Bon…bonjour,jebredouille.Isaacavaleunepetitetassedecaféd’unetraiteetlareposeensoupirantbruyamment.—Ouaisetonaladalle.TuconnaisMia.Paslapeinedefairelesprésentations.Maggymesouritgentimentens’adressantàmoi.—Rappelez-moivotrenom…—MiaGilmore.—Ah oui, excusezma tenuemademoiselleGilmore, je finissais de préparer le petit déjeuner
pourlamaison.Souhaitez-vousduthéouducafé?Chocolatoueaucitronnéepeut-être?Jenepeuxm’empêcherdetripotermabagueàmonindex.
—Euh…—Thé,répondIsaacàmaplace.Tupeuxnousservirlepetit-déj’danslepatio,Mag.Cettedernièremetsesmainssurseshanchesetfaitvolte-facedanssadirectionenfronçantdes
sourcils.—Pardon?Àquicroyez-vousvousadresser,MonsieurMiles?!—S’ilteplaît…,soupireIsaacenlevantlesyeuxauciel.Ellegrogneuntrucincompréhensibleetretourneàsesgaufres,maisjevoisIsaacsepencheret
luiembrasserfurtivementlajoueavantdes’enfuirdenouveauenm’entraînantaveclui.Cegestedetendressequ’ilvientd’avoirenversellemelaisseperplexe.Iln’apasl’air,maisalors
pasl’airdutout,d’êtrecetypedepersonne.—Est-cequetuveuxutiliserlasalledebain?medemandeZacennousdirigeantverslesalon.—Oui,s’ilteplaît.Jenepeuxqu’êtrereconnaissantedecegenred’attentionsianodinepourlui,maisquireprésente
toutpourmoi.—Enhaut,troisièmeportesurlagauche.Je le laissepourm’enfuir. Jene faispasdebruitpournepas troubler lesommeildeshôtesde
maisonetmerendsàlaporteindiquée.Danslasalledebain,jemefaisunefraîcheuretmelavelevisageàl’eau,attrapeunebouteillede
solutionbuccalepourmerincerlabouche,brossemescheveuxetempruntedudéodorantàunedesfemmesdelademeure.
Non,maissérieux,qu’est-cequejefouslà,bordel?!Monrefletdanslemiroir,au-dessusdumarbreblancetdesdoublesvasques,m’impressionne.On
diraituneautrepersonne.Ilmechangeàcepoint-là?Jenemesuisplussentieaussibien,enharmonieavecmoi-même,depuissilongtempsquec’en
estpresqueinconcevable.Etçamefaitpeurd’unemanièresiforte,qu’inconsciemment,çapourraitbienvenirtoutgâcher.
Quandjeredescendsverslesalonenpassantdevantlaporte«STOPDoNotEnter{3}»deZac,jeperçoisunemusiquedouceauloin.
Plusjemerapproche,plusellesefaitclaireetdistincte.Dupiano.Jemesouviensenavoirvuundans le salon la dernière fois. Un superbe piano à queue blanc Pleyel sur lequel traînait un aussisomptueuxbouquetdeBlueMoon.
Jemefigesurleseuildel’immensesalonenvoyantIsaacassisdevantl’instrument,dosàmoi.Ilmefautunmomentpourréaliserquec’estluiquijoue.Unairmélancoliqueetmagnifique.J’écoute.Surprise.Fascinée.Incapabledebougerlemoindremembre.Jusqu’àcequ’ilarrêteetseretournebrusquementversmoicommes’ilavaitsentimaprésence.—Hé.Çava?Tuasfaim?
Ilfaitminedeselever,maisjem’élance,etsansplusquitterlepianodesyeux,jem’ydirigeetm’yassiedsàmontour.Peut-êtreparcequejemesuismiseàlaguitaretrèsjeune,maisuninstrumentdemusique,quelqu’ilsoit,acettetendanceàmefasciner.Ladernièrefoisquej’aivuunepièceaussimagnifique,c’était lorsde l’expoSmokePleyelauCarpentersWorkshopGalleryàLondres, ilyaplusd’unandeça,pourdesvacancesloindelamaison.Etloindesjournalistessurtout.
Isaacserassiedtandisquejecaresseduboutdesdoigtslestouchesnoiresetblanches.Jelesfrôle,n’osantpasles«salir».
—J’ignoraisquetujouaisd’uninstrument.Ilritdoucement.—Cen’estpaslecas.J’aiapprislepiano,j’aiprisdescourspendantdesannées,parcequeMalou
m’yforçaitetjemesuisrenducomptequej’aimaisbiença.Maisjenejouepastrèsbienetjenesuispasunpro,tusais.
—C’étaitbeau,lemorceauquetuinterprétais.—Tuesbienplusdouéeavectaguitare.Jenerelèvepaslatêteversluiafinqu’ilnevoiepasquemesjouessecolorent.D’abordparceque
lescompliments,onnem’enfaitquetrèsrarement,etensuite,carc’esttoujoursincroyablepourmoiqueluim’enfasseun.
—Depuisquandtufaisdelaguitare?insiste-t-il.—Longtemps.—Onavaitditunequestioncontreunequestion.Unsoupirs’extirpedemabouche.—Dèsl’âgedehuitans,j’aieuunprofesseur,unvieuxmonsieurdemaruequim’aimaitbien.
Jusqu’àilyatroisans,quandj’aiarrêté.Maisc’estmonpèrequim’enadonnélegoût.Ilenjouaitbeaucoup,pourcequejemerappelle.C’étaitsaguitare,cellequej’ai.Jel’aifaitraccorder,maisjen’aijamaisvoulum’enacheteruneautre.J’aigardélasienne.
Isaaceststupéfait,maisenrelevantlatêteverslui,jemerendscomptepourquoi.Ilsuitdesyeuxmesdoigtssurlestouchesquisesontmisàjouertousseuls.J’arrêteimmédiatement,maisilposelasiennesurlamienne.
—Tu…tusaisaussijouerdupiano?!—Unpeu.Maisj’enaifaitmoinsqu’Arizona.Ilm’interrogeduregard.—Mapetitesœur.Ilhoche la tête,nesachantsansdoutepass’ilpeutcontinuer lesquestionsdanscettevoie-là.Et
moi,jemerendscomptequej’enaidéjàbientropdit.Ondiraitquejem’ouvrecommeunefleuràsoncontact.Cen’estpasbonça,pasbondutout.
Isaacserapprochejusqu’àcequesacuissetouchelamienneetquenosépaulessefrôlent.
—Joue.Jouepourmoi,m’incite-t-ilencaressantmamainduboutdesdoigts.Mesentraillesseresserrentsoussongestetendre.Hiersoir,ilvoulaitquejechantepourlui,maintenant,ilveutquejejouepourlui.—Jet’aiditquejen’enaipasfaitbeaucoup.—S’ilteplaît,netefaispasprier.Jesoupireencore.Bon,trèsbien.Qu’est-cequejepourraisjouer…Mes mains courent toutes seules sur les touches et j’entame sans même m’en rendre compte
BohemianRapsodiedeQueen{4}.Isaac plisse les paupières, mais se concentre sur la mélodie. Et quand je me mets à chanter
doucement,ilrelèvedesyeuxperçantssurmoi.«Mama,justkilledaman,putagunagainsthishead/Maman,jeviensdetuerunhomme,j’ai
misunpistoletcontresatêtePulledmytrigger,nowhe'sdead/J’aiappuyésurladétente,maintenantilestmortMama,lifehadjustbegun/Maman,lavievenaitdecommencerButnowI'vegoneandthrownitallaway/Maismaintenantjesuispartietj'aijetétoutcelaMamaoooh…Didn'tmeantomakeyoucry/Maman,oooh…Jen’aipaseul’intentiondetefaire
pleurerIfI'mnotbackagainthistimetomorrow/Sijenesuispasderetourdemainàcetteheure-ci,Carryon,carryon/Continues,continuesAsifnothingreallymatters/Commesirienn’importevraiment»Mes doigts courent sur les touches sansmême que j’y réfléchisse etma gorge se serre. Cette
chansonfaitremontertellementdechosesàlasurface.«Toolate,mytimehascome,sendsshiversdownmyspine/C’esttroptard,monheureestvenue,
desfrissonsmeparcourentledosBody'sachingallthetime/MoncorpsesttoutletempsdouloureuxGoodbyeeverybody,I'vegottogo/Aurevoiràtous,jedoisyallerGottaleaveyouallbehindandfacethetruth/Jedoistousvouslaisserderrièreetfairefaceàla
réalitéMamaoooh(anywaythewindblows)/Maman,oooh(danstouslescas,leventsouffle)Idon'twant todie,IsometimeswishI'dneverbeenbornatall/Jeneveuxpasmourir, jerêve
parfoisden’êtrejamaisvenuaumonde»Jemanquedesouffleetmavoixsebrisesurlesdernièresnotes.C’esttellementvrai.Combiende
foisj’airêvéden’êtrejamaisvenueaumondemoiaussi…JesursautequandIsaacposesamainsurlamienneetfaitrebondirlestouchessousmesdoigts.Mapoitrines’estreferméeetj’aivraimentdumalàrespirer.Ilserremesdoigts,maisimpossiblepourmoideleregarderenface.Pasaprèscequejeviensde
chanter.Oud’avouer. Jenesaisplus.Les larmesmenacentde remonter.Ellessontauborddemescils.
MaislavoixdeZacquimurmureàmonoreillemefaitsursauter.«It’salrighttocry/Cen’estpasgravedepleurerEvenmydaddoessometimes/Mêmemonpèrelefaitparfois»Jerelèvelatêteversluietilembrasseleboutdemonnez.Avantdecontinuer:«Sodon’twipeyoureyes/Alorsn’essuiepastesyeuxTearsremindyou,you’realive/LeslarmesterappellentquetuesvivantIt’salrighttodie/Cen’estpasgravedemourirCausedeaththeonlythingyouhaven’ttried/Carlamortestlaseulechosequetun’aspasencore
essayéeButjustfortonightholdon/Maisjustepourcesoir,tiensbon»{5}
Maintenant,sesdoigtsparcourentlestouches.Ilnemeregardeplus,maischantedoucementdesavoixgraveethachée.Jeconnaiscettechansond’EdSheeran.Arizonal’écoutaitparfois.Evenmydaddoessomething.
Mais jenepensaispasqu’Isaac savait aussibienchanter. Je regarde sesmains tatouées,unederoses et de lierre et l’autrede sonmagnifique colibri, qui courent sur le clavier et qui semblent àpeinel’effleurer.
«Solivelifelikeyou’regivingall/AlorsvislaviecommesitudonnaistoutCauseyouactlikeyouare/CartuagiscommesitudonnaistoutGoaheadandjustliveitup/AllezetvistoutsimplementGoonandtellmeyourpath/Vas-yetraconte-moitonparcours»Il s’arrête et j’observe sonmagnifique profil, sa barbemal rasée et sa boucle qui brille à son
oreille.Quandilseretourneversmoi,etquenosyeuxserencontrent,jecessederespirer.Luiaussim’afaitpasserunmessage,non?Isaac se penche, m’attrape le visage entre ses grandes mains, et m’embrasse doucement, tout
doucement.Tropdoucement.Pourune fois, sans réfléchir à ceque je fais, j’enroulemesbras autourde lui et lui rends son
baiser.Incroyable que moi, je fasse ça. Mais j’en ai vraiment envie et me sens de plus en plus en
confianceaveclui.Surtoutdanscesmoments-là.Ilmesoulèveet jeme retrouveassise sur sesgenoux, sabouchecolléeà lamienne, sa langue
autourdelamienne.J’aichaud,terriblementchaud.Jesaismaintenantque jesuiscapabled’aller jusqu’auboutetmêmed’éprouverduplaisiravec
lui.Etchaquefois,cetteidéemelaisseunsentimentincroyabledebien-être.
Mes seins durcissent tous seuls au contact de son torse contre mon buste, même avec nosvêtementscommebarrière,bienquenousnefaisonsquenousembrasser.
—Humhum…Jesursaute,ouvrelesyeuxetquandIsaacquittemabouche,jerespiredenouveau.Derrière nous, Maggy se tient debout, très droite, un immense sourire aux lèvres, les mains
croiséessursontablier.Mesjouess’empourprentetIsaacseretourneverselle,agacé.—Votrepetitdéjeunerestservidanslepatio.Ellenebougepasd’unmillimètreetcontinuedenousobserver,sonsourirebananefaisantencore
plusressortirsesridesdedamed’uncertainâge.Jedescendsrapidementdesgenouxd’Isaactandisqu’ils’adresseàelle.—OK,merci…,poursuit-il.Durantquelquessecondes,personneneditrien,jusqu’àcequ’ilajoute:—Qu’est-cequ’ilya?Pourquoiturestesplantéelà?Lagouvernante essuie sesmains pourtant propres sur son tablier etme regarde avecdes yeux
bientropbrillants.—Ohrien,iln’yarien.Toutvabien.Ellenoustourneledospourregagnersacuisine.Plusgênéequemoi,tumeurs.—Jedevraispeut-êtrerentrerchezmoi,jemurmuretoutbas.Isaacselèveetmetireparlepoignet.—Non.Pourquoi?Viensavecmoi.Nousnousretrouvonsdanslepatioouj’avaisprislethéavecSloanetmadameSaint-Clair.Unpetitdéjeunerassezcopieuxestdressé.Isaacsemetimmédiatementàtoutdévorer.Moiquine
mangepasbeaucouplematin,jemecontented’unegaufreetdequelquesfruits.—Tu…n’aimespas?Pourquoi…tu…n’avalesrien?Il parle la bouche pleine, ses joues gonflées de tout ingurgiter comme un vorace. Quel mal
élevé…—Si.Jenemangepasbeaucouplematin,c’esttout.—Pourquoi?Nemedispasquetufaisattentionàtaligne,t’esmaigrecommeunclou.J’enrestecoiteetblêmisd’uncoup.Ilmetrouve«maigrecommeunclou»?—Je…,maisnon,cen’estpascequejevoulaisdire…,c’estjusteque…—Çava,j’aicompris.Jeboisunegorgéedethépourmedonnerunecontenanceetneleregardeplus.Detoutefaçon,
peuimporte,jeneseraijamaisassezbienpourpersonne.Tropgrosse,tropmoche,tropimpopulaireavantetmaintenanttropmaigre,troppâle,troptoutetn’importequoi.
JenesuispasAmbreavecsacheveluredeBarbie,sesjambesdemannequinetsondéhanchéde
Cubaine.Uncrid’animalétouffémefaitsursauter.JetournevivementlatêteversunedesportesdelamaisonetaperçoisSloanunedemi-seconde
avantqu’ellenesejettesurmoipourm’enlacer.Tropsurprise, je reste immobilealorsqu’ellemeserrepuisse reculeen tapantdanssesmains
commeunegamine.EllemefaitvraimentpenseràArizona.Sloansouritaussietmesignedeschosesque jenecomprendspasavecuneeuphoriepalpable.
Elle s’assied en face demoi et hausse les sourcils suggestivement en direction d’Isaac. Je pique ànouveauunfardalorsqueZacgrogneuntrucincompréhensibleetquesasœursesertengaufresetenfruits.
Je laregardemangeravecautantdevoracitéqu’Isaac. Ilsnesontpeut-êtrepasfrèreetsœurdesang,maisilsontdegrospointscommuns.
Jenemesenspasdutoutàmaplace.Impossibledenepasfixermonassiettequejen’aimêmepasfinieàcause,oupeut-êtregrâce,àlaremarquemalplacéed’Isaac.
Jesoupiresansmêmem’enrendrecompteetneremarquepasquecederniers’estlevéetmetendàprésentlamain.
—Viensavecmoi.—Oùça?—Tuverras.Viens.J’enaiunpeumarredes«tuverras»aveclui.Jenesaisjamaisoùjevaisatterriretilm’oblige
presqueàluifaireconfiancecommeça.Jememetsdebout,maisneluiprendspaslamain.Ilsoupire.Nous quittons Sloan, qui nous observe, apparemment amusée, et nous nous faufilons jusqu’à
l’étage.Quandilmefaitentrerdanssachambre,jemesenstoutàcoupmoinssûredemoi.Vraiment,jen’airienàfairelà.Cen’estpasmonmonde.Ilditquenoussommes«ensemble».Maisfinalement,jeneseraijamaisassezbienpourlui,ça,
c’estunevérité.Etjesaiscommenttoutcelavaseterminer.—Tuesfâchée?—Non.Jemedirigeimmédiatementverslafenêtrepourchercherunpeud’airquandilrefermelaporte.
Sachambreestvraimentimprégnéedesonodeur.Jeremarquetoutdemêmequ’elleestbienmieuxrangéeetbienplusproprequelapremièrefoisquej’ysuisvenue.
—Jenevoulaispasdireçadanscesens.Jedisaisjustequetuesbienfoutue,tupeuxmangercequetuveux.Tun’espasobligédetoujoursfaireattentionàtout.
Jem’assiedsauborddesafenêtrequimerappellecelledelachambrequej’avaisàCarmeletquiétaitenvahiedepeluches.
Surlasienne,ilyauniquementuncendrierpresqueplein.—Tucroisquej’aiperdutoutcepoidsennefaisantpasattentionàcequejemangepeut-être?
LaissetomberZac,tunecomprendraispas.Isaacserapprocheets’installeprèsdemoi.—Tuesparfaitecommetues.Mêmesitugrossissaisunpeu,tuseraisparfaite.T’asraison,jene
comprends pas lesmeufs qui font toujours attention à tout et qui ne bouffent rien, c’est n’importequoi…
—Jesuisboulimique!Depuismonenfance!Tupeuxlecomprendreça?!Jemesuismiseàcrierenlefixantrageusement.Jemerendscomptequejenesuispaschezmoi
etquejeviensdehurlerdanssapetitechambre,maisimpossibledel’exprimerautrement.Nousnousfixonsunmoment.Moiaveccolèreetdéfis.Oui,jeledéfisderelevercequejeviensdedire.Jejurequejem’envaissurlechamps’ilose.
Et lui ne m’observe avec aucune expression apparente. Avant de se détourner et de prendrecalmementuneclopedanssapochepourl’allumer.
RespireMia.Inspire.Expire.Recommence.Ilmedonneenviedehurleràêtreaussicalmequandjesuissi…virulente.J’hésiteàmeleveretàfoutrelecamp.—OK.—Quoi,«OK»?jecrache,mauvaise.Ilparle,sacigaretteencoreéteintependantauboutdeseslèvres:—OK,répète-t-ilcalmement.J’aicompris.Ilsuffisaitdeledire,tuvois,pasdequoienfairetout
unehistoire.Tun’espasobligéedemecrierdessus.Lesfillesnelefontpasd’habitude.Ousaufsi…Jemesuislevéebrusquementenlebousculantetouvrerageusementlaportepourpartiràgrands
pas.Espècedecrétin!Jeravalemeslarmescontenues.Enmoinsdedeuxsecondes,jesuisretournéeparsesbraspuissantsetplaquéeaumurducouloir.Isaaccollesonnezaumienetm’écrasedetoutsonpoids.— Je suis désolé. OK, je m’excuse.Mais ne fais pas ça. Ne pars pas comme ça quand on se
dispute.C’estnormalpouruncoupledesedisputer,surtoutpournous.Maisjet’interdisdetebarrercommeça.
Uncouple?Nous,uncouple?!—Jenesuispascommecesfillesquetufréquentes,Isaac.Tunepeuxpasmeparlercommeçaet
croirequeçanemefaitrien.
Ilsoupireetcalesonfrontcontrelemien,sesmainstoujoursreferméesautourdemesbraspourmemaintenirsouslui.
—Jesais.J’apprendsavectoi.J’apprends,tucomprends?Alors,t’enfuispascommeça.Jeravalelabouleaufonddemagorgeetlaissematêtereposerdanssoncoualorsqu’ilmetire
pourmeserrercontrelui.Jenemesuisjamaisautantsentieenapesanteurquedanscesbras.Tantôtencolèreethargneuse,tantôtmalléableetincroyablement…attachée.J’appuiemesmainsdanssondosetsenssachairchaudesousmesdoigtsfins,àtraverssont-shirt.
Jemelaisseprendredanssonodeuretfrottemonnezsursapeau.Vraiment,jen’aiaucuneidéedecequejefaisaveclui.Pourquoijemeretrouvelà,pourquoije
suisiciaprèstoutcequ’ils’estpassécesdernièressemaines.Jesaisjustequ’ilmefaitvivredeschosesincroyablesetqu’ilmefaitressentirdeschosesqueje
n’aijamaisressenties.Unemyriadedesentimentsetd’émotions.—Oh!UnpetitcriperçantnousfaitsursauteretnoustournonstouslesdeuxlatêteversmadameSaint-
Clairsortiedesachambre,enrouléedansunlongkimonodesoiebleuciel.Jesuisfigéeetnebougeplusd’unpoil.Isaacsedétachedemoi,maislaisseunbrasautourdematailleetsamainsurmahanchequime
brûle.—Malou,tuconnaisMia.MadameSaint-Clairafficheuneexpressiontotalementsurprise,maistrèsvite,ellemesourit.—MademoiselleGilmore…,oui,jemesouviens.Vousêtesicipourrécupérerunautrecarnet?Jemesensrougirdespiedsàlatête.Isaacmetirecontrelui.—Non,onestvenuprendrelepetitdéjeuner.Miaetmoisortonsensemble.C’estcommerecevoiruncoupsurlatête.Violent.Mesjambesvacillenttoutesseules.Merde!Ilpourraitpréveniravantdelâcherunebombecommecelle-là!Jemeretournerapidementversluipourleregarderavechorreurtandisqu’iléchangeunsourire
suffisantavecmadameSaint-Clair.Cettedernièreahaussélessourcilsdesurpriseavantdelesfroncer.Est-cequeçaluiposeraitun
problème?Est-cequeçameposeraitunproblèmeàmoi,d’ailleurs?—Oh,répond-ellesimplement.D’accord.Jevaisdescendre…—Onestdansmachambre.IsaacmetirevivementparlebrasalorsqueMadameSaint-Clairnousobservedisparaîtrederrière
laportedebois.
Àpeineclaquée,jemeretrouveemprisonnéedanssesbrasetnoustombonssursonlit,ensemble.—Non,jet’enprie,jeprotesteententantdemerelever,pasici.Ellesvontnousentendre.Isaacmeforcedenouveauàm’allonger.—Tupeuxjusteresterlà,bordel.Onnevarienfaire…Jemelaisseretomberaveclassitudeetfixesonplafondnoircidesonécriturefiliforme.Maisjesenstrèsvitesamainsefaufilersouslesmailsdemonpulletseposersurmonventrequi
secontracteinvolontairementsoussesdoigtsfroids.—Tupourraisdormirici,cesoir.Jem’étranglepresque.—Quoi,ici?!—Oui.J’aicoursdemain,maiscen’estpasunsouci.JesaisqueçanedérangeraitpasMalou.—Non,jenevaispasdormirlà,Zac!T’escomplètementfou!Jenepeuxpasresterici.C’est…
Jenesaispas,c’esttroptôt.Ilhausselessourcilsavantdelesfroncercommevientdelefairesatutrice.—Commentça«troptôt»?Çachangequoiquejedormecheztoietquetoitudormesici?Ilveutvraimentquejeluiexplique?—Ça change tout. Et puis…on n’est pas obligé de…dormir ensemble tout le temps. Je veux
dire…,c’esttoutnouveautoutçaet…Isaacseredressebrusquement.—T’esentraindemedirequejevaistropvite?Jepeuxlaissertombersic’estlecas.Jepensais
quetuavaisbesoind’êtreenconfiance.Jefaistoutpourtemontrerquecen’estpasunehistoirejustecommeça.Toietmoi,cen’estpasduvent.Maissij’enfaistrop,alors…
—Non,cen’estpasça,Zac.Jeneveuxpasquetutesentesobligédequoiquecesoit…—Onn’apasdéjàeucetteconversation?Jesoupireetmeredressepourm’asseoiràcôtédelui.C’estdurdesecomprendretouslesdeux.—Oui,maisje…—Vafalloirquetoi,tusachescequetuveux,Mia.Cettefois,ilselèvevraimentpourfumersacigaretteàlafenêtre.Jedécided’êtrelaplushonnête
possibleetparledoucement.—Jenesaispascequejeveux.J’aibesoinderéfléchir.Toutça…toietmoi…c’est…c’esttrop
rapide…—OK,alorsrestonsenlàpourl’instant,m’assène-t-ilencrachantsafuméedanslachambreetse
dirigeantbrusquementverslaportepourl’ouvrirengrandetmefairesignedesortir.Jeresteuninstantabasourdieparsaréaction.Jenem’attendaispasàça.—Jeteramènecheztoi.Detoutefaçon,j’aimieuxàfaireaujourd’hui.Ilparledurementtoutenfixantunpointau-dessusdematête.
Avec le cœur lourd de culpabilité, je me lève pour passer devant lui et descendre au rez-de-chaussée.Ilestencolère.Etfranchement,jenepeuxpasleluireprocher.Quiperdraitsontempsavecquelqu’unquinesaitvraimentpascequ’elleveut,commemoi?
Enfait,jesaistoutaufonddemoicequejeveux.Celamefaitjustetrèspeur.Etilmesurprendàannonceràtout-va,commeça,quenoussommesensembleouquejedevraisvenirdormirchezlui.Ça va bien plus vite que je ne l’imaginais. Je ne pensais pas,même après la nuit que nous avonspassée, qu’il voudrait qu’on passe autant de temps tous les deux.Très honnêtement, jem’attendaisplusàcequ’ilme laisseunpeudecôté.Coucherensemblenepeutpas signifierpluspour luiquepourmoi.
Impossible.**
Quandj’enfilelecasquedeSloan,ilnem’aidepascommed’habitudeàlefaire.Ilestdéjàéquipéetattendsquejemontederrièrelui.Cequejefais,unpeucrispée.
Àmoto,noussommesàcinqminutesàpeinedechezmoietquandIsaacsegaredevantl’arrièredelavieillemaison,jedescendsrapidement.
M’apprêtantàenlevermaprotection,ilm’arrêtedelamainetparleàtraverslesien.—Garde-le,jelerécupéreraiplustard.Et il s’éloigne tout simplement sans attendre que je réponde, sa moto laissant un nuage de
poussièrederrièreelle.Jeresteunmomenthébétée,àfixerl’angleparlequeliladisparusansmêmemedireaurevoir.Sansdoutel’ai-jemérité.Maisçafaitmal,toutdemême…Quandjeremontel’escalierduporchedelamaison,moncasquesouslebras,lavued’unpaquet
posésurlepasdemaporte,mefaitmefiger.Unpaquet?Pourmoi?Ilestblanc,soigné,deformeallongée,avecunrubannoirau-dessus.J’hésiteunmomentavantdeleprendre.Maismacuriositél’emporteetjel’emmèneàl’intérieur
avecmoi.Minuitmiauleàmonarrivéeetvients’installerentremesjambesquandjem’assiedssurmoncanapé.
Unàun,jedéfaisminutieusementlesnœudsdurubannoirquienrubannelepaquetquimesemblebienluxueux.Mamère?Non,cen’estpassongenre.
Alorsqui?Je retiensma respirationen l’ouvrant etme fige. Ilyaunbouquetde roses rouges.Unepetite
huitainederosesouvertesetsurtoutfanées.Ellessonttoutesflétries,commesionlesavaitlaisséestroplongtempssanseauoudanslaboîteavantdelesenvoyer.Unepetitecarteaccompagneledrôledecadeauetunmessageyestinscrit.
«Ilyaunechosequejen’auraisjamaisimaginée.Onpeutvivretoutesaviesansbut.Querienne
teblessevraiment,rienneterendréellementheureux.Tuvisparcequetuvis.Parcequetun’espasmort.»
C’estquoicesconneries?Quipourraitavoirseulementl’idéedem’envoyeruntruccommeça?Jereposelacarte,refermelaboîteetresteunmomentàcogitersurmoncanapé.EntrecetructrèsbizarreetcettesituationcompliquéeavecIsaac,jenesaisplusàquoipenseren
premier.
5
ToutescesfemmesprochesducielIsaac
—Tuvastedécideràmeparlerouiounon?Renfrogné, je fixe implacablement levidedevantmoien fumantmacigarette. J’aipresque fini
monpaquetalorsquejel’aiachetéhier.C’estsûrquejevaiscreverd’uncanceroud’uneconneriecommeça.
—Zac…MiguelrelèvelatêtedelaDucatiqu’iltentederéparer.Ilessuielasueurdesonfrontd’unrevers
de lamainet laisseunegrande tracedecambouisà laplace.Commebeaucoupdenosdimanches,nousnousretrouvonsdansl’arrièregaragedeLukeàbricoler.Enfin,j’avaislaisséunpeutombercesdernierstemps,maisça,c’estàcaused’elle.C’esttoujoursàcaused’elledetoutefaçon.
—Iln’yarienàdire.Mon meilleur ami plisse des yeux et nettoie la bougie qu’il va remplacer sur la bête en me
regardantpernicieusement.—Jenetecomprendspas.Aucundenousnetecomprendplus.OK,ellen’estpastropmal.Mais
merde,desmeufsbonnesilyenaàlapelleici!Ellet’aretournélecerveau,mec!—Ellearienfaitdutout.Tagueule.Miguelsecouelatêtealorsquejefulminedel’intérieur.Ellemerejette,encoreettoujoursmalgrétoutcequej’aidéjàpuluidire,malgrétoutcequej’ai
déjàfaitpourluimontrerquecen’estpasduventtoutça.Etenplus,ilfautquejemejustifieaveclesgarsetquejemetapeleursréflexionsàlacon.
—C’estça.TuasmistonpoingdanslagueuledeGabetellen’arienfaitdutout?Quoi,meditpasquec’étaittonmeilleurcoupaussi…parcequedanscecas-là,jeveuxbienes…
Jemesuislevéd’uncoup,lespoingsserrésetlesangpulsantintensémentdansmesveines.—Ferme-laavantquejetecasselesdents!Miguel laisse échapper un petit rire supérieur et se lève en rejetant le torchon sale et plein de
graisse sur son épaule nue et dégoulinante de sueur. Le sourire arrogant qu’il arbore me donneencoreplusenviedeluifoutremonpoingdanslagueule.
—Ehmerde,mec.T’esfoutu.T’escomplètementperdulà.Tut’enrendscompteaumoinsquet’esamoureux?
—Tagueule.J’écraselemégotdanslecendrierpleinetm’adossedenouveauàl’établisaleetpleind’outilsde
Lukeenmemassantlanuqueetenfermantlesyeux.—Cen’estpasça.Jesauraispasl’expliquer,mais…cen’estpasça.Çanepeutpasêtreça.—Depuisquejeteconnais,jenet’aijamaisvutenducommeça.Mêmeaprèstoutecettehistoire
demerdeavecLara.Miaestentraindeteretournerlecerveau.Maisparle-moi,putain!Ellevitdanscettebaraqueàlacon,OK,çanet’empêchepasd’êtreaussiàcranquandt’esavecelleetquandonparled’elle.Onatouscompris,mec.Jevoislafaçondonttularegardes…Çat’avraimentfaitchierqu’onaitvisionnécettevidéo.Avant,tutefoutaisdecegenredetruc.
Detous,Miguelestceluiquiparlevraimenttrop.J’enaipresquemalaucrâne.Pourtant, il finit par se taire et attends que je lui réponde quelque chose.Mais qu’est-ce que je
pourraisdire,bordel?!—Écoute,jenesaispasOK!Elle…on…Miaest…pfff…j’ensaisrien.Çanet’estjamaisarrivé
toi,d’êtreenprésencedequelqu’unquitedonneconstammentl’impressiond’êtreaubordduvide,aubord de toi… Jemanque souvent d’air avec elle,mais depuis que je la connais, j’ai l’impressionque…
Lesmotss’étranglentdansmagorge.CommentMiguel,oun’importelequeld’entreeux,pourraitycomprendrequoiquecesoit?Moi-
mêmejen’ycomprendsrien.Ilaraison.Ellem’aretournélecerveau.Etautrechoseaussi…—Quequoi?insisteMiguelavecunairimpénétrable.—Que…toutestfadeetinsignifiantàcôté.Çamefrappecommeunpoinggantéenpleinetronche.Enledisant,j’ail’impression…,non,je
saisquec’estvrai.Elleestsipetiteetfragile.Etpourtant,quandelleestlà,elleprendtoutelaplace.Elleattiretoutelalumièreautourd’elle.Ellem’éblouit.Etcesentimentmefaitperdremesmoyens.Oui,àmoi.
—Tuasplutôtintérêtàfaireattention.JerelèvelatêtevivementautonfroidetdangereuxdeMiguel.Ilmepercedesesyeuxnoirs.—Àquoi?—Àtoi.Jedoisterappelerqu’onnesaitriend’elle?Tuluifaisconfiancetoi?Jedéglutisetnousnousfixonsenchiendefaïenceunmoment.Jesaisqu’ilaraison.Maisellea
peur.Dequelquechose.Oudequelqu’un.Peut-êtrejustedesonpassé.Maisjesaisqu’aufond,elleestdifférente.Moi,jen’aipaspeurdequielleestetdequielleapuêtre.Sansdouteparcequecettepartd’ellesimystérieuse,sisombreetunpeufragmentée,ressembleàlamienne.
— Je lui fais confiance, je m’entends répondre machinalement. Elle est la personne la plushonnêteetlaplus…enfin,lamoinsfausse,quejeconnais.
—Tunousoubliesouquoi!Jesoupireetmemetsdeboutpourfairelescentpas.—C’estpaspareil.Vous,jevousconnaisdepuislongtemps.Troplongtemps.Elle…jesensque…
c’estdifférent,tuvois.Cen’estpascommeaveclesautres.—Lesautresmeufs?demande-t-ilencore.—Ouais.—Putain,elledoitêtresacrémentb…Ilsetaitvivementsousmonregardmeurtrieretlèvelesmainsdevantluiensignedereddition.—OK,j’airiendit.Écoute,jenepeuxpasdirequejetecomprendsvraiment…,mais…,disons
quesiellecompteàcepointpourtoimaintenant,alors…onaplusqu’àfaireavec.Quandmespiedsbutentcontrel’étagèredufond,jefaisdemi-touretfouillemachinalementdans
mapoche.Maisensecouantmonpaquet,jemerendscomptequ’ilestvide.Ehmerde.Vraiment,jesaisquejefumetrop.—Ilfautquetufassesuntrucpourmoi,cesoir…
Mia—Tuasl’air…différente.Je remonte la caméra au-dessusde l’écran etmapetite sœurm’observe, lesyeuxpratiquement
collésausien.—Commentça?jedemandeenessayantdem’empêcherderougir.—JenesaispasMymy,tuasl’air…heureuse.Heureuse?Jenel’aiplusétédepuistellementlongtempsquejenesuispassûredereconnaîtrele
bonheurs’ilfrappaitàmaporte.C’est vrai que j’étais bien… avec lui.Mais nous n’avons fait que nous disputer depuis hier et
maintenant,c’estchacunchezsoi.Alorsheureuse…—Amy!Jeteparle…tum’écoutes?—Mia,Arizona,Mia.Arrêtedem’appelercommeça.Commechaquefoisquejeluifaislaremarque,Arifaitlagrimaceetsedétournepournepasme
regarderenface.—Nousallonspouvoirdéménager,tusais.Aveclesdeuxboulotsquemamancumule,onvapeut-
êtrepouvoirseprendreunappartqu’elleadit.—Ahbon?C’estgénialça.J’aihâtedevousvoir.Vousmemanquez!Etc’esttellementvrai.Ilmetarded’êtreàNoël.Jesaisquecen’estquedansdeuxmoisetdemi,
maisj’aihâte,vraimenthâte.Arizona sourit de toutes ses dents, ce qui fait gonfler ses pommettes.Elle est adorable comme
tout,masœur.—Toiaussitunousmanques.Uncoupbrusquefrappéàmaportemefaitsursauter.Bordel!Lefaitquelesgensviennentets’arrêtentparl’avantdecetteénormemaisonmedésespère.Jene
lesentendsjamaisarriver.—IlfautquejetelaisseAri.—Déjà?—Oui,maisonserecontactetrèsvite.Faisunbisouàmamanpourmoi.Mapetitesœurm’envoieunbaiservoléetjecoupeSkypepourallerouvrir,surmesgardesetle
cœurunpeupalpitant.Est-cequec’estIsaacquiestrevenu?J’espèretellementquec’estlecas,maisjesuistropfière
pourl’avouerneserait-cequ’untoutpetitpeu.Quandj’ouvrelaported’entrée,jemefigeuninstant,complètementinterloquée.Troispairesd’yeuxmeregardentfixement.Despupillessombressousuntraitd’eye-linerépais
comme un petit doigt.Unmagnifique regard vert sous une frange de cheveux blonds, et un autrenoisette.
Anthea,L.A.etCollinesetiennentdevantmoi.—Salut!Onpeutentrer?entonnejoyeusementColline.Elle me bouscule presque et pénètre dans la maison…, ma maison, comme une star dans ses
talonsaiguilles.Destalonsaiguillentundimancheaprèsmidi?L.A.me fait un sourireplusque contrit et s’avance en jetant des coupsd’œil indiscrets partout
autourd’elle.Maintenantque jesaisqu’elleétaitunedesmeilleuresamiesdecetteLara, jenesaisplusquoipenserd’elle.Est-cequ’elle supportede revenir ici?Est-cequecen’estpas tropdurdevoirquemoijevislà,àlaplacedesameilleureamiedécédée?
Antheaestlaseuleàêtrebienplussurlaréserve.Ellemefaitunsouriretoutgentiletattendprèsdelaporte.
—Salut.Je…vous…Antheaouvrelabouchepourparler,maisL.A.l’interromptenselaissanttombersurmoncanapé.—NoussommeslàparcequenousavonsapprisquetusortaisavecIsaac.C’esttrèsjolicheztoi.
MonsieurDavisabienrefaitcettemaison.Est-cequetuaslecâble?Interdite,jemetsuninstantavantderépondreetsecouelatêtecommepourleschasserdemavue.
Ellesnepeuventpasvraimentêtrechezmoi,affaléesdansmoncanapésansyêtreinvitées,commeM.J.ouZac.
—Je…oui…,oui…—Cool.Elle attrape la télécommande et zappe sur plusieurs chaînes alors queColline trace dubout du
doigtundescroquiscollésàmonmur.Elledessinelalignedemoncouetdemonépaulesuivantletraitdecrayon.
—Tuasbeaucoupdetalent.ZacetMiguelm’enontparlé.C’estsuperbe.—Euh…merci…,jebredouille.Anthea,quienavisiblementmarrederesterplantélà,faitletourdusalonenexaminantletout.—Alors…,çafaitquoidefairepartiedelabande?demandeColline.Jen’arrivepasàcernercettefille.Elleestbelle,magnifiquemême,maisultrasuperficielle.Elle
estapprêtéejusqu’auboutdesongles,bling-blingetmodeuseàfond.Maiselleaunsouriresisincèreetunefaçondeparlersidouce,quecelaesttotalementàl’inversedesonlooksulfureux.Jelesais,pouravoirdiscutéunsoiravecelleaubar.
Cequej’ignore,c’estlanaturedesesliensavecIsaac.Etça,c’est…—Pardon?—TusorsavecZacmaintenant,alorsjetedemande,cequeçatefait?
Lerougememonteauxjoues.—Je…jenesaispas…L.A.hausselesépaules.—Qu’est-ceque tuveuxqueça lui fasse, ellen’est jamais sortieenpublicavec lui.Etelleest
nouvelleparici.Mercideparlerdemoicommesijen’étaispaslà.—Onvaremédieràça.Collineselèveetgrimpelesmarchesdemonbureaupourmonterdanslamezzanine.—Tuasdesfringuesàtemettrepoursortirautrequecejogginginforme?crie-t-elled’enhaut.Jebaisselatêtesurmonjoggingrosepâle«informe»danslequeljemesensbien,surtoutquand
j’aiungroschagrin,quejesuismaladeouquej’aijusteenvied’êtreconsolée.Ilestuséjusqu’àlacorde,maisjen’aijamaisvoulum’enséparer.
—Jesuissûrequetuasdetrèsbelleschoses,meditAntheaavecdouceur.Etpuis,cen’estpaspourçaqu’ilsortavectoi.
— Oui, mais ce n’est pas une raison pour porter ce truc, indique L.A. en lorgnant sur monpantalon,uneexpressiondelégerdégoûtsurlevisage.
OK,cen’estpasletopduglamour,maisellepourraitéviterdemecritiquerenétantchezmoi,non?
Etpuisd’abord,ellesfontquoilà?!—Ellepourraitmettreça,non?Unbrasdépassedelamezzanineavecundemestopsendentellenoireetlesfillesapprouvent.—Ouais.—Carrément!Ellefouilledansmesaffairesenplus!Jemesensrougirjusqu’àlapointedescheveuxetçan’estpasdehonte.Lespoingsserrés,jeme
contiensdehurlerdefrustration.Est-cequetoutlemondeestaussimalélevéparici?—Qu’est-cequevousfaites?—Onestvenuet’emmeneravecnous.Quoi?Commentça?—Où?!Lesfilleséchangentunsourirecomplicesansrépondre.Enhaut,CollinebranditmapairedeManoloBlahnikpar-dessusnostêtes.—Ellessontcanons,celles-là!Tupourraislesmettrecesoir.Cesoir?Qu’est-cequ’ilyacesoir?—Jeneporteraijamaisdetalonsundimanche,sanssavoiroùjevais.Antheaselèveetposeunemaincompatissantesurmonépaule.
—Cesoir,tunousaccompagnesdanslafosseauxlions,mabelle.Etsitun’espashabituéeauxtalons,alorsunconseil…,nelesportepas.
L.A.croiselesbrasderrièresanuqueenmejaugeantdelatêteauxpieds.—Dommage.Mamèredisaitsouventqueporterdestalons,rapprochelafemmeduciel.
6
Lachutedel’AngeMia
«Onnesaitpasprécisémentoù lesangesse tiennent, sic’estdans l’air,dans levide,dans lesplanètes:Dieun’apasvouluquenousfussionsinstruits.»
VoltaireQuatrepairesdetalonsquiclaquentsurl’asphalte,à21heuresundimanchesoir.Avectoutcecuir
quenousportonsetnosjeansserrés,ondiraitpresquelesfillesdeCoyoteGirl{6}.Je refermemon perfecto de cuir surmon t-shirt en coton noir tout simple.Avecma queue de
cheval,jen’airiend’unefemmefatalecommeellestrois.Ellesontgagnécettebataille,maispaslaguerre.J’aifiniparportermesManolo,maispasletop
endentelle,nilerougeàlèvresécarlatequeL.A.atentédememettre.Surtout qu’en entendant les bruits derrière les grands bâtiments de tôle et de briques et aux
commentaireséchappésd’Anthea,j’aiunevagueidéedel’endroitoùnousallons.Maisqu’est-cequejefaisici…Dansquoijemesuislaisséeentraîner?Il fait presque froid au bord de l’eau. Je remonte la fermeture de ma veste jusque sous mon
menton et laisse la briseme caresser le visage. Il fait nuit noire et nous sommes sur les docks.Àl’entréeduport,interditeàcetteheure-ciauxbadauds.Antheaverrouillesavoitureetjesuislesfillesdanslaruellesombrejusqu’aubrouhahaquis’élèvedeplusenplus.
Moncœurestsurlepointderompremacagethoracique.Parcequelebruitdesmoteursqu’onaccélèreetqu’onfaitrugir,l’odeurdel’essence,lafuméedecertainspotsd’échappementquimontedansl’air,toutcelameparvienttrèsclairement.
Isaacestvraimentencolèreouilmeboude,parcequejen’aireçuaucunmessagedelajournée.Sera-t-ilprésentcesoir?Est-cequ’ilsaitquelesfillessontvenuesmechercherchezmoi?Est-cequetouslesgarçonssontlà?J’aivitefaitd’avoirmaréponse.Audétourduplusgranddesbâtimentsindustrielsconstruitssurlesdocks,prèsdecentmotossont
alignées.Certainessontgarées,d’autressontenpleinedémonstrationdevantdesgroupesd’hommesetdefemmes.Ilsontlesyeuxbraquéssurellesetsontadmirées,observéessoustouteslescoutures,quandleurspropriétairesnesontpasdessusentraindeparticiperàdescoursessauvagesquileurfonttraverserlepontsuspenduquimènedel’autrecôtédelacôte.
Desmotards, des amateurs, des filles, des garçons de la vingtaine à la trentaine, traînent là enécoutantde lamusique forte, endiscutantde tout etn’importequoi.Certains sont siprisdans leurbaiser,embrassadeetautrecâlinplusquechaud,qu’ilsn’enont rienà fairequed’autres soiententrain de lesmater.On dirait les scènes super torrides deDirtyDancing quand l’actrice principaledécouvrelasallededanseclandestineoùlescorpssemeuventdefaçontrès,très,suggestive.
Heureusementquetoutlemondenefaitpasça.Ilyenacertains,tropalcoolisés,quichantentàtue-tête,amusentlagalerieoucherchentàfairelafête,toutsimplement.
Lesfilless’arrêtentplusieursfoispourdiscuterousaluerdesgensqu’ellesconnaissent.Jenemesenspasdutoutàmaplace.
Et jecroisqueColline l’acompris.Ellem’attrapepourm’entraîner,brasdessus,brasdessous,versungroupeàl’écartcontreunmurenhauteurquiparlefort,ritetfaitdubruit,commesinousétionsdevraiescopines.
Cequejenepeuxm’empêcherderemarquerquandnousnousapprochons,c’estlegrillagetorduetrouillé,quiestjonchédefleursartificiellesetdetasdebabioles,commedesbracelets,descamées,des vestes ou des gants de moto usés…, et aussi de photos. Tout un tas de photos, des visagessouriants, d’autres plus graves, des portraits ou des clichés de groupe très marrants. Il y a unemultitude de dessins et également de graffitis. Et ce quime fait ralentir le pas, c’est la vue de sesdizainesdepetitesbougiesblanchesalluméessoustoutescesoffrandesetobjetsdemémoire.
—Chacunsafaçond’honorersesmorts,memurmureCollineencontinuantd’avancercommesiderienn’était.
Moi, j’ai ralenti encore le pas, parce que sur une photo, accrochée au fil de fer, j’ai reconnuquelqu’un.LesouriremystérieuxetlalonguechevelurechâtaindeLara.
Cen’estquelorsquejediscernelerirerauquequirésonneàmesoreillesquejemedétournedecemonumentauxmortsimprovisé.
IsaacestassissursaTriumphetritdejenesaisquoi,avecungarsquejeneconnaispas.C’est lamême impression que lorsque je l’ai vu la première fois, en puissancemille. Il est à
couper le souffle.Dansson jeansstone, son t-shirtplusmoulantqued’habitude, savesteHelstons-Chevignonquisentbonlecuiretsesbottesàlacetsdéfaits.Ilémanelavirilitéetlasensualitéàdeskilomètresàlaronde.Biensûr,lesautresnesontpasenresteetaumilieudetoutecettetestostérone,jemesensmoinsàmonaisequelaplupartdesfilles.Maisimpossibledenepasprendreencomptelesfrissonsdeplaisirquimeparcourentl’échinedudosquandjeleregarderireauxéclatscommeça.
Ilal’airsiinsouciant,si…heureux.Etmaintenant, je leconnais,unpetitpeuaumoins. Impossibled’oublier lavisionde luinuau-
dessus de moi. J’étais terrorisée et il était magnifique. Il a été tout ce que je n’aurais jamais puimaginer.Etbienplusencore.
—Freckles!Quelqu’unmepasseunbrasautourducouetjemanquedetomberenmeretenantsurmestalons.Ashtonm’embrassesurlajoueenm’enserrantlementondurement,presqueàmefairemal.JetentedelerepousseretvoisIsaacseretournervivementversnous.Lesfillessontdéjààleuraiseparmitouslesgarçons.LesAnges,à l’exceptiondeMiguel,sont là,etd’autres typesetnanasquejeneconnaispas.Ils
semblenttoustrèsamis.—Tuasdécidédetemêlerànous,çayest?T’arrêtesd’êtrelachieusedeservice?Ilpuel’alcoolàpleinnezetsurtoutjeremarquel’expressiondéfaitequ’ilamalgrésesyeuxtrop
brillantsetrougisparl’odeurd’herbequejesensdansl’air.Tantbienquemal,jetentedemedégagerdesesbras.IlbranditunebouteilledeJackDaniel’sen
l’airetmelatendetmelamettantsouslenez,quasimentdanslabouche.Jelerepousseetgrimace.—Arrête…,t’escomplètementbourré.—Ah…non…,pasencoretotalement…Ilritgrossièrementetsacoupedecheveuxbizarrenebougepasd’unpoil.L’expressiondesonregardmefaitdirequ’ilrit,faitl’insouciant,lejoyeux,maisnevapasbien
dutout.Parcequej’avaislemêmeregard.L’alcool ne fait rien oublier et n’arrange pas les problèmes. Il ne les allège même pas, au
contraire,illesempire.—Salut…Jemeretournevivementquandunemainseposedansmondos.EtjemeretrouvefaceautypequidiscutaitavecIsaac.Beaugosse,lescheveuxtrèsbienpeignés
enarrière, avecunbrindeperversitédans lesyeuxet le sourirede tombeur.Legenredemecquibriselecœurdesfilles.
Boncen’estpascommesiIsaacn’étaitpasnonpluscegenredegars,hein?—Euh…salut.—Onneseconnaîtpas,dis-moi,jet’aijamaisvueici.Il joueaveclecure-dentqu’ilaenbouchedepuistoutàl’heureetjenepeuxm’empêcherdele
fixerquandilparle.—Non,jesuis…—Ellen’estpaspourtoi!rugitIsaacdanssondos,mefaisantsursauter.L’armoire à glace se retourne et hausse les sourcils. Isaac m’observe intensément durant un
instant, toute traced’enviede rire ayantdisparûtde sonvisage, avantde reporter sonattention surl’amiaveclequelildiscutaitetplaisantait,iln’yapascinqminutes.
Leregarddu typefaitdesallers-retoursentrenous,commelaplupartdesgensautouret jememetsàtripoternerveusementmabague.
—Ooooh…OK,mec,t’affolepas.Jen’ytouchepas.Noway…{7}
Illèvelesmainsdevantluietseretourneversmoienmedétaillantdelatêteauxpieds,avecunsourirevraimentrailleurauboutdeslèvres.
Toutd’uncoup,j’aicesentimentdefaireunbondenarrièredeplusdedeuxans.Quandlesamisde Deacon me dévisageaient de la même manière et se moquaient du fait que je lui appartenaiscomplètement.
Monsangnefaitqu’untour.JefusilleIsaacduregardetmedétournepourpartirm’asseoiràcôtédeM.J.quiestàcalifourchonsursaHornet.
Ilmesuitdesyeuxetplisselespaupièresenuneexpressionindéchiffrable.Qu’est-cequ’il pensait ?Que j’allais jouer lesAmbre etme jeter à son cou en l’appelantmon
amourcommeellelefaisait?M.J. esquisse un sourire en coin quand je viens me mettre près de lui, mais ne fait aucune
remarque.— Salut, je dis doucement en glissant mes poings dans mes poches pour me donner une
contenance.Lesautresontreprisleursconversationsetleursbrouhahas.Collinevaseposeràcôtéd’Isaacetjenemanquerienduregardcomplicequ’ilséchangentnila
maind’Isaacquisefaufiledanslasienne.Illuitendquelquechosedepliéentresesdoigtsetellelefourredanssapoche.Unbillet.
Monsangnefaitquemonterenpression.Est-cequ’ill’apayépourm’emmenericicesoir?M.J.metendsonverre.Jeneprendsmêmepaslapeinederegardercequ’ilyadedans.—Salut.T’enveuxunpeu?—Non,merci.—Qu’est-cequetufaislà?Jedoutequecesoitlegenred’endroitoutuasl’habitudedetraîner.
TuesvenuepourIsaac?—Non.Lesfillesnem’ontpaslaissélechoix,c’esttout.C’estfaux.J’étaisautantcurieusequ’énervéequandellesm’ontobligéeàsortir.Etbiensûrqueje
voulaislevoir.Maisça,jenelediraipas.M.J.tiresurmaveste.CommeIsaacl’afaithiersoir.—Tuportesducuirtoi…—Çam’arrive,jegrogne.Ilspourraienttousarrêteravecça.Cen’estpascommesijelefaisaispouruneraisonspéciale.Je voudrais discuter normalement avec M.J., comme on a tendance à le faire ces dernières
semaines, mais le regard insistant d’Isaac et celui de Gabriel un peu plus loin me laissent toutetremblanteetm’empêchentd’êtrenaturelle.
JeremarquequeGabrielaunœilaubeurrenoir.Iltireunetronchedequatrepiedsdelongetnecessedemejeterdescoupsd’œilassassins.
—Gabrielaquelquechoseàmereprocherouquoi?jemurmure.M.J.secouelatête.—Net’inquiètepaspourça.Ilestjuste…ilnecomprendpastarelationavecIsaac.Enfin,tume
dirasquenoussommestousdanslemêmecas.Impossibledenepasrétorquerquoiquecesoitàça.Àmontour,jefusilleM.J.desyeuxmêmesi
luinem’arienfaitréellement.—Çanevousregardepasdetoutefaçon!Vousn’êtespasconcernés.C’estclair?Ilne répondpasetboit sonverrecommeside rienn’était.Mais jevois samâchoire se serrer
commes’ildésapprouvait.—Est-cequec’esttoiquim’asenvoyécesfleurs?Juniorseraitbiencapabled’untrucaussitordu.—Quellesfleurs?Jenerépondspas.Quialors…Unemoto rouge vif se stoppe à la hauteur du groupe et le type enlève son casque en saluant
Ashtonquititubeetluitapedansledos.Moncœurs’estarrêtédebattre.QuandAntheavaversluipourlesalueretqu’ilcoupesabécane,jemedétourneimmédiatement
etmelèvepourmemettrefaceàM.J.,lecœurbattantàtoutrompre.Ilestlà.StefanSteel.Celuiavecquij’aieulemalheurdediscuteraucoursd’unesoirée,puisunjourdanslecouloirdu
lycéeaussi,cequiluiauravalûtunedérouilléeplusquesauvageetm’auravalûtàmoi,unbrascasséetquelquespointsdesuturedeplus.
Ilm’avait reconnue sur l’esplanadedeGrandBay.Et s’ilme reconnaissait là,maintenant…aumilieud’euxtous.AvecIsaacàproximité.
Jecherchedesyeuxuneissueenessayantdenepasparaîtreaffoléeetdenepasattirerl’attentionsurmoi.IlbavardeencoreavecAshtonetAnthea.
—Çanevapas?medemandeM.J.enfronçantlessourcils.Jevoudraisparler,maislesmotsseserrentdansmagorge.Dessueursfroidesmeparcourentle
dos.S’ilmemontredudoigt,jenepourraispasm’expliquerdevanttoutcemonde.IladéménagédeCarmelavant ledrame,maiss’ilaseulementregardéles infos,reconnumatête,suivi toutcequ’ils’estpassé…jevaisêtreaffichéeauxyeuxdetous.Etjenepourraim’expliquer.Etdetoutefaçon,jeneleferaispas,jen’enaipasenvieetje…
—Qu’est-cequ’ya?Jesursauteviolemmentquandunevoixrauquemurmureàmonoreilleetqu’unemainfermese
posesurmonbras.C’estIsaac,deboutdansmondos,quis’estpenchépourparler.Brusquement,j’aienviedemecacherdanssont-shirtetqu’ilrefermesesbrasautourdemoi.Maissil’autreparle,Isaacnevoudraplusjamaislefaire,c’estsûretcertain.Je glissemamain dans la sienne et enserre ses doigts fortement.OK, on est censé se faire la
gueulemutuellement,maislà…—Jenemesenspastrèsbien.M.J.observenosmainsliéesavantdesedétournerpouréchangerquelquesmotsavecCollinequi
s’estaussirapprochéedenous.—Tuveuxqu’ons’éloigne?—Oui,s’ilteplaît.IsaacfaitunsignedelatêteàGabrielquinebronchepasetportesabièreàsaboucheavantque
nouscontournionsM.J.etCollinepournousdirigerversl’autreboutduport.Jejetteunbrefcoupd’œilenarrièreetvoislesautresnousobserver.Stefanaussinousobserve
nouséloigneretlerythmedemoncœurs’accélèreencore.Faitesqu’ilneparlepas,s’ilvousplaît…Jesuistellementstresséeetsurlesnerfsquejemetsunmomentavantdemerendrecompteque
toutlemondes’écartequandIsaacetmoipassons,maindanslamain,etqu’ilsnousscrutentsansdireunmot.
C’estgénial.Sijevoulaispasserinaperçueaveclui,c’estraté.Au bout de la file de motos, alors que nous nous apprêtons à nous rendre plus loin vers les
tripodesenbétonsquiempêchentl’eaudemerderemonterdansleportdeplaisancedel’autrecôté,quelqu’unseplantedevantnous,mefaisantsursauteretmecolleraubrasd’Isaaccommeunepetitefilleapeurée.
Desyeuxbleus,moinsclairsquelesmiens,mefusillentsurplace.Non,fusillern’estpaslemot.Clouer,crucifier,statufier,seraitplusexact.S’ilspouvaientmetuer,ilsleferaient.
Ils’agitd’Ambre.Lapetiteamiebafouée.—C’estpourçaquetum’asquittée?C’estuneblague?Letonhargneuxqu’elleemploienem’étonnepasplusqueça.Etelleparleenmeregardantmoi,
paslui.Jerésisteàdétournerlesyeux.Biensûrquejen’aipaslebeaurôleetquejedevraisavoirhonte,
maisjerefusequequelqu’unmemarcheencoredessus.Enaucuncas.Jenemelaisseraiplusjamaisécraser.
—Pousse-toiAmbre,menaceIsaac,lavoixbasseetchargée.
Maisellecontinuedeparler,lespoingsserrés,enmeregardantavechaine,commesielleétaitàdeuxdoigtsdem’enmettreune.
—Sinonquoi?Tucroisquetueslaseulequ’ilasautéeparici?Tucroisquetupeuxveniriciett’afficheravecluicommesituétaisLApetiteamie,etfanfaronneraumilieudetoutlemonde?Maismavieille,cen’estpastonterritoireici,alorsduvent!
J’ouvrelabouche,maisIsaacsemetentrenousetlatirevivementparlebras.—Putain,mais ferme là !Tu t’adressespasàelle, tu luiparlespas,c’estclair,ça?!Si t’asun
problèmeàrégler,c’estavecmoi,OK?!hurle-t-il.Jevoudraisquelesols’écarteetm’engloutisse.Maintenant,toutlemondealeregardbraquésur
nous.—Commenttupeuxmefaireça?pleurniche-t-elleens’accrochantàsonbras.Sesyeuxs’embuentetellelesupplieduregardalorsqu’ildétournelesien,gêné.—Ambre…—Tuasditquetum’aimais…Tumel’asmontré…,sanglote-t-elleencore.Illuiadit?Sesmotsontraisondemoi.Ilsmetranspercentplusviolemmentquejenel’auraispensé.Jelescontournerapidementetm’enfuisaussivitequemestalonsmelepermettent,sanstomber.Versoù?Jenesaispas,maisloin.Loind’euxtous,loindecequimefaitmaletdecedontj’ai
peur.—Mia!Mesyeuxs’embuentetmoncœurcognefortdansmapoitrine.Respire.Prānāyāmā.Toutvabien.Toutvatrèsbien.Si on se persuade que tout va bien, alors le corps suit à son tour. Peut-être que la nausée
disparaîtra.Plusjem’éloigned’eux,pluslebrouillardsalinquis’élèvedanslanuitm’enveloppe.Etquandje
contourneundesbâtiments,jedoism’adosseraumurpourpouvoirreprendremonsouffle.C’estcommeunterriblesentimentdepeurpaniquequis’infiltreàl’intérieurdemoi,courtdans
mesveines,mefaithaleter.Jemelaisseglissercontrelafaçadeententantderespirernormalement.C’enesttroppourmoi.Toutça,c’estvraimenttrop.Unemain invisiblemeserrede l’intérieuretmetord lesentrailles.J’ai l’impressiond’avoir le
cœurquivasortirdelapoitrinetellementilbatvite.Jesuissûrequejesuisentachycardie.—Mia!Isaacarriveessouffléàmahauteurenhurlantencoremonnometmechercheduregard.Quandil
finitparm’apercevoir,ils’accroupitprèsdemoialorsque,prostrée,jecherchemarespiration.—Jetejurequejeneluiaijamaisditça!Àpersonne!Jenel’aijamaisdit,surtoutpasàelle!
Jedoismetenirlatêtepourl’empêcherdetourneretfermelesyeuxpournepluslevoir.—Mia…Ilposesesmainssurlesmiennes,enserrantmonvisage,etattendsquejedisequelquechose.Maisqu’est-cequ’ilveutquejediseaujuste?Marespirationsaccadéeneluiéchappepas.Jesuisàdeuxdoigtsderéellementm’effondrer.Çane
m’étaitplusarrivédepuis…depuissilongtemps.—Toutvabien,OK.Calme-toi.Jesoufflebruyammentetilposesesgenouxàterrepourattrapermonpoignetetcalermapaume
sursontorse.—Tusens?Oui,jesens.Sesmusclessousmesdoigts,sapeautoujourschaudeetsurtoutlespulsationsdeson
cœur,commeauralenti.Jehochelatêteetouvrelesyeux.Nosregardss’accrochentl’unàl’autre.Lesoir,sesirisverts
sontplussombres.—Concentre-toilà-dessus.Neréfléchispas,OK?Ilmefautquelquessecondespourregagnerunrythmecardiaquenormalet jenesaispas,mais
perduedanssesyeux,jemesens…àl’abri.Lesimplefaitdem’accrocheràsonregardmefaitmesentirensécuritéetprotégéedetout.
Etévidemment,danscettemyriaded’émotionsquimetorddel’intérieur,ilyalapeur.Lapeurderessentirtoutçapourluietdelelaisserprendrepossessiondechaquepartiedemoicommeça,aussifacilement. La crainte qu’il ne découvre réellement qui je suis et ne prenne ses jambes à son cou.L’affolementdeperdretouscesinstantséphémèresaveclui.
—Jen’aijamaisditçaàAmbre,proclameIsaactrèscalmement.Ettudoisarrêterd’avoirpeurdetout,decequ’ilsepasseentrenous.Tudoisarrêterdeteposerautantdequestions,MiaGilmore.Jesaisquetun’assansdouteplusl’habitudedefaireconfianceàquiquecesoitetquejen’aipasété…quej’aiétéunvéritableenfoiréavectoidepuisledébut,maismêmesijenecomprendspasnonplustoutcequ’ilm’arrive,jesaisquejeneveuxplustefairedemal.Jeveuxjuste…J’aienvied’êtreavectoi…
Ilsemordlalèvre,butantsursesmots.Etbrusquement,jeluitrouveunairvulnérablequejeneluiconnaissaispas.
—Tupensesque jevais tropvite.Mais lavie est courte, je le saismoi.Un jour, jem’en irai,commetoutlemonde.Onaplusletempspourattendrebébé,ilfautvivre,toutdesuite,maintenant.Jeneveuxpascreveravantdet’avoir…avantd’avoirtoutconnudetoi.
Cette fois encore, ma gorge se serre. Mais plus pour les mêmes raisons. Je suis au bord del’émotioncardiaque.C’estpirequequandlecœurs’arrête.Parcequ’ilbattoujours,maissilentementqu’ondoittendrel’oreillepourl’entendre.
Jeretiremesdoigtsdesapoitrinepourlesglissersursonvisage,sajoue.Jedessinedupoucelecontourdesalèvreetjevoisquec’estluiquisemetàrespirerplusforttoutàcoup.
Alorsjemejettecontresontorseetrefermemesbrasautourdelui,latêtedanssoncou.Jemeperdsdanslesfragrancesdesonparfumd’homme.
J’aipeurdel’aimer.Sansm’enrendrecompte.J’aiencorepluspeurqu’ilnefinissepars’attacheràmoi,vraiment.Maispar-dessustout,maintenant,j’aipeurd’êtresanslui.
Unjour,autourd’unetableenaluminiumgrisedansunesalleblancheetfroide,Arizonam’adit:«IlexisteMymy.Celuiquiteserrerasifortdanssesbras,qu’ilrecolleratouslesmorceauxdetoi.
»Jen’yaijamaiscru.Toujourspersuadéed’êtrenéesansavoireuledroitd’êtreaimée.Isaac me serre dans ses bras puissants et plonge son nez dans mes cheveux. Nous restons un
momentcommeçaavantqu’ilmurmuredoucement,mefaisantrevenirsurterre.—Pourquoituaspeurdelui?Tuleconnaiscemec?Ilt’adéjàfaitdumal?Jesecouevivementlatêteetquandjeparleenreniflantmavoixestcassée.— Non. C’est… Il y a longtemps, nous nous connaissions. Mais… c’est mon passé, Zac, tu
comprends,je…,jenevoulaispaslevoir…Lamaind’Isaacs’estmiseàmassermoncouetjemelaissefaireparsesdoigtsagiles.—Tusemblaisavoirpeur.Iln’yapasderaison.Tusaisquepersonnenes’enprendraàtoiavec
moidanslesparages,hein,tulesais?Personneneteferaplusdemalcommeça,jetelejure.Jeletueraidemespropresmains.
Lamenacedangereusedanssavoixmeterrifie.—Jet’assurequecen’estrien…,ilnem’arienfait.Laisse-letranquille,d’accord?Promets-le-
moi!Jelechercheduregard,maisilmefuit.Alors,jel’attrapeaumentonetsenssabarbedequelques
jourssousmesdoigtsquandjel’obligeàm’affronter.—Prometquetuneferasrien.Ilnem’arienfait.Cen’estpaslui.Aucontraire,ilenaprisautant
quemoi.Alors,laisse-letranquille.Promets!Ilgrogne,maisàcontrecœur,ildit:—OK,çava.Jeteprometsques’il teregardeuneseulefois,jeneluicasseraiquedeux,trois,
dents.—Isaac…—Personneneteferarienici.Nitetoucher,niteregarderdetravers,nitedirequoiquecesoit,
nirien.Jelestueraitousavantqu’ilaitletempsdecomprendre.Jereposematêtedanssoncouetsenssoncœurbattrecontrelemien.Ilexagère.Ilneleferapas,
jelesais.Maisçafaitdubiend’entendrequ’ilpourraitsebattrepourmoi.—Jesuisdésolée,jemurmure.
Isaacsedétache légèrement,attrapemafermeturesousmonmentonetouvrecomplètementmaveste avantd’yglisser sesmainspourme reprendredans sesbras. Je respiredeplus enplus fort.Parcequemont-shirtn’estpastrèsépaisetquejesenssesdoigtssurmapeau.
—Pourquoi?—Pourmamauvaisehumeurettoutcequejet’aidit,hiersoir,cematin…—Tuesunevraieteigneetenplustuasunvraicaractèredemerde.Maisçanem’empêchepasde
passermontempsàpenseràtoi,devouloirêtreavectoi.Jerespiredanssoncouetfaisbougermeslèvressursapeau.—Etlesautres?Çaneleurplaîtpasdetevoiravecmoi.Ilseraiditunpeuetsesdoigtssecrispentdansmondos.—Ne t’occupepasd’eux.Nidecequ’ilspensentnidecequ’ilspourraientdire. Je te jureque
personnenesemettraentrenous.—Entrenous…,jerépètedoucement.L’idéedece«nous»melaisserêveuse.—Oui…,nous…Isaacm’attrape tendrement auvisage et je sens sonhaleinemêléedebonbonà lamenthe et de
tabacavantqu’ilnerefermesabouchesurlamienne.J’avaisfroid.J’aichaudd’uncoup.Son«nous»aréchaufféchaqueparcelledemoncorps.Ilestimpossiblededécrirelebaiserparfait.Maisc’estceluiquivoustordlestripesautantqu’il
voustordlessentiments.Celuiquiembrasechaquepartiedevotreêtre.Desmècheséchappéesdesescheveuxretombentsursonfrontetmechatouillelenezalorsquesa
languedanseautourdelamiennecréantunesublimesensationdechaleuraucreuxdemabouche,aucreuxdemonventre,aucreuxdemoi.
Je colle mes lèvres aux siennes et il sent l’invitation, car sa main droite redescend vers meshanchesenpassantdoucementsurmapoitrineaupassage.Monêtretoutentiers’enflammesouscettecaressesommetouteinnocente.
Jerespireplusviteetmurmuresonnomenhaletant.—Zac…—S’il teplaît…,resteavecmoicesoir…,souffle-t-ilcontremabouche.Chezmoi.Je teveux
chezmoi.Ledoutemesubmergeencore.—MadameSaint-Clair,elle…—Ellenedirarien,jetelepromets.Iln’yapasdesouciàceniveau-là.Fais-moiconfiance.Jesoupireethochelatêtedoucementalorsqu’ilserelèveetmetireavecluiparlesbras.—Viensavecmoi.
Mamain emprisonnée dans la sienne, il nous entraîne tout les deux vers les bords du port deplaisancedel’autrecôté,loindelapartieindustrielledesdocksetdubrouhaha.Etnousmontonssurundestripodesdebétonstaguésàlabombe.J’aivaguementletempsdemedirequ’undemesdessinsauMolotowseraitparfaitici.
Isaacm’aideàgrimperetmefaitasseoirentresesjambes.Auloin,lamernoired’encresouslecroissantdeluneàpeinevisiblefaitpresquepeur.Entoutcas,lavueestimpressionnantedesihaut.
MaisZac,lui,nes’attardepassurlepaysage,non.Ilmeretourneàmoitiéentresesjambespourpouvoirencorecollersaboucheà lamienneetposesamainsurmonventre. Ilm’embrasseetmecaressedoucementenmêmetemps.
Jesuisunbrasiergéant.Quand ses doigts froids se faufilent sousmon t-shirt et qu’il intensifie son baiser, je ne peux
m’empêcherdegémir.Duboutdel’index,ilsuitlacicatricesurmahanche.Avantdesedétacherdemoipourdemander,
lefrontcolléaumien:—Qu’est-cequit’afaitça?Jedoisdéglutirpourréussiràparler.—Jesuispasséeàtraversunevitre,unjour.Etj’aiétécoupée…,àdenombreuxendroits…Etc’estl’entièrevérité.Évidemment,jeneprécisepasqu’onm’apousséeàtraverscettevitre.Etquej’étaisdéjààmoitié
morte.—Tuneveuxpasmeraconter?Jesecoueencorelatêtepourdirenonetdesvoixfortesnousinterrompent.—Héoh,lesamoureux!Onpeutsejoindreàvous?Colline.Suivideprèsparlesautresdelabande.Ashton,lebrasautourducoudeM.J.,quisembleagacé,
chanted’unevoixforteetfausse.Ilaunenouvellebouteilleenmain,paslamêmequetoutàl’heure.J’aimeraislaluiarracher.
M.J.lerepoussed’énervementetilcontinueàchanterentournantsurlui-même,lesbrasgrandsouvertsetentitubantaussi.Tristespectacle.
Lesgarçonsetlesfillessonttousvenusnousrejoindre,maisuniquementceuxquejeconnais.Lesautresnesontpas là, restésde l’autrecôtésansdouteetStefannonplus.Jeremarquel’échangedehochementdetêteentreGabrieletIsaac.
Qu’est-cequ’ilspeuventbiensedirecommeça?L.A.,quialesyeuxrougesmaintenant,ritaussipourtoutetn’importequoietAntheaessayedela
tenir. Cela fait tellement longtemps que je ne me suis pas retrouvée dans des ambiances commecelles-là,queçamefaittoutbizarre.
Isaacm’attireledoscontresontorsequandM.J.vients’asseoirprèsdenousetqueGabrielsemetdel’autrecôté.Ilgrognedansmescheveuxcommel’oursmalléchéqu’ilest,parcequ’onnepeutpasêtreseuls.
Moi, je suis aumilieu d’eux trois.MOI, aumilieu de tous ces garçons.Et en fait, jem’y sensplutôtbien.
Lesfillesrient,parlentdegensquejeneconnaispas.Antheamefaitunclind’œilunmomentenobservantlesbraspossessifsd’Isaacautourdemoietjemesensrougir.
Jemedétournepourmedonnerunecontenanceetm’adresseàGabrielquiaalluméunecigarette.—Tut’esbattuavecquipourfinirdanscetétat?Sa joueaviré auviolet et sonœil estvraimentgonflé.Lui, sibeaud’habitude, avraimentune
mineàfairepeurcesoir.IlsecouelatêteetlanceunregardenbiaisàZac.Maiscelui-cineleconsidèremêmepasetmefixe,moi,enplissantdesyeux.Quoi?Jen’aipas
nonplusledroitdem’adresserauxgarçons?Çanevapaslefaireça.—J’aieulemalheurdedireuntrucsurtoiet…—TagueuleGab,l’arrêteIsaac.Gabriel ne finit pas sa phrase et se remet à fumer en haussant les épaules. Je me retourne,
estomaquée,versZac.—Tuas…Ilécrasesabouchecontrelamienneetm’empêchedeparler.—Çava,vousn’êtespasobligédefaireçaici,grogneM.J.,visiblementdemauvaisehumeur.Lui,ilestvraimentlunatique,bonDieu!Tantôttrèsjoyeuxeteuphorique,tantôttrèsgrincheux.J’essayedemedégager de la bouched’Isaac en reculant,mais il neme lâchepas et je dois le
repousserduplatdelamainpourqu’ilveuillebienmeregarderenface.—Tunepeuxpasfaireça.JenevaispasprendreladéfensedeGabriels’iladitunecrassesurmoi,maisjenevaissurtout
paslaisserIsaactapertoutcequibougejusteparcequ’ils’agitdemoi.—Quoi?—Frapperlesgenscommeça,parcequ’ilsdisentdeschosesquineteplaisentpas.Isaacsecouelatête.—Netemêlepasdeça.—Tuplaisantes?Çameconcerne.Tunepeuxpasfaireça!Gabrielsemetàrired’unriresanshumour.—TucroisquetupeuxdiscuteravecZac,Mia?Maisc’estperdud’avance.N’essayemêmepas.
Tuvoiscequ’onygagne.Il montre sa joue de l’index et Isaac fait un geste vers lui en grondant, qui le fait se lever
immédiatementets’éloignerversColline.
Jemedétourneensoupirantetsecouantlatête.J’ignorecequ’ilssepassententreeux,maisçanemeplaîtpasdenepassavoir.Surtoutsiçameconcerne.
Lesyeuxrivésauloin,jefixeparhasardlepontcouvertsurlagauchequirejointlesdeuxcôtésduportetvoitunemassenoireenboutdeponton,suspenduau-dessusduvide.
Jemelèvebrusquementenretirantlesmainsd’Isaacdematailleetregardevivementautourdenous.
L.A.chantehautetfortuneversionfaussedeBennieand theJets suivieparColline.AntheaestavecGabrieletilsdiscutenttouslesdeux.Aucunetraced’Ashtondanslesparages.
Moncœurfaitunbonddansmapoitrinequandenmeretournantjevoislamassenoiredel’autrecôtétomberd’uncoupdanslevide,plongeantdirectementversl’eau.J’aifait troispasenavantenouvrantlabouche,maisc’esttroptard.
—Ashton!Jehurleetmavoixforterésonneàmespropresoreilles.Dansunbruitsourd,lamasseheurtel’eausombre,pratiquementdouzemètresplusbas.Monpoulss’accélère,marespirationsefaitirrégulière.Jen’aipasletempsderéfléchirsijepeuxsurvivreàunechutepareillequel’adrénalinecourtdéjà
dansmesveines.Jem’élancesur le tripode,sautesurceluidedevantenmetordantpourretirermavesteetmes
talons et plonge la tête la première en entendant seulement le cri d’Isaac déchirer la nuit noirederrièremoi.
—MIA!NOOONNN!MIIIIIAAAAAA!!!
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LiveordieMia
DeuxansplustôtC’estlafindel’été.Lafindesjournéesàseprélasserausoleil.Lafindesaprès-midiàbouquiner
lespiedsdanslesableavecArizonaetsonamieMaya.Lafindesénormesbolsdesaladesdefruits,composésparmaman.Lafindestongsetdesshortsdeplage.Lafindesvacances.Lafindubonheur.
Demain,ilestderetourdechezsonpère.Etmoi…,moi,jesuisderetourenenfer.—Amy!Arizona me tire brusquement par le bras et le camion freine à un mètre à peine de moi en
klaxonnant.Jereculemollementetmasœurmesecoue.—T’esfolleouquoi!?Tunel’aspasvuarriver?!Lechauffeurjureenlevantlesmainsdevantluiavantderepartirenmefusillantduregard.—Non…Si. Je l’ai vu. Je l’ai fixé. Avec son énorme calandre et son imposant pare-chocs, ses roues
gigantesques,etsonpoidsimpressionnant.Ilm’auraitécrasée,ilauraitfaitdemoidelabouillie.Çadoitvraimenttuerviolemment,uncoupdecamioncommeça,depleinfouetetàcetteallure.
Çanedoitrienlaisserdevous,sinondusangàpertedevuesurl’asphalte.Jerêvedemourir.Violemment,pourqueçasoitvitefait,vitefinis.Uncoupdevoiture,çapeutvoushandicaperaussi,pasforcémentvoustuer.Uncoupdecamion,
poursûrqueçaneratepas.Quoique…, peut-être que si j’étais handicapée, ilme laisserait tranquille, il nem’approcherait
plus.Sij’avaisunejambeenmoins,çalerepousseraitpeut-être.—Tuviensouquoi?Arizonam’appelledel’autrecôtédelaroute,lesmainsenvisièrepourmeregardersouslesoleil
éclatant.Mayaattendentapantdupied,presséd’allermangersaglaceauchocolat.Jesecouelatête.—Jevaisallermarcherunpeutouteseule!jeluicrie.Arizonafroncelessourcils.—T’essûre?
—Ouais!Rentrez!—Sit’espasrevenuedansdeuxheures,jerevienstechercher!—Jerentreraitôt,promis.Masœurnesemblepasrassuréeetjettedefréquentscoupsd’œilenarrièrepourm’observer.Jepatientejusqu’àcequ’ellessesoientéloignéespourenfinpartirensensinverseetmarcherle
longdelaroutesilencieuse,dontl’asphaltesedéformesouslachaleurdecettesaisoncaniculaire.Unevoiturepassedetempsàautre.Maistrèspeu.J’attendsuncamion.Parcequeçafaitbeaucoupdedégâtsuncamion.Jepensedeplusenplusausuicide.Deplusenplussouvent.Maisjamaisjen’auraisimaginéquec’étaitsicompliquédemourir.Lescachets?Lavaged’estomac.Lacorde?Silenœudestmalfait,onpeutresterhandicapéàvie.Lanoyade?Quelqu’unauraitletempsdemesauveretmeranimer.S’ouvrirlesveines?C’esttroplong,onaletempsdesavoirqu’onvavraimentcrever.Enplus,jeneveuxpasmetuerchezmoi.Horsdequestiondefaireçaàmamère.Sauterdetrès,
très,haut.Unpontpeut-être.Maislàencore,çan’iraitpasassezvite.Etj’auraisletempsdevoirmaviedéfiler.Etpeut-êtrequejem’enremettrais.Jerefused’êtreréduiteàl’étatdelégumedansunlitouunfauteuil,nepouvantplusniparlernirien,emprisonnéedansmapropretête.Plutôtcrever,c’estlecasdeledire.
J’aimêmeapprisqu’ilexistaitdessitesd’aideausuicide.Genre,tut’inscrisettuorganisestoutavecdesidéesquechacunpeuttefournirsurleforum.
Quiestlefrappadinguequiainventéça?N’empêche, çam’a vachement aidée.Audébut, j’hésitais àm’enfermerdans le garage, dans la
voituredemaman,etlaissertournerlemoteur,enbouchantlepotd’échappement.Maisj’aiapprisquejepouvaissurvivreàçaaussi,siquelqu’unmedécouvraitavantqu’ilnesoit
trop tard. Et Arizona, bizarrement, ne me laisse que rarement longtemps seule. Comme si elle sedoutaitdequelquechose.
Jeneveuxpasquemasœurmeretrouvelapremière.Ellenes’enremettraitpas.Çaaétéundesétéslesplusgéniauxquej’aipassés,parcequej’aivécuensonabsence.Quatre
semainesdepurbonheur.Etçaaétél’étélepluscourtaussi.Laseuleombreautableau:sesamisétaientlàetmesurveillaient.Chaquecoindelavilleétaitimprégnédelui,desaprésenceétouffante.Etj’airéfléchichaquejourunpeuplusàlafaçond’enfinir.
Biensûr,aufond,toutaufonddemoi,jevoudraisqu’ilcrève,quecesoitluiquimeurt.Maisc’estjusteplusfaciledemetuer,moi.Parceque…,lui,ilestintouchable.Impossibledel’atteindre.Etquej’aisipeur,monDieu…
C’estledernierdimanchedesvacancesd’étéàCarmel.
Jerestelongtempsassise,leculdanslapoussière,auborddelaroute,àattendreuncamion.Jeneveuxpasretournerdanscetenfer.
Ladernièreannéedelycéedébutedemain.Ilapromisqueceseraitlaplusbelle.J’aicomprisqu’ilmeréservaitlepire.Pirequetoutcequ’iladéjàfait.Pirequenepourraitle
supportermoncorpsbrisé.Maislecielsemoquepeut-êtredemoi.Plusaucuncamionn’estpasséparCarmelcetaprès-midi-
là.**
SixmoisplustardLecœuréclaté, la lèvreaussi, lementonouvert et le t-shirtdéchiré,accroupie sur le carrelage
froiddelasalledebaindesachambre,lamaintremblante,jetiensfortlesciseauxentremesdoigts,plantésdanssoncou.Unseulmouvementetjeluiaitranchélajugulaire.
Les yeux grands écarquillés,Deaconme fixe avec horreur. Il y a dans son regard tellement desurprisequec’enestpresquejouissif.
Iln’imaginaitpasquej’auraislecourage.Quejepenseraisseulementàlefaire.Quel’idéemêmemetraverseraitl’esprit.
Mais je lui ai laissé une chance de s’en sortir. Je lui ai laissé la possibilité deme rendremaliberté.
Etlui…aditlaseulechosepouvantmefaireréagir.Jenelelaisseraipasfaireça.Jamais.—Am…Amy…,halète-t-ilenposantsamainsurlamienneetenglissantsurlecarrelagefroid.Je ravale mes larmes, serre les dents, le nez palpitant en manque d’air et le cœur au bord de
l’implosion.Maispasuneminute,jenelelâchedesyeux.Ouilmeurtmaintenant,ouc’estmoi.Maisçadoitsefinird’unemanièreoud’uneautre.
—Tupeuxessayer…,halète-t-ilencore,mais…je…ferai…toujourspartie…detoi…,jeserai…toujourslà…
Le liquide rouge et chaud s’écoule de l’entaille profonde en giclant bruyamment et forme uneflaque,plusgrandissantedesecondeenseconde.
—Non.Tuvasmourir.Etjevaisteregarderteviderdetonsang,jesouffledoucement.Iltressaute,ritets’étouffedanssonpropresang.—Onseretrouvera…enenfer…J’aipleuré,j’aieupeur,j’aieulecœurenvracensortantdecettemaisonpourrentrerchezmoiet
enmerendantcomptedecequejevenaisdefaire.Maispassur lemoment.Sur lecoup, je jureque j’ai jubilé, intérieurement.Dieuseul le saitet
sansdouteirai-jevraimentenenfer,maisj’aiaiméplantercettelamebrillanteettranchantedanssagorge.
Quelques semainesaprès, l’avocataplaidé la légitimedéfense.Onm’ademandédedireque jen’étaisqu’unevictimequin’afaitquedéfendresavie.C’étaitluioumoi.Jel’aituéàcontrecœur.
Maisc’estfaux.Cesoir-là,c’étaitjustemoi.Ilnem’auraitpastuée.Ilmevoulaitvivantepourmetorturerencore
etencore…Jenemesuispasdéfendue.Jel’aituéparcequejevoulaislefaire.Làesttouteladifférence.Devant le jugeet les jurés,devant sa familleet sesamis, j’auraisaimécrierhautet fort :« je
voulaisqu’ilcrève,bordel!Ets’ilétaitlà,jerecommencerais!».Jevoulaisqu’ilcrèveetcettepenséenem’apasquittéeuneseule foisde tout le tempsque j’ai
tenuelalamedesciseauxdansmesdoigts.Ilneferaplusdemalàpersonne.Ilnemeferaplusdemal.Jamais.Etilneluienferapasàellenonplus…
**PortdeplaisancedeGrandBay,aujourd’huiJ’aiétéfouettéeparl’eauglacéeaussiviolemmentquesil’onm’avaitdéchirélapeauaucouteau.Jereprendsunegrosserespirationensortantlatêtedel’eauetbâtfrénétiquementdesjambespour
resteràlasurface.Assourdie par les bruits, les vagues autour de moi, la noirceur, les ténèbres, je ne vois rien,
n’entendsrien.Àl’aveugle,mueparl’instinctdesurvie,jenage,dansn’importequelledirectiond’abord.Ilmefauttousseretfaireressortirtoutel’eaudemespoumonspourpouvoirémettreneserait-ce
qu’unson.—Ash…Enplissantdesyeux,jedistinguelescontoursflottantsdupont,loinau-dessusdematête.—Ashton!Moncœurseremetbrusquementàbattreet,terrifiée,jenageendirectiondesformessombres.Tournantsurmoi-même,parcequejenel’aperçoispas,l’effroicommenceàmegagner.Jecroisentendrecrier.Jecroisvoirdeslumièresauloinquis’affolentdanslesairs.—Ashton!Unevagueplusviolentequelesautresmepousseversl’avantetjeheurteunemassedurequeje
prendsd’abordpourunboutdebois.Avantdemerendrecomptequec’estlui.—Ash!Jel’attrapeaucolettentedeleretournerversmoi.Ilflotte,laboucheouverte,maisneréagitpas.Jelesecoueencore,maisaucunsignedevie.—Jet’enprie,Ashton…,respire…
Jenesaismêmepassinouspouvonsatteindrel’intérieurduport,maisilesthorsdequestionquejelelaissetomber.Avecbeaucoupdemal,j’essayedenagerenletirantavecmoi.
Maisjemedébatsavecquatre-vingtskilosdemuscles.Etplusj’avance,plussoncorpsnoustirevers le fond.Jedois lemaintenirà lapoitrine, serrécontremoipourqu’ilnecoulepaset senoiecomplètement.
J’ahaneetsuffoqueenlesecouant.— Je t’interdis demourir, espèce de crétin, imbécile…, si tum’entraînes…, je… je…, je te le
ferairegretter…Aprèstoutceàquoij’aisurvécu,ceseraittropbêtedemourircommeça.Etjeneveuxpas…,non,jeneveuxpasqueluinonplusnemeure.Medébattantavectoutelaragedevivredumonde,j’avanceencoredequelquesmètres,maissens
mesforcesm’abandonneraufuretàmesure.Jem’arrête,àboutdesouffle,etnepeuxplusquebattredesmembresencorelibrespourresteren
surfaceetnepasmenoyeraveclui.—Là!Là!Des voix affoléesme parviennent de très loin et je plisse des yeux sous une lumière vive qui
m’aveugle.—Attrapez-la!—Ilssontlà!OnretireAshtondemesmainsetaussitôt,desbraspuissantsmesoulèventetjesuishissée,dans
cequimesembleêtreunbateau,carçatangueendessous.Moncorpsestankylosé.—Çava?Mia…—Mia!Plusieurspersonnesmeparlentenmêmetempsetmoi,jem’effondrecontreleboisduplancheret
toussepourcracherl’eaudemespoumons.Magorgemebrûle.—MAIST’ESCOMPLÈTEMENTCINGLÉE!REGARDE-MOI!MIA!JesuispriseviolemmentparlesbrasetIsaacmesoulèveversluienmehurlantdessus.—T’ESCOMPLÈTEMENTFOLLE!JET’INTERDISDEMEFAIREÇA!QU’EST-CEQU’IL
T’APRIS?!TUAURAISPUMOURIR!PUTAIN!MIA!Leslumièresdansentdevantmesyeuxetsonvisageflous’effacedeplusenplus…Lenoirm’enveloppe.Jem’effondredanssesbras.
**Desyeuxbrunsdansentdevantmoi.Desyeuxavecunéclatmalsainetemplideperversion.Mais
trèsvite,ilssetransformentenirisémeraude,emplisdedésir,dedouteetdemystère.J’ouvrebrusquementlesmiensetmeretrouveàfixerunplafondblanc,virginal.
Unelumièreéblouissanteenvahitlapièce.Mon corps est douloureux. Je sens chaque partie demesmembresmebrûler désagréablement.
Maisquandj’essayedebougerlesjambesoulesbras,ilssemeuventnormalement.Trèsbien,nenousaffolonspas.Àpartlefaitquematêtesemblesurlepointd’exploser.—Mia?Jetournelesyeuxpourfairefaceauxdeuxirisémeraudequionthantémesrêves.Isaacmefixeetiln’yapasdedésir,dedouteoudemystèredanssespupillesencetinstant.Juste
uneespècededémencequej’aidumalàcomprendre.—Zac…—Mia!Leregardvertestpoussédecôtépourlaisserlaplaceàunautreaussiclairquelemien.Luke.—Commenttutesens?—Luke?Mononclemeprendlamainetmelaserre.Alorsseulement,j’observeautourdemoi.Lesmursvertsetblancs,lematérielmédicaletlablouseinformedanslaquellejemetrouve.Jesuisàl’hôpital.Etjemesouviens.—Ashton…,jesouffletoutbasenm’agitant.Est-cequ’ilvabien?Oùestcequ’ilest?Est-cequ’ilestblessé?IsaacseplantederrièreLukeetmerassureimmédiatement.—Ne t’inquiète pas, il va bien. Il est dans une chambre pas loin, il se repose. Il a une hanche
disloquéeetbeaucoupd’hématomesetdecontusions,maisiln’apasdecommotioncérébralenirien.Ilfautjustequ’ilseremette.
Jehochelatêteavantdelalaisserretombersurl’oreiller.J’ail’impressiond’avoireulecerveaupasséàl’essoreuse.
—Est-cequeçava?Commenttutesens?medemandeLukesoucieusement.—Unpeunauséeuse,jerépondsfaiblement.Quelleheureest-il?—Unpeuplusde08heuresdumatin.Tut’esévanouieetquandont’aemmenéeici,ilsontfait
desscanners,destests,toutelanuit,maisilsn’ontrientrouvéd’anormal.Jeserrebrièvementlamaindemononcle.—Jet’assurequeçavaaller.Tun’aspasappelémaman,hein?—Jecomptaislefairecematin,merépond-ilenfronçantlessourcils.Jerefermeunpeuplusmapoignesursesdoigts.—S’ilteplaît,non.Nedisrien.Jevaisbienetellevas’inquiéterpourpasgrand-chose.
—Tunepeuxpasmedemanderça,A…—Luke!S’ilteplaît!Ilafaillim’appelerAmydevantIsaac.Bonsang!Je neme retourne pas vers Zac pour voir s’il a compris quelque chose parce que je crève de
trouille. Non, je me contente de faire mon regard de chien battu à Luke qui finit par soupirer etsecouerlatêteenajoutant:
—Siellel’apprend,ellenemelepardonnerapas…—Ellen’ensaurarien.Jet’enprie.Ilhochelatêteetjesaisquej’aigagnélapartiemêmesi,uninstant,j’aivraimenteupeur.Isaacgrognequelquechosed’incompréhensibleetLukelefusilledesyeux.Cesdeux-là…—TupeuxnouslaisseruninstantLuke,s’ilteplaît?jedemandeàmononcle.Àsontourdegrogner.—Hmm…,trèsbien.Maissituveuxquejelemettedehors,iln’yapasdesouci,jeneseraipas
loin.Jevaisdemanderqu’ont’apporteunplateau-repas,OK?J’acquiesceetilsortnonsansavoirlancéunautredesesregardsassassinsàIsaacquiseprécipite
pours’asseoirauborddulitàsaplace.—Tuessûrqu’ilvabien?jedemandeencore,alorsqu’ilmeprendlamainpourl’enfermerdans
lessiennes.—Ilserepose.Oui,çavaaller,net’enfaispasOK?C’estdetoiqu’ilfautquetutepréoccupes.
Tuescertainequetutesensbien?Jevaisappeleruneinfirmièrepour…Ilfaitminedeselever,maisjel’arrêteentenantfermementsamaindanslamienne.Jeneveux
pas,vraimentpas,qu’ilparteetmelaisseseuleici.—Non.Resteavecmoi!Isaacserassiedetm’observe,maisavecuneespècedemal-êtredansleregard.—Jesuisdésolé,souffle-t-ilbrusquementcommesilesmotsdevaientêtreexpulsésdesabouche
leplusvitepossible,jesuisdésoléd’avoircriécommeça.Je…J’aicru…—Cen’estpasgrave.—Siçal’est.Avectoi,parcequec’esttoietquejeteconnaismaintenant,çal’est.Jesuisdésolé,
sweetheart.J’aicruquejet’avaisachevée.J’esquisseunfaiblesourireetsoupire.—Ilenfautbienpluspourmetuer,tusais…—Jesais.Nousnousregardonscommeçaettoutàcoup,jesenssesdoigtscalleuxdessinerlecreuxdema
mainetcegestememetenémois.
Maisjedoisluidirequelquechosesanspenserànous,àmoi,maintenant.—Zac…—Oui?—Ilnevapasbien.Ashton.Ilnevapasbien.—Maiss’il…—Non.Écoute-moi.Ilabesoind’aide.Ilsefaitdumal toutseul,enbuvantcommeça.Mais je
t’assurequ’iladessoucis.Il…,ilne…Jedéglutis,maisIsaacposeundoigtsurmabouche.—D’accord. J’ai compris. Je vaism’enoccuper.Arrête de t’inquiétermaintenant.Et…ne fais
pluscegenredechose.S’ilteplaît.Nefaisplusjamaisça…L’intensitédesonregardestsitroublantequejedoismesouvenirqu’ilfautencorerespirerpour
vivre.—Est-cequetuaseupeur?j’ose,enrougissantunbrin.— Oui, me répond-il sans hésitation. J’ai… J’ai vraiment flippé, tu sais. Si tu n’étais pas si
inconsciente…—Embrasse-moi.Marequêtesembleleprendreaudépourvu.Jelevoisàl’expressiondesurprisequis’estinstallée
sursonvisage.Pourtant, il ne fait ni une ni deux pour se pencher et poser fougueusement ses lèvres sur les
miennes.Iladopteunrythmepluscalmelorsqu’ilconstatequejen’aiplusdesouffle.NesyncopepasMia,surtoutpas.—Ettoi,est-cequetuaseupeur?demande-t-ilaussidoucementquemoiensedétachantàpeine.Jesuisperduequandilestsiprochedemoi.MonDieu.Ilsentsibon.Ilesttellementbeau.Mêmeaveccescernes.Mêmequand iln’estpasdouchéouchangéparcequ’ilest restéprèsde
moitoutelanuit.Personnen’estjamaisrestéprèsdemoitouteunenuitàs’inquiéter.ÀpartmamèreouArizona.
Aucunhommeentoutcas.—J’aieupeur…quetuneviennespasmechercher.Monaveurestesuspenduàseslèvres.Isaacrespireprèsdesmiennesetsescheveux,tombantau-
dessusdemonvisage,viennentcaressermonnez,monfront.—Jeseraisvenu.Jeviendraitoujourstechercher.Quand sa bouche touche de nouveau lamienne, quemes sens sont littéralement affolés par sa
proximitéetquemesseinssedressentsousmablouse,laportedelachambres’ouvrebrusquement,
nousfaisantsursauter.—Onpeutentrer?LestêtesdeGabriel,M.J.,Miguel,L.A.,AntheaetCollineapparaissentdansl’encadrement.Ilsse
bousculentlesuns,lesautres.Isaacsoupireetleurfaitdegrosyeuxenseredressant,tandisque,honteuse,jetireledrapdulit
surmoi.Iln’yaurajamaiseuautantdemondedansunedemeschambresàl’hôpital.Jamais.M.J. se laisse tomber près demoi, les bras derrière la tête s’attirant les foudres d’Isaac et les
autresprennentleursaises,commes’ilsétaientchezeux,toutsimplement.—Tucroisquejepourraisfumerdanslasalledebain?demandeL.A.àCollinequiluiarrache
sonpaquetdeclopesdesmains.—T’escomplètementfolleouquoi?!s’insurgecettedernière.Miguelmesecouelespiedsalorsque,discrètement,jetentedemerecoifferpournepasavoirla
têtecommeunniddecorneilledevanteux.Jenesaismêmepasàquoijeressemble.Puis,jen’aiplusl’habituded’êtresi…entourée.
—Alors,paraîtque t’asvouluprendreunpetitbaindevant tout lemonde,hiersoir?me lanceMiguelsarcastique.
Lui est bien apprêté et pas un brin décoiffé comme le reste de la bande. Jeme souviens qu’iln’étaitpaslàhiersoir.
—Tusaisquej’aimebienmefaireremarquer,jeluirépondssurlemêmeton.Il me sourit. Je lui rends. Miguel et moi, dans un bref moment de complicité. C’est assez
hallucinant.Lesautressemettentàdiscuter.J’apprendsqu’Ashtonestdansunechambrepasloinavecsamère
etqu’ildort.Toutlemondeparle,decequ’ils’estpassé,detout,derien,enoubliantuninstantquejesuiscelle
quivitdanslamaisonmauditesurlelac.IsaacfixeM.J.d’unairmauvaisquandcelui-citentedemeprendrel’autremainetavecpossessivité,ilpassesonbrasautourdemoienvenantsecolleràmescôtes.
Jeluiprendslamainetnousnousregardonsquelquessecondescommeça,endehorsdumoment,enoubliantceuxprésentsdanslapièce.J’ailecœurquibatplusvite,plusfort.
Parcequejedécidedem’ouvriràlui,vraiment,réellement.Deluifaireconfiance.Etça,jecroisqu’illecomprend.
8
Bienplusprofondquel’océanMia
«Elle pensequ’il vadire : je t’aime.Mais non. Ilmurmure une phrase plus importante.Unephraseàlaquelleellepenserasanscesse.Quisera l’essencedesonobsession.Puisses-tune jamaisoublierquejecroisentoi.»
DavidFoenkinosDeux heures durant lesquelles lemédecinm’a examinée, où j’aimangé un plateau, où j’ai été
forcéedepetitdéjeuneretoùjemesuisdisputéeavecLukepourquejepasselanuitchezlui,aucasoùilm’arriveraitquelquechose,nausées,têtequitourne,etc.,lecontrecoupduchocquoi.
«Aucasoù».Ondiraitmamère.MaismêmeIsaacaétéd’accord.Alorslà,c’estlepompon.J’aiquandmêmepuvoirAshtonavantdepartir. Justeaprèsque lesgarçonssoientsortisdesa
chambre.Quandjesuisentréepourluiparler,ilétaitréveillé.Latêtetournéeverslafenêtre,lesyeuxperdusdanslevague.Ilavraimentunesaletête.Jecrois
quec’estlapremièrefoisquejelevoiscommeça.Peusoigné,pascoiffé,aussipâleethagard.Jem’assiedsprèsdeluietrestesilencieuseunmoment.Ilsaitquejesuislà,maisn’engagepasla
conversation.—Ash…—T’avaispromisquetunediraisrien.Ilmefusilleduregardensetournantversmoi.Laculpabilitémesaisitàlagorge.—Je…,Ash…Ilmecoupeetgrognequelquesmots:—Non.T’avaispromis,putain.T’avaisditquetuluiparleraispas.Tunesaispascequet’ascréé.
Ilva…—Isaacvat’aider.Commetoutlemonde.Iln’yapasderaisonsquetutraversesçatoutseul.—Maismerde,Mia!Tunecomprendsrien!Tunesaispasdequoituparles,tulaconnaispasma
situation!Isaacvavouloirm’aideràsafaçon.Il…,jenevoulaispaslesmêlerencoreàça.Ilvaletuer!
Maistuerqui?!—Jedevaisluidire,Ash…
—Sorsd’ici.Ilsedétourneverslafenêtreetjeserredespoings,empêchantmeslarmesdecouler.J’aienviede
pleurer,maisuniquementparcequejesaiscequ’ilressent.Cequ’il traverse.Ilestencolèreet ilapeur. Il a l’impressionque je l’ai trahi et qu’il est tout seul. J’ai envie depleurer parceque jemerevoisàsaplaceilyaunanetdemi.C’estcommesic’étaithier.
—Jesuisdésolée.Maisjedevaislefaire.Pourtoi.Jemelèveetsorsdelachambre,abattue.Les garçons sont déjà tous équipés et attendent. Luke aussi. Les filles sont parties depuis un
moment.Je les suis et monte avec mon oncle dans sa Jeep grise. Isaac se penche à la fenêtre pour
m’embrasseretLuke tousse tandisque je rougis jusqu’à lapointedescheveux. Il le fait exprèsouquoi?
—Qu’est-cequetuvasfaire?Oùest-cequevousallez?L’angoissecommenceàmesaisirlorsquejevoisl’airdéterminéqu’ilasurlevisageetquejeme
rendscomptequelesgarçonssonttoustrèssérieux.J’espèrejustequ’ilsnevontpasfairedeconneries.—T’inquiètespaspourça.Jeviendraitevoircesoir.Repose-toi.Jen’aipasletempsderépondrequ’ilaenfourchésabête.Luke file sur la quatre voies qui nous ramèneversHélèneGrove, les quatremotos desAnges
autourdenousfaisantunboucand’enfer.Ondiraitquenoussommesunconvoispécialetqu’ilsnousescortent.Lesgensnousscrutentbizarrementetmoijelessuisduregarddanslerétro.Ilsmefontpresquepeurcommeça.
Àl’entréed’HélèneGrove,ilsseséparentdenousetfilentverslagauchedansunedirectionquejeneconnaispas,soulevantdelapoussièrederrièreeux.
LesyeuxdeLukefontdesallers-retoursentremoietlaroutetandisquej’aileregardbraquésurlerétroviseurpourvoirlesgarçonss’éloigner.
—Tuasl’airproched’eux.Jenerépondspas.—Mia…,tunelesconnaispasvraiment…—ArrêteLuke.Ilsnesontpas…commetucrois.Pourquoijeprendsleurdéfense?Aprèstoutcequ’ilsm’ontfait,j’ensuislà,àprendreleurdéfense.— Je les connais depuis plus longtemps. Je sais qui ils sont. Ce ne sont pas demauvais gars.
Mais…ilsnesontpaspourtoi.Tudevaist’effacerenvenantici.Aveceux,çanerisquepasd’êtrelecas.
Parcequ’ilcroitvraimentquej’aieulechoixdepuisledébutdetoutefaçon?
Cetteconversationeststérile.JenerépondspasetLukesoupirefaceàmonmanquederéaction.Quandilmedéposedevantchezmoi,jen’aijamaisétéaussicontented’êtreàlamaison.—Jevaisbosser.Maisjefiniraitôtaujourd’huietcesoirtuviendraschezmoi.Isaacaditqu’il
t’emmènerait.—Depuisquandvousdécideztouslesdeuxdecequevousallezfairedemoi?Lukesoupireencoreetjemeretiensdehurler.Ilsm’énerventtousàmeconsidérercommeunegamineenmanqued’attention.Jepeuxtrèsbienprendresoindemoi!UnefoisLukereparti,jemeposedansmoncanapéavecMinuit.Quellenuit,quellesoirée,bonsang!Lerestedelajournéepasseaussilentementquejem’yattendais.J’appelleIsaactroisfois,ilne
répondpas.J’hésiteàcontactermamèreégalement,maisencoresouslecoupdetoutcequejetraverseavec
euxencemoment,j’aipeurd’avoirlavoixtroubléeparl’émotionetqu’elleleconstate.Finalement,jefaisuneséancedeyogad’unebonneheurepourtenterdemedétendre,prendsune
doucheetdécidede faire leménagechezmoi.Cequim’occupeunegrandepartiede l’après-midisanspourautantmefairepenseràautrechosequecequ’ilssontentraindefaire.Jemedemandecequ’il s’est dit entreAshton et Isaac et ceque les garçonsont décidéde faire. J’espère juste nepasavoirfaitdeconneries.Jenemelepardonneraispas.
Mais j’ai détesté, moi, l’indifférence des autres lorsque j’allais mal. Les gens sont lâches,n’aiment pas se mêler de la vie d’autrui, même si cette personne a vraiment besoin d’aide. Non,chacunpréfère rester bien tranquille, enfermédans sa petite existence paisible.Et quandundramesurvient,onentenddes:
«C’estvraiqu’elleétaitbizarrecettefille».«Ellenedisaitjamaisbonjour».« Nous sommes voisins depuis tellement d’années, je ne pensais pas qu’un truc pareil pouvait
arriver.Commequoi,onneconnaîtpasvraimentsesvoisins».Ettoutuntasd’autresramassisdeconneries.N’empêchequej’aipeurdecequepeuventfairelesgarçonsàl’heureactuelle.Ilest18heuresquandlaTriumphd’Isaacsegaredevantlamaison.Jesautesurmespiedsetvais
directementl’attendreàlaporte.Quandilôtesoncasque,jeluireconnaistoutdesuitecetairpréoccupéetinquietquinel’apas
quittédepuisquej’aisautédansleport.Ilavanceversmoienretirantsesgantsetjeremarquesespoingsécorchésetencorerougis.—Hey.Tuvasbien?
C’estluiquimeposelaquestion?—Oùestcequevousétiez?Qu’est-cequevousavezfait?Vous…Ilmecouped’unbaiseretjemeretiensàlaportepournepastomber.Cettefaçonqu’iladeréagir
naturellementcommesinousétionsuncoupledepuislongtemps,çameperturberéellement.—Isaac?—Toutvabien.C’estréglé.—Vousaveztuéquelqu’un?OK,laquestionestunpeuabrupteetparaîtraitrisibleàn’importequi.Maispasàmoi.—Non. Tu n’as pas besoin de savoir ce qu’on a fait. Juste qu’il n’y aura plus de problèmes.
PersonnenelèverapluslamainsurAsh.—Commentça,jen’aipasbesoindesavoir?Sansmoi,tun’auraismêmepasvuqu’ilallaitsi
mal.Aucundevousnecomprend.Dis-moicequ’ilsepasse!Nousnousaffrontonsduregardet,àprésent,jeserrelespoingsd’énervement.Ilsefichedequi
là?Jeveuxsavoir!—Mia…—Isaac.Montonacerbearaisondelui.Ils’avancepours’installersurlesmarchesdemonperronetsortsescigarettesdesapoche.Ilfumetoujoursquandilestàcran.Jem’assiedsprèsdelui,maisilluifautunmomentavantdeparlerenbraquantsonregardsurle
lacscintillantderrièrelequelsecouchelesoleil.—Ashtonaunefille.Iladitçad’untontrèscalme.Etmoi,jelefixe,abasourdie,essayantdedigérerl’information.Unefille?Commentça,unefille…—Il…tuveuxdirequ’ila…—Un enfant, un gosse, une fille, oui. Erine a quatre ans.Ash sortait avec une fille il y a des
années,Luna.Elleesttombéeenceinteetsafamilleesttrèspuritaineetcesontdesgens…bref,elleaaccouchéetilsontrefilélamômeàAshtonetsamère.AvantdedéménageràNewYork.
Ilsetaituninstantetjem’efforcedecomprendretoutcequ’ilmeditetderemettretoutçadansl’ordre.
—OK.Ilaeuunefille.Trèsjeune.Mais…enquoiçaexpliquelereste…—Lepèred’Ashtonétaitunbâtarddepremière.Il…,ilfrappaitsafemme,sesgosses.Jusqu’àce
qu’ilfoutelecampunjouretnerevienneplusjamais.MaisAshaunfrère.Ungrandfrère.Jax.Quiasuivilestracesdesonpaterneletfaitpassersesaccèsderageetcolèresureux.C’estMalouquipayelesétudesd’Ashton,tusais.Enéchange,ellevoulaitqu’ilrésidesurlecampuspouravoirlatêtedans
sescoursetpasdanstoutecettemerde.Lamèred’Ashs’occuped’Erine.Jaxestpartilongtemps.IlavécuenCalifornie,jecrois.Maisilestrevenu.Jenesavaispas.Etçadepuisdeuxmoisdéjà.
Lespoingsd’Isaacseserrentquandilditçaetilenécrasepresquesacigarette.Jenepeuxm’empêcherdeposermamainsursacuisse.Illaregardeuninstantavantdesetourner
versmoi.—TunedoisparlerdeçaàpersonneMia.Personne.—Jen’enparleraipas.Jamais.C’estpromis.Mais…qu’est-cequevousavezfait…Ilsoupire,puisenvoievalsersacloped’unepichenette.Avectouteslesherbesfollesqu’ilyaici,
unjour,ilfiniraparfairecramermamaison.—OnajustefaitcomprendreàJaxqu’ilavaitintérêtàsecasseretques’ilremetlespiedsici,il
estmort.Toutsimplement.—Est-cequevousl’avezfrappé?—Arrêtedeposerautantdequestions.Tun’aspasenviedesavoircequ’onluiafait.—Jeveuxsavoir.—Tunet’enremettraispas.Unfrissonmeparcourtl’échinedorsale.Ilal’airvraimenttrès,très,sérieux.—Isaac…—Jenelaisseraijamaispersonnefairedumalauxgensquej’aime,Mia.Personne.Lalueurdanssonregardmeditqu’ilnejouepassurlesmots.Isaacsepenchepourm’embrasser
doucement.Etjemedemandes’ilparleseulementd’Ashtonou…demoi,également.Lesbaisersemplisd’émotioncommeçameretournentl’estomac.Isaacm’attrapeparleshanchesetm’attirecontreluipourmeprendresursesgenoux.Je referme mes doigts dans ses cheveux en m’asseyant à califourchon sur ses cuisses. Et lui
soupirecontremabouchequandjeluirendssonbaiserenfiévré.Lorsque je quitte ses lèvres et que nous nous fixons, j’ai le cœur qui bat àmille à l’heure.La
façondontilmeregarde…Jesaiscequ’ilvadire.Etjenesuispaspréparéeàl’entendre,àlegérer,mêmesimonêtreledésireplusquetout.—Mia…—Zac,jet’enprie…—Mia,écoute-moi.Laisse-moiledire,s’ilteplaît.Non,non,neledispas…Ilrefermesesmainsautourdemonvisageetm’attirepourposersonfrontcontrelemien.Lesbattementsdemoncœuremplissentmatêtedésormais.—Mia…,jecroisquejesuisamoureuxdetoi.Non,enfaitj’ensuissûr.Jesuisamoureuxdetoi.Etvoilà.
Illesaprononcés.Lesmotsquejeredoutaistantenmêmetempsquejelesappelaisdetoutesmesforces.Moncœursegonfled’amour.Etdepeuraussi.Maiscommentluidire?Mesyeuxs’embuentdelarmes.Jemurmure:—Ilnefautpas,Zac.Ilsereculelégèrementpourm’observerdesespupillesbrillantes.—Pourquoi?J’aipeur.Peurdeluidire,deluiexpliquer…Mavoixsefêlesousleslarmesquimenacentetmeserrentlagorge.—J’aifait…deschoses,Isaac…Avanttoi,j’étaisuneautrepersonne.Tunesaispas…quij’étais,
cequim’estarrivé…J’aifaitdeschoses…,impardonnables…Uninstant,Isaacm’observetrèssérieusementetj’aipeur,peurqu’ilmejugeetmerepousse.—Jesais,souffle-t-iltoutdoucement.Jesais.—Non,tunesaispas.—Si,jet’assure.Jesaisquitues.Tuesuneguerrière.Jemefichedequituétaisavant,deceque
tu as fait. Je sais que tu neme dis pas tout de ton passé,mais laMia qui est là, devantmoi, je laconnais.Et riennemeferachangerd’avis, riennipersonne. Jenesaispas toutcequi t’estarrivé,maisjetejurequepersonneneteferaplusjamaisdemalcommeça.Personnenet’obligeraàêtrecequetuneveuxpasêtre.Jen’aipaspeurdecellequetuétaisavant.Jenevaispasterejeterparcequejevaisapprendreuntruchorrible,bébé,tun’aspasàavoirpeurdeça.Jetedéfendraienversetcontretous.Tudoismefaireconfiance.Parcequetoutcequejeressenspourtoi…est…bienplusprofondquel’océan.
Sesparolesmefontpleurerpourdebon.Ilessuiemeslarmesdesespouces.Iln’aaucuneidéedecedontilparle.Ilnesaitpascomment
mon nom pourrait entacher le sien et l’empêcher d’avancer dans la vie. Mon histoire est trèsdifférentedecelled’Ashtonetbeaucouppluscompliquéeaussi.
—Tuasperdu,jesoufflebêtementenmerappelantcequ’ilavaitditsurlepremierquitomberaitamoureux.
Ilsourit.Jefonds.—Tumefaisconfiance,Mia?Avectoi,jeneperdsjamais.Sesyeuxvertstranspercentlebleudesmiens.Jehochelentementlatête.—Jetefaisconfiance,Isaac.Ilsourittendrementetrefermesabouchesurlamienne.Tropd’émotionsmesubmergent.
C’estvrai,jeluifaisconfiance.Plusquen’importequi.Quand il me tire vers lui par la taille, je glisse mes bras autour de son cou et me soulève
légèrementpourêtreencoreplusprochedelui.C’estassezimpressionnantcommejemesenschezmoidanssesbras.Commejemesensbien.Libreetofferteàlafois.
Je n’ai jamais autant aimé appartenir à quelqu’un. J’aimerais lui rendre lesmots qu’il vient deprononcer,luidirequemoncœurdéborded’amourpourlui,maisj’aisipeur.Sipeurdeledireetdemetromperencore.Sipeurd’avoirmaletdesouffrirplusencorequejamais.Parcequejelejure,j’enmourraiscettefois.
9
LanuitdesmortsMia
«Lesmonstresexistentvraiment,lesfantômesaussi…Ilsviventennous,etparfoisilsgagnent.»StephenKing
Unesemainequ’Isaacm’adit toutçaetachamboulélanouvelleMia.Etpourtant,nousn’avonspas réussi à avoir unmoment ànous.Lukeme surveilleplusque jamais. Il veut constammentquenouspassionsdutempsensemble;toutletempsmangeravecmoi,m’emmenertravailler…,commes’ilsesentaitcoupabledequelquechosequejenecomprendspas.
Isaac,quantàlui,necessedemesurprendre.Jamaisjen’auraispucroirequ’ilsemontreraitaussiattentionnéenpublic.Lorsquenoussommesencoursd’art,oumêmedehors,ilnemelâchepresquejamais.Migueljouelesdégoûtéstoutletemps,maisj’ail’impressionqueçaledérangedemoinsenmoins.Antheaestdevenueunebonnecopine,jedirais.Onnepeutpasparlerd’amitiéàproprementparlé,maiscettefillemagnifiqueetunbrinmystérieuse,aunombizarre,saitmemettreàl’aisequandellevoitquejenemesenspasàmaplace.Ellememontresesimmensesailesencréesdanssondosetsesautrestatouages.Àaucunmoment,ellenefaitallusionàmarelationavecIsaac.
AuRubis,Isaacestlàtouslessoirs.Parfoisaveclesgarçons,parfoisseul.AugranddamdeVincecarilfaitsouventfuirlesclients.
Jemesenstropobservéeaveclui.Ilmereluquesansgêne,maisnelaissepersonnem’approcherdetropprès.Troppossessif.
Pourtant, ça n’a rien à voir, strictement rien, avec la possessivitémaladive dont faisait preuveDeacon.
À la findumoisd’octobre, tout lemondeneparlequede la soiréed’Halloweenqui a lieudenouveauaumanoirGroz.Etmoi,jen’aiabsolumentaucuneenvied’yaller.
MaispourIsaac,laquestionneseposemêmepas.C’estunesoiréeàlaquelletoutlemondevaserendre.Etapparemment,ilcomptesurnousaussi.
Cora qui sortmaintenant avec Jon, l’ami deKillian, y sera également et n’en finit plus demerebattre les oreilles avec ça. Elle sera déguisée en veuve noire etm’a trouvé un costume de petitchaperon rouge. Selon elle, c’est parfait pourmoi. J’en suismoins convaincue.Mais elle compteaussisurmaprésence.
**Lesamedi,jesuissurlesdentstoutelajournée.CorayvaavecJohnetilestcertainqueKilliany
sera.
Nonpasquejelecraigne,maisdepuisl’incidentdeladernièrefois,jen’aipastropenviedemeretrouverenfacedeluiavecIsaacàmescôtés,depeurqueçanedégénèredenouveau.JesuissûrequeKilliann’estabsolumentpasattiréparmoi,maisqu’ilafaitçaseulementpourirriterIsaac.
Çanem’empêchepasd’êtrenerveuse.Aucontraire.IlcommenceàpeineàfairenuitsurHélèneGrovequandjesorsdemasalledebainaprèsune
longuedouche.Montéléphonesonneencontinudepuisdeuxminutes.Isaac,Cora,ouM.J.;jeneveuxmêmepas
savoirquic’est.Ilsmeharcèlenttousdepuishier.—Allô?Unedrôledevoixmerépond.Commedansunrâleprofond.—Allô…—Oui.C’estqui?—Tuessûredebienavoirfermétesvoletscesoir?C’estuntimbremasculin,ça,c’estsûr.Maisilal’airdéformé.Jefroncelessourcilsetéloignemonécrandemonoreillepourregarderquim’appelle.Numéroinconnu.Non,maisc’estquoicesconneries?—Quic’est?jedemandedenouveau.—Laquestionn’estpasquijesuis,maisoùjesuis.Peut-êtrejustederrièretaporte.Je me retourne vivement vers l’entrée de la maison et sens une vague de peur me parcourir
l’échine.Siunimbécileadécidédemefaireuneblaguecesoir…—Zac?Unriresadiquerésonnedanslecombinéquejecoupebrusquement.Jemetsfinàlaconversation
ethésiteuninstantàmeprécipitersurmaportepourlarefermeràclé.Maisaumomentmêmeoùjemefaiscetteréflexion,lapoignéequejefixesemetàtournersur
elle-même.J’aidéjàressentilapeurpanique.Lavraie.Etjesaisquelà,elleestbienderetour.Unsursautdeluciditémefaitmelevervivementenlâchantletéléphone.Jemeprécipitealorssur
laporte.Troptard.Elles’ouvreengrandsurunesilhouetteimmense,envoiléedenoire,unvisageblancauxyeuxet
àlabouchenoire,ouverteetdégoulinante.J’émetsuncristridentenreculantetensautantsurplace.Jehurlesifortquejesuissûred’avoir
explosémesproprestympans.Lecouteaubrandi,dontlalameluisantesedétachesurlanuitsombreetdanslalumièredemon
salon,mefaithurlertoujoursplus.
—Aaaaaah!!!—Maisarrêteeeeee!!!Tuasfaillimefaireavoirunecrisecardiaque!L’assassindeScream{8}retiresonmasqueetM.J.halète,presquerougeetessoufflé.—Onpeutpastefairedeblagueàtoi!Monhurlementsetransformeensanglotetj’aidéjàsautésurmoncanapé.—ESPÈCED’IMBÉCILE!CRÉTIN!Jeluibalancemescoussinsàlafigureavectoutelaforcequej’aienmapossession,bienqueje
trembleencore.—Maisc’estHalloween,Mia!TrickorTreat{9},toutça,tuconnais?Enplus,tuaslamaisonla
plusflippantedeKaloa.C’estsûrquelesgensvontvenirsonnertoutelanuitcheztoi.Je dois appuyer ma tête contre le mur un instant en fermant les yeux pour ne pas faire une
syncope.M.J.branditunpetitappareilnoiretparlededansenappuyantdessus.—AllôSidney?Quelesttonfilmd’horreurpréféré?—Vatefairefoutre,Junior!J’aieulatrouille,merde!Ilritdoucementetbalancesonfauxcouteauetsonmasquesurlatable.Juniordansunerobenoire
immense,çafaitbizarre.Biensûr,c’estunerobedetueurensérie,maisquandmême.Je descends m’asseoir sur le bout du canapé, le visage entre les genoux pour reprendre ma
respiration.—Quellechochotte.C’estHalloween,Mia.Ilestoùtoncostume?—Encoresoushousse.Jenesaispassijevaisvenir.Je…jemesenspastrèsenforme.M.J.secouelatête,d’unairexaspéré.—N’importequoi.Onyseratous.Çavaêtremortel!—Jenesuispasàl’aisedanscegenredesoirée.Et…jenefaispaspartiedelabande,OK?Il hausse les sourcils et ouvre grand les yeux en penchant la tête en avant, pour me regarder
commesij’étaissoudainementdevenuecinglée.—T’espassérieuselà?Désolédetel’apprendre,mais…tusorsavecZac.Biensûrquetufais
partie de la bande. T’as rien compris toi, hein. Tu crois que t’as le choix désormais ? Fallait yréfléchiravant.
Jem’apprêteàl’injurieretàlefustigerquandmontéléphonesonnedenouveau.SûrementIsaac.JedécrochetoutenlançantunregardnoiràM.J.quimepassedevantcommes’ilétaitchezluiet
filedanslasalledebainsansdemanderlapermission.Enplus,ilpisseenlaissantlaporteentrouverte.Quelenfoiré!—Allô?Silence.J’observel’écran.Numéroinconnu.
—Allô?Silence.Puistoutàcoup,unerespiration.Trèsfaible.—Aaaaaallô!Pasderéponse.—Bon,çasuffitlesconneriesmaintenant!M’enfousquecesoitHalloweenoulafêtedelaSaint-
Glinglin,vousstoppezçatoutdesuite!C’estquicettefois?Gabriel?Miguel?Vouspenseztousquej’aiqueçaàfoutre,merde!Arrêtezdefairechier!
Jeraccrocherageusementetbalanceletéléphonesurmoncanapéaumomentoùleslumièresdetouteslespiècess’éteignenttoutesseulesenmêmetemps.
Jerestehébétée,plongéedanslenoiruninstant.Avantdeserrerlespoings.—M.J.,cen’estpasdrôle!T’arrêtesçamaintenant!—Merde!mecrie-t-ildelasalledebain.Cen’estpasmoi,jetejure!Etlesgarssontdéjààla
soirée,jepensequetesplombsontdûsauter.Etsij’aipisséàcôté,cen’estpasmafaute,j’yvoisplusrien.
Jesoupireettenteàl’aveugledemerendreàlacuisineenmeguidantavecmesmains.Unefoislà,j’attrapeuneboîted’allumettesetdesbougiesdansundespremierstiroirs.Etquandj’encraqueune,etlafaisflamber,lalumièredelapetiteflammeéclairelevisagedeM.J.quejen’aimêmepasentendu.Lafaibledistancequinousséparemefaitfaireunbondenarrière.Cesoir,avecsatêtedetueurensérie,ilfaitcarrémentflipper.
—C’estmoi.—Bordel,maisarrêtedefaireça!Ilsoupireetm’arracheunebougiedesmains.—Jevaisallervérifiertoncompteur.—Jeviensavectoi.Colléeàsondos,j’attrapeunmorceaudesarobeavantdelesuivre.—Jerêveout’esflippée?—J’aimepasêtre…sanslumièrecommeça.Dehors,unebrisesouffleetnousapportel’airpoisseuxdulacquiscintillesouslalune.Lapleine
luneenplus.Pourunsoird’Halloween…Lecompteurabiensauté.M.J. le remet en route et l’électricité de la maison revient en même temps que les lampes se
rallument.Aumêmemoment,unevoiturefaitletouretsegaredevantlabâtisse.Labatmobiled’Isaac.JelâcheM.J.,lagorgeserrée,lesmainsmoites,lecœurpalpitant.Commechaquefoisquejevaislevoir.Maislà,c’estdepireenpire.Aprèstoutcequ’ilm’adit.
J’ai toujours du mal à réaliser que nous sortons ensemble. Réellement. Que moi je sorte denouveauavecquelqu’unestunfaitassezsurprenantmême,etsurtoutpourmoi.Maisqu’enplus,cesoitlui,c’estencoreplusabsurde.
Quand il bondit hors de sa voiture, mes pieds s’avancent tout seuls vers lui. Il est beau.Terriblementattirant.
Complètementfascinant.Lafaçondétachéequ’iladesepasserlesmainsdanslescheveux,detirersurlaceinturedeson
pantalon,desemouvoirtoutsimplement.J’aienviedeluisauterdessus.ArrêteMia,tubaveslà…Ilmesouritetlavuedesescaninespointuesmefaitsouriremoiaussi.Ilporteunsimplejeans,
maisunebellechemisenoireetrougecettefois.Delacouleur,surIsaac?SonexpressionenjouéesefigequandilaperçoitM.J.,maisilserattrapeetgrimpevivementles
marchesavantdevenirmeprendredirectementdanssesbras,envoyantJuniorauxoubliettes.—Bonsoirtoi,souffle-t-ilcontremeslèvres,entrecoupantsaphrasedebaisershumides.Jemeretiensaucoldesachemise,laboucheouverte,offerteàlui.—Bonsoir,jesoupire,complètementsoussoncharme.—Tuesprête?—Non.Je…—Elleveutpasyaller,assèneM.J.dansmondos,nousrappelantsaprésence.Isaacm’observeenplissantdesyeux.—Pourquoi?JezieuteunpeuversM.J.etIsaaccomprendquejeneparleraipasdevantlui.—Qu’est-ceque tufais là toi? luidemande-t-il,abrupt,alorsquesonamiestrentrérécupérer
sonmasqueetsoncouteauetquenouslesuivons.— Jeme pose lamême question, grogne ce dernier en nous passant devant et en dévalant les
marchessansplusmeconsidérer.Salut.JelâcheIsaacpourluiemboîterlepas,maisils’estdéjàenfuidanslanuit,letueurdeScream.—M.J.!Isaacmeretientparlebras.Ilm’énerveunpeu.BonOK,beaucoup.Mais jenesaispas, je l’aimebienM.J.,mêmeavecses
sautesd’humeurimprévisiblesetsonairméchantparfois.—Laisse-le,medit Isaacalorsque jesoupiredevoirM.J.partir fâché.Il fautqu’ilcomprenne
quetuesavecmoietc’esttout.JereviensdanslamaisonavecIsaacetfermelaporteàcléderrièrenouscettefois.—Ilestaucourant.—Détrompe-toi.M.J.adesvuessurtoi.
—N’importequoi.—Outuesvraimentmiro,outuesvraimentmiro,soupireZacens’installantsurlecanapé,les
piedssurmatablebasse,lesmainsderrièrelatête.Jeme retiens de lui envoyer une remarque cinglante sur la présencede ses pieds surma table
blanche.Jevaisdevoirtoutnettoyerderrièrelui.—Enquoituesdéguisé?jedemandeensoufflantlesbougies.Ilsouritetmemontresescaninespointuesaunaturel.—JesuisDraculacesoir,çanesevoitpas?Jesecouelatêteetmepenchepourramasserlescoussinsquej’aijetésàlatêtedeM.J..Isaacjette
uncoupd’œilmauvaisàlapièceetobserveensuitelesbougiesparfuméesfumantesenfronçantlessourcils.
—Vousfaisiezquoi,touslesdeux?Àmontourdefroncerlessourcils.—Rien.Jen’argumentepas.Nisurlescoussinsnisurlesbougies.Jeneluidonneraipasd’explications
pourqu’ilarrêtedesefairedesfilmsparcequejen’airienàmereprocheretquejen’appartiendraiplusjamaisàquelqu’undecettefaçon-là.Ilvafalloirqu’ilapprenneàmefaireconfiancesiondoitêtreensemble.Jenevivraiplusderelationcommej’aivécu.
Isaacnerépondpas,maisàsonairmauvaisetàsafaçondefixerlevide,jesaisqu’ilseretientdem’envoyerunepiquebienmordanteoudemeforceràluidirecequ’onfaisait.
Jesoupireetviensmeposerprèsdeluisurlecanapé.Peut-êtrequec’estaussiquejeneluiaipasrenducesparolesilyaquelquesjours.—Zac…—Pourquoituneveuxpasvenircesoir?—Jen’aijamaisaimésortirdanscegenredesoirée.Jepréfèreresterchezmoi.Maisvas-y-toi,
toustesamisysont.Isaacseretournepourmefixerunmoment,puisseredresse.—Dis-moivraimentquelestleproblème,Mia?—Iln’yenapas.Sonregardperçantmefaitrougirunpeuetjesoupireenavouantdoucement:—Cesonttesamis…,etpuis…ilyauratropdemonde…—Quelmonde?Ilinsiste.PasbêteIsaac.Ilasentimaréticence.—Tonfrère…,Ambre…—Mia, je t’arrête tout de suite. Il est hors de question que tu ne sortes pas avec moi parce
qu’Ambreseraprésente.Ilyaurauntasd’autresfillesquej’aiconnuquiserontlà.Maisjeseraiavec
toi,seulementtoi.Jemelèveparcequejesuisnerveuseetn’arrivepasàresteruninstantenplaceaveclui.—Jen’aimepascegenredesoirée.—Dis-moilavérité,insiste-t-il.Jecroisqu’Isaacparvientàlireenmoibientropfacilementmaintenant.Jemedandined’unpied
surl’autretandisqu’ilmeprendlamainetmeforceàvenirm’asseoirsursesgenoux.—Onn’ajamaisété…onn’estjamaissortiensemble…je…—Je reste avec toi ce soir.C’est çaqui t’inquiète ?Que je t’emmèneàune soiréeetque je te
laissetomberensuite?Maisçan’arriverapas.Turestesavecmoi.C’estbête,jelesais,maisladernièrefois,aumanoirGroz,ilm’alaisséetouteseuleet…disons
que ça ne s’est pas très bien terminé. Puis, ça s’est toujours passé comme ça de toute façon.Danstouteslessoiréesauxquellesj’aiétéjusqu’àmaintenant.
—Fais-moiconfiance.J’essaye.J’essayevraiment.Maisilyatoutesceschosesquimefontencorepeur.
**Deuxheuresplustard,jemeretrouveaumilieudelafoulequidansesurZombideCranberries,
enpetiterobenoireetblanche,unecaperougeattachéeauxépaulesetlegrandméchantloupàmescôtés.Isaacconnaîtbeaucoupdemonde.Ilsefaithappertouteslescinqminutespargarçonsetfilles.Certainesnesegênentabsolumentpaspoursependreàsoncouen l’embrassant.Justesur la joue,maisquandmême.
Isaacsentmagêneetmonmal-êtreetn’hésitepasàmetenirserréecontrelui,peut-êtrepourmemontrerquec’estmoi,etseulementmoi,quicompte.Iln’apasletempsdemeprésenteràquiconque,maislesgensàquiilss’adressentmesaluentpourlaplupartalorsquejenelesconnaispasdutout.
RienàvoirdecequejevivaisavecDeacon.Aucundesesamisàluinemedisaitjamaisbonsoir,ceuxd’Isaacmesaluentcommesijefaisaisréellementpartiedelabande.
Ambre, qui est présente, s’estmis un point d’honneur à nous ignorer royalement. Isaac fait ensortequenoussoyonsaussiéloignésd’ellequepossible.
MaisdeKillian,ça,c’estmoinsévident.Sonfranginnecessedenousbousculer,parinadvertanceselonlui,laplupartdutemps.Maisjesensqu’IsaaccommencevraimentàêtreéchaufféquandKillianrenversesonverrepourlatroisièmefois.
Ashtonesttoujoursàlaclinique,Miguel,M.J.etGabrielessayentdes’interposerquandIsaaclesaisitparsachemiseetsemetàlesecouervigoureusement.
Je tente de le calmer également, l’entraîne à l’écart de ce frère tout aussi sexy, mais un brinénervant.
Isaac se laisse faire et finit lui-même par glisser ses longs doigts entre les miens pour nousemmenerverslesjardinsquejeconnaisunpeumaintenant.
—Ilmecherchevraimentcesoir,putain…Ilmeserrelamain,melabroiepresqueenfait,decolère,alorsquenoustraversonsrapidement
lessentiersentreleshauteshaiestailléescommeceuxdesjardinsàlaFrançaise.Jenesaispasoùilveutaller,maisj’aijustel’impressionquemarcherluifaitdubien.
—Calme-toi,s’ilteplaît.Ilatropbu,c’esttout.C’estvraiquesonfrèreavaitl’airpasmalalcoolisécesoir.—Ilesténervéparcequejenesuispasvenuaujourd’hui.—Oùça?—Àsaputainderéunionfamiliale.Jem’arrête et Isaac se retient vivement àmamain en se retournant.Lepli de tracasqu’il a au
milieudufrontnel’apasquittédelasemaine.—Quelleréunionfamiliale?Sesyeuxvertssefontplussombressouslalunequinouséclaireaumilieudujardin.—Rien.Oublie.—Pourquoituneveuxpasmeraconter?—Pourquoitoi,tuneveuxjamaisrienmedire?merépond-ildutacautac.Ilaraison.Maisje…jenepeuxpas,toutsimplement.Defrustration,jelelâcheetmelaissetombersurunbancadosséàunehaieenretraitdessentiers.N’importequoi,cettesoirée.J’enaivraimentmarreetneveuxqu’unechose:rentrerdormir.Ensoupirant,jeretirelacapedepetitchaperonrougequem’avaittrouvéCoraetlaissemesbras
retomberentremesjambes,harassée.Isaacgrognedefrustrationégalementensepassantlesdeuxmainsdanslescheveuxetlevantles
yeuxaucieluninstant.Ilfixelesétoilesbrièvementavantdereportersonattentionsurmoi.—Aujourd’hui,c’estl’anniversairedeCassiopée.Jenerépondspas.Samère.Leurmère.Jenecomprendraijamaisleurrelationsansconnaîtresonhistoire.Isaacvients’asseoirprèsdemoi,unejambedechaquecôtédubanc.Etm’emprisonnedurement
lementondanssamainpourmeforceràleregarder.—Jenesuispasdetrèsbonnehumeur.Ça,c’estsafaçonàluides’excuser,jelesaismaintenant.—Enplus,j’aienviedefaireçadepuisunesemaineetc’estàcroirequetoutlemondeveutm’en
empêcher…Surcesparoles,ilécraseseslèvressurlesmiennes.Unpeudurement.Jelelaissefairecarqueje
sais qu’Isaac ne se montrera jamais violent avec moi. Impossible. Et parce que… j’aime ça.Bizarrement,cepetitcôtépossessifqu’ilaàmonégardnemedérangepasvraiment.Peut-êtrequ’aucontraire,çamerassure.
Jesaispourtant,au fonddemoi,qu’ilesténervéetqu’ilnecherchequ’unmoyenpacifiquedepassersacolère.
Sa languedanse autourde lamienne,me faisant frémir de la tête auxpieds, etm’arrachant unlongsoupir.
Isaacm’attireversluietm’obligeàmetournerpourluifaireface.Enunéclair,jemeretrouvesursesgenouxetsespaumessebaladentsurlachairdemondosdénudédanslapetiterobe.Unerobequejen’auraisjamaisoséporteravant.Maisqueluiatrouvéeparfaite.
Ilm’embrassecommes’ilsenourrissaitdemoi,denous,decebaiser.—Zac…Lesoufflecourt,jecessederespirerquandsesdoigtstrouventmesseins.Mêmeàtraversletissu,
jesenssachaleurquisediffusesurmapeauetdanstoutmoncorps.Ilrespireplusfort,gonfleetsetendsousmoi.Impossibledenepasrougir.Jemesenshonteuse
defaireçalà,enpleinair,souslaluneetlesétoiles,avectoutcemondeàproximité.Isaacpressemonseinplusfortetnemelaissepasletempsdemereprendreenglissantsesdoigts
dansmondécolleté.Montétondurcitinstantanémentetenvoiedepetitesondesdeplaisirdirectementàmonentrejambe.J’étouffeungémissementdanssoncouetmetienslaplusserréepossiblecontreluipouréviterquequelqu’unnousvoiefaireça.
—Mia…,souffle-t-ilcontremabouche.J’aienviedetoi,bébé…Jelesavais,j’étaissûrequ’ilallaitdireça.Jem’étrangle.—Onnepeutpas,Zac,pasici…—Personnenenousvoit.Ilssonttousentraindefairelafête.Ahnon,Zac,pasdeça.Pasavecmoi.Jeneferaiplusjamaisça.Jamais.—Non.Onnepeutpas.Jenepeuxpas.Pasdanscetendroit.Malgré le désir très puissant que je ressens pour lui, je ne le ferai jamais. Jamais à la vue de
n’importequi,commeça.Jamais.Montonfermelefaitreculeretfroncerlessourcils.—Pourquoi?Jeteprometsque…—Non.Non.Etnon.Jenevaispasfaireça.—OK,bordel!Onrentrealors,s’énerve-t-il.Jeleregardesansriendire,perturbéequandils’enflammecommeça,maisilseradoucitaussitôt.—Excuse-moi.D’accord.J’aicompris.Ons’envaalors?Parcequelà…Jehochelatête,incapabledeparleràlavuedesonpantalongonflécommepaspossible.Ilmesoulèvecommeunepoupéeetmeremetsurmespieds.Nousavonsquittélemanoirenmoinsdecinqminutesenpassantparlesjardins.MaisdanssonAstonMartin,Isaacnenousemmèneniverschezmoiniverschezlui.Ilroule,encoreetencore,silencieusement,lesmainsserréessurlevolant,laminerenfrognée.
Jenecoucheraipasaveclui,s’ilestdanscetétat-là,c’estclair.Déjàquejefaisdesefforts,fautpasm’endemandertrop.
Jetendslamainetmetslamusiqueenmarche.Ilal’airdes’enfoutreroyalement.Jechoisisunechaînenationalequipasseentreautresdurockprogressif.
Cen’estquequandilsegareaumilieudenullepart,surlebascôtédelaroute,quejereconnaisl’endroit.
Laplagesurlaquellenousavonsdormi.Saplage.Aveccetairfantasmagoriquequeluiconfèrelapleineluneenlaissantsonrefleteffectuerdesvaguesàlasurfacedel’eau.
Le moteur coupé, le silence dans l’habitacle se fait assourdissant. Je ne sais même pas s’il aencoreenviedequoiquecesoit.Parfois,jemedisquesij’aidumalavecmonpassé,c’estégalementsoncas.
—Zac…—Jecroisquetuavaisraison.Onn’auraitjamaisdûalleràcettesoiréemerdique.Ilgardelessourcilsfroncésetregardedevantdelui.Sijedétestequ’ilchercheàcomprendremonpasséetcequ’ilm’estarrivé,jedétesteégalement,
sicen’estplus,levoirsipréoccupéetsoucieux.Uninstinctdeprotection,ousimplementmoncœurbientropmoelleux,mefaitréagir.Jedéfais
maceinture,luigrimpedessus,passantmesjambesdechaquecôtédesescuissesenm’appuyantsursesépaules.Lavoitureestbasseetserrée.Jedoismepencherenavantpournepasavoirlecoupliéetlevolants’enfoncedansmondossibienquejedoismecolleràluipourrestersurlui.
Passél’instantdesurprise,Isaacreculesonsiègepourmedonnerplusdeplaceetm’attireversluicomme s’il prenait de nouveau conscience dema présence. Jeme demande si c’est seulement sonfrèreetsamèrequileperturbentàcepoint.
—Excuse-moi,murmure-t-ildanslesténèbresdel’habitacle.Je tends lamaindoucementet commenceàdéfaire lesboutonsde sachemiseunàunavantde
glissermesdoigtssursontorseimberbeettatoué.Jedessinelespetitesailesensuivantlecontouretlesensfrémirsousmoi.Isaacnes’excusequetrèsrarement,maisquandilagitcommeunimbécilefinitetqu’ils’enrendcompte,iln’hésiteplusàlefaire,j’airemarqué.
Jememordslalèvreinférieurepourl’empêcherdetrembler.Memontrerentreprenante,cen’estpastropmoi,pasvraiment.Maiscesdernierstemps,j’aivécu
tropdechosesavecluipournepasessayer.Pournepassurpassermapeur.Nos souffles se mêlent et le mien s’accélère quand en me regardant dans les yeux, Isaac fait
glisserlesbretellesdemarobe,puistoutdoucement,lafermetureéclaire.Derrièrenoustoutbas,GooGooDollschanteàlaradio.«AndI'dgiveupforevertotouchyou/Etjerenonceraisàl’éternitépourtetoucher'CauseIknowthatyoufeelmesomehow/Carjesaisquetumesensd’unemanièreoud’uneautre
You'retheclosesttoheaventhatI'lleverbe/TuesplusprocheduparadisquejeneleseraijamaisAndIdon'twanttogohomerightnow/Etjeneveuxpasrentreràlamaisontoutdesuite»{10}
Lorsqu’ilfinitdemeretirerlehautdemarobeetquejefrissonnesoussesdoigtsetsonregard,jemehâtedeluiouvrirsachemise,histoiredenousmettresurunpiedd’égalité,mêmesinousnelesommespasvraiment.
Isaac descend mon sous-vêtement sans plus de manières, affichant mes pointes durcies à sonregarddejade.Jefermelesyeuxquandseslèvress’emparentdemonseindroit,mefaisantgémirdeplaisir.L’humiditédesabouchemerendfiévreuse.Ilmemorddélicatement, toutenpétrissantmeshanches et mon dos de ses paumes alors que les miennes se perdent dans ses cheveux si douxauxquelsjem’accrochecommeunenaufragée.
Il s’estmis à sucermon sein,me faisant oublier lemonde qui nous entoure,me faisant râlerd’extase.Jem’étrangleenpensantaubruitquejefais,maisIsaacmesoulèveet,plusempresséquejamais,glissesesmainssouslebasdemarobeencaressantaupassagemescuisses.
J’ai toujours cette impression d’être vivante sous ses doigts, de me réveiller à chacun de sesgestes.Deluiappartenirpleinementetqu’ilnemelaissepasunpeudemoi,non,ilprendtoutetjeleluidonne.
Jelesenssousmoietnerésistepasàmecollerencoreàlui,cequiapoureffetdefrottersonsexedéjàplusdurquejamais.L’humiditédemonentrejambesefaitressentirdeplusenplus,maisIsaacnemetouchepas,commes’ilhésitaitàlefaire.Pourtantseslèvresontgonflé,sespupillessontdilatéesdedésiretbrillentdanslenoir.Jen’enpeuxplusd’êtresiprocheetsiloinàlafois.Iltranspireetjehalètesifortquel’oxygènesemblesefairedeplusenplusraredansl’habitacle.
Derrièrenous,lavoixmagiquechantetoujours.«AndallIcantasteisthismoment/Ettoutcequejepeuxgoûterc’estcemomentAndallIcanbreatheisyourlife/Ettoutcequejepeuxrespirerc’esttavie'Causesoonerorlaterit'sover/Cartôtoutardc’estfiniIjustdon'twanttomissyoutonight/Jen’aisimplementpasenviequetumemanquescettenuit»—Mia…dis-moiquetuenasenvie…J’enaienvie.BonDieu,oui,j’enaienvie!—Jeveux…—Quoi?—Tesentir.Isaacmesoulèveunpeuetencontinuantdeléchermapoitrine,incrustesesdoigtssousladentelle
de mon tanga et me fait gémir comme je n’ai jamais gémi en touchant mes lèvres mouillées etglissantdoucemententreelles.
—Zac…Murmurer sonnom semble le griser davantage. Il s’enfonce enmoi,me forçant àmepencher
jusqu’àsoncoupourluimordrelapeauetm’empêcherdecrier.Iln’aplusdesouffle,jelesens,luiaussiseretientd’imploser.Jedécidedeprendrelesdevantsetdéfais lesboutonsdesonpantalon.Ilm’aidepourallerplus
vite,sepencheenavantpourfouillerdanslaboîteàgantsetattraperunpréservatif.J’hésiteàletoucher,letouchervraiment,encorebientropréservéepourfaireça.AlorsIsaacle
faitpourmoi.Soulevantdeshanchespourdescendresonjeansetsoncaleçon,ilseprendlui-mêmeàpleinemainetfaitapparaîtresonmembreénormeentrenous.Jedéglutis.
Uneodeurvirile,puissanteetmasculineenvahitl’habitacledéjàemplidesfragrancesdusexe.Ilglisselepréservatifsurluietheureusement,lapénombrel’empêchedemevoirrougircomme
uneprude.Je pousse un gémissement lorsqu’Isaacme pétrit les fesses enme ramenant sur lui pour faire
pointersonsexeàl’entréedumien.—Tun’aspaspeur,bébé?Hein,dis-moi…Jemepencheàsonoreillepourmurmurer,lesseinspresquedanssabouche.—Bleu.Toutestbleu.Seulluipeutcomprendrecequecelasignifie.—Tuesparfaite,Mia…Il entredoucement enmoi, si doucementque jeme sensglisser contre lui.C’est une sensation
merveilleusequed’êtreremplitparsavirilité.Machaleurl’accueilleavecintensité.Ouc’estluiquimeremplitàlaperfection,jenesaispas.
—Putain,t’estrempée,bébé,çaglissetoutseul.T’estrempée…Ilsouffleavecuneespècedemélanged’admirationetd’excitationquimefaitgémirplusforten
roulantdeshanchescontrelui.Oùes-tupasséeMiaGilmore?Jenemereconnaisplus.Etpourtant,jen’aiaucuneenvied’arrêter.Isaacmesoulève,lesmainssurmesfesses,etmefaitrevenirsurluienm’accompagnantdeson
bassin.Jedoismereteniràsesépaulespournepasbasculer.Sonodeurmefaitchavirer,lefrottementcontremapeaumefaitcarrémentdélirer.Jenesensmêmepaslesgouttesdetranspirationquicoulentdans mon dos. Les vitres de la voiture sont complètement embuées et on n’y voit plus rien. Onn’entendplusrien,nonplus.Seull’instantgrisantettorridedanslequelnoussommesplongésestuneréalité.
Auborddel’implosion,jepressemeslèvrescontresonfrontetluirelèvesescheveuxtrempés.Sapeaualegoûtsalédelasueur.
Isaacgémit,gémitvraiment,enmepoussantplus fortdeseshanches.Jedoismemaintenirdesdeuxmainsauplafondmaintenantparcequecescoupssefontpluspuissants,plusrapides.
Ilm’observeme soulever et redescendre sur lui, poseunemain surmon sein droit et le pétrit
aussifort.Toutàmessensations,jefermequandmêmelesyeuxdevantsonregardperçant.—Ne…me…regarde…pas…commeça…,Zac…—Tuesbelle…tuesbelle,Mia…—Jet’enprie…,jegémisdehonteenmemordantleslèvres.Il semble lutter intérieurement,mais ne cède pas. Au contraire, il se recule dans son siège en
soulevantdeshanchespourmefairealleretvenirsurluiencontinuantdemefixer.Sapaumeaquittémon sein pour remettre une mèche collée à mon front derrière mon oreille. J’ai chaud. Je nerésisteraipaslongtempsàcettedouleursipuissantequinedemandequ’àêtreapaiséedanslebasdemonventre.
J’ouvre lesyeuxquandIsaacpose lamainsurmajoueetcaressemes lèvresduboutdupouce.Mesyeuxs’accrochentauxsienssibrillants,sivivants.
Ilestamoureuxdemoi.Ill’adit.Bonsang,ilmel’adit.J’aimesamanièredemeregarder,safaçondevoirenmoicequemoi-mêmejenevoispas.Sousson regardsaisissant, jemesoulèveencoreenmecramponnantauplafond,et redescends
surluidansunmouvementaccompagnantvivementsonbassin.Ilalaboucheentrouverte,lefrontplissé,unairconcentréetsérieux,etlaveinedesoncoubat
furieusement.C’esthorrible,cettefaçonqu’ilad’êtresibeau,mêmeensueur.D’êtresiparfait.D’êtreirrésistible.J’aipeurderessentirtropdechoses.Dem’attacher…encore.
Jefermelespaupièrespourmegriserdecemomentdeplénitudeetdebien-êtreeuphorisant,maisilmepresselajoueetmeforceàlesrouvrir.
—Regarde-moi,sweetheart.Mesprunellesclairesplongentdanslessiennes.Jesensqu’ilestsiprès,luiaussi.Isaacm’attire,lamainderrièremanuque,etcollesaboucheàlamiennesansmelâcherdesyeux.—Jeneviendraipassanstoi,Mia.Viens,jouisavecmoi.Jegémiscontrelui.C’estpresqueunsanglot,parcequecesparolesmefontchavirerautantque
sesmouvementspuissants.Ilhalèteetsonsoufflenefaitquem’exciterdavantage.Jemepencheaubordduprécipice,dois
m’accrocheràsescheveuxunpeutropfort,maisimpossibledefaireautrement.Quand ilm’attire encore plus fort sur lui, jemedésintègre dans une explosiond’uneviolence
inouïe.Lajouissancemeprendtellementaudépourvuquej’enresteinterditeet immobile.Unlongcri s’échappedemaboucheque j’étouffedans le coud’Isaac. Jene savaispasque cepouvait êtreaussipuissant.
Isaacs’estdissoutenmêmetempsquemoi.Ilétouffeuncrisourdetsecontracteaumomentoùmesorteilsseraidissentetquejememetsàtremblersurlui.
Ilmurmuremonprénom,encoreetencore,maisjesuisloin,bientroploindelaréalité.Aveclesparolesd’Irisquiflottequelquepartautourdenous.
«IjustwantyoutoknowwhoIam/Jeveuxjustequetusachesquijesuis.»L’instantestpuissant,emplitnonseulementdesensualité,maisaussidecettemagiequiémanede
nosregardsaccrochésl’unàl’autre.Jesuisentraindeluidonnercequejepeuxdonnerdemieux,cequejepeuxdonnerdeplusdemapersonneetillesait.Voilàpourquoiilnem’apasdemandédeluirépondreladernièrefois.Isaacaconsciencedecequejeluioffre,j’ensuissûre.Cetacte,commelesautres,n’estpasjusteunactesexuel,non,c’estundondemoi,cettepetitepartiedemoiquejecroyaismorte.
Ilnemelâchepasdesyeuxuninstantetquandmoncœurstoppesacoursefollecontresapeaubrûlanteetensueuretque jecessedepalpitersi fortautourdesonmembreetde l’enserrer, Isaacreposesonfrontcontrelemien.
—Est-ceque…—Çava,Zac.Çava,jevaisbien.Plusquebien.Jel’embrassepourleluiprouver.Parcequejesaisquec’estcequ’ilallaitdemander.—Tuesincroyable.—Arrêtedem’envoyerdesfleurs,jesouffleenrefermantmesmainssursanuqueetnepouvant
m’empêcherdesourire.Illaisseéchapperunpetitrireetmemordlalèvreentirantdessus.Monventredéjàtoutchaud,s’enflammedenouveau.Ilmecaressedoucementlapeaududos.—Çateditunbainavecmoi?Moncœurs’emballe.Unbain?Chezlui?Non,parcequ’iln’yapasdebaignoirechezmoi.—Unbaindeminuit,bébé,sesent-ilobligédepréciser.Ilseredresse,ouvrelaportièredesonvéhicule,et jefrissonnequandunventfraiss’engouffre
dansl’habitacleetnoussaisit.Jemeretireetilnouelepréservatifpourlejeter.—Tuveuxdire…Isaacseredresseetmepousseàsortirdelavoiture.Malgrémesjambesunpeutremblantes,jeme
rhabille vite fait en espérant que l’endroit soit toujours aussi désert que d’habitude.Mais il n’y apersonneàdeskilomètresàlaronde.Quedestortuesdanslesable,certainement.
Isaacaôtésachemiseetm’entraîneavecluienmetirantparlamain.Ilcourtpresque.Jerisdelevoirsiempresséetinsouciant.Quandilmarchedevantmoi,sousla lune,ses tatouagesprennentvieetsemblentbougersursa
peau.Commeleciel,toutsondosestconstelléd’étoiles.Il retireàprésentson jeansensautantsurplaceetplonge tête lapremièredans l’eauglacéedu
Pacifiqueencriant.Jeresteuninstantauborddel’eau,indécise.
—Viens,Mia!Viens!hurle-t-ilenm’éclaboussant.Jerisencore.—T’escomplètementfou!Maisj’aioubliémagêneuninstant.J’aioubliéquejenesuispasbelleetquejen’aimepasqu’il
me regarde de trop. J’ai oublié que j’ai peur de tout, de lui, demoi, de nous, de ce que je peuxressentir.Et jemedéshabilleaussi et envoievalsermapetite robeavantde sauter à l’eauen sous-vêtements.
Merde,elleestvraimentglacée!Isaacm’attrapeparlesjambesetm’attirecontrelui,noscorpsàmoitiésousl’eaufroide.Çamerappellelapremièrefoisqu’ilm’aembrassée.Quenousnoussommesembrasés.—Jesuisfou,oui,soupire-t-ilcontremeslèvres.Detoi.Jerefermemabouchesurlasienne.Cesoir,c’estlanuitdesmorts.Pourtant,malgrétouslesfantômesquim’habitent,jesaisquedans
sesbras,jesuisplusvivantequejamais.
10
L’enfanceavortéeIsaac
UnmoisetdemiplustardJeprends lepackdebièresd’unemain, lecharbonde l’autre, etmedirigevers lacaisse.M.J.,
quant à lui, s’empare d’un énorme sachet de sucettes à la cerise en plus des imposants paquets dechipsqu’iltrimbale.
Devantmoi, un type grand, plutôt baraque, une veste kaki sur le dos et une casquette enfoncéejusqu’auxoreilles,prendtoutsontempspourpayer.
Jejetteunœilàlapenduleau-dessusdelacaisseenregistreuse.Ilest13heurespassées.Miavapéteruncâble.
Aprèsuntourparlecimetièrepourprendreleshitqu’onaplanquéetunlong,trèslongdétourparGrandBaypourrécupérerColline,quiamistroisheuresàsortirdelasalledebain.OnaenfinfaitlescoursesqueMiavoulaitavantderentrer.N’empêchequ’ellevapéteruncâbleparcequ’onestenretardetqu’ellenousattenddepuiscematin.
Jesoupireostentatoirementparcequelemecdevantmoiprendtroisplombesàchoisirentreunpaquetdechewing-gumàlamentheouàlafraise.
Jejettevitefaitunœilsursescourses.Iln’yapasdequoimettreautantdetempsàpayerunboutdecorde,duscotch,delapeintureetdessucettesàlacerise,si?
Ilmeregardedebiaisquandjeposemonpacksurlatabledelacaissière.Quifaitdubricolageundimancheensoleillécommecelui-làdetoutefaçon?Etquiauraitl’idée
deporteruneparkaparunechaleurpareille?Mêmemoi,j’aisortiledébardeurpourrespirer.Miasefoutdemoietm’accusedevouloirfairemonintéressantenexhibantmesmusclesetmestatouages.Non,c’estjustequ’ilfaitchaudbonsang!Trente-cinqdegrésàl’ombreàlami-décembre.VivementlesvacancesdeNoëldansunesemainequ’onpuissepassernosjournéesàsebaignerMiaetmoi.
—Trente-cinqdollars,luidemandelacaissière.Lemecretireunportefeuilleusédelapochearrièredesonjeansetprendquelquesbilletspliés
d’unedrôlede façonavantdes tendres à la femme. Je remarque la tachedenaissance sur samaindroite.Elleesténorme,bruneetpoilue.Y’enaquin’ontpasdechance,putain.
M.J.souffleens’impatientantaussiderrièremoi.—J’ailadalle,seplaint-il.—Moiaussi.MaisMianenouslaisseramêmepastoucherànosassiettessionn’estpaslàdansla
demi-heure.
Montéléphonevibredansmapochepourlatroisièmefois,maislesbraschargés,jenepeuxpasrépondre.ElledoitêtreentraindepassersesnerfssurGabrielouAshtonavecquielleafaitlapaixapparemment.
C’estenfinànotretourdepayer.Letypeprendsesaffairesetsortenzieutantvitefaitversnous.J’interceptesonregardbrunetnoiràlafois.Maisenunedemi-seconde,iladisparu.
Nouspayonsetsortonsrapidement.Dehors,nousquittonslaplacedestationnementavecl’Astonenneremarquantmêmepaslepick-
upgaréauboutdelaruequinousobserve.**
—Salut!CollineplanteunbisousurlajouedeMiaquis’écarteaussitôtetyposelamain.Jem’efforcede
ne pas sourire.Elle réagit encore tout le temps comme ça avec les autres.Elle a beau les côtoyerdepuistroismoismaintenant,ellenes’esttoujourspashabituéeaufaitdefairepartieintégrantedugroupe.
Maislesautres,eux,nefontmêmeplusattentionàsaréticence.Detoutefaçon,avecmoi,ilsn’ontpaslechoix.C’estelleetpersonned’autre.
JelaregarderetirerlespignonsdemaïsdufeuavecMiguelensesoufflantsurlesdoigtsparcequ’elles’estbrûlée.Etdanssarobeblanchesouslesoleiléclatant,jelatrouveplusmagnifiquequejamais.
Oui,c’estelleetpersonned’autre.Justeelle.Ellenem’ajamaisrendumesmots.Unefois,pendantqu’elledormaitdansmesbras,jeluiaidit
que je l’aimais.Maisellenem’entendaitpas.Mêmesielleétait réveillée,ellenem’entendraitpas.Ellerefusedem’entendre.Oudemelesrendre,toutsimplement.
Cen’estpasgrave.Dumomentquejesuisleseulàleluidireetàenprofiter,jemefousqu’elleait peurdu reste. Il faut du tempspour aimer, je le sais, çam’apris vingt-quatre ans.Et il en fautencorepluspourprononcerlesmots.Surtoutquandonapeur.
MiguelsejettesurlepackdebièresetAntheasurleschipspendantqueGabrieldiscuteavecL.A.quisefaitdorerlapiluleausoleil.
Nous avons tous élu domicile au bord du lac, ce dimanche, pour un barbecue géant. Commeautrefois.Commeavant…l’accident.SaufqueLaran’estpluslà.Etqu’unepetitebruneaucaractèrebientrempéhabitesamaison.
CommeMiarefusesouventdevenirdormirchezmoi,jepasseleplusclairdemontempsici.Ellen’ajamaisdéménagé.Etpuis,cejournal,siçasetrouve,ilnedoitmêmeplusexister.
—Donne-moiça,jecommandeenluiretirantleplateaudemaïsdesmains.Ellemefusilleduregard.Cesputainsd’yeuxbleusaurontmamort.—Vousêtesenretard!
Jeme penche pour l’embrasser sur le bout du nez. J’aime bien faire ça. J’aime bien son nez.J’aime les taches de rousseur qui s’y dessinent chaque fois qu’il fait beau et chaud commeaujourd’hui.
Elleme fusilleencoredesyeux,mais sedétournepourarracher lesautrescoursesdesbrasdeM.J.etilsfilenttouslesdeuxverslamaisonens’embrouillant,commed’habitude.
J’ail’impressionqueM.J.afiniparcomprendrequ’iln’avaitaucunechance.Enfin,c’estpeut-êtrejusteuneimpression.Alors,jelesurveillequandmêmed’unœil.
—Tuneveuxpaslalâcherdesyeuxcinqminutes?soupireMiguel.—Çateregardepeut-être?Non.Alors,ferme-la.L’après-midipassecommeça.Sousunsoleiléclatant,àboiredelabière,àmangerdesribs,du
maïs et toute sorte d’autres choses. Tout est comme avant entre nous tous, à part que Mia faitdésormaispartiedecettebande,etsurtout,qu’ellem’appartient.Jesaisqu’enthéorie,unêtrehumainnepeutapparteniràunautre.Mais…elle,c’estdifférent.Ellem’appartientetjeluiappartiens.C’estcommeça.Personnenepeutrienychanger.
Elle est toujours gênée que je la touche devant les autres, mais ne se plaint plus vraiment. Jel’assiedssurmesgenoux,quandnoussommesàtableetmalgrélesregardsmoqueursdeL.A.,elleselaissefaire.
Auboutd’unmoment,jemelèvedetablepourallerpisser.Jefinisde lavermesmainssous l’eaufroidede lasalledebain,quandCollinepousse laporte
pourrentreretseposeràcôtédemoi.Elleprendsonmascaradanssonsacets’entartinelescils.Nonpasqu’ellen’enaitdéjàpasassez.—Netegênepassurtout.—Maisnon,monchou.Jamais.Jesoupireetm’apprêteàsortirquandellemehèleducoude.—Çanetefaitpasbizarrequ’onsoittousréunisici,commeavant?Nosregardsémeraudesecroisentdanslemiroirau-dessusdulavabo.—Non.Toi,si?—Unpeu.Commentçasepasseavecelle?Collinen’estpascommelesautres.Jesaisquecen’estpasdelacuriositémalplacée.Elleestla
seulequiasucequejeressentaispourMiaavantquemoi-mêmejenem’enrendecompte.—Çasepasse.C’estlafillelaplusincroyablequejeconnaisse.—Oui,j’imagine.Elletelaisseluifairecequetuveux?OK,lesconversationstabouesavecCollineçan’ajamaisfonctionnédetoutefaçon.—Sexuellementparlanttuveuxdire?—Non,sentimentalementparlant…Biensûr,sexuellementparlant,espèced’ornithorynque!Elle
n’apasdemalàgérerparfois?
—Enquoiçateregarde?Tucroisquejevaisteraconternosexploitsouquoi?—Çaneteposaitpasdeproblèmesavant.Oui,maisavantMia,c’étaitavant.Pourtant,l’expressiondénuéed’intérêtdeCollinemefaitchangerd’avis.—Non,biensûrqu’ilyadestrucsqu’elleneveutpasfaire.Tucroisquejemecontenteraisdela
baiseraussidélicatementsij’avaislechoix?C’estvraiquoi.Riennevautl’amouravecMia,maissielleselâchaitplus,mefaisaitconfiance,
çapourraitêtreencoremieux.Collineritdoucementalorsque,denervosité,jepassemesmainsdansmescheveux.—Ilfautquetusoispatientavecelle.—Jelesuis.—Elleestgéniale,cettefille.—Jesais.Elle ne m’apprend rien de nouveau. Bien sûr qu’elle est géniale. C’est la personne la plus
extraordinaireque j’ai rencontréedemavie.La seuleà savoirapaisermescolères.La seuleàmefairepalpitercommeça.
—Jesuiscontentepourtoi.LesourireemplidesympathiedeCollinemefaitsoupirer.Jesorsdelasalledebainavantqu’ellen’aitl’idéedesemettreàchialerouuneautreconneriede
cegenre.Çasuffitlesépanchements,bordel!DéjàqueSloan,MalouetMaggieenfonttouteunehistoiredemarelationavecMiaetquejesuis
harcelédequestionsàlacon.**
Une fois que les autres sont partis, je l’aide à tout ranger.Mais elle en fait des tonnes commed’habitude.Riennedoitrester.Ilfauttoutnettoyerdanslesmoindresdétails,ilfauttoutremettreàsaplace. Comme si le monde allait tourner à l’envers si les verres ne sont pas rangés dans le bonplacard.Jesoufflesouventd’exaspération,maissonnezdilatéetsonregarddetueurmefontremettrevraimentlesverresàleurplace.
Pourtant,aujourd’hui,j’aivuqu’elleétaitpréoccupée.Etçan’arienàvoiravecmoipourunefois.Non?
Mia—Est-cequec’estGabouMiguelquit’amiseencolère?Jeris,maissansaucunetraced’humourdanslavoix.Isaacfroncelessourcilsetposeunemain
surmonbras.Maintenant,ilcherchecequim’énerve,cequimemetdemauvaisehumeur.Commes’ilnelesavaitpas.Pourtant,jesuisplustristequ’énervée.Parcequej’aibeaufairedesefforts,invitersesamisetpartagerdesmomentsaveceux,pourlui
montrerquejem’intègreàsavie,oui,j’aibeaufairetoutça,queceneserajamaisassez.Enunpeuplusd’unmois,jepensaisquenousavionsfranchiunnouveaucap.Finalement,l’histoireducoupleidéalquejemefaisn’existequedansmatête.Jenel’auraispas
su,si jen’étaispasvenueprendredesbièrespourMigueletGabrieldans lacuisinealorsqu’IsaacétaitenfermédanslasalledebainavecColline.
—Quoi?C’estmoi?Jeme remets à récurer plus fort la crasse qui s’est installée sur le plan de travail. J’aimerais
frottercelledemaviedelamêmefaçon.Lafairedisparaître.Changerdepeau.Toutça,c’étaittropbeaupourêtrevrai,hein,Mia.—OK.Attends.Parle-moilà.Jenecomprendsrien.Ilnecomprendrajamaisrienàriendetoutefaçon.LesoircommenceàdescendresurHélèneGroveetlesoleillaissesesderniersrayonsilluminer
lafenêtredelacuisine.JemedétournepourqueZacnevoiepasmesyeuxembués.—Jet’aientendu…—Quoi?Commentça?Ilmeforceàmeretournerversluietjelaissetomberrageusementletorchonquej’agrippaisde
toutesmesforces.—AvecColline.Jevousaientendus.Jesaisqu’ellefaitpartiedesfillesquetu…quetu…Ilestdevenulivideetmelâchebrusquement.—Tu…Non,Mia…,cen’estpas…Cen’estpascequetupenses.Jeravalemeslarmesetl’arrêteenlevantmesmains.Ilaconnudestasdenanas,qu’est-cequeje
croyais?—Tun’aspasàfaireça,Isaac.—Fairequoi?—Merassurer.Temettreenquatrepourmefairecroirequetoutestgénialentrenous.—Jesais,mais…écoute,bébé…—Arrête,Zac.Toietmoi,ilfautqu’onarrête.Laissetomber.Cettehistoireestfoutued’avance!Ilmeregardeaveccequimesembleêtrelaplusgrandepeinedumonde.Illèvelesmainsàson
touretserapprochedemoi.
—Pourquoitudisça?Nedispasça.J’ai…Jeposemespaumessursontorsepourlestopperetrecule.—Jet’enprie.Çafaitsuffisammentmalcommeça.Jesaisque…jesaisquejenetesuffispas.
Quejenetesuffisplus.Quejenetesuffiraijamais.Jesuisconscientequec’estperdud’avance.Mesyeuxs’embuentetmalèvretremble.C’estsidouloureuxdel’avouerhautetfort.Isaacserapprocheencore.Ilserrelamâchoire.—Non,c’estdesconneriestoutça.Jesaisquetuesencolère.Tudisçaàcausedelaconversation
quetuassurpriseavecColline.Bébé,jetejurequecen’estpasça.Àcetinstantprécis,tueslaseulepersonneavecquij’aienvied’être.L’unique,tuentends?
Jedoisclignerplusieursfoisdesyeuxpourm’empêcherdepleurer.—JenesuispascommecesfillesavecquitusorsIsaac,jeneleseraijamais…—Jeneveuxpasquetusoiscommeelles.Jesaisquetuneleurressemblespas.Tuesunique.Je
sais de quoi ça avait l’airMia, mais je te jure que ce n’est pas ce que tu crois. Je te désire, toi,seulementetuniquementtoi.
Impossibledenepaspleurer.Magorgeseserre.Leslarmesm’étouffent.—Alorspourquoituasditça?Est-cequetuparlesdemoicommeça,aveclesautresaussi…?J’encrèverais.SiDeaconnem’apastuée,luileferaplussûrement.Del’intérieur.Isaacs’approcheetenserremonvisagedanssesmains,sonnezcolléaumien.Sesyeuxsontvert
forêtmaintenantavecdespointesderouge.—Jetejurequenon.Jenepartageriendecequ’onfaitavecpersonne.Collineétaitaucourantde
tout ceque je ressentaispour toi, de la façondont je tedésirais,bienavantque jene le soismoi-même.Ettoutcequej’aidit,c’était…delamerde.Écoute,detoutefaçon,iln’yarienquej’aienviedefaireavecquelqu’und’autrequetoi,tusais.Letruc,c’estque…
Ilessuiemeslarmesdespoucesetsetaitbrusquement.Maisj’aibesoindesavoir.—Quoi?Dis-le.Dis-leouc’estfini.Noussoutenonsleregarddel’unetdel’autreaussidurqueçal’est.—Des fois, j’ai enviede tebaiser. Jeveuxdire,de te…enfin, lorsque t’es encolèreetque tu
fronceslenezpourmecrierdessus,jetetrouvesexyetj’aienvie.Ouquandtusoufflesparcequetues occupée et que je t’agace. J’ai envie de te prendre comme ça, brusquement. Je sais, c’estcomplètementbarré,mais…C’estparcequec’est toi.C’est justeavectoiquej’enaienvie.Etavecpersonned’autre.Çaneveutpasdirequetunemesuffispas,aucontraire.Personnenem’ajamaissuffiàcepoint.
Meslarmescoulentdeplusbelle.Etquandjeparle,impossibledenepasavoirlavoixpleinedesanglots.
—J’essayeZac.J’essayed’êtrenormale…pourtoi…Jetejurequej’essaye…
Isaacm’attirecontrelui,m’embrassepourmefairetaire,boitlestraînéessaléessurmesjoues,mebaiselespaupières,leslèvres,lamâchoire…
—Oh,monbébé.Non…,tuesnormale.Jeneveuxpasquetucroiesça.Jesuisdésolé…Tun’asrienàprouver.
Ilmeserredanssesbrasetjeposemonfrontcontresontorse.—Jet’enprie,necroispasça,Mia.Je tedemandepardon,c’estdébile.Jen’avaispascompris
queçatefaisaitdumal.Pardon.Jem’agrippeàsont-shirtetilmerelèvelementondupouce.Danssesyeux,jevoistoutelaculpabilitéqu’ilressent.Isaacrefermedoucementsabouchesurlamienne.Jemefondsenlui.Parcequejem’ysensbien.
Terriblementbien.Ensécurité.Mêmesijesuistoujoursanesthésiéepartoutcequej’aientendu.Jeluirendssonbaiseretilresserreunpeuplussonétreinteautourdemoipourmesouleveret
meporter.J’enroulemesjambesàseshanchesetm’agrippeàsescheveux.Lespulsationsdemoncœurralentissentalorsquesalanguecaressetendrementlamienne.—Mia…Noslèvressetouchent,maisilouvrelespaupières.Jeleregardeaussicommeça,lesyeuxrougis
etbrûlants.—Tueslameilleurechosequinemesoitjamaisarrivée.Lameilleure.J’aibesoindel’entendre,encore,encore,encore…Commentjepourraisêtrelameilleurechosequineluisoitjamaisarrivée?Moi?—Jenesuispasfaitepourtoi,Zac.Tuasconnudestasdefilles,quitedonnerontbienplusqueje
netedonneraijamais.Parcequejesuisbrisée,etça,illesavaitavantdeselancerdanscettehistoireavecmoi.Isaacneditplusrien,nefaitquemefixerunlongmoment.Jemedemandeàquoiilpensejusqu’à
cequ’ilmereposesurmespiedsetsedétachedemoi.—Viensavecmoi.Ilfautquejetemontrequelquechose.Ilpivotesurlui-mêmeetm’entraîneaveclui,attrapantaupassagelesclésdesavoiture.—Oùest-cequ’onva?—Viens.Écoute-moi.Etaprès,tucomprendras.Maintenant, dansma petite robe d’été blanche, j’ai froid.Mais il neme laisse pas le temps de
passerunevesteouautre,jepeuxjusterefermerderrièremoiavantqu’ilmetireversl’extérieur.Lanuitesttombée.Oùveut-ilaller?Nousgrimponsdanssavoitureetilmetenroutelemoteursansattendre.Isaac sort d’Hélène Grove, traverse Eponac et redescend en direction de Grand Bay. Dans le
silenceleplustotal.
J’ailecœurlourd.Luiaussi?Etquandils’arrêtedansuneruepeupassanteducentreetsegaresurlecôté,jen’aitoujourspas
compriscequ’onestvenufairelà.Ilserrelesmainsautourdesonvolant,froncelessourcilsetseretourneversmoi.Maiscen’est
pasmoiqu’ilregarde.C’estl’autrecôtédelarue.Jemedétournepourcontemplerlascènequ’ilfixeintensément.Ilyaunrestaurantdel’autrecôté.Unbed&breakfastunpeumiteux.Avecdesnappesàcarreaux
rougesetblancsetdesserveusesentablierdumêmestylequis’activent.—Qu’est-cequ’onfaitlà,Zac?—Jevoulais…Sarespirations’accélèreetilsetaitcommes’ilavaitdumalàarticuler.—Tulavois?Cellequiestprèsdubaretquiparleàunmec?Mesyeux sont toujours rivés vers l’endroit et cherchent désormais la femmedont ilmeparle.
Lorsque je l’aperçois enfin. Elle porte un tablier rouge, et discute avec un homme accoudé aucomptoir.Elletientunplateaudanssesmains.Uneserveuse.Commemoi.
Oui,etalors?Jehochelatêtesansréellementcomprendrecequ’ilestentraindemedire.—C’estCassie.Commentça,c’est…Jeme retournevivementvers lui.Mais il aquitté lebed&breakfastdesyeuxpour fixerdroit
devantlui,lesphalangestoujoursfermementagrippéesàsonvolantencuir.—Tuveuxdire…—Mamère.Cettefemme,c’estmamère.Effarée,mon regard fait des va-et-vient entre elle et lui. Puis je l’observe. Cassiopée. Elle est
petite,menue,maisporteunepairedetalonsvertigineux.D’aussiloin,jenevoispastouslestraitsdesonvisage,maisellemesembleplutôtjolie.Elleadelongscheveuxnoirsattachésenunequeuedechevaletunefrangequiluibarrelesyeux.Ellefaitjeune,trèsjeuneentoutcas.
IlmefautunmomentpourreveniràIsaac.—D’accord…,jemurmuredoucementnesachantquedired’autre.Isaacfinitparreposersatêtesursonsiègeetfermelesyeux.—Ellen’apastoujoursétéserveuse.Enfait,ellefaitçaseulementdepuisdeuxans.Avant…elle
seprostituait.Etilyavingt-cinqans,elles’estfaitviolerparuninconnu,danslarue,unsoir…Jeretiensmonsouffle.Isaacalavoixcassée.—Elleaportéplainte,maisonn’a jamais retrouvé legars.Quelquesmoisplus tard,elles’est
renducomptequ’elleétaitenceinte.Desjumeaux.Letempsquel’informationpénètremoncerveau,Isaacsetait.
J’aidumalàassimilertoutça.Attends,attends,stop…euh,quoi?!—Tu…tuveuxdireque…Tu…Kilianettoi,vous…Isaacdéglutit,etlesyeuxtoujoursfermés,continuesonhistoire.—Ànotrenaissance,elleahésitéànousabandonnertouslesdeux.Finalement,elleenagardéun
eta jeté l’autre.Jedis jetéparcequ’ellem’aabandonnédansuncentrepournouveau-né.ÀTexeraBay.Ettandisqu’elleélevaitKillian,jepassaisdefoyerenfoyer.
Il parle avec la voix plus hachée que jamais et un peu tremblante. Je n’ose pas l’interrompe,sentantquelemomentestimportantàsesyeux.
—J’airencontrémonfrèreavantmêmedesavoirquiilétaitvraiment.Ilmecherchaitparcequ’ilétait au courant demon existence.Mais il ne me l’a jamais dit. Je vivais déjà avecMalou quandMiguel a retrouvéCassie pourmoi. La première fois qu’ellem’a vu, elle n’a eu aucune réaction.Aucune.Nisurprisenirien.Ellem’ajustedemandécequejeluivoulais.
Unpetitrirehystériquelesecoueavantqu’ilnepoursuivesonrécit.—Etpuis,quandelleasuquejerésidaisaudomaine,elleachangé.Ellefaisaittristeminetoutle
temps,pleuraitchaquefoisqu’ellemecroisait,etn’apasarrêtédemedemanderdel’argent.Elleseprostituait,maisn’envivaitpas.Ilyadeuxans,j’airéussiàluifairechangerdemodedevie.Onapassé un accord : je lui donne de l’argent si elle fait un vrai boulot et qu’elle se prend un appartcommetoutlemonde.Killiancroitqu’ilalapossibilitéd’alleràlafacgrâceàsabourseenbasket.Maisçaaussi,c’estMalouquiluipaye.Ilnelesaitpas.Ilm’enveutdepuistoujours.Quandilaapprisque jevivaischezMalou, ilestdevenuagressif. Ilmedétesteparceque jeviscommeungossederiche et que j’ai toujours tout ce que je veux et que lui a été élevé par unemère prostituée qui leforçaitàdormirchezdesmecsavecelle.Etmoi…moi,jeledétesteparcequec’estluiqueCassieagardéetquemoi,moi,j’aijamaiseudemère.
Àboutdesouffle,ilsetait.Jeleregarde,lecœurbattantàtoutrompre,avantdereportermonattentionsurlafemmedansle
resto,del’autrecôtédelarue,qui,jelevoisbienmaintenant,flirteavecleclientquiestaubar.Seigneur…Onpeutvivretoutça?Vraiment?Réellement?Brusquement, Isaac me retourne vers lui en m’agrippant au menton et plonge ses yeux verts,
rougisetbrillantsdanslesmiens.J’enailesoufflecoupé.—Tu vois,Mia. Tu crois que tu n’es pas assez bien pourmoi.Que nous n’allons pas du tout
ensembleparceque tuesbriséeetque tuasvécu…que tuasétévioléeetqueça t’adétruite.Maismoi,jesuislapirechosequetuneconnaîtrasjamais.Moi,jesuisl’enfantduviol,abandonnéparunemèrequin’aurajamaisvouludelui,néd’unactemonstrueuxetd’unpèreinconnuaubataillon.
Mesyeuxs’embuent.Ilditçadefaçontrèscalmeetdétachée.Peut-onveniraumondeavecunbagageaussilourd?
—Nepleurepas,bébé.J’aimisquinzeansàm’yfaire,maisjem’ysuisfait.Jevoulaisjustequetucomprennes.Jen’aipasbesoindelapitiédequiconque.Jesuisbienoùjesuis.Jesaisquijesuis.J’aiMalouetSloan.Etmaintenant, je t’ai toi.Et j’ignoresi jenepourraiun jour recoller toussesmorceauxbrisésdetoi.Maistoi,tuarrivesàapaiserlacolèrequejeressens,àm’apaisertoutcourt.Toi,tumeréparesunpeuplusdepuisquetuesentréedansmavie.
Jebatsdescilspourm’empêcherdepleurer.C’estinjuste.Toutça,c’estinjuste.Etçamefaitmalpourlui.Jen’imaginemêmepasuneseconde
cequ’ildoit ressentir.Unemèrequi l’a rejetédès lanaissance,avantmême,parcequ’iln’étaitpasdésiré,parcequ’ilestissud’unactemonstrueux.
J’aienviedehurler.Pourquoil’universestaussicruel?Pourquoi!—Tumesuffis,Mia.Personnenem’ajamaissuffiàcepoint,souffle-t-il.Jel’aime.Seigneur,j’aimecegarçonimpossible,quimerendfolleetmefaitéprouvermillechoses.Etj’aimetouteslesimperfectionsquisommeillentenluietmêmelanoirceurquifaitpartiedelui.J’aimeraisluidiretoutcequejeressens.Maislesmotssefanentdansmagorge.Jemereculeetdoucement,enrefermantmesbrasautourdesoncou,jeleserrecontremoi.Ouje
meserrecontrelui,c’estdupareilaumême.Aveccetteimpressionquemoncœurvabondirhorsdemacagethoraciqueetluisauterauvisage.Isaactousseunpeu,mêmes’ilaposésesmainsdansmondos.Quandjemedétachedelui,sesjouessontunpeurougesetildétournelesyeux.—S’ilteplaît,nefaispasça,soupire-t-ilgêné.Jeluiremetssesmèchesdecheveuxenplaceetl’embrassedoucement.Ilabeaufaireledur,etmêmes’ill’estenvrai,etj’aibeaumesentirminusculedanssesbras,je
nepeuxm’empêcherdelecajoleretdememontrertendreaveclui.Parcequec’estlaseulemanièrequejeconnaissedeluiexprimermessentiments.
Etquelefairem’empêchedem’épanchersurmonpropresortetdepartageravecluimespeursetmaproprehistoire.
11
L’amouravectoiMia
Décembre,domainedesPaonsBleusQuatremois.Celafaitquatremoisquejevissurcetteîleetquejel’airencontré.J’aitoujoursdumalàcroirequ’Isaacetmoisommesensemblemalgrétoutcequiapusepasser
entrenous.Dumalàcroireaussiquejecôtoiesesgarçonsquimefaisaientvraimentpeur.Nonpasqu’ilsmesemblentmoinsdangereux,maisj’ail’impressiondetouslesconnaîtreunpeuplus.
Pourtant,mêmeentourée,avecdesgensàquijepeuxparlercommeeuxtous,commelesfillesdelabande,commeLukeégalement, jenepeuxm’empêcherde traînerce trop-pleindesolitude.Moiquinesuishabituéequ’àmasœuretmamère.
D’ailleurs,lecoupdefilquejeviensderecevoirn’arrangerien.EllesneviendrontpasàNoël,lasemaineprochaine.Mamanaenfintrouvéuntravailcorrectdans
une galerie d’art et elle ne compte pas le lâcher. Bien sûr, Lukeme propose de payermon billetd’avionpourallerlesrejoindreàPhoenix,maisilesthorsdequestiondeluidevoirencorequelquechose.Déjàquej’aidumalàremboursermavoitureaveccequejegagne.
D’humeur maussade, je gare ma Camaro bleue à côté des dizaines d’autres véhicules arrêtésdevantl’immensedemeure.
C’estledébutdesvacancesdel’étéaustral{11}àMaryIsland.Ledébutdesfestivités,puisqueNoëlestdanscinqjoursmaintenantettoutlemondeinvitetoujourstoutlemondeàcommenceràfestoyerchez lui. Aujourd’hui, Madame Saint-Clair organise sa traditionnelle Garden Party si j’ai biencompris.Etjesuisinvitéeaussi.
J’aimislacombinaisonàmotifsgraphiques,quejen’aijamaisportée,avecdescompenséestrèscolorées. J’espère que je ne serai pas en complet décalage avec les gens présents. Je ne sais pascommentons’habillepourveniràcegenred’événement.Isaacnem’aaidéeenrienenmelançantun«quoiquetuportes,ceseraparfait».Aveclui,toutesttoujoursparfait.
Quand je sonne, c’est Maggy qui m’ouvre. Aussitôt, la gouvernante affiche un sourire d’uneblancheuréclatante.
—Mia!Maisvouspouvezentrersanssonner,voyons!Venezparici.Tout lemondeahâtedevousrencontreretMadameSaint-Clairn’arrêtepasdedemanderquandvousarrivez.
Lerougeauxjoues,jetrottineàsasuitejusqu’aupatio,traverselamaisonetnousressortonsparlepetit salond’apparat, de l’autre côté, pournous retrouver sur la terrassedederrière envahiedefleursexotiquesquisententbonlesud.
Dans le jardin, de grandes tonnelles blanches ont été dressées et les invités flânent çà et là, endiscutantetbuvant…duchampagne.Laplupartsonthabillésdeblanc,loindescouleursflashyquejeporte.Jesavaisquej’auraisdûfairedanslasobriété.
Un serveurme tend un plateau de champagne et jem’empresse de prendre une coupe et d’enlaisserunpeumepétillersurlalangue.
Décidément,nousnevivonspasdanslemêmemonde,Zacetmoi.—Bébé…JesursautequandIsaac,derrièremoi,poseseslèvresdansmoncouetsamainsurmonventre.Quandjemeretourneverslui,j’enresteabasourdie.Qu’est-ceque…NomdeDieu!Ilporteunpantalonenlinblancquiluimoulesespartiesd’hommemuscléàlaperfectionetune
chemisedumêmestyle,unpeuouvertesursontorsetatouéetdontlesmanchessontremontées.Jenel’aijamaisvuhabilléaussi…casualetdécontracte.Loindesoncuir,desesboots,etdeses
jeansbruts.Jenepensaismêmepasqu’iloseraitporteruntruccommeça.J’aiécarquillélesyeuxdesurpriseetIsaacfroncelessourcils.—Oh,çava,nemeregardepascommeça,c’estMalouquim’obligeàmettresesconneries…,
grogne-t-ilcommel’oursdescavernesqu’ilest.Samauvaisehumeurmeredonnelesourire.—Tuesdiablementsexyenparraindelamafia.Ilasortisescigarettesdesapocheetsecouelatêteensoupirantd’agacement.Moi,jeletrouve
vraimenttrèsbeau,maisdetoutefaçon,c’estlecasquoiqu’ilporte.Sloan,quiestapparuedansunerobelonguejaunepâle,vientversmoipourmesaluer.Jesigneun:—Salut,commentçava?Isaacm’apprend quelques trucs.La base du langage des signes.Et jem’en sors pasmal.C’est
commeapprendreunelangueétrangère:plutôtmarranteteuphorisant.Quandjenecomprendspas, il traduitpourmoietsinon,Sloanlit trèsbiensur les lèvression
articule.Etcommejenecomprendsrienàcequ’ellemeraconte,là,toutdesuite,jemetourneversIsaac.Illèvelesyeuxaucieletcoincesacigaretteaucoindesaboucheenparlantetsignantenmême
temps.—Ellesevanted’avoirétéacceptéeàl’académieJuilliarddeNYdansleprogrammeavancéde
l’étéprochain.Ellepartenjuin.Sloanluidonneuncoupdecoudedans lescotesavantde taperdanssesmainsensautillantsur
place.
—Félicitations!jem’écrie,vraimentcontentepourelle.Nousnousétreignons,etpeut-être,peut-êtrequejelagardeunpeutroplongtempsdansmesbras.
Parcequ’ellemefaitunsouriregênéetqu’Isaacmeregarde,unedrôled’expressionsurlevisage.MaisellemefaitvraimentpenseràArizonaavecsonairenjouéconstantetjedoisdirequeçame
rendnostalgiqueetmélancolique.Quandelles’éloigneversd’autresinvités,jepenseàGabriel.Qu’est-cequ’ilvaenpenserdeça,
lui?—Toutvabien?medemandeIsaacenécrasantsaclopedansuncendrierpasloin.—Oui.Jesuisjustefatiguée.—TudevraisarrêterdetravaillerpourVinceetdormircommetoutlemondelesoir.Enfin,ce
n’estpassûrquejetelaissedormir,maisbon…Jesoupire.Onadéjàeucetteconversationmillefois.Jen’aiaucunautreboulotsouslamainetjenevoispas
commentjepourraisfairesansça.Celal’agace,carilestencourstoutelajournéeetquemoi,jesuisàlamaison.Puis,lesoirjebosseetfinisàpasd’heureavantdemecoucherépuisée.Nousn’avonspasvraimentdemomentsànous,parcequenosemploisdutempsnecorrespondentpas.Maiscen’estpasmafauteetjevoisdifficilementcommentjepourraisnoussortirdelà.
—Arrête,Zac.Tuavaispromisdenepasrecommencersijenequittaispaslamaison.J’yreste.Maisj’aibesoindeceboulotpourpayermonloyer.
—Tupourraisfaireautrechose.Maloupourrait…—Arrêtedelamêleràtouslesproblèmesdesgensquit’entourent!Marie-Louisen’estpasDieu
!EllepayelesétudesdeKillian,d’Ashton,vieillesureuxaussi,entreSloanettoi,ettucroisqu’elleabesoindemoidanslespattes?
Isaacadéjàouvert labouchepourmefustigerquandunemainseposesurmonépauleetnousinterrompt.Ils’agitjustementdeMadameSaint-Clair.
—Mia,vousêtesarrivée.Jeluisourisgentimentenessayantdenepasavoirl’aircoupableavecmacoupedechampagne.—Bonjour.Ellem’embrasseetfaitunclind’œilàIsaacquigrognedanssabarbe.—Venezavecmoi,ilfautquevousgoûtiezauxcrevettesgrilléesduchefDan.Jemelaisseentraîner,brasdessus,brasdessous,verslebuffeténormequiestdressé.Jeneveuxpasparaîtremalélevée,alorsjegoutteàpresquetoutcequ’ellem’indiqueetbientôt
j’ail’estomacaussirempliquesij’avaismangéunlion!Deplus,jecommenceàavoirlanausée…Isaacestrevenuversnousetm’arrachepresqueauxbrasdeMalou.—C’estbon,Malou,jecroisquetuvaslatransformerenpoupéegonflablegéantesiçacontinue.MadameSaint-Clairfaitcommesiellen’entendaitpasetsesertelle-mêmeentapenadeetavocats.
Moi-même,jefaiscommes’iln’avaitriendit,parcequesinon,onvaencoresedisputer.Isaacmetireverslui,enroulesonbrasautourdemataille,etleparfumdesonFahrenheitflotte
jusqu’àmoi.Ilchuchoteàmonoreille:—Etsionallaitdansmachambre?Mesjouess’empourprentinstantanément.—Zac…,s’ilteplaît…Tiens-toiunpeu.Jen’aiaucuneenviedemefaire remarqueraujourd’hui.Etpuis…, j’aiunecombinaison.Faire
desgalipettesm’obligeraitàmedéshabillerentièrement.Enpleinjour?Jesuismoinssûrelà…—Isaac!Unevoixnasillardeaupossiblenousfaitpresquesursauter.J’aiàpeineletempsdemeretournerquequelqu’unmebousculepoursautersurIsaac.Unefille,auxlongs,trèslongscheveuxchâtains.Ellesependàsoncouetl’embrassesurlajoue,
unpeutropprèsdeslèvres.Choquéeetdétachéedelui,jeresteinterdite.—Sharon?!s’exclame-t-ilavecunepointed’excitationdanslavoix.—Celafaittellementlongtemps,myboo{12}!Toutlesangaquittématête.Elleestjolie,vraimentjolie,laSharon.Grande,mince,osseusemême,avecunerobecouleurchairsiclairequ’oncroiraitquec’estsa
peau.Unaird’EmilyBluntdanssesfilms.—J’aicherchéàtejoindrerécemment,maisimpossible.Tunem’éviteraispasparhasard?Elleesttoujourspendueàsoncouetfrottesesseinssursachemiseblanche.J’aienviedelatirer
parlatignasseetdemarquermonterritoirelà.Çasefait?Moi,jenel’aijamais,jamaisfait.Isaacsepassenerveusementlesdoigtsdanslescheveux,maisjerestefixéesursonautremainqui
estposéedansledosdecette…pimbêche,etquitouchesapeau.Jesaiscequ’estlajalousie.Jesuisconscientequ’ellemedévore.C’esthorrible.—Maisnon…,soupire-t-il.J’ai…j’étaispasmaloccupé,alorstuvois…Elleluitapoteleboutdunezdel’index.—Oh,pasdeçaavecmoi,tun’asjamaisététropoccupépourmoi…Ilnemeregardemêmepas.Àaucunmoment.Jeposemonverredechampagnevide,faisvolte-face,etm’enfuisenmarchantvite.Je traverse le jardin en fulminant. Sans savoir où je vais réellement. Et jemanque presque de
marchersurlaqueuedumagnifiquepaonbleuquisebaladedanslacourdudomaine.Ilfautquejerespire.
Quejem’aère.Quejesortedetoutcemondequin’estpaslemien!Espècede…Machinalement, je pousse la porte de ce quime semble être une serre au fond du jardin,m’y
engouffreetm’adosseàcelle-cienrespirantprofondément.J’aienviedetaperdansquelquechose.Aveclui,c’estfou.Ondiraitquemessentimentssonttoujoursmultipliéspardix.Plusquejamais,
j’aienviedepleurer,demedéfouler,dehurler.Toutàlafois.Jemesuismontréebientropfragileavecluidepuisledébut.Bientrop.Situvoulaist’endurcir,Mia,c’estraté…J’ouvrelesyeuxetsouffled’énervementetdefrustration.Jesavaisqu’ilfréquentaitunnombre
incalculabledefilles,alorsàquoibonluijeterlapierre?J’étaisprévenue.Commentpourrait-ilsecontenterdemoiaprèsenavoirconnudespareilles?Surtoutqu’ellessejettenttoutesàsespieds.
Voilàimbécilecequec’estquedetomberamoureused’untombeur.Jeregardeautourdemoipourmerendrecomptequejesuisbienseule,enferméeavecuntasde
plantesgigantesques.Laserreestimmense,composéedefleursexotiquesetd’unemultitudedepanneauxdelianesoù
ellessontaccrochées.Ilyamêmeunepancarte:«Attention,plantescarnivores».Avecunegrimacededégoût,jefaisletouraussiloinquepossibledecetétalage-là.Jemarchedoucemententrelesétalsetm’arrêtedevantlesBlueMoon.Ellessontmagnifiqueset
trèsrares.Jen’enaijamaisvuailleursqu’ici.—Mia?JesursauteetmeretourneversMadameSaint-Clairdeboutàl’entréedelaserre.—Oh,excusez-moi…Jenevoulaispas…,jebafouille,gênéedemetrouverlà,loindetousles
invités.—Iln’yapasdeproblèmes,honey.Est-cequetoutvabien?s’enquière-t-elleenvenantversmoi.Ilyacettefameusequestionquedétestentlesgenscommemoi,quiontmalàlavie:est-ceque
toutvabien?Non,toutnevapasforcémenttrèsbiendanslemeilleurdesmondes.Maisjenevaispasluiexpliquer.
—Oui…,oui.Jevoulaisjuste…prendrel’air.—Celapeutêtredésagréabledenepassesentiràsaplaceparfois,n’est-cepas?demande-t-elle
enattrapantmesmains.Jedéglutis,nesachantquerépondre.—Jecroisqu’ilvousaimebeaucoup,Isaac.Enfait,j’ensuismêmesûre.Jenel’aijamaisvuaussi
heureuxquecesdernierstemps,lui,sitaciturned’habitude.Jepensequ’ilestamoureuxdevous.Nevousfocalisezpassurcequevousvoyezsimplement,regardezau-delà.
Jesais.Jelesaisqu’ilm’aime.Jenecomprendstoujourspascommentc’estpossible,nipourquoi
nicommentc’estarrivé.Maisilrestequiilest.Uncharmeuravecuneribambelledefillespenduesàsesbasques.
Etmoi,jenepourraipasêtreréellementavecluisansqu’ilfinisseparconnaîtremonpassé.Etcejour-là…
—Ilnefautpasavoirpeur,Mia,tente-t-elledemerassurer.Commentça?—Vousvoulezquejevousraconteunehistoire?Ellem’entraîneversunbancenferforgépasloinetnousyassiedsanslâchermesmains.—Ilétaitunefois,unepetitefrançaiseoriginaired’unvillagedeHaute-SavoieenFrance.Yvoire.
Néed’unpère français, pêcheur, et d’unemère américainevolagequi laissa son enfant à son tropjeunemariavantdes’envoleravecunbel Italien.Lapetitegranditauborddu lacLémandansunevieillemaisondepierresavecsonpapapêcheur.Jusqu’aujourdesesseizeans,oùellerencontraunbelAméricainenquêted’exotismeetd’aventures.ÀcroirequetouslesSaint-Clairétaientfaitspoursemarier à desAméricains.Au grand dam de son père quimenaça de lui couper les vivres, elles’enfuit avec ce jeune homme grand, beau et fort qui lui promettaitmont etmerveille. Fils d’unegrandefamillefortunée,ilnemanquaitpasderessources.IlssemarièrentsuruneîleenGrèce,firentle tourdumondeavecdesrêvespleinla têteetdesenviespleinlecœur.Avantdes’installersur lapetiteîlenataleduditjeunehomme,danslePacifique.Lafamilledecelui-cil’acceptasansconditionet ils firentdegrandsetbeauxprojets.L’universitéd’abord,puis lesenfants.Etalorsquesonpèreavecquielleavaitcoupélespontsluimanquaitcruellement,commepourluirappelersespéchés,ledestinneluidonnapaslachanced’avoirunedescendance.Laseulechosequ’elledésiraitpar-dessustout. La stérilité de la jeune femme créa un immense vide dans son couple et entraîna d’autresproblèmesqu’ellen’avaitpasvusvenir.Alcoolisme,violence.Sonmarisibeauetsiaimantautrefois,s’était transformé au fil des années et elle ne l’avait pas compris. Il enchaînait les liaisons sanslendemainetsecomplaisaitdanslemalqu’ilfaisaitàsapetiteFrançaise,commesicelapermettaitdelapunirdesonincapacitéàavoirdeshéritiers.Ildevientmêmeviolentetcetteviolencemenaàdesactesterriblesquejenevousraconteraipas.Ellevouluts’enfuir,divorcer,retournerchezsonpère.Maislevieillardsolitaireétaitmortauborddulacdanssamaisondepierres.Etlafamilledujeunehommen’acceptapasledivorceaussifacilement.Ilfallutqu’ellesebattebecetonglespourgagnercettebataille.Etlecombatfutlong.Etunsoir,envoitureavecunedesesmaîtresses,ilfitunesortiederouteetpercutaunarbre.Lajeunefille,quiétaitdevenueunefemmemarquéeparlavie,pleurabeaucoup.Mais pas seulement de tristesse, non, de soulagement aussi. Elle n’eut jamais d’enfants.Mais en travaillant longtemps pour une instance sociale, elle rencontra un petit garçonmeurtri etaussisolitairequ’elle.Etcefutlecommencementd’unerelationmagnifique.
Ellealesyeuxembués,maisungrandsourireéclairesonvisage.Moi,j’ailagorgeserrée.—Vousavezcompris,Mia.Cettejeunefemme,c’étaitmoi.CettejeunefemmeC’ESTmoi.
Jehochelatête.Pourquoimeracontersonhistoire?—Isaacneveutpasmeledire.Maisvousmefaitesbeaucouppenseràmoi.Etjecroisquevous
aussi avez beaucoup souffert. D’ailleurs, je pense vraiment qu’Isaac ne pourrait pas s’intéresser àquelqu’unquivitunepetiteviebientranquilleetrangéecommeSharon.Ilestbientropempathiquepourça.Oui,oui,ill’est.Etvous,vousêtesbientropjeunepourvivreenfermée,danscettesombremaisonsurlelac.
Je ne sais pas quoi répondre, alors je me tais. Comment a-t-elle pu me percer à jour aussifacilement?
—Vous êtes la bienvenue ici, quandvous le voulez.Cela nemedérange absolument pas.VoirIsaacheureuxnepeutquemeréchaufferlecœur.
—Merci,jesouffle.Maisje…—Tsss…,jeunefille.Maintenant,ilnefautplusêtretriste.Lavien’estpassimple,maisilyena
tantàvivre.Nousnepouvonspassernotretempsànousapitoyersurnousmême.Venezavecmoi…,unecoupedeTaittinger{13} nenous ferapasdemal, à l’unecommeà l’autre.Et surtout,ne laissezpersonnevousprendrecepourquoivousvousêtesbattue.
Elles’estredresséeetm’entraînevivementau-dehors,samaintoujoursfermementagrippéeàlamienne.
NousnousdirigeonsdenouveauverslebuffetoùIsaacsetrouvetoujoursavecl’autrependueàsoncou.Onlesregarderait,qu’onpenseraitàunvraicouple.
MadameSaint-Clairmetenduneflûtedechampagne.—Buvez!D’abordhésitante,jefinisnéanmoinsparingurgiterleverred’unetraite.Puis,ellemel’arrache
desmainsetmefaitdegrosyeuxenzieutantversIsaacetsacopine.—Allez.Inspire.Expire.Jesouffleetmedirigeverseuxd’unpasdéterminé.Jetapotesurl’épauledelafilleauxtalonsdequinzecentimètresetelleseretourneversmoiense
détachantlégèrementdelui.Jecroisemesbrassurmapoitrinedansungesteplusqu’offensif.—Bonjour.Mia Gilmore. J’ai cru comprendre que vous vous connaissiez,mais je dois vous
demanderdelâcherlecoudemon...mon…monpetitami.Ellehausselessourcilsetfinitparsedétachercomplètementdelui.D’abord surpris, je vois Isaac semordre la lèvre pour s’empêcher de rire enme lançant une
œilladequiveutdire«sérieusement?»Eh,bahouais,sérieusement!Onestplusdesgamins.Maisilpourraitarrêterdemefairepasser
pourlapotichedeserviceaussi.—Oh.Vousvoulezdirequ’Isaacetvous…Moncœurbatàtoutrompredansmapoitrine,maisj’adopteuntonfroidettrèssérieuxtoutde
même.—Oui,onestensemble.Jesuissacopine.Saco-pi-ne.J’imaginequ’ilyaeudeschosesentre
vous,maisc’estfinicetteépoque.Aujourd’hui, ilestavecmoi.Cequisignifienonseulementqu’ilpeutmesauterquandl’envieluiprend,maisaussiqu’ilmetientlamain,laporteetquejedorsdansses bras la plus part du temps. Cela veut également dire qu’il n’y a plus aucune raison pour quen’importequellegreluchesepermettedesepâmeràsoncoudevantmoi.Alors,retirezvospattesdelà.
Jem’adresseàIsaacmaintenant,lesnarinesdilatées.—Bon,tuviensouquoi?Dépêche-toi.Je tourne le dos pourme diriger vers lamaison. En passant près deMadame Saint-Clair, elle
m’envoieunclind’œiletjerésisteàl’enviedesourire.Isaacmesuit,tandisquel’autreresteabasourdie,deboutdevantlebuffetennousregardantnous
éloigneretgrimperlesmarchesdelamaison.Unefoisàl’intérieur,jetraverselesalonetlepatiod’unpasdécidé,maisIsaacmerattrapedans
lesescaliersetmeplaquevivementcontrelemur,lesmainsdechaquecôtédemoncorpspourquejenepuissepasmedébattre.Ilcollesonnezaumien,maisjelefusilledesyeux.
—C’étaitquoiça,valkyrie?Tutelajouesdominatricemaintenant?—Jenejoueàriendutout.Et toi tudevraisarrêterdejoueràçadevantmoi.Ambrec’estune
chose.Lesautres…jenevaispassupporterd’être…oubliéeet…humiliée.Ilsemordlalèvre.Puissouris.—Tuesunevéritablepetitejalouse,maparole.—Arrêteça,Isaac!Çanem’amusepas!—Ahbon?J’aienviedejouermoipourtant.Ilm’embrassepourmefairetaire.Jerésisteàl’enviedeluimordrelalangue.Maisledésirest
bienplusfortquelacolère.Ilm’embrasebienplusfacilement.Jeluirendssonbaiseretquandnoslèvressedétachent,j’ailesoufflecourt.—J’aimequetufassesça,continue-t-il.—Quoi?—Montrer que je suis à toi aussi.Mais je t’interdis demedonner des ordres encore une fois
commetuviensdelefaire,c’estclair?C’estcequ’onvavoir,tiens!J’ouvre la bouche pourme défendre et le fustiger,mais il écrase de nouveau la sienne sur la
mienneetsesmains trouventmesseins,sebaladent fébrilementsurmoi,et tandisque jechercheà
m’enfuir,ilmerattrapeetm’obligeàluirendresonbaiser.NoustombonspresquedanslesescaliersetIsaacseretientàlarambardeetmetientalorsquejelerepoussedesdeuxmainsetgrogne,àcran.
—Non…,non,non…,tum’énerves…Et c’est tellement vrai qu’il m’énerve et me fait sortir de mes gonds. Je tente de l’éloigner
davantage,maisilmeplaqueaumuretlechocdécrochel’undescadressurlamoquettequirecouvrelemarbre.Jemepenchepourleramasser.
—Jecroyaisquejepouvaistesauterquandl’enviemeprenait,raille-t-il.Jesouffle,quelquesmèchessensdessusdessousetleslèvresgonflées.—Danstesrêves.J’aiditçapourqu’elletelâche,c’esttout.—T’essacrémentculottéetoutdemême,soupire-t-ildansmescheveux.Jeremetslecadreenplace.Undesclichésennoiretblanc.—C’esttoiquilesaspris?jel’interrogeendésignantlesautres,changeanttotalementdesujet.—Oui.Tuaimes?Jehochelatêteetilmeregardetrèssérieusementmaintenant.Est-cequ’ilmedemandesij’aimelesphotosousijel’aimelui?Parcequelaréponseauxdeux,
c’estoui.—Ondevraitenfaireunedenousdeux,jesouffleencore.—Quoi,detoietmoi?Mes joues se colorent. Oui, je n’aime pas les photos en principe. Je n’aime pas qu’on me
photographiemoi.Maisnousdeux,c’estdifférent.—Oui,unedenous.Isaacfaitlamouepuismetireparlamainetm’entraîneencourantenhautdesescaliers.Jelesuis
jusqu’àsachambreoùilclaquelaporteetfouilledéjàundescartonsalorsquejemelaissetombersurlelit.
Etilrevientprèsdemoi,meforceàm’allongeraveclui,etunbrasautourdemoncou,iltendledeuxièmeau-dessusdenousetm’embrassesurlajoueennousflashantavecungrosappareiltouslesdeux.Ilasortiunvieuxpolaroid.
Laphotos’imprimeimmédiatement.Illaretireetenprenduneautre.Maiscettefois,ilmetourneversluietcollemonnezausien,mesyeuxdanslessienségalement.
Jecalemamainsurl’arêtedesamâchoireetcaressesabarbedetroisjours.—Jepourrais,peut-être,resterdormirlàcesoir,j’énoncedoucement.Ilsourit,détacheleclichéetposel’appareilsursonlit.—Sic’estlajalousiequitepousseàfairedestrucscommeça,alorsjevaisterendrejalouseplus
souvent.Ilritet,moi,jeluienvoieuncoupdepoingdansletorse.Avantd’arracherlaphotodesesmains.Jelasecouepourlasécheretnousobserve.Onestbeaux.
—Celle-là,elleestpourmoi.—Prendstoutcequetuveux,murmureIsaac.Toutestàtoi.Ilarecouvrésonsérieux.Les sentiments affluent comme le sang dans mes veines. Ma poitrine se gonfle d’un puissant
pouvoir:l’amour.
IsaacLesinvitéssontpartisdepuislongtemps.Commejel’avaisprédit,çan’aposéaucunproblèmeà
Malouquandj’aiditqueMiaresteraitdormir.Maisdemain,c’estlundi,etj’aiunetonnedecoursàrattraper.Saufquec’estimpossibledebosser
avecelleàproximité.Surtoutquandelletraînedansmesputainsdefringues.Elleportejustemont-shirtetseulementuneculotte.Etellelit,enrouléelascivementdansmesdraps,unejambepar-dessus,comme si elle avait chaud.Voir sa cuisse épaisse à peine recouverte parmon haut et ses cheveuxétalésautourdel’oreillercommeçamerenddingue.
Concentre-toiZac…,letauxdeglobulerougedansunlitredesangéquivautà…J’entends le bruit des pages qu’elle tourne et çameperturbe ça aussi.Elle s’estmise à lireLe
portraitdeDorienGray,seslunettessurleboutdunez.Ellefaitbienplussérieuseenlesportant,maisputaincequec’estsexycetteimagedepetiteétudiantemodèlequ’ellerenvoie!
—Tufaisquoi?LavoixdeMiam’interromptenpleinmilieud’unerecherchesur leschromosomesetglobules
rougesetblancsenbiochimie.Bordel,qu’est-cequej’enaiàfoutredecesconneries?!Heureusementquej’auraimondiplômedansquelquesmois…—Zac?Jelâchemonordi,moncrayon,ainsiquemoncarnet,etreculeaufonddemonfauteuil,lesmains
derrièrelatête.—Unerecherchepourmoncoursdebio.Pourquoij’aiprislabiochimiedansmesmatièresprincipales…Sur le lit,Miase redresse sur sescoudes.Elleaabandonnésonbouquineta retiré ses lunettes
pourm’observer.Déjà,commentmefocalisersurmesdevoirsavecelledanslamêmepièce?C’estimpossible.Et
enmême temps, quand elle n’est pas avecmoi, je n’arrive pas àme concentrer parce que jemedemandesanscessecequ’ellefaitetavecquielleest.
—Tuenaspourlongtemps?À sa voix, je comprends qu’elle est ennuyée, mais parviens à saisir le fond de sa pensée, ce
qu’elletentedemedire.Cependant,sijepassemontempsàlabaisercommejevoudraislefaire,jedoutequelemonde
arrêtedetourneretquemesnotessefassenttoutesseules.Etjen’aipasl’intentiondemeretaperuneannéedefac.Plutôtcrever.
—Jesuisloind’avoirfini.Tut’ennuies?Ellehausselesépaulessansmerépondreetesquisseunemoueboudeuse.J’aimeraistirersurcette
petitelèvreinsolente.Aurevoirchromosomesetglobules.Jevaisencoreperdrel’esprit.Jel’observeselever,marchersurlapointedespiedscommeellelefaitsouventsanss’enrendre
compte,etvenirversmoienondulantseshanches,lesyeuxbaissés.Elleaunsex-appeald’enfer,etenmêmetemps,cetteinnocencequimecoupelesouffle;c’estfou
!J’ai lecœurqui semetàbattre sourdementquandelle sepencheet refermesesbrasautourde
moncouenyenfouissantsonnez.Jenem’yhabituepas.Avec les filles, jecouche,pointbarre.Àmoinsqu’onait lemêmecercled’amis,etencore,aucunenem’approchecommeelle le fait.C’estbientropintime.Jen’aijamaiseuletempsnil’envied’unsimplecâlinavecaucuned’elles.
Jemegrisedecemoment.Cetinstantoùj’ail’impressiondecompterréellementpourquelqu’und’autre.Ellenem’ajamaisditqu’ellem’aimait.Maisellemelaissecroirequec’estpossible.Etj’aisipeurmaintenantd’êtresanselle,queçameva.Jeneluidemanderiendeplus.Jeveuxjustequ’ellereste,qu’ellenem’abandonnejamais.
Jel’attirecontremoietdécided’unepause.Ilest20heures.J’aiencoreletempspourlesglobules,plustard.Miavients’asseoirenpassantune jambepar-dessusmoietenrefermantpar lamêmeoccasion
seslèvressurlesmiennes.Ellem’embrasseenmeprenantaudépourvuetenfouitsesmainsdansmescheveux.
—Wow…Bébé,qu’est-cequetufais…Ellesereculeunpeupourmeregarderetjelisdanssesyeuxtroplourdscequ’elleneparvient
pasàmedire.— Je pensais que tu voulais faire une pause, me répond-elle d’une toute petite voix, tout en
rougissant.—Tuasenvie?jedemandeclairement.Pas lapeinedepasserparquatrechemins.Enplus, j’aimeraisqu’ellese lâche,quecegenrede
chosedeviennenaturelpourelle.Miasemordlalèvreethausseencorelesépaulesenregardantailleurs.Craquante.Jeposemesmainssurseshanchesetcaressesapeausoussont-shirt.—Dis-le,bébé.—J’aienvie,souffle-t-elletoutbas.Bordel,jebande!Àquoi bon lutter ? Jeme penche vers elle et prends avidement possession de ses lèvres alors
qu’elles’accrocheàmescheveux.J’aifaitçaàdesmilliersdereprises.
Enfin,bon,pasexactement.Lescâlins,lesbisous,cen’estpastropmontruc,maislesexe,si.Jedisais,j’aifaitçadesmilliersdefois.Caresser,exciter,rendredingue.Pourtant,c’estdifférent.
Avecelle,c’esttoujoursdifférent.Mesmainssefaufilentsoussonhautpourcajolersonventre.Cederniersecontracte.IlluifauttoujoursdutempsàMiapoursedétendre.J’ysuishabituémaintenant.Mesdoigtsglissentlangoureusementsursapeaubronzée,tracentsacicatriceetluiarrachentun
gémissementàl’instantoùellequittemeslèvres.Jemepenchealorsetrefermemabouchesursonsein,directementsurlet-shirt,etellerittouten
s’étranglantenmêmetemps.Unetracehumideest inscritesur le tissuetencerclesonaréolequisedresse,delamêmemanièrequemaqueuedansmonfroc.
Maisaufait…Qu’est-cequejefousencorehabillé?!Rapidement,jeretiremonpropret-shirtetellem’aideàallerplusvite,puisdessineduboutdes
doigts,lesdessinsencréssousmapeau.Cecontactmefaitfrémir.— J’aimerais bienm’en faire un, murmure-t-elle tout bas en traçant les ailes qui ornentmon
torse.—Untatouage?Non.Elle est suffisammentmarquée. Jeneveuxpasquequoique ce soit d’autre lui entaille la
chair.Ellen’estpascommelesautres.Pasbesoind’artificespourêtreparfaite.—Oui.—Tun’enaspasbesoin.Tuesparfaitecommeça.Jeneveuxpasquetuchanges.Ellenerépondpasetglisseelle-mêmelesdoigtssoussont-shirtpourlesoulever.Jel’aideetle
faispasserpar-dessussatêteavantdelebalancersurlamoquette.J’ai remarqué que le soir, elle est plus débridée. Comme si la nuit devait me la faire voir
différemment.Maiscen’estpaslecas.Aucontraire.Jerêvedeluifairel’amoursursonpontonauborddulac,enpleinsoleil,augrandjourousursaterrassequandlejourselève.
Jerêvetoujoursdelaprendrepartout.Parfaite.Elleestvraimentparfaite.Sesseins,auxaréolesrosées,pointentdroitversmoi,commes’ilsm’appelaient.Jevaissouiller
monpantalonavantd’avoircommencé.—Parfaite,jenepeuxm’empêcherdesouffler,enadmirationcomplèteavantdeplongerverssa
poitrine.Duboutdelalangue,jelatitille.Ellebasculelégèrementenarrièreàsontourens’accrochantà
moncouetfermelesyeux.L’imagesisexyd’elleofferte,souslalumièrefaibledemonbureauetdelachambre,ensimple
culottenoire,penchéesurlemeuble,estjusteuncoupàmefaireperdrelatête.BonDieu!Jelasoulèveunpeu,posesesfessessurlebordduplandetravail,etd’uncoupdemain,envoie
toutvalserderrièreelle.Mia cligne des yeux et regarde le foutoir que je suis en train demettre, tout en lui descendant
vivementsaculotte.—Ne…nemetpaslebordel,commeça…ilfaudratoutrangeraprès…Jerisdoucementenfaisanttomberlaboîteàcrayonsquis’éparpillentsurlamoquette.Miaetsa
maniedurangement…C’estpresquemaladif.—Ons’enfout,bébé.Mes mains se referment sur ses cuisses et je pose mes lèvres à l’intérieur, là où sa peau est
égalementabîmée.J’aienviedecasserlatêtedeceluiquiafaitça.Mêmesijesaisquec’estdéjàfait.Jesaisqu’elle
s’enestdéjàsortie.Pourtant,elleadescicatricesunpeupartout.Trèsfinesetquinesevoitpassionn’yportepas
bienlesyeux,maismoi,jelaconnaisparcœurmaintenant.Onluiafaitsimalqueçamedonneenviedevomir.
—Zac,s’ilteplaît…Sesdoigtsserefermentdansmescheveuxetelletiredessus.Putain,cetrucdefouquejeressensquandellemefaitça.Lespoilsdemesbrassehérissent,machairdevientépineuselelongdemacolonnevertébraleet
j’ailesangquiafflueentremesjambes.Pourtant,jeneveuxpasyallertropvite.J’embrassel’intérieurdesescuisses,sesmusclestendus,
etrespire,fleuresonsexepasloin.J’adoresonodeur,songoût.Mesdoigtscreusentdessillonsdanssapeauetellenepeutseretenirdegriffermesépaulesparce
quejeprendsmontemps.Satêtereposesurmeslivres.Quandj’appliquemabouchesursachattetoutetremblanteetfrémissante,ellesursauteethoquette.Jesaisbébé,jesais…Situpouvaismefairelamêmechoseàmoiaussi…Je souffle sur son humidité et elle tressaille, gémit, avant que ma langue ne fouille ses plis
parfaits.Toutchezelleestdoux.Jelapeparpetitscoups,boislejusdeplaisirquiendécoule.Etmedélecte
detoutcequ’ellemedonne.Quandjelasensauborddel’implosionetquejeperçoisunecontraction,jelarelâcheetreprends
montemps.Ellesouffle,pleurniche.Jesaisquejel’énerve,maiselleneditrien,n’osepas.N’enpouvantplusdelavoirécartelerlà,surmonbureau,offerterienqu’àmoi,jem’empressede
défairemonpantalonetdel’envoyervalseravecmoncaleçond’unseulcoupdepied.
Jesuisàdeuxdoigtsd’exploser.—Isaac,jet’enprie…J’adore.J’adorequandellemesupplie.—Oui,bébé…—Viens…Quecesoitellequimedisedevenir,delaprendre,c’estmaplusgrandevictoire.Parcequeça
signifiequ’elleaconfianceenmoi.Suffisammententoutcaspourm’offrirça.Aussitôt,jem’enfonceenelle.Etmesyeuxserévulsent.C’est…Comme une explosion de couleur. Je vois rouge, bleu, ressens des choses que je n’ai jamais
ressenties.Inexplicable. Simplement tétanisant. Le premier va-et-vient me fait moi-même gémir. Je la
maintiensparleshanches,ressorspourressentircemanqueetreplongeenellerapidement,avideetcomplètementaffoléd’êtresiloin.
Clairement,elleestfaitepourmoi.Jenousregarde.Soncorpsetlemiensontparfaitementmoulésetfaitspours’emboîter.Comme
unpuzzle.J’aitrouvélapiècemanquante.Miarefermesesjambesautourdemoietmetirepourm’embrasser,sesyeuxlourdsdedésiret
presqueclos.Çasentlesexeetjen’aidéjàplusdesouffleetcherchel’air.Siçacontinue,jevaisjouiravantd’avoirprofitéàfond.Jedécidedetenterlecoup.—J’ailedroitd’êtrebrutal?—Je…oui,ahane-t-elle,lesyeuxàdemifermés.Elleaditoui,bordel!Elleaditoui!OK,bébé,onyva…Jeressors,enfoncemesdoigtsdansseshanches,etplongeviolemmentmonsexeenelle,faisant
crisserlebureauettombermeslivres.Elle s’étrangle, se redresse sur ses coudes, et j’observe, attentif, chacune de ses réactions. Pas
question de lui faire tropmal.Mais son expression est plutôt celle de quelqu’un qui est en totaleextase.
Jerecommenceetellesoulèvesesfessespouraccompagnermonmouvement.Dedans,dehors,dedans,dehors…Miagémit,ellenecriejamais,maisplusonfaitl’amour,pluselleselaissealleràmanifesterson
plaisir.Etcettefois,ellefaituntrucencoreplusfou.Ellesesoulèveetobserveavechonteetdélectationenmêmetempsmonsexeveinéetépaisentrer
etsortird’ellecommeunpieuquicreuseraitunechairprofonde.Bordel!Quemoijenousregarde,çam’excitedéjà,maisqu’elle,ellelefasse,alorslà,c’est…Jenevaispastenir.J’y vais plus fort, toujours plus fort, sors, la retiens, et me ramène brutalement en elle. Tout
s’effondreautourdenous.Elleahane,gémitplusfort.—Ah…ah…ah…Miasecontracteautourdemoiaumomentoùmaqueuegonfléeàblocexploseenpuissantsjets.
Je jouiscomme jamais.C’est intense,violent. Je luimords l’épauleenm’affalant surelle,presquemalgrémoi.
—Jejouis,jejouis!Bordel,jejouis…Jemeplainsavecdésespoircontresapeauparcequ’unbrusqueélandeluciditémefaitpenserà
untrucessentielautraverslafindumondequejevis.—Lacapote…,bébélacapote…,bordel…J’arriveplusàrespireralorsjemetais.Miaessayeégalementdetrouverunsouffled’air.Elleme
caresseencorelescheveuxtandisquesapoitrinesesoulèveaussifortquelamienne.—Jeprendslapilule,merépond-elled’unetoutepetitevoixhachée.Alors seulement, je lève la tête pour la regarder en m’appuyant sur mes coudes. Elle fixe le
plafondetdeslarmessilencieusess’échappentdesesyeuxàprésentouverts.—Est-cequejet’aifaitmal?jem’affole,enessayantdemerelever.Onvientdebaiser sanscapote, sans lubrifiant, et cequipeutêtregénialpourmoi,ne l’estpas
forcémentpourelle.Çaatendanceàmesortirdelatête.Etàrevenirtroptard.—Jet’aisenti,Zac…—Jesais,jesuisdésolé…,j’ypensaisplus,on…onaoubliélacapote…—Jet’aisenti.Aufonddemoi.J’essayedecomprendrecequ’elleveutdire.L’intonationdesavoix.J’ai l’impressionquec’est
unebonnechose.—Etc’étaitbon?Ellehochelatête.OKjesuisperdulà.—Ben…pourquoitupleures?—Je…jesuisheureuse…Voilà.LàesttoutelabeautéenMia.Alorsquemoi,jepensequejeviensjustedelabaisersurmon
bureaucommeledernierdesenfoiréssansmesoucierdesonconfortnirien,elle,ellevoitleparadisenmoi.Ellequin’aconnuquel’enferavant.
AvecMia, les sentiments prennent le pas sur tout le reste, même sur la baise pure et dure. Àchaquefois.Lessentimentssurpassenttout.
J’ai lapoitrinequimebrûle.Putain, je l’aime.C’estuneévidencequi, commechaque fois,meclouesurplace,m’empêchepresquederespirer.Commentjevaisfairesansellemaintenant?Etsinousdevionsêtreséparés,commentj’ysurvivrai?
Ilmefautunmomentpourparlerdenouveau.—Ettupleuresmêmelorsquetuesheureuse?Je ne connais personne qui pleure autant qu’elle. Peut-être qu’elle a gardé un trop-plein de
sentimentstoutessesannées.Miahochelatêteetm’attireunpeupluscontreelle.—Jeveuxrecommencer.—Maisbébé…—S’ilteplaît,Isaac,jeveuxrecommencer…OK,moiaussij’aikifféluifairel’amoursanscapote,mais…tranquille.Jesuisencoreentrainde
meremettredececoup-là.Jerisdoucementenl’embrassantsurlamarquerougequej’ailaisséesursonépaule.—Bébé,cen’estpasquejeneveuxpas,mais…jesuistoujoursentoi.Jenesuismêmepassorti
quetuveuxrecommencer.Elleouvrelabouche,puislarefermesansprononcerunseulmot.Avantd’esquisserunbrusque
souriremoqueur.Jenesaispassiellesefoutdemoioud’elle-même.Ondirait laMiabagarreusequej’airencontréeaudébut.
Jenebandeplusqu’àmoitié,mais tantpis, j’enprofiteencoreunpeu.Je luidonneuncoupdereins soudainqui fait immédiatementdisparaître son rictus encoin.Elle s’étrangle.Et c’est àmontourdesourire.
Trèssérieuse,elleattendlasuite,maisjemeretiredoucementpournepasluifairemal.—Zac…non…Jerisencore.Finalement,elleestinsatiable.—Écoute-moi,bébé, tuvas tecasser ledossurceputaindebureau,ouc’estmoiquivais te le
briseràforcedetebaisercommeça.Tusaiscequ’onvafaire?Onvasemettredanslelit.Jevaisaller enbas chercherde laglaceet jevais temontrer tout cequ’onpeut faire avec.Tupourras lamanger bien sûr, mais si tu n’en veux plus, je pourrais te montrer comment ne pas la gaspillerentièrement.
Elleécarquilledegrandsyeuxenrougissant.Sespetitestachesderousseursecolorent.Jel’adorecommeça.
—Avec…avecdelaglace?Mais…—Quoi?—Maisc’estfroidlaglace.Bon sang, cette fille auramamort.Bien sûr que c’est froid.C’est pour ça qu’aumilieu d’une
partiedebaisetorride,iln’yariendemieux.Jelasoulèveparlesfessesalorsqu’elles’accrocheàmoietjel’enlèvedubureaupourlaposer
doucementsurlelit.Soninnocenceauratoujoursraisondemoi.—Oui,c’estfroid.C’estleprincipe.Alors?Tuenveux?Maisilfaudramoinscriercettefois.
Malourisquedeseréveiller.Mia grogne un truc inintelligible et je me penche pour l’embrasser encore, sentant tout son
effluvedefemmedépravéequisemêleàl’odeurdesapeaudebébé.C’estunetorturedem’arracheràsesbraspourenfilerunpantalonavantdedescendre.Maisj’ai
l’intention de faire durer cette nuit le plus longtemps possible. Elle risque de le regretter demainmatindansunélandelucidité,etça,jeneleveuxpas.Pasavantquejel’aiebaiséeencorecommeça.
J’aitroprêvédem’enfouirenellesanscapote,sansbarrière.Peaucontrepeau.Etsesréactionssontau-delàdetoutesmesespérances.
Etlasensationaétéau-delàdemespirespensées.Jenepeuxm’empêcherdemedirequedécidément,jesuisvraimentdinguedecettenana.Elleme
faitperdrecarrémentlatête.Baisersanscapote.Commentj’aipunemêmepasm’enrendrecompte?Est-cequej’aiperdul’esprit?Elleaétéviolée.Torturée.Jeprendsdesrisquesconsidérablessachantquejenesaisriendeconcretsursonpassé,àpartqu’onluiafaitbeaucoupdemal.
Quandunemainseposesurmonépaule,jesursauteetrentredansleplandetravaildelacuisineoùmonpotdecrèmeglacéevanille-cafés’échappe.
—Ohbordel!Sloan!Tum’asfichulafrousse!Ellem’observeavecdesyeuxrondsavantdemedétaillerdelatêteauxpieds.Jesensmesjouessecolorerunpeu.Bonsang!—Qu’est-cequetufousencorelà?jesigne.TunedevaispasdormirchezJulia?Sonvisages’illumined’unsourire.—Elleestmalade.Gastro.J’aipréférélaissersamères’occuperd’elle.—Ah.Etmerde.Jeregardelepotdeglaceavecdéception.Sloansuitmesyeuxetsonsourires’agrandit.—Miaestici?Jemedétourne,gêné,etelleagitelesmainsdevantmoipourquejelaconsidère.—Vouspouvezfairecequevousvoulez,jesuissourde,merappelle-t-elle.Jemesensencorepluspathétiquealorsqu’ellesemetàrire.C’estvrai,ellen’entendrien.Je ne peuxm’empêcher de la fixer avec gravité,mais elle se pend àmon cou etm’embrasse
doucementsurlajoue.—Bonnenuit,signe-t-elleavecunclind’œilavantdes’échapperverslesescaliers.En tout cas, le premier qui la touchera, elle, eh bien, j’espère qu’il aura les couilles bien
accrochées.
12
Junior,l’insondableMia
Je hume les effluves de son parfum d’homme. Il sent terriblement bon. Je relève son t-shirtjusqu’àmesnarines pour le respirer encore.Maman faisait tout le temps ça avec les vêtements depapa.Jelasurprenaisàlesrenifleràpleinspoumons,enlessortantdelapenderie,mêmelongtempsaprèsqu’ilsoitparti.
Lesoleilfiltrelégèrementparlevoletdelachambreetjevoisleflacondesonparfumrenversésurlebureauoùnousavonsfaitl’amourhiersoir.Nousavonsfoutuunbordelpaspossible.
Maispourunefois,ledésordrenemedérangepas.C’estunbeaubazartoutça.Jemesensapaiséecematin.Enpaixavecmoi-même.
—Qu’est-cequitefaitsourire?Lavoixd’Isaacdanslecreuxdemonoreilleachèved’agrandirmonsourire.Ilnedortplus,jenel’aimêmepasentenduselever.Jemeretournevers luiet ilse rapprocheencorepourmeprendredanssesbras.Lematin, ila
toujourscetairboudeurquej’adore.Enfrottantmonnezcontrelesien,jemurmure:—Quandjemeréveillelanuitetquej’aipeurde…moi,j’aimebiensentirquetueslà.Sentirton
brasautourdemoi.Çam’apaise. Jene savaispasquec’était si réconfortantdepasser lanuit avecquelqu’un.
Ilm’embrasseetjemesenstoutalanguieettoutemoelleuse.—Jesuisbienavectoiaussi.Tusaisquejen’avaisjamaisdormiavecunefilleavant?—Jamais?—Jamais.Onrestelà,àsecâlinerpendantencorequelquesminutes.Mille choses me traversent l’esprit. J’ai peur de me réveiller. Me réveiller vraiment. Notre
histoireressembletellementàuneparenthèseenchantéepourmoi.Qu’ensera-t-ildenous,demoi,quandilapprendratoutcequej’aifait,vécu,etquijesuis?Je saisqu’il croitque riennepourraentachernotre relationet cequ’ilpensedemoi.Maisça,
c’estparcequ’ilignorelaprofondeuretlanoirceurdemonpassé.D’ailleurs,mêmesij’ensaisplussurlesien,jenesuispasaucourantdetout,pasvraiment.—Zac?—Hum…J’hésite,maisfinalement…
—QuellientuavaisavecLara?Ilouvredenouveaulesyeuxetmetlongtemps,trèslongtempsàmerépondre.—Tuveuxdire,LaraLarson?—Oui.Jevisdanssamaison.Audébut,vousm’avezpourrilavieparcequejevenaisvivredans
lamaisondevotremeilleureamiedécédée.Maispersonneneparled’elle.Est-ceque…est-cequetusortaisavecelle?
Isaaccaressemajoueduboutdesdoigtsetmeregardetrèssérieusement.—Non.Jecouchaisavecelle.Commeavecuntasd‘autresfilles.Desfillesquinecomptaientpas.Mapoitrineseserre.— Jemefaisdépister régulièrementMia.Jesuisclean.Mêmenéd’unemèreprostituée, jesuis
clean.Ethier,c’étaitlapremièrefoisquejefaisaisl’amoursanscapote,jetelepromets.Cen’estmêmepasçaquimefaitmal,imbécile.Maisjustement,surcepoint,ilfautquejesoisclaireégalement.—Moiaussi,jesuisclean,tusais.Jemesuisfaitdépisterdesdizainesdefoiset…jen’aijamais
rieneu.Jamais.Mêmepaslapluspetitehépatite,cequiestplusqu’étonnantavectoutcequeDeaconm’a
faitetquej’aisubi.Isaachochelatête.Maisinutilededétournerlesujet,jeveuxjusteensavoirunpeuplus.—Elleétaitcomment?—Tunel’auraispasaimé.Ça,jelesais,cardupeuquej’ailudesonjournal,elleétaittotalementàl’inversedemoi.Un instant, j’hésite à lui en parler, lui dire que je l’ai découvert il y a bien des semaines
maintenant.Mais je suis sûre qu’il voudra le voir,me forcera à lui donner et… je nepas certained’appréciercequ’onpourraitencoreydécouvrir.
—Pourquoitudisça?—ParcequeLaraétait…c’étaitLara.Ellen’étaitpaslananalaplustimidequisoit.Jem’empêchedehocherlatête.J’aicrucomprendre,oui.Isaacreprend:—Ellen’étaitpascommetoi,tusais.Elle…ellecouchaitavecmoietavecuntasd’autresmecs.
Elle était la fille la plus folle de mon entourage. Très extravertie. Pas vulgaire comme tul’imaginerais,maisplus…provocante.Ellefaisaittoujoursl’inversedecequetoutlemondeattendaitd’elle.Cesparentslaprenaientvraimentpourlapetitefillemodèle,maiselleétaitloindel’être.Elleavaitmêmedesrelationsavecdeshommesplusâgésetdesnanasaussi.ElleétaitbienplusprochedeM.J.quedenousautres.Etjenepensepasquec’étaitforcémentunebonnechose.Après,onétaittrèsamisdonc, j’imaginequemonsieuretmadameDavisn’étaientpasdupes,maiscommeilsn’étaientjamaislà…Dumomentqu’elleramenaitdebonnesnotes,etétaitpromiseàunefaccorrecte,ilssefichaient de ses fréquentations. Et nous…, oui, on se voyait souvent. Avec les gars, on passait
beaucoup de temps chez elle avant… avant le drame. Et L.A. était sans doute sa meilleure amie.Alors…
Jelesavaisquejen’aimeraispascettefille.Etjustement,parlonsdeL.A..Elleétaittrèsgentilleaudébut.Maispluslesjourspassentetplusjem’aperçoisqu’elleémetdes
réserves à mon sujet. Peut-être que ce qui la gêne, c’est le fait que je vive dans la maison de sameilleureamiedécédée.
—TucroisqueL.A.estmécontentequejevivelà?Aprèstout,sielleétaittrèsproched’elle…Etpuis,vousétieztousvraimentvindicatifsàcesujetaudébut…
Isaacsoupireetreplaceunemèchedemescheveuxderrièremonoreilleavantdesetournerverssonplafondcouvertdesonécriture.
—Onavaitdesraisonsdel’être.Onneteconnaissaitpaset…personnenedevraitrevenirhabiterdanscetendroit.
Jenerépondspas.Je sais que c’est dur pour eux, s’il l’appréciait vraiment et que c’était comme leur deuxième
maison…Moi-même je me demande qui va vivre dans celle que nous avons quittée et mise en vente à
Carmel.Mamaison.Etçanemeplaîtguère.—Tuveuxtoujoursquejedéménage?Isaacsoupireencore.—Non,biensûrquenon.Saufsi tuenasenvie.Maisjeneteledemanderaiplus, tulesais.Ce
n’estpasgrave.Jejetteunœilauréveil;ilindique07heures.—Tuvasêtreenretardencourssitunetelèvespas.—Jen’aipascoursavant10heuresaujourd’hui.Onpeuttraînerunpeu.Samainaglissélascivementdansmescheveuxetilenrouleunemècheautourdesonindex.—Pourquoituascetairpréoccupédepuishier?Jehausselessourcils,surprise.Ill’aremarqué?Moiquipensaisavoirétéassezdétachée.—Je…—Dis-moiMia.Il me fixe et je dois fermer les yeux pour ne pas défaillir. Isaac sait trop bien lire en moi
maintenantetsonregardbientropperçantmefaittoujoursperdremesmoyens.—J’aiapprisquemamèreetmasœurneviendrontpaspasserNoëlavecmoi.—Pourquoi?—Mamèreaenfintrouvéuntravaildansunegalerie.Et…ellenepeutpaslequitter.Isaacattendquej’endiseplus.Maistropendireseraitdangereux.Tropendireéquivaudraitàtout
luirévéler.Toutelavérité.
—Est-cequetuastoujoursvécuavecellesdeux?ose-t-il,unbrincurieux.—Oui.Nousavonstoujoursététrèsproches.Nous,lesfemmesGilmore.Isaacesquisseunsouriremoqueur.—LesfemmesGilmore…,répète-t-ilenécho.Si tamèreet tafrangine teressemblent,alors je
veuxbiencroirequ’onnedevaitpass’ennuyercheztoi.—Masœurest…,c’estmapetitesœur.Elleaunsacrécaractèreetellereprésentetoutpourmoi.Isaachochelatête.— Comme Sloan pour toi, je continue, décidée à tourner la conversation à mon avantage.
Commentest-elleentréedansvosvies,àMadameSaint-Clairetàtoi?Isaacsemblelongtempspeserlepouretlecontredecettequestion.—Sloanavaitunemèrealcoolique.Quandelleavaittroisans,elleaeuuneméningiteaiguë.C’est
çaquil’arenduesourde.—Tuveuxdire…ellen’estpasnéecommeça?— Non, sa surdité est due à une maladie foudroyante. Une gosse à l’hôpital avec une mère
bourrée…,lesinfirmièresontappelélesservicessociaux.Elleaétéenfamilled’accueilpendantquesagénitricepartaitencurededésintox.Maismêmequandellel’areprise,elles’estremiseàboire.Etunjour,elleafaituncomaéthylique.Avecsagaminedequatreanssouslecoude.Elleavomienseréveillant et s’est étoufféededans. Jene tedis pasdansquel étatMalou a retrouvéSloandans sonappartpourrideTexeraBay.Çafaisaitdeuxjoursqu’ellemangeaitlescroquettespourchatquiétaitàsaportéeparcequ’ellen’arrivaitpasàatteindrelesplacardsduhautetquesamèreétaitmortesurlesoldusalon.Àcetteépoque,Maloutravaillaitcommeassistantesocialeets’occupaitdesondossier.
Jemesuiscouvertlabouchedesdeuxmains.Seigneur…Jamais,jen’auraisimaginécela.Pas…pasça.LapetiteSloan.Quimefaittantpenseràmapetitesœur.LaSloanquiestsiadorable.Jesuistellementhorrifiéeet…désolée.Isaacsourit.—Net’inquiètepas.Aujourd’hui,ellevatrèsbien.Elles’ensort.Ellemefaitmêmechieravec
sonentréeàJuilliard.—Tul’aimesbeaucoup,n’est-cepas?jenepeuxm’empêcherdedemander.Desonpouce,ilcaressemeslèvres.—Elleestcommemasœur,bébé.EllevivaitdéjàavecMalouquandmoijesuisvenuehabiterici.
Etsienfant,jetrouvaisçachiantdedevoirmetaperlaprésencedequelqu’unavecquijenepouvaismêmepascommuniquer,aujourd’hui,jenel’échangeraispourrienaumonde.
JepensebrusquementàGabriel.Ilfaudraqu’oncauseluietmoi.IlnepeutpasneriendireàIsaac.Parcequemoi,jenepourraisplusluimentir.S’ill’apprendetqu’ilsaitquej’étaisaucourantpoureux…çarisquevraimentdedégénérer.
—Quoi?—Rien,jem’empressederépondre.Je l’embrasse, contente qu’il me livre un peu plus tous les jours son histoire et celle de ses
proches.Jesuisconscientequejesuisloindetoutsavoiretjem’enfiche.Jeneveuxquecequ’ilmedonne.
Parceque,égoïstement,jenepeuxpasluioffrirplusàmontour.Onsecâlineencoreunpeuavantdeselever.IldoitpartiràConstanceetmoi,retournerchezmoi.Maggyapréparéunpetitdéjeunerroyal,commeàsonhabitude.Habilléedemesvêtementsdela
veille,jemesensplusquehonteuse.Pourtant,lavieilledamesembleheureusedemevoiretmemettotalementàl’aise.EllesedisputebeaucoupavecIsaacpourdesbroutilles.Commeleferaitunemèreouunegrand-mère.Maisjeperçoisl’amouretlerespectquirègneentreeux.
Siseulementmafamilleàmoiaussiétaitlà…**
QuandIsaacmedéposeavecsavoitureàlamaison,jemesenslégère.Commeuneplume.Manuitaété…parfaite.
Ons’embrassepoursequitter,telunvraicouple.J’ouvrepoursortirquandIsaacchangelamusiqueetmeditdistraitement:—Bonnejournée,jet’aime.Jet’appellecesoir.J’aidescoursderattrapageavecL.A.etAshetje
vaissûrementfinirtard.Àplus,OK?Mamains’estfigéesurlapoignéedelaportière.Ilvient…ilvientdedire…Quandjemetourneverslui,ilfouilledansletasdeCDsdanslaboîteàgants,commesiderien
était.—Je…,oui…,àplustard,jebalbutie.Jesorsetleregardes’éloigner.Moncœurestauborddel’implosion.Ilvientdedire«jet’aime».Aumilieudesaphrase,commesiderienn’était.Commes’ildisait
unechosebanale.Commeondit«tuveuxducafé?»ou«ilfaitbeauaujourd’hui».Ces fameux trois petits mots si incroyables qui me soulagent comme un antibiotique sur une
blessureàvif.Parcequej’aiencoreuncœurquipansesesplaiesetquiabesoind’êtrerecousuçàetlà.
Je rentre et me pose sur mon canapé. Minuit vient se loger directement dans mes jambes enronronnant.Jelecaresserêveusement,encoreabasourdieetémerveilléedesparolesd’Isaac.
Siseulementj’arrivaisàleluidire.Maisparcontre,ilyaquelqu’und’autreàquijepeuxledire.Jeprendsmontéléphoneetcomposelenumérodeportabledemaman.
Unesonnerie,deux,trois…J’ai lecœurauborddeslèvres.Commechaquefoisquejedoisannonceruntrucénormeàma
mère.Cequiestarrivéplusd’unefoisaucoursdecescinqdernièresannées.Mégane décroche au bout de la quatrième tonalité. J’aurais souhaité secrètement qu’elle ne le
fassepas.Maisellel’afaitetmaintenantjenepeuxqueluiavouer.—Allô?Honey,c’esttoi?—Ouimaman.Jetedérange?—Nonmachérie,c’estcalmeàlagaleriecematin.Iln’yapasunchat.Jevoulaist’appelerhier,
maisnoussommessortiesavecEléonoreetArizona.Jehoche la têtecommesiellepouvaitmevoir.Mais l’entendreparlerde tanteEléetd’Arime
rendtriste.Moiaussij’aimeraispouvoirmepromeneravecelles.—Maman…,ilfautquejetedisequelquechose…—Çavamachérie?Qu’est-cequisepasse?Cen’estpasgrave?J’avaisditàLukeque…—Maman,écoute-moi.J’ai…j’airencontréquelqu’un.Brusquement,c’estlesilenceàl’autreboutdufil.—Maman?—Amy…Lesmotsmemanquent.Pourtant,j’essayedelestrouver.Illefaut.Jeluiavaispromisdeneplus
rienluicacher.Jamais.—Maman,ilest…ilestdifférentet…c’esthorrible,maman,jecroisquejel’aime!—Amy…Unreniflementmefaitdirequ’ellepleureàl’autreboutdufil.Jeravalemoi-mêmemespropres
larmes.—Ilestbonpourmoi,tusais.Cen’estpascomme…commeDeacon.C’estautrechose.Je…il
mefaitdubien…Mamèrepleuredistinctementmaintenantetmoiaussi.— Ma chérie, je… j’aimerais tellement être présente avec toi, s’étouffe-t-elle en sanglotant.
Honey,tousleshommesnesontpasunmal…L’émotionmeserrelagorgeetplusaucunmotnesort.Etlongtemps,trèslongtemps,mamèreetmoipleuronssurmonsortetlebonheurquejesemble
avoirtrouvécettefois.Oudumoins,surcettepaixquej’éprouve.Cetteaccalmiedansmonenfer.
**Ce soir, Isaacetmoinedormonspas ensemble.Cequi est assez rare cesderniers temps.Mais
c’estbienaussid’avoirunmomentpoursoi.Jemeplaisàprendresoindemoipourunefoiset l’imagequemerenvoiemonmiroirneme
dégoûtepas.Pascettefois.Il est déjà tard et il fait nuit quand j’entends le bruit d’unemoto à l’extérieur. Surprise, jeme
précipiteàlaporte.Maisàmongrandétonnement,cen’estpasIsaac,maisM.J.sursaHornetbleueélectrique.
Ilsegareetprendsontempspourdescendredesabécane.Je vais au-devant de lui, les bras serrés sur le t-shirt d’Isaac que je porte en permanence pour
dormir.M.J. s’avance dans la nuit puis vient s’installer sur lesmarches du porche. Il ne fume pas lui.
Alors,ilposesoncasqueetsesgantsàcôtédelui,avantdeseprendrelatêtedanslesmains.Jesensquequelquechosenevapas.Vraimentpas.Jem’assiedsàsescôtéset resserremesbrasautourdemoi.Mais jenedis rienetattendsqu’il
parle.En face, sur le lacnoir, les rayonsde la lune se reflètent et scintillent rendant ainsi lepaysage
fantomatique.Ilsnouséclairentaussi.—Çat’arrivetoi,depenseràlamort?medemande-t-il,lavoixcassée.J’essaye de pesermesmots. Il a l’air complètement dépité.Mais ça, c’estM.J.. Tantôt joyeux,
euphorique,tantôtdéprimécommepaspossible.—Oui,avant,jeréponds.Maiscen’estpaslasolutionànosproblèmes.Çan’estlasolutionàrien
dutout.Ehoui,çam’estarrivéplusd’unefois,jesaistrèsbiendequoijeparle.M.J. soupireet jesens toute la tristessederrièresonsouffle.Siseulement ilpouvaitmedirece
qu’ilnevapas.—Çam’arrivesouventd’ypenser,tusais.—M.J.,ilnefautpas.Tupeuxmeparlersituveux…—Elleestmorteicietc’étaitmafaute.Çaatoujoursétémafaute.Jel’aimaisvraiment.Toiaussi
jet’aimevraiment.C’estpareil.Jeretiensmonsouffle,aveclecœurquibatàmilleàl’heuremaintenant.— C’était ma meilleure amie. Elle savait tout, tout. Elle me parle la nuit, tu sais. Je rêve
régulièrement d’elle.Et puis, d’autres fois, je rêve de toi.Un jour, je suis venu ici pendant que tudormaisetjemesuisassislàenespérantquetuteréveillesetquetum’ouvreslaporte.Maistunel’as jamais ouverte. Tu ne t’es pas réveillée. Et j’ai pensé, si toi aussi tu devaismourir, je feraiscomment moi ? Hein ? Si toi aussi tu ne te réveillais jamais ? Colline dit que tu es morte del’intérieur.Moijedisquecen’estpasvrai.Jesaisquec’estfaux,parcequejesaiscequec’estd’êtremortau-dedans.Jelesais.Tucroisquejesuisfou,Mia?
Jemeretienscarrémentderespirer.Cen’estpaslapremièrefoisqu’ilsemontredéprimé,maislà…ilestcarrémententraindedélirer.
Ilarelevélatêteetfixelelacavecdesyeuxdedéments,sombresetécarquillés.Est-cequ’ilestdépressifàcepoint?
J’ail’impressionqu’ilmélangepasséetprésentetqu’iln’apeut-êtremêmepasconsciencedetoutcequ’ilmeraconte.
—M.J.,tunedoispasrepenseraupassédecettemanière.C’estfinietpersonnenepourrarienychanger.Tueslà.Jesuislà.Jet’assurequ’ilnevarienm’arriver.
Enfait,jenevoispastropquoiluidire.Quoirépondreàtoutcedélire.Unechoseestsûre,jenel’aijamaisvuautantcernéetaussicreusédefatigue.Est-cequ’ildortaumoins?—Viensavecmoi…Jemelèveetletireparlebras.Maisilselaissedifficilementfaire.À l’intérieur, je nous installe sur le canapé et sorsmonportable.Ceque je crois être ungeste
discretneluiéchappepas.M.J.mel’arrachedesmains.—Tuvasl’appeler?Pourquoitul’appellestoutletemps?Pourquoitunem’appellesjamaismoi
?Jesuislàetpersonnenem’appelle.Ilserrefortementmontéléphoneentresesdoigtsetj’aipresquel’impressionqu’ilvalebroyer.
M.J.estundesplusbaraquésd’euxtous,ilpourraitlebriser,c’estcertain.Etilcommencevraimentàmefairepeur.Jetentedel’apaiser.— Non, je ne vais appeler personne. Je vais nous faire des chocolats chauds avec des
marshmallowsetdelacrèmefouettée,qu’est-cequetuendis?Ilhochevaguementlatête.Jemelèvedoucement,maisilattrapemamain.—Tuneparspas,Mia?Jeluiserrelesdoigtsàmontour.—Jesuisdanslacuisine.Justeàcôté.J’essayedesourire,maisçasonnefaux.Saufquetoutàsondélireilnelevoitmêmepasetrepose
satêtecontrelehautdufauteuilenprenantPeggymapeluchedanssesbras.Jem’éloigneetm’arrêteà laportedelapiècevoisinepour l’observer.Moncœurseserre.Ila
vraimentunproblème.Jenesauraisdirequoi,maisilenaun.Etçamefaitmalpourlui.J’aimebienM.J..Vraimentbeaucoup.Ilmefaitrirequandilestdanssesbonsjoursetc’estleseul
quin’ajamaischerchéplusqueçaàconnaîtremonpassé.Jenepensepasqu’ilsoitdangereux.Quoiquecesoir,sondéliretourneunpeuàlaschizophrénie.Danslacuisine,jetentederespirernormalement,lesmainsagrippéesaubordduplandetravail.
Jenesaispascequejedoisfairedanscescas-là.IlfaudraitquejepuisserécupérermontéléphonepourappelerIsaac.Bon,enattendant…
Jeprendsdes tasses au-dessusde l’évier et prépare le chocolat chaud.Le fameux chocolat quefaisaitmagrand-mèreautrefois.
Etjerajoutedelacrèmefouettéeetdespetitsmarshmallowsau-dessusdubreuvagefumant.J’aiacheté toutes ces conneries, seulement pour desmoments comme celui-ci quandM.J.,Cora ou lesfillespassentchezmoi.Maintenant,monpanierdecoursesachangé.J’ymetstoujoursdessucreriespour le groupe, le genre de chose que je n’achèterais jamais de moi-même, des sodas pour lesgarçons,ducafépourIsaac…
Quand je reviens dans le salon, un peu anxieuse de la suite de cette soirée bizarre,M.J. ronflelégèrement.
Jeposelestassessurmatablebasseetluirelèvedoucementlatête.Maisildortvraiment.Allonsbon.Je récupèremon téléphoneetm’assiedsdans le fauteuil en facede luipour l’observer. J’hésite
maintenantàappelerIsaac.Chaquefoisqu’ilsepasseuntruc,jenepeuxpasluidemanderdevenir.Deplus,mêmesi je suisconscientequeM.J. tientuneplaceplusqu’importantedanssavie, je saisaussi qu’il est un peu jaloux et ne supporte pas trop cette complicité que son ami et moi avonsdéveloppée.
Ensoupirant,jeresteunmomentàleregarderdormir.Avantdemeleveretdeletirerparlesjambespourlefaires’allongersurlecanapévertpomme.Jeluiôtesesbottes,ilgrogne.Puis,avectouteladifficultédumondeetenlecontorsionnant,je
réussisàluiretirerégalementsaveste.Bonsang,maisilaprisdessomnifèresouquoi?!Etilpèseunetonnequiplusest.Maisquandjeveuxrangersesaffaires,unpetitflaconoranges’échapped’unepochepourrouler
surlamoquette.Jeleramasse.Desmédicaments.Du…Lithium.Jamaisentendu.Ma curiosité l’emporte et je m’installe à mon bureau pour ouvrir mon Apple et lancer une
recherche.Maisautantdirequej’auraispum’enpasser.Unarticledejournalmelaissesansvoix.«LeLithiumoulapilulecontrelesuicide.Unenouvelleétudesurlapriseenchargethérapeutiquedestroublesbipolaires[égalementconnus
sous le nom de psychosemaniaco-dépressive], publiée récemment dans le Journal of the AmericanMedical Association, montre que le lithium, un médicament peu coûteux délaissé en faveur denouvelles substances fortement entourées de publicité, permet de réduire le nombre de suicides etdevraitêtrechoisicommepremiertraitement.Lelithiumestconnupourluttercontreleschangementsd’humeur qui caractérisent desmaladies très répandues et invalidantes, comme la bipolarité ou la
maniaco-dépression.Onsaitqueletauxdesuicideestde10à20foisplusélevéparmilesmaniaco-dépressifsquedansl’ensembledelapopulation.“Lapsychiatrien’ajamaispudirequ’ellesauvedesvies, ce qui est le but ultime de la médecine”, explique le Dr Benjamin Goodwin, du GeorgeWashingtonUniversityMedical Center, qui a mené cette étude auprès de plus de 20 000 patients.“Mais,aujourd’hui,grâceaulithium,nouspouvonsl’affirmer.”
PourledocteurGarretSussman(psychopharmacologueàl’universitédeNewYork),cetteétudeàlaquelleiln’apasparticipéprouvequelelithiumdevraitredevenirletraitementdepremièreintentiondanslescasdetroublesbipolaires,cequ’iln’auraitjamaisdûcesserd’être”.Lestroublesbipolaires,quisetraduisentparl’alternancedephasesdeprofondedépressionetd’accèsmaniaques,fontpartiedesmaladiesmentaleslespluscourantesauxÉtats-Unis.Unmaladesurcinqtentedesesuicider.
Goodwinreconnaîtquelaraisondelaplusgrandeefficacitédulithiumresteunmystère.Cequel’on sait, c’est qu’il lutte avec succès contre la dépression, phase pendant laquelle la plupart desmaladestententdesedonnerlamort,etquelesautresantidépresseursefficacesneréduisentpaslesrisquesdesuicide.»
J’observelepetitflacon.PuisM.J.quidortsurmoncanapé.Ilestbipolaire?!BonOK,iladessautesd’humeur,OKilestunpeu…bizarre.Maislabipolarité toutdemême,
c’estquelquechosed’autrementplusgrave.Maiscemédicament…Sivraimentilenabesoin,c’estqueçanevapas.Çanevapasdutout.Jemeréinstalledansmonfauteuilet tireunecouverturesurmoi. Ilesthorsdequestionque je
dormeenhautalorsqu’ilestlàcommeçaetquejenesaispass’ilvaseréveilleràunmoment.Etjefinispartrouverlesommeil.
**CesontlesgalipettesetlesronronnementsdeMinuitquimetirentdemonsommeil.Maisquandj’ouvrelesyeux,M.J.n’estpluslà.Sesaffairesontdisparu,samoton’estplusgaréedehors.IsaacpassemedirebonjouravantdeserendreàConstanceetquandjeluiapprendsqu’undeses
meilleursamisadormilà,ilfaitunedrôledetête.—Commentça?Iladormioù?—Surlecanapé.Ilétait…bizarre.Isaacplissedesyeuxetm’attireencoreunpeudanssesbras.Noussommesassissurlabalancelle
sousleporchedelamaison.Plusquedeuxjoursavant lesvacancesdeNoëletIsaacpourrapasserplusdetempsici,avecmoi.
—Qu’est-cequetuinsinuespar«bizarre»?—ArrêteZac,tulesaismieuxquemoi.Qu’est-cequ’ilaJunior?Isaacsoupire,détournesonattentionverslelacpournepasmeregarderenfaceetfronceencore
lessourcilscommechaquefoisqu’ilvadirequelquechosed’importantouquineluiplaîtpasdutout.—M.J.n’étaitpascommeçaavant.Onatousl’impressionqu’iladéveloppéçaaprèslamortde
Lara.Mais lesmédecins disent que ce n’est peut-être qu’une coïncidence. Parce qu’à son âge, lessymptômessontbeaucoupplusprésents.
—Quellemaladie?Qu’est-cequ’ilaexactement?—Ilestmaniaco-dépressif.Déjà entendu.La dépression je sais ce que c’est. Lamaniaco-dépression, ce n’est pas lamême
chose,maisjecroisquemacousineLéaensouffreégalement.—Et…ilsefaitsoigner?Qu’est-cequec’étaitsesmédicamentsquej’aitrouvés?Isaacsecouelatête.—Bonnequestion.Jesais justequeça l’aideàêtremoinsdéprimé.Lesmaniaco-dépressifsont
desphasesbizarres,tusais.D’abordlaphasemaniaque,l’excitation,l’euphorie,ilssontcommedespilesélectriquesetpratiquementincontrôlables.Puisladépressionprofonde.Etdanscesmoments-là,onaconstamment l’impressionqu’ilvasefairedumal. Il rejette tout lemonde.Ils’enferme,etsemuredanssondélire.Audébut,onpensaitqu’ilnouspétaitunedurite.Samère,sesfrères,ainsiquesœurs,onttoujoursdumalàlecomprendre.
Jehochelatête.J’imagine,oui,quevivreavecunprochequisouffred’untruccommeçanedoitpasêtrefacile
touslesjours.—Pourquoitunem’aspasappeléhiersoir?demandeIsaacunbrinhargneux.—Ilétaitfatigué,çasevoyait.Ilavaitbesoindedormir,c’esttoutetjenevoulaispastedéranger.—Tum’appelless’ilrefaitça.Onnesaitjamaisdansquelétatd’espritilseraetcequ’ilpourrait
faire,Mia.—Tuveuxdirequ’ilpourraitêtredangereux?—Peut-êtrebienqueoui,peut-êtrequenon.Cen’estjamaisarrivé,maismieuxvautêtreprudent.
Promets-le.Prometsquetum’appelleras.Jeprometsethochelatête.—Ilfautquejeparte,moncoursvacommencer.Nousnousdisonsaurevoiretilreprendlaroute.
**Jenepensequ’àçalerestedelajournée.PauvreM.J.…Jen’auraispasimaginéquec’étaitça.Pasdutout.Finalement, jedécidede l’appelerenfind’après-midi.Etdefairecroireà Isaacque jepasse la
soiréeavecCora.OK,cen’estpeut-êtrepastrèssympaetjenemesenspastropbiendementir,maisM.J.doitsavoirquejesuislàpourlui.EtZacnerisquecertainementpasdemelaisserfaire.
Ilfinitpardécrocherauboutdelaquatrièmefois.—Qu’est-cequetuveux,Padmé?
Ben tient, je suis de nouveau Padmé aujourd’hui. Décidément, il est vraiment d’humeurchangeante.
—Tuviensàlamaisoncesoir?Jevoulaislouerunfilm.J’aidessodasetdupop-corn.Ilrestesilencieuxl’espacedequelquessecondesavantdesemettreàgrogner.—TunepassespastasoiréeavecIsaac?Ilrestetoujoursinsupportabletoutdemême.—OK,jegrogneàmontour.Ehbien,vatefairefoutredanscecas.Jeregarderaimonfilmtoute
seule.Etjeluiraccrocheaunez.Non,mais!Moinsdecinqsecondesplustard,jereçoisuntexto.*OK,jeserailàà20heures.Petitcon.Et commepromis, à 20heures, il est bien là. J’ai choisi undes volets de son filmde science-
fictionrienquepourluifaireplaisir.StarWars.Mêmesicen’estpasvraimentmongenre.Aucundenousnementionnecequis’estpassélaveille.Aujourd’hui,ilsemblequ’ilsoitdebonne
humeur.Nousregardonslefilmetilnecessedejoueraucritiquecinématographique.—Tuaseuletempsdeconnaîtretonpère?medemande-t-ilbrusquementlorsdugénériquede
fin.Unpeusurprise,jebalbutie:— Euh… oui… je… enfin, j’avais cinq ans quand il est décédé. Mais je…, je m’en souviens
encore.Ilhochelatêteetcontinuedefixerlonguementlatélévision.—Ettoi?j’ose,surprisequ’ilparledeça.— Le mien est mort quand j’avais douze ans. Un accident de travail sur un chantier. Il ne
s’intéressaitpasbeaucoupàmoi.Niàaucunautredesesenfantsd’ailleurs.—Oh…,jeréponds,unpeupeinée.M.J.setourneversmoi.—Ilétaitcommentletien?Jehausselesépaulesenretrouvantcettetristessequim’habitequandjepenseàpapa.— Il était génial. Il adorait voyager, c’était un aventurier. Il jouait de la guitare et faisait de la
mécanique à ses heures perdues. Tous les dimanches, il nous emmenait, ma sœur et moi, nouspromenersurlesbordsdeplagesetm’achetaituneglaceàlacerise.
—Dequoiest-ildécédé?medemande-t-ilencoreplusabrupt.
Magorgeseserre.—Onluiadécouvertunetumeuraucerveau.Inopérable.Ilafaitdelachimio.Longtemps.Avant
demourir,iln’étaitdéjàplusquel’ombredelui-même.Masœuretmoinecomprenionspasbienàl’époque.Onnousavaitditqu’ilavaitunegrossebouledanslatêteetqu’elleluifaisaitmal.
M.J.meprendlamainetlaserrefort.Jelelaissefaire.—Tuasbeaucouppleuréàsamort?Jesecouevivementlatête.—Non.Jen’aijamaispleurémonpère.—Pourquoi?Tuétaistroppetitepourcomprendre?—C’estpasça.Jemesouviensparfaitementdecejour.Onétaitallélevoiràl’hôpital.Etmaman
m’avaitdit:«Honey,ilnefautpleurer.D’accord?Papan’aimepastevoirpleurer.Tunedoispasêtretriste.SourisHoney».Jesuisentréedanslachambreetjemesuisassisesurlachaiseàcôtédelui.Ildormait.Jel’airegardéetjen’aipasarrêtédesourire.Enfait,ilétaitmortetmoijesouriais.Parcequej’étaissûrequ’ilmevoyaitetquejenedevaispasverserdelarmes,j’avaispromis.Jen’aijamaispleurémonpère.
M.J.restesansvoix.J’éteinslatélévision.Parlerdetoutcelam’aunpeuplombée.—Etsionallaits’allongersurleponton,regarderlesétoilesdehors?demande-t-iltoutàcoup,
coupantlesilencedeplombquis’estinstallé.—Quoi?Surlepontonprèsdulac?Àpratiquementminuit?T’escomplètementfrappéouquoi
?Ilgrimace.—C’étaitjusteuneidée,sedéfend-il.Jesoupireavantdemeleveretdegrimperlesmarchesau-dessusdemonbureau.—Viens.Delà-hautaussionvoitlesétoiles.En grommelant, il me suit tout de même. Et nous nous retrouvons étendus sur mon futon à
observerlavoûtecélesteparleveluxgrandouvertdemachambre.Comme à son habitude, le ciel est clair par ici. Pas un nuage à l’horizon. Alors les milliers
d’astresquibrillentau-dessusduPacifiques’offrentànous,plusmagnifiquementquejamais.M.J.s’estallongéprèsdemoietnosbrassefrôlent.Ilsoupire.—Jedevraismetrouverunecopine.Jesourisbrusquement,heureusequ’ilabordeunsujetbeaucoupplusléger.—Oui,tudevrais.Maisunevraie.Pasunedecesfillesavecquivousvousenvoyeztousenl’airà
toutesvossoirées.—C’esttropcompliqué.Vousêtestropcompliquées,vous,lesmeufs.
—N’importequoi.Vousêtesdesidiots,c’esttout.Ilsouritàsontour.Moiaussi.Etmêmesicesouriren’atteintpassesyeux,jesaisqu’àcetinstant,
ilvabien.—PourquoipasJane,lacopinedeLaure-Alice?Lapetitebrunequiestsouventlàaveclesautres.Illâcheungrossoupir.Biengros.Pourquej’entende.—C’estunthon.—N’importequoi.Elleajusteunpeudeformes.Lesgarçonsaimentlesfillesavecdesformes.Enfin,j’essayedel’enconvaincremêmesijesuis
persuadéequenon.—C’estunthon,jetedis.—Elleestdrôleenplus,tuverras.—Lesthonssontpasmarrants.Ilssontjustechiants.Ilssontmochesetméchants.Vautmieuxêtre
amisavecunecarpe.Çaamoinsd’esprit,maisc’estjoliunecarpe.Jeretiensl’énormesoupird’énervementqu’ilentraînechezmoipourdéclarertrèsnaturellement
:—Pourtant,jesuisamieavectoi.Ilouvredegrandsyeuxetjeluifaismonsouriredewinneuse{14}.Àsonregardmalicieux,j’aicompris.Luiaussi.Nousnousjetonsenmêmetempssurlesoreillers.Ilm’assèneuncoupavantquej’aiedégainéle
mien.Etj’ensuispresqueassommée.Jememetsàriresinaturellementquej’enoublielamélancoliequinousguettaitetcelledontilfaisaitexcessivementpreuvehierettoutàl’heure.JesautesurlelitpouréchapperàM.J.etauxcoussinsmortels.
—Salefolle!Iléclatederireetbientôt,nousnousbattonsdansungranddésordredeplumesd’oieetd’oreillers
éventrés.—Salefou!Essouffléecommeaprèsavoircourudixkilomètres,jem’arrêteetluitombepresquedessus.Ilest
allongéennageaumilieudesplumesquivolentautourdenousetfixeleplafondenriant.Jesuisfandeceriresirauqueethachéenmêmetemps.
Jenesaispas,c’estcommequandjesuisavecArizona.JesuissibienavecM.J.quec’estcommesij’étaisavecmafamille.
—Tuveuxunecopinecomment?Ilmetdutempsavantderépondre.— J’en sais rien. Jolie, mais pas trop pour que les autres ne me la piquent pas. Marrante et
intéressanteaussi.Y’ariendepluschiantqu’unenanaavecquit’aspasdeconversation.J’ensaisrien,
unefilleunpeucommetoi.Jeris.—EmmaLoyd?Elleestbelle.—Tropdeseins.Toutlemondelouchededans.Non,quelqu’undesimple,jetedis.Commetoi.—Arrêtetonchar,Junior.Personneneserajamaisassezbienpourtoi.Ilm’attrapelesdoigtsdesamaingaucheetmelaserre.Bienetalangui.Jemesensbien.—Si.Toi,tuleserais.Moncœurrateunbattement.Ohnon…non,non,non,non,non,non…Aufond,peut-êtrequejel’avaisvuvenir.Non,jelesavais.Maistantquerienn’estditclairement,
lepetitjeudelaséductioninnocentepeutdurerlongtemps.Pasaprès.J’aime être ça. Son amie. J’aimeme trouver belle et sexy dans son regard.Mais jamais je ne
l’aimerailui.Parcequemoncœurappartientàunautredésormais.Etc’estirrévocable.Jemetourneverslui,levisageàseulementquelquescentimètresdusien.Ilm’observeintensément.Aucuneexpressiondeplaisanteriesursaface.Nousnousfixonslongtemps.Essayantd’accordernosrespirations.Uneplumevoleau-dessusde
nousetilsouffledessuspourlafairevirevolter.Soudainement,j’aibienconsciencedetouslesendroitsdemoncorpsquisontencontactavecle
sien.—Micka…Tusaisquec’estimpossible…Ilsoupireetbaisselesyeux.Maissesdoigtsnequittentpaslesmiens.Tropvite,ilpassedelabonnehumeuràunairrenfrogné.Jesuissitristedesavoirqu’ilsouffre
dece…truc.Jenesaismêmepass’ilyaunmoyend’enguérirunjour.—Jesais.Nem’enveuxpasd’essayer.OK…—Jenet’enveuxpas.Maisarrête,s’ilteplaît.Ilsepencheunpeuetm’embrassesurlefront.Jenemedégagepas,maisraidecommeunpiquet,
ildoitbiensentirmagêne.Auboutd’unmoment,ilfinitparselever.—Vautmieuxquej’yaille.Jeleretiensparlamain.Tropémotive.Jesuisbientropémotive.—M.J.,tusaisquejesuislà.Tupeuxmeparler.Tupeuxveniriciquandtuveux.Ilseforceàsourire,jelevoisbien.—Jesais,Padmé.Bonnenuit.
13
Lanoirceurdupassé«Lepasséestunprologue»
WilliamShakespeare
InconnuBuddy’sCafé,quartierdeFenway,KaloaElleestlà.Àdistance.Àpeinequelquesmètresnousséparent.Àpeinequelquespersonnes.Cematin,j’aidécidédeprendrel’airplustôtqued’habitudeetj’aibienfait.Elleafaitsonyogacommetoujourssursonporche,enfacedulacoùlesoleilselevait.Ellea
donné àmanger à son chat, fait son nettoyage.Mené sa petite vie bien rangée sans une ombre autableau.
Et puis, elle a fini par sortir pour se rendredans ce café et rejoindre l’unde ces typesqu’ellefréquentebientropsouvent.Celui-làadesbouclesblondessurlecrâne.Uneespècedecoiffurequineluivapasdutout.Grand,maismusclé,iln’arienàvoiraveclesautres.Ilmeparaîtbienplus…fort.Maisc’estunecaricatureambulantecemec.Leparfaitgentlemandesesdames.Ilsouritàtouteslesfemmesquicroisentsonchampdevisionetellessepâmentdevantlui.Commelaserveuse.
Celui-là,jenesaispasencoreoùilvit,maisjeletrouverai.Elles’assied,commandeunhamburger-fritescommeluietilssemettentàdiscuter.Unetabletroploin.Jen’entendspascequ’ilssedisent.Pasgrave.C’estsansimportance.J’observelafaçondontellerepoussedel’indexsescheveuxderrièresonoreille.Cettefillen’aurapaschangéd’unpoil.Lesmêmesmanies.Lesmêmesgestes.Lamêmeattitude
aguicheuse.Ilsrient.Commedetrèsbonsamis.Jenel’aijamaisvuerirecommeça,avant.Jecommandeundoubleexpressoetdespancakes.Elleadoraitça,lespancakes.Ilfaittropchaud,mêmeaveclaclimàl’intérieur.Commentpeut-onvivreici?Cetteîleestune
vraiefournaise.
Macasquettemegêne.J’aimeraisl’enlever.Jenelefaispas.Àcoupsûr,ellemereconnaîtrait.—Vousdésirezautrechose,monsieur?medemandelajeunefemmeautabliernouéautourdela
taille,enposantlespancakesetenmeservantdirectementlecafé.Jegrogne,secouelatêteetlachassedelamaincommeuneabeillequibourdonneraittropprèsde
monoreille.Dégage.Mais l’attentiond’Amyseportesurnous.Jemeplongedans le journaldevantmoi,ouvertà la
rubriquesportive.LesSeahawksdeSeattleontbattulesFalconsd’Atlanta…Ma casquette longuemasque en partiemon visage, je le sais. Elle ne peut pasme reconnaître.
Impossible.Lecaféestdégueulasse.Lespancakesdégueulasses.Toutestdégueulassesurcetteîlepourrie.Jene comprendrai jamais lesgensquiontdans l’idéedevivre ici.Enfermés, entourésd’eauà
pertedevue,suruneîleaussiminusculeetquin’arienàoffrir.Tousdescrétinsdetoutefaçon.Elleaussi,ellen’estpas très futéed’ailleurs.Fuirpourse retrouver là.Pileoù j’étaissûrde la
trouver.Peut-êtrequ’ellelefaitexprès.Ceseraitbiensongenre.Faire croirequ’elleveut sa liberté, qu’elleveut recommencer à zéro et pourtant toutmettre en
œuvrepourneplusvivrecachée,pourqu’onlareconnaisse.C’esttellementsimple.Trop.Jepourraisluipourrirl’existencesifacilement…Jemangeenlesscrutantaussidiscrètementquepossible.Elledévoretout.Vorace.Salegoinfre.Elle n’a pas changé. À s’empiffrer comme une obèse. L’autre, ça n’a pas l’air de le déranger
qu’ellefassesagourmande.Ill’accompagne.Jelesobservefaireavecdégoût.Putaindesaletédeboulimique!Uneheure.Ilsrestentassislà,uneheureavantqu’elleneselèveenjetantunregardàsontéléphoneetqueje
fasse demême pourme diriger vers les chiottes, quand elle quitte l’endroit après avoir embrassé
l’autresurlajoue.Beaucoupmoinsfripée,lapetite.Ellelesembrassemêmesurlajouemaintenant.Untocardmebousculepourserendreauxtoilettesquandj’ensorscinqminutesplustard.Enfoiré!Jel’attrapeaucoldesachemiseet leplaquecontrelaporteenbois,mesyeuxsombresplantés
danslessiens.J’aienviedetuerquelqu’un,mec,alorsmebousculepas,pasaujourd’hui.—Excuse-moi,bro’{15} !Pardon ! s’affole-t-il comme si je lui avais déjàmis le couteau sur la
gorge.—Dégage!Je le lâche et le repousse violemment. Il s’enfuit en courant comme s’il avait le diable à ses
trousses.Jereportemonattentionsurleurtableenvoulantregagnerlamienne.Ellen’estpluslà.Luinonplus.Pasgrave.Jesaisoùlatrouver.Etdetoutefaçon,cen’estpaslemoment.Ungroupedefillesentredanslecaféaumomentoùjem’apprêteàrepartiràmontour.Je les reconnais. Elles étaient présentes sur les docks ce fameux soir. Une bronzée, genre
MexicaineouPortoricaine.Uneblondeavectropdemaquillage.Unebrunestylegothique,tatouéeencouleuretuneautrequejenereconnaispas,petiteetbruneégalement.
Lesoiroùj’aidiscutéavecl’autre,complètementsoûl,surlepont.Avantdeluifairecomprendrequeleseulmoyenderéglersesproblèmesc’étaitd’enfinir.
L’imbécile.Ilaprismesparolesausérieux.Ils’estjetépar-dessusbord.OK,j’aiaidé.Maisc’étaittellementfacile.Sifacile,qu’ilarésisté.Elleaplongépourlesauveretilasurvécu.Putain.Monattentionsereportesurlesfillesquisesontassisesàunetablepasloin.Çapiaille,comme
desoiseauxenbattantdesailes.Jerecommandeuncaféetm’installecettefoisderrièreunedestablesquiabritentunordinateurà
dispositiondesclients.Idéalpourtchatcherlaplupartdutemps.Pasaujourd’hui.J’aientendulaplusbronzéede toutesdirequ’elledevaitconsultersesmailspouruncoursà la
fac.J’aiprisledernierordidelibre.Pourpouvoirleluilaisserensuite,biensûr.Maisavant…Jetapedanslabarrederechercheettombesurplusieursarticles.J’enouvreunetlaisselapage
commecela.Mespoingsseserrenttoutseuls.
Çaseprépareunevengeance.Çasesoignebien.Unfauxpasettoutestàrefaire.Jesuisprêtàattendre.Longtemps.Trèslongtempss’illefaut.Jememetsdebout,remetsmaveste,enfoncemacasquette,plie,repliemonbilletpourlelaisser
surlatableavecunpourboireetdonneuncoupdiscretdanslecoudedelafille.—Mademoiselle.Jem’envaissivousvoulezlaplace.Pasuninstant,jenelèvelesyeuxverselle.Ellenefaitmêmepasmined’êtresurprise.—Ah,OK.Merci.Lesautresdesesamiesselèventetluifontlabisepourrepartir,àpeinearrivéesensemble.Jem’éloignel’airderien,tandisqu’elleseretrouveseule,lalatino.Elleprendsesaffaires,son
lattémacchiatocaramelets’installederrièrel’écran.Trèsbien.Laissonsfaireleschosesmaintenant.
Laure-Alice(L.A)Sij’avaissuquejepasseraisunejournéedemerdecommecelle-là,jenemeseraispaslevée.Lesfillessefoutentdemoi,parceque,soi-disant,jefaisunemontagnederiendutout.Maispersonnen’estàmaplace,personnenepeutcomprendre.MaHarley,jepeuxàpeinefinirde
la payer et il a fallu que je crève une roue cematin. Puis en plus, j’ai reçumes premières notes.Catastrophiques. À continuer comme ça, je vais me retrouver paumée avant la fin du deuxièmesemestreetjepeuxdireadieuàmondiplômeenarchitecturemoderne.
Depuis la mort de Lara, je n’ai pas arrêté d’enchaîner les conneries. J’ai recommencé mapremièreannéede fac, larguéKenny, finisdans leschouxplusd’une foiset Isaacn’acessédemeramener sur le bon chemin. Je sais qu’il le fait car il se sent responsable demoi. Comme ça l’atoujours été. Tout ça parce que nous avons fréquenté un temps le même centre pour jeunes endifficultéetqu’iladécouvertmonhistoire.
Maisj’enaimarredesapitié.J’aimeraisbien,moiaussi,qu’ilmeregardecommeilregardaitColline,Ambreoumêmecette
petitebrune.J’étaisloindemedouter,lapremièrefoisquejel’airencontrée,qu’ellerentreraitdansnosviesdecettefaçon,qu’elleétaitvenuehabiterdanslamaisondeLara.Etvoilàquejemeretrouvereléguéeloin,trèsloindelui.
En soupirant pour la énième fois aujourd’hui, je posemon latte à côté de l’ordi duBuddy’s etouvre la page internet. Il faut que je consulte mes prochains cours sur le site de la faculté deConstance pour m’organiser et savoir quelles leçons facultatives je vais devoir annuler pourrenforcermesnotesdansmesmatièresprincipales.
Maisalorsquejem’apprêteàchangerdepage,jetombesurunarticledéjàouvert.UnpostduSGVWestValleyJournalde lacôteouest-américainequidated’ilyabienunanau
moins.Jenel’auraismêmepasregardésilaphotol’accompagnantnem’avaitpassautéeauxyeux.«C’estune«justiceexemplaire»qu’attendentlesparentsdeDeacon,lequarterbackdedix-huit
ans,mortennovembredernier sous lecoupdeciseaux tranchantque lui infligeasapetiteamiedumêmeâge.Ledrames’estdérouléàCarmel-by-the-seaausuddelapéninsuledeMonterey.
Lajeunefilleestaccuséed’homicideinvolontaireaveccependantlacirconstanceaggravantequelesfaitsontétécommissurunmineur.Devantletribunaljuvénile,ellerisquedixansdeprison.Leprocureur de Californie ayant réfuté la demande des plaignants pour une passation en Courcriminelle.
Cevendredi13,Amyavaitprévuderejoindresonpetitamichezlui,commeàl’habitude,aprèslescours. Quand les deux mineurs se retrouvent face à face, une violente dispute éclate. Des voisinsdisentavoir entendudegrands éclatsde voix, des coups, peut-être, partir.Amydéclareraavoir étéfrappée plusieurs fois au menton, dans les côtes et au visage. Elle tentera de s’enfuir, mais ne
parviendraquejusqu’àlasalledebain.Poursedéfendre,elleempoigneradesciseauxàproximitéetluitrancheralajugulaired’uncoupnetetprofond.Deaconneserelèveraplusetdécéderatrèsvite.
L’avocat de la défense plaidera aujourd’hui la légitime défense. Selon nos sources au tribunald’instance juvénile, le petit ami se serait montré violent à plusieurs reprises, mais aucune plainten’auraitétéenregistrée.
QuarterbackespoirdelavilledeCarmel,lejeunehommevenaitd’obtenirunebourseauméritepour intégrer la faculté deBerkeley.Très aimédans sa ville, desmanifestations ont été organiséespourdemanderletransfertduprocèsdevantlaCourcriminelleafinquelajeunefillesoitjugéeplusdurement.
Leprocèsdevraitsedérouleràhuitclosetresterentièrementconfidentielenraisondelanaturefragiledudossier.Ils’ouvreaujourd’hui,maisn’apasencorededatededélibération.
Amyencoure jusqu’àdixansdeprisonetpourrait,à samajorité, être transféréedans lapartieadultedelaCentralCaliforniaWomen’sFacility.»
Uninstant,jerestesidérée.Parcequ’unephoto,bonunpeumalpriseetdéformécertes,maisunephototoutdemême,affichelevisagedelapetiteGilmore.Elleestplusminceetellealesyeuxvides,lescouleurssontéteintes,maisc’estbienelle,j’enjurerais.
Elleaplantésonderniercopain?!Etpuis…Amy?Maisc’estquoicesconneries?!Bordel!
14
Dernierchapitre:LepetitrayonvertMia
«J’aiéclatéensanglots.J’aiun faiblepourcetteexpression.Onn’éclate jamaisde faimoudefroid.Enrevanche,onéclatederireouensanglots.Ilestdessentimentsquijustifientqu’onvoleenéclat.»
AlbertEspinosaProlepse(Flash-forward){16}Desmoisplustard…Mia…Unsouffledevents’engouffrebrusquementsouslacouette.Jemeredressed’unseulmouvement.Lescheveuxébouriffésetlesyeuxgonflésdesommeil.Iln’yapluspersonneàcôtédemoi.J’ai entendu mon prénom. Je ne suis pas folle. J’ai vraiment entendu une voix le murmurer,
commeportéparlabrisedusoir.Au-dessusdemoi,leveluxestentre-ouvertetilfaitdoux.Lecielestdégagéetunemultituded’étoilesbrillentau-dessusdemoi.Jerepousselescouverturesetécoutelesbruitsdelanuit.Celuid’unechouettequihulule,celuidu
ventdanslesarbresetdel’eauquidortpasloin.Maismoncœuradumalàsecalmeretlesbattementsenvahissentpeuàpeumatête.Jenesauraispasexpliquerlemalaisequimeprend.Maisilyaquelquechosequimedérange.Outrelefaitqu’ilsoitparticommeça,aumilieudelanuitetqueçaneprésageriendebon.J’aiunsentimentindescriptiblequimeserrelapoitrine.Respire.Inspire.Expire.Jefaisdegrandsexercicesderespirationpourtenterdemecalmer.Avantdemeleverfébrilementetd’enfilermesvêtementsàlahâte.J’ignorecequimepousseàyaller,mais jesens,non, jesais,quequelquechosecloche.Qu’il
s’estpasséuntruc.Jeneprendspaslapeinedemecoifferouquoiquecesoit.Quand je sors pour rejoindre la voiture, le ciel se colore déjà d’indigo.Bientôt, le jour va se
lever.Jenel’aipasentendupartir.Jemedemandes’ill’afaitilyalongtemps.Derrièremon volant, je compose le numéro d’Isaac. Et je lemets sur haut-parleur enmettant
fébrilementlecontact.
Réponds.S’ilteplaît,réponds…Lebipstridentenvahitl’habitacle.Çasonne,sonne,sonneencore.Ilnedécrochepas.Monmalaises’accentue.Monbasventremefaitmal,terriblementmal.J’essayelenumérodeM.J.aussi.Peut-êtreque jem’inquiètepour rien,peutêtreque toutvabien.Mais j’ai ladrôledesensation
qu’ilestarrivéquelquechoseàquelqu’un.Àqui?Jel’ignore.Ilnerépondpasnonplus.Jedémarreetparsavantdenepluspouvoirconduiretellementjetremble.C’est étrange. Ce sentiment de savoir que quelque chose de terrible va se produire,mais sans
parveniràmettreledoigtdessus.Lesmaisonssontfermées,lavilledortencore.UncalmeplatrègnesurKaloa.Jeprends la routequidescendvers lecentre. Je traverseunepartied’Eponac.L’indigoduciel,
viredoucementàl’orange,laissantentre-deuxapparaîtrelepetitrayonvert.Monpèremeracontaittoujoursquelerayonvertquiapparaîtfugacementaumatinentrel’indigo
etl’orangeduleverdesoleilamènedel’espoirdanslaviedeceluiquialachancedel’apercevoir.Jenesaispass’ilétaitunpeufrappéousic’étaitlecancerquiluifaisaitdirecegenredechose,
maisj’yaitoujourscruaurayonvert.Alors l’apercevoir là, me redonne un petit peu d’espoir. S’il était arrivé quelque chose, on
m’auraitappelée.Lukem’auraitappelée,lesgarçonsm’auraientappelée.Surl’immenseroutequitraverselaforêtd’Eponacetlacoupeendeuxavantdepasserenhautdes
falaisesquidescendentverslecentre,jeralentis.Lesvoiessontlargespourquelescamionsaientlemoinsdemalpossibleàpasser.Maisiln’yapasunchatdehors.L’airesthumide,unlégerbrouillardflotteetl’indigosecolorepeuàpeud’orange.Lejourselève.
Auloin,j’aperçoisquelquechosed’anormal.Audétourd’unvirage,bordéd’uncôtédelaglissièredesécuritéquiempêchelesvéhiculesdese
cracherdanslevidedesfalaises,etdel’autre,desimmensesCyprèsetThuyasduPacifique.Jeralentis.Ilyaquelquechoseaumilieudelaroute.Unetâchequigranditaufuretàmesure.Unevoiture?J’approche,maisdoucement.Etplusj’avance,plusmoncœursemetàbattresourdement.Cen’estpasunevoiture,c’estunemoto.Seigneur…,non…Je rétrograde, ralentie encore. Roule jusqu’à être à moins de cinquante mètres. La bécane est
allongéesurl’asphalte.Lesbattementsdemoncœursefontdeplusenpluslents.Jestoppemonvéhiculeetobservelaglissièredesécurité,complètementenfoncéeetdéformée,et
lesdébrisdudeuxroueséparpilléssurlegoudron.Deséclatsdeverre,degrandestracesdegommenoiresurl’asphalte,untéléphonepulvérisé…Jejetteuncoupd’œiltoutautraversdupare-briseavecunétrangesentimentdedétachement.Maisenréalité,jeneveuxpasregarderplusloin.Jerefusedelefaire.Mesmainssurmonvolant
semettentàtrembler.Parcequemêmesimavision s’accrocheaugoudrondéformé, je sais, oui je sais, que jepeux
quandmêmeapercevoirdesgouttes,desmarques,destraînéesdesangd’unrougequivireaunoiretquipourraitpasser,auloin,pourdel’essence.Maiscen’enestpas.C’estdusang.
J’enaivusisouvent.Lemien.Celui…desautres.Jesaisquec’estça.Une peur panique est en train de s’infiltrer par tous mes pores. Je reste là, longtemps, très
longtemps,lesyeuxrivéssurcequi,j’ensuisconsciente,vachangermavie,d’unefaçontellementviolentequejen’enmesuremêmepasencorelesconséquences.
Unmillierdechosesmepasseparlatêteàlafois.Ilfautquej’appelledessecours,quejel’appelle.Jemevoisentraindepleurer,enrobenoire,à
unenterrement.Puisdumêmecoup,jem’imaginedansmonlit,jelesensquibouge,selève,jemeréveille,luitienslebras,luidemandedeserecoucher,quetoutirabien,ilpeutresteravecmoi,ilnelui arrivera rien, parce que toujours je serai là pour le protéger. Puis, il y a les pompiers, lesambulances,leslumièresquidansentdansmatête,lesgarçonsquinecomprennentpas.Jepleureraibeaucoup.Non,jenepleureraispas,ilneluiestrienarrivé.Ilestjusteévanoui,inconscient,maisiln’a rien. Il va se mettre debout. Me dire « t’y as cru, hein ? ». Je ne pourrai plus jamais medébarrasserdeluiparcequej’auraipeur.Peurdeperdreencorequelqu’un.Commej’aipresquetoutperdudansmavie.Moi-mêmelapremière.
Jenesaispascombiendetempsjefixelepare-brise,mesmainstremblantessurlevolant.Uneminute?Deux?Quelquessecondes?Avantd’ouvrirlaportedelavoitureetdesortirlesjambestremblantes.Lesoleil,àprésent levé, faitmiroiter lesmorceauxdeverreet lesdébris. Ilscrissentsousmes
pas.Unemasse noire se dessine un peu plus loin sur l’asphalte. Plus j’avance, plus je la distingue
clairement.Latacheinformeetdésarticuléesetransformeencorps.Soncorps.Cettecoquillevidequin’estplusrien.Je reste là, dans le jour qui se lève, à le regarder, complètement ailleurs et en même temps
totalementprésente.Lepasséetleprésentseconfondent.
J’observe tous les détails qui nem’échappent pas.Son casque enfoncé sur unebonnepartie ducôtédroit.Lamaredesangnoireetbrillantedanslaquelleilbaigne,sesbrasetsespiedstordusdansdespositionsplusquebizarres.
Machinalement, sansmêmeme rendre compte de ce que je fais, je sorsmon téléphone demapocheetcomposelenumérodesurgences.
—Le911,j’écoute…—Il…ilyaeuunaccident…demoto…—Pouvez-vousmedonneruneadresse,madame?Est-cequ’ilyadesblessésgraves?—Je…,oui…,faitesvite…,s’ilvousplaît…Jecommuniquelabornedelarouteoùnousnoustrouvonsavantderaccrocheretdechercherle
numérod’Ashton.Mesyeuxsontvoilés,jedoism’yreprendreàplusieursreprises.Maintenantaccroupieàquelquesmètresdelui,j’attends,letéléphonecolléàl’oreille.Çasonne,unefois,deuxfois…,aumêmerythmelentquelesbattementsdemonproprecœur.—Allô?Lavoix fatiguéeethachéed’Ashtonse fait entendreà l’autreboutdu fil.Lesmots s’étranglent
dansmagorge.—Mia?Qu’est-cequetuveux?—Ash…,jesouffledansunsanglotcontenu.Ilyad’abordunlongsilence.Puis,ilrespirecommes’ilselevait.—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?Tuasdesproblèmes?—Ash…ilaheurté…laglissièredesécurité…—Quoi?Dequoituparles?—Je…Il…Silence.Ehoui,ilyadesessilencesquifontdubruitàs’endéchiqueterlecœur.Ashtonacompris.Mavoixtremblante,messoupirsdedéchirementsparcequelessanglotscommedesfleursfanées
sebrisentdansmagorgeetnesortentpas.Ilsempêchentjustel’airderentrer.—Mia!Qui?Quiaheurtélaglissièredesécurité?!
Àsuivre…
www.passioneditions.comRetrouvezlessorties,lesnewset
lesjeux-concours:
PassionEditionsRetrouveztoutel’actualitésurl’auteur:
TinaM.
{1}Hors-d’œuvreitaliens.Cesontdestartinesgarniesgénéralementdetomates,d’ailetarroséesd’huiled’olive.{2}ChansondeSarahMclachlan,tiréedel’albumSurfacingde1997,produiteparPierreMarchand.{3}Stop,n’entrezpas.{4}Chansoninterprétéeparl’artisteQueen,tiréedel’albumANightattheOperasortien1975,produitparRoyThomasBaker.{5}ChansoninterprétéeparEdSheeran.{6}ComédiedramatiqueaméricaineréaliseparDavidMcNallyetsortieen2000.{7}Pasmoyen.{8}Screamestunfilmd’horreuraméricainréaliséparWesCraven,sortien1996etmettantenscèneuntueurmasqué.{9}Desbonbonsouunsort.{10}Iris,interprétéeparlegroupeGooGooDolls, tiréedel’albumDizzyupthegirl,sortieen1998souslelabelWarnerBros.
Records.{11}ÀMaryIslandonnecomptequedeuxsaisons,étéethiveraustral.Lessaisonssontégalement
inverséesdansl’hémisphèresud.{12}AuxÉtats-Unis,boosignifiepetit-ami.{13}Marquedechampagne.{14}Gagnante.{15}Bro’,renvoieàbrother,signifiantfrère.{16}Anticipation/ saut dans le temps : désigne un événement qui se produira plus tard dans
l’intrigue.
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