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LES DEBATS AUTOUR DE LA CRISE ALIMENTAIRE
DU NIGER EN 2005 :
QUELS ENJEUX REVELENT ILS POUR LES ACTEURS HUMANITAIRES AU NIGER ?
Master (CIAHPD) Coopération Internationale, Action Humanitaire et Politiques de développement Université Paris I Sorbonne Mémoire présenté par Mme Jodelle TESHOME DURIX Directeur de mémoire : Mme Stéphanie AMAR FLOOD Date : Novembre 2007
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RESUME
La crise alimentaire qui a affecté le Niger durant l’été 2005 mobilisa difficilement et tardivement la communauté
internationale. L’absence de consensus sur la caractérisation de la crise et la réponse à y apporter fut source de
vives tensions entre les acteurs de la solidarité internationale présents au Niger. En effet, d’octobre 2004 à avril
2005, malgré une hausse des prix des céréales de base et une dégradation continue de la sécurité alimentaire de
la population, la situation nigérienne était perçue comme étant aisément maîtrisable. L’invasion de criquets
durant l’été 2004 ainsi que l’arrêt précoce des pluies ont, certes, causé un déficit céréalier, mais qui n’avait rien
de catastrophique. Toutefois, il a fallu attendre au printemps 2005 les résultats d’enquêtes alarmants pour que la
communauté internationale mais aussi les acteurs humanitaires présents au Niger réalisent l’ampleur de la crise
qui se profilait. Cependant, l’inefficacité des mesures prises par les autorités nigériennes ainsi que la
multiplication des critiques à leur égard vont aboutir à un dessaisissement de la scène locale au profit des
organisations onusiennes et des ONG urgentistes. De vives polémiques, accentuées par l’emballement
médiatique, vont éclore entre partisans de mesures d’atténuation et de prévention, mises en place par le
gouvernement nigérien, qui respectent le marché et évitent l’assistanat et les promoteurs des distributions
alimentaires gratuites généralisées au nom du droit à l’alimentation.
Mots clefs : Crise Alimentaire, ONG, Développement, Urgence, Niger
The international community responded to the food crisis that befell Niger in the summer of 2005 both slowly
and awkwardly. A lack of consensus about the nature of the crisis and the appropriate response to it caused
considerable tensions amongst those working in the field of international solidarity and present at that time in
Niger. Indeed, from October 2004 until April 2005, despite an increase in the price of staple cereals and a
continuous decline in the population’s food security, the situation in Niger was considered to be easily
manageable. The invasion of locusts during the summer of 2004, along with an early end to the rainy season,
admittedly caused a deficit in the quantity of cereals available, but this shortage was not considered in any way
catastrophic. It was not until the spring of 2005, and the alarming statistics appearing in certain surveys, that the
international community, and also the humanitarian workers present in Niger, became aware of the crisis in the
making. However, the inefficiency of the measures that were taken by the Nigerien authorities, along with
mounting criticism of them, eventually led to UN-sponsored organizations and NGOs specializing in emergency
humanitarian aid taking over operations. A heated debate, fanned by intense media interest, emerged between
those who favored moves to attenuate the effects of the crisis and the preventive measures set up by the Nigerian
government, which respected the local markets and sought to avoid handouts, and those advocating free food
distribution in the name of the right to food.
Key words : Food crisis, NGO, Development, Emergency, Niger
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AVERTISSEMENT " L'université Paris I n'entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les mémoires. Ces
opinions doivent être considérées comme propres à leur auteurs".
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Hélène pour son inestimable regard critique pour la construction du sujet et sa
problématisation, Lucie pour sa précieuse relecture, Jean-François pour avoir grandement facilité mes
interviews, Stéphanie pour avoir été une directrice en or, Laurent et enfin Dawit pour être à mes côtés.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION.........................................................................................................................................................5
A) EXEMPLE D’ACTUALITE ........................................................................................................................................5 B) CONTEXTE DE L’ETUDE .........................................................................................................................................6 C) PROBLEMATISATION..............................................................................................................................................9 D) ANNONCE DU PLAN..............................................................................................................................................12
PREMIERE PARTIE.................................................................................................................................................13
POLEMIQUE SUR LA NATURE DE LA CRISE, UNE OPPOSITION FRONTALE ENTRE ACTEURS
PUBLICS ET PRIVES ? ............................................................................................................................................13
A) CONSENSUS DES ACTEURS PUBLICS AUTOUR D’UN DEFICIT CEREALIER MAITRISABLE :OCTOBRE A DECEMBRE
2004...........................................................................................................................................................................16 B) UNE DISSENSION PRIVE/ PUBLIC SUR LA DEFINITION DE LA CRISE ? JANVIER A AVRIL 2005 ...........................25
DEUXIEME PARTIE ................................................................................................................................................37
LA LEGITIMITE A REPONDRE A LA CRISE ENTRE LOGIQUE D’URGENCE ET LOGIQUE
PERENNE ....................................................................................................................................................................37
A) DEUX STRATEGIES CONCURRENTES DE REPONSE A LA CRISE (MAI A JUILLET 2005)........................................39 B) LA LOGIQUE DE PUISSANCE A TRAVERS LES MEDIAS (A PARTIR DE JUIN 2005) ................................................49
CONCLUSION............................................................................................................................................................61
SOMMAIRE DES ANNEXES ..................................................................................................................................64
BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................................................................80
OUVRAGES GÉNÉRAUX ....................................................................................................................................80 LITTÉRATURE GRISE..........................................................................................................................................80 ARTICLES DE REVUES .......................................................................................................................................83 PRESSE ....................................................................................................................................................................84 SOURCES WEB......................................................................................................................................................85
LISTE DES SIGLES...................................................................................................................................................86
TABLE DES MATIÈRES..........................................................................................................................................87
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INTRODUCTION
A) Exemple d’actualité
Le 24 août 2007, le président nigérien Mamadou Tandja a proclamé l'état d'urgence pour une période
de trois mois dans la région d'Agadez (nord du pays), accordant aux forces de sécurité des pouvoirs
supplémentaires pour combattre une insurrection de rebelles touaregs. Depuis février 2007, la reprise
de la rébellion touarègue est symptomatique des enjeux futurs du Niger. Le Mouvement des Nigériens
pour la Justice revendique un meilleur partage des richesses pour les populations touarègues. En effet,
malgré les accords de paix1 avec la première rébellion touarègue et le processus de décentralisation
amorcée, les continuelles défaillances de l’Etat ont engendré d’immenses frustrations. Les populations
touarègues ne disposent pas des infrastructures étatiques minimums (l’école, les services de santé, les
routes, etc.) nécessaires au développement de la région Nord Niger. Ce sentiment d’oubli semble
d’autant plus frustrant pour les Touaregs que la région est riche en minerai et demeure largement
exploitée par le gouvernement et l’entreprise française Areva. Le partage des richesses est, en
conséquence, une des clés de compréhension de la rébellion touarègue. Le Niger, pays enclavé, ne
dispose que de réserves d’uranium au Nord et d’une mince bande agricole fertile au Sud pour relever
le défi du développement.
Carrefour entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, le Niger est doté d'un climat
essentiellement sahélien désertique et extrêmement sec, à l’exception d’une mince bande de terres au
climat tropical au Sud du pays. La République du Niger repose sur un système démocratique
relativement stable depuis 1992, date à laquelle fut adoptée la constitution encore en vigueur.
Toutefois, il demeure l’un des pays les plus pauvres du monde2 avec un revenu national brut/habitant
de 170 USD/an. En dépit de ses importantes réserves d’uranium, l’économie nigérienne dépend
essentiellement d’un secteur primaire qui représente 40 % du PIB et fait vivre environ 90 % de la
population active3. Deux systèmes agricoles fortement dépendants des aléas climatiques y sont
présents: au Sud, un système agro-pastoral où la pluviométrie permet la culture de céréales, et au Nord
un système pastoral où l’élevage est prépondérant. Le Niger, même en années de bonnes récoltes, n’est
pas auto-suffisant sur le plan alimentaire4 et a recours aux importations alimentaires.
1 Trois accords de paix ont été signés, à savoir l’accord de paix du 24 avril 1995, le protocole additionnel d’Alger du 28 novembre 1997 et l’accord de paix de N’djamena du 21 avril 1998. 2 Classé 177ème sur 177 pour l’IDH- PNUD 3 VÉTÉRINAIRES SANS FRONTIÈRES, « Le point sur la crise alimentaire au Niger », Paris, novembre 2005, p. 1. 4 Le pays importe environ 10 % de ses besoins alimentaires, soit 300 000 tonnes, cf VÉTÉRINAIRES SANS FRONTIÈRES, « Le point sur la crise alimentaire au Niger », Paris, novembre 2005, p.2.
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En outre, la démographie s’impose comme un défi supplémentaire pour l’agriculture et les ressources
naturelles du pays. Bien qu’il soit peu densément peuplé5 à l’heure actuelle, l’indice de fécondité y est
l’un des plus élevés au monde, avec 8 enfants par femme, et la croissance démographique de 3,6% par
an6. Dans les années à venir, la question du partage des richesses sera cruciale pour les populations
nigériennes en raison d’une transition démographique inachevée et d’une avancée vers le Sud du
climat sahélien.
B) Contexte de l’étude
Le Niger est frappé, de manière récurrente, par des crises alimentaires ou des famines qui épuisent les
ressources et les maigres capitaux de nombreux ménages nigériens. Bien qu’elle n’ait pas atteint
l’ampleur des crises de 1973 et 1984, la crise alimentaire de 2005 a dépassé de loin celles de 1996-
1997 et 20017. Environ 30 % de la population nigérienne, soit 3,5 millions de personnes, fut affectée
par la pénurie alimentaire8 en 2005. De fait, cette pénurie a concernée l’ensemble des pays sahéliens
en raison d’une inflation des prix des céréales sur toute la région. De juin à octobre 2005, plusieurs
dizaines de milliers de personnes souffraient de malnutrition sévère et plusieurs centaines de milliers
de malnutrition modérée, dont la majorité était des enfants de moins de 5 ans. Plus de 121 000 tonnes
de céréales ont été distribuées de janvier à octobre 2005, sous forme de distributions gratuites ou de
ventes à prix modérés. À la fin de la période de soudure, près de 600 centres de récupération
nutritionnelle mis en place par une vingtaine ONG internationales9, ont accueilli 355 000 enfants de 0
à 5 ans souffrant de malnutrition.
Il est vrai que la campagne agricole de 2004 s’annonçait dans de mauvaises conditions. Les pluies ont
été tardives, la sécheresse a sévi dans plusieurs régions et l’invasion de criquets, bien que contenue, a
causé quelques dégâts10. Cependant, les récoltes n’ont pas été catastrophiques. Le déficit céréalier pour
l'année 2004-2005, qui s’est élèvé à 223 448 tonnes (soit 7,5% des besoins nationaux), est certes
conséquent mais les autorités nigériennes, les agences internationales ainsi que les acteurs
humanitaires en présence l’ont perçu comme aisément maîtrisable. Toutefois, tout au long du premier
trimestre de 2005, la sécurité alimentaire des ménages agropastoraux va lentement se dégrader en
5 La densité de population est de 9,1 habitants/km². 6 PNUD 7 A. DRAMÉ YAYÉ et B. ALPHA GADO, « Histoire des crises alimentaires au Sahel : cas du Niger », Université Abdou Moumouni, Niamey,novembre 2006, page 7. 8 Données de MSF 9 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, compte rendu des journées d’étude », mai 2007, page 20. 10 Les dégâts de l’invasion acridienne furent, toutefois minimes au regard de la campagne agricole global. Les taux moyens des pertes subies s’élevaient entre 3 et 15 % à l’échelle nationale. Cf CIRAD, « Après la famine au Niger.... Quelles actions de lutte et de recherche contre l’insécurité alimentaire au Sahel ? », Paris, décembre 2005, page 11.
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raison de l’érosion progressive de leurs niveaux de vies depuis plusieurs années. Ceux-ci n’ont bientôt
plus accès aux céréales devenues trop chères sur les marchés locaux et se sont tournés vers des
stratégies alternatives d’alimentation : transhumance plus longue pour les éleveurs, exode précoce des
jeunes hommes vers les pays frontaliers, hausse de la consommation de feuilles, même toxiques,
ventes des biens propres ou de la terre et décapitalisation des ressources.
L’ampleur de la crise alimentaire est finalement révélée en avril 2005 suite aux enquêtes du
Programme Alimentaire Mondial (PAM) / Helen Keller International(HKI) et de Médecins Sans
Frontières (MSF) dans les régions de Maradi et Zinder. De mai à juin, les appels aux dons vont se
multiplier, parallèlement à une médiatisation croissante de la crise en Occident. Durant l’été 2005, la
présence des acteurs humanitaires au Niger va s’intensifier, limitant ainsi les risques d’une crise
alimentaire aggravée. De nombreux programmes de prise en charge des enfants malnutris, ainsi que de
vastes distributions gratuites de céréales, sont organisés par les différents acteurs humanitaires en
présence. Ces opérations ont pris fin avec les nouvelles récoltes en octobre 2005. La nouvelle
campagne agricole a été supérieure de 36 % à l’année précédente et le bilan fourrager excédentaire11.
La crise alimentaire s’est résorbée, mais la situation nutritionnelle demeure toutefois préoccupante à
l’automne 2005.
Cette crise doit, avant tout, se comprendre comme la conséquence d’un processus12 et non comme le
simple résultat d’un choc conjoncturel. En lien avec la paupérisation de la population nigérienne, cette
crise alimentaire s’enracine dans les causes structurelles suivantes :
• Les activités agricoles et pastorales sont fragilisées par la forte croissance démographique,
qui pèse sur l’utilisation des ressources dans le secteur agricole. Bien que la surface d’occupation des
sols ait doublée depuis 10 ans13 et que la production agricole en volume soit en hausse, la ration
céréales / personne a, quant à elle, diminué. Le rendement agricole n’a pas suivi, et accuse même une
légère baisse en raison de l’épuisement de la fertilité de sols. Cultivant sur des surfaces de plus en plus
modestes, les paysans abandonnent progressivement les périodes de jachères, cultivent des terres
marginales, fragiles et peu fertiles, et exploitent les résidus de récoltes servant auparavant de
fertilisants.
11 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 20. 12 Ibid. 13 « Une expansion des surfaces agricoles, qui ont pratiquement été multipliées par 7 depuis la décennie 1970 » Cf CIRAD, « Après la famine au Niger.... Quelles actions de lutte et de recherche contre l’insécurité alimentaire au Sahel ? », Paris, décembre 2005, page 10
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• L’érosion de la productivité agricole a entraîné une paupérisation des foyers agricoles,
causant à son tour une lente dégradation du régime alimentaire. Les stratégies alternatives
d’alimentation, réservées aux périodes de soudures, se sont peu à peu généralisées à l’ensemble de
l’année. Ainsi, les feuilles sont consommées de manière quotidienne dans les foyers les plus modestes
et le mil, plat quotidien, est réservé aux jours de fêtes. Dans les années 1998-2000 (qui n'étaient
pourtant pas des années de sécheresse particulière), 36 % de la population souffraient déjà de
malnutrition, 40 % des enfants de mois de 5 ans et 12 % des nouveau-nés présentaient une insuffisance
pondérale14.
• La dégradation des sources de revenus affecte également la santé des foyers qui accèdent
difficilement aux soins de santé primaires. Les centres de santé sont éloignés des villages, le transport
pour les rejoindre est coûteux, les soins et les médicaments des centres sont payants. Souffrant de
malnutrition, les populations les plus vulnérables, comme les enfants, sont moins résistantes aux
maladies.
• Les inégalités se creusent entre une majorité de paysans vivant difficilement d’une
agriculture vivrière et une petite minorité ayant réussi la conversion vers une agriculture de rentes. En
outre, la paupérisation, la dégradation du régime alimentaire, la pression sur les ressources naturelles
ont mis à mal les solidarités sociales traditionnelles, souvent dernier filet de sécurité en période de
crise. En période de soudure difficile, les foyers sont alors conduits à vendre leurs récoltes sur pieds ou
à acheter des céréales à crédit.
On assiste ainsi à un cercle vicieux. La dégradation des ressources agricoles paupérise davantage les
populations démunies et les pousse à adopter des stratégies hypothéquant leur avenir (sur-exploitation
des terres, ventes des actifs, emprunts, etc.).
En dépit de ces paramètres structurels, la récolte de 2004 fut la quatrième de l’histoire du Niger en
quantité. Cependant, cette fragilité structurelle a permis à des facteurs conjoncturels d’être catalyseurs
de la crise. Le Niger, mais aussi tout l’ensemble sahélien, a du faire face à un niveau de pluviométrie
insuffisant. L’arrêt précoce des pluies n’a pas permis aux cultures de mûrir convenablement. Par
ailleurs, l’épisode acridien de l’été 2004, bien que spectaculaire, a causé des dégâts relativement
mineurs sur l’ensemble des récoltes. Grâce aux moyens déployés pour contenir l’invasion du criquet
pèlerin, les pertes occasionnées sur les cultures et les pâturages ont pu être limitées et les autres zones
14 CIRAD, « Après la famine au Niger.... Quelles actions de lutte et de recherche contre l’insécurité alimentaire au Sahel ? », Paris, décembre 2005, page 9
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agricoles du pays ont été épargnées. Le déficit céréalier de 2004 est dû pour 30 % aux effets de
l’invasion acridienne et pour 70 % aux effets de la sécheresse15.
C) Problématisation
Ce travail de recherche s’intéresse aux débats qui ont pris forme autour de la crise alimentaire du
Niger en 2005. La majeure partie des acteurs de la solidarité internationale, à savoir les ONG, les
agences onusiennes et les dispositifs gouvernementaux d’aide furent en désaccord sur différents points
attenant à cette crise. En effet, ce débat, parfois houleux, est issu de l’absence de consensus sur la
nature de la crise et les réponses à y apporter. À mi-chemin entre la situation d’urgence et le caractère
structurel de conditions de vies dégradées des populations, cette crise d’un nouveau genre a focalisé
les débats autour de la notion de légitimité. Qui détient la légitimité de définir la nature d’une
crise humanitaire ? Les autorités nationales élues par la population ou bien les ONG, experts
techniques en urgences humanitaires ? De même, comment se construit une réponse à une situation
d’urgence humanitaire ? En collaboration avec les acteurs en présence bien implantés sur le lieu de la
crise ou bien avec des moyens et des acteurs ad hoc ? Ces questionnements furent d’autant plus
soulevés que la crise alimentaire du Niger ne fut pas un lieu d’intervention légitime pour les
humanitaires urgentistes. Il y eût une forte résistance des acteurs historiques de la solidarité au Niger à
l’intrusion de programmes d’urgences par peur de voir réduit à néant plusieurs années, voire
décennies, de programmes et mesures de développement. L’étude du débat suscité par la crise
alimentaire du Niger de 2005 questionne directement le positionnement des acteurs au sein de la scène
de la solidarité internationale. Les tensions et les désaccords observés durant cette crise alimentaire
sont symptomatiques des enjeux et luttes qui traversent le champ de la solidarité internationale.
Il ne s’agit pas, dans le cadre de ce mémoire, d’analyser la pertinence et l’efficacité des opérations
mises en œuvre pour répondre à la crise alimentaire, ni même de mettre à jour les défaillances des
différents systèmes d’information et de prévention des crises alimentaires. L’objet de cette présente
recherche est d’analyser le débat qu’a suscité cette crise alimentaire et de comprendre le
positionnement des acteurs de cette crise au sein de la scène de la solidarité internationale.
Aujourd’hui, les relations internationales sont marquées par le déclin des prérogatives étatiques, une
autonomisation des Organisations Internationales (OI), une régionalisation des espaces, une montée en
15 MM. CHARASSE et A. GOUTEYRON, « Rapport d’information fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et de comptes économiques de la Nation sur la mission d’évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire. », Sénat, Paris, 29 septembre 2005, page 22.
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puissance des acteurs civils et enfin l’apparition de « trous noirs »16 de la mondialisation. Cette lecture
des relations internationales donne souvent lieu à une interprétation simpliste illustrant des Etats
nationaux affaiblis et en perte de vitesse face à la montée en puissance d’acteurs non-étatiques divers
(ONG, entreprises, activités illégales) et l’autonomisation des OI (FMI, ONU, Banque Mondiale, etc.).
Bien que de nombreux acteurs privés de la mondialisation surpassent certains Etats dans leurs
prérogatives (des entreprises ayant un chiffre d’affaires dépassant le PIB de plusieurs pays africains),
la suprématie américaine actuelle et la puissance chinoise en devenir nuancent quelque peu cette
vision des relations internationales. Pourtant, les Etats, même les plus puissants, doivent
s’accommoder de ces nouveaux acteurs de la mondialisation, notamment une « société civile
mondiale » en gestation, qui vise directement à influencer le jeu politique international.
Les ONG sont aujourd’hui un acteur notable des relations internationales, faisant figure d’étendard ou
de porte-parole d’une société civile internationale naissante. Aussi difficile à cerner soit-elle, la société
civile mondiale, notamment représentée par les mouvements alter-mondialistes et les forums sociaux
mondiaux, s’oppose à une vision ultra-libérale des relations internationales et souhaite contrecarrer
l’influence des organisations internationales jugées peu démocratiques. En effet, les ONG en raison de
leur travail de plaidoyer et leurs actions auprès de populations oubliées de la mondialisation se
différencient des politiques publiques de développement. Philippe Ryfman17 distingue au sein de la
scène de la solidarité internationale, si l’on peut la nommer ainsi, les acteurs publics (organisations
internationales et Etats) et des privés (fondations et ONG). Ayant en commun l’objectif de soulager
les populations en souffrance, acteurs privés et publics de l’humanitaire collaborent sur de nombreux
terrains. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies est, à ce titre, l’organisation
internationale à avoir le plus approfondi sa collaboration avec les ONG. Cependant, depuis les années
1990, la scène de la solidarité internationale est traversée par des grands débats d’idées reprenant, de
manière plus ou moins implicite, une dichotomie entre acteurs publics et privés de l’humanitaire.
La notion de droit d’ingérence humanitaire, théorisée par Mario Bettati18 dans les années 1980, fut
sujette à de grandes polémiques dans les années 1990, notamment suite à l’intervention des Nations
Unies en Somalie. « Popularisé » par Bernard Kouchner, le droit d’ingérence visait à dépasser le
concept de souveraineté étatique jugé archaïque. En effet, l’assistance humanitaire aux populations en
danger ou en souffrance doit donc pouvoir être mise en œuvre au-delà des frontières et outrepasser les
mécanismes juridiques internationaux reposant sur le plein gré ou la souveraineté des Etats. En
somme, la légitimité humanitaire surpasserait celle de l’Etat. Ce concept fut considéré comme une
16 J. LAROCHE « Mondialisation et Gouvernance mondiale », Presses Universitaires de France, mai 2003, Paris, 259 p. 17 P. RYFMAN, « L’action humanitaire traduit-elle l’émergence d’une société civile mondiale ? », La Documentation française, Paris, page 4. 18 Mario Bettati, « Le droit d'ingérence » Odile Jacob, Paris, 1996, 384 p.
11
grande avancée à l’époque du « Nouvel ordre mondial » censé replacer au premier rang des priorités
des valeurs comme la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits de la personne humaine.
Toutefois, le droit d’ingérence a montré ses limites avec les échecs des interventions en Somalie, au
Rwanda ou plus récemment en Irak.
Ces dernières années, le débat, d’abord initié par MSF lors de la remise du Prix Nobel de la Paix19, se
porte davantage sur la nécessaire distinction entre l’humanitaire civil et militaire. Selon MSF, plus que
l’ingérence, concept auquel ils n’adhérent pas, au regard des exemples de l’Irak, de la Somalie et du
Rwanda, il faut distinguer l’humanitaire civil incarné par les ONG et les opérations humanitaires
militarisées développées par certains Etats. Les exemples afghans (2001) et irakiens (2003) soulignent
un fossé entre les Etats pour qui l’aide est politiquement stratégique et les ONG pour qui l’assistance
aux populations se doit d’être apolitique. La militarisation de l’aide, créant un amalgame entre enjeux
politiques et assistance aux populations, a non seulement brouillé, aux yeux des populations civiles, la
lisibilité entre aide publique militaire et aide privée apolitique, mais a également exacerbé les
antagonismes au niveau des modalités opérationnelles entre acteurs publics et acteurs privés.
Ces débats (droit d’ingérence et militarisation de l’aide humanitaire) présents sur la scène de la
solidarité internationale dessinent une opposition de principe et opérationnelle entre acteurs privés et
publics de l’humanitaire.
Le débat autour de la crise alimentaire au Niger en 2005 entre acteurs privés et publics est au coeur
des débats sur la légitimité d’une intervention en contexte de crise. Dans le cas du Niger, il a fallu,
pour les ONG, construire la légitimité d’une intervention humanitaire d’urgence dans la mesure où
cette crise n’existait pas aux yeux du gouvernement nigérien. Par principe, une crise humanitaire
souligne l’incapacité des autorités étatiques à répondre aux souffrances des populations dont elles ont
la charge20 et la nécessité de l’intervention d’acteurs extérieurs pour y répondre. On a donc assisté, lors
de la crise alimentaire du Niger, à l’opposition entre deux types de positionnement / légitimité entre
acteurs publics et les acteurs privés de la solidarité internationale. On retrouve ici les tensions
inhérentes à l’évolution des relations internationales, à savoir la dépossession des prérogatives de
souveraineté des acteurs étatiques, et l’arrivée de nouveaux acteurs non étatiques de plus en plus
influents sur la scène internationale.
19 Réaction de Philippe Biberson, Président de MSF à l’époque, le 15 octobre 1999. « Depuis quelques années, l'humanitaire a connu une grande évolution. Sont apparues ce qu'il est convenu d'appeler l'humanitaire d'Etat, l'humanitaire militaire. J'espère que ce Prix Nobel récompense bien la reconnaissance d'un humanitaire civil et totalement indépendant des influences politiques et militaires, d'un humanitaire de révolte contre l'injustice et la persécution. » 20 P. RYFMAN « La question humanitaire, Histoire, problématiques, acteurs et enjeux de l’aide humanitaire internationale », édition Ellipses, Paris, 1999.
12
Le débat parfois houleux qu’a suscité la crise du Niger entre les autorités nigériennes, les OI et les
ONG, est il symptomatique d’une opposition entre acteurs privés et publics21 de la solidarité
internationale ? Au regard de ce débat, quelle lecture peut-on avoir de la scène humanitaire
internationale ?
La temporalité du débat médiatique en soi fut circonscrite d’avril 2005 (appel de MSF) à octobre 2005
(fin des distributions gratuites de vivres). Cependant, il semble plus pertinent d’analyser la crise
alimentaire nigérienne et le débat qu’elle a suscité d’octobre 2004 à Décembre 2005, c'est-à-dire à
partir de la première évaluation du Système d’Alerte Précoce du Niger sur les zones déficitaires
jusqu’à la Revue Après Action du PAM22.
D) Annonce du plan
En amont de la crise alimentaire (I), d’octobre 2004 à avril 2005, les polémiques vont principalement
se concentrer sur la nature de la crise. Ces premières tensions, loin de reprendre une ligne de fracture
entre acteurs privés et publics de l’humanitaire (A), font apparaître des collusions d’intérêts et des
relations interdépendantes entre public et privé (B). Puis durant le temps fort de la crise et en aval de
celle ci (II), de mai à décembre 2005, les débats vont se focaliser sur la réponse à apporter une urgence
humanitaire déclarée. L’internationalisation de la crise alimentaire au Niger, bien qu’elle semble
exacerber les prises de position entre vision urgentiste et développementaliste de la crise (A),
cristallise davantage les tensions entre acteurs locaux et de moindre taille et acteurs d’envergure
internationale avec de puissants moyens logistiques (B).
21 P. RYFMAN, « L’action humanitaire traduit-elle l’émergence d’une société civile mondiale ? », La Documentation française, Paris, page 4. 22 L’objectif global de la Revue est d’identifier les mesures susceptibles d’améliorer les mécanismes de protection et les filets de sécurité des populations victimes d’insécurité alimentaire. Il s’agit d’une analyse critique des actions menées par le PAM et ses partenaires dans un pays donné.
13
PREMIERE PARTIE
Polémique sur la nature de la crise, une opposition frontale entre
acteurs publics et privés ? (Octobre 2004 à avril 2005)
14
La crise alimentaire du Niger a de particulier qu’elle résulte d’une lente dégradation des niveaux de
vie et de la sécurité alimentaire. En ce sens, il n’y eût pas, à proprement parler, de point de départ bien
défini de la crise, mais simplement une prise de conscience d’une situation devenue critique. Durant
cette première période en « amont » de la crise, bien que techniquement, on pouvait déjà parler de
crise, le résultat de la campagne agricole et ensuite la dégradation de la sécurité alimentaire furent
sujets à polémique. Avait-on affaire aux indicateurs ordinaires de la pauvreté au Niger ou bien à des
signes avant-coureurs d’une situation critique ? C’est ce questionnement qui a traversé la communauté
des acteurs humanitaires historiquement en place au Niger qu’il s’agisse d’ONG, d’organismes
gouvernementaux ou internationaux.
Le Niger connaît une longue tradition de programmes de développement proposé par une multitude
d’organismes privés ou publics. Indépendant en 1960, le Niger restera comme ses voisins pendant de
longues années sous la zone d’influence de la France23 qui investira des millions de francs en aide
publique au développement (APD). À partir des années 1980, avec la crise des dettes publiques et la
chute des prix de matières premières, les institutions de Breton Woods24, la Banque Mondiale et le
Fonds Monétaire International (FMI) prennent en charge les politiques de développement des pays
d’Afrique subsaharienne avec les Plans Ajustements Structurels (PAS). Le Niger connut plusieurs
séries de plans de lutte contre la pauvreté en raison de la récurrence de ses crises alimentaires25. Ainsi,
des programmes de long terme visant à sortir la population nigérienne de la spirale de l’insécurité
alimentaire furent mis en place par les organismes de coopération publique et les OI (Organisations
Internationales) qui axèrent leurs projets sur le pastoralisme, l’accès à l’eau, l’alphabétisation ou
encore le micro crédit. En dépit de leurs divergences sur la forme des programmes initiés, il semble
que ces acteurs gouvernementaux ou inter gouvernementaux, développant des projets au long terme au
Niger, partagent la même communauté d’intérêts à savoir sortir le pays de la pauvreté et de la précarité
alimentaire.
La situation avant la crise de 2005 pouvait être décrite ainsi : une communauté relativement stable
d’acteurs publics menant des programmes de long terme. Cependant, l’irruption d’une urgence
23 La France demeure le premier bailleur de fonds du Niger avec une APD de 42 Millions d’euros en 2001 comprenant l'aide versée par le ministère des Affaires étrangères, l'Agence française de développement et l'allègement de la dette bilatérale. 24 Les accords de Bretton Woods, signés le 22 juillet 1944, sont des accords économiques ayant dessiné les grandes lignes du système financier international de l'après-guerre. Leur objectif principal fut de mettre en place les bases de la politique monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la Seconde Guerre mondiale, à travers la création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). 25 « On compte selon les observateurs, une crise agricole en moyenne tous les quatre ans ». Cf. MM. CHARASSE et A. GOUTEYRON, « Rapport d’information fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et de comptes économiques de la Nation sur la mission d’évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire. », Sénat, Paris, 29 septembre 2005, page 64.
15
humanitaire modifie cette logique. L’UNICEF26 définit une urgence comme étant « Une situation qui
menace la vie et le bien-être d’un grand nombre de personnes et qui nécessite la prise de mesures
extraordinaires pour assurer leur survie, leurs soins et leur protection. Les urgences peuvent être
créées par des catastrophes naturelles ou technologiques, des épidémies ou des conflits ». La prise de
mesures extraordinaires implique l’arrivée de moyens ad hoc, dans la majeure partie des cas des
secours internationaux privés. Il s’agit de pallier au déficit de l’acteur traditionnel en charge du bien
être des populations, à savoir l’Etat. Les urgences humanitaires ont lieu dans des contextes où les
autorités du pays sont soit dépossédées de leurs prérogatives étatiques (cas de guerre) soit débordés
par l’ampleur de la catastrophe, soit ne veulent pas prend en charge une partie de leur population.
Dans chaque contexte, l’irruption d’une urgence humanitaire induit un changement tout du moins une
évolution des rapports de forces par l’arrivée massive d’acteurs privés extérieurs.
Ainsi, si l’urgence alimentaire est reconnue comme telle alors, la communauté d’acteurs intervenant
classiquement au Niger serait en quelque sorte désavouée. Ce serait l’aveu de son échec. En
empruntant la lecture sociologique des milieux sociaux selon Bourdieu, l’ensemble des acteurs de
l’aide humanitaire notamment au Niger peuvent être assimilés à un champ social27. Aussi, quand des
acteurs sont en majorité dans un champ social donné, leur objectif est de conserver leurs prérogatives
et de bloquer l’entrée du champ à toute concurrence. On peut supposer de manière rétrospective que la
prise de conscience tardive de l’urgence alimentaire fut due à une confrontation entre acteurs publics
historiquement majoritaires sur les politiques de développement et acteurs privés arrivés minoritaires
et porteurs d’une autre vision de la crise. Il y a là un enjeu plus ou moins conscient sur la définition de
la situation alimentaire au Niger. En effet, à partir de quel moment peut-on parler de crise
alimentaire ? Par qui et selon quels critères est définie une situation de famine ?
D’octobre 2004 à avril 2005, le débat qui a traversé la communauté des acteurs de la solidarité
internationale au Niger s’est porté sur la nature du déficit agricole résultant des récoltes de 2004.
S’agit-il d’une urgence ou d’un déficit conjoncturel ? La notion de légitimité est au cœur du débat. En
effet, qui est légitime à définir la situation du Niger ? Dans la mesure où le terme de «légitimité»
évoque le fondement du pouvoir et la justification de l’obéissance qui lui est due28, quel acteur sera à
même d’imposer sa vision de la situation au Niger, les acteurs publics investis de l’aura démocratique
ou bien les acteurs caritatifs privés ?
26 UNICEF, « Introduction à l’action humanitaire », New York, 2001, page 9. 27 Bourdieu définit un champ social comme étant « un espace social où des acteurs sont en concurrence avec d?autres acteurs pour le contrôle des biens rares et ces biens rares sont justement les différentes formes de capital ». Cf. P.Bourdieu, « Réponses » , Seuil, Paris, 1992, page 101. 28 Encyclopédie Universalis, 2005.
16
A) Consensus des acteurs publics autour d’un déficit céréalier maîtrisable :octobre à décembre
2004
Les acteurs publics de la solidarité internationale ont été et demeurent les acteurs majeurs des
programmes de développement au Niger. Des décennies de travail commun entre les bailleurs de
fonds internationaux, les agences de coopérations décentralisées et les autorités nigériennes ont permis
de mettre en place divers mécanismes de prévention et d’information des crises alimentaires que ce
soit au niveau national ou régional. La prévention des crises alimentaires s’est ainsi « routinisée » au
travers des réunions mensuelles, semestrielles ou annuelles de diverses commissions favorisant
l’émergence d’une communauté de sens illustrant la vision commune de leurs intérêts et objectifs que
les acteurs publics présents au Niger ont forgé.
Au début de l’année 2004, tous les efforts se sont concentrés sur la menace acridienne et l’interruption
partielle des pluies. Les dernières crises alimentaires qui dataient seulement de 1997 et 2001 furent
particulièrement aiguës dans plusieurs régions29. En dépit des menaces qui pesaient sur la campagne
agricole de 2004, la confiance régnait parmi la communauté d’acteurs publics. En effet, la menace
acridienne fut rapidement maîtrisée à quelques zones agricoles et les dégâts provoqués furent
relativement mineurs30 sur l’ensemble des récoltes de 2004. Par ailleurs, les trois années suivant la
crise de 2001 ont été largement excédentaires31, permettant aux paysans de reconstituer lentement
leurs stocks. Ainsi, les premières évaluations se montrent prudentes en raison du déficit céréalier
qu’elles décèlent mais demeurent optimistes pour l’année à venir. Le rapport du CILSS32 indique que
« mise à part la menace que fait peser la situation acridienne, l’allure de la campagne agricole à
cette date est l’une des meilleures qu’a connu le Sahel33 »
Question : A l’automne 2004, les experts se disaient relativement optimistes pour la sécurité
alimentaire du pays, or quelques mois plus tard l’insécurité alimentaire sera telle que la communauté
internationale craindra une famine. Pourquoi l’urgence fut-elle si difficile à nommer ?
29 Respectivement en raison d’une importante sécheresse en 1997 et d’un épuisement des stocks de céréales en 2001 30 « Les pâturages ont été relativement limités, les infestations ne se sont pas généralisées sur toutes les zones agricoles des pays. Dans celles où elles ont été les plus importantes, le taux de perte maximum est estimé à 50 %. Si on part du fait que les infestations acridiennes ont touché de 10 à 30 % des superficies agricoles, on peut estimer les taux moyens de pertes subies du fait de celles-ci, à l’échelle nationale, entre 3,5 et 15 %. » Cf. CIRAD, « Après la famine au Niger.... Quelles actions de lutte et de recherche contre l’insécurité alimentaire au Sahel ? », Paris, décembre 2005, page 11. 31 En 2003, les récoltes ont dégagé un excédent de 500 000 tonnes de céréales. Cf. MM. CHARASSE et A. GOUTEYRON, « Rapport d’information fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et de comptes économiques de la Nation sur la mission d’évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire. », Sénat, Paris, 29 septembre 2005, page 41. 32 Comité permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse au Sahel. 33 CILSS, « La crise 2004-2005 au Niger », Niamey, octobre 2005, page 11.
17
Le contexte international et national ainsi que la collusion d’intérêts entre le Dispositif et les bailleurs
de fonds vont retarder la prise de conscience de l’urgence alimentaire qui se profilait.
1) La conjoncture internationale :
La naissance d’une urgence humanitaire a lieu par sa nomination et sa reconnaissance en tant que telle
au sein du champ de la solidarité internationale, ce qui la situe au niveau international. Une urgence
doit être nommée et reconnue par les acteurs qui la résolvent pour exister. Or, à la fin de l’année 2004
et au début de 2005, l’actualité internationale fut saturée de crises humanitaires de grande ampleur
détournant l’attention de pays mineurs comme le Niger.
a) Le Tsunami :
Le 26 décembre 2004, un violent tremblement de terre a provoqué un raz-de-marée frappant
l'Indonésie, les côtes du Sri Lanka et du sud de l'Inde ainsi que le sud de la Thaïlande et l'île
touristique de Phuket. Le bilan en pertes humaines est catastrophique : il y a au moins 222 046 morts
et disparus (entre 216 000 et 232 000 morts selon les différentes évaluations). L’émotion fut immense,
et l’événement très médiatisé. En cette période de fête, l’opinion publique occidentale fut émue par
cette catastrophe en raison de la mort de nombreux touristes occidentaux en vacances. Très vite, les
dons affluèrent de manière considérable vers les ONG. De nombreux Etats réunirent également de
vastes moyens financiers et matériels pour répondre à l’urgence. Des millions de dollars furent
mobilisés bien que les besoins furent largement couverts. Le montant total de l’aide pour le Tsunami
en France fut d’environ 350 millions de France, jamais une crise humanitaire n’avait autant
mobilisée !
L’urgence du tsunami sera une actualité médiatique jusque dans les premiers mois de 2005, que ce soit
pour relater l’urgence même, suivre les programmes de reconstruction ou alimenter des polémiques
sur l’utilisation des fonds par les ONG. En somme, le tsunami fut le « scoop » humanitaire de ce début
d’année 2005. L’attention des acteurs du champ de la solidarité internationale fut entièrement
mobilisée par l’Asie du Sud-Est notamment en raison de la pression des médias et de leurs donateurs.
18
b) Le Darfour :
Parallèlement à l’emballement médiatique autour du tsunami, le Darfour concentre également
l’attention des acteurs de la solidarité internationale. L’enjeu est humanitaire, politique et économique.
La guerre civile au Darfour est un conflit armé qui touche depuis 2003 la région du Darfour située à
l'ouest du Soudan. Les origines du conflit sont anciennes et d'ordre politique, mais il s'agit surtout
d'une lutte pour des ressources : eau, terres, pétrole, le tout sur fond de « nettoyage ethnique ». Ce
conflit a provoqué une vaste crise humanitaire : plus de 200 000 morts, civils pour la plupart, victimes
d’attaques mais aussi de famine et de maladie ; 1,85 million de déplacés ; 230 000 réfugiés au Tchad,
principalement à l’est du pays et en République centrafricaine.
Une vaste mobilisation sociale va se mettre en place dès 2004 pour médiatiser et porter dans l’arène
politique les massacres du Darfour qualifiés de génocide par le Congrès américain34. Plusieurs ONG
présentes au Darfour critiquent le manque d'intérêt de l’ONU et de l’Union européenne. Les
diplomates internationaux se succèdent pour demander au Président soudanais, Omar el-Béchir d’aider
les réfugiés. Des collectifs de citoyens se sont créés dans plusieurs pays occidentaux pour alerter
l'opinion sur l'urgence de cette situation. Cette crise « oubliée » va cependant faire l’objet d’une
attention croissante des médias et des milieux politiques. La communauté internationale est accusée de
réitérer les erreurs commises durant le génocide rwandais.
Le 18 septembre 2004, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte une résolution sur le Darfour
(résolution 1564) menaçant le Soudan de sanctions pétrolières s'il ne remplit pas l'engagement de
restaurer la sécurité au Darfour et ne coopère pas dans ce but avec l'Union africaine. Puis, en octobre
2004, l'Union africaine envoie 3 300 soldats. Le 31 janvier 2005, la commission d'enquête
internationale sur le Soudan de l'ONU publie un rapport qui conclut que les exactions perpétrées au
Darfour constituent bien « des crimes contre l'humanité », mais pas un génocide. Le Tsunami comme
le Darfour constituèrent les principales actualités médiatiques et humanitaires de la communauté
internationale, éclipsant toutes opportunités de nommer une éventuelle crise humanitaire au Niger.
c) Le désintérêt international pour le Niger :
Le Niger est un pays peu attractif aux yeux de la communauté internationale. Il n’est pas acteur des
relations internationales, il est plutôt en marge de celles-ci comme la majeure partie des pays
d’Afrique subsaharienne. De plus, le pays ne présente aucun intérêt géostratégique, hormis ses
34 Le 10 septembre 2004.
19
réserves d’uranium. Au début de l’année 2005, le Niger n’est pas identifié par les acteurs de la
solidarité internationale comme ayant un contexte humanitaire sensible. En fait, le pays souffre
comme l’ensemble régional du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, d’une certaine lassitude de la part des
pays occidentaux. Des décennies d’APD n’ont pas permis la démocratisation des régimes,
l’amélioration des conditions de vie et le décollage des économies. Certaines opinions, dont la dernière
date fut celle de M. Sarkozy lors de son discours au Sénégal en juin 2007, se sont élevées contre la
corruption et l’immobilisme des sociétés subsahariennes. Ce défaitisme, présent parmi les acteurs
publics, teinte même le discours des acteurs politiques. La perception et l’évaluation du contexte
nigérien en sera déformée.
Les programmes de développement souffrent de difficultés de financement, en partie en raison du
manque d’attractivité du pays. Les bailleurs de fonds publics s’avèrent être réticent à financer des
projets de prévention des crises, sans doute parce qu’ils sont soupçonneux de la bonne utilisation de
leurs fonds. De toute manière, au début de l’année 2005, comme l’avons vu précédemment, l’attention
des donateurs privés et des bailleurs de fonds est accaparée par la Tsunami et les massacres du
Darfour.
L’actualité médiatique n’explique pas tout. Entre novembre 2004 et mars 2005, il serait difficile
d’affirmer s’il y a crise alimentaire ou non au Niger dans la mesure où l’urgence s’est construite sur la
dégradation progressive du régime alimentaire des populations et l’érosion de leurs stratégies de
survie. La crise alimentaire n’est pas déclarée, on décèle seulement des risques et des probabilités.
D’ailleurs, elle sera difficile à évaluer car il n’existe pas d’enquêtes nutritives systématiques et
exhaustives de la population au Niger. La situation humanitaire du pays ne semble donc pas évidente
aux yeux des acteurs de la solidarité internationale, et encore moins pour la communauté
internationale. En effet, peut-on parler de crises s’il n’y a pas de morts visibles ?
La communauté internationale n’est pas disposée à s’intéresser au cas du Niger. Le pays ne fait pas
partie des priorités internationales et la crise alimentaire n’est pas officiellement déclarée. Les acteurs
en présence, les bailleurs de fonds, les OI, mais surtout l’Etat nigérien tendent à minimiser l’ampleur
de la crise qui se profile et à l’assimiler à une situation de pauvreté chronique.
2) Le contexte nigérien :
Le contexte nigérien est un autre facteur explicatif de la non considération de la situation alimentaire
en cette fin d’année 2004. Les élections constituent toujours un moment délicat, le gouvernement
sortant veut faire valoir son bilan positif tandis que l’opposition cherche ses points faibles. Il est alors
20
normal comme l’affirme Tony Marquez Piqueras35, que les autorités locales aient cherché à minimiser
le déficit agricole de la campagne de 2004 et à occulter les éventuels signaux d’alerte qui se
dessinaient. Comment une urgence peut être nommée si elle est niée des autorités locales ? C’est
possible s’il y une pression et un intérêt international, ce qui ne fut pas le cas !
a) Le Niger, une démocratie en marche
Bien que le Niger possède une démocratie relativement jeune, le pays se différencie d’autres pays
d’Afrique subsaharienne par son fonctionnement véritablement pluraliste et démocratique. En dépit
des nombreux coups d’Etat qui ont émaillé son histoire, le système politique nigérien en est à sa
cinquième République. Suite au coup d'État défaisant le Président Ibrahim Baré Maïnassara (élu
démocratiquement suite à un autre coup d’Etat en 1996), le pouvoir a été rendu aux civils et l'ancienne
constitution a été remise en vigueur par référendum le 18 juillet 1999. Le référendum de 1999 a remis
en place le système semi-présidentiel instauré par la constitution de 1992. Le Niger est une république
démocratique semi-présidentielle stable depuis 1999. Le Président de la République ainsi que
l‘Assemblée Nationale sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans. Les élections de Décembre
2004 sont donc les premières depuis le dernier coup d’Etat de 1999. L’enjeu est grand pour le
gouvernement sortant.
b) Les élections présidentielles et législatives de 2004
Le gouvernement du Président Tandja Mamadou, élu lors des élections de 1999, commence sa
campagne électorale dès l’automne 2004. L’ensemble du gouvernement se focalise sur ces élections
qui s’annoncent serrées. Le bilan du gouvernement sortant présente quelques zones d’ombres. En
effet, l’objectif de Mamadou lors de sa présidence fut d'abord de rétablir les contacts avec les bailleurs
de fonds internationaux et de leur offrir des garanties de stabilité et de libéralisme économique.
Cependant, les coupes du Président dans les budgets de l'éducation et de la santé, la réduction des
effectifs de la fonction publique nigérienne, les retards dans le traitement des fonctionnaires et des
militaires provoquèrent une grogne sociale généralisée qui se transforma en manifestation d'étudiants
sur le campus de l'Université de Niamey en 2001 et sur une mutinerie d'unités de militaires en 2002.
De peur que la contestation ne s'étende, le Président réprima la mutinerie et contrôle la presse pour
qu'elle n'en parle pas. En campagne pour sa réélection, on comprend que le Président Tandja ne
souhaite pas que le déficit agricole des récoltes de 2004 et l’insécurité alimentaire chronique ne soient
ébruités, d’autant plus que la classe politique nigérienne garde à l’esprit que l’effondrement de la
Première République nigérienne est dû à la famine de 1974.
35 Desk Niger à Action Contre la Faim- Espagne (ACH)
21
Par ailleurs, les élections législatives et présidentielles s’annoncent serrées. Plusieurs candidats ayant
une expérience du pouvoir sont en lice. Le principal concurrent de Mamadou Tandja est Mamadou
Issoufou qui avait déjà fait face à l’actuel Président au deuxième tour des présidentielles de 1999. En
novembre 2004, le schéma se répète, Mamadou Tandja et Mamadou Issoufou sont au deuxième tour
de l’élection. Pour remporter l’avantage, Mamadou Tandja fera des alliances multi-partites avec les
quatre autres candidats éliminés au premier tour. Avec le report des voix, Mamadou Tandja sera donc
réélu avec 65,5% des voix.
c) Retard dans la mise en place du Dispositif National de Prévention et de Gestion des Crises
Alimentaires (DNPGCA36)
Le calendrier électoral nigérien a bouleversé le déroulement habituel du DNPGCA ou Dispositif. En
effet, la période de fin octobre à mi-décembre est cruciale dans le pronostic et la définition du
programme d’action. D’après l’IRAM37, « Il comprend une série d’opérations codifiées à l’échelle des
pays du CILSS : estimation des récoltes, validation des données par la mission conjointe FAO –
CILSS, établissement du bilan céréalier prévisionnel, réunion régionale d’évaluation de la campagne,
pronostic de vulnérabilité des ménages, programmations des actions d’aide, éventuelle alerte à
donner à l’extérieur. » Dans la mesure où cette période a coïncidé avec la préparation des élections, le
planning habituel des opérations du Dispositif fut repoussé. La réunion du Système d’Alerte Précoce
(SAP)38 fut repoussée à janvier 2005. La campagne agricole de 2004 n’était clairement pas la priorité
du gouvernement nigérien.
Le contexte nigérien est focalisé par la scène politique et l’élection des organes exécutifs et législatifs
du régime ce qui ne favorise pas l’analyse et la prise de conscience d’une situation agricole et
alimentaire aux facteurs complexes. Outre le retard dans la mise en place du Dispositif, c’est
réellement la collusion entre bailleurs de fonds et autorités du Dispositif sur le caractère récurrent des
difficultés de l’agriculture nigérienne qui vont conduire à une mauvaise compréhension et évaluation
du contexte agricole.
De plus, le retard dans la mise en place du Dispositif et de son diagnostic de la crise est dû à la
politisation de cet organisme. Il y eu des luttes internes au parti présidentiel pour définir les zones
vulnérables qui allaient recevoir l’aide internationale. En effet, lors des premières évaluations du
36 Voir Annexe 1 37 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 12. 38 Créé en 1989, le SAP est un organisme du Dispositif en charge de collecter, de traiter et de diffuser les informations relatives aux crises alimentaires effectives et/ou potentielles, de suivre l’évolution de la situation dans les zones concernées.
22
Dispositif, certains députés du MNSD39 ont protesté contre la part attribuée à la région de Tillabéri, la
région du Premier ministre et de ses proches collaborateurs. Il faut savoir que les tensions au sein du
Dispositif venaient du sommet de l’exécutif nigérien, c’est-à-dire entre le Premier Ministre, Hama
Amadou et le Président, Mamadou Tandja40. En effet, tous deux issus du même parti, le MNSD, le
Premier Ministre n’en demeure pas moins un sérieux rival du Mamadou Tandja au sein du Parti
présidentiel. Durant toute l’année 2005, Hama Amadou aura un objectif : faire reconnaître la situation
de crise alimentaire afin d’assurer une répartition de l’aide auprès de ses soutiens locaux tandis que le
Président refusera, par orgueil national et par peur de se faire dépasser par son rival, de reconnaître
toute crise. La définition des zones en insécurité alimentaire fut donc stratégique dans la mesure où
cela assurait dans un avenir proche l’arrivée d’une aide alimentaire dont les mérites de la redistribution
pouvaient être accaparées par les élus locaux. Ces tensions internes au pouvoir ont retardé la
reconnaissance de la crise.
3) La collusion entre bailleurs de fonds et le Dispositif :
Le contexte international avec le tsunami et le Darfour ainsi que le contexte électoral nigérien
expliquent de manière partielle le consensus des acteurs publics sur le diagnostic de la campagne
agricole de 2004. En effet, la communauté de sens des acteurs publics de la solidarité internationale au
Niger s’est incarnée dans le fonctionnement du Dispositif.
a) Le fonctionnement en binôme du Dispositif
Le Dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires, créé en 1998, se donne
comme objectif essentiel de mieux coordonner et gérer les actions des différents intervenants en
matière d'aide alimentaire au bénéfice des populations vulnérables. Il s’agit du cadre unique
d’intervention publique dans le domaine de la prévention et la gestion des crises alimentaires.
La coordination du Dispositif relève du Cabinet du Premier ministre à travers un Comité National de
Prévention et de Gestion des Crises Alimentaires qui a un rôle consultatif. Il se réunit périodiquement
pour apprécier la situation alimentaire et formule des recommandations quant aux dispositions à
prendre pour une bonne gestion des situations de crise alimentaire. Les dispositifs de concertation
reposent sur la Commission Mixte de Concertation (CMC) Etat-Donateurs de laquelle émane le
Comité Restreint de Concertation (CRC). La CMC réunissant l’Etat nigérien et les principaux
donateurs, décide des mesures à prendre en cas de crise alimentaire. Le CRC est le second organe
39 J. H. JÉZÉQUEL, « Ici, l’enfant n’a pas de valeur, sécurité alimentaire, malnutrition et développement au Niger », MSF, Paris, juillet 2005, page 38. 40 Cf. Entretien avec F. Cousseau, Responsable de la sécurité alimentaire à Solidarités.
23
décisionnel du Dispositif qui regroupe les représentants des bailleurs de fonds et les services
techniques de l’Etat sous la présidence du Premier Ministre. Selon MSF, « d’une certaine manière la
CRC prépare des décisions que la CMC se contente d’avaliser »41. Ce cadre de partenariat vise la
cohérence entre les différents niveaux d’intervention. Le PAM est le représentant des donateurs au
sein du Dispositif. Les autres bailleurs de fonds influent sont la France et l’UE. Par ailleurs, la Cellule
Crises Alimentaires (CCA), organe exécutif du Dispositif, est chargée de la coordination des aides
alimentaires et de la supervision des interventions d'atténuation de crise. À côté de ces structures, le
Dispositif est doté de deux fonds, outils des programmes de prévention et gestion des crises
alimentaires : le Fonds de Sécurité alimentaire qui participe au Stock National de Réserve et le Fonds
Commun des Donateurs qui finance les actions d’atténuation de crises. Ces deux fonds sont sous la
gestion concertée des donateurs et du gouvernement.
La collaboration entre gouvernement nigérien et bailleurs de fonds ne se limite pas au Dispositif
puisque de nombreuses enquêtes sur la sécurité alimentaire sont menées de manière commune et que
les échanges sont nombreux entre veille et système d’alerte. La prévention et la réponse aux crises
alimentaires au Niger se fait uniquement à travers le Dispositif, c’est-à-dire sur la base d’une étroite
collaboration financière et technique entre acteurs publics. Ainsi, l’avis produit par le dispositif sur
l’Etat des récoltes est unique et sans contre expertise au Niger dans la mesure où il n’y a pas
d’instance équivalente.
b) Révélation du déficit céréalier :
Toutefois, la structure bi-partite du Dispositif n’empêche pas les divergences en interne. Ainsi,
l’estimation de la production céréalière de 2004 fut sujette à controverse entre les autorités nigériennes
qui tendaient à le minimiser et les OI qui avaient une autre expertise. La première évaluation du
Ministère du Développement Agricole, indiquant un déficit de 20 000 tonnes, sera vivement critiquée
par le PAM et la FAO lors de la réunion du CILSS à Banjul. Selon le PAM, « la délégation du Niger à
Banjul a présenté des chiffres très surprenants. Le bureau du PAM au Niger et la FAO ont par
conséquent alerté le Niger et l’ont amené à revoir ses chiffres et à préparer une requête pour obtenir
une aide alimentaire. Ces chiffres contradictoires sur la production céréalière ont semé la confusion
et suscité des interrogations quant à l’ampleur de la crise, notamment au niveau des donateurs ».42 Il
semble que le gouvernement ait clairement sous-estimé le bilan céréalier. Les donateurs ont imposé
leurs points de vue au Dispositif. En effet, la seconde évaluation effectuée par la FAO estime le déficit
41 J. H. JÉZÉQUEL, « Ici, l’enfant n’a pas de valeur, sécurité alimentaire, malnutrition et développement au Niger », MSF, Paris, juillet 2005, page 30. 42 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Rapport succinct de l’évaluation de la réponse du PAM à la crise au Niger en 2005 », Washington, mai 2006, page 7.
24
céréalier à 278 000 tonnes. Au final, le 23 novembre, le Ministère du Développement Agricole établira
un déficit céréalier à 223 000 tonnes avec 3 755 villages estimés comme déficitaire regroupant 3,7
millions de personnes.
Toutefois, le déficit céréalier n’inquiète pas outre mesure car il demeure largement supérieur aux
crises de 1997 et de 200143 et le pays a connu trois années excédentaires au niveau des récoltes. Le
pronostic final fait état d’une situation alimentaire difficile mais parfaitement maîtrisable par les
acteurs du Dispositif. Cependant, au regard des lectures ex post de la crise44, il apparaît que
l’évaluation de la campagne agricole s’est essentiellement concentrée sur la production céréalière.
Pourtant, l’important déficit fourrager45 et la tension sur les marchés régionaux des céréales, points de
départs de la crise alimentaire, n’ont pas été pris en compte dans le bilan final du Ministère du
Développement Agricole. De même, le faible niveau du Stock National de Sécurité n’a pas été
questionné lorsqu’il a fallu mettre en place des programmes de prévention et d’atténuation de la crise
dès janvier 2005. Ainsi, le rapport du bureau de l’évaluation du PAM46 affirme que « Pour toutes
ces raisons, le Dispositif n’est pas en mesure d’identifier une crise dominée par les difficultés d’accès
à l’alimentation bien plus que par des problèmes de disponibilité de céréales. Il ne parvient donc pas
à interpréter les tendances des prix des céréales et du bétail, ni à entrevoir le risque d’une crise
majeure à venir en période de soudure47. Le PAM n’est donc pas en mesure d’influencer le Dispositif
dans le sens d’une analyse et d’un diagnostic plus rigoureux et plus pertinents. »
c) Consensus autour d’une réponse graduée à la crise
Le Dispositif élabora dès novembre 2004 un plan d’urgence pour répondre au déficit céréalier.
L’analyse qui prévaut au sein du Dispositif est que la crise équivaut à celle de 2001, en conséquence,
le plan d’urgence fut calqué sur l’urgence de 2001. Le CCA met en œuvre des programmes visant à
couvrir 40 % du déficit estimé grâce à la Vente de Céréales à Prix Modérés (VCPM), aux banques de
céréales et à des chantiers Food For Work. Le stock national de sécurité étant relativement bas, la
43 152 kg par habitant pour 1997 et 173 kg par habitant pour 2001 44 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Un Rapport du Bureau de l’Evaluation : Evaluation de la réponse du PAM à la crise alimentaire au Niger en 2005, Volume : Rapport principal », Rome, mai 2006, 40 p. 45 L’état médiocre des pâturages fut signalé dans le bulletin du SAP du 10 novembre et dans celui de FEWS NET d’octobre. Cependant, l’état catastrophique du bilan fourrager n’apparaîtra qu’en janvier 2005. Cf IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 5. 46 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Un Rapport du Bureau de l’Evaluation : Evaluation de la réponse du PAM à la crise alimentaire au Niger en 2005, Volume : Rapport principal », Rome, mai 2006, page 8. 47 La « soudure » est la période qui sépare la fin de la consommation de la récolte de l'année précédente et l'épuisement des réserves des greniers, de la récolte suivante. Durant cette période, la population est contrainte de se « débrouiller » pour trouver des ressources monétaires afin d'acheter des vivres, ou de consommer les éléments nutritionnels se trouvant dans des plantes, à l'état naturel. C'est la durée de la période de soudure qui détermine l'acuité de la crise alimentaire. Si elle dure « habituellement » de juin à septembre, la période de soudure de l'année 2005 a été particulièrement longue, débutant de manière très précoce.
25
réalisation du plan d’urgence nécessite l’achat de céréales. Sous l’impulsion des donateurs du CMC, le
gouvernement va lancer une première requête d’aide alimentaire le 25 novembre 2004. Cependant, les
divergences d’appréciation entre le PAM, la FAO et le gouvernement sur le déficit céréalier
n’inciteront pas les donateurs à crédibiliser cet appel. Une deuxième requête d’aide d’urgence sera
proposée le 15 décembre, mais elle sera vite oubliée avec la catastrophe du Tsunami.
Parallèlement, le PAM élabore un plan d’opérations d’urgence qui vise à « protéger les moyens de
subsistance dans les situations de crise et renforcer la résistance (des populations) aux chocs48 ». Les
distributions gratuites de nourriture ne sont envisagées qu’en cas de dernier recours. Autrement dit, le
PAM n’estime pas qu’il y ait urgence et met seulement en place des mesures en prévention d’une crise
alimentaire. La stratégie retenue par le PAM s’insère donc dans le plan d’urgence du Dispositif
privilégiant les mesures d’atténuation de la crise. Le rapport du Bureau de l’Evaluation du PAM49 note
que « Le choix initial de cette stratégie n’a pas donné lieu à débat et il n’existe aucune trace de
divergences d’appréciation entre le PAM et les autres acteurs du dispositif pendant le premier
semestre 2005. »
Au vu du contexte tant national qu’international, la venue d’une crise alimentaire au Niger n’était pas
opportune. De plus, les acteurs publics au sein du Dispositif se sont presque exclusivement concentrés
sur l’ampleur du déficit céréalier ne permettant pas une analyse multifactorielle de la situation agricole
et alimentaire du pays.
B) Une dissension privé/ public sur la définition de la crise ? janvier à avril 2005
Durant la première période, les acteurs publics ont monopolisé le débat sur la campagne agricole de
2004. Il n’y a rien d’anormal à cela étant donné que les acteurs publics ont naturellement l’aval sur
l’unique organisme légitime dans la prévention et la gestion des crises alimentaires, à savoir le
Dispositif. Bien qu’ils ne soient pas négligeables sur la scène du développement au Niger, les acteurs
privés n’y ont aucune place.
Cependant, avec la dégradation de plusieurs indicateurs de la sécurité alimentaire, les acteurs privés
vont vouloir imposer leur vision de la crise. Tout d’abord, le prix des céréales va augmenter de
manière constante depuis fin 2004, à tel point que les foyers les plus démunis ne pourront plus y avoir
accès. Le prix du sac de 100kg de mil est passé de 12 000 FCFA au moment des récoltes à plus de 30
48 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Un Rapport du Bureau de l’Evaluation : Evaluation de la réponse du PAM à la crise alimentaire au Niger en 2005, Volume : Rapport principal », Rome, mai 2006, page 20. 49 Ibid. page 20.
26
000 FCFA fin mai atteignant même un pic de 40 000 FCFA au mois de juillet août dans certains
régions. Sachant que plus de la moitié de la population nigérienne vit avec moins de un dollar par jour,
les céréales étaient inaccessibles en raison de leur prix. Selon Frédéric Mousseau, « en juillet 2005, un
fermier nigérien payait plus son kilo de millet au marché local qu’un consommateur européen ou
américain son kilo de riz au supermarché »50. Cette lente mais constante progression, depuis octobre
2004, s’est accélérée en février 2005 où le prix du mil est de 27 % supérieur à la moyenne des cinq
dernières années51. En fait, c’est l’ensemble des prix alimentaires de base qui a doublé durant 2005,
mettant à rude épreuve les foyers les plus démunis.
Par ailleurs, l’ampleur du déficit fourrager52, ignoré jusque-là par les systèmes d’alertes53, affecte les
populations pastorales. En effet, manquant de pâturages54, de nombreux cheptels sont décimés
50 “Although 63 percent of the Nigerien population lives on less than $1 a day, in July 2005 a Nigerien farmer paid more for a kilogram of millet at the local market than a European or an American consumer paid for a kilogram of rice in the supermarket. » F. MOUSSEAU et A.MITTAL, « Sahel : a prisoner of starvation ? A case study of the 2005 food crisis in Niger », Oakland Institute, Oakland, octobre 2006, page 11. 51 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 34. 52 « Le déficit fourrager du Niger atteint 5 millions de tonnes un niveau historique. Les estimations provenant d’une mission conjointe CILSS/FEWS NET/WFP/gouvernement du Niger, effectuée en octobre 2004, ont indiqué un déficit en fourrage dans ces régions, qui a été supérieur de 154 % à celui qui avait été enregistré en 2000 et qu’à 4 642 000 tonnes, il était le plus important déficit en fourrage de toute l’histoire du Niger. Un tiers de ce
27
provoquant une dégradation du ratio de ventes Bétail/ mil. Les éleveurs doivent donc vendre plus de
bétails pour obtenir une quantité de céréales moindre. Ainsi, le rapport culture de rente/céréale ou
bétail/céréale effondre, accentuant la pauvreté des nigériens et leur incapacité à acheter un sac de
céréales.
Généralement, en cas de déficit céréalier important, le Niger se tourne vers le marché régional pour
s’approvisionner en céréales et ainsi compenser son déficit. Or, en 2005, la crise agricole atteint
l’ensemble de la sous région du Sahel, privant le Niger d’une solution régionale. En 2004, la
production céréalière a reculé dans plusieurs pays côtiers d’Afrique qui exportent habituellement des
céréales vers le Niger. Certaines régions du Ghana et de Côte d’Ivoire ont subi une baisse de leur
production. Un gros déficit agricole a également été enregistré au Cameroun. Les prix des céréales
ayant augmenté dans ces pays, leurs exportations ont été restreintes. Enfin, les autres pays frontaliers
du Niger, Burkina Faso et Mali ont fermé leurs frontières afin d’éviter que des exportations vers le
Niger ne réduisent leurs stocks et n’augmentent les prix sur leur marché national.
Les acteurs publics, coordonnant le Dispositif, ont adopté une vision commune de la situation
alimentaire du Niger qui exclut toutes hypothèses d’urgence alimentaire. Cependant, quelques mois
plus tard, suite aux rapports d’Helen Keller International (HKI) et de Médecins Sans Frontières
(MSF), la crise alimentaire du Niger prendra une tournure internationale et accédera au statut
d’urgence.
Question : Comment s’est construite l’urgence du Niger ? Si les acteurs locaux, à savoir les autorités
nigériennes, ne perçoivent pas la crise, dans quelle mesure y a-t-il crise ? L’urgence du Niger, portée
par les acteurs privés, s’est-elle construite en opposition aux acteurs publics porteurs d’une vision
libérale du développement ?
1) La vision néo libérale55 de la crise par les acteurs publics
Le Niger, comme de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, a subi dans les années 1980
l’endettement massif ainsi que la chute des cours mondiaux des matières premières dont celui de
l’uranium qui compte pour environ 80 % des exportations de l’économie nigérienne. Une
restructuration de l’économie fut nécessaire notamment grâce à l’appui des institutions de Bretton
déficit était dû aux criquets pèlerins et deux tiers à la sécheresse ». Cf. USAID, « Niger : comprendre la crise actuelle en se fondant sur des preuves », Washington, 26 juillet 2005, page 3. 53 Voir annexe 3 54 De plus, les éleveurs ne peuvent plus profiter des résidus de culture des champs car, en raison de la crise, les fermiers les vendent sur le marché local. 55 R. BRAUMAN, « Niger, l’idéologie de marché », Alternatives Internationales, septembre 2005
28
Woods, le FMI et la Banque Mondiale. Alors que l’aide alimentaire au Niger diminue en volumes, les
PAS du FMI vont profondément remanier la politique de sécurité alimentaire du pays. Le
désengagement de l’Etat dans le marché céréalier prévaudra sur le modèle interventionniste qui
fonctionna jusque dans les années 1980. Cette vision libérale, inscrite au cœur du Dispositif, va
marquer la définition de la crise alimentaire de 2005.
a) Mesures d’atténuation de la crise
La stratégie opérationnelle de sécurité alimentaire d’août 2000, qui définit le cadre d’action du
nouveau Dispositif, est au cœur de la philosophie d’action de l’institution. En accord avec les
nouvelles orientations du FMI, de la Banque mondiale et des principaux bailleurs de fonds, les
conditions d’une véritable sécurité alimentaire passent désormais par le commerce et les nouvelles
complémentarités économiques sous-régionales. Même si la politique de sécurité alimentaire conserve
son statut de service public, le Niger doit compter sur la loi du libre marché pour permettre de garantir
l’approvisionnement de sa population et donc la sécurité. De même, la stratégie opérationnelle de
sécurité alimentaire fixe deux objectifs au Dispositif : l’amélioration durable de la sécurité alimentaire
et l’atténuation des crises alimentaires conjoncturelles. Cependant, dans l’accord cadre56 entre
bailleurs de fonds et le Dispositif, il est clairement spécifié que les distributions gratuites de céréales
ne seraient utilisées qu’en dernier recours, la priorité est donner aux mesures de prévention et
d’atténuation des crises mieux à même de respecter l’équilibre des marchés locaux et de ne pas
hypothéquer l’avenir économique du pays. Cet accord cadre reprend, en effet, la charte de l'aide
alimentaire, approuvée par le CILSS qui prévoit notamment que « les donateurs et les pays
bénéficiaires s'engagent à ne distribuer gratuitement d'aide alimentaire qu'en cas de secours
d'urgence ou pour secourir des groupes vulnérables, à commercialiser cette aide de manière à ne pas
porter préjudice aux prix du marché libre intérieur et à affecter le produit des fonds de contrepartie
au soutien des actions de développement, notamment celles ayant pour objectif la sécurité
alimentaire».
Dès la découverte du déficit céréalier en octobre/novembre 2004, les premières mesures d’atténuations
de la crise sont mises en place par le Dispositif, notamment les VCPM qui constituent l’outil central
du Dispositif. L’Etat mobilise le stock national de réserve pour vendre du mil à prix subventionnés aux
populations vulnérables. L’idée est de peser sur les prix des céréales sans pour autant perturber le
marché céréalier. Les VCPM ont débuté dès novembre 2004, l’Etat prévoyant de distribuer près de
56 Un accord-cadre entre l'Etat du Niger et les donateurs, relatif au Dispositif a été conclu en 2003. Il a été signé par la France, l'Union européenne, qui sont les deux contributeurs financiers au dispositif, le PAM, l'Italie, l'Allemagne, la Suisse, le FAO et le PNUD, les autres donateurs bilatéraux étant restés en-dehors du dispositif. Le PAM constitue le représentant des donateurs au sein de la commission mixte de concertation.
29
67,000 tonnes de mil à prix subventionnés jusqu’à la fin de la soudure, c’est-à-dire fin septembre
2005.
À côté des VCPM, le dispositif met également en place d’autres actions d’atténuation et de gestion des
crises alimentaires qui consistent à créer ou soutenir 1 000 banques de céréales, de donner 15 000
tonnes d’intrants zoo techniques (graines de coton et son de blé) pour les éleveurs, de distribuer des
semences pour les fermiers ainsi que mettre en place des opérations HIMO57 (Cash For Work, Food
for Work, etc.). Les banques ont l’avantage de reposer sur des prêts remboursables, tandis que les
opérations HIMO exigent un investissement en capital humain de la part des bénéficiaires, ce qui fait
de ces mesures ne sont pas des distributions alimentaires gratuites, mais plutôt des aides ponctuelles
demandant un investissement minimum de la part des populations. Le tout est d’éviter l’assistanat et
de continuellement promouvoir le développement à long terme du pays.
Cependant, il ne s’agit pas d’affirmer que le Dispositif est une annexe du néo libéralisme, simplement
mais de montrer qu’il privilégie les mesures de développement aux mesures d’urgence de peur que
celles-ci n’hypothèquent l’avenir de la population nigérienne.
b) Taxes sur les produits de première nécessité
Parallèlement aux programmes mis en place par le Dispositif pour aider les populations les plus
démunies, la politique économique et sociale du gouvernement nigérien est elle aussi fortement
influencée par les principes des PAS. Sous la pression du FMI, le gouvernement nigérien va adopter
le 5 janvier 2005 une taxe de 19 % sur certains produits de première nécessité (dont le riz, le lait, la
farine de blé, le sucre, les huiles alimentaires et l’abaissement des seuils de la tranche sociale assujettie
à la TVA sur l’eau et l’électricité) renchérissant encore plus sur l’inflation des prix qui affecte le
niveau de vie des Nigériens. Toutefois, la grogne sociale ne tarda pas à se manifester dans la mesure
où pour beaucoup la hausse des prix fut interprétée comme étant la conséquence de l’introduction de
cette nouvelle taxe.
La Coalition contre la vie chère58, créée suite à cette loi des finances imposant une nouvelle TVA,
regroupe tout un panel d’associations nigériennes qui visent à faire abolir cette taxe. De janvier à avril,
plusieurs manifestations de protestation et mouvements de grèves organisés dans plusieurs villes du
pays, seront durement réprimés. Des manifestants ainsi que les leaders associatifs sont emprisonnés et
les manifestations interdites. Cela n’empêchera pas le 15 mars 2005, à l’occasion de la journée 57 Haute Intensité en Main d’Oeuvre. 58 Le 15 janvier 2005, l’association ADDC-Wadata, droit à l’énergie SOS Kandadji, ORCONI créent la Coalition Contre la Vie Chère et ont été, par la suite, rejoints par des centrales de syndicats, associations et presse indépendante.
30
mondiale des consommateurs, des dizaines de milliers de nigériens de manifester à Niamey, (plus de
150 000 manifestants selon les organisateurs) ce qui représente à ce jour un événement peu commun
au Niger. Finalement, la fédération de l’opposition contre le Président Mamadou Tandja et son
gouvernement permettra finalement la suspension de cette mesure le 19 avril 2005.
c) Une crise inhérente et récurrente au contexte nigérien
Cette vision libérale de la sécurité alimentaire qu’ont adopté les acteurs publics les conduit à
considérer la situation agricole du Niger comme étant normale. Il n’y a pas d’urgence aux yeux du
Dispositif, simplement, un déficit agricole préjudiciable mais aisément maîtrisable par des mesures
d’atténuation. L’état d’insécurité alimentaire dans lequel se trouve le Niger est perçu comme une
donnée récurrente et inévitable par les acteurs publics. En dépit du manque de données et d’enquêtes
fiables et régulières, les taux de malnutrition infantile au Niger sont considérés parmi les plus élevés
au monde. Selon les chiffres des deux grandes enquêtes démographiques et sanitaires des années 1990,
le taux de malnutrition aiguë globale au Niger était de 18% en 1992 et de 21% en 199859. Le taux de
mortalité des enfants avant cinq ans s'établit, au Niger, à 280 pour mille. Ceci signifie qu'un enfant sur
trois n'atteint pas l'âge de cinq ans. Sur la période 1995-2003, on estime le taux de malnutrition des
enfants de moins de cinq ans, caractérisé par une insuffisance pondérale modéré et grave, à 40 % et 14
% des enfants de moins de cinq ans souffrent d'une insuffisance pondérale grave. Selon le rapport du
Sénat60, « Le Niger commence à devenir un pays de migrants, le pays le plus pauvre du monde ayant
du mal à nourrir une population en forte croissance. »
La tentation d’une vision malthusienne61 pour les acteurs publics n’est pas loin. En effet, le Niger
connaît enfin l’un des taux de croissance démographique les plus élevés du monde avec près de 3,45
%, dans les années 1990. La population double tous les 20 ans. La population nigérienne est passée de
2,5 millions d’habitants en 1950 à 12 millions aujourd’hui. À l’horizon de 2010, la population aura
atteint les 15 millions de personnes et 53 millions en 2050.
59 Rapport sur les orientations stratégiques pour le développement sanitaire pour la première décennie (2002-2011), Ministère de la santé, Niamey. Les chiffres du rapport sont basés sur les deux Enquêtes Démographiques et Sanitaires Nationales (EDSN) réalisées au Niger en 1992 et 1998 sur financement américain (Global Bureau Office of Health and Nutrition, USAID). 60 MM. CHARASSE et A. GOUTEYRON, « Rapport d’information fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et de comptes économiques de la Nation sur la mission d’évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire. », Sénat, Paris, 29 septembre 2005, page 16. 61 Le malthusianisme est une politique prônant la restriction démographique, inspirée par les travaux de l'économiste britannique Thomas Malthus (1766–1834). À l’origine doctrine hostile à l'accroissement de la population d'un territoire ou d'un État, et préconisant la restriction volontaire de la natalité, le mot "malthusianisme" désigne aussi par extension toute attitude craintive devant la vie et le développement.
31
L’enjeu est que la majorité de population est concentrée sur la petite bande de terres fertiles au Sud du
pays. Il est indéniable que la pression démographique épuise les ressources naturelles disponibles et
morcelle les parcelles de terrains, incitant les paysans à une surexploitation agricole. Malgré la
constante augmentation de la production agricole au Niger, celle-ci fut inférieure aux taux de
croissance de la population. Le Niger est donc loin de l’autosuffisance alimentaire. Les importations
sont devenues une nécessité pour le Niger. Elles portent essentiellement sur le blé, le riz, le maïs, le
mil et le sorgho. Un certain fatalisme, quant à la situation nigérienne, est présent parmi les bailleurs de
fonds internationaux. Selon le PAM62, « Dans ce contexte de crise structurelle inhérente à l’absence
de transformation de la structure économique et à la paupérisation d’une très large fraction de la
société, les événements conjoncturels affectent de plus en plus durement les populations vulnérables et
les conditions de la sécurité alimentaire » sachant que « l’insécurité alimentaire est une donnée
désormais structurelle au Niger, depuis les grandes crises des années 70 puis 80, comme dans la
plupart des pays sahéliens. ». Avec des indicateurs de malnutrition habituellement élevés, un manque
de données et d’enquêtes actualisés et une politique de sécurité alimentaire axée sur le marché, il
aurait semblé difficile pour les acteurs publics de déceler les prémices d’une urgence alimentaire.
Les acteurs publics s’accordent sur l’idéologie de fonds des politiques de prévention et de gestion des
crises : respecter le marché et les mécanismes de régulation à long terme. Pour les acteurs publics, il
s’agit d’une situation récurrente n’ayant pas caractère de crise exceptionnelle tandis que pour les
acteurs privés il s’agit d’une crise due au libre marché. En conséquence, la collusion des acteurs
publics sur le caractère chronique et maîtrisable de la crise était telle qu’il a fallu attendre que les
62 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Un Rapport du Bureau de l’Evaluation : Evaluation de la réponse du PAM à la crise alimentaire au Niger en 2005, Volume : Rapport principal », Rome, mai 2006, page 3.
0
2
4
6
8
10
12
14
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
Population
Production de mil
32
signaux deviennent alarmants et que la pression internationale et médiatique soit forte pour réaliser
l’urgence.
2) Deux approches de la crise pour les acteurs privés:
Même si les acteurs publics au travers du Dispositif ont monopolisé le débat sur la définition de la
crise, les acteurs privés de la scène de la solidarité internationale, autrement dit les ONG, n’en
demeurent pas moins présentes et très actives sur la plan de la sécurité alimentaire au Niger. En raison
de ces crises alimentaires relativement récurrentes, le Niger accueille depuis plusieurs décennies de
nombreuses ONG internationales menant en majorité des programmes de long terme axés sur le
développement agricole et agro pastoral. Le but étant de sortir les paysans et éleveurs nigériens à sortir
de la précarité et de l’insécurité alimentaire. Les ONG d’urgence ne sont présentes au Niger que de
manière ponctuelle essentiellement lors des grandes crises alimentaires. Les acteurs privés au Niger
sont principalement des ONG menant des programmes de long terme dans le pays.
De prime abord, il semble que les acteurs privés partagent une même communauté de sens. Les ONG,
quel que soit leur mandat et leur spécialité, ont en commun le même objectif de soulager les
souffrances des populations. Sur le terrain, cela se traduit par de nombreuses collaborations, allant du
partage d’informations à la réalisation d’enquêtes communes. À titre d’exemple, HKI travaille en
consortium avec les ONG Christian Relief Service, Care et Africare sur des programmes alimentaires
et nutritionnels. En conséquence, ces ONG porteuses d’idéaux proches de la société civile
internationale, ne peuvent partager l’idéologie libérale qui sous tend l’action des acteurs publics en
terme de sécurité alimentaire. D’ailleurs, l’ensemble des ONG se sont accordées, à l’issue de la
période de soudure en octobre 2005, à définir la crise alimentaire comme étant « une crise de
marché », susceptible de contredire la vision des acteurs publics. Rony Brauman dans un article63
soulignait le lien entre idéologie de marché la crise qui affecta le Niger en déclarant « Quand
l’arbitraire du cœur rejoint l’idéologie de marché, le pire n’est pas loin ! »
Cependant, la dichotomie entre acteurs publics et acteurs privés n’est pas aussi lisible qu’elle paraît
l’être. Les acteurs privés ne sont pas construits en opposition aux acteurs publics bien au contraire
pour la majorité d’entre eux la collaboration fut active avec le Dispositif. En fait, loin de l’unicité
supposée, les ONG n’ont pas adopté une position commune quant à la crise alimentaire au Niger. Il
s’avère que les ONG, ayant mené des programmes de long terme, ont développé une approche de
concertation avec le Dispositif tandis que les ONG axées sur les programmes d’urgence ont privilégié
une approche de rupture envers les acteurs publics. 63 R. BRAUMAN, « Niger, l’idéologie de marché », Alternatives Internationales, septembre 2005.
33
a) Une approche concertée
L’approche concertée entre ONG et acteurs publics se développera naturellement au cours d’années
de collaboration commune. En effet, présents depuis de nombreuses années au Niger, il est difficile
pour des ONG mettant en place des programmes à long terme d’ignorer voire même de s’opposer aux
autorités en place, d’autant plus qu’ils partagent le même objectif, sortir le Niger de la pauvreté. Même
si elles ne partagent pas la l’idéologie libérale développée par le Dispositif sous pression des bailleurs
de fonds internationaux, ces ONG partagent avec les acteurs publics les même modalités d’actions, à
savoir le choix des programmes de développement.
Aussi, il n’est pas étonnant qu’en janvier 2005, l’ONG HKI mène conjointement avec le PAM une
enquête nutritionnelle dans les zones de Maradi et Zinder. Face à la dégradation de plusieurs
indicateurs (hausse des prix, déficit fourrager, etc.), il s’agit de pallier au manque d’informations quant
à l’état nutritionnel et sanitaire de la population. Les systèmes d’informations du Dispositif sont certes
très performants dans l’évaluation du marché céréalier et animaliers, de l’état des récoltes, la
pluviométrie, mais connaît des lacunes pour des données concernant la population.
Le 20 avril, sont communiqués les résultats de l’enquête nutritionnelle anthropométrique réalisée par
le PAM et HKI sur deux échantillons représentatifs des enfants de 6 à 59 mois des zones rurales des
régions de Maradi et de Zinder. Les chiffres, publiés en avril 2005, confirment la gravité de la
situation de malnutrition chez les enfants de 6 mois à 5 ans dans ces deux régions (des zones
paradoxalement peu vulnérables au niveau production alimentaire). Ils révèlent la permanence d’une
crise nutritionnelle grave: les prévalences de malnutrition aiguë et les taux de mortalité infanto-
juvénile sont systématiquement parmi les plus élevés du monde et supérieurs aux seuils habituellement
reconnus. La malnutrition aiguë chez les enfants dans la tranche 6-29 mois est respectivement de 18,3
% et 24,6 % à Maradi et Zinder. Les taux de malnutrition infantile aiguë sévère sont de 2,2 % et 2,7 %
respectivement dans ces deux régions. Les auteurs64 font remarquer que « la situation que connaissent
ces deux régions du Niger, et probablement d'autres régions, est comparable à celle de ces
populations vivant dans des zones de guerre et de crise. On s'attend à ce qu'ils soient plus élevés
encore pendant la période soudure. » A l’aide de projections, le rapport estime que cinq mois avant la
soudure, il pouvait déjà y avoir au Niger 346 000 enfants en malnutrition modérée et 63 400 en
malnutrition sévère. Il s’agit de la première information bien documentée sur l’état nutritionnel de la
population. Ce rapport ne manque d’interpeller dans la mesure où les régions concernées sont connues
pour être les greniers agricoles du Niger.
64 HELEN KELLER INTERNATIONAL et le PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Evaluation de base de l’état nutritionnel des enfants de 6 à 59 mois dans les régions rurales de Maradi et de Zinder », Niamey, avril 2005, page 6.
34
En dépit de la publication de ces résultats accablants, le Dispositif continue de promouvoir des
mesures d’atténuation et de prévention à la crise alimentaire et ne semble pas percevoir la gravité de la
crise nutritionnelle. Cependant, dès janvier 2005, les ONG de développement, partenaires de longue
date des autorités nigériennes entame un travail de plaidoyer et d’information auprès de ceux ci car
elles sont conscientes da la dégradation de la sécurité alimentaire parmi la population nigérienne. Lors
de l’interview de Pierre Adou, représentant au Niger d’HKI, celui-ci a mis en avant la stratégie
adoptée par l’ONG, à savoir une approche concertée. Ainsi, HKI en bonne connaissance des autorités
nigériennes a pris le parti d’informer et de sensibiliser le gouvernement à la crise à venir. Selon M.
Adou, la position d’une grande majorité d’ONG fut de ne pas brusquer le gouvernement du Niger dans
la mesure où les autorités nigériennes refusaient les contradictions et pouvaient prendre des positions
très fermes quant aux ONG.
Toutefois, malgré la révélation de malnutrition infantile dans les deux zones agricoles du pays, la
communauté internationale ne se mobilise pas outre mesure. L’information n’est pas relayée par les
médias internationaux et, mi avril 2005, les programmes du PAM et du Dispositif demeurent toujours
en sous financement
b) Une volonté de rupture et de provocation
MSF incarne une autre approche de la crise alimentaire. Bien qu’ils soient présents depuis 2001 au
Niger, MSF conserve son orientation urgentiste. Face à l’augmentation constante des enfants admis
dans ses centres de nutrition depuis janvier, MSF réalise avec Epicentre une enquête nutritionnelle
dans des villages au nord des provinces de Maradi et de Tahoua. Les résultats de l’enquête publiés le
26 avril 2005 font état d’un enfant sur cinq souffrant de malnutrition. Les taux de malnutrition sévère
sont de 2,4% au nord de Maradi et de Tahoua) parmi les enfants de moins de cinq ans. Dans certains
villages du département de Keita, le taux de malnutrition sévère se situe autour de 6%.
Suite à cette enquête, MSF publie un communiqué de presse indiquant que plus de 3 000 enfants
souffrant de malnutrition sévère ont été pris en charge par Médecins Sans Frontières depuis janvier. Le
rythme des admissions est de 300 par semaine ce qui est trois fois plus que les autres années à la même
période.
35
En temps habituel, le nombre d’admissions pour malnutrition sévère est élevé pendant la période de
soudure de juin à septembre. Après la récolte, en octobre, le nombre d’admissions diminue et se
maintient à un niveau plus bas jusqu’au mois de mai. Or, entre la semaine 1 et la semaine 9, c’est-à-
dire entre janvier et mai 2005, le taux d’admission est deux fois plus élevé que les années précédentes,
ce qui laisse penser une aggravation sans précédent lors de la période de soudure.
Ce communiqué de presse sera rapidement repris par Radio France Internationale (RFI), puis la chaîne
de télévision Al Jazira, ce qui marque le début de l’internationalisation de la crise du Niger. Par la
suite, MSF critiquera ouvertement la stratégie adoptée par le Dispositif pour répondre à la crise
alimentaire. Dans un communiqué ultérieur65, MSF déclare que « La crise alimentaire est
officiellement reconnue mais niée dans les faits puisque la mesure d’urgence, la distribution de
nourriture gratuite, n’est pas prise. Le gouvernement et les bailleurs laissent les ONG se charger de
cette « approche appropriée de distribution gratuite ciblée » pendant qu’ils se soucient de protéger le
marché. » L’ONG prône la mise en œuvre rapide de mesures d’urgences, à savoir des distributions
alimentaires gratuites et fustige les acteurs publics de leur inaction face à la dégradation de la situation
nutritionnelle de la population.
Avec la publication en avril 2005, de ces deux enquêtes révélant l’aggravation de l’insécurité
alimentaire, l’ensemble des acteurs, publics comme privé, s’accordent sur l’urgence alimentaire qui se
65 MÉDECINS SANS FRONTIÈRES, « Niger : payer ou mourir », communiqué de presse, Paris, 28 juin 2005.
36
profile. Cependant, le consensus ne se fera pas sur les modalités d’action à adopter pour répondre à
cette crise.
Lors de cette première période d’octobre 2004 à avril 2005, on supposait que la définition de l’urgence
du Niger se ferait sur des critères scientifiques et objectifs précis quant à la malnutrition. Toutefois, la
définition de cette crise fut essentiellement déterminée par des considérations, non pas techniques,
mais politiques et financières. La politisation du Dispositif, les élections présidentielles et législatives
au Niger ainsi que l’actualité humanitaire internationale ont eu raison de toute analyse objective et
impartiale de la situation agricole, alimentaire et nutritionnelle du Niger. Malgré la
professionnalisation du milieu humanitaire et la standardisation des indicateurs d’urgences, l’urgence
demeure multiforme et sa définition varie selon des impératifs conjoncturels.
Par ailleurs, le débat autour de la définition de la crise alimentaire loin de reprendre une dichotomie
entre acteurs publics et privés de l’humanitaire, laisse plutôt apparaître une collusion entre ONG de
développement et le Dispositif nigérien et prévention et de gestion des crises alimentaires. L’exemple
de la coopération entre HKI et le PAM illustre bien le type de collaboration opérationnelle établie
entre ces acteurs. De même, l’ONG Eau Vive dans un communiqué de presse de juin 200566 approuve
la manière dont le gouvernement nigérien a mis en place les premières mesures de réponse à la crise
alors que les donateurs internationaux n’avaient pas réagit au premier appel d’urgence. Même s’il est
indéniable que les acteurs publics privilégient une vision libérale de la sécurité alimentaire, il n’en
demeure pas moins que les ONG de développement et le Dispositif partage les mêmes modalités
d’actions basées sur des programmes ou des mesures à long terme destinées à conserver les équilibres
locaux. C’est d’ailleurs cette perception de la crise qui prévaudra jusque fin avril 2005, date de
l’internationalisation de la crise.
En conséquence, on ne peut conclure à une opposition frontale entre acteurs privés et publics de
l’humanitaire. Il semble donc que l’approche en terme d’acteurs publics et d’acteurs privés ne soit pas
la plus appropriée pour cerner le débat autour de la crise alimentaire du Niger. En effet, lors des débats
sur la nature de la crise, on a pu observer une collusion entre certains acteurs publics et des ONG, à
savoir le partenariat HKI/ PAM et ONG de développement / Etat nigérien. Cependant, plus qu’une
lecture privé/ public, c’est l’opposition entre deux types de logiques qui semblent être pertinentes à la
lecture du débat sur la crise du Niger, à savoir la dichotomie entre logiques d’urgence et de
développement.
66 J.B. BAZIE, « Crise alimentaire au Niger ; on ne le dira jamais assez : mieux vaut prévenir que guérir», EAU VIVE, Niamey, septembre 2005, page 2.
37
DEUXIEME PARTIE
La légitimité à répondre à la crise entre logique d’urgence et
logique pérenne (mai à décembre 2005)
38
À partir de mai 2005, débute une seconde phase de la crise alimentaire au Niger, l’urgence.
Parallèlement à l’internationalisation de la crise, la situation alimentaire et nutritionnelle des
populations se dégrade à l’approche de la période de soudure. Ainsi, plusieurs indicateurs soulignent la
détérioration de la sécurité alimentaire. Les systèmes d’informations du SAP et de FEWS NET67
commencent à s’alarmer dés avril de l’évolution de la sécurité alimentaire. Fin mai, le SAP présente
une nouvelle évaluation de la vulnérabilité qui retient 19 départements et communes en situation
extrêmement vulnérable contre 8 en janvier, soit quasiment l’ensemble des zones agropastorale et
pastorale. Toutefois, aucun département n’est déclaré en famine.
De même, FEWS-NET fait évoluer son diagnostic au niveau d’alerte maximum en émettant un « avis
d’urgence » évoquant la hausse des cas de malnutrition sévère répertoriées par MSF.
Bien plus que la prise de conscience et la matérialisation de l’urgence (par la recrudescence des cas de
malnutrition aigue), cette nouvelle phase de la crise alimentaire nigérienne se caractérise avant tout un
nouveau type de débat au sein des acteurs de la solidarité internationale. En effet, les tensions vont non
plus se porter sur la définition de la crise, mais sur la réponse à y apporter. La polémique s’effectue
désormais sur un niveau opérationnel. Durant un premier temps, le débat sur la caractérisation de la
crise n’opposait pas, comme il semblait l’être, acteurs publics et privés, mais plutôt des acteurs axés 67 Le FEWS Net ou réseau des systèmes d’alerte précoce des famines a été créé en et est financé par le gouvernement américain via son agence USAID. L’objectif du FEWS est de renforcer la capacité des acteurs locaux et régionaux engagés dans la lutte contre l’insécurité alimentaire en fournissant des données variées allant des conditions météorologiques à l’état des récoltes céréalières.
39
sur une logique de développement et à d’autres privilégiant sur une logique d’urgence. Malgré des
premières polémiques internes au Dispositif, un consensus s’est vite établi sur le caractère maîtrisable
et chronique de la crise. Cependant, l’ONG MSF en refusant de participer à ce consensus, a provoqué
le débat qui suit. En outre, avec la précision de l’urgence alimentaire et nutritionnelle en mai-juin
2005, de nouveaux acteurs humanitaires entrent au Niger. Comme cela a été précisé auparavant68,
toute urgence humanitaire engendre l’arrivée de moyens et d’acteurs ad hoc qui bouleverse l’équilibre
établi. Le débat sur la crise alimentaire évolue donc sur son objet par les acteurs qui le nourrissent
mais également dans sa dimension qui devient internationale. En effet, par la médiatisation, la crise
prend une ampleur internationale, qu’elle peinait à trouver début 2005.
C’est donc un bouleversement de grande ampleur que va vivre la communauté des acteurs
humanitaires historiquement présents au Niger. En effet, l’évolution du débat va provoquer un
réaménagement des rapports de force au sein de la scène de la solidarité internationale au Niger. Bien
que les autorités nigériennes aient déjà mis en place des mesures de réponses à la crise alimentaire
qu’ils jugent pertinentes, les nouveaux acteurs arrivent avec leurs propres visions de la crise et leurs
méthodes de réponse. La cohabitation entre ces deux visions de la crise ne sera pas exempte de
tensions. En conséquence, l’enjeu de cette période va se focaliser sur les moyens d’intervention et de
réponse à l’urgence. Aussi, qui est légitime à intervenir ? Cette interrogation découle directement de la
première partie. En effet, les réponses à la crise nigérienne sont issues de la perception même de cette
crise. Derrière chaque définition de cette crise alimentaire se cachent des enjeux de pouvoirs et de
positionnement pour chaque acteur.
Au cours de cette seconde partie couvrant la période de mai à décembre 2005, le cheminement de la
réflexion ne respecte pas scrupuleusement la chronologie dans la mesure où elle vise plutôt à
comprendre l’articulation des débats entre acteurs de la solidarité internationale qu’à relater son
évolution.
A) Deux stratégies concurrentes de réponse à la crise (mai à juillet 2005)
Une lecture du débat sur la crise alimentaire du Niger calquée sur l’opposition entre acteurs publics et
acteurs a certes permis d’amener quelques de points de compréhensions, mais demeure insuffisante
dans l’analyse de la scène de la solidarité internationale au Niger. Le positionnement des acteurs en
présence se comprend davantage en termes de logiques d’urgence et de développement. L’opposition
entre urgentistes et développeurs a accompagné l’évolution de l’humanitaire depuis les années 1970.
L'aide d'urgence est une aide fournie en cas de crise tandis que l'aide au développement est un
68 Voir Première partie.
40
processus à plus long terme, qui vise à des améliorations qualitatives et durables des conditions de vies
de populations démunies. Ces deux notions semblent donc être contradictoires. Ainsi, beaucoup de
débats ont opposé et opposent encore ces deux mouvements. De plus, que ce soit dans le discours des
bailleurs de fonds, ou encore dans la représentation commune à l'opinion publique, la grille de lecture
des actions humanitaires est relativement cloisonnée: il y a des acteurs spécialisés dans les opérations
dites d'urgence (famine, tremblement de terre...), largement médiatisées, et des acteurs pour les actions
dites de développement. Théorisé par le groupe URD69, le continuum urgence /réhabilitation
/développement sert de grille de lecture aux catastrophes tant naturelles qu’aux guerres civiles.
Les acteurs humanitaires axés sur les programmes de développement, à savoir les autorités étatiques,
les bailleurs de fonds et la majorité des ONG locales et internationales, ont une présence historique au
Niger due à l’absence de crises majeures dans le pays, à l’exception des crises alimentaires.
Cependant, l’arrivée massive, à partir de juillet 2005, d’ONG mettant en place des programmes
d’urgence avec des moyens ad hoc va cristalliser une opposition entre urgentistes et
développementalistes, qui n’avait pas de raison d’être quelque mois plus tôt. La cohabitation entre
deux stratégies complètement différentes va être source de confrontations et d’antagonismes. En effet,
il était moins question de la pertinence de l’intervention que d’un rapport de force entre acteurs
humanitaires.
Dans l’introduction du livre « Le Niger, une catastrophe si naturelle »70, les auteurs reconnaissent la
place prédominante de ce débat, décrit comme un « des clivages fondamentaux de cette crise ». En
effet, durant le pic de l’urgence, une lutte d’influence va s’opérer afin de déterminer quelle est la
réponse la plus pertinente à la crise et surtout la plus légitime aux yeux des acteurs de la solidarité
internationale. Quel mode d’intervention va dominer ? Les mesures d’atténuation mises en place
depuis fin 2004 par le Dispositif et soutenues par les bailleurs de fonds ou bien les distributions de
nourritures gratuites préconisées par les ONG urgentistes, et relayées par les médias ? Finalement, en
août 2005, les distributions alimentaires gratuites vont se généraliser sous la coordination des agences
onusiennes.
Question : Depuis novembre 2004, le consensus des acteurs de développement sur le caractère
maîtrisable et non urgent de la crise a perduré jusqu’en juillet-août 2005. Comment va s’effectuer le
passage d’un paradigme à un autre au sein des acteurs de la solidarité internationale au Niger ?
69 Le Groupe Urgence – Réhabilitation – Développement (Groupe URD) est né en 1993 du double besoin de prendre en compte la complexité des situations en constante évolution depuis la fin de la Guerre Froide et de faire évoluer les modalités de l’aide internationale dans ces contextes où les modèles pré-établis montraient leurs limites. 70 X. CROMBÉ et J.H. JÉZÉQUEL, « Niger 2005 : Une catastrophe si naturelle », éditions Karthala/ Médecins Sans Frontières, Paris, 2007, 293 p.
41
1) Opposition, de prime abord, entre acteurs d’urgence et de développement :
a) Les difficultés des mesures du Dispositif: Mai à Juillet 2005
Le changement de paradigme va être facilité par les difficultés que connaissent progressivement les
mesures d’atténuation de la crise mises en place par le Dispositif. Dès décembre 2004, les autorités
nigériennes vont initier avec le soutien du PAM, de la France, de l’Union Européenne et de plusieurs
ONG de développement (Oxfam, VSF, HKI, etc.) des ventes de céréales à prix modérés, des chantiers
de Food for Work, des banques de céréales ainsi que des prêts de semences et d’engrais. Ainsi, l’ONG
Aquadév a initié « des actions de sensibilisation sur une meilleure gestion des stocks et la formulation
des requêtes auprès du PAM et de la cellule crise alimentaire (CCA) pour l’ouverture des chantiers à
haute intensité de main d’œuvre et la création des banques céréalières dans les villages qui présentent
plus de risque. Aussi des activités de cash for work ont été exécutées sur fonds propres de nos projets
dans les villages où la nécessité s’est fait sentir. » Parallèlement, le PAM mène depuis le début de
l’année une opération EMOP de petite envergure (environ 5 000 tonnes d’aide) qui prévoit de soutenir
la dotation en céréales de nouvelles banques de céréales et le soutien des opérations food for work. De
novembre 2004 à juin 2005, 38.642 tonnes de céréales ont été vendues à prix modéré par le dispositif
national de prévention et de gestion des crises.
Cependant, ces mesures de réponses à la crise vont connaître de grandes difficultés en raison de la
pénurie régionale de céréales. Comme les années précédentes, ces opérations de réponses à la crise
alimentaire avaient anticipé leur approvisionnement en céréales sur le marché régional habituellement
excédentaire. Le défaut d’approvisionnement en céréales ainsi que le déficit du stock national de
réserve du Dispositif a largement contraint la mise en place des mesures d’atténuation de la crise. En
effet, la faible envergure des ventes de céréales à prix modéré n’a pas pu contenir l’inflation des prix
des céréales, ni même soulager les difficultés alimentaires grandissantes des populations. Cette
modération des prix n’a pas été constatée en 2005 car le dispositif n’a pas pu se procurer, comme il le
prévoyait, les 30.000 tonnes supplémentaires qu’il souhaitait vendre à prix modéré, et qui auraient
sans doute influé sur les prix. En mai 2005, des commerçants ayant passé un accord avec le Dispositif
ont préféré perdre leur caution plutôt que de livrer les céréales commandées pour pouvoir vendre plus
cher leurs céréales au Nigéria. Au même moment, la frontière avec le Burkina Faso71 fut fermée. Le
Dispositif était contraint de passer une commande en Inde, rallongeant très fortement les délais de
livraison. Les autorités nigériennes se sont ainsi trouvées en juin dans une situation difficile, sans
céréales à distribuer. De même, l’EMOP du PAM, approuvée le 17 février 2005 pour couvrir la 71 Le Burkina Faso qui connaissait également des difficultés alimentaires voulait éviter une fuite de ses céréales au Niger.
42
période mi-février à mi-août 2005, ne démarre réellement qu’à la fin juillet, en raison des difficultés
d’approvisionnements et faute de financements suffisants.
Outre les difficultés d’approvisionnement du Dispositif, la pertinence et l’efficience des opérations
menées vont être critiquées. Un communiqué de presse de MSF le 28 juin 2005, dénonce
« l’incapacité du gouvernement nigérien à répondre à l’urgence ». En effet, outre le caractère
« immoral » de faire payer la nourriture à des populations démunies, MSF met en lumière
l’inefficacité des ventes de céréales à prix modérés car « de septembre 2004 à juin 2005, 42.000
tonnes de mil ont été mises en vente à prix réduits, en dessous de ceux du marché. Ces quantités, pour
3,4 millions de personnes vulnérables, sont tout à fait insuffisantes. Elles représentent en moyenne à
peine plus de 12 kg de mil par personne pour 9 mois, alors qu'une personne consomme en moyenne 20
kg par mois ! ».
Les médias vont se faire l’écho de ces critiques qui vont isoler et décrédibiliser le Dispositif et les
autorités nigériennes. Par exemple, dans un article du 21 juin 2005, le Figaro déclare que : « Mais ce
sujet (la crise alimentaire) est presque tabou au Niger. Depuis plusieurs années le gouvernement a
banni ces dons (les distributions gratuites de vivres), accusés de ruiner les producteurs locaux et
récemment qualifiés «d'irresponsables», pour les remplacer par des ventes à prix subventionnés. »
De même, dans l’Humanité le 27 juin, Emmanuel Drouhin, chef de mission pour MSF au Niger,
affirme que : « Elle (la CCA) a déclenché des opérations de vente à prix subventionnés, c’est-à-dire
que des sacs de grains à 15 000 francs CFA sont mis en circulation, au lieu de 22 000 francs CFA, le
prix actuel du marché. Le résultat, c’est que les paysans ne peuvent s’approvisionner que sur le
marché libéral des céréales ou via le monopole d’État, sous forme d’aide subventionnée. Une
situation qui ne répond pas aux besoins. D’abord parce que les paysans n’ont pas les moyens de les
acheter. Ensuite parce que cette nourriture ne peut être distribuée loin des routes, faute de budgets
pour financer le transport dans les villages. Et enfin parce qu’il y a l’effet de clientélisme : 34 % des
distributions subventionnées ont été faites dans des régions proches du pouvoir en place. »
Un âpre débat se lance par médias interposés entre partisans d’une aide alimentaire gratuite et ses
détracteurs. Ainsi, la directrice de l'association l'Afrique verte, déclare dans Libération le 14 juin
2005 : « Pendant des décennies, les pays du Sahel ont bénéficié d'une aide alimentaire importée et
cela n'a rien donné. Les distributions gratuites n'aident pas les gens à se prendre en charge. Au
contraire, cela démobilise les producteurs locaux. »
Il faut noter à ce stade l’ambiguïté de la communauté internationale, plus particulièrement des
bailleurs de fonds envers le Dispositif. Bien que la France, l’Union Européenne et le PAM soient des
43
fermes soutiens des mesures d’atténuation de la crise, il n’en demeure pas moins que les difficultés des
opérations du Dispositif et du PAM sont dues à un manque de financement international. À titre
d’exemple, pour pouvoir faire face à la crise de 2005, le dispositif aurait dû être en mesure d’acheter
des céréales, non pas à l’automne 2004, puisque la récolte était déficitaire, mais à l’automne 2003, les
récoltes ayant été excédentaires à hauteur de 500 000 tonnes. Il est malheureusement difficile de
convaincre ses partenaires de besoins importants en matière de sécurité alimentaire lorsque l’on vient
de bénéficier de récoltes exceptionnelles comme ce fut le cas de l’année 2003. Le financement de la
prévention des crises est beaucoup difficile à obtenir auprès des donateurs internationaux qu’une
enveloppe d’urgence. Et pourtant, la prévention est bien moins coûteuse... C’est ainsi qu’il a fallu
attendre mai 2005 pour que la France signe un accord d’aide alimentaire portant sur un montant de 1,5
millions d’euros. Ces fonds permettront à la CCA d’acheter des céréales à hauteur de 700 millions de
FCFA pour ses opérations de vente à prix modéré. Les 300 millions restant serviront à l’achat de
semences à distribuer en urgence aux populations.
Face à ces obstacles, le Dispositif aménage quelque peu ses programmes. En raison du manque de
céréales, les programmes « Food for Work » deviennent « Cash for Work » et les ventes de céréales à
prix modérés sont progressivement remplacés par des crédits de campagne (un prêt de céréales,
remboursable après la récolte). Toutefois, les mesures d’atténuations de la crise, amoindries par le
manque de fonds et de céréales, n’atteignent pas leurs objectifs et perdent peu à peu leur crédibilité
auprès des acteurs de la solidarité internationale au Niger soumis à des impératifs de « rentabilité »
sous le feu des médias.
Fin juin 2005, un rapport72 d’enquête conjointe entre FEWS-NET et le PAM se montre critique à
l’égard des mesures du Dispositif. « À ce jour, les mesures d’atténuation se résument, pour l’essentiel,
comme suit :
• La vente à prix modérés des céréales qui est dans sa quatrième phase dans beaucoup des zones
visitées. Cette opération, bien qu’appréciée positivement par les populations est jugée très
insuffisante en terme de quantité par rapport aux besoins réels et à son accessibilité aux ménages
pauvres ;
• Les actions HIMO qui ont l’avantage de profiter à tous les ménages ont une couverture très
limitée et mobilisent des quantités relativement insuffisantes de vivres.
• Les banques de céréales et d’aliments pour bétail sont jugées très efficientes mais leur nombre et
leurs stocks sont insuffisants.
• Les distributions gratuites de rations alimentaires par Médecins Sans Frontières aux ménages
concernées par la malnutrition »
72 Évaluation rapide conjointe SAP/PAM/FEWS NET (juin 2005)
44
Les soutiens internationaux du Dispositif commencent à s’éroder.
b) La nécessité de mesures d’urgences : Juin à juillet 2005
Parallèlement aux difficultés des opérations du Dispositif et du PAM, les programmes d’urgence
s’installent à partir de juin 2005. MSF sera la première ONG à mettre en place un programme de
grande envergure de prise en charge des enfants souffrant de malnutrition. Le Niger représente une des
plus grosses opérations de prise en charge de la malnutrition sévère de l’histoire de MSF avec cinq
centres de nutrition thérapeutiques, 27 points ambulatoires, près de 10 millions d’euros de budget, une
cinquantaine d’expatriés et 6000 tonnes d’aide alimentaire prévues. Face à l’ampleur de la
malnutrition, MSF adopte une stratégie innovatrice de traitement de la malnutrition même sévère à
domicile grâce au Plumpy Nut73 ce qui permettra à l’ONG de prendre en charge plus de 60 000 enfants
de moins de cinq ans sévèrement malnutris.
De nombreuses ONG, telles que Action contre la Faim, Solidarités, Help, Christian Relief Services,
ont également initié des programmes d’urgences. Par exemple, ACH a ouvert 30 centres de nutrition
dans les régions de Tahoua et Maradi pour soigner les cas de malnutrition modérée : 4 708 enfants ont
été pris en charge. Pour le traitement de la malnutrition sévère, deux centres de nutrition thérapeutique
ont été ouverts dans la région de Maradi et Tahoua. L’ONG a également distribué des rations sèches74
pour les familles ayant un enfant malnutri. Cependant, au-delà des spécificités des programmes
d’urgences menés par chaque ONG, dans l’ensemble, elles ignorent les mesures d’atténuation du
Dispositif. MSF mène, par exemple, des distributions de rations alimentaires aux enfants admis dans
les programmes de renutrition. Durant le traitement, une ration de protection de 25 kilos de farine
enrichie et cinq litre d’huile végétale sont donnés pour la semaine à l’enfant. Lorsqu’il est guéri et sort
du programme, l’enfant et sa famille reçoivent 50 kg de mil, 25 kg de Niebe (haricots) et 10 litres
d’huile. Parallèlement, la campagne pour la mise en place des distributions alimentaires gratuites se
fait de plus en plus pressante.
73 Plumpy nut, plus généralement connu sous le nom de Plumpy, est un aliment à base d'arachide utilisé en cas de famine conçu en 1999 par le scientifique français André Briend. C'est une pâte énergétique à base d'arachide à haute valeur protéïnique, présentée dans un emballage métallique qui peut être distribué aux enfants malnutris dans le cadre familial plutôt que dans des stations d'alimentation spécialisées. Elle peut être mangée sans préparation. Elle a le goût du beurre d'arachide en plus doux. 74 Une ration sèche correspond à 50 kilos de riz, 25 kilos de légumineuses, 8 litres d'huile
45
Durant la période juin à août (date de généralisation des distributions alimentaires gratuites), les deux
stratégies de réponses à la crise cohabitent et alimentent un âpre débat par médias interposés.
Cependant, ces deux visions de la crise alimentaire, se font-elles, pour autant, concurrence ?
2) Un débat caduc :
Une première lecture de la crise nigérienne peut relater une opposition entre stratégie de
développement et stratégie d’urgence, comme de nombreux auteurs l’ont fait. Il est indéniable que
cette perception de la crise donne certaines clés de compréhension. Toutefois, de nombreux éléments
viennent émousser la pertinence de cette grille de lecture.
a) Une opposition rhétorique
En premier lieu, ce débat entre acteurs d’urgence et de développement fut essentiellement un débat
d’idées marqué par le besoin de positionnement de chaque acteur. L’arrivée des acteurs d’urgence
suite à la révélation médiatique de la crise a provoqué la cohabitation de deux types de réponses à la
crise. Pour le Dispositif et l’ensemble des acteurs ayant participé à la mise en place, le réflexe fut de
défendre le bien fondé et la pertinence de leurs programmes en questionnant et critiquant les nouveaux
programmes basés sur l’urgence. Ainsi, l’ONG Aquadév ayant étroitement participé aux opérations du
Dispositif déclare « Mais l’afflux massif d’urgentistes pour résoudre cette situation conjoncturelle a
eu un impact négatif sur les projets et programmes de développement et même sur les populations. Les
approches de développement mises en place par les projets ont été perturbées. Les stratégies
individuelles et collectives de sortie de crise déployées d’habitude par les populations ont été
désarticulées, ce qui fait que beaucoup de ménages ont développé des comportements d’assistés. » En
somme, l’opposition se focalise moins sur la pertinence des opérations à mener que sur la légitimité
des acteurs à les mener. C’est le coeur de cette opposition. Chaque acteur défend ici l’intérêt et la
légitimité en tant qu’institution oeuvrant dans la solidarité internationale.
En fait, les échanges d’idées et tensions ont lieu par communiqués de presse interposés entre
délégations en capitale, mais sur le terrain, la collaboration était de mise. Chaque acteur, ONG, OI et
Dispositif ont travaillé ensemble à des degrés plus ou moins approfondis. La responsable des
programmes d’Help décrit ainsi la coordination : « L´échange sur les activités avait lieu sur plusieurs
niveaux, au niveau départemental, au niveau régional (notamment des réunions de concertation
présidées par la Direction Régionale de la Santé Publique à Tillabéri) et au niveau national (les
réunions les plus régulières à ce niveau ont été organisées par l’UNICEF et le PAM). » En effet, le
PAM et l’UNICEF ont supervisé les opérations d’urgence des ONG et organisé des réunions et points
d’informations hebdomadaires. D’après le représentant d’HKI, le système de coordination entre les
46
ONG a très bien fonctionné que ce soient des ONG d’urgence ou de développement. Une approche
thérapeutique commune fut, d’ailleurs, adoptée par l’ensemble des acteurs humanitaires grâce aux
réunions hebdomadaires de tous les coordinateurs et à la remontée des informations collectées sur le
terrain auprès de l’UNICEF.
De même, de manière concrète, les ONG ont collaboré sur le terrain. Les ONG de développement
ayant une connaissance plus pointue des régions dans lesquelles elles travaillent, ont partagé leurs
informations avec les nouvelles venues. Les déclarations des ONG interviewées ont toutes repris ce
constat. Le Desk officer de MSF Belgique a déclaré: « Il n’y a pas eu de frictions sur le terrain avec
les autres ONG notamment celles de développement. Sur le terrain le but était le même sauver des vies
et aider les personnes. Les ONG de développement présentes depuis un certain temps dans le pays ont
fourni des informations utiles à des ONG nouvelles comme MSF Belgique notamment sur les prix des
céréales, le panier de la ménagère, etc ». De même, la responsable des programmes d’Aquadév
« Avec les ONG de développement, nous avions continué notre collaboration traditionnelle qui
consiste en des actions de partenariat ou de synergie dans la mise en œuvre de nos activités. Pour les
ONG d’urgence, beaucoup se sont inspiré des interventions d’Aquadév ou des résultats du système
d’information pour asseoir leurs activités, c’est le cas de MSF, Goal et la Croix Rouge. » Ou encore,
la responsable des programmes d’Help affirme : « Sur le terrain, nous avons collaboré avec d’autres
ONG qui avaient des projets d´urgence, notamment dans la récupération nutritionnelle car leurs
actions ont été complémentaires aux actions médicales de l´ONG (notamment Valpro, Islamic Relief
et World Vision). »
b) Mélange urgence et développement dans les programmes
La pertinence d’une lecture opposant acteurs de développement et acteurs d’urgence peut être
questionnée sur le fond car de manière concrète il semble difficile de distinguer l’urgentiste du
développementaliste. Il est évident que MSF a une orientation clairement urgentiste. Pourtant, l’ONG
était présente depuis 2001 au Niger à Maradi. Leur présence au début ne devait être que temporaire, le
temps de répondre à une épidémie de rougeole et à l’insécurité alimentaire. Pourtant, constatant
l’ampleur de la malnutrition infantile, le programme de MSF s’est installé dans la durée avec la mise
en place d’un centre nutritionnel à Maradi. C’est d’ailleurs cette présence sur le long terme qui
permettra à l’ONG de déceler l’urgence en constatant l’évolution de la malnutrition infantile. De
même, l’ONG ACH, présent au Niger depuis 1996, menait un programme agro-pastoral dans le Nord
du Niger avant de se recentrer sur l’urgence de 2005.
Les ONG dites de développement ont également mené des programmes adaptés à l’urgence de 2005.
Ainsi, HKI, traditionnellement axée sur des programmes de prévention de la malnutrition et de la
47
cécité, a mis en place des opérations d’urgence en gérant cinq centres de récupération nutritionnelle
dans la région de Diffa.
La frontière entre urgence et développement est donc floue. Les ONG d’urgence menant leurs
programmes de développement et inversement quand cela s’avère nécessaire. D’ailleurs, dans la
présentation de leur livre75, J.H Jézéquel et X. Crombé, « la renégociation des frontières entre urgence
et développement constitue l’un des enjeux de la crise et ces frontières sont souvent franchies par les
différents acteurs dans un sens comme dans l’autre ».
c) Un débat « périmé »
Bien qu’elle demeure relativement populaire dans les perceptions communes, la rivalité entre urgence
et développement ne fait plus l’unanimité au niveau théorique. Philippe Ryfman76 en fait un constat
sans concession. « Le supposé antagonisme entre « ONG d’urgence » et « ONG de développement » a
été un thème très en vogue, spécialement en France, au moins jusqu’à la fin des années 1980. (....)
Pour autant qu’elle (l’opposition urgence/ développement) ait fait sens un jour, elle est en tout cas
aujourd’hui bien peu opératoire : plutôt qu’aider à la compréhension du champ, elle se révèle, au
contraire, source de confusion. Elle est ainsi d’abord dans l’incapacité d’expliquer pourquoi des
ONG dites « d’urgence » mènent également des programmes de moyen ou long terme, et n’ayant rien
à voir avec ce que le sens commun qualifie d’urgent....(...) De même, les ONG dites de
«développement» mettent en oeuvre des programmes d’assistance immédiate à des populations
réfugiés ou déplacées, voire interviennent en soutien à des processus de réinsertion dans la phase
critique de post crise, consécutive à la cessation des hostilités dans un conflit armé interne ou
international. Cette distinction est ainsi source de confusion parce qu’elle est demeurée
essentiellement franco centrée et correspondait pour l’essentiel aux strates historiques et idéologiques
de constitution du segment associatif français dit de « solidarité internationale ».
Plus que l’explication culturelle du franco centrisme, si le débat entre urgence et développement ne
semble plus pertinent aujourd’hui, c’est avant tout parce que l’environnement de la solidarité
internationale s’est profondément transformé depuis les années 1980. Les contextes de crises
humanitaires ne s’inscrivent plus dans le cadre de la guerre froide et du tiers-mondisme. Depuis, la
chute de l’URSS, les guerres civiles se sont multipliées et les conflits sont devenus chroniques avec un
début et une fin de moins en moins lisibles. Le continuum Urgence Réhabilitation Développement,
adapté aux conflits étatiques ayant une temporalité bine définie, s’est complexifié et a laissé la place 75 « X. CROMBÉ et J.H. JÉZÉQUEL, « Niger 2005 : Une catastrophe si naturelle », éditions Karthala/ médecins Sans Frontières, Paris, 2007, page 3 . 76 P. RYFMAN, « Les ONG », éditions la Découverte, Paris, 2004, page 36.
48
au contiguum URD. En effet, les trois phases, autrefois présentées comme linéaires, sont de plus en
plus en interaction dans la mesure où elles peuvent cohabiter au même moment et sur un même
territoire. Handicap International déclare, à ce sujet, dans la revue Humanitaire77 : « Cela entraîne une
obligation de coexistence entre des actions d’urgence et de développement et agit d’une part sur le
panorama des acteurs et d’autre part sur le type et la méthodologie d’interventions des acteurs
extérieurs ».
L’opposition entre stratégie d’urgence et de développement n’est plus adaptée à l’environnement
international actuel où la temporalité des crises s’inscrit davantage dans une continuité de crises que
dans un cycle de crises ayant un commencement et une fin bien définies. Il en va de même pour le
contexte nigérien. La crise alimentaire du Niger peut certes se circonscrire à l’habituelle période de
soudure. Mais qu’en est-il de la malnutrition dont les taux ne font qu’augmenter d’année en année
indifféremment aux excédents ou déficits agricoles ? Le rapport d’évaluation du PAM78 décrit ainsi
son analyse de la situation nigérienne : « la crise alimentaire 2004-05 au Niger remet en question la
grille de lecture habituelle des crises au Sahel et les réponses que les institutions y apportent,
notamment en bouleversant les frontières entre crises structurelles et crises conjoncturelles. Elle
inaugure une forme «d’urgence permanente» qui traduit l’absence de réponse de fond apportée aux
éléments structurants de la crise: faiblesse des politiques agricoles, faiblesse de la stratégie et des
programmes de développement social (santé, éducation, accès à l’eau potable), absence de politique
nutritionnelle et, plus généralement, faiblesse des investissements et de l’aide au développement. La
situation de référence au Niger est de fait considérée comme «normale» ou « habituelle», malgré des
indicateurs désastreux difficilement admissibles dans des régions autres qu’au Sahel. » Dans un
contexte d’urgence permanente, faut-il mettre en place des programmes d’urgence à long terme
ou bien adapter les programmes de développement à l’urgence ? Il semble que les acteurs de la
solidarité internationale, présents au Niger, aient adopté un subtil agrégat des deux stratégies,
s’adaptant à la nécessité du moment.
Cette lecture de la crise nigérienne s’avère donc peu pertinente dans la théorie et dans les faits : le
passage d’un paradigme à un autre est peu lisible au regard de l’opposition urgence/ développement. Il
faut comprendre que ces deux visions de la crise se sont également opposées sur la base de puissances
financières et logistiques non comparables. Le gouvernement nigérien est débordé et n’arrive pas à
coordonner sa réponse à la crise, tandis que les ONG prouvent leur efficacité logistique. Il y eût de
nombreuses tensions entre le passage d’une perception de la crise à l’autre et donc les moyens pour y
77 V. SCHERRER, F. FLCHENBERG et N. HEEREN, « Penser le développement dès l’urgence, penser l’urgence dans le développement : entre contexte différencié et groupe cible spécifique », Humanitaire, n°14 « Logique d’urgence et pérennité », Paris, printemps 2006, p.30-41. 78 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Rapport succinct de l’évaluation de la réponse du PAM à la crise au Niger en 2005 », Washington, mai 2006, page 7.
49
répondre. Il faut, également, noter que le passage d’un paradigme à un autre fut notamment possible
grâce à l’outil médiatique, qui est un formidable moyen de pression. Or, la lecture urgence/
développement ne prend pas en compte le facteur médias, pourtant essentiel dans la perception de la
crise, ni même le changement d’envergure du débat passant d’un niveau local à international. En fait,
la crise nigérienne peut davantage se comprendre à travers l’opposition entre les acteurs qui ont la
capacité de mobiliser l’attention médiatique et ceux qui ne peuvent pas.
B) La logique de puissance à travers les médias (à partir de juin 2005)
L’intérêt médiatique commencera timidement mi-avril 2005 avec le premier communiqué de presse de
MSF qui sera relayé par Radio France Internationale (RFI) puis Al Jazira qui diffusera des images du
centre de nutrition de MSF à Maradi. Cependant, c’est véritablement avec la diffusion d’un reportage
de la BBC le 19 juillet que l’on verra la couverture médiatique du Niger s’intensifier. Dans les
rédactions, le sujet Niger passe alors du statut d’ignoré à celui d’actualité internationale. Pour
l’IRAM79 « Dans un premier temps, en Europe, il était difficile pour les journalistes d’arriver à
présenter un sujet sur le Niger dans un contexte où après le tsunami, « la famine fatigue », ensuite
lorsque que les principaux médias sont intervenus sur le sujet et que des personnalités médiatiques se
sont exprimées, il était au contraire difficile pour tout journal de ne pas en parler (...) ». La crise du
Niger atteint une dimension internationale et ne concerne plus uniquement le microcosme des acteurs
de la solidarité internationale au Niger.
Cependant, cet emballement médiatique loin d’aplanir les tensions déjà présentes, a eu tendance à
exacerber les positions de chacun notamment en provoquant une confusion sur la lecture de la crise.
En effet, même si l’arrivée massive des médias a contribué à une meilleure visibilité de la crise, elle a
également provoqué une moindre lisibilité en confondant crise nutritionnelle, crise alimentaire et
famine. À titre d’exemple, le Figaro, dans un article du 30 juillet, décrit la situation au Niger de la
manière suivante : « Le Niger est l'illustration dramatique de ce propos : la famine menace 2,5
millions d'habitants du pays, c'est-à-dire le cinquième de la population de ce pays qui est le deuxième
Etat le plus pauvre du monde. Une crise attendue depuis plusieurs mois par les ONG, sous-estimée
par le gouvernement de Niamey, ignorée jusqu'à présent par la communauté internationale des pays
riches. » La crise du Niger fut avant tout une crise alimentaire majeure dans le sens où les récoltes
étaient largement déficitaires et les foyers les plus pauvres n’avaient pas accès aux céréales de base.
La crise alimentaire est un phénomène conjoncturel où le manque de nourriture est facilement pallié
par une bonne récolte l’année suivante. En revanche, les taux de malnutrition résultent de la lente
dégradation du régime alimentaire et de la paupérisation des ménages. Comme les statistiques de MSF
79 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 63.
50
l’indiquaient, depuis 2001, les enfants atteints de malnutrition sévère ou aigüe étaient en hausse
constante. Dans leur traitement de la crise, les médias n’ont pas fait la distinction entre la réponse à la
crise nutritionnelle (par la mise ne place de CRENI, CRENA ou de soins ambulatoires) et la réponse à
la crise alimentaire (sessions de food/cash for work, crédit de campagnes, banques de céréales, VCPM
ou distributions alimentaires gratuites). Pour les médias, seule une action humanitaire immédiate et
spectaculaire retient leur attention. L’attention médiatique se concentrera sur les distributions
alimentaires gratuites et les centres de récupération nutritionnelle éludant les programmes de
prévention et d’atténuation de la crise du Dispositif.
Cette confusion tient de la manière même dont se sont construites les relations acteurs ONG/ médias.
Tout d’abord, c’est sur la base d’une nécessaire complémentarité de travail qui amène ONG et médias
à collaborer. En effet, 80 « Les ONG ont besoin de faire connaître leur travail, ne serait-ce que pour
mobiliser la générosité des citoyens et informer les donateurs de l’usage qui est fait de leur argent.(...)
De même, les médias, de leur côté, jugent absurde de se priver d’une véritable armée de
correspondants et d’experts bénévoles, et de renoncer à des reportages lointains réalisés à moindres
frais. » Pourtant, cette complémentarité réciproque, est sujette à de nombreuses polémiques
notamment parce que les médias ne sont pas seulement observateurs d’un événement, mais qu’ils sont,
au même titre que les ONG, coproducteurs de celui-ci faisant apparaître des logiques de
fonctionnement bien distinctes. Ainsi, Backmann81 déclare que « Les organisations humanitaires
s’efforcent d’être présentes sur tous les terrains où leur aide peut sauver des vies. Les rédactions,
elles, passent leur temps à hiérarchiser l’actualité, à écarter les sujets qui ne seront pas traités (...).
Contrairement à celui des humanitaires, l’intérêt des journalistes pour telle ou telle crise ne varie pas
en fonction des besoins des populations ou des souffrances endurées par les victimes, mais de la
conjoncture internationale et de la notoriété des hommes qui font l’actualité. » Les exemples
somaliens, rwandais ou encore bosniaques laissent des expériences amères pour nombre d’ONG qui se
sont senties flouées par le traitement médiatique de la crise. Les médias contribuent alors à la
« 82naturalisation, c’est-à-dire à l’oubli du social » des crises, constituant « une interprétation
dominante des catastrophes de tous ordres ».
Les médias sont un acteur majeur dans le processus d’internationalisation d’une crise humanitaire.
C’est au travers de leurs filtres que les opinions publiques des pays occidentaux vont lire la crise et
que les grands acteurs internationaux seront influencés dans leur réponse à cette crise. Le traitement
médiatique d’une urgence humanitaire influence et participe même à la réponse à la crise. Ce fut le cas
80 BRAUMAN R. et BACKMANN R. « Les médias et l’humanitaire, Ethique de l’information ou charité- spectacle », éditions CFPJ, Paris, 1996, page 63. 81 Ibid, page 52 82 LAVOINNE Y. « L’humanitaire et les médias », Presses universitaires de Lyon, collection parallèles, Lyon, 2002, page 22.
51
pour le Niger où les médias ont adopté le point de vue MSF en faveur des distributions alimentaires
gratuites. En conséquence, les divergences initiales au sein de la scène de la solidarité internationale
au Niger ont évolué, sous le feu des médias, vers un enjeu autour de la légitimité de chaque acteur à
intervenir.
Question : Dans quelle mesure, l’internationalisation de la crise humanitaire a transformé le débat en
lutte d’influence ?
Une nouvelle lecture de la crise nigérienne va se mettre en place avec l’arrivée médiatisée de
nouveaux acteurs humanitaires, provoquant un revirement dans la stratégie du PAM vers les
distributions alimentaires gratuites. Peu à peu le Dispositif, mais aussi l’ensemble des acteurs locaux
se voient dessaisir de la gestion de la crise au profit des grandes agences onusiennes et ONG
internationales. Ce changement de dimension ne se fera pas sans tensions ni clashs.
1) Internationalisation de la crise (juin à août 2005)
a) Entrée de nouveaux acteurs
Le passage de l’arène locale à internationale est symbolisé par l’entrée en scène au Niger de nouveaux
acteurs au sein de la scène de la solidarité internationale induisant une évolution dans la perception de
la crise qui passe du statut de déficit alimentaire conjoncturel à celui d’urgence humanitaire. L’arrivée
massive des médias, mais aussi des ONG d’urgence et d’OI bouleversent les rapports de force établis
et devient vecteur de conflits potentiels avec les acteurs historiques de l’aide humanitaire au Niger.
Le premier acteur ad hoc à intervenir rapidement au Niger fut l’ONU. Dés le 19 mai, un appel éclair
("Flash appeal") est lancé par les Nations Unies pour un montant de 16 millions de dollars. Cet appel
s'appuie largement sur les quelques informations nutritionnelles disponibles notamment celles publiées
par MSF. L’ONU sous la houlette du PAM et de l’UNICEF va prendre en charge la coordination de
l’aide d’urgence des ONG et des bailleurs de fonds internationaux. Un second appel, plus entendu,
cette fois sera lancé mi-juillet. Toutefois, il faut garder à l’esprit que les autorités nigériennes ont
voulu et appelé à l’aide internationale comme elles l’ont précédemment fait en novembre 2004. Ainsi,
le 28 mai, le Premier ministre nigérien lance un appel à la communauté internationale pour une
assistance alimentaire d’urgence, le Dispositif n’arrivant plus à s’approvisionner en céréales. De
même, début juin un appel à la solidarité nationale cette fois est lancé par le Premier Ministre.
52
Alors que la situation alimentaire et nutritionnelle se dégrade fortement début juillet83, la médiatisation
de la crise commence à atteindre les pays occidentaux. Au cours du mois de juillet, le Niger assiste à
un ballet médiatique autour de la visite de nombreuses personnalités publiques au chevet d’un Niger
malade. La visite du rapporteur spécial du Secrétaire général de l’ONU sur le droit à l’alimentation,
Jean Ziegler, demandant qu’une distribution gratuite de vivres soit immédiatement organisée en faveur
des groupes vulnérables, sera suive par celle, le 19 juillet du Roi du Maroc. Des aides en nature en
provenance des pays arabes (Émirats Arabes, Libye, Algérie, Arabie Saoudite, Maroc, Soudan)
commencent effectivement à affluer. En fait, toute la période d’urgence alimentaire sera ponctuée de
visites de personnalités diverses venues accompagner l’aide alimentaire que leur institution (OI, Etat
ou ONG) apporte au Niger. Peu après la visite du Secrétaire Exécutif du CILSS au Niger, le 28 juillet,
Bernard Kouchner viendra au nom l’ONG Réunir. Puis, le Ministre des Affaires Etrangères de la
France, Phillipe Douste Blazy, effectue une visite alors que la France fournit une aide de 10 millions
d’euros, qui sera suivi d’une visite de la part d’une commission de sénateurs français. La visite du
Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, fin août s’inscrit dans le même état d’esprit car il
est venu « pour voir par lui-même ce qui se passe et pour discuter avec le président (Mamadou
Tandja) et le Premier ministre (Hama Amadou) de ce qu’on peut faire tous ensemble sur le court et le
long termes»84. Ces visites viennent non pas tant pour le Niger en soi et la crise alimentaire qui
l’affecte, mais plutôt en justification et légitimation des institutions fournissant une aide d’urgence.
Le fait est que l’ensemble de ces nouveaux acteurs ne partagent pas le consensus sur la crise en
vigueur depuis début 2005. Leur perception et compréhension de la crise est fortement influencée par
la vision de MSF en tant qu’initiateur de la médiatisation. En effet, c’est sur la base de ces enquêtes
nutritionnelles que l’ONU va initier un appel de fonds international et réorienter les réponses à la crise
vers une aide alimentaire gratuite. La médiatisation va donc contribuer à accroître la pression pour
passer aux distributions gratuites. « Dans ce contexte, la pression des décideurs non résidents se
renforce. Les directions régionales et les sièges des NU et des ONG interviennent davantage et
limitent les marges de manoeuvre des acteurs locaux qui animent d’ordinaire le Dispositif. »85
b) Changement de stratégie du PAM (juillet août 2005)
Le PAM va opérer un revirement radical dans sa stratégie opérationnelle en passant du soutien aux
mesures d’atténuation de la crise du Dispositif aux distributions alimentaires gratuites. Le PAM
83 Durant la période de soudure, les ménages ont épuisé leurs stratégies de survie, le bétail meurt massivement dans l’attente de la régénération des pâturages tandis que les prix des céréales s’envolent. En juillet, ils sont 92% plus élevé que l’année précédente. 84 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Kofi Annan essuie les critiques des ONG », 22 août 2005 85 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 16.
53
procédera à plusieurs révisions de son EMOP. La première, du 12 mai, se traduit par une augmentation
du budget de l’opération pour tenir compte de la hausse des prix des céréales survenue depuis
l’adoption de l'EMOP. La seconde, du 7 juin, vise à élargir le nombre de bénéficiaires (enfants
malnutris et leurs familles) de 65 000. C’est seulement le 13 juillet que le PAM procédera à une
refonte profonde de son EMOP. « L’objectif général de cette révision est double: poursuivre l’objectif
de l’EMOP originale, axée sur la «préservation des mécanismes de survie des populations touchées
et sur l’accroissement de leur résistance aux chocs»; et y ajouter une stratégie d’urgence, avec pour
objectif de «sauver des vies humaines». Cela implique une distribution gratuite ciblée de vivres,
accompagnée d’une alimentation supplémentaire et d’une réhabilitation nutritionnelle. (...) La
population bénéficiaire est estimée à 1 128 000 pour un budget total de 16 millions de dollars. 86»
Cette évolution dans la stratégie du PAM est due à plusieurs facteurs. En premier lieu, la pression
médiatique se faisait de plus en plus forte. MSF, lors d’une conférence de presse le 28 juin, dénonce la
lenteur des secours et l’inefficacité des mesures mises en place par le Dispositif. L’ONG lance un
appel à la communauté internationale à « porter assistance de toute urgence aux populations les plus
touchées87 » au moyen de distributions gratuites de nourriture. À cette période, un consensus est en
train de se créer autour de la nécessité d’adopter des distributions alimentaires gratuites d’autant plus
que les programmes mis en place par le Dispositif et le PAM connaissent des difficultés. Mi-juin, le
PAM comme le Dispositif se trouve en rupture d’approvisionnement en raison des tensions sur le
marché régional des céréales. La rupture d’approvisionnement compromet le déroulement de
programmes déjà controversés. En outre, un autre facteur déclencheur de la révision de l’EMOP fut
l’arrivée massive de financements dès début juin.
86 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Un Rapport du Bureau de l’Evaluation : Evaluation de la réponse du PAM à la crise alimentaire au Niger en 2005, Volume : Rapport principal », Rome, mai 2006, page 19. 87 MÉDECINS SANS FRONTIÈRES, « Niger : payer ou mourir », communiqué de presse, Paris, 28 juin 2005
54
Un premier « round » de distribution gratuite de vivres, établi début août par le PAM et le Dispositif,
prévoit la distribution de 100 kilos de céréales, par entité de 7 personnes, soit l'équivalent d'une ration
d’ un mois de consommation à l'ensemble des 2,7 millions de personnes dans les zones vulnérables,
d'ici la fin septembre. Au total, ceci représente 41.332 tonnes, dont 30.078 tonnes pour le PAM et
11.045 tonnes pour le dispositif national. Il a été prévu une deuxième distribution supplémentaire
d'une demi-ration de céréales (50 kilos) et 10 kilos de légumineuses aux 1,7 millions de personnes
situées dans les zones extrêmement critiques fin septembre-début octobre. Le total de cette aide
complémentaire représente 14 583 tonnes. Seul le PAM est responsable de cette deuxième
distribution. Au total, le PAM a planifié pour les livraisons gratuites 48 058 tonnes, dont 37 920
tonnes de céréales (et 3 395 tonnes distribuées via les organisations de récupération nutritionnelle).
La communauté internationale choisit les distributions alimentaires gratuites, d’une part parce que
c’est nécessaire au vu de la dégradation de la situation alimentaire et nutritionnelle, d’autre part parce
qu’il s’agit d’une mesure spectaculaire et hautement symbolique pour les médias et les acteurs arrivés
depuis peu. Au final, « alors que le gouvernement et le PAM n’ont pas réussi jusqu’à juin à mobiliser
les donateurs pour obtenir les ressources financières et les céréales nécessaires au plan d’atténuation
55
de la crise, cette deuxième période va inaugurer l’arrivée au Niger de multiples acteurs de l’aide,
d’importantes ressources financières et des ressources humaines. »88
2) L’éviction de la scène locale (juillet à décembre 2005) :
À partir de juillet, deux dynamiques différentes se mettent en place : d’une part, les OI et les ONG
internationales assurent la prise en charge de la crise en instaurant de massives distributions
alimentaires gratuites, d’autre part le Dispositif ainsi que les ONG locales sont progressivement
évincées du processus de réponse à la crise.
a) Dessaisissement des structures locales l’Etat
Le Dispositif est lentement mais sûrement dessaisi de la gestion de la crise nigérienne, pourtant raison
d’être de l’institution. La coordination des opérations d’urgence se fera sous l’égide du PAM, en
charge de la malnutrition modérée et de l’UNICEF, en charge de la malnutrition sévère. Courant août,
l’UNICEF met en place un protocole national de prise en charge nutritionnelle qui sera suivie par la
vingtaine d’ONG internationales. Pourtant, initialement, le Dispositif devait être associé aux
distributions alimentaires gratuites, il a même participé de manière modeste au premier « round » des
distributions. En effet, la révision de l’EMOP du PAM incluait l’action du Dispositif. Quoi de plus
normal dans la mesure où le PAM est le chef de file de cette institution binôme entre Etat et donateurs
internationaux. Toutefois, deux semaines après la révision de l’EMOP, le PAM appréhendant les
difficultés de mise en œuvre par le Dispositif, de la part qui lui revient, le PAM décide d’assurer à lui
seul la couverture des populations vulnérables. En effet, dans une déclaration du 26 juillet au directeur
régional du PAM89, le Premier Ministre nigérien annonce que le Dispositif n’est pas en mesure
d’assurer l’approvisionnement, le transport et la distribution des vivres. Il faut garder à l’esprit que le
Dispositif est essentiellement financé par les donateurs internationaux dont le PAM est le chef de file ;
donc si le Dispositif n’est pas en mesure d’assurer sa partie du programme d’urgence, c’est en partie
en raison du manque de financement de la part des donateurs. Or, il semble que les financements ne
manquent plus au PAM pour assurer ses programmes EMOP ! En fait, dés juin, le PAM a commencé à
se démarquer des mesures du Dispositif en critiquant la pertinence des VCPM lors d’une réunion du
CRC.
88 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 54. 89 PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, « Un Rapport du Bureau de l’Evaluation : Evaluation de la réponse du PAM à la crise alimentaire au Niger en 2005, Volume : Rapport principal », Rome, mai 2006.
56
La pression de la communauté internationale sur le Dispositif fut grande. Bien qu’il bénéficie, au
début de la crise, du soutien de l’UE et de la France dans sa stratégie d’atténuation de la crise, le
Dispositif sera peu à peu écarté de la gestion de la crise par les bailleurs de fonds internationaux. Pourtant, initialement, le Dispositif disposait du soutien de la communauté internationale, dans la
mesure où la moitié des 16 millions de dollars pourvus par l’appel Flash de l’ONU de mai 2005 étaient
destinés au PNUD pour soutenir la plan d’urgence du gouvernement avec la vente de céréales à prix
modérés et l’approvisionnement en fourrages. Cependant, au fur et à mesure certains donateurs
bilatéraux n’ont pas voulu contribuer au Dispositif en raison des critiques qu’il essuyait. Par exemple,
« Certains pays comme l’Allemagne avaient prévu de faire une contribution au dispositif national
avant de la transformer en don pour le PAM90 ». En fait, le Dispositif (surtout le CCA) n’est plus
l’acteur central de la crise. Il perd de l’influence car la plupart des donateurs, signataires de l’accord
cadre, vont faire transiter leur aide par le canal du PAM. Les ONG vont donc automatiquement se
tourner vers le PAM. Le Dispositif, et par extension les autorités nigériennes, se retrouve fragilisé, au
lieu d’être conforté dans la gestion de la crise alimentaire nigérienne. Il est contraint de s’aligner sur la
politique de la communauté internationale. Par ailleurs, le 20 juin, le Premier Ministre nigérien créait
une instance ad hoc au sein du Dispositif : comité de suivi et de gestion de la crise alimentaire
(CSGCA). Il s’agit pour ce comité de gérer la réception de l’aide d’urgence, sa répartition et son suivi.
En effet, les contributions financières reçues par le comité s’élèvent à 2 545 millions CFA. La création
de ce comité dédié à la gestion de l’urgence, au sein d’une structure créée pour gérer les crises
alimentaires semble quelque peu atypique et dénote surtout les difficultés du Dispositif, notamment la
mésentente entre le Premier ministre et le Président du Niger91.
Parallèlement aux instances étatiques ou interétatiques, la structuration des rapports entre ONG est
également révélatrice de l’éviction de la scène locale. En effet, peu importe à cette période de la crise
la dichotomie acteurs publics / privés, acteurs de développement et acteurs d’urgence, la différence se
fait sur le plan local/ international en termes de capacité financière et logistique. Les ONG
nigériennes, traditionnellement axées sur des programmes de développement, ne sont pas en mesure
de répondre à la crise autrement que par l’acceptation de la coordination onusienne détenant les vivres,
matériels et financements. Comme toute urgence humanitaire, ce sont les ONG de stature
internationale qui assurent l’essentiel des opérations. Ainsi, pour ces distributions alimentaires le PAM
choisit de collaborer principalement avec les ONG Plan International et Christian Relief Services. Un
plan de répartition de l’aide alimentaire gratuite sera élaboré avec ces ONG, le PAM et le Dispositif,
début août 2005. De même, certaines ONG, au nom de l’efficacité de l’aide ou par parti pris, refusent
toute collaboration avec les structures administratives. Au final, la vingtaine d’ONG internationales
qui arrivent au Niger en juillet-août ne coordonnent pas leurs programmes en fonction des autorités
90 Ibid. 91 Voir première Partie.
57
nigériennes, mais sous l’égide de l’ONU. À titre d’exemple, l’ONG Help, arrivée en juillet 2005 au
Niger, a axé ses programmes d’urgences autour de la distribution de vivres (céréales, légumineuses,
huile) du PAM dans le département de Tera. La coordinatrice de l’ONG a d’ailleurs déclaré n’avoir eu
« aucun rapport avec le Dispositif. Tout s’est passé à travers le PAM ».
De manière générale, on assiste à l’éviction de l’ensemble des acteurs locaux de la gestion de la crise
alimentaire du Niger. Cette dynamique touche même le PAM puisque le bureau pays qui avait mis en
place la première EMOP en février se verra déchargé de la gestion des opérations en juillet au profit
du Comité d’Intervention Immédiate du siège. En conséquence, le Dispositif devient un acteur mineur
de la crise alors que sa vocation est de répondre et gérer les crises alimentaires. Cependant, la perte de
prérogatives du Dispositif ne va pas se faire sans résistance de sa part.
b) Résistances du Dispositif
Ce changement de paradigme, depuis les mesures d’atténuation de la crise jusqu’aux distributions de
vivres généralisées, ne fut pas exempt de tensions. Le changement de stratégie opérationnelle fut
rapide. De novembre 2004 à mai 2005, ce sont les mesures d’atténuation qui priment et le Dispositif
est en charge de la coordination de la réponse humanitaire. Puis à partir de mai, en raison de
problèmes logistiques et de l’aggravation de la crise, les VCPM évoluent vers des ventes à crédit
auprès des banques de céréales, puis vers des crédits de campagne, c’est-à-dire des dons de nourriture
remboursables lors de la prochaine récolte. Mi-juillet, suite à un clash entre le Dispositif et le PAM, le
CMC cède et accepte le principe d’une distribution gratuite de vivres généralisée en accord avec la
révision de l’EMOP du PAM.
Même si le Dispositif a été déchargé de la gestion de la crise, les résistances ont été fortes. Les
autorités nigériennes vont essayer tout au long de la crise alimentaire d’imposer leur lecture de la crise
et de reprendre le leadership des opérations humanitaires, ce qu’elles feront, dès l’automne 2005, une
fois l’urgence repassée à un niveau local.
Les autorités nigériennes ont été débordées par l’arrivée massive d’acteurs humanitaires
internationaux passant outre la coordination du Dispositif mais aussi par une médiatisation intense et
peu favorable au Dispositif. Les résistances furent vives de la part de l’exécutif nigérien face à cette
dépossession de ces prérogatives nationales. Interviewé par Voice of America le 16 juin, le président
nigérien Mamadou Tandja a salué les fournisseurs d'aide alimentaire tout en les suppliant de ne pas
"aller exposer dans le monde entier" ce qu'ils font "pour les petits enfants" malnutris. Il est certain que
« la récente médiatisation forcenée, la pression des ONG étrangères et la sollicitude appuyée de
58
l'ancienne puissance coloniale n'ont pu qu'exacerber l'orgueil national, transformant en "famine" un
pic dramatique dans une situation de pauvreté structurelle chronique mais ignorée92. » D’ailleurs,
début août 2005, Mamadou Tanja réitère, en déclarant qu’il n’y a pas de famine au Niger et que de la
situation s’améliore tandis que les distributions de vivres de grande ampleur commencent seulement à
se généraliser. Ces déclarations illustrent bien le décalage des autorités nigériennes avec la réalité de la
crise (ils n’acceptent toujours pas le nouveau paradigme selon lequel le Niger est en situation
d’urgence), mais aussi une tentative un peu vaine de vouloir reprendre le contrôle et la gestion de la
situation.
Toutefois, c’est l’adoption des distributions de vivres gratuites et généralisées qui sera source d’une
intense polémique entre le PAM et le Dispositif en juillet 2005. C’est une période critique pour le
Dispositif dans la mesure où les critiques redoublent envers l’inefficacité des mesures prises et les
donateurs commencent à ne plus soutenir l’institution. Le désaccord se fait le 23 juillet suite à une
réunion entre le Premier ministre et le PAM sur la prise en charge du transport de 11 000 tonnes de
sorgho achetées en Inde par le Dispositif et attendues au port de Cotonou fin juillet. En effet, le
Dispositif n’était pas en mesure de payer les frais d’acheminement de ces céréales au Niger. En
revanche, le PAM avait des disponibilités financières, mais rencontrait d’énormes difficultés
d’approvisionnement sur le marché régional. Il n’y avait pas assez de céréales pour assurer
correctement une distribution. Cependant, le PAM, en raison de procédures internes, a refusé de
prendre en charge le transport des céréales du Dispositif. En conséquence, le Premier ministre a, à son
tour, refusé les propositions alternatives du PAM, à savoir l’emprunt de la cargaison ou l’achat d’une
partie de la cargaison. L’intransigeance du Premier ministre souligne les tensions inhérentes à la perte
de puissance du Dispositif dans la gestion de la crise. Ce désaccord a provoqué la paralysie de l’accord
cadre Etat-donateurs du Dispositif dans la mesure où l’ensemble des donateurs, l’UE et la France
compris, ont suivi la nouvelle ligne de conduite du PAM.
En conséquence, on assiste à un changement de stratégie immédiat dans la gestion de la crise : le PAM
s’oriente vers des distributions d’aide gratuites à grande échelle, orientation suivie par la plupart des
donateurs, mais aussi par le Dispositif via le CCA. Cependant, le changement de stratégie ne sera
jamais formellement entériné par le CRC qui en reste à la décision de fournir une aide de grande
ampleur sous forme de crédits de campagne. Finalement, « les actions programmées sont
interrompues ou reversées dans les distributions gratuites. Ainsi, les céréales que le PAM s’était
engagé à livrer dans le programme de banques céréalières du Dispositif sont réorientées vers les
92 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 7.
59
distributions gratuites ; l’aide italienne en céréales, annoncée le 3 juin et prévue pour alimenter les
VCPM, sera finalement distribuée par le PAM 93».
Cependant, dès que le pic d’urgence sera passé, officiellement marqué par la fin des distributions de
vivres le 10 octobre, les autorités nigériennes vont s’ingénier à reprendre le contrôle de la coordination
des actions humanitaires. La fin de l’urgence ne signifie pas pour autant le retour à un consensus sur
le diagnostic de la situation au Niger. En fait, plusieurs polémiques vont surgir après à la fin de la
période de soudure où les acteurs humanitaires s’interrogent sur la suite à donner à leurs opérations
d’urgence.
En dépit de la crise, le bilan de la campagne agricole et pastorale 2005 s’annonce globalement positif.
La production céréalière estimée est 36% plus élevée que celle de l’année précédente et le bilan
fourrager montre un large excédent. Cependant, plusieurs enquêtes et observations indiquent que dans
les zones les plus affectées par la crise, les ménages ont puisé largement dans leur épargne, leur capital
productif et social et ont accru leur endettement. Le constat de l’endettement et de l’affaiblissement
des ménages vulnérables est partagé par l’ensemble des acteurs, mais faute de pouvoir être quantifié, il
donne lieu à un éventail de pronostics très larges pour 2006, allant d’une situation difficile à une crise
alimentaire, jusqu’à une crise plus sévère que la précédente. Ce débat est plus ou moins de la même
teneur que celui qui a agité les acteurs du Dispositif à la fin de l’année 2004. La proximité de
l’ouverture des jeux de la francophonie à Niamey, devant se dérouler en décembre 2005, a rendu le
débat plus difficile. En effet, le gouvernement souhaite que la crise puisse être considérée comme
jugulée, et pouvoir donner une autre image du pays lors des jeux. Ainsi, le 28 novembre, lors d’une
conférence de presse, le porte parole du gouvernement nigérien déclare «J’apporte un démenti
catégorique à toutes les informations tendancieuses véhiculées par une certaine presse à l’effet de
discréditer le pays à la veille des Vèmes jeux de la francophonie94». Cette déclaration vise également le
PAM qui, selon le gouvernement, « continue à tirer la sonnette d’alarme ». Les autorités nigériennes
estiment que le Niger a surmonté la crise alimentaire et ne souhaite clairement plus se faire imposé un
diagnostic extérieur.
Par la suite, lors de l’atelier du PAM de « Revue Après Action » en décembre 2005, qui vise à faire le
bilan avec tous les acteurs des mécanismes de réponses à la crise, le Premier ministre, dénonce de
manière virulente le contournement du Dispositif par les partenaires signataires de l’Accord cadre et
affirme que le Dispositif doit être l’unique référence pour tous les acteurs humanitaires.
93 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 17. 94 RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Polémiques sur la crise alimentaire », 23 novembre 2005
60
En somme, deux enseignements ressortent de l’analyse de l’internationalisation de la crise nigérienne.
Tout d’abord, les médias apparaissent comme un acteur à part entière de la crise alimentaire du Niger,
(malgré ses effets ambivalents) étant donné qu’ils sont à l’origine de la prise de conscience de la
communauté internationale. Les ONG ont, d’ailleurs, utilisé les médias comme instruments de
mobilisation sur la crise. Comme le remarque l’IRAM95, « la situation vécue au Niger en 2005
rappelle que les médias sont un acteur à part entière des crises alimentaires (...) ».
Ensuite, le pic d’opérations d’urgence a laissé apparaître une certaine concentration des acteurs
humanitaires. Les acteurs locaux, que ce soient le Dispositif ou bien les ONG, ont été délaissés ou
ignorés, faute de moyens logistiques et financiers suffisants ; la coordination et la définition de la
stratégie des programmes d’urgence ayant été centralisées par les grandes agences de l’ONU et des
ONG « poids lourds ». Les multiples débats suscités par la crise nigérienne ne se comprennent pas tant
au regard d’une opposition frontale entre logique d’urgence et de développement mais plutôt en termes
de rapports de forces. Les différentes positions observées se comprennent davantage sur la
concurrence entre les organisations les plus puissantes et les moins importantes. Ainsi, on assiste à une
concentration du milieu humanitaire et un partenariat avec les médias internationaux accentuant cette
tendance de regroupement laissant les plus petites organisations sur la touche.
95 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, page 62.
61
CONCLUSION
À propos de l’intervention humanitaire d’urgence
Les différents débats issus de la crise alimentaire qui a affecté le Niger durant l’année 2005 furent
rendus possibles en raison de l’ambiguïté inhérente aux situations d’urgence humanitaire. Au-delà des
critères techniques et objectifs caractérisant une urgence humanitaire (nombre de morts, seuil de
malnutrition défini par l’OMS, épidémies, etc.), l’urgence se caractérise avant tout par des rapports de
force au sein d’un espace social donné, la scène de la solidarité internationale. Parce que les situations
d’urgences sont chaque fois uniques, les critères de définition de l’urgence sont invariablement
conxtextualisés. L’urgence est multiforme et sa définition varie selon les acteurs en présence et leurs
motivations à y répondre. Ainsi, le contexte nigérien fut tout à fait particulier puisqu’il s’agissait
moins d’une urgence conjoncturelle que d’une lente mais certaine dégradation des conditions de vie de
la population. Les taux de malnutrition restent, d’ailleurs, deux ans après la crise, très élevés au Niger.
L’absence de consensus autour de la caractérisation de la crise fut le catalyseur des tensions entre les
acteurs de la solidarité au Niger.
La situation de crise humanitaire brise les équilibres/ déséquilibres en place. En effet, il s’agit d’une
bulle qui, le temps de la crise, se structure selon des légitimités et des puissances extérieures à l’espace
d’intervention. Ainsi au Niger, la survenue de l’urgence alimentaire et nutritionnelle a déstabilisé la
communauté des ONG de développement historiquement présente dans le pays.
Chaque acteur humanitaire veille à défendre la pérennité de son institution. Les situations d’urgence,
en raison de leur brièveté et leur impératif de résultat à court terme, sont sujettes à des tensions d’ordre
identitaires. Chaque situation de crise amène des acteurs de différents horizons : OI, ONG, Etat et
médias, à cohabiter, voire travailler ensemble tout en ménageant leurs exigences internes. Le cas du
Niger n’a pas fait exception. Simplement, les rapports de force issus de la crise alimentaire de 2005, ne
se sont pas tant structurés en termes de classes d’acteurs, mais ont davantage été marqué par une ligne
de fracture dimension internationale/ dimension locale. Dans un premier temps, le traitement de la
crise fut assuré à un niveau local. Par la suite, avec la caractérisation de l’urgence, c’est la
communauté internationale qui a assumé la gestion de la crise en dessaisissant la scène locale des
acteurs de l’aide.
62
À propos de la scène de la solidarité internationale
La crise alimentaire du Niger en 2005 fut traversée par différents débats illustrant l’évolution des
rapports de force. Chacune de ces polémiques fut l’occasion pour moi d’étayer des grilles de lecture
appropriées. En amont de la crise, l’hypothèse initiale se basait sur la dichotomie entre acteurs publics
et privés de la solidarité internationale. Cependant, après la révélation de l’ampleur de la crise à partir
d’avril-mai 2005, le débat a évolué vers un niveau opérationnel, faisant émerger des lignes de tensions
entre acteurs axés sur le développement et ceux se concentrant sur un mandat d’intervention
d’urgence. Toutefois, sans être fausses, aucune de ces deux hypothèses ne permettent une
compréhension globale de l’évolution des rapports de force depuis le constat du déficit agricole en
octobre 2004 jusqu’à la reprise par les autorités nigériennes du leadership dans la gestion des crises
alimentaires en décembre 2005.
Moins qu’une tension basique entre acteurs privés et publics, ou entre développeurs et urgentistes, on
décèle plutôt une ligne de fracture entre les acteurs capables de mobiliser la communauté
internationale et ceux qui la subissent. Ainsi, la collusion d’intérêts observée entre ONG de
développement et Etat nigérien nuance l’hypothèse de tensions entre acteurs privés et publics de la
solidarité internationale et démontre que les rapports de forces se constituent davantage sur la base des
capitaux (sociaux et financiers) possédés. L’alliance tacite entre ONG de développement et autorités
nigériennes s’est construite sur une nécessité de collaboration (ils ne peuvent pas travailler en
s’ignorant), mais aussi sur une mobilisation commune afin de promouvoir et sensibiliser la
communauté internationale à la situation du Niger ( en promouvant auprès de la communauté
internationale leur vision de la situation nigérienne, ces acteurs légitiment leurs actions dans le pays).
C’est le vieil adage, l’union fait la force, repris par des acteurs qui individuellement ne pourraient faire
appel à des relais internationaux. La nuance est que la stratégie du Dispositif96 fut ignorée par la
communauté internationale lorsque celle ci a pris en charge la gestion de la crise. De même, les
partenariats observés durant la crise nigérienne entre OI et ONG soulignent l’actuelle nécessité de
concentration97 pour les acteurs de la solidarité internationale. Toujours dans l’objectif d’être crédible
au sein de la scène de la solidarité internationale, les partenariats ainsi que la logique de concentration
permettent d’atteindre une masse critique (nécessaire pour être crédible et légitime). Enfin, certaines
ONG, MSF en tête, reprennent des logiques propres aux acteurs économiques transnationaux. MSF, de
part son mandat d’urgentiste, fut l’initiateur de la prise de conscience de l’urgence du Niger. Ses prises
de positions radicales ont, certes, été efficaces, mais étaient-elles indispensables ? Ainsi, comme P.
96 Le but en soi du Dispositif et des ONG travaillant avec est d’élaborer une réponse commune à une crise alimentaire et ainsi de gérer et canaliser la mobilisation de la communauté internationale à travers des canaux locaux. 97 Il suffit de voir en France la fusion entre Oxfam et Agir Ici ou encore Atlas Logistique et Handicap International.
63
Ryfman98 remarque à juste titre « Cette globalisation de la réplique répond aussi à des logiques
propres. Il s’agit notamment de rechercher une masse critique, de réaliser des économies d’échelles,
de diffuser un modèle et la ‘marque’ de l’organisation concernée, d’accroître les potentialités de levée
de fonds. Siméant relève que la question du contrôle de la ‘marque’, justement devient cruciale. Ce
qui montrerait (contrairement aux apparences) que le processus entretient une parenté avec la
mondialisation économique et les stratégies des firmes internationales ; en ce qu’il ne relève pas
uniquement, voire pas du tout d’une ‘société civile mondiale’, mais plus de logiques d’accumulation
des ressources. »
Il apparaît donc que la scène de la solidarité internationale, malgré ses impératifs philanthropiques, se
caractérise de plus en plus par un fonctionnement calqué sur les acteurs économiques de la
mondialisation. Concentration, partenariats opérationnels, communication de marques soulignent une
recherche d’efficacité délibérée au niveau international pour les acteurs du Niger, mais également sur
d’autres champs d’intervention. Le soutien de la communauté internationale est devenu un aspect
essentiel de leur stratégie d’intervention.
98 P. RYFMAN, « Les ONG », éditions la Découverte, Paris, 2004, 123p.
64
SOMMAIRE DES ANNEXES
ANNEXE 1 ...................................................................................................................................................................65
1) LES ORGANES DE DECISION : CMC ET CRC .......................................................................................................65 2) L’ORGANE D’EXECUTION : LA CCA ...................................................................................................................65 3) UN OUTIL DE RECUEIL D’INFORMATION ..............................................................................................................66 4) LES OUTILS D’INTERVENTION DU DISPOSITIF NATIONAL DE PREVENTION ET DE GESTION DES CRISES SONT : .66 SCHEMA EXPLICATIF DU FONCTIONNEMENT DU DISPOSITIF ...................................................................................67
ANNEXE 2 ...................................................................................................................................................................68
CHRONOLOGIE DE LA CRISE ............................................................................................................................68
1) OCTOBRE 2004 A JANVIER 2005 : CONSENSUS DES ACTEURS AUTOUR D’UNE NON URGENCE .......................68 2) FEVRIER A JUIN 2005 : LES DOUTES ET LES REMISES EN CAUSES.......................................................................68 3) JUILLET 2005 : LE PASSAGE D’UN PARADIGME A L’AUTRE, SOURCE DE CONFLITS...........................................69 4) AOUT – OCTOBRE 2005 : L’IMPOSITION D EL LOGIQUE D’URGENCE, LES DISTRIBUTIONS GRATUITES
GENERALISEES...........................................................................................................................................................70 5) NOVEMBRE – DECEMBRE 2005 : LA SCENE LOCALE REPREND SES PREROGATIVES ..........................................71
ANNEXE 3 ...................................................................................................................................................................72
METHODOLOGIE DE RECHERCHE .................................................................................................................72
1) METHODOLOGIE GENERALE.................................................................................................................................72 2) METHODOLOGIE INITIALE POUR LES INTERVIEWS ..............................................................................................72 3) LES ENTRETIENS REALISES...................................................................................................................................74 4) EXEMPLE DE QUESTIONNAIRE/ TRAME D’ENTRETIENS : ....................................................................................76
ANNEXE 4 ...................................................................................................................................................................78
1) CC/SAP ................................................................................................................................................................78 2) FEWS-NET..........................................................................................................................................................78 3) LE CENTRE AGRHYMET ET LE CILLS .............................................................................................................79
65
Annexe 1
Le fonctionnement du DNPGCA99
1) Les organes de décision : CMC et CRC
Les dispositifs de concertation reposent sur la Commission Mixte de Concertation (CMC) Etat-
Donateurs de laquelle émane le CRC, le Comité Restreint de Concertation. La CMC se réunit à haut
niveau (Premier Ministre et ambassadeurs/responsables des agences) une à deux fois par an alors que
la CRC se réunit au niveau des techniciens au moins chaque semaine dans la période de gestion des
crises. La Commission mixte de concertation constitue l’instance décisionnelle du dispositif. Cet
organe regroupe, sous la présidence du premier Ministre, les représentant de l’Etat et les principaux
bailleurs de fonds.
La commission technique de concertation, le CRC, est le second organe décisionnel qui se réunit plus
fréquemment que la CMC. Elle regroupe les représentants des bailleurs de fonds et les services
techniques de l’Etat sous la présidence du directeur de cabinet du Premier ministre. Dans les deux cas,
les prises de décision engageant les disponibilités financières du dispositif nécessitent une double
signature, celle du représentant des bailleurs de fonds (le PAM) et celle de l’Etat. La politique de
sécurité alimentaire n’est donc plus la seule prérogative de l’Etat au Niger, elle est soumise à une
cogestion entre le gouvernement et les principaux bailleurs de fonds.
2) L’organe d’exécution : La CCA
La Cellule de crise alimentaire, dépendante de la primature, est le ‘bras armé’ du dispositif. Elle
assure le secrétariat exécutif de la Commission Mixte de Concertation, veille au bon fonctionnement
du dispositif et en assure la coordination technique. Elle est notamment chargée de mettre en
application les décisions prises par la CMC ou la CRC. L’un de ses rôles clé est la rédaction de la liste
des zones vulnérables à partir des informations transmises par les comités régionaux de gestion des
crises.
99 Cette description du fonctionnement du Dispositif est issu du rapport de J. H Jézéquel pour MSF, « Ici l’enfant n’a pas de valeur ».
66
3) Un outil de recueil d’information
En 1989, l’Etat nigérien s’est doté d’un SAP ou Système d’Alerte Précoce qui recueille les
informations transmises par les organismes techniques de l’Etat et favorise également la coordination
avec les différents instituts régionaux ou internationaux en charge de la surveillance alimentaire
(FEWS-Net, CILLS/AGRHYMET, etc.).
4) Les outils d’intervention du dispositif national de prévention et de gestion des crises sont :
1/Le stock national de réserve (SNR), en principe doté d’un stock physique ou Stock National de
Sécurité (SNS) de 40 000t et d’un stock financier ou Fonds de sécurité alimentaire (FSA) d’une
capacité théorique de 40 000 t.
2 /Le fond d’intervention alimenté par le fond commun des donateurs et des fonds bilatéraux. Il
finance les actions d’atténuation des crises. Après appel d’offres, les organismes intéressés et
compétents dans le domaine de la sécurité alimentaire envoient leurs propositions à la CCA qui
examine et donne son avis sur les projets, éventuellement en demandant des modifications. Les avis de
la CCA sont ensuite transmis au CRC pour validation.
3/ L’OPVN, sous la tutelle du Ministère du commerce a été restructuré depuis la libéralisation des
années 1980. Il assure dorénavant une fonction de prestation de service pour le compte du dispositif
(gestion et entretien du SNS). La CMC assure le suivi du contrat de plan Etat-OPVN.
67
Schéma explicatif du fonctionnement du Dispositif
68
Annexe 2
Chronologie de la crise100
1) Octobre 2004 à janvier 2005 : Consensus des acteurs autour d’une non urgence
Octobre 2004 Pré évaluation de la campagne agricole 2004/05
4-18 octobre 2004 Mission conjointe FAO/CILSS/FEWS-NET/PAM d'évaluation de la
campagne agricole 2004/05
22 octobre 2004 Réunion d’information sur les résultats de la campagne 2004/05 à
l’intention des partenaires du développement.
1-5 novembre 2004 Réunion de concertation technique sur les bilans céréaliers des pays du
CILSS
23 novembre 2004 Publication des résultats définitifs de la campagne agricole.
Novembre 2004 Elaboration du plan d’urgence par la CCA
25 novembre 2004 Requête d’aide d’urgence adressée aux partenaires par le Gouvernement
nigérien via le PAM
9 décembre 2004 Elections présidentielles et législatives
14-16 décembre Réunion du Réseau de Prévention des Crises Alimentaires au Sahel
15-17 décembre Relance de la requête d’aide d’urgence aux représentations des
partenaires par le Gouvernement
4 janvier 2005 Adoption d’une TVA de 19% sur les produits de première nécessité
13-15 janvier 2005 1ère réunion annuelle du Système de Prévention et de Gestion des
Crises Alimentaires
15 janvier 2005 Création de la « Coalition équité-qualité contre la vie chère »
2) Février à juin 2005 : Les doutes et les remises en causes
17 février 2005 Approbation du plan d'opérations d'urgence du PAM
23 fév.-2 mars Mission conjointe FEWS-NET/PAM/CC-SAP sur l’évaluation de la
situation alimentaire
17 mars 2005 Réunion d'information à l’intention des donateurs
22 mars 2005 Communiqué de presse du PAM afin de mobiliser les contributions
pour les plans d’opérations d’urgence de Mali et du Niger
100 IRAM, « Crises alimentaires au Niger : les politiques de développement dans l’impasse, dossier préparatoire aux journées d’étude », Paris, 15 septembre 2006, 75 p.
69
6 avril 2005 Approbation de la première phase des projets du programme
d’atténuation de crises alimentaires 2005
20 avril 2005 Publication des résultats de l'enquête nutritionnelle PAM/HKI
26 avril 2005 Communiqué de presse de MSF alertant sur l’augmentation du nombre
d’admissions dans son centre nutritionnel
26 avril 2005 Suppression de la TVA sur les produits de première nécessité
12 mai 2005 Révision du budget du plan d'opération d'urgence du PAM
17 mai 2005 Diffusion des images du centre nutritionnel de Maradi sur la chaîne Al-
Jazira
19 mai 2005 Flash Appeal des Nations Unies
25-26 mai 2005 2ème réunion annuelle du Système de Prévention et de Gestion des
Crises Alimentaires
28 mai 2005 Appel à l’aide internationale lancé par le Premier Ministre
3) Juillet 2005 : Le passage d’un paradigme à l’autre, source de conflits
8-9 juin 2005 Appels du Gouvernement à la solidarité nationale
9 juin 2005 Appel à la distribution gratuite dans les villages les plus touchés par la
malnutrition (MSF)
Début juin 2005 Arrivée des premières contributions nationales
A partir du 10 juin Arrivée des aides internationales en nature
7-15 juin 205 Évaluation conjointe rapide FEWS-NET/PAM/CC SAP
Mi-juin 2005 Rupture d'approvisionnement en céréales du Dispositif
Fin juin 2005 Commande de sorgho pour le Dispositif sur le marché international
16 juin 2005 Révision du budget du plan d'opérations d'urgence du PAM
20 juin 2005 Création du comité ad hoc national pour la gestion de la crise
alimentaire
28 juin 2005 MSF dénonce la lenteur des secours et appelle à la distribution gratuite
13 juillet 2005 Changement de stratégie du PAM et révision du budget EMOP
14 juillet 2005 Visite du rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation
19 juillet 2005 Visite du roi du Maroc
19 juillet 2005 Diffusion des images de la crise sur la chaîne BBC et médiatisation
forte au niveau international
19 juillet 2005 Appel à l’aide internationale lancé par le coordinateur des secours
d’urgence des Nations Unies
22 juillet 2005 Conférence de presse du coordinateur des secours d’urgence des
Nations Unies
70
23 juillet 2005 Rencontre entre le Premier Ministre et le Directeur régional du PAM et
constat de désaccord sur les modalités d’action dans le cadre du
DNPGCA
21-25 juillet 2005 Visite du Secrétaire Exécutif du CILSS au Niger
28 juillet 2005 Visite de Bernard Kouchner, président de l’Association Réunir et
fondateur de MSF
29 juillet 2005 Mise en place d’un pont aérien par le PAM pour acheminer les vivres
destinés au soutien nutritionnel
30 juillet 2005 Visite au Niger du Ministre des Affaires Etrangères de la France
Fin juillet 2005 Arrivée massive des contributions internationales et mise en place des
centres de récupération nutritionnelle
4) Août – octobre 2005 : L’imposition d el logique d’urgence, les distributions gratuites
généralisées
2 août 2005 Approbation d'une nouvelle révision du budget du plan d’opérations
d’urgence du PAM
Début août 2005 Le Président de la République déclare qu’il n’y a pas de famine et que
de la situation s’améliore
8 août 2005 Début du premier round de la distribution gratuite du PAM
8 août 2005 Etablissement du centre d’information humanitaire (CIH) géré par
OCHA
15 août 2005 Début des distributions alimentaires gratuites de riz (CCA)
22 août 2005 Communiqué de presse de MSF critiquant la gestion de la crise de
l’ONU, notamment du PAM
23-24 août 2005 Visite du Secrétaire Général des Nations Unies
13-15 sept. 2005 Rencontre régionale sur le suivi de la situation agricole et alimentaire et
les perspectives de la campagne agricole
17 septembre 2005 Début du deuxième round de distribution gratuite du PAM
21 septembre 2005 Décision du CRC d’arrêter les distributions gratuites au début du mois
d’octobre
Fin septembre 2005 Début des distributions gratuites de sorgho (CCA)
29 septembre 2005 Adhésion des Etats-Unis à l’Accord Cadre
10 octobre 2005 Arrêt officiel de la distribution gratuite
71
18-25 oct 2005 Mission de pré évaluation du programme d’atténuation des crises
alimentaires de la CCA
5) Novembre – décembre 2005 : La scène locale reprend ses prérogatives
7-10 nov 2005 Réunion de concertation technique sur les perspectives des productions
et bilans céréaliers ex-post et prévisionnel des pays du CILSS
22-25 nov 2005 1ère réunion annuelle du Système de Prévention et de Gestion des
Crises Alimentaires
28 novembre 2005 Le Gouvernement condamne devant la presse les agences des Nations
Unies, notamment le PAM, qui continuent à tirer la sonnette d’alarme
30 nov.-1er déc. Revue Après Action (RAA) organisée par le PAM au Palais des
congrès. Dans son discours d’ouverture, le Premier Ministre dénonce le
contournement du Dispositif dans la gestion de la crise par les agences
des Nations Unies comme une atteinte à la souveraineté nationale
7-17 décembre 2005 Jeux de la Francophonie à Niamey
72
Annexe 3
Méthodologie de recherche
1) Méthodologie générale
La position de chaque acteur lors de la crise alimentaire de 2005 fut analysée au travers :
● Divers documents produits par les acteurs de la crise (positionnement officiel)
● D’interviews permettant d’éclairer ce positionnement deux ans après la crise et
d’expliciter l’interaction avec les autres acteurs (vue partielle car représentative d’une
personne de l’institution)
2) Méthodologie initiale pour les interviews
Chaque interview avait pour but de décrire et analyser :
1) Le positionnement de l’institution interrogée
2) L’évolution et les contradictions éventuelles de ce positionnement
3) Le positionnement et les interactions éventuelles de l’institution interrogée avec les
autres acteurs de la crise
Initialement, les acteurs à interviewer étaient :
● Les autorités nigériennes, à savoir l’ambassade du Niger en France :
But : - Comprendre le fonctionnement du dispositif de prévention et gestion des
crises
- Expliciter les tensions au sein du Dispositif lors de la crise
- Comprendre les relations / tensions avec les principaux acteurs de la crise
(ONG, PAM, UE, etc.)
● La société civile nigérienne, à savoir une association de solidarité nigérienne basée
sur Paris
But : - Positionnement lors de la crise nigérienne
- Comprendre la politique du gouvernement lors de la crise depuis un point
local
73
- Analyser les relations entre ONG internationales et locales, de même qu’entre
ONG internationales de développement et d’urgence. Quelles étaient les
relations entre ces différents acteurs sur le terrain ?
● Les Organisations gouvernementales internationales, à savoir le PAM, et l’UE.
But : - Comprendre le positionnement de chaque acteur (PAM et UE)
- Analyser l’évolution de ce positionnement
- Décrypter le clash avec les autorités nigériennes (imposition de point de vue)
- Analyser les relations et tensions avec les autres acteurs (ONG de
développement et d’urgence, dispositif gouvernemental et organismes
internationaux) présents sur le terrain (collaboration, ignorance ou
compétition ?)
● Les ONG, à savoir
ONG d’urgence (MSF, ACF)
But : - Comprendre le positionnement de chaque acteur
- A quel moment la situation d’urgence a-t-elle été décrétée ? À quel moment
sont-ils intervenus sur le terrain
- Analyser les relations et tensions avec les autres acteurs (ONG de
développement, dispositif gouvernemental et organismes internationaux)
présents sur le terrain (collaboration, ignorance ou compétition ?)
- Comment a été vécu le leadership de MSF France ?
ONG de développement (Eau Vive, Aquadév, Solidarités)
But : - Comprendre le positionnement de chaque acteur et son évolution
- A quel moment la situation d’urgence a-t-elle été perçue ?
- Quelles furent leurs actions lors de la crise, bouleversement / ajustement des
programmes ?
- Analyser les relations et tensions avec les autres acteurs (ONG d’urgence,
dispositif gouvernemental et organismes internationaux) présents sur le terrain
(collaboration, ignorance ou compétition ?)
ONG internationales (Oxfam, HKI, et Save the Children)
But: - Comprendre le positionnement de chaque acteur
74
- A quel moment la situation d’urgence a-t-elle été décrétée ? À quel moment
sont-ils intervenus sur le terrain
- Analyser les relations et tensions avec les autres acteurs (ONG de
développement, dispositif gouvernemental et organismes internationaux)
présents sur le terrain (collaboration, ignorance ou compétition ?)
- Comment a été vécu le leadership de MSF France ?
3) Les entretiens réalisés
Les entretiens réalisés :
Helen Keller International, Pierre Adou, Country Representative
MSF Belgique, Renzo Fricke, Desk Niger
ACH, Toni Martinez Piqueras, Desk Niger
ACH, Carole Lambert, responsable nutrition
Solidarités, Fabien Cousseau, Responsable sécurité alimentaire
En raison du manque de temps, certaines personnes ont préféré répondre par
questionnaire ou ont simplement envoyer des documents :
HELP, Kristina Rauland, coordinatrice
MSF Suisse, Alain Rouvillois, chef de mission,
Eau Vive, Jean Bosco Bazie, Chef de mission
Aquadév, Françoise Falaise, coordinatrice des programmes de nutrition
Organisations contactées ayant données une réponse favorable à l’entretien, puis sans
réponses :
Organisations internationales :
Médecins du Monde
Goal
Croix Rouge Française
World Vision
MSF France
Organisations nigériennes :
Croix Rouge Nigérienne
75
Coalition contre la vie chère
L’événement
Organisations contactées n’ayant pas donné de réponses :
Organisations internationales :
SOS Sahel
MSF Espagne
PAM
AFD
Concern
Africare
Afrique Verte
Save the Children
Care
FAO
Caritas
Plan
ECHO
UNICEF
Oxfam
Mercy Corps
Christian Relief Services
Organisations nigériennes :
CLISS
Valpro
CCA
ABC Ecologie
Au final, sur 38 organisations contactées, 17 m’ont répondue positivement. J’ai avoir des entretiens avec
seulement 5 organisations et recueillir des informations par biais de questionnaires ou autres auprès de 4
autres.
76
4) Exemple de questionnaire/ trame d’entretiens :
QUESTIONS AU SUJET DE LA CRISE ALIMENTAIRE AU NIGER EN 2005
J’aimerai aborder avec vous les questions suivantes afin de mieux comprendre la position de
(...) lors de la crise alimentaire de 2005. La recherche universitaire que je mène s’intéresse
essentiellement au débat qu’a suscité la crise du Niger entre les différentes parties prenantes de
cette crise, notamment les autorités nigérienne, le PAM et les ONG d’urgence ou
développement. Il est entendu que toutes les informations que vous me communiquerez sont
strictement confidentielles et ne visent pas à être publiées.
Avant la crise alimentaire :
Quels programmes étaient en place l’année précédant la crise et depuis quand ?
À partir de quel moment, la situation d’urgence alimentaire fut elle perçue ?
À partir de quels critères fut elle définie ?
Lors de la crise alimentaire :
Quels programmes de réponse à la crise ont été mis en place et à quelle date ?
Y a-t-il eu un bouleversement des activités déjà en place ?
Comment avez vous perçu les prises de positions publiques de MSF (en avril, juin et août
2005 sur la gestion de la crise)?
Quelles étaient vos relations avec les autorités nigériennes notamment avec le dispositif de
prévention et gestion des crises ?
Quelles étaient vos relations avec les autres ONG présentes (d’urgence ou de
développement, locales ou internationales) ?
Quelles étaient les relations/ collaborations avec le PAM ?
77
Comment avez-vous perçu le désaccord entre les autorités nigériennes et le PAM ?
Sortie de crise :
A quel moment, les opérations d’urgence ont-elles été stoppées ?
Quels ont été les programmes mis en place par la suite ?
Quel avis avez-vous sur la gestion de cette crise par les autorités nigériennes ?
La crise de 2005 a-t-elle initié de nouvelles relations / rapports avec les autres ONG et le
gouvernement ?
78
Annexe 4
Les systèmes d’informations sur la sécurité alimentaire101
1) CC/SAP
Créé en 1989, le SAP a ‘pour mission de collecter, de traiter et de diffuser les informations
relatives aux crises alimentaires effectives et/ou potentielles, de suivre l’évolution de la situation
dans les zones concernées. Il a également en charge, l’évaluation de l’impact des actions
conduites pour l’atténuation des crises alimentaires)…. Il rassemble, analyse et diffuse les
informations dans les domaines alimentaire, sanitaire, nutritionnel et socio-économique. Son
principal moyen de communication est le bulletin mensuel d’information’. Pour atteindre ces
objectifs, le SAP repose sur l’information fournie par les services techniques centraux de l’Etat
intervenant (SNIS, SMIAR , DPV, etc.).
2) FEWS-NET
Le FEWS Net ou réseau des systèmes d’alerte précoce des famines a été créé en et est financé
par le gouvernement américain via son agence USAID. L’objectif du FEWS est de renforcer la
capacité des acteurs locaux et régionaux engagés dans la lutte contre l’insécurité alimentaire en
fournissant des données variées allant des conditions météorologiques à l’état des récoltes
céréalières. Il couvre 17 pays d’Afrique dont le Niger plus 4 pays d’Amérique centrale et
l’Afghanistan. Il produit des rapports mensuels sur l’état de la sécurité alimentaire. Ces rapports
contiennent généralement des informations sur la pluviométrie, la situation agricole
(avancement des récoltes), l’état des marchés agricoles, et la situation des zones vulnérables
avec notamment des informations sur les ménages vulnérables (stratégies, budget des ménages,
etc.). Il participe également à des missions conjointes d’évaluation en collaboration avec les
services de l’Etat et d’autres organismes comme le PAM. Elles ont eu lieu en octobre 2004,
février 2005 et juin 2005.
101 Rapport de J.H JÉZÉQUEL, « Ici l’enfant n’a pas de valeur », MSF, Paris
79
3) Le centre AGRHYMET et le CILLS
Créé en 1973, le CILSS est une organisation Intergouvernementale qui regroupe neuf (9) pays
sahéliens (Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal,
Tchad). Son mandat est de " s’investir dans la recherche de la Sécurité Alimentaire et dans la
lutte contre les effets de la sécheresse et de la désertification, pour un nouvel équilibre
écologique. L’institution étudie les facteurs (alimentaire, écologique et démographique) qui
entravent la croissance économique et le développement durable du Sahel. Il propose et met en
œuvre des stratégies pour les maîtriser "102.
Le CILLS dispose d’un secrétariat exécutif basé à Ouagadougou et de deux centres, l’institut du
Sahel à Bamako et le centre régional AGRHYMET, créé en 1974 à Niamey. Le CILLS met en
place des stratégies de sécurité alimentaire, de gestion des ressources naturelles et de lutte
contre la désertification. C’est aussi un centre de recherche et de formation lié à la gestion des
risques alimentaires. LE CILLS est notamment soutenu par l’Union Européenne qui a signé en
septembre 2004 une convention de financement de 5 millions d’Euros pour une période de 5
ans103.
Le CILLS collabore à la cellule de concertation du système d’alerte précoce au Niger
notamment à travers la publication du bulletin de suivi de la campagne agricole. Il met
également à disposition des acteurs de la sécurité des photographies aériennes, des photos
satellites et des bases de données périodiquement mises à jour sur le suivi des pluies, de la
production des agricole ou encore de végétation.
4) LE SMIAR, système mondial d’information et d’alerte rapide mis en place dans les
années 1970 et géré par la FAO qui assure la collecte, le traitement et la diffusion des
informations notamment au travers de revues comme perspectives de l’alimentation, cultures et
pénuries alimentaires (trois à cinq numéros par an) ; Le numéro de février 2005 retient une liste
de 23 pays africains ayant besoin d’une aide alimentaire exceptionnelle dont la Mauritanie mais
pas le Niger : ‘On ne devrait pas constater de pénuries alimentaires graves au niveau national,
du fait des bonnes conditions météorologiques en général ainsi que de la répartition actuelle des
criquets pèlerins et de leurs déplacements prévus. Toutefois ‘l’impact sur la sécurité alimentaire
pourrait être grave dans certains régions, notamment dans la zone sahélienne’ (octobre 2004,
p.11)
5) Les rapports et enquêtes spéciaux réalisés par les ONG et les institutions onusiennes
102 Source : http://www.cilssnet.org/ 103 Source : Flash CILLS octobre 2004
80
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81
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RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Les jeux de la Francophonie, malgré la crise », 2
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RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Kofi Annan essuie les critiques des ONG », 22
août 2005
RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Famine des dizaines de milliers d’enfants
menacés », 8 juin 2005
RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « La TVA met le feu aux poudres », 22 mars 2005
RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « La crise sociale vire au politique », 28 mars 2005
RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Mamadou Tandja réélu avec 65,53 % des
suffrages exprimés », 8 décembre 2004
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www.unicef.org
www.usaid.gov
www.wfp.org
www.who.int
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www.actioncontrelafaim.org
www.avsf.org
www.care.org
www.christianrelief.org
www.concern.net
www.eau-vive.org
www.ifrc.org/fr
www.msf.org
www.oxfam.org
www.worldvision.org
86
LISTE DES SIGLES
A.C.F Action Contre la Faim
A.C.H Accion Contra El Hambre
A.P.D. Aide Publique au Développement
C.C.A Cellule des Crises Alimentaires du Dispositif
C.I.L.S.S Comité permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse au Sahel
C.I.R.A.D Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique
C.M.C Commission Mixte de Concertation du Dispositif
C.R.C. Comité Restreint de Concertation du Dispositif
C.R.E.N.A Centre de Récupération et d’Éducation Nutritionnelle Ambulatoire
C.R.E.N.I Centre de Récupération et d’Éducation Nutritionnelle Infantile
C.S.G.C.A. Comité de Suivi et de Gestion de la Crise Alimentaire
E.M.O.P. Emergency Operation
F.A.O Food and Agriculture Organization
F.C.F.A. Franc CFA
F.E.W.S-N.E.T. Famine Early Warning System Network
F.M.I. Fonds Monétaire International
H.I.M.O Haute Intensité en Main d’Œuvre
H.K.I. Helen Keller International
I.R.A.M Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de développement
M.N.S.D. Mouvement national pour une société de développement
M.S.F Médecins Sans Frontières
O.I. Organisation Internationale
O.N.G. Organisation Non Gouvernementale
O.N.U Organisation des Nations Unies
P.A.M Programme Alimentaire Mondial
P.A.S. Plan d’Ajustement Structurel
P.N.U.D. Programme des Nations Unies pour le Développement
R.F.I. Radio France Internationale
S.A.P Système d’Alerte Précoce du Dispositif
T.V.A. Taxe sur la Valeur Ajoutée
U.E. Union Européenne
U.N.I.C.E.F United Nations Children's Fund
U.R.D. Urgence Réhabilitation Développement
V.C.P.M. Vente de Céréales à Prix Modérés
87
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION.........................................................................................................................................................5
A) EXEMPLE D’ACTUALITE.............................................................................................................................5 B) CONTEXTE DE L’ETUDE .............................................................................................................................6 C) PROBLEMATISATION ..................................................................................................................................9 D) ANNONCE DU PLAN..................................................................................................................................12
PREMIERE PARTIE................................................................................................................................................ 13
POLEMIQUE SUR LA NATURE DE LA CRISE, UNE OPPOSITION FRONTALE ENTRE
ACTEURS PUBLICS ET PRIVES ? ...................................................................................................................... 13
A) CONSENSUS DES ACTEURS PUBLICS AUTOUR D’UN DEFICIT CEREALIER MAITRISABLE :OCTOBRE A
DECEMBRE 2004............................................................................................................................................16 1) La conjoncture internationale : .........................................................................................................17
a) Le Tsunami :.....................................................................................................................................................17 b) Le Darfour :......................................................................................................................................................18 c) Le désintérêt international pour le Niger :......................................................................................................18
2) Le contexte nigérien : ........................................................................................................................19 a) Le Niger, une démocratie en marche..............................................................................................................20 b) Les élections présidentielles et législatives de 2004 .....................................................................................20 c) Retard dans la mise en place du Dispositif National de Prévention et de Gestion des Crises Alimentaires
(DNPGCA) ...........................................................................................................................................................21 3) La collusion entre bailleurs de fonds et le Dispositif :.....................................................................22
a) Le fonctionnement en binôme du Dispositif ..................................................................................................22 b) Révélation du déficit céréalier : ......................................................................................................................23 c) Consensus autour d’une réponse graduée à la crise.......................................................................................24
B) UNE DISSENSION PRIVE/ PUBLIC SUR LA DEFINITION DE LA CRISE ? JANVIER A AVRIL 2005 ...............25 1) La vision néo libérale de la crise par les acteurs publics ................................................................27
a) Mesures d’atténuation de la crise....................................................................................................................28 b) Taxes sur les produits de première nécessité .................................................................................................29 c) Une crise inhérente et récurrente au contexte nigérien..................................................................................30
2) Deux approches de la crise pour les acteurs privés:........................................................................32 a) Une approche concertée ..................................................................................................................................33 b) Une volonté de rupture et de provocation ......................................................................................................34
DEUXIEME PARTIE ............................................................................................................................................... 37
LA LEGITIMITE A REPONDRE A LA CRISE ENTRE LOGIQUE D’URGENCE ET LOGIQUE
PERENNE ................................................................................................................................................................... 37
A) DEUX STRATEGIES CONCURRENTES DE REPONSE A LA CRISE (MAI A JUILLET 2005)............................39 1) Opposition, de prime abord, entre acteurs d’urgence et de développement : ................................41
a) Les difficultés des mesures du Dispositif: Mai à Juillet 2005 ......................................................................41
88
b) La nécessité de mesures d’urgences : Juin à juillet 2005..............................................................................44 2) Un débat caduc : .................................................................................................................................45
a) Une opposition rhétorique ...............................................................................................................................45 b) Mélange urgence et développement dans les programmes...........................................................................46 c) Un débat « périmé ».........................................................................................................................................47
B) LA LOGIQUE DE PUISSANCE A TRAVERS LES MEDIAS (A PARTIR DE JUIN 2005) ....................................49 1) Internationalisation de la crise (juin à août 2005)...........................................................................51
a) Entrée de nouveaux acteurs.............................................................................................................................51 b) Changement de stratégie du PAM (juillet août 2005) ...................................................................................52
2) L’éviction de la scène locale (juillet à décembre 2005) : ................................................................55 a) Dessaisissement des structures locales l’Etat.................................................................................................55 b) Résistances du Dispositif ................................................................................................................................57
CONCLUSION ........................................................................................................................................................... 61
SOMMAIRE DES ANNEXES ................................................................................................................................. 64
BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................................... 80
OUVRAGES GÉNÉRAUX.........................................................................................................................80 LITTÉRATURE GRISE..............................................................................................................................80 ARTICLES DE REVUES ...........................................................................................................................83 PRESSE ........................................................................................................................................................84 SOURCES WEB ..........................................................................................................................................85
Organisations Internationales : ............................................................................................................................85 ONG :....................................................................................................................................................................85
LISTE DES SIGLES.................................................................................................................................................. 86
TABLE DES MATIÈRES......................................................................................................................................... 87