les deux saint-luureilt - le devoir

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MONTRÉAL JUIN 1941 Les DeUX Saint-Luureilt Par Gabrielle Roy

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Page 1: Les DeUX Saint-Luureilt - Le Devoir

MONTRÉAL JUIN 1 9 4 1

Les DeUX Saint-Luureilt Par Gabrielle Roy

Page 2: Les DeUX Saint-Luureilt - Le Devoir

S L e B u l l e t i n d e s A g r i c u l t e u r s Juin 1941

TOUT MONTREAL

tes deux

Saint-Laurent (pan ^jabhMk {Roy

L E boulevard S a i n t - L a u r e n t : Mé-ridien de Montréal . A r b i t r a i r e -

ment , il t r anche la ville en deux sec-t ions, est et ouest, qui vont a f f i rmer leur ca rac tè re par t icul ier à mesure qu'elles s 'é tendront en sens opposés.

Les rues t ransversa les y viennent toutes commencer à zéro. Les g r a n -des a r t è r e s , Not re -Dame, Sa in t - J ac -ques, Sa in te-Cather ine et Sherbrooke, ainsi que des rues de moindre im-por tance , le t r aversen t et, de ce fai t , changen t de qualificatif . P a r exem-ple, Sainte-Cather ine-est f ranchissan t le boulevard Sa in t -Lauren t devient Sa in te-Cather i ne-ouest.

L 'Or ient et l 'Occident y touchent ; le Chinatown et la P re s se ; les pool-rooms et les clubs de f an - t an ; le Le-van t de la rue Rachè) et le marché Sa in t - Jean-Bap t i s t e .

Sa destinée est de t rouver l 'eau. Bras droit du fleuve dont il a pr is le nom, il t r a v e r s e l'île pour about i r à la r iv ière des P ra i r i e s . E t il fini', à la prison de Bordeaux.

Dans sa ca r r i è re tumul tueuse , il s 'est fa i t à l ' image du monde : bouti-ques de t a touage , refuges de mate lo ts , a n t r e s c rasseux des diseuses de bon-ne a v e n t u r e avec leurs vi t r ines t a -pissées de mains géantes et de ten tu-res gross ières , maisons de gros, dé-bits à l'once ou à la verge, voi tures ambulan tes , b rasser ies , synagogues , théâ t res , halles et tavernes .

P a r t a n t des bas quar t i e r s , il mon-te j u squ ' à côtoyer la montagne. Il r egarde les signes de conquête qu'on a dressés aux deux pôles de la vil le: la croix s u r les hau teu r s , les éléva-teurs sur les "quais. En hau t , les châ-t e a u x ; en bas , les taudis .

Ame vagabonde, il connaî t la sen-teur du blé, du cambouis, du pois-son, de l'ail, de la bière, du blé-d'In-de soufflé, des frites et du smoked meat.

Il connaît le roulement des lourds camions, l 'essouflement des t r a m w a y s . E t cet a u t r e son, grêle, de la c h a r r e t -te poussée à b r a s : stock ambulan t de guenilles ou fourgon improvisé de déménagement .

Il connaît les cotonnades fleuries, les calicos, le tabac canadien, les me-lons, les concombres, les lai tues, les aubergines , les fr iperies , les olives. Il voit dos visages turcs , grecs, a n n a -mites, f rançais , angla is , i r l anda is , slaves.

Le cri de la s irène assiste à son dépar t et le tumul te d 'un couran t r a -pide e t dangereux l'accueille au t e r -me de ses fantais ies .

C'est encore à lui, g rand voyageur , qu'il f au t se confier pour aller à la découverte de la ville.

Dès l 'abord, le boulevard Sa in t -au ren t baigne à la source de l 'his-

toire mont réa la i se . Vil le-Marie . Ce

bas qua r t i e r conserve le ca rac tè re des pays d ' aven ture . Les é t r a n g e r s y t en ten t for tune et les prof i teurs s'en éloignent pour al ler loger su r les hau t s où soufflent les bons vents .

Ce dis tr ic t de Vil le-Marie a vu a r -r iver presque tous ceux qui ont fai t Montréal . Il a vu veni r les régi-men t s du roi de F rance , les religieu-ses, les miss ionnaires , les cheval iers à g randes plumes et fins bas de soie, les apô t res , les i n t r i g a n t s , les rusés marchands de Normand ie , les inten-dan t s c rapuleux, les Dollier de Cas-son, les Caval ier de la Salle, les pè-res m a r t y r s .

Main tenan t agi té et t roublé, je l'i-magine à cette époque, assez sem-blable au vieux Dieppe, calme et pai-sible.

Puis les soldats ang la i s sont venus boire aux t ave rnes du por t et y taqui-ner les belles filles, f a i san t sonner la monnaie de George I I I . . . Les emigrants y ont débouché un jour , re -montan t de la cale des s t e a m e r s : Ir-landais a f famés : Polonaises à mou-choirs rouges ; g raves paysans de la Transy lvanie , s e r r a n t t ou t leur bien dans un vieux coffre de bois; U k r a i -niens à pommettes sa i l lan tes et r e -g a r d s de rêve; Hongrois t ê t u s ; Asia-t iques émaciés. Quelques-uns se sont instal lés aux abords du f leuve; d 'au-t r e s ont g r impé , t a lus ap rè s ta lus , j u squ ' à louer m a i n t e n a n t dans les Mecque d 'Out remont ou de West-mount .

•Ville-Marie a g a r d é les t races de tous ces passages . Hue Not re -Dame, elle m'offre, non loin de la ga r e Vi-ger , une peti te Syrie représentée pa r îa ca thédra le à tendance byzantine de Saint-Nicholas et des boutiques for t achalandées . Plus à l'est, j ' a -perçois le Château de Ramezay , vi-v a n t tombeau de l 'histoire. Le on-zième gouverneur de Montréa l , Clau-de de Kamezay et, plus tard, , la com-pagnie des Indes Occidentales y logè-ren t . Benjamin F rank l in y t int con-seil au temps où il chercha i t à g a -g n e r le Canada à la cause de l ' indé-pendance américaine. Lord Metcalfe, dépêché pa r sa Majesté britannique, y sé journa avan t d'élire domicile à Monklands. Ce châ teau , soumis aux vicissitudes les plus diverses, abr i te ma in tenan t , comme il sied, des reli-ques du passé.

Le boulevard S a i n t - L a u r e n t se r a p -pelle de passages plus récents . Rue de brocanteurs , de salles de spectacles vulgai res et de devan tu res hébra ïques , il appa r t i en t su r tou t aux Ju i f s , et, ce-pendant , il loge le Monument Nat io-nal , é tabl issement pu remen t canadien • f rança is . On loue d 'a i l leurs cet te salle de temps à au t r e s pour des spec-tacles yiddish.

U n peu plus hau t , en plein ghet to , en t r e une boutique de v iande kosher, de sa lami , de gros gherkins, e t la ban-

Deux g randes voies : le fleuve a la i t .Montreal; le boulevard St-Laurcnt ordonne la céomét r i e de la ville. Ce dernier , méridien de Montréal . Ar-b i t ra i rement , il t rnnche la ville en deux sect ions, est et ouest, qui vont af f i rmer leur ca rac tè re par t icul ier à mesure qu'elles s 'é tendront en sens

opposés.

Le Chinatown et le fan tan rue de Lagauchet iè ro ouest .

Au marché Bon-secours le t abac canadien a ses clients.

Après les t ave r -nes du port , les boutiques de ta -touage .