les fondements de l'agilité organisationnelle
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Claude Emond
Les fondements
de l’agilité
Petit traité sur le pourquoi, le comment
et le quoi de l’agilité organisationnelle
Claude Emond et QualiScope 2015 GP 2C MCGP 2C MC
AgiLean
MCCC
Les fondements de L’agilité – août 2015 [email protected]
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Les fondements de l’agilité : Pourquoi,
Comment et Quoi !
Claude Emond
(Publié originalement en 3 parties sur www.scrumsaguenay.ca)
Introduction
En février 2015, lors d’une présentation sur l’agilité organisationnelle faite par Fréderic
Moreau et moi-même, la communauté Agile de Montréal lançait sa communauté de
pratique sur l’agilité organisationnelle.
Lors de la première rencontre de cette communauté de pratique, nous voulions nous
entendre sur une définition commune de ce qu’était l’agilité au sens large. C’est alors
qu’un des participants nous suggéra qu’avant de définir l’agilité, il faudrait peut-être
s’entendre sur le «pourquoi» de l’agilité. À quels besoins l’agilité, sous forme de
méthodologies ou autres, tentait-elle de répondre? Les prochaines réunions que nous
avons eues ont été consacrées à répondre à cette question.
Plusieurs d’entre nous nous sommes alors aperçus qu’en réalité, peu de personnes,
mêmes celles qui utilisent le Scrum et d’autres méthodes agiles depuis plusieurs années
et qui récitent religieusement les 4 postulats et 12 principes du Manifeste Agile, peuvent
répondre clairement à cette question.
Pourtant il existe une documentation
impressionnante dans de nombreux ouvrages et
sur l’internet à ce sujet. Je vais vous en faire un
résumé rapide, en répondant en séquence aux
3 questions du cercle d’or de Simon Sinek:
«Pourquoi» on doit être agile, «Comment» on
doit se comporter pour être agile et ça veut dire
«Quoi» être agile. Je le ferai en vous présentant
très brièvement 3 éléments mentionnés en
support à ces questions : l’environnement VICA,
le modèle Cynefin et la boucle OODA. Si vous
connaissez déjà ces éléments et leur relation à
l’agilité, pas besoin de poursuivre votre lecture.
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Si ces expressions ne vous disent rien, prenez le temps de lire les lignes qui suivent et
de consulter les liens proposés; ils vous permettront :
d’avoir une meilleure compréhension (pourquoi) de votre travail en mode agile
(VICA)
de comprendre sous quelles conditions (comment) et dans quel contexte cette
agilité est essentielle (Cynefin)
de comprendre ce qui fait (quoi) qu’une méthode, Scrum ou autre, est agile ou
pas (OODA)
Partie 1 - POURQUOI doit-on être agile?
On trouve la réponse à cette question en observant les caractéristiques de
l’environnement dans lequel nous vivons tous en ce début de 21e siècle. Cet
environnement, c’est celui du changement permanent, changement dont le rythme
s’accélère de plus en plus.
Pour qualifier cet environnement, l’armée américaine a inventé dans les années 90
(avant le Manifeste Agile) l’acronyme VUCA (ou VICA en français) :
V = Vulnerability V = Vulnérabilité
U = Uncertainty I = Incertitude
C = Complexity C = Complexité
A = Ambiguity A = Ambigüité
Notre environnement est volatile (V) à cause de sa nature changeante. Ce changement
est devenu non seulement une constante, il s’accélère. Les forces en jeu et les façons
de s’y adapter sont aussi en perpétuel changement. C’est une volatilité parfois extrême
et qui ne semble pas vouloir s’apaiser.
Nous ne sommes plus capables de
prédire avec certitude à moyen et long
termes, et même les prédictions à court
terme sont souvent incertaines (I). Les
surprises sont nombreuses et notre
compréhension des événements de
plus en plus floue. Il est souvent
impossible de planifier au-delà de
quelques jours sans avoir à refaire
cette planification en cours de route
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C’est que notre environnement est devenu aussi trop complexe (C) à cause de ces
changements qui se multiplient et dont les causes et effets ne sont plus linéaires. Les
forces en jeu et les parties prenantes sont multiples. On peut facilement perdre la
compréhension même de nos objectifs et de nos enjeux, dans le chaos et la confusion
de notre environnement organisationnel.
Tout est devenu ambigu (A). Les événements passés, présents et émergents sont
difficiles à comprendre en termes de causes et effets, et les conditions qui les entourent
tout aussi difficiles à cerner et souvent mal interprétées.
Références
Il y a beaucoup de documentation en ligne sur cet environnement en anglais, mais très
peu en français.
En anglais, l’entrée de Wikipedia est un bon point de départ pour s’initier à
l’environnement VUCA. Le court clip du Agility Board sur YouTube, «From Fragility to
Agility» (environ 13 minutes), est aussi excellent.
En français, l’article de Philippe Vallat, «Sommes-nous aptes à gérer un monde volatile,
incertain, complexe et ambigu (VICA)?», nous explique clairement les tenants et
aboutissants d’un tel environnement. Il en conclut que les méthodes traditionnelles
d’organisation et de gestion, qui sont basées en grande partie sur un haut niveau de
certitude, sur la standardisation et sur le mode «commandement et contrôle» ne peuvent
pas fonctionner. Et en réponse à un tel environnement, il nous propose, comme le font
plusieurs autres spécialistes du domaine, une approche basée sur la pensée
systémique et l’agilité.
Donc pourquoi doit-on être agile? Pour pouvoir fonctionner avec succès et prospérer de
façon durable, en harmonie avec cet environnement VICA dans lequel nous vivons
maintenant!
Partie 2 - COMMENT peut-on être agile?
J’ai expliqué précédemment que l’agilité répondait au besoin des organisations de
s’adapter à un environnement d’affaires caractérisé par sa volatilité, son incertitude, sa
complexité et son ambigüité (VICA). Dans un tel environnement, beaucoup de choses
se passent qui sont trop complexes pour qu’on puisse TOUTES les traiter avec des
approches prédictives basées sur un haut degré de certitude.
Cependant, selon le contexte dans lequel une organisation opère, il est fort possible que
certaines décisions puissent se prendre avec un haut niveau de certitude (par exemple
en ce qui a trait aux opérations récurrentes).
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D’autres situations ne nous permettent pas de nous attacher à des pratiques reconnues,
parce que nous sommes incapables de prédire exactement le résultat de nos actions
(surtout au niveau des activités causant ou étant causées par un changement unique :
projets d’innovation, de développement de nouveaux produits, de changements
organisationnels majeurs, en réponse à un événement externe imprévu, etc.).
Conséquemment, selon notre contexte d’affaires, le niveau d’agilité requis n’est pas le
même selon les situations. Fortes des situations encore sous leur contrôle, plusieurs
organisations vous diront qu’elles n’ont pas besoin d’être agiles et ne veulent pas
remettre en cause leurs pratiques. Mais est-ce vraiment le cas pour la majorité des
entreprises et en toutes circonstances?
Dans son livre Adaptive Project Framework: Managing Complexity in the Face of
Uncertainty, Robert Wysocki explique avoir observé qu’en ce début de 21e siècle, tout
domaine confondu, environ 70% des projets nécessitaient une gestion de projet
«adaptative» (tel qu’illustré dans la figure ci-bas).
Le paysage de la gestion de projet (R.Wysocki) – Traduction et Adaptation C.Emond
«Adaptative» est le mot qu’il utilise pour caractériser une approche «agile structurée»
comme le Scrum, en opposition à une gestion de projet «extrême» ou l’agilité n’est plus
structurée, mais plutôt improvisée et réinventée constamment, spontanée.
Les notions de connu-connu, connu-inconnu, inconnu-connu et inconnu-inconnu
auxquelles Wysocki réfère dans son modèle sont tirées tout droit du monde de la
gestion des risques.
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En 2003, pour comprendre mieux ces notions, et influencé en grande partie dans mes
réflexions par les travaux sur l’incertitude et la gestion de projet de Mayer. Loch et Pich
de l’INSEAD , j’avais écrit un article sur le sujet dans le Bulletin trimestriel du PMI
Montréal. Une version révisée de cet article (Institut de développement de produits,
2008) est disponible ici.
Le tableau suivant, extrait de ce document, présente certains éléments décrivant
«quand» et «comment être agile» selon le niveau d’incertitude d’une situation donnée.
Outils, approche et philosophie de gestion selon le niveau d’incertitude
Source : Claude Emond
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Actuellement le modèle le plus connu et référencé sur les sujets de l’incertitude, de la complexité et de comment agir selon la nature VICA d’une situation donnée est celui développé par David Snowden et ses confrères d’IBM au début des années 2000 : le Modèle «Cynefin», mot gallois signifiant «habitat». Il définit 4 «domaines» d’intervention, selon ce que l’on sait des relations «cause à effet» :
1. le SIMPLE ou ÉVIDENT
2. le COMPLIQUÉ
3. le COMPLEXE et
4. le CHAOTIQUE
Snowden explique qu’il y a un cinquième domaine,
le DÉSORDRE, situation où la causalité n’est pas
perceptible (CHAOS) mais aussi dans laquelle les
gens sont en déni et préfèrent s’en tenir à leur
zone de confort et à leurs recettes habituelles pour
prendre leurs décisions. Ils sont alors à la frontière
entre le domaine de l’ÉVIDENT et le domaine du
CHAOS, une situation catastrophique tenant de la
complaisance et menant au l’échec. C’est d’ailleurs ce phénomène de DÉSORDRE et
d’échec que l’on retrouve dans toutes les situations (projets ou opérations récurrentes)
dans lesquelles on applique de méthodes traditionnelles, meilleures pratiques ou
bonnes pratiques reconnues, alors qu’elles sont du domaine du COMPLEXE et/ou du
CHAOTIQUE.
Le modèle CYNEFIN propose des solutions pour chaque domaine et nous explique
«quand» et «comment» être agile. J’ai tenté d’illustrer dans la figure suivante, les
principales indications et suggestions qui nous sont présentées dans la littérature
courante sur les approches de gestion à adopter selon qu’on se retrouve dans une
situation simple, compliquée, complexe ou chaotique… ou une situation hybride qui
couvre plusieurs domaines à la fois, comme c’est souvent le cas dans des projets où le
connu et l’inconnu se côtoient.
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Caractéristiques et modes de gestion à adopter en fonction de chacun des domaines de Cynefin (d’après David Snowden et d’autres sources- Traduit, adapté et complété par Claude Emond)
Cette figure et le tableau précédent répondent, du moins en partie, à la question
«Comment être agile?». On doit aussi en conclure que l’agilité, sous toutes ses formes
méthodologiques et autres, n’est pas une panacée universelle. Elle est pertinente quand
la situation à traiter est complexe et/ou chaotique, en tout ou en partie. Comme le
spécifie Wysocki, on parle de 70 à 75% des situations ou parties de situations. Il n’y
aura pas exclusivement des situations «100% VICA», mais aussi des situations hybrides
dans lesquelles plusieurs types de pratiques (meilleures, bonnes, émergentes et de
rupture) devront «co-habiter».
Références
Voici quelques références supplémentaires pour alimenter votre propre réflexion sur
comment être agile.
En anglais, il y a l’article de Joseph Pelrine, On Understanding Software Agility—A
Social Complexity Point Of View, qui met en contexte la complexité et le modèle
CYNEFIN pour la gestion des projets de développement logiciel; plusieurs de ses
propos sont aussi pertinents à tous les types d’activités organisationnelles. L’article de
Mayer, Loch et Pich, Managing Project Uncertainty: From Variation to Chaos, donne
d’excellentes suggestions sur comment gérer les situations selon leur niveau
d’incertitude.
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En français, la traduction de Nicolas Lochet du Keynote d’ouverture de Dave Snowden
lors du ScrumDay 2015 en France, au cours duquel Snowden a donné beaucoup
d’information sur comment agir selon les domaines, en plus de commentaires
intéressants sur SAFe et d’autres sujets. Philippe Vallat a aussi écrit un article très
intéressant sur Le modèle CYNEFIN et l’intelligence émotionnelle, dans lequel il
présente aussi un tableau très exhaustif sur les approches de gestion à privilégier pour
chacun des quatre domaines du modèle de Snowden; ce tableau est un bon
complément au présent article a été aussi inclus dans le document de Vallat sur
l’environnement VICA donné en référence à la fin du premier article de la série
Partie 3 - C’est QUOI au juste être agile?
J’ai expliqué dans la partie 1 que l’agilité répondait au besoin des organisations de
s’adapter à un environnement d’affaires caractérisé par sa volatilité, son incertitude, sa
complexité et son ambigüité (VICA).
J’ai aussi expliqué dans la partie 2 qu’on n’avait pas besoin d’utiliser des approches
agiles dans tous les cas, seulement dans les situations complexes et chaotiques
soumises à des changements fréquents et à des relations cause à effet non linéaires
(complexité) et/ou non perceptibles (chaos), deux des situations couvertes par le modèle
Cynefin. J’ai alors proposé certaines approches et/ou techniques en support à la gestion
de ces situations (comment être agile).
Comme plusieurs, j’ai toujours eu de la difficulté à différencier le quoi du comment, en
particulier parce qu’ils sont souvent liés hiérarchiquement : par exemple, ce qui est du
comment pour un manager est du quoi pour l’employé qui fait les tâches demandées par
ce manager. Ce qui est du quoi ou du comment pour une personne dépend du contexte
et de sa position dans une organisation. Nous retrouvons cette même confusion entre le
quoi et le comment dans les 12 principes de l’agilité selon le Manifeste Agile et dans
bien d’autres listes du genre. Et je crois que c’est ce type de confusion entre le quoi et le
comment qui amène de nombreuses personnes à croire qu’on est agile (du quoi) parce
qu’on utilise des méthodologies associées à l’agilité comme le scrum (du comment).
J’ai donc décidé de m'en référer aux niveaux logiques définis par Robert Dilts (tableau
ci-bas), qui, pour moi, ramènent le positionnement du quoi, du comment et des autres
éléments d’un cadre logique dans un contexte universel, non influencé par la position
d’une personne dans une chaine hiérarchique de prise de décision et d’action.
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Source : Nicole Mehling, adapté par Claude Emond
On voit dans ce tableau que le «quoi» est relié aux comportements, à notre façon
d’approcher une situation et d’y réagir. Au niveau de l’entreprise, ceci se traduit par les
processus haut niveau qu’on met en place pour traiter une situation donnée. Comme le
dit si souvent Charles Pellerin, «le contexte dicte le comportement». Notre
comportement est aussi influencé par nos valeurs, nos croyances et nos attitudes (notre
culture et celle de notre entreprise, si on s’y reconnait et qu’on y adhère).
Subséquemment, à la question «C’est quoi être agile pour une organisation ou une
équipe?», on pourrait répondre que :
«C’est vivre selon un ensemble de valeurs partagées et adopter des
comportements collectifs qui nous permettent d’avoir un bon niveau de confort
(une bonne tolérance) en situation complexe et/ou chaotique, d’utiliser la bonne
approche pour y faire face et d’y évoluer avec succès.»
Pour ce faire, on doit au préalable s’entendre sur :
ces valeurs partagées (notre culture commune),
la notion de succès,
des façons de faire communes (processus) en situation complexe/chaotique, et
un ensemble de comportements collectifs, en harmonie avec nos valeurs,
facilitant la mise en œuvre de ces processus.
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Nous allons examiner maintenant chacun de ces quatre «quoi».
3.1 Les valeurs communes à l’agilité
Dans un article que j'ai publié récemment sur DANTOTSUPM.COM, j’ai proposé 4
valeurs génériques très souvent associées à un mindset agile parce qu’elles
favorisent une culture qui est, entre autres :
1. centrée sur l’humain, la confiance et le respect mutuels,
2. collaborative, par opposition à directive et contrôlante,
3. qui aime, accueille activement et s’adapte facilement au changement,
4. dont la raison d’être est la production de valeur optimale pour l’ensemble de
ses parties prenantes (fournisseurs, partenaires, employés, clients,
actionnaires, la communauté, la société, l’humanité).
Les trois premières caractéristiques sont alignées avec les éléments No. 1, 3 et 4
du Manifeste Agile. Les quatre caractéristiques sont aussi en ligne avec les 6 points
de la Déclaration d’Interdépendance de l’ALN (Agile Leadership Network). Elles
devraient se retrouver au centre de tout état d’esprit (mindset) et de toute culture
organisationnelle affirmant être agile.
3.2 La notion de succès
La 4e caractéristique d’une culture agile mentionnée plus haut définit aussi de façon
générique la notion de succès. Peu importe l’activité récurrente ou le projet à
entreprendre, son but ultime est d’augmenter la valeur et les bénéfices pour les
parties prenantes… et ceci inclut ceux qui exécutent le travail autant
individuellement qu’en équipe. Cette notion de succès fait même plus :
elle donne un sens très positif au travail de tous,
elle nous aligne tous vers un but plus grand que nous même (en anglais, ce
qu’on appelle «the higher purpose»), et
elle a un impact sur toutes les attitudes, les comportements et les actions
des personnes partageant cette culture.
3.3 Les façons de faire face à la complexité et au chaos
David Snowden nous propose des processus haut niveau à utiliser selon chacun
des 4 domaines identifiés dans le modèle Cynefin; Ceux-ci sont indiqués dans
l’illustration suivante.
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Processus haut-niveau à privilégier en fonction de chacun des domaines du modèle Cynefin (d’après David Snowden et d’autres sources- Traduit, adapté et complété par Claude
Emond)
Le Cycle PDCA
On voit tout de suite que le côté droit (les domaines du simple et du compliqué)
présente des façons de faire permettant de catégoriser et d’analyser. Ceci n’est
possible que parce qu’on comprend bien les relations cause à effet et qu’on peut en
déduire une logique d’intervention très cartésienne. C’est le monde de la certitude
(connu-connu) et de la quasi-certitude (inconnu-connu/connaissable). Le processus
haut-niveau le plus publicisé, sinon le plus utilisé, pour évoluer dans ce monde est
la Roue de Deming, aussi appelée Cycle PDCA ou Cycle de Shewhart :
P - Planifier
D - Développer
C – Contrôler
A – Agir/Ajuster
Dans les situations les plus simples, il est utilisé en
«toute certitude» pour les projets d’amélioration
continue dans les opérations courantes, où le but visé
est de maintenir les opérations en place tout en les
rendant plus efficientes par l’élimination de la non-
valeur (approche LEAN) et un meilleur contrôle des
variations (SixSigma).
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Dans les situations plus compliquées, le Cycle PDCA est aussi utilisé à même les
processus de management des risques classiques/traditionnelles : «Identifier,
Catégoriser, Analyser, Répondre et Suivre». Ces étapes de gestion de risques sont
en harmonie avec la Roue de Deming, modifiée pour tenir compte des probabilités
et accommoder l’incertitude quantifiable.
La Boucle OODA
Du côté gauche du modèle Cynefin, l’imprévisible remet en cause notre capacité à
prédire et planifier à moyen et long termes. En situation de complexité, parce que
les relations causes à effets sont non-linéaires, il devient impensable de planifier sur
de longues périodes, alors le «P» de la Roue de Deming perd tout son sens et
surtout toute utilité pour ce qui est d’une planification à long terme, et même, dans
certains cas, pour des périodes dépassant à peine une à deux semaines.
Cet état de fait est d’ailleurs reflété dans les pratiques courantes du développement
logiciel en mode agile. Un des sondages de Scott Ambler sur les pratiques agiles
indiquait que près de 70% des répondants considéraient que les diagrammes de
Gantt détaillés n’avaient pas ou peu de valeur pour les aider à gérer leurs projets.
Pour une situation complexe, on parle plutôt de «prospecter et de collectivement
prendre conscience» de la situation actuelle et d’utiliser ce qui est l’équivalent d’un
ressenti («feeling») pour déterminer la réponse adéquate. S’il y a planification, ce
n’est que pour le très court terme (par exemple un sprint dans la méthodologie
Scrum); on s’attend de toute façon à réajuster cette planification en fonction de la
situation émergente et de ce qu’on peut en déduire comme évolution possible.
En situation de chaos, il n’est plus question du tout de planification, même à court
terme. Même la prospection ne nous donne pas grand-chose parce qu’on est
incapable de déduire dans quel direction vont aller les choses. On passe donc
immédiatement à l’action (agir) pour ensuite observer la réaction et le ressenti face
à cette action (prendre conscience) et se réorienter en conséquence (répondre).
Seth Godin, dans son livre «Survival Is Not Enough», publié en 2002, donne comme
exemple de cette façon de faire Wal-Mart, qui, selon lui, est devenue une
organisation milliardaire en approchant ses multiples marchés par un processus
cyclique en 4 étapes :
1. Expérimenter/Tester en temps réel (Agir) : on place les nouveaux produits
en évidence et on joue avec les prix;
2. Mesurer et interpréter (Prendre conscience) : on mesure l’état des ventes
de ces produits et on en tire des conclusions rapides;
3. Décider (Répondre) : on retire les produits qui ne performent pas à notre
goût, on garde ceux qui fonctionnent bien;
4. Maximiser et Re-expérimenter (Agir) : on positionne des produits gagnants
ensemble pour obtenir un effet de levier et on recommence le même
manège en mettant d’autres nouveaux produits en évidence.
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Ce processus d’affaire adapté aux situations de chaos, est comparable à celui
proposé par David Snowden.
Pour représenter de façon générale les façons de faire adaptées aux situations
complexes et/ou chaotiques, une majorité d’auteurs et praticiens associés à l’agilité
proposent de remplacer les approches basées sur le «Cycle PDCA» par la «Boucle
OODA» :
O – Observer (prospecter)
O – s’Orienter (prendre conscience)
D – Décider (répondre)
A – Agir/Adapter (agir)
Cette boucle, qui peut être représentée par le logigramme suivant, est l’œuvre du
Colonel John Boyd, pilote lors de la guerre de Corée et un des concepteurs du F-
16.
Détail de la Boucle OODA. Traduction de Nicolas Moinet,, bonifiée par Claude Emond)
Ce processus, à la base de la pensée stratégique militaire moderne, permet de faire
face à des situations très complexes dont l’évolution est incertaine, d’expérimenter
une solution possible et de voir l’effet sur «l’ennemi».
L’idée est de reproduire cette boucle pour tenir compte de façon quasi-instantanée
de l’évolution d’une situation suite à des changements dans notre environnement
global et à nos propres actions sur cet environnement. La répétition de cette boucle
permet à l’organisation de rester alignée et d’interagir en toute harmonie avec notre
environnement en perpétuel changement.
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En situation de conflit armé ou de compétition commerciale, nous pouvons et
devons accélérer la répétition de cette boucle. Ceci nous permettra de saisir les
opportunités améliorant notre situation plus vite que nos adversaires, tout en
augmentant la confusion chez ceux-ci, en changeant nos actions sans cesse et plus
vite qu’eux.
Chaque élément de l’acronyme OODA mérite d’être décrit un peu plus. La
description suivante est extraite et adaptée de Wikipedia. Les parties en italique
sont mes ajouts :
Observer. Sous ce terme sont réunies des circonstances en développement
de l'action en cours, des informations extérieures et les influences du terrain
sur l'action. On «prospecte», on s’informe de toutes les façons possibles sur
la situation actuelle et ce qui y est en émergence (tendances observables).
s'Orienter. Tout l'héritage de celui ou ceux qui décident joue à fond ici. On
fait appel à l’intelligence collective pour pouvoir prendre conscience
ensemble de ce que chacun perçoit, ressent et comprend. Cet héritage
comprend les analyses, les informations antérieures ainsi que les
expériences déjà vécues par chacun. Cela fait beaucoup d'éléments qui
interagissent tous les uns sur les autres. Si plusieurs personnes doivent co-
construire une solution et contribuer à une décision, elles n'auront pas au
point de départ les mêmes bases, les mêmes perceptions de la situation
actuelle, de ses relations cause et effet, de son évolution. Pour pouvoir agir
de façon collaborative et permettre l’auto-organisation décentralisée
nécessaire à des actions localisées rapides, pertinentes et adaptables, les
orientions doivent émerger d’une vision et d’un accord commun.
Décider. Cette décision est considérée comme une hypothèse. Ce n'est pas
un rapport absolu et direct avec la réalité et un calcul déterministe de
l'évolution de l'action avant de l'entreprendre. C'est une hypothèse. Cette
hypothèse est que l’action choisie est meilleure que les autres possibilités.
C’est l’approche itérative par «prototypage» si chère au Scrum et autres
méthodologies dites agiles. Cette décision est complètement réalisable sur
le court terme (un «timebox»). Il est clairement admis ici que ce n'est qu'une
hypothèse, un prototype, et qu'elle va être testée.
Agir. C'est-à-dire, tester l'hypothèse faite précédemment. Mise en route, la
décision va s'écarter immanquablement de son modèle. C'est le test de la
réalité. On va devoir rajuster le tir, s’adapter à la nouvelle situation en
fonction des résultats obtenus suite à notre décision et aux tests sur la
solution (le prototype). Ce qui va se passer va ramener celui qui décide,
ainsi que ses collaborateurs, co-constructeurs, co-créateurs, à la lettre O,
pour observer à nouveau. C’est une nouvelle itération, un nouveau «sprint»
qui est sur le point d’émerger pour produire de la nouvelle valeur
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Il va sans dire que suite à l’observation et à l’orientation, une décision rapide, sans
hésitation, et l’action concrète en résultant sont obligatoires. Sinon, nous allons
rester prisonniers d’une séquence «OO-OO-OO…» et notre situation va se
détériorer très rapidement.
Osciller ente le cycle PDCA et la Boucle OODA
La Boucle OODA est probablement un concept nouveau pour beaucoup d’entre
vous. Pour ma part, il n’y a qu’un an environ que j’ai découvert son existence et
l’étendue de son utilisation au monde des affaires, en réponse à un monde
complexe et chaotique. Auparavant, j’avais dû adapter la signification du «Cycle
PDCA» à mes interventions en mode agile pour souligner l’importance de faire plus
que s’«ajuster» face à la complexité et au Chaos, un PDCA qui ne peut plus dire la
même chose si on veut réussir face à la complexité et au chaos, comme l’illustre
l’image suivante.
Source : Claude Emond
Cependant, une telle transformation de l’acronyme PDCA n’est pas
souhaitable. Elle ne fera que créer de la confusion. Pourquoi?
Comme expliqué dans les autres parties de cette série d’article, les 5
domaines du modèle Cynefin (j’inclus ici : le simple-évident, le compliqué, le
complexe, le chaotique et le DÉSORDONNÉ) coexistent dans notre
environnement d’affaires.
De plus, la majorité des organisations font face aujourd’hui à des
changements externes qui leur font vivre des crises cycliques et les forcent à
se réorganiser pour survivre, rebondir, atteindre un nouvel équilibre et
retrouver un peu de stabilité dans leurs opérations courantes. C’est le
phénomène appelé en pensée systémique «Panarchie» et décrit par le
«Cycle Adaptatif de Holling»
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L’image suivante décrit ce cycle :
Le Cycle Adaptatif de Holling et ses liens avec le cycle PDCA et la boucle OODA. Inspiré
d’un article de Patrick Steyaert, traduit, bonifié et complété par Claude Emond
Le cycle PDCA est adapté au maintien et à l’amélioration du «business as usual»
(le simple et le compliqué), alors que la boucle OODA répond au besoin d’être agile,
de se réorganiser et de se transformer face au changement (le complexe et le
chaotique).L’un ne peut remplacer l’autre; ils doivent coexister.
Comme le changement est de plus en plus rapide, le Cycle Adaptatif doit aussi
s’accélérer, et l’agilité des entreprises augmenter sans cesse. Cette agilité ne peut
plus être possible par la seule utilisation de méthodes et outils dits agiles; elle doit
se matérialiser globalement à travers la culture et les comportements agiles de
l’ensemble d’une organisation, si celle-ci aspire à survivre et prospérer dans un
environnement de plus en plus complexe et chaotique.
3.4 Les comportements collectifs essentiels à l’agilité
Même si les deux processus, PDCA et OODA, doivent coexister, ceci n’est pas
possible sans l’adoption de comportements collectifs permettant d’œuvrer dans les
quatre domaines du modèle Cynefin EN MÊME TEMPS. Ce serait comme dire que
pour les opérations on se comporte de façon «silotée» et compétitive, alors que
pour nos initiatives de changement (projets et autres), on va adopter des
comportements collaboratifs.
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On ne peut pas avoir deux cultures d’entreprise qui s’opposent. Face aux 4 réalités
co-existantes du modèle Cynefin, ce ne sont pas nos valeurs et nos comportements
qui doivent changer et s’adapter selon une situation donnée, ce sont nos structures,
nos méthodologies et nos outils.
On doit avoir un état d’esprit agile partout dans l’organisation et moduler nos
processus, structures, méthodologies et outils selon la situation à gérer (simple,
compliquée, complexe et/ou chaotique).
Je termine donc en vous proposant un liste de comportements collectifs,
certainement incomplète, qui sont alignés et que je crois nécessaire à une agilité
optimale, peu importe le degré d’incertitude (VUCA) de votre environnement :
tous travaillent à matérialiser une vision et une mission claires, partagées
par l’ensemble des employés et partenaires;
tous valorisent et tiennent compte des intérêts de chacun et en favorisent
l’alignement;
tous sont engagés à la réussite autant collective qu’individuelle;
tous valorisent et facilitent le réseautage entre les silos spécialisés et le
travail transversal;
tous valorisent et favorisent la décentralisation dans la prise de décision et
l’autonomie d’action des individus et des équipes;
tous acceptent la responsabilisation individuelle et l’imputabilité collective;
tous valorisent et facilitent la collaboration et l’entraide entre les employés,
partenaires et autres parties prenantes alliées, plutôt que la compétition;
tous agissent en toute transparence, communiquent et partagent
informations et connaissances en continu;
tous agissent avec proactivité, créativité et réactivité autant individuellement
que collectivement.
Illustration de Michel Operto
Les fondements de L’agilité – août 2015 [email protected]
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Conclusion
Il existe de nombreux articles et autres documents sur le cycle PDCA, la boucle OODA
et leurs interactions, ainsi que sur les liens entre les concepts de VICA, Cynefin, PDCA,
OODA et l’agilité. Ces documents se contredisent souvent et peuvent présenter des
points de vue et des conclusions complètement opposées.
Ce que j’ai présenté ici et dans les deux parties précédentes de cette série d’articles est
le fruit de mon propre travail de réflexion et de synthèse pour donner un sens à l’agilité,
comprendre sa raison d’être, en définir les conditions de succès et vivre de façon plus
cohérente en mode agile. Les références que je vous propose ici n’ont pas pour but de
confirmer tout ce que j’ai écrit, mais plutôt de vous permettre de vous faire votre propre
idée de l’agilité en fonction de votre vécu et de votre contexte personnels. Après tout,
être agile n’est-ce pas respecter aussi et prendre en compte le vécu et le contexte
de l’autre?
Pour en savoir plus
Voici des documents anglais (articles, discussions et commentaires divers sur internet)
qui discutent de la boucle OODA ainsi que d’autres, plus génériques, qui, je crois, vous
aideront à développer votre propre vision sur le sujet de l’agilité et à l’adapter à votre
contexte :
Joseph Pelrine - On Understanding Software Agility: A Social Complexity Point
Of View
H. William Dettmer - Systems Thinking and the Cynefin Framework: A Strategic
Approach to Managing Complex Systems
Patrick Steyaert - Cynefin, Panarchy, PDCA, OODA and value creation curves
MILITARY KNOWLEDGE MANAGEMENT: SENSE MAKING, DECISION
MAKING AND KNOWLEDGE CREATION
Tom Graves - More on meta-methodology ('Beyond-Cynefin' series)
Tom Graves - On SCAN, PDCA, OODA and the acronym-soup
Chet Richards - PDCA vs. OODA — Why not take both?
David Snowden – The OODA Loop & Cynefin
Nick Horney - Initiating Action: Applying the OODA Loop to Accelerate Your
Decision Making
Michael LaChance - OODA as a Business Operations Management Framework
Lean Forums – OODA Loop vs LEAN
Jurgen Appelo - PDCA vs. PDSA vs. OODA vs. BML vs. PSR vs. YMCA
Les fondements de L’agilité – août 2015 [email protected]
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La dernière référence est un petit rappel ironique de notre «Monsieur Management 3.0»,
Jurgen Appelo, qu’en fait aucun de ces modèles de processus n’est parfait. Bien qu’ils
aient une valeur pour nous inspirer, aucun n’est une panacée universelle et aucun ne
peut remplacer la réflexion préalable avant d’agir dans un contexte donné.
J’ai trouvé peu de documents en français sur l’internet qui couvraient en tout ou en
partie les concepts de VICA, Cynefin, OODA, leurs interactions, l’agilité et la pensée
systémique. En voici quelques-uns :
Nicolas Lochet – traduction du Keynote d’ouverture de Dave Snowden lors du
ScrumDay 2015 en France
Philippe Vallat - Le modèle CYNEFIN et l’intelligence émotionnelle
Philippe Vallat - Sommes-nous aptes à gérer un monde volatile, incertain,
complexe et ambigu (VICA)?
Antoine Prunetti-Parlant - Les modèles ADPP, OODA, PDCA
Nicolas Moinet – Perception, Intuition : Intelligence .Économique 2,0
Claude Emond : - Migrer vers l’agilité, c’est migrer vers une nouvelle culture
«plus performante»
Je vous souhaite de bonnes découvertes et de bonnes réflexions !
Claude Emond et QualiScope 2015