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Les fruits sauvages du huitième jour ALAIN ULYSSE TREMBLAY Extrait de la publication

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Les fruits sauvages du huitième jour

9 782895 405818

24,95 $ – 17 € ISBN 978-2-89540-581-8

aLain uLysse trembLay

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Les fruits sauvagesdu huitième jour

Quand Gabrielle Rivard naît, à Baie-des-rochers, la région de Charlevoix vit encore au

rythme des goélettes, l’été, et des chantiers de coupes de bois, l’hiver. Lorsqu’elle a vingt ans, la Première Guerre mondiale vient à peine de se terminer. Ceux qui y sont allés reviennent amochés, tandis que ceux qui se sont cachés

sortent du bois. Les hommes et les femmes travaillent dur et les rencontres sont rares.

L’Église a la mainmise sur tout.

Gabrielle vit tout cela. Avec Aubert, son mari, et Olivier, son fils adoptif qui grandit trop vite,

la vie passe, sous les quolibets du chœur des commères qui jugent, jugent et jugent.

Dans Les fruits sauvages du huitième jour, Alain Ulysse Tremblay brosse un portrait familial

saisissant en portant un regard à la fois tendre et lucide sur ce siècle rempli de défis, de

craintes et de promesses de vie meilleure.

Les fruits sauvages du huitième jour, un roman historique émouvant, touchant, écrit dans une langue simple, celle d’une femme du xxe siècle,

celle d’une amoureuse de la vie.

alain ulysse tremblay est né en 1954, à Saint-Siméon, dans Charlevoix. En plus d’écrire, de

peindre et d’avoir été journaliste, il a aussi été graphiste, travailleur de rue, marin, bûcheron et musicien. Il est aujourd’hui chargé de cours

au département de communication de l’UQAM.

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Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication, et la SODEC pour son appui financier en vertu du Programme d’aide

aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour

nos activités d’édition.

Gouvernement du Québec – Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC

Conception graphique et couverture : Bruno ParadisMise en page : Ghislaine Guérard

Photo de la couverture : shutterstock.comRévision linguistique : Annabelle MoreauCorrection d’épreuve : Violaine Ducharme

© Alain Ulysse Tremblay et Les 400 coups, 2012

Dépôt légal – 1er trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada

ISBN 978-2-89540-599-3

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande

magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.

Tous droits réservés

Imprimé au Canada

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Tremblay, Alain Ulysse, 1954 -

Les fruits sauvages du huitième jour

ISBN 978-2-89540-581-8

1. Titre.

PS8589.R393F78 2012 C843’.6 C2012-940144-7 PS9589.R393F78 2012

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Première partie : Aurores

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Une histoire d’exilés

Je suis née en 1898, la nuit du cinq mars, dans la maison construite par mon père à Baie-des-Rochers, Charlevoix. Madame Coudé, la graffigneuse, s’était endormie dans la ber-çante près du lit de maman. Ma jumelle a été étranglée par le cordon ombilical.

Nous étions isolés. Nos pères et mères étaient arrivés par bateau dans cette baie à première vue inhospitalière quelque cinquante ans plus tôt. Une douzaine de familles seulement, avec des biens de for-tune. Nous étions moins de cent. Il fallait s’arranger, sans médecin. La graffigneuse se chargeait d’assister aux accouchements. Madame Coudé était âgée, elle avait de l’expérience.

On m’a baptisée le jour même, parrainée par l’oncle Joe et la tante Emma. Lors de sa tournée suivante, le curé de Saint-Siméon, à une dizaine de milles en amont de la baie, a inscrit mon nom dans ses registres et les a emportés avec lui, puisqu’il n’y avait pas encore d’église au village. Notre clocher s’est érigé juste à temps pour ma première communion, six ans plus tard.

On m’a donné le nom de Marie Gabrielle Emma Rivard, fille de Mathilde André et de Victorien Rivard, descendant de deuxième génération de François Rivard, fils rebelle du baron de Laberge.

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Notre ancêtre avait fui la Révolution française à bord d’un trois-mâts, vers la fin du XVIIIe siècle. Et pour brouiller les pistes, il avait pris le nom de Rivard.

Tout au long de notre enfance, maman s’est chargée de nous enseigner notre histoire, à nous, ses sept enfants. Nous avions le sentiment d’être si peu nombreux sur ces terres nouvelles que le souvenir de nos origines semblait important.

— Ton ancêtre a laissé derrière lui une fortune en fuyant la France, racontait-elle en touillant son ragoût. Sa famille était très riche. Elle avait des manoirs, des vignobles et des serfs. Mais dans ce temps-là, ce n’était pas bien vu d’être riche.

— Pourquoi ?— C’était la révolution, répondait-elle avec un haussement

d’épaules. Les pauvres voulaient être riches à leur tour, enfin, j’ima-gine… C’est à l’Île aux Coudres que François est arrivé. Ici, une nou-velle vie devenait possible. Une nouvelle vie dans un nouveau monde. Parce qu’il y avait peu de gens pour coloniser. Tous les volontaires étaient bienvenus.

Après quelques errances entre Québec et les seigneuries de Charlevoix, François Rivard s’est enfin installé à Pointe-au-Pic. Il a ramené de la ville une épouse.

François a travaillé toute sa vie à la seigneurie Cabot de Cap-à-l’Aigle, la plus importante du comté. Il faisait l’élevage des moutons. Et sa femme lui a donné, année après année, des rejetons qui ont grandi et se sont dispersés, les uns vers les villes et les autres dans les environs, comme mon père à Baie-des-Rochers. Les plus audacieux sont montés dans les terres pour défricher le Saguenay et tâter les sols de pierres et de misère de l’Abitibi.

En France, le vieux baron de Laberge avait perdu tout espoir de revoir son fils. Par testament, il lui léguait tout de même la moitié de sa fortune, si jamais il redonnait signe de vie. Et le reste devait être partagé entre quelques nièces chères à son cœur.

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Mon grand-père, Rodolphe Rivard, avait alors entrepris des recherches pour savoir ce qu’il restait de cette fortune. L’Évêque de Québec l’a soutenu dans ses démarches auprès des autorités concernées, moyennant un certain pourcentage sur l’argent récu-péré, le cas échéant. Mais l’héritage du baron de Laberge était désormais perdu. François de Laberge dit Rivard était considéré comme mort. Les millions revenaient en conséquence au Trésor de l’État.

— Ton père a choisi de se fixer à Baie-des-Rochers pour élever sa famille, racontait maman en sortant du four deux miches de pain. Et moi, je lui ai donné le plus d’enfants possible...

Elle avait prononcé cette phrase en suspendant son geste, comme si c’était le temps lui-même qu’elle voulait arrêter. Après moi, Arnold est arrivé en août 1903. Normand, en juin, deux ans plus tard. Maman avait donné naissance à Arthur, Pierre et Gonzague, ses trois aînés, à Marie et moi, ses deux filles adorées. Et puis elle a cessé d’enfanter. Son cycle était terminé. Elle était déçue, me semblait-il. Partout autour d’elle s’érigeaient comme une forêt des familles de quinze, vingt et de vingt-cinq enfants. Alors que la sienne n’en comptait que sept.

— C’est fini, a-t-elle un jour lâché dans un long soupir. J’ai fini de peupler ce monde.

Pendant quelques années, quand venait l’automne, je voyais maman connaître des périodes d’absence. Elle s’arrêtait subite-ment de frotter ou de battre les couvertures pour s’abîmer dans ses pensées, l’air grave, le doute au front. Et si je l’interrogeais, elle répondait avec un sourire triste :

— Oh ! rien, rien. Encore un coup du Diable, comme d’habitude…Au début du XXe siècle, le comté de Charlevoix relevait du diocèse

de Chicoutimi. La colonie de Baie-des-Rochers se développait rapi-dement. L’archevêché a décidé un jour que notre population, surtout depuis l’ouverture de la route entre Saint-Siméon et l’embouchure du

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Saguenay, ne pouvait plus se passer de curé. Baie-des-Rochers avait de toute façon déjà son église et un presbytère. Ainsi nous est venu le curé Labrèche, frère de l’Évêque de Chicoutimi. Il emmenait avec lui son bedeau. Un dur coup pour mon père. Depuis la construction de l’église, c’était lui le sacristain naturel de la colonie, et jamais il n’avait failli à la tâche. Cela lui rapportait quelques sous par mois qu’il donnait à maman pour qu’elle achète le nécessaire, farine, sucre, suif, au magasin général.

Il a dû se rendre à l’évidence que son art, la cordonnerie, ne rap-portait pas assez. Et le dur labeur de la terre ne suffisait pas à lui seul à combler les besoins essentiels. Il s’est alors mis en quête d’un nouveau travail.

Baie-des-Rochers n’employait qu’une maîtresse de poste et deux d’école. Papa a mis son chapeau et s’est rendu jusqu’à Sainte-Anne-de-Chicoutimi, au Saguenay, où on avait besoin d’un sacristain selon le curé de Saint-Siméon. L’emploi n’était guère rémunéré. Mais c’était mieux que rien.

À son retour, papa a réfléchi quelques jours, assis dans la ber-çante au bout de la galerie. Valait-il la peine de déménager sa famille aussi loin ? Et quel genre de risques entraînerait l’entreprise ? Mais puisque l’argent était nécessaire à la vie, et les emplois si rares...

Un matin, après le déjeuner, il nous a réunis dans la cuisine.— Mes enfants, a-t-il dit avec émotion, nous allons faire nos

bagages et partir.Le magasin général a pris le surplus de grain et de légumes que

nous ne pouvions emporter. L’oncle Théodore s’est occupé du bétail et a promis de trouver un acheteur pour la maison, un bon chré-tien, bien entendu. Deux jours ont suffi pour emballer nos biens. Papa travaillait en silence et avec tristesse, alors qu’il fermait avec des planches les fenêtres et les portes de sa demeure. On le sentait résigné. Partir lui pesait, sans doute plus qu’à nous tous, puisque cette maison était l’œuvre de ses mains.

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Nous avons chargé le ménage à bord d’un camion loué au maga-sin général de Saint-Siméon. Et papa nous a réunis une dernière fois sur la galerie. Nous nous sommes agenouillés et avons reçu sa bénédiction.

— N’oubliez jamais ces lieux où vous êtes nés, nous a-t-il recom-mandé, car il est peu probable qu’on revienne vivre ici un jour.

Avant de monter dans la cabine du camion, j’ai jeté un coup d’œil méfiant à cet horizon nordique hachuré de montagnes que nous allions tantôt franchir, en route vers le Saguenay, un pays étranger pour moi, tournant le dos au Saint-Laurent et à son immense res-piration que j’avais déjà fait mienne.

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Le séminariste

À Sainte-Anne-de-Chicoutimi, je fréquentais une école mixte. J’étais contente. Plutôt belle fille, blonde, petite et svelte, avec des fossettes aux joues, celles de maman.

J’étais la seule étrangère. Les autres se connaissaient depuis l’enfance. À la fin du premier trimestre, j’ai raflé tous les prix.

— Elle aurait mieux fait de rester chez elle au lieu de venir ici faire sa fraîche, grondait dans mon dos la rumeur.

Je comprenais, oui. Mais je n’allais quand même pas me classer médiocre pour leur faire plaisir. J’étais fière de mes résultats, et bien mesquines celles qui me le reprocheraient. J’avais l’ambition de marcher sur les pas de Marie, ma sœur aînée, et de devenir moi aussi maîtresse d’école.

La religieuse qui nous enseignait, sœur Carmen, avait un fort penchant pour les garçons. Elle était dans la jeune trentaine. Elle affectait des manières plutôt déplacées pour une religieuse, mais je ne pouvais m’y opposer. Je ne voulais surtout pas me faire renvoyer. Ma seule arme était mon intelligence – à moi de me surpasser.

Mais c’était difficile de contenir certaines frustrations. Par exemple, notre classe comptait un paresseux typique, grand flanc

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mou propre à rien au sourire radieux. Il passait son temps à roucou-ler au bureau de sœur Carmen.

— Comme vous êtes belle ce matin, ma sœur, lui disait-il en lui apportant des fleurs chipées à la va-vite dans le champ du voisin. Vous sentez le printemps.

Et il lui embrassait les mains. Sœur Carmen se pâmait. Elle le repoussait, mais sans grande conviction. Il lui arrivait souvent de rougir, et je baissais alors les yeux de honte, mal à l’aise. Aux exa-mens trimestriels, il n’était pas rare de le voir lui soutirer une ou deux réponses.

Toute l’année, j’ai été la première parce que je le voulais. Je savais que je pouvais y arriver. Mais sœur Carmen a commencé à me prendre en grippe quand je suis devenue soliste à ses côtés dans la chorale de l’église. Je chantais mieux qu’elle.

Nous étions en 1913 et la vie s’écoulait, somme toute, paisible-ment, malgré notre exil de Baie-des-Rochers, mon berceau. Il y avait bien des rumeurs de discorde qui nous parvenaient du Vieux Conti-nent par le biais des journaux, mais l’Europe était si loin de notre quotidien… Moi, j’étais plutôt à l’âge où l’on se préoccupe plus de l’amour que de la guerre.

Ozias Perron étudiait au séminaire de Chicoutimi. Il venait de Saint-Fidèle. Je le connaissais pour l’avoir déjà vu à Baie-des-Rochers où il avait de la famille. Il me plaisait. J’avais seize ans, un âge curieux pour les jeunes filles.

Les temps étaient durs pour les amoureux. Les religieux nous inter-disaient toute fréquentation, ne serait-ce que par correspondance. Mais il y avait quand même moyen de tricher. Nous avions établi un bureau de poste secret en dessous de la chaudière à eau, dans la salle publique de la ville. Nous y échangions des mots d’amour. Ceux d’Ozias m’enivraient. J’attendais toujours avec impatience le moment où une nouvelle missive viendrait me remuer le cœur. Notre manège durait depuis quelque temps déjà, lorsque nous avons connu une malchance.

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Un jour, nous nous sommes croisés, alors qu’il venait prendre son courrier. Il était de cinq ans mon aîné. Un garçon cultivé, avec de belles manières et un sourire charmant. Nous avons marché une dizaine de minutes. Dix minutes pendant lesquelles je suis restée suspendue à ses lèvres. Il avait tant à dire et y prenait un plaisir si évident…

À la fin de chaque mois, sœur Carmen écrivait au tableau tous les noms de ceux qui avaient mérité des points de bonne conduite. D’habitude, mon nom figurait en tête de liste. J’étais une personne serviable, polie et dévouée aux tâches qui m’étaient dévolues.

Les religieuses étaient très à cheval sur la morale et les bonnes manières, surtout pour les filles. Les garçons étant par nature plus difficiles à contenir, on fermait les yeux sur bien des frasques qui nous auraient valu l’enfer, à nous.

Le curé se chargeait de dresser le bilan et d’attribuer les points. Son verdict était irrévocable. Je n’étais pas sur la liste de ce mois-ci. Après les cours, je me suis renseignée auprès de sœur Carmen.

— Vous êtes une belle fille, mademoiselle Rivard, a-t-elle répliqué d’un ton pincé. Monsieur le curé vous aura vue au bras d’un quel-conque amoureux, sans doute.

Je fulminais. Il ne me restait qu’un an avant d’entrer à l’École Normale. Je me devais de faire attention à mes paroles, même si l’envie me brûlait la bouche de...

De telles insinuations, même fondées, m’auraient valu le renvoi, et ce n’était pas une perspective. J’ai donc ravalé mon orgueil. Je suis rentrée chez moi en pestant.

J’ai reçu une dernière lettre d’Ozias. Il m’y expliquait que nos rap-ports devaient cesser. Une question de principe, puisqu’il se desti-nait à la prêtrise. Sans doute avait-il reçu lui aussi de sérieux blâmes de la part de ses supérieurs. Notre correspondance s’est arrêtée.

Mais quelques années plus tard, nous avons habité le même vil-lage. Lui, jeune vicaire. Moi, jeune épouse.

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Chapitre sept : Désir d’enfants ..................................................121Chapitre huit : Une grave décision ............................................127Chapitre neuf : L’adoption .........................................................135Chapitre dix : Le retour dans la tempête ................................... 141Chapitre onze : Une ignominie.................................................. 147Chapitre douze : Le vicaire Perron ............................................153Chapitre treize : Le curé Cartier ................................................ 161Chapitre quatorze : Le fils d’Aubert ...........................................165Chapitre quinze : La crise ..........................................................169Chapitre seize : Le vin de framboises ........................................ 175Chapitre dix-sept : La Cavèche ...................................................181Chapitre dix-huit : La déchéance de tante Rachel .....................187Chapitre dix-neuf : Un autre coup du Diable .............................197Chapitre vingt : Les grands ménages ........................................205Chapitre vingt et un : Encore des rumeurs de guerre ...............207Chapitre vingt-deux : Les mensonges des politiciens ...............211Chapitre vingt-trois : Une nouvelle obsession ...........................215Chapitre vingt-quatre : Casser maison ...................................... 217Chapitre vingt-cinq : Le camp de bûcherons ............................221Chapitre vingt-six : Construire notre maison ...........................227Chapitre vingt-sept : Retour au camp de bûcherons .................233Chapitre vingt-huit : Noël au camp ............................................239Chapitre vingt-neuf : S’installer chez nous ...............................249Chapitre trente : Un accident .....................................................253

Troisième partie : Crépuscule ...................................................257

Chapitre un : La gomme d’épinette ...........................................259Chapitre deux : La vallée de la Rivière-Noire .............................261Chapitre trois : Esther ................................................................265Chapitre quatre : Blandine ........................................................269

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Chapitre cinq : Notre-Dame-du-Cap .........................................273Chapitre six : Encore à Notre-Dame-du-Cap .............................277Chapitre sept : La police ............................................................281Chapitre huit : La modernité .....................................................287Chapitre neuf : Le lac Deschênes ...............................................293Chapitre dix : Le retour du tueur d’ours ....................................299Chapitre onze : La déchéance d’Aubert .....................................303Chapitre douze : Mourir ............................................................309Chapitre treize : Le deuil ...........................................................313Chapitre quatorze : Madame la Mort ........................................ 317Chapitre quinze : Le salon funéraire .........................................321Chapitre seize : Le fantôme d’Aubert ........................................325Chapitre dix-sept : Le vieux Conrad ..........................................327Chapitre dix-huit : L’incendie de l’église ...................................333Chapitre dix-neuf : La buanderie d’Esther ................................335Chapitre vingt : Les œuvres de Conrad .....................................337Chapitre vingt et un : Les adieux d’Aubert ................................341

Quatrième partie : Nadir ...........................................................347

Chapitre un : La mort de Conrad ...............................................349Chapitre deux : Un appel de l’archevêché ..................................351Chapitre trois : La mission ........................................................355Chapitre quatre : Notre Très Saint Père ....................................359Chapitre cinq : Le huitième jour ................................................363Chapitre six : La fin du monde ...................................................367Chapitre sept : Et le reste ...........................................................371Chapitre huit : Les fruits sauvages ............................................373

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