les living labs, ces leviers d'innovation en sante publique
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LES LIVING LABS, CES LEVIERS DâINNOVATION EN SANTĂ PUBLIQUE
Valentin Berthou, Robert Picard
F.F.E. | « Annales des Mines - Réalités industrielles »
2017/2 Mai 2017 | pages 68 Ă 72 ISSN 1148-7941
Article disponible en ligne Ă l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-realites-industrielles-2017-2-page-68.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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Les Living Labs, ces leviers dâinnovation en santĂ© publique
Par Valentin BERTHOUDoctorant Ă lâUniversitĂ© de technologie de Troyes (UTT)et Robert PICARDIngĂ©nieur gĂ©nĂ©ral des Mines, rĂ©fĂ©rent SantĂ© au Conseil gĂ©nĂ©ral de lâĂconomie
Living Labs et mutation de la santé publique : un bilan des systÚmes de santé
Le vieillissement gĂ©nĂ©ralisĂ© de la population (1) rĂ©sultant pour partie de lâaptitude de la mĂ©decine contemporaine Ă sauver des vies, influe profondĂ©ment sur les politiques de santĂ© publique (2). Lâaugmentation du nombre des sĂ©niors, des malades chroniques et des personnes en situation de handicap oblige Ă une prise en charge repensĂ©e de ces populations qui veulent gagner en autonomie et Ă©mettent des attentes allant du « bien-vivre » au « bien vieillir ». Dans ce contexte, les Living Labs en santĂ© et autonomie (LLSA) se positionnent comme des organisations inno-vantes ayant pour but de dĂ©velopper avec les usagers des solutions et des produits pour rĂ©pondre aux nouvelles problĂ©matiques en matiĂšre de santĂ©. En sâappuyant no-tamment sur le dĂ©veloppement des nouvelles technolo-gies (e-santĂ©, tĂ©lĂ©santĂ©, etc.), les LLSA prennent appui sur un mode de conception participatif pour faire Ă©merger des solutions qui soient en meilleure adĂ©quation avec les besoins rĂ©els, tout en intĂ©grant Ă leur fonctionnement une diversitĂ© dâacteurs reprĂ©sentatifs de la complexitĂ© des en-jeux du milieu de la santĂ©.
Les systĂšmes de santĂ© se caractĂ©risent souvent, du fait des enjeux vitaux quâils portent et quâil sâagit de garder sous contrĂŽle, par une rĂ©glementation forte pouvant conduire Ă une forme de rigiditĂ© structurelle. En France, on observe plus quâailleurs une segmentation des forma-tions et des professionnels, qui travaillent historiquement
en « silos » (3) et dont les marges de manĆuvre nâauto-risent que peu de transversalitĂ© dans leurs activitĂ©s (4). En outre, dans les pays dĂ©veloppĂ©s, la mĂ©decine est de plus en plus spĂ©cialisĂ©e, hautement technicisĂ©e et mĂ©dicale-ment performante, mais corrĂ©lativement onĂ©reuse Ă lâins-tar de lâhĂŽpital, qui, en France, concentre les dĂ©penses de santĂ© publique Ă hauteur de 46,3 % (5).
Dans ce contexte de plus en plus frĂ©quemment qua-lifiĂ© dâ« hospitalo-centrĂ© » par les acteurs de la santĂ© eux-mĂȘmes, la crise Ă©conomique pousse Ă accroĂźtre la connaissance des coĂ»ts des services de santĂ© pour une efficacitĂ© mieux maĂźtrisĂ©e, quâest venu amplifier, plus rĂ©-cemment, un cadrage Ă©thique des activitĂ©s. Inclure les ci-toyens apparaĂźt nĂ©cessaire pour amĂ©liorer la performance des systĂšmes de santĂ©. Cela se traduit par une volontĂ© dâĂ©quilibrer la gouvernance des institutions et de recentrer
Les Living Labs en santĂ© et autonomie apparaissent comme une rĂ©ponse innovante Ă la complexi-tĂ© du systĂšme institutionnel de la santĂ©. En sâappuyant sur lâinnovation ouverte, ces laboratoires vivants proposent un modĂšle organisationnel qui conjugue la mobilisation d'un large spectre de parties prenantes en matiĂšre d'offre de soins et la contribution des usagers Ă la conception de celle-ci, dans des logiques plus collaboratives et plus ouvertes. Les Living Labs sont des entitĂ©s tierces qui occupent une place significative dans le systĂšme de santĂ© de par leur volontĂ© de produire de lâinnovation. En faisant reposer la conception sur un modĂšle organisationnel proche de celui des start-ups, ils dĂ©ploient des solutions innovantes qui rencontrent leur marchĂ© et sont, de ce fait, capables de rĂ©pondre notamment aux dĂ©fis que sont le dĂ©veloppement des maladies chroniques et le vieillissement de la population.
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(1) Voir lâenquĂȘte Eurostat sur le vieillissement de la population, juin 2016 : http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Population_structure_and_ageing/fr#La_structure_de_la_popula-tion(2) Voir le rapport sur la StratĂ©gie nationale de santĂ© du ministĂšre de la SantĂ© : http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/strategie-na-tionale-sante-nouveau-cadre-pour-action-publique-20130924.html(3) PICARD (R.) & POILPOT (L.), Pertinence et valeur du concept de Laboratoire vivant (Living Lab) en santĂ© et autonomie, rapport du CGIET de juillet 2011.(4) Ătude PRISMA : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rap-ports-publics/094000078/(5) IRDES : http://www.irdes.fr/enseignement/chiffres-et-gra-phiques/donnees-de-cadrage/hopital/depenses-et-evolutions.htm
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« Les Living Labs en santé et autonomie (LLSA) se positionnent comme des organisations inno-vantes ayant pour but de développer avec les usagers des solutions et des produits pour répondre aux nouvelles problématiques en matiÚre de santé. »
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le systĂšme mĂ©dical autour du patient en tant quâacteur incontournable. Le nouveau paradigme se veut plus colla-boratif et dĂ©centralisĂ©, Ă lâimage de lâesprit de la loi Patient (2002), qui lui consacre une reprĂ©sentation institutionnelle plus importante. Cette nouvelle maniĂšre dâenvisager la conduite du soin doit aussi rĂ©pondre aux enjeux financiers en opĂ©rant un basculement du systĂšme curatif de patho-logies aiguĂ«s vers des actions au long cours de prĂ©vention et de suivi dâĂ©tats pathologiques chroniques.
Câest dans ce contexte socioĂ©conomique en cours de transformation que les LLSA se dĂ©veloppent, valorisant lâimplication forte des usagers de santĂ© dans les disposi-tifs de conception, par exemple en sâappuyant sur des pa-tients-experts (6). LâactivitĂ© des LLSA entre en rĂ©sonnance avec la volontĂ© publique de mettre en place une dĂ©mo-cratie sanitaire (7) basĂ©e sur la participation citoyenne (em-powerment) et sur la littĂ©ratie en santĂ© (8). En ce sens, et dans la mesure oĂč ils valorisent ces compĂ©tences « pro-fanes », les Living Labs revendiquent un fonctionnement basĂ© sur lâopen innovation, qui est une clĂ© de comprĂ©hen-sion de leur potentiel en matiĂšre de santĂ©.
Lâinscription des LLSA dans lâopen innovation
ConceptualisĂ©e par Henry Chesbrough dans les annĂ©es 2000 (9), lâopen innovation a rapidement connu un vĂ©ritable engouement dans les sphĂšres acadĂ©miques et parmi les professionnels engagĂ©s dans le domaine entrepreneurial. Selon Chesbrough, lâopen innovation se traduit par un double mouvement complĂ©mentaire : pour innover, une entreprise a besoin dâun certain nombre de ressources (ressources matĂ©rielles, compĂ©tences, expĂ©rience, etc.). Or, lorsque celles-ci ne sont pas disponibles en interne, la structure pratique une forme dâouverture : elle sâaffranchit de ses manques internes en allant puiser les ressources dont elle a besoin Ă l'extĂ©rieur, par exemple en faisant appel Ă l'expertise d'un consultant ou dâun laboratoire de recherche. De maniĂšre concomitante, lâopen innovation est aussi la capacitĂ© dâinnover dont se dote une organi-sation en mobilisant mieux lâensemble de ses ressources internes.
Lâopen innovation apparaĂźt donc comme la possibilitĂ©, pour une organisation, non seulement de rendre ses fron-tiĂšres plus poreuses, mais aussi de briser sa segmentation interne entre ses diffĂ©rentes entitĂ©s, par exemple entre son unitĂ© de production et son dĂ©partement de R&D. Lâopen innovation est fortement inscrite dans lâADN des start-ups du numĂ©rique, qui fonctionnent selon une organisation ad-hocratique (10) dans laquelle les acteurs Ă©voluent dans des configurations plus fluides pour pouvoir affronter un envi-ronnement lui-mĂȘme plus complexe et instable en raison de lâessor rapide des nouvelles technologies. Les formes organisationnelles des LLSA sont proches de celles des start-ups de par la polyvalence des acteurs, leurs relations internes trĂšs horizontales et une hiĂ©rarchie de proximitĂ©.
Il existe un phĂ©nomĂšne de congruence entre lâopen in-novation et les mouvements de renouvellement de la participation en entreprise. En capitalisant mieux sur des
ressources internes qui Ă©taient jusque-lĂ mal identifiĂ©es et peu exploitĂ©es, lâorganisation confĂšre une valeur plus importante Ă lâactivitĂ© de ses membres. Dans le cas des LLSA, lâusager est un acteur indispensable dans le pro-cessus de crĂ©ation, il est souvent partie prenante dans les organes de la gouvernance. La nature de son engage-ment et la valeur quâil apporte, au travers notamment des connaissances rĂ©sultant de son vĂ©cu (11), sâinscrivent dans une forme dâouverture. La mobilisation de lâopen innova-tion est un processus qui contribue Ă une redĂ©finition des rĂŽles des acteurs. Elle sâenvisage dĂšs lors comme Ă©tant un instrument du changement et elle peut servir de cadre thĂ©orique Ă lâinclusion des usagers dans les LLSA.
Au-delĂ du patient, enjeux et limites de lâopen innovation pour les LLSA
Le paradigme de lâinnovation ouverte est de plus en plus important dans le secteur des entreprises et Ă©claire di-rectement le fonctionnement des LLSA dans sa capaci-tĂ© Ă mobiliser des connaissances profanes. Mais cette ouverture se manifeste aussi par une multiplication des partenaires attirĂ©s par cette connaissance, quâils soient marchands ou non marchands. Dans la volontĂ© collective de pratiquer la coconception, le rĂŽle du coordinateur du LL est crucial, puisque « sans le travail des animateurs et sans un ajustement des formes dâanimation, ces collectifs â comme les â communautĂ©s dâusagersâ des plateformes de co-innovation â ne peuvent Ă©merger, se stabiliser et construire des productions collectivement identifiables comme innovantes » (12). Lâinnovation ouverte sâanalyse comme une condition nĂ©cessaire de la rĂ©alisation dâun travail collaboratif. Quâelle soit en adĂ©quation avec sa ver-sion originelle ou quâelle apparaisse sous une forme plus mitigĂ©e, elle est le support dâun travail collaboratif. Son application donne corps au LL dans sa dimension multi-partenariale.
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(6) BOUDIER (F.), BENSEBAA (F.) & JABLANCZY (A.), « L'Ămer-gence du patient-expert : une perturbation innovante », Innovation, 2012/3, n°39, 2012, pp. 13-25.(7) LETOURMY (A.) & NAĂDITCH (M.), « L'Ămergence de la dĂ©mo-cratie sanitaire en France », SantĂ©, sociĂ©tĂ© et solidaritĂ©, n°2, 2009, pp. 15-22. (8) SAOUT (C.) & VOITURIER (J.), Cap SantĂ© !, Rapport en vue des charges d'expĂ©rimentation des projets d'accompagnement Ă lâau-tonomie prĂ©vues par le projet de loi de modernisation de notre sys-tĂšme de santĂ©, juillet 2015. (9) CHESBROUGH (H. W.), Open innovation: the new imperative for creating and profiting from technology, Boston, Mass, Harvard Business School Press, 2003 ; CHESBROUGH (H. W.), Open Bu-siness Models: How to Thrive in the New Innovation Landscape, HBS Press, 2006.(10) MINTZBERG (H.), Le Management. Voyage au centre des orga-nisations, Ăditions d'Organisation, Paris, [1989] 2004.(11) Von Hippel utilise le qualificatif de « visqueuse » pour concep-tualiser une connaissance profane qui nâest ni rĂ©flexive ni systĂ©ma-tisĂ©e et dont on nâest, par consĂ©quent, pas un expert. Ce type de connaissance est aussi plus difficile Ă partager. VON HIPPEL (E.), Democratizing innovation, Cambridge, Mass, MIT Press, 2005. (12) LELONG (B.) & GAYOSO (Ă.), « Innovation avec l'usager et plateformes collaboratives. Des modĂšles d'engagement hĂ©tĂ©ro-gĂšnes », RĂ©seaux, 2010/6, n°164, 2010, p. 122.
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Dominique Vinck propose une perspective analytique an-crĂ©e, oĂč « le constructivisme social insiste sur le caractĂšre ouvert du processus dâinnovation, laquelle est toujours contingente et situĂ©e. Elle dĂ©pend de ce que les gens en font, ainsi que de la signification quâils lui accordent. Le sens et les usages dâune technologie nâĂ©tant pas prĂ©dĂ©-terminĂ©s, ils sont construits et nĂ©gociĂ©s par les acteurs localement » (13).
Lâopen innovation, telle quâelle est mobilisĂ©e et invoquĂ©e par ses acteurs des LLSA, dĂ©rive de sa dĂ©finition origi-nelle. La sĂ©mantique francisĂ©e â « lâinnovation ouverte » â marque un dĂ©voiement du concept, qui se retrouve princi-palement utilisĂ© pour dĂ©crire une double caractĂ©ristique : premiĂšrement, le fonctionnement de la structure fait appel Ă un processus de coconception avec les usagers ; deu-xiĂšmement, la structuration repose sur un rĂ©seau dâac-teurs, oĂč la relation partenariale nâest pas uniquement contractuelle, elle est aussi collaborative, rĂ©ciproque et, parfois, non marchande (14).
Au-delĂ de lâinnovation ouverte, câest lâesprit participatif issu des communautĂ©s en ligne (et plus globalement du Web 2.0) que lâon retrouve dans les LLSA. Lâinnovation qui y est dĂ©veloppĂ©e se veut itĂ©rative, ascendante (15) et basĂ©e sur la participation et sur les processus bottom-up plutĂŽt que sur des visions descendantes et segmentĂ©es. Lâinno-vation ouverte nâest pas la panacĂ©e et lâon peut observer un paradoxe de lâopen innovation. Aller chercher les res-sources Ă lâextĂ©rieur de son organisation lorsque lâon nâen dispose pas semble ĂȘtre une Ă©vidence, mais lâopen inno-vation peut aussi poser des problĂšmes, si lâon pratique une communication ouverte. Bien souvent, les firmes dĂ©-veloppent en effet des « collaborations ouvertes » : il sâagit pour lâentreprise de tirer une valeur de la coconstruction avec les usagers lors de certaines phases (par exemple, pendant le brainstorming), mais la finalitĂ© reste fermĂ©e (16). Le risque de se faire « voler » ses idĂ©es est prĂ©sent et les LLSA sont parfois peu explicites sur ces sujets. La colla-boration trouve ses limites lorsquâelle met potentiellement en danger le cĆur de mĂ©tier de ces organisations.
Les annĂ©es 2000 ont vu la double dĂ©mocratisation de la notion dâouverture que furent lâopen innovation et lâopen source. Ces deux concepts renvoient Ă des pratiques et Ă des enjeux pourtant diffĂ©rents. Alors que la dynamique dâopen source fonde son principe sur celui de la libertĂ© dâutilisation, lâopen innovation de Chesbrough pose, de maniĂšre plus centrale, la question du droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle, comme le rappellent Loilier et Tellier (17). Il y a parfois confusion entre les deux termes et cette ambiguĂŻtĂ© a conduit Ă une dissĂ©mination des pratiques et des dĂ©-nominations sans que lâouverture recouvre fondamentale-ment les mĂȘmes valeurs, comme en tĂ©moigne notamment lâapparition du terme « open labs » (18).
Le rĂŽle des usagers tel quâil est dĂ©crit au sein de leurs processus dâinnovation renseigne sur le degrĂ© dâouverture de la dĂ©marche. Il est donc possible dâopĂ©rer sur cette base une classification en fonction de la mobilisation des usagers. Cette dĂ©marche pourrait contribuer Ă Ă©valuer le risque que des organisations, sous couvert dâappliquer un
modĂšle ouvert, nâinstrumentalisent, sans contrepartie, les usagers lors de certaines phases du processus afin de sti-muler leur recherche et dĂ©veloppement, et dâinnover plus efficacement.
Retour sur lâinnovation en santĂ©
Lâinnovation en santĂ©, câest-Ă -dire la nouveautĂ© qui trouve son marchĂ© et sa valeur sociale, relĂšve dâun dĂ©fi particuliĂšrement complexe. Cette situation tient Ă la fois Ă la diversitĂ© des acteurs du systĂšme de santĂ© et Ă une solvabilisation des marchĂ©s associant Ă©galement de nom-breux payeurs potentiels tant publics (diffĂ©rents pour le mĂ©dical vs le mĂ©dicosocial) que privĂ©s (entreprises, assu-reurs, patients eux-mĂȘmes).
Le Living Lab en santĂ© et autonomie â LLSA â est un moyen et un lieu oĂč les intĂ©rĂȘts potentiellement divergents de ces parties prenantes peuvent se rencontrer, moyen-nant un certain nombre des exigences qui ont Ă©tĂ© prĂ©ci-sĂ©es prĂ©cĂ©demment.
Parmi elles, la voix du patient â ou du citoyen, si lâon songe Ă la prĂ©vention ou au bien-vivre â a tendance Ă prendre
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D(13) VINCK (D.), « ManiĂšres de penser l'innovation », dans MIĂGE (B.) & VINCK (D.) (dir.), Les Marques de la convergence. EnquĂȘte sur sciences, industries et amĂ©nagements, Paris, Ăditions des Archives Contemporaines, 2011.(14) De nombreux Living Labs mettent en avant la formule PPPP pour dĂ©crire leur « Ă©cosystĂšme » dâacteurs : Public-Private -People-Partnerships.(15) CARDON (D.), « La Trajectoire des innovations ascendantes : inventivitĂ©, coproduction et collectifs sur Internet », Innovations, Usages, RĂ©seaux, acte de colloque IUR, Montpellier, 17 et 18 no-vembre 2006.(16) LOILIER (T.) & TELLIER (A.), « Que faire du modĂšle de lâinnova-tion ouverte ? », Revue française de gestion, vol. 210, n°1, 2011, pp. 69-85.(17) LOILIER & TELLIER, op. cit. (18) MĂRINDOL (V.), BOUQUIN (N.), VERSAILLES (W. D.), CAPDE-VILA (A.), AUBOUIN (N.), LE CHAFFOTEC (A.), CHIOVETTA (A.) & VOISIN (T.), Le Livre Blanc des Open Labs. Quelles pratiques ? Quels changements en France ?, Futuris, Paris School Business, mars 2016.URL : http://www.anrt.asso.fr/fr/futuris/pdf/rapport-projetlab_web.pdf
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de lâimportance aux yeux de toutes les autres parties prenantes. Les raisons nâen sont pas, ou pas seulement, quâil est attendu de lui une solvabilitĂ© accrue, du fait des dĂ©sĂ©quilibres budgĂ©taires de la puissance publique. Elles tiennent avant tout Ă ce que le contexte dĂ©mographique et celui des Ă©conomies publiques se traduisent par une exi-gence de plus en plus grande quant aux rĂ©sultats et Ă un suivi effectif de la crĂ©ation de valeur par les solutions de santĂ© : amĂ©lioration de la santĂ© publique et consĂ©quences tant au niveau de lâactivitĂ© des populations et de leur pro-pension Ă consommer que des coĂ»ts mĂ©dicaux Ă©vitĂ©s. Or, cette valeur dĂ©pend trĂšs largement du citoyen et de son aptitude Ă gĂ©rer sa santĂ© : moins souvent hospitalisĂ© et moins longtemps, câest pour beaucoup dans son com-portement de vie que les choses se jouent, ainsi que dans son aptitude Ă comprendre et Ă anticiper les risques qui le menacent, et Ă se soigner correctement.
Les solutions de santĂ© concernent de plus en plus le quo-tidien (maladies chroniques, vieillissement, situations de handicap) que les cas aigus. La crĂ©ation de valeur par lâengagement du patient nâest donc pas une option. Câest pour ces raisons sans doute que, porteurs dâune innova-tion ouverte dâabord et avant tout vers le citoyen, les Li-ving Lab en santĂ© et autonomie connaissent une trĂšs forte croissance (leur nombre Ă©tant passĂ© de 3 Ă 30 en France entre 2011 et 2017).
La valeur Ă©conomique des LLSA commence Ă ĂȘtre recon-nue : ainsi, ils sont identifiĂ©s par le nouvel Institut euro-pĂ©en dâinnovation en santĂ© EIT Health, fort de ses 144 partenaires, dont 30 français, comme des « accĂ©lĂ©rateurs dâaffaires » dans le secteur de la santĂ©. LâEIT Health a, de ce fait, sĂ©lectionnĂ© le Forum LLSA comme partenaire « RĂ©seau ».
Lâapproche participative de la santĂ© qui motive les LLSA est encore trĂšs nouvelle : les prescriptions du docteur de-vaient « Ă©videmment » ĂȘtre suivies ; du reste, le citoyen dâavant le Web, qui nâaccĂ©dait que de façon trĂšs limitĂ©e aux informations de santĂ©, nâavait pas dâautre alternative raisonnable que cette obĂ©issance. Beaucoup des mĂ©ca-nismes qui suscitent cette adhĂ©sion sont donc encore in-connus. Ă quelles conditions un outil connectĂ© dâautome-sure conduit-il Ă un comportement vertueux du citoyen ? Une revue de la littĂ©rature rĂ©cente montre la faiblesse de nos connaissances Ă ce niveau(19). Le dĂ©veloppement de lâapproche Living Lab en santĂ© et autonomie ne fait que commencer.
Bibliographie
BOUDIER (F.), BENSEBAA (F.) & JABLANCZY (A.), « L'Ămergence du patient-expert : une perturbation inno-vante », Innovation 2012/3, n°39, 2012, pp. 13-25.
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CHESBROUGH (H. W.), Open innovation: the new imper-ative for creating and profiting from technology, Boston, Mass, Harvard Business School Press, 2003.
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