les « métropolitains » dans la société martiniquaise d
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Université de Provence. Aix-Marseille 1 UFR Civilisations et Humanités. Département d’ethnologie.
Les « Métropolitains » dans la société martiniquaise d’aujourd’hui.
Des processus complexes d’adaptations
Mémoire de maîtrise présenté par Mylène Chambon Sous la direction de Jean-Luc Bonniol
Septembre 2003
Sommaire Introduction…………………………………………………………………...………….p 5 Méthodologie - Le cheminement du choix du sujet…………………………………………………...p 9 - Les conditions d’enquête et son déroulement………………………………………..p 10 - Difficultés du terrain …………………………………………………………………..p 12 - Particularité de cette étude……………………………………………………………p 13 - Une étude générale…………………………………………………………………….p 14 Chapitre un : Les Contextes 1. Le contexte historique…………………………………………………………………..p 16
1.1. Rappels………………………………………………………………………....p 16 1.2. La départementalisation………………………………………………………..p 17 1.3. Conséquences de la départementalisation et programme d’assimilation………p 17
2. Le contexte économique………………………………………………………………...p 18
2.1. L’économie de la départementalisation à aujourd’hui…………………………p 19
3. Les données politique…………………………………………………………………...p 20 3.1. De la départementalisation à aujourd’hui……………………………………...p 20 3.2. La Martinique dans l’Europe…………………………………………………..p 21
4. Les métropolitains dans ces différents contextes………………………………………p 22
4.1. L’arrivée historique des métropolitains………………………………………..p 22 4.2. L’intérêt économique des métropolitains sur l’île……………………………..p 23 4.3. Le métropolitain et la politique………………………………………………...p 24
Chapitre deux : Qui sont les métropolitains qui vivent en Martinique ? 1. Qui vient ?.........................................................................................................................p 26
1.1. La profession…………………………………………………………………...p 26 1.2. L’âge.…………………………………………………………………………...p 28
1.3. La situation conjugale………………………………………………………….p 29 1.4. Le temps………………………………………………………………………..p 30
2. Pourquoi viennent-ils ?.....................................................................................................p 31
2.1. Une expérience…………………………………………………………………p 31 2.2. Les connaissances qui encouragent au départ………………………………….p 33 2.3. L’intérêt économique…………………………………………………………..p 34
3. Où se situent géographiquement les métropolitains sur l’île ?.......................................p 35
3.1. Trois zones géographique………………………………………………………p 35 3.2. Comment les métropolitains expliquent ces regroupements ?............................p 36 3.3. Le sentiment des martiniquais………………………………………………….p 37 3.4. Interpréter autrement ces regroupements………………………………………p 37
Chapitre trois : Première approche de l’île par les métropolitains 1. Les structures de la métropole et le premier dépaysement……………………………..p 39
1.1. Les éléments similaires à l’hexagone…………………………………………..p 39 1.2. La vision de l’île par les métropolitains………………………………………..p 40
2. Les premières adaptations à l’île………………………………………………………..p 43
2.1. Le temps………………………………………………………………………..p 43 2.2. Les rythmes…………………………………………………………………….p 47 2.3. Les conditions climatiques……………………………………………………..p 49 2.4. L’insularité……………………………………………………………………..p 50
3. Les éléments qui peuvent faciliter l’adaptation à la vie de l’île………………………..p 51
3.1. La connaissance de l’île avant l’arrivée………………………………………..p 52 3.2. La référence à des amis………………………………………………………...p 52 3.3. L’expérience antérieure….……………………………………………………..p 53
Chapitre quatre : Premiers contacts avec la population locale 1. Les moyens de rencontre entre métropolitains et martiniquais………………………..p 55
1.1. L’activité professionnelle……………………………………………………....p 55 1.2. Les activités extra-professionnelles……………………………………………p 59
2. Les éléments qui se manifestent au moment de la rencontre………………….………p 63
2.1. L’interaction entre deux cultures……………………………………………....p 63 2.2. Les stéréotypes…………………………………………………………………p 64
Chapitre cinq : L’attitude des métropolitains dans ce nouveau contexte 1. La Martinique : une culture différente………………………………………………....p 69
1.1. Constatations…………………………………………………………………...p 69 1.2. Ajustement de leur comportement……………………………………………..p 73
2. Les différentes réactions des métropolitains dans ce cadre……………………………p 76
2.1. L’identité ethnique……………………………………………………………..p 76 2.2. L’acculturation…………………………………………………………………p 77 2.3. Les attitudes des métropolitains………………………………………………..p 80
Chapitre six : Etude de cas 1. Madame B .…………………………………………………………………………..…..p 84 2. Monsieur O.……………………………………………………………………………...p 86 3. Madame H .……………………………………………………………………………...p 89
Chapitre sept : La vision des martiniquais 1. Les métropolitains dans le regard des martiniquais……………………………………p 94 2. La société martiniquaise et les Autres…………………………………………………..p 97
2.1. Les caractéristiques de la société martiniquaise………………………………..p 97 2.2. L’accès à cette société………………………………………………………….p 99
Conclusion……………………………………………………………………………....p 102
Bibliographie……………………………………………………………………………p 106
Annexes…………………………………………………………………………...……..p 110 Annexe 1 : La Martinique en chiffres……………………………………………………..p 111 Annexe 2 : Tableau sociologique sur la population interrogée…………………………..p 114 Annexe 3 : Répartition géographique des métropolitains sur l’île……………………….p 116 Annexe 4 : Chiffres de la population martiniquaise………………………………………p 117 Annexe 5 : La représentation de l’île avant le départ…………………………………….p 118 Annexe 6 : Stéréotypes…………………………………………………………………….p 120 Annexe 7 : Tableaux sur les métropolitains interrogés………………………………...…p 126
Introduction
En novembre 2002, les Antilles françaises font la une des journaux. Le groupe Accord
(chaîne hôtelière) annonce, par une lettre de Gérard Pélisson (un responsable du groupe) au
président de la République, son désir de se retirer progressivement de la Martinique, et de la
Guadeloupe. Cette décision interroge l’opinion publique d’autant, que la raison qui amène le
groupe à partir est intrigante. A la raison de ce départ il est invoqué principalement, l’offre
insuffisante de liaisons aériennes, et la concurrence touristique des autres îles caribéennes.
Mais c’est, encore, un autre argument qui attire notre attention. En effet, si la société Accord
décide de quitter les Antilles françaises, c’est en partie à cause d’un climat social
« détestable »1 et d’une « attitude inamicale, voire agressive »¹ du personnel local à l’égard
de la clientèle. En conséquence, celle-ci très mécontente de son séjour et du service qu’elle a
reçu, n’hésite pas à faire mauvaise presse au groupe installé dans les départements d’outre-
mer. Par conséquent, le groupe souffre du manque de touristes à destination des DOM.
Ces arguments nous amènent à constater que le retrait du groupe hôtelier Accord, des Antilles
françaises, est du à des raisons économiques mais aussi culturelles. Ce constat conduit à
s’interroger à différents niveaux. Est-ce que ce comportement « inamical » du personnel de
ces hôtels, est généralisable à l’ensemble de la population des îles, et dans quel but est-il
produit ? Est-ce un refus d’ouverture imposé seulement aux touristes, ou à toutes populations
extérieures ? C'est-à-dire en sortant du cadre des vacances, est-ce que les individus qui
souhaitent s’installer dans ces îles rencontrent des problèmes avec la population locale, et par
conséquent des problèmes d’adaptation ?
Nous prendrons la société martiniquaise comme objet d’étude, en analysant plus
spécifiquement la relation des martiniquais et des métropolitains et nous essayerons de
décrypter les modalités d’adaptation des métropolitains, à la vie martiniquaise.
Il nous paraît nécessaire de définir certains termes de ce sujet, pour en comprendre toute la
signification.
1- Métropolitain.
Qui désigne-t-on lorsque nous employons le terme : métropolitain, et qui utilise cette
appellation ? Les martiniquais se servent de ce vocable pour parler de certaines personnes.
Ce terme est donc utilisé pour nommer un individu ou un groupe d’individus particulier.
L’emploi de cet appellatif fait référence à trois éléments qui se conjuguent.
- il précise le lieu géographique d’où est originaire la personne. Par métropolitain, les
martiniquais désigne une personne qui arrive de la métropole française, centre politique,
économique, ainsi que pays de rattachement par assimilation, éloignée de la Martinique par
environ 7 000 Km.
- l’emploi de ce terme sous entend que la personne possède certaines caractéristiques
physiques. Pour les martiniquais, toutes personnes qui viennent de la métropole, sont des
personnes de type européen, c’est-à-dire à la peau blanche et aux traits du visage plus fins que
les gens de couleur.
- Le mot métropolitain souligne le rapport spécifique qu’entretiennent ces deux populations.
Métropolitains et martiniquais sont français, concitoyens, soumis aux mêmes lois, or la
population martiniquaise en se servant d’un mot singulier pour désigner un autre français,
veut marquer sa différence avec ces personnes.
Le mot métropolitain souligne : que la personne n’est pas originaire de l’île mais de la
métropole, qu’elle est blanche aux traits fins, et issue d’une autre culture. Ces trois éléments
mettent en exergue la différence entre les martiniquais et les Autres (les métropolitains).
Les martiniquais se représentent les français venant de métropole selon la définition énoncée
ci-dessus. Tout au long de notre étude, nous nous référons à cette représentation. Les
originaires des départements d’outre-mer, ayant vécu en métropole et qui rentrent dans leur
département d’origine ne sont pas inclus dans cette définition du métropolitain donnée par les
locaux. Par conséquent, leur situation ne sera pas traitée dans cette recherche.
2-Adaptation.
Nous employons à diverses reprises dans ce document, le terme : adaptation.
L’adaptation : est la faculté d’ajuster son comportement à une nouvelle situation. Ce vocable
sous entend l’idée d’une notion biologique, comme l’adaptation physique à un
environnement. Cet aspect est abordé dans notre travail, cependant il n’en est pas l’élément
1 Propos extraits de la lettre de Gérard Pélisson (coprésident du conseil de surveillance du groupe hôtelier ) au président de la République, cité par le quotidien Le Monde daté du 12/11/2002, qui ont été eux-mêmes repris du journal Le Parisien, qui a publié cette lettre le 9/11/2002 .
principal. Notre recherche donne la priorité à : ajuster son comportement à une nouvelle
situation. Le choix de ce terme, a été pris pour plusieurs raisons. Nous voulons étudier les
processus de changements comportementaux, les réactions et les attitudes du métropolitain
qu’induit son installation dans un nouveau cadre de vie. Ce nouveau cadre de vie se
singularise par un changement géographique de résidence, un changement relationnel, et la
rencontre d’une nouvelle population et culture avec lesquelles, les rapports sont envisagés
autrement qu’en France. Ce terme semble le plus à même correspondre au processus que
nous voulons étudier. L’adaptation sous entend l’idée d’un changement conscient (aussi
infime soit-il) de la personne pour s’ajuster au nouvel environnement dans lequel elle se
trouve. L’idée d’adaptation montre que le changement accompli par l’individu n’est pas
complet. Il agit comme un réajustement de comportement par rapport à une situation
particulière, mais l’acquis antérieur n’est pas, pour autant oublié. C’est pour cela que nous
avons choisit d’utiliser ce terme au lieu de l’un de ces synonymes comme l’assimilation qui
suppose la conversion complète à la culture de l’Autre, autrement dit devenir cet Autre. Nous
allons voir au court de cette étude pourquoi nous n’avons pas choisit le terme d’intégration, et
dans quel rapport entre martiniquais et métropolitains, il pourrait être employé.
Cette recherche s’adosse sur le fait de la présence des métropolitains en Martinique. Ces
personnes extérieures à l’île, originaires d’un lieu géographique et climatique différent, sont
de même citoyenneté que les martiniquais, soumis aux mêmes lois républicaines et dépendent
de la même nation: la France. A cause des différences sociétales et culturelles de la
Martinique, les métropolitains dès leur arrivée se sentent étrangers aux martiniquais et ceux-ci
les perçoivent comme tel. « Cette extériorité » est renforcée par leur couleur de peau (élément
visible aux yeux de tous), et par leur incompréhension de la langue locale, le créole.
Seule leur nationalité leur est commune, nous constatons que de nombreuses différences
existent entre martiniquais et métropolitains. Nous supposons que les métropolitains, dès leur
arrivée, rencontrent des problèmes d’adaptation à cette culture, pour le moins divergente de ce
qu’ils connaissent. Nous allons étudier les processus d’adaptation qu’ils mettent en place afin
de pouvoir s’installer et vivre sur l’île. Nous procéderons à une description de cette
population non originaire, puis nous essaierons de mettre en exergue, leurs réactions
spécifiques lors de situations inconnues. Notamment, la certitude qu’ils ont en arrivant sur
l’île d’être chez eux puisqu’en apparence la vie en Martinique est identique à celle de la
métropole. Les structures institutionnelles, et la langue officielle, le français, l’attestent. Or,
cette illusion est bien vite gommée dès les premiers contacts avec la population. Le mode de
vie est différent de la métropole, et surtout qu’ils sont considérés en Martinique comme
étrangers.
Nos objectifs sont : connaître cette population métropolitaine, (nous dresserons pour cela un
tableau de ses caractéristiques sociologiques). Etablir et analyser l’ensemble des problèmes et
des conflits rencontrés par ce groupe pendant son temps d’adaptation. Mettre en relief les
traits particuliers de la culture martiniquaise. Enfin nous nous interrogerons sur le
fonctionnement général de cette société dans sa relation à l’autre (qui vient de l’extérieur).
Comment gère-t-elle « l’intrusion de cet étranger » ?
Au travers de ces objectifs, nous tenterons de vérifier nos hypothèses. A l’entame de cette
recherche, nous supposons que les métropolitains rencontrent des problèmes d’adaptation en
arrivant en Martinique. C’est parce qu’ils n’arrivent pas à les dépasser qu’ils se regroupent
entre eux. Ce qui donne à voir sur l’île deux groupes ethniques vivre l’un à côté de l’autre
sans jamais se mêler, sinon par un mélange artificiel dans les espaces publics.
Cette étude comporte sept chapitres. Le premier retrace succinctement l’histoire de
l’île, afin de connaître le cadre sociétale qui accueille les métropolitains. Par la suite nous
tentons d’établir un profil type de cette population afin de mieux pouvoir la définir. Lors du
troisième chapitre, nous abordons le processus d’adaptation que met en place cette population
du fait des pratiques culturelles et sociétales en vigueur sur l’île. Puis nous mettrons en
évidence les moyens, les modes de rencontre qui existent entre martiniquais et
métropolitains. Quelles en sont les difficultés, quelles adaptations modifieront le
comportement de cette population. A partir de ces différents constats, nous essayons de voir à
quels processus d’acculturation, les métropolitains sont soumis en Martinique et comment
cela se traduit dans leurs attitudes au quotidien. Dans le chapitre six, nous étudions trois
situations qui démontrent concrètement les processus d’acculturation et les attitudes décrites
dans le cinquième chapitre. Dans le chapitre sept, nous cherchons à décrire les caractéristiques
de la société martiniquaise qui peuvent nous aider à comprendre de quelle façon elle gère
l’installation de cette nouvelle population sur l’île, et quelles en sont les conséquences pour
elle.
Méthodologie
Le cheminement du choix du sujet :
Initialement, c’est l’intérêt que je porte à cet espace géographique qui m’amène au choix de
ce sujet. Avant même de savoir ce que je souhaite étudier, j’envisage de travailler sur la
région caraïbe. Je la découvre, lors d’entretiens avec des amis. La description de cet univers et
l’apparent fonctionnement paradoxal de ces personnes, suscite en moi un vif désir de mieux
connaître l’histoire et la vie de ces îles. Lors de l’année de licence, je m’inscris à l’option de
découverte sur les sociétés créoles. Ces deux faits me décident à travailler sur ces sociétés
dont la complexité éveille, incontestablement, ma curiosité.
Je me rends une première fois en Guadeloupe et en Martinique, mais sans réelle idée de sujet
au départ. J’escompte lors de ce séjour découvrir les réalités sociales de ces îles et ainsi
pouvoir définir l’objet de mon étude. Au cours de ce premier voyage, effectué en septembre
2002 (durant un mois), l’idée du sujet se précise. Au cours du séjour en Guadeloupe la famille
d’une amie métropolitaine m’accueille, en Martinique c’est une famille martiniquaise qui
m’offre son hospitalité. Pendant quinze jours en Guadeloupe je vis, exclusivement dans un
cercle de métropolitains. Au cours de toutes les activités proposées, et les personnes
rencontrées, je constate qu’aucun guadeloupéen n’est présent. A l’inverse, en Martinique je
m’aperçois, que les activités que nous pratiquons, ne nous permettent pas d’avoir des contacts
avec les métropolitains, visuellement présent autour de nous.
Au terme de ce voyage, je m’interroge : face aux constats relevés pouvons nous en déduire
que ces deux communautés vivent dans un même lieu, l’une à côté de l’autre plutôt
qu’ensemble ? Pour répondre à cette question, je m’intéresse aux métropolitains qui semblent
être à l’origine de ce clivage. S’ils me paraissent être les responsables de la séparation entre
les deux groupes, c’est parce que par leur arrivée sur l’île, ils font intrusion dans une
communauté établie. Il me semble alors logique, qu’ils fassent ou entreprennent de faire les
efforts nécessaires pour assurer leur insertion dans cette population.
Le choix de la Martinique, pour faire cette étude plutôt que la Guadeloupe est induit, par
l’opportunité qui m’a été offerte d’être hébergée pendant trois mois dans une famille
martiniquaise. Cette proposition me permet de vivre au cœur de la société martiniquaise.
Ainsi je peux mieux observer les difficultés rencontrées au quotidien par les métropolitains,
dès leur arrivée sur l’île.
Les conditions d’enquête et son développement :
Les conditions d’enquête sont les suivantes : je m’installe pendant trois mois en Martinique
(février, mars, avril 2003). Une famille martiniquaise m’accueille, elle réside à Fort-de-
France. Mon objectif est de rencontrer des métropolitains, pour des entretiens, afin de mener
à bien ma recherche. Lors de mon premier séjour, des relations me communiquent les
coordonnées d’un prêtre martiniquais qui possède des notions en anthropologie et a une bonne
connaissance de sa société. Je le rencontre et nous convenons que lors de mon futur séjour en
Martinique (trois mois), il me présentera des métropolitains de sa paroisse, avec lesquels je
pourrai commencer à travailler. Consciente que passer par son intermédiaire, risque
d’influencer d’une manière ou d’une autre les personnes qu’il me présentera, je considère
toutefois, son aide comme un moyen d’obtenir les premiers contacts.
A mon arrivée, au mois de février, je ne réussis pas à obtenir un rendez-vous rapidement avec
lui. Je ne souhaite pas perdre trop de temps, je décide de rencontrer à mon initiative des
métropolitains. En circulant dans Fort-de-France, j’aborde une jeune femme. Je me présente
avec maladresse, utilisant toutes les formes de convenances et d’excuses qui me paraissent
nécessaire à cette approche. Je lui fournis toutes les indications lui permettant de m’identifier.
Je lui expose le sujet de mon étude et ce que j’attends d’elle. En découvrant, l’intitulé de mon
sujet elle sourit, elle me donne ses coordonnés afin que je la contacte pour que nous puissions
fixer un rendez-vous.
Je suis surprise de la facilité avec laquelle elle accepte de contribuer à cette étude. Je
m’attendais à devoir argumenter longuement afin de susciter son intérêt et sa participation.
Sceptique, je l’appelle le soir même, j’appréhende, cette fois-ci, un refus de sa part. Elle
dissipe mes craintes, et me donne un rendez-vous. Je peux effectuer mon premier entretien.
Je réitère l’expérience à plusieurs reprises, et toutes les personnes que j’aborde, acceptent de
passer un entretien. Par le biais de leurs réseaux de connaissances, je me retrouve alors, avec
beaucoup de personnes à interroger. Je n’essuie aucun refus. Lorsque je sollicite, la
participation à mes travaux, à une personne qui ne me connaît pas, dans une relation de face à
face dans la rue ou par téléphone, toutes font l’effort de m’accorder le temps nécessaire à ces
entretiens. Ce constat s’explique par trois raisons :
- mon statut d’étudiante, position intermédiaire entre l’adolescence et le monde des adultes,
rassure. Le travail de recherche de l’étudiante lui permet d’accomplir ses études. De même
poursuivre des études longues est relativement bien apprécié dans notre société où un haut
niveau scolaire est connoté positivement. Le souhait d’obtenir un entretien est perçu comme
une demande d’aide pour réaliser un travail permettant l’obtention d’un diplôme. Dans ce
contexte peu de personnes osent refuser.
- Etant une fille je donne l’apparence d’être inoffensive. Cet état est renforcé par mon
attitude hésitante et maladroite dans ma manière d’aborder les gens. Ce côté un peu naïf et
innocent, me rend plus « attendrissante » qu’inquiétante.
- mon appartenance au groupe des métropolitains, me permet d’avoir une approche plus
facile avec ce groupe. Je suis accueillie sans méfiance. Dans le contexte local où ils sont
minoritaires, ils peuvent supposer que je suis réceptive aux difficultés qu’ils rencontrent au
quotidien. Effectuant un cours séjour sur l’île, ces personnes savent qu’elles ne me reverront
pas. Cette certitude les autorise à me répondre et à me dire ce qu’elles pensent réellement,
sans crainte d’avoir à subir mon jugement, par la suite.
Préalablement à la rencontre avec ces personnes, j’établis un guide d’entretien qui s’est
enrichi et complété au fil du temps. Les rencontres durent en moyenne deux heures. Ce temps
est nécessaire. En effet, le sujet abordé est délicat puisqu’il demande aux métropolitains de
parler d’eux, et de répondre parfois à des questions très personnelles. Il faut un temps de
paroles très formel en début de discussion. J’aborde l’entretien par une série de questions : sur
leur date d’arrivée, sur ce qu’ils connaissent de la Martinique…, puis, utilisant des propos de
personnes déjà rencontrées, qui me servent de support, la discussion peu à peu s’enclenche et
la personne se risque, de plus en plus et arrive à exprimer son opinion puis à raconter son
expérience.
J’ai interrogé 28 métropolitains. Je n’inclus pas dans mon analyse deux d’entre eux, car
vacanciers de longs séjours (trois mois en Martinique tous les ans). Leur situation, ce qu’ils
vivent au quotidien, ne correspond pas à la réalité des personnes qui ont quitté la France pour
s’installer sur l’île.
Pour les entretiens passés avec des martiniquais, deux seulement peuvent être considérés
comme formels, c'est-à-dire enregistrés. Plongée au cœur d’une famille martiniquaise, j’ai
mainte fois eu l’occasion d’interroger des personnes lors de réunions de famille ou lors de
sorties diverses, accompagnée par un membre de la famille. D’origine métropolitaine, et selon
les intentions de la personne que j’ai en face de moi, la discussion n’est pas toujours objective
et enrichissante. Dans les propos qui me sont restitués tous ces indicateurs sont pris en
compte. Cependant en arrivant à me mettre à distance de mon groupe d’appartenance (vivre
au sein de cette famille, m’y a beaucoup aidé), en accentuant volontairement un côté naïf, (qui
correspond à mon statut de novice au sens où le définit Goffman2), en me rendant
suffisamment disponible, des échanges furent possibles. Ce mélange de disponibilité,
d’ignorance et de modestie face à la population étudiée est un caractère de l’observation
participante, que je pratique le plus souvent lorsque je suis en présence de martiniquais.
Evidement ce mode de faire peut être aussi utilisé lors d’entretiens avec les métropolitains.
Dans cette situation, il me faut feindre d’ignorer, lors de chaque entretien, les propos généraux
maintes fois entendus, en donnant l’impression de les découvrir.
Vivre dans cette famille martiniquaise, pendant trois mois, ne m’a pas permis de savoir ce que
les martiniquais pensent des métropolitains (à part une vision stéréotypée), et comment ils
gèrent leur présence. L’impossibilité d’obtenir ces informations vient notamment de mon
origine : métropolitaine, il est évident que les personnes ne peuvent pas affublés à ce groupe
des défauts. Cette expérience m’a permis de mieux connaître la société martiniquaise,
dépeinte au travers du quotidien par chacun des membres de cette famille.
Mes matériaux d’enquête relevés au terme de ces trois mois, sont principalement des
entretiens avec des métropolitains et des observations sur la société martiniquaise. Je n’ai
finalement que peu de matériaux sur les situations d’interactions entre métropolitains et
martiniquais.
Difficultés du terrain :
Comme je l’ai l’évoqué, je n’ai pas réellement connue de difficultés pour m’entretenir avec
des métropolitains, ou pour rencontrer des martiniquais. J’ai pris soin de toujours bien relever
le contexte, les intentions, et les intérêts de chacun dans leurs discours. Cependant, la
difficulté que j’ai rencontrée lors de cette étude, fut ma tendance à prendre position pour les
locaux. Positionnement, que j’avais avant de commencer mon travail sur le terrain. Il faut,
alors sortir du mythe de l’autochtone. Vivre trois mois dans la famille martiniquaise, m’ont
permis de relativiser.
Métropolitaine en Martinique, hébergée par une famille locale, ma situation correspond
totalement au thème de mon étude. Je dois (dans un laps de temps plus réduit), d’une certaine
2 Goffman dit, en s’adressant à ses étudiants : « Vous ne devez donc pas être trop amical, mais il faudra vous ouvrir comme vous ne l’avez jamais fait dans votre vie. Vous devez vous préparer en particulier à essuyer quelques rebuffades. Il ne faudra pas vouloir à tout prix vous mettre en valeur et faire le malin par de bons mots. Il faut au contraire vous montrer niais. » Journal of Contemporary Ethnography, vol 18, n° 2, juillet 1989, p 123-132, traduit par Pascale Joseph in Actes du séminaire de la relation de service RATP-DRI-Plan Urbain, 1989-1990, p 113.
manière m’adapter à ce nouvel environnement. Certaines personnes me demandent si
j’effectue cette étude dans le but de venir m’installer par la suite en Martinique. D’autres
m’interrogent sur mon adaptation sur l’île, y étant autant immergée qu’eux.
La difficulté est de ne jamais pouvoir me détacher de mon sujet, attendu que mes expériences
participent elles aussi à la constitution de mes matériaux. Les seuls moments où finalement je
sens que je ne m’observe plus moi-même, sont les moments où je me rends à l’université
Antilles-Guyane de Schoelcher. Je reprends alors mon statut d’étudiante. La faculté est un
cadre que je connais, rassurant, il me permet (même si j’y suis encore pour mon enquête)
d’atténuer ma constante attention à tout ce qui m’entoure.
Autre singularité qui caractérise mon travail, ma présence dans une famille martiniquaise,
vivant au cœur d’un quartier populaire de Fort-de-France. Pendant ces trois mois (un peu
moins vers la fin de mon séjour), je suis la curiosité des habitants du quartier. Jeune fille
j’attire encore plus celle des messieurs. Dans un souci de protection, j’utilise un certain
humour amer, qui déclenche le rire chez mes interlocuteurs. Il est évident que cette attitude ne
peut être tenu qu’un certain temps. Elle s’atténue relativement à partir du moment où je me
rapproche des membres de la famille qui m’hébergent, et avec qui, je partage des instants de
leur vie. En ces circonstances, je me comporte quasi naturellement.
La dernière difficulté que je rencontre, c’est la pénurie d’ouvrages correspondant à mon sujet.
La société, la culture et la population martiniquaise, sont très étudiées. Par contre, les écrits
sur les métropolitains sont rares. Dans plusieurs ouvrages, je constate que leur existence est
notée, mais aucun n’aborde une étude approfondie de cette population. Ils sont évoqués dans
les rapports de classes, il est précisé qu’ils ne font pas partie de la hiérarchie locale, puisqu’ils
sont en transit sur l’île. Ce manque de référence est un inconvénient surtout avant d’entamer
le travail sur le terrain, à l’époque je ne possède aucun matériau. Le foisonnement de textes
sur la société martiniquaise a parfois capté mon attention sur des problèmes ne correspondant
pas toujours à mon sujet, en particulier lors de la rédaction de mon document.
Particularité de cette étude :
Le lieu de cette recherche est déjà un particularisme. Les départements d’outre-mer prennent
une place particulière dans l’ethnologie, ils sont à la fois proche et loin. Proche par certains
aspects culturels, nationaux et sociaux, mais éloignés au niveau géographique, physique et
identitaire. La question que nous pouvons nous poser : une étude en Martinique correspond-t-
elle à l’idée que la plupart des personnes se font de l’ethnologie ? Pour celles-ci, l’ethnologie
est une science qui étudie ce qui est loin de nous, or la population vivant en Martinique est de
nationalité française, et détient des traits culturels français identifiables. Dans ce travail en
particulier, la frontière est encore plus floue puisque la population étudiée, éloignée
géographiquement, nous est semblable. Nous pouvons dire que cette recherche est l’étude du
proche dans un certain lointain.
Mais la vraie particularité de ce travail est la population étudiée. En effet, partir en Martinique
pour étudier les métropolitains peut prêter à sourire. Les martiniquais sont eux-mêmes surpris
de ne pas être l’objet principal de l’étude. L’intérêt de cette étude, est de s’intéresser non pas à
celui qui migre et qui se trouve en position d’infériorité dans la société qui l’accueille, mais de
porter un regard de chercheur sur la personne qui occupe une position dominante dans sa
société d’origine et qui à cause de son déplacement se retrouve minoritaire dans son nouveau
cadre d’accueil. Il est intéressant alors d’observer comment il réagit à cette situation,
comment il s’y adapte, quelles attitudes il adopte et pourquoi il a voulu partir. Nous notons
que son lieu de migration est spécifique. Historiquement sur cette île, il occupe depuis
toujours, une place dominante alors qu’il est numériquement minoritaire. Empli d’un
sentiment de supériorité par rapport à la population locale, ayant connaissance de l’histoire de
l’île, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas le même vécu, la même éducation que les
blancs créoles, en conséquence ses réactions sont différentes. Ce sont donc celles-ci, qu’il va
être intéressant d’observer et d’étudier.
Une étude générale :
Comme précédemment noté, peu de travaux sont rédigés sur les métropolitains dans les
Antilles. En conséquence une masse considérable d’informations et de matériaux a été relevée
sur le terrain. Le temps m’étant imposé, je n ‘ai pas pu tout consigner, de nombreux détails
ont dû m’échapper. Dans ce rapport, je ne peux pas exploiter tous les matériaux que j’ai
récoltés au cours de ce séjour, certains sont évoqués rapidement. Un afflux de détails aurait
encombré ce travail. Je regrette de ne pas avoir pu travailler autant que je l’aurais souhaité les
entretiens que j’ai effectués. J’aurais aimé pouvoir décomposer les divers discours des
métropolitains, analyser les termes qu’ils emploient : par exemple pour évoquer la France en
comparaison au champ lexical employé pour parler de la Martinique. Ou encore comment ils
parlent de leur « chez eux » en métropole par rapport à ce qu’ils considèrent leur propriété en
Martinique.
C’est pour ces raisons que cette étude peut paraître très générale et parfois pas assez
approfondie, par rapport à l’ensemble des situations et des attitudes des métropolitains.
Certaines parties de cette étude peuvent faire à elles seules l’objet d’une recherche.
Ce travail ne représente qu’une facette dans l’approche de cette communauté en Martinique.
D’autres peuvent être exploitées.
Cette étude peut être considérée, comme une première approche de cette population et de ses
relations avec les locaux.
Il est certain, par conséquent, que ce travail ne représente qu’une vision que l’on peut avoir
sur cette communauté en Martinique. D’autres pourraient être trouvées.
C’est pourquoi cette ne peut être considérée que, comme un premier « déblayage » sur cette
population, et son rapport avec les locaux.
Chapitre un : Les Contextes
1. Le contexte historique
Il nous semble essentiel, avant toute chose, de faire un bref rappel historique, car comme
chacun sait les sociétés d’aujourd’hui résultent de leur passé. Il faut donc étudier celui-ci pour
s’apercevoir que la Martinique est une île qui apparaît comme une « zone de confluence et
d’interpénétrations »3. Connaître la société martiniquaise d’aujourd’hui par le rappel des
antécédents qui font qu’elle fonctionne ainsi de nos jours, va être impératif dans la présente
étude, afin de comprendre le cadre dans lequel arrivent les métropolitains. Nous allons
d’ailleurs accentuer cette étude contextuelle à partir de la départementalisation, changement
de statut ayant considérablement bouleversé la structure existante, mais aussi point de départ
de l’immigration métropolitaine sur l’île.
1.1. Rappels
Ces conditions historiques, la colonisation française et la traite d’esclaves, qui ont fait d’elle
un carrefour culturel et racial. Pour bien appréhender les origines complexes de la population
de l’île, mais aussi pour saisir les proportions dans lesquelles plusieurs groupes humains ont
participés à son élaboration, il faut reprendre très succinctement leur enchaînement d’encrage
dans l’île.
On voit premièrement succéder aux Arawaks, les Indiens Caraïbes qui déciment ces premiers
habitants. Puis les Européens arrivent. Ils éliminent, à leur tour, ces seconds et amènent par la
traite, les Africains. Après l’abolition de l’esclavage en 1848, d’autres populations immigrées
s'adjoignent à la population de l’île. Il s’agit tout d’abord des Indiens, puis des Syriens et des
Libanais et enfin quelques groupements Chinois. Mais c’est principalement par le métissage
entre Européens et Africains que se constitue la base de la population antillaise.
Après ce bref rappel, nous allons reprendre l’évolution historique de la Martinique à partir de
la départementalisation, socle de formation des contextes dans lesquels sont accueillis les
premiers métropolitains.
3 Benoist, Jean, 1975, Les composantes raciales de la Martinique
1.2. La départementalisation
L’abolition de l’esclavage et la fuite par les anciens esclaves des plantations sucrière, entraîne
l’apparition de cultivateurs là où une potentialité agricole est suffisante. Cependant, bien
qu’émancipés, les Noirs, ne vivent que difficilement et leur condition sociale est très précaire.
Ils vivent plongés dans un sous développement.
La grande récession mondiale de 1929 provoque le retour des migrants (partis à l’abolition de
l’esclavage dans les îles voisines), et accentue la crise sociale, déjà latente dans les Petites
Antilles. Au sortir de la seconde guerre mondiale (durant laquelle la France avait laissé seule
la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane survivre de façon autonome), la pression
démographique conjuguée à la déficience de l’environnement économique et sociale plongent
la région caraïbe, d’une manière générale, dans un profond désarroi.
C’est dans ces conditions que la France, avec la volonté des martiniquais, fait de la
Martinique le 19 mars 1946 (ainsi que la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion) un
département français. Par cette loi du 19 mars 1946, dite la loi de l’assimilation adoptée par
l’Assemblée Nationale Française, la Martinique devient un département français d’outre mer
(DOM), et est donc dotée d’un Conseil Régional et d’un Conseil Général. Bien que ce
nouveau statut apporte une certaine richesse économique, la situation sociale ne s’améliore
que lentement aux travers de conflits sociaux. Si on peut noter l’enregistrement de progrès
notables dans le domaine social, il est force de constater que la marge de manœuvre des
locaux est toujours conditionnée par la métropole qui continue d’influencer la vie économique
et politique de l’île. De même, que pour la population, les blancs créoles (descendants des
premiers colons) constituent toujours les propriétaires terriens, et les détenteurs de l’économie
locale.
1.3. Conséquence de la départementalisation et programme d’assimilation
Depuis 1946, la Martinique fait donc partie d’un programme d’assimilation à la France. Grâce
à celui-ci le niveau de vie est amélioré et l’ensemble de la population peut avoir accès au
système éducatif. L’objectif de la mise en place de ce programme est de permettre au
département « Martinique » de se retrouver au même niveau de développement (économique,
culturel…) que l’ensemble des départements hexagonaux.
Cependant, dans cette volonté d’assimilation est aussi sous entendue l’inculcation du modèle
culturel français. En conséquent, lors de son application, les particularités culturelles que
possède cette population, sont niées. La Martinique, bénéficie de tout ce dont dispose la
France. La départementalisation interfère à tous les niveaux de la vie culturelle et de la
structure de la société, en modifiant radicalement le substrat économique ainsi que les
rapports sociaux. Des incohérences apparaissent, par la suite, dans l’élaboration identitaire des
martiniquais. Un exemple d’incohérence : le système scolaire mis en place dans l’île est
directement importé du modèle pédagogique métropolitain. La transmission du savoir, par les
enseignants, s’effectue en français, ce qui pose des problèmes d’apprentissage à une partie des
élèves dont le français constitue une langue seconde. La situation quasi exclusive de
dépendance de la Martinique à la France, implique l’approvisionnement de l’île en manuels
scolaires et autres documents pédagogiques, qui relatent l’histoire et la géographie de France.
Or le milieu naturel et humain dans lequel évoluent ces enfants est totalement différent de
celui présenté dans les manuels. En conséquence, la majorité des jeunes martiniquais se
sentent étrangers dans leur propre pays. Cet imbroglio, n’est résolu que depuis peu, par la
création d’un manuel d’histoire spécifique à la Martinique (à l’initiative, d’ailleurs,
d’enseignants locaux), pour le primaire et le collège. L’accès de la Martinique à la
départementalisation engendre une « érosion » globale de ses particularités. Cette érosion est
ressentie comme une menace de perte d’identité, de langue, de culture par ceux qui vivent ces
changements. Ils atteignaient les secteurs les plus profondément intériorisés de leur identité
collective.
La départementalisation, engendre des progrès appréciables tant au niveau de l’économie des
ménages et de l’hygiène. Parallèlement ce programme d’assimilation provoque une nouvelle
crise identitaire créant une ambiguïté au niveau culturel, économique et politique de l’île.
Les élites intellectuelles locales, comme Aimé Césaire, qui est l’un des premiers à oser
revendiquer l’identité Nègre de l’homme antillais, suivi de Frantz Fanon, qui montre le
paradoxe que vivent tous les martiniquais en tant que noirs se pensant blancs, puis d’autres
écrivains célèbres tels que Edouard Glissant, ou plus récemment Patrick Chamoiseau, Raphaël
Confiant…, tentent d’aider la population locale à réfléchir sur la question de leur identité, et à
la revalorisation de leur culture créole.
2. Le contexte économique
Au niveau économie, nous pouvons constater que cette île est toujours dépendante de la
métropole. Colonie, ou quelques années plus tard, département français, la Martinique,
produit toujours selon les injonctions de sa mère patrie, la France.
C’est pour cela que nous allons principalement nous attarder sur l’économie de ce dernier
statut.
2.1. L’économie de la départementalisation à aujourd’hui
La départementalisation, provoque des bouleversements. La plupart des réglementations se
calque sur la métropole, qui soutient économiquement la Martinique. Par conséquent le
niveau de vie augmente subitement. Cette augmentation se fait notamment par l’acquisition
des aides sociales, telles que les allocations, pour la population de l’île. De nombreux
fonctionnaires sont recrutés, et la construction de routes, et d’hôpitaux, permet l’embauche
abondante d’ouvriers locaux. Tout ceci sert à développer sur place une société de
consommation. Hors celle-ci est déséquilibrée, puisque paradoxalement c’est une société de
consommation sans production. La seule production de l’île, qui est celle des plantations, elle,
diminue de plus en plus, par manque de rentabilité, mais aussi, en raison d’un alignement des
salaires ouvriers, à ceux de la métropole, souvent trop élevés pour les propriétaires. Dès lors
pour maintenir la production locale il faut la subventionner. Au niveau industriel, la
Martinique dispose seulement d’entreprises de transformation de la production de base, c’est-
à-dire la canne à sucre en sucre. Les freins à l’industrialisation de l’île sont : le peu ou la
pénurie de matière première, une main d’œuvre sous qualifiée, un manque d’infrastructure de
base et l’absence de marché extérieur (le marché intérieur étant lui-même souvent insuffisant).
Plus tard dans les années 80, la métropole cherchera, à redynamiser l’île, notamment, par le
développement du secteur tertiaire, et par le tourisme. A cette fin, elle mettra en place des lois
de défiscalisation pour inciter les entreprises à venir s’implanter en Martinique.
Il s’installe ainsi une croissance, qui n’en est pas une véritablement. En effet nous observons,
en fait, l’arrivée d’une nouvelle société se superposant à celle de la plantation. La population,
qui préfère bénéficier du chômage au lieu d’effectuer les tâches difficiles du travail de la
plantation, établit un passage de l’une à l’autre. S’installe, alors, un jeu pervers où les rentrées
d’argent nuisent aux productions locales, dont les produits sont vendus plus chers que ceux
qui sont importés.
Seuls, les blancs créoles de l’île, qui sont ceux qui possèdent l’argent, réussissent leur
reconversion. Ils investissent dans les entreprises d’imports-exports, les galeries
commerçantes, le tourisme, et dans toutes les nouvelles productions. Ainsi les moyens de
développement changent, mais la hiérarchie sociale reste la même.
Aujourd’hui, on constate que la Martinique est sous perfusion économique de la métropole,
car elle ne produit que très peu par rapport à ce qu’elle consomme. Le taux de chômage y est
important (CF annexes 1), l’économie locale très faible, et les personnes ouvrant droit aux
aides sociales (allocations familiales, aides aux logements, etc…) représentent une majorité de
la population. Le coût élevé de la production agricole, le manque de débouchés commerciaux,
au niveau régional et international, la concurrence avec les îles voisines ayant les mêmes
productions, constituent les véritables handicaps à l’amélioration de l’économie locale.
En revanche, il existe dans l’île une économie informelle qui fonctionne très bien. Elle est
basée sur les relations de services, des petits « jobs » rémunérés sans intermédiaires
communément appelés « au black ». Cette économie là permet à la population de s’assurer un
certain niveau de vie. Elle n’est pas récente. Michel Leiris en 1955 en parle déjà en ces
termes : « Les classes moyennes ont généralement un emploi et ont une activité en plus, une
boutique, un cinéma, […] Aux degrés inférieurs de l’échelle sociale, cumuls ou alternances
d’occupations s’avèrent encore plus fréquents, et presque de règle en bien des cas. »4
3. Les données politiques
Avant toute chose, il est nécessaire de préciser ce que nous entendons par « politique », ce
terme ayant plusieurs sens. Nous ne traiterons, ici, que le sens du nom politique selon la
définition suivante : « ensemble des options prises par le gouvernement d’un état dans les
domaines relevant de son autorité. » ; nous retenons en conséquence les trois pouvoirs
essentiels qui organisent la vie de l’état : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Nous
essaierons de voir comment en Martinique ils s’appliquent.
En raison de son passé de colonie, la politique de l’île, tout comme l’économie, n’est pas
décidée par elle, mais dépendante des lois établies par la métropole.
3.1. De la départementalisation à aujourd’hui
La départementalisation, est l’annonce d’un nouveau statut pour la Martinique, elle fait
maintenant partie de la France au même titre qu’un département continental. C’est aussi un
nouveau statut pour la population. Car il apparaît un alignement des règlements, jusque là
coloniaux, sur les lois appliquées en métropole. La départementalisation rétablit donc, en
théorie, l’égalité entre ces deux populations. En réalité les anciens préjugés issus de l’héritage
esclavagiste continuent encore aujourd’hui (à un moindre degré) d’exister. La couleur de la
peau reste encore un critère de hiérarchie dans l’échelle sociale.
La Martinique en tant que département français d’outre-mer a un double statut. Elle a la
particularité de ne pas être simplement intégrée à la métropole, mais assimilée en tant que
département (loi du 19 mars 1946) et région (loi du 31 décembre 1982). Les régions d’outre-
4 Leiris Michel, 1955, Contact de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, p 35.
mer sont « monodépartementales »5, particularité qui se traduit par une superposition de
collectivités (région et département). En effet, la Martinique est incorporée au champ
institutionnel de l’Etat français. Elle ne bénéficie d’aucune autorité particulière car le
gouvernement français est responsable des organes législatif, exécutif, et judiciaire. Depuis la
loi du 2 août 1984, elle profite de la décentralisation, au même titre que les autres régions
françaises, avec cependant des mesures d’adaptations rendues nécessaire par sa situation
particulière. Toutefois l’assimilation de la Martinique à la métropole n’évite pas la formation
de groupes indépendantistes. Bien que représentants une minorité politique, ces groupes ont
une certaine influence dans l’île surtout dans les années 70, 80.
Aujourd’hui l’accès aux mairies de l’île est exclusivement réservé à des individus de la
population locale, ainsi que les postes de maires et les postes à responsabilités politique. Les
métropolitains et les békés n’y sont pas souhaités.
3.2. La Martinique dans l’Europe
En raison de son appartenance institutionnelle à la France, la Martinique, est une région
européenne. De fait dès la création de la CEE6, les DOM ont été intégrés à l’Europe (Article
227-1 du Traité de Rome). Cependant, le gouvernement français peut intervenir pour obtenir
l’adaptation de certaines mesures s’appliquant d’office aux DOM sans tenir compte de leurs
spécificités. L’application systématique des réglementations européennes dans les
départements français d’outre-mer risquerait d’aggraver leur économie déjà fragile. Pour
pouvoir être compétitive sur le grand marché européen la Martinique doit fournir plusieurs
efforts. Elle doit premièrement rattraper son retard par rapport à l’Europe, et deuxièmement
différencier ses productions d’exportation en les adaptant à la demande européenne. Cela
n’est possible qu’en renforçant les structures de production agricoles, industrielles et
artisanales. Dans l’immédiat, malgré les efforts français et européen, il ne semble pas que la
Martinique, ainsi que les autres départements d’outre-mer, ne soient pas prêts à cette
échéance.
De plus, l’assimilation des DOM à la métropole française constitue la solution politique la
plus radicale à leur exclusion des îles de la Caraïbe et d’un système structuré entre elles. Le
corollaire de cette assimilation a eu pour conséquence d’isoler de façon aigue les îles
françaises du reste de l’espace caribéen.
5 Taglioni François, 1995, Géopolitique des petites antilles. Influences européennes et nord américain, p 66. 6 CEE est la Communauté Economique Européenne.
En conséquence, les contraintes de l’insularité, le morcellement économique, politique
et humain, ainsi que les structures héritées du passé, contribuent à maintenir la Martinique,
ainsi que les autres départements d’outre-mer, dans un état de dépendance fort qui produit une
surconsommation. Ces sociétés ne bénéficient donc que des artifices qu’engendre le
développement.
4. Les métropolitains dans ces différents contextes
Après avoir replacé la Martinique dans ces divers contextes, nous allons maintenant mettre en
exergue la place qu’occupe le métropolitain dans chacun d’eux. Nous allons dégager quelle
est son arrivée historique, dans cette société martiniquaise, mais aussi voir quelle place
économique a-t-il au sein de ce système, et enfin détient-il une influence politique dans l’île.
4.1. L’arrivée historique des métropolitains
Historiquement la dénomination de métropolitain, n’est apparue que vers les années 1960.
Jusque dans ces années là, il n’existait pas de communauté de métropolitains, seulement
quelques gens de passage, pas de groupe identifiable. Les termes employés, alors, pour parler
de ces personnes venues de France, étaient : « européens » ou « blancs France ». Au travers
de ces premiers termes, la caractéristique physique des individus est directement annoncée, et
par cela même, est inclue une forme de subordination. Le blanc est quelqu’un que l’on
respecte, (héritage de la situation de domination que la population a subi). Il vient de France
pays mythique des bonnes manières et de la culture française. Mythe entretenu par les békés,
mais aussi par les personnes qui y ont séjourné (ils reproduisent cette idée de la France, même
lorsque leur séjour s’est mal passé).
L’arrivée des métropolitains en Martinique, commença à prendre une certaine importance,
avec le début de la départementalisation. La mise en place du département nécessite des
structures institutionnelles et du personnel. N’ayant pas sur place de personnel qualifié, des
fonctionnaires de métropole sont mutés en Martinique, pour assurer tous les postes à
responsabilités. Avant la départementalisation certains métropolitains vivent déjà en
Martinique mais ils sont en nombre très réduit, et ils se fondent dans la population. Ils sont
d’ailleurs considérés par elle comme « de vrais martiniquais »7.
Les premiers fonctionnaires à être mutés sur l’île, sont très appréciés de la population. D’une
part parce qu’ils arrivent avec une certaine position sociale, respectée, mais aussi parce qu’ils
7 Lucrèce André, 1994, Société et modernité. Essai d’interprétation de la société martiniquaise.
n’hésitent pas à aller au contact de la population, du moins dans les premiers temps,
contrairement aux Békés qui entretiennent sur eux toute sorte de préjugés. Par la suite, cette
population se rapproche irrémédiablement du groupe des békés, « certainement plus attirés
par les soirées mondaines qui s’y déroulaient »8. Cependant, ces fonctionnaires sont de
passage et ne peuvent pas être identifiés comme un groupe (mutation inférieure à trois ans).
Leur minorité leur vaut la sympathie des martiniquais.
Vers les années 1960, le nombre de métropolitains augmente. Ils exercent des fonctions
publiques (civiles ou militaires), ou ils appartiennent au clergé, ou bien ils occupent des
postes de cadre dans les entreprises, dans les banques, dans les commerces… Avec
l’augmentation de ces arrivées, les métropolitains commencent à former entre eux des
regroupements. C’est à partir de ce moment là que sont employés les termes de
« métropolitains » ou de « z’oreilles » pour parler de ce groupe à présent identifiable. Dans la
formulation de ces nouvelles appellations, utilisées plus communément par les générations
issues de la départementalisation, il est sous entendu une notion péjorative. Les métropolitains
deviennent de moins en moins des individus appréciés, cependant avec un degré moindre que
les békés. Cette distinction repose sur la différence de leurs préjugés vis-à-vis de la
population de couleur. Le métropolitain qui a vécu en Métropole et reste en situation
d’étranger, n’a pas la même représentation que le blanc créole, béké, empreint de la tradition
colonialiste. Malgré sa qualité de blanc, il n’est pas inséré dans les catégories locales. Son
rapport avec les uns et les autres n’est pas influencé, par conséquent, par cette hiérarchie socio
raciale, dans laquelle il n’est pas inclus. Cependant ses attitudes et comportements, eux, seront
expliqués et attribués à sa couleur de peau.
4.2. L’intérêt économique des métropolitains sur l’île
Actuellement les métropolitains en Martinique ne représentent que quelques milliers
d’individus. C’est un groupe minoritaire, sa représentation dans la population totale est
estimée à environ 4%. Cependant il n’est pas facile à recenser parce qu’il est constitué en
majorité de personnes de passage sur île. Ce groupe est sans cesse en mouvement.
Néanmoins les métropolitains, malgré leur petit nombre, interviennent dans l’économie locale
sur différents points :
Premièrement cette population venue de France possède un pouvoir d’achat important.
Beaucoup sont fonctionnaires et bénéficient, ainsi des 40% de salaire en plus, en rapport au
8 Leiris, Michel, 1955, Contact de civilisation en Martinique et en Guadeloupe.
coût de la vie locale plus élevé qu’en métropole. Selon le poste occupé par l’individu (souvent
cadres), son salaire peut devenir, avec cet avantage, vraiment conséquent. Les investissements
étant défiscalisés par l’Etat pour une durée de cinq ans, nombre d’entre eux, font construire
leur maison en Martinique, ou en achètent une. Le métropolitain fait ainsi, des économies
d’un coté, a un salaire plus important de l’autre, et peut se permettre de consommer. Leur
consommation est généralement dirigée vers les activités qu’offre l’île, comme tous les sports
d’eau, et de mer, mais aussi le tourisme dans les îles voisines, et enfin les activités nocturnes,
comme les bars et autres boîtes de nuits.
Deuxièmement, par les postes à responsabilités qu’ils occupent, ils impulsent, souvent, une
dynamique de travail importée de la métropole, basée principalement sur le rendement et la
compétitivité. D’autres, voyant un créneau commercial non exploité, n’hésitent pas à monter
leur entreprise, créent de nouveaux débouchés, et ainsi insufflent un nouveau souffle à
l’économie locale.
Enfin, troisièmement, ce sont eux qui détiennent la plupart du commerce lié au tourisme. Que
se soient, des hôtels, des restaurants, des bars, des boutiques d’objets souvenirs, jusqu’aux
stands de bijoux en bord de plages, tout ce marché leur appartient. Ils entretiennent, par ces
activités là, le côté exotique de l’île qui fait fonctionner le tourisme, devenu une source
importante de revenus pour l’île.
4.3. Le métropolitain et la politique
Le métropolitain a un statut particulier par rapport à la politique.
Historiquement, nous l’avons vu, la politique locale était conduite par les descendants des
premiers colons, les békés. Les Noirs leur reprirent massivement ce pouvoir, à partir de la
départementalisation, en élisant aux mairies des communes, des personnalités locales de
couleur. La politique, ainsi récupérée, est devenue une source de pouvoir très importante pour
cette communauté, dirigée durant les siècles d’esclavage par la population blanche. Ces postes
de maires, de conseillers généraux, et régionaux, sont par conséquent ressentis, par la
population de couleur comme une revanche sur l’histoire.
Pour cette raison, l’accès à la politique pour les métropolitains est difficile voire impossible.
Ils peuvent faire partie, de liste électorale, toutefois, sans jamais espérer obtenir un poste à
responsabilité. Leur participation est, alors acceptée, voire même appréciée, comme nous le
verrons dans les chapitres suivants. L’engagement des métropolitains dans la politique se lit
aussi dans leur syndicalisation. Néanmoins, rare sont ceux qui osent s’engager dans ces
actions politiques qui prennent très souvent, des tournures de lutte socio raciale.
A part, ces personnes volontairement engagées dans la politique, les métropolitains peuvent
aussi être victimes de la représentation que la population se fait d’eux. Les békés,
propriétaires de nombreuses entreprises dans l’île, emploient, généralement à la gérance de
leurs affaires des métropolitains. Lors de conflits sociaux se sont ces derniers qui se
retrouvent aux tables de négociations face aux syndicalistes. Dans cette position délicate, où
la dichotomie noir/blanc est clairement visible, les métropolitains sont piégés dans le jeu de la
distinction de couleur vers lequel le conflit peu à peu tend. Ils se retrouvent assignés dans le
camp adverse des ouvriers, et donc de la population entière qui s’identifie, pour l’occasion, à
eux. Par symétrie, c’est toute la communauté métropolitaine qui est identifiée aux gérants de
l’entreprise. Ainsi le conflit prend une tournure sociétale, qui englobe même ceux qui ne se
sentent pas concernés par le débat.
Le métropolitain évoque aussi d’autres représentations dans l’imaginaire de la population
martiniquaise. Il arrive de la métropole, où se concentrent tous les pouvoirs étatiques. Lors de
protestions contre les décisions du gouvernement, qui est distant de plus de 7 000 Km,
l’association métropolitains/Etat se fait dans les esprits. Les métropolitains sont alors victimes
du mécontentement de la population, qui ne peut être exprimé directement à l’Etat, représenté
involontairement par ces derniers. De même, les locaux associent l’image qu’ils se font de la
métropole, avec toutes ces vertus, (le travail y est sérieusement accomplit, les gens sont
compétents, polis, tout fonctionne à la perfection, elle est source de connaissances, de
technicité…), au métropolitain et seront plus exigeants avec lui, parce qu’il évoque le mythe
de cette société idyllique.
Ce premier chapitre nous a permis de faire un retour rapide sur la société martiniquaise
au travers de trois points essentiels l’histoire, l’économie et la politique. Il était
particulièrement important de rappeler ces contextes, car le vécu de ces changements a
structuré les martiniquais et la Martinique d’aujourd’hui. C’est par cette histoire qu’ils se sont
construits. La connaissance et l’étude de celle-ci peuvent nous permettre de comprendre le
comportement et les attitudes des martiniquais, notamment vis-à-vis des métropolitains.
Par ailleurs, ces données sur la société martiniquaise situent le cadre que retrouvent les
français venus de l’hexagone, à leur arrivée.
Chapitre deux : Qui sont les métropolitains qui vivent en Martinique ?
Nous avons déjà vu que depuis la départementalisation de la Martinique, la population
de métropolitains se destinant à vivre sur l’île, du moins durant un temps, ne cesse de
s’accroître. Les premiers arrivés avaient autrefois pour mission de mettre en place les
institutions administratives et éducatives. Celles-ci sont aujourd’hui, (soit 57 ans après la
départementalisation), bien encrées dans le fonctionnement de la société martiniquaise, avec
un personnel local parfaitement formé. A présent on peut se demander qui vient en Martinique
et pourquoi. S’agit-il encore d’une nécessité pour le développement local, ou est-ce une
migration de population individuelle, indépendante de la bonne marche de l’île ? Il y a t il des
incidences sur la population locale ?
1. Qui vient ?
Il faut avant tout chose, signaler la difficulté d’établir une typologie de ce groupe, qui ne peut
d’ailleurs être considéré comme tel que par leur identique origine d’appartenance.
Au début de la départementalisation, ce groupe pouvait être repérable par son activité
professionnelle, principalement des métropolitains de la fonction publique civile et militaire,
ou des membres du clergé. Aujourd’hui le nombre de métropolitains s’est accru, et les
professions qu’ils exercent se sont considérablement diversifiées. Il n’est plus possible
d’établir une typologie représentative à partir uniquement de ce critère.
Par conséquent nous avons tenté de n’établir non pas une typologie, mais des profils de
métropolitains à partir de diverses variables. Nous avons retenu comme variables, le statut
professionnel, l’âge, la situation conjugale (seul ou en couple), le sexe (pour les personnes
venues seules). (CF annexe 2).
Pour cette étude, nous avons interrogés vingt six métropolitains. C’est à partir de ce groupe
que nous allons tenter de dégager des profils d’individus.
1.1. La profession
Il est intéressant de constater que la population métropolitaine en Martinique s’est
considérablement diversifiée au niveau professionnel. Le groupe est très hétérogène. Certes,
les postes occupés par ces nouveaux arrivants ne sont plus uniquement les postes à
responsabilités dans les institutions, mais leur position sociale reste, cependant souvent
élevée. Ils exercent surtout dans les secteurs, où la Martinique connaît des difficultés de
recrutement de spécialistes ; difficultés non spécifiques à cette dernière, puisque la métropole
connaît elle-même un manque de personnes formées à ces fonctions. Il s’agit notamment des
métiers de laborantins, pharmaciens, dentistes, et autres spécialistes du corps médical. Parmi
les personnes que nous avons questionnées neuf font partis de ces branches professionnelles.
Dans ce groupe, nous constatons des distinctions entre les individus. Ils n’ont pas tous le
même rang hiérarchique : parmi les laborantins nous pouvons distinguer les responsables de
laboratoire des simples salariés. Même si la plupart sont des pharmaciens biologistes. Cette
remarque est valable pour les autres professions, les métropolitains n’ont pas, dans chaque
catégorie, tous les mêmes statuts.
Les seconds métiers fortement représentés sont, incontestablement, ceux des fonctionnaires.
Ces derniers relativement nombreux s’inscrivent dans une vaste diversification postes. Que se
soit dans l’éducation nationale, dans les entreprises d’Etat, dans l’administration en générale,
au ministère de l’intérieur, ou dans le corps militaire, et à quelque niveau de responsabilités
que se soit, des employés métropolitains de la fonction publique sont présents en Martinique.
Moins nombreux que lors de la mise en place des structures départementales, leur présence
reste cependant constante. Cette population de fonctionnaires, pourrait se réduire. En effet les
privilèges économiques dont ils bénéficient encore actuellement (à savoir les 40% de vie
chère ajoutée à leur salaire) risquent d’être reconsidérés prochainement. Cet avantage disparu,
on suppose que les demandes de mutation pour la Martinique, seront amoindries.
Une troisième catégorie de métiers repérables, est celle des professions liées au tourisme, où
les métropolitains sont les principaux acteurs. Ils tiennent en gérance des hôtels, des
restaurants, des commerces et des lieux de distraction mis à la disposition des touristes en
vacances. Ici encore, les personnes oeuvrant dans ces secteurs d’activités, peuvent être aussi
bien des saisonniers employés pour quelques mois que des responsables de chaînes hôtelières,
ou des personnes à leur compte. Dans d’autres secteurs, certains ont eux créés leur entreprise,
ou leur société : nouveaux créneaux comme la publicité, la production d’artistes, ou encore
reprise d’affaires déjà existantes.
Hormis ces trois grosses catégories, et leurs sous ensembles, les français venus de l’hexagone,
peuvent travailler absolument dans tous les secteurs que propose le marché du travail, tout
comme ils se retrouvent aussi dans ces marges. En conséquence, il n’est pas rare que des
entreprises s’implantent en Martinique, amenant avec elles : leurs techniques, leurs
technologies et leurs techniciens. A présent, on peut trouver des sociétés d’informatique ou de
maçonnerie avec des employés uniquement européens. Ainsi nous constatons que des
activités occupées par les métropolitains, étaient autrefois des postes, principalement tenus par
des locaux, comme les travaux manuels, aussi bien agricoles que de construction.
Cependant, toutes les personnes qui viennent de métropole n’ont pas obligatoirement une
activité professionnelle. Certains sont au chômage, d’autres n’ont volontairement pas
d’activité professionnelle. Depuis peu apparaît aussi en Martinique, une nouvelle population
dite « en marge ». Ces individus venus de France sont sans revenus et/ou sans domicile fixe
et, parfois même, dépendant de la drogue, faisant la manche dans les rues de la ville principale
de l’île, Fort-de-France.
En ce qui concerne ces derniers individus, le mépris de la population locale envers eux est très
fortement ressenti. Dans cette société où le statut de l’homme blanc a été intériorisé comme
supérieur, un tel comportement est vécu comme une provocation. Cette image du blanc ne
correspond pas à celle qu’en n’ont les martiniquais, elle ne correspond pas à la conception que
les martiniquais se font du statut, de la condition sociale du blanc. Par conséquent cette
attitude n’est pas comprise, et mal interprétée par la population antillaise.
Une telle diversification, et un tel étalement dans les secteurs d’activités, nous montre
combien la qualité de métropolitains n’est plus aujourd’hui représentative d’un statut
professionnel, ni même d’un corps de métier. Être métropolitain de nos jours ne veut plus dire
être responsable d’entreprise, enseignant, ou directeur de service de la fonction publique.
Néanmoins dans bons nombres d’esprits, reste présent une certaine idée positive de sérieux et
de confiance. Lors de la recherche d’un emploi, cet élément facilitera davantage l’embauche
d’un métropolitain que celle d’un martiniquais. Cependant le développement de cette
hétérogénéité professionnelle des métropolitains, est interprété par les locaux comme le vol du
travail, qui autrefois, leur était réservé.
1.2. L’âge
Pour traiter cette variable de l’âge, nous avons prit l’âge des personnes interrogées lors de leur
arrivée en Martinique. Ce critère rend plus homogène la population de métropolitain. En effet,
nous avons constaté que la décision de venir vivre sur l’île est prise, varie entre 25 et 35 ans.
Ces personnes sont par conséquent relativement jeunes. Leur décision correspond à un
changement de vie qui est envisageable à cette période de l’existence. C’est souvent à la fin
de leurs études, après l’obtention de leur diplôme que les jeunes métropolitains veulent venir
acquérir une première expérience dans cette région de la France. Le choix de cette destination
est, bien entendu, privilégié par son côté exotique. Cependant il est possible seulement dans
certaines professions, où on enregistre de la demande. Nous avons vu que c’était le cas pour
les dentistes, les laborantins et les pharmaciens, en particulier.
D’autres étant un peu plus âgés, et ayant déjà une première expérience de travail, souhaitent
être mutés, pour quitter leur région et pour connaître autre chose. Ces demandes de mutation
sont faites le plus souvent par des enseignants, et autres agents de la fonction publique.
A part ces recherches d’expériences professionnelles, la volonté de partir durant cette tranche
d’âge de vie, est motivée évidemment par la situation familiale. Entre 25 et 35 ans, beaucoup
de personnes sont encore célibataires ou simplement en couple, ou encore avec des enfants en
bas âge. Ils peuvent se permettre de changer de cadre de vie, parce qu’ils n’ont pas de réelles
obligations familiales ou bien parce que l’adaptation familiale sera plus facile avec des jeunes
enfants. Ces facteurs facilitent la transition d’un lieu à l’autre. Leur motivation s’appuie
également sur l’envie de découvrir de nouveaux horizons où se rajoute le côté exotique de la
Martinique : l’éloignement, les plages, le soleil, les bains, les loisirs et les sports
maritimes…poussent certains à tenter l’expériences.
C’est par conséquent entre cette tranche d’âge que les motivations de départ sont les plus
nombreuses.
1.3. La situation conjugale
L’étude de l’âge nous permet une transition logique avec la troisième variable : la situation
conjugale. Comme nous venons de le voir, la jeunesse des personnes qui s’installent en
Martinique, induit l’absence de charge familiale. Ceci est vrai pour les personnes de 25 à 30
ans. Cependant dans la seconde tranche d’âge supérieur entre 30 et 35 ans le nombre de
personnes en couple, avec des enfants en bas âge sont plus nombreux. Sur les vingt six
métropolitains que nous avons interrogés, treize sont arrivés en couple, et sur ces treize
couples, cinq avaient déjà des enfants en bas âge. Il semble évident que l’engagement d’un
couple sans enfants, ne peut pas être identique à celui d’un couple ayant des enfants. Les
responsabilités de ce dernier sont d’autant plus importantes qu’il doit veiller à la bonne
adaptation de chaque membre de la famille. En effet, si l’un d’entre eux n’arrivent pas
s’accoutumer au mode de vie local, c’est toute la famille qui sera amener à remettre en cause
l’installation sur l’île. A l’inverse, pour un couple sans enfant, cette décision n’engage que des
adultes susceptibles d’exprimer leur ressenti et de l’ajuster au contexte afin de s’adapter ou de
revenir sur leur choix.
Les personnes qui sont en couple, avec ou sans enfant, constituent un groupe. Le changement
de lieu de vie, d’environnement relationnel, provoque l’intrusion d’un groupe familial dans un
autre groupe. Un des risques encouru par les nouveaux arrivants est de se replier sur eux-
mêmes, dès les premières difficultés rencontrées avec l’extérieur. Le danger est de voir se
constituer un face à face entre ces deux groupes, leur opposition étant alimentée par la peur
de la différence. L’analyse de ces derniers problèmes évoqués, est reprise et approfondie dans
le sixième chapitre de cette étude.
Nous avons rencontré aussi, des métropolitains venus seuls. Pour ces derniers, leur arrivée
dans l’île est un choix qui n’engage qu’eux. Ils représentent douze personnes sur les vingt six
rencontrées. Parmi ces douze personnes, nous notons la présence de seulement quatre
femmes, donc moitié moins que les hommes, âgées entre 30 et 35ans. L’hypothèse que nous
pouvons avancer est que dans cette tranche d’âge, les femmes sont en couple. Nous savons
aussi que dans l’inconscient collectif une femme seule est imaginée davantage en danger
qu’un homme seul. Puisque c’est une personne qui est considérée plus fragile que l’homme
est moins capable physiquement de se défendre par elle-même. Par conséquent ceci peut être
un élément qui les dissuade à partir seule. Cet élément est en plus accentué par la réputation
que les antillais ont d’être des « coureurs de jupons ». Les femmes non accompagnées sont
alors amenées à se sentir plus en insécurité que celles qui sont en couple. D’où un nombre de
candidates au départ moins accru que celui des hommes.
1.4. Le Temps
A ces trois premières variables, il parait opportun d’y rajouter une quatrième, moins
sociologique, mais tout aussi pertinente, qui est celle du temps, soit le nombre d’années
qu’envisagent de passer les métropolitains en Martinique. Les prévisions des métropolitains
peuvent être classées en trois catégories.
Certains savent dès le départ la durée exacte de leur séjour sur l’île. Il s’agit généralement de
durée fixée par un contrat d’embauche qui définit un temps précis d’activité en Martinique.
Ces personnes sont fréquemment des employés de la fonction publique qui ont été mutés ou
qui ont demandés à l’être. D’autres viennent par leur propre moyen à la Martinique pour des
raisons plus ou moins professionnelles. Ils n’ont pas définit la date d’un retour en métropole.
Ils sont en Martinique pour une durée indéterminée, mais il en garde en vue l’objectif d’un
retour. Leur passage peut donc varier de quelques mois à plusieurs années. D’autres enfin ne
souhaitent pas retourner en France, et désirent établir leur domicile de façon permanente sur
l’île. Ces derniers sont les moins nombreux. Le groupe métropolitain reste représenté comme
un groupe en perpétuel mouvement. Certains arrivent quand d’autres partent ; des entreprises,
des commerces, des restaurants se montent puis se ferment quelques temps après ; des
maisons sont construites et revendues. Le groupe est présent mais les individus changent
régulièrement. Cette dynamique a pour conséquence d’apparenter les métropolitains, à des
personnes sur lesquelles les martiniquais ne peuvent s’appuyer, puisqu’ils ne savent jamais
combien de temps ils vont rester sur l’île.
Nous venons de voir l’hétérogénéité de la population de métropolitains en Martinique. Leur
statut, ainsi que leur profession, leur situation conjugale, leur genre, leur durée de séjour sur
l’île, sont très variés. Seules la tranche d’âge, de le départ de France semble rendre homogène
cette population. Tous ces critères énumérés, sont descriptifs de la population métropolitaine
établie en Martinique. Mais ils jouent aussi, de façon plus ou moins positive, sur le processus
d’adaptation que vont mettre en place ces différents individus.
2. Pourquoi viennent-ils ?
Après cette description sociologique des métropolitains, il convient de s’interroger sur les
motivations qui les poussent à quitter la France pour vivre en Martinique. Comment lorsque
l’on ne connaît pas, ou peu les départements d’outre-mer décide-t-on de partir y vivre ? Quels
peuvent être les intentions, les buts qui suscitent le départ ?
2.1. Une expérience...
L’un des premiers moteurs de départ de l’hexagone des métropolitains est le désir d’acquérir
une expérience. Quelle soit professionnelle ou personnelle, s’éloigner de son environnement
d’origine pour acquérir de nouvelles connaissances, entraîne une réelle motivation.
L’expérience personnelle
Dans de nombreux cas, l’expérience professionnelle est la première source d’intérêt évoqué
pour expliquer l’origine du départ pour la Martinique. Elle sous-entend une volonté de
changement de lieu de vie et de vie. Le choix de cette destination n’est pas neutre. La
Martinique offre ce dépaysement indispensable au changement de lieu : par sa distance avec
la métropole, par son cadre « exotique », et par le contact avec les originaires. Elle permet
cependant un changement de vie accompagné d’une certaine sécurité. L’île est française, les
métropolitains sont sûrs de retrouver les éléments essentiels au bon fonctionnement de la vie
quotidienne, à savoir la même langue, qui permet de communiquer facilement, et les mêmes
structures administratives, qui leur permettent d’effectuer les démarches nécessaires au
changement de domicile, sans difficulté majeures.
C’est ainsi que nombre d’entre eux, tentent cette expérience, en fonction de leur âge, de leur
peu d’obligation familiale et matérielle, expérience, qu’ils pensent ne plus pouvoir se
permettre dans quelques années.
L’expérience professionnelle
Cette seconde expérience est souvent utilisée, comme un argument, pour appuyer la première.
Selon l’âge de la personne concernée, l’emploi trouvé sur l’île, est son premier exercice
professionnel. L’expérience peut alors être positive comme négative dans le déroulement de
sa carrière. Le fonctionnement de travail en Martinique est différent de celui de l’hexagone.
Les conditions, le rythme de travail, n’y sont pas similaires (nous verrons ce point dans le
chapitre suivant). Soit cette expérience leur apporte une réelle polyvalence, soit elle les forme
à un mode de travail totalement différent de celui de la France, et les obligera à un effort de
réadaptation, lorsqu’ils souhaiteront s’insérer dans les réalités du monde du travail
métropolitain.
Les métropolitains ayant acquis une, ou plusieurs expériences professionnelles, réagissent
différemment face au rythme de travail martiniquais. Certains, le rejettent, le nient. Ils tentent
de reproduire le modèle connu et maîtrisé, pour chercher à se rassurer inconsciemment, ou
essaient d’inculquer leurs connaissances à leur environnement professionnel afin de faire «
évoluer » le savoir faire local. Le résultat obtenu est souvent contraire à celui souhaité et il
s’opère des résistances de part et d’autre.
On note à l’inverse, des attitudes positives face au rythme de travail local, dès lors, il
s’instaure une relation de confiance entre les deux communautés, permettant un
enrichissement réciproque. L’éloignement du milieu d’origine, la découverte d’un nouveau
public, une économie et un contexte culturel différents vont inciter certaines personnes à
s’aventurer dans un travail, dans un emploi, parfois fort éloigné de leur expérience
professionnelle précédente.
D’autres, spécialistes d’une profession, mais n’excellant pas en métropole viennent l’exercer
en Martinique. Les critères d’exigence n’étant pas toujours les mêmes, ils arrivent à se faire
une nouvelle réputation, une nouvelle clientèle, parfois plus dense que celle de leur
précédente région d’intervention. L’expérience dans ce cas, n’est pas un acquis mais un
leurre. Car ils espèrent, ainsi, pouvoir continuer l’exercice de leur activité sachant que leur
manque de compétence va pouvoir être gommé par l’éloignement avec l’hexagone et les
critères qui y sont imposés.
Pour conclure, il est important de souligner que ce terme « d’expérience » revêt deux
notions : celle de temps limité, l’expérience n’est qu’un moment de la vie, un vécu acquit,
durant une période définie. La seconde notion découle de la première. L’absence de caractère
définitif permet, si l’expérience se déroule mal, son interruption. Dans l’utilisation du terme
« expérience », les métropolitains laissent entendre leur désir de retourner en métropole, à un
moment ou à un autre.
2.2. Les connaissances qui encouragent au départ
Certains métropolitains choisissent d’aller s’installer en Martinique par l’encouragement de
proches, ou de membres de la famille, qui y vivent.
La destination de la Martinique s’inscrit, bien entendu avant tout, dans une optique de départ,
motivée par différents éléments : fin d’un contrat de travail, sentiment de s’enliser dans une
routine, ou envie de quitter la France hexagonale.
La connaissance d’amis ou de famille sur place procure un double sentiment de sécurité
renforçant l’intention de départ. L’expérience de leurs amis, leur permet d’avoir un aperçu de
la vie locale et d’évaluer si c’est cela qui leur convient. Ils peuvent également grâce à ces
personnes obtenir un appui leur procurant, du moins dans certain temps, une certaine quiétude
en bénéficiant de leurs réseaux de connaissances, que se soit pour travailler, pour trouver un
logement ou pour tout naturellement lier des amitiés.
Il arrive aussi que se soit après être venu en vacances chez des amis à plusieurs reprises, et
parce qu’ils apprécient l’île, que certains décident de tout quitter en métropole pour venir s’y
installer. D’autre encore, sont « invités » à venir y séjourner et décident de ne plus en repartir.
Enfin, quelquefois, la décision de partir est déjà prise. Pour faciliter l’organisation du départ et
les premiers pas sur l’île, ils font appel à ces amis ou utilisent les connaissance d’amis ou de
voisins, de personnes déjà installées dans le département.
Ces amis, ces connaissances, ainsi que la famille peuvent être des métropolitains comme des
martiniquais. Les métropolitains peuvent connaître des martiniquais, rencontrés en métropole,
et repartis vivre en Martinique. Ou bien, s’ils vivent toujours dans l’hexagone, ils peuvent
avoir rencontrés leurs parents qui les accueillent un temps de leur séjour sur l’île. Ils peuvent
aussi, être membre par alliance d’une famille martiniquaise, par un conjoint antillais, connu
en métropole.
Ainsi, certains métropolitains quittent la métropole, pour rejoindre, en Martinique, un groupe
déjà constitué qui les accueillera, plus ou moins selon leurs attentes.
2.3. L’intérêt économique
Plus ou moins avoué par certains métropolitains, l’intérêt économique est l’un des arguments
déterminant pour venir vivre en Martinique : des avantages financiers sont attribués par leur
employeur, à ceux qui acceptent de se déplacer dans ces départements d’outre-mer. C’est le
cas, notamment des fonctionnaires, qui reçoivent un surplus de quarante pourcent de leur
salaire, pour compenser le coût de vie plus élevé qu’en métropole. Ceci est vrai pour certains
produits et notamment pour les produits alimentaires qui sont incontestablement plus chers.
Cette mesure est fortement discutée par les antillais notamment qui ne perçoivent pas cet
avantage. En effet, nous pouvons nous interroger sur la réelle pertinence de ce privilège
puisque les fonctionnaires martiniquais perçoivent les mêmes salaires que les fonctionnaires
de métropole (à postes équivalents). Comment, font-ils pour consommer si les mêmes
produits aux coûts si élevés ? Ce constat nous autorise à penser que cet avantage financier a
été instauré plus pour encourager l’installation de métropolitains dans les DOM, que pour une
réelle compensation du coût de la vie.
Vivre sur l’île, présente un autre avantage financier. L’investissement y est défiscalisé par
l’Etat afin de promouvoir l’installation d’entreprises dans les départements d’outre-mer et
redynamiser l’économie. Cette défiscalisation profite aussi aux particuliers qui souhaitent
investir dans l’achat, ou la construction de biens immobiliers. Elle n’est cependant effective
que pendant cinq ans. Ce temps, permet à certains métropolitains de faire des économies, ou
de réinvestir cet argent dans des épargnes rentables. Nous avons constaté qu’au terme de ces
cinq années, plusieurs métropolitains revendent leurs biens immobiliers, pour réinvestir
ailleurs et bénéficier à nouveau de la défiscalisation, ou pour rentrer en métropole.
Enfin, l’intérêt économique est convoité par ceux qui souhaitent monter leur commerce, ou
leur entreprise. Sans généraliser, cette démarche à toutes les activités commerciales sur l’île,
certains laissent transparaître leurs intentions par leurs démarches. Le but de l’investisseur de
l’activité, souvent liée au commerce du tourisme, n’est pas de pérenniser l’entreprise, mais de
gagner un maximum d’argent en un minimum de temps. La Martinique attire ces personnes
par l’image exotique et touristique qu’elle véhicule. Comme nous l’avons vu dans notre
introduction, malgré le déclin du tourisme constaté ces dernières années en Martinique
comme dans les autres départements d’outre-mer, des métropolitains viennent sur l’île,
pensant y trouver « l’eldorado ».
Ces arguments énoncés, ne sont sans doute pas les seuls. Ils sont le plus souvent cités, lors des
entretiens que nous avons effectués. Nous les avons hiérarchisés pour une meilleure
compréhension. Néanmoins, les métropolitains ne nous les ont pas présentés aussi
distinctement les uns des autres ; ils ont pu les évoquer tous à la fois, tout comme n’en
exprimer qu’un. Cela dépend, ensuite de chacun cas prit individuellement.
3. Où se situent géographiquement les métropolitains sur l’île ?
Il est intéressant de savoir si nous pouvons repérer les métropolitains dans une zone
spécifique de l’île, ou bien s’ils sont totalement dispersés dans la Martinique, afin de voir s’il
y a un regroupement géographique entre métropolitain ou pas.
3.1. Trois zones géographiques
A première vue, on observe une plus forte population blanche dans le sud de l’île que dans le
nord. Il est curieusement possible de ne rencontrer aucune personne de couleur sur une plage
de Sainte Luce, tout comme il est facile de ne croiser aucune personne blanche dans les rues
du Prêcheur. (CF annexe 3).
Une majorité des vingt six métropolitains interrogés demeurent dans le sud, ce qui semble
confirmer notre première impression. En effet, sur les vingt six personnes, dix-sept habitent
dans la zone du sud ; territoire que nous pouvons délimiter en traçant une ligne imaginaire
entre les communes Casse-Pilote et du Robert, séparant la Martinique en deux. (CF annexe 2
et 3).
Nous remarquons une concentration de métropolitains sur la presqu’île de la Caravelle et
Trinité, qui se situe un peu plus au nord de cette ligne imaginaire. Au centre de l’île, la
commune de Saint Joseph, proche de Fort-de-France, accueille un certain nombre de
métropolitains. Quatre personnes parmi celles que nous avons sollicitées, y demeurent.
Nous relevons trois zones principales de résidence des personnes venues de métropole :
• Les communes en périphérie de la capitale, Fort-de-France : inscrites dans un arc de
cercle reliant les bourgs de Schoelcher, Saint Joseph et le Lamentin.
• La presqu’île de la Caravelle incluant la commune de Trinité.
• La côte sud de l’île qui s’étend des Trois Ilets à Sainte Anne. Nous constatons une
forte représentation de cette population entre les Trois Ilets et le Diamant, ainsi que
dans la commune de Sainte Luce.
Les personnes questionnées ont, en majorité, choisi leur lieu de résidence. Trois d’entre elles,
seulement habitent dans un logement de fonction. Elles vivent, d’ailleurs, dans le nord de
l’île.
3.2. Comment les métropolitains expliquent-ils ces regroupements ?
Nous pouvons alors nous interroger sur ce qui amène les métropolitains à choisir ces zones
pour établir leur logement. Plusieurs personnes avancent l’argument de la proximité du lieu de
travail. Effectivement, Fort-de-France, capitale économique, centre administratif, ville
principale de l’île, regroupe les lieux de travail de la plupart des métropolitains. En outre,
l’immense zone commerciale qui y est accolée, réunit un nombre considérable des actifs de
l’île. Nous constatons que la majorité des emplois se situent dans Fort-de-France. Par
conséquent, toute personne qui souhaite atteindre la ville, aux horaires habituelles de travail,
se retrouvent bloquée dans les embouteillages. Ainsi, c’est pour éviter ces inconvénients
qu’une partie importante de ces salariés dont les métropolitains a fait le choix d’habiter dans
les communes périphériques à l’agglomération.
D’autres métropolitains ont choisit de vivre au coeur des avantages que proposent l’île : à
savoir habiter prés de la mer : la mer caraïbe, ou l’océan atlantique. Ils souhaitent profiter
d’une qualité de vie qu’ils ne connaissaient pas en métropole. La recherche d’une habitation
en bordure de mer, d’une plage sablonneuse offre un cadre de vie correspondant à l’image
qu’ils ont conçue de la Martinique lorsqu’ils demeuraient en métropole. Ils tentent ainsi
d’associer une qualité de travail à un environnement au quotidien exotique. Les personnes qui
vivent entre la Pointe du Bout et l’Anse à l’Âne, peuvent se rendrent à Fort-de-France par
bateau. Ce nouveau mode de transport leur évite les embouteillages. Son utilisation est vécue
comme un luxe. C’est ce que nous explique une métropolitaine qui habite l’Anse à l’Âne, et
qui travaille à Fort-de-France:
« Ici c’est un paradis…, de vivre là, je vais travailler en prenant le bateau, les pieds dans l’eau je
débarque sur une plage, je rentre chez moi, je débarque à nouveau sur une plage… c’est un moyen de transport
qui m’évite les embouteillages, mais en même temps c’est Thalassa […] je suis en 20 minutes chez moi, et je n’ai
eut que des agréments, j’ai eut la mer, le bateau de temps en temps des dauphins qui passent, c’est du rêve, c’est
une perpétuelle rêverie, on a que des côtés sympas… ».
3.3. Le sentiment des martiniquais
La plupart des métropolitains se retrouvent ainsi, à proximité les uns des autres, car ils
recherchent tous un cadre de vie fait de tranquillité et d’exotisme, dans certaines zones de la
Martinique. Face à ce constat, nous pouvons nous demander quelles conséquences peuvent
avoir ces regroupements pour les martiniquais.
L’installation d’un certain nombre de métropolitains dans une succession de communes
voisines est aisément remarquable. Car sur une île où la majorité de la population est noire, le
rassemblement de personnes blanches dans certains quartiers, ou bourgs, est visuellement
interpellant. Cette installation massive de métropolitains dans ces lieux, provoque un
déséquilibre sociologique. En effet, les martiniquais deviennent une minorité sur leur territoire
d’origine. Les martiniquais constatent ce phénomène et le vivent douloureusement. Ces
communes et ces bourgs sont devenus à leurs yeux des ghettos blancs où leur présence semble
gênante. La zone qui s’étend de la côte sud de l’île des Trois Ilets à Sainte Anne, est appelée
par la population locale « la côte blanche ». Une martiniquaise nous disait à ce propos :
« Moi avant j’allais à la plage là-bas [sur cette côte], mais maintenant les rares fois où j’ose y aller, je
me sens mal à l’aise. J’ai l’impression, par leurs regards [ceux des métropolitains] d’être une intruse, alors je
m’en vais… ».
Par ce témoignage, il semble assez clair que les martiniquais se retrouvent dans une position
de minorité face aux blancs, et s’y sentent mal à l’aise. Ce sentiment d’être un étranger, leur
parait d’autant plus inconcevable qu’ils sont en Martinique chez eux, et qu’ils ne devraient
donc pas à avoir à ressentir cela. Cette intrusion massive de l’autre (le blanc) peut être vécu
comme dangereuse et provoquer un sentiment de rejet et d’amertume. Nous décelons parfois
ce ressenti dans le discours de certains habitants de l’île vis-à-vis des attitudes des
métropolitains.
3.4. Interpréter autrement ces rassemblements
Après avoir dégagé l’explication donnée par les métropolitains sur la question, et avoir
recueilli l’avis des martiniquais, nous pouvons voir que par ces rassemblements dans des
quartiers ou des bourgs de la population blanche, il semble qu’il y est un inversement de
condition par rapport à la disposition générale de l’île. Les blancs, minoritaires sur l’île,
recréent, par ces regroupements dans certaines zones, une population majoritaire où les gens
de couleur, sont les minoritaires. Les seuls arguments de qualité de vie, et d’exotisme évoqués
par les métropolitains, ne semblent pas être les uniques raisons de ces regroupements
géographiques. La question que nous pouvons légitimement nous poser, est la suivante :
qu’est ce qui amène les blancs à rechercher la proximité de personnes qui leur ressemblent ?
Il faut se souvenir, que dans la société martiniquaise les métropolitains représentent vraiment
une minorité de la population. Au dernier recensement le nombre d’habitants en Martinique
était de 381 427 personnes (chiffres de l’INSEE, CF annexe 4), dont la population
métropolitaine représente 4%, soit prés de 15 260 personnes. L’appartenance à cette minorité,
nous l’avons déjà précisé, se repère au physique de la personne, elle est blanche. Cette
appartenance n’est donc pas dissimulable.
Cependant le statut de minorité (pour les blancs), au sein d’une société n’a rien de rassurant.
Leur différence de couleur permet aux martiniquais de les repérer et de les identifier,
aisément. Cette différence de couleur, est vécue par le groupe minoritaire, comme une
menace. Dès lors, pour pallier à cette peur de l’autre, les métropolitains, de façon plus ou
moins consciente, cherchent à se rapprocher du groupe où leur crainte s’atténue.
Cette peur que ressentent certains métropolitains vis-à-vis des martiniquais, est non seulement
due à la différence culturelle, mais est aussi liée à l’histoire de l’homme blanc dans son
opposition ou dichotomie à l’homme noir. Autrement dit c’est parce que le martiniquais est
noir que cette peur est accentuée. Nous ne sommes pas sans savoir que l’Europe au travers de
ces siècles de colonisation s’est forgée une image de l’Africain (donc du noir). Ces
métropolitains, parce qu’ils sont des occidentaux ont intériorisé cette image là. L’imaginaire
collectif des blancs véhicule donc, une représentation de l’homme noir qui peut être la
suivante : il est mauvais (c’est encré dans son épiderme qui est noir, par distinction au blanc
qui est le bien, le bon), il est agressif, (rappelons nous qu’il était, il y a quelques siècles encore
anthropophage), il est donc dangereux. Ces raisonnements ont été élaborés, principalement, au
cours de deux siècles : le seizième et le dix-septième. Malgré les changements idéologiques
qu’il y a pu avoir depuis cette époque, en ce début du vingt et unième siècle, cette image
demeure vivace au plus profond des européens et de certains français en particulier. Car
comme nous le dit William B. Cohen : « …les constructions mentales tendent, comme chacun
sait, à perdurer et à résister aux changements. »9. Nous tenterons d’analyser dans les pages
suivantes à partir d’indicateurs repérés, ce besoin de regroupement des blancs et de créer
paradoxalement un groupe à part entière au sein même de la société martiniquaise.
Chapitre trois : Première approche de l’île par les métropolitains
9 Cohen, William B., 1981, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880.
Après avoir présenté les métropolitains et expliqué les raisons pour lesquelles ils
viennent en Martinique nous allons étudier comment se déroule leur première approche avec
l’île. En apparence les structures ne changent pas trop de celles de la France. Cependant
plusieurs particularités de l’île vont amener ces nouveaux arrivant à s’acclimater à quelques
éléments dont ils ne soupçonnent pas la difficulté avant leur arrivée.
Dans ce chapitre, nous essayerons de voir comment les métropolitains se familiarisent avec ce
nouvel environnement, les problèmes qu’ils rencontrent, et qu’est ce qui peut leur permettre
de les résoudre avec plus ou moins d’aisance.
1. Les structures de la métropole, et le premier dépaysement
En arrivant en Martinique, département français d’outre-mer, le métropolitain pense retrouver
tout ce qui caractérise le fonctionnement de la société française. Son attente va être comblée
mais l’application qui en est faite sur l’île, diffère de celle de la métropole. Il arrive aussi,
avec une représentation en tête de la Martinique qui ne va pas toujours correspondre à la
réalité locale.
1.1. Les éléments similaires à l’hexagone
A leur arrivée et même avant leur départ, les métropolitains sont rassurés par le fait qu’ils
savent qu’en Martinique ils vont retrouver toutes les institutions dont ils dépendent en France.
Effectivement sont présents tous les services de l’Etat : PTT, EDF-GDF, éducation, justice,
hôpitaux, les administrations : mairies, préfectures, conseils générale et régionale, la DDE,
etc…, les services du secteur tertiaire, les réseaux téléphoniques, les banques, les
commerces…etc. Ces institutions sont connues et chacun sait en faire usage, au moment
opportun. Cet environnement connu donne aux métropolitains le sentiment de se sentir chez
eux, sans d’effort particulier de compréhension d’un nouveau système puisque eux-mêmes, en
étaient déjà les bénéficiaires en France. Ils l’expriment ainsi : « ici, on est en France », « la
Martinique fait partie de la France » ou « la Martinique est française ». Nous pouvons
remarquer que ces différentes formules employées illustrent l’image qu’ils ont de la
Martinique. Elles peuvent être un indicateur du comportement que ces personnes ont sur
l’île, et envers la population locale. Prenons la dernière expression « la Martinique est
française » elle souligne la possession : la Martinique appartient à la France. Elle laisse
imaginer une attitude néo-colonialiste de la part de la personne qui l’utilise.
Ainsi le métropolitain conçoit logiquement que la Martinique ait toutes les institutions
existantes dans tout autre département français. Ce qui amplifie, son sentiment de sécurité,
c’est de retrouver les mêmes panneaux de signalisation au bord des routes, à proximité des
villages et ainsi pouvoir s’orienter avec facilité dans l’île. Dans les villages, villes les
emplacements des mairies et des églises sont situés, comme en France, sur une place au centre
de l’agglomération Sur l’île, la langue officielle est le français, donc aucun problème de
communication, avec l’Autre.
Tout semble, donc fait pour qu’un individu arrivant de métropole puisse se déplacer et
s'établir sur l’île comme s’il était n’importe où en France. Tous ces éléments sont d’autant de
points de repères qui facilitent l’installation sur l’île des métropolitains. Tout ceci semble
normal à tous ces métropolitains, à partir du moment, où la Martinique est depuis 1946, un
département français.
Ce constat peut être fait par un simple passager venu de la métropole pour un court séjour sur
l’île, tout comme par les métropolitains durant les premiers mois de leur installation.
Cependant rapidement, toutes les personnes qui résident sur l’île, attestent que l’apparence est
trompeuse, en effet, la réalité est bien autre. Si l’ensemble des structures s’adosse sur le
modèle français, le mode de mise en application est particulier à la Martinique.
La première différence que relèvent les métropolitains est évidemment le rapport au temps.
Les administrations semblent travailler lentement, et la patience leur est nécessaire pour
obtenir ce qu’ils veulent.
Afin d’accélérer la procédure d’obtention de tout document ou réponse à une question, il est
nécessaire de suivre, de connaître et de respecter les codes et les règles de comportements en
vigueur sur l’île (nous traiterons ce thème dans le chapitre suivant). Les nouveaux arrivants
s’aperçoivent que la présence des structures françaises en Martinique apparemment
rassurantes et familières, ne les dispense pas d’apprendre leur fonctionnement singulier sur
l’île.
1.2. La vision de l’île par les métropolitains
La première image de la Martinique évoquée par les métropolitains, est une île idyllique. Ils
se la représentent, dans leur imaginaire comme un lieu paradisiaque :des plages de sable fin et
blanc, bordées de cocotiers où sont installés des hamacs, une vue sur une mer calme dont
l’eau est presque transparente, sous un ciel d’azur…
Ces images sont véhiculées par les agences de voyages (CF annexe 5). Afin de séduire les
clients, elles proposent quelques photos types de l’île qui mettent en exergue les immenses
plages de sable fin, les cocotiers, la mer translucide et, le soleil renforçant ainsi la
représentation interne portée par le client. Mais se sont aussi les touristes, qui partent pour des
séjours de dix à quinze jours, renforcent cette vision paradisiaque de l’île, par les éloges,
faites sur l’île à leur retour. Comme nous l’avons déjà évoqué, ils gardent un souvenir sélectif
du séjour, oubliant les difficultés relationnelles rencontrées, parfois, avec la population locale.
C’est donc une vision proche du mythe que les métropolitains ont de la Martinique à leur
arrivée.
En effet, de la vie qu’ils imaginent pouvoir avoir sur une île, se dégage un mythe, entretenu
par les représentations visuelles des agences de voyages. Mais c’est parce que justement ces
lieux paradisiaques n’existent pas dans un environnement proche des personnes que celles-ci
y adhèrent. Ce lieu idyllique, éloigné de leur quotidien et, par des milliers de kilomètres, fait
rêver ces personnes n’ayant de la Martinique et des îles, uniquement qu’une représentation
imaginaire. Avec cela, les conditions climatiques : du soleil toute l’année leur suggèrent
l’idée que l’on peut y vivre avec presque rien. Certains pensent qu’il serait possible d’y vivre
sans avoir de logement, avec un minimum de frais vestimentaires puisqu’il y fait chaud toute
l’année, de profiter des facilités agraires, liée à l’abondance de la végétation pour y cultiver
son jardin et des produits de sa pêche, pour se mourir à moindre frais. Nous voyons ici que
l’utopie de l’autosubsistance, peut aussi faire partie de ce mythe.
C’est avec ces représentations mythifiées, que les métropolitains en arrivant, et se rendent
compte des réalités de la vie sur l’île.
Un bon nombre de ces personnes découvrent pour la première fois la Martinique. Loin des
lieux aménagés pour les touristes, ils sont surpris, voire même déçus de ne pas retrouver ce
qu’ils avaient à l’esprit en arrivant. Ce n’est pas la beauté des paysages, ou la qualité des
plages qui remettent en question, mais principalement les aménagements faits. Le manque
d’harmonie entre les constructions et le paysage, ne met pas la beauté de celui-ci en valeur.
Certains vont même jusqu’à dire que dans certaines villes, la Martinique s’apparente à la côte
d’Azur. Ils font référence, avec cette comparaison, aux constructions de logements saisonniers
excessives, bâties sur cette côte dans les années 70, au début du développement du tourisme.
Les villes également déçoivent les espérances de ces nouveaux arrivants. Beaucoup trouvent
que certains quartiers, et notamment ceux de Fort-de-France, ressemblent plus à des bidons
villes et donc au tiers monde qu’aux villes de pays occidentaux, dont fait partie la France. Le
manque de restauration de certains immeubles comme l’état de délabrement de certains
quartiers, choquent les personnes qui ne comprennent pas que l’on puisse trouver des
agglomérations dans de tel état. Une métropolitaine nous confie son étonnement en
découvrant la capitale de l’île :
« Je ne m’attendais pas à ça, j’avais une vision un peu plus idéaliste, peut être un peu plus dépliant
touristique. Donc, quand je suis arrivée, il y a eut un petit décalage avec la réalité, parce que je ne sais pas…
vous avez vu Fort-de-France ? Pour moi c’est une ville du tiers monde, et il y a beaucoup d’aspects de la
Martinique qui la rapproche d’un pays du tiers monde. Enfin honnêtement moi, je vois ça comme ça, c’est pas
tout à fait pareil mais on s’en rapproche. Donc le décalage à était un peu difficile quoi… Fort-de-France ce
n’est pas une jolie petite ville, ce n’est pas une ville commerçante, tel qu’on pourrait espérer trouver dans un
département qui est relativement peuplé. Donc ça, c’est le côté, un petit peu décevant, par rapport à la vie
social, tout ce qu’on peut attendre d’une grande ville, ici on ne le retrouve pas, il me semble… Moi ça me dit
rien d’aller traîner dans le centre ville de Fort-de-France, y’a rien d’engageant. »
Lors de notre séjour sur l’île le quotidien local : le « France-Antilles », publie
hebdomadairement les « vues du ciel » d’une ville locale. C'est-à-dire qu’étaient prise en
photo par hélicoptère, toutes les semaines, une commune de l’île. A ce sujet un homme que
nous avons interrogé nous dit :
« Vous avez vu ce que le France-Antilles fait en ce moment, les photos des villes par hélicoptère ? Oh la
la, mais ils auraient jamais du faire ça…Vous avez vu le nombre de bidons villes qu’il y a ? Y’a de quoi faire
fuir tous ceux qui viennent d’arriver ! Cette semaine c’est le Vauclin, c’est moche…, heureusement qu’on
distingue quelques quartiers avec de belles maisons. Quartiers où vivent, comme par hasard, que des
métropolitains. Ce n’est pas fait exprès, mais c’est parce que de toute façon si c’est eux qui ont les plus belles
maisons, c’est parce que c’est eux qui savent faire construire avec goût… les martiniquais, eux ils s’en
foutent… »
Ce second témoignage, atteste le ressenti de certains métropolitains : «…l’état actuel des
villes est dû au manque d’intérêt qu’ont les martiniquais a les entretenir, ou les embellir… »
L’avis de cette personne n’engage qu’elle. Le manque de goût des martiniquais auquel elle
fait référence, est plus une divergence d’esthétisme qu’une réelle lacune chez ces derniers. Ce
reproche fait à l’attitude des martiniquais « eux ils s’en foutent », se retrouvent également
dans la façon dont ils gèrent le milieu naturel de l’île.
Car si l’aménagement de l’île est contesté, la beauté du cadre n’est pas remise en cause. C’est
le comportement des autochtones vis-à-vis de ce milieu qui est déploré. Les métropolitains
trouvent regrettable la façon dont la population locale néglige l’environnement, en ne
respectant pas de la propreté des lieux, notamment lorsqu’ils jettent leurs ordures n’importe
où.
Le constat immédiat qui se dégage entre ces deux populations, c’est une vision différente du
milieu environnent. En effet pour l’individu qui arrive de métropole, ce milieu est exotique.
Cependant Segalen nous avertit (cité par F. Affergan)10 : « Pour qu’il y est exotisme, il faut
que l’objet regardé ou senti, par de multiples médiations, renvoie l’écho de notre propre
présence. Ainsi ne pas être trop au monde mais légèrement en décalage. ». On comprend qu’il
y a deux manières de vivre l’exotisme : pour l’autochtone et pour l’observateur. Segalen nous
dit alors que pour ce second le seul fait d’être extérieur lui fait ressentir l’exotisme : « Je
conçois autre, et sitôt, le spectacle est savoureux. Tout exotisme est là. ». Autrement dit il est
difficile pour les martiniquais de s’émerveiller devant ce lieu dans lequel ils ont toujours vécu,
contrairement aux métropolitains qui, le découvre. L’antillais se considère comme un élément
faisant partie de la nature elle-même, et se trouve dans l’impossibilité de l’objectiver. Il ne
contemplera donc pas son pays, car pour le contempler, Segalen nous dit, il faut s’en détacher.
C’est pourquoi, il ne comprend pas l’attitude du métropolitain en quête d’exotisme, qui à
peine arrivé, s’enfonce dans les moindres recoins de l’île, où, lui-même, autochtone, ne s’est
pas forcement aventuré. Les métropolitains, à leur niveau, ne comprennent pas que les
martiniquais ne connaissent parfaitement leur île, et n’en prennent pas soin, négligeant
l’entretien de son environnement pour la préserver.
2. Les premières adaptations à l’île
Nous allons voir à présent quels sont les éléments faisant partie intégrante de l’île et de son
fonctionnement et s’imposant aux métropolitains à leur arrivée. Les capacités d'acclimatation
de ces derniers, sont la première phase du processus d’adaptation. En effet c’est par la
confrontation avec ces éléments : le temps, le rythme de vie, les conditions climatiques, ainsi
que l’insularité, que les personnes venues de l’hexagone vont parvenir avec plus ou moins de
difficultés à s’accoutumer à la vie de l’île.
2.1. Le temps
Le temps en Martinique ne s’écoule pas de la même manière qu’en métropole. Il ne signifie
pas non plus la même chose. Pour s’y habituer il faut comprendre ce qu’il représente. Nous
allons étudier deux caractéristiques de ce terme, qui ont été le plus abordées lors de nos
10 Affergan, Francis, 1983, Anthropologie à la Martinique, p40.
entretiens. Il s’agit du temps qui signifie la durée, les horaires, puis nous nous attarderons sur
le temps qui désigne un moment et notamment celui de la fête. Nous allons ainsi, étudier ces
temps tel que l’entendent les métropolitains et à travers les significations qu’ils ont pour les
martiniquais.
La première expérience du temps faite par les métropolitains en Martinique, passe par un
nombre considérable d’heures d’attente, dans les administrations afin d’accomplir les
démarches nécessaires à leur installation. Ils découvrent ensuite, que quelque soit les activités
qu’ils entreprennent, ils attendent. C’est un nouveau rapport au temps. Ils attendent : chez les
médecins, dans leurs déplacements à cause des embouteillages, dans les fils d’attente des
magasins, et même lorsqu’ils ont des rendez-vous, en particulier avec des locaux.
Le métropolitain en arrivant sur l’île a l’impression de perdre son temps dans des futilités. Ce
nouveau rapport au temps dont il n’est pas coutumier, car habitué en métropole à rationaliser
son emploi du temps, le perturbe. Il transparaît de ce ressenti, un réel agacement qui se traduit
sous une forme d’agressivité à l’encontre des martiniquais. Face à l’inconcevabilité de
pouvoir vivre comme ça, la notion du temps toute entière est attribuée à l’illogisme du
fonctionnement martiniquais. La notion de temps, régie, pour les martiniquais et pour les
métropolitains, par des codes et des règles, différents contribue à créer un phénomène de
différenciation et une barrière entre ces deux mondes. C’est ce que nous pouvons relever dans
les propos de cette jeune femme :
« On a l’impression que les gens, ici, ont tout leur temps et que s’ils perdent une journée dans le
cabinet de médecin, ben c’est pas grave. Ça énerve un peu mais s’il faut attendre deux ou trois heures ce n’est
pas gênant, et ça c’est un peu énervant de tout le temps devoir attendre…on a autre chose à faire… Donc il y a
cet aspect là peut être, il y a l’administration quoi que là ils font des efforts… c’est le manque en général de tout
se qui est fonctionnement tout se qui est administratif, tout se qui est emmerdant en terme général c’est très long,
c’est très pénible, alors je sais pas si c’est culturel ou si c’est un manque de moyen, mais bon les gens, ici, ont
l’air de l’accepter relativement bien. »
Nous voyons ici, que les métropolitains pensent que l’attente vécue par eux comme quelque
chose de subi, fait partie, en fait, d’une attitude consciente des martiniquais. Ils considèrent
que ces derniers pourraient, s’ils le voulaient, agir autrement. Il est sous entendu : « c’est
volontairement que les martiniquais perdent du temps, puisque ne travaillant pas ils n’ont rien
d’autre à faire ».
Ce que nous observons ici, est un phénomène d’interprétation des comportements de l’Autre
face à une incompréhension directe de ses actions, et qui est semble-t-il une attitude de
défense. C’est parce que l’on ne comprend pas pourquoi l’Autre agit de cette manière, que
l’on va interpréter ces attitudes, même si ces interprétations n’ont pas de fondements, afin de
pouvoir se rassurer en se persuadant que l’explication que l’on donne est la raison de leurs
agissements.
Le rapport au temps qu’ont les martiniquais, peut trouver d’autres explications. F. Affergan,
nous suggère une analyse afin d’appréhender ce rapport au temps. Cet auteur, date l’origine
de ce rapport singulier au temps, à la colonisation et à une de ces conséquences qui est selon
lui : « la perversion du colonialisme qu’est l’assimilation »11. La France tente d’imposer une
conception d’un vécu très spécifiquement temporalisé. Cette conception de la temporalité est
« celle d’une continuité et d’une sérialisation, avec ses rythme et ses cadences propres. Le tout
devant produire un rapport au monde fait de causalité et de déterminisme.». Face à cette
temporalité méthodique, Affergan nous dit que la double origine africaine et servile présente
un vécu et un imaginaire du temps tout à fait différents. Par conséquent nous pouvons
observer deux phénomènes :
- Premièrement : attendre pour les martiniquais c’est arrêter le déroulement imprévisible du
temps, ou du moins tenter de l’éterniser. L’attente consiste : à s’attendre à ce que les moments
soient remplissables de sens. En conséquence ils prennent effectivement sens, même s’ils sont
vides puisqu’ils se remplissent toujours de possible des événements que l’on attend.
Autrement dit l’attente et la patience, sont des attitudes très courantes à la Martinique. Le
martiniquais n’est pas en position de décider, d’agir, il dépend de structures, de systèmes
extérieurs qui vont déterminer son attitude. Il est en position d’assimilé.
- Deuxièmement, un comportement que nous avons observé : la non projection dans le
temps, qu’il soit à court ou à long terme. Affergan nous en donne l’explication suivante : en
Martinique le temps est vécu et perçu comme « découpé en tranches tombant en morceaux.
Et seul le morceau est investi. ». Cela signifie que seul le présent est pleinement vécu.
Contrairement à la vision que l’Europe a, ici, le temps est préféré « sous forme d’un flux,
d’un vécu extrêmement lâche où peuvent venir s’intercaler toutes sortes de moments
possibles, imprévus et imprévisibles ». Le temps antillais est, par conséquent, celui de
l’imprévision et de l’imprécision, proche, donc, de l’état de nature.
Le métropolitain interprète, cette conception du temps comme une attitude de « grand
enfant ». Ce mode de vie des martiniquais vivant « au jour le jour »12, est considéré par les
métropolitains comme une incapacité à être responsable et adultes.
11 Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, p 164. 12 Expressions qui nous ont été donnés par des métropolitains lors de nos entretiens.
Autre temps : celui accordé à la fête. Il s’agit des fêtes qui se déroulent au niveau de
l’île. La fréquence de ces événements semble excessive aux métropolitains. Elle renforce
l’idée véhiculée par ces derniers que le martiniquais est un grand enfant.
Pour comprendre ce temps consacré à la fête, il est nécessaire d’appréhender la complexité de
la société martiniquaise. Nous n’avons pas l’intention d’analyser ce système, des auteurs y ont
consacrés d’importants ouvrages. Nous voulons mettre en exergue quelques éléments qui
permettront une meilleure compréhension du mode de vie des martiniquais.
Nous avons noté, durant notre séjour à la Martinique, le nombre de paradoxes sur lesquels
s’est construite la société martiniquaise. Par exemple nous avons observé quelques éléments
de la vie quotidienne : le manque de communication, qui caractérise les rapports entre les
individus de cette société, en particulier, ce qui est vécu par un individu et ce qu’il va laisser
apparaître aux autres. Ainsi, nous avons remarqués que la plupart des martiniquais sont
entourés d’un groupe d’amis dont ils sont inséparables, alors qu’ils disent ne pouvoir compter
sur le soutien d’aucun d’entre eux. De même bien souvent ils laissent la porte d’entrée de leur
maison grande ouverte pour accueillir tout ceux qui veulent venir rendre une visite, mais aussi
parce qu’ils ne craignent rien dans leur quartier, alors qu’ils prennent soin de minutieusement
fermée à clés la porte de leur chambre à coucher.
Ceci pour dire que ce fonctionnement paradoxal au quotidien sans explication, installe chez
les individus de profondes angoisses. Le réinvestissement du calendrier religieux, associé à
des cérémonies traditionnelles qui peuvent se dérouler sur plusieurs jours, est un moyen
d’évacuer les frustrations et les interdictions accumulées. Ces temps de fêtes répétés tout au
long de l’année sont, par conséquent, un « défouloir », où est dépassée temporairement
l’aliénation que provoquent les paradoxes de cette société.
Nous constatons que, la compréhension de la notion du temps par le métropolitains, dépend
de la manière dont est ressentie la confrontation de sa réalité avec celle qu’il découvre sur
place. En d’autres termes, c’est au travers de son regard d’européen, qu’il ne peut nier, que le
métropolitain interprète les comportements qu’ont les martiniquais. Si ces comportements
sont jugés, par ce regard ethnocentrique, comme positifs, alors le métropolitain pourra adhérer
avec facilité à ces nouveaux concepts. En revanche s’ils sont appréhendés négativement
l’adhésion ne pourra se faire que de manière plus réticente.
En ce qui concerne la notion de temps, nous avons bien vu qu’elle était perçue, comme une
contrainte, et en conséquence négativement. Les métropolitains ne pouvant changer cette
situation ils s’y accommodent, c'est-à-dire qu’ils s’y résignent plus qu’ils n’y adhérent.
L’adaptation dans ce cas est un renoncement à un mieux, sous-entendu, la métropole.
2.2. Les rythmes
Le rythme ou les rythmes caractérisent la vie sur l’île et déroutent tout nouvel arrivant. Nous
pouvons relever deux rythmes en particulier auxquels sont confrontés rapidement les
individus de l’hexagone :
- le rythme de vie
- le rythme lié au travail.
Afin de définir le rythme de vie, nous allons prendre comme exemple le déroulement d’une
journée en Martinique et en métropole. Tout d’abord, nous constatons que les journées ne se
découpent pas de la même manière, et peuvent désorienter le nouvel arrivant.
En toute saison, le soleil se lève plus tôt en Martinique, qu’en métropole. En conséquence, la
journée, et les activités commencent et finissent plus tôt en Martinique qu’en métropole. Les
séquences journalières ne sont pas investies de la même manière. En métropole, le matin et
l’après-midi s’équilibrent en durée et masse de travail. En Martinique, le matin est beaucoup
plus chargé que l’après-midi. Une journée qui démarre entre 8h30/9h, en métropole, débute en
Martinique entre 6h30/7h pour finir variablement entre 15h et 17h au lieu d’entre 17h et 19h
dans l’hexagone. Dans les deux situations le temps de travail est identique. Cependant la
grande différence est l’invariabilité de l’heure du couché du soleil (entre 18h et 18h45) qu’il
existe en Martinique.
Un temps d’adaptation est nécessaire aux métropolitains. L’adaptation doit s’entendre aussi,
ici, sous son aspect biologique, en effet, l’organisme doit s’accoutumer à ce nouveau rythme.
En règle générale, cette adaptation biologique s’effectue sans difficulté. Mais c’est au niveau
psychologique que peuvent apparaître des résistances au changement.
En effet, prendre en compte une nouvelle planification de sa journée ne représente pas une
difficulté majeure. Par exemple, il est indispensable d’effectuer ses démarches administratives
le matin, plutôt que l’après-midi (les bureaux ferment tôt). Mais certaines personnes s’y
habituent plus vite que d’autre :
« On l’impression qu’on est tout le tps en train de courir, qu’on a moins le tps, la journée commence
tôt, et elle finie tôt, du coup on a moins le tps pour faire les choses. L’espace est réduit mais avec les
embouteillages, et tout ça la moindre démarche prend une matinée ou une après-midi, ouais on manque de tps…
on a commencé surtout en arrivant par stresser, on courrait partout. »
La difficulté réside dans la faculté à occuper toutes les parties de la journée. La journée de
travail s’achevant entre 15 et 17h et le soleil se couchant vers 18h, l’espace de détente est
donc plus conséquent qu’en métropole. Comment l’utiliser, et surtout comment occuper le
temps entre la tombée de la nuit et l’heure du repas ? Telle est la question qui se pose aux
métropolitains. Les activités nocturnes n’étant pas aussi nombreuses qu’en métropole :
« Ici c’est zouk [soirée dansante où est diffusée principalement cette musique], à la limite cinéma mais
avec des programmations très orientées c’est-à-dire films d’actions ou des mauvaises comédies avec toujours au
minimum un acteur black, genre Woopie Goldberg, ou Eddie Murphy, ou alors c’est théâtre mais en créole,
alors…, mais sinon y’a pas de bars on peut pas aller boire un coup comme en métropole… ».
Ou parfois, tout simplement trop loin de lieu de résidence (tout est concentré sur Fort-de-
France).Effectivement il n’existe pas de lieu public où les personnes peuvent se retrouver ou
se rencontrer. Il n’y a pas de terrasses de cafés où il est possible de passer un moment. Les
martiniquais ont organisé une sociabilité d’apéro pour passer ce moment entre 18h et 20h
ensemble. Cependant c’est une sociabilité privée, et la plupart des métropolitains n’y ont pas
accès. En Martinique la nuit n’est pas un instant privilégié de la fête et des rencontres que les
continentaux connaissent, notamment dans le sud de la métropole. Certaines personnes ne
savent pas, alors, comment occuper leur soirée si ce n’est en se résignant à manger plus tôt et
par conséquent à se coucher aussi plus tôt. Or, la moyenne d’âge des métropolitains est
relativement jeune, cette solution n’est pas acceptable pour tous. Certains ont l’impression
d’adopter un mode de vie qui ne correspond pas au leur :
« le soir, y’a personne dans les rues, c’est un peu angoissant, surtout quand on sait qu’en France c’est
l’été et que c’est la fête partout, alors des fois c’est un peu difficile… ».
Ce moment de la journée peut être envisagé comme une épreuve. Nous constatons que
certaines personnes à cause de ce temps long et inoccupé, dépriment et envisagent de repartir
vers la métropole. Ce problème qui est plus d’ordre psychologique que physique, peut être
vécue autant par des personnes venues seules, que par celles venues en couple.
Le rythme de travail se caractérise par une certaine lenteur. Ce nouveau rythme peut
convenir à certains : « j’ai l’impression d’être en vacances toute l’année, c’est géniale », à
contrario, il peut en exaspérer d’autres. Ces derniers ont, alors l’impression d’être inefficace,
ou d’effectuer tout le travail. Pour ces personnes la lenteur de l’exécution des tâches est
considérée comme un travail médiocre et peu efficace. Face à ce problème ces personnes
adoptent deux types de comportements : soit ils décident de tout changer, et ils se heurtent à
la résistance des locaux, soit ils se résignent, et tentent de vivre avec ces conceptions qui ne
sont pas les leurs.
Ces rythmes de vie et de travail démontrent aux métropolitains que la vie sur l’île est vraiment
différente de celle qu’ils connaissent en métropole. Si ces modifications de rythmes sont
vécues avec autant d’acuité c’est parce que les métropolitains croient évoluer dans un
département français. Leur désir d’installation en Martinique avait comme principal support,
l’exotisme et la qualité du cadre de vie, négligeant tous les particularismes de la vie
martiniquaise.
2.3. Les conditions climatiques
Chaleur et soleil en toute saison caractérisent le climat de l’île. Ces conditions climatiques
sont très attractives pour les métropolitains. Une fois sur place, cette vision est soutenue
durant quelques mois encore.
Mais très vite certaines personnes s’aperçoivent qu’elles souffrent de la chaleur, et qu’en
conséquence, elles ne peuvent pas accomplir tout ce qu’elles faisaient en métropole. Au
niveau du travail elles font le constat que la chaleur les fatigue rapidement et qu’ainsi elles ne
sont pas aussi performantes qu’elles avaient pu l’être dans d’autres circonstances.
Les conditions climatiques les obligent à adopter un nouveau mode de vie et un nouveau
rythme. Les journées s’organisent de façon à éviter un maximum les moments les plus
chauds. Il est nécessaire d’organiser une seule sortie pour accomplir toutes les activités qu’il
étaient prévues de faire afin de réduire autant que possible les expositions à la chaleur.
D’autres deviennent experts en météorologie essayant d’analyser la direction de la brise afin
de déterminer l’arrivée de la pluie. Certains découvrent que l’exposition de leur corps au
soleil est néfaste à leur peau.
Si lors de nos entretiens la plupart des métropolitains avancent l’idée que le climat de l’île est
un privilège dont ils sont contents de pouvoir profiter, il transparaît parfois le sentiment que
face à l’invariabilité de la température, les changements de saisons de la métropole sont vécus
comme un manque.
Néanmoins le côté positif du climat de l’île, permet aux métropolitains de s’adapter à celui-ci
relativement facilement. Même si, parfois, certains rencontrent quelques problèmes d’ordre
biologique : en particulier, les personnes à la peau très blanche.
2.4. L’insularité
L’insularité, se caractérise par un espace territorial réduit, ce rétrécissement par rapport à un
continent est un autre élément que le métropolitain, doit prendre en compte. F. Affergan
souligne que la Martinique est une île qui n’échappe pas à l’empreinte « psycho-sociale » de
toute île : l’enfermement. L’encerclement de l’île par la mer est ressenti autant par les
métropolitains que par la population locale. Tout le monde réagit à l’étouffement des rapports
humains qui en découlent, par un comportement d’évitement, ainsi que par des attitudes
« sado-masochistes » dans la mesure où l’Autre ne peut pas s’échapper même s’il devient
indésirable. Affergan énonce que « la contrainte de vivre ensemble crée paradoxalement des
gestes de fuite et de repli, signes de vie non communautaire »13.
Cela s’applique dans le cadre des rapports entre martiniquais et métropolitains ; leurs
différences les amènent plus à se fuir qu’à se regrouper. En revanche, cette règle ne s’applique
pas pour les métropolitains qui vivent entre eux. Le fait de se regrouper entre eux et de parler
de la métropole leur permet de s’évader. Le sentiment d’être étrangers à cette insularité, et
d’être expatriés, les réunit. Certains vont même jusqu’à se regrouper par régions d’origine, ou
par quart de l’hexagone (parce qu’une seule région réduit trop le nombre d’adhérents) afin
d’échapper à cet étouffement insulaire. Cependant, les métropolitains ne ressentent pas
immédiatement l’étroitesse de l’espace. Quelques mois, voire quelques années peuvent
s’écouler avant qu’ils ne prennent conscience de ce fait. Cette période est le temps de la
découverte de l’île, dans ces moindres recoins. Lorsque l’île n’a plus de secret pour eux ce
sentiment les envahit.
Mais également ce qui trompe la personne qui découvre l’île, c’est la différence entre le temps
et l’espace. La Martinique, d’une superficie de 1100 Km2, se parcourt et se découvre
lentement. Ile montagneuse, dont la plupart des routes longent les côtes, nécessite de longues
heures de déplacement pour parcourir quelques dizaines de kilomètres. Par exemple il n’est
pas rare de mettre une demi-journée pour traverser le pays du nord au sud, soit 100 Km. Ce
décalage entre distance et temps donne l’étrange impression d’un espace plus grand que ce
qu’il est en réalité.
Enfin, le métropolitain voyage relativement souvent ce qui réduit son sentiment d’être
enfermé. En effet, il effectue régulièrement des voyages à l’extérieur de l’île. Que se soit pour
retourner en métropole ou pour visiter les îles ou les continents à côté, il part généralement
13 Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, p 15.
une fois tous les ans, ou tous les deux ans à l’extérieur de l’île, pour des durées variables entre
un et deux mois.
En conséquence le métropolitain ne ressent réellement l’insularité qu’après être resté plusieurs
années sur l’île. Cet enfermement peut se ressentir plus rapidement pour certains, non pas à
cause du manque d’espace, mais plutôt par l’atmosphère qui règne sur l’île. Il y a au sein de
l’île une lourdeur, une pesanteur, qui fait ressentir à chacun un sentiment d’étouffement. Il
existe, aussi une tension dans le regard et dans les gestes de la population, qui fait percevoir
aux métropolitains le poids de l’étroitesse du lieu. Celle-ci n’a d’ailleurs d’autre moyen de
fuir cet enfermement qu’en parcourant l’île en voiture pendant des heures sans but, c’est ce
qui s’appelle en créole « driver ». C’est également par la rapidité avec laquelle les
informations sur une personne circulent à travers l’île, que ces derniers s’aperçoivent que la
Martinique n’est qu’un grand village.
C’est au travers de leurs rapports avec la population locale plus que par l’effective petitesse de
l’île que les métropolitains ressentent l’insularité. En se regroupant les métropolitains tentent
d’échapper à cet étouffement ou du moins de l’atténuer.
Nous avons vu au travers de cette partie que les métropolitains rencontrent des
difficultés d’adaptation au mode de vie de l’île. Impression constante de perdre son temps,
changement de rythme de vie et de travail, fatigué par le climat, énervé par l’isolement
insulaire et par l’ambiance de petite ville où l’on s’épie, tel est ce que ressent le métropolitain.
Ces éléments réunis amènent certains métropolitains à projeter sur la population locale une
animosité. Face à l’incompréhension du modèle culturel, les métropolitains ont deux types de
réactions : soit ils se résignent, soit ils attribuent aux différences culturelles entre eux et les
martiniquais, les incohérences qu’ils perçoivent.
Nous allons voir à présent, que certaines situations permettent parfois de faciliter cette
première adaptation à la vie de l’île.
3. Les éléments qui peuvent faciliter l’adaptation à la vie sur l’île
Nous allons voir quelles démarches peuvent entreprendre les métropolitains avant leur arrivée
sur l’île, ou au cours de leur installation afin d’atténuer voire supprimer les difficultés que
nous avons énoncées ci dessus.
3.1. La connaissance de l’île avant l’arrivée
Les métropolitains n’arrivent pas tous avec les mêmes connaissances de l’île. Certains la
découvrent totalement, d’autres ont eut au préalable une démarche de recherches avant de
prendre la décision de partir y vivre. Ces recherches peuvent être historiques, géographiques
ou culturelles. Nous notons, que sur les vingt six personnes interrogées, plus de la moitié ne
savaient pas situer géographiquement la Martinique avant de venir s’y installer. Cela peut
démontrer que c’est le désir de partir qui motive les individus plus que la destination en elle-
même. Ce constat laisse à penser que ces métropolitains ne s’intéressent pas à la culture
martiniquaise, et qu’ils s’imaginent retrouver en Martinique département français, les mêmes
règles de fonctionnement qu’en France. D’où le décalage entre l’image qu’ils s’étaient faites
du lieu et la réalité qu’ils découvrent.
A l’inverse ceux qui entreprennent un travail de documentation sur les conditions
économiques, politiques, historiques et culturelles de l’île, seront plus à même d’appréhender
leurs nouvelles conditions de vie sur l’île. Sensibilisés aux particularismes, ils seront amenés à
être plus tolérants. Il est cependant nécessaire de ne pas s’installer dans une position de
culpabilité face à l’histoire et ainsi d’accepter ou tolérer, tout et n’importe quoi de l’Autre au
nom de la servitude qu’il a subi.
Ce que peut permettre alors, l’apprentissage de certains savoirs concernant l’île et les
personnes qui y vivent, est un amoindrissement du décalage entre ce que le métropolitain se
représente de la Martinique et la réalité qu’il rencontre une fois installé. Ainsi il peut se mettre
en place une adaptation aux éléments que nous avons étudiés dans la partie précédente, non
plus de façon réactive, mais davantage tournée vers la recherche d’explications pour accéder à
une esquisse de compréhension de l’Autre et de ces comportements.
Cette démarche est rarement réalisée avant le départ de la métropole. Nous nous sommes
aperçus que certains, face aux difficultés qu’ils rencontrent sur place, décident de dépasser les
différences de cultures qu’ils ressentent et entreprennent de découvrir la culture martiniquaise.
3.2. La référence à des amis
La connaissance d’amis (le plus souvent métropolitains, mais ils peuvent aussi être antillais et
avoir été rencontrés en métropole) peut être une manière d’être confronté à la différence
culturelle de façon moins abrupte. Ils permettent d’aider à l’adaptation des nouveaux arrivants
en servant de médiateurs entre les deux cultures afin de donner sens et pertinences aux
situations rencontrées. Cet accompagnement permet de relativiser les difficultés. Ainsi, ces
amis par leur connaissance de l’île permettent d’accompagner les derniers arrivés, dans leurs
premières expériences de la découverte de l’île. Ces amis peuvent être aussi bien martiniquais
que métropolitains, notons que les premiers sont plus à même de donner des explications que
les seconds.
Cependant la référence à des amis peut comporter un double handicap. Le premier : est qu’ils
transmettent une vision subjective de la réalité de la vie sur l’île, en mettant l’accent sur les
différences entre le mode de vie des métropolitains et des martiniquais, désignant ces derniers
comme responsables de tous les dysfonctionnements. Ainsi ils ne font qu’affirmer une vision
erronée de l’île, et ils contribuent, de cette manière, à accentuer, ou à renforcer les images
préconçues et l’incompréhension des nouveaux arrivants face à la culture locale.
Le second : est que les nouveaux arrivant se retrouvent dépendants de leurs amis
« spécialistes de la Martinique » les empêchant de découvrir par eux-mêmes l’environnement
dans lequel ils s’installent. Ils sont pris dans un maillage social proposé par leurs amis, ce qui
peut les empêcher de construire des relations avec d’autres habitants de l’île et d’être exclus
de la réalité locale.
L’adaptation dans ce cas peut être :
- soit une simple reproduction de ce que l’autre a vécu, si les amis auxquels il est
fait référence sont trop étouffants,
- soit une intégration progressive dans cette nouvelle société grâce à
l’accompagnement des amis.
3.3. L’expérience antérieure
Par expériences antérieures nous entendons tout ce que les métropolitains ont pu vivre, avant
de venir s’installer en Martinique, et qui serait susceptible de leur avoir développer une
ouverture d’esprit. Ces expériences peuvent être liées à une profession. Comme par exemple
celles qui amènent à être directement au centre des rapports humains, comme les professions
sociales, ou alors celles qui amènent des individus très différents à travailler en équipe dans
un endroit isolé durant de plusieurs mois, comme les marins de la marine marchande, où sont
employés des personnes de nationalités différentes.
Mais ça peut être aussi par le biais du voyage que certains individus peuvent acquérir cette
ouverture d’esprit. Par la rencontre de populations de divers pays, et donc une première
approche de la confrontation avec des cultures différentes de la sienne.
Mais cette ouverture d’esprit peut aussi se faire par l’adhésion à une religion comme, entre
autre le bouddhisme, qui prône la tolérance entre les individus, et l’ouverture sur l’extérieur,
sur l’Autre.
Ces différents vécus, favorisent la tolérance et le respect de l’autre dans sa différence. Ces
personnes sont susceptibles de s’adapter avec plus de facilité que les individus qui n’ont
jamais quitté leur région d’origine.
Bien entendu ces expériences peuvent être bénéfiques si l’on évite encore une fois les dérives
extrémistes qui consisteraient dans ce cas là, comme nous avons pu l’observer lors de nos
entretiens, la généralisation d’une expérience à toutes les différences auxquelles ces individus
pourraient être amenés à rencontrer. Comme par exemple, l’argument qui nous a été donné à
plusieurs reprises, et qui était : « Moi j’ai déjà travaillé en Afrique, alors je connais le
comportement des noirs, c’est pour ça que je sais comment les prendre ». Il est fait allusion
ici, que ces deux populations Africaine et Antillaise parce qu’elles ont la même couleur de
peau, sont identiques. Alors qu’elles correspondent chacune à des cultures et des sociétés
différentes. De tels raccourcies de pensées, ne sont évidemment pas bénéfiques lors de la
rencontre avec une nouvelle culture.
Cependant les expériences qui ont permis à l’individu une certaine ouverture d’esprit, un
respect de la différence évite une attitude défensive et favorise son installation.
Dans ce chapitre nous constatons que les métropolitains ne s’attendent pas à rencontrer
une telle différence de culture à leur arrivée. Face à ce décalage, ils adoptent une attitude
défensive. Ils pensent arriver en territoire connu (même langue, mêmes administrations,…).
Or, la réalité martiniquaise provoque de l’incompréhension par rapport à ce qu’ils ont
imaginé. La majorité des nouveaux arrivants se trouvent en insécurité, ne pouvant pas agir
sur le réel, ils adoptent une attitude de résignation et dénigrent le comportement des
martiniquais.
Une adaptation aussi singulière, construite sur la résignation, est-elle viable sur le long
terme ? Combien de temps peut-on subir ce qui ne nous convient pas ?
C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans les chapitres qui suivent.
Chapitre quatre : Premiers contacts avec la population locale
Nous savons, à présent, les difficultés que peuvent rencontrer les métropolitains sur
l’île et quelles stratégies ils doivent adopter pour vivre autrement ses différences.
Comment s’effectue la rencontre avec la population locale ? Où sont-ils amenés à se
rencontrer ? Dans quel cadre (professionnel, loisirs…) ?
Nous tenterons de voir, comment s’établissent ces interrelations, de quelles manières
(positives, négatives…). Ce chapitre met en évidence les prémices de l’insertion sociale des
métropolitains. Nous définissons l’insertion sociale essentiellement par les relations
entretenues avec les différents groupes (de travail, de voisinage…) et par la participation aux
activités en dehors du travail.
1. Les moyens de rencontre entre métropolitains et martiniquais
Nous avons pu remarquer que les rencontres entre ces deux populations se font
essentiellement dans deux situations particulières :
- dans le cadre du travail
- par la pratique d’activités et de loisirs.
Mais nous allons voir que si ces contextes amènent ces divers individus à se rencontrer, elles
n’engendrent pas forcement un rapprochement.
1.1. L’activité professionnelle
L’activité professionnelle suscite plusieurs types de relations. Il y a les relations entre
collègues de travail, les rapports de hiérarchie, les engagements communs, et enfin ce que
représente cette activité professionnelle avec l’extérieur, ou autrement dit aux yeux de la
population locale. Au travers de ces relations, chaque rencontre entre métropolitains et
martiniquais peut différer. Nous allons par conséquent les étudier une à une pour voir ce qui
change dans chaque cas.
Dans les relations entre collaborateurs autochtones et hexagonaux, les principaux
points de désaccords sont, la différence de rythme de travail. Pour certains métropolitains ce
nouveau rythme ne pose pas de problème. D’autres, n’ayant pourtant pas plus de
responsabilités, souhaitent plus d’efficacité, de productivité. Ce désir de bien faire son travail,
d’aller au-delà de ce qui est demandé, n’est absolument pas compris par les antillais. Ces
derniers considèrent plutôt que le travail qu’ils effectuent, ils l’accomplissent à la demande de
leur patron. Ils n’envisagent pas, alors, de se fatiguer à la tâche, pour que leur responsable
récolte les bénéfices de leur labeur.
Nous percevons un niveau d’investissement dans le travail différent selon les individus. Face
à cette divergence de point de vue, ces derniers ne se trouvent pas en position de
rapprochement. A l’image du noir, est accolée la fainéantise dans le travail, à celle du blanc
l’aspiration à vouloir changer la façon de travailler des martiniquais. Dès le départ s’instaure
donc, une méfiance réciproque. Le martiniquais considère que le métropolitain, au même
poste que lui, est un concurrent direct, qui peut le remplacer, à tout moment. Cette idée
contribue à accentuer l’attitude de méfiance.
Ensuite en fonctions de certaines affinités que les personnes se découvrent, des
rapprochements peuvent se réaliser.
Dans les rapports de hiérarchie, les préjugés que nous venons d’aborder s’expriment,
de manières encore plus marquées. Il nous faut noter avant tout que lorsqu’il y a des rapports
de hiérarchie entre hexagonaux et autochtones, il est fréquent que l’employeur soit un
métropolitain. En effet, lorsque l’employeur est martiniquais il privilégie, par solidarité,
l’embauche de locaux plutôt que des personnes originaires de l’hexagone.
Il n’est par rare alors d’entendre encore aujourd’hui, ce que M. Leiris, nous disait en 1955, à
savoir :
« L’un des grief principaux qu’on entend formuler contre les travailleurs antillais par leurs
administrateurs est : ces gens ont, dit-on, une conception de la vie qui diffère de la nôtre et implique de bien
moindre besoins, de sorte qu’ils ne subissent pas les mêmes incitations et ne travaillent que par intermittences,
proportionnant strictement leurs efforts à la nécessité de subsister ou au désir d’acheter la chose qu’ils convoitent
sur l’instant. »14
Les employeurs métropolitains en tant que responsables du fonctionnement d’un organisme
doivent surveiller et obtenir le rendement de la part de leur personnel. Hors cette façon de
penser exprimée par Leiris en 1955, prévaut encore chez certains. Ils ne peuvent pas
s’empêcher de contrôler davantage le travail des locaux qu’ils emploient, et moins, celui des
métropolitains. Cependant ils se trouvent face à une population où le souvenir de l’époque
14 Leiris, M., 1955, Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe, p 92.
esclavagiste pèse encore lourdement sur les relations interraciales. Cela la rend sensible à tout
ce qui peut lui paraître une réactualisation des anciennes inégalités. Ils doivent donc faire
preuve d’autorité sans excès de rigueur, critiquer sans être blesser, et faire profiter leurs
collaborateurs de l’expérience qu’ils possèdent, sans que ces derniers se sentent dévalorisés.
En conséquence ces rapports de travail peuvent instaurer de fréquents conflits.
Pour ces raisons, ces relations professionnelles n’établissent pas d’image positive de l’Autre,
seuls, des liens professionnels de médiocre qualité s’instituent. Nous observons qu’une
personne fortement impliquée dans son travail, bien adapté à son emploi se trouve être peut
participant à la vie sociale et se retrouver de ce fait, dans un certain isolement. C’est le cas de
ceux qui s’investissant totalement dans leur travail, et par là même se coupent de la réalité
sociale qui les entoure. La profession ne favorise pas forcement un échange avec l’extérieur.
Un autre aspect à prendre en compte dans le cadre de l’activité professionnelle : les
syndiqués et leur engagement. En Martinique les syndicats sont nombreux et puissants. La
plupart des travailleurs y sont adhérents, et les mouvements de lutte sont très suivis. Certains
métropolitains, déjà syndiqués en métropole, poursuivent leur engagement sur leur nouveau
lieu de travail. C’est ainsi que martiniquais et métropolitains se retrouvent côte à côte pour
revendiquer leurs droits. Dans ce cas, deux situations opposées peuvent apparaître :
- l’engagement commun dans la lutte rapproche ces salariés
- à l’inverse, cette lutte revendicative les éloigne.
Dans la première situation les individus se sentent investit des mêmes volontés de défendre
leurs droits et d’améliorer la condition de travail de l’ensemble des salariés. Ce combat
unitaire les rapproche.
Dans l’autre cas, un désaccord sur les objectifs à atteindre et les moyens à employer pour y
parvenir oppose ces salariés. Effectivement, aux problèmes sociaux en Martinique se rajoute
le problème racial, engendrant une détermination jusqu’au-boutiste, pouvant déboucher sur
des actes violents. Cette démarche syndicaliste peu répandue dans l’hexagone, surprend et
effraie les métropolitains qui se désengagent. L’unité syndicaliste se fissure et provoque une
opposition entre salariés métropolitains et martiniquais.
Le dernier élément que nous pouvons prendre en compte dans l’établissement des
relations, est la profession exercée. La profession confère un statut social aux yeux des
martiniquais. Ce statut permet une plus ou moins bonne relation avec la population locale.
Effectivement, nous avons pu constater que selon la profession qu’exercent les métropolitains,
l’attitude des martiniquais vis-à-vis d’eux peut être différente. Le métier exercé par le
métropolitain lui permet d’avoir une place identifiée au sein de la société. Celle-ci est soit
reconnaissable à l’œil nu, par l’ensemble des individus, (par exemple : le port d’un uniforme),
soit la personne est reconnue par sa profession à une échelle plus réduite, (par exemple : au
sein d’une commune). Nous pouvons déjà noter que le fait d’être reconnu par la population
est la preuve que l’on y est insérée d’une certaine manière, qu’elle soit positive ou négative.
Car l’individu participe à la dynamique sociale. La profession n’entraîne pas le même
contact avec la population ; si le travail insère le travailleur dans le système de production du
pays d’accueil, cette insertion n’est pas nécessairement corrélative de l’insertion sociale.
En règle générale, la population locale accorde du respect aux personnes qui exercent certains
métiers, (enseignants, professions artistiques, médecins ou métiers paramédicaux).
A l’inverse, des professions sont impopulaires aux yeux des martiniquais, et engendrent une
forme d’antipathie à l’égard de ceux qui les exercent. Prenons deux exemples : un
fonctionnaire et un dentiste.
Le premier est considéré par la population, comme une personne qui vient en Martinique afin
d’obtenir une augmentation de salaire et prendre la place que pourrait occuper un autochtone.
En conséquence beaucoup de martiniquais pensent que cette personne n’a rien à faire sur l’île,
puisqu’elle n’apporte rien à l’île, et à ses habitants.
A l’égard du dentiste, le positionnement est différent. Sa profession nécessite un certain
niveau d’étude, de ce fait, il n’entre pas en concurrence pour la recherche d’un emploi. En
outre, l’île ne dispose que de peu de spécialistes dans cette branche, son intervention est
considérée comme un bénéfice pour la population. Ces professionnels sont reconnus et
appréciés par la population qui le leur témoigne par des signes de reconnaissances :
« Moi j’ai des clients qui viennent du Prêcheur, ça fait 40 minutes de route pour venir, vous les
voyaient 5 minutes parce que c’était pas prévue ou que vous pouvez pas les garder longtemps et tout, vous leur
faites juste un soin pour les soulager, ils sont hyper reconnaissants, et ils ont 45 minutes de taxi co à se taper
pour revenir chez eux. Donc ici on a vraiment,… autant en métropole j’avais pas vraiment l’impression d’être
utile, dans le sens fort du terme, autant ici on a vraiment l’impression que si on est pas là, les gens du nord
caraïbe, ne pourraient plus se faire soigner. Bon c’est pas vraiment ça, mais c’est pas loin quand même, s’ils ont
mal ils peuvent aller sur Fort-De-France ou à la Mainard, mais si on est pas là pour eux y’a un manque de soin,
voilà… on a un rôle social et sanitaire de base qui est quand même important, et qu’on ressent plus que quand
j’étais en métropole à Toulouse. Quand j’étais en métropole à Toulouse, j’étais le dentiste parmi tant d’autres,
numéro, matricule, machin, bidule, voilà c’est ça, alors que là-bas, à Case Pilote on a vraiment l’impression
qu’on est utile à la population…, ouais c’est ça on est vraiment utile. »
Ils le ressentent au sein de leur lieu de travail, mais aussi à l’extérieur parce qu’on les
reconnaît, et c’est à ce moment là que des rencontres et des échanges entre ces deux
populations peuvent réellement avoir lieu : (il s’agit toujours de la même personne)
« On rencontre pleins de personnes, quand tu es dentiste comme ça dans le nord caraïbe, je
rencontre des gens du nord caraïbe et d’autres. Ce matin j’étais à St Pierre y’a pleins de gens qui me
reconnaissent, qui me parlent, qui me propose d’aller à la pêche, ou des trucs comme ça, c’est sympa… et les
gens on les rencontre comme ça, quand on sort… Mais je suis qd même bien perçu par les gens, à tous les
niveaux c’est super. Je ressentais moins ça en métropole. Putain ! Regarde, là ce matin je suis allé à St Pierre,
tout le monde me dit bonjour, comment ça va… venez boire un verre, venez coûtez ça c’est moi qui l’ai fait, tu
vois c’est les femmes du marché que je soigne… ».
Nous constatons qu’au travers de la profession exercée plusieurs types de relations peuvent
s’établir. Certaines permettent aux individus, non seulement de se rencontrer, de se
rapprocher, de lier connaissance. Nous avons vu aussi, que la profession peut être une aide
comme un handicape dans le processus d’adaptation des métropolitains à la société antillaise,
qu’est la Martinique.
1.2. Les activités extra-professionnelles
L’évaluation de la qualité des sociabilités entre martiniquais et métropolitains à partir des
loisirs est difficile à établir. En effet, les réponses que nous avons recueillies lors de nos
entretiens, sont souvent contradictoires et la réalité est parfois différente. Dès que la question
de la relation avec la population locale est abordée, les métropolitains affirment que leur
réseau de sociabilité sur l’île se compose toujours de la moitié de martiniquais et l’autre
moitié de métropolitains :
« oh moi, je suis toujours ravie de voir lors des soirées, qu’on organise avec mon mari de
voir qu’il y a 50 pourcent antillais, et 50 pourcent métro, et il y a même parfois plus
d’antillais. ».
Nous avons l’impression que le niveau d’insertion sociale dans l’île se mesure au nombre de
connaissances martiniquaises par rapport au nombre de connaissances métropolitaines. Le
barème de bonne sociabilité est établi par les métropolitains de la façon suivante :
- 50/50 : équivaut à une bonne insertion,
- avoir une majorité d’amis martiniquais à une très bonne insertion,
- à l’inverse : peu d’amis martiniquais, à une mauvaise insertion.
Les trois quarts des personnes que nous avons interrogées, utilisent ce barème comme support
référentiel. Ce mode de calcul ne nous semble pas être un indicateur de la réalité. En effet, il
nous paraît peu crédible de diviser son cercle d’amis, en antillais ou non antillais. D’autres
indicateurs sont à prendre en compte pour évaluer le degré d’intégration du métropolitain. Le
logement, nous dit Isabelle Tal15, est l’une des premières conditions de l’insertion sociale. Le
lieu et le type de logement déterminent en grande partie le degré de cette insertion. Hors nous
avons constaté que les métropolitains ont tendance à se regrouper, et donc à n’avoir des
relations de voisinage, principalement qu’avec des métropolitains.
Nous observons une contradiction entre discours et réalité. Celle-ci se vérifie aussi dans la
pratique des activités de loisir. La majorité des métropolitains, reprennent une activité qu’ils
exerçaient en métropole, ou découvrent un loisir qu’ils ne pouvaient pas pratiquer en
métropole : comme la plongée sous-marine, les sports nautiques tels que le scooter des mers,
le kite-surf…
A l’inverse d’autres sports comme le badminton, le bowling, le squash, ont été importés de
France par les métropolitains. Ils sont peu investis et pratiqués par les martiniquais. En outre
ces loisirs sont onéreux, et donc pas accessibles à l’ensemble des habitants de l’île.
Lors de leurs loisirs, les métropolitains sont plus amenés à rencontrer, leurs congénères que
des martiniquais.
Il existe d’autres activités, qui engagent différemment les métropolitains dans la vie sociale de
l’île. Il s’agit des associations. Qu’elles soient crées dans le but de regrouper des personnes
autour d’un thème, d’une même cause, ou animées par la même passion (quelle qu’elle soit),
l’association réunit des personnes autour d’un même engagement. Les métropolitains peuvent
alors par leur dévouement et leur disponibilité dans l’association tisser des liens avec des
membres martiniquais. Ils peuvent alors, en dehors du cadre associatif, poursuivre leur
relation.
A contrario, métropolitains et martiniquais peuvent s’opposer sur la façon de procéder dans
l’association. Les premiers ont souvent eut une expérience du monde associatif en métropole.
Ils tentent de reproduire leur mode de faire en Martinique. C’est souvent au niveau de
l’organisation de l’association ou au niveau de la mise en place de ses activités que les
problèmes se surgissent. Si les désaccords sont trop importants, il peut arriver que les uns ou
les autres quittent l’association. Soit pour en créer une autre, soit pour faire autre chose. Voici
15 Tal, Isabelle, 1976, Les Réunionnais en France
la réflexion d’un métropolitain surpris de voir comment s’est déroulé l’organisation d’un
concert dans sa paroisse :
« Anecdote d’une fête que l’on organisait à la paroisse il y avait un monde fou et tout le monde
grouillait, je pensais qu’on arriverait jamais à faire quelque chose parce que tout se préparait à la dernière
minute, mais finalement ça c’est très bien passé. Ils ne sont pas organisé mais dans ce bordel ils s’en sortent et
pas trop mal en plus. Et puis heureusement qu’ils font comme ça, parce que si c’était organisé par moi peut être
qu’on ferait moins de chose parce que mon esprit carré m’empêche de faire les choses au dernier moment. »
Si cet homme relativise par sa mise à distance de l’événement et par sa propre remise en
cause, cette attitude n’est pas habituelle. La majorité des métropolitains n’y parviennent pas.
Ils attribuent tous dysfonctionnements aux autres se rassurant ainsi sur leurs capacités. Ce
comportement peut perdurer tant que l’on n’est pas obligé de se confronter directement à cet
Autre, c’est-à-dire tant que l’on a un réseau à l’intérieur duquel on peut se réfugier pour se
protéger et être soutenu. Ce réseau est constitué par la famille et par l’environnement
relationnel de proximité, en général métropolitain. Certains vivants en Martinique depuis
plusieurs années, arrivent ainsi, à ne jamais se remettre en cause et donc à ne jamais
rencontrer l’Autre, dans sa différence.
Les membres d’association résident sur l’île depuis plusieurs années. Les personnes qui
effectuent un séjour inférieur à trois ans, n’adhèrent pas, ou rarement, à une association. Elles
préfèrent occuper leur temps de loisir en pratiquant des activités spécifiques à l’île (activités
citées ci-dessus ou tourisme inter îles).
Une autre possibilité de rencontre, entre métropolitains et martiniquais, se fait par
l’intermédiaire de leurs enfants et les activités périscolaires. Les parents se croisent à la sortie
des écoles, se rencontrent lors des activités de leurs enfants. Ils ont ainsi la possibilité
d’instaurer un échange et de tisser du lien.
Ces rapprochements s’opèrent plus entre métropolitains qu’avec des martiniquais, en
particulier parce que les enfants de métropolitains (à l’identique de leurs parents) ne
pratiquent pas les mêmes activités que les enfants des martiniquais. Nous observons que
devant les écoles à la sorties des classes, les mamans se regroupent par appartenance
d’origine, à part quelques exceptions. Ce clivage interroge. Ces femmes se regroupent
certainement par connaissances et affinités, faut-il alors en déduire que les mères
martiniquaises et les mères métropolitaines n’ont aucune affinité ? Ou aucun moyen de se
trouver des affinités? Une mère métropolitaine nous confie qu’elle souhaite rencontrer des
locaux par l’intermédiaire de ces enfants, elle nous déclare :
« J’ai mes filles qui ont des copines antillaises à l’école, donc c’est vrai que j’essaie de garder des liens
en invitant les petites copines à la maison, mais c’est vrai que ça marche pas toujours et finalement c’est plus
avec des mamans métros que j’ai des contacts, que j’ai noué des relations... Je crois qu’il n’y a pas une réelle
envie des antillais d’aller vers les métros, y’a pas d’animosité, et y’a pas de sympathie non plus, mais bon ceci
dit on est tous des êtres humains donc on peut s’entendre, mais c’est vrai qu’a priori ils ne vont pas chercher le
contact… »
Le témoignage de cette personne nous permet de relever un élément important de distinction
entre martiniquais et métropolitains. Ils n’ont pas les mêmes besoins de faire des rencontres,
ni même un rapport analogue à l’amitié. En effet, la société martiniquaise vit sur un système
de famille élargie. La famille est très importante au niveau du soutien et de la solidarité, mais
aussi au niveau de la sociabilité. C’est-à-dire que les martiniquais s’invitent très souvent entre
parents (de lien plus ou moins direct) à l’occasion d’anniversaire, de fêtes religieuses…, mais
rarement entrent amis. Les amis sont réservés aux moments de fête. A cette occasion
d’ailleurs chaque membre de la famille sort séparément avec son groupe d’amis respectifs. Au
quotidien les activités se passent en famille au détriment des amis.
Les métropolitains se retrouvent éloignés de leur groupe familial élargi. La famille, sur l’île
est composée des parents et de leurs enfants (famille nucléaire), parfois d’un seul membre. En
conséquence, les contacts inter familiaux sur l’île sont quasi inexistants. Par conséquent ils
plus besoin d’établir un réseau de sociabilité pour se sentir entouré que les martiniquais. Leur
réseau de sociabilité se construit essentiellement avec les liens tissés entre amis. Ainsi au
quotidien, lors de fêtes, d’anniversaires, d’activités de loisir, la famille réduite va inviter les
amis à partager ces moments. Les adultes se retrouvent entre amis et les enfants jouent avec
les enfants des amis. A l’inverse, la famille martiniquaise se retrouve en famille et les enfants
martiniquais jouent avec leurs cousins et cousines.
Nous constatons donc une grande différence de fonctionnement entre les deux populations, ce
qui engendre une grande difficulté pour créer un rapprochement relationnel.
Les activités extra professionnelles ne constituent pas un espace privilégié pour nouer des
contacts entre métropolitains et martiniquais pour la simple raison q’ils ne pratiquent pas les
mêmes ou que leurs modes d’organisation ne sont pas identiques. On pourrait donc dire que la
plupart de ces activités ne sont pas des lieux de rencontre pour ces deux populations puisque
certains sont réservés aux martiniquais et d’autres aux métropolitains. Lorsque le contact se
pérennise des liens cordiaux et durables peuvent se constituer. Le métropolitain attend
beaucoup des liens qu’il souhaite tisser avec les martiniquais, alors que ces derniers ne sont
pas forcément en quête de cette relation. Les métropolitains sont déçus et ont le sentiment de
n’avoir que des relations superficielles avec la population locale.
Pour conclure ce sous-chapitre, nous constatons que ces deux populations ont
d’énormes difficultés à se rapprocher l’une de l’autre. Nous pouvons donc nous demander si
les métropolitains peuvent s’insérés socialement ou pas ? Y a t il une place dans la société
martiniquaise pour intégrer les nouveaux arrivants ? A l’inverse nous pouvons nous demandés
si les métropolitains ont vraiment le désir de s’insérer dans la vie sociale de l’île ? Ces
questions qui vont être traitées dans les chapitres suivants.
A présent nous allons analyser les indicateurs, les paramètres qui surviennent au moment de la
rencontre avec l’Autre : Influencent-ils la rencontre ? De quelles manières ? Et enfin sont-ils
déterminants dans l’élaboration de celle-ci ou pas ?
2. Les éléments qui se manifestent au moment de la rencontre
Une rencontre entre deux individus, se construit à partir d’éléments subjectifs qui influencent
la qualité du contact. Ces éléments sont entre autres, la vision que chacun à de l’autre, les
stéréotypes, mais aussi, et c’est ce que nous allons voir tout d’abord: que se passe-t-il lors de
la rencontre entre deux personnes de cultures différences.
2.1. L’interaction entre deux cultures
Pour appréhender ce qui se passe dans cette situation précise, nous devons prendre en compte
l’interaction qui se constitue lorsque les deux individus se rencontrent. Lors de l’échange, le
message émis par l’un peut être réceptionné par l’autre de manière différente, en fonction des
codes de symboles et des signifiants auxquels font référence ces deux personnes. Pour qu’une
interaction se construise, il est nécessaire qu’il n’y ait pas de décryptage à gérer dans le
discours de l’Autre. Goffman16 observe que chaque groupe, chaque société à un répertoire de
symboles et de sens qui lui appartient et qui s’active lors des interactions. Ceci permet aux
16 Goffman Erving, 1974, Les rites d’interaction
individus qui adhèrent au même groupe de se comprendre. Les membres du groupe possédant
une certaine expérience, maîtrise son emploi. Lors d’interaction tout est important, tout peut
être sujet à malentendu, quand les codes ne sont pas identiques. Goffman précise que dans la
rencontre tout le matériel comportemental entre en jeux dans l’interaction : qu’il s’agisse des
regards, des gestes, des postures, et des énoncés verbaux que chacun ne cesse d’utiliser
intentionnellement ou pas dans cette rencontre.
Lorsque des membres de groupes ethniques et culturels différents cohabitent dans une même
société, il semble que dans un soucis de protection de son propre code, chacun met en
évidence les différences qui le séparent de l’Autre. Sans s’attacher à ce qui leur est commun,
ils soulignent l’un et l’autre ce qui les différencient. La culture n’est alors, plus seulement un
code vécu, mais est utilisée pour s’opposer à l’Autre. Dans ces rencontres, l’interaction est
désinvestie, car les individus se focalisent sur ce qui les différencie.
Lors des rencontres interculturelles, c’est tout ce matériel comportemental de l’Autre qui va
être interprété avec le sens et les codes de sa propre culture. C’est pour cela que certains
individus sont surpris d’avoir offensés leur interlocuteur par leurs attitudes, car dans leur
système de codes et de symboles ils n’ont pas transgressés les règles de l’interaction.
Ces incompréhensions renforcent encore davantage les différences que les individus affichent
par leur distinction avec l’Autre.
2.2. Les stéréotypes
Dans la rencontre entre les martiniquais et les métropolitains, la part des stéréotypes des uns
sur les autres influencent leur interaction. Face à l’inconnu, lors d’une rencontre, l’individu
utilise les idées préconçues dont il est porteur pour appréhender l’Autre dans sa différence. Ce
mode de comportement, sécurise.
Michel Giraud définit les stéréotypes ainsi :
« Les stéréotypes sont des généralisations qui ne sont pas fondées par induction sur un
ensemble de données, mais sur des ont-dits, rumeurs, anecdotes, témoignages insuffisants,
expériences limitées. »17.
Nous allons découvrir les stéréotypes que les métropolitains ont sur les martiniquais et vis
versa. Il est indispensable de vous préciser que nous possédons plus d’éléments sur la vision
17 Giraud Michel, 1979, Races et classes à la Martinique. Les relations sociales entre enfants de différentes couleurs à l’école, p 49.
stéréotypée des métropolitains sur les martiniquais que l’inverse, car nous avons plus
particulièrement étudié cette population.
Les stéréotypes que les métropolitains ont pu avoir sur la population locale a varié selon les
époques. Nous étudions ceux qui sont en vigueur actuellement. Un perdure cependant dans
les esprits quelque soit les époques. Il s’agit de la position de supériorité ou d’infériorité que
chaque groupe occupe sur l’échelle de couleur. Ce stéréotype n’est que l’expression du
préjugé racial, produit par l’idéologie dominante, celle du colonisateur, l’homme blanc. Ce
stéréotype est actif inconsciemment dans la pensée des métropolitains. Il se traduit par l’idée
de l’incapacité des martiniquais à savoir bien faire. Les raisons invoquées pour justifier cet
état de fait, leur incapacité, peuvent être parfois fort différentes :
Il se traduise par le sentiment de culpabilité du métropolitain :
« Mais c’est pas de leur faute s’ils ne savent pas se prendre en charge, c’est à cause de nous, on les a
rendu trop dépendants de la France, alors maintenant c’est sûr qu’ils ne savent pas bien faire, comment voulez
vous qu’ils sachent faire ce qu’on a toujours fait à leur place ».
Ou de façon agressive envers les martiniquais :
« Les gens ici, sont incultures. Ils ne lisent pas, la culture n’existe pas. Le cinéma, c’est que des films
d’actions, la musique c’est que du zouk, ils ne cherchent pas à s’ouvrir alors qu’ils sont tout près des Etats-Unis,
avec le jazz, ou la salsa de l’Amérique Latine. Ils n’ont pas de conversation, intellectuellement, c’est faible, les
femmes sont froides, elles ne parlent pas on dirait qu’elles ont peurs, elles sont frigides…. Il n’y a que des
relations futiles, superficielles, c’est on fait des grillades, on se baigne on rigole mais on ne parle de rien. Je ne
dis pas que nous on ne parle que de choses plus intéressantes mais c’est différent. Puis ils ne savent parler que
de sexe, tout le temps. ».
Ce témoignage met en évidence un stéréotype partagé par la plupart des métropolitains : le
manque d’intelligence de la population locale, son incapacité à tenir une conversation. Ils ne
disent et ne font que des choses futiles (grillade, baignade, parle de sexe…). Ils ne sont pas
sociables, (ils ne sourient jamais, les femmes sont frigides), ils n’utilisent pas la richesse
culturelle qui les entoure. Ces préjugés sont découverts, lors de l’arrivée sur l’île par les
nouveaux arrivants par transmission orale, par les métropolitains installés (Autres stéréotypes
acquis sur l’île par les métropolitains : CF annexes 6). D’autres clichés sont incubés avant le
départ :
- par le récit de personnes qui y sont allés en vacances ou qui y ont vécus.
- Par des témoignages indirects (« j’ai des amis qui ont habités en Martinique et ils m’ont
dit que… »).
- par l’image que la population métropolitaine a de la vie dans les DOM : « ils travaillent
pas là-bas, ils sont en vacances toute l’année, c’est ça la vie sous le soleil, tout le monde est
cool… ».
- par les images que véhiculent les mass-média (films, livres, télévision…).
De ces diverses sources, deux stéréotypes ressortent le plus. Il s’agit comme nous venons de
le voir dans la citation du dessus, du fait que parce qu’ils sont sous le soleil les antillais ne
travaillent pas, mais aussi que se sont des personnes dangereuses, surtout les hommes.
Il n’est pas rare d’entendre que des touristes se sont fait agressés par des martiniquais, ou
encore le récit d’un scénario catastrophe vécu par une famille métropolitaine partie vivre sur
l’île. Celle-ci a rencontré drames sur drames : le viol de la mère, l’humiliation vécue par les
enfants à l’école parce qu’ils sont blancs, et enfin le cambriolage de leur maison. Une seule
conclusion s’impose à cette série d’événements : les martiniquais sont racistes.
Ce dernier stéréotype en particulier prépare psychologiquement les métropolitains, en
partance sur l’île, à devoir affronter des difficultés. En conséquence, avant même d’avoir
rencontré un martiniquais, ces personnes sont sur la défensive, et prêtes à riposter au moindre
danger. A l’arrivée sur l’île, les métropolitains sont habités par un sentiment de crainte du
martiniquais. Crainte qui puise ces origines aux premiers temps de la rencontre entre l’homme
noir et l’homme blanc. C'est-à-dire qu’elle perdure depuis le 16ème siècle, malgré quelques
variantes (il est soit un sauvage à civiliser, un enfant, soit un barbare brutal envahi par la
sauvagerie et la bestialité).
Cet état d’esprit dans lequel se trouvent les métropolitains à leur arrivée, influence la
rencontre avec l’Autre. Dans tout ce qu’il va pouvoir dire ou faire le martiniquais, le
métropolitains y voit une intention malveillante.
En ce qui concerne les stéréotypes qu’ont les martiniquais sur les métropolitains, nous ne
possédons que peu d’éléments. Le plus répandu chez les martiniquais : les métropolitains
gagnent de l’argent en venant en Martinique. Il est fait, par eux, un amalgame entre la
couleur de la peau blanche et les 40% attribués aux fonctionnaires pour cause de vie chère.
Il y a aussi l’idée que les métropolitains arrivent en pays conquis parce que la Martinique est
un département français, en conséquence, ils se croient tout permis. Egalement tout comme
pour les métropolitains qui sont allés en Martinique, il existe des témoignages de martiniquais
revenus de France avec des histoires dramatiques à raconter. Par exemple la mésaventure du
frère ou du cousin d’un ami qui s’est fait « tabassé » par des métropolitains dans la rue. Là
encore la raison invoquée est le racisme des métropolitains à l’encontre des martiniquais (des
noirs).
Le quatrième stéréotype, le plus courant, est que ces nouveaux arrivants ne sont pas désireux
de découvrir la culture martiniquaise les lieux touristiques suffisent à leur bonheur. Leur
principale raison de séjourner sur l’île, est de gagner de l’argent, et non de rencontrer les
martiniquais. (CF annexe 6.f).
Les martiniquais et les métropolitains possèdent un stéréotype en commun : quelle
représentation, quelle image a l’Autre de moi ? En fait, ils imaginent et perçoivent ce que les
Autres pensent d’eux. Par exemple, les métropolitains pensent que les martiniquais ne les
aiment pas parce qu’ils ont réussi, et qu’ils sont perçus comme des envahisseurs. Les
martiniquais, eux, imaginent que les métropolitains ne les estiment pas, parce que les
métropolitains ne font pas d’effort pour les rencontrer puisqu’ils restent qu’entre eux, ils ne
les côtoient pas.
Chacun, métropolitain ou martiniquais présuppose ne pas être apprécié par l’Autre. Pour
justifier cette attitude, l’Autre est désigné comme raciste. Le racisme a été une réalité
exprimée historiquement, par les uns et par les autres. Cependant aujourd’hui le racisme au
vrai sens du terme, n’est le fait que de quelques irréductibles. Par « vrai sens du terme » nous
entendons le racisme au sens strict, c’est-à-dire comme le définie Leiris :
« Prenant la forme d’une doctrine plus ou moins cohérente affirmant la supériorité
congénitale d’un groupe et prescrivant de façon concentrée une politique adéquate à cette idée
de supériorité »18.
Cependant, à présent que les mots racisme ou raciste, employés à tout bout de champ, ne sont
que l’expression de frustrations ou des vexations ressenties par les uns et les autres.
Nous pouvons, faire ici une parenthèse sur l’héritage inconscient de la supériorité des blancs,
que tous les métropolitains porte en eux. Ce ressenti est un élément de la définition du
racisme. Celui-ci ne s’exprime que rarement par des actes, et peut apparaître dans les propos
des métropolitains lorsque ceux-ci ne comprennent pas les us et les coutumes locaux.
L’observation des deux populations, nous permet de dire qu’il n’y a pas réellement de racisme
exprimé en Martinique, ni de la part des métropolitains, ni de la part des martiniquais.
18 Leiris, Michel, 1955, Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, p 126.
Il ressort donc de ces stéréotypes, de manière générale, une méfiance vis-à-vis de
l’Autre. Même si parfois c’est le contraire, (surtout de la part des métropolitains), il y a une
trop grande aisance qui se manifeste, par exemple, par l’emploi excessif du tutoiement en
arrivant. Ceci, est considéré comme un manque de respect par les martiniquais, et donc
forcement peu toléré.
Nous constatons que ces stéréotypes sont inconsciemment inscrits en chacun et influencent les
réactions et les attitudes des martiniquais autant que des métropolitains lors de leur rencontre.
Nous avons abordé au cours de ce chapitre les différences qui séparent les
métropolitains et les martiniquais. Celles-ci induisent et parasitent la qualité de l’échange
qu’ils vont tenter d’amorcer. Les rencontres entre eux, ne s’établissent pas spontanément à
cause de nombreuses incompréhensions de part et d’autre. Ce chapitre contribue donc à nous
montrer encore un peu plus qu’elles sont les différences auxquelles vont devoir faire face les
métropolitains à leur arrivée.
En prenant en compte ces éléments, nous essayons maintenant de décrire qu’elles sont les
attitudes que vont adopter les métropolitains pour pallier à ces différences.
Chapitre cinq : L’attitude des métropolitains dans ce nouveau contexte
Les métropolitains, après leur installation sur l’île doivent entreprendre le deuil de
leurs illusions, la réalité ne correspond pas à ce qu’ils avaient imaginé, en particulier qu’il est
difficile d’établir des contacts avec les locaux. Ils s’aperçoivent que La Martinique,
département français, est singulier et a sa propre spécificité. Après l’acceptation de ces
désillusions, ils vont devoir découvrir et comprendre la société martiniquaise et ajuster leurs
comportements et leurs attitudes. Ce chapitre va être consacré à la description des différents
modes d’acculturations que vivent les métropolitains. Nous essaierons, de montrer que selon
les diverses figures de métropolitains, exposés dans le chapitre deux, une acculturation
spécifique peut se construire.
Mais avant tout chose il est nécessaire de savoir : Quels sont les indicateurs, les faits qui
démontrent aux métropolitains qu’ils ne sont plus en France métropolitaine et qu’en
conséquence ils doivent modifier leurs comportements ?
1. La Martinique : une culture différente
Par des exemples, nous allons exposer comment les métropolitains s’aperçoivent que la vie
sur l’île et le rapport avec les locaux, sont particuliers au contexte martiniquais. Nous allons
nous appuyer sur des expériences de métropolitaines. Tout d’abord celles vécues à leur
arrivée et comment elles les ont ressenties. Par la suite, nous reprendrons une anecdote de
l’une d’entre elles, vécue dix ans après les premières, et comment dans des situations
similaires, elle l’a résolue différemment. Quels changements d’attitudes a-t-elle dû
entreprendre pour pouvoir vivre en Martinique ?
1.1. Constatations
Les martiniquais réagissent, parfois avec virulence à des attitudes ou des comportements de
métropolitains. Ces derniers sont souvent surpris de la réaction des locaux, considérant que
leurs actes sont anodins.
Nous allons prendre quelques exemples anecdotiques que deux femmes ont vécus peu de
temps après leur arrivée.
Voici les deux anecdotes de la première personne interrogée:
« Une fois dans un super marché, je fais mes courses tranquillement puis dans un rayon, je vois une
gamine de 3 ans qui marche la tête en l’air. Moi je suis à l’arrêt, mais je vois bien qu’elle ne regarde pas où elle
va, et qu’elle se dirige droit sur mon chariot, alors je lui dit attention, coucou… mais bon bref elle me rentre
dedans, dans mon chariot. Alors évidemment, comme elle a été surprise, elle se met à hurler. Et alors là, j’ai
rien compris la mère se précipite pour voir ce qui se passe, tout le monde regarde la scène, et la mère qui
commence à me crier dessus en disant que j’ai renversé sa gamine avec mon chariot. Et là tout à coup, tout le
monde est contre moi alors que je n’avais pas bougé et qu’il devait y avoir eut certainement des témoins de la
scène. Mais non personne n’a rien dit et je ne vous dis pas les regards qu’on me lancé, j’ai vite changé de rayon.
Ce sont des trucs comme ça qui font peur, même si on est révolté à l’intérieure on est paniqué et on n’ose rien
faire. Mais là je me suis dis ils sont vraiment cons c’est pas possible… »
Ce premier témoignage nous démontre que cette femme s’est sentie victime. Comme elle
n’imaginait pas que la scène puisse prendre cette tournure, elle est totalement déstabilisée et
ne sait pas quelle attitude adopter. Dans cette situation, elle a été dans l’incapacité de gérer
l’incident et dans l’incapacité de se défendre. La scène est vécue de façon très émotive. Face
au comportement des adultes présents, qui ont une attitude incompréhensible et dangereuse
pour elle, elle se protége en les traitant « de cons » dans son for intérieur. Elle ne peut
relativiser l’événement, car elle a eut peur. Lorsqu’elle relatera cet épisode à une compatriote
soit cette dernière accentuera cette notion de dangerosité et la renforcera, soit la personne
minimisera l’événement et en donnera une explication. Par conséquent ce qu’elle a ressenti
dans cette première expérience peut être déterminant dans ces futurs rapports avec la
population locale, si rien n’altère le sentiment qu’elle a eut.
Autre exemple :
« Un soir j’étais en voiture, j’étais pressé je devais rejoindre mon mari, mais à un endroit que je ne
connaissais pas bien, alors j’ai tourné dans une rue, je ne sais pas si elle était en sens interdit, bref une autre
voiture arrive en sens inverse, il ne me restais que deux mètres à faire pour sortir de la rue, mais vingt dans
l’autre sens et comme la voiture en face ne bouge pas, je décide de manœuvrer et de monter sur le trottoir, pour
la laisser passer. Je redescends et là rebelote une autre voiture, et ça quatre fois. Des voitures de jeunes avec la
musique forte, et des spectateurs, parce que tout ça amène un attroupement… j’avoue que là j’ai eu peur, aucun
soutien, ça c’est quelque chose que j’ai du mal à l’accepter. Ça c’était raciste, ça c’est des trucs de public… et
je suis sûre que j’aurais gueulé tout le public aurait été contre moi.
Face à ça je suis triste, je ne suis même pas révolté. Tant qu’il y aura des trucs comme ça, ça ne pourra pas
passer, et ça dénigre mes amies parce qu’on va dire les antillais sont ci ou ça, alors que dans le lot y’a des gens
supers. »
Deux choses peuvent être relevé dans ce témoignage.
Cette femme a peur pour plusieurs raisons : méconnaissance du parcours pour se rendre à son
rendez-vous, la nuit tombe. Autre élément qui alimente sa peur : elle se retrouve par erreur
dans une rue animée où sont réunis plusieurs jeunes antillais. Face à son embarras, elle est
l’objet de railleries de la part des personnes présentes, ce qui a comme conséquence
d’accentuer sa crainte et son stress. Par conséquent, cet événement est vécu comme un réel
acte de racisme à son encontre.
Deuxièmement, elle préjuge que cet incident n’aurait pas pu se dérouler dans les mêmes
conditions en France. Pourquoi ? Parce que les personnes qui l’entourent ne lui paraissent pas
hostiles et qu’elle se sent davantage en sécurité dans un environnement qui ne lui paraît pas
étrange. Le sentiment d’être en insécurité est produit notamment par le fait d’appartenir à une
population minoritaire de façon visible. Il n’est pas rare d’ailleurs d’entendre des
métropolitains se comparer à la population musulmane en France, ou à se que doivent vivre
les antillais en métropole.
Ces deux comparaisons démontrent la différence de pensée des métropolitains. Pour ceux qui
se réfèrent à la position de la population musulman en France, ils s’adossent sur le fait d’être
un groupe minoritaire, tout comme les musulmans en France, et d’être victimes d’actes
racistes de la part des martiniquais, de façon permanente.
Pour ceux qui évoquent la vie des antillais en métropole, ils considèrent se retrouver dans la
même situation qu’eux, en Martinique. C’est une manière de relativiser leur condition de vie
sur l’île.
Nous avons entendu et relevé à plusieurs reprises ces comparaisons. Elles sont un moyen pour
les métropolitains de relativiser leurs difficultés à vivre sur l’île, et de se rassurer car d’autres
peuvent se retrouver dans la même situation qu’eux.
Une autre femme nous relate deux anecdotes :
« Une fois je suis allée dans un supermarché, je faisais mes courses, et puis d’un coup je m’aperçois
que j’étais suivit par une petite adolescente qui devait avoir 13 ans, qui allait partout où j’allais mais qui elle
n’avait pas de chariot, et elle prenait tout ce que je prenais. Bon alors je continue à faire mes courses, puis
quand je passe à la caisse elle continue de me suivre, mais elle n’a rien acheté. Alors je sors du magasin, je me
dirige vers ma voiture, elle me suit toujours et pendant que je mets mes affaires dans mon coffre, je la vois faire
signe à trois mecs, qui apparemment l’attendaient. Ils sont venus vers moi alors j’ai pas demandé mon reste je
suis montée dans ma voiture et je suis partie. Mais je n’ai jamais compris le pourquoi du comment, je ne sais pas
s’ils voulaient me piquer mes courses, je ne sais pas…
Puis une autre fois, j’essayé de trouver une place dans un parking qui n’en avait plus, et donc j’ai tourné
pendant un moment, et d’un coup je vois une place, alors je m’avance, et là un mec m’empêche de me garer, il
se met devant et me bloque avec sa voiture, alors comme je m’étais arrêté ça a commencé à klaxonner derrière.
Voyant que j’allais devoir renoncer, j’ai fait un geste comme ça en levant le bras qui voulais dire : eh merde !
Mais je ne sais pas pourquoi mais le mec derrière a cru que je lui faisait un bras d’honneur ou quelque chose
comme ça, alors que c’était juste un geste d’humeur. Alors moi j’ai continué et un peu plus loin dans une rue
y’avait un espèce de terrain vague sur lequel je me suis garée, mais le mec m’avait suivit, et il se gare derrière
moi. J’étais encore dans ma voiture la vitre ouverte, le mec descend, et s’est dirigé vers moi et à ma hauteur, et
alors que je ne m’y attendais pas il m’a crié de tout, sale blanche, retourne d’où tu viens, tu n’as rien à faire ici,
enfin il m’a pourri… je suis restée con. Mais du coup j’ai appris par la suite à faire très, très attention aux
gestes que je pouvais faire, ou aux mots que je pouvais prononcer qui dans ma tête n’avaient rien de blessant
mais qui étaient ici très mal interprété. »
Ces exemples mettent en évidence la surprise des métropolitains lors de certaines situations.
Parce que ces femmes sont en situation de crainte, d’angoisse, de trouble, elles considèrent
les attitudes des martiniquais comme incohérentes. Il paraît évident, que les martiniquais,
face à la « détresse » de ces femmes, accentuent parfois leurs comportements.
Nous relevons, à partir de ces différents épisodes vécus par ces deux femmes, deux constats :
- ces événements ne se seraient pas passés, de cette manière en France.
- Les expressions employées : « tout à coup », « alors que je ne m’y attendais pas », « j’ai
pas compris ce qu’il se passait », « je ne sais pas pourquoi »… attestent la surprise,
l’incompréhension et l’étrangeté des réactions des martiniquais.
Si l’écart, entre les deux « codes culturels » est important, ou ressenti comme tel, chaque
situation peut être vécue comme dangereuse et conflictuelle pouvant engendrer un repli sur
soi. Il est à noter que dans les deux récits proposer par ces femmes, aucun dialogue, aucun
échange n’a pu s’établir.
Ces deux récits renforcent le cliché de la dangerosité des antillais. De ces expériences vécues
comme dangereuses, trois comportements peuvent être adoptés :
- éviter les contacts avec la population locale le plus possible,
- lorsque l’on ne peut échapper à ce contact, faire attention à tout ce que l’on dit et fait,
- rentrer dans une démarche d’observation de l’Autre et ajuster son comportement en
prenant en compte le fonctionnement local.
C’est ce dernier point que nous allons évoquer ci-dessous.
1.2. Ajustement de leur comportement
Dans cette deuxième sous partie, nous allons étudier, les ajustements de comportement des
métropolitains lorsqu’ils prennent en compte les différences culturelles entre les deux
sociétés. Nous allons nous appuyer sur le récit de la deuxième personne interviewée qui nous
relate un fait qui s’est produit dix ans après sa première expérience décrite ci-dessus. Voici sa
réaction actuelle à une situation à peu prés similaire à celle qu’elle avait vécu dix ans plus tôt :
« Un jour en voiture dans une ruelle où une voie est prise par des voitures qui se garent et l’autre est
laissée libre pour circuler, donc c’est étroit. Je m’engage dans cette rue et je vois en face un camion qui s’est
engagé aussi et qui lui roule relativement vite, du coup je vois une place sur la voie où les voitures se garent et
je commence à m’y garer. Mais le mec qui d’après moi a accéléré en me voyant, ne me laisse pas finir ma
manœuvre et du coup j’ai le cul de la voiture qui dépasse un peu et ça a pas loupé le mec avec son camion en
passant m’a un peu cogné l’arrière de ma voiture. Du coup je descends de ma voiture et le chauffeur du camion
commence à me gueuler dessus, alors moi aussi je commence à chauffer, et chose que je n’aurais pas fait avant,
je lui dis que déjà s’il veut parler avec moi, il faut qu’il descende de son camion parce que moi je ne lui parle
pas comme ça en étant obligé de lever la tête comme ça, et en étant dans cette position d’infériorité. Du coup il
descend évidemment c’est une masse, il commence à s’expliquer, il m’accuse de ne pas m’être rangé alors que
j’avais bien vu qu’il était plus engagé que moi. Je lui réponds qu’il ne m’a pas laissé faire ma manœuvre et que
s’il avait roulé moins vite j’aurais eut le tps de me garer correctement. Là-dessus, un mec qui habitait juste
devant le lieu de l’événement sort de chez lui et sans savoir ce qui c’était passé se dirige vers nous en criant sur
moi, et en disant que c’était de ma faute, et que le chauffeur de camion avait entièrement raison. Alors là je ne
me suis pas encore dégonflée, et j’ai dit au mec de la maison qu’il n’avait rien vu et que personne n’avait fait
appelle à lui alors qu’il pouvait rentré chez lui. Mais je lui ais dit ça sur le même ton que lui. Du coup le mec
était tellement surpris qu’il s’est exécuté, et par répercutions le chauffeur du camion aussi c’était calmé, et on a
pu reprendre le constat tranquillement. Et finalement le mec s’est même proposé de m’accompagner tout de
suite chez un ami à lui garagiste pour qu’il me répare ma voiture de suite. Mais j’ai refusé tout en prenant ces
coordonnées pour faire cela plus tard. Mais j’avoue que j’étais très fière d’avoir réussit, d’avoir résolue la
situation de cette manière, sans m’être laissé bouffer par ces deux mecs… »
Sa réaction dix ans plus tard, est diamétralement opposée à son attitude dix ans plus tôt. Nous
constatons que lors de cette séquence de vie, cette femme n’est plus habitée par la peur et la
crainte. Son attitude déterminée, a déstabilisé le chauffeur. Le comportement dominant de ce
dernier, disparaît et un échange peut s’instaurer. Nous constatons que dans cette séquence,
l’un et l’autre modifient leurs attitudes. Le comportement de cette femme a un effet positif car
il permet de mettre sur un pied d’égalité l’un et l’autre. Cette attitude est considérée comme
une manière de ne pas se « laisser marcher dessus ». En effet de nombreux métropolitains
nous déclarent, qu’ils doivent « faire leur place », pour pouvoir vivre en Martinique. Il faut
être fort de caractère sinon à terme la confrontation avec les martiniquais, les oblige à partir.
Cette attitude qui consiste à s’affirmer, à s’imposer dans les situations où ils se sentent en
danger, agressés n’est pas la seule réponse dans l’ajustement de leur comportement à ce
nouveau cadre de vie. Lors de l’arrivée sur l’île des métropolitains, la plupart du temps,
n’osent pas réagir de façon agressive dans ces situations. C’est ce que nous déclare cette
métropolitaine dans son récit : « chose que je n’aurais jamais fait avant », sous entendu « que
je n’aurais pas osé faire avant ». La dangerosité potentielle dans tous contacts avec les
martiniquais, et l’inquiétude de ne pas avoir les bons comportements, gestes ou paroles, qui
pourraient être mal interprétés et risqueraient de provoquer un mal entendu ou un conflit.
Ceci amène les métropolitains à être, de façon permanente, attentifs aux mots qu’ils
emploient et aux attitudes qu’ils adoptent. Ce mode de faire est rapidement insupportable car
il engendre une tension permanente. La rencontre avec les antillais est ressentie comme
dangereuse par certains.
Afin d’anticiper ces situations dangereuses, certains métropolitains évitent toute rencontre
avec les locaux. Cette manière de faire s’observe par la mise en place de stratégies
d’évitement ou par l’emploi d’intermédiaires lors de transactions délicates. Lorsqu’un
métropolitain se risque à une rencontre, il met en place des procédés d’évitement. Par
précaution, les sujets qui pourraient être mal interprétés, sont écartés. Ils changent d’activité
ou de sujet de conversation, à tout moment lorsqu’ils considèrent qu’il peut y avoir un risque
de mal entendu. Les rencontres s’établissent sur le mode de la méfiance, de la réserve, en
dissimulant ses sentiments tant que reste inconnu la ligne de conduite que l’Autre est prêt à
accepter.
Un exemple illustre cette manière de procéder. Installée à la terrasse d’u bar avec un
métropolitain pour une interview, je m’aperçois que la serveuse a fait une erreur dans ma
commande. J’informe, la personne qui m’accompagne, et je me lève afin de faire modifier ma
commande. Il se lève aussitôt, inquiet il m’ôte le verre des mains en me disant qu’il va aller le
faire à ma place. De retour, il me précise qu’il faut procéder, lors de ces incidents, avec
beaucoup de diplomatie afin de ne pas vexer la serveuse. Et que l’emploi de nombreuses
précautions sont nécessaires. Cette attitude se caractérise par une démarche empreinte
d’humilité, effectuée avec prudence, sur un ton plaisant. Elle est la démonstration des
stratégies d’évitement que mettent en place les métropolitains.
D’autres manœuvres de protection sont tout aussi répandues et utilisées par les métropolitains.
Par exemple, le code du respect et de la politesse est scrupuleusement appliqué, ainsi que tout
cérémonial dû à certaines personnes. Lors d’une conversation, les faits qui peuvent
implicitement ou explicitement, contredire ou gêner sont écartés. Des circonlocutions sont
employées, les réponses sont formulées avec ambiguïté afin d’éviter de créer un éventuel
mécontentement chez l’Autre. Lorsque ces personnes sont interrogés sur ces manœuvres
dilatoires, elles nous répondent : « il ne faut pas provoquer, ne pas chercher les ennuis », « il
faut être de bonne humeur, toujours souriant », « il faut savoir s’écraser parce qu’on aura
jamais gain de cause », « il faut savoir se faire tout petit à certaines périodes de l’année quand
les esprits sont échauffés ». La plaisanterie est également utilisée pour débloquer une
situation tendue.
Cependant notons que l’humour des métropolitains et celui des martiniquais ne sont pas les
mêmes. C’est pour cette raison que cette technique n’est utilisée, généralement, qu’après
quelques années passées sur l’île. Lorsque les métropolitains se sont aperçus que l’humour est
bien compris par les martiniquais. Il est aussi employé à partir du moment où les personnes
venues de métropole, sont excédées de surveiller leurs comportements et leur parole. Elles
utilisent alors l’humour pour exprimer ce qu’elles pensent tout en respectant, les codes et la
sensibilité des locaux. Cette dernière technique de comportement employée par les
métropolitains est généralement appréciée par les martiniquais qui usent beaucoup de
l’autodérision et de l’humour entre eux.
Mais au travers de ces différentes techniques de comportement, il faut savoir que de la
concession à la surenchère pour être admis, il n’y a qu’un pas qui est peut être rapidement
franchi, et qui change totalement les résultats escomptés. Cette accommodation constante du
comportement aux exigences tacites de la société d’accueil, n’est supportable par les
métropolitains que si ils trouvent dans le milieu familial et la communauté ethnique la
possibilité de s’exprimer avec spontanéité avec la certitude d’être compris.
Cette partie expose la manière dont les métropolitains se rendent compte qu’ils ne
sont plus en France. Ils ne peuvent plus en conséquence, se comporter comme auparavant. Ils
doivent apprendre à réajuster leur comportement au nouvel environnement qui les entoure.
Nous avons observé que plusieurs stratégies se mettent en place, certaines plus supportables
que d’autres sur le long terme. Cette partie nous permet de voir, également, que le constat que
font les métropolitains et le réajustement qui s’en suit correspond à la seconde phase de leur
adaptation après leur accommodation aux éléments qui s’imposent à eux irrémédiablement
dès leur arrivée (CF Chapitre trois).
Nous allons dans les lignes suivantes évoquer les différents types d’acculturations qui
s’imposent aux métropolitains.
2. Les différentes réactions des métropolitains dans ce cadre
Nous allons essayer d’établir de quelle façon les métropolitains vivent leur acculturation.
Avant d’analyser le processus d’acculturation, il nous paraît plus adéquat de partir du concept
dynamique d’identité ethnique. Car, c’est à partir de l’identification au groupe, et de la façon
dont elle est vécue que peut se comprendre une expérience interethnique.
2.1. L’identité ethnique
Il est nécessaire de définir ce concept afin de comprendre ce qui différencie les
métropolitains des martiniquais et ainsi d’appréhender leur acculturation. Nous allons nous
appuyer sur l’étude d’Abou Selim : L’identité culturelle19.
L’appartenance ethnique se symbolise par trois caractéristiques culturelles principales : la
race, la religion et la langue. En général, les Etats ne préfèrent ne retenir que la troisième : la
langue. Les gouvernements ont tendance à n’identifier les minorités ethniques que par leur
particularité linguistique. Abou Selim définit comme groupe ethnique : un groupe dont les
membres possèdent à leur yeux et aux yeux des autres, une identité distincte enracinée dans la
conscience d’une histoire ou d’une origine commune. Ce fait de conscience est fondé sur des
données objectives, telle que, une langue, une race ou une religion commune, voire un
territoire, des institutions ou des traits culturel commun (il est possible que certaines de ces
données puissent faire défaut).
La Martinique correspond à cette définition du groupe ethnique. Nous avons noté qu’en son
sein, une interprétation culturelle de la référence raciale conscientise un groupe ethnique (sans
le fanatiser). Il s’agit notamment, du concept de négritude qu’Aimé Césaire à développer dans
les années cinquante. Au travers du créole, le culte de la langue peut être analysé comme une
juste défense des valeurs, de la personnalité culturelle des martiniquais que nous pouvons
considérer comme un groupe ethnique. C’est un groupe avec une identité ethnique inséré dans
une nation, la France. Nous pouvons dire à la lecture de l’ouvrage d’Abou Selim que la
Martinique est une communauté infra-nationale à l’intérieure de laquelle joue une conscience
19 Abou, Selim, 1981, L’identité culturelle. Relations interethniques et problèmes d’acculturation.
ethno-culturelle. C’est une communauté de langue, dans un espace qui est un lieu
d’identification ethnique, accentué notamment par sa distance avec le continent nationale.
Dans la définition d’un groupe ethnique, nous voyons que l’identité ethnique dépend en partie
de la manière dont le groupe interprète son histoire. En revanche, l’identité culturelle, (qui a
ses racines ancrées dans l’identité ethnique), échappe, en grande partie à sa conscience et à ses
prises de positions idéologiques. Abou Selim l’illustre par un exemple : « Au Liban, chrétiens
et musulmans partagent plus qu’ils ne le croient des modèles communs de comportements et
de pensées »20.
Ceci n’est pas totalement démontré dans notre étude. Certes, les métropolitains ont des
modèles communs, transmis en particulier, par le système scolaire, mais l’éloignement
géographique entre la métropole et l’île, ne leur permettent pas d’avoir un même mode de
comportements et de pensée, et donc de posséder une même identité culturelle.
Cet auteur définit la culture comme étant : « l’ensemble des manières de penser, d’agir, et de
sentir d’une communauté dans son triple rapport à la nature, à l’homme et à l’absolu »21. Nous
avons noté depuis le début de cette étude que le comportement des métropolitains et celui des
martiniquais diverge sur de nombreux points et notamment sur le rapport à la nature, et au
temps. Nous savons aussi que leur manière de penser l’absolu se fait au travers de leurs contes
et de leurs mythes. Nous ne pouvons pas, dans ce mémoire approfondir l’étude de ces
éléments, pourtant riches en informations, car ils ne concernent pas directement notre sujet.
Nous avons voulu montrer dans notre précédent propos que les martiniquais représentent un
groupe ethnique différent de l’ensemble national, (et donc des métropolitains), et qu’ils
possèdent leur propre culture.
C’est, principalement pour ces raisons qu’en arrivant en Martinique les métropolitains
connaissent une acculturation. Car malgré leur identité nationale commune, ces deux
populations appartiennent à deux groupes ethniques et culturels différents.
2.2. L’acculturation
Il est important de noter que l’acculturation ne varie pas en fonction des groupes en contact.
Elle se différencie selon les cultures en présence par rapport à leur proximité ou éloignement
de l’une et de l’autre, de leur degré de prestige, et suivant l’homogénéité ou l’hétérogénéité
culturelle des groupes en présence. La proximité des cultures, quelque soit son degré, joue
comme un facteur positif facilitant grandement l’acculturation. A l’inverse, l’éloignement est
20 Ibid, p 42. 21 Ibid., p 30.
négatif, il rend l’acculturation difficile. Dans notre étude, nous pouvons dire que les
métropolitains et les martiniquais bénéficiant de mêmes structures sociétales, ainsi que d’une
langue officielle commune, ils ont donc un certain degré de proximité culturelle. Ainsi
l’acculturation de ces premiers devrait être facilitée. C’est ce que nous allons étudier.
Nous notons que les cultures en contact ont rarement un prestige égal. Nous pouvons estimer
le prestige d’une culture, à l’importance et à la qualité des civilisations qu’elle a engendrées.
Ce prestige est en rapport avec sa puissance économique et sa politique actuelle dans le cadre
de la nation correspondante. Il dépend aussi de la situation sociale du groupe représentant
cette culture. Dans le modèle que nous étudions, la culture qui a le plus de prestige est
représentée par la population minoritaire, les métropolitains. En conséquence, nous pouvons
en déduire que ce groupe ne rencontrera pas de difficulté d’acculturation.
Avant d’aborder ce thème, nous nous intéressons aux modes d’acculturation. Abou Selim,
révèle qu’il en existe trois : le spontané, l’obligé ou l’imposé. Le mode spontané correspond à
des échanges non réguliers entre deux pays ou deux groupes ethniques, par exemple lors
d’échanges économiques. Le mode imposé ou forcé est effectif lorsque des rythmes, et des
mentalités sont planifiés par le pouvoir et imposés à toute une population.
Il existe, enfin, le mode obligé. C’est au travers de ce mode que nous pouvons identifier la
situation des métropolitains en Martinique. Il est imposé par la situation, mais le rythme et les
mentalités, sont laissés, jusqu’à un certain point, à l’initiative du groupe et des individus.
Jusqu’à un certain point, puisque étant accueillis dans un cadre de fonctionnement préexistant,
ils ne peuvent pas faire autrement que de suivre en partie, les éléments qui s’imposent à eux.
Il n’est pas loisible aux nouveaux arrivants de choisir de ne pas adopter les modèles et les
valeurs de la culture du pays d’accueil, mais il leur est permis de pratiquer, aussi longtemps
que nécessaire, les traditions qui leur sont propres. En Martinique, nous pouvons considérer
que cette permissivité est due à deux éléments qui jouent de façon positive dans
l’acculturation : la proximité de culture et le prestige de cette population métropolitaine
reconnu par la culture d’accueil.
Si un mode d’acculturation correspond à toute la population de métropolitains, il existe en
revanche différents processus d’acculturation.
Avant d’aborder ces processus, nous évoquerons l’une des principales difficultés de cette
étude. A quoi les métropolitains doivent-ils s’adapter en arrivant en Martinique ? Nous avons
noté que l’appréciation du temps, des rythmes divergent entre ces deux populations, et que la
Martinique dispose d’une culture spécifique. L’île dispose d’une société singulière (la
hiérarchisation raciale des individus) et d’une culture caractéristique. Hors ces deux éléments
ont subit des modification depuis la mise en place de la départementalisation. En
conséquence, les martiniquais ont dû, eux aussi, entrer dans un processus d’acculturation, par
rapport à la culture des métropolitains. Nous observons alors que la principale difficulté réside
dans le fait que les métropolitains arrivent dans une population, elle-même, lancée dans un
processus d’acculturation. Il s’agit du processus d’assimilation. Abou Selim le définit comme
l’une des formes de l’échec de l’acculturation. En effet le concept d’assimilation, d’origine
biologique, évoque l’absorption. Transposé au domaine culturel, il signifie que les membres
du groupe minoritaire éliminent radicalement leur identité ethno-culturelle pour endosser une
autre identité, ou qu’ils cessent d’être eux-mêmes pour devenir autres. Lorsque ce phénomène
se produit, ce qui fut le cas des martiniquais, c’est un processus d’aliénation qui se met en
place. Il a pour effet, la pathologie de la déculturation et à terme, de la dépersonnalisation. La
population locale a réussi à remédier à ces situations extrêmes grâce à l’intervention d’auteurs
martiniquais. Ils ont impulsé une réflexion, en y associant les martiniquais, sur leur identité.
La langue locale, le créole, est valorisé et sert de support de rattachement. Si aujourd’hui la
question de l’identité en Martinique est quasi résolue, le processus n’est pas achevé. Il
demeure présent et actif par l’incessant questionnement de l’identification (qui est-on par
rapport aux autres, au reste du monde ?).
Les métropolitains se retrouvent dans deux autres processus d’acculturation définis par Abou
Selim : le processus de réinterprétation, le processus de synthèse.
Le premier est actif quand l’acculturation est « matérielle » c’est-à-dire lorsqu’elle affecte les
contenus de la culture du groupe minoritaire, qu’elle laisse intact sa manière de vivre, de
penser et de sentir. Cette acculturation est partielle lorsque le groupe minoritaire adopte les
traits, les modèles de la culture dominante dans le secteur public des relations secondaires,
tout en maintenant son propre code culturel dans le secteur privé des relations primaires. C’est
donc dans la sphère des relations secondaires que s’établissent les échanges.
Le second processus celui de synthèse est mis en place quand l’acculturation est « formelle »,
c'est-à-dire lorsqu’elle affecte les structures mêmes de la pensée et de la sensibilité du groupe
minoritaire. Les métropolitains sont amenés à intérioriser les deux codes culturels en présence
et les conflits qui résultent de cette rencontre. Ce processus, affirme Abou Selim, est le
processus de synthèse. Les membres du groupe ethnique ne se débarrassent pas des modèles
de penser, de sentir de leur culture d’origine pour adopter tels quels ceux de la culture du pays
d’accueil. Le passage de l’un à l’autre n’est ni direct, ni immédiat. Ils cherchent d’abord à
rejeter la culture de leur père pour adopter celle du pays d’accueil devenu leur lieu de
résidence.
2.3. Les attitudes des métropolitains
Ces deux processus d’acculturation se traduisent dans le comportement des métropolitains de
différentes façons. L’écart entre les deux codes culturels en présence (la culture française telle
qu’ils la vivent en France, et celle du pays d’accueil), peut être vécu différemment selon les
métropolitains. Lors de nos entretiens nous avons constaté à quel point la manière
d’institutionnaliser et d’apprécier les modes de penser martiniquais varie selon les individus :
en fonction de leur personnalité et de leur expérience. Trois catégories de personnes émergent
à l’analyse :
La première concerne les métropolitains désappointés dès leur arrivée sur l’île.
Désillusionnés car ils s’aperçoivent, avec regret que rien ne correspond à ce qu’ils avaient
imaginés : l’île n’est pas conforme à leurs représentations et la culture française rencontrée
n’est pas celle qu’ils connaissent. Leur déception provoque un refus de cette réalité et
engendre un mépris pour la culture et la population martiniquaise. Leur attitude hostile perçue
par les martiniquais provoque en retour un rejet. Cette forme d’exclusion engendre de la
rancœur, de l’aigreur qui radicalise leur refus du monde culturel martiniquais et les conduit à
s’en couper définitivement, pour ne fréquenter qu’une population métropolitaine. Ils
reproduisent à l’identique les structures sociétales de métropole et tentent de reconstruire le
même mode de vie qu’ils avaient sur l’hexagone, avec les avantages qu’offre l’île, en plus.
Leur quotidien ne change ni dans leur alimentation, ni dans leurs activités culturelles, ni dans
leur fréquentation. Seul l’environnement marque, pour eux, la différence entre la métropole et
la Martinique. L’échange avec la population locale, ainsi qu’avec la référence aux modes
culturels martiniquais, ne se fait qu’à travers les relations professionnelles. Nous pouvons
dire que ces métropolitains vivent en Martinique uniquement sur des structures connues, en
périphérie de la société locale. Ces personnes possèdent un bon niveau de vie, ce qui leur
permet de vivre en dehors du monde martiniquais. Ils s’installent dans des communes habitées
majoritairement par des hexagonaux. Ils pratiquent des activités que peu de martiniquais
exercent. Ils fréquent les lieux non investis par les locaux. Ces personnes peuvent adopter
cette manière de vivre car elles savent que leur séjour sur l’île sera de courte durée. En
conséquence, ils ne se sentent pas obligés de faire des efforts envers la population locale. Ils
ne viennent pas pour découvrir ce qu’ils ne connaissent pas, mais pour des raisons strictement
matérielles.
La deuxième catégorie, concerne les « relativement déçus ». Leur désenchantement est
moindre et leur déni de la culture martiniquaise est atténué. Ils demeurent curieux de
connaître l’Autre et sont plus à même de créer une relation avec les locaux, même si au départ
ils avaient une vision plus idyllique de l’île. Cependant les contacts ne s’établissent pas aussi
facilement que ce qu’ils ont imaginés. Principalement, comme nous l’avons observé, les
modalité d’échanges entre ces deux groupes ne sont pas très nombreuses, et surtout, parce
qu’ils se retrouvent confrontés à des modes de pensée qu’ils ne connaissent pas. Ces
incompréhensions deviennent, parfois, de véritables barrières culturelles malgré leur désir de
mieux appréhender le monde antillais. Nous pouvons, à titre d’exemple, évoquer le rôle de la
séduction. De nombreux métropolitains, femmes ou hommes, ne comprennent pas pourquoi
les martiniquais sont, sans cesse dans une démarche de séduction. Les métropolitaines vivent
ses continuelles apostrophes, comme de véritables agressions, les persuadant qu’elles sont en
danger. D’autre part, leur méconnaissance des us et coutumes locales amène les
métropolitains à commettre des maladresses à l’égard des martiniquais, qui vivent celles-ci
comme très offensantes eu égard aux vexations subies au cours des siècles précédents. Celles-
ci sont automatiquement relevées par les martiniquais, qui en tirent des conclusions hâtives.
Ces derniers esquivent, alors tout échange. Les métropolitains, devant l’impossibilité de
communiquer avec la population locale, établissent alors des relations privilégiées entre eux.
Ces personnes sont installées sur l’île pour un temps indéterminé. C’est ce qui les amène
initialement à faire un effort d’ouverture vers la population locale. Malgré cet échec, la
majorité demeure sur l’île, considérant qu’ils ont une meilleure qualité de vie qu’en France et
qu’ils exercent un emploi qui leur convient. Ils se résignent à accepter cette situation
admettant qu’ils ne peuvent pas tout avoir : la qualité de vie, un métier bien rémunéré et aussi
une bonne entente avec la population locale. Ils ne portent pas de jugement de valeur sur la
culture martiniquaise, ils constatent l’existence d’un écart important entre les deux cultures,
qui empêche tout rapprochement. A contrario, cette population s’entend relativement bien
avec les martiniquais qui ont vécu dix ou quinze ans en France. Ces personnes tentent de
mieux connaître l’autre dans sa différence sans y parvenir, ne pouvant établir des liens
qu’avec des personnes proches de la culture française métropolitaine.
A partir de ces deux premières attitudes, nous constatons que les métropolitains sont soucieux
d’éviter le danger de la déculturation, car ils divisent spontanément le monde en deux
secteurs. Les relations primaires (émotionnelles) sont confiées au cercle familial, et à la
collectivité ethnique. Ils n’entretiennent, avec la communauté d’accueil, que des relations
secondaires ou d’affaires. Fort de cette division, ils se contentent d’adopter les modèles de
comportements exigés par la vie publique sur l’île. Ils gardent intacts leurs modes culturels
d’origine. Ils recherchent, dans le milieu familial et/ou ethnique, des appuis affectifs solides
leur permettant d’affronter l’angoisse que provoque l’apprentissage d’un nouveau code
culturel.
La troisième catégorie de personnes est celles qui dépassent les incompréhensions
culturelles. Leur intégration dans le monde martiniquais est facilitée par plusieurs éléments :
par exemple par l’établissement de forts liens d’amitié entre une famille martiniquaise et ces
personnes, ou par le biais d’un mariage mixte. C’est par un élément qui les rattache à la
Martinique, qu’elles peuvent dépasser les barrières culturelles. Ces métropolitains, lorsqu’ils
rencontrent, comme tout un chacun, des faits qui leur paraissent illogiques ou aberrants,
peuvent solliciter leurs amis pour obtenir une explication évitant ainsi de donner une
interprétation subjective de l’événement.
Le temps est un autre facteur à prendre en compte, il permet une meilleure compréhension de
l’Autre et ainsi d’éviter certaines maladresses. Ces métropolitains ont quitté la France pour
des raisons précises et de façon définitive. Ils sont partis volontairement de la France pour
connaître autre chose. Leur démarche implique une volonté d’adopter la culture du pays
d’accueil, pour contribuer à son développement en y apportant une spécificité. Ces personnes
doivent posséder une grande ouverture d’esprit afin d’accepter les différences de l’Autre. En
conséquence, elles doivent mettre entre parenthèse leur culture d’origine sans la renier, tout en
s’imprégnant respectueusement de la culture de l’Autre. Une démarche qu’elles peuvent
entreprendre et qui est fort apprécié, c’est l’apprentissage du créole. Vouloir parler créole est
un acte fort et significatif pour les martiniquais, car il les différencie de la masse qui ne sait
que le comprendre.
Par cette démarche, le conflit des cultures se résout. Il enrichit la personne qui l’entreprend et
autorise une complémentarité féconde entre métropolitains et martiniquais.
Cette dernière attitude est la plus rare, elle implique, que le métropolitain ait passé quelques
années sur l’île, avant d’être effective. Mais surtout elle est plus rare car l’apprentissage des
traits culturels d’une autre société est considéré, de façon plus ou moins consciente, comme
l’abandon des siens. L’idée de cet abandon est angoissante, puisqu’elle signifie un danger
pour l’individu qui l’accepte. Car il doit, pour cela, se remettre complètement en question, lui
et ce qu’il considérait comme des acquis, jusqu’à présent. Pour que ce risque soit encouru, il
faut que cet individu soit conscient de ce qu’il est, de ce qu’il vaut, et surtout de ce qu’il veut.
Ceux qui arrivent en Martinique, avec en bagage des problèmes personnels irrésolus, sont sûrs
de ne pas être capable de pouvoir faire cette démarche.
Nous avons noté dans ce chapitre quelles sont les attitudes et les stratégies
comportementales qu’adoptent les métropolitains face au constat de leur impossibilité à se
comporter comme en métropole. Grâce à des apports théoriques, nous avons mis en évidence
les modes et les processus d’acculturations que vivent les métropolitains en Martinique. A
présent, par l’étude de trois trajectoires de métropolitains, nous allons voir dans la pratique à
quoi correspondent ces modèles et ces processus. Nous énoncerons dès le départ, les éléments
que nous pouvons considérer comme positif ou négatif dans le processus d’acculturation.
Chapitre six : Etude de cas
Nous allons nous intéresser à l’analyse de trois récits de vie de métropolitains afin
d’étayer l’étude théorique. Nous mettrons en évidence les éléments qui semblent dès leur
arrivée déterminer une orientation vers l’un ou l’autre processus d’acculturation qui induit
leurs attitudes.
1. Madame B.
Madame B. agricultrice, vit sur son exploitation dans la campagne de Saint Joseph avec son
mari, lui-même agriculteur. Elle arrive en Martinique en 1978, invitée par un « ami de
cœur »22 originaire de l’île et rencontré à Paris lors de l’un de ses voyages. Avant son arrivée,
elle ne sait rien de la Martinique, n’y est jamais venue, mais elle connaît toute l’histoire de
l’île, grâce à un travail de documentation. C’est son ami qui lui a suscité cette envie de
découvrir ce monde qu’il évoquait. Elle ne vient pas pour effectuer un séjour, elle envisage
dès son arrivée de s’installer, rien ne la retient en métropole. Elle est accueillie dans le milieu
martiniquais de son ami. Elle est donc immédiatement en contact avec la population locale.
Lorsqu’elle prévoit de rejoindre cette personne, elle n’a pas recherché de travail à partir de la
métropole. Sur place, elle est employée dans un hôtel en tant que secrétaire de direction. A ce
poste, elle va s’engager syndicalement et lutter avec les salariés martiniquais pour leurs droits.
Par cet engagement elle lie des amitiés avec le personnel de l’hôtel, et rencontre également
l’homme qui deviendra son mari, par la suite. Ils décident d’acheter un terrain sur la commune
dont il est originaire afin de créer une exploitation agricole.
Dès son arrivée d’après son récit, Madame B., est admise dans un réseau de connaissances
locales, ce qui lui permet de tisser des liens avec le monde martiniquais. C’est volontairement
qu’elle évite de développer des relations avec des métropolitains dont elle sait par ailleurs
qu’ils sont issus d’une autre origine sociale qu’elle (à cette époque les métropolitains
détiennent la plupart des postes à responsabilité), et qui certainement ne partagent pas ses
idéaux. Madame B. lie des connaissances par l’intermédiaire de sa religion : le bouddhisme.
La pratique de cette religion lui a permis d’acquérir une certaine tolérance.
En 1978, hormis le secteur des fonctionnaires, les métropolitains ne sont pas très nombreux.
En conséquence, sa présence dans un domaine autre que la fonction publique, lui permet
22 Citation de l’expression employée par Mme B.
d’être acceptée par l’ensemble de la population. Son engagement syndicaliste, ses prises de
positions à l’encontre des patrons métropolitains, sont très appréciées, dans un climat social
où d’ordinaire les métropolitains sont solidaires entre eux.
Nous constatons que dès le départ, certains faits facilitent l’admission de Madame B. dans la
société martiniquaise. Par la suite d’autres éléments vont participer à englober Madame B.
dans la vie locale. Il s’agit de l’importance du temps qu’elle a séjourné sur l’île, et de son
mariage avec son époux actuel.
Nous notons au travers de l’expérience de cette femme, mais aussi lors d’autres entretiens,
que la durée du temps de séjour des métropolitains sur l’île est important aux yeux des
martiniquais. L’appréciation des martiniquais sur les métropolitains se modifie lorsque ceux-
ci affirment qu’ils résident sur l’île depuis dix, quinze ou vingt ans. La longueur du séjour
stipule à l’Autre que, le résident a une bonne connaissance de l’île et des évènements qui s’y
sont déroulés. Toutefois, les martiniquais s’aperçoivent rapidement, de l’arrivée récente ou
non des métropolitains, soit parce qu’ils sont connus pour une raison professionnelle ou autre
(engagement, dévouement, actions sur le terrain ; car avec le temps ils peuvent voir si les
paroles se transforment en actes ou pas, c’est un moyen de juger la personne…), soit parce
que leurs attitudes laissent transparaître les codes culturels qu’ils ont intériorisés. Ceci se
caractérise par l’acquisition de petits détails au quotidien, observés au fils des années, et dont
ils ont appris l’utilité. Ce comportement est un indicateur de leur intégration à la population
locale. Ces détails peuvent aussi bien être le respect des usages de salutations comme dire
bonjour lorsqu’on rentre dans un lieu public, ou dire bonsoir dès midi passé, ou encore
respecter le code de l’accolade qui consiste à se donner une bise en déposant une fois les
lèvres sur la joue, pour ensuite la tendre et en recevoir une en retour.
Son mariage est un autre élément fondateur de son intégration sociale. Avant de se marier, le
couple a vécu en concubinage. La population de la commune de Saint Joseph ne savaient pas,
alors, comment ils devaient considérer Madame B. C’est pour cette raison qu’ils décidèrent
de se marier afin que madame puisse obtenir un statut, aux yeux de tous. En effet, après cette
union Madame B. s’aperçut qu’elle obtint au sein du bourg, le statut de Madame, la femme
de monsieur D. Le mariage avec un autochtone prouve le désir de Madame de s’ancrer en
Martinique. L’installation, le mariage démontrent son souhait de rester sur l’île à la
différence de la majorité des métropolitains. La population locale peut effectuer un
rapprochement, voire se lier d’amitié.
Après son mariage, Madame B. remarque que l’attitude des personnes de la commune a
changé à son égard. Le mariage mixte peut faciliter l’intégration du conjoint ou de la
conjointe du fait de l’accueil dans une famille connue localement. Cependant, l’arrivée d’un
métropolitain ou d’une métropolitaine dans une famille martiniquaise, n’est pas toujours
appréciée. L’entrée dans une famille locale en tant que gendre ou bru n’est pas forcément une
aide à l’insertion sociale. Il arrive que la famille rejette ce nouveau membre, en adoptant des
attitudes d’indifférence ou en lui faisant ressentir qu’elle n’est pas considérée comme un
membre de la famille. Plusieurs explications sont plausibles face à de telles réactions : la
crainte de voir son enfant partir vivre en métropole, de le perdre (l’éloignement empêche de
fréquentes rencontres). L’arrivée d’un métropolitain dans la famille peut, donc, être associé à
l’idée de l’enlèvement d’un de ces membres. Une seconde hypothèse peut être énoncée : la
présence d’un métropolitain dans une famille martiniquaise peut rehausser le prestige de
celle-ci. Or, paradoxalement, afin de ne pas reconnaître l’impact positif qu’apporte ce membre
à la famille, celle-ci dénie l’importance de cette arrivée dans le groupe familial. L’attitude de
ces familles martiniquaises peut s’expliquer par le rapport ambigu qu’entretiennent les
martiniquais avec les « races pures », quelle soit blanche ou noire. L’homme noir, d’origine
africaine, renvoie l’antillais à ses origines et à l’histoire de l’esclavage (la soumission).
L’homme blanc est à la fois le modèle, l’homme auquel le martiniquais veut ressembler, mais
qui est aussi son colonisateur. Il est donc autant recherché qu’haï.
Le mariage mixte peut être un support pour l’insertion sociale, mais devenir un handicap en
fonction des rapports que le conjoint décide d’entretenir avec sa famille. En ce qui concerne
Madame B., son mari s’apercevant de l’attitude peu amicale de sa mère envers son épouse,
décide temporairement de limiter ses relations avec elle. Par la suite, leurs relations se sont
améliorées
Ce témoignage nous permet de noter que Madame B. a vécu une acculturation par processus
de synthèse, selon les termes que nous avons définis dans le chapitre précédent. En effet,
volontairement Madame B. a cherché à s’éloigner de son groupe d’appartenance, pourtant
présent sur l’île, pour adopter le code culturel en vigueur. Elle a fait le choix d’aller vers la
population et la culture locale.
2. Monsieur O.
Monsieur O. découvre la Martinique lors d’un séjour touristique qu’il effectue avec son amie
de l’époque, suite à l’obtention de son diplôme de chirurgien dentiste. L’île lui plait ainsi qu’à
sa compagne. Il décide d’effectuer un deuxième séjour afin de prospecter auprès de cabinets
dentaires qui seraient en quête d’un associé. Plusieurs propositions lui parviennent, il accepte
l’une d’entre elles, et revient une troisième fois pour s’installer sur l’île. Son amie qui a
terminé ses études l’accompagne. Ils arrivent en 1998. Ils sont venus principalement pour
« bouger », parce qu’ils trouvent amusant et exotique de venir habiter en Martinique, mais
aussi pour acquérir une première expérience professionnelle. Ils s’installent à Sainte Luce et
au cours des six premiers mois, ils ne rencontrent que peu de personnes. Ils occupent
majoritairement leur temps entre leur profession et la découverte de l’île. Quelques rencontres
occasionnelles avec des martiniquais ne les satisfont pas, ils perçoivent un grand écart culturel
entre les deux populations. L’absence de relations amicales, le manque de sorties nocturnes,
habitudes adoptées lors de leurs études, entraîne le couple à se replier sur lui-même.
Progressivement leurs relations se dégradent. Un an, après leur arrivée, la jeune femme
regagne la métropole. Monsieur O. se retrouve seul et se rapproche de ses collègues du monde
médical. Par leur intermédiaire, son réseau de connaissances se multiplie « par 10 en un
mois », selon ces dires. Il partage de nombreux loisirs avec son nouveau groupe d’amis qui se
compose de métropolitains et de martiniquais ayant passés plusieurs années en France ou y
étant nés. Grâce à ce réseau il rencontre sa femme en 2001. Parisienne d’origine
guadeloupéenne, elle est avocate. Fin 2002, la construction de leur maison s’achève, début
2003, naissance de leur fils. Mais le couple ne supporte pas la mentalité locale. Pour cette
raison, ils envisagent de quitter la Martinique, dans cinq ans, au terme du remboursement de
leur maison. En prévision de ce retour, ils épargnent pour s’installer en métropole dans de
bonnes conditions.
Le processus d’acculturation que Monsieur O. a vécu, correspond au processus de
réinterprétation ou d’acculturation matérielle. Il a partagé son environnement en deux secteurs
auxquels correspond pour chacun, un code culturel particulier. Le code culturel de la société
d’accueil pour les relations de travail, le sien pour son cercle familial et amical. L’utilisation
du code culturel martiniquais est réduit : son associé est un métropolitain, et la plupart de ses
patients martiniquais, entretiennent de bons rapports avec lui, car respectueux du prestige de
la profession qu’il exerce (CF chapitre quatre). En conséquence, la vie de Monsieur O., en
Martinique diffère peu de celle qu’il aurait en métropole. En effet, ses échanges avec les
martiniquais se limitent à les croiser quotidiennement, dans les espaces publics et
commerciaux. Par cet exemple, nous percevons à quel point la stratégie d’évitement peut
s’organiser, pour n’entretenir aucun contact avec la culture locale. Nous pouvons dire qu’il
est possible pour des métropolitains de vivre en Martinique sans jamais se confronter au code
culturel de cette société. Toutefois, deux éléments s’imposent à Monsieur O. : le temps et le
rythme, comme à tous les métropolitains qui vivent sur l’île.
A travers ce récit, nous constatons que ce dentiste refuse de prendre en compte la culture
martiniquaise, il ne trouve que des défauts, de l’incohérence dans le fonctionnement de cette
société et réprouvent le comportement des autochtones. A leur sujet il n’a que des paroles
véhémentes et des propos négatifs. Face à ce qu’il considère comme une hostilité permanente
(les originaires), il crée un « cocon » dans lequel il s’épanouit, il s’agit de son cadre et de sa
vie familiale. Ils sont installés confortablement dans une maison qu’ils viennent de faire
construire au Vauclin, dans un quartier majoritairement habité par des métropolitains. Le
socle familial est l’élément essentiel dans l’attente du départ.
Certains points de ce récit peuvent être développés. Tout d’abord, nous notons que Monsieur
O. arrive accompagné de son amie de l’époque, puis ils se séparent, la jeune femme retourne
en métropole. Nous observons que cette situation n’est pas un cas isolé. Plusieurs
témoignages relatent la séparation de jeunes couples après plusieurs mois passés en
Martinique. Une explication peut être évoquée : le manque de contact avec l’extérieur
entraîne à terme l’essoufflement de la dynamique de couple. Une autre raison nous a été
donnée plus fréquemment. Il s’agit des tentatives de séductions entreprises par les
martiniquais envers la femme du couple. En effet, la femme est le plus souvent courtisée.
Parfois, les martiniquaises tentent de séduire également les hommes. Il n’est pas rare de
rencontrer des personnes venues en couple, se séparer. Au terme de cette relation, certains
demeurent en Martinique, d’autres préfèrent partir, mais pas nécessairement pour rentrer en
métropole, d’autres destinations sont aussi fréquentes comme le Canada.
Monsieur O. a épousé une femme originaire des Antilles, née dans la région parisienne. Ce
couple mixte est un couple singulier aux yeux de la population locale qui diffère du couple
mixte constitué par Madame B. avec son époux. Ce couple n’est pas considéré comme un
couple mixte par la population locale car la femme de Monsieur O. n’est pas considérée
comme une originaire. Elle est appelée péjorativement par les martiniquais une
« negropolitaine ». C’est-à-dire : une personne qui a la couleur locale, mais qui ne connaît
pas, renie ou a oublié les codes de la culture antillaise. Le groupe de negropolitains se
constitue, pour les martiniquais : de personnes originaires des Antilles, nées ailleurs ou de
locaux partis vivre dix, quinze ou vingt ans, en France. Lors de leur retour sur l’île, ces
personnes sont affublées de cette dénomination. Elles ne sont pas très estimées, car les
martiniquais ont l’impression qu’elles favorisent l’utilisation du code culturel métropolitain
au détriment du code martiniquais. Ces personnes ne peuvent pas masquer qu’elles arrivent de
métropole, car leur façon de parler et leur accent diffèrent de ceux qui n’ont jamais quitté
l’île. Parfois, leur démarche suffit à les identifier. En conséquence le mariage avec un(e)
negropolitain(e) pour les métropolitains ne peut pas être considéré comme une aide à
l’intégration. Dans ce cas, outre les résistances du clan familial à l’arrivée d’un nouveau
membre, l’ensemble de la population exprime son hostilité à ce couple. L’insertion sociale
est d’autant plus difficile que les deux membres du couple y sont confrontés. En autre, leur
insertion est différente car les exigences demandées ne sont pas les mêmes pour les deux. Les
couples mixtes formés en métropole, entrent dans cette catégorie, et subissent les mêmes
contraintes, en Martinique.
Il faut relativiser nos propos en sachant que ces évènements ne se produisent pas au sein de
toutes les familles martiniquaises dont un membre est métropolitain. Ce dernier peut avoir de
très bons rapports avec sa belle famille. Dans ce cas, le mariage peut être considéré comme
une aide réelle à l’insertion dans la société martiniquaise.
3. Madame H.
Nous allons nous intéresser au parcours de Madame H. Elle est arrivée avec son mari et leurs
deux enfants en 2001. Ils sont tous les deux métropolitains. Ils ont décidé de quitter leur
région pour découvrir d’autres horizons, si possible, en dehors de l’hexagone. Elle est femme
au foyer, son mari, enseignant. Lors du mouvement du personnel de l’éducation nationale,
Monsieur H. a émis deux vœux : être muté soit à la Réunion ou en Martinique. Il est nommé
sur un poste de son deuxième choix. Ils ne connaissent pas ni l’un ni l’autre, ce département,
avant de partir s’y installer. Madame H. nous avoue, lors de l’entretien que cette mutation
désirée, se double d’un intérêt financier, puisqu’ils n’envisagent de rester en Martinique que
le temps imposé par l’éducation nationale, c'est-à-dire quatre ans (nécessaire au
remboursement de leur frais de déménagement). Ensuite, ils demanderont une nouvelle
mutation pour un autre DOM ou TOM, ou bien, ils resteront en Martinique jusqu’à
l’obtention d’un poste dans une région de la métropole qui leur convient. Avant leur départ,
leur dentiste leur communique les coordonnées d’amis à lui, vivants sur l’île. Madame H. les
contacte. Ils lui proposent de chercher une maison à louer, selon leurs critères, puisqu’ils ne
peuvent pas se déplacer. Ils trouvent une maison dans un quartier calme de Sainte Luce, où
demeurent autant de foyers martiniquais que métropolitains. A leur arrivée, la famille met
quelques mois à s’adapter au fonctionnement de l’île. Les enfants s’interrogent sur les raisons
de leur départ et regrettent leur maison, leur famille, leurs amis et leur école, ici, ils ne
connaissent personne. La fille aînée âgée de quatre ans, vit douloureusement la séparation
d’avec les membres de la famille, et notamment d’avec ces grands-parents, dont elle était très
proche. Madame H. a vécu une période dépressive. Son manque d’activité et ses échecs
relationnels avec les locaux, accentue son sentiment de solitude. Pendant un certain temps, la
famille se replie sur elle-même. Courant 2002, leur troisième enfant naît. Peu à peu, le couple
rencontre des métropolitains et partage des activités avec eux. C’est à partir de ce moment
qu’ils ont le sentiment d’être chez eux. Madame H. dit continuer à tenter de sympathiser avec
des martiniquais, mais elle se heurte à des différences culturelles qu’elle ne sait pas comment
gérer.
L’histoire de Madame H., et de sa famille, démontre qu’il s’agit d’une acculturation partielle,
semblable à celle de Monsieur O., mais avec une différence significative qui caractérise les
deux cas. Contrairement à Monsieur O., la famille H. souhaite connaître le monde des
martiniquais, mais à cause de leur manque des connaissances des mœurs locales, ils sont et
deviennent maladroits dans le contact. Ils sont impressionnés, craintifs face aux différences, et
ils ne savent pas comment agir, et se comporter. Nous avons relevé dans les propos de
Madame H. un sentiment de culpabilité par rapport à l’histoire de l’île. Elle ne se sent pas
responsable de l’esclavage qui a eu cours en Martinique, mais elle estime avoir un devoir
d’information du comportement des métropolitains vis-à-vis de la population locale.
Appartenant au groupe dominant, elle éprouve une responsabilité dans les mauvaises attitudes
que cette communauté a envers les martiniquais. C’est pour cette raison, qu’elle n’hésite pas à
dénoncer le fonctionnement ou les propos de quelques uns de ces amis pour montrer que
certains métropolitains sont excessifs dans leurs attitudes et qu’elle les réprouve. Elle atteste
que certaines personnes viennent avec un esprit de colon : « la Martinique est française, donc
ils sont ici chez eux, et ils se comportent comme s’ils étaient chez eux, voire encore plus mal
parce qu’ils sont justement ailleurs, et ils restent entre eux ».
Elle-même ne fréquente que peu d’antillais. Elle justifie son comportement en affirmant : que
les martiniquais n’ont pas réellement envie de lier une amitié avec des métropolitains, que les
différentes façons qu’ils ont chacun de concevoir les choses, les empêchent d’avoir des points
communs les rapprochant. Elle nous donne l’exemple suivant : les hommes et les femmes
martiniquais sortent indépendamment les uns des autres, tandis que nous, nous sortons
ensemble, avec nos enfants. En conséquence, ils y a impossibilité d’organiser des sorties
communes. Nous notons que des barrières culturelles existent entre ces deux groupes. Nous
relevons à travers nos divers entretiens, d’autres indicateurs qui peuvent être considérés
comme des obstacles à la compréhension des uns et des autres. Celui qui est le plus souvent
cité par les métropolitains, est le manque de civisme des martiniquais. Par manque de civisme
il est sous entendu : le non respect de l’environnement, de la nature (« …ils jettent leurs
ordures n’importe où… »), le deuxième grief énoncé : leur manque de politesse (dans les
boutiques, les restaurants, qui sont vécus comme des actes « racistes »), et enfin leur
comportement sur la route considéré comme dangereux pour tous. Nous avons évoqué la
« drague » que les métropolitaines vivent au quotidien comme une agression. Le dernier
reproche concerne leur le rythme de vie, interprété par les métropolitains comme de la
nonchalance. A la moindre discorde, l’héritage historique est réactivé, renforçant les
oppositions entre ces deux populations. Aujourd’hui tous actes ou paroles vécus par les
martiniquais comme disqualifiant ou dominant, réactualisent l’histoire de la domination des
blancs. Ce fait est aussi vécu comme une barrière par les métropolitains car ils ne pensaient
pas que les rapports entre les groupes pouvaient être à ce point là, encore marqués par
l’histoire. En conséquence, ils doivent éviter toutes expressions qui établissent un rapport
d’inégalité entre eux et les martiniquais.
Le dernier aspect de la société martiniquaise auquel les hexagonaux sont réticents est le
rapport, que la population locale, a avec le religieux, et notamment le quimbois. Cette
omniprésence de la religion et des superstitions dans les paroles et dans les comportements,
met ces nouveaux arrivants mal à l’aise.
Nous observons à travers le récit de Madame H., qu’il existe une grande solidarité entre
métropolitains : les personnes que Madame H contacte sur l’île, avant son arrivée, sans les
connaître se mobilisent pour lui trouver une maison afin de lui rendre service. Cette entre
aide, ce soutien mutuel se construisent car il y a une notion d’appartenance à la même origine
et un même sentiment d’être minoritaire sur l’île. Cette solidarité peut être active avant le
départ de métropole, ou se constitue sur l’île en intégrant un réseau de connaissances.
Madame H., nous a indiqué ses difficultés à se déplacer en famille, que les personnes qui
vivent seules ne connaissent pas. Face à l’inconnu, d’instinct et d’un même mouvement, la
famille renforce ses défenses culturelles pour résister à l’altérité menaçante que représente la
société d’accueil. Elle ressert le lien affectif pour surmonter la tension provoquée par les
contacts répétés avec cette société. Cette démarche a un côté négatif pour l’insertion de ces
membres puisqu’ils ne sont pas des individus à part entière comme ceux qui viennent et
vivent seul, mais un groupe homogène qui « envahit » un autre ensemble. La confrontation
avec les nouveaux codes culturels se vit de façon d’autant plus délicate que subsistent au sein
de la famille les anciens modèles. En conséquence, le contact avec la société d’accueil est
d’autant déstabilisant que l’ancien modèle survie au sein de la famille. Alors que le
métropolitain venu seul est dans l’obligation d’être en contact permanent avec son nouveau
cadre de vie, et dans lequel il est contraint de se constituer de nouveaux repères. Ce repli sur
la famille empêche ces membres de faire cette démarche nécessaire à l’acceptation du
changement, en se constituant de nouveaux repères. Si ce repli, sur le cercle familial, dure
les membres de la famille qui veulent s’intégrer dans la société d’accueil, doivent provoquer
une rupture avec ce noyau. Les membres de la famille qui sont les plus à même à créer cette
rupture sont les enfants afin d’échapper ou de fuir l’étouffement familial provoqué par le
contact angoissant avec l’extérieur. Cette scission ne s’effectue que si les enfants sont
relativement âgés et en fonction de la durée du séjour, elle peut ne jamais se produire.
Une autre difficulté que la famille doit prendre en compte, à la différence de la personne
seule, c’est de veiller à ce que tous les membres qui la composent, vivent convenablement le
changement de cadre. Dans la famille de Madame H. nous notons que sa fille aînée a mis du
temps à comprendre le déménagement de la famille. De même Madame H. a vécu une période
dépressive. Il n’est pas rare lors des premières années, qu’un membre de la famille
« immigrante », psychologiquement plus fragile que les autres, connaisse une véritable
dépression. Ce membre est souvent la mère. Elle est contrainte de rester à la maison pendant
que son mari travaille, privée de toute activité, de toute compagnie. La solitude et le
changement d’entourage provoquent un profond désarroi. Pour pallier à ce sentiment de
déprime, la reprise d’une activité peut être une solution, tout comme l’effort entrepris pour
rencontrer d’autres personnes (souvent des métropolitains car leur contact est facile, mais
aussi parce qu’ils ont connu les mêmes situations). Ou enfin les liens de la famille se
resserrent encore davantage, et il n’est pas rare que celle-ci s’élargisse par la naissance d’un
nouvel enfant. Cette naissance peut alors être considérée comme un moyen d’occupation de la
mère, lui permettant d’atténuer son état dépressif.
Nous avons pu voir que parmi les personnes que nous avons interrogées, 14 d’entre elles sont
venues en couple. Sur ces 14 couples nous pouvons dénombrer l’agrandissement de huit
foyers, dont la mère n’avait pas d’activité, par la naissance d’un ou plusieurs enfants. (CF
annexe 7).
La personne qui vient seule, n’a pas à affronter l’ensemble de ces difficultés. Ce célibat
l’autorise à se lier affectivement avec une personne de son choix. Cette fréquentation peut la
rattacher sentimentalement à l’île, et favoriser dans une certaine mesure, son insertion sociale.
Nous observons que parmi les 12 personnes venues seules, cinq se sont mariées avec une
personne originaire de l’île, et trois fréquentent officiellement un ou une martiniquais(e). (CF
annexe 7).
A travers ces récits de vie nous reconnaissons les deux processus d’acculturation que
nous avons développé dans le chapitre précédant, ainsi que les différentes attitudes que
peuvent adopter les métropolitains confrontés à ce nouveau cadre. Les diverses trajectoires de
ces nouveaux arrivants, et de leur famille, nous permettent de comprendre quels éléments et
attitudes peuvent être considérés positifs ou négatifs pour leur insertion, dans la société
martiniquaise. Soit ces éléments et attitudes sont acceptés par les martiniquais, soit ils sont en
contradiction avec la logique de l’insertion, qui nécessite alors une ouverture (d’esprit et une
posture avenante). Il faut retenir que tout groupe ou toute personne, à leur arrivée en
Martinique, sont en position d’étrangers.
Nous allons essayer de comprendre comment la société martiniquaise assume la venue de ces
personnes originaires de métropole.
Chapitre sept : La vision des martiniquais
Nous allons dans ce chapitre, essayer de comprendre comment les martiniquais :
considèrent et assument la présence des métropolitains sur l’île. La première interrogation,
que nous allons aborder, est : depuis la départementalisation, comment les métropolitains
sont-ils perçus par les martiniquais ? Ensuite, à travers les caractéristiques de la société
martiniquaise, nous essaierons de savoir, si elle peut dans l’état actuel de son évolution,
intégrer de nouveaux membres étrangers ou pas. Le problème de l’intégration est-il
spécifique, à cause d’une population considérée comme étrangère : les métropolitains ou ce
problème est-il inhérent au fonctionnement singulier de la société martiniquaise ?
Ces questions peuvent faire l’objet d’une autre étude. Notre sujet d’étude est l’adaptation des
métropolitains en Martinique, aussi n’aborderons-nous ces questions, qu’à travers le thème de
notre recherche.
1. Les métropolitains dans le regard des martiniquais
Nous avons étudié les stéréotypes que véhiculent les martiniquais sur les métropolitains (CF
chapitre quatre). Nous avons donc une première idée de la représentation qu’ils se font des
métropolitains. A présent, nous allons rechercher les images que le martiniquais se construit
du métropolitain depuis la départementalisation.
Dès notre premier chapitre, nous constatons que l’appellation « métropolitain », n’apparaît
qu’à partir des années soixante, à partir de la constitution visible des groupes de
métropolitains. Ce nouveau dénominatif revêt un aspect négatif pour cette communauté qui
n’existait pas auparavant. Seules les appellations : « z’oreille » ou « blanc France »
désignaient les blancs. A cette époque, les métropolitains sont peu nombreux et toujours de
passage, les mariages antillais/métropolitains sont rares. Les mariages mixtes sont le fait de
martiniquais qui vivent en France, et qui reviennent de temps en temps sur l’île. Les antillais
sont très surpris de voir une femme blanche avec un martiniquais, car traditionnellement, la
femme blanche, en Martinique, est une femme invisible, parce que c’est la femme du béké.
Ces premiers couples mixtes naissent au début de la départementalisation. Ils participent au
développement chez les martiniquais d’une relative sympathie pour les métropolitains et du
fait aussi qu’ils sont peu nombreux. Cette relative sympathie pour les métropolitains, tranche
avec l’hostilité qu’ils éprouvent pour les békés.
A partir des années soixante dix, la communauté métropolitaine se densifie. Elle se compose
d’employés de la fonction publique (des militaires comme des civils). Puis à partir des années
quatre vingt s’installent sur l’île, des travailleurs, des ouvriers, et autres professions
indépendantes relevant du secteur privé. Il apparaît des métropolitains marginaux, dont
certains font la manche. A partir de ce moment-là, la vision des martiniquais sur les
métropolitains change. Ils voient apparaître deux catégories de métropolitains :
- ceux qui sont mariés à des antillais, et qui tentent de s’insérer dans la société locale,
- ceux qui viennent en couple et se regroupent en petits groupes.
Dans le même temps, le groupe des métropolitains croît massivement, engendrant une montée
d’un nationalisme martiniquais dans les divers secteurs de l’île. Au cours des années soixante
dix, une opposition massive aux métropolitains de développe, ils deviennent les victimes de
l’invisibilité de l’Etat. Les martiniquais reprochent aux métropolitains leurs venues, tandis
qu’ils les utilisent à leur fin. Notamment dans le but du blanchissement de la population
martiniquaise même si cette pratique est moins voyante qu’auparavant.
Nous percevons l’ambivalence que représente le blanc venu de France. Nous avons déjà
relevé aussi la position délicate qu’occupent les métropolitains, lorsque les békés les placent à
la gérance de leurs entreprises. L’attribution de ces postes à des métropolitains, est perçue par
les locaux comme une solidarité raciale entre eux et les békés. En réalité les blancs pays ne
font qu’utiliser les métropolitains, derrières lesquels ils se cachent, connaissant les difficultés
que représente le travail avec les gens de couleurs. En conséquence, ces métropolitains se
trouvent englués dans un conflit racial dont ils ne connaissent pas les enjeux. Les martiniquais
estiment que ces nouveaux cadres de France sont alliés aux békés, une hostilité se développe à
leur encontre. Les mouvements nationalistes entraînant beaucoup de grèves, durant cette
époque les métropolitains furent peu estimés par les autochtones qui à peine dix ans plus tôt
les trouvaient sympathiques. Nous relevons plusieurs indicateurs qui participent au
déclenchement des actions nationalistes :
- Les propos, du président De Gaulle disant qu’il ne voyait entre l’Europe et l’Amérique
que des poussières. Sous entendu les DOM ne représentent rien à ses yeux.
- Le mot d’ordre lancé par Aimé Césaire lorsqu’il parle de « génocide par substitution ».
Insinuant ainsi que le transfert de population, entre la métropole et les Antilles,
aboutira à une forme d’ethnocide.
- Et enfin la continuité de la politique du gouvernement de, De Gaulle par la présidence
de V. Giscard d’Estaing qui interdit aux antillais plusieurs pratiques caractérisant leur
culture, tel que l’interdiction d’employer le créole, en dehors du cercle familial.
Le comportement arrogant de certains métropolitains amplifie la mauvaise image de ceux-ci
auprès des martiniquais. A cette époque, un fort sentiment « anti-métropolitains » se
constitue, marqué par plusieurs actions isolées contre les hexagonaux.
En 1981, avec l’arrivée de F. Mitterrand au pouvoir, les choses changent. Il entreprend de
desserrer l’étau dans lequel les martiniquais sont pris. Des radios libres se créent, le créole est
employé à l’antenne, cette langue est à nouveau autorisée aussi bien dans les familles que
dans les cours d’école.
Les relations entre ces deux populations se détendent. Les martiniquais n’ont plus
l’impression que l’Etat français souhaite étouffer leur culture. Sous l’ère Mitterrand, renaît
une relative harmonie entre les martiniquais et les métropolitains. Aujourd’hui cette entente se
prolonge, les hexagonaux ne sont plus les boucs émissaires.
Cette entente harmonieuse se développe grâce à un apaisement racial entre les communautés.
La différence raciale n’a pas disparu du contexte social, elle continue à transparaître dans le
discours des martiniquais. Par exemple : lorsqu’ils évoquent une personne de leur
connaissance: « je te parle de Claude le chabin, pas de Claude le mulâtre. Tu sais celui qui a
épousé une coolie… »23. La racialisation demeure dans le discours quotidien. L’origine de la
race est fortement intériorisée en chaque martiniquais. Cette déracialisation s’instaure
lentement, elle bénéficie aux métropolitains, qui sont ainsi moins pénalisés par la couleur de
leur peau au regard de la population locale.
Aujourd’hui il semble se constituer un consensus qui admet que la Martinique ne peut pas
devenir indépendante dans la situation actuelle. Cet acquis bénéficie à l’installation des
métropolitains sur l’île. Puisqu’ elle admet ne pas pouvoir se passer, pour l’instant, de l’aide
économique de la métropole, elle tolère donc, la venue des métropolitains. Ces derniers
peuvent s’installer en Martinique dans un climat social apaisé et dans des conditions d’accueil
où ils peuvent se sentir relativement à l’aise. Si le discours revendiquant l’indépendance, est
minoritaire, la majorité des martiniquais revendique, aujourd’hui quand même, l’autonomie.
Au travers de cette chronologie, nous découvrons les divers sentiments qui ont habités
les martiniquais à l’égard des métropolitains, notamment en fonction des évènements qui se
sont produits entre la Martinique et la métropole. Depuis la départementalisation, les
métropolitains sont jugés par les locaux en fonction de leurs comportements sur l’île, ils le
sont aussi par les décisions que prend l’Etat pour ce département.
23 Expression extraite de discussions auxquelles nous avons assistées, à plusieurs reprises, entre deux antillaises.
2. La société martiniquaise, et les Autres
Nous allons reprendre quelques caractéristiques de la société martiniquaise, afin de voir si le
fonctionnement actuel de cette société permet ou pas l’insertion, voire l’intégration, de
populations extérieures. Les métropolitains étant considérés comme une population
extérieure.
2.1. Les caractéristiques de la société martiniquaise
Nous avons évoqué au cours des chapitres de cette étude, certains aspects de la société
martiniquaise. Nous allons les reprendre pour savoir s’ils peuvent faciliter l’installation de
nouveaux membres dans la communauté martiniquaise.
Premier constat : la Martinique vit sur un système de famille élargie, différence
fondamentale avec les métropolitains qui est un groupe non lié par la parentèle. C'est-à-dire
que le réseau familial est sans cesse activé, pour quelque raison que ce soit. Les dimanches et
jours fériés se passent régulièrement en famille. Le cercle des amis et des connaissances est
peu développé, sauf lors de circonstances spécifiques : tel que les sorties nocturnes. Ce mode
de fonctionnement semble peu facilitateur à l’insertion de personnes étrangères. Elles ne
peuvent pas être englobées dans une vie sociale qui se structure surtout à partir des relations
familiales. La famille martiniquaise n’est pas de type nucléaire, mais une famille élargie aux
oncles, aux tantes, frères, sœurs, cousins, cousines… A moins que le métropolitain ne prenne
une place au sein de la famille martiniquaise, il ne peut pas avoir accès à ces relations.
Deuxième constat : la société martiniquaise est dans un processus d’acculturation. Le
processus d’acculturation vécu, est un processus négatif : l’assimilation. C’est un processus
négatif puisqu’il entraîne, à terme, une dépersonnalisation des individus ou leur déculturation.
Les martiniquais entreprennent un travail sur leur culture et leur identité afin de savoir qui ils
sont, pour que cet aspect négatif ne soit pas irrémédiable. Cette interrogation sur leur identité
a été traitée par différents auteurs locaux. Cette réflexion a permis, aux martiniquais de sortir
du questionnement aliénant : qui est la recherche de soi. La création du processus de
créolisation24, a permis aux antillais de se référer à une culture qui leur est propre, et ne plus
se sentir rattachés ou dépendants à un continent plus qu’à un autre. Le processus négatif
d’acculturation ne s’arrête pas à ce dysfonctionnement. André Lucrèce25 nous dit qu’à présent
les martiniquais savent qui ils sont, mais ils ne savent toujours pas qui ils sont par rapport aux
Autres, c’est le problème de l’identification.
24 Bernabé, Jean ; Chamoiseau, Patrick ; Confiant, Raphaël, 1990, Eloge de la Créolité
Lorsqu’une population est en mouvement, en changement, en recherche d’identification,
comment peut-elle opérer, afin d'introduire un groupe étranger ? D’autant plus que cet
étranger, le métropolitain, est singulier. Il se singularise pour deux raisons :
- c’est à cause de l’assimilation des martiniquais à sa culture, que ces derniers se retrouvent
confrontés à un processus d’acculturation. Il est possible d’imaginer que face à lui, et à ce
qu’il représente (la culture assimilatrice), les martiniquais émettent une réticence à son
insertion dans leur vie sociale.
- le métropolitain peut être considéré comme un étranger spécifique : parce qu’il est à la
fois, juridiquement concitoyen du martiniquais et blanc. Nous avons évoqué la position
ambiguë du blanc en Martinique (les martiniquais ne savent pas trop comment se comporter
face à cette population qui mêle en eux deux affects contradictoires la convoitise et la haine).
Troisième constat : la fragilité de leur culture (liée à l’acculturation), caractérise cette
société. Si différents concepts ont été élaborés afin de prouver que la culture martiniquaise
existe à part entière, elle n’en demeure pas moins une société jeune, et fragile. Nous pouvons
définir la société martiniquaise ainsi: c’est une société de consommation, en mal de
production, avec un taux de chômage élevé, une situation économique et sociale dégradée, et
une culture en évolution, donc instable. La principale conséquence de cet état de faits, est la
peur, l’inquiétude qui hante les membres de cette société. Peur qui s’origine de l’esclavage
(le traumatisme des anciennes blessures), de la crainte du manque alimentée par la venue d’un
Autre (il vient prendre quelque chose : de l’argent, du travail, des femmes…), et enfin, la
menace d’être envahi par de nombreux étrangers qui s’installent sur l’île. Le martiniquais
panique à l’idée de la possible disparition de sa culture et de son peuple, dans son « chez-
soi »26.
Face à cela la société martiniquaise a trouvé une solution inconsciente de survie qui consiste à
pousser sa population à tout faire pour se différencier des métropolitains, pour prouver ainsi
qu’ils existent (au moins culturellement) indépendamment de la métropole. La conséquence
en est la non adaptation des métropolitains à la vie sur l’île, qui illustre, alors, leurs
particularités.
Nous voyons donc ici que le rapport aux métropolitains est paradoxal. Puisque leur présence
est considérée comme un moyen d’accentuer leur assimilation à la France, et donc procéder à
leur changement, chose contre laquelle ils luttent. Mais elle leur permet aussi de pouvoir
justement en se dissociant d’eux, affirmer leur culture.
25 Lucrèce André, 1994, Société et Modernité. Essai d’interprétation de la société martiniquaise 26 Expression reprise de Francis Affergan (1983) p 222.
A travers ces trois constats qui caractérisent la société martiniquaise, elle apparaît plus
fragilisée et repliée sur elle-même que prête à accueillir un étranger, aussi proche soit-il. Alors
cette société peut-elle admettre des étrangers en son sein ou pas ? Et si cela est possible, de
quelle manière peuvent-ils y parvenir ?
2.2. L’accès à cette société
La société martiniquaise apparaît trop instable économiquement et socialement pour pouvoir
accueillir sans danger pour elle-même des étrangers. Ce constat est indéniable. Actuellement
cette société n’a pas pu concevoir un système de gestion des populations immigrantes sans se
mettre en danger elle-même. Comment se protège-elle, alors, des va-et-vient incessants des
métropolitains, considérés comme étrangers sur l’île, malgré leur nationalité commune avec
les martiniquais ?
Nous avons repéré, les difficultés que rencontrent les métropolitains à s’insérer dans la société
martiniquaise, et les moyens de protection qu’elle a instaurés. Nous avons noté que toutes les
incompréhensions auxquelles se confrontent les hexagonaux, sont vécues, par ces derniers,
comme des barrières entre les deux cultures. Ces différentes incompréhensions peuvent
trouver une explication à partir de faits historiques, dans des expériences récentes car la
période de l’esclavagisme des martiniquais, continue à produire des « scories » dans
l’inconscient martiniquais. Par exemple: la relation que les martiniquais entretiennent au
niveau sexuel (attitude, pour le moins, directe). Une explication plausible est donnée : elle
remonte au temps de l’esclavage et démontre que les martiniquais d’aujourd’hui reproduisent
l’attitude qu’avait leur maître vis-à-vis des femmes noires. Elles étaient choisies et prises pour
assouvir les désirs sexuels de leurs maîtres, sans que ces derniers ne les séduisent, ni ne leur
demandent leur avis. Cet acte pouvait s’effectuer sans qu’aucune parole ne soit prononcée27.
Certains en déduisent que la manière abrupte qu’utilisent les martiniquais lorsqu’ils abordent
les jeunes filles (en formulant immédiatement leurs intentions), découlerait de cette époque.
Sans remettre en cause ces explications, nous avançons l’hypothèse que ces comportements
fonctionnent comme des attitudes de protection face à l’intrusion des métropolitains. Nous
pouvons nous demander si certaines conduites, ne sont pas maintenues et entretenues, plus ou
moins consciemment, afin d’empêcher ou du moins compliquer l’insertion des métropolitains
dans le monde fragile de la société martiniquaise. Nous pensons que ce système de barrières
permet de faire un tri entre les individus qui peuvent accéder à l’insertion sociale et ceux qui
27 Argument relevé au cours d’un entretien avec Monsieur Confiant, fin avril 2003.
sont refoulés. Cette sélection s’effectue par le franchissement de plusieurs de ces obstacles,
jusqu’à ce que finalement les locaux acceptent cette personne qui a démontré sa volonté à être
intégré dans la société martiniquaise en surmontant ces incompréhensions liées aux
différences de culture. Nous constatons que l’intégration impose une double démarche : une
intention de la part de la personne immigrante d’aller vers la culture qui l’accueille, et une
volonté d’acceptation de la société de l’accepter comme nouveau membre.
Dans notre étude, nous pouvons parler d’intégration que lorsque les métropolitains ont la
volonté de dépasser ces barrières culturelles. Nous pouvons prendre en exemple le rapport à la
langue. Nous avons constaté que la majorité des métropolitains disent s’être familiarisés avec
le créole au bout de six ou sept mois de présence sur l’île. C'est-à-dire qu’ils arrivent à
comprendre une discussion. Ce constat n’est donc pas significatif d’une volonté de découverte
de la culture locale. Leur compréhension du créole est toute relative, car cette langue a l’art
et la manière d’employer les images, et les doubles significations. Si bien que les
métropolitains pensent comprendre une discussion et n’en décryptent, en réalité que la moitié.
Puisque qu’ils n’ont pas connaissance du double sens du discours. Pour décoder le créole, il
est nécessaire d’avoir accès aux proverbes et aux sous-entendus qui se réfèrent aux mythes et
aux contes contenus dans la cosmogonie martiniquaise. En conséquence, la compréhension du
créole n’est pas la clef qui permet aux métropolitains d’être intégrés dans la société locale.
En effet, les martiniquais ne savent pas si les métropolitains ont compris le sens du discours.
Par contre si le métropolitain peut répondre, en s’exprimant en créole, à ce moment là tout le
monde constate qu’il comprend, qu’il ne fait pas semblant. Parler créole c’est aussi montrer
qu’il fait l’effort de dépasser les moqueries faites sur sa prononciation, et que donc il n’a pas
peur du contact avec l’Autre. Egalement par cette démarche, il apprend les codes culturels de
la culture d’accueil en s’apercevant qu’il ne peut pas parler créole avec n’importe qui et sans
précaution. Car certaines personnes ont l’impression qu’il se moque d’elles lorsqu’il leur parle
en créole. Apprendre à parler en créole est donc considéré comme le franchissement d’une
barrière qui permet au métropolitain de s’intégrer dans la société martiniquaise.
Ce qui est demandé aux métropolitains, par le passage de ces obstacles, c’est de
s’imprégner de la culture créole, et d’une certaine manière « se créoliser ». Car comme le dit
F. Affergan28, on ne peut intégrer que celui qui est semblable à soi, ne serait-ce que par
quelques traits.
28 Affergan Francis, (1983), p 234.
Nous avons noté au cours de ce chapitre que la représentation des martiniquais à
l’égard des métropolitains dépend de leur comportement et de leurs actions sur l’île. Mais
cette représentation peut changer en fonction des décisions que le gouvernement prend pour
ce DOM. Nous savons à présent, qu’en apparence, les structures sociales de la Martinique ne
sont pas aptes à assumer l’introduction de nouvelle population. Elle protège sa culture
naissante, de l’intrusion des métropolitains, en établissant des barrières. Nous constatons que
celles-ci peuvent être franchies par l’adoption, de certains traits culturels inhérents à cette
société. Dès lors, nous pouvons dire que l’intégration des métropolitains en Martinique est
possible dans la mesure où ils se créolisent.
Conclusion
Ce travail nous a permis de voir plusieurs éléments à propos de ce groupe, peu
étudié, qui vie dans toutes les anciennes colonies de la France devenues des départements ou
des territoires français : les métropolitains.
A partir de l’exemple de la Martinique, nous avons décrit cette population venue de France,
en recherchant sa composition et les motifs qui l’amène à partir de métropole.
Depuis le début de la départementalisation (réel point de départ de l’immigration dans les
DOM), nous constatons que le nombre de métropolitains a augmenté de façon significative
sur l’île et qu’ils ont investi l’ensemble des secteurs d’activité. Cette population reste difficile
à échantillonner car elle demeure relativement hétérogène et instable. Elle ne représente pas
un groupe identifiable, ni au niveau professionnel, ni par les personnes qui la constituent. Il
existe un va-et-vient perpétuel de ses membres qui modifie sans cesse, la représentation du
groupe. Nous avons tenté de tracer un profil type de ces métropolitains en nous aidant de
quatre variables qui fédèrent les individus de cette population. Nous observons que
l’installation en Martinique est motivée principalement par trois éléments : l’expérience, les
intérêts économiques et une représentation positive de l’île.
Cette population étant précisée, nous avons repéré les difficultés qu’elle rencontre dès son
installation sur l’île, et recherché quels processus d’acculturations en découlent. Quelles
adaptations y sont associées, pour qu’ils puissent convenir de rester et de vivre sur l’île. Les
processus d’acculturation, que ce groupe rencontre par l’interaction avec cette nouvelle
culture, sont positifs, c'est-à-dire relativement faciles. C’est grâce, notamment à la relative
proximité culturelle de ces deux groupes et à la même appartenance nationale. Toutefois, leurs
relations ne sont pas dénuées de difficultés. Nous notons que l’acculturation vécue par les
métropolitains est particulière, puisqu’elle a lieu au sein d’une population martiniquaise en
mouvement, en changement. Ce cheminement ne facilite pas l’insertion d’un groupe
extérieur, d’autant qu’il s’agit de métropolitains, représentants de la société qui est à l’origine
de leurs bouleversements. Ce contexte sociétal particulier, associé aux nombreuses réticences
des métropolitains à accepter les différences rencontrées, ne facilite pas son entrée dans la
dynamique sociale de l’île. D’autant que les modes et les occasions d’échange avec la
population locale sont rares, surtout lorsqu’ils ne sont pas souhaités.
Néanmoins deux éléments sont obligatoirement à prendre en compte par les métropolitains
s’ils souhaitent vivre sur l’île, un certain temps. Il s’agit des temps et des rythmes en vigueur
en Martinique. Ils doivent adopter des attitudes et des comportements différents que ceux
qu’ils ont en France car la population locale ne réagit pas de la même manière. Ces modalités
de fonctionnement admises et acquises, nous constatons que certains métropolitains peuvent
vivre en Martinique, sans bouleverser certaines habitudes métropolitaines, et par conséquent
ne pas subir les us et coutumes culturels qui les environnent. Dès qu’ils se trouvent confrontés
à cette culture (par quelque moyen que se soit), la résignation prend le pas sur la
compréhension, et ils classent les différences qu’ils rencontrent au rang des clichés qu’ils
connaissent de cette culture. Nous notons que ces personnes vivent en périphérie de la société
martiniquaise, pour cela elles s’adossent, uniquement, sur les modalités administratives et
économiques de la Martinique, département français.
A l’opposé certains métropolitains parviennent à entrer dans la société locale en apprenant
ses codes culturels. Nous pouvons alors parler d’intégration à la culture créole, puisque le
métropolitain à la volonté de se « créoliser », la communauté locale les accepte. Ces
métropolitains qui arrivent à dépasser les obstacles établis par la société martiniquaise, sont
parfois plus acceptés par les locaux que les originaires expatriés en France et qui reviennent
quelques années plus tard : « métropolisés». Enfin certains tentent de rentrer dans ce nouvel
univers, mais se heurtent à des barrières culturelles qu’ils ne sont pas en mesure de dépasser,
et ne trouvent aucun soutien d’accompagnement dans leurs tentatives d’entrée dans cette
société.
Par rapport à notre hypothèse de départ, nous constatons qu’il n’existe pas qu’une seule
attitude et qu’une seule solution face aux difficultés d’adaptation rencontrées, mais trois.
Nous pouvons affirmer que quelque soit l’attitude adoptée par les métropolitains, qui
s’installent sur l’île et qui constatent que des différences culturelles existent, que tous doivent
s’adapter à leur nouveau cadre de vie. Ne serait-ce qu’en étant contraints par les éléments qui
s’imposent à eux.
En généralisant, nous pouvons dire que la population métropolitaine, ne s’intègre pas en
Martinique. Hormis quelques personnes qui parviennent à dépasser les différentes difficultés
qui existent dans le processus d’acculturation. Mais elles ne peuvent s’intégrer que dans un
cercle de connaissances locales : une famille, ou à l’échelle d’une commune ; mais elles ne
peuvent pas réussir à s’intégrer au niveau de l’ensemble de la population. Parce que, leur
apparence physique, et tout ce qu’elle évoque, est la première chose que les martiniquais
perçoivent. Elle est par conséquent l’un des premiers jugements de valeur qu’ils doivent subir
de la part de la personne qu’ils ont en face d’eux.
Nous avons décelé que les métropolitains ne peuvent pas adopter les traits culturels de la
société qui les reçoit, car celle-ci leur procure une angoisse et inquiétude importantes. Car
prendre en compte les traits culturels de cette société les déstabilisent et bouleversent leurs
acquis. Nous observons que l’échelonnement des obstacles disposés par les martiniquais afin
d’obstruer l’entrée des métropolitains au sein de leur culture, est un procédé pour démontrer
leurs différences d’avec la France et d’affirmer leur existence.
Dans le discours, ces explications ne transparaissent pas, chacun reporte la faute sur l’Autre,
en se situant dans la position de victime. Les métropolitains reprochent aux martiniquais de ne
pas vouloir d’eux sur l’île, et les martiniquais accusent les métropolitains de s’installer en
Martinique uniquement pour venir faire de l’argent, à leurs dépends.
Nous constatons que dans cette situation, chacun trouve son compte à garder ces distances
avec l’Autre. La position de victime dans laquelle chacun se conforte et la transmission de
stéréotypes, finissent par persuader les uns et les autres, que ce sont effectivement ces raisons
qui les amènent à ne pouvoir que cohabiter.
On arrive alors dans le cas où les uns et les autres se résolvent à vivre dans cette situation. Les
métropolitains se résignent à vivre dans l’inacceptable : la non intégration de leur personne
dans la société martiniquaise. Ceci est possible, par leur refuge dans des loisirs et des
divertissements qu’ils partagent avec d’autres métropolitains, ce qui les amène à se regrouper
entre eux. Tandis que pour les martiniquais, cette situation leur permet de masquer ce qui les
effraient le plus, à savoir : qui ils sont, qu’est ce qu’ils représentent aux yeux des Autres ? Ils
s’efforcent, de se distinguer au quotidien des métropolitains (symbole de la culture à laquelle
ils sont rattachés), ils se donnent une identité propre, une existence. Ils évitent de se
confronter à eux-mêmes et de se retrouver face à la peur que la déculturation provoque.
Ces positionnements ont un effet pervers pour les uns et les autres.
Pour les métropolitains ces constantes résignations ne peuvent leur permettre de vivre sur l’île
qu’un temps, au risque sinon de dériver vers certaines pathologies psychologiques. Les
martiniquais, en se distinguant des métropolitains, accentuent leur tendance à se regrouper
entre eux et à vivre sur les structures françaises dont la société martiniquaise est pourvue. Ils
reproduisent, avec quelques adaptations nécessaires à leur vie sur l’île, leur quotidien
métropolitain.
Le constat de cet effet pervers nous amène à nous interroger sur l’avenir de la société
martiniquaise. Les métropolitains peuvent-ils vivre et s’installer sur l’île, en ignorant la
culture en vigueur ? Nous savons que celle-ci est déjà amoindrie par la fuite d’une partie de sa
population vers la métropole, dont ses jeunes intellectuels.
Nous pouvons nous demander si les obstacles qu’elle met en place pour se protéger à savoir :
l’obligation faite aux métropolitains qui souhaitent être intégrés d’apprendre les codes
culturels locaux, ainsi que la pression qui est exercée sur ceux qui ne font pas cette démarche
(les conduisant à ne pouvoir rester sur l’île qu’un temps), sont des contraintes suffisamment
efficaces, pour lui permettre de survivre à son assimilation et ainsi de pérenniser sa culture ?
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Annexes Annexe 1 : La Martinique en chiffres………………………………………………….p 111 a) Le taux de chômage en Martinique en 2002……………………………………………p 112
b) Population active de la Martinique et taux d’activité en 1999…………………………p 113 Annexe 2 : Tableau sociologique sur la population interrogée……………….……….p 114 Annexe 3 : Répartition géographique des métropolitains sur l’île…………………….p 115 Annexe 4 : Chiffres de la population martiniquaise a) Population totale de la Martinique en 1999…………………………………………….p 117 b) Population totale par tranche d’âge…………………………………………………….p 117 Annexe 5 : La représentation de l’île avant le départ………………………………….p 118 Annexe 6 : Stéréotypes a) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 1…………………………………..p 120 b) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 2…………………………………..p 121 c) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 3…………………………………..p 122 d) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 4…………………………………..p 123 e) Stéréotype des métropolitains sur les martiniquais 5…………………………………..p 124 f) Stéréotype des martiniquais sur les métropolitains……………………………………..p 125 Annexe 7 : Tableaux sur les métropolitains interrogés a) Personnes interrogées venues en couple……………………………………………….p 126 b) Métropolitains interrogés venus seuls………………………………………………….p 127