les os, les flûtes, les morts - chaumeil 1997
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7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
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Jean-Pierre Chaumeil
Les os, les fltes, les morts. Mmoire et traitement funraire en
AmazonieIn: Journal de la Socit des Amricanistes. Tome 83, 1997. pp. 83-110.
Citer ce document / Cite this document :
Chaumeil Jean-Pierre. Les os, les fltes, les morts. Mmoire et traitement funraire en Amazonie. In: Journal de la Socit des
Amricanistes. Tome 83, 1997. pp. 83-110.
doi : 10.3406/jsa.1997.1672
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1997_num_83_1_1672
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_jsa_491http://dx.doi.org/10.3406/jsa.1997.1672http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1997_num_83_1_1672http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1997_num_83_1_1672http://dx.doi.org/10.3406/jsa.1997.1672http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_jsa_491 -
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Resumen
Os ossos, asflautas, os mortos. Memria e tratamento morturio na Amaznia exame cuidadoso dos
dados empricos sobre as formas de luto na Amaznia evidencia duas modalidades de tratamento
morturio. Se por uma parte, certos grupos esforcam-se em apagar as marcas e a memria dos
defuntos, por outra, procura-se manter uma relao de continuidade com os mortos. A pesquisa
invalida em parte a tese segundo a quai a forma arquetpica do luto nas terras baixas da Amrica do
Sul passaria por uma separao radical com os mortos. A existncia de um vnculo entre a posse das
flautas sagradas, encontradas em vrias sociedades amaznicas, a conservao dos ossos e a
memorizao dos mortos sugerida. A ligao desses trs elementos convida a reflexo sobre a
produo, nestas sociedades, de uma forma particular de memria histrica.
Abstract
Bones, flutes and the dead. Memory and funeral customs in the Amazon A close examination of
empirical data related to funeral customs in the Amazon reveals that there are two distinct, contrasting
ways of coping with dead. Some groups try to erase the memory of their dead, whereas others strive to
keep contact with them. This research thus partly contradicts the common wisdom that the archetypal
form of mourning in the Lowlands involves an abrupt break with spirits of the dead. We also suggest a
possible link between the possession of sacred flutes found in several Amazonian societies , the
conservation of bones, and the memorization of the defunct. The conjuncture of these three elements
should encourage investigation regarding the very specific form of historical memory developed by
these societies.
Rsum
Un examen attentif des donnes empiriques sur les formes du deuil en Amazonie fait apparatre deux
sries contrastes de traitement funraire. Alors que, d'un ct, certains groupes s'efforcent de gommer
les traces et la mmoire des dfunts, de l'autre, on cherche au contraire maintenir une relation de
continuit avec les morts. La recherche invalide donc en partie la thse commune selon laquelle la
forme archtypale du deuil dans les basses terres passerait par une coupure radicale avec les morts.L'existence d'un lien entre la possession des fltes sacres, prsentes dans plusieurs socits
amazoniennes, la conservation des os et la mmorisation des morts est par ailleurs suggre. La
liaison de ces trois lments invite rflchir sur la production, dans ces socits, d'une forme
particulire de mmoire historique.
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LES OS, LES FLUTES, LES MORTS.
MMOIRE ET
TRAITEMENT
FUNRAIRE
EN
AMAZONIE 1
Jean-Pierre
CHAUMEIL
*
Un examen attentif
des
donnes
empiriques sur
les formes
du
deuil en
Amazonie
fait
apparatre
deux
sries
contrastes de
traitement funraire.
Alors
que,
d'un
ct, certains
groupes
s'efforcent
de gommer
les
traces et la mmoire des
dfunts,
de l'autre, on cherche
au
contraire
maintenir une relation de
continuit
avec les morts. La recherche invalide donc en
partie
la
thse
commune selon laquelle
la
forme archtypale
du
deuil
dans
les basses terres passerait par une
coupure radicale avec les
morts.
L'existence d'un lien entre la possession des fltes sacres,
prsentes dans
plusieurs socits
amazoniennes,
la
conservation
des os et la mmorisation des
morts est
par
ailleurs suggre. La liaison de
ces
trois lments invite rflchir sur la product
ion,ans ces socits, d'une forme particulire de mmoire historique.
Mots
cls : Amazonie,
rites
funraires, fltes
sacres,
ancestralit, mmoire.
Bones, flutes
and
the
dead.
Memory
and
funeral
customs
in
the
Amazon
A close examination
of empirical
data
related to funeral
customs
in the
Amazon reveals that
there are two
distinct,
contrasting ways of coping with
dead. Some groups
try
to
erase
the
memory
of their
dead, whereas
others
strive
to
keep contact with them. This research thus partly
contradicts
the
common wisdom that
the
archetypal form
of
mourning
in the
Lowlands
involves
an abrupt break
with
spirits of the
dead. We
also
suggest
a
possible link
between the possession
of sacred flutes found
in
several Amazonian societies
the
conservation of bones, and
the
memorization of the defunct.
The
conjuncture of these three
elements
should encourage
investigation regarding
the very
specific
form
of historical memory developed by
these
societies.
Key
words
:
Amazonia,
funerary
rituals,
sacred
flutes,
ancestrality, memory.
Os ossos, asflautas, os
mortos.
Memria e tratamento morturio na Amaznia
exame
cuidadoso dos
dados
empiricos
sobre
as
formas de
luto na
Amaznia
evidencia
duas
modalidades
de tratamento morturio. Se
por
uma parte, certos
grupos
esforcam-se em
apagar as
marcas e a memria
dos defuntos, por outra,
procura-se
manter uma
relao de
* quipe
de
recherche en ethnologie amrindienne, UPR
324 (CNRS),
B. P. n 8, 7, rue
Guy-Mquet,
F-94801
Villejuif cdex
Journal de la Socit des Amricanistes
1997,
83 : p. 83
1 10. Copyright
Socit des Am ricanistes.
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84 JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83,
1997
continuidade
com os mortos. A pesquisa
invalida
em parte a
tese
segundo a quai a forma
arquetipica
do
luto nas terras baixas
da America do
Sul
passaria por
uma
separao
radical com
os mortos.
A
existncia de um vinculo entre a posse das flautas
sagradas,
encontradas em
varias
sociedades amaznicas, a conservao dos ossos e a memorizao dos mortos
sugerida.
A
ligao
desses
trs
elementos
convida
a
reflexo
sobre
a
produo,
nestas
sociedades,
de
uma
forma
particular de
memria
histrica.
Palabras-caves : Amaznia, ritos morturios, flautas sagradas, ancestralidade, memria
L'ethnologie
amazoniste s'est beaucoup
intresse
ces derniers temps
aux
formes
de deuil dans les socits des
basses
terres d'Amrique
du
Sud. L'aire en
question
offrirait
en effet sur le sujet un curieux
contraste :
la
trs grande
complexit des
reprsentations et
des
discours
sur
la
mort ferait cho une relative simplicit, pour
ne
pas
dire
une franche
pauvret,
des pratiques mortuaires. On a souvent voqu
l'absence
de
culte,
de cimetire
ou
mme
de
lieu visible
associ aux
morts,
la
faible
profondeur
de
la
mmoire gnalogique des populations concernes, l'oubli frquent
des morts ou le
tabou
sur leur nom,
pour
rfuter
l'ide d'une
quelconque prdisposi
tion
nvers
les morts dans cette rgion.
Cet
apparent dsintrt pour les dfunts et le
manque de visibilit au niveau des pratiques trouveraient ainsi compensation dans des
constructions mtaphysiques sur la mort d'une rare complexit.
Sans contester cette richesse symbolique bien
relle, un
examen
attentif
des
donnes empiriques incite
cependant
s'interroger
sur l'hypothse
de
la
prtendue
pauvret des
pratiques
mortuaires
amazoniennes.
Les travaux
disponibles
sur le
thme
font apparatre
un
panorama plus nuanc
et diversifi, que l'on
s'efforcera de
mettre en
valeur en s'attachant
prcisment
aux
aspects
matriels
des
rituels funraires
et
aux
mcanismes de mmorisation
des
morts
(traitement des
reliques). Seront donc laisss
de
ct
les conceptions
et
les discours
indignes sur la mort
(objet d'une
tout autre
tude),
tout
comme les pratiques
rserves
aux dpouilles d'ennemis
ou d'trangers
sous
forme notamment de
trophes,
mme s'il s'avre parfois difficile de dissocier
de
faon
catgorique
les deux phnomnes. Certaines socits ont
en
effet tendance
traiter leurs parents
morts
(ou certains d'entre eux)
comme
des
trangers, ou
l'inverse,
et leur
appliquent des rites
funraires apparemment
similaires. Si d'une faon gnrale
les
reliques
sont
censes
perptuer
la continuit
du
groupe, les trophes
pris
sur
l'ennemi taient souvent investis
de
proprits analogues, au point d'apparatre tout
aussi essentiels
la
reproduction
sociale.
Toutefois, un
cart partout
observ semble
sparer
la
relique
du
trophe proprement
dit.
Celui-ci, souvent
abandonn ou
mme
vendu
aprs
usage, fait rarement l'objet de doubles
funrailles
, la
diffrence
des
reliques gnralement conserves chez soi
ou
r-inhumes.
Cela peut d'ailleurs expli
quer la relative
facilit
avec
laquelle
certains
voyageurs du xixe sicle ont pu
acqurir,
par simple
troc,
des dpouilles d'ennemis et, beaucoup plus
difficilement,
celles de
parents dfunts.
Cela dit, quand on
parle
de traitement funraire
il est bon
de s envelopper de
minimales
prcautions. On trouve
en effet rarement un
traitement uniforme pour tous
dans une culture
donne ;
les morts
n'y
sont pas
tous logs
la
mme enseigne,
leur
destin varie grandement en fonction
de
l'ge,
du
sexe,
du statut
social,
du
lieu
du dcs
et
de
la
manire
de
mourir (mort
chez
soi/ailleurs,
lente/violente,
etc.).
Disposer
d'un
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Chaumeil, J.-P.] MMOIRE ET TRAITEMENT
FUNRAIRE EN AMAZONIE 85
corps
entier
ou d'une de
ses
parties modifie, on
le
sait,
et la
tenue du rituel funraire
lui-mme, et le type
de
relation
que l'on
va tablir avec le mort. Certaines formes
de
mort violente
accentuent
la
rupture de
cette relation,
d'autres
au contraire l'attnuent.
Dans
l'impossibilit de rcuprer le corps, on s'escrimera
en rapatrier une
partie
ou,
dfaut,
un
substitut
pour s'acquiter
des
funrailles
.
On
mesure
donc
la
difficult
dans certains cas de faire
prvaloir
une
forme
sur une autre.
Que
nous apprennent cet gard les tudes comparatives ? La premire, consacre
aux Guyanes (Roth,
1924),
fait
tat d'un
large
ventail
de modes funraires
:
endo-
cannibalisme, inhumation directe ou
en
urne
(primaire
ou secondaire),
crmation,
certaines formes
de
momification, prservation des os
soit conservs dans
des
paniers funraires ou dans des abris sous roche, soit distribus
entre
les
parents
du
mort
(rappelant
les pratiques du partage
de
la chair ou des cendres dans
l'exo
et
l'endocannibalisme). Quelques annes plus
tard, Linn (1929) fournit une
tude
dtaille
sur
les pratiques d'endocannibalisme
en Amrique
du
Sud. Ces travaux
pionniers
seront
complts par
Mtraux
(1947)
dans
un
essai
devenu
classique o
il
souligne
la
grande diffusion de l'enterrement
secondaire
en
urnes
en
Amrique du
Sud. Influenc par
ses
travaux sur les
Guarani,
l'auteur s'intresse tout
particulir
ementu
traitement
des ossements
humains,
mais
il
ne
tire curieusement
de
son travail
aucune implication
ethnologique. D'inspiration
plus
sociologique,
les tudes
post
rieures
de
Boglar
(1958, 1959)
et
de
Zerries (1960)
s'interrogent
en particulier sur les
rapports entre
les rituels
funraires
et certaines pratiques socio-culturelles.
C'est
ainsi
que Boglar associe l'endocannibalisme la
pratique
du brlis dans l essartage (trait
ement
agricole
du corps).
Beaucoup
d'essarteurs actuels
dans
les basses
terres ne
pratiquent
cependant pas
explicitement cette forme
funraire.
Zerries pousse plus
loin
l'analogie
en
connectant
cette
fois
l'endocannibalisme
avec
le
rituel
du
Yurupari
bien
connu
des
amazonistes. Selon
une version
rpandue dans les mythologies
du
nord-
ouest amazonien,
Yurupari
est le
nom
d'un
hros culturel sacrifi par le feu, puis
ressuscit de ses cendres
(os
calcins) sous
la forme
de fltes sacres, elles-mmes
appeles les
os
de Yurupari,
et
dans lesquelles on souffle lors
des grands
rituels
d'initiation,
d'change de nourriture ou dans les
crmonies
funraires.
L'hypothse
de Zerries
suggre
donc
un
lien
entre un
objet ( flte-os ) incarnant
un
mort ancien
et la
pratique funraire de rcupration des os, soit par les doubles
funrailles (os
entiers),
soit
par
l'endocannibalisme
(os
piles
et
ingrs),
formes
funraires
dont
certains
ethnologues ont montr le
rapprochement sur le
plan
conceptuel (Thomas,
1980).
Nous
aurons l'occasion
de
revenir sur le sujet.
Stimulantes, ces
contributions n'ont
cependant
pas
nourri
une
vritable
rflexion
sur
la question du deuil dans les basses
terres
;
elles
se sont surtout
efforces d'inven
torier es
procds funraires ou de suggrer
des pistes
de
recherches,
entreprises
fort
louables mais
insuffisantes. Les
observations les plus
pntrantes dans le domaine
viennent en
fait
d'tudes de
cas
plus rcentes
partir desquelles s'est
peu
peumise en
place une
problmatique
des funrailles dans les basses terres consistant considrer
les morts comme des
ennemis
. C'est cette conclusion qu'aboutissent
en
tout cas
plusieurs recherches,
dont
celle de
H.
Clastres
(1968)
sur les rituels funraires des
Guayaki.
Qu'ils
mangent
la chair
(et non les
os)
des
parents
dfunts ou qu'ils les
enterrent,
les Guayaki adoptent
une
commune
attitude vis--vis des
morts ; celle de les
traiter
en
ennemis.
partir
de
l'analyse
des
matriaux krah,
Carneiro
da
Cunha
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86 JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83,
1997
(1977, 1978) confirme
cette sparation
entre
vivants et morts et la
pose comme
prdominante dans
le
monde amazonien, l'oppos
du
modle africain ax
sur
le
culte des anctres.
Il
convenait juste titre de s'affranchir des paradigmes africains.
P.
Clastres (1980) reprend
son tour la notion
d'ancestralit
pour saisir l'cart qui
spare
la
pense
andine
oriente
vers
le
culte
aux
morts
et
la
pense
amazonienne
cherchant surtout,
selon lui,
abolir les
morts.
Spcialiste
des
Guarani,
l'auteur fera
cependant une exception : les
cadavres des
anciens chefs tupi-guarani
soumis aux
doubles funrailles
en
urnes et, surtout, les
ossements des grands
chamanes, objets
jadis d'un culte apparemment trs labor.
Viveiros
de Castro
(1992)
a de mme
tempr l'quation
du
mort comme
ennemi
chez les
anciens Tupinamba,
en
montrant
qu'elle
ne
s'appliquait
qu' une seule classe
de
mort :
celle
des
morts
chez soi
(pars
d'ailleurs
des
attributs rservs
l'ennemi). Les morts ailleurs,
chez les ennemis
de
ses
propres ennemis
selon
l'expression de
l'auteur, taient
vnrs comme
des hros
puisque eux seuls avaient ralis
la
belle
mort
(dans
le ventre des
ennemis).
L'interprtation du
cannibalisme
comme
rite
funraire
chez
les
Tupi-Guarani
ne
fait
plus gure
de
doute ; l'une et l'autre
pratique
ayant pour but d' allger le cadavre
du
poids
de sa
chair
pour n'en
conserver que le
squelette, les
os frais
, condition pour
atteindre
la
Terre sans Mal selon la pense eschatologique de ces peuples. La
mise en
parallle des pratiques cannibales et
funraires
comme altrit
en
devenir ne
pouvait
qu'inciter les analyser
en
termes
non
substantivistes,
en
termes de relations ou
d'acquisition de positions
et
non de substances. Tmoin le
dsir affich
de ces peuples
d'oublier ou d'effacer toute
trace
matrielle
des
morts,
d'viter
toute
relation
directe
avec
les cadavres pour privilgier les
relations d'change avec le mort
comme parte
naire
un
peu spcial,
puisque occupant thoriquement la
position de
l'ennemi.
Taylor
(1993)
illustre
bien
cette
ide
dans
une
tude
rcente
consacre
au
deuil
jivaro
en tant que
mcanisme d'oubli
des
morts
rcents.
Ici,
le
traitement physique du mort
apparat
secondaire
par
rapport
sa
matrialisation
spirituelle
sous
forme aru-
tam,
comme
destine ou trajectoire
de
vie individuelle.
Selon
Perrin (1979 : 119),
les
Guajiro pensent que les morts, dont les restes sont
mls aux
ossements anciens dans
des urnes collectives faisant
office de
cimetire,
perdent
toute individualit pour
revenir
sous
forme de pluie et de maladies.
Pourtant la figure du mort-ennemi expuls hors
de
la
mmoire des
vivants
comme
paradigme gnral du
deuil
dans les
basses
terres ne
cadre
pas vraiment avec un certain
nombre de pratiques funraires encore
observables.
L'interprtation globale
que
donne
par exemple
Erikson
(1986)
de
l'endocannibalisme pano comme formule
cherchant
retenir
les morts
(seuls
les
parents proches mangent
les
os
piles)
semble
contrarier
la thse de l'altrit du mort. Erikson note d'ailleurs
la
place idologique
non
ngligeable
accorde aux anctres chez
certains groupes
pano qui n'assignent
pas
forcment leurs morts
un caractre
dangereux. La question
est
nanmoins de
savoir
s'il faut
traiter
l'endocannibalisme comme
un rite
de
destruction
ou de conservation
des
restes (Thomas, 1980).
Viveiros
de Castro
(1992)
constate de son ct
que
les
Arawet (d origine
tupi),
qui assimilent
leurs
morts rcents aux ennemis, n'prouvent
cependant
aucun
dsir
de les oublier, ni
mme
d'en
effacer
les
traces matrielles
(tombes
et
squelettes)
qui pourraient les rappeler
la mmoire des
vivants. Leurs
noms
sont voqus et leurs biens nullement dtruits
mais
hrits. Dans ce
cas,
la
mmorisation du
mort,
par
la
permanence
du nom
et
les
biens
hrits,
attnue
la
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Chaumeil,
J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 87
coupure
que lui
confre sa condition
d'tranger
ou d'ennemi.
Les
Xavante (G) du
Brsil
central rcemment tudis par Graham
(1995) incorporent
carrment
leurs
morts (les
immortels ) dans le systme de
classes
d'ge
du
cycle
de
vie.
La
socit
xavante
intgre
donc
en
son
sein
les vivants et les morts,
ces
derniers n'tant
d'ailleurs
pas
redouts
contrairement
ce
qui
se
passe,
semble-t-il,
chez
les
autres
groupes
g. La
mmoire individuelle
de
certains
immortels
minents (les grands
leaders) trouve de
surcrot
une forme
de perptuation
dans
les
rcits xavante
de
la cration.
Nous-mmes
avions montr le double mouvement des morts
vers l'affinit et
l'ancestralit chez les
Yagua
du Prou
en fonction des types
de
mort et
de
spulture
(Chaumeil,
1992). Il
nous semblait
pouvoir
mettre
en
vidence un processus
d'ancestralisation
(transfo
rmation
'une catgorie de mort
en anctre),
rserv dans cette socit
des
person
nages
mportants, notamment les
grands
guerriers
dont
les noms
taient immortaliss
dans
un
genre particulier
de
rcits piques. Le
traitement
funraire de ces individus
contrastait avec celui
des
gens
du
commun
soumis
un recyclage de leurs lments
vitaux
et
vous
une certaine
forme
d'anonymat.
considrer ce qui
vient d'tre dit,
une rvision
de
la
question funraire
dans
les
basses
terres
s'impose. Plusieurs types de traitement funraire seront
examins, cha
cun
pouvant
ventuellement
se combiner avec
un
ou plusieurs
autres.
L'abandon du
cadavre
comme mode funraire principal a
t attribu
de rares
groupes
;
il s'appli
quelus gnralement
aux
individus accuss de sorcellerie. Les
Matsiguenga du
Prou, par exemple,
abandonnent
souvent leurs dfunts sur de frles esquifs
livrs
au
courant
des
rivires,
mais
pratiquent
aussi l'inhumation directe (Renard-Casevitz,
communication personnelle). Quoi qu'il
en soit,
l'abandon du cadavre
exprime
sans
doute la
forme la
plus radicale de rupture
entre
les
vivants et
les morts. L'immersion du
corps,
pratique
aux
termes
de
funrailles
complexes
par
les
Bororo
et
les
anciens
Saliva, est par ailleurs
peu
reprsente dans
les basses terres.
L'inhumation
Procd
funraire
fort
rpandu
dans
l'aire qui
nous occupe, l'inhumation peut tre
simple
(en
terre ou en urne) ou double
(un laps
de temps spare
le
premier enterrement
du second
considr comme dfinitif).
L'inhumation
directe
en
terre est reporte chez certains groupes
tupi
et
carib.
Elle
a
lieu
dans
la
maison
(souvent
abandonne
mais
pas
toujours),
sur
la
place ou
en
fort
(une
hutte miniature
marque
parfois
l emplacement de
la
tombe).
Les
anciens
Tupi-
namba
combinaient
deux
modes
d'ensevelissement
;
l'un
directe
en
terre,
l'autre en
urne.
Dans
le premier
cas, une
chambre funraire tait amnage pour empcher
la
terre
de
peser directement sur le cadavre, rappelant ainsi le principe
de
l'urne.
Lorsqu'ils abandonnaient
leurs
villages, les Tupinamba avaient l'habitude de dposer
des
feuilles du
palmier pindo sur les
tombes pour
que
l emplacement
en ft
reconnais-
sable
et
la
mmoire des
morts conserve
(Mtraux
1947, citant Jean de Lry).
La
coutume
de l'enterrement direct
en
urne
est
commune aux
Guarani
dont on a
souvent
dit
qu'ils
taient
l'origine de ce mode
funraire.
Cette coutume est
galement
frquente dans
le Chaco
et chez de nombreux groupes de l'Amazone (Nordenskild,
1979 ;
Boglr,
1958).
Les Chiriguano du Chaco enterrent de cette faon leurs morts
l'intrieur
des
demeures
qui
continuent d'tre habites.
On
peut penser
que
les
peuples
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
8/30
88
JOURNAL
DE
LA
SOCIT
DES AMRICANISTES [83, 1997
qui
enterrent
les morts dans
la maison habite cultivent
leur gard un tout autre
rapport que
ceux qui dtruisent ou abandonnent
leurs demeures
aprs l'inhumation.
D'aprs Nimuendaju (1952), les
Ticuna
de l'Amazone pratiquaient
jusqu'
la fin du
sicle
dernier
l'enterrement
primaire
dans des urnes parfois
ornes
de
colliers
de dents
humaines
(trophes
pris sur
l ennemi)
qu'ils
visitaient
rgulirement.
De
nombreuses
urnes funraires ont
galement
t dcouvertes
sur le
fleuve
Japur,
restes peut-tre
d'anciens cimetires (Mtraux, 1930).
Les
Cocama du
haut Amazone combinaient
l'ensevelissement direct
en
urnes avec les funrailles secondaires
en
urnes plus
petites
dans lesquelles
reposaient
les os de certains morts (Figueroa, 1986, Maroni, 1988).
D'autres, tels les Cubeo du nord-ouest
amazonien,
ont
progressivement abandonn
les urnes au
profit de
cercueils confectionns avec
d'anciennes
pirogues. Si la
nature
du
contenant change,
le
principe de
protection
du
cadavre demeure le mme.
Les
doubles funrailles
L'inhumation double
en
urnes est surtout caractristique des groupes
arawak
(Antilles, Ornoque, nord et sud
de
l'Amazone, Jurua-Purus,
Mojo), mais
se retrouve
aussi
avec
de multiples
variantes ailleurs. Les os (entiers
ou rduits
en
cendres) sont
soit r-inhums, soit dposs dans des urnes ou dans des paniers funraires. Dans ces
deux
derniers cas,
ils sont
gnralement
conservs
dans la
maison du dfunt ou placs
dans des cimetires communs. Comme beaucoup
d'autres
pratiques ancestrales, la
conservation domicile des os des dfunts s'est rarfie, remplace par l'enterrement
chrtien
en
spultures individuelles.
Les
paniers funraires ont t signals chez les
Warau
du delta de
l'Ornoque et
les anciens
Carib (Gumilla,
1758). Certains Arawak
et
Carib
des
Guyanes
prfraient distribuer les
os
aux
parents
des
dfunts
qui
les
gardaient ainsi sparment. La conservation des os
en
urnes ou
en
paquets tait
galement trs rpandue, notamment les os longs
et le
crne souvent peints au roucou
(comme chez les Guahibo des llanos de
Colombie). Les Yuko (Carib
de la
Sierra
de
Perij) ont
un rituel
funraire complexe (Reichel-Dolmatoff, 1945). Le
cadavre est
d'abord
momifi au feu,
inhum dans
sa
maison
qui
est abandonne
puis
exhum
deux
ans
aprs. La momie est alors nettoye,
enveloppe
dans de
nouvelles
nattes et
transporte
en
grande
pompe
au
village
o
un bal
est clbr
en
son honneur (les
parents
dansent avec le cadavre momifi). Le lendemain, un proche parent garde la
momie suspendue au toit
de
la demeure
pendant
plusieurs
semaines ; puis
c'est au
tour
d'un
autre membre de
la
famille
et
ainsi de suite. Au terme de ce voyage familial,
la
momie
est
dpose
dans
une
grotte-cimetire
o
des
centaines d'autres momies
reposent. La prsence
de ncropoles sous
roche
dans cette partie
septentrionale
de
l'Amrique
du
Sud a
d'ailleurs
trs tt suscit l'intrt des voyageurs (mais aussi des
pilleurs de tombe).
Les
cimetires
Contrairement
l'ide
commune,
l'existence de
cimetires indignes (antrieurs
la
priode
coloniale) est moins
rare qu'on l'a
prtendu, et
le deviendra probablement
encore moins lorsque
les nombreux sites archologiques,
notamment en
Guyane,
auront
fait
l'objet
de
fouilles
systmatiques, ce
qui
est
loin
d'tre
le
cas.
Des
ncropoles
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
9/30
Chaumeil, J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 89
anciennes
ont
t
rpertories, outre le cas mentionn plus haut, le long du littoral
guyanais et
de
l'Amapa, dans l'le de Maraj, dans les rgions de Manaos,
du
Japura
et
de
l'Atures,
dans
le haut-Xingu, le
long de
l'Ucayali central, chez
les Guajiro, les
Karaj
de
Araguaia
et, plus au
sud,
chez les
Kaingang,
les Mbay
et
les
Guaicuru
du
Chaco.
Lors
d'une exploration reste clbre,
Humboldt visita en 1800 la
caverne
d'Ata-
ruipe, prs
d'Atures,
o il
dnombra plus de 600
squelettes
peints au
roucou
ou
enduits
de
rsine et dposs dans des paniers et des urnes.
Crevaux
puis Chaffanjon
(1889)
examinrent plus
tard
d'autres ncropoles dans
la
mme rgion, uvre
selon
eux des anciens Atures. Non loin de l, les Piaroa auraient galement
respect jusqu'
rcemment la coutume
de
conserver leurs morts
pralablement
inhums dans des
cavernes profondes servant d ossuaires.
Outre la prsence
de
cimetires dcouverts dans la
rgion
de Counany et dans
l'le
de Maraj (Roosevelt, 1994), plusieurs groupes arawak connaissaient ce
mode
d'enterrement
collectif.
Au
milieu du
xixe sicle,
Marcoy
(1869)
dcrit
l emplacement
d'antiques spultures ouvertes prs de Manaos qui auraient appartenu aux anciens
Manao et
Bar.
Ces mmes cimetires furent visits quelques
annes
plus tard par
Keller-Leuzinger
qui dnombra plusieurs
centaines d'urnes alignes
les
unes
ct des
autres
faible
profondeur et contenant des squelettes entiers placs en
position
accroupie (Keller-leuzinger, 1874). Mtraux
(1930)
pense
que
tous ces vestiges
fun
raires
du
moyen
Amazone sont
l'uvre
de populations arawak.
Le chanon des
urnes
s'tend vers le
haut
Amazone avec
les Tupi
(Omagua,
Cocama)
tandis qu'il s inte
rrompt
en direction
du bas
Amazone
la hauteur de
Santarem
o, malgr les fouilles
de
Nimuendaju, aucune prsence d'urnes
n'est
atteste (on pense que les Tapaj
prati
quaient
l'endocannibalisme
comme mode
funraire
principal).
Plus
au
nord, les
Palikur de l'Oyapock
entretenaient jusqu'
une
date
rcente des cimetires claniques.
Les ossements taient
prpars soit
par ebullition ou
boucanage, soit
par
putrfaction
dans une premire
spulture,
puis taient dposs dans une
seconde urne
aprs une
priode de conservation dans la famille du
dfunt
(Grenand Grenand,
1987).
Comme beaucoup de
leurs
voisins de la famille
g,
les Bororo du
Brsil
central
pratiquaient
la
double inhumation mais, ce qu'il semble, selon deux modalits
diffrentes : les reliques
taient
soit
immerges
au fond d'une
rivire
ou d'un
lac,
soit
dposes dans des grottes
flanc
de
rocher.
Lvi-Strauss
(1964)
a surtout
retenu la
premire technique,
les salsiens
la seconde, qui
serait plus
ancienne (Albisetti
Venturelli, 1962).
Les
missionnaires dcouvrirent
en effet
dans
des grottes
plusieurs
paniers
funraires
contenant
des
ossements
dcors
d'origine
bororo. Ils en conclurent
que
les Bororo
durent
modifier
un moment
donn
leur systme
d'inhumation
dfinitive des os, peut-tre
cause des
pillages
des
reliques
dans les grottes-cimetires.
Quoi
qu'il en soit, les funrailles bororo se droulent selon un rituel trs labor.
Inhum sur la place
centrale
du
village, le cadavre, copieusement arros, est
soumis
une putrfaction acclre.
Les
os sont ensuite exhums, nettoys, peints, orns de
plumes
et
placs dans des paniers funraires exposs puis immergs conformment
l'usage
actuel.
La fin du cycle funraire
est
marque par la destruction par
le feu
de
tous les
biens
ayant appartenu au
dfunt.
En
revanche,
ce dernier
ne
disparat
nullement
de
la
mmoire des
vivants
puisqu'il fait l'objet d'une substitution rituelle
sous
les
traits
d'un compagnon
ou
ami
formel
qui,
aprs
les
funrailles
et
durant toute
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
10/30
Illustration non autorise la diffusion
90
JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83, 1997
Fig. 1. Ossements dcors
bororo
(d'aprs la
Enciclopedia
Bororo,
vol.l,
1962) ;
momie coroado
conserve en urne (gravure du
xixe
sicle)
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
11/30
Chaumeil,
J.-R]
MMOIRE ET
TRAITEMENT
FUNRAIRE
EN AMAZONIE 9
1
sa vie, le reprsentera ici bas. Appartenant la
moiti oppose
du
dfunt, il
doit
entre
autres
tuer
un
jaguar, quivalent mtaphorique du
mort (Crocker, 1977 : 174-175).
Toujours
pour
le Brsil,
les
Karaj
de
l'Araguaia
accomplissaient, avant
le
Contact,
la
totalit
de leur
cycle funraire
dans des cimetires
situs
en dehors des
villages (Ptesch, 1992).
Les
funrailles
s'effectuaient
en
deux
temps
sous
la
responsab
ilit
es affins du mort (procdure aujourd'hui abandonne). Selon Ptesch, la
relation entre
les
vivants et
les morts
n'est
pas ici rompue
puisque
ces
derniers
maintiennent
une prsence
constante
dans la vie
quotidienne
des Karaj, notamment
dans la
chasse.
L'auteur s'exerce sur ce thme
une comparaison entre
les
funrailles
g, bororo et karaj.
Alors
que
certains G (pas tous) ont tendance rintroduire dans
l'espace social des ossements
de morts
inhums
l'extrieur du village, les Bororo
pratiquent plutt l'inverse (les
os circulent de la place du
village vers
les rivires ou les
abris rocheux). Les Karaj
entretiennent, quant
eux, un troit paralllisme
entre
l'espace socialis des morts (cimetire) et celui des vivants (village). Dans le premier
cas, on pourrait avancer
que
le
principe
de
rupture
avec
la
communaut
des
morts
est
attnu par le
retour
des
os, dans
le
second
par la reprsentation
rituelle du mort
par
un
membre vivant de l'autre moiti, dans le troisime par les
changes
avec les
esprits des morts.
Les Kaingang (G)
du
Brsil
mridional
enterraient galement leurs dfunts dans
des
sortes
de cimetires comprenant plusieurs
tumulus
dans lesquels taient
amnag
es
es chambres funraires.
De tels
tumulus
ont
t
signals
ds le xvine sicle
chez
les anctres de ce mme groupe. Le soin extrme avec lequel ils
rigeaient
ces tombes
coniques tmoigne
de l'importance accorde aux morts dans
leur
socit.
L'incinration
En dehors de l'incinration partielle associe
l'endocannibalisme,
la crmation
simple tait surtout
pratique
au nord
de
l'Amazone,
chez
les Carib des Guyanes
en
particulier. Procd funraire devenu exceptionnel
de
nos jours.
Il
tait autrefois
courant
chez les
Wayana,
sauf
pour
les chamanes que l'on
enterrait.
D'autres socits
procdaient exactement l'inverse ; les Aparai, par exemple, pour qui la crmation
tait le privilge
exclusif
des chamanes et des
chefs
(Linn,
1929). Les cendres taient
le plus souvent
enterres,
rassembles
au
sol
ou dans une petite hutte spciale sur le
lieu
de crmation, ou encore places avec les restes d'os calcins dans des
poteries
ou des
paniers conservs dans les maisons
et que l'on
pouvait
ventuellement transporter lors
des
dplacements.
On
le
voit,
la
crmation,
comme d'ailleurs l'endocannibalisme,
est
un
procd
parfaitement congruent avec la
thorie
des
doubles
obsques.
Il
s'agit
avant tout d'un
traitement
anti-putrfaction,
l'oppos du corps
expos ou aban
donn.
Pour Thomas (1980 : 179) l'ignition est moins axe sur la destruction que sur
la conservation, car le feu ne fait que hter la dissolution des parties molles pour
arriver aux
restes .
La momification
Trs importante dans les cultures andines, elle
l'tait
galement dans les basses
terres
(essentiellement
sur
l'Amazone
et
au
nord
jusqu'au
Darien)
une
poque
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
12/30
92 JOURNAL
DE
LA
SOCIT
DES
AMRICANISTES
[83,
1997
antrieure
la
Conqute. Plus
que
tout autre
mode
funraire,
il s'agit
d'un
procd
slectif appliqu en priorit
aux
personnages minents (chefs, grands
guerriers
et
chamanes). La momification
pouvait
tre ralise par
dessication
au soleil, au feu ou
par
embaumement
l'aide
de
rsines vgtales.
Elle tait
souvent
couple avec
l'enterrement
en
urne
ou
avec
la
surlvation.
La
dessication
des
cadavres
au
moyen
de
la fume est
pratique
ou a t
observe
jusqu' une date relativement rcente par
plusieurs socits indignes du Venezuela
(voir
plus
haut
les Yuko)
et
du Brsil, parmi
ces dernires les Maus, les Apiaca, les Mundurucu, les Puri-Coroado ou les anciens
Tapaj.
propos de ces
derniers,
Nimuendaju
(1949) emprunte
aux
missionnaires
J. Betendorf et J.
Daniel
des faits relevs dans la
seconde
moiti
du xvne sicle
concernant
un
prsum culte des cadavres schs . Ces pratiques de momification
rserves aux personnages
importants
auraient t couples avec l'endocannibalisme
funraire, hypothse tout du moins avance pour
expliquer l'absence
de traces de
tombes dans la rgion
(Nordenskild,
1930). Les anciens Puri-Coroado
du
Brsil
dposaient
les
dpouilles
momifies de
leurs
chefs
dans d'imposantes
urnes
enterres
au pied de certains
grands
arbres. Ces momies pares des plus beaux ornements,
dont
on trouvait encore de charmants spcimens au dbut du
xixe
sicle, prsentaient des
ressemblances frappantes avec celles des
anciens
Pruviens. Le desschement au
feu
des
cadavres
tait
galement pratiqu
par les Mau de l'Amazone jusqu' une date
relativement rcente (Nunes Pereira, 1954). Les Mundurucu conservaient
de
la mme
manire
(pendant cinq
et quatre ans), et les
ttes
momifies des
ennemis,
et celles de
leurs
parents
morts au
champ
de bataille ( dfaut de la tte,
on
rapatriait
un
bras ou
une jambe),
tandis que
les morts domicile recevaient
un
traitement
en
urnes
(Tocantins,
1877, Ihering, 1907, Menget, 1993).
Nanmoins,
une fois les annes
coules,
les
ttes
prises
sur
l'ennemi
taient
abandonnes,
les
autres
enterres
chez
soi.
L'analogie de traitement
entre
le
parent
tu
chez l'ennemi et l'ennemi n 'est
donc pas
totale. L'inhumation finale rintroduit
le premier dans la sphre des
parents,
l aban
don
lace le second
hors
de
la parent. Le mouvement
du
mort est inverse. Si la figure
du
mort comme
ennemi
ne
peut donc s'appliquer intgralement au cas Mundur
ucu
n
observe cependant une
correspondance
entre la
phase active des reliques
rapatries et celle des trophes ennemis. Le lecteur aura repr certains mcanismes
funraires des anciens Tupinamba, la
diffrence que
ce sont ici les morts
en
guerre,
et
non les
dfunts
domicile,
qui sont pars
des
attributs rservs aux ennemis.
La surlvation
L'exposition des cadavres
sur des plates-formes surleves est une
pratique trs
voisine
de
la momification naturelle (maximum de
putrfaction).
Gnralement comb
ines
avec
d'autres modes
funraires,
les spultures ariennes ont
t
releves,
entre
autres, chez les Warao, les
Yukpa,
les Siriono, plusieurs groupes
du Chaco
(les
Mataco
par
exemple)
et les Jivaro. Chez ces derniers, la
surlvation
des
cadavres
se ralisait
soit l'aide de plate-forme, soit dans des troncs creux
suspendus
au
toit
des
maisons
ou sous
un
abri quelque distance du
lieu
d'habitation. Aujourd'hui les morts sont le
plus souvent enterrs dans
la demeure
qui
n'est
abandonne
qu'au
dcs du matre de
maison. L utilisation d'urnes
est
rserve aux cadavres
d'enfants,
mais
il n'est
pas
exclu
que
ce
mode
funraire
ait
joui
d'une
plus grande
diffusion
dans
le
pass
(surtout
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
13/30
Chaumeil, J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 93
si
l'on considre
l'association
tronc creux/urne). Les grands
guerriers recevaient
un
traitement funraire particulier proche de
la
momification
naturelle
: orns de
leurs
plus belles
parures
et
de
leurs armes, ils taient laisss sur leur propre banc, le dos
appuy au pilier
central
de la case,
protgs des
prdateurs
par
deux
palissades.
Si les
donnes
sont exactes,
les
Jivaro
connaissaient
au
moins
deux
modes
funraires
:
l'inhumation simple (en terre ou en urne)
et
la surlvation
(sorte
de
momification
naturelle
dans laquelle entraient les obsques des
grands
guerriers), cette dernire
parfois
couple
avec l'enterrement double si l'on en
croit
Stirling (1938) et
Eichenber-
ger
(1961, propos des
Aguaruna).
Harner
(1977)
signale
encore la
possibilit pour
un
grand
guerrier jivaro de communiquer
ses fils
sa
volont
de transmettre chacun
d'eux l'une de
ses
mes
arutam
qui se formeront son
dcs.
Autant d'lments qui
n'accrditent pas vraiment
l'ide
d'une rupture radicale avec les morts et contrastent
avec les
rcents
travaux de Taylor (1993).
Si
la surlvation
tait
le mode
funraire
principal
des
Jivaro avant l'influence missionnaire, elle n 'tait
sans
doute pas le moyen
le
plus
efficace
d'attnuer
la
prsence physique
des
morts.
L endocannibalisme
Parfois
coupl avec le cannibalisme de chair, ce mode funraire a fait l'objet de
plusieurs
tudes
compares qui
ont dmontr son
anciennet
et
sa
grande diffusion sur
le
continent
(Linn,
1929
;
Boglr, 1958
;
Zerries, 1960). L'aire d'extension
couvre
le
nord
du
littoral atlantique, le haut Ornoque, le
nord-ouest
et le
haut Amazone,
l'Ucayali.
l'exception des Guarani,
spcialistes des ossements en urnes,
on
le trouve
rparti dans la plupart
des
socits des basses terres,
en
association ou
non
avec
d'autres
pratiques
funraires.
Le
rite
consiste
rduire
en
poudre
les
os
calcins
(parfois les cheveux) du mort, poudre qui
sera
absorbe ensuite sous
forme
de boisson
par les parents plus ou moins proches du dfunt.
Les
os sont
gnralement
obtenus par
crmation
partielle encore qu'ils puissent
l'tre par
dcomposition
des
chairs
sur
plate-forme ou
par
inhumation simple (principe
des
doubles funrailles). L'ingestion
des cendres peut tre
immdiate
ou se prolonger sur plusieurs annes ;
la
poudre d'os
est
alors conserve dans
des calebasses
ou
des
paniers funraires.
Les
Wari
(Pakaa
Nova)
du rio
Mamor
cumulent
endo-
et
exo-cannibalisme
(Vilaa, 1992,
Conklin, 1995).
Les chairs cuites des dfunts
sont consommes
par
petits morceaux, les
os
calcins
inhums ou
mlangs
du miel
pour
tre ingrs par
les
parents
distants. Les biens du mort sont dtruits
mais
le nom
reste.
Une crmonie
de
fin
de
deuil
marque
le
passage
du
mort
de
l'tat
d'humain
celui
d'animal
(gibier
des humains).
L'extriorisation
du mort comme proie ou
ennemi
est assez explic
ite,
e travail
de
mmorisation rduit apparemment la seule perptuation du
nom.
Les
Yanomami s'emploient galement effacer toute trace matrielle pouvant rappel
er
la communaut la prsence physique des morts
(Clastres Lizot,
1978 ;
Albert, 1985). Pourtant la mmoire individuelle du
dfunt
survit
la
disparition
du
corps, surtout
s'il s'agit
d'une personne talentueuse ou d'un guerrier courageux tu au
combat. Les os pulvriss
sont conservs dans
des
gourdes funraires
et
absorbs
progressivement par
les
parents (afns
inclus)
sur des
priodes pouvant exder
10-
15 ans selon la dure des prparatifs
de vengeance.
Le travail sur
les
os
apparat ici
comme
l'ultime
refuge
de
la
mmoire du
mort
(Albert,
communication
personnelle).
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
14/30
94
JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83, 1997
Loin
de
tout
effacer, ce
que tente donc
de
raliser
le rite
endocannibale est un quilibre
difficile
d'oubli
et
de mmoire (Clastres Lizot, op. cit.).
La
substitution
funraire
II
arrive
parfois que
les morts soient reprsents par des parties du corps (mches
de cheveux, dents ou ongles), par des objets
(poteaux,
tronons de bois), voire par une
personne vivante
comme
dans le
cas
bororo chez
qui
l'ami formel
appartenant
l'autre moiti
uvre durant sa
vie en
qualit de
substitut
rituel du dfunt (Crocker,
1977). L'existence de
statues
qu'il fallait nourrir ou de figurines anthropomorphes
contenant des restes
mortuaires
(reliquaires) tait
commune,
semble-t-il, aux Arawak
des les et de terre ferme
l'poque de la
Conqute. De tels
objets ont
galement
t
relevs diffrentes
poques dans
plusieurs rgions des basses terres. On
peut suppos
er
ue leur
tude, si
elle
avait eu lieu, aurait notablement enrichi nos connaissances
sur
les
reprsentations
et
les
rapports
aux
morts
dans
cette
rgion.
Rares
sont
aujourd'hui les situations o
il
est permis d'observer ces formes de substitutions
funraires. Les Uni (Cashibo) du
Prou
confectionnent encore des statues
de
bois
reprsentant
des
morts,
l'occasion d'une crmonie de leve de
deuil clbre
lorsque
le
souvenir
prouv
par certaines
personnes l'gard
des dfunts
se rvle
trop intense
(Frank, 1994).
Des paquets
de mches de cheveux
leur
ayant appartenu,
gards
habituellement
en pendentif autour
du
cou des
parents,
sont alors
accrochs
la
statue porte
en
procession au village, puis
dtruits.
Le
retour
du ou des morts
(selon le nombre de paquets accrochs) peut donc s'interprter comme une
forme
de
doubles obsques :
une fois
les substituts funraires
dtruits,
le
souvenir des
morts
est
cens
perdre
en
intensit.
Les Guahibo
recouraient galement
ce
genre
de
substitu
tionunraire
: ongles et
mches de cheveux prcieusement gards,
non pas cette fois
par les
parents, mais
par
le chamane qui
consultait
rgulirement
les paquets
de
reliques
pour connatre l'origine du
dcs, prlude indispensable
la ralisation,
l'anne suivante, des secondes obsques
en urnes
(Chaffanjon, 1889).
Enfin,
l'hypo
thse 'une
reprsentation
des
morts par
des
troncs
de
bois lors
des
fameuses courses
aux
troncs lies
aux
funrailles chez les
G a
t suggre
(Stahle,
1971-72
;
Ptesch
1983). On voquera encore le
complexe funraire
kuarup du
haut-Xingu
(notamment
le rituel egitsu des
Kalapalo),
dans
lequel
des tronons
de
bois fichs en
terre
incarnent
des
chefs
morts rcemment.
Les
mythes racontent comment ces morts illustres repr
sents par des poteaux se transforment au cours du rituel
en
personnes vivantes
que
les
chamanes
doivent contenir
par
d'abondantes
fumigations
de
tabac
(Basso,
1 973).
Ces reprsentations
de
morts par des
objets rituels se retrouvent
galement
dans
le complexe des fltes sacres
que nous
examinerons plus
loin.
Les os
et
la
mmoire des morts
L exercice auquel
nous venons de nous livrer
fait apparatre
deux
sries
de trait
ement funraire.
Alors
que d'un ct certains groupes s'efforcent de gommer les traces
et la mmoire des morts,
de
l'autre,
on
cherche au contraire maintenir une continuit
entre
les
vivants
et
les morts
(travail
sur
les
os).
Peu
traite
par
l'ethnologie
amazoniste,
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
15/30
Chaumeil,
J.-R]
MMOIRE ET
TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 95
cette seconde srie retiendra notre attention. La coutume de
prserver
les
os des
morts
durant des
priodes
plus ou moins
longues
est
en
effet atteste dans plusieurs socits
d'Amazonie, des
Guyanes
et
du
Chaco. Parmi elles, les Guarani ont manifest un
intrt tout particulier pour les
reliques qu'ils
transportaient
parfois, rassembls
en
paquets,
lors
des
dplacements
saisonniers
(Vignati,
1941-46).
Dobrizhoffer
(1822)
dit
avoir vu des
Guarani
non
christianiss convoyer
dans
leurs
dplacements des
petites
botes contenant les os
de
leurs chamanes dans lesquels ils plaaient
beaucoup
d'esprances.
Les
Mby prservaient galement
pendant
plusieurs
annes
les os des
morts (pas seulement des chamanes) et ne les
jetaient
que
lorsqu'un
message des
dieux
avait fait savoir qu'ils
ne revivraient pas.
(Cadogan, 1950,
Clastres,
1975).
Ces
diff
rents
rituels voquent
celui que
Ruiz de Montoya observa chez les
Guarani
du
Paraguay. Le missionnaire dcouvrit dans
la
fort
profonde
des sortes de temples o
reposaient
les os
desschs
des grands chamanes que l'on consultait comme des
oracles
:
les
reliques, parfois fort
anciennes
et
richement
pares,
se mettaient
alors
parler
et
l'on accordait
le
plus grand
crdit
leurs
prophties
:
elles
taient
censes
assurer de bonnes
semences, des
annes fertiles
et prospres. Rfutant
l'ide d'une
quelconque influence chrtienne, Combes
(1992)
place ce culte dans
la
tradition
tupi-guarani
de
rsurrection des chairs
partir des
os frais
,
pratique assimile
un
kandire.
Comme le rappelle
Mtraux
(1928) :
Ces morts illustres ressuscitaient et
vivaient en chair
et en
os
en certaines
occasions .
Dans
d'autres
socits (chez les
Yuruna
et les Apiaka, ou encore
chez
certains Arawak
du
Punis), l'usage
de
conserver
les os s'appliquait la plupart des dfunts.
Loin d'tre rserv aux chamanes et aux leaders, le travail sur les os concernait
galement une autre classe de morts : celle des guerriers tus au champ de
bataille,
voire
quiconque
mourait
loin
de
sa
demeure.
Procd
trs
rpandu
dans
les
basses
terres,
l'obligation de
rapatrier une
partie du corps dfunt souligne l'importance
accorde au
territoire
natal comme
lieu
de
retour des
morts tombs
en terre
tran
gre.On aurait
quelques
difficults voir dans cette pratique
la manifestation d'une
rupture
avec les morts. Le pre Fauque
a laiss
un
tmoignage
important
(milieu
du
xvne sicle) sur les modalits de rapatriement des
reliques chez
les Palikur
de Guyane.
On
retrouve un
usage identique
l'autre
extrmit du
sous-continent,
chez les Abipo-
nes
du
Paraguay qui
convoyaient
dos
de
cheval, sur
de
grandes distances, les os des
morts
pour
les
dposer
sur les tombes familiales. Les Mundurucu, auxquels nous nous
sommes dj rfrs, rendaient
de
mme un
hommage funbre
aux guerriers tus
chez
l'ennemi
en
rapportant
la
tte ou
l'humrus
comme substitut
du corps.
La responsab
ilit
e
l'opration
incombait
un
compatriote
appartenant
l'autre moiti
qui
prenait grand soin des reliques,
dormait
avec
comme s'il s'agissait d'un
enfant
(Murphy,
1958).
Traites par momification naturelle, elles faisaient
l'objet, pendant
quatre
annes
conscutives,
de crmonies
d'hommage aux morts. Durant
ces manif
estations o
l'on
jouait des fltes sacres,
la veuve, la
mre ou
la
sur du dfunt
arboraient autour du cou les restes qui
taient finalement
enterrs dans
la maison
du
dfunt,
ce qui les
diffrenciait
des trophes de guerre, gnralement abandonns au
bout de cinq
ans.
Ainsi les reliques
des
guerriers
taient conserves dans la moiti
oppose, puis
enterres
chez
soi, les trophes
de
guerre gards
chez soi, puis
extrior
iss.
l s'agissait,
dans le premier cas,
de re-consanguiniser
un mort temporairement
afnis
,
dans
le
second,
d'affiniser
un
mort
pralablement
consanguinis
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
16/30
Illustration non autorise la diffusion
96
JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83,
1997
Fig.
2.
Reliques
siriono
transportes
dans
les
dplacements
(d'aprs A. Fernandez
Distel, 1984-1985)
;
paquet funraire guarani (d'aprs Vignati,
1941-1946)
Les
Ipurina du Purus
avaient coutume
de
clbrer en
grande pompe
une crmonie
durant laquelle un
parent
rappelait les exploits
guerriers du
mort en brandissant un de
ses os. Le
cas
des Siriono de l'Orient bolivien illustre
mieux
encore ce
rapport
de quasi
intimit
entre
vivants et morts par ossements humains interposs. Selon Fernandez
Distel (1984-1985), les Siriono auraient
connu
successivement trois modes
funraires
:
1)
transport du
squelette dans
le
nomadisme saisonnier (procd
le
plus
ancien),
2)
doubles
funrailles
en
terre,
3)
enterrement
direct
(d'introduction
rcente).
Dans
le
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
17/30
Chaumeil,
J.-R]
MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE
EN AMAZONIE
97
premier cas, qui nous intresse au premier chef,
le corps tait
trait
feu doux sur une
plate-forme funraire
selon des modalits qui
pouvaient
varier
en
fonction
du statut
du
mort. Le
campement tait dsert, mais
la
plate-forme rgulirement
visite
pour
l'entretien du
feu.
On plaait alors
le
squelette dessch dans
un grand
panier.
Ds
lors,
les
ossements partageaient,
pour
ainsi
dire,
la vie
des
membres du groupe
qui
leur
parlaient
et
les
transportaient
avec eux dans les dplacements saisonniers. C'est
que
les
os des morts portaient chance
la chasse et les
crnes (ceux
des personnages
import
ants urtout, hrits
par
le fils an)
gurissaient
les maladies les plus graves. En
un
mot, les morts assuraient
protection
aux vivants, qui
leur rendaient en
retour des
marques
de respect et de confiance. Avec l'introduction
de
la
pratique
des
doubles
funrailles en terre, seul le
crne
tait conserv pour ses vertus thrapeutiques, les
autres restes brls et enterrs.
Si
les
donnes
sont exactes, les Siriono avaient donc
mis
au
point un
systme
original
de
relation
aux morts
bas sur
la
protection
rciproque,
et
non
sur
l'ide de
rupture.
Le complexe des fltes sacres
On s'est interrog
en
dbut de texte, le lecteur s'en souviendra, sur une possible
connexion
entre
le
traitement
des os et le
complexe
des fltes sacres dont le souffle, la
musique
ou tout simplement la vue
a parfois, comme les crnes
siriono, le
pouvoir
d'attirer
le gibier
ou de gurir les maladies graves
{cf.
les anciennes chroniques
missionnaires
de la fin
du
xvne sicle sur l'Amazone). On cherchera donc expliciter
dans cette
seconde
partie le lien entre la
possession
des
instruments,
la
conservation
des
os et
la
mmorisation
des
morts.
La littrature amazoniste dsigne par
fltes
sacres
(appeles
Yurupari
dans le
nord-ouest amazonien) plusieurs
instruments
de musique jous exclusivement
dans
un contexte rituel
(initiation
masculine,
rituels
saisonniers d'change
de nourriture,
crmonie
thrapeutique
ou funraire) et reprsentant des entits
ancestrales (mythi
ques
u claniques) ou non-humaines
(esprit-oiseau
par
exemple)
dont ils incarnent la
voix et les os, parfois une partie du
corps.
Chez la plupart des groupes tucano et
arawak du
nord-ouest,
les fltes reprsentent les ossements des anctres ponymes des
clans qui, cette occasion, sont traits comme
s'il
s'agissait de personnes vivantes.
Dans
d'autres
cas, elles
abritent ou
symbolisent
la voix
et
les os de
certaines
catgories
d'esprits
ancestraux associs au
gibier (Yagua, Mundurucu). Sans
tre
la rgle
gnr
ale,
la
frquence
de
telles
associations
permet,
selon
nous,
de
postuler l'existence
d'une
relation entre
les fltes sacres
et
les
os.
Cet ensemble instrumental
est en
outre
soumis
un lourd interdit visuel
de la
part des
femmes
et des non-initis,
sous peine de
mort
ou de
maladie
grave.
L'interdit peut
tre total ou
partiel selon
les
cas, certains
dtails
par
exemple de
la construction des
fltes
ne
pouvant
tre vus.
Ainsi
dfinies,
les
fltes sacres
se rapprochent d'un autre
instrument
fort
ancien
en Amazonie, le
rhombe (prsent
surtout
dans l'est
du
Brsil
et dans la rgion
subandine du
Prou).
L'aire de distribution
de
ce
complexe
musical se
concentre
aujourd'hui dans
l'ouest
amazonien,
le
moyen Ornoque et
le
Brsil central (rgion
du haut-Xingu
notamment).
Elle
s'tendait autrefois le
long de
l'Amazone, dans les llanos
de Colomb
i
t
dans
la vaste rgion
allant du
Purus
aux
savanes
de
Mojos
(voir
carte).
-
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Chaumeil, J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN
AMAZONIE
99
Parmi les groupes arawak, auxquels
on
attribue gnralement l'origine de ce
complexe,
on trouve les instruments chez les
Curripaco (associs
l'initiation mascul
ine
t
aux
rites
de
cueillette), les Yukuna (initiation
masculine)
et les
Achagua
de
Colombie
(crmonies
funraires). Ct vnzulien et
brsilien, ils sont prsents chez
les
Warekena,
les
Wakuenai,
les
Baniwa
et
les
Bar
du
haut
rio
Negro,
associs
l'initiation et
aux
rituels d'change de
nourriture.
Dans la rgion
du haut-Xingu,
les
Mehinaku et les Yawalapiti gardent les fltes sacres avec les rhombes dans la maison
des hommes.
Selon
des documents
plus
anciens,
les Mojo, Baur, Maasi
et Paressi,
socits arawak
autrefois
puissantes
et
hirarchises, conservaient les instruments
sacrs dans des temples2.
Le
complexe
des fltes sacres occupe galement une place
centrale
dans
la religion
des Tucano
du
Vaups
(Desana,
Barasana, Makuna, Cubeo, ...),
mais
il est totalement
absent
chez
les Tucano
occidentaux.
Les paires
d'instruments
sont ici places
en
correspondance avec
les
diffrents niveaux
de
segmentation
sociale, de sorte
que prise
individuellement,
chaque
paire
reprsente le segment
clanique,
prises
collectivement
elles incarnent
la totalit
sociale. Il
semble que
les Maku, chasseurs-cueilleurs
nomad
es ient
emprunt
aux Tucano sdentaires les fltes ainsi
que leur
systme de
segmentation
sociale.
Les fltes sacres ont encore t
signales
par les premiers
chroniqueurs chez les anciens Tupi (Tupinamba, Yurimagua, Omagua)
et
sont tou
jours en
usage chez
les Mundurucu
du Tapajos
qui les utilisent dans la chasse
pour
sduire les esprits
du
gibier, un
peu
la manire des ttes-trophes. Les Piaroa
du
Venezuela (famille linguistique saliva) possdent quant
eux l'une
des panoplies les
plus compltes
d'instruments
sacrs
joue
l'occasion des grands rituels
sari
ou
warime, ensemble instrumental qui rappelle celui des anciens
Saliva
dcrits par le pre
Gumilla au
milieu du
xvine sicle.
Sur
l'Amazone,
les
Ticuna
et
les
Yagua
fabriquent
aussi de tels instruments
en rapport
avec les
initiations et
les grandes chasses collecti
ves.
a
construction des
grandes maisons communautaires chez les
Witoto,
Bora
et
Ocaina, pouvait galement
donner lieu
la
clbration d'un rituel du mme type. En
revanche,
le complexe
des
fltes sacres
est
fort
peu dvelopp
chez les
Carib,
l exception
des Carijona
qui connurent
une
double influence (tucano
et
huitoto)
et des
Kalapalo
qui, eux, appartiennent
l'ensemble culturel du haut-Xingu
Sur le
plan organologique,
cet
ensemble
musical
comprend
plusieurs classes
d'instruments
vent (trompes, tubes et fltes--bloc) gnralement jous par paires
selon diffrentes formules : an/cadet,
mle/femelle, long/court,
et mis parfois
en
rapport
hirarchique
(trompes suprieures aux fltes, ou l'inverse) selon
l'importance
des
entits reprsentes.
Leur
fabrication
incombe
aux
hommes
initis, en
fonction
des
appartenances claniques, encore qu'elle puisse tre l'uvre de spcialistes comme chez
les
Mehinaku
(Gregor,
1979
: 255).
Les
fltes prennent alors
un
prix lev
et demand
ent,
our les
acqurir, la fourniture
de
biens d'change
de grande
valeur. Dans
ce
cas,
les
instruments
sont conservs
dans la
maison des
fltes ou placs sous
la
respons
abilit d'un gardien. Ailleurs, les instruments sont dtruits ou abandonns une fois les
rituels achevs, except
une
partie (habituellement l'embout
en
bois
imputrescible des
trompes ou le corps des
fltes)
qui est prcieusement garde d'un rituel sur l'autre,
enveloppe
dans des corces et
dissimule
dans la fort profonde ou
aux sources
des
ruisseaux, un
peu comme
s'il s'agissait
d'une
relique. Le gardien,
celui qui prend
soin
des
fltes
selon
l'expression
des
Desana
du Brsil
(D.
Buchillet,
communication
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
20/30
Illustration non autorise la diffusion
100
JOURNAL DE
LA SOCIT
DES AMRICANISTES [83,
1997
Fig. 4. Trompes
sacres
(a, trompe d'corce du rio Tiqui b,
tube en
bois de Bactrsi du rio Aiary
c
trompe
d'corce
du
Vaups). (d'aprs
W.
Roth, 1924).
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
21/30
Chaumeil,
J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 101
personnelle), sortira alors
priodiquement de l'eau
ou
du
sol le
corps
de l instr
ument
our s'assurer de sa
parfaite conservation, jusqu'au jour
o
il sera
rutilis pour
confectionner de
nouvelles fltes
lors des prochains
rituels.
Cette
pratique
voque le
principe des doubles
funrailles
successives (rappelons
que
les fltes incarnent les os de
morts
anciens).
La
coutume
assez
rpandue
consistant
nourrir
les
fltes
avec
des
boissons ou
du
tabac pourrait s'interprter dans ce contexte comme une faon
de
redonner
chair aux
os
des
anctres, de les rendre en somme vivants, de chair
et d'os,
comme
si l'on
voulait marquer
par cette
rsurrection
priodique un lien entre
les
vivants et
les morts,
une
continuit
entre
les
gnrations.
Or beaucoup de socits
ayant les fltes sacres
pratiquaient
les doubles funrailles
en
urnes
(os
entiers) ou
l'endocannibalisme
(os piles),
deux modes funraires
parfaitement en
accord,
pensons-nous, avec la thorie de la
conservation
des restes. Les mythes
de l'ouest
amazonien sur l'origine
des fltes font d'ailleurs
cho
ces
deux
formes funraires.
Selon la
version la
plus
commune,
ce sont les os calcins du hros
mythique
qui
donnent
naissance
au
palmier
paxiuba
{Iriartea sp.)
partir
duquel
sont
fabriques
les
fltes sacres, ses reliques ici-bas (Hugh-
Jones,
1979).
Cet pisode de la rsurrection
par les cendres se retrouve plus ou moins transform dans
de
nombreux mythes
d'origine
des fltes
et suggre une
association avec
la
pratique de l'endocannibalisme.
Selon d'autres versions cependant, comme
chez
les Yagua, l'pisode des cendres
manque : le hros
gagne
le ciel
en
sortant de son nombril une liane
et
renvoie sans
dtour
ses
os
sur
terre pour
qu'on
en
fabrique
des fltes.
Les
Yagua content d'ailleurs
qu'autrefois
les instruments taient
en
os,
et
non
en
bois comme aujourd'hui (de fait,
ils
ne
pratiquaient pas l'endocannibalisme mais les doubles funrailles
en
urnes, au
moins pour les personnages
importants).
On
pourrait
ainsi
risquer l'hypothse
d'une
double
correspondance
entre,
d'un
ct,
la
version
os
du
mythe
et
les
doubles
funrailles, de
l'autre, la version
cendres
et l'endocannibalisme.
Lien entre les gnrations, les
fltes sacres le
sont
aussi
entre les vivants et les
morts,
relation
renforce
par
le matriau entrant dans
leur
fabrication ; plusieurs
espces
de palmier au bois trs
dur {Iriartea
sp., Bactris sp.),
tant
pour le corps des
fltes
que
pour
l'embout des trompes. Ces mmes
espces servaient galement
la
confection
des armes
chez beaucoup de
peuples
amazoniens.
Or
le
Bactris
en
particul
ieromestiqu
par les indignes (rsultat
du
croisement de deux
espces sauvages), a
une croissance trs lente et se reproduit sur place
pendant
plusieurs
gnrations
(thme
de
la
vie longue). Pour rcolter ses fruits ou exploiter son bois, les socits qui le
cultivent doivent donc
revenir
priodiquement sur les anciens abattis proximit des
emplacements
des
dfunts.
Certains
groupes,
comme
les
Yagua
ou
les
Mayoruna,
associent
d'ailleurs
explicitement
le
palmier
Bactris aux anctres. Erikson
(1996)
a
soulign le
lien
quasi consubstantiel qui unit
ce palmier
aux
esprits
ancestraux
des
Mayoruna, gardiens des jachres o le Bactris crot. Cette observation lui
permet
d'avancer
l'hypothse
selon laquelle les groupes qui
cultivent le palmier
Bactris ou
des
espces
voisines,
auraient
un rapport
l'ancestralit
trs
diffrent
de celui
des
groupes,
majoritaires
en Amazonie,
pour qui
la mort aline, faisant
basculer
dans
l'altrit
(p.
188-189). Rival
(1993) dveloppe un argument voisin
propos
des
Huaorani d'Equateur pour
qui
les colonies de
Bactris
expriment la croissance lente, la
continuit gnrationnelle et la mmoire des morts. Loin d'tre un don de la fort, les
racmes du palmier
sont
en
effet
vus
par
les
indignes
comme
le
rsultat
du labeur
des
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
22/30
102 JOURNAL DE
LA SOCIT
DES AMRICANISTES [83,
1997
1
Principales
socits des
basses terres
possdant
ou
ayant
possd
des fltes sacres
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
23/30
Chaumeil,
J.-R]
MMOIRE ET
TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 103
2.
Aire
des fltes
sacres. Rpartition
par rgions
-
7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997
24/30
104
JOURNAL DE
LA
SOCIT DES
AMRICANISTES [83,
1997
gnrations
passes. Lorsqu'ils traversent
des
zones peuples de Bactris, les Huaorani
se
remmorent
certains morts apparents aux membres du groupe qui exploitent ces
palmiers en
particulier.
Il
semble
donc
que
les fltes sacres participent d'un grand
complexe
culturel ouest-amazonien, associant les palmiers, les
anciens
abattis et les
anctres.
On remarquera
en
outre
que la
plupart des groupes de l'ouest amazonien poss
dant es fltes sacres possdent aussi
un
systme de
segmentation
sociale de
type
lignager, clanique ou proche, avec une forte
emphase
sur
la filiation
patrilinaire,
en
contraste avec la parent cognatique qui prvaut ailleurs en Amazonie.
l'exception
de Reichel-Dolmatoff (1989), les auteurs qui se sont
penchs sur la
question ont
unanimement
associ les fltes
un culte masculin,
allant
jusqu' parler d'un
culte des
anctres. Il ne faudrait cependant pas conclure
que
les rituels
yurupari
se dterminent
exclusivement par
rapport
la filiation ; ils produisent aussi de l'alliance travers les
changes
crmoniels.
En
ce sens,
les fltes sacres
ralisent sans
doute
assez bien
l'articulation
des
principes
de
filiation
et
d'alliance,
mme
si
elles
sont
plus explicit
ementarques du ct de la filiation
(Arhem,
1981).
cet
gard, Hugh-
Jones (1993)
propose
d'introduire
la notion de socit maison pour
caractriser
ce type
d'organisation
sociale, plus proche selon lui
des conceptions
indignes que la notion
d'unifiliation.
Soit,
mais
que faire alors des Piaroa et des socits du
haut-Xingu
qui
n'ont aucune
forme
de
segmentation
sociale
dfinie en terme
de
filiation ou
de
maison
,
et
qui
ont pourtant les
fltes ?. Dans le cas
des
Piaroa,
il
serait intressant
de
reprendre l'ide
dveloppe par
Overing
(1993) de l'existence de
clans
mortuaires,
peu oprationnels
il
est vrai dans la vie de tous les jours,
mais
regroupant, chacun, les
membres dcds d'un mme clan dans l'au-del. L'association possible des fltes
et
des
morts
apparat
ici
d'autant
plus
fascinante
que
les
anciens
Saliva
associaient
les
instruments sacrs
leurs crmonies funraires. Dans le cas du haut-Xingu, l inst
itution, commune
cette
aire,
des
maisons des
hommes
(dans lesquelles
taient
dposes les
fltes), pourrait
galement
fournir
une piste intressante explorer.
Schaden
(1959)
avait
dj
soulign l'intrt qu'il
y aurait
tudier conjointement
la
religion
du Yurupari
et l'institution
de
la maison des hommes
en
Amrique
du
Sud. Des
recherches
futures
diront si
ces
remarques sont pertinentes. En attendant,
tout
se
passe
comme
s'il existait un lien entre la
possession des
instruments, la
conservation
des os, la
mmorisation
des morts et une
conception
disons
unili-
naire
de la socit.
L'expression
d'une continuit, d'une permanence au del des
gnrations
qui se
succdent,
travers
les
restes
mortuaires
et
les fltes
sacres
(avec
leurs
doubles
funrailles successives aprs chaque rituel) invite
rflchir
sur la production, dans
ces socits, d'une
certaine
forme
de
mmoire que l'on peut imaginer quelque
peu
diffrente
de
celle prsente dans les socits
cognatiques,
plus soucieuses de
gommer
de
leur
mmoire toute rfrence aux morts. Peut-tre pourrait-on voir dans ces formes
diverses
de
relation
aux morts l'indice du
passage
d'une conception cyclique du temps
une
conception, non
pas vraiment
historique, mais cumulative d'un temps qui
s ajoute, comme
des lments
qui s'empileraient les
uns sur
les
autres : une
chronolog
i ndigne en somme. Cette ide
a
t
fouille
par
Wright
(1