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Les signatures des Marca : reflets de la production d'une dynastie ?
« […] [J]’ai lu moi-même leur nom avec le millésime
au pied du maître-autel à gauche sur le revers »1.
À l’occasion de la seconde journée d’étude orientée vers la question de la signature, la
notion d'atelier ou celle du maître et de l’élève, je me suis intéressé aux signatures répertoriées
lors des recherches sur les sculpteurs Marca2. Une quinzaine d’artistes qui œuvrent dans le
Piémont et dans l’Est de la France entre le XVIIe siècle et le XIXe siècle. En effet, ces travaux
m’ont permis de relever quelques signatures sur le mobilier et les décors en stuc inventoriés,
mais aussi au bas de pièces d’archives, comme les marchés, les testaments ou encore les actes
de baptême et les inventaires après décès.
« Signer est notre lot commun »3, écrivait Béatrice Fraenkel dans la préface de son
étude consacrée à la question de la signature entre le VIe siècle et le XVIe siècle. Selon le
sociologue de l’art Pascal Ancel : « [s]igne de présentation de soi, pour tout artiste, la
signature est le lieu où il tente faire « tenir » ensemble les aspects fondamentaux de son
identité […] »4. Il déclarait également que :
Ce « phénomène » doit être examiné sous ces aspects historiques, sociaux, psychologiques et juridiques. La signature est certainement un objet bon à penser pour le sociologue, mais de par sa nature même son analyse ne peut être exclusivement sociologique5.
1 Extrait d’une note du curé Fetel qui en 1834 fait restaurer l’église de Mont-lès-Etrelles, en Haute-Saône. Se référer à Charles-Henri LERCH, « Décorations en stucs des Marca », in Vieilles Maisons Françaises, n°37, 1968, p. 65. 2 Mickaël ZITO, Les Marca (fin XVIIe – début XIXe siècles). Itinéraires et activités d’une dynastie de stucateurs piémontais en Franche-Comté et en Bourgogne, thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la direction de Paulette Choné, Université de Bourgogne, Centre de recherches CPTC, 2013, multig. 3 Béatrice FRAENKEL, La signature. Genèse d’un signe, Paris, 1992, p. 7. 4 Pascal ANCEL, « Noms de scène, noms de guerre dans l’art contemporain. De qui le pseudonyme est-il le nom ? », in JAN-RÉ Mélody (dir.), Créations : Le genre de l’œuvre, actes du colloque international organisé par le MAGE-CNRS, Paris, 20-21 septembre 2011, volume 2, Paris, 2012, p. 12. 5 Pascal ANCEL, « La signature d’artiste. Prétexte à l’indiscipline », in GAUDEZ Florence (dir.), Transversalités de l’altérité : Comment peut-on être socio-anthropologue aujourd’hui ? Autour de Pierre Bouvier, actes du colloque organisé par le Laboratoire de Sociologie de Grenoble EMC2-LSG, Grenoble, 2010, Paris, 2013, p. 137.
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Partant de ce postulat, l’historien de l’art ne pouvait-il pas lui aussi extraire de ce
« signe »6 des informations non plus destinées à la réflexion stylistique, mais se révélant
précieuses quant à la compréhension des pratiques et du comportement d’un groupe ou d’une
dynastie d’artistes ? Ainsi grâce à « différents exemples sélectionnés […] dégager quelques
thèmes de réflexion »7. D’ailleurs, Daniel Arasse pensait que la signature considérée comme
un détail constituait, « […] pour l’historien, le lieu d’une expérience qui n’est secondaire
qu’en apparence »8.
Le but de cette communication est de voir s’il est possible de mettre en rapport la
forme et l’évolution des signatures des sculpteurs des différentes générations avec
l’organisation et le comportement des membres de la famille Marca au fil des générations.
Pour se faire, les signatures de huit sculpteurs, – Joseph Jacques (Giuseppe Giacomo), Jean
Antoine (Giovanni Antonio), Jacques François (Giacomo Francesco), Joseph Antoine
(Giuseppe Antonio), Jean Baptiste I (Giovanni Battista I), Joseph Marie (Giuseppe Maria),
Jean Baptiste II (Giovanni Battista II) Pierre Jacques (Pietro Giacomo), Charles (Carlo) –, ont
été prises en considération.
Il s’agit d’une démarche originale appliquée à une famille précise, mais qui pourrait être
étendue à d’autres dynasties d’artistes. Exploiter ces signatures de façon élargie et dépasser le
stade de l’outil facilitant les attributions et les datations permet de les envisager comme le
reflet des pratiques et du comportement d’un groupe d’artistes. Il est question d’adopter un
point de vue sociologique voire ethnologique, de mieux comprendre cette dynastie et de
mettre en lien des faits historiques avec les observations faites lors de l’analyse des signatures.
Variété de signatures sur les œuvres : l’exemple de Jean Antoine Marca.
Malgré l’importante production de cette famille, le pourcentage d’œuvres signées est
très faible. Pour plusieurs artistes, – Jacques, Jacques François et Joseph Antoine –, il n’a été
retrouvé qu’un exemple. Seul un artiste fait figure d’exception. Il s’agit de Jean Antoine
Marca pour lequel plusieurs signatures ont été inventoriées. Il apparaît donc comme un cas à
part, bien que cela puisse être lié en grande partie aux aléas de l’histoire : destructions ou
6 Béatrice FRAENKEL, op. cit. 7 Pascal ANCEL, in JAN-RÉ Mélody (dir.), op. cit., p. 18. 8 Daniel ARASSE, Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, 1996, p. 6.
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interventions et restaurations successives sur les œuvres ayant mené à la disparition des
signatures. Sa signature a été retrouvée sur cinq œuvres, quatre en Italie et une en France, qui
chronologiquement couvrent l’ensemble de sa carrière.
À Bettole Sesia, en 1687, Jean Antoine peint sur un des demi-chapiteaux de la nef :
« IOANES/ ANTONIVS/ MARCHA/ DE. CHAMPER/ TONV. F // », c’est-à-dire
« Giovanni Antonio Marcha di Campertogno Fecit9 ». (ill. n°1). En 1717, il signe de façon
beaucoup plus simple le retable de Bletterans sur lequel il grave, de part et d’autre à la base
des colonnes, la date, les initiales de son prénom et son nom « I. A. MARCA », soit « Iovanni
Antonio Marca ». Il adopte une formule très proche à Postua, dans le Piémont, où il travaille
dans les mêmes années. En effet, il est possible de lire, gravé sous l’ange placé à droite de
l’autel, « A. MARCHA F. » (ill. n°2). Enfin, nous pensons pour des raisons chronologiques et
stylistiques qu’il est également l’auteur des antependia des églises Sant’Antonio et San
Lorenzo de Sostegno dans le Piémont. Deux de ces œuvres sont signées, cependant les
signatures peintes sur le côté des autels n’apportent plus les mêmes indications quant à
l’identité du sculpteur. Dans les deux cas le prénom de l’artiste a disparu et nous lisons dans
l’église Sant’Antonio : « Il Marcha di Valle Sesia », soit « Le Marcha de Valsesia » et dans
celle dédiée à San Lorenzo : « 1728 Marcha (fecit ou pinxit10 ?) » (ill. n°3 et n°4). Au XVIII e
siècle, il est omniprésent dans cette région du Piémont. Son seul nom de famille, alors que son
père est mort et que ses fils travaillent sous ses ordres, est peut-être suffisant. D’ailleurs, il
apparaît comme « mastro Antonio di Campertogno » dans les livres de compte de Valdengo
ou de Casapinta11, preuve peut-être que sa notoriété permet de n’évoquer que son prénom et
son village d’origine.
Notre première constatation est que les signatures ne sont jamais les mêmes. D’une
part l’artiste n’inscrit pas toujours les mêmes données sur son œuvre. Le prénom et le nom
peuvent apparaître complétement alors que parfois il se contente d’une ou plusieurs initiales
voire d’une mention de son nom alors que ses origines ne sont pas toujours rappelées. Il
emploie également une forme latine à la fin du XVIIe siècle qui disparaît au siècle suivant.
D’autre part, les signatures peuvent être peintes comme à Bettole Sesia ou à Sostegno, mais
également gravées dans le stuc, comme à Bletterans et à Postua.
9 « Jean Antoine Marca de Campertogno fecit ». 10 Le recouvrement est difficile. Le terme « pinxit » est envisageable dans la mesure où il s’agit d’une technique de stuc peint et non coloré au moment de la préparation. Se référer à la seconde partie de la thèse de l’auteur. 11 Delmo LEBOLE, Storia della chiesa biellese. La pieve di Cossato, vol.II, Biella, 1982, p. 190.
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Par ailleurs, la localisation même de la signature ne répond d’aucun caractère
systématique. Elle peut se trouver en hauteur sur un demi-chapiteau, sur la face latérale d’un
autel ou face aux fidèles sur un piédestal ou sur la base d’une colonne.
D’un point de vue plus général, sur l’ensemble de la production des Piémontais, nos
observations tendent dans la même direction. Il n’y a pas de cohérence dans la forme, ni
même dans la localisation de ces signatures, ou peut-être une légère préférence pour le
retable. En effet, Jacques signe sur un autre demi-chapiteau à Bettole Sesia en 1697(ill. n°5),
Jacques François grave « J F MARCA 1737 » sur le retable de Montigny-lès-Vesoul (ill. n°6)
alors que son frère Joseph Antoine peint son nom, son prénom et la date sur le retable
d’Avilley (ill. n 7). Or à Mont-les-Etrelles, comme le rappeletait le curé Fétel12, elle est placée
sur le maître-autel.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la valeur de la signature et la façon dont les
artistes prenaient cette dernière en compte. S’il est difficile d’évoquer la présence
systématique ou non de la signature, il est intéressant de se demander pourquoi ne signaient-
ils pas toujours de la même façon. L’exemple de Jean Antoine est probant. Une autre
interrogation est celle de l’emplacement de la signature. Il est difficile d’évoquer le caractère
ostentatoire, la signature étant parfois dissimulée, comme à Mont-les-Etrelles, où l’artiste
avait signé « […] au pied du maître-autel à gauche sur le revers13».
De plus, il n’a pas été possible d’établir un lien particulier entre la forme de la
signature et l’importance de la commande. Le caractère aléatoire semble être la piste à
privilégier. Ainsi la signature de la chapelle du sanctuaire de Postua et proche de celle trouvée
sur le retable de Bletterans. Pourtant le chantier de Postua s’inscrit dans un ensemble de
constructions rendant hommage à la Vierge Marie et apparaît comme une commande plus
prestigieuse que celle du retable de Bletterans.
La signature comme indicateur du statut d’un artiste.
Certains actes ne comportent qu’une signature alors que sur d’autres pièces d’archives
plusieurs artistes ont apposé leurs noms.
Le premier cas de figure se vérifie systématiquement avec Jean Antoine. Or, j’ai
démontré que les Marca travaillent en famille et généralement, le ou les fils opèrent avec leur
12 Charles-Henri LERCH, op. cit., p. 65. 13 Idem.
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père et fréquemment les neveux accompagnent leurs oncles. Ils s’inscrivent donc dans un
système d’organisation familiale hiérarchisée qui est commune aux familles de stucateur et
même plus largement aux ateliers d’artistes. En 1687, Jean Antoine travaille avec son père à
Bettole Sesia dans le Piémont. Quelques décennies plus tard à Boult en Haute-Saône, il est
accompagné d’un de ses fils. Jacques François et son frère Giovanni Battista I adoptent
également ce fonctionnement. Or, malgré la présence des fils ou d’autres proches, seul le chef
de l’équipe, le plus expérimenté et qualifié de maître dans les documents, signe. Nous voulons
donc y voir un reflet de cette hiérarchie familiale. Cette figure est garant de l’ensemble de
l’équipe. De ce fait, lors de l’accord passé entre le prince de Bauffremont, installé à Scey-sur-
Saône, et Jacques François Marca au sujet des travaux à réaliser par Jacques François et son
fils Antoine François au château de Scey-sur-Saône seul Jacques François signe le document.
Son fils Antoine, bien que présent en Franche-Comté, n’appose jamais sa signature près de
celle de son père.
La seconde constatation est que lorsque plusieurs sculpteurs confirmés et qualifiés de
maîtres collaborent, tous apposent leur signature sur les documents. C’est le cas à Champlitte,
où Jacques François et son frère Jean Baptiste I, de passage en Haute-Saône, signent le
marché du retable commandé par les sœurs de l’Annonciade14.
A la fin du XVIIIe siècle, plusieurs sculpteurs Marca vivent à Besançon et trois d’entre
eux jouissent du statut de maître. Deux sont inscrits comme tels dans la corporation alors que
le troisième est mentionné dans les documents comme tel. Il s’agit des frères Joseph Marie et
Jean Baptiste II et de leur cousin Charles qui signent conjointement plusieurs documents
(ill. n°8). Ce comportement illustre l’importance de la hiérarchie et le respect du statut de
chacun. Les maîtres se placent à un niveau d’égalité et signent ensembles. D’ailleurs les
comptes du chantier de l’hôtel de Lavernette, qu’ont mené les frères Marca entre 1789 et
1792, montrent que le salaire varie selon la qualification des artistes. Sans surprise, les maîtres
qui signent reçoivent les salaires les plus hauts. Les Marca peuvent gérer plusieurs chantiers et
se remplacer. Les signatures varient, mais ce sont toujours les maîtres qui signent. C’est le cas
par exemple pour les travaux confiés au Marca lors de la construction du théâtre de
Besançon15 ou de l’hôtel de Lavernette16 (ill. n°9). Par ailleurs, cette idée est confortée par le
fait que Pierre Jacques Marca vivant à Besançon avec son frère Joseph Marie et pratiquant la
même profession, mais qui ne figure pas comme maître dans la corporation ne signe jamais
14 A.D.H.S. 2e 4187. 15 A.D.D. 1C 2404, Salle de spectacles (1775-1783). 16 A.D.D. 7F1, Titres de propriétés des immeubles successifs du n°1 de la rue du Lycée (1652-1784).
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les marchés. Il en va de même pour le jeune Pierre Jean Baptiste II, fils de Jean Baptiste II.
Ainsi, nous pouvons nous demander si les deux signatures de Bettole Sesia laissées sur les
stucs par les artistes en 1687 n’indiquent pas une collaboration entre Jacques et son fils Jean
Antoine Marca, affranchi du patronage de son père et devenu un artiste indépendant (ill. n°1
et n°5)?
Les signatures reflètent-elles le comportement des sculpteurs des différentes
générations ?
C’est en observant les signatures apposées sur différentes pièces d’archives que nous
nous sommes rendu compte que celles de Jean Antoine et de son fils Jacques François sont en
italien alors que celles des sculpteurs des générations suivantes, actifs entre la fin du XVIIIe
siècle et le début du XIXe siècle, sont en français. En 1716, Jean Antoine Marca récemment
arrivé en Franche-Comté apposait son nom au bas de deux marchés pour les retables latéraux
de l’église paroissiale de Villevieux, dans le Jura. Dans les deux cas nous lisons : « Jo
mas[tro] Jouan Antonio Marcha » et « Mas[tro] Jouan Antonio Marcha »17 (ill. n°10). En
1742 et en 1747, son fils signe « Jo Francesco Marca » les contrats pour le mobilier des
églises de Beaujeu18 et de Recologne19 (ill. n°11). En 1754, au bas du marché pour le retable
de Champlitte, il réduit sa signature à « Marca Francesco » alors que son frère inscrit « Jan
Batista Marca » (ill. n°12). Enfin, Joseph Antoine, frère de Jacques François, signe « Joseph
Marca » sur le retable d’Avilley qu’il réalise en 1740 (ill. n°7). Cependant, à l’inverse des
autres artistes évoqués, nous ne disposons d’aucune autre signature et les informations à son
sujet sont rares. Il est donc difficile d’essayer et hasardeux d’en tirer des conclusions.
Quelques décennies plus tard, Joseph Marie et ses frères, Jacques et Jean-Baptiste II,
ou encore leur cousin Charles, adoptent une signature désormais francisée. Ainsi, sur
plusieurs documents, - acte de mariage20, actes de baptême21 et marchés, Joseph Marie laisse
une signature dont la forme varie entre « Joseph » ou « Josef Marie » (ill. n°13), voire « J.
Marca » (ill. n°9). Son frère Jean Baptiste II opte quant à lui pour « G. Battiste » (ill. n°9) ou
17 Que nous pouvons traduire par « Moi maître Jean Antoine Marca » et « Maître Jean Antoine Marca ». 18 A.D.H.S. 2e 5087. 19 A.D.H.S. 2e 2528. 20 A.M.B. GG 29 f°29, 1780. 21 A.M.B. GG 29, f°34, 1781 et A.M.B. GG 30 f°47, 1783.
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« Jan Battiste »22 (ill. n°13), tout comme Charles Marca qui signe indifféremment « Charles
Marca » (ill. n°14) ou « C. Marca » (ill. n°13). En outre, il est extrêmement intéressant et
révélateur de souligner le fait qu’ils ne signent jamais en italien, même durant leurs premières
années en France.
Ce constat permet de souligner une différence comportementale entre les premiers
sculpteurs qui font preuve d’un fort sentiment d’appartenance à une autre communauté, celle
de la Valsesia que beaucoup d’artistes mentionnent comme leur « patria » et les autres qui
semblent démontrer une volonté d’intégration par rapport à la terre qui les accueille. Afin de
comprendre s’il s’agit d’un simple détail ou d’un acte volontaire révélateur d’un
comportement particulier, j’ai cherché des éléments significatifs au sein des données récoltées
lors de la rédaction des biographies des artistes pris en considération23. Il semble bien qu’un
parallèle puisse être tiré entre les vies des artistes et la forme des signatures.
Les artistes dont les signatures sont en italien n’avaient pas le même rapport avec la
France que les sculpteurs arrivés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Jean Antoine était
un travailleur saisonnier et il voyageait entre la France et l’Italie. Son fils, Jacques François,
bien qu’installé une trentaine d’années en Haute-Saône, n’a jamais oublié son village natal et
y retourna à la fin de sa vie. Il envoyait d’ailleurs de l’argent en Valsesia, ce qui n’était pas du
goût de son épouse Charlotte Cressand. Enfin, Jean Baptiste I, rencontré à Champlitte, est
surtout actif dans le Piémont et apparaît de façon sporadique en France.
Ainsi, le choix de conserver une signature italienne semble délibéré. D’autant plus que
Jean Antoine connaissait la version francisée de son prénom dans la mesure où dans le marché
de Villevieux le notaire a écrit « Jean Antoine Marcha » puis « Antoine Marcha ». Il en va de
même pour ses fils, puisque sur les pièces d’archives évoquées leurs noms sont francisés sous
la forme « François Marqua24 » ou « François Marca25 » ou « Jean Baptiste Marca ». Il y a
donc un décalage entre les mentions dans les documents en France, avec une forte tendance à
la francisation des prénoms de la part des rédacteurs, et la conservation des signatures
italiennes de la part des sculpteurs.
22 A.M.B. GG 29 f°29, 1780 et A.M.B. GG 30, f°34, 1781. 23 Mickaël ZITO, ,op. cit., volume III “Annexes”. 24 A.D.H.S., 2e 5087. 25 A.D.H.S. 2e 2528.
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Quelques décennies plus tard, les sculpteurs de la famille Marca montrent un
comportement en partie différent de celui de leurs prédécesseurs, notamment Joseph Marie et
son frère Jacques. En effet, ils donnent, d’une part, plusieurs signes d’intégration et, d’autre
part, de distanciation prise avec leurs origines italiennes. Cependant, qu’il ne s’agit pas d’une
rupture totale dans la mesure où les liens avec l’Italie sont encore existants et très forts. Tout
d’abord, ils investissent en France et plus précisément à Besançon et dans les alentours.
Joseph Marie échange même en 1801 des propriétés à Mollia contre des terrains à Saint-Jean-
de-Losne avec son oncle Antoine Marchetti, un autre sculpteur de la Valsesia26. Autre fait
intéressant, Joseph Marie et Jacques cèdent à leur frère Jean Baptiste II, un temps installé à
Besançon, leurs possessions italiennes héritées de leur père et achètent en commun une
maison à Besançon27. Enfin, dans l’inventaire après décès de Pierre Jean Baptiste II, le notaire
indique « […] quatre tableaux représentant divers sujets qui […] appartenaient aus[ieur]
Marca, père du défunt qui les avait envoyés pour les vendre »28.
Par ailleurs, les Marca avaient pour habitude de se marier avec des femmes issues du
même village ou de la même vallée. Or, seul Jacques François, après le décès de son épouse
italienne et pour des raisons stratégiques, épouse une française avec qui la relation est
compliquée. Il la quitte ensuite pour retourner en Italie. Joseph Marie rompt avec la tradition
familiale en se mariant deux fois, mais avec des comtoises. De plus, les Marca de Besançon
tissent des liens avec d’autres familles d’artisans francs-comtois29. Il n’a pas été possible de le
démontrer pour les générations précédentes. Les relations connues les associent à d’autres
dynasties italiennes dont les Caristie ou les Gabbio.
En outre, il existe une corrélation entre le rapport à la langue française et la forme de
la signature. D’ailleurs, la maîtrise de la langue explique aussi peut-être l’automatisme de
signer en français. Toutes les pièces d’archives tendent à prouver que Jean Antoine et Jacques
François ne maîtrisent pas le français à l’écrit30 et les papiers sont rédigés par une tierce
personne. Par exemple, à la suite des marchés de Villevieux apparaissent les quittances qui
26 A.D.D. 3e34/81, f°58. 27 A.D.D. 3e20/32, f°95. 28 A.D.D. 3e6/16. 29
Parmi les « proches » du piémontais, nous pouvons citer le « gisseur » Henry Bailly, âgé de 41 ans, présent comme témoin à la mort de Pierre Jean Baptiste II Marca en 1820. La signature de ce même Bailly se retrouve sur l’acte de décès de Joseph Marie deux ans plus tard. Un marbrier nommé Charles Perron, âgé de 43 ans, est là lors du décès de Joseph Marie. Trente ans plus tôt, lors du divorce du sculpteur, Claude François Paget paraphait le document officiel en la qualité de témoin de l’italien. 30 L’artiste devait tout de même être en mesure de communiquer avec les commanditaires au moment de définir les conditions du marché.
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attestent des paiements à Jean Antoine. Elles ne sont pas de la main du sculpteur qui « […]
confesse avoir touché et reçu […] la somme de cent quatre[-]vingt livres monnoye du
Royaume à conte des marché […] approuvant la présente quittance quoique escrite par les
mains du S[ieu]r Bouchard curé […]31. Un peu plus loin, après le second marché pour le
deuxième retable, il déclare approuver la « […] présente quoyque d’autre main escritte
[…]32 ».
En revanche, Joseph Marie est capable d’écrire en français et rédige des « […]
mémoires informes, la plupart surannés, des ouvrages de son Etat de Gypseur et Couvreurs
[…]33 ». Charles Marca est également capable d’écrire en français ainsi que le prouvent deux
pièces d’archives relatives à ses interventions sur les retables de Scey-sur-Saône en 1771.
Désormais le recours à une tierce personne n’est plus nécessaire. D’artistes ne signant même
pas en français, nous passons à des artistes capables de rédiger en français. Il s’agit bien là
d’une différence importante entre les sculpteurs qui se considèrent de passage et les autres
dont l’installation à Besançon est plus longue, voire même définitive.
31 A.D.J. 5e 286-159. 32 A.D.J. 5e 286-159. 33 Documents aujourd’hui perdus, mais que mentionne le notaire au moment de la rédaction de l’inventaire après décès de Joseph Marie en 1822. A.D.D. 3e20/32, f°95, inventaire après décès de Joseph Marie Marca dressé par le notaire Jean-Baptiste-Joseph Bélamy entre le 18 Février et le 24 Février 1822.
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Illustration n°1 , Signature de Jean Antoine Marca, église du Santo Nome di Maria, Bettole Sesia (Piémont).
Illustration n°2 , Signature de Jean Antoine Marca, Chapelle du sanctuaire de l’Addolorata, Postua (Piémont).
Illustration n°3 , Signature attribuée à Jean Antoine Marca, église Sant’Antonio, Sostegno (Piémont).
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Illustration n°4 , Signature attribuée à Jean Antoine Marca, église San Lorenzo, Sostegno (Piémont).
Illustration n°5 , Signature de Jacques Marca, église paroissiale du Santo Nome di Maria, Bettole Sesia (Piémont).
Illustration n°6 , Signature attribuée à Jacques François Marca, église Saint-Laurent, Montigny-lès-Vesoul (Haute-Saône).
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Illustration n°7 , Signature de Joseph Antoine Marca, église Saint-Symphorien, Avilley (Doubs).
Illustration n°8 , Signatures de Joseph Marie et de Jean Baptiste Marca, lettre de l’architecte Bertrand adressée à François-Félix Bernard Terrier, 25 septembre 1788.
Reproduite dans BERTRAND Claude, Un château néo-classique en Franche-Comté : Moncley, mémoire de Maîtrise préparé sous la direction de C. Derozier, Besançon, 1977, pp. 65-66.
Illustration n°9 , Signatures de Jean Baptiste et de Joseph Marie Marca, paiements pour différents ouvrages exécutés à l’hôtel de Lavernette (Besançon, Doubs), 1792,
A.D.D. 7F1 titres de propriétés des immeubles successifs du n°1 de la rue du Lycée (1652-1784).
Illustration n°10 , Signature de Jean Antoine Marca, marché pour un des retables de l’église de Villevieux (Jura), 1717, A.D.J. 5e 286-159.
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Illustration n°11 , Signature de Jacques François Marca, marché les retables de l’église de Recologne (Doubs), 1747, A.D.H.S. 2e 2528.
Illustration n°12 , Signatures de Jacques François et Jean Baptiste I Marca, marché le retable de l’église des Annonciades de Champlitte (Haute-Saône), 1754, A.D.H.S. 2e 4187.
Illustration n°13 , Signatures de Joseph Marie (1ère ligne), Jean Baptiste (4ème ligne) et Charles Marca (2nde ligne), acte du mariage de Joseph Marie Marca, 1780, AMB, GG 29, f°29.
Illustration n°14 , paiements à Charles Marca pour les travaux faits dans l’église de Scey-sur-Saône (Haute-Saône), 1771, ADHS, 482 esupp 37.
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Bibliographie
ANCEL Pascal, « La signature d’artiste. Prétexte à l’indiscipline », in GAUDEZ Florence (dir.),
Transversalités de l’altérité : Comment peut-on être socio-anthropologue aujourd’hui ? Autour de
Pierre Bouvier, actes du colloque organisé par le Laboratoire de Sociologie de Grenoble EMC2-LSG,
Grenoble, 2010, Paris, 2013, pp. 133-143.
ANCEL Pascal, « Noms de scène, noms de guerre dans l’art contemporain. De qui le pseudonyme est-il
le nom ? », in JAN-RÉ Mélody (dir.), Créations : Le genre de l’œuvre, actes du colloque international
organisé par le MAGE-CNRS, Paris, 20-21 septembre 2011, volume 2, Paris, 2012, pp. 11-28.
ARASSE Daniel, Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, 1996.
BERTRAND Claude, Un château néo-classique en Franche-Comté : Moncley, mémoire de Maîtrise
préparé sous la direction de C. Derozier, Besançon, 1977.
FRAENKEL Béatrice, La signature. Genèse d’un signe, Paris, 1992.
LEBOLE Delmo, Storia della chiesa biellese. La pieve di Cossato, vol.II, Biella, 1982, p. 190.
LERCH Charles-Henri, « Décorations en stucs des Marca », in Vieilles Maisons Françaises, n°37, 1968, pp.65 à 70.
ZITO Mickaël, Les Marca (fin XVIIe – début XIXe siècles). Itinéraires et activités d’une dynastie de
stucateurs piémontais en Franche-Comté et en Bourgogne, thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la
direction de Paulette Choné, Université de Bourgogne, Centre de recherches CPTC, 2013, multig.