les stagiaires en entreprise: une chance ou une charge?

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25 L a loi du 28 juillet 2011 ren- force l’encadrement légal des stages en entreprise. Des garde-fous Pour protéger le stagiaire, un stage en entreprise ne peut avoir pour objet ou finalité l’exécution d’une tâche régulière relevant d’un poste de travail permanent. La durée des stages d’un stagiaire au sein d’une même entreprise ne peut excéder 6 mois par année d’enseignement (sauf dérogation et dans des condi- tions à fixer par décret lorsque le sta- giaire part « en année de césure »). Une exception est prévue pour les étudiants dont le cursus universi- taire prévoit des stages de 10 à 12 mois (en particulier pour les pro- fessions réglementées) en cas de cur- sus pluriannuels de l’enseignement supérieur. En outre, si l’entreprise accueille successivement plusieurs stagiaires sur le même poste, une vacance équivalente au 1/3 du temps du stage précédent doit être respectée… Cette disposition rap- proche le stagiaire du travailleur sous contrat à durée déterminée ou contrat de travail temporaire. Les avantages du stagiaire Le stagiaire a droit à une gratification à partir de 2 mois de stage (même non consécutifs) dans la même année scolaire ou universitaire. Son montant est fixé par la convention de branche ou l’accord professionnel ou par décret (son montant horaire ne peut être inférieur à 12,5 % du pla- fond horaire de la sécurité sociale). Ne s’agissant pas d’un salaire, elle est exonérée de cotisations et contri- butions sociales. Le stagiaire a accès aux activités sociales et culturelles des comités d’entreprise comme les salariés. La durée de son stage est prise en compte dans sa période d’essai si on lui propose un contrat de travail dans les 3 mois suivant la fin du stage : la période d’essai sera amputée de la totalité de la durée du stage si l’embauche correspond à des activités qu’il a exercées. Enfin, au- delà de 2 mois, la durée du stage est prise en compte pour le calcul de son ancienneté s’il est devenu salarié de l’entreprise. Les obligations de l’entreprise La loi du 28 juillet 2011 rend parti- culièrement risqués les stages longs, généralement organisés pendant les « années de césure » de plus en plus imposés par les cursus pédagogiques des étudiants. Elle prévoit le cas «  des stages qui sont prévus dans le cadre d’un cursus pluriannuel de l’enseigne- ment supérieur » et la problématique des années de césure au travers « des activités visant exclusivement l’acqui- sition de compétences en liaison avec cette formation » s’agissant de sta- giaires interrompant momentané- ment leur formation afin d’exercer ces activités (art. L. 612-9 du Code de l’éducation). Mais le décret qui doit déterminer « l’année de césure » et le « cursus pédagogique plurian- nuel » n’est pas paru… De plus, l’obligation de l’entreprise de respec- ter un délai de carence crée le risque de ne plus pouvoir accueillir de sta- giaires à certains postes vacants, sans violer la loi et voir requalifier le stage en contrat de travail. Les stages de « découverte » de quelques semaines en été (d’obser- vation) sont, depuis le décret du 25 août 2010, prohibés comme étant « hors cursus », beaucoup d’établisse- ments d’enseignement interdisant à leurs étudiants d’effectuer ces stages. Nombreux sont ceux qui souhaitent rétablir cette exception au principe d’interdiction des stages hors cursus : il ne s’agit pas de pourvoir un emploi permanent, ni de cantonner les étu- diants dans une forme de précarité. L’entreprise risque aussi de voir requalifier le stage en contrat de travail à durée indéterminée si les conditions posées par la loi ne sont pas respectées. Enfin, les stagiaires sont désormais couverts contre accidents du tra- vail, maladies professionnelles et Les stagiaires en entreprise : une chance ou une charge ? Depuis la loi du 28 juillet 2011 « pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels », certains principes fondamentaux de la pratique des stages en entreprise sont consacrés, et le statut du stagiaire s’en trouve renforcé. Cela constitue une avancée indéniable pour les étudiants, mais complique aussi la gestion de cette population d’étudiants dans l’entreprise. Stéphane Lataste, avocat associé Stéphane Lataste est associé, cofondateur du cabinet Stasi Chatain & Associés. Il intervient en matière de droit social ainsi qu’en droit civil et en droit de la responsabilité professionnelle. Il est titulaire du certificat de spécialisation en droit social. SUR L’AUTEUR

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Page 1: Les stagiaires en entreprise: une chance ou une charge?

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L a loi du 28 juillet 2011 ren-force l’encadrement légal des stages en entreprise.

Des garde-fousPour protéger le stagiaire, un stage en entreprise ne peut avoir pour objet ou finalité l’exécution d’une tâche régulière relevant d’un poste de travail permanent. La durée des stages d’un stagiaire au sein d’une même entreprise ne peut excéder 6 mois par année d’enseignement (sauf dérogation et dans des condi-tions à fixer par décret lorsque le sta-giaire part « en année de césure »). Une exception est prévue pour les étudiants dont le cursus universi-taire prévoit des stages de 10 à 12 mois (en particulier pour les pro-fessions réglementées) en cas de cur-sus pluriannuels de l’enseignement supérieur. En outre, si l’entreprise accueille successivement plusieurs stagiaires sur le même poste, une vacance équivalente au 1/3 du temps du stage précédent doit être respectée… Cette disposition rap-proche le stagiaire du travailleur sous contrat à durée déterminée ou contrat de travail temporaire.

Les avantages du stagiaireLe stagiaire a droit à une gratification à partir de 2 mois de stage (même non consécutifs) dans la même année scolaire ou universitaire. Son montant est fixé par la convention de branche ou l’accord professionnel ou par décret (son montant horaire ne peut être inférieur à 12,5 % du pla-fond horaire de la sécurité sociale). Ne s’agissant pas d’un salaire, elle est exonérée de cotisations et contri-butions sociales. Le stagiaire a accès aux activités sociales et culturelles des comités d’entreprise comme les salariés. La durée de son stage est prise en compte dans sa période d’essai si on lui propose un contrat de travail dans les 3 mois suivant la fin du stage : la période d’essai sera amputée de la totalité de la durée du stage si l’embauche correspond à des activités qu’il a exercées. Enfin, au-delà de 2 mois, la durée du stage est prise en compte pour le calcul de son ancienneté s’il est devenu salarié de l’entreprise.

Les obligations de l’entrepriseLa loi du 28 juillet 2011 rend parti-culièrement risqués les stages longs,

généralement organisés pendant les « années de césure » de plus en plus imposés par les cursus pédagogiques des étudiants. Elle prévoit le cas «  des stages qui sont prévus dans le cadre d’un cursus pluriannuel de l’enseigne-ment supérieur » et la problématique des années de césure au travers « des activités visant exclusivement l’acqui-sition de compétences en liaison avec cette formation » s’agissant de sta-giaires interrompant momentané-ment leur formation afin d’exercer ces activités (art. L. 612-9 du Code de l’éducation). Mais le décret qui doit déterminer « l’année de césure » et le « cursus pédagogique plurian-nuel » n’est pas paru… De plus, l’obligation de l’entreprise de respec-ter un délai de carence crée le risque de ne plus pouvoir accueillir de sta-giaires à certains postes vacants, sans violer la loi et voir requalifier le stage en contrat de travail.Les stages de « découverte » de quelques semaines en été (d’obser-vation) sont, depuis le décret du 25 août 2010, prohibés comme étant « hors cursus », beaucoup d’établisse-ments d’enseignement interdisant à leurs étudiants d’effectuer ces stages. Nombreux sont ceux qui souhaitent rétablir cette exception au principe d’interdiction des stages hors cursus : il ne s’agit pas de pourvoir un emploi permanent, ni de cantonner les étu-diants dans une forme de précarité.L’entreprise risque aussi de voir requalifier le stage en contrat de travail à durée indéterminée si les conditions posées par la loi ne sont pas respectées.Enfin, les stagiaires sont désormais couverts contre accidents du tra-vail, maladies professionnelles et

Les stagiaires en entreprise : une chance ou une charge ?Depuis la loi du 28 juillet 2011 « pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels », certains principes fondamentaux de la pratique des stages en entreprise sont consacrés, et le statut du stagiaire s’en trouve renforcé. Cela constitue une avancée indéniable pour les étudiants, mais complique aussi la gestion de cette population d’étudiants dans l’entreprise.

Stéphane Lataste, avocat associé

Stéphane Lataste est associé, cofondateur du cabinet Stasi Chatain & Associés. Il intervient en matière de droit social ainsi qu’en droit civil et en droit de la responsabilité professionnelle. Il est titulaire du certificat de spécialisation en droit social.

SUR L’AUTEUR

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LES POINTS CLÉSLa loi du 28 juillet 2011 a mis fin aux dérives liées au fait que les stages en entreprise n’étaient pas encadrés en :

améliorant les conditions de vie et le statut des stagiaires

prévoyant l’information et le contrôle des stages

renforçant les obligations des employeurs.

Le respect, la considération, la transmission du savoir-faire dont aura su faire preuve l’entreprise d’accueil marqueront durablement l’esprit des stagiaires et contribueront à véhiculer une bonne image de l’entreprise.

Par Stéphane Lataste, avocat associé. Stasi Chatain & Associés

accidents de trajet, que le stage soit obligatoire ou facultatif, de courte ou longue durée.Les stages donnent aussi droit à des cotisations de retraite au-delà d’une certaine rémunéra-tion (1 017,09 € en 2011). En revanche, les stagiaires ne cotisent pas au régime de retraite complé-mentaire Agirc-Arrco.

Le contrôle des tiersDésormais, les entreprises ne doivent plus se contenter de tenir une liste des conventions de stage, mais un véritable registre (dont on attend la description par décret). En outre, dans les entreprises de plus de 300 salariés, le comité d’entreprise doit être informé au moins chaque trimestre du nombre de stagiaires accueillis par l’entreprise, des tâches confiées et des conditions d’accueil. Dans les autres, le rapport unique sur la situation économique de l’entreprise doit communiquer le nombre et les conditions d’accueil des stagiaires.L’ANI, prévoit une information sur « les causes de rupture » éventuelles des stages.

Un rapport gagnant-gagnantL’intégration des stagiaires aux effec-tifs de l’entreprise suppose qu’ils respectent le règlement intérieur et devrait leur permettre de bénéficier des mesures destinées à prévenir har-cèlement et discrimination.Le respect du règlement intérieur impose aussi le respect des règles sur la durée du travail et les temps de repos. Si la loi ne prévoit cette pro-tection que pour les stagiaires de for-mation professionnelle continue, on

peut considérer que l’étudiant sta-giaire a ici les mêmes droits qu’un stagiaire de formation profession-nelle et encourager les entreprises à étendre ses obligations à cette popu-lation fragile et précaire.Pour les stages de longue durée, une égalité de traitement entre stagiaires et salariés pourrait aussi s’appliquer pour la prise de jours de repos au titre de congés payés et de congé pour événements fami-liaux et autres.Faut-il cotiser aux assurances vieil-lesse, chômage ? Beaucoup d’entre-prises de taille importante le font : cela permet de valoriser l’image de l’entreprise à l’égard du stagiaire qui pourra postuler à un emploi dans l’entreprise et véhiculer à l’extérieur une image positive de celle-ci.

Une chance pour l’entrepriseEntré dans l’entreprise pour apprendre et observer, sans obli-gation de produire, le stagiaire peut ensuite s’immerger dans l’en-treprise pour en devenir un des agents potentiels.Les stages en entreprise des articles L. 612-8 du Code de l’éducation sont intégrés à un cursus pédago-gique (scolaire ou universitaire) et font l’objet, de la part de l’étudiant, d’une restitution écrite donnant lieu à évaluation par ses enseignants.L’entreprise a tout à gagner à faire en sorte que les stagiaires rendent compte positivement de leur expérience, même si, malgré l’ef-fort consenti par ses salariés pour s’occuper de ces étudiants, elle ne peut les embaucher : les stagiaires d’aujourd’hui sont les salariés de demain de l’entreprise.

Chronologie des textes :- la loi du 31/3/2006 oblige les entreprises d’accueil à conclure avec l’établissement d’enseignement, pour les stages intégrés à un cursus pédagogique, une convention tripartite avec l’étudiant stagiaire et à lui verser une gratification au delà de 2 mois

- le décret du 31/1/2008 sur la gratification et le suivi des stages dans l’entreprise et la lettre circulaire de l’ACOS du 29/12/ 2008 précisent les modalités de versement de cette gratification et la possibilité de prolonger la durée du stage par avenant à la convention

- la loi du 24/11/2009 « relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie » étend aux stages d’une durée de 2 mois l’obligation de gratification

- le décret du 25 août 2010 interdit les stages « hors cursus » pédagogique

- l’Accord national interprofessionnel du 7/6/2011 contient 10 articles (9 à 18) sur la problématique du développement du nombre de jeunes en contrat d’alternance dans l’entreprise et l’encadrement des stages

- la loi du 28 juillet 2011 renforce l’encadrement légal de cette pratique

Les règles issues des lois de 2006, 2009 et 2011 sont inscrites dans le Code de l’éducation. Elles ne relèvent pas de la législation du travail (qui ne concerne que les stages de l’enseignement professionnel - visés à l’article L.4153-1 du Code du travail - et les stages relevant de la formation professionnelle continue).