les substances naturelles : le magasin du bon dieu
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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE
LES SUBSTANCES NATURELLES : LE MAGASIN
DU BON DIEU
LâhommesâintĂ©resseauxplantespuisĂ lachimie
Les plantes nous fournissent tout ce dont on a besoin pour vivre. Lâalimentation dâabord, mais bien dâautres choses encore.
Depuis que lâhomme a domestiquĂ© le feu, il brĂ»le des plantes pour se chauffer et amĂ©liore son alimentation en faisant cuire sa nourriture. Aujourdâhui, les plantes nous fournissent aussi des parfums pour les cĂ©lĂ©brations de toutes natures, des mĂ©dicaments, des cosmĂ©tiques pour entretenir notre apparence, des Ă©pices pour agrĂ©menter la vie, etc.
Les plantes, substances
naturelles
Figure 1
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LâhumanitĂ© au cours de tant de siĂšcles de ses pratiques a accumulĂ© une quantitĂ© considĂ©rable de connaissances sur les plantes. Elle a â diffĂ©remment dans chaque partie du monde â appris Ă reconnaĂźtre celles qui soignent, celles qui ont une odeur agrĂ©able, celles qui ont bon goĂ»t etc. Ces connaissances ont Ă©tĂ© transmises de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration.
Ă lâĂ©poque moderne, on sâintĂ©resse Ă ces connaissances pour pouvoir en tirer de nouveaux produits qui viendront enrichir notre vie quoti-dienne et nos activitĂ©s commerciales. Des scientifiques se rendent dans les pays lointains, souvent des pays tropicaux car la nature y est par-ticuliĂšrement riche. Ă partir des informations recueillies sur place, ils sĂ©lectionnent les plantes les plus prometteuses. Ces scientifiques font ainsi ce que lâon appelle lâethnobotanique. La figure 2 rappelle que dans cette dĂ©marche, avant de travailler sur les plantes, il faut travailler avec les personnes. On puise dans la biodiversitĂ© vĂ©gĂ©tale, les ingrĂ©-dients utiles grĂące aux connaissances traditionnelles.
Lâethnobotanique ce nâest pas uniquement la rencontre avec des guĂ©risseurs chamans, câest aussi toute une dĂ©marche dâĂ©tudes de laboratoire. Le travail des chimistes intervient ensuite dans lâidentifi-cation, pour chaque plante, de la molĂ©cule qui lui donne sa propriĂ©tĂ©. Ăventuellement, on la produira ensuite en quantitĂ© importante pour les usages commerciaux.
Ethnobotanique. Des chercheurs vont dans les pays tropicaux et se font expliquer quelles plantes sont intéressantes pour eux. Ils recueillent des échantillons pour les tester dans leur laboratoire (cf. « Chimie, dermo-cosmétique et beauté », EDP Sciences, 2017, p. 67).
Figure 2
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PremiĂšreĂ©tapeduchimiste:identifierle«principe»actifIdentifier la molĂ©cule du principe actifOn sait que tout nâest que molĂ©cule : une propriĂ©tĂ© particuliĂšre de la plante vient donc dâune molĂ©cule quâelle contient. Câest ce que lâon appelle son « principe actif ». Le chimiste sait sĂ©parer la plante en diffĂ©rentes parties â feuilles, Ă©corce, graine, gousse, etc. â et observer celles qui possĂšdent la propriĂ©tĂ© recherchĂ©e.
Ensuite, le chimiste applique les techniques Ă©prouvĂ©es en labora-toire â on chauffe, on dissout, on cristallise, etc. Au bout dâun travail trĂšs long parfois marquĂ© dâĂ©checs, on isole en laboratoire (Fig. 3) la molĂ©cule responsable de la propriĂ©tĂ© intĂ©ressante de la plante : le « prin-cipe actif » a Ă©tĂ© isolĂ© !
En rĂ©pĂ©tant lâopĂ©ration, on peut accumuler des quantitĂ©s suffisantes de la molĂ©cule clef (le principe actif) pour pouvoir lâutiliser. On la conditionne et on la vend. Câest comme cela que sont produits beau-coup de mĂ©dicaments ou de parfums, de cosmĂ©tiques ou dâarĂŽmes. La figure 4 donne une sĂ©rie de mĂ©dicaments faits par cette voie. Il sâagit souvent de mĂ©dicaments anciens. Ils illustrent la variĂ©tĂ© des plantes exploitĂ©es.
Laboratoire de chimie dâautrefois avant
lâinformatique. Les diffĂ©rentes parties
de la plante sont observées et séparées en composants
moléculaires (cf. « La chimie et les sens », EDP Sciences, 2018, p. 97).
Figure 3
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Origine végétale des médicamentsExemple des alcaloïdes
â Extrait de lâopium du pavot en 1806 : Morphine en 1832 : CodĂ©ĂŻne CofenfanÂź (Ă©ther mĂ©thylique de la morphine,
formule en 1881, hĂ©miâ en 1886)â Extrait des Ă©corces du quinquina Quinine : utilisĂ©e contre les fiĂšvres (â en 1824) : QuinimaxÂź antipaludĂ©en Quinidine : utilisĂ©e contre les palpitations : SerecorÂź antiarhytmiqueâ Extrait de la pervenche de Madagascar Vinca-alcaloĂŻdes : anticancĂ©reux : Vinblastine VelbeÂź, Vinorelbine NavelbineÂź
â Extrait de lâergot de seigle : Ergotamine SĂ©glorÂź antimigraineuxâ Extrait de la belladone : 1833 : Atropine : antispasmodique, anti-bradycardies
Quelques exemples :
âą La vanille
Les gousses de lâarbuste « vanille » fournissent un arĂŽme qui a beau-coup de succĂšs. Cela a Ă©tĂ© dĂ©couvert au Mexique en 1520 par les Espagnols. On chauffe les gousses, et on les sĂšche pour dĂ©velopper lâarĂŽme. Le principe actif est « la vanilline », une molĂ©cule reprĂ©sen-tĂ©e sur la figure 5. On sait extraire cette molĂ©cule, ce qui donne une poudre concentrĂ©e qui peut ĂȘtre conditionnĂ©e et se prĂȘte au transport et Ă la conservation. LâarĂŽme « vanille » est devenu le plus utilisĂ© au monde et se vend Ă 8 000 tonnes par an.
âą Lâaframodial
La plante Aframomum Angustifolium (ou maniguette), que lâon trouve Ă Madagascar dâoĂč elle est originaire et dans les rĂ©gions sud-africaines. Elle a Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©e par une dĂ©marche ethnobotanique (Fig. 6) Ă partir de sa rĂ©putation dâĂȘtre bonne pour les soins de la peau. Son pro-duit actif se trouve principalement dans ses fruits (le « longoza ») ou dans ses graines. Lâaframodial, son nom commercial, est aujourdâhui Ă la base dâune ligne de cosmĂ©tiques « anti-Ăąge ».
Des mĂ©dicaments Ă lâorigine vĂ©gĂ©tale.
Figure 4
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Attention : formule chimique !On prĂ©sente dans ce chapitre un certain nombre de molĂ©cules par leur « formule chimique ». Ce nâest pas pour que le lecteur les retienne, ni mĂȘme pour quâil les comprenne en dĂ©tail. Câest pour quâil en rĂ©alise la diversitĂ© et la complexitĂ©.La « formule chimique », telle que prĂ©sentĂ©e sur la figure 5 donne une reprĂ©sentation de la position des atomes de la molĂ©cule (ici la vanilline). Mais elle est simplifiĂ©e : dâabord elle ne prĂ©cise pas la nature de tous les atomes ; ceux qui sont « Ă©vidents » comme les atomes de carbone ou dâhydrogĂšne du squelette de la molĂ©cule ne sont pas nommĂ©s. Ensuite, la formule prĂ©sentĂ©e Ă©tant plane, ne donne aucune indication sur la gĂ©omĂ©trie dans lâespace â la stĂ©rĂ©ochimie (quels atomes sont au-dessus ou au-dessous du plan principal).Elle nâest quâune premiĂšre approche de la molĂ©cule.
La vanilline. Cette molĂ©cule est prĂ©sente dans la « gousse de vanille » de la plante du mĂȘme nom. Elle fournit lâarĂŽme le plus utilisĂ© au monde.
Figure 5
La formule de la vanilline peut ĂȘtre qualifiĂ©e de « relativement simple ». On verra plus loin des for-mules autrement complexes (la vinorelbine ou le taxotĂšre). Le dĂ©fi est, pour les chimistes, de rĂ©ussir Ă fabriquer ces molĂ©cules en laboratoire (voir Encart « Quelques difficultĂ©s de la synthĂšse organique »).
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Les molĂ©cules de la merBien Ă©videmment, ce sont les plantes terrestres qui ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es en prioritĂ©. Cepen-dant, le milieu marin prĂ©sente une vĂ©gĂ©tation tout Ă fait originale, souvent Ă©trangĂšre Ă la photosynthĂšse. Il est susceptible dâoffrir de nou-velles molĂ©cules, de nouvelles opportunitĂ©s pour les produits qui nous intĂ©ressent.
Pourtant il a Ă©tĂ© relativement peu explorĂ© et rĂ©serve probablement de belles surprises. Exemple de la saxitonine, puissant anesthĂ©sique, les composants des Ă©ponges. Extraction de toxines â vidarabine, zico-tinoide, trabectĂ©dine.
La trabectedine
Valorisation dâun produit issu d'organismes marins : la trabectĂ©dine.
Figure 8
Lâaframomum angustinum. Du principe actif Ă la graine et Ă un cosmĂ©tique « anti-Ăąge ».
Figure 6
Patrice AndrĂ© avec des locaux dans un pays Ă©tranger : « Avant de travailler sur des plantes, on travaille dâabord avec dâautres personnes ». La recherche des traditions est une vĂ©ritable enquĂȘte ethnobotanique, une aventure digne dâIndiana Jones !
Figure 7
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Identification de la structure molĂ©culaireSouvent le principe actif de la plante est trĂšs diluĂ©, difficile Ă extraire en quantitĂ© suffisante, Ă©ventuellement instable et ne peut pas suppor-ter le transport. Il est inutilisable sans transformation. LâĂ©tape suivante pour le chimiste est alors dâidentifier sa structure molĂ©culaire pour voir sâil peut le fabriquer en laboratoire.
La chimie organique, nĂ©e au xixe siĂšcle, a fait depuis des progrĂšs gigan-tesques. Elle est ainsi capable de dĂ©terminer la structure molĂ©culaire complĂšte de nombreuses molĂ©cules. Ceci est appliquĂ© aux principes actifs des plantes. Ce travail nâest pas facile, vu la complexitĂ© de ces molĂ©cules. Le dĂ©veloppement des instruments modernes dans les laboratoires (spectromĂ©trie de masse, RMN par exemple) permet main-tenant de le pratiquer de façon courante. Mais on a des surprises : si les principes actifs de lâaframodial, par exemple (Fig. 6), reste raisonna-blement gĂ©rables, que dire de celui de la pervenche de Madagascar ? (Fig. 9) (voir Encart « Attention : formule chimique ! »).
Fleurs de la pervenche de Madagascar. On en extrait de nombreuses molĂ©cules dâintĂ©rĂȘt, dont la vinorelbine, commercialisĂ©e comme mĂ©dicament anticancĂ©reux sous le nom de Navelbine.
Figure 9
Structure de la vinorelbine â Principe actif de la navelbine.
Figure 10
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Pourquoi des formules chimiques ?Les molĂ©cules sont en nombre absolument considĂ©rable â pratiquement infini â et il faut bien les dĂ©signer dâune façon ou dâune autre.La « formule chimique » schĂ©matise lâarrangement entre les atomes sous forme dâun dessin â un diagramme qui reproduit les liaisons chimiques. Ceci est indispensable pour prĂ©voir les propriĂ©tĂ©s chimiques, la façon dont elles vont rĂ©agir avec les autres produits qui seront Ă leur contact â donc les difficultĂ©s de leur conservation. Câest aussi indispensable pour dĂ©finir des mĂ©thodes de synthĂšse de ces molĂ©cules si on a besoin de se les procurer.Ces formules ne sont pas lĂ pour ĂȘtre apprises en dĂ©tail, mais pour faire sentir la complexitĂ© de la chimie du vivant, donner un sentiment sur lâin-finie variĂ©tĂ© que la nature a crĂ©Ă©e et que les chimistes ont su dĂ©couvrir.
SynthĂšseduprincipeactifetidĂ©esnouvelles.LechimistedevientindustrielLa synthĂšse organiqueLa connaissance de la structure molĂ©culaire complĂšte du principe actif permet â en principe â dâen rĂ©aliser la synthĂšse. Mais, fabriquer des molĂ©cules organiques est un travail souvent considĂ©rable (voir Encart « Quelques difficultĂ©s de la synthĂšse organique »).
Dans certains cas, il peut suffire dâapporter de lĂ©gĂšres modifications chimiques au principe actif pour en accroĂźtre lâefficacitĂ© ou la stabilitĂ©. Câest par exemple le cas de lâacide acĂ©tylsalicylique, rendu cĂ©lĂšbre sous le nom dâaspirine (voir Encart « Lâhistoire de lâaspirine, le plus vieux des âmĂ©dicaments modernesâ »).
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Un autre exemple est donnĂ© par la vanilline, Ă©voquĂ©e plus haut et Ă lâorigine de lâarĂŽme de la vanille. La molĂ©cule a Ă©tĂ© identifiĂ©e en 1816, sa structure a Ă©tĂ© Ă©lucidĂ©e en 1874 et elle a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ©e pour la premiĂšre fois en 1876 (Fig. 11). Cette synthĂšse Ă©tait faite Ă partir de lâeugĂ©nol, extrait des clous de girofle. La vanille est aujourdâhui lâarĂŽme le plus utilisĂ© au monde ; les besoins sâĂ©lĂšvent Ă 8 000 tonnes par an alors que lâextraction directe nâen fournit que 2 000. La synthĂšse du « principe actif » a permis de rĂ©pondre Ă la demande.
La mĂ©thode « intellectuellement » la plus gĂ©nĂ©rale serait de recrĂ©er lâarrangement atomique, atome par atome, jusquâĂ rĂ©aliser lâĂ©difice final. Cette approche, dite « synthĂšse totale » se rĂ©vĂšle trĂšs complexe. La liaison dâun atome supplĂ©mentaire sur une structure peut en gĂ©nĂ©-ral se faire sur plusieurs sites â mais il nây en a quâun seul qui soit convenable pour copier la molĂ©cule originale. Comment sâorienter vers le bon choix ? Ce que la nature a fait, le chimiste ne peut le faire que par de nombreuses opĂ©rations â un travail difficile, souvent vouĂ© Ă lâĂ©chec et coĂ»teux.
Schéma de la synthÚse de la vanilline.
Figure 11
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Quelques difficultĂ©s de la synthĂšse organiqueMettre les atomes les uns Ă cĂŽtĂ© des autres comme dans un jeu de construction nâest pas une bonne reprĂ©sentation de la synthĂšse chimique. La formule simple de la molĂ©cule nâen est pas une image suffisamment rĂ©elle. Il existe des complications : par exemple les isomĂšres, qui sont des molĂ©cules de mĂȘmes formules simples mais qui prĂ©sentent des diffĂ©rences dans les arrangements atomiques. Plus subtilement, il existe des « stĂ©rĂ©oisomĂšres » qui ont des structures analogues sauf en ce qui concerne lâorganisation dans lâespace de certaines liaisons.
Et pourtant, lâatome que lâon va vouloir fixer devra lâĂȘtre sur un site bien dĂ©terminĂ© du squelette molĂ©culaire en construction â ce nâest souvent pas celui sur lequel il irait « de lui-mĂȘme » se fixer.
La dĂ©marche utilisĂ©e par les chimistes est de bloquer/dĂ©bloquer certains sites. On « bloque » tous les sites non dĂ©sirĂ©s pour obliger le nouvel atome Ă se mettre correctement. Mais ensuite, dans un deuxiĂšme temps, on dĂ©bloque tous les autres sites pour restaurer le squelette sur lequel on travaille. Puis on recommence avec un nouvel atome ! Pour « simplifier » les choses, il faut rĂ©aliser que les structures molĂ©culaires sont des Ă©difices Ă trois dimensions : il ne suffit pas de fixer un atome sur le bon partenaire, il faut aussi quâil ait la bonne orientation. La synthĂšse dâune molĂ©cule un peu com-plexe peut demander des dizaines dâĂ©tapes et beaucoup dâastuces pour savoir comment bloquer/dĂ©bloquer un site et beaucoup de temps !
La synthÚse totale a été marquée par le prix Nobel 1990 attribué à E.J. Corey.
LâhĂ©misynthĂšsePour simplifier ce travail rĂ©ellement titanesque, les chimistes ont dĂ©ve-loppĂ© une mĂ©thode qui gagne beaucoup dâĂ©tapes (quand elle est possible) : câest lâhĂ©misynthĂšse. Le produit de dĂ©part est une molĂ©-cule dĂ©jĂ issue dâune substance naturelle apparentĂ©e Ă celle que lâon recherche â donc, dans laquelle une bonne partie du travail de syn-thĂšse est dĂ©jĂ faite. Le chimiste traite alors les modifications Ă apporter Ă la structure de dĂ©part â par exemple lâaddition dâun groupe fonction-nel sur un site.
Revenons, Ă titre dâexemple sur la navelbine, Ă©voquĂ©e plus haut. La fleur de cette plante est traditionnellement connue pour apaiser cer-taines douleurs. Le principe actif, Ă©lucidĂ© par plusieurs annĂ©es de tra-vail est prĂ©sentĂ© sur la figure 10. Cette structure compliquĂ©e serait obtenue par une liaison entre deux molĂ©cules plus simples toutes deux prĂ©sentes dans la plante dâorigine. Ce travail a Ă©tĂ© fait : on a pu extraire ces deux molĂ©cules et les lier lâune Ă lâautre en laboratoire. Le produit
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est aujourdâhui commercialisĂ© sous le nom de « Navelbine » et consti-tue un mĂ©dicament anticancĂ©reux trĂšs utilisĂ©.
Le taxotĂšre
La synthĂšse du taxotĂšre (Fig. 14) donne un autre exemple dâhĂ©misynthĂšse.
Le produit recherchĂ© est le taxotĂšre (Fig. 13). Le point de dĂ©part vers sa synthĂšse est la 10-dĂ©sacĂ©tylbaccatine III (DAB) trouvĂ©e dans les feuilles de lâif Ă 1 g/kg, et qui donne par addition dâun groupe dâatomes relativement simple le taxol ou, par une voie lĂ©gĂšrement diffĂ©rente, une autre molĂ©cule, le taxotĂšre. Aujourdâhui, il est utilisĂ© en chimiothĂ©ra-pie anti-cancĂ©reuse ; câest un mĂ©dicament trĂšs recherchĂ©. Câest la simplicitĂ© et le coĂ»t modĂ©rĂ© apportĂ© par lâhĂ©misynthĂšse qui a per-mis ce succĂšs â dĂ» Ă des Ă©quipes françaises (CNRS). Le gain est spectaculaire car le taxol
(lui-mĂȘme anti-cancĂ©reux) ne se trouve que dans les Ă©corces de lâif et Ă une concentration trĂšs faible (environ 100 mg/kg dâĂ©corce) et nĂ©cessite lâabattage des arbres.
Le chimiste permet le développement
de capacités industrielles pour produire médicaments
ou parfums, arĂŽmes etc. destinĂ©s Ă ĂȘtre
commercialisés.
Figure 12
Structure du taxotĂšre.
Figure 13
La synthĂšse du taxotĂšre.
Figure 14
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Lâhistoire de lâaspirine, le plus vieux des « mĂ©dicaments modernes »
Saule blanc et reine-des-prĂ©s Ă lâorigine de lâaspirine.
Figure 15
Hippocrate â le pĂšre grec de tous les mĂ©decins, qui vivait au IVe siĂšcle avant J.-C. disait « La nature est le premier mĂ©decin et ce nâest quâen favorisant ses effets que lâon obtient quelques succĂšs ».Si de nos jours lâaspirine utilisĂ©e est obtenue par synthĂšse chimique, ses principes actifs proviennent donc de la flore commune â la reine-des-prĂ©s et le saule blanc.
LâAspirine en quelques datesâ400 : Hippocrate conseille la tisane de feuilles de saule blanc pour soulager douleurs et fiĂšvres.1763 : utilisation de lâĂ©corce de saule recommandĂ©e par Edward Stone pour soigner les fiĂšvres.1825 et 1829 : isolement de la salicine de lâĂ©corce de saule par Francesco Fontana et Henri Leroux.1835 : prĂ©paration de lâacide salicylique Ă partir de la spirĂ©e par Karl Jakob Löwig.
LâAspirine, mĂ©dicament anti-inflammatoire1853 : synthĂšse de lâacide acĂ©tylsalicylique par Charles FrĂ©deric Gerhard.1897 : production industrielle de lâacide acĂ©tylsalicylique par la firme Bayer (FĂ©lix Hoffmann).1899 : mise sur le marchĂ© de lâaspirine par Bayer (Brevet). Le nom « Aspirin » provient du latin « a spiraea » signifiant « qui provient de la spirĂ©e ».
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Etpourlefutur?Verslestechniquesbiotechnologiques?La nature est le grand modĂšle pour les chimistes qui veulent retrouver en laboratoire les molĂ©cules des plantes. Elle utilise des mĂ©canismes complexes â gĂšnes, enzymes, microorganismes â pour rĂ©aliser toutes les molĂ©cules quâelle prĂ©sente et qui nous fascinent. Copier ces mĂ©ca-nismes â ou dâabord « sâen inspirer » â est une voie trĂšs Ă©tudiĂ©e Ă lâheure actuelle par les chimistes. On espĂšre quâelle permettra dâobte-nir de nouvelles molĂ©cules par des voies beaucoup plus aisĂ©es que nos approches actuelles de constructions purement chimiques.
Un exemple : la fabrication dâun parfum cĂ©lĂšbre tirĂ© de lâambre. Le principe actif de ce parfum est lâambrox. Une molĂ©cule de formule et de structure proches de lâambrox est la molĂ©cule sclarĂ©ol, que lâon trouve dans « la sauge sclarĂ©e ». On a pu identifier dans le gĂ©nome de la sauge, le gĂšne qui permet la synthĂšse de la sclarĂ©e. Les techniques du gĂ©nie gĂ©nĂ©tique ont permis dâextraire ce gĂšne, puis de le transfĂ©rer dans un microorganisme (Escherichia Coli) qui le produit ainsi « natu-rellement ». Une toute nouvelle voie pour fabriquer des molĂ©cules â une voie Ă©tonnante quâil est probablement trop tĂŽt toutefois pour qualifier de « voie dâavenir ». « Attention aux OGM !» ou « Merci les OGM ! » ?
Formule du sclaréol
et schéma de sa synthÚse par voie génétique
(cf. « La chimie et les sens », EDP Sciences, 2018, p.97).
Figure 16
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La synthĂšse chimique est remplacĂ©e par une manipulation de micro-organismes â comme celle que lâon pourrait trouver chez les fabricants de biĂšre. Est-ce que cela se dĂ©veloppera ? Cela dĂ©pend du prix de fabrication et de la force des opposants Ă lâutilisation des OGM !
La progression du nombre de mĂ©dicaments ne va sĂ»rement pas se ralentir. Au dĂ©but du xxe siĂšcle, il existait une centaine de mĂ©dicaments issus de substances naturelles et environ 20 mĂ©dicaments de synthĂšse. Aujourdâhui, ce sont plus de 100 molĂ©cules de synthĂšse. Lâexploration de la biodiversitĂ© est ralentie par ses difficultĂ©s intrinsĂšques ; les mĂ©thodes en dĂ©veloppement seront les bienvenues !
La chimie pour explorer la biodiversité.
Pourquoi les molĂ©cules rencontrĂ©es dans ce chapitre sont-elles toutes compliquĂ©es ? Leur structure peut aller de modĂ©rĂ©ment (lâaframodial) Ă trĂšs compliquĂ©e (la navelbine).
Est-ce obligatoire quand il sâagit de mĂ©dicament, de parfum, arome ou cosmĂ©tique ? La rĂ©ponse est « oui », car elles pro-viennent toutes de substances naturelles â en lâoccurrence de plantes â oĂč elles jouent un rĂŽle â pour le maintien de la vie. Les molĂ©cules de base du vivant â les protĂ©ines, lâADN, etc. â sont toutes trĂšs compliquĂ©es au point de vue chimique. Câest normal : la vie est un miracle de la nature et repose sur des mĂ©canismes complexes. Les molĂ©cules â nos mĂ©dicaments, par-fums, cosmĂ©tiques et aromes â qui interagissent avec elles ont donc Ă©galement besoin de cette complexitĂ© chimique.
La vie dâaujourdâhui nous fait rechercher ces molĂ©cules com-pliquĂ©es, actives pour nos besoins. Le chimiste, on lâa vu est Ă lâinitiative : il isole les molĂ©cules actives qui se trouvent dans les plantes, les identifie, en dĂ©termine la structure molĂ©culaire, dĂ©finit des procĂ©dĂ©s permettant de les fabriquer.
Conclusion
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Sa tĂąche est double : mettre les produits Ă disposition pour les proposer aux utilisateurs. Mais aussi, initier des procĂ©dĂ©s de fabrication Ă©conomiques. Pour cela, les chimistes inventent sans relĂąche de nouvelles mĂ©thodes. Actuellement, ce sont vers les procĂ©dĂ©s inspirĂ©s de la nature et Ă©tudiĂ©s par les biologistes, quâils se tournent. Cette approche va apporter beaucoup de nouveautĂ©s et de progrĂšs rĂ©els aussi peut-on espĂ©rer, compte tenu du rythme auquel la connaissance des mĂ©canismes biolo-giques progresse.