les substances naturelles : le magasin du bon dieu

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114 LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE LES SUBSTANCES NATURELLES : LE MAGASIN DU BON DIEU L’hommes’intĂ©resseaux plantespuisĂ lachimie L es plantes nous fournissent tout ce dont on a besoin pour vivre. L’alimentation d’abord, mais bien d’autres choses encore. Depuis que l’homme a domestiquĂ© le feu, il brĂ»le des plantes pour se chauffer et amĂ©liore son alimentation en faisant cuire sa nourriture. Aujourd’hui, les plantes nous fournissent aussi des parfums pour les cĂ©lĂ©brations de toutes natures, des mĂ©dicaments, des cosmĂ©tiques pour entretenir notre apparence, des Ă©pices pour agrĂ©menter la vie, etc. Les plantes, substances naturelles Figure 1

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Page 1: Les substances naturelles : le magasin du bon Dieu

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

LES SUBSTANCES NATURELLES : LE MAGASIN

DU BON DIEU

L’hommes’intĂ©resseauxplantespuisĂ lachimie

Les plantes nous fournissent tout ce dont on a besoin pour vivre. L’alimentation d’abord, mais bien d’autres choses encore.

Depuis que l’homme a domestiquĂ© le feu, il brĂ»le des plantes pour se chauffer et amĂ©liore son alimentation en faisant cuire sa nourriture. Aujourd’hui, les plantes nous fournissent aussi des parfums pour les cĂ©lĂ©brations de toutes natures, des mĂ©dicaments, des cosmĂ©tiques pour entretenir notre apparence, des Ă©pices pour agrĂ©menter la vie, etc.

Les plantes, substances

naturelles

Figure 1

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L’humanitĂ© au cours de tant de siĂšcles de ses pratiques a accumulĂ© une quantitĂ© considĂ©rable de connaissances sur les plantes. Elle a – diffĂ©remment dans chaque partie du monde – appris Ă  reconnaĂźtre celles qui soignent, celles qui ont une odeur agrĂ©able, celles qui ont bon goĂ»t etc. Ces connaissances ont Ă©tĂ© transmises de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration.

À l’époque moderne, on s’intĂ©resse Ă  ces connaissances pour pouvoir en tirer de nouveaux produits qui viendront enrichir notre vie quoti-dienne et nos activitĂ©s commerciales. Des scientifiques se rendent dans les pays lointains, souvent des pays tropicaux car la nature y est par-ticuliĂšrement riche. À partir des informations recueillies sur place, ils sĂ©lectionnent les plantes les plus prometteuses. Ces scientifiques font ainsi ce que l’on appelle l’ethnobotanique. La figure 2 rappelle que dans cette dĂ©marche, avant de travailler sur les plantes, il faut travailler avec les personnes. On puise dans la biodiversitĂ© vĂ©gĂ©tale, les ingrĂ©-dients utiles grĂące aux connaissances traditionnelles.

L’ethnobotanique ce n’est pas uniquement la rencontre avec des guĂ©risseurs chamans, c’est aussi toute une dĂ©marche d’études de laboratoire. Le travail des chimistes intervient ensuite dans l’identifi-cation, pour chaque plante, de la molĂ©cule qui lui donne sa propriĂ©tĂ©. Éventuellement, on la produira ensuite en quantitĂ© importante pour les usages commerciaux.

Ethnobotanique. Des chercheurs vont dans les pays tropicaux et se font expliquer quelles plantes sont intĂ©ressantes pour eux. Ils recueillent des Ă©chantillons pour les tester dans leur laboratoire (cf. « Chimie, dermo-cosmĂ©tique et beautĂ© Â», EDP Sciences, 2017, p. 67).

Figure 2

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

PremiĂšreĂ©tapeduchimiste:identifierle«principe»actifIdentifier la molĂ©cule du principe actifOn sait que tout n’est que molĂ©cule : une propriĂ©tĂ© particuliĂšre de la plante vient donc d’une molĂ©cule qu’elle contient. C’est ce que l’on appelle son «  principe actif  ». Le chimiste sait sĂ©parer la plante en diffĂ©rentes parties – feuilles, Ă©corce, graine, gousse, etc. – et observer celles qui possĂšdent la propriĂ©tĂ© recherchĂ©e.

Ensuite, le chimiste applique les techniques Ă©prouvĂ©es en labora-toire  – on chauffe, on dissout, on cristallise, etc. Au bout d’un travail trĂšs long parfois marquĂ© d’échecs, on isole en laboratoire (Fig. 3) la molĂ©cule responsable de la propriĂ©tĂ© intĂ©ressante de la plante : le « prin-cipe actif Â» a Ă©tĂ© isolĂ© !

En rĂ©pĂ©tant l’opĂ©ration, on peut accumuler des quantitĂ©s suffisantes de la molĂ©cule clef (le principe actif) pour pouvoir l’utiliser. On la conditionne et on la vend. C’est comme cela que sont produits beau-coup de mĂ©dicaments ou de parfums, de cosmĂ©tiques ou d’arĂŽmes. La figure 4 donne une sĂ©rie de mĂ©dicaments faits par cette voie. Il s’agit souvent de mĂ©dicaments anciens. Ils illustrent la variĂ©tĂ© des plantes exploitĂ©es.

Laboratoire de chimie d’autrefois avant

l’informatique. Les diffĂ©rentes parties

de la plante sont observées et séparées en composants

molĂ©culaires (cf. « La chimie et les sens Â», EDP Sciences, 2018, p. 97).

Figure 3

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Origine végétale des médicamentsExemple des alcaloïdes

– Extrait de l’opium du pavot en 1806 : Morphine en 1832  : CodĂ©ĂŻne CofenfanÂź (Ă©ther mĂ©thylique de la morphine,

formule en 1881, hĂ©mi∑ en 1886)– Extrait des Ă©corces du quinquina Quinine : utilisĂ©e contre les fiĂšvres (∑ en 1824) : QuinimaxÂź antipaludĂ©en Quinidine : utilisĂ©e contre les palpitations : SerecorÂź antiarhytmique– Extrait de la pervenche de Madagascar  Vinca-alcaloĂŻdes : anticancĂ©reux : Vinblastine VelbeÂź, Vinorelbine NavelbineÂź

– Extrait de l’ergot de seigle : Ergotamine SĂ©glorÂź antimigraineux– Extrait de la belladone : 1833 : Atropine : antispasmodique, anti-bradycardies

Quelques exemples :

‱ La vanille

Les gousses de l’arbuste « vanille Â» fournissent un arĂŽme qui a beau-coup de succĂšs. Cela a Ă©tĂ© dĂ©couvert au Mexique en 1520 par les Espagnols. On chauffe les gousses, et on les sĂšche pour dĂ©velopper l’arĂŽme. Le principe actif est « la vanilline Â», une molĂ©cule reprĂ©sen-tĂ©e sur la figure 5. On sait extraire cette molĂ©cule, ce qui donne une poudre concentrĂ©e qui peut ĂȘtre conditionnĂ©e et se prĂȘte au transport et Ă  la conservation. L’arĂŽme « vanille Â» est devenu le plus utilisĂ© au monde et se vend Ă  8 000 tonnes par an.

‱ L’aframodial

La plante Aframomum Angustifolium (ou maniguette), que l’on trouve Ă  Madagascar d’oĂč elle est originaire et dans les rĂ©gions sud-africaines. Elle a Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©e par une dĂ©marche ethnobotanique (Fig. 6) Ă  partir de sa rĂ©putation d’ĂȘtre bonne pour les soins de la peau. Son pro-duit actif se trouve principalement dans ses fruits (le « longoza Â») ou dans ses graines. L’aframodial, son nom commercial, est aujourd’hui Ă  la base d’une ligne de cosmĂ©tiques « anti-Ăąge Â».

Des mĂ©dicaments Ă  l’origine vĂ©gĂ©tale.

Figure 4

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

Attention : formule chimique !On prĂ©sente dans ce chapitre un certain nombre de molĂ©cules par leur « formule chimique Â». Ce n’est pas pour que le lecteur les retienne, ni mĂȘme pour qu’il les comprenne en dĂ©tail. C’est pour qu’il en rĂ©alise la diversitĂ© et la complexitĂ©.La « formule chimique Â», telle que prĂ©sentĂ©e sur la figure 5 donne une reprĂ©sentation de la position des atomes de la molĂ©cule (ici la vanilline). Mais elle est simplifiĂ©e : d’abord elle ne prĂ©cise pas la nature de tous les atomes ; ceux qui sont « Ă©vidents Â» comme les atomes de carbone ou d’hydrogĂšne du squelette de la molĂ©cule ne sont pas nommĂ©s. Ensuite, la formule prĂ©sentĂ©e Ă©tant plane, ne donne aucune indication sur la gĂ©omĂ©trie dans l’espace – la stĂ©rĂ©ochimie (quels atomes sont au-dessus ou au-dessous du plan principal).Elle n’est qu’une premiĂšre approche de la molĂ©cule.

La vanilline. Cette molĂ©cule est prĂ©sente dans la « gousse de vanille Â» de la plante du mĂȘme nom. Elle fournit l’arĂŽme le plus utilisĂ© au monde.

Figure 5

La formule de la vanilline peut ĂȘtre qualifiĂ©e de « relativement simple Â». On verra plus loin des for-mules autrement complexes (la vinorelbine ou le taxotĂšre). Le dĂ©fi est, pour les chimistes, de rĂ©ussir Ă  fabriquer ces molĂ©cules en laboratoire (voir Encart « Quelques difficultĂ©s de la synthĂšse organique Â»).

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Les molĂ©cules de la merBien Ă©videmment, ce sont les plantes terrestres qui ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es en prioritĂ©. Cepen-dant, le milieu marin prĂ©sente une vĂ©gĂ©tation tout Ă  fait originale, souvent Ă©trangĂšre Ă  la photosynthĂšse. Il est susceptible d’offrir de nou-velles molĂ©cules, de nouvelles opportunitĂ©s pour les produits qui nous intĂ©ressent.

Pourtant il a Ă©tĂ© relativement peu explorĂ© et rĂ©serve probablement de belles surprises. Exemple de la saxitonine, puissant anesthĂ©sique, les composants des Ă©ponges. Extraction de toxines – vidarabine, zico-tinoide, trabectĂ©dine.

La trabectedine

Valorisation d’un produit issu d'organismes marins : la trabectĂ©dine.

Figure 8

L’aframomum angustinum. Du principe actif Ă  la graine et Ă  un cosmĂ©tique « anti-Ăąge Â».

Figure 6

Patrice AndrĂ© avec des locaux dans un pays Ă©tranger : « Avant de travailler sur des plantes, on travaille d’abord avec d’autres personnes Â». La recherche des traditions est une vĂ©ritable enquĂȘte ethnobotanique, une aventure digne d’Indiana Jones !

Figure 7

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

Identification de la structure molĂ©culaireSouvent le principe actif de la plante est trĂšs diluĂ©, difficile Ă  extraire en quantitĂ© suffisante, Ă©ventuellement instable et ne peut pas suppor-ter le transport. Il est inutilisable sans transformation. L’étape suivante pour le chimiste est alors d’identifier sa structure molĂ©culaire pour voir s’il peut le fabriquer en laboratoire.

La chimie organique, nĂ©e au xixe siĂšcle, a fait depuis des progrĂšs gigan-tesques. Elle est ainsi capable de dĂ©terminer la structure molĂ©culaire complĂšte de nombreuses molĂ©cules. Ceci est appliquĂ© aux principes actifs des plantes. Ce travail n’est pas facile, vu la complexitĂ© de ces molĂ©cules. Le dĂ©veloppement des instruments modernes dans les laboratoires (spectromĂ©trie de masse, RMN par exemple) permet main-tenant de le pratiquer de façon courante. Mais on a des surprises : si les principes actifs de l’aframodial, par exemple (Fig. 6), reste raisonna-blement gĂ©rables, que dire de celui de la pervenche de Madagascar ? (Fig. 9) (voir Encart « Attention : formule chimique ! Â»).

Fleurs de la pervenche de Madagascar. On en extrait de nombreuses molĂ©cules d’intĂ©rĂȘt, dont la vinorelbine, commercialisĂ©e comme mĂ©dicament anticancĂ©reux sous le nom de Navelbine.

Figure 9

Structure de la vinorelbine – Principe actif de la navelbine.

Figure 10

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Pourquoi des formules chimiques ?Les molĂ©cules sont en nombre absolument considĂ©rable – pratiquement infini – et il faut bien les dĂ©signer d’une façon ou d’une autre.La « formule chimique Â» schĂ©matise l’arrangement entre les atomes sous forme d’un dessin – un diagramme qui reproduit les liaisons chimiques. Ceci est indispensable pour prĂ©voir les propriĂ©tĂ©s chimiques, la façon dont elles vont rĂ©agir avec les autres produits qui seront Ă  leur contact – donc les difficultĂ©s de leur conservation. C’est aussi indispensable pour dĂ©finir des mĂ©thodes de synthĂšse de ces molĂ©cules si on a besoin de se les procurer.Ces formules ne sont pas lĂ  pour ĂȘtre apprises en dĂ©tail, mais pour faire sentir la complexitĂ© de la chimie du vivant, donner un sentiment sur l’in-finie variĂ©tĂ© que la nature a crĂ©Ă©e et que les chimistes ont su dĂ©couvrir.

SynthĂšseduprincipeactifetidĂ©esnouvelles.LechimistedevientindustrielLa synthĂšse organiqueLa connaissance de la structure molĂ©culaire complĂšte du principe actif permet – en principe – d’en rĂ©aliser la synthĂšse. Mais, fabriquer des molĂ©cules organiques est un travail souvent considĂ©rable (voir Encart « Quelques difficultĂ©s de la synthĂšse organique Â»). 

Dans certains cas, il peut suffire d’apporter de lĂ©gĂšres modifications chimiques au principe actif pour en accroĂźtre l’efficacitĂ© ou la stabilitĂ©. C’est par exemple le cas de l’acide acĂ©tylsalicylique, rendu cĂ©lĂšbre sous le nom d’aspirine (voir Encart « L’histoire de l’aspirine, le plus vieux des “mĂ©dicaments modernes” Â»). 

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

Un autre exemple est donnĂ© par la vanilline, Ă©voquĂ©e plus haut et Ă  l’origine de l’arĂŽme de la vanille. La molĂ©cule a Ă©tĂ© identifiĂ©e en 1816, sa structure a Ă©tĂ© Ă©lucidĂ©e en 1874 et elle a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ©e pour la premiĂšre fois en 1876 (Fig. 11). Cette synthĂšse Ă©tait faite Ă  partir de l’eugĂ©nol, extrait des clous de girofle. La vanille est aujourd’hui l’arĂŽme le plus utilisĂ© au monde ; les besoins s’élĂšvent Ă  8 000 tonnes par an alors que l’extraction directe n’en fournit que 2 000. La synthĂšse du « principe actif Â» a permis de rĂ©pondre Ă  la demande.

La mĂ©thode «  intellectuellement Â» la plus gĂ©nĂ©rale serait de recrĂ©er l’arrangement atomique, atome par atome, jusqu’à rĂ©aliser l’édifice final. Cette approche, dite « synthĂšse totale Â» se rĂ©vĂšle trĂšs complexe. La liaison d’un atome supplĂ©mentaire sur une structure peut en gĂ©nĂ©-ral se faire sur plusieurs sites – mais il n’y en a qu’un seul qui soit convenable pour copier la molĂ©cule originale. Comment s’orienter vers le bon choix ? Ce que la nature a fait, le chimiste ne peut le faire que par de nombreuses opĂ©rations – un travail difficile, souvent vouĂ© Ă  l’échec et coĂ»teux.

Schéma de la synthÚse de la vanilline.

Figure 11

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Quelques difficultĂ©s de la synthĂšse organiqueMettre les atomes les uns Ă  cĂŽtĂ© des autres comme dans un jeu de construction n’est pas une bonne reprĂ©sentation de la synthĂšse chimique. La formule simple de la molĂ©cule n’en est pas une image suffisamment rĂ©elle. Il existe des complications : par exemple les isomĂšres, qui sont des molĂ©cules de mĂȘmes formules simples mais qui prĂ©sentent des diffĂ©rences dans les arrangements atomiques. Plus subtilement, il existe des « stĂ©rĂ©oisomĂšres Â» qui ont des structures analogues sauf en ce qui concerne l’organisation dans l’espace de certaines liaisons.

Et pourtant, l’atome que l’on va vouloir fixer devra l’ĂȘtre sur un site bien dĂ©terminĂ© du squelette molĂ©culaire en construction – ce n’est souvent pas celui sur lequel il irait « de lui-mĂȘme Â» se fixer.

La dĂ©marche utilisĂ©e par les chimistes est de bloquer/dĂ©bloquer certains sites. On « bloque Â» tous les sites non dĂ©sirĂ©s pour obliger le nouvel atome Ă  se mettre correctement. Mais ensuite, dans un deuxiĂšme temps, on dĂ©bloque tous les autres sites pour restaurer le squelette sur lequel on travaille. Puis on recommence avec un nouvel atome ! Pour « simplifier Â» les choses, il faut rĂ©aliser que les structures molĂ©culaires sont des Ă©difices Ă  trois dimensions : il ne suffit pas de fixer un atome sur le bon partenaire, il faut aussi qu’il ait la bonne orientation. La synthĂšse d’une molĂ©cule un peu com-plexe peut demander des dizaines d’étapes et beaucoup d’astuces pour savoir comment bloquer/dĂ©bloquer un site et beaucoup de temps !

La synthÚse totale a été marquée par le prix Nobel 1990 attribué à E.J. Corey.

L’hĂ©misynthĂšsePour simplifier ce travail rĂ©ellement titanesque, les chimistes ont dĂ©ve-loppĂ© une mĂ©thode qui gagne beaucoup d’étapes (quand elle est possible) : c’est l’hĂ©misynthĂšse. Le produit de dĂ©part est une molĂ©-cule dĂ©jĂ  issue d’une substance naturelle apparentĂ©e Ă  celle que l’on recherche – donc, dans laquelle une bonne partie du travail de syn-thĂšse est dĂ©jĂ  faite. Le chimiste traite alors les modifications Ă  apporter Ă  la structure de dĂ©part – par exemple l’addition d’un groupe fonction-nel sur un site.

Revenons, Ă  titre d’exemple sur la navelbine, Ă©voquĂ©e plus haut. La fleur de cette plante est traditionnellement connue pour apaiser cer-taines douleurs. Le principe actif, Ă©lucidĂ© par plusieurs annĂ©es de tra-vail est prĂ©sentĂ© sur la figure 10. Cette structure compliquĂ©e serait obtenue par une liaison entre deux molĂ©cules plus simples toutes deux prĂ©sentes dans la plante d’origine. Ce travail a Ă©tĂ© fait : on a pu extraire ces deux molĂ©cules et les lier l’une Ă  l’autre en laboratoire. Le produit

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

est aujourd’hui commercialisĂ© sous le nom de « Navelbine Â» et consti-tue un mĂ©dicament anticancĂ©reux trĂšs utilisĂ©.

Le taxotĂšre

La synthĂšse du taxotĂšre (Fig. 14) donne un autre exemple d’hĂ©misynthĂšse.

Le produit recherchĂ© est le taxotĂšre (Fig. 13). Le point de dĂ©part vers sa synthĂšse est la 10-dĂ©sacĂ©tylbaccatine III (DAB) trouvĂ©e dans les feuilles de l’if Ă  1 g/kg, et qui donne par addition d’un groupe d’atomes relativement simple le taxol ou, par une voie lĂ©gĂšrement diffĂ©rente, une autre molĂ©cule, le taxotĂšre. Aujourd’hui, il est utilisĂ© en chimiothĂ©ra-pie anti-cancĂ©reuse  ; c’est un mĂ©dicament trĂšs recherchĂ©. C’est la simplicitĂ© et le coĂ»t modĂ©rĂ© apportĂ© par l’hĂ©misynthĂšse qui a per-mis ce succĂšs – dĂ» Ă  des Ă©quipes françaises (CNRS). Le gain est spectaculaire car le taxol

(lui-mĂȘme anti-cancĂ©reux) ne se trouve que dans les Ă©corces de l’if et Ă  une concentration trĂšs faible (environ 100 mg/kg d’écorce) et nĂ©cessite l’abattage des arbres.

Le chimiste permet le développement

de capacités industrielles pour produire médicaments

ou parfums, arĂŽmes etc. destinĂ©s Ă  ĂȘtre

commercialisés.

Figure 12

Structure du taxotĂšre.

Figure 13

La synthĂšse du taxotĂšre.

Figure 14

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L’histoire de l’aspirine, le plus vieux des « mĂ©dicaments modernes »

Saule blanc et reine-des-prĂ©s Ă  l’origine de l’aspirine.

Figure 15

Hippocrate – le pĂšre grec de tous les mĂ©decins, qui vivait au IVe siĂšcle avant J.-C. disait « La nature est le premier mĂ©decin et ce n’est qu’en favorisant ses effets que l’on obtient quelques succĂšs Â».Si de nos jours l’aspirine utilisĂ©e est obtenue par synthĂšse chimique, ses principes actifs proviennent donc de la flore commune – la reine-des-prĂ©s et le saule blanc.

L’Aspirine en quelques dates–400 : Hippocrate conseille la tisane de feuilles de saule blanc pour soulager douleurs et fiĂšvres.1763 : utilisation de l’écorce de saule recommandĂ©e par Edward Stone pour soigner les fiĂšvres.1825 et 1829 : isolement de la salicine de l’écorce de saule par Francesco Fontana et Henri Leroux.1835 : prĂ©paration de l’acide salicylique Ă  partir de la spirĂ©e par Karl Jakob Löwig.

L’Aspirine, mĂ©dicament anti-inflammatoire1853 : synthĂšse de l’acide acĂ©tylsalicylique par Charles FrĂ©deric Gerhard.1897 : production industrielle de l’acide acĂ©tylsalicylique par la firme Bayer (FĂ©lix Hoffmann).1899 : mise sur le marchĂ© de l’aspirine par Bayer (Brevet). Le nom « Aspirin  Â» provient du latin « a spiraea » signifiant « qui provient de la spirĂ©e ».

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

Etpourlefutur?Verslestechniquesbiotechnologiques?La nature est le grand modĂšle pour les chimistes qui veulent retrouver en laboratoire les molĂ©cules des plantes. Elle utilise des mĂ©canismes complexes – gĂšnes, enzymes, microorganismes – pour rĂ©aliser toutes les molĂ©cules qu’elle prĂ©sente et qui nous fascinent. Copier ces mĂ©ca-nismes – ou d’abord «  s’en inspirer  » – est une voie trĂšs Ă©tudiĂ©e Ă  l’heure actuelle par les chimistes. On espĂšre qu’elle permettra d’obte-nir de nouvelles molĂ©cules par des voies beaucoup plus aisĂ©es que nos approches actuelles de constructions purement chimiques.

Un exemple  : la fabrication d’un parfum cĂ©lĂšbre tirĂ© de l’ambre. Le principe actif de ce parfum est l’ambrox. Une molĂ©cule de formule et de structure proches de l’ambrox est la molĂ©cule sclarĂ©ol, que l’on trouve dans « la sauge sclarĂ©e Â». On a pu identifier dans le gĂ©nome de la sauge, le gĂšne qui permet la synthĂšse de la sclarĂ©e. Les techniques du gĂ©nie gĂ©nĂ©tique ont permis d’extraire ce gĂšne, puis de le transfĂ©rer dans un microorganisme (Escherichia Coli) qui le produit ainsi « natu-rellement  ». Une toute nouvelle voie pour fabriquer des molĂ©cules – une voie Ă©tonnante qu’il est probablement trop tĂŽt toutefois pour qualifier de « voie d’avenir Â». « Attention aux OGM !» ou « Merci les OGM ! Â» ?

Formule du sclaréol

et schéma de sa synthÚse par voie génétique

(cf. « La chimie et les sens Â», EDP Sciences, 2018, p.97).

Figure 16

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La synthĂšse chimique est remplacĂ©e par une manipulation de micro-organismes – comme celle que l’on pourrait trouver chez les fabricants de biĂšre. Est-ce que cela se dĂ©veloppera  ? Cela dĂ©pend du prix de fabrication et de la force des opposants Ă  l’utilisation des OGM !

La progression du nombre de mĂ©dicaments ne va sĂ»rement pas se ralentir. Au dĂ©but du xxe siĂšcle, il existait une centaine de mĂ©dicaments issus de substances naturelles et environ 20 mĂ©dicaments de synthĂšse. Aujourd’hui, ce sont plus de 100 molĂ©cules de synthĂšse. L’exploration de la biodiversitĂ© est ralentie par ses difficultĂ©s intrinsĂšques  ; les mĂ©thodes en dĂ©veloppement seront les bienvenues !

La chimie pour explorer la biodiversité.

Pourquoi les molĂ©cules rencontrĂ©es dans ce chapitre sont-elles toutes compliquĂ©es ? Leur structure peut aller de modĂ©rĂ©ment (l’aframodial) Ă  trĂšs compliquĂ©e (la navelbine).

Est-ce obligatoire quand il s’agit de mĂ©dicament, de parfum, arome ou cosmĂ©tique ? La rĂ©ponse est « oui Â», car elles pro-viennent toutes de substances naturelles – en l’occurrence de plantes – oĂč elles jouent un rĂŽle – pour le maintien de la vie. Les molĂ©cules de base du vivant – les protĂ©ines, l’ADN, etc. – sont toutes trĂšs compliquĂ©es au point de vue chimique. C’est normal  : la vie est un miracle de la nature et repose sur des mĂ©canismes complexes. Les molĂ©cules – nos mĂ©dicaments, par-fums, cosmĂ©tiques et aromes – qui interagissent avec elles ont donc Ă©galement besoin de cette complexitĂ© chimique.

La vie d’aujourd’hui nous fait rechercher ces molĂ©cules com-pliquĂ©es, actives pour nos besoins. Le chimiste, on l’a vu est Ă  l’initiative : il isole les molĂ©cules actives qui se trouvent dans les plantes, les identifie, en dĂ©termine la structure molĂ©culaire, dĂ©finit des procĂ©dĂ©s permettant de les fabriquer.

Conclusion

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LA CHIMIE ET LA VIE QUOTIDIENNE

Sa tĂąche est double  : mettre les produits Ă  disposition pour les proposer aux utilisateurs. Mais aussi, initier des procĂ©dĂ©s de fabrication Ă©conomiques. Pour cela, les chimistes inventent sans relĂąche de nouvelles mĂ©thodes. Actuellement, ce sont vers les procĂ©dĂ©s inspirĂ©s de la nature et Ă©tudiĂ©s par les biologistes, qu’ils se tournent. Cette approche va apporter beaucoup de nouveautĂ©s et de progrĂšs rĂ©els aussi peut-on espĂ©rer, compte tenu du rythme auquel la connaissance des mĂ©canismes biolo-giques progresse.