l’esprit cosmopolite. voyages de formation des jeunes en europe

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 Co mp tes rendu s / So ciol og ie du tr av ai l 55 (2 01 3) 387 –42 5 407 PourR.Sénac,ladiversité, tellequ’ellesedonneparticulièrement àvoirdanslesdiscoursdes acteurs qu ilaportent,incarne«leparadigmed’uncivismelibéralleprinciped’ égal it é es t sa cri é à l’utilité de la différence. » (p. 253). Parce qu’elle contribue de  facto à faire exister les « différenc es»enlesnaturalisant,ladiversitéparticipeenréalitédeladominationquis’exercesur ses cib les enlesassignantàdes«différences »supposées,certesprésentéescommedésirables.De sur cro ît, lapromotiondequelques-unsencouragéeparladiversité, selondeslogiquesd’identité, de «casting»,voiredestigmatisationplusquedemérite,nechangerienauxinéga lités subie spar le pl us grandnombre.Ladiversité privilégieainsileslogiquesd’identitéetd’utilitéaudétriment des logi quesd’ ég alité. R. Sénacconclutqueladiv ersités’articuleautourd’unesortedenéo- essen tiali sme strat égiqueérigéenprincipede justice,encontradictionaveclecadrerépublicain: l’é gal ité setrouveconditionnéeàuneperformancedela«différence»,naturalisée. Ad os sé àuneimpressionnantebibliographieetàunmatériauempiriqueampleetoriginal,le liv re constitueun jalonimportantetprécieuxdanslaconnaissancesociologiquedeladiversité. Au- delàde sontrèsgrandintérêt,quelquesregretsméritentd’êtreformulés.Tout d’abord,lacritique, stimul ante , deladynamiqueanti-discriminatoireestparfoisinsufsamment miseenre ga rd de son contexte d’émergence. R.Sénaccritiquenotammentlaprimautéconcrètedonnéeàlasaisie des discr iminat ionsàpartirdedénonciationsetdeplaintesplutôtquecommes’appliquantàun système. Or ,lestravauxdeVincent-Arnaud Chappe 1 montrentquel’inventiondelaHauteAutorité de lu tt econtrelesdiscriminationsetpourl’éga lité (HALD E),comme«cadrage» juridiquedela dynami que anti- discr imina toire, relèved’uneadaptationvisantànepassusciterdeconitautour du modèle républicainetàéviterles«questionsquifâchent».Parailleurs,lelivreprivilégie un raiso nnemen t d’ens emble ,transversal auxacteursetauxdifférents champsdelasociété(monde du tra vail, mondepolitique,etc.).C’estsaforce.Mais,cefaisant, ilnemetguèreenexer gue les diff érents visag esdecetteinventiondeladiversité, notammentselonlesacteursquilaportentetles contextes oùilsopèrent.Quelquesquestionsdemeurentdèslorsensuspens: leslogiquesd’utilité et d’ identi constituent-elles«l’entrée»exclusivedesacteursquis’emparentdeladiversité? Des idéolo gie s,parexemplemanagériales,n’ont-ellespasleurpartdanscetteinventiondela div ersit é? DavidMélo  Laboratoir e d’économied’Orléans(LEO,UMR7322),université d’Orléans, ruede Blois,  BP 26739,45067 Orléanscedex 2,France  Adress ee-mail:[email protected] DisponiblesurInternetle23 juillet2013 http://dx.do i.org/10.101 6/j.soctra.2013.06.00 3 L’Espritcosmopolite. Voyagesdeformation des jeunesenEurope, V .Cicchelli. Pressesde la Fondationnationaledessciencespolitiques,Paris(2012).276p.  L’Espr it cosmopolite. Voyagesde formationdes jeunesenEuropeestunecontributionoriginale à lasociologiedela jeunessecommeàlasociologiedesidentités.L’auteur nousconvieeneffet à uneparticipation«auxdébatsencourssurlesfondementsthéoriquesducosmopolitismeen soc iol ogi (p.22)enprenantpourtémoins170étudiantsErasmus.L’objet n’estpastantd’évaluer 1 Chap pe , V-A., 2010. La Genè se de la HA LD E: un co nsen su s a mi ni ma .Éditi ons uni versi taires euro péenn es, Sarre- br uck. 196 p.

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  • Comptes rendus / Sociologie du travail 55 (2013) 387425 407

    Pour R. Snac, la diversit, telle quelle se donne particulirement voir dans les discours desacteurs qui la portent, incarne le paradigme dun civisme libral o le principe dgalit estsacrifi lutilit de la diffrence. (p. 253). Parce quelle contribue de facto faire exister les diffrences en les naturalisant, la diversit participe en ralit de la domination qui sexerce surses cibles en les assignant des diffrences supposes, certes prsentes comme dsirables. Desurcrot, la promotion de quelques-uns encourage par la diversit, selon des logiques didentit,de casting , voire de stigmatisation plus que de mrite, ne change rien aux ingalits subies parle plus grand nombre. La diversit privilgie ainsi les logiques didentit et dutilit au dtrimentdes logiques dgalit. R. Snac conclut que la diversit sarticule autour dune sorte de no-essentialisme stratgique rig en principe de justice, en contradiction avec le cadre rpublicain :lgalit se trouve conditionne une performance de la diffrence , naturalise.

    Adoss une impressionnante bibliographie et un matriau empirique ample et original, lelivre constitue un jalon important et prcieux dans la connaissance sociologique de la diversit. Au-del de son trs grand intrt, quelques regrets mritent dtre formuls. Tout dabord, la critique,stimulante, de la dynamique anti-discriminatoire est parfois insuffisamment mise en regard deson contexte dmergence. R. Snac critique notamment la primaut concrte donne la saisiedes discriminations partir de dnonciations et de plaintes plutt que comme sappliquant unsystme. Or, les travaux de Vincent-Arnaud Chappe1 montrent que linvention de la Haute Autoritde lutte contre les discriminations et pour lgalit (HALDE), comme cadrage juridique de ladynamique anti-discriminatoire, relve dune adaptation visant ne pas susciter de conflit autourdu modle rpublicain et viter les questions qui fchent . Par ailleurs, le livre privilgie unraisonnement densemble, transversal aux acteurs et aux diffrents champs de la socit (mondedu travail, monde politique, etc.). Cest l sa force. Mais, ce faisant, il ne met gure en exergue lesdiffrents visages de cette invention de la diversit, notamment selon les acteurs qui la portent et lescontextes o ils oprent. Quelques questions demeurent ds lors en suspens : les logiques dutilitet didentit constituent-elles lentre exclusive des acteurs qui semparent de la diversit ?Des idologies, par exemple managriales, nont-elles pas leur part dans cette invention de ladiversit ?

    David MloLaboratoire dconomie dOrlans (LEO, UMR 7322), universit dOrlans, rue de Blois,

    BP 26739, 45067 Orlans cedex 2, FranceAdresse e-mail : [email protected]

    Disponible sur Internet le 23 juillet 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.06.003

    LEsprit cosmopolite. Voyages de formation des jeunes en Europe, V. Cicchelli. Presses dela Fondation nationale des sciences politiques, Paris (2012). 276 p.

    LEsprit cosmopolite. Voyages de formation des jeunes en Europe est une contribution originale la sociologie de la jeunesse comme la sociologie des identits. Lauteur nous convie en effet une participation aux dbats en cours sur les fondements thoriques du cosmopolitisme ensociologie (p. 22) en prenant pour tmoins 170 tudiants Erasmus. Lobjet nest pas tant dvaluer

    1 Chappe, V-A., 2010. La Gense de la HALDE : un consensus a minima. ditions universitaires europennes, Sarre-bruck. 196 p.

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    le dispositif que de prendre cette exprience comme laboratoire dobservation de ce qui est qualifidans louvrage d optique cosmopolite .

    Le pari tait ambitieux quand on sait que les tentatives de dvelopper une sociologie du cos-mopolitisme, dans les sillages dUlrich Beck notamment, ont fait lobjet dimportantes critiques.Vincenzo Cicchelli rompt toutefois avec les positions de ce dernier et va mme jusqu le prendre contre-pied : au lieu de relguer aux oubliettes les outils de la sociologie classique sous prtextequils ont t penss partir dune lorgnette nationale et non cosmopolite, ce que dfend U. Beck,il propose dtudier le cosmopolitisme en convoquant lun deux, soit la notion de socialisation, la grande inconnue des travaux empiriques (p. 25) sur le cosmopolitisme.

    Louvrage se divise en trois parties quon peut associer aux grandes tapes de la socialisationcosmopolite. La premire relate Les promesses de la Bildung cosmopolite , soit les attentesquavaient les tudiants rencontrs pralablement leur exprience Erasmus. Il ressort clairementde cette premire section quavec la globalisation et la circulation accrue de linformation, lemonde semble aux jeunes la fois plus accessible et plus obscur. Dans ce contexte, lobservationin situ, lexprience sensible, leur apparaissent comme le meilleur moyen de comprendre lesralits complexes qui les entourent.

    Or, limaginaire du voyage des tudiants Erasmus nest pas sans se heurter la ralit, ce quifait lobjet de la seconde partie de louvrage. Au cours de lexprience, les tudiants se sententpris entre la volont de ne pas tre considrs comme des touristes, tout en naspirant pas uneinstallation durable, entre le dsir de vivre le quotidien de lAutre, tout en vitant ses dimensionsroutinires et ennuyantes, entre le souhait de voir leur curiosit et leur rflexivit constamment lafft et la familiarisation qui sinstalle cependant graduellement. En outre, ils rencontrentnombre dobstacles : la langue, le rseau de sociabilit par lequel on est plus ou moins happ unefois sur place (les natifs ou la bulle Erasmus), le manque de curiosit et de bienveillance desnatifs.

    Dans la dernire partie, lauteur scrute la manire dont les tudiants analysent les socitseuropennes. Sil sattarde un peu trop longuement aux caractrisations des socits rapportespar les participants, ce qui le fait glisser parfois vers la rification des cultures considres, cestici que laboutissement du processus de socialisation cosmopolite est le plus clairement abord.Le dcentrement de sa propre culture et la connaissance de visu de celle des autres permettentune meilleure connaissance des diffrences et des similitudes entre Soi et Autrui, et concourentau dveloppement de la capacit transcender et reformuler les frontires.

    Si dans cet ouvrage, lauteur se penche bien sur les mcanismes rels de fabrication desidentits cosmopolites (p. 25), ce nest cependant pas sans verser parfois, son corps dfen-dant, dans une sorte de plaidoyer pour le programme Erasmus. Cela tient peut-tre la posturepistmologique privilgie : plutt que de partir des donnes empiriques suivant une approcheinductive afin de montrer les conditions de production des identits cosmopolites et les fac-teurs sociaux qui, au contraire, entravent leur mergence, question plus ouverte qui laisse place la confrontation lempirie, il a cherch tester la sociologie du cosmopolitisme de maniredductive, partir dun terrain concu comme figure particulire de socialisation cosmopolite (p. 34). On comprend ds lors quil lui tait ncessaire de renouveler rgulirement la pertinencede son choix de terrain, cest--dire de prouver quErasmus tait bien un lieu de socialisationcosmopolite.

    En outre, sintresser aux mcanismes de production des identits cosmopolites sans les lier lhritage familial des jeunes, leurs motivations pralables ou aux situations universitaires dedpart et darrive, lude la question de son caractre potentiellement distinctif dans des contextesde concurrence accrue et suggre une vision quelque peu dsincarne du cosmopolitisme. Bien

  • Comptes rendus / Sociologie du travail 55 (2013) 387425 409

    que V. Cicchelli ait cherch sloigner dune conception substantielle et rifie du cosmopoli-tisme (p. 32), il est tout de mme forc de dfinir ce dont il parle en recourant des dispositions et des vertus (p. 33) puises dans la littrature comme dans les entretiens. Avec une telle listed indicateurs (p. 95) vient la question dun quantum spcifique de propension au cosmopo-litisme (p. 31). Le cosmopolitisme apparat ainsi, contre lintention mme de lauteur, commeune essence quon possde en plus ou moins grande quantit ou avec plus ou moins dauthenticit.

    Cela dit, lun des plus grands atouts du livre est sans conteste la mise en vidence de la placecruciale de limaginaire, et donc de lambivalence qui concourent la dfinition de toute identit,y compris cosmopolite. Louvrage, dune grande rudition, brille de la justesse avec laquelle laparole des tudiants a t mise en rcit. Il nous renseigne entre autres sur la construction enaction du monde Erasmus et de ses normes. Les tudiants Erasmus se reconnatront avec plaisiret reconnaissance dans cette restitution minutieuse dune grande partie de leur exprience.

    Stphanie Garneaucole de service social, universit dOttawa 120, universit, pice 12036,

    Ottawa (Ont.), K1N 6N5, CanadaAdresse e-mail : [email protected]

    Disponible sur Internet le 29 juillet 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.07.010

    La Petite Noblesse de lintelligence. Une sociologie des enfants surdous, W. Lignier. LaDcouverte, Paris (2012). 360 p.

    Les mdias, relayant les reprsentations issues de lunivers mdico-psychologique, ont contri-bu rendre familire la figure quivoque du surdou : dot dune intelligence suprieure (QI 130), il nen serait pas moins un enfant vulnrable , souvent en difficult psychiquementet scolairement. Loriginalit du travail de W. Lignier est dapprhender cet objet sous un anglesociologique. La construction dun point de vue sociologique passe par lanalyse des conditionssocio-historiques de lmergence de la cause des surdous et de son appropriation par cer-tains groupes sociaux. Les deux premiers chapitres sont consacrs aux dynamiques structurelleset institutionnelles qui ont concouru lmergence de la question des surdous, tandis que lestrois suivants restituent les positions, les dispositions et les intrts pratiques des parents quisapproprient le diagnostic.

    Lentreprise de dconstruction du surdouement intellectuel sappuie sur une posture lafois empirique, historique, critique et comprhensive.

    Le parti pris empirique ne renvoie pas seulement aux dispositifs denqute (dpouillement desarchives dune association consacre aux surdous, analyse dun corpus de textes de psychologues,questionnaire diffus auprs de parents denfants prcoces, entretiens). Il traduit aussi la volontde lauteur de ne pas seulement apprhender les surdous travers la dfinition virtuelle quendonne les psychologues et de privilgier lanalyse des pratiques par lesquelles les spcialistes et lesparents construisent la prcocit intellectuelle. Sociologiquement, il importe [. . .] dapprhenderla prcocit intellectuelle comme un fait social effectif : dans cette perspective, un enfant nest pr-coce que lorsquil est effectivement (et non potentiellement) identifi comme tel (p. 151). Cetteconstruction de lobjet, centre sur la question de lidentification, mais aussi de lappropriationet des usages du diagnostic, justifie la focalisation de lenqute, dans les trois derniers chapitresdu livre, sur les parents adhrant une association consacre aux enfants surdous.