l'expansion entretien bernard darty
DESCRIPTION
TRANSCRIPT
"OUI, JE SUIS CAPITALISTE, PUISQUEJ'AI DU CAPITAL,
ET JE VOUS MENTIRAIS EN PRÉTENDANTNE PAS EN ÊTRE SATISFAIT"
ENTRETIEN AVEC
BERNARD DARTYpar Chantal Bialobos
Des yeux bleus très clairs, unvisage souriant sous une chevelureprécocement grisonnante qui ne parvient pas à le vieillir, Bernard Dartyest le même que nous avions rencontré en 1974, à une époque où lapresse ne s'intéressait pas encore àlui. L'Expansion fut en effet le premier journal - il s'en souvient à révéler au public les visages destrois frères Darty, qui commençaienttout juste à faire parler d'eux dansla distribution.
Mais, à l'époque, Bernard Dartyparaissait emprunté, ne sachant quoifaire de ses mains, quelle contenanceadopter. Pour tirer les trois frères deleur raideur, notre photographe avaitdû leur raconter des histoires drôles ...A vec le succès - consacré par l'introduction du titre en Bourse à lafin de 1976 - sont venues la décontraction, une simplicité plus recherchée dans le vêtèment, une nouvelleaisance dans le-geste et la parole.
La pensée aussi a pris plus d'ampleur, une dimension nouvelle. Bernard Darty confie désormais volontiers ses idées sur les relations sociales, le rôle de l'entreprise dans l'économie, l'héritage ou les nationalisations. Des idées pas forcément originales, mais bien typées: celles d'unpatron heureux de l'être, maisconnaissant les limites de son pouvoir et conscient que l'entreprise doittenir pour des égaux tous ses partenaires, qu'il s'agisse des fournisseurs, des travailleurs, des concurrents, des consommateurs ou despouvoirs publics.
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977
Un mot vient même dans sa bouche, qu'on n'attend guère de la partd'un chef d'entreprise: le mot « modestie ». Est-ce l'atavisme du petittailleur de la porte de Montreuil, sonpère? Bernard Darty montre unsouci permanent de conserver un« profil bas ». De la part de quelqu'un qui a si bien et si honorablement réussi, c'est incontestablementsympathique. Même si cette attituderecouvre un fonds de superstition ...
Chantal Bialobos : Vous avez 42 ans.Vous êtes PDG d'une entreprise dontle chiffre d'affaires dépasse le milliardde francs. On estime qu'en région parisienne un foyer sur six possède desappareils achetés chez vous. Le portraitest-il exact?Bernard Darty : Oui. Notre groupe desociétés réalisera cette année 1,3 milliard de francs de chiffre d'affaires,toutes taxes comprises, et nous détenons, .en effet, 18 % du marché enrégion parisienne.C.B. : Vous avez brûlé les étapes, puisque vous avez commencé avec 25 m2à la porte de Montreuil. Pourriez-vousnous raconter rapidement vos débuts?B.D. : En 1957, nous avons en effetacquis, mes frères et moi, un petit magasin d'électroménager.
A cette époque, la distributionétait totalement différente de ce qu'elleest aujourd'hui. Les hypermarchésn'existaient pas encore, le libre-servicebalbutiait, et on ne connaissait pas lescentres commerciaux. La distributionétait assurée par les grands magasins,les magasins populaires et de petitsmagasins de quartier.
De 1957 à 1965, t'lOus ;iVons déve-
loppé notre affaire. Ce fut une périoded'apprentissage. En 1965, nous avonsacheté un deuxième magasin. Etape trèsimportante, pour nous, parce que nousnous trouvions brusquement confrontésà des problèmes de gestion et de décentralisation. Il est plus difficile d'ouvrirun deuxième magasin qu'un trentedeuxième!
C'est par un effet du hasard queBernard Darty s'est lancé dans l'électroménager. Son père, ouvrier tailleur,aidé du fUs aîné Nathan, confectionnaitdes vêtements que Marcel vendait dansun petit magasin à la porte de Montreuil. Lorsque leur voisin, qui tenaitcommerce de lampes, de postes deradio et de téléviseurs (une demidouzaine par an 1) décide de céder sonfonds de commerce, Marce! se porteacquéreur pour agrandir son magasinde vêtements. Or la ville de Paris propriétaire des boutiques - refuse latransformation du bail, afin de sauvegarder l'équilibre des commerces. Marcel, aidé de Bernard, qui rentre duservice militaire, se met donc à vendrele stock du voisin, et, pour attirer leclient (on était en 1957), sort les téléviseurs sur le trottoir. En quelques jours,le stock sera liquidé ... et les vocationsdécidées 1
B.D. : Deux périodes ont donc marquéces vingt années. 1967, c'est le tournant.Nous décidons de transférer notreentrepôt de Bagnolet à Bondy, et nousachetons un terrain avec un bâtimentbien trop grand par rapport à nosbesoins. Ce qui nous a permis de mettre en application une idée qui mûrissait en nous : ouvrir une grande surface spécialisée.C.B. : Avez-vous acheté ce terrain en
ENTRETIEN 255
Lorsqu'une entreprise, est petite, ses animateursse fient surtout à leur intuition. Mais, à partir
d'un certain stade, il faut planifier le développement
BERNARD DARTY 1 SUITE
ayant un but précis, ou parce qu'il setrouvait disponible?B.D. : Surtout parce que nous avionsl'envie --,- plus que la ,volonté - d'ouvrir une grande surface spécialisée. Acette époqùe; notre magasin (400 m2)était sans. doute l'un des plus grandspour ce secteur d'activité; Nous l'avonsouvert en mai 1968. C'était, pour nous,un événement plus import'ant que« l'autre ».' Le succès, a été immédiat.Cela nous a confirmés dans notre sentiment, et l'envie s'est transformée envolonté.C.B. : La., croissance que vous avezconnue était-elle planifiée, mûrementréfléchie, ou, est-elle le résultat d'uneligne de conduite empirique, dictée parles événements?B.D. : ,Lorsqu'une entreprise est petite,la plupart du temps, ses animateurs sefient surtout à leur intuition, parcequ'ils n'ont pas à leur disposition d'outils de gestion suffisants. Mais à partird'un certain stade, il faut naturellementplanifier le" développement. Cela a étéle cas pour notre deuxième période,c'est-à-dire après 1968-1969.C.B. : Quelle est votre formation?B.D. : Secondaire. Je suis allé au lycéejusqu'à l'âge de 18 ans. J'ai passé unbrevet d'études commerciales, un diplôme qui ne,doit plus exister aujourd'hui: c'est l'équivalent du BT.C.B. : Et puis, c'est le voyage auxEtats-Unis? " .B.D. : Oui, en 1967. Rien n'est déterminant, mais tout s'additionne.C.B. : Vous êtes allé aux Etats-Unisavec quelle idée précise?B.D. : J'y suis" allé à l'occasion d'unvoyage de dix jours organisé par unfournisseur, qui avait pour objet defaire connaître la distribution américaine. Et j'ai pu voir ce qu'était vraiment une grande •.surface spécialisée.Cela correspondait parfaitement àl'idée que je me. faisais d'un magasincapable de distribuer à bas prix ungrand choix de, marchandises nécessitant l'action d'un service après-vente.C.B. : Aujourd'hui; Darty, c'est quoi?B.D. :, Globalement, c'est trente-deuxmagasins sous l~enseigne Darty, septmagasins sous l'enseigne Odiovox, etune société qui est la centrale d'achat
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977
du groupe: Caprofem. Nous comptonsactuellement 2 300 employés; nousétions 2000 au début de l'exercice etdevrions être 2 500 à la fin de févrierprochain. Vous voyez, nous créons500 emplois. Pour certaines entreprises,on le relève' plus volontiers; quandc'est Darty, il me semble que c'estpassé plus inaperçu.
Nous avons une opération à Lyon,il s'agit d'une filiale, Darty RhôneAlpes, exploitant elle-même sept magasins. Mais l'implantation dans la régionRhône-Alpes n'est pas encore achevée.Ces magasins détiennent eux aussi entre15 et 18 % du marché.C.B. : Comme en région parisienne?B.D. : Oui. A Lille, l'opération ne faitque démarrer, puisqu'elle a commencédébut avril. L'estimation de notre partde màrché est voisine du chiffre précédent.C.B. : A combien estimez-vous le nombre de vos clients?B.D. ,: De l'ordre de 1,3 million declients par an.C.B. : Vous avez finalement opté pourdes filiales, alors qu'en 1974 vous sembliez pencher pour des franchises.B.D. : Cela correspondait surtout à unetendance générale. A l'époque, le franchisage était un peu la recette-miracle.Nous n'y avons jamais beaucoup cru.Ce peut être un excellent levier pouraccélérer le développement; mais, en
même temps, il faut savoir qu'il y adeux partenaires pour partager lesrésultats; .. Ce qui complique un peules choses. Comme nous n"avons jamaiseu de véritables problèmes de financement, et que nous ne sommes pas desfanatiques du développement forcé, ilm'a semblé que le franchisage n'étaitpas nécessaire. Aujourd'hui, nous pensons avoir eu raison d'avoir opté pourles filiales.C.B. : Quel est le pourcentage devotre croissance annuelle?B.D. : De 1972 à 1976, en quatre ans,Darty a multiplié son chiffre d'affairespar 6 et ses bénéfices par 7,5. Pourles prochaines années, le rythme deprogression devrait être de l'ordre de25 %.C.B. : Dès le départ, lorsque vousétiez porte de Montreuil, vous avezfondé votre affaire sur le service aprèsvente, et vous lui devez une large partde votre succès.
Là aussi, la vocation est venue parla force ... Porte de Montreuil, les clientsavaient le coup de poing facile, etmieux valait, pour les frères Darty,
avoir un service après-vente impeccable s'ils ne voulaient pas se retrouveravec un œil poché!
C.B.,: Ce qui se conçoit à partir d'undépôt parisien ne pose-t-il pas de problèmes en province?B.D. : Il faut raisonner, pour le serviceaprès-vente, en termes de temps et nonde kilomètres. Les problèmes, nous neles avons pas rencontrés pour la première fois à Lyon, mais à Paris, quandnous avons commencé à nous développer en dehors de notre première zonede chalandise. Et nous avons alorsdécidé - dès 1969 - de décentraliser la fonction service après-vente.
Notre service après-vente était gérépar une filiale : Darty-Service. Cettesociété a continué de se développer aumême rythme que Darty, pour atteindre une taille respectable, puisqu'ellecomptait, en 1975, près de 600 personnes. C'est presque trop pour uneentreprise industrielle; c'est beaucouptrop pour une entreprise de service.
Nous avons alors décidé de décentraliser Darty-Service, l'objectif étantd'avoir une ou deux sociétés de service par département et par ligne deproduit. Nous avons commencé cetteopération il y a deux ans. Aujourd'hui,nous sommes à la moitié du chemin,puisqu'il existe quatorze sociétés deservice décentralisées.
En mars prochain, Darty-Servicesera entièrement décentralisé et aura,en quelque sorte, disparu. La missionde service après-vente sera confiée àdes sociétés qui sont toutes égalementdes filiales à 100 %, juridiquementautonomes. Cette formule permet unebonne lisibilité de chaque compte d'exploitation; elle permet aussi - élément fondamental dans une société deservice - de créer des entités dontles effectifs ne sont jamais supérieursà 25-30 personnes, et donc d'éviter desstructures hiérarchiques trop lourdes.Il n'y a pas d'échelon intermédiaireentre le technicien et le directeurgénéral. Elle permet, enfin, une promotion interne importante.
L'idéal serait d'avoir un technicienDarty par îlot d'habitation, pour gérerchaque îlot. C'est utopique, bien sûr.Nous avons donc arrêté la décentralisation au département ou au demidépartement; pour Paris, à des ensembles de quatre ou cinq arrondissements.Dans ce domaine, il n'y a pas d'économie d'échelle. Chaque action de service après-vente est une opération isolée, dont le prix de revient est pres-
ENTRETIEN 257
Le service après vente est une fonctiontrès difficile à assumer...
ToUs les matins, on retrouve 2 500 problèmes
BERNARD DARTY 1 SUITE
que en totalité composé de frais depersonnel.C.B. : La gestion des magasins estelle également décentralisée, ou gérezvous tout à partir de Paris?B.D. : Pour le négoce, le concept estpresque opposé. La décentralisation estcomplète entre Paris, Lyon, Lille etles prochaines opérations de province.Mais il faut savoir qu'à Paris, parexemple, pour les produits lourds notamment, nos magasins sont surtoutdes lieux d'exposition, ce qui signifieque nous n'avons pas besoin d'avoirde stocks importants sur place (aussi,nos magasins nécessitent des investissements relativement faibles).
L'organisation est donc obligatoirement centralisée, ce qui nous permet,s'agissant principalement de flux demarchandises, d'obtenir justement deséconomies d'échelle à tous les niveaux:stockage, allégement des stocks, gestiondes livraisons, achats, etc.C.B. : Qui dit organisation centraliséedit obligatoirement circulation intensede l'information?B.D. : Oui. Si nous sommes très centralisés, notre système de circulation del'information est conçu de telle manièreque nos directeurs de magasin aient lesentiment d'être complètement indépendants, puisqu'ils détiennent, à leurniveau, plus d'informations qu'ils nepourraient en détenir s'ils étaientcomplètement décentralisés. Cela, grâceà un puissant système informatiquefonctionnant en temps réel.
Déjà, en 1974, Bernard Darty avaitmontré avec un grand enthousiasmel'embryon de système informatique qu'ilpossédait alors; indiquant que c'est àl'aide d'un outil informatique sophistiqué qu'il pourrait assurer son développement. L'avenir lui a donné raison.
B.D. : Ce système de gestion de l'information - je préfère cette expression à système informatique - reposaitautrefois sur un réseau privé de téléscripteurs. Aujourd'hui, les moyensvenant et la taille s'accroissant, nousavons remplacé ce système par un outilinformatique. Au niveau du point devente, le directeur de magasin détient
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977
plus d'informations qu'un grand nombre de directeurs d'entreprise.
Nous avons été amenés à faire descomparaisons avec un concept complètement opposé au nôtre, c'est-à-direfondé sur un stock propre à chaquemagasin, et excluant, pour réaliser deséconomies, la livraison chez le client.Nous nous sommes aperçus qu'ainsinon seulement on donnait un servicemoins bon au client, mais que celarevenait presque deux fois plus cher.
Notre organisation stockage-magasinage-livraison chez le client coûte26 millions de francs par an ; le budgetpour une organisation décentralisées'élève à 43 millions de francs.
Bernard Darty fait allu.rion à sonconcurrent Conforama, dont le systèmerepose sur la vente à emporter, et quidoit donc supporter le financement d'unstock très lourd. En période de conjoncture difficile, les risques sont plusgrands, comme Conforama en a faitl'expérience il y a deux ans. '
C.B. : Vous annoncez l'ouverture dequarante nouveaux magasins d'ici à1982. C'est beaucoup.B.D. : Nous prévoyons l'ouvertured'au moins six magasins par an, enmoyenne. Cette année, nous en avonsdéjà ouvert dix, et deux viendronts'ajouter avant la fin de l'exercice.
Compte tenu des filiales qui, ellesmêmes, génèrent leurs propres ouvertures, le rythme de six magasins l'an,au niveau du groupe, est tout à faitraisonnable.C.B. : Comment comptez-vous financer tout cela ?B.D. : Principalement par autofinancement. Nous avons, cette année, un programme d'investissement· maximal de36 millions de francs, et nous auronspeu recours à des emprunts extérieurs.L'investissement nécessaire pour unmagasin se situe entre 1,5 et 3 millions de francs. Cela n'a absolumentrien à voir avec les investissementsnécessaires pour l'ouverture d'un hypermarché, par exemple.C.B. : Pourtant, il y a trois ans, vousme disiez que l'expansion allait devenirplus difficile? .B.D. : Si j'ai dit cela' au sens général,je ne me suis pas trompé; si je l'aidit pour Darty, c'était par modestie.C.B. : Votre publicité est fondée surdeux arguments : les prix et le contratde confiance. Quel pourcentage devotre chiffre d'affaires représente lapublicité?
B.D. : Toujours le même: 3,3 %, fonctionnement et frais techniques inclus.C.B. : Comment faites-vous pour quevos prix soient les plus bas et pour lesmaintènir à ce niveau? Continuez-vousà payer vos fournisseurs comptant,comme vous le faisiez il y a quelquesannées? Est-ce toujours possible avecautant de magasins?B.D. : Oui, notre politique n'a pasvarié. Nous bénéficions ainsi d'escomptes pour paiement comptant.C.B. : On dit aussi que les salaires devos employés sont relativement élevés.Alors, comment faites-vous?B.D. : C'est un problème de productivité. Nous avons, dans chaque domaine,des ratios de productivité élevés, quece soit en termes de chiffre d'affairespar mètre carré, de chiffre d'affairespar vendeur ou de chiffre d'affaires paremployé. C'est notre organisation centralisée s'agissant de la gestion des produits, décentralisée s'agissant des services, qui nous permet d'atteindre cesimportants ·rendements. Et comme unmagasin se rentabilise dès son premierexercice, nous avons la possibilitéd'avoir une politique de prix bas' etde verser des salaires relativement élevés.C.B. : Il y a bien des gens qui saisissent au mot votre publicité et vousdemandent le « remboursement de ladifférence »?
B.D. : Naturellement, et avec toujoursle champagne à la clé, qui est le petitclin d'œil sympathique. Nous voulonsque nos clients sachent, et observenteffectivement, que nos prix sont, à toutle moins, alignés sur les prix les plusbas proposés par nos concurrents.C.B. :On dit qu'il y a aussi des réclamations concernant le service?B.D. : Nous faisons 2500 interventionsà domicile par jour. 2 500 interventionsprovoquent inéluctablement des ratés,des manques, parce que ce sont deshommes qui les effectuent. Si, dans lajournée, 1 % des clients n'ont pas étésatisfaits, en valeur -relative, c'est vraiment très faible. En valeur absolue, c'estquand même 25 clients mécontents.C'est pourquoi nous avons créé unestructure « Consommateurs Service »pour réparer très rapidement les défaillances humaines. Parce que nous nesommes pas infaillibles! Souvenonsnous que le service ,après-vente est unefonction très difficile à assumer ... Celarecommence tous les matins. Tous lesmatins, on retrouve 2 500 problèmes.C.B. : Et la garantie étendue à quatreans? Une garantie qui coûte 990 francs
ENTRETIEN 269
Pour une petite entreprise qui veut devenir grande,le fait d'être dirigée par trois frères
qui s'entendent bien est probablement décisif
"
BERNARD DARTY / SUITE
pour un téléviseur couleur, par exemple, c'est un peu cher. Combien devos clients la choisissent?B.D. : Environ 20 %. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait penser, nousne réalisons pas de bénéfice sur cetteprestation. Les prix de cette assurancefacultative sont calculés après exploitation de nos statistiques de pannes.C.B. : Il y a quelques mois, un fabricant important - Thomson - a protesté contre certaines grandes surfacesqui « bradaient » ses produits avecdes prix d'appel pour mieux vendre lesproduits de la concurrence. Ce fabricant a même menacé de pratiquer àl'avenir le refus de vente. Qui visaitil?B.D. : Personne en particulier. Ce n'estlà que la conséquence d'un systèmede distribution fortement imprégné parla concurrence, par le fait que diversesformes de distribution s'affrontent.L'élément primordial qui fait se déplacer le client est le prix. Toutes lesformes de distribution cherchent doncà se donner une image de bas prix.Pour cela, elles doivent faire à leursclients des propositions qui permettentles comparaisons.
Donc, sur des articles aisément identifiables, comparables, et à forte notoriété. L'électroménager est le produittype pour ce genre d'opération.
Ces opérations de prix d'appeldéclenchent une réaction immédiate dela part des spécialistes qui, pour nepas se laisser distancer, viennent s'aligner sur les propositions des non-spécialistes. Et on arrive à des situationsquelquefois très dégradées.
Des constructeurs, effectivement, sesont émus de cette situation, parcequ'ils constatent un affaissement desmarges de leur réseau spécialisé, lequelassure la très grande majorité de leurchiffre d'affaires - environ 80 %. Ilsse sont émus aussi du moins grandintérêt des spécialistes en faveur deleurs marques.C.B. : Vous-même, comment réagissezvous à ce genre d'affaires?B.D. : Je constate et je m'adapte. Jesuis respectueux de la réglementation.Je comprends très bien les problèmesdes autres, des hypermarchés, des
L'EXPANSION NOVEMBRE 1~77
constructeurs. Il faut que ceux-ci comprer,nent aussi nos problèmes. Le comme;rce, en général, c'est la faculté de~;adapter au quotidien.
Cela dit, quoi qu'on ait déclaré parailleurs sur notre manque de nationalisme en nous accusant de contribuerau déséquilibre de la balance commerciale, je dis que c'est nous faire beaucoup d'honneur, mais que c'est faux.Le profil de nos ventes est plus « national » que le profil moyen des ventesdu secteur. J'ai d'ailleurs envoyé undossier à ce sujet à l'administrationcompétente. Je réfute donc toutes cesaccusations.
Nous devons payer la rançon du succès. Le développement très rapide d'uneentreprise comme la nôtre ne va passans soulever quelque animosité.C.B. : Pour vos fournisseurs, vous êtesdes clients de poids!B.D. : Le mot client convient bien.Nous pensons être des partenairessérieux pour nos fournisseurs. Noussommes effectivement organisés pouradditionner notre propre valeur ajoutée(capacité de stockage, réceptions unitairement importantes et planifiées, service après-vente, etc.) aux produits desindustriels.
Le mot poids a une connotation quine convient pas. Si l'on considère lataille de nos principaux fournisseurs,nous ne sommes naturellement pas
(quand bien même le voudrions-nous)en mesure de leur dicter nos conditions.C.B. : Votre campagne « ils ont toussigné )} pour le contrat de confianceme semble à la limite du matraquagepublicitaire. Croyez-vous que le clientse soucie de savoir si le livreur ou latéléphoniste de chez Darty ont signéle contrat de confiance? Ce qui m'intéresserait davantage, c'est de savoirsi le patron, lui, a signé.B.D. : Le patron a effectivement signé.Par ailleurs, vous me dites ne pas êtrecertaine que le thème soit bon. Pournous, il nous a semblé surtout intéressant sur le plan interne. Nous avonsmonté une importante opération d'information dans l'entreprise, pour sensibiliser l'ensemble du personnel. Nousavons réussi. En effet, tout le mondea signé. Cela dit, si vous, vous réagissez mal, c'est une mauvaise campagne.C.B. : Avez-vous des réactions de vosclients à ce sujet?B.D. : Oui, car sans rien promettre deplus, nous avons réussi quand mêmeà accroître l'impact publicitaire de lapromesse commerciale. Et plus vous
accroissez cette promesse, plus il fautl'assumer. Cela représente donc de plusgrandes obligations pour nous. Le clientest plus exigeant. C'est à nous desavoir si nous sommes capables desatisfaire cette exigence. Nous, prenonsdes risques.
Pour nous, la campagne nous a semblé très bonne; elle l'est peut-être moinsque nous ne le pensions.C.B. : Qui décide les campagnes depublicité?B.D. : Un groupe d'hommes, mais jesuis personnellement avec beaucoupd'attention ce domaine. Je pense quel'ensemble de la communication d'unesociété doit transiter par la directiongénérale.C.B. : Comment se répartissent lestâches entre les trois frères? Il y atrois ans, c'est votre frère Marcel quiétait le PDG.B.D. : Si j'ai succédé à mon frère àla présidence, n'y voyez aucune signification particulière. Il a assumé - avecle succès que vous savez - cette responsabilité, depuis la création de l'entreprise jusqu'en 1975.
Cela dit, l'entreprise est dirigée encommun par les trois frères, bien sûr,mais aussi par une équipe de cadresremarquablement compétents, dont jesuis certain qu'un grand nombre seraitcapable d'assumer les plus hautes responsabilités. Mais, au démarrage de
notre entreprise, ce qui nous ,a permisde fixer des objectifs relativement ambitieux, c'est probablement le fait quenous étions trois.
Pour une PME qui veut se donnerdes dimensions de « moyenne entreprise », et de « grande » plus tard,le fait d'avoir une direction composéede trois frères qui s'entendent bien estprobablement décisif. Pour une petitesociété, il y a généralement une superposition complète entre les objectifs personnels du chef d'entreprise etles objectifs qu'il fixe à sa firme.Pour lui, c'est un peu la même chose,c'est un tout. Le fait d'être trois apermis à chacun de vivre sa vie privéenormalement. /C.B. : Il y a six épaules au lieu dedeux.B.D. : Absolument. Depuis vingt ans,nous sommes toujours partis en vacances, de manière très régulière, et nousquittons le bureau à des heures toutà fait décentes. Nous n'emmenons pasnos dossiers chez nous. Je pense quec'est important.C.B. : Comment travaillez-vous?B.D. : J'arrive au bureau à 9 heures
ENTRETIEN 261
Le commerce est un référendum permanent : quand le clientvote pour vous, il y a du chiffre d'affaires ;
s'il ne vote plus, il n'y a plus de chiffre d'affaires
BERNARD DARTY / SUITE1
et j'en repars vers 19 h 30. Je ne suispas un bourreau de trav·ail. Il m'est trèsdifficile de travailler seul, parce que jesuis probablement plus homme d'actionqu'homme de réflexion, que la réflexionme vient à travers l'action.C.B. : Une pareille réussite peut sembler du domaine du rêve. Pensez-vousque ce rêve soit encore réalisable en1977 ?B.D. : Je l'espère. Sinon, ce seraitangoissant. Des facteurs extérieurs peuvent compliquer, ou, au contraire, faciliter les choses. Je crois qu'un hommeanimé par une grande volonté peutencore trouver un certain nombre desecteurs où son esprit d'entrepreneurlui permettra de réaliser son projet.
C.B. : Percevez-vous un changementdans le comportement des consommateurs ?B.D. : Bien sûr. Nous avons toujourseu le plus grand respect pour nosclients, parce que nous sommes obligésd'aller aux urnes tous les jours. Lecommerce est comparable à un référendum permanent ; quand le client votepour vous, il y a du chiffre d'affaires;s'il ne vote plus, il n'y a plus dechiffre d'affaires.
Je n'ai pas le sentiment que notreentreprise soit différente de ce qu'elleétait il y a quelques années. Le comportement du consommateur, lui, est différent, comparé à ce qu'il était il ya vingt ans. D'abord, le consommateuraccepte de se déplacer, parce qu'il aune voiture, qu'on lui propose des parkings ... Et puis, dans les relations entrele client et le vendeur, le client étaità ce moment-là en état d'infériorité;on a l'impression aujourd'hui que larelation est inversée. Enfin, il existedésormais des associations de consommateurs, des journaux spécialisés, uneplus grande information, davantage depublicité, etc.
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977
C.B. : L'an dernier, vous avez tentéd'ouvrir un dialogue avec les consommateurs ...
Bernard Darty avait en effet offertdes espaces publicitaires, dans les journaux, aux associations de consommateurs, afin qu'elles puissent s'y exprimer.
B.D. : ...Je n'ai pas tenté d'ouvrir undialogue. Mon objectif était moins ambitieux. En lisant les déclarations desassociations de consommateurs, il m'estapparu qu'un de leurs problèmes étaitle manque de possibilité de s'exprimertrès largement, faute de moyens financiers peut-être, Nous avons pensé qu'ilserait intéressant de pouvôir réalisercette opération.C.B. : Et cette offre a été plutôt malperçue,B.D. : Oui, par la moitié d'entre elles,qui estimaient avoir affaire à une opération de récupération. Alors que cen'était vraiment pas l'objectif. Mais sielles l'ont perçu comme tel, il fallaitalors arrêter. Et j'ai bien compris leurréticence.
Certaines associations ont effectivementutilisé l'espace offert, d'autres sontallées jusqu'à faire un procès en référéà Bernard Darty pour qu'il retire leurnom.
C.B. : J'ai lu que vous aviez étécondamné, en juin 1977, pour avoirrefusé de rendre des arrhes à unecliente qui n'avait pas été livrée àtemps.B.D. : C'est faux. Je n'ai pas voulufaire de démenti, parce que ça n'auraitfait qu'aggraver le mal. Ce n'était pasDarty, mais Real, qui n'avait pas livréà temps une chambre à coucher. Etc'est Real qui a été effectivementcondamné. Real et Darty sont deuxsociétés complètement distinctes. Lejournaliste aurait dû s'informer.
Darty s'était associé avec Real, undistributeur de meubles qui vend àla fois des meubles et de l'électroménager, parce que Conforama s'était installé en face de chez lui. Par la suite,le négoce du meuble a connu des difficultés, et les frères Darty ont étéconduits à secourir leur associé et àprendre une participation financière.Mais il s'agit des frères Darty en tantque personnes privées, et non de l'entreprise.
C.B. : Grâce à l'introduction de vos
Techmav.Llétiquetteadhésive.
L'étiquette est une chose simple.Si simple qu'on la considère tropsouvent comme un "détail ". Pourtant, c'est elle qui identifie le produit,qui indique sa composition, Elle estl'ambassadrice de la marque.L'étiquette est une chose essentielle.Et l'étiquetage estun métier, Celui deTechmay.
Car il ne suffit pas de savoir imprimer de belles étiquettes. Il faut aussique chacune se détache parfaitementde son support, qu'elle s'appliquejuste là où il faut, quand il le faut.Ce que fait l'étiqueteuse Mark, deTechmay.Chaque jour, des centaines d'installations - de la plus simple à la pluscomplexe - étiquettent leur production avec Techmay. Ponctuellement.Aussi quel que soit votre systèmeactuel d'étiquetage, demandez àTechmay ce que ses techniciens enpensent.
Techmay
ENTRETIEN 263
BERNARD DARTY / SUITE
J'habite toujours la mêmemaison.
Je la trouvais bellequand je l'ai achetée,
je la trouvetoujours aussi belle
actions en Bourse, vous avez récupéréune partie de votre patrimoine. Qu'enavez-vous fait?
L'élargissement du capital horsfamille remonte à 1973, quand Paribaset la Compagnie bancaire en avaientpris 14 %, puis l'UAP 8 % en 1974,
enfin des investisseurs institutionnels10 % en 1975. Aujourd'hui, 33 %des actions sont dans le public, 51,5 %à la famille Darty, 6,2% à Paribas,6 % à l'UAP et 3,3 % à la Compagnie bancaire.
B.D. : 23 % du capital ont été introduits, mais notre groupe familial n'ya participé que pôur la moitié. L'utilisation que j'en ai fait est tout à faitbanale : -des placements classiques ...d'ailleurs pas très glorieux! Commetout le monde. Ce n'est pas la peined'en parler.C.B.: Avez"vous l'impression quandmême d'être devenu un capitaliste, oule terme vous gêne-t-il?B.D. : Absolument pas. Oui, je suiscapitaliste, puisque j'ai du capital, etje vous mentirais en prétendant ne pasen être satisfait. Posez cette questionà n'importe quel Français: préférezvous posséder un patrimoine ou non?Qu'est-ce qu'il devrait répondre?
Capitaliste, ce n'est pas un étatd'âme, ni un statut politique, c'est leterme qui est utilisé pour désigner celuiqui possède des biens. Mais ce motn'est pas toujours utilisé seul. On ditcapitalisme monopolistique ou capitalisme d'Etat, capitalisme sauvage, oucapitalisme éclairé, etc. Il y a touteune littérature là-dessus.C.B. : Votre vie personnelle' a-t-elle
beaucoup changé depuis 1967?B.D. : Non. J'ai toujours pu satisfairemes besoins et, à quelque chose près,je vis de la même manière. J'habitetoujours la même maison. Je la trouvais belle quand je l'ai achetée, je latrouve toujours aussi belle. Je suis trèsbien où je suis. J'ai deux filles. Je lisenviron deux livres -par semaine, et unpeu de tout. En ce moment, je lisle livre de De Closets, « La Franceet ses mensonges ".C.B. : Vos filles sont-elles tentées parune carrière dans l'entreprise familiale?B.D. : Non, je ne le pense pas. Dureste, je ne les pousserai pas à travailler dans cette entreprise. A la limite,je suis contre l'idée de transmission dupatrimoine industriel ou commercial.Bien sûr, je ne suis pas contre la transmission du patrimoine familial; mais,pour les entreprises, il faudrait trouverun système, afin de libérer le paysagede façon permanente et de donner auxjeunes la possibilité de créer. Mais jesais bien qu'il n'est pas facile de démanteler les entreprises tous les trenteans.C.B. : Avez-vous lu « Les patrons JO,
de-Harris et Sédouy? Que pensez-vousdes patrons?B.D. : J'ai lu ce livre. Je ne m'identifie pas à certains d'entre eux. Je n'airien à dire sur les patrons. Chacunest comme il est, c'est son problème.
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977 ENTRETIEN 265
BERNARD DARTY / SUITE
Dans notre entreprise,les relations
entre partenaires sociauxfonctionnent. Je n'ai pas dit
bien ou mal,mais fonctionnent
C.B. : Cela ne vous tenterait pas d'avoirdes responsabilités, par exemple- auCNPF?B.D.. : Non. Cela me prendrait trop detemps. Il faut choisir.C.B. : Avez-vous des hobbies, des passions ?B.D. : Non. Je suis un peu touche-à-
tout. Je fais un peu de sport, je regardela télévision, je vais au cinéma, au théâtre, je rencontre des amis. C'est fina- .lement très banal, mais je suis contentcomme cela. Je ne fais pas de collection, je ne joue pas très bien au tennis, ni aux échecs, ni au rami ...
C'est vrai qu'il ne joue pas au « superman ». Mais cette volonté constanted'apparaître comme' un Français« moyen » est curieuse : a-t-il peurde prêter le flanc à la critique?
C.B. : Croyez-vous que si la gauchearrive au pouvoir, lors des prochaines
-élections, le contexte changera pourvous dans votre entreprise?B.D. : Je crois surtout -qu'il faut queles élections aient lieu, car ces longuespériodes d'attente ne me semblent pasfavorables pour la vie économique etpolitique de notre pays.
Mais, en toute hypothèse politique,je crois que les gens auront toujoursbesoin de machines à laver, ou de téléviseurs, pour autant qu'ils conserventla possibilité d'en acheter.
A l'intéri~ur de notre entreprise, lesrelations entre les différents partenairesso'ciaux fonctionnent. Je n'ai pas ditfonctionnent bien, ou mal, mais fonctionnent. Il ne m'appartient pas d'enjuger seul. Je n'ai pas l'impressioncependant que demain les représentants
du personnel viendront voir si un trésor est caché sous mon bureau. Ilpourrait y avoir des mesures réglementaires qui modifieraient le fonctionnement des entreprises, mais comme onn'a jamais dit ce qu'elles seraient, attendons.
Puisque vous me demandez monpoint -de vue sur les nationalisations,je pense que jamais personne ne proposera de nationaliser le secteur distribution et commerce. Mais je croisque l'objectif essentiel d'une entrepriseest de sécréter des richesses. Ainsi, ellepeut à tout le moins satisfaire lesbesoins matériels des hommes et desfemmes qui y travaillent, et ceci directement. Les effets s'en font égalementsentir de matière indirecte sur la collectivité. L'entreprise doit également prendre en compte certains besoins psychologiques et sociaux dans le cadre de lavie professionnelle.
Mais imaginer et dire que l'entreprise soit capable de créer et gérer lebonheur des hommes, c'est se moquerdu monde. Il faut laisser éventuellement ces objectifs aux associationssportives, aux groupes de scouts ou auxpatronages, par exemple. Cela dit,l'entreprise peut aussi devenir une sortede patronage ...C.B. : En tant que citoyen, vous n'êtesdonc ni pour ni contre les nationalisations.
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977 ENTRETIEN 267
BERNARD DARTY / SUITE
La dimensiondes entreprises, leur forme
d'organisation,importent plus
que de savoir à quiappartient le capital
B.D. : Ce qui crée chez moi un sentiment d'angoisse, c'est le risque de voirse créer des entreprises dont la taillesera monstrueuse, gigantesque. Car, àmon sens, et inéluctablement, les entreprises nationalisables -qui sont déjàgéantes - seraient au moins, par secteur d'activité, probablement amalga-
mées à certains niveaux, et ce, mêmecontre la volonté du pouvoir politique.Je frissonne pour l'homme et son« bien-être professionnel ».
En ce qui concerne les entreprisesqui resteraient dans le secteur privé,il me semble qu'il faudra beaucoup decourage et d'habileté à leurs responsables, quand on songe que leurs fournisseurs, leurs banquiers et (pour certaines d'entre elles) leurs clients pourraient être ces entreprises nationaliséesmastodontes. Vous avez compris quece qui me préoccupe avant tout, c'estd'être certain que les hommes conserveraient le pouvoir de faire, de créer,sinon de réaliser une œuvre. Et c'estplus le problème de la dimension desentreprises, de leur forme d'organisa"tion, qui me semble posé, que de savoirà qui doit appartenir le capital.
A cet égard, il m'apparaît qu'ildevrait être plutôt rassurant pour untravailleur de savoir que « son patron » sera doublement pénalisé, danssa vie professionnelle, mais aussi dansson patrimoine, en cas d'échec. Ilserait à mon avis plus profitable pourla collectivité de responsabiliser encoreplus l'entrepreneur propriétaire de toutou partie du capital, plutôt que dechercher à diluer les responsabilités.
Mais, en contrepartie, il seraitnécessaire, pour mieux saluer la réussite, de modifier nombre de schémas
intellectuels qui font que, souvent, certains entrepreneurs sont des capitalisteshonteux de leur succès.C.B. : Changer l'homme, en quelquesorte. N'est-ce pas là un vaste programme?B.D. : Je sais qu'un long chemin resteà parcourir pour que les règles souventautocratiques appliquées sur les lieuxde travail soient en meilleure adéquation avec les droits démocratiques dontjouissent les citoyens dans la société.Mais je suis intimement persuadé quedoit se maintenir l'identité propre àchaque face de l'individu : citoyen,consommateur, travailleur. L'individu, àtravers ces différents états, doit avoirla plus large possibilité de faire valoirses revendications, par l'intermédiairede ses structures représentatives, dansla plus large concertation, mais à condition qu'aucun amalgame n'existe entreelles : élection au suffrage universelpour les citoyens, libre choix et associations de défense pour les consom·mateurs, syndicats pour les travailleurs.
Et c'est au travers même de laconfrontation de ses intérêts et de sesbesoins souvent contradictoires que l'individu se trouvera le mieux assuré depouvoir jouir de la liberté commecitoyen, du respect comme consommateur et de la dignité comme travailleur .•
L'EXPANSION NOVEMBRE 1977 ENTRETIEN 269