l’incandescence de l’ombre -...
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fêtards et un mobilier urbain vandalisé), les
représentations picturales ne sont pas pour autant
des lieux de pure tranquillité : les natures de David
Lafrance sont animées de mille symboles qui
procèdent d’une bouillante écologie interne. La
série Autoportraits, présentée en guise de
préliminaire, vient d’ailleurs camper l’univers
fantasmatique de l’artiste.
Ouvert la nuit nous présente une nature abon-
dante – et débordante – aux couleurs d’une
adolescence crépusculaire testant la mesure de sa
liberté par l’expression d’une pulsion d’agression
avid Lafrance nous convie depuis maintenant
plus d’une quinzaine d’années à découvrir
des utopies paradisiaques qui apparaissent, au
premier coup d’œil, telles des représentations
d’une Arcadie mythique créée pour le 21e siècle.
Natures factices, terres d’abondance propres à la
consommation de tous les plaisirs, les œuvres de
David Lafrance sont le témoin d’un trop-plein de
désirs qui transcendent pourtant leurs références
à une nature et à une culture données. Car au-
delà du foisonnement des motifs et de l’expression
d’un certain hédonisme contemporain, ses
œuvres – qui jouent souvent d’oppositions –
présentent aussi en sous-texte le versant sombre
de nos désirs individuels et collectifs.
our cette première exposition solo en con-
texte muséal, David Lafrance a été invité à
réunir ses médiums de prédilection – peinture,
sculpture et art sonore1 – dans une œuvre installa-
tive2 inédite où la luxuriance de la nature côtoie
l’exubérance de la fête. Ouvert la nuit présente
une scénographie qui, selon notre rapport à la vie
nocturne, apparaîtra comme un environnement
invitant et/ou inquiétant. Car si pour certains
l’inscription « ouvert la nuit » est synonyme de
possibilité de consommation en continu et de
satisfaction des désirs incessants (associé à la
fois aux services essentiels et superficiels), elle
est pour d’autres symbole d’un univers de vices
peu balisé par des normes sociales dont les
contours perdent ici de leur netteté. La nuit est en
effet porteuse de toutes sortes de possibles : à
l’instar de la vision nocturne créant ses propres
repères, la quête de plaisir y rencontre un principe
de réalité qui se module en demi-teintes.
Installation énigmatique, Ouvert la nuit propose le
singulier télescopage d’une place publique
urbaine et de milieux naturels foisonnants. La
sculpture est ici le médium de l’espace urbain
alors que la peinture est davantage celui de la
nature. Mais si le lieu public témoigne d’agitation
et de désordre (on y retrouve des rebuts de
1 David Lafrance mène en parallèle, depuis 2003, une activité de musicien. Il qualifie ses explorations sonores de bruitisme ambiant, intégrant des influences folkloriques et des touches électro-psychédéliques. 2 Nous sommes ici à mille lieues de l’esthétique du cube blanc dans ce projet qui se situe aux frontières du champ de la création proprement artistique et de celui des pratiques curatoriales.
L’ i ncandescence de l ’ombre
L’or nouveau, 2011, huile sur toile, 123 x 81 cmEn bas : Autoportrait 12, 2010, huile sur toile, 15 x 11.5 cm
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David Lafrance. Ouvert la nuitInstallation image + son
Commissaire : Andréanne RoyDu 10 juin au 9 septembre 2012Salle Alphonse-Desjardins
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Cette publication est imprimée par
Design graphique : Graff-X Communications inc.; [email protected]évision linguistique : Micheline Dussault Photographie : Éliane Excoffier
Ce document est reproduit intégralement sur le site du Musée, à l’adresse : www.museerimouski.qc.ca
L’exposition David Lafrance. Ouvert la nuit, réalisée par la commissaire Andréanne Roy, a été pro-duite par le Musée régional de Rimouski.
Andréanne Roy tient à exprimer sa reconnaissance profonde envers David Lachance, dont lagénérosité et l’ouverture ont permis une collaboration des plus agréables et stimulantes. Elle tientaussi à souligner le travail exceptionnel de l’équipe technique du Musée, dirigée par Gervais Belzileassisté de Pierre Besner, et à remercier Franck Michel, directeur du Musée régional de Rimouski,ainsi que toute son équipe pour leur accueil chaleureux lors de son entrée en poste en mars 2012.
Le Musée régional de Rimouski est subventionné par le ministère de la Culture, desCommunications et de la Condition féminine du Québec, le Conseil des Arts du Canada et la Villede Rimouski.
Pour la période estivale, le Musée est ouvert tous les jours de 9 h 30 à 18 h.Dès le 4 septembre, le Musée est ouvert du mercredi au dimanche de 12 h à 17 h, jusqu’à 20 h le jeudi.
de ces biens induit entre les humains, à la fois
faites sur le mode du partage et celui de la quête
de profit. De l’exotisme exacerbé de la représen-
tation pourrait également poindre une critique
postcoloniale des relations de domination
économique avec l’ « Autre culturel ». L’analyse de
nombreux tableaux récents (Survivre au festin,Rivière, Colonie) renforce cette idée. Mais comme
dans tous ses tableaux, jamais univoques, David
Lafrance nous laisse y projeter nos propres désirs,
le regardeur préférant peut-être rêver aux ban-
quets d’une Rome fastueuse et décadente ou
encore aux plaisirs sensuels de l’île de Cythère.
Car la peinture de Lafrance semble aussi procéder
d’un certain désir de réenchantement du monde,
le banal et le quotidien n’étant certainement pas
les univers de prédilection de l’artiste.
e caractère à la fois expressionniste et
critique de la démarche peut étonner dans le
paysage artistique actuel. Trouvant des échos
dans les traditions romantique et symboliste de la
peinture, la démarche de David Lafrance – notam-
ment son expressivité et son goût assumé pour
l’ornementation – se situe à contre-courant des
principales tendances de la peinture actuelle,
qu’on pense aux pratiques néo-formaliste,
autoréférentielle ou conceptuelle. Plus viscérale
que cérébrale, la peinture de David Lafrance
apparaît dans ce contexte comme une nuit
d’imagination et de liberté jouant de contraste au
côté d’un jour cartésien.
Andréanne RoyConservatrice de l’art contemporain
Dépôt légal 2012Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives CanadaISBN 978-2-923525-38-9
© Andréanne Roy et le Musée régional de Rimouski pour le texte.
© David Lafrance pour les œuvres.
L
Punjabi, 2012, huile sur toile, 107 x 152 cm
allant à l’encontre des exigences de la vie en
commun. La mise en espace suggère ainsi une
nature qui prolifère en marge de la culture, en
périphérie d’un centre qui se maintient grâce au
renoncement pulsionnel des individus. Les
espaces et les temporalités multiples que
convoque Ouvert la nuit semblent ainsi opposer
la nuit primitive – celle de l’homme et de la nature –
au jour de la civilisation.
a visite nocturne que nous propose David
Lafrance se présente tel un exutoire festif,
une fuite en avant des désirs qui trouvent à
s’exprimer dans un répertoire thématique et formel
récurrent. Les motifs de la nature côtoient ceux
issus des modèles culturels auxquels nous nous
confrontons (stéréotypes de beauté, primat d’une
culture jeune et urbaine, quête de l’euphorie
perpétuelle) et ceux d’un héritage folklorique qui
s’exprime dans le choix des motifs mais aussi dans
la facture naïve de ses tableaux. Contrairement
aux éléments sculpturaux de l’installation, les élé-
ments picturaux présents dans l’exposition misent
davantage sur l’expression de désirs qui tendent à
la liaison. Ils mettent notamment en scène les
pulsions d’autoconservation (faim, soif) et
pulsions sexuelles de façon plus ou moins
explicites dans des univers propres à évoquer
un culte bachique3 nouveau genre, célébrant
l’ivresse et les plaisirs divers – à tout le moins
leur quête.
Ainsi l’œuvre Sources de fertilité, sans doute plus
narrative que la plupart des tableaux de l’artiste,
semble évoquer la quête d’un personnage
masculin poursuivant son désir muni de ce qui
pourrait être un bâton de pèlerin. La composition
s’articule autour d’une ligne d’horizon floue
séparant une surface aquatique et un espace
indéterminé, ouvrant sur toutes les possibilités de
l’imaginaire. Ce lieu du désir semble balisé par
une ligne de démarcation, un point de non-retour
entre un monde pragmatique et un univers de
fantasme incarné par ce buste qui arbore les
attributs d’une féminité généreuse, motif récurrent
qui trouve son inspiration dans les Vénus
paléolithiques, souvent associées au culte de la
fécondité (celle du sol et de la femme). Dans cette
représentation qui convoque une variété de
formes et de techniques où subtilité et rusticité se
côtoient et se confondent, l’artiste semble jouir de
l’acte de peindre et de l’hybridation des
techniques autant que du jeu de représentation
symbolique dont lui seul possède peut-être la clé
– mais rien n’est moins sûr.
La facture naïve qu’emprunte David Lafrance
n’exclut pas une grande sophistication dans le
choix des référents et dans la composition des
œuvres. À bien y regarder, on comprend qu’il
est maître du juste dosage entre une nonchalance
de façade et l’expression d’une conscience des
enjeux sociopolitiques contemporains s’incarnant
dans une posture de pseudo-résistance au
néolibéralisme. Vendre et donner, dans un décor
baroque-tropical, semble à première vue célébrer
l’abondance et les bienfaits de la nature, tout
comme le faste et la richesse des productions
matérielles issues de la culture. Mais son titre
évoque les relations paradoxales que la circulation
3 Les Bacchanales sont des fêtes religieuses célébrées dans l’Antiquité grecque en l’honneur de Bacchus, dieu du vin, de l’ivresse et de l’extase, de la végétation sauvage, père du théâtre et de la tragédie.
Vendre et donner, 2011, huile sur toile, 160 x 112 cm
L