l’intérêt du dosage de l’amh en endocrinologie de la reproduction : de l’enfant à...

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endocrinologie | pratique 23 OptionBio | Mercredi 12 février 2014 | n° 502 L’AMH est une glycoprotéine dimérique de 140 kDA, membre de la famille des TGF. Synthé- tisée exclusivement par les gonades à différents moments de la vie, elle agit via son récepteur membranaire, de type BMP-like. L’AMH est connue pour son rôle essentiel dans la différenciation des gonades. En effet, elle est synthétisée très tôt au cours de la grossesse par les cellules de Sertoli et agit dès la 8 e semaine de gestation, chez le fœtus mâle, en réprimant le développement des canaux de Müller, qui repré- sentent l'ébauche de l'utérus, des trompes et de la partie supérieure du vagin. En l’absence de sécrétion d’AMH, la différenciation gonadique se fera vers la formation d’un vagin. L’AMH chez l’enfant Chez le garçon La synthèse d’AMH est stimulée par la FSH et inhibée par la testostérone intratesticulaire. Les premiers mois après la naissance, l’axe hypothalamohypophysaire exprime une « mini- puberté » avec augmentation de l’AMH et de la testostérone (cellules de Sertoli insensibles aux androgènes pendant cette période) puis les valeurs d’AMH restent élevées jusqu’à la puberté (stade II et III) coïncidant avec l’aug- mentation de la testostérone. Ainsi, les valeurs de référence chez le garçon sont-elles, en moyenne, de 229 pmol/l avant 15 j, puis elles diminuent de façon impor- tante à partir du stade III de la puberté pour atteindre une valeur moyenne à l’âge adulte de 30 pmol/l. Les concentrations sériques d’AMH sont 30 à 35 fois plus élevées chez le petit garçon que chez la petite fille. L’AMH est très utile en cas d’anomalie du développement sexuel à la naissance, car elle permet de confirmer ou d’infirmer la présence de testicules fonctionnels chez l’enfant ou de résidu testiculaire. L’AMH sérique sera très basse en présence d’ovaires, élevée en pré- sence de tissu testiculaire ou intermédiaire en situation mixte (tissus testiculaire et ovarien). L’AMH est donc un outil très important pour les pédiatres, aidant à rechercher du tissu testiculaire chez les enfants ayant une ambi- guïté sexuelle. Certes, ces enfants auront tous un caryotype, mais si le caryotype est normal (46 XY ou 46 XX) alors que persiste malgré tout une anomalie du développement sexuel, les dosages combinés d’AMH et de testostérone permettront de distinguer une dysgénésie gonadique (anomalie au niveau du développe- ment des gonades auquel cas AMH et testos- térone seront abaissées) d’une anomalie de la synthèse ou de la sensibilité aux androgènes (AMH normale et testostérone abaissée si défaut de synthèse d’androgènes). Chez la fille De la même façon chez les petites filles, des ano- malies peuvent exister au niveau de la différencia- tion des gonades ou de la cascade enzymatique permettant la synthèse des stéroïdes, pouvant créer un excès d’androgènes et une ambiguïté sexuelle à la naissance ; les dosages hormonaux en permettent le diagnostic différentiel. Même si les pédiatres évoluent vers un phé- notype 46 XX, il est important de détecter un éventuel tissu testiculaire résiduel car si tel est le cas, il doit être retiré, étant à haut risque de développement tumoral. L’AMH est sécrétée par les cellules de la gra- nulosa à partir de la 32-36 e semaine in utero et jusqu’à la ménopause. Chez la jeune fille et la femme, l’AMH renseigne sur les stades précoces de développement folliculaire : sécrétée par les follicules en croissance, à partir du stade folli- culaire primaire, sa sécrétion s’éteint lorsque les follicules dépassent 8 mm de diamètre. L’AMH est le reflet de la réserve ovarienne et de la durée de vie reproductive : elle est corrélée avec le taux de recrutement folliculaire et détermine la réponse à la FSH exogène lors des cycles de FIV. Evolution de l’AMH chez la femme Les concentrations sont beaucoup plus basses chez la fille que chez le garçon et il existe une large variabilité interindividuelle (notamment entre 7 et 11 ans) d’où la difficulté à établir des normes. Puis, les valeurs d’AMH parviennent à un plateau entre 15 et 25 ans, et diminuent selon la réserve ovarienne jusqu’à la ménopause. L'intérêt du dosage de l’AMH en endocrinologie de la reproduction : de l’enfant à l’adulte Le dosage de l’AMH (hormone antimülérienne ou MIS Müllerian inhibiting substance) est un examen biologique utile chez l’enfant, en particulier en cas d’ambiguïté sexuelle à la naissance. Chez la femme, il est indiqué, en AMP, pour évaluer la réserve ovarienne, et en oncofertilité, pour le suivi des patientes à risque de défaillance ovarienne. © HUMBERT / BSIP | L’hormone anti-Müllérienne (AMH) est synthétisée par les cellules de la granulosa des follicules ovariens. Des études ont démontré que les taux d'AMH avaient une corrélation avec la réserve folliculaire qui détermine le taux de succès lors des tentatives d'assistance médicale à la procréation.

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Page 1: L’intérêt du dosage de l’AMH en endocrinologie de la reproduction : de l’enfant à l’adulte

endocrinologie | pratique

23OptionBio | Mercredi 12 février 2014 | n° 502

L’AMH est une glycoprotéine dimérique de 140 kDA, membre de la famille des TGF�. Synthé-tisée exclusivement par les gonades à différents moments de la vie, elle agit via son récepteur membranaire, de type BMP-like.L’AMH est connue pour son rôle essentiel dans la différenciation des gonades. En effet, elle est synthétisée très tôt au cours de la grossesse par les cellules de Sertoli et agit dès la 8e semaine de gestation, chez le fœtus mâle, en réprimant le développement des canaux de Müller, qui repré-sentent l'ébauche de l'utérus, des trompes et de la partie supérieure du vagin. En l’absence de sécrétion d’AMH, la différenciation gonadique se fera vers la formation d’un vagin.

L’AMH chez l’enfant Chez le garçonLa synthèse d’AMH est stimulée par la FSH et inhibée par la testostérone intratesticulaire. Les premiers mois après la naissance, l’axe hypothalamohypophysaire exprime une « mini-puberté » avec augmentation de l’AMH et de la testostérone (cellules de Sertoli insensibles aux androgènes pendant cette période) puis les valeurs d’AMH restent élevées jusqu’à la puberté (stade II et III) coïncidant avec l’aug-mentation de la testostérone.Ainsi, les valeurs de référence chez le garçon sont-elles, en moyenne, de 229 pmol/l avant 15 j, puis elles diminuent de façon impor-tante à partir du stade III de la puberté pour atteindre une valeur moyenne à l’âge adulte de 30 pmol/l. Les concentrations sériques d’AMH sont 30 à 35 fois plus élevées chez le petit garçon que chez la petite fille.L’AMH est très utile en cas d’anomalie du développement sexuel à la naissance, car elle permet de confirmer ou d’infirmer la présence de testicules fonctionnels chez l’enfant ou de résidu testiculaire. L’AMH sérique sera très basse en présence d’ovaires, élevée en pré-sence de tissu testiculaire ou intermédiaire en situation mixte (tissus testiculaire et ovarien).L’AMH est donc un outil très important pour les pédiatres, aidant à rechercher du tissu

testiculaire chez les enfants ayant une ambi-guïté sexuelle. Certes, ces enfants auront tous un caryotype, mais si le caryotype est normal (46 XY ou 46 XX) alors que persiste malgré tout une anomalie du développement sexuel, les dosages combinés d’AMH et de testostérone permettront de distinguer une dysgénésie gonadique (anomalie au niveau du développe-ment des gonades auquel cas AMH et testos-térone seront abaissées) d’une anomalie de la synthèse ou de la sensibilité aux androgènes (AMH normale et testostérone abaissée si défaut de synthèse d’androgènes).

Chez la filleDe la même façon chez les petites filles, des ano-malies peuvent exister au niveau de la différencia-tion des gonades ou de la cascade enzymatique permettant la synthèse des stéroïdes, pouvant créer un excès d’androgènes et une ambiguïté sexuelle à la naissance ; les dosages hormonaux en permettent le diagnostic différentiel.Même si les pédiatres évoluent vers un phé-notype 46 XX, il est important de détecter un

éventuel tissu testiculaire résiduel car si tel est le cas, il doit être retiré, étant à haut risque de développement tumoral.L’AMH est sécrétée par les cellules de la gra-nulosa à partir de la 32-36e semaine in utero et jusqu’à la ménopause. Chez la jeune fille et la femme, l’AMH renseigne sur les stades précoces de développement folliculaire : sécrétée par les follicules en croissance, à partir du stade folli-culaire primaire, sa sécrétion s’éteint lorsque les follicules dépassent 8 mm de diamètre. L’AMH est le reflet de la réserve ovarienne et de la durée de vie reproductive : elle est corrélée avec le taux de recrutement folliculaire et détermine la réponse à la FSH exogène lors des cycles de FIV.

Evolution de l’AMH chez la femmeLes concentrations sont beaucoup plus basses chez la fille que chez le garçon et il existe une large variabilité interindividuelle (notamment entre 7 et 11 ans) d’où la difficulté à établir des normes. Puis, les valeurs d’AMH parviennent à un plateau entre 15 et 25 ans, et diminuent selon la réserve ovarienne jusqu’à la ménopause.

L'intérêt du dosage de l’AMH en endocrinologie de la reproduction : de l’enfant à l’adulte

Le dosage de l’AMH (hormone antimülérienne ou MIS Müllerian inhibiting substance) est un examen biologique utile chez l’enfant, en particulier en cas d’ambiguïté sexuelle à la naissance. Chez la femme, il est indiqué, en AMP, pour évaluer la réserve ovarienne, et en oncofertilité, pour le suivi des patientes à risque de défaillance ovarienne.

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| L’hormone anti-Müllérienne (AMH) est synthétisée par les cellules de la granulosa des follicules ovariens. Des études ont démontré que les taux d'AMH avaient une corrélation avec la réserve folliculaire qui détermine le taux de succès lors des tentatives d'assistance médicale à la procréation.

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pratique | endocrinologie

24 OptionBio | Mercredi 12 février 2014 | n° 502

L’AMH a été très étudiée pour estimer la réserve ovarienne, notamment parce qu’elle connaît peu voire pas de variations d’un cycle à l’autre, contrairement à la FSH, plus fluctuante. Toutefois, elle varie selon le poids de naissance, l’âge de la ménarche, la grossesse et la parité, le style de vie ou l’existence d’un syndrome des ovaires polykys-tiques (SOPK).Par exemple, une étude de Dolleman et al. (2013) menée chez 2 320 femmes de tous âges a mis en évidence une corrélation de l’AMH avec la régu-larité du cycle, l’utilisation de contraceptifs oraux (CO en cours), la grossesse et la parité : l’AMH diminue légèrement chez les femmes ayant des cycles réguliers et fumeuses et chez celles sous CO. Bien que les premières études n’aient pas constaté de variation de l’AMH en fonction du moment du cycle, des travaux récents retrouvent des valeurs environ 20 % plus élevées en phase folliculaire par rapport à la phase lutéale ; mais ces variations restent bien moindres que celles de la FSH et l’AMH peut être dosée à n’importe quel moment du cycle. Pendant la grossesse, l’AMH diminue du 1er jusqu’au 3e trimestre ; les dosages pour estimer la réserve ovarienne sont déconseil-lés pendant cette période.

Applications cliniques des dosages chez la femme Evaluation de la réserve ovarienne chez les patientes en FIV ou à risque génétique En FIV, l’AMH permet de prédire la réponse à la stimulation et le risque d’hyperstimulation (modi-fication des stimulations ovariennes en fonction des résultats de ces dosages). Mais l’AMH n’est pas prédictive d’une grossesse spontanée. Tant que la FSH basale est normale, une AMH basse ne signifie pas une diminution de la fertilité.L’estimation de la réserve ovarienne est aujourd’hui fondée sur la FSH dosée à J3 du cycle, le compte des follicules à l’échographie (en début de cycle, échographe-dépendant) et l’AMH ; l’inhibine B est de moins en moins utilisée dans cette indication. L’estradiol n’est pas en lui-même un reflet de la réserve ovarienne ; il permet néanmoins de vérifier que la FSH dosée à J3 est bien une FSH basale car certaines patientes ont un cycle très court (un estradiol élevé signifie que la FSH ne reflète pas réellement le stock ovarien).

En pratique, la corrélation entre le nombre de follicules présents au niveau des biopsies ova-riennes et l’AMH a été bien montrée (si < 5 folli-cules, AMH le plus souvent effondrée).Un autre intérêt de l’AMH par rapport à la FSH basale est qu’elle diminue plus précocement.En FIV, l’AMH est dosée pour prédire la réponse à la stimulation et le nombre d’ovocytes qui pourront être prélevés, sachant que si elle est normale seront obtenus en moyenne 10 ovocytes (moins si l’AMH est basse). Ce dosage permet donc d’adapter le traitement et de donner une meilleure valeur pronostique de la FIV aux patientes.En pratique, les paramètres qui permettent de prédire la réponse à la FIV sont l’âge, la FSH, l’AMH et le compte folliculaire. La valeur seuil d’AMH en-deçà de laquelle certaines équipes ne proposent plus de FIV aux patientes est variable d’un centre à l’autre ; de même, la valeur seuil pour prédire une hyperstimulation est évaluée dans chaque centre.Le plus souvent, si l’AMH est basse, le traitement pour la FIV est donné à forte dose, mais, in fine, le taux de grossesses obtenues est plus bas ; si l’AMH a une valeur supérieure à la moyenne, le risque d’hyperstimulation est plus important, mais le taux de succès sera aussi plus élevé car plus d’ovocytes pourront être prélevés.

L’AMH permet un diagnostic différentiel dans les oligoaménorrhées

Chez les patientes qui ovulent normalement, l’AMH est normale ainsi que la LH et la FSH.Chez celles qui ont un hypogonadisme hypotha-lamohypophysaire, l’AMH est normale ; la FSH et la LH sont effondrées.Chez les patientes ayant un syndrome des ovaires polykystiques (à dépister pour prévenir un syndrome d’hyperstimulation en FIV), l’AMH est élevée.Chez les femmes ayant une déficience ova-rienne, l’AMH est basse.

En oncofertilitéL’AMH est utilisée pour le suivi des patientes ayant reçu une chimiothérapie afin de prévenir une défaillance ovarienne précoce. L’AMH a une meilleure valeur prédictive que l’âge pour évaluer

le risque de gonadotoxicité. Les femmes ayant des valeurs basses d’AMH sont les plus à risque de défaillance ovarienne précoce après trai-tement chimiothérapique et sont aussi celles chez qui il est le plus difficile de préserver la fertilité car peu d’ovocytes seront recueillis après stimulation.En oncofertilité, l’AMH est aussi utilisée pour le suivi des greffes ovariennes réalisées en préven-tion d’une défaillance ovarienne. Un prélèvement de tissu ovarien est effectué chez les patientes avant chimiothérapie, congelé, puis il sera retransplanté si besoin. Ces femmes peuvent avoir par la suite des grossesses spontanées ou en AMP. L’AMH est utilisée pour prédire la fertilité future chez les patientes qui seront greffées ; en effet, chez certaines femmes, la greffe s’épuise rapidement, en quelques mois ; chez d’autres, elle peut durer plusieurs années. Mais quelle que soit la restauration de la fonction ovarienne, même si la FSH basale revient à la normale et que les patientes ont des grossesses, il n’y a jamais de restauration de l’AMH après la greffe (ce qui reste mal compris).

ConclusionL’intérêt de l’AMH a été bien montré chez l’enfant ainsi qu’en PMA où un dosage est effectué systématiquement avant FIV ; l’AMH a des avantages par rapport à la FSH et au compte folliculaire pour évaluer la réserve ovarienne. Elle est aussi très utile chez les patientes à risque de diminution de la réserve ovarienne.Toutefois, l’AMH n’est pas prédictive de grossesse spontanée, ni des reprises de greffe de tissu ovarien. Les valeurs de référence et les seuils décisionnels varient selon les centres et elle n’est pas remboursée. |

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

CAROLE EMILEBiologiste, rédactrice scientifique

[email protected]

SourceD’après une communication de I. Demeester (ULB Bruxelles, laboratoire de recherche en reproduction humaine, Belgique)1res Journées de biologie clinique de la Corata – Nancy– Septembre 2013.