los aventureros avril 2013
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Plongez quelques jours à notre suite dans les aventures d'Eric et Axelle Blavier, qui viennent d'ouvrir un domaine touristique hors du commun dans le nord de l'Argentine. Les hôtes y sont en effet accueillis dans des cabanes accrochées aux arbres. Plat du jour, promenades à cheval dans la forêt, piscines, barbecue, hamac... Dépaysement garanti. Au coeur de la nature. L'histoire d'une famille vraiment hors du commun !TRANSCRIPT
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Six en carAxelle, Archibald, Éric, Charly (2d rang), Merlin et Arsène posant devant leur car bleu aux USA après quasi un an sur les
routes d’Amérique.
LOS AVENTUREROSAvril 2013 Une contribution
toute partisane, mais néanmoins critique, au projet d’Eric et Axelle en Argentine, signée Géry de Pierpont
LE VRAI PAYS D’ERIC ET AXELLE, C’EST L’AVENTUREA chaque jour ses surprises !
Dieu sait pourtant qu’ils en ont traversé des pays, à l’époque de leur périple en car du sud au nord des Amériques puis dans l’Atlas africain (voir Chroniques Pierpont 2007-‐2008). Deux ans sur les routes avec leurs quatre garçons, Charly, Archibald, Arsène et Merlin, rejoints depuis leur retour par un craquant peKt Phileas conçu en chemin.
ArgenKne, Chili, Pérou, Équateur, Mexique, États-‐Unis, Canada, Espagne, Maroc… ont vu débouler un jour leur fameux car bleu royal placardé d’un fier « Six en car » jaune canari. 50.000 km de chemins de terre, d’étendues verglacées, de pistes ensablées, d’autoroutes brûlantes, de gués caillouteux et de cale de bateau, en quête de lieux de bivouac originaux à découvrir ou à filmer. La famille a ainsi
parqué son logis à rouleZes, rose au-‐dedans (et enKèrement aménagé par ses soins), près des baleines d’Ushuaia, au milieu du désert d’Atacama, dans la jungle tropicale équatorienne ou chez les Inuits du cercle polaire arcKque. Pour quelques heures ou quelques semaines, selon leur curiosité et l’humeur du jour, selon l’accueil de leurs hôtes improvisés ou selon la longueur du reportage cinéma à réaliser sur place.
780 pages de souvenirs, illustrées de photos uniques et souvent drôles, subsistent de ceZe épopée. Elles sont encore téléchargeables, épisode par épisode, sur leur premier site web (www.sixencar.com). Que d’expédiKons hasardeuses, de défis à affronter, de rencontres inaZendues et de problèmes à résoudre au
En direct d’El Arbol en Argentine !
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quoKdien ! Sans oublier les moments d’inquiétude du genre interrogatoires de police, car embourbé jusqu’à mi-‐cuisses, nez à nez avec un grizzly, moteur impossible à réparer, murs de neige, pare-‐brise explosé, dysenterie maghrébine, réservoir de carburant percé « in the middle of nowhere »… Que de jours d’angoisse aussi, comme lorsque ce gros bloc de pierre est venu fracturer le crâne d’Éric au fond d’une mine d’or au Pérou…
Décapante banalité du quotidienLa vie aurait pu reprendre son cours normal, pour la famille Blavier, une fois rentrée à Liège. Axelle dans sa pharmacie, Éric derrière son banc de montage cinématographique, les enfants à l’école – après la réussite des épreuves du jury central. C’était oublier ce virus de l’aventure qui les avait peu à peu contaminés (à moins qu’il ne les ait en réalité habités depuis le berceau) !
Les jours ont commencé à devenir de plus en plus ternes, les fenêtres trop peKtes, les points de vue trop terre-‐à-‐
terre. Les messages reçus de tous leurs amis de voyage et autres globe-‐troZers croisés en chemin les évadent sans cesse de leur quoKdien trop organisé. Éric et Axelle se remeZent à rêver de nouveaux horizons… Serait-‐ce une nouvelle expédiKon ethnologique en Chine, dans les traces de celle qu’avait effectuée Éric, dix ans plus tôt (auprès d’une étonnante populaKon montagneuse vraiment matriarcale) ? Allaient-‐ils acheter ce grand voilier qui les emmènerait sur toutes les mers du globe, comme ils l’avaient annoncé le jour de leur mariage ?
Ce seront finalement les cabanes dans les arbres qui vont les passionner! Des huZes de Robinson comme celles qui naissent dans l’imaginaKon des enfants, sauf que celles-‐ci seraient réellement habitables, de façon à pouvoir être louées à des touristes. Seuls quelques membres de la famille et amis très proches sont mis dans la confidence. Peu sont ceux qui y croient, à vrai dire. C’est tellement irréaliste… L’aventure, c’est bien pour un moment, puis tout le monde revient genKment à la maison coller ses photos dans un bel album, non ?
« Sans Axelle, le voyage aurait sans nul doute pris fin ici » (Éric, après son opéraGon au crâne)
Axelle fait fort impression sur les policiers de Cajamarca (Pérou) juste avant le Carnaval (où tous les parGcipants se font arroser de peinture).
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Provoquer son destinC’est mal connaître Éric et Axelle. Puisque leur projet n’a pas l’air de convaincre leurs Kmorés de confidents, c’est en secret qu’ils poursuivent la préparaKon de leur nouveau défi. Des mois de recherches et de démarches en tout genre. Peuvent-‐ils se laisser tenter par une île déserte, comme de vrais naufragés ? Comment être en mesure d’offrir une scolarité à leurs enfants ? Faut-‐il opter pour les étendues sauvages du Canada (toujours à la recherche de nouveaux colons diplômés) ou pour une terre plus exoKque en Amérique du Sud ? Préférer la chaleur moite des jungles ou la rudesse de la montagne ? Comment trouver en un même endroit nature vierge, bois de construcKon, eau potable, commerces et électricité, régime poliKque non menaçant,
ressources pédagogiques, aéroport à touristes et routes carrossables ?
Ce n’est que lorsqu’ils nous ont mis devant le fait accompli que nous avons réellement pris conscience de leur déterminaKon. Éric venait d’acheter (sur eBay ou quasi) un « carré » d’ArgenKne de 25 hectares de forêt subtropicale, à San Javier, le long du fleuve Uruguay. La date de leur départ était fixée à l’été suivant, la pharmacie allait être mise en vente, ainsi que leur maison de Rouvreux. Les enfants poursuivraient leurs études en espagnol… Un choc pour tout le monde !
Un carré de 25 hectares
La «chacra» d’Eric et Axelle, en plein coeur de la province de Misiones, dans le Nord-‐Est de l’ArgenKne. Au-‐delà du fleuve Uruguay, le Brésil...
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Période difficile et pourtant très moKvante pour nos aventuriers : convaincre leurs quatre grands d’abandonner à nouveau leurs repères, leurs projets, leurs amis (et même leur peKte amie, pour l’aîné) ; faire rentrer le contenu des deux maisons dans un container et se débarrasser de tout le reste ; explorer leur nouveau domaine argenKn et régler les (invraisemblables) formalités administraKves locales ; anKciper les besoins sur place et acquérir les matériels de première uKlité ; prendre congé de tous (sans leur promeZre un « au revoir »)… s’envoler enfin vers l’inconnu (sans billet de retour), avec pour seul bagage un (gros) sac à dos par personne. C’était en 2010.
Le croirez-‐vous ? Les sept membres de la tribu Blavier sont toujours en ArgenKne depuis ce jour. Le parc récréaKf « El Arbol Resort » est même ouvert depuis quelques semaines, avec ses cabanes à louer, son restaurant zébré rouge et blanc, sa terrasse couverte, ses deux piscines, ses palmiers, ses huit chevaux et ses six vaches… Autour de la grande maison familiale (elle aussi sur piloKs entre les arbres), se dressent les chambres des enfants et celle des travailleurs de passage. Éric revient à l’instant d’une visite chez « HoraKo », le ministre du Tourisme (venu déjà prendre une collaKon sur place avec le Maire)…
Merlin, Arsène, Axelle, Archibald, Eric, Phileas et Charly : la famille Blavier après 10 mois en ArgenGne (difficile de croire que c’est l’hiver sur place !)
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Bienvenue à El Arbol Resort !
Pour quelques jours de repos au coeur des arbres,sur sa terrasse dans les eucalyptus
ou dans un hamac à contempler un lever de lune,dans la piscine ou à cheval dans la forët,
autour d’une table de restaurant accueillante,le bonheur authenKque !
Menu du jour +crèpes et
boissons à toute heure !
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Misiones, avril 2013Dans la vieille mission jésuite de San Javier, dans une boucle du fleuve Uruguay à la fronKère du Brésil, l’automne (local) aligne quelques belles journées de soleil après plusieurs jours de douches Kèdes. 30 degrés moites, à l’œil. Ou plus exactement « à peau »… Sur les routes, les pavés concassés brillent d’une lueur maZe, comme de gros éclats de chocolat au lait. La poussière vole à chaque passage de moto. De jolis panneaux blancs au logo explicite entraînent les visiteurs vers le
Barrio Malvinas (les îles Malouines sont partout présentes en ArgenKne), où se situe la « chacra » (parcelle) d’Éric et Axelle.
CeZe après-‐midi, tout le monde s’acKve au domaine, malgré la torpeur ambiante et le balancement des hamacs qui inciteraient davantage à la sieste. C’est que le Ministère a annoncé son inspecKon imminente du site, avant d’octroyer sa très officielle homologaKon. Après les congés de Pâques et l’afflux des premiers locataires, il y a fort à faire pour remeZre les lieux en état : il faut que tout soit parfait !
La terrasse du restaurant, en habits de fête
Avec le Ministre du Tourisme de la province de Misiones
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Les cabanes dans les arbres
Confort ****
écran, douche, toileZe (sèche),
terrasse, hamac...
Unique en Argentine
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Au restaurant, les vidanges de centaines de bouteilles témoignent du passage d’une clientèle abondante (et assoiffée). Les steaks au fromage (bleu d’ArgenKne), le risoZo au vin blanc, les frites à la moutarde maison, les tarteleZes au chocolat, les crêpes au « dulche de leche » (confiture de lait), les peKts choux au fromage et les biscuits aux raisins ont, eux, tous disparu. Il faut dire que la cuisine d’Axelle est renommée dans tout le patelin (16.000 habitants quand même). Elle parvient à accommoder les quelques denrées du cru avec suffisamment d’originalité pour imprimer une vraie touche européenne, sans toutefois trop bousculer les habitudes locales (auxquelles les ArgenKns sont très aZachés). Le frigo géant se vide et se remplit à une vitesse folle de gros morceaux de viande à « asado » (barbecue), de produits laiKers, de Pepsi et de bières (au litre).
MarKn et Orlando, les charpenKers, poursuivent l’aménagement des deux dernières cabanes (sur les cinq qui sont à louer), dans un vacarme de scie circulaire et de coups de marteau. Angel, un des Brésiliens qui travaille à « El Arbol », entreKent le potager. Mathias, qui s’occupe des animaux, prépare les chevaux pour les visiteurs qui ont annoncé leur venue. Jamilla neZoie le sol verni du logis familial à grandes eaux. Éric prépare le nouveau site web
pendant que Charly et Archibald changent les draps et les toileZes sèches des cabanes. Les autres sont à l’école, sauf Phileas (qui est déjà rentré de sa demi-‐journée de classe) et Ricardo, le jeune de 19 ans accueilli par la famille, qui se remet discrètement d’une sorKe nocturne trop arrosée.
Il manque à ceZe mise en contexte l’extraordinaire bouffée de couleurs que nous renvoie la lumière argenKne. Une gamme qui pianote du blanc éclatant des barrières de la piscine au brun café des sous-‐bois, en insistant sur le vert tendre des épines de pin, l’ocre rouge des terres ferrugineuses, le doré « pain d’épice » des parois des cabanes et le bleu azur du ciel.
Des oiseaux aux roucoulements de paradis charment nos oreilles, interrompus de temps à autre par le cri d’alerte d’un vanneau ou le beuglement d’une vache à longues cornes. Sans oublier les parfums inhabituels qui assaillent les narines : les tropiques subliment les odeurs, les meilleures comme les moins appéKssantes. Bouffées de nectar et térébenthine, musc chevalin et jus de citron vert, miel sauvage et forêt sauvage après la pluie, linge humide et feuilles d’eucalyptus froissées.
« El Arbol Resort, meilleure
auberge (autoproclamée) de Misiones ! »
(Éric)
ConstrucGon de la nouvelle maison familiale, entre les arbres, un an et
demi après l’arrivée sur place.
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Si Dios quiere (si Dieu le veut)Pourquoi est-‐ce moi qui prends la plume aujourd’hui pour évoquer ceZe colonie familiale méconnue ? Eh bien parce que nous avons, mes deux garçons et moi, décidé de répondre enfin à l’invitaKon d’Axelle et Éric et d’aller leur rendre visite dans leur nouveau chez eux, à 10.500 km de notre confortable banlieue bruxelloise.
La vérité, c’est qu’on a longtemps hésité à prendre ceZe décision. On a commencé par les meZre en garde, nos aventuriers. Leur projet nous semblait insensé. Irresponsable. Ne fut-‐ce que pour les enfants. Éric et Axelle n’avaient-‐ils pas totalement sous-‐esKmé les risques ? Ils étaient parKs sans permis de séjour officiel, sans vraie étude de marché, sans assurances, sans possibilité de retour… Tout ce qu’ils avaient accumulé comme réserves en vingt ans de (dur) labeur allait être englouK
dans ce seul projet incertain… Comment cauKonner une telle entreprise ?
Les premiers échos reçus de la part des explorateurs semblent d’ailleurs confirmer notre mauvais pressenKment. Le container avec leurs affaires met six mois à être dédouané à Buenos Aires. Le terrain – inondable – ne sera à eux que dans dix ans, en raison de la proximité de la fronKère. La maison, au toit de tôle ondulée, ne possède qu’une seule ampoule et une seule toileZe-‐douche. Le domaine est inaccessible à chaque fois que les pluies rendent les chemins de terre impraKcables, privant du même coup les étudiants de leurs cours. Les voisins volent les vaches ou les aZaquent en jusKce…
Arrivés sur place avec le seul contenu de leur sac à dos, Axelle et Éric font pourtant face à chaque difficulté, à chaque obstacle avec courage et confiance, tout animés qu’ils sont par une vraie foi en leur desKn. La débrouille au quoKdien, ils connaissent. Même la précarité est supportable, tant que restent vifs la volonté d’en sorKr et l’humour.
Premier logis de fortune pour la famille, à son arrivée à San
Javier
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Heureusement, les ArgenKns sont très accueillants. Ils se font vite des amis, de tous les âges. Les enfants trouvent peKt à peKt leur place dans les écoles du coin et une équipe de travailleurs locaux est embauchée pour meZre en œuvre tous les chanKers du futur domaine tourisKque. Parmi eux, plusieurs descendants d’Indiens guaranis qui connaissent encore tous les secrets de la forêt. Quelques jeunes travailleurs iKnérants, les « woofers », viennent aussi prêter main-‐forte à la famille, en échange du gîte et du couvert.
C’est encore un peu « camp scout » comme ambiance (ce qui n’est évidemment pas pour déplaire à nos aventuriers), mais de nombreux aménagements rendent déjà le séjour plus supportable, comme la splendide terrasse et la peKte piscine aux parois de mosaïques. Leurs photos de cactus en fleurs et des enfants épanouis dans leur hamac rouge pastèque font le tour de la famille.
L’hospitalité érigée en étendardIl nous restait à économiser à notre tour pour les billets d’avion et à idenKfier la période de l’année la plus adéquate pour une telle expédiKon. Les mois de juillet et d’août tombent au cœur de leur hiver (qui reste neZement plus chaud que le nôtre), les mois de décembre et janvier sont vraiment très chauds. On sait qu’il y a des semaines où il pleut beaucoup, mais il est impossible de le déterminer à l’avance dans la région. Entre la période de la Toussaint et celle de Pâques (entre saisons), nous choisissons la seconde, à la fin d’un mars pluvieux, pour avoir au moins quinze jours sur place (congés des enfants). Sans savoir que la Semaine sainte est un vrai moment de folie pour les ArgenKns. Éric et Axelle promeZent de nous accueillir, pressentant qu’ils seront très mobilisés en parallèle par leurs premiers clients.
La connexion Internet est plus qu’aléatoire. Nous échangeons de longs messages écrits via Skype (pas assez de puissance pour avoir la voix, encore moins l’image), puis soudain plus rien pendant plusieurs semaines. C’est normal : le courant électrique et la liaison satellite sont souvent coupés. Il n’y a pas d’autre soluKon que de se rendre au cybercafé de San Javier.
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Les événements vont se bousculer le jour où notre aîné, Florian, se rend compte qu’il aurait tout à gagner à terminer sa quatrième année scolaire… en ArgenKne (où c’est tout juste la rentrée), afin de profiter d’une expérience internaKonale enrichissante durant cinq mois. Axelle et Éric acceptent de l’accueillir en un seul échange de mail. L’école d’Arsène donne son accord pour qu’il assiste aux cours en élève libre. Une semaine après, il s’envole à son tour vers le pays du tango.
C’est donc Tanguy, mon second fils, qui m’accompagne, dès la fin de ses examens. Escale à Sao Paolo (après un aZerrissage d’albatros). On se sent un peu perdus, sous le regard insondable de nombreux badauds, mais tout s’arrange une fois qu’on accepte que les choses s’organisent avec la nonchalance calculée du Sud, selon une logique propre (pour nous impénétrable). No se preocupa.
Un peKt visa à la fronKère brésilienne, un second cachet de l’autre côté du pont d’Iguazu (la plaque tournante des trafics illégaux entre le Paraguay, l’ArgenKne et le Brésil) et nous voici lâchés dans le nord de la « Mésopotamie ». CeZe excroissance territoriale de l’ArgenKne forme un long couloir de forets et de cultures de soleil, enserré entre le Rio Parana et le Rio Uruguay (d’où son nom). La région fut autrefois colonisée par les jésuites, qui y installèrent de nombreuses missions prospères, peuplées de Guaranis converKs (ceux-‐là mêmes que met en scène le film Mission).
Le point de vue sur les « Trois fronKères » au coucher du soleil est unique, avec le vieux fort circulaire et ses plantes luxuriantes (dignes des Serres royales de Laeken), en totale liberté. On se réjouit de découvrir les impressionnantes chutes d’eau d’Iguazu (70 mètres de haut ! les plus grandes d’Amérique) dans quelques jours. Un premier steak argenKn (Kens, ce n’est pas épicé pour un sou), une balade dans la ville (qui commence à s’animer après 21h), une bonne nuit sous le venKlateur et nous voici dans le bus pour San Javier. Une demi-‐journée de route, à travers les collines rouge brique et vert chasseur. Il
est 14h quand on nous dépose avec armes et bagages à l’entrée du barrio.
Quelle joie de retrouver toute la tribu ! Tous affichent des mines superbes et une santé éclatante. Merlin revient tout juste de l’école d’horKculture où il est en pension. Nous avons même la chance de revoir Charly, l’aîné, qui a pris quelques jours de congé dans ses études de physique à l’université de Corrientes (à 650 km). Le benjamin de la famille, Phileas, blond comme les blés, nous fait aussi la fête. Il est deux fois plus grand que la dernière fois que nous l’avons embrassé. Notre Florian aussi, parachuté ici depuis un mois, a l’air en pleine forme.
Mais ce n’est pas seulement avec Éric, Axelle et leur prospère progéniture que nous avions rendez-‐vous ici à San Javier…
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Des cordes à linge en fil barbeléCe que notre voyage va nous faire découvrir en réalité, le cadeau qu’Éric et Axelle vont nous offrir, c’est un morceau de leur aventure. Pur jus. Sans plasKque à bulles. Sans filet de sécurité. Des surprises chaque jour, des risques et des imprévus à gérer à l’arraché.
Des belles rencontres, d’abord, comme ceZe soirée plutôt folklorique chez les parents de Mathias, qui venaient de tuer un cochon. Nous avons eu droit à une succession ininterrompue d’escalopes milanaises, de hamburgers au piment, de boudin de sang et de « papas fritas », dans une cascade de bière fraîche. Nous éKons gênés de cet assaut de générosité, alors que la famille est vraiment modeste (Misiones est la province la plus pauvre du pays), mais l’hospitalité est une vertu qui s’entreKent sans compter ici. Que de fous rires dans ceZe vieille cabane de bois, sous une ampoule hésitante (faiblissant à chaque fois qu’un voisin prenait une douche), avec les six enfants de nos hôtes, le perroquet et le dindon. C’est là que les clôtures en fil barbelé étaient si hautes (à 2 mètres du sol) qu’on a compris qu’elles servaient de cordes à pendre la lessive (pour ne pas s’embêter avec les pinces à linge). Nous sommes reparKs avec une énorme cuisse de porc congelée sous le bras…
Surprise de voir ce maKn Phileas parKr à l’école à cheval avec MaKas et sa maman, car l’auto était indisponible. Bonheur de découvrir au pied de sa maison un citronnier dont les fruits verts sont sucrés et juteux à souhait. Joie de se senKr au sec, tout peKt devant les éclairs qui électrisent les nuages, quand le déluge s’abat sur une tôle ondulée. Émerveillement devant ces énormes cactus qui défient le ciel, garnis d’éclatantes fleurs roses et de fruits jaune melon. Plaisir des orteils de pouvoir se balader pieds nus (quasi) partout, comme Phileas qui déteste enfiler des chaussures. Saveur de l’eau si pure du puits, qui plonge à 80 mètres tout
droit dans la plus précieuse des nappes phréaKques du globe (dite des Guaranis). Douce Kédeur de la nuit sur la peau, lorsque la lune brille et que chantent les cigales…
Tous nos sens sont en éveils lorsque Éric nous fait découvrir l’envoûtante forêt qui couvre les deux Kers du terrain, entrelacée par trois rivières aux eaux opaques. Les arbres n’y sont pas aussi hauts que dans la forêt tropicale, mais la végétaKon y est très dense, maillage varié de bois durs comme de la pierre, de lianes et de bambous à épines, d’orchidées géantes suspendues à cinq mètres, de troncs d’eucalyptus renversés, d’arbres de paradis ou buissons rampants. De curieux chiens sauvages, des pécaris ou des échassiers colorés ont laissé leurs empreintes dans la boue. Comme les chevaux sur lesquels nous parcourons les taillis, nous faisant baisser la tête à chaque branche basse. Cachés dans les sous-‐bois, des centaines de crapauds et de grenouilles, dont on entend le concert après chaque pluie. Verrons-‐nous un toucan ou un peKt singe ?
Ce toucan hirsute, à l’air franchement rebelle, a été photographié au Parc des
oiseaux , à quelques heures de bus
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Les BlavierEric, Axelle, Charly, Archibald, Arsène, Merlin et Phileas
Avec la famille de Belgique en visite
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« Qui va enlever la vache de la piscine ? »Les surprises sont parfois plus embarrassantes, comme lorsque je me suis retrouvé – deux nuits déjà – avec toutes les vaches devant ma cabane et le taureau couché devant la porte, le souffle fort. Pas facile de dormir… et surtout d’aller à la toileZe sans marcher dans les déjecKons.
Parlant de peKt coin, j’ai vu l’autre jour une grenouille qui sortait du saut de sciure, juste entre mes jambes. Rien à faire, cela fait un peu sursauter. Comme lorsqu’Axelle s’est mise à crier à l’un de ses fils qu’il fallait à nouveau Krer une vache de la piscine (les plus jeunes parviennent à se faufiler à travers la chicane et profitent de notre inaZenKon pour aller y boire)…
Les Blavier vivent avec un zoo d’insectes dans leur jardin, un vrai paradis d’entomologiste. Des centaines de papillons aux couleurs de peinture fraîche, des abeilles (domesKques, rouge-‐orange ou minuscules, au fond des troncs d’arbre), des termites dont les construcKons de terre bétonnée surgissent du sol tous les vingt mètres, et bien d’autres besKoles plus ou moins troublantes à découvrir sur place...
Les visiteurs apprécieront la grande passerelle construite pour relier entre elles les différents espaces tourisKques du domaine sans risquer de marcher sur une créature originale !
Les mousKquaires font bien leur office, mais comment se persuader que les insectes ne finiront pas par trouver une ouverture dans la mousseline pour vous chatouiller les oreilles ? Il paraît qu’il faut acKonner le venKlateur, pour qu’ils ne perçoivent pas d’où vient notre respiraKon… On peut aussi inviter le lézard géant qui a élu domicile sous le container ou les crapaud de la maison : ce sont de redoutables tueurs d’insectes.
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Soumis aux élémentsL’aventure s’invite aussi à chaque fois que le courant se coupe, lorsque la pluie et le vent conjuguent leur force par exemple. Du coup, cela désacKve la pompe, privant d’eau dix construcKons sur onze du domaine pour une période indéterminée (qui peut s’éKrer jusqu’au lendemain). Mauvaise blague quand on n’a plus de bougie ou qu’on a égaré les allumeZes. C’est justement à ce moment que font leur appariKon, à l’autre bout de la propriété, sous un ciel pluvieux comme un torchon gris qu’on n’en finirait pas de tordre, les cinq clients de Buenos Aires annoncés pour la nuit (et dont on avait perdu la trace à cause de la coupure de réseau)… Heureusement, il y a toujours une lampe spéléo ou l’autre pour dépanner.
Axelle n’est jamais à court d’idées pour ce genre de situaKon. Même lorsque les draps de lit sont encore trempés (de n’avoir pu sécher par 100° d’humidité). Même lorsque plus aucun des ustensiles électriques de cuisine ne foncKonne et que les bonbonnes de gaz sont quasi vides (les magasins sont fermés un Lundi de Pâques). Vite une pâte à cake au fromage, un feu dans le poêle, une bonne blague pour
détendre l’atmosphère, un biscuit maison au chocolat et un thermos d’eau chaude pour le « yerba mate » (la boisson tonique naKonale, qu’on boit avec une paille en forme de cuiller perforée)… et les visiteurs repartent avec le souvenir d’une nuit mémorable !
Il y a trois jours, c’est un nid d’abeilles qu’il a fallu extraire des parois d’une des cabanes, deux heures à peine avant l’arrivée des nouveaux locataires. Quelle course contre la montre pour repérer le rayonnage de cire, boucher toutes les issues (à six mètres de haut) et évacuer les deux cents mouches à miel, pas du tout contentes d’être délogées…
Toute la famille vient encore d’être mobilisée pour raZraper le peKt taureau noir, que son nouveau
propriétaire doit venir chercher en fin d’après-‐midi. L’intrépide animal, sentant sûrement qu’on avait décidé de le vendre, s’était enfui dans les bois sans demander son reste. Un véritable rodéo, avec plusieurs cavaliers armés de lassos et une série de rabaZeurs, pas trop rassurés de voir surgir des taillis
« Pour faire se relever un taureau qui
refuse de bouger, il n’y a qu’un truc : lui mordre la queue à pleines dents, fort. » (Éric)
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Abandonner les douces certitudesEn vérité, l’aventure avec laquelle flirtent Éric et Axelle est d’un autre ordre encore. Car la poursuite de leur projet ne Kent toujours qu’à un fil. Les risques qui menacent l’entreprise restent nombreux. Personne ne peut dire de quoi demain sera fait.
Parce que les cabanes sont des construcKons vulnérables (déformaKon des structures à cause de l’humidité, termites, incendie, foudre…). Parce que l’énergie déployée pour accueillir les hôtes est considérable pour les forces vives du couple. Parce que la durée de vie des équipements mécaniques et informaKques, soumis à rude épreuve, est parKculièrement éphémère. Parce que la rentabilité de leur offre tourisKque est loin d’être démontrée. Parce que les régimes poliKques d’Amérique du Sud sont
parKculièrement instables et militarisés. Parce que l’eau du fleuve Uruguay peut monter de plusieurs mètres en quelques heures, lorsque le barrage ouvre ses vannes, noyant les deux Kers de la parcelle sous ses flots chargés de boue…
L’ouverture d’« El Arbol Resort » fait des jaloux. Il est facile de casser la bonne réputaKon de l’endroit, en contaminant l’eau, en « oubliant » de venir chercher les poubelles plusieurs semaines d’affilée, en démolissant les installaKons (comme les câbles du parcours « accrobranches » qui ont été volés la nuit), en répandant de fausses rumeurs ou en dénonçant un peKt travail en noir…
Si les enfants considèrent posiKvement leur avenir argenKn, Dieu seul sait où mènera leur chemin. Sont-‐ils à l’abri d’une maladie tropicale, d’une querelle avec les voyous du voisinage, d’un accident de bus (très fréquents sur les routes d’ArgenKne) ? Pourront-‐ils un jour étudier dans un autre pays, si les ressources financières viennent à faire défaut ? Combien de temps résisteront-‐ils à ces ravissantes « chicas » locales, celles qui défilent en maillots ourlés de plumes chatoyantes à chaque carnaval et dont la coutume veut qu’elles se marient avant 18 ans ?
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La réalité, c’est qu’il s’agit là de quesKonnements bien poltrons, d’inquiétudes mesquines, typiques de nos mentalités européennes de citadins surprotégés. Éric, Axelle et tous leurs enfants ont tous une fantasKque existence devant eux, riche de mille rebondissements, d’imprévus extraordinaires. Ils accueillent chaque journée comme un cadeau et font l’expérience d’un détachement étonnant vis-‐à-‐vis des biens matériels. Leur chance, c’est justement que rien n’est écrit. Qu’aucune assurance ne les met à l’abri d’un revers du desKn, qui les forcera à rebondir, à improviser une soluKon bricolée dont ils seront fiers un jour.
Non, les Aventureros de la famille Blavier ne vivront sans doute jamais dans une villa de banlieue avec un peKt jardin bien tondu. Ils n’afficheront pas de beaux diplômes dans leur salon, ni ne regarderont le Jardin extraordinaire à la télévision. Pas de chemise repassée ou de robe de bal en soie dans leur garde-‐robe...
Je gage pourtant que, l’âge de la sagesse venu, ils auront tous bien plus de choses à raconter que la plupart d’entre nous, même si ils ont abandonné dans l’aventure leur peKt confort, leurs économies, une dent, de nombreux cheveux ou un coin de cerveau gauche... Ils n’auront en tout cas rien perdu de leurs rêves et s’en iront riches d’amiKés aux quatre coins du monde !
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El Arbol ResortEric et Axelle Blavier-‐de PierpontLote 40 – Barrio MalvinasSan Javier – 3357 MISIONESArgenKna+54 3754 47 2233 +54 3754 43 [email protected]
www.sixencar.com périple en car 2007-‐2008 (voir les « carnets de route » < Le voyage)
www.elarbolresort.com (mise en ligne imminente)
YouTube : "sixencar" (4 clips vidéo du périple en car)
FaceBook : "El Arbol Resort" (beaucoup de photos et de commentaires sympas)
LOS AVENTUREROS
Pour en savoir plus sur les projets d’Éric et AxelleEt, qui sait ?partager un jour une page de leurs aventures...
Pour situer El Arbol sur Google Earth ou par GPS27°50'24.23"S55° 8'17.66"O
A]enGon : la connexion Internet étant encore très
hasardeuse, il faut parfois a]endre plusieurs jours avant d’obtenir une
réponse…