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A16 SAMEDI 29 MARS 2014 leSoleil Richard Mill coiffe ses tableaux en déposant sur eux un objet ancien, un outil, un poids, ou un mot inscrit au stencil. Le corps des toiles est fait d’une teinte monochrome où dansent des silhouettes féminines, et leurs pieds, eux, s’effilochent en coulis de peinture sur la toile brute. JOSIANNE DESLOGES [email protected] Collaboration spéciale Il est une fois encore fascinant de constater comment la pratique du peintre a pu naître de l’influence du minimalisme américain et se nourrir de la foisonnante sensuali- té philosophique des mythes grecs. Pourquoi? «Parce que ce sont les mythes fondateurs de notre psy- ché», répond simplement Mill, qui a comme toujours la barbe glorieuse et l’étincelle dans l’œil. Mariage de toiles réalisées ces dernières années et de sculptu- res totémiques faites d’objets trouvés et de poutres de galeries dénichées chez les brocanteurs et encastrées entre trois planches de bois brut qui évoquent un peu les caisses de transport des musées, l’exposition présentée à la gale- rie Lacerte mélange l’ancien et le nouveau. «Et l’ancien n’est pas respecté. Les antiquaires seraient outrés de voir que j’ai mis aussi épais de peinture sur de si vieilles poutres», indique Mill. «Je vou- lais que les objets soient évoca- teurs, qu’ils puissent devenir des symboles.» L’objet et son pouvoir d’évoca- tion sont d’ailleurs une des lignes directrices du travail de l’ancien professeur de l’École des arts visuels, qui conçoit aussi bien des tableaux-objets que des objets- sculptures, et insère cette fois des objets trouvés dans les coiffes des toiles. Pour l’une d’elles, ce sont des entonnoirs et embouts fabri- qués par des chaudronniers, pour deux autres, ce sont les lourdes lames d’anciennes haches, et pour une autre encore, c’est un niveau. «Ce sont souvent des instruments de mesure, des outils», précise l’ar- tiste, qui travaille aussi avec des fils à plomb. La forme, la couleur, la textu- re, bref les propriétés formelles de l’objet deviennent le point de départ de la toile, qui prend parfois la teinte exacte de celui-ci. L’œuvre qui porte l’inscription La source est inspirée d’un tableau du même nom d’Ingres, montrant une jeune fille nue déversant l’eau d’une cruche. La hanche gauche est saillante, et cette courbe a été reprise par Mill. Echo, la nymphe amoureuse de Narcisse, est aussi la répétition d’une silhouette fémi- nine, alors que les multiples tou- ches d’Ulysse évoquent un torse en cuirasse. MOMENT CHARNIÈRE Autre constante : la verticalité, «l’homme debout», insiste Richard Mill, qui clôt une phase de création avec les mots (faits au stencil, tou- jours les mêmes, stencil qui appar- tenait à son grand-père arpenteur et qu’il utilise depuis l’enfance) et ouvre une nouvelle phase avec les objets. L’exposition présentée à Québec saisit tout à fait le moment charnière entre ces deux périodes de création. L’exposition se poursuit jusqu’au 15 avril au 1, côte Dinan, Québec. Info: 418 692-1566 RICHARD MILL Tableaux couronnés GALERIE PHOTO D’autres œuvres de Richard Mill sur photos.lesoleil.com Les multiples touches d’un tableau portant l’inscription Ulysse évoquent un torse en cuirasse. — PHOTO LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE ARTS VISUELS Serge Clément est un photographe à la feuille de route bien garnie, mais c’est en tant que collectionneur et passionné de livres photographi- ques qu’il présente 70 ouvrages rassemblés sous le titre Constella- tions chez VU Photo. En complé- ment, Olivier Bhérer-Vidal propose 20 maquettes de livres à manipuler et à différents états d’achèvement. Dans Constellations, le contenu des livres est soit inaccessible (puis- que les livres sont fermés et sous un plexiglas) ou morcellé (lorsque les livres sont ouverts ou que la repro- duction d’une page est affichée au mur). Dans Vingt maquettes, le contenu des livres est partiel parce qu’inachevé. Dans les deux cas, le visiteur se doit d’imaginer le conte- nu caché ou manquant et composer mentalement des séquences d’ima- ges, un exercice qui lui permet de comprendre le principe même du livre photographique. On retrouve des éléments du travail artistique de Serge Clé- ment — une photographie de questionnement, qui navigue du commentaire social au récit poé- tique — dans les ouvrages de sa collection, rassemblés sous des thématiques intuitives. Sur une première table, «mes premières influences, des livres qui privilé- gient des séquences d’images qui racontent quelque chose», indique l’artiste, qui a aussi exposé sur une seconde «la photographie vernacu- laire, ces images qu’on dit pauvres, prises par n’importe qui ou trou- vées». Différents portraits de pays composent un autre ensemble, alors qu’une dernière table, plus hybride, est consacrée aux éléments de la nature, au territoire et à une variété d’ouvrages sur le cochon. Dans L’espace européen, l’expo- sition d’OBV propose une intéres- sante suite. L’une de ses maquettes contient un inventaire imagé de toutes ses possessions, un autre des extraits des enseignements du maître indien Prajnânpad et des espaces prêts à accueillir des ima- ges des positions de lecture sug- gérées pour les lire... Les visiteurs sont invités à manipuler les livrets, dans lesquels marques et traces de crayons plomb permettent de marquer le processus, la démarche suspendue. JOSIANNE DESLOGES (COLLABORATION SPÉCIALE) Constellations et Vingt maquettes sont présentées jusqu’au 20 avril au 550, côte d’Abraham. SERGE CLÉMENT ET OBV À VU La part invisible Serge Clément expose sa collection personnelle de livres photos. — PHOTO LE SOLEIL, PASCAL RATTHÉ Mariage de toiles réalisées ces dernières années et de sculptures totémiques, l’exposition de Richard Mill à la galerie Lacerte mélange l’ancien et le nouveau. — PHOTO LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE

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Page 1: ls 2903 00 A016 - Galerie Trois Pointsgalerietroispoints.com/wp-content/uploads/2018/01/2014... · 2018. 6. 12. · de l’objet deviennent le point de départdelatoile,quiprendparfois

A16 ARTS MAGAZINE SAMEDI 29 MARS 2014 leSoleil

RichardMill coiffeses tableaux endéposant sur euxun objet ancien,un outil, un poids,ou unmot inscritau stencil. Le corpsdes toiles est faitd’une teintemonochromeoù dansentdes silhouettesféminines, etleurs pieds, eux,s’effilochent en coulisde peinture surla toile brute.

[email protected] spéciale

Il est une fois encore fascinant deconstater comment la pratique dupeintre a pu naître de l’influencedu minimalisme américain et senourrir de la foisonnante sensuali-té philosophique des mythes grecs.Pourquoi? «Parce que ce sont lesmythes fondateurs de notre psy-ché», répond simplement Mill,qui a comme toujours la barbeglorieuse et l’étincelle dans l’œil.

Mariage de toiles réalisées cesdernières années et de sculptu-res totémiques faites d’objetstrouvés et de poutres de galeriesdénichées chez les brocanteurs etencastrées entre trois planches debois brut qui évoquent un peu lescaisses de transport des musées,l’exposition présentée à la gale-rie Lacerte mélange l’ancien etle nouveau. «Et l’ancien n’est pasrespecté. Les antiquaires seraientoutrés de voir que j’ai mis aussiépais de peinture sur de si vieillespoutres», indique Mill. «Je vou-lais que les objets soient évoca-teurs, qu’ils puissent devenir dessymboles.»

L’objet et son pouvoir d’évoca-tion sont d’ailleurs une des lignes

directrices du travail de l’ancienprofesseur de l’École des artsvisuels, qui conçoit aussi bien destableaux-objets que des objets-sculptures, et insère cette fois desobjets trouvés dans les coiffes destoiles. Pour l’une d’elles, ce sontdes entonnoirs et embouts fabri-qués par des chaudronniers, pourdeux autres, ce sont les lourdeslames d’anciennes haches, et pourune autre encore, c’est un niveau.«Ce sont souvent des instrumentsde mesure, des outils», précise l’ar-tiste, qui travaille aussi avec desfils à plomb.

La forme, la couleur, la textu-re, bref les propriétés formellesde l’objet deviennent le point dedépart de la toile, qui prend parfoisla teinte exacte de celui-ci.

L’œuvre qui porte l’inscriptionLa source est inspirée d’un tableaudu même nom d’Ingres, montrantune jeune fille nue déversant l’eaud’une cruche. La hanche gaucheest saillante, et cette courbe a étéreprise par Mill. Echo, la nympheamoureuse de Narcisse, est aussila répétition d’une silhouette fémi-nine, alors que les multiples tou-ches d’Ulysse évoquent un torseen cuirasse.

MOMENTCHARNIÈREAutre constante : la verticalité,

«l’homme debout», insiste RichardMill, qui clôt une phase de créationavec les mots (faits au stencil, tou-jours les mêmes, stencil qui appar-tenait à son grand-père arpenteur

et qu’il utilise depuis l’enfance) etouvre une nouvelle phase avec lesobjets. L’exposition présentée àQuébec saisit tout à fait le momentcharnière entre ces deux périodesde création.

L’exposition se poursuit jusqu’au15 avril au 1, côte Dinan, Québec.Info: 418 692-1566

RICHARDMILL

Tableaux couronnés

GALERIEPHOTOD’autres œuvresde Richard Mill surphotos.lesoleil.com

Les multiples touches d’un tableauportant l’inscriptionUlysseévoquentun torseencuirasse.—PHOTOLESOLEIL,PATRICE LAROCHE

ARTS VISUELS

Serge Clément est un photographe àla feuille de route bien garnie, maisc’est en tant que collectionneur etpassionné de livres photographi-ques qu’il présente 70 ouvragesrassemblés sous le titre Constella-tions chez VU Photo. En complé-ment, Olivier Bhérer-Vidal propose20 maquettes de livres à manipuleret à différents états d’achèvement.

Dans Constellations, le contenudes livres est soit inaccessible (puis-que les livres sont fermés et sous unplexiglas) ou morcellé (lorsque leslivres sont ouverts ou que la repro-duction d’une page est affichéeau mur). Dans Vingt maquettes, lecontenu des livres est partiel parcequ’inachevé. Dans les deux cas, levisiteur se doit d’imaginer le conte-nu caché ou manquant et composermentalement des séquences d’ima-ges, un exercice qui lui permet decomprendre le principe même dulivre photographique.

On retrouve des éléments dutravail artistique de Serge Clé-ment — une photographie dequestionnement, qui navigue ducommentaire social au récit poé-tique — dans les ouvrages de sacollection, rassemblés sous desthématiques intuitives. Sur unepremière table, «mes premièresinfluences, des livres qui privilé-gient des séquences d’images quiracontent quelque chose», indiquel’artiste, qui a aussi exposé sur uneseconde «la photographie vernacu-laire, ces images qu’on dit pauvres,prises par n’importe qui ou trou-vées». Différents portraits de payscomposent un autre ensemble,alors qu’une dernière table, plushybride, est consacrée aux élémentsde la nature, au territoire et à unevariété d’ouvrages sur le cochon.

Dans L’espace européen, l’expo-sition d’OBV propose une intéres-sante suite. L’une de ses maquettescontient un inventaire imagé detoutes ses possessions, un autredes extraits des enseignements dumaître indien Prajnânpad et desespaces prêts à accueillir des ima-ges des positions de lecture sug-gérées pour les lire... Les visiteurssont invités à manipuler les livrets,dans lesquels marques et tracesde crayons plomb permettent demarquer le processus, la démarchesuspendue. JOSIANNE DESLOGES(COLLABORATION SPÉCIALE)

Constellations etVingtmaquettessont présentées jusqu’au 20 avrilau 550, côte d’Abraham.

SERGECLÉMENTETOBVÀVU

La partinvisible

Serge Clément expose sa collectionpersonnelle de livres photos.—PHOTOLESOLEIL, PASCALRATTHÉ

Mariagede toiles réaliséescesdernièresannéesetdesculptures totémiques, l’expositiondeRichardMill à lagalerieLacertemélange l’ancienet lenouveau.—PHOTOLESOLEIL, PATRICE LAROCHE