l'unification de l'allemagne (1806-1871)

32
L’UNIFICATION DE L’ALLEMAGNE (1806-1871) par Scolaris Legisperitus Table des matières 1. Problématique...……………………………………………………………...……2 2. La situation initiale : le Saint Empire………………………...……………5 3. Le nationalisme 3.1 Le nationalisme d’existence 3.1.1 L’intrusion française…………………………………………………..6 3.1.2 Le pangermanisme………………………………………………….....6 3.1.3 Le romantisme…………………………………………………….…..7 3.1.4 Le renouvellement de la pensée religieuse…………………………....8 3.1.5 L’impératif d’autosuffisance économique………………………….…9 3.2 Le nationalisme de puissance : le militarisme prussien…………..…...….……9 4. L’Empire en formation 4.1 La Confédération germanique : une non-solution….. ……………………...….10 4.2 Le Zollverein : l’union douanière.……………………….. ……………………11 4.3 Le Printemps du peuple 4.3.1 La Burschenschaft…………………………………………………...12 1

Upload: monarchomaque

Post on 24-Oct-2015

1.297 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

L'unification de l'Allemagne au XIXe siècle, allant de Napoléon à Bismarck, en passant par le nationalisme romantique, le pangermanisme, le Printemps des peuples, le Vormärz et l'impérialisme prussien.

TRANSCRIPT

L’UNIFICATION DE L’ALLEMAGNE(1806-1871)par Scolaris Legisperitus

Table des matières

1. Problématique...……………………………………………………………...……2

2. La situation initiale : le Saint Empire………………………...……………5

3. Le nationalisme

3.1 Le nationalisme d’existence

3.1.1 L’intrusion française…………………………………………………..6

3.1.2 Le pangermanisme………………………………………………….....6

3.1.3 Le romantisme…………………………………………………….…..7

3.1.4 Le renouvellement de la pensée religieuse…………………………....8

3.1.5 L’impératif d’autosuffisance économique………………………….…9

3.2 Le nationalisme de puissance : le militarisme prussien…………..…...….……9

4. L’Empire en formation

4.1 La Confédération germanique : une non-solution…..……………………...….10

4.2 Le Zollverein : l’union douanière.………………………..……………………11

4.3 Le Printemps du peuple

4.3.1 La Burschenschaft…………………………………………………...12

4.3.2 Le Vormärz…………………………………………………………..13

4.3.3 Le Printemps allemand………………………………………………14

5. Le rôle de Bismarck

5.1 La vision politique bismarckienne……………………………………….……15

5.2 Les Guerres des Duchés, la Guerre austro-prussienne et la Confédération d’Allemagne du Nord………………………………………………………………16

5.3 La Guerre franco-prussienne et le nouvel Empire allemand……………….….17

6. Conclusion….…………………………………………………………..………...19

7. Bibliographie…………………………………….……………………..………....20

1

PROBLÉMATIQUE

L’histoire de l’Allemagne au XIXe siècle est une épopée passionnante. Après la défaite des

armées de Napoléon en 1815, l’Allemagne n’existait pas en tant que pays unifié. Les forces

vives du peuple allemand étaient dispersées en une multitude d’États régionaux

indépendants les uns des autres et orgueilleux de leurs particularismes. En l’espace d’un

demi-siècle, les Allemands, animés par un grandissant désir d’unité, vont surmonter les

clivages et réussir à se regrouper dans un État-nation. L’Empire allemand fondé en 1871

rassemblait plus de 40 millions de compatriotes germanophones sous un parlement

commun et une même constitution. Comment le nationalisme a-t-il concouru à la formation

d’un État rassemblant la nation allemande ?

Selon Constantin de Grunwald, auteur d’une biographie du chancelier Bismarck, la

réalisation de l’unité allemande est le produit d’un engrenage qui a pour point de départ la

supériorité de la Prusse à l’intérieur de l’aire germanique :

La grandeur prussienne était l’œuvre personnelle d’un seul homme, Frédéric II qui avait porté le coup décisif à l’ancienne répartition des forces en Allemagne par la conquête de la Silésie. Ses ancêtres avaient déjà inculqués à la caste des officiers et des hobereaux une discipline grâce auxquels la force prussienne avait pu représenter, pendant les guerres napoléoniennes, une pointe d’acier sur la massue de fer qui abattit le colosse1.

Ce rôle clé dans la défaite de Bonaparte aurait permis à la Prusse de se faire attribuer les

provinces rhénanes lors du congrès de Vienne, ce qui « n’avait fait que stimuler sa volonté

de puissance : les territoires du royaume, au lieu de constituer une masse compacte comme

en Autriche, étaient scindées en deux tronçons2 » que l’on voulu naturellement rattacher en

annexant le Hanovre. À cela l’auteur ajoute que « les dirigeants de la Prusse éprouvaient un

regret rétrospectif de ne pas avoir pu (ou ne pas avoir su) profiter de l’occasion 3 » de

prendre la tête de l’Allemagne lorsqu’une délégation du Parlement de Francfort l’a offert au

monarque prussien en 1848.

1 Constantin DE GRUNWALD, Bismarck, Paris, Albin Michel, 1949, p. 21.2 Ibid., p. 22.3 Ibidem.

2

Jacques Le Rider, dans un article paru dans la revue Le Point Références, affirme que le

nationalisme allemand a été porté par le mouvement romantique, lequel prend racine dans

le mécontentement provoqué par la domination politico-culturelle de la France :

Au fur et à mesure de la dégradation de la Révolution en Terreur et en césarisme, beaucoup de romantiques allemands défendront des positions conservatrices. À ces circonstances historiques qui conditionnent la culture politique du romantisme s’ajoute le fait qu’il s’inscrit dans la droite ligne du malaise face à l’hégémonie de la langue et de la culture française. Le nationalisme des romantiques allemands est d’abord une réaction à celui de la Révolution française et à l’impérialisme napoléonien4.

Les penseurs romantiques soutenaient que pour régénérer la société, il faut qu’il y ait

reconnaissance d’une communauté soudée par la conscience de son histoire et par un

sentiment religieux renouvelé5. Ainsi, par leurs écrits prolifiques, les romantiques auraient

popularisé l’idée d’un État-nation allemand et aidé les Allemands à prendre conscience

d’eux-mêmes.

Dans son livre portant sur le nationalisme allemand au XIXe siècle6, Pierre Ayçoberry

estime que l’unification de l’Allemagne est en partie due à la poussée démocratique des

masses qui, imprégnées de pangermanisme, désiraient être dirigées par un gouvernement

commun. D’autre part, l’auteur explique que la mutation de la pensée religieuse des

catholiques et des protestants a fait en sorte que les deux dénominations se sont rapprochées

(malgré des clivages encore avoués). Les théoriciens des deux côtés ont élaboré des

doctrines conservatrices se rejoignant sur l’idée d’un État germanique et chrétien.

Ayçoberry explique que s’élabora ainsi un consensus selon lequel « l’Allemagne nouvelle

doit s’inspirer de son glorieux passé, mais s’ouvrir aussi aux courants modernes. Ce

conservatisme intelligent va manifester sa vigueur et son influence dans les années

troubles7. »

4 Jacques LE RIDIER, « Aux sources du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 15.5 Ibid., p. 13.6 Pierre AYÇOBERRY, L’unité allemande, Paris, Presses universitaires de France, 1968, 127 p.7 Ibid., p. 63.

3

Dans sa biographie d’Otto Von Bismarck8, Volker Ullrich nous dresse un portrait détaillé

de la vie de l’homme qui unifia l’Allemagne. Ullrich décrit Bismarck comme étant le

principal architecte de l’unification, et le savoir-faire politico-diplomatique de cet homme

comme la cause de son succès. Au début de sa carrière, Bismarck se forgera une grande

affinité pour la diplomatie et subséquemment n’en deviendra qu’un des meilleurs

diplomates et stratèges de cette époque. Il ne fut pratiquement jamais pris au dépourvu

parce qu’il avait toujours un plan et qu’il analysait toutes les issues possibles.

L’auteur place l’emphase sur le fait qu’Otto Von Bismarck, grâce à un jeu politico-militaire

extraordinaire9, sut s’assurer la faveur de l’opinion populaire lui permettant de mettre ses

plans à exécution. Le règlement du conflit avec le Danemark redonna sa gloire à l’armée

prussienne qui, revigorée, obtint une victoire contre l’Autriche, victoire qui permit à

Bismarck de concrétiser la Confédération d’Allemagne du Nord. Après cela, il provoqua

une guerre avec la France, ce qui lui donna le momentum politique nécessaire pour rallier

les États du sud et proclamer le Deuxième Reich qui exclut l’Autriche (réglant ainsi

beaucoup de problèmes quant à la balance du pouvoir). Selon cet auteur, l’unification de

l’Allemagne doit donc être imputée principalement à l’habileté d’homme d’État d’Otto Von

Bismarck10.

D’après Otto Pflanze, auteur de Bismark and the Developement of Germany11, Bismarck est

à l’Allemagne ce que Lincoln est aux États-Unis. Similairement à Volker Ullrich, il avance

que Bismarck était un grand maître de l’art du « cabinet diplomacy ». Schnabel dit que «

Bismarck n’était pas du tout un homme d’idées nationalistes ou populaires, mais un homme

d’État et de raison d’État, l’homme de la pure staatsrason12. » Les motifs qui poussaient

Bismarck dans la voie unificatrice étaient principalement la quête d’une stabilité interne et

la domination prussienne. Pflanze mentionne également les facteurs qui étaient déjà

présents, sur lesquels Bismarck n’avait aucune influence. La politique prussienne, son

système militaire, l’idéalisation de l’État et de son pouvoir, tout ce développement avait

commencé bien avant Bismarck.

8 Volker ULRRICH, Bismarck – The Iron Chancellor, Londres, Haus Publishing, 2008, 166 p.9 Ibid., p. 64.10 Ibid., p. 111.11 Otto PFLANZE, Bismark and the Development of Germany – The period of unification, Princeton, Princeton University Press, 1963, 510 p.12 Ibid., p. 5.

4

L’auteur souligne aussi le point de vue allemand voulant que la nationalité soit plus

comprise comme une culture commune qu’une simple citoyenneté légale, point de vue

caractéristique du pangermanisme. Pflanze synthétise en disant que Bismarck a mis en

place un pouvoir politique combinant le nationalisme allemand, le militarisme prussien et

l’autoritarisme de la dynastie des Hohenzollern.

À la lumière de tous ces points de vue, nous posons l’hypothèse que le nationalisme

d’existence et le nationalisme de puissance ont concouru à la formation d’un État

rassemblant la nation allemande par des moyens économiques, militaires, culturels et

philosophiques. Dans un premier temps, les multiples principes du nationalisme furent

théorisés. Dans un second temps, lorsque ces théories eurent été suffisamment popularisées,

elles furent mises en application : on assista alors à la formation, par étapes, de l’État-

nation allemand. C’est cette unification de l’Allemagne en deux temps que nous allons

couvrir.

SITUATION INITIALE : LE SAINT EMPIRE

À la fin du XVIIIe siècle, le Saint Empire romain germanique était une mosaïque de

quelques 360 petits États indépendants qui s’ignoraient mutuellement. Ce vaste agglomérat,

s’il fut jamais vraiment un « empire », n’avait à cette époque pratiquement aucune unité

politique : la Diète d’Empire se réunissant à Ratisbonne en 1792 est négligée par neuf

dixièmes des participants potentiels, et ceux qui daignent se déplacer ne forment qu’un

congrès de diplomates sans pouvoir13. Ce territoire disloqué est le point de départ de notre

étude sur le nationalisme.

LE NATIONALISME

Le désir d’affirmation du peuple allemand suscita d’abord un nationalisme d’existence. Par

la suite, un nationalisme de puissance, plus conséquent, s’ajoutera à l’équation. Le

nationalisme d’existence conjugué avec le nationalisme de puissance conduiront à la

concrétisation des objectifs du pangermanisme.

13 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 8.5

Le nationalisme d’existence

L’intrusion française

Dans la foulée de la Révolution française, les troupes de la Convention envahissent la

Rhénanie, puis c’est presque toute l’Allemagne qui est placée, d’une façon ou d’une autre,

sous tutelle française. Entre 1795 et 1815, les armées françaises ont couvert toute l’Europe

et y ont exporté les idéaux de la Révolution. En bien des pays, le nationalisme est né à la

fois d’une réaction contre les forces d’occupation napoléoniennes et grâce aux idéaux

répandus par celles-ci14. Les défaites allemandes successives et l’abolition pure et simple du

Saint Empire romain germanique en 1806 révèle la faiblesse de cette structure. Durant

ces quelques années d’incertitude, on assiste à la naissance du sentiment national allemand.

Les bouleversements qui secouent la France et le choc de l’invasion amènent les Allemands

à réfléchir sur l’état de leur pays. Rapidement, des personnalités appellent au soulèvement

général contre l’occupant. Entre 1808 et 1812, quelques révoltes éclatent contre la

domination étrangère. Spontanées, sans coordination, sans revendications claires et sans

agenda précis, elles sont toutes rapidement étouffées. Seuls quelques théoriciens avaient

alors vraiment en tête l’idée d’un État-nation allemand, unifié et libre ; on se soulève

surtout pour protéger son particularisme15.

Pendant que les Allemands s’indignaient contre Napoléon Bonaparte, sa politique était en

train de leur rendre un immense service. En effet, il réorganise l’Allemagne en supprimant

de nombreuses séparations internes. Dès 1803, la carte des subdivisions est drastiquement

simplifiée : « moitié moins d’États en tout, six villes libres au lieu de cinquante-deux, deux

principautés ecclésiastiques au lieu de trente-quatre16. » Cela se fait au détriment des petits

États qui disparaissent au profit des moyens et grands États.

Le pangermanisme

La déroute des armées napoléoniennes revenant de la campagne de Russie en 1813 et les

préparatifs de guerre en Prusse voient fleurir toute une littérature patriotique. Dans son

14 Robert KOPP, « Les nationalismes sont nés du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 11.15 Pierre AYÇOBERRY, p. 19-20.16 Ibid., p. 12.

6

Catéchisme du soldat allemand, le pamphlétaire Ernst Moritz Arndt affirme : « Qu’on ne

parle plus d’Autriche et de Prusse, de Bavière et de Tyrol, de Saxe et de Westphalie, mais

d’Allemagne17 ! » Les chants patriotiques qu’il compose connaissent un énorme succès.

Dans son célèbre poème Quelle est la patrie de l’Allemand ? – Ce doit être l’Allemagne , il

incite ses compatriotes à l’insurrection en faisant référence à la bataille de Teutobourg où,

en l’an 9 de notre ère, les tribus germaniques coalisées ont anéanti trois légions romaines.

Finalement les troupes de Napoléon se retirent, puis celui-ci est définitivement battu à

Waterloo en 1815. En dix et parfois quinze ans d’occupation française, « les

particularismes ont été atténués, de vieilles élites renversées, des routines bousculées18. »

Le romantisme

Le romantisme est un mouvement intellectuel né en Europe occidentale au tournant du

XIXe siècle en réaction au rationalisme exacerbé des Lumières. Le romantisme cherche à

opérer un retour aux sources et aux traditions. Paradoxalement à cette exaltation du passé,

le romantisme se revendique de la modernité. Il se dresse notamment contre la société de

plus en plus matérialiste.

Les penseurs de ce courant espéraient que la condition humaine change fondamentalement,

« beaucoup de romantiques vivent dans l’adoration du peuple, comme Victor Hugo dans

Les Misérables. […] Cet amour du peuple entraîne les romantiques vers la défense des

droits des peuples19. » La mythologie qu’ils se construisent « les conduit à penser que les

peuples doivent décider eux-mêmes pour leur destin20. » Ainsi, dans son Discours à la

nation allemande publié en 1808, Johann Fichte, sentant l’identité germanique menacée par

la récente dissolution du Saint Empire et l’occupation française, « exhorte les Allemands à

se souvenir de leur langue et de leur passé21. » Par cet intérêt porté au peuple, le romantisme

encourage l’interrogation identitaire.

Entre 1805 et 1818, Clemens Brentano et Achim Von Arnim rassemblent en un recueil plus

de mille chants populaires allemands comprenant chansons épiques, balades de

troubadours, poèmes oraux, hymnes luthériens et catholiques. Leur démarche procède d’un 17 Ibid., p. 26.18 Ibid., p. 28.19 Robert KOPP, op. cit., p. 11.20 Ibidem.21 Ibidem.

7

nationalisme romantisme : ils souhaitent, par cette grande recension, rendre plus accessible

au peuple son patrimoine oral. Goethe juge que cet ouvrage colossal « devrait figurer dans

toutes les maisons où habitent des hommes au cœur frais22. »

Au même moment, les frères Jacob et Wilhelm Grimm réunissent les contes et légendes

allemandes dans divers volumes. C’est à eux que l’on doit, par exemple, Blanche-Neige et

les sept nains. Ludwig Tieck, considéré comme le père du romantisme allemand, rassembla

lui aussi des contes populaires dans ses écrits. Pour lui, « l’âme de l’Allemagne résidait

dans l’architecture gothique, dans la peinture de la Renaissance allemande et dans les récits

populaires23. » Ce répertoire de contes folkloriques l’influença dans la production d’œuvres

nouvelles, telles que Le Chat botté et Les Elfes. En remettant le folklore médiéval au goût

du jour, ces auteurs ressuscitèrent les racines de la culture germanique.

Le renouvèlement de la pensée religieuse

On assiste au milieu du XIXe siècle à une mutation de la pensée conservatrice religieuse

chez les protestants et les catholiques allemands. Cette évolution amena les deux groupes à

converger au plan intellectuel. Du côté protestant, la doctrine s’est renouvelée grâce aux

réflexions du philosophe et théoricien de science politique Friedrich Julius Stahl, luthérien

féru de droit ecclésiastique et omniprésent dans les synodes. Dans une série d’ouvrages

portant sur la relation entre la foi et le gouvernement civil, il argumente que « dans un État

imprégné d’esprit religieux il n’y a aucun inconvénient, au contraire, à ce que le pouvoir

[royal] soit balancé par une chambre élue ; la piété empêche le monarque de tourner en

despote, et les sujets à la critique irrespectueuse24. »

Du côté catholique, l’autoritarisme prussien a dissipé les illusions sur le rôle protecteur de

l’État, de sorte que le concept de liberté a perdu sa connotation péjorative. En Rhénanie, on

a dû lutter pour conserver le Code Civil contre la bureaucratie prussienne. Les Rhénans,

Badois et Hessois catholiques prennent goût à l’égalité juridique. Leur conservatisme

s’attend à ce que le gouvernement soit l’instrument de la justice et le défenseur des pauvres,

mais il comprend la nécessité d’une constitution équilibrant les champs d’action de chaque 22 Oriane JEANCOURT-GALIGNANI, « Le Cor enchanté de l’enfant de Brentano et Arnim », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 32.23 Charles LE BLANC, « Fantaisies sur l’art de Ludwig Tieck », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 20.24 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 61.

8

niveau et branche du gouvernement. Les théoriciens catholiques, qui envisagent la

possibilité que confession se retrouvent minoritaire dans un éventuel État national

allemand, tiennent à une clairvoyante répartition des pouvoirs. Puisque la Prusse est

protestante et dominatrice, il faudra l’équilibrer par un parlement national qui puisse la

contrecarrer, lorsque nécessaire25.

L’impératif d’autosuffisance économique

La période postnapoléonienne coïncide en Allemagne avec la Révolution industrielle.

Celle-ci s’y amorce assez durement, l’Allemagne se retrouve sans rempart économique face

au monde extérieur. Elle est littéralement envahie de produits manufacturés en provenance

de l’Angleterre qui a une longueur d’avance sur les autres pays européens dans le domaine

de l’industrialisation. « Très vite la jeune industrie de Saxe et de Rhénanie est tuée dans sa

fleur […] les entrepreneurs ruinés sont du coup et pour longtemps convertis au

protectionnisme26. »

L’agriculture se porte aussi très mal. L’application des réformes agraires provoque une

baisse des rendements. La disette de 1816-1817 suscite un hérissement de prohibitions.

L’absence de transport à longue distance empêche les régions ayant des surplus de

ravitailler les régions déficitaires. La mauvaise conjoncture des blés et des laines dans la

décennie 1820 ruine une grande part des propriétaires-vendeurs ruraux. S’impose ainsi le

besoin d’une meilleure organisation économique intérieure, et par là l’impératif de

l’autosuffisance économique de l’Allemagne.

Le nationalisme de puissance : le militarisme prussien

Le militarisme prussien a des origines très lointaines. La Prusse fut fondée au XIIIe siècle

par l’Ordre teutonique. Ces chevaliers germaniques revenus des croisades allèrent

guerroyer les derniers païens d’Europe aux abords de la mer Baltique, s’y établirent et y

fondèrent un État monastique27. Leur culture militaire se perpétua de génération en

génération, si bien que le comte de Mirabeau pouvait dire au XVIIIe siècle que « la Prusse

25 Ibid., p. 62.26 Ibid., p. 43.27 Thomas MADDEN et al., Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, p. 126-131.

9

n’est pas un État possédant une armée, mais une armée possédant un État28 » dans lequel

elle ne serait pour ainsi dire que stationnée. Frédéric le Grand, roi de Prusse entre 1740 et

1772, porta les effectifs de son armée à un niveau sans précédent. Il a déclaré que « le rôle

d'un soldat n'est pas de penser, mais d'obéir. Si mes soldats commençaient à penser, aucun

d'eux ne voudrait rester dans les rangs29. » Les généraux prussiens se vantaient que leurs

officiers étaient insurpassables, et les simples soldats étaient reconnus pour leur

extraordinaire discipline.

De Grunwald considère que, combiné à ce vieux militarisme prussien, « les doctrines

d’Hegel avaient donné une base philosophique au nationalisme prussien en exaltant l’État

comme ‘‘l’absolu sur terre, le divin réalisé’’. La Prusse était devenue, ainsi, la Terre

promise des patriotes, le champion prédestiné de la nation allemande30. » Ce nationalisme

de puissance prussien entrera en ligne de compte lorsque les hommes d’État considéreront

que le temps est venu d’unifier la patrie par le fer et par le feu.

L’EMPIRE EN FORMATION

La Confédération germanique : une non-solution

Avec le retour de la paix en Europe, on avait décidé de restaurer les monarchies dans leurs

royaumes respectifs. Au Congrès de Vienne, il fut convenu que les anciens territoires du

Saint Empire romain germanique soient réunis dans un ensemble souple, qu’on appela la

Confédération germanique. Les frontières de celle-ci « ne coïncident pas avec celle de ses

composants : ainsi, la Prusse orientale, la Posnanie, la Hongrie, l’Italie autrichienne sont

hors de ses compétences31. » Cela veut dire que la Prusse et l’Empire austro-hongrois ne

sont qu’à moitié dans ce pseudo-État. De plus, elle comprend des territoires dont les

habitants ne sont aucunement germaniques (les Tchèques de Bohême-Moravie, des

Polonais en Prusse occidentale). La situation qui est créée est assez incongrue.

28 Hans-Joachim HARDER, « Histoire de la Prusse (1600-1947) par Christopher Clark », Revue historique des armées, [En ligne], http://rha.revues.org/index7006.html (Page consultée le 27 novembre 2010)29 Cédric PERDEREAU et al., Soldats – De l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2008, p. 140.30 Constantin DE GRUNWALD, op. cit., p. 23.31 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 31.

10

Il s’agit d’une confédération au vrai sens du terme, c’est-à-dire une « union de plusieurs

États qui s'associent tout en conservant leur souveraineté32. » Il n’y a pratiquement aucun

pouvoir centralisé. L’armée confédérale n’est que la juxtaposition des corps d’armée des

différents royaumes. Le seul organe coordonnateur de la Confédération est une Diète

(Bundestag) sur le modèle du Saint Empire, sorte de parlement regroupant les délégués des

différents États. L’unanimité des voix est nécessaire pour les décisions importantes. La

Diète siège à Francfort.

Ayçoberry compare la Confédération germanique à une « société d’assurance mutuelle

contre les troubles intérieurs. Il est prévu qu’à la demande d’un souverain, ou même s’il est

empêché, la Diète pourra procéder à une ‘‘intervention’’ pour rétablir l’ordre chez lui, et si

jamais le souverain lui-même voulait s’écarter du droit chemin, il se verrait menacé d’une

“exécution confédérale”33. »

Le Zollverein : l’union douanière

Malgré les difficultés économiques évoquées précédemment, les Allemands tardent à se

serrer les coudes pour évincer la concurrence anglaise. Chaque État met en place des

mesures de défense locale et tente de gagner l’avantage. Pendant quinze ans se déroule une

confrontation économique en Allemagne. « La Prusse, dont le territoire barre beaucoup de

routes nord-sud, frappe toutes les marchandises en transit d’une taxe assez pesante34. » Les

autres États tentent répétitivement de déjouer la Prusse en se coalisant, mais à chaque fois

elle leur coupe l’herbe sous les pieds en proposant à quelques-uns d’entre eux une entente

avantageuse.

L’hégémonie douanière prussienne en vient à s’étendre sur presque toute l’Allemagne.

Simultanément, les nécessités pratiques viennent à bout de la zizanie. En 1834, 25 États

(peuplés de 26 millions d’habitants) unifient leur système douanier vers l’extérieur et

l’abolissent dans leurs relations réciproques. Cette union douanière porte le nom de

Zollverein. Ce nouveau régime économique est donc protectionniste vis-à-vis du reste de

l’Europe et libre-échangiste à l’intérieur de l’Allemagne.

32 Dictionnaire Micro Robert, Confédération, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1988, p. 253.33 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 31-32.34 Ibid., p. 44.

11

Rétrospectivement, on peut voir dans la création du Zollverein « une date capitale dans la

marche de l’Allemagne vers l’unité : les quinze années suivantes seront marquées par des

progrès économiques et une mentalité plus audacieuse, qui ne s’expliqueront que par les

attraits et les exigences d’un vaste marché commun35. » Entre 1835 et 1860, les grandes

villes allemandes sont reliées entre elles par un réseau ferroviaire. On commerce plus

efficacement, plus loin. Ce nouvel état de fait ne plaît pas à tout le monde, mais

globalement, l’Allemagne s’enrichit et se fortifie. Cette première expérience d’unité laisse

une bonne impression aux Allemands, qui réalisent ce qu’ils peuvent accomplir ensemble.

Le Printemps du peuple

La Burschenschaft

Il va sans dire que ceux qui rêvent d’un véritable État national sont insatisfaits de la

formule confédérative qu’ils souhaitent temporaire. Dans plusieurs villes universitaires

d’Allemagne, des camaraderies étudiantes (Burschenschaft) se forment sous la devise

« Honneur, Liberté, Patrie ». On y cultive la moralité, la foi et les souvenirs de la vieille

Allemagne. En octobre 1817, pour le troisième centenaire de la Réforme protestante, un

demi-millier d’étudiants se retrouvent au château de la Wartburg dans la forêt de Thuringe

pour chanter des hymnes patriotiques et fêter à la fois Martin Luther et Blücher (le

commandant de l’armée prussienne ayant défait Napoléon). On y jette les bases de la

« Burschenschaft générale d’Allemagne »36.

Au départ, les ambitions de ces étudiants sont floues. Des professeurs et des intellectuels se

chargent de leur donner une meilleure orientation idéologique. Les premiers germes de

radicalisme apparaissent rapidement. À Giessen en Hesse, le groupe des Inconditionnels

menés par le professeur Karl Follen appelle au renversement des trônes et à l’établissement

de la République unitaire par tous les moyens (incluant l’usage de la violence). Ils prônent

le tyrannicide en défense de la liberté. Il n’est pas étonnant que les autorités y voient une

menace à l’ordre public et brandissent le spectre de la révolution. La Burschenschaft est

immédiatement interdite et réprimée, mais elle continue de fonctionner de manière

35 Ibid., p. 46.36 Ibid., p. 34-35.

12

souterraine. À long terme, son influence politique sera considérable : la plupart des chefs du

mouvement national des années 1850-60 sont issus de la Burschenschaft37.

Le Vormärz

Dans la foulée du Congrès de Vienne, plusieurs États allemands (Hesse-Nassau, Bavière,

Bade, Wurtemberg) s’étaient dotés d’une constitution qui en faisait des monarchies

parlementaires : assemblée élue au suffrage censitaire et chambre haute intégrant les

anciens « nobles d’empire ». Les rois ou grands-ducs détiennent toujours le haut du pavé.

Pourtant, les députés ne se font pas attendre pour réclamer l’élargissement des libertés

civiles et économiques, l’abolition des restes de féodalité et même la cession de plus larges

pouvoirs à la Diète de Francfort38. Ainsi se constitue le Vormärz (l’« avant-mars »),

mouvement unificateur et démocratique qui marquera l’Allemagne du XIXe siècle.

Leurs souverains ignorent leurs revendications pendant une décennie, puis en 1830 les

révolutions étrangères raniment soudainement la vie politique. La crise économique

provoque des émeutes populaires, et les libéraux voient en l’insatisfaction de la population

un terreau fertile pour leurs idéaux. Des constitutions sont arrachées dans le Brunswick-

Lunebourg, en Hesse-Cassel et en Saxe. Au parlement du Bade, une motion réclamant une

Assemblée nationale allemande est déposée. Ce soubresaut n’est pas sans lendemain. En

mai 1832, 25 000 personnes se rendent au château de Hambach dans le sud de la Rhénanie

pour entendre des orateurs : « Il viendra un jour où, venus des Alpes, de la mer du Nord, du

Rhin, du Danube et de l’Elbe, les Allemands s’embrasseront comme des frères. Vive

l’Allemagne unie et libre39 ! » En cette occasion est hissé pour la première fois le drapeau

noir, rouge et or qui deviendra plus tard le drapeau national allemand.

L’enthousiasme est de courte durée. En juin, la Diète confédérale passe en mode

répression : les assemblées élues sont surveillées, la liberté de presse est suspendue.

Plusieurs en concluent qu’étant donné que l’unité de l’Allemagne ne peut se faire par

compromis avec les souverains, on la fera sans eux. L’année suivante, les étudiants de la

Burschenschaft (qui a survécu à 14 ans d’interdiction) effectuent un putsch raté à Francfort.

En 1834, Georg Büchner fomente sans succès un soulèvement des paysans hessois avec un

37 Ibidem.38 Ibid., p. 38.39 Ibid., p. 39.

13

libelle où il s’exclame « Paix aux chaumières, guerre aux palais40 ! » En 1835, l’agitation

s’est dissipée.

Le Printemps allemand

La maladie de la pomme de terre en 1845 et la mauvaise récolte de céréales en 1846

provoque une hausse des prix alimentaires, ruinant le pouvoir d’achat des ruraux. Les

impôts rentrent mal, et on spécule trop à la hausse à la bourse. Ayant besoin de faire un

emprunt, le roi de Prusse (Frédéric-Guillaume IV) convoque en avril 1847 une « Diète

unie » issue des différentes diètes prussiennes. Il la veut purement consultative : c’était s’y

méprendre. Les députés profitent de l’occasion pour rédiger une Pétition des Droits et

préciser la théorie de collaboration entre le roi et les élus. Le roi les renvoie, mais ne peut

empêcher l’émoi de se transporter dans l’Allemagne entière41.

En mars 1848, la nouvelle de la révolution parisienne est l’étincelle qui embrase presque

toutes les régions allemandes. Cependant, la contestation n’est pas coordonnée : pétitions

modérées et émeutes populaires s’entrecroisent. Dans la Forêt Noire, en Souabe et en

Franconie, des dizaines de milliers d’hommes protestent contre les droits féodaux. Cette

flambée de colère n’a pas de continuité : dès le temps des semailles, ils rentrent chez eux.

Un climat d’incertitude s’installe. À Berlin, des heurts se produisent entre la foule et la

troupe le 18 mars. Dans la nuit, des barricades se dressent et le lendemain on compte 200

artisans morts. Les dirigeants du parti libéral sentent qu’il est temps d’arracher des

concessions. Les souverains, pour apaiser la rue, font entrer des libéraux dans leurs

gouvernements, desserrent le contrôle de la presse et élargissent le droit de vote42.

51 activistes libéraux réunis à Heidelberg convoquent une assemblée préparatoire à

Francfort ; 574 députés s’y rendent début avril. De ce Pré-Parlement se dégage une majorité

de modérés qui décide qu’une assemblée nationale sera élue au suffrage universel indirect.

Ce Parlement est élu en mai dans la Paulskirche (Église St-Paul de Francfort). En même

temps que s’amorcent les délibérations, le révolutionnaire Friedrich Hecker mène une

révolte de quelque six mille hommes en Bade, les Polonais entrent en insurrection en

Posnanie, les Allemands du Schleswig-Holstein se soulèvent contre la monarchie danoise,

40 Ibid., p. 42.41 Ibid., p. 63-64.42 Ibid., p. 64-68.

14

et les Tchèques se rebellent contre la domination autrichienne. L’armée prussienne est trop

heureuse d’intervenir pour rétablir l’ordre43.

Durant l’été, la création d’« associations démocratiques » et de « comités constitutionnels »

se multiplie, les ouvriers continuent de manifester dans la rue. Face à eux, la noblesse se

réseaute en clubs et orchestre des démonstrations pour attiser le particularisme contre

Francfort. L’Arsenal de Berlin est pillé le 14 juin. En août, la guerre civile est latente. En

septembre, les masses rurales et citadines se lancent dans l’action violente. À Berlin, le

« Congrès des Démocrates » proclame sa solidarité avec les insurgés de Vienne. La

répression n’attend pas pour s’abattre. En mars 1849, dans un dernier espoir de sauver son

projet d’unité, la Diète de Francfort envoie des représentants proposer au monarque

prussien, Frédéric-Guillaume IV, de devenir le chef d’État d’un nouveau Reich. Ne pouvant

accepter de recevoir son titre et sa fonction de la main de simples parlementaires, celui-ci

rejette l’offre. Les derniers sursauts révolutionnaires sont écrasés par l’armée. Le printemps

allemand se termine par un échec cuisant. Reste que la société corporative est disparue dans

la tourmente44. Une chose est claire : les habitants de l’Allemagne ont démontrés leur

volonté d’union et de souveraineté populaire. Les gouvernants des décennies suivantes en

tiendront compte.

Le rôle de Bismarck

La vision politique bismarckienne

On peut croire que la vision politique d’Otto Von Bismarck est demeurée assez fixe tout au

long de sa carrière. On sait qu’en 1851, dans un dîner à l’exposition universelle de Londres

en compagnie de l’ambassadeur de Russie, après quelques rasades de vodka, Bismarck

s’exclama  dans un élan de franchise brutale : « Prochainement, je vais arriver au pouvoir.

Je saisirai la première occasion pour déclarer la guerre à l’Autriche, pour dissoudre la

Confédération germanique, et pour donner à l’Allemagne son unité nationale sous direction

de la Prusse45. » C’est exactement ce qu’il fit deux décennies plus tard. Il jugeait que la

rivalité austro-prussienne était « la pierre angulaire du problème allemand46 », c’est

43 Ibid., p. 68-70.44 Ibid., p. 75-83.45 Constantin DE GRUNWALD, op. cit., p. 115.46 Ibid., p. 106.

15

pourquoi il était prêt à évincer l’Autriche par les moyens forts. La nouvelle Allemagne ne

pouvait pas contenir deux grandes puissances. Ou bien la Prusse ou bien l’Autriche devait

être écartée. Bismarck, en bon Prussien, décida que ce serait l’Autriche. Pour lui, c’était

faire d’une pierre deux coups que d’unir l’Allemagne sous l’égide de la Prusse. Les

germanophones, comblés de l’unification, n’auront pas à se plaindre de la suprématie

politico-économique de la Prusse, clé de voûte du futur système.

La Guerre des Duchés, la Guerre austro-prussienne,

puis la Confédération d’Allemagne du Nord

Trois guerres furent des catalyseurs dans l’avènement de l’empire unifié de Bismarck. La

première de celle-ci impliquait le Schleswig-Holstein, une double principauté

germanophone dans la péninsule du Jutland. Ces duchés relevant du Danemark étaient

majoritairement peuplés d’Allemands, mais une forte minorité danoise vivait au Schleswig

septentrional (au nord de Flensburg)47. Le Holstein était membre de la Confédération

germanique. Les pangermanistes désiraient l’intégration de ces territoires au futur État

national allemand et inversement les militants du panscandinavisme demandaient l’union

du Schleswig au Danemark. Cette annexion du Schleswig au Danemark fut officialisée en

186348. La Prusse et l’Autriche attaquèrent l’année suivante. Après la brève Guerre des

Duchés, le Danemark céda en 1865 le Schleswig à la Prusse et le Holstein à l’Autriche49.

Le problème danois ainsi réglé, l’étape suivante du plan bismarckien était d’écarter

l’Autriche. Il la provoqua en demandant que le Holstein soit intégré à un gouvernement

centralisé, une Confédération d’Allemagne du Nord. L’Autriche, indignée, demanda la

mobilisation des armées de la Confédération germanique contre les forces prussiennes. Les

Saxons acceptèrent d’intervenir quand les Prussiens occupèrent le Holstein50. Bismarck

avait protégé ses arrières en concluant une entente avec l’Italie, qui lui donnerait son appui

contre la reconnaissance de la souveraineté italienne sur le Tyrol du Sud (région

germanophone revendiquée par l’Autriche). La Prusse remporta la bataille décisive à

Sadowa (Bohême) en 1866. L’Autriche ne concéda aucun territoire, mais accepta que soit

47 « History of Schleswig », Encyclopædia Britannica, édition disque compact, 2002.48 « History of Denmark »,  Encyclopædia Britannica, édition disque compact, 2002.49 « Guerre des Duchés (1864) », Larousse, [En ligne] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Duchés/117229 (Page consultée le 10 avril 2012).50 Volker ULRRICH, op. cit., p. 64.

16

dissoute la Confédération germanique. Dans ce tumulte, toutes les principautés allemandes

septentrionales furent intégrées plus ou moins volontairement à la Confédération

d’Allemagne du Nord51. Une proportion croissante d’Allemands vit en Bismarck la solution

à la question nationale allemande.

La Guerre franco-prussienne et le nouvel Empire allemand

Tous ces développements ne faisaient pas l’unanimité dans le reste de l’Europe. Bismarck y

vit une façon de mettre l’Allemagne sur la défensive de manière à pousser l’unification du

nord avec le sud. L’occasion se présentât lorsqu’un membre de la dynastie royale de Prusse

– les Hohenzollern – se posât en 1868 comme candidat à la succession du trône espagnol

vacant. Cela indisposait évidemment la France qui ne voulait pas se retrouver encerclée par

les Hohenzollern comme elle l’avait jadis été par les Habsbourg. Le but de Bismarck était

que la France déclare la guerre à la Prusse et que celle-ci apparaisse comme la victime52.

Lorsque les pressions diplomatiques françaises eurent convaincu les Espagnols de rejeter la

candidature des Hohenzollern, le gouvernement français exigea encore un communiqué de

désistement du roi de Prusse, lequel refusât sobrement d’ajouter à la controverse. Cette

information fut télégraphiée d’Ems (Rhénanie) à Bismarck et l’État-major prussien à

Berlin. Bismarck réécrit la dépêche d’Ems sans en changer le contenu mais en faisant

ressortir l’antagonisme vexatoire pour les opinions publiques françaises et allemandes, puis

la transmit à la presse internationale. La France déclara la guerre peu après53. Comme

l’avait prévu le chancelier, l’unanimité allemande se fit instantanément dans un

déchaînement d’enthousiasme. L’Allemagne avait été envahie un demi-siècle auparavant,

elle ne devait pas l’être cette fois-ci. Au parlement bavarois, le député Sepp s’écria que

« nous n’avons pas participé à la bataille de Leipzig, mais nous n’allons pas manquer la

nouvelle bataille des nations54 ! » et reçut un tonnerre d’applaudissements.

« L’union nationale avait été plébiscitée par cet élan incomparable qui avait entraîné

l’Allemagne entière au lendemain de la déclaration de guerre par la France. […] C’était le

51 Ibid., p. 65.52 Ibid., p. 74.53 Pierre MIQUEL, Les mensonges de l’Histoire, Paris, Éditions France Loisirs, p. 285-288.54 Constantin DE GRUNWALD, op. cit., p. 239.

17

roi de Prusse qui commandait en chef, en conformité avec les traités de 1866, les armées

accourues de tous les coins de la Germanie, et c’était l’état-major prussien […] qui

élaborait le plan des opérations stratégiques exécutées en commun : ainsi, pour la première

fois dans l’histoire, la combinaison politique rêvée par Bismarck se trouvait pleinement

réalisée55. » L’armée allemande, bien équipée en artillerie lourde mais mobile et

excellemment ravitaillée par réseau ferroviaire56, envahit le nord-est de la France après ses

victoires écrasantes à Metz et surtout Sedan où l’empereur Napoléon III fut capturé.

Bismarck imposa aux Français l’annexion de l’Alsace-Moselle. Le chancelier de fer

convoqua les États d’Allemagne méridionale : l’heure de l’unification était enfin venue. La

proclamation du Deuxième Reich dans la Salle des Glaces du palais de Versailles le 18

janvier 1871 représente pour Bismarck le couronnement de sa carrière politique57.

CONCLUSION

« Ce corps qui s’appelait et qui s’appelle encore Saint Empire romain n’est en aucune

manière ni saint, ni romain, ni empire58. » C’est avec ces mots que Voltaire se moquait de

cet immense espace morcelé qui n’avait d’empire que le nom. À l’aube du XIXe siècle, les

Allemands étaient terriblement désunis, et remédier à cette situation sera pour eux l’enjeu

55 Ibid., p. 247.56 Pierre MIQUEL, op. cit., p. 278-279.57 Volker ULRRICH, op. cit., p. 76-78.58 François Marie AROUET, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, Paris, Treuttel et Würtz, 1835, p. 121.

18

majeur de ce siècle-là. Il fallut attendre l’occupation française pour que soit introduite en

Allemagne l’idée d’État-nation. Napoléon Bonaparte donna le coup d’envoi au processus

d’unification en simplifiant radicalement la cartographie politique allemande.

Une fois mis en branle, le nationalisme d’existence et le nationalisme de puissance ont

concouru à la formation d’un État rassemblant la nation allemande par divers moyens.

L’exaltation du peuple et de la patrie par les Romantiques, puis la popularisation de l’idéal

d’un État national allemand par les théoriciens du pangermanisme ont jeté les bases

intellectuelles du projet d’union. Grâce au Zollverein qui a éliminé les barrières douanières

intérieures, les Allemands ont pris conscience de leur force potentielle commune. La

tradition militaire que la Prusse a héritée de ses ancêtres teutoniques lui a permis d’unifier

l’Allemagne par le haut. L’aboutissement de ce long processus doit être imputé au savoir-

faire d’Otto Von Bismarck. Habile calculateur, les événements se sont déroulés selon le

scénario qu’il avait prévu de longue date. L’empire qu’il a établi va perdurer pendant

cinquante ans au cours desquelles l’Allemagne vivra une prospérité sans précédent.

BIBLIOGRAPHIE

AROUET, François Marie. Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, Paris, Treuttel et Würtz, 1835, 486 p.

AYÇOBERRY, Pierre. L’unité allemande, Paris, Presses universitaires de France, 1968, 127 p.

DE GRUNWALD, Constantin. Bismarck, Paris, Albin Michel, 1949, 492 p.

Dictionnaire Micro Robert. Paris, Dictionnaires Le Robert, 1988, 1376 p.

19

MADDEN, Thomas, et al., Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, 224 p.

HARDER, Hans-Joachim. « Histoire de la Prusse (1600-1947) par Christopher Clark », Revue historique des armées, [En ligne], http://rha.revues.org/index7006.html (Page consultée le 27 novembre 2010).

JEANCOURT-GALIGNANI, Oriane. « Le Cor enchanté de l’enfant de Brentano et Arnim », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 32 sur 130.

KOPP, Robert. « Les nationalismes sont nés du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 11-12 sur 130.

LE BLANC, Charles. « Fantaisies sur l’art de Ludwig Tieck », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 20 sur 130.

LE RIDIER Jacques. « Aux sources du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p 13-15 sur 130.

MIQUEL, Pierre. Les mensonges de l’Histoire, Paris, Éditions France Loisirs, 392 p.

PERDEREAU, Cédric, et al. Soldats – De l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2008, 360 p.

PFLANZE, Otto. Bismark and the Development of Germany – The period of unification, Princeton, Princeton University Press, 1963, 510 p.

ULRRICH, Volker. Bismarck – The Iron Chancellor, Londres, Haus Publishing, 2008, 166 p.

20