management des impressions : analyse qualitative d
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1
Université de Tunis la Mannouba
Institut de Presse et des Sciences de l’Information
2005-2006
Mémoire de Mastère en Sciences de
l’information et de la communication
Management des impressions :
analyse qualitative d’entretiens de
sélection
Elaboré Par
Ramla Kesraoui
Sous la direction de
Karim Ben Kahla et Arbi Chouikha
2
Plan
INTRODUCTION 1
Chapitre 1. Les impressions : de quoi il s’agit ?
I. La perception humaine 4
I.1. Perception et prise de sens pour la psychologie classique 5
I.2. Perception et prise de sens pour les conceptions situationnistes et constructivistes 6
I.3. Mécanismes de la perception humaine 8
II. Les impressions : Résultat d’un processus de représentation 12
III. Formation et permanence des premières impressions 15
Chapitre 2. Management des impressions, cadrage théorique
I. Définitions et intérêts pour le management des impressions 18
II. Management des impressions, influence et communication persuasive 20
II.1. Influence et exercice du pouvoir 21
II.2. Influence et communication persuasive 25
II.2.1. Argumentation 25
II.2.2. Manipulation 25
II.2.2.1. La manipulation comme composante inhérente à toute communication 25
II.2.2.2. Critique de la manipulation 28
II.2.3. Le recours massif aux techniques de manipulation 29
II.2.3.1. La désinformation 29
II.2.3.1. Le mensonge 30
Chapitre 3. Comment s’opère le management des impressions
I. Communication non verbale : aspect pragmatique des interactions 33
I.1. L’apparence vestimentaire 33
I.2. L’étiquette sociale et les règles de bienséance 35
3
I.3. Régulation de la parole 36
I.4. Intentionnalité du regard 38
I.5. Règles de la proximité 39
I.6. La gestualité 39
II. Les techniques de management des impressions :
aspect stratégique des interactions 41
II.1. Les stratégies actives 42
II.1.1. L’insinuation : une stratégie de séduction 42
II.1.1.1. La conformité d’opinion 43
II.1.1.2. La mise en valeur de l’autre : Insinuation par la flatterie 45
II.1.1.3. La mise en valeur de soi même 45
II.1.2. Stratégie de promotion de soi 46
II.1.3. Idéalisation, exemplification 46
II.1.4. Supplication 47
II.2. Les stratégies défensives 48
II.2.1. L’évitement : un moyen de prévention 50
II.2.2. La falsification : un moyen de détournement 50
II.2.3. L’usage d’excuses et de justifications : un moyen de réparation 51
Chapitre 4. Méthodologie de la recherche
I. Intérêt de la méthode 56
II. Les modalités de recueil et d’analyse des données 58
II.1. Enquête par des observations directes 60
II.1.2. La population observée 61
II.1.2. Les sources d’erreur 61
II.2. Enquête avec des responsables de recrutement 62
II.2.1. Présentation de la population interviewée 64
II.2.2. Présentation des entretiens 65
4
Chapitre 5. Interprétation des données recueillies
I. Enquête par des observations directes 66
I.1. Analyse du contexte des observations 67
I.2. Les influences concernant l’usage des stratégies de management des impressions
dans les entretiens observés 72
I.2.1. Caractéristiques du candidat 72
I.2.2. Caractéristiques de l’interviewer 77
I.2.3. Caractéristiques de la situation d’entretien 78
I.3. Quelques effets observés sur la formation des impressions au cours des entretiens 79
II. Enquête par des entretiens avec des responsables de recrutement 81
II.1. Usage de stratégies de management des impressions 81
II.1.1. Caractéristiques personnelles 83
II.1.2. L’expérience professionnelle 84
II.2. Attitudes de réception des évaluateurs 85
II.3. Formation et permanence des premières impressions 85
III. Conclusions 86
CONCLUSION GENERALE 90
ABSTRACT
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
5
Introduction
Les mécanismes de la perception sociale et de la formation des impressions forment un objet
d’étude qui puise son fondement d’un vaste champ scientifique trans-disciplinaire et qui tend
à se structurer par l’étude des phénomènes cognitifs. Nous nous contenterons dans le cadre de
ce mémoire de considérer l’objet de l’étude à partir des aspects organisationnels et
communicationnels et à l’envisager de par son impact sur les relations humaines dans le cadre
d’une situation organisationnelle particulière à savoir l’entretien de sélection.
C’est ainsi, qu’au sein du vaste champ de la communication humaine nous allons nous
concentrer, au delà de la communication intra personnelle, dans laquelle s’élaborent
les significations, sur la communication interpersonnelle, au cœur de laquelle se manifestent
les comportements, qui n’est pas pour autant dissociable de la première. En un mot,
la communication interpersonnelle sera appréhendée, dans ce travail, dans une optique
finalisée, celle de la gestion des impressions dans le cadre des situations d’entretiens de
sélection…
Nous aborderons notre objet de recherche en nous basant sur le postulat de Goffman,
initiateur de cette approche, selon lequel : En général, lors d’une interaction, « l’acteur doit
agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à
leur tour doivent en retirer une impression…». En reprenant ainsi les termes d’Ichheiser,
Goffman1 met la lumière sur la capacité d’expression d’un acteur lors d’une interaction, et par
conséquent, sa capacité à donner des impressions. Ce dernier peut ainsi influencer
la définition de la situation d’échange et imposer à ses interlocuteurs le type d’impression qui
les amène à agir de leur plein gré conformément à son propre dessein. L’entretien de sélection
constitue une situation organisationnelle particulière qui est très propice à ce genre de
comportement. En effet, les candidats se présentant à un entretien affichent une « expression »
d’eux même, plus ou moins intentionnelle, pour présenter une bonne image de leurs propres
1 Erving Goffman, « La mise en scène de la vie quotidienne, présentation de soi », Les éditions de minuit, 1973
6
personnes. Les évaluateurs, interagissant avec ces derniers, en retiennent une
« impression »…
Ce qui nous amène à définir plus précisément notre objet d’étude, à savoir la gestion des
impressions, comme étant « le processus par lequel un individu, au cours d’une interaction,
tente de contrôler et de manipuler les réactions, les idées de son interlocuteur, de façon à ce
que ce dernier se fasse une bonne image de lui et agisse conformément à ses intentions… »2
A partir de cette définition générale, et s’agissant d’un concept qui nous est inconnu, nous
avons essayé, dans la première partie de ce mémoire (chapitre II), de construire un ensemble
de considérations théoriques éclectiques pouvant enrichir la présentation du phénomène de
management des impressions. Pour ce faire, nous avons tenté d’apporter quelques éléments de
comparaison avec des concepts qui présenteraient des similitudes avec notre objet de
recherche, ainsi défini. L’exercice du pouvoir, la communication persuasive voire même
la manipulation dans la communication, sont autant de concepts à envisager dans l’étude du
phénomène de management des impressions…
Cette recherche s’inscrit dans une optique descriptive- interprétative. Il s’agit de rendre
compte des comportements persuasifs des candidats se présentant à un entretien de sélection,
en d’autres termes de décrire les modalités d’usage de stratégies par ces derniers et de détecter
les facteurs, aussi bien intra personnels qu’interpersonnels, qui déterminent leurs
comportements. Il s’agit aussi de tenter de comprendre la formation des impressions, suscitée
par de tels comportements, c’est à dire les significations rattachées par les évaluateurs à ces
différents comportements persuasifs .
En nous penchant plus précisément sur deux situations d’entretiens de sélection, nous
proposons de formuler la problématique suivante :
Dans quelles mesures les facteurs caractérisant la situation d’entretien de sélection, qui peuvent être aussi bien d’ordre intra personnel (traits de caractère, sexe, compétences, motivations…), qu’interpersonnel (caractéristiques du contexte : enjeu de la situation, statut socio intellectuel de l’interviewer….) permettent au candidat d’adopter tel ou tel comportement persuasif ou encore de choisir une stratégie qu’il juge appropriée à la situation pour gérer les impressions de son interlocuteur ?
A la lumière de cette problématique, et afin d’apporter une première lecture du phénomène du management des impressions, nous avons investi deux types d’entretiens de sélection : 2 Le concept de gestion des impression ou, selon la terminologie anglosaxone, « impression management », a été présenté et définie par plusieurs auteurs tels que Leary et Koawalski, 1990 ; Rao et al, 1995 ; Schlenker, 1980,Tedeschi et Reiss, 1981…
7
les entretiens de recrutement tels qu’ils sont menés par les cabinets, privés ou publics,
de conseil en recrutement. Faute de pouvoir accéder à ces entretiens, qui auraient d’ailleurs
constitué un observatoire idéal pour notre recherche, nous avons organisé un ensemble
d’entretiens avec quelques responsables de recrutement. L’échantillon témoin des interviewés
a été constitué par des responsables opérant dans cinq bureaux de recrutement : Un centre
public d’emploi, El Amouri selection, Cogerh Selection, Adecco et Mainpower.
Les entretiens de candidature pour un troisième cycle : Dans le cadre de la sélection de
candidats pour un troisième cycle professionnel en commerce électronique assuré par l’école
supérieure de commerce, nous avons pu mener un ensemble d’observations (70 entretiens).
Notre population a été constituée par deux catégories de candidats : des professionnels et
des nouveaux maîtrisards. A la lumière des considérations théoriques que nous avons
développées dans la première partie (Chapitre III), nous avons constitué une grille dans
laquelle nous avons prédéterminé les catégories d’observation concernant deux aspects du
comportement du candidat observé : L’aspect non verbal de sa présentation et les stratégies de
management des impressions déployées par ce dernier.
Ne s’agissant pas de la même situation, nous traiterons les deux enquêtes de façon séparée. Dans les deux cas, notre méthodologie comporte trois phases : La transcription, l’analyse et l’interprétation des données recueillies. Elle ne consiste pas en une retranscription littérale des entretiens ou des observations menés, mais à une reconstruction progressive de l’objet de recherche d'après tous les éléments en notre possession.
Chapitre I. Les impressions : définitions
8
Le terme « Impression » est défini dans le dictionnaire comme étant « un sentiment, une
sensation ou une opinion résultant de l’effet d’un agent extérieur ou d’un contact extérieur».
Au sens commun, généralement, on lui attribue la fonction d’une variable binaire
(Bonne ou mauvaise impression/impression de vérité ou fausse impression…). Il est aussi
d’usage de lui attribuer une signification plus abstraite (Impression de déjà vu, impression
d’étouffement…). Les impressions seraient elles alors des perceptions, des images ou des
théories… ?
Pour définir ce concept à priori équivoque et complexe, ce qui résulte d’ailleurs de
la complexité des rapports interpersonnels, il est primordial de se pencher en détail sur
les mécanismes de la perception humaine occupant une place importante dans
la compréhension de ces derniers : Notre agir est basé sur notre perception de la réalité et
l’agir des autres est basé sur leur perception de la réalité. Dans la mesure où nous voulons
comprendre pourquoi une personne agit de telle ou telle manière, nous devons d’abord
chercher à comprendre comment elle voit le monde et comment est sa réalité.
I. Perception humaine : La perception est une fonction cognitive d’interprétation. Elle correspond à l’activité de
traitement des informations faisant intervenir les cinq sens de l’être humain. Le processus
perceptif se déroule dans le temps et implique des transformations entrantes et leur
confrontation avec des informations mémorisées.
La perception telle qu’elle a été définie par MYERS et MYERS «...est un processus de
sélection, d’organisation et d’interprétation des stimulations sensorielles en un tableau
cohérent du monde… ».1 De ce fait les perceptions sont des théories sur la « réalité » et
pourraient être considérées comme des prédictions sur la nature du monde réel. A ce niveau,
il est important de distinguer, comme le suggère la définition, entre perception comme étant le
processus mis à l’œuvre par l’acteur, et les perceptions, résultats de ce processus.
Une autre définition est à retenir, au risque de simplifier le concept : « La perception est un
mécanisme premier, par lequel les êtres humains arrivent à connaître leurs univers. Elle est un
1 Myers et Myers, Les bases de la communication interpersonnelle, une approche théorique et pratique, McGraw-Hill éditeurs, 1984
9
processus de traduction : Les stimulations sensorielles (…) sont converties en impressions de
la réalité »3.
Ce concept occupe une place importante dans le champ des sciences cognitives. Notre
ambition ici, n’est pas de traiter des sciences cognitives dans leur complexité, mais
simplement de tenter d’isoler, autant que faire ce peu, le processus perceptuel avec l’accès
que chacun peut avoir au réel, dans une logique interactive, dont la finalité est de donner un
sens à ce réel. On peut relever du même ouvrage susmentionné que les perceptions sont
déterminées par :
• Les limites physiques des sens ;
• Les limites psychologiques des intérêts, objectifs, besoins, expériences passées…
I.1. Perception et prise de sens pour la psychologie classique : une approche linéaire Il apparaît à la lumière des recherches en psychologie classique, que le sens de la conduite
d’un acteur est exclusivement donné par des facteurs psychologiques internes…
Mucchielli4 a illustré cette conception classique en psychologie par des exemples où
l’influence du comportement humain est due à la sollicitation par des paroles adaptées, des
motivations internes, d’émotions (érotiques ou de peur) ou encore d’intérêts. Il a démontré à
l’issu de ces exemples que ce type d’explication est extrêmement linéaire et positiviste : une
cause entraîne un effet. La perception de la situation par celui qui est influencé, ou le sens
donné à sa conduite, est dicté par la motivation, l’intérêt ou l’émotion sollicités chez lui. Cette
conception s’aligne en communication avec le modèle causaliste émetteur-récepteur. Ce type
d’explication ne prend pas en compte la situation dans laquelle se déroule le phénomène de
communication. Or, toutes les recherches modernes (L’école de Palo Alto) montrent
l’importance fondamentale de la situation (du contexte, de l’environnement…) sur
l’apparition du sens des conduites humaines. Beaucoup d’auteurs ont montré, dans ce sens,
que les acteurs qui agissent exclusivement en fonction de leurs états psychiques sont
essentiellement des acteurs « pathologiques », incapables de se « décentrer », enfermés dans
3 Sybil Gehin, Méthodes de communication interpersonnelle, éditions ESKA, 1999. 4 Alex Muccielli, L’art d’influencer, Armand colin, Paris, 2000
10
leur propre monde et qui se heurtent vite aux significations des faits qui viennent « du reste du
monde »…5
I.2. Perception et prise de sens dans les conceptions situationnistes et constructivistes de la communication Les chercheurs de l’école de Palo Alto ont insisté sur l’importance du contexte à travers
la conceptualisation de la notion de cadrage. Dans une perspective systémique et
constructiviste, ces chercheurs s’intéressent à la situation totale dans laquelle l’acteur
communique et à la manière dont cette situation est perpétuée. Un phénomène demeure
incompréhensible, nous dit Watzlawick, tant que le champ d’observation n’est pas
suffisamment large pour qu’y soit inclus le contexte dans lequel le dit phénomène se produit.6
Dans cette optique, comprendre le sens d’une conduite (une communication), c’est
nécessairement la replacer dans le contexte où elle a eu lieu. Ce « contexte », en reprenant
les termes de Mucchielli est d’abord celui « des interactions » entre les acteurs en présence
car « […] rien n’est à considérer isolément, chaque chose et chaque être existe et se situe dans
un ensemble d’autres éléments en interaction avec lui ». On voit bien que cet auteur privilégie
un contexte, celui des interactions.
Une idée essentielle est donc à retenir, le sens d’une relation (d’une communication) et
compréhensible par rapport au contexte de référence global que l’acteur envisage. La science
des communication reprend tout à fait à son compte cette idée essentielle : Le sens naît d’une
mise en relation. Il surgit d’une « contextualisation »7.
Pour Mucchielli, le sens naît du contexte considéré et de ses éléments organisés en réseau. Il parle d’échelon de perception du sens. Il distingue entre les échelons locaux et les échelons globaux. Pour illustrer ces différents échelons ou niveaux de la perception, il reprend l’exemple banal d’une communication verbale, où l’on peut rester fixé sur « ce que quelqu’un dit » (polarisation sur le niveau immédiat du contenu de son discours), ou rapporter le sens à la situation dans laquelle on se trouve avec lui à l’instant présent, ou encore comprendre le sens de ce qu’il a dit dans l’ensemble plus vaste de l’histoire des relations entretenues avec lui.
Donc, en tant qu’observateur de notre propre situation de communication, nous pouvons
décider du « contexte » dans lequel nous voulons comprendre la situation.
Ainsi, dans des situations éprouvantes, certains niveaux de sens nous sont « bouchés ».
Il existe de ce fait plusieurs « réalités » qui sont des réalités de sens, selon la terminologie de
5 Alex Muccielli, Op.cit., p22 6 P Watzlawick et al, Une logique de la communication, seuil, 1972, p15 7 Alex Muccielli, L’art d’influencer, Armand Colin, Paris, 2000
11
watzlawick. Ce dernier stipule que selon « l’empan » du cadrage réalisé, s’est à dire, selon
l’étendue des phénomènes pris en compte ou leur « ponctuation », le système pris comme
référence sera différent, et le sens construit le sera aussi.
Beaucoup d’auteurs, étudiant la communication interpersonnelle, reprennent cette idée selon
laquelle les acteurs donnent signification à leurs perceptions en les interprétant en relation
avec leur contexte. Myers et Myers stipulent, dans ce sens, que plus le contexte est ambigu,
plus les acteurs se projettent dans ce qu’ils perçoivent8. La subjectivité tend à s’accroître dans
ce cas.
Notre expérience du monde est unique, personnelle et à la fois partagée avec les autres.
A ce niveau il est important de distinguer entre perception comme étant le processus cognitif
et la perception sociale. La perception sociale est définie comme étant le moyen par lequel les
gens se forment des impressions et arrivent à se comprendre les uns des autres9.
Cette compréhension reste générique dans la mesure où la subjectivité entre plus ou moins
dans le processus perceptuel. Dans la perception sociale, vu que la relation à ce qui est perçu
est plus complexe, la subjectivité tend à s’accroître.
Par ailleurs, Watzlawick (1971) et Winkin (1971) distinguent dans l’étude des processus
psychotiques, la perception des objets de celle des relations. D’après eux, il est possible,
même si ce n’est pas toujours facile, de vérifier une différence de perception portant sur un
objet. Par exemple une sensation de chaleur différemment perçue par deux personnes pourra
être mesurée en degrés. En revanche, il est plus délicat de mesurer objectivement la chaleur
(ou la froideur) d’une relation. « Dans le domaine des relations humaines, il n’y a pas de
vérité objective, dont un partenaire serait plus conscient que l’autre et sur laquelle un accord
serait possible »10 . Il est en revanche possible de fabriquer « un consensus pratique » par le
jeu de la méta communication, qui consiste à communiquer à propos de la communication.
Erwing Goffman lui fait référence à ce qu’il appelle « un consensus temporaire ». Pour lui,
lors d’une interaction, même les acteurs les plus passifs participent à la définition de
la situation d’échange. L’accord entre les définitions de la situation projetées par les différents
participants est en général assez grand pour éviter toute contradiction patente. Cette réalité
partagée par les participants à l’interaction, en apparence solide, n’est rien de plus qu’une
réalité consensuelle, c'est-à-dire, une réalité acquise par convention. Le maintien de ce qu’il 8 Myers et Myers, « Les bases de la communication interpersonnelle, une approche théorique et pratique », McGraw-Hill éditeurs, 1984 9 Myers et Myers ; Op. cit. ; p104 10 Watzlawick P. « La réalité de la réalité, confusion, désinformation, communication », Paris éd du seuil, 1978, p242
12
appelle aussi « un accord de surface », ou de cette apparence de consensus, se trouve facilité
par le fait que chacun des acteurs cache ses désirs personnels derrière des déclarations qui
soutiennent la version officielle de la définition de la situation. « …On a alors une sorte de
modus vivendi interactionnel. Tous les participants contribuent ensemble à une même
définition globale de la situation11. Il va de soi que chaque type déterminé de situation
d’interaction engendre un type déterminé de consensus temporaire…
I.3. Les mécanismes de la perception humaine Revenons à la première définition et essayons de décortiquer ce concept. Comme cette
définition le suggère, la perception se situe entre deux processus à savoir la sensation en
amont, et la cognition, en aval. La première est en grande partie déterminée par le
fonctionnement physiologique : elle est sensorielle. La deuxième, plus complexe, fait
intervenir des activités comme penser, décider, hiérarchiser, inférer, évaluer…Le processus de
perception suppose alors l’activation de trois actions «…La perception filtre, organise et
interprète les données sensorielles »12 :
• La sélection des informations, images à retenir ;
• L’organisation des stimulations sensorielles sur la base d’un cadre de référence
(valeurs, idées, préjugés, expériences passées…) ;
• L’interprétation des variables ainsi sélectionnées et organisées en produisant une
image cohérente et significative de ce qui est perçu.
Reprenons ces trois étapes une à une ;
I.3.1. La sélection de ce qui est perçu : La perception est sélective et cette sélection est
relative à différents facteurs aussi bien externes (ou facteurs environnementaux, facteurs
relatifs au contexte d’interaction) qu’internes (facteurs physiques et psychologiques).
I.3.1.1. Les facteurs internes :
11 Erving Goffman, « La mise en scène de la vie quotidienne, présentation de soi », Les éditions de minuit, 1973 12 Myers et Myers, « Les bases de la communication interpersonnelle une approche théorique et pratique », McGraw-Hill éditeurs, 1984
13
Ce sont les facteurs inhérents à la personne qui perçoit, qui peuvent être aussi bien physiques
(âge, sexe, développement des sens…) que psychologiques. « La perception est, au fond,
le mi-chemin entre la réalité extérieure qui vient à nous et nos sentiments, nos attitudes que
nous projetons sur cette réalité »13. Nous pouvons répertorier quelques uns des éléments les
plus importants qui vont alimenter le processus perceptuel14 :
• Le cadre de référence : Nous considérerons ici que le cadre de référence d’une
personne inclut son système de croyance et ses attentes issues de son histoire perceptuelle.
Alain Cayrol et Patrick Barrere (1989) définissent le système de croyance comme « un
ensemble conscient/inconscient de croyances de base, de prémisses, d’axiomes, de préjugés,
de valeurs et de modèles propres à une personne ». Nicole Côté (1994) considère les attentes
d’un individu comme le facteur le plus déterminant quant à l’ordre et à la direction qu’il
donnera à ses expériences perceptuelles. Le cadre de référence opère une fonction de filtre qui
génère la sélection des informations qui sont considérées comme d’autant plus pertinentes
qu’elles sont anticipées. En fait l’être humain augmente la probabilité de percevoir ce qu’il
s’attend à percevoir. Ainsi les attentes d’un patron sont généralement différentes des attentes
d’un syndicaliste, il en résultera que leurs perceptions d’un même problème organisationnel
risquent fort d’être différentes.
•La motivation : Besoins, désirs, intérêts, entrent en jeu dans le processus perceptif.
Les besoins créent un état de tension résultant d’un déséquilibre organique ou psychique. Ils
peuvent être aussi bien de type primaire : La faim exacerbe les sens olfactifs, la sensation
d’insécurité est accrue par des rumeurs de licenciement qui circulent dans une
organisation…que de type secondaire : qu’il s’agisse d’appartenance, d’estime ou de
réalisation. Ce deuxième type de besoin parasite souvent la perception des idées et des
messages dans les conversations : ainsi un individu qui éprouve un besoin d’estime cherchera
à attirer l’attention sur lui quitte à s’opposer à son interlocuteur, alors qu’un individu guidé
par un besoin d’appartenance cherchera et percevra d’avantages les points de similitudes et
d’accord avec son interlocuteur. La recherche du pouvoir, on y reviendra plus tard, favorise
la perception de lutte pour le pouvoir quitte à la créer si elle n’existe pas chez l’interlocuteur.
13 Bourion C. « Méthodes de décision », édition Logoscript Nancy, 1994, chp 1, p.11 14 Sybil Gehin, Méthodes de communication interpersonnelle, éditions ESKA, 1999, p73
14
•Les sentiments : Il s’agit en fait de l’état interne d’un individu, cet état étant
émotionnellement connoté de façon positive, neutre ou négative. Il est plus facile de
reconnaître les stimuli neutres que les stimuli positifs. Face aux stimuli négatifs, généralement
les personnes concernées mettent en place des « stratégies » de défense.
•La culture : Les différences culturelles accompagnent les différences perceptuelles.
Une culture donnée génère chez ses membres une espèce de cadre de référence collectif. On
attribue les effets de culture sur la perception à trois facteurs (Côté, 1994) :
- La fonction des objets : Plus ils sont utiles, plus l’attention qui leur est accordée est fine ;
- La familiarité : Il est plus aisé de reconnaître ce qui est connu que de remarquer ce qui
n’est pas encore référencé ;
- Les systèmes de communication : Le langage est un vecteur fondamental de
la perception de la réalité. Ainsi, le fait de pouvoir nommer une entité, qu’elle soit concrète ou
abstraite, accrédite l’existence de cette entité dans le référentiel. De plus il existe un lien entre
structuration de la pensée et structuration du discours, celle-ci aidant celle là. On reviendra sur
ça quand on abordera les outils et instruments de la communication.
I.3.1.2. Les facteurs externes (ou facteurs environnementaux) 15:
• L’intensité
•La dimension
•Le contraste
•La répétition
•Le mouvement
Ces facteurs nous intéressent peu parce qu’ils se rapportent en général à la perception
des objets. Nous avons précisé, un peu plus haut, qu’il est question de se concentrer sur
la perception sociale (perception des relations) où agissent plus les facteurs psychologiques et
où s’accroît le niveau de subjectivité.
Nous avons exposé plus haut l’idée essentielle reprise dans beaucoup de recherches en
sciences de communication selon laquelle, en relations interpersonnelles, le sens d’une
communication surgit d’une contextualisation. Pour rendre compte plus de la relativité et
de la subjectivité de la perception des relations, nous pouvons envisager, à côté de ces 15 Sybil Gehin, Op.Cit., p83
15
facteurs internes et externes influençant la perception humaine, les différents contextes
définissant la situation d’échange.
La science de communication considère que toute situation est décomposable en une
superposition de contextes. Elle définit, d’après un ensemble de travaux, sept contextes
fondamentaux repris par Mucchielli 16
- Le contexte spatial : Ce qui est dit prend un sens par rapport à la disposition du lieu;
- Le contexte physique et sensoriel : Ce qui est dit prend un sens par rapport à l’ensemble
des éléments sensoriels qui arrivent aux différents sens;
- Le contexte temporel : Ce qui est dit à tel moment prend un sens par rapport à ce qui s’est
dit avant ;
- Le contexte des positions respectives des acteurs : Ce qui est dit prend un sens par
rapport aux positionnements des acteurs entre eux et les différences de statuts;
- Le contexte relationnel social immédiat : Ce qui est dit prend un sens par rapport à la
qualité de la relation entre les acteurs, dans l’ensemble du système interactionnel crée ;
- Le contexte culturel de référence aux normes et règles collectivement partagés : Ce qui
est dit prend un sens par rapport aux normes appelées ou construites au cours de l’échange;
- le contexte expressif des identités des acteurs : Ce qui est dit prend un sens par rapport à
ce que l’on sait ou à ce qui est affiché des intentions et des enjeux des acteurs en présence.
I.3.2. L’organisation de ce qui est perçu
Les éléments sélectionnés sont organisés habituellement d’une certaine manière. La façon
dont les individus organisent et ordonnent ce qui est perçu ne se fait pas au hasard ou
arbitrairement. Ils suivent certaines règles. Selon les psychologues de la Gestalt, ces règles
sont innées. Les psychologues béhavioristes eux, affirment que ces règles sont apprises à
travers l’expérience sociale. Notre intention à ce sujet n’est pas de clore le débat. Ce qui est
important, toutefois, c’est que ces règles ont des effets sur notre façon de percevoir.
Habituellement, c’est en donnant priorité à ce qui est frappant ou saillant que nous organisons
ce que nous percevons. Nous avons tendance à organiser en une figure complète (image
16 A. Muccielli, « Les sciences de l’information et de la communication », Hachette, 1999, p125,126
16
cohérente) ce que nous percevons. Si ce que nous regardons est incomplet, nous remplissons
les vides. Ce processus est appelé « fermeture »17.
I.3.3. L’interprétation de ce qui est perçu :
C’est l’étape à l’issu de laquelle la perception finale est produite et prend forme par une image
cohérente. Elle est rarement consciente. Pour ce qui est de la perception des objets, plus
un objet et ambigu plus y a place à l’interprétation. Les tests projectifs utilisés par
les psychologues illustrent bien ce principe. Pour ce qui est de la perception des relations,
souvent ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui sont à la base des différentes perceptions d’un
même événement, c’est plutôt l’interprétation des faits à la lumière des contextes différents
qui crée la plupart des difficultés de communication lors d’échanges interpersonnels.
II. Les impressions : Résultat d’un processus de représentation La représentation mentale est définie en psychologie cognitive comme étant une entité de
nature cognitive reflétant, dans le système mental d’un individu, une fraction à l’univers
extérieur à ce système. Il s’agit d’un processus qui est mis en œuvre lorsqu’un objet, un
ensemble d’objets ou un phénomène se trouve ré exprimé sous la forme d’un nouvel ensemble
et qu’une correspondance est réalisée entre ensemble de départ et ensemble d’arrivée18.
Représenter ne consiste pas simplement à reproduire. Tout processus de représentation
implique l’idée de transformation appliquée aux entités considérées faisant l’objet de
représentations. Il importe de faire la distinction entre représentation comme processus
et les représentations comme produits de ce processus. En psychologie cognitive,
les représentations sont des modèles intériorisés que l’individu construit de
son environnement et de ses actions sur cet environnement. Ces modèles sont utilisables par
ce dernier comme source d’information et instruments de régulation et de planification de
ses conduites. Il est aussi indispensable de distinguer, à ce niveau, la représentation mentale
ainsi définie, de la représentation sociale, dont la spécificité tient à son caractère social.
Cette dernière est une forme de connaissance courante, dite de « sens commun ». Elle est
caractérisée par le fait qu’elle a une visée pratique d’organisation, de maîtrise de
l’environnement (matériel, social, idéel..) et d’orientation des conduites et des 17 Myers et Myers ; Les bases de la communication interpersonnelle, une approche théorique et pratique ; McGraw-Hill éditeurs, 1984 18 Dictionnaire de psychosociologie
17
communications, et surtout par le fait qu’elle concourt à l’établissement d’une vision de la
réalité commune à un ensemble social (groupe, classe…) ou culturel donné. Les stéréotypes,
qui peuvent être partagés par un groupe social, en est un exemple typique…
Erwing Goffman dans « La mise en scène de la vie quotidienne » utilise le terme
« représentation » pour désigner la totalité de l’activité d’un acteur dans une situation
caractérisée par la présence continuelle de ce dernier en face d’un ensemble d’observateurs
influencés par cette activité. En faisant l’hypothèse que le spectateur ou le public se
représente l’acteur conformément à l’intention de ce dernier, la « représentation » de celui là,
au sens de Goffman, coïncide avec la représentation qu’en fait le public. L’auteur parle alors
de cohérence de l’expression. Evidemment, ceci n’est pas toujours le cas, on parlera plus tard
des aléas de la communication qui provoqueraient des ruptures dans l’impression de réalité
produite par l’acteur.
Pour présenter et définir la théorie des représentions, nous allons nous inspirer de la
problématique élaborée en psychologie cognitive par plusieurs auteurs (Cordier, 1990 ;
Giordan de Vecchi, 1987 ; Richard, 1990 ; Bourgois et Nizet, 1992). Ces auteurs proposent
une définition de la notion de représentation qu’ils distinguent de la notion de connaissance.
Le concept de représentation désigne : « …Les constructions mentales qu’un sujet élabore à
propos d’une situation spécifique…Elles sont de ce fait très particulières et donc
occasionnelles et précaires par nature. Il suffit que la situation change ou qu’un élément non
remarqué de la situation soit pris en compte, alors qu’il ne l’était pas, pour que
la représentation entière soit modifiée »19. D’après ces auteurs, les représentations se
distinguent conceptuellement des connaissances (Il s’agit là aussi de constructions mentales,
mais contrairement aux représentations, elles ne sont pas liées à des situations spécifiques).
Nous pouvons retenir des apports de ces auteurs, outre la distinctions entre les représentations
définies comme des constructions mentales particulières et occasionnelles, et
les connaissances définies comme un stock d’éléments plus stables, l’idée que
la représentation qu’un acteur élabore à propos d’une situation particulière s’opère par
l’activation de certaines composantes de son stock de connaissance, qu’ils désignent par la
notion de « schème » (de connaissance). A partir de là, nous pouvons avancer que chaque
19 Bourgois et Nizet, «Pouvoir et négociation, une approche constructiviste », Presse universitaire de France, 1995
18
représentation correspond à un cadrage particulier que l’acteur fait d’une situation particulière
au quel il se trouve confronté.
Berger et Luckman (1989)20 proposent d’attribuer deux fonctions aux représentations :
• Une fonction « cognitive » : Elles servent à appréhender la « réalité », ordonner et
souvent simplifier l’information que cette réalité nous livre. (Cette fonction est celle
qui est remplie par la perception comportant les trois étapes déjà citées (sélection,
organisation et interprétation). Cette dernière comme nous l’avons déjà souligné,
est le processus mis à l’œuvre entre sensation et cognition, c'est-à-dire, traduisant les
informations retenues (simplifiés) en une image mentale cohérente et significative.
• A côté de cette fonction « cognitive », les représentations remplissent aussi une
fonction « normative » : Elles servent à évaluer la réalité. Il s’agit d’évaluer le résultat
de la perception, à savoir l’image perçue. C’est cette fonction qui aboutit à la
formation de l’impression finale…
Dans la figure (1) ci-dessous 21, qui illustre le concept de représentation, on retrouve la
perception au cœur du système permettant l’interaction dynamique d’un individu et de son
environnement. Ainsi, la représentation est à la fois le processus et le résultat du processus de
cette interaction. La perception n’est autre qu’une étape du processus de représentation.
L’impression produite à l’encontre d’un public serait l’aboutissement ou le résultat de tout
le processus de représentation.
20 Berger et Luckman, La construction sociale de la réalité, Méridiens- Klincksieck, 1986 21 Sybil Gehin, Méthodes de communication interpersonnelle, Editions ESKA, 1999, p. 70
19
REPRESENTATION
L’image mentale s’ajoute aux connaissances du sujet et les structure en modèle…
Représentation (contenu)
Figure.1. La perception au cœur du processus cognitif permettant les représentations mentales
III. Formation et permanence des premières impressions La banale constatation selon laquelle il n’est pas possible de faire deux fois une première
impression, permet de comprendre l’importance du premier contact et son influence majeure
dans le cadre de la perception sociale. Ainsi, l’étape des premières impressions permet de se
forger une idée générale de la personne considérée [Luchins, 1957]. Rappelons que
la perception est organisée ; si bien que, en cas d’informations manquantes, nous n’hésitons
pas à combler les « vides ». Ainsi, il suffit parfois de quelques indices pour élaborer une
impression globale de l’autre. A ce sujet, il est possible de s’appuyer sur ce que Bruner et
Tagueri ont appelé « La théorie implicite de la personnalité » [1954]…
Jak Jabes rappelle une expérience devenue classique en matière de perception sociale [1992] :
ASCH22 [1946] présenta à deux groupes de personnes deux listes de caractéristiques
pratiquement identiques. La première était constituée par les termes suivants : « Intelligent,
chaleureux, ingénieux, adroit, décidé, pratique prudent ». Dans la deuxième liste
« chaleureux » était remplacé par le terme « froid ». Cette substitution suffit à générer des 22 Sybil Gehin, Méthodes de communication interpersonnelle, Editions ESKA, 1999, p. 70
Image mentale
La réalité
(PROCESSUS)
Perception
Interprétation Référent mental
20
profils différents parmi les deux groupes chargés de dresser le portrait de l’individu décrit
avec un maximum d’impressions. La différence essentielle d’inférence portait sur le caractère
égoïste émis par le groupe « froid » alors que le groupe « chaleureux » évoqua une personne
spontanée et ayant le sens de l’humour. Dans cette expérience, reprise et confirmée par
d’autres recherches, ASCH met en évidence les « traits centraux » constitués par les termes
« froid » et « chaleureux » sur lesquels viennent s’amalgamer les autres caractéristiques.
Selon Sybil Gehin [1999]23, l’élaboration des premières impressions se réalise grâce à un
certain nombre de facteurs qui entrent en jeu dans le processus perceptif tels que le contexte
dans lequel se déroule l’interaction, Les rôles sociaux occupés par les protagonistes (appuyés
éventuellement par les statuts), le style expressif, le climat émotionnel et les états d’humeur
respectifs.
Lévy-Leboyer [1990], ayant étudié la formation des impressions lors de la situation
particulière des entretiens de sélection, a défini les impressions comme étant un canal
multicritères que doit maîtriser la personne qui se présente à un entretien d’évaluation. Il a
remarqué que la décision finale intervient tôt pendant l’entretien (premier tiers du temps).
C’est dire que les premières impressions sont capitales dans un tel contexte24.
Il est pertinent de s’interroger sur la permanence des premières impressions, dont
l’importance a été beaucoup souligné. En effet, à moins d’adopter une attitude consciemment
vigilante, quant à la pertinence de l’adéquation entre les perceptions initiales et les
subséquentes, il risque fort d’y avoir influence des premières sur les secondes [Luchins,
1957]. Les différentes raisons qui font durer et se stabiliser dans le temps les impressions
initiales sont issues d’un certain nombre de facteurs [Hastorf et al, 1970] qui créent le célèbre
« effet de halo » :
Il existe une adéquation relative entre la stabilité comportementale et la stabilité
perceptuelle : autrement dit, « Les mêmes causes entraînent les mêmes effets »,
la permanence des premières impressions relèverait à ce titre, de la permanence des
comportements observés ;
23Sybil Gehin, Op. Cit.; p 81 24 Lévy-Leboyer c, Evaluation du personnel, quelles méthodes choisir ?, Paris, Les éditions d’Organisation, 1990
21
Des variations mineures, car peu fréquentes, du comportement sont admises mais
considérées comme « Les exceptions qui confirment la règle », de ce fait, elles ne remettent
pas en cause la perception initiale ;
Le caractère limité de l’information disponible sur une personne favoriserait
la permanence perceptuelle chez l’observateur. Il serait nécessaire de pousser les
investigations pour invalider certaines perceptions, notamment celles tenant à des aspects
négatifs de la personnalité ;
Les attentes de l’observateur provoqueraient la sélection des comportements en
rapport avec ses attentes. Ce phénomène est à relier conceptuellement à « l’effet Pygmalion »
décrit par Rosenthal [1973] dans une étude qui revêt une importance fondamentale dans
le champ des sciences de l’éducation. L’expérience devenue célèbre, reprise et confirmée par
la suite, témoigne des faits suivants : Des professeurs furent informés préalablement à toute
rencontre de l’aspect prometteur de certains élèves (qui en fait ont été choisi au hasard !). de
ce fait, les élèves en question remportèrent de meilleurs résultats.
22
Chapitre II. Le Management des Impressions : Cadrage théorique
I. Définitions et intérêt pour le management des impressions Une définition générale, pouvant être appliquée à toutes les interactions sociales, a été donné
par Goffman selon laquelle le management des impressions est “une sorte de rituel mutuel qui
aide la facilité et le contrôle des relations sociales afin d’éviter l’embarras lors des interactions
sociales”.
« Le management des impressions » ou selon une autre terminologie « La présentation de
soi » (Self présentation) est l’ensemble du comportement adopté par les individus en
interaction avec d’autres, afin de contrôler les impressions qu’ils peuvent susciter chez ces
derniers. Selon une définition générique, reprise par plusieurs auteurs anglophones,
“Le management des impressions” se réfère au processus par lequel un individu tente de
contrôler ou manipuler les réactions de ses interlocuteurs pour leur présenter une image de
lui-même qui serait conforme à ses objectifs et ses intentions » (Leary et Kowalski, 1990 ;
Rao et al, 1995 ; Schlender, 1980 ; Tedeschi et Reiss, 1981)25.
Par ailleurs, Barry Schlenker définit Le management des impressions comme «Une tentative
consciente ou inconsciente de contrôler l’image qu’on projette de soi même sur les autres lors
d’interactions sociales réelles ou imaginées »26. Pour lui, à chaque fois qu’un acteur tente
d’influencer le regard porté sur lui par les autres, il s’engage dans un processus de gestion des
impressions. Selon cette dernière définition, la gestion des impressions inclut tout
comportement, aussi bien conscient qu’inconscient, projetant une image favorable de l’acteur
et de l’action qu’il entreprend.
L’intérêt porté pour le management des impressions a émergé de façon indépendante,
approximativement à la même période, en psycho-sociologie et en sociologie27.Ces deux
25 R.J. Palmer, R. B. Welker, T.L. Campbell, N.r. Magner ; Examining the impression management orientations of managers, Journal of Managerial psychology, Vol 16, p35- 49, Bradford, 2001 26 S.M. Ralston, W.G. Kirkwood (East Tennessee State University); The trouble with Applicant Impression Management ; Journal of Business and Technical Communication, Vol 13, p190- 207, N 12 avril 1999 27 Mark R. Leary; Self présentation, impression management and interpersonnal behavior; Brownand Benchmark Publishers, 1995
23
approches présentent des similitudes et analogies dans leurs raisonnements. Mark Leary est
convaincu qu’on ne peut s’investir dans ce domaine sans relier entre les concepts et théories
existantes aussi bien sociologiques que psychologiques.
1. L’approche sociologique
Le postulat de base d’Erwing Goffman, initiateur de cette approche, est que le plus révélateur
dans la compréhension d’un comportement social, lors d’interactions, n’est ni l’analyse des
caractéristiques innées (Théorie de la Gestalt), ni celle des traits psychologiques de
la personne, c’est plutôt l’étude de ce qu’il appelle « La surface d’apparence » crée pour
les autres avec lesquels on interagit. Goffman insiste beaucoup dans « la mise en scène de
la vie quotidienne (la présentation de soi) », sur le fait qu’on peut gagner beaucoup en se
focalisant sur le comportement public d’une personne (acteur). L’idée générale reprise dans
son ouvrage et illustrée par plusieurs exemples puisés des interactions de la vie quotidienne,
est la suivante : Chaque individu agit toujours, dans toutes ses activités quotidienne, en
présentant une image de lui- même susceptible d’affecter le jugement et les réactions des
autres. Cette volonté de gérer les impressions de son interlocuteur est omniprésente quelque
soit la nature de l’activité entreprise, elle peut être explicite ou implicite. Elle est explicite
lorsque la volonté de présenter une image favorable de soi même présente le premier objectif
de l’interaction (Exemple : se présenter à un entretien). Elle est souvent implicite, c'est-à-dire
formant un objectif de second ordre, qui est fixé même inconsciemment lors de toute activité
nous mettant en interaction avec d’autres. Mark Leary reprend l’exemple banal d’un individu
effectuant une activité ordinaire d’achat d’un livre. Ce dernier va essayer même
inconsciemment, dès qu’il rentre dans le magasin, d’adopter un certain comportement de
façon à présenter une image favorable de lui-même. L’objectif premier reste l’achat du livre
en question…
24
On pourrait emprunter les termes de Goffman pour proposer une autre définition du
management des impressions : « […] Indépendamment de l’objectif précis auquel il pense
(l’acteur) et de ses raisons de se fixer cet objectif, il est de son intérêt de contrôler la conduite
de ses interlocuteurs et en particulier la façon dont ils le traitent en retour. Il y parvient dans
une large mesure en modifiant la définition de la situation à laquelle parviennent ses
partenaires, et il peut influencer cette définition en s’exprimant lui-même de façon à leur
imposer le type d’impression qui les amène à agir de leur plein gré conformément à son
propre dessein […] »28.
Ainsi, selon l’intention de l’acteur, ce dernier se comporte, soit de façon calculée et
volontaire, de façon à produire le type d’impressions qui est de nature à provoquer la réponse
recherchée, soit de façon involontaire (en répondant à une attaque par exemple), ou encore
choisit de s’exprimer d’une façon déterminée, mais essentiellement parce que la tradition de
son groupe ou parce que son statut social réclame ce genre d’expression et non pour obtenir
de ses interlocuteurs une réponse particulière, en dehors d’une vague approbation…
2. L’approche psycho-sociologique
A la même période ou Erwing Goffman a publié « La mise en scène de la vie quotidienne »,
Edward Jones, un socio-psychologue, avait entamé un programme d’étude portant sur le
thème de la flatterie 29. Sa problématique de recherche le pousse alors à s’intéresser à
la manière dont les autres se représentent une image favorable d’une personne. Il réalise que
les perceptions que nous nous formons des autres, sont en partie déterminées par les efforts
engagés par ces derniers afin de susciter chez nous certaines impressions positives…
Alors que Goffman fait état dans ses ouvrages, avec un style narratif, d’un travail de terrain anthropologique basé sur des observations de la vie quotidienne, Jones se base sur une série d’expérimentations pour étudier les facteurs explicatifs du management des impressions ou de la présentation de soi…
28 Erwing Goffman ; La mise en scène de la vie quotidienne, présentation de soi ; Ed minuit ; 1973, p13 29 Mark R. Leary, Self-Presentation Impression Management and Interpersonal Behavior, 1996, By Westview Press A division of Harper Collins Publishers, 200p
25
II. Management des impressions, exercice du pouvoir ou communication
persuasive: Les définitions données plus haut pour le management des impressions évoquent des
similitudes et analogies avec les notions de pouvoir, d’influence et de manipulation.
Ce concept peut, si on fait l’analogie avec ces différentes notions, soulever un débat
épistémologique. En s’inscrivant dans un contexte de description et de compréhension,
l’objectif de cette recherche n’est pas de clore le débat. Cependant, il paraît indispensable
d’aborder les dites notions afin d’approfondir la définition du concept de management des
impressions…
II.1. Influence et exercice du pouvoir
La définition du management des impressions présentée plus haut, présente quelques
similitudes avec la définition donnée par Dahl pour le pouvoir selon laquelle « A a du pouvoir
sur B dans la mesure où il peut obtenir de B que celui-ci fasse des choses qu’il ne ferait pas
autrement »30. Ainsi, le pouvoir est définit par Dahl comme une capacité, une disposition
d’influence sur autrui.
Gabriel Mugny dans un dossier publié en sciences humaines31, tente de comparer entre
influence et exercice du pouvoir. Il retient pour cette finalité deux modalités d’influence
agissant de manière séparée :
- Lorsque l’individu se conforme uniquement de manière superficielle, on parle de
« complaisance ». Ainsi, il nous arrive souvent d’acquiescer à une opinion que nous ne
partagions pas uniquement parce que nous voulons éviter une discussion.
- Lorsque l’individu change vraiment d’opinion sous l’emprise de l’influence. Dans ce cas,
l’influence est latente. Les psychologues parlent de « conversion ».
Cet auteur considère d’abord que le sens dans lequel l’influence s’exerce (de A vers B)
dépendrait (là aussi) de facteurs psychologiques et sociaux, comme la statut social de A et de
B, leurs compétences différentes, le degré respectif d’attraction qu’ils exercent, leurs
susceptibilités respectives à l’influence. De ce point de vue, les formes d’influence sont
30 Bourgois et Nizet ; Pression et Légitimation, une approche constructiviste du pouvoir ; Presse universitaire de France ; 1995 31 G Mugny, D. Oberlé et J. l. Beauvois, Relations Humaines, groupes et influence sociale, , Sciences Humaines, La psychologie sociale. Vol 1, N 74 juillet 1997, Presse universitaire de Grenoble, p22
26
analysées différemment selon que l’on a affaire à des mécanismes plutôt normatifs ou plutôt
cognitifs.
L’influence normative apparaît par exemple, lorsqu’une personne se conforme à une opinion
uniquement pour gagner l’approbation d’autrui et /ou éviter un rejet de sa part. Beaucoup de
formes de pouvoir social sont largement fondés sur ce type d’emprise :
♣Pouvoir de coercition, ou la source est en mesure de punir la cible : B se conforme
aux attentes de A pour éviter d’ être puni ;
♣Pouvoir de récompense qui se fonde sur le désir de la cible d’obtenir une gratification
ou même une simple approbation.
Selon cet auteur, ces deux formes d’influence relèvent le plus souvent de la complaisance :
L’individu B se conforme à A de manière uniquement manifeste et dans un but purement
fonctionnel. L’influence disparaît dès que se relâche l’emprise de la source. L’auteur relève,
dans ce même ordre d’idées, d’autres formes d’emprises plus subtiles.
C’est le cas des situations où la conformité de B à l’opinion de A repose sur l’identification à
une personne ou à un groupe et perdure tant que dure l’identification. L’influence repose ici
sur un pouvoir de référence, qui implique l’identification de la cible à la source, soit parce
qu’elle possède des caractéristiques positives que la cible peut s’attribuer, soit parce qu’elle
constitue un groupe d’appartenance ou de référence de la cible.
C’est le cas aussi des situations où l’individu a recourt au jugement d’autrui parce qu’il est en
état d’incertitude. Cette influence dite « informationnelle » présuppose que les individus sont
essentiellement à la recherche d’une connaissance objective ou correcte de leur
environnement, et qu’ils ont de bonnes raisons d’attribuer une valeur informative aux
jugements d’autrui. Le pouvoir de l’expert est un support particulier d’influence
informationnelle, qui repose sur une supériorité attribuée à la source en terme de compétence
ou de crédibilité.
Toutes ces théories font reposer l’influence sur l’existence d’une relation de dépendance :
l’auteur explique que dans tous ces cas, la source A influence la cible B parce qu’elle dispose
de ressources psychologiques et sociales qui lui assurent un ascendant sur la cible, qui se
trouve « dépendante » de la source. Ceci nous aide à comprendre qu’un individu disposant un
quelconque ascendant sur son interlocuteur peut l’amener à agir conformément à ses désirs
soit par « complaisance » soit, carrément, par « conversion »… Mais on comprend mal, dès
lors, comment –ce qu’on peut observer souvent dans différentes situations de communication-
un individu n’ayant aucun ascendant sur son interlocuteur arrive à influencer l’opinion ou le
comportement de ce dernier, et donc à exercer en quelques sortes un certain pouvoir sur lui.
27
Pour comprendre ce phénomène nous allons envisager le pouvoir sous un autre angle d’étude
(autre que la condition d’existence d’une relation de dépendance, point de départ des
recherches classiques sur le pouvoir). Etienne Bourgeois et Jean Nizet dans « pression et
légitimation, une approche constructiviste du pouvoir » distinguent entre deux modes
d’exercice du pouvoir :
Ils désignent par « stratégie de pression », celle déployée par A qui, en agitant une menace,
parvient à faire faire à B des choses contre sa volonté. Ce premier mode de pouvoir rejoint
l’idée première selon laquelle : le pouvoir est exercé s’il existe une relation de dépendance
(pouvoir de coercition et pouvoir de récompense).
Par ailleurs, ces mêmes auteurs désignent par « stratégie de légitimation », celle déployée
par A lorsque ce dernier parvient à changer la volonté de B, à le faire acquiescer ou même
adhérer volontairement à ce que A veut qu’il fasse.
Nous choisirons de se focaliser sur ce deuxième mode d’exercice du pouvoir qui
correspondrait sur plusieurs points à la définition donnée au management des impressions.
La légitimité de l’action d’un acteur serait le motif mis en valeur par ce dernier pour amener
son interlocuteur à agir conformément à ses intentions (où à le percevoir conformément à
l’image que le premier veut donner de lui-même).
Dans le sens général, la légitimité, comme la définissent Bourgeois et Nizet (1995), est
la conformité perçue à des normes sociales acceptées comme positives. Il n’est pas inutile
d’insister, comme l’ont fait les auteurs, sur les composantes de cette définition32.
- D’abord, la légitimité se réfère à une ou un ensemble de normes. Il n’y a donc pas de
légitimité en soi. Toute légitimité est relative. Or, on sait que, dans un ensemble social donné,
les normes sociales sont souvent multiples, différentes et même contradictoires.
- La définition indique également que ces normes sont sociales : Chaque groupe, chaque
société, chaque partie d’organisation a son propre ensemble de normes.
- Outre ces composantes sociologiques, la légitimité, telle que les auteurs l’ont définie
comporte également une composante « psychologique » : Elle implique une perception, un
jugement, une évaluation, une représentation de la part de l’acteur.
32 Etienne Bourgeois et Jean Nizet ; Pression et légitimation, une approche constructiviste du pouvoir ; Presse universitaire de France ; 1995, p36
28
A partir de ce fondement de la légitimité, les auteurs ont définie la stratégie de légitimation
comme suit : « A exerce une stratégie de légitimation, lorsqu’il adopte un comportement qui
consiste à tenter de faire apparaître le contenu de la décision comme étant en concordance
avec les normes de B (Tel que A la perçoit ou l’imagine) ».
A partir de ces définitions, les auteurs remarquent le fait suivant : Envisager
les représentations que se font les acteurs lors des interactions qu’ils entreprennent avec
d’autres, est un facteur déterminant dans le choix d’une stratégie de légitimation. Plus encore,
les représentations des acteurs sont la cible des stratégies de légitimation. Ce qui représente
aussi une autre concordance avec la définition du management des impressions.
Les auteurs développent plus haut, que les hypothèses sur la théorie des représentations
s’accordent bien avec le modèle de rationalité limitée de Simon.
Rappelons que le modèle de rationalité absolue, auquel se réfère tant la théorie économique
classique, suppose que l’acteur qui pose un choix examine toutes les alternatives et leurs
conséquences et choisit l’alternative optimale. Par contre, lorsque l’acteur examine seulement
un certain nombre limité d’alternatives et n’en choisit que celle qui lui paraît la plus
satisfaisante, on parle alors de rationalité limitée.
L’hypothèse proposée dans le premier chapitre, selon laquelle les acteurs « cadrent », en ce
sens qu’ils se représentent les situations de manière particulière et se comportent en fonction
de ces cadrages, est pour Bourgeois et Nizet, davantage cohérente avec l’hypothèse de
rationalité limitée. En effet, l’adoption d’un cadre de référence, ou encore d’une
représentation, limite l’exploration et l’évaluation que l’acteur entreprend des divers
comportements alternatifs qu’il peut poser ; il aura tendance à s’arrêter à un comportement
qu’il trouve satisfaisant, plutôt que de poursuivre la recherche pour arriver à un comportement
optimal. Cette rationalité limitée est d’autant plus importante que, comme le suggèrent
ces auteurs, les acteurs ne sont pas toujours conscients du fait qu’il existe d’autres cadrages de
la réalité que celui qu’ils adoptent. Bourgeois et Nizet proposent de ce fait deux éventualités
possibles :
L’acteur est conscient qu’il existe d’autres cadrages de la réalité, autrement dit, il est
conscient du caractère relatif de sa représentation. Disons qu’il s’accorde avec l’idée qu’il y a
une différence entre la réalité et le cadrage qu’il en opère ;
29
L’acteur n’est pas conscient de ce décalage. Il pense que ce qu’il perçoit de la réalité
est la réalité même.
II.2. Influence et communication persuasive II.2.1. l’argumentation Philippe Breton, dans son ouvrage «L’argumentation dans la communication » (1996), décrit
et « fait la promotion » de l’argumentation en tant que communication persuasive « morale » :
D’après lui, le fait de « viser à faire partager par autrui une opinion » par « la mise en scène
d’un raisonnement » appartient au domaine de l’éthique.
Ainsi, pour cet auteur, l’espace de l’argumentation -Notion qui renvoie selon lui, à « un monde dans lequel, dès qu’il s’agit de défendre une opinion, la raison l’emporte […] sur les passions et l’esthétique » se démarque de celui de la « manipulation », dans ce sens où, « l’orateur, maître par définition du moment oratoire […] fait tout pour créer une situation de communication où l’autre est effectivement libre d’adhérer ou non ». La liberté d’adhésion étant directement appréciée en fonction des procédés utilisés par le dit orateur : L’emploi de « figures esthétiques ou émotionnelles » la limite, alors que la proposition de « bonnes raisons de croire » la favorise. Cette thèse qui caractérise l’espace public laïque, est défendue par l’auteur comme une composante centrale de citoyenneté en démocratie. L’argumentation ne saurait être réduite à une technique et « fait appel aux piliers de l’éthique » : Outre la liberté pour l’auditoire d’adhérer à l’opinion proposée, il est question d’authenticité des arguments utilisés (L’orateur doit partager le point de vue qu’il soutient), et de relativité des idées défendues (qui ne sont au bout du compte que des opinions).
II.2.2. La manipulation dans la communication II.2.2.1. La manipulation comme composante inhérente à toute communication Denis Benoît, dans un article « La manipulation dans la communication »33 aborde sous
un registre plus vaste que celui que décrit Philipe Breton, l’ensemble de la « communication
persuasive » où la question de l’éthique paraît « accessoire », et où le véritable (ou même
unique) critère d’évaluation semble être l’adéquation des moyens employés aux fins visées,
c'est-à-dire en fin de compte celui de l’efficacité.
33 Denis Benoît, Maître de conférence HDR en SIC université de Poitier, La manipulation dans la communication, Parution « communication et organisation » n 13, 1er semestre 1998, p224, 244
30
En fait, sans exactement reprendre à son compte une vision du réel où « tout serait pur rapport
de pouvoir, exercice de séduction ou usage de techniques manipulatoires », Benoît partage
avec des auteurs aussi différents que Paul Watzlawick34, Tzvetan Todorov35 et François
Roustang 36, l’idée selon laquelle « Il n’y a pas de relation humaine qui ne soit soumise à
l’influence […] il n’y a pas de relation sans manipulation réciproque ».
Denis Benoît fait bien de préciser qu’il n’est en aucun cas question dans son étude, sous
le couvert d’une telle affirmation de principe, de faire l’éloge de la « machination », de
la « manigance » et de la « combine » en tant que telles ou encore de se livrer à l’apologie de
la fraude, de la tromperie ou du mensonge, mais d’affirmer que l’aphorisme « On ne peut pas
ne pas manipuler » est directement lié à la formule « on ne peut pas ne pas communiquer »,
cela suppose pour cet auteur :
- Que tout comportement en présence d’autrui- et il n’existe pas de non comportement-
produit des effets, pose dans le monde une ou des données par rapport aux quelles l’on devra
nécessairement se positionner, et que la communication ne renvoie jamais à une relation
objective des faits et des relations « non seulement parce que la réception du message est
éminemment subjective, mais aussi parce qu’à la source d’émission, le codage de ce même
message ne saurait éviter de connoter son objet ». le terme « manipulation » est alors entendu
en son premier sens, issu de son étymologie latine, « manipulus » (la poigné d’herbes), ce qui
dans le langage des pharmaciens a donné le verbe « manipuler », c'est-à-dire mêler certaines
substances chimiques et pharmaceutiques, qui, par définition, interagissent les unes sur les
autres »…
- Que consciemment, intentionnellement, volontairement, verbalement ou non, s’établissent
toujours dans les relations humaines des jeux d’influence, des stratégies en rapport avec
un ou des « enjeux », un ou des intérêts et qu’on ne saurait réduire la notion de
« communication persuasive » à « une volonté humaine d’établir des relations sociales […]
dont l’objectif premier est de provoquer un changement dans la manière de penser ou dans le
comportement d’autrui ».
34 Paul Watzlawick, Le langage du changement, paradoxes et psychothérapie, Paris, seuil, 1980 35 Todorv Tzvetan, Eloquence morale et vérité dans les manipulations, le genre humain éd complexe et Arthème et Fayard,1983, p 26 36 François Roustang, Influence, Paris, éd de minuit, 1980
31
- Que sachant combien peu est fiable le jugement en matière de lucidité et de sincérité.
« La lucidité complète sur les motivations est –elle seulement possible, que je sois manipulé
ou manipulateur ? », se demande par exemple T. Todorov, dans « Eloquence, morale et
vérité ». Ce dernier explique que le manipulé reçoit généralement ce qualificatif du fait de son
ignorance de l’état dans lequel il se trouve, et que le manipulateur recueille d’ordinaire cette
étiquette car il possède le désir de dissimuler ou de travestir son acte. C’est en se fondant sur
cet argument que D. Benoît remarque qu’il est impossible de véritablement distinguer sur le
critère à priori décisif de « l’adéquation entre les actes et la conscience qu’on en a », en
d’autres termes, de distinguer entre les interactions manipulées de celles qui ne le seraient pas.
Donc à l’opposé de Philippe Breton, dans l’ouvrage susmentionné, qui considère qu’il
« existe de nombreux cas où convaincre peut relever avec bonheur, pour l’essentiel, de
l’usage de raisonnement qui tienne compte de l’auditoire dans une situation de libre
communication », et qui se livre à « une réflexion sur les conditions d’une parole
argumentative, à l’opposé de la rhétorique et de la manipulation », Benoît, lui, postule « qu’un
certain nombre de règles (principalement celle selon laquelle l’on ne peut pas ne pas
manipuler) viennent toujours- argumentation ou non- contraindre ou limiter la liberté des
situations de communications…
Alex Mucchielli dans son ouvrage « L’art d’influencer », présente différentes situations de
communications où l’influence passe forcément par la manipulation. L’idée développée dans
cet ouvrage est la suivante : Influencer, c’est manipuler les contextes de la situation pour créer
du sens orienté et ceci est valable dans toute communication. L’auteur montre dans ce sens,
que l’influence qu’un acteur peut exercer sur un autre dépend du sens final crée pour
la conduite de ce dernier, à travers la manipulation des objets constitutifs de la situation.
« Influencer, c’est donc faire surgir, par des manipulations contextuelles, un sens qui s’impose
aux interlocuteurs et les amène à agir en conformité avec lui. Bien entendu, nous dit l’auteur,
le manipulateur a prévu ce sens, de telle sorte que l’action qui lui correspond soit en accord
avec ce qu’il attend ».
On a abordé dans le premier chapitre la question de la perception et de la prise de sens, qui,
sous l’optique des approches constructivistes (Ecole de Palo Alto..), n’est pas contenue dans
les actions elles mêmes, mais naît d’une mise en relation. Mucchielli reprend cette idée,
où le sens d’un objet naît de sa mise en contexte. Ce contexte étant constitué par des éléments
qui peuvent être des normes, des croyances et référents culturels, des projets et enjeux
32
d’individus, des relations entre les acteurs, des identités individuelles ou collectives, des
perspectives sur le passé et l’avenir ou des dispositifs spatiaux et physiques renvoyant à des
normes culturelles et à d’autres « objets » concrets ou représentationnels (du monde des
idées). Ces objets, nous explique l’auteur, ne sont pas de pures représentations : ils n’existent
pas que dans le monde des idées. Ce sont d’après lui des objets invisibles et scientifiques.
A la lumière de tout ceci, Mucchielli parle d’un véritable art de la manipulation et donc
d’influence, qui consiste en un travail caché sur des composantes invisibles de la situation…
II.2.2.2. Critique de La manipulation / La manipulation ayant une connotation péjorative Philippe Breton dans « la parole manipulée », s’oppose à l’idée développée plus haut, selon
laquelle l’aphorisme « On ne peut pas ne pas manipuler » est directement lié à la formule « on
ne peut pas ne pas communiquer ». Il critique plus particulièrement l’un des arguments
avancés par ceux qui soutiennent cette thèse, qui stipule que les techniques de manipulation
ne sont finalement que des pratiques « douces » sans gravité, prises avec humour par
les intéressés et qu’elles sont finalement sans effet car immédiatement « décodées » par
les auditoires qui en sont la cible. Cet argument tendrait à soutenir, selon Breton, que
les publics sont devenus résistants aux effets manipulatoires37. Breton trouve que (c’est nous
qui soulignons), « les effets d’une procédure manipulatoire peuvent être très divers. Ils ne
sauraient se résumer à l’alternative simpliste qui voudrait que la manipulation « marche » ou
ne « marche pas » par rapport à l’intention manipulatrice. La manipulation peut avoir d’autres
effets, peut être plus dévastateurs sur la parole et le lien social que lorsque celle-ci est
simplement « efficace ».
Ainsi Breton s’aligne avec la tradition critique de recherche sur la manipulation, qui envisage
ce terme comme étant chargé de connotation péjorative. En reprenant ses termes, par
« manipulatoire », l’auteur entend, d’une manière générale, « une action violente et
contraignante qui prive de liberté ceux qui y sont soumis […] dans ce sens, elle est
déshonorante et disqualifiante pour celui qui met en œuvre de telles ressources, quelle que
soit la cause défendue ».
La manipulation consiste, toujours selon les termes de l’auteur, à entrer en effraction dans
l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que ce
quelqu’un sache qu’il y a eu effraction. L’auteur oppose ainsi la manipulation à
37 Philippe Breton, La parole manipulée, Edition La découverte, 1997, p21
33
l’argumentation par le fait qu’elle ne consiste pas à échanger une parole, mais l’imposer.
La manipulation implique une violence psychologique ou cognitive et tient toute son
efficacité à la dissimulation : « Là où l’argumentation aménage des pauses qui sont autant de
respirations dans le dialogue et laisse à l’interlocuteur la possibilité de réfléchir, de riposter ou
d’accepter, la manipulation semble avoir comme caractéristique de traquer le silence dans
l’interaction afin d’emprisonner l’autre dans une séquence continue où il n’a pas d’autre choix
que de se rendre ».
II.2.3. Le recours massif aux techniques de manipulation de la parole Philippe Breton dans l’ouvrage susmentionné, considère que le XXème siècle était « le siècle
du convaincre » qui se caractérise par un formidable développement des techniques
manipulatoires et un brouillage systématique des frontières de la parole. Ces techniques de
manipulation de l’opinion seront rapidement connues sous le nom de « propagande », de
« mensonge » et de « désinformation». Nous allons nous concentrer sur les deux derniers qui
concernent les communications interpersonnelles.
II.2.3.1. La désinformation Utilisée à l’origine à des fins politiques, la désinformation selon Valcoff [2001], est « une
manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec information véridique ou
mensongère, traitée par des moyens détournés ». Le propre de la désinformation n’est pas
uniquement d’être mensongère mais de présenter une information (qui au demeurant peut être
vrai) sous une forme détournée.
Breton dans son ouvrage « La parole manipulée », remarque que le terme « désinformation »
a subi, depuis quelques années, une modification dans son usage et sa signification. L’usage
commun attribué aujourd’hui à la désinformation est le sens d’information incorrecte ou
tronquée, utilisée volontairement pour masquer des faits. Ce sens est un dérivé un peu affadi
du terme originel qui sert à désigner une opération technique très précise (Les services secrets
pendant la deuxième guerre mondiale comprenaient une unité spécialisée en désinformation
chargée de la fabrication de faux documents, diffusion de fausses informations…).
La désinformation dans le sens général, en reprenant les termes de Breton, est une action qui
consiste à faire valider par un récepteur que l’on veut intentionnellement tromper, une
certaine description du réel favorable à l’émetteur, en la faisant passer pour une information
34
sure et vérifiée. Toute l’habilité technique de la désinformation tient justement dans
le mécanisme qui permet de travestir une information, partialement ou totalement, fausse en
une information « vraie » qui soit parfaitement crédible et qui oriente l’action de celui qui
la reçoit, dans un sens qui lui est défavorable. Selon Breton, il s’agit là d’un jeu sur
les apparences. La désinformation n’a de sens que comme procédure visant à convaincre un
auditoire, dans un contexte ou il pourrait en douter, de la réalité d’un fait donné.
La manipulation de l’information peut prendre plusieurs formes allant du simple « habillage »
ou « maquillage » de la réalité à sa déformation totale ou le mensonge « flagrant » et
« cynique » selon la terminologie de Goffman.
II.2.3.2. Le mensonge Guy Durandin dans son ouvrage « l’information, la désinformation et la réalité »38, définit
le mensonge, entre autres, à partir de trois éléments : Une différence entre la connaissance de
la réalité et le discours, l’intention de tromper et les motifs du mensonge. Abordons ces trois
éléments un à un :
1. Une différence entre la connaissance de la réalité et le discours : Pour préciser le rapport
entre le mensonge et la réalité, l’auteur envisage trois termes à éclaircir :
♣ La réalité elle-même, qui est l’objet dont on parle, et que l’on cherche a connaître.
C’est en d’autres termes le référent ;
♣ La connaissance, c’est la représentation que l’on se fait soi-même de cet objet.
Cette représentation, comme on l’a vu dans le premier chapitre, est plus au moins
adéquate avec la réalité. Dans la mesure ou elle est adéquate, on dit qu’elle est vraie.
Si elle se révèle inadéquate, on dit qu’elle est erronée ;
♣ Enfin le discours, c’est ce que l’on dit à l’interlocuteur qui, à partir duquel il va faire
sa propre représentation de la réalité. Lorsque cette représentation est conforme à
la connaissance de la réalité, le discours est dit véridique. Dans le cas contraire, il est
dit mensonger.
38 Guy Durandin (professeur de psychologie sociale à l’Université René-Descarte), L’information, la désinformation et la réalité, éd Puf le psychologue, Paris, 1993
35
Ainsi, il y a entre ces trois termes deux sortes de relations différentes: Entre la réalité et
la connaissance qu’on en a (représentation de l’acteur), il s’agit de vérité ou d’erreur. Tandis
qu’entre la connaissance et le discours, il s’agit de vérité ou de mensonge.
Le mensonge est ainsi définit en premier lieu par « la discordance entre le discours et la connaissance, et non pas immédiatement par une discordance entre le discours et la réalité elle-même ». Bien entendu, si un individu dit sincèrement ce qu’il croit savoir, mais que sa propre connaissance soit entachée d’erreur, il ne donnera pas une représentation adéquate de la réalité à son interlocuteur, mais se sera simplement une transmission d’une erreur, et non un mensonge.
2. l’intention de tromper est ce qui distingue le mensonge de l’erreur involontaire.
Mais ce trait, selon G. Durandin, marque particulièrement la désinformation. Cet auteur
considère que tandis que les mensonges entre personnes sont parfois improvisés, ceux que
l’on désigne sous le terme de désinformations ont un caractère « organisé ». Ils sont produits
par des « services spécialisés ». Cela a été massivement et systématiquement utilisé pendant
la seconde guerre mondiale.
Selon la littérature critique, l’intention de la désinformation est délibérément trompeuse et elle
est bien plus qu’une simple déformation de l’information, comme pourrait le suggérer
le terme. Breton condamne cette technique qui selon lui, tient sa puissance à sa discrétion et à
la difficulté qu’on a à la repérer. Pour reprendre ses termes, « La désinformation est une
technique de communication qui corrompt le plus sûrement la cause qu’elle entends
défendre » .
3. les motifs du mensonge : On entend par là, le but que le locuteur cherche à atteindre en
recourant au mensonge plutôt que de dire la vérité. Dans les mensonges entre personnes, on
peut distinguer deux grandes catégories : Les uns servent les intérêts du « menteur »lui-même,
les autres, dits charitables, sont faits en principe dans l’intérêt d’autrui.
Erwing Goffman appelle ce deuxième type, le « pieu mensonge » qui « est destiné à protéger
autrui, plutôt qu’à défendre le moi». Il distingue ce type de mensonge du mensonge
« patent », « flagrant » ou « cynique » qu’il désigne aussi par la notion de représentation
frauduleuse. Selon Goffman, ce type de mensonge est observé « lorsqu’on peut avoir
la preuve indiscutable que son auteur l’a proféré volontairement avec la conscience de mentir.
Par exemple, affirmer que l’on se trouvait à tel endroit, à tel moment, alors que ce n’était pas
le cas»39.
39 Erwing Goffman ; La mise en scène de la vie quotidienne, présentation de soi ; Ed minuit ; 1973, p64
36
Par ailleurs, Goffman considère que, dans la vie quotidienne, il est généralement possible
pour l’acteur de créer volontairement n’importe quelle sorte d’impression fausse en évitant de
tomber dans le mensonge caractérisé et inexcusable. Des techniques de communication telles
que l’insinuation, l’ambiguïté calculée et le mensonge par omission permettent à leurs
utilisateurs, en utilisant les termes de Goffman, d’avoir tous les bénéfices du mensonge, sans
techniquement parlant, en proférer un seul. « Les moyens de communication de masse en
donnent leur propre illustration et démontrent que, grâce à de judicieux angles de prises de
vues et un habile commentaire, on peut transformer quelques manifestations sporadiques
d’intérêt pour une personnalité en vue, en un torrent d’admiration frénétique » 40.
Dans ce sens, Goffman reconnaît l’existence de certains degrés entre le mensonge et la vérité
absolue. Pour illustrer cela, il prend l’exemple de l’administration anglaise qui fonctionne sur
des bases qui se rapprochent de l’exemple précédent : « On pourrait dire, cyniquement sans
doute mais non sans quelque vérité, qu’à la chambre des communes la meilleure réponse à
une question embarrassante est une réponse brève, qui semble répondre complètement à la
question posée, dont on peut prouver, en cas de contestation, que chacun de ses termes est
exact, qui ne se prête à aucune demande de « précision » gênante, et qui en réalité n’apprend
strictement rien ». Ainsi, la représentation frauduleuse est tenue pour un acte intensionnel, qui
peut se réaliser à travers des paroles ou des actions, par le moyen d’une déclaration ambiguë
ou d’une vérité qui devient trompeuse si on la prend à la lettre, ou bien en dissimulant des
faits et en empêchant qu’on les découvre.
L’intention de tromper, le motif du mensonge et le degré de vérité sont ainsi pour Goffman
les trois axes qui caractérisent une représentation frauduleuse…
40 Erwing Goffman ; op. cit.; p 70
37
Chapitre III. Comment s’opère le Management des Impressions
Sapir (1968)41 est l’un des premiers à avoir remis en cause la logique traditionnelle de
la communication–transmission, en distinguant entre communication explicite et
communication implicite. Pour reprendre ses termes, « Toute structure culturelle et tout acte
individuel de comportement social entraînent une communication implicite ou explicite ».
A côté du langage, que cet auteur qualifie comme « le type le plus explicite de comportement
que nous connaissons », il souligne le rôle du geste, de la voix, de la respiration, qui forment
un système de communication implicite, « relativement inconscient » selon cet auteur.
C’est avec les travaux de l’école de Palo Alto (Watzlawick, Helmick-Beavin, Jackson
1967/1972) que cette vision élargie de la communication devient plus élaborée. Selon ces
auteurs, toute communication comporte deux volets indissociables : le contenu et la relation,
tel que le deuxième englobe et accompagne le premier. L’aspect « contenu » nous ramène à ce
qui est explicite dans toute communication. L’aspect « relation », qui doit lui-même être
considéré comme un second message, englobe le premier et renvoie à la manière dont celui-ci
doit être appréhendé. Ainsi, le contenu s’oppose à la relation comme le verbal s’oppose au
non verbal (Winkin 1996). Le cadrage du message, pour employer un terme proposé par
Bateson (1956) et repris par Watzlawick (1974) et Goffman (1974/1991), se ferait par un
sourire, une intonation, un geste tandis que la parole porterait le message « brut »… Nous
allons aborder, dans les deux parties suivantes, ces deux volets indissociables de la
communication, et sur lesquels agit un acteur afin de gérer les impressions que son public se
fait de lui…
I. La communication non verbale : Aspect pragmatique et gestuel des interactions Dans les relations sociales, une dimension de la communication ne doit pas échapper à celui qui cherche à convaincre. Particularité incontournable de l’image que nous donnons à voir, la communication non verbale précède la parole et l’accompagne, elle subsiste encore quand 41 Yve Winkin, Anthropologie de la communication, Ed. De boeck, 1996
38
nous avons terminé. Cette rémanence, parfois plus durable que les mots, crédite ou discrédite notre propos et sera acheminée au même titre que le message verbal transmis à l’interlocuteur. Selon Erwing Goffman, « Le matériel comportemental ultime est fait de regards, de gestes, de postures et d’énoncés verbaux que chacun ne cesse d’injecter, intentionnellement ou non, dans la situation où il se trouve ». L’auteur désigne cette partie de la communication par « L’appareillage symbolique ». Il parle aussi de « Façade personnelle ». Il utilise ces termes pour désigner les éléments qui, confondus avec la personne de l’acteur lui-même, le suivent partout où il va. D’après l’auteur, on peut y inclure : les signes distinctifs de la fonction ou du grade, le vêtement, le sexe, l’âge, les caractéristiques raciales, la taille et la physionomie, l’attitude, la façon de parler, les mimiques, les comportements gestuels et tous les autres éléments semblables…
Certains de ces supports de communication (par exemple les caractéristiques raciales) sont
stables et ne varient pas d’une situation de communication à une autre et quelque soient les
intentions d’influence, alors que d’autres (comme la mimique), sont relativement mobiles et
peuvent se modifier d’une situation à une autre et même au cours d’une même
représentation…
Nous allons aborder dans ce qui suit les éléments de la « façade personnelle », sur lesquels
l’acteur peut agir, dans sa volonté d’influencer la formation des impressions chez son
interlocuteur. Nous reprendrons le terme utilisé par Goffman pour designer cet aspect de
la communication :Le style expressif comporte toutes les composantes non verbales qu’un
individu adopte afin de gérer l’image qu’il peut donner de lui-même.
I.1. L’apparence vestimentaire Goffman réserve le terme « apparence » aux stimuli dont la fonction, à un moment donné, est
de nous révéler le statut social de l’acteur. Ces stimuli nous dévoilent aussi le rite auquel
l’acteur participe sur le moment et nous disent, par exemple, s’il s’adonne à une activité
sociale officielle, à un travail, à un divertissement ou encore, s’il est en train de célébrer une
phase nouvelle dans le cours de sa vie.
Appliquant la méthode structurale, Roland Barthes42 décompose pour sa part les éléments
vestimentaires en une série de variables (formes, couleurs, matières, motifs) articulées entre
elles selon une syntaxe supposant des règles de coexistence et d’exclusion implicite. Ainsi, un
manteau ne sied pas tout à fait à des espadrilles, de même, un motif « pied de poule »
semblerait mal s’accommoder d’un assortiment à fleurs ou à pois…
42 Barthes R., Le système de la mode, Paris, le seuil, 1967
39
Par ailleurs, ce même auteur s’intéresse aux accessoires ou aux éléments semi vestimentaires qui complèteraient cette « carte visite ». Selon lui, le fétichisme des objets et des marques peut véhiculer des « socio styles » ou des idéologies implicites : lunettes rondes ou rectangulaires, cravate ou nœud papillon, crayon bic ou stylo Mont Blanc, minuscule agenda ou organiser électronique… Ces éléments, dont la configuration d’ensemble dessine le « look », sont parfois les attributs inéluctables liés à tel ou tel statut (Par exemple, en France, il est de mise qu’un étudiant d’HEC soit muni d’un ordinateur portable).
I.2. L’étiquette sociale ou règles de bienséance Le paradigme de l’apparence sociale s’appuie généralement sur des considérations
normatives. Les manuels de savoir vivre et les « passeports pour les entretiens » se
ressemblent parfois étrangement. On y inscrit des modèles de conduite sociaux, des « phrases
à dire ou à ne pas dire ». Le respect du code en société suppose de modéliser son attitude sur
des patterns comportementaux, édictés par le système social dominant (Guy Barrier, 1996) 43.
En ce qui concerne ces pratiques signifiantes, Bourdieu44 distingue les signes extérieurs
(habit, insignes…), des signes incorporés ou « manières », démonstrations ostentatoire de
la position sociale. Cette dernière nécessite, selon l’auteur, la « domestication du corps ».
La distinction suppose qu’on évite les grands gestes, qu’on chuchote dans les lieux publics,
qu’on réprime les manifestations telles que bailler, se moucher ou éternuer…
En dépit de leur référence à une certaine morale, ces règles de bienséance supposent parfois
une certaine duplicité, car on ne peut dire le fond de sa pensée en toute circonstance45.
Dès lors, il convient souvent d’occulter certaines émotions. Les situations les plus porteuses
d’ambiguïté se retrouvent en Chine : Il y est impoli d’accepter sur le champ une invitation à
dîner. Les personnes sollicitées doivent refuser plusieurs fois au cours d’une transaction qui
peut inclure une quinzaine de tours de paroles jusqu’à l’acceptation finale.
D’une façon générale, Goffman46 énonce la règle à laquelle il faut se conformer dans de telles
circonstances selon laquelle un acteur ne doit jamais perdre la face ou la faire perdre à autrui.
Il cite à ce sujet : « Un non clair et franc constitue pour eux (Les chinois) le sommet de
l’impolitesse. Tout refus doit être radouci et atténué jusqu’à n’être plus que l’expression d’une
regrettable impossibilité… ».
43 Guy Barrier, La communication non verbale, Armand colin, Paris, 1998 44 Bourdieu P. De la distinction, Paris, Minuit, 1979 45 Guy Barrier, op. cit. 46 Goffman E., Les rites d’interaction,1974, Ed de Minuit, 225p
40
Les différences culturelles
Les règles de bienséance varient selon la culture dominante. A titre d’exemples : pour les
allemands et les suisses, la ponctualité est le premier critère de fiabilité de politesse d’un
interlocuteur. Selon Hall, les Allemands privilégient l’aspect prévisionnel de la gestion et
sont moins fascinés que les américains par les performances à très courte échéance.
Un minimum de formalisme se retrouve dans les relations quotidiennes : les titres
universitaires sont systématiquement mentionnés lors des présentations (Docteur,
professeur…). Les réunions, mêmes amicales, sont rituellement accompagnées d’un discours
d’honneur.
Pour les Japonais, l’éthique des relations consiste avant tout à «donner la face», donc à
masquer avec un certain art de l’ambiguïté les intentions ou les réactions émotionnelles.
Le passeport des relations sociales est la carte visite qui précise d’emblée le statut des deux
partenaires. Chacun est ainsi rapidement informé de la position de son vis-à-vis.
En conséquence, la durée, le nombre et le degré de flexion de buste vers le sol dépendront de
l’écart hiérarchique. Pour les britanniques, le standing a lieu d’être étalé par des symboles tel
que la voiture, attribut incontournable du rang social, le port de la cravate, qui permet
d’exhiber diverses références associatives, universitaires ou corporatistes.
En dépit de l’aspect parfois schématique de telles observations, tous s’accordent à dire que la
culture est un facteur déterminant et régulateur de ces règles de bienséance.
I.3. Régulation de la parole : Une des marques de l’hésitation du locuteur, lors d’une prestation orale, est l’usage des
séquences dites phatiques, telles que : « euh, disons, je dirais, j’veux dire… ». Certains
orateurs remplissent ainsi les périodes de latence cognitive, car le moindre «temps mort» les
insécurise47.
Roman Jakobson (1963) définit ainsi la fonction phatique du langage : « Il y a des messages
qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si
47 Guy Barrier, op. cit. , p25
41
le circuit fonctionne ou à attirer l’attention de l’interlocuteur, à s’assurer qu’elle ne se relâche
pas »48
Ce besoin de sécurité consiste à remplir les blancs acoustiques par des demandes d’accusés
de réception, telles que « hein ? ok ? d’accord ? », ou par des phénomènes sans signifié, que
l’analyse conversationnelle qualifie de pauses sonores. Guy Barrier49 développe l’idée selon
laquelle celles-ci servent soit à occulter les pauses silencieuses, soit à éviter les temps morts.
L’insertion de ces éléments peut résulter de facteurs de latence cognitifs, lexicaux,
syntaxiques, mais également relationnels, tels que la réticence morale ou tactique à employer
un mot.
Par ailleurs, en psycholinguistique, il est montré que ces phénomènes de « remplissage » du
discours peuvent révéler une certaine anxiété du locuteur. Selon le même auteur, ces phases
d’hésitation sonore sont accompagnées de diverses manifestations corporelles (agitation des
jambes…), qui assument un rôle de régulation des tensions «dysphasiques»….
En reprenant des exemples de communication politique, où le risque de médiatisation de
chaque mot prononcé contraignent les hommes politiques à éviter de cumuler les pauses
silencieuses, Guy Barrier relève différentes formes d’indice de latence. Pour n’en citer que
quelques uns : Ralentissement du flux de parole, répétition des mots, prolongation de
dernière voyelle, raclement de gorge, borborygmes, stéréotypes d’introduction (« vous savez,
écoutez je pense !…), ou encore les liaisons inter mots superflus qui permettent de se
démarquer ostensiblement du pataquès (confusion dans l’énonciation) et de sur spécifier les
marques orthographique sous-jacentes à l’oral. Cette dernière forme d’indice de latence est
désignée par l’auteur comme une marque formelle qui confère aux discours les attributs du
parler légitime.
Par ailleurs, l’auteur distingue les pauses silencieuses ou ce qu’il désigne par des
remplissages sonores, ainsi définis, et qui correspondent à une certaine latence durant l’accès
lexico sémantique ou grammatical, des pauses «rhétorique » qui elles, sont intercalées
intentionnellement par le locuteur entre les propositions.
Certaines études d’impact en marketing politique se sont intéressées à la vitesse d’élocution
de l’homme politique. Elles ont conclut à cet effet, qu’une certaine rapidité correspond pour
les auditeurs à un certain degré de persuasion…
48 Jakobson R, les fondations du langage, Paris, Minuit, 1963 49 Guy Barrier, op. cit.
42
Paradoxalement, un rythme accéléré peut être la conséquence d’un certain stress. Ainsi une
étude du discours de F. Mitterrand, révèle que ce dernier parlait plus vite lorsqu’il se sentait
mis en difficulté50.
Toujours selon Guy Barrier, les marqueurs d’hésitation sont le plus souvent accompagnés
d’indications physiques confirmant les carences ponctuelles du locuteur et constituant donc
une seconde source d’information. Une enquête, pouvant illustrer cela, a consisté à observer
des sujets répondant à des questions. Elle a permis de vérifier que les deux phénomènes
suivants se produisent simultanément51:
• Dysfonctionnement verbal : Bafouillage, bégaiement, borborygme, phrase
inachevée ou corrigée, répétition ;
• Variations corporelles (par ordre d’importance) : Mouvements des mains, de
la tête, des bras, des jambes, des pieds, changement de postures.
Selon cette même étude, si le locuteur convoque d’instinct certains gestes manuels dans
les phases d’hésitation, c’est non seulement parce qu’ils jouent un rôle de réassurance, mais
ainsi parce qu’ils peuvent jouer un rôle d’amorçage sémantique en mobilisant une certaine
énergie qui stimule l’imagerie…
I.4. L’intentionnalité du regard :
La dimension interactionnelle du regard est une composante essentielle en analyse
conversationnelle. Dans une étude sur les techniques de recrutement, Lévy-Leboyer
remarque à partir d’observation recueillies auprès des décideurs, que plus le niveau du
candidat est élevé, plus le maintien du contact oculaire est attendu en entretien.
D’après cet auteur, le jugement du degré de confiance en soi et de la sincérité est tributaire,
entre autres de la qualité du regard observé52 ;
Paradoxalement Guy Barrier suggère que le fait de fixer sans interruption son interlocuteur
peut le mettre autant mal à l’aise, que de ne plus l’honorer du regard pendant son tour de
parole. Dans le même ordre d’idées, le comportement de dominance visuelle utilise tour à
tour l’insistance du regard ou, au contraire, sa rétention à dessein. Au fond, rien ne
50 J. Seréda, La parole de Dieu, Albin Michel, Paris, 1995 51 J. D. Ragesdal, Distribution of hésitation phenomena in spontaneous speech, Language and Speech, Vol 25, 1982, p185-190 52 Lévy-Leboyer, Evaluation du personnel, quelles méthodes choisir ? , Paris, Ed d’organisation, 1990
43
différencie, note Erwing Goffman, un regard de mépris adressé à un noir, et l’inattention
courtoise qui consiste à ignorer sa présence.
I.5. Règles de la proximité :
Les anthropologues, tels que E. Hall53 subdivisent en 4 zones l’espace séparant deux
personnes : Espace public (trois mètres ou plus), distance sociale (deux mètres), zone
personnelle (un mètre) et en deçà : distance intime. Dans cette perspective, des variables
sociales peuvent se superposer, telles que la différence de statut ou de sexe. Selon Hall,
les usages dans les cultures peuvent interférer dans la régulation de cette distance
interpersonnelle…
Guy Barrier, quant à lui, il considère que la régulation de la distance interindividuelle dépend
de variables sociométriques telles que : l’écart de statut, la différence de sexe des
protagonistes…
I.6. La gestualité Souvent décrite comme une métaphore de la pensée, la gestualité permet de compléter, de
renforcer ou de contredire le message : En cela, son rôle pragmatique est essentiel.
Le geste participe à se forger un certain « style expressif » qui fait l’originalité de chacun au
même titre que sa voix, son regard, son registre de langage…
A ce titre, plusieurs études ont tenté d’analyser la formation de certaines impressions
(la sympathie, la dominance, l’extraversion…) en relation avec le style expressif. Une des
principales difficultés rencontrées par ces études dans la mise en catégorie des gestes est le
degré d’intentionnalité de ces derniers. Nous reprendrons dans ce qui suit la distinction
proposée par Guy Barrier qui, bien qu’elle soit quelque peu arbitraire, répond à un souci
didactique de catégorisation des gestes. Cet auteur distingue deux catégories de gestes :
Les manifestations corporelles qui ne sont pas émises, à priori, dans l’intention de
communiquer mais qui apporteraient des informations sur les individus avec lesquels on
interagit. Ce sont les gestes dits « autocentrés » ou gestes d’autocontrôle ;
Les gestes rythmiques, plus contrôlables que les premiers, soulignent la pensée et
accompagnent la parole.
53 E. Hall, La dimension cachée, Paris, Le seuil, 1971
44
I.6.1. Gestes autocentrés ou gestes d’autocontrôle : Plusieurs études expérimentales ont été consacrées à démontrer que ces gestes sont liés à
l’expression des émotions (colère, surprise, joie, tristesse…), et à des tentions d’origine
cognitive telles que le mensonge et le stress. Ces études s’accordent sur la conclusion
suivante : les gestes autocentrés ou d’auto contrôle augmentent dans les situations de stress
et d’embarras54…
I.6.2. Gestes rythmiques et illustratifs Efron (1972) a été le pionnier dans le domaine de l’étude structurale du geste humain,
réalisant dans les années 40 la première étude de classification permettant de distinguer
plusieurs catégories de gestes et leurs fonctions. Plusieurs classes de gestes ont été ainsi
mises en évidence, telles que les kinétographes (montrer une action en la mimant) et les
bâtons (qui battent la mesure de la locomotion mentale au rythme de la parole). Ces derniers,
souvent appelés gestes rythmiques, jouent un rôle essentiel au niveau de la production
verbale, car ils permettent de donner de l’emphase au propos et de « souligner » certains
éléments sémantiques. Certains auteurs ont montré qu’ils facilitent l’accès à la mise en mots
en mobilisant une certaine énergie corporelle inhérente à la réflexion.
Ainsi, Birdwhistell (1970) propose d’associer ces mouvements manuels à certaines classes
grammaticales. Selon lui, le locuteur renforcerait par ces gestes des modalités pronominales
(vous et moi, vous tous…), spatiales (à travers, derrière…), temporelles (longtemps,
lentement…). Cet auteur, qui a fortement marqué le courant interactionniste de la « nouvelle
communication » postule également l’existence de liaisons synchroniques entre l’articulation
des mots et la micro motricité verbale. En ce sens que certains mouvements des doigts, des
paupières, de la tête, ne lui paraissent pas aléatoires mais permettraient de marquer des
enchaînements entre unités linguistiques (spécialement au début des mots). Se situant dans
une perspective structuraliste, Birdwhistell définit un modèle de segmentation de la chaîne
kinésique, qui lui paraît isomorphe à la chaîne verbale.
Une telle perspective a suscité diverses réticences, notamment parmi les linguistes, pour qui
les gestes sont une traduction à posteriori du langage. Plusieurs d’entre eux estiment que
54 Guy Barrier, op. cit.
45
la chaîne des gestes n’est pas un système de signification structuré comme le discours, mais
plutôt la transposition de celui-ci dans le canal kinésique.55
Une question non tranchée à l’origine de ce débat est de savoir si les gestes sont indépendants
de la parole, s’ils partagent avec celle-ci une base cognitive commune. Sur ce point, Mc Neill
(1992) et les interactionnistes s’efforcent de montrer que les mots et les gestes se partagent
en quelques sortes la production du sens et coopèrent étroitement en cela. Ils défendent l’idée
selon laquelle les gestes tracent les voies de la pensée et servent de contenants au discours en
facilitant l’accès lexical.
II. Les stratégies de management des impressions
La théorie du management des impressions, telle que nous l’avons défini plus haut, soutient
que « les individus s’engagent dans un processus de présentation de soi de façon à gérer
l’identité que les autres leurs attribuent » [Tedeschi et Melburg, 1984]. Goffman, dans sa
définition du management des impressions, stipule que toute action, aussi innocente parait-
elle, est stratégiquement calculée pour diffuser la meilleure image possible de son auteur.
Une littérature abondante reprend la classification faite par Tedeschi et Melburg des stratégies
déployées par les individus interagissant dans différentes situations organisationnelles.
Ces dernières se déclinent en deux grandes catégories : Les comportements actifs et les
comportements défensifs.
Les premiers visent à établir une identité individuelle positive afin d’obtenir une approbation voire même une récompense de la part de son interlocuteur. Ils sont utilisés par un acteur afin d’être perçu favorablement par son audience. Les deuxièmes servent à protéger l’identité des individus contre un défi ou une menace, à minimiser les aléas de la communication et à éviter d’être perçu défavorablement. Nous allons, dans ce qui suit nous baser sur la typologie proposée par Tedesschi et Melburg [1984]56 des stratégies organisationnelle du management des impressions…
II. 1. Stratégies actives
Les mécanismes actifs tels qu’ils ont été catégorisés par Tedeschi et Melburg [1984] incluent :
l’apparence physique, le style expressif, la mise en valeur de sa propre personne en
55 Guy Barrier, op. cit., p84 56 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, Impression management in organisations, Ed Routledge, 1995
46
s’attribuant des qualités personnelles, la mise en valeur de son interlocuteur, la conformité
d’opinion, la conformité sociale…Ces stratégies servent à embellir l’image personnelle de
l’individu et à influencer la manière dont les autres le perçoivent.
II.1.1. L’insinuation, une stratégie de séduction ! Un ensemble de stratégies du management des impressions a été la cible de la plus part des
études portant sur le sujet. Décrite en premier par E. Jones [1964], l’un des pionniers de la
recherche sur le management des impressions, la stratégie d’insinuation, selon les termes de
cet auteur, « est une classe de comportements stratégiques illicitement conçue par un acteur
pour influencer une autre personne en mettant en valeur des qualités jugées attrayantes par
cette dernière »57. Selon Jones le caractère « illicite » s’explique par le fait que ces manœuvres
stratégiques sont destinées à satisfaire des objectifs qui ne sont pas explicités dans le contrat
implicite inhérent à toute interaction sociale. Ce point de vue a été progressivement remis en
cause par les théories organisationnelles. L’insinuation est une classe de stratégies courante,
souvent utilisée comme un moyen efficace dans les pratiques d’influence sociale dans les
organisations [Ralston, 1985 ; Ralston et Elsass, 1989]. Elle est considérée par nombre
d’auteurs comme regroupant les comportements stratégiques le plus appropriés aux
différentes situations organisationnelles. La probabilité de recours à une telle pratique
s’accroît en présence de situations d’interaction dissymétriques [Schlenker, 1980] qui se
caractérisent par un écart de légitimité de pouvoir entre deux protagonistes. Goffman [1973]
qui, comme on a vu plus haut, a reconnu l’existence de plusieurs degrés entre le mensonge et
la vérité, suggère que cette technique de communication permet à l’acteur de créer à dessein
n’importe quelle impression fausse en évitant de tomber dans le mensonge caractérisé et
inexcusable.
II.1.1.1. La conformité d’opinion L’usage d’une telle tactique consiste à capitaliser les similarités d’opinion avec son
interlocuteur au point de devenir ce que Paul Rosenfeld et al [1995] qualifient de « caméléon
social »58. Un acteur ayant recours à cette stratégie, exprime ses opinions et agit
57 E. E. Jones, Ingratiation : A social psychological analysis, 1964, NewYork :Appleton-Century-Crofts, p11 58 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, Impression management in organisations, 1995, Routlege, p34
47
intentionnellement d’une manière qui serait cohérente avec les dispositions, les croyances et
les valeurs de l’autre [Bohra et Pandely, 1984 ; Raston, 1985]. En communication dialectique,
une figure rhétorique correspondrait sur plusieurs points à cette stratégie, à savoir,
l’unanimité. Cette dernière consiste à récupérer des arguments de l’autre pour étayer sa
démonstration. L’unanimite59 est souvent employée pour faire partager un sentiment, une
position ou un argument par l’autre ou par son auditoire. Elle en appelle au cœur des gens,
même si, finalement, elle sert à asseoir l’évolution et la conviction de la démonstration de son
auteur. Pour optimiser l’efficacité de l’usage d’une telle stratégie lors des interactions
sociales, et à plus forte raison lors des interactions organisationnelles, et parce qu’ils risquent
d’être démasqués, les individus ont recours à deux types de manœuvre qui servent à déguiser
leur intention d’influence [P. Rosenfeld et al, 1995].
a. Tempérer l’accord par le désaccord : L’ambiguïté calculée Le dosage entre accord et désaccord est tributaire de l’importance du problème abordé et de
l’enjeu de la situation. D’une façon générale, une règle d’interaction est préconisée :
Le désaccord est à exprimer avec modération alors que l’accord est souvent exprimé avec
assurance [Jones, 1990]. Par ailleurs, en exprimant d’abord son désaccord pour des questions
futiles, sans réelle importance (par rapport à l’objectif), l’individu contribuerait par la suite à
renforcer la crédibilité de ses propos complaisants pour des questions importantes. En
d’autres termes, quand il est précédé par des désaccords modérés, l’accord se fait plus
impressionnant et contribue à renforcer la crédibilité de l’individu [Rosenfeld et al, 1995]
b. Accommodation et complaisance
Cette manœuvre consiste à exprimer son désaccord en premier pour ensuite donner l’illusion
de s’adapter, de s’accommoder à l’opinion de l’autre. La complaisance permet à la fois de
tirer profil de la conformité d’opinion tout en donnant l’impression de garder une certaine
autonomie en exprimant ses opinions. En d’autres termes, et comme le dit ci bien Goffman,
cette technique permet d’avoir tous les bénéfices du mensonge sans techniquement parlant, en
proférer un seul.
59 Jacque Perani; La communication combat et/ou la communication dialectique; Les presses du management, 1991, p100
48
La conformité d’opinion s’accorderait sur plusieurs points avec une stratégie de la
manipulation de la parole mise en valeur par une littérature critique abondante, à savoir «La
séduction démagogique ». Lionel Bellanger […] définit le démagogue comme étant celui qui
« est capable de s’adapter aux circonstances les plus déconcertantes, de prendre autant de
visages qu’il y a de catégories sociales et d’espèces humaines, d’inventer les milles tours qui
rendront son action efficace dans les circonstances les plus variées ». Pour reprendre les
termes de Philippe Breton « Le démagogue est celui qui veut convaincre qu’il est le bon
candidat ou le bon titulaire du poste qu’il occupe. Il va faire croire à l’auditoire, par
différentes stratégies, qu’il pense comme lui. Plus encore, s’adressant à plusieurs auditoires
particuliers, il va faire croire à chacun d’eux qu’il pense comme eux… »60.
Par ailleurs, on pourrait considérer la conformité sociale, comme une forme particulière
d’une telle stratégie, où l’acteur se comporte de manière à se conformer à des normes sociales
reconnues comme importantes. Dans ce cas, le caractère stratégique est moindre. L’acteur ne
fait que respecter le poids de la tradition et de la culture auxquels il appartient. Ainsi, il choisit
de s’exprimer d’une façon déterminée, mais essentiellement parce que la tradition de son
groupe ou parce que son statut social réclame ce genre d’expression et non pas pour obtenir
de ses interlocuteurs une réponse particulière, en dehors d’une vague approbation [Goffman,
1973]. Un acteur s’apprêtant à interagir avec d’autres, doit choisir d’adopter ce que Goffman
appelle « une façade sociale ». Cette dernière se décompose selon l’auteur en un certain
nombre de parties, telles que le décor, l’apparence, la manière. Par ailleurs, il note qu’une
façade sociale donnée tend à s’institutionnaliser en fonction des attentes stéréotypées et
abstraites qu’elle détermine, et à prendre une signification et une stabilité indépendantes des
tâches spécifiques qui se trouvent être accomplies sous son couvert. La façade devient une
« représentation collective » et un fait objectif. Quand un acteur adopte un rôle social établi, il
constate habituellement que celui-ci implique déjà une façade déterminée. Quelles qu’aient
été les raisons pour lesquelles il a adopté le rôle - désir d’accomplir la tâche concernée ou
désir de maintenir la façade correspondante – l’acteur se sent contraint à la fois d’accomplir la
tâche et de maintenir la façade61.
II.1.1.2. La mise en valeur de l’autre : une stratégie d’insinuation par la flatterie
60 Philippe Breton, La parole manipulée, Edition La découverte, 1997, p83 61 Erwing Goffman, Les rites d’interaction, Ed de Minuit, 1974, 225p
49
Une idée préconçue tend à s’approprier le statut de règle : « Généralement, les individus ont tendance à apprécier ceux qui les apprécient, les comblent d’éloges, leurs communiquent des appréciations positives et renforcent leurs estimes personnelles ». [Ralston et Elsass, 1989]. Le flatteur est celui qui exploite cette règle sociale pour se mettre en valeur et augmenter son attractivité vis-à-vis de ses partenaires.
Selon Bernard Legrand, Le discours de flatterie apparaît comme le plus socio-économique des
discours de mystification, en ce sens qu’il possède toujours un objectif utilitaire. Son
utilisation suppose toujours une relation d’inégalité entre deux protagonistes où l’un possède
quelque chose (richesse, pouvoir, honneur…) que l’autre ne peut s’approprier qu’en donnant
du discours à la place 62. Cela contribue, en quelques sortes, à une « redistribution » des
richesses-pour utiliser le terme de cet auteur- qui se ferait par le biais de la ruse et du
langage…
Là encore, le risque envisagé par la littérature critique est d’être démasqué et de provoquer ce
que Goffman appelle « des ruptures » dans la communication.
II.1.1.3. La mise en valeur de soi même
Cette stratégie consiste à rendre saillants les caractéristiques personnelles et les traits de personnalité sollicités par l’audience [Schlenker, 1980]. L’acteur va ainsi tenter de découvrir les caractéristiques jugées comme attrayantes, répondant aux attentes et aux objectifs de son audience conformément à la définition officielle de la situation. La situation organisationnelle qui semblerait la plus appropriée pour l’usage de cette stratégie est celle d’entretien de sélection, dont l’objectif premier étant de déterminer le niveau de compatibilité du candidat aux exigences du poste à pourvoir, voire même de dresser un profil psychologique de la personne. Ainsi, pour un poste de responsable commercial, un candidat ayant certaines aptitudes relationnelles et le sens du contact sera apprécié à sa juste valeur…
Il a même été démontré qu’un candidat, postulant pour un travail, qui fait appel à des
stratégies, se focalisant sur sa propre personne, est mieux apprécié que celui qui usera de
stratégies se focalisant sur la personne de l’interviewer [Kacmar, Delery et Ferris, 1992]
II.1.2. Stratégie de promotion de soi
Cette manœuvre consiste à mettre en valeur ses compétences et ses habiletés. A première vue,
cette technique paraît être une technique d’insinuation. Mais contrairement à la stratégie
précédente, où l’individu tente d’influencer son audience en mettant en valeurs des qualités
personnelles qui pourraient être appréciées par cette dernière, cette stratégie consiste à
promouvoir des compétences objectives qui seraient considérées dans le contexte envisagé
62 Bernard Legrand, L’image de soi ou la communication réussie, Ellipses, 1990, 125p, p97
50
comme étant pertinentes [Jones, 1990]. Alors que la première stratégie paraît répondre à un
processus réactif (maniement de l’aspect non verbal de la communication), la deuxième
correspondrait à un processus « proactif », où l’argumentation (propositions de preuves, de
renseignements vérifiables) tendrait à remplacer les figures esthétiques et émotionnelles
[Paul Rosenfeld et al. 1995]. Il s’agit d’évoquer la formation acquise, les compétences, les
expériences antérieures…cette clarté de présentation de soi favoriserait la crédibilité de
l’acteur. En effet, un discours clair, cohérent, faisant appel à des données vérifiables
participerait à accroître la crédibilité de son auteur…
II.1.3. Idéalisation, exemplification
Nous avons abordé plus haut une stratégie qui présente à son utilisateur une façon de
« socialiser » sa représentation, pour utiliser le terme de Goffman. La conformité sociale
permet à l’individu de s’adapter aux attentes de la société dans laquelle il se trouve. Goffman
[1973] propose d’envisager un autre processus de socialisation, à savoir la tendance des
acteurs à donner à leur public une impression idéalisée par tous les moyens. Ainsi, quand un
acteur se trouve en présence d’un public, sa représentation tend à illustrer les valeurs sociales
officiellement reconnues. Il s’agit là, en quelques sortes, en adoptant le point de vue de
Durkheim, « […] d’une cérémonie, d’une expression revivifiée et d’une réaffirmation des
valeurs morales de la communauté[…]qu’on tient pour une sorte de consécration
officielle »63.
La littérature relative à la mobilité sociale fournit un matériel particulièrement abondant sur les représentations idéalisées. Dans la plupart des sociétés, il semble exister un système de stratification dominant où l’on idéalise les positions supérieures et on aspire à passer des positions inférieures aux positions supérieures. Selon Goffman, cette ascension sociale implique que l’on donne des représentations appropriées. Les efforts que font les individus soit pour s’élever soit pour éviter de déchoir supposent aussi qu’ils consentent à des sacrifices pour maintenir la façade. Goffman insiste sur l’idée selon laquelle, le processus d’idéalisation est tributaire de la culture et des valeurs prépondérantes dans une société. Ainsi, dans une société dans laquelle les représentations tendent à favoriser l’affirmation des valeurs matérielles, on se préoccupe beaucoup d’introduire dans les représentations quotidiennes l’expression de la richesse, du luxe et de l’appartenance à un statut élevé.
En situation organisationnelle, souvent utilisée par les individus ayant des intentions
implicites d’ascension, l’exemplification implique à ces derniers de gérer les impressions
d’intégrité, d’abnégation et de dignité morale [Jones et Pittman, 1982]. L’individu ayant
recours à une telle manœuvre stratégique, est celui qui donne l’exemple, qui se porte 63 Erwing Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Ed de Minuit, 1973, p41
51
volontaire pour des tâches difficiles, qui tolère d’avoir toujours plus de responsabilités, qui se
propose pour aider ses collègues de travail. Bref, c’est celui qui tente d’influencer les autres
en les incitant à imiter sa conduite, et en affichant son comportement comme étant
exemplaire.
En règle générale, un individu qui a recours à une telle stratégie, est celui qui tente d’afficher
une conduite exemplaire et de préserver une image publique irréprochable conformément à un
idéal social reconnu par tout le monde.
II.1.4. Supplication
Cette stratégie consiste à tempérer le positif par le négatif, ce qui est connue également par
l’expression « manier le froid et le chaud ». Il s’agit d’évoquer des formules qui ont pour but
de dissimuler les faiblesses et les signes d’incompétence. Elle permet de mettre en évidence
les points forts pour faire taire les faiblesses.
L’individu, usant d’une telle stratégie, exploite ses propres faiblesses pour influencer son
partenaire. C’est celui qui est habile dans la gestion de son incompétence [Becker et Martin,
1995]. Un des moyens de ce faire est l’imputation des échecs ou des faiblesses à des facteurs
externes et indépendants de la volonté de l’acteur lui-même. L’acteur peut aussi, de sa propre
initiative, reconnaître ses faiblesses. Ceci s’inscrit dans une logique de transparence. En effet,
lorsque quelqu’un veut reconnaître ses torts, il joue sur la transparence. Ne dit-on pas que
« faute avouée, moitié pardonnée ? ».
II. 2. Stratégies défensives
En raison de sa tendance à interpréter des indications mineures, le public peut se méprendre
sur la signification d’une réplique, ou bien il peut donner un sens gênant à des gestes ou des
évènements accidentels, dus à la maladresse ou au hasard. Il arrive que certains de ces
accidents mineurs et de ces “maladresses” correspondent à une impression en contradiction
avec celle que donne l’acteur et que le public ne peut s’empêcher d’en être frappé et ébranlé
dans son adhésion à l’interaction, même s’il peut se rendre compte qu’en dernière analyse
l’évènement discordant est réellement dépourvu de signification et ne mérite pas d’être pris en
considération.
52
Selon Schlenker [1980]64, toutes les interactions sociales sont sujettes à des difficultés, des
malentendus ou des maladresses. Ces derniers sont définis par cet auteur par “des évènements
qui portent atteinte à la perception favorable de la personnalité, de la conduite, des
compétences et habilités ou des motivations de l’acteur...”. Certains auteurs ont identifié
quatre catégories générales d’évènements présentant des ruptures dans la communication d’un
acteur [Higgins et Stucky, 1983]65
Faire quelque chose qu’il ne faut pas faire;
Ne pas faire quelque chose qu’il faut faire (Exemple: Ne pas respecter une règle
sociale);
Faire mal les choses;
Commettre une maladresse (être pris en flagrant deli de mensonge par exemple).
Pour prévenir ces aléas de la communication, les acteurs essaient généralement de se comporter comme s’ils étaient responsables de tout ce qui se produit dans leurs représentations; aussi cherchent-ils a agir de sorte que les évènements, si dépourvus d’importance puissent-ils être, se produisent de façon a ne provoquer aucune rupture dans l’impression de réalité acquise ou de façon a donner une impression compatible avec la définition globale de la situation.
Ainsi, pour garder lors de sa représentation une certaine “cohérence expressive”, selon le
terme de Goffman, un acteur a recours à des techniques défensives. Pour designer la même
chose, les théoriciens du management des impressions font référence à ce qu’ils appèlent
“des tactiques de remédiation”, souvent utilisées par les politiciens pour protéger leurs images
personnelles et minimiser les répercussions négatives des maladresses commises lors de leurs
représentations sur leur public. Ces tactiques de remédiation tentent d’éviter la production
d’impressions négatives de trois manières possibles : En réduisant l’impact de l’impression
négative; en la neutralisant ou en la redéfinissant comme étant une impression positive
[Giacalone et Rosenfeld, 1984]66.
Goffman, dans son étude des interactions de face à face dans les cadres naturels, soutient
l’idée - que nous avons d’ailleurs largement développé plus haut- selon laquelle tout individu,
lors de ses contacts quotidiens, tente d’extérioriser une certaine “ligne de conduite”. Pour
64 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, Impression management in organisations, Ed Routledge, 1995, p64 65 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, Impression management in organisations, Ed Routledge, 1995, p 67 66 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, op. cit., p70
53
reprendre le terme de Goffman, chacun tente de préserver “sa face”, d’éviter de “perdre la
face” ou encore de “faire bonne figure”. L’auteur explique qu’éviter de perdre la face est une
condition de l’interaction et non son but et qu’ à ce titre tout individu participant à
l’interaction se déploie à satisfaire cette condition quelles que soient ses intentions
d’influence. Goffman désigne par “figuration” tout ce qu’entreprend une personne pour que
ses actions ne lui fassent pas perdre la face. La figuration sert à parer aux “incidents”, c’est à
dire aux évènements dont les implications symboliques sont effectivement un danger pour la
face. Nous allons dans cette catégorisation nous enrichir de l’apport de Goffman tout en
reprenant la typologie des stratégies défensives présentées par Robert Gialon et al [1995] et
spécifiques aux situations d’interaction organisationnelles.
II.2.1. L’Evitement : Un moyen de prévention L’évitement est l’un des principaux types de figuration. Lors des interactions, cette mesure de
défense consiste à écarter les sujets qui pourraient révéler des éléments contradictoires avec
la ligne d’action que l’on suit ou encore à changer de sujet de conversation au moment
opportun. « Souvent, on commence par avancer avec méfiance et réserve, on dissimule ses
sentiments tant que l’on ne sait pas quelle ligne d’action les autres sont prêts à accepter. On ne
réclame qu’humblement, avec une grande prudence[...] On fait preuve de discrétion: On laisse
inexprimés les faits qui pourraient implicitement ou explicitement, contredire ou gêner les
prétentions des autres [...]: de telles enceintes permettent de se préparer un moi qui ne
craindra ni les révélations, ni l’échec, ni les actions imprévues d’autrui... » 67
L’évitement, comme tous les autres types de figuration développés par Goffman, que la
personne qui les emploie en connaisse ou non le résultat réel, deviennent souvent des
pratiques habituelles et normalisées. Selon lui, chaque personne, chaque groupe ou chaque
société en a, semble-t-il, un répertoire qui lui est propre.
Les sociologues Hewitt et Stokes [ 1975] définissent, par contre, cette tactique comme un
stratagème, une ruse verbale employée par un acteur pour éviter et faire échouer à l’avance les
doutes et incertitudes que son audience pourrait se faire face à une conduite susceptible d’être
jugée comme étant répréhensible. Cette manœuvre permet à l’acteur de gérer les impressions
de l’autre par anticipation, prémonition ou encore par pronostic d’échec. En d’autres termes,
67 Erwing Goffman, Les rites d’interaction, 1974, Ed de Minuit, 225p, p18
54
c’est une manière de se prémunir, de se couvrir contre la menace d’échecs éventuels pouvant
survenir lors d’une interaction.
II.2.2. La falsification un moyen de détournement La falsification est une manœuvre stratégique qui se confond avec toute forme de
comportement entraînant une distorsion implicite de la réalité, dans le but de se préserver
d’une identité individuelle négative. Cette stratégie n’implique par forcément le mensonge
délibéré. Ainsi, conformément à l’idée de Goffman, qui reconnaît l’existence de plusieurs
degrés entre le mensonge et la vérité, toute communication peut aller du simple
« embellissement » de la réalité jusqu'à sa déformation totale. Sans tomber dans le mensonge
caractérisé et inexcusable, plusieurs techniques permettent à leurs utilisateurs de maquiller la
réalité pour la présenter sous un meilleur jour :
Emettre des déclarations évasives: C’est un comportement volontaire qui consiste a
dire le minimum pour limiter sa responsabilité ou a minimiser et relativiser l’importance de
la question traitée. Cette technique peut aussi consister a jouer sur le niveau d’abstraction du
vocable ou a utiliser des mots vides de sens…
Appuyer ses déclarations par des références et des règles irréfutables. Exemple :
se référer à des statistiques, à une loi… Un exemple de tactique pouvant être référencé dans
cette catégorie, consiste à tenter d’élever son image en évoquant ses associations à des figures
prestigieuses et des personnalités connues et reconnues par ses interlocuteurs. Dans notre
société, se servir de « pistons » est un exemple concret d’une telle pratique. Goffman
reconnaît à ce sujet, qu’une représentation reconnu comme étant frauduleuse par un public, et
dans une société, peut devenir légale et courante, à une autre époque et pour un autre public.
« […]Certains publics considèrent comme légales des activités que d’autres tiennent pour des
escroqueries… »68.
II.2.3.Usage d’excuses et de justifications :Un moyen de réparation Pour échapper des situations délicates susceptibles de les discréditer aux yeux de leurs
audiences, les acteurs s’engageant dans des interactions, fournissent souvent des explications,
des interprétations et des comptes rendus afin de maintenir une certaine crédibilité de leurs
68 Erwing Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Ed de Minuit, 1973, p80
55
actions. Les explications sont d’autant plus appréciées lorsque le public est en quête
d’informations concernant l’acteur.
Les excuses se distinguent des justifications par le degré de reconnaissance de sa responsabilité sous-entendu dans les propos d’un acteur [McGraw, 1991]69: En émettant des excuses, la personne reconnaît le tort mais dénie complètement sa part de responsabilité dans ce dernier. En d’autres termes, les excuses sont déployées pour désengager l’implication de l’acteur dans l’évènement discordant et réduire sa part de responsabilité dans ce dernier.
Les justifications, par contre, sont émises de façon à redéfinir les circonstances de la
production de l’évènement en question, afin de le légitimer au yeux de l’auditoire. En
formulant des justifications, la personne reconnaît sa part de responsabilité dans l’action et
tente de légitimer, en quelques sortes, cette action.
Scott et Lyman [1968] ont proposé une typologie d’excuses et de justifications évoquées dans
plusieurs recherches organisationnelles 70. Les types d’excuses les plus récurrentes sont:
Faire appel à une cause accidentelle qui n’a pas pu être évitée;
Evoquer la cause de non faisabilité: Un élément extérieur empêche l’acteur
d’intervenir pour prévenir ou empêcher la production de l’évènement non desirable;
Rejeter toute la responsabilité sur une tierce personne ou un tierce parti.
Cette manœuvre correspond à une figure rhétorique appelée: Mutation de responsabilité. Cette
dernière est souvent utilisée en communication de masse ou en communication politique, ou
l’on évoque la responsabilité de boucs émissaires pour de se dé impliquer soi même...
Les types de justifications pouvant être évoqués par ces mêmes auteurs sont:
Dénégation du tort ou du prejudice causé;
Banaliser l’action, la justifier par le fait que tout le monde fait la même
chose si ce n’est le pire;
L’action peut aussi être justifiée par loyauté envers un tierce parti, (Par
exemple, un acteur ment pour servir les intérêts d’une autre personne et non pas pour servir
son intérêt personnel)…
Pour récapituler l’ensemble des manœuvres stratégiques évoquées dans ce qui a précédé, nous proposons de les schématiser sur le tableau qui suit :
69 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, Impression management in organisations, Ed Routledge, 1995, p74 70 Scott, M.B.Et Lyman, Accounts, American Sociological Review, 33, 1968, p46-62
56
Stratégies organisationnelles
de Management des Impressions
Stratégies
Actives
visant à établir une identité individuelle positive afin d’obtenir une récompense ou un quelconque
avantage
« Insinuation » : accroître l’attractivité des acteurs vis-à-vis de leur audience ;
Se conformer à l’opinion de l’autre; Accorder des faveurs, rendre service; Mise en valeur de la personne avec laquelle on
interagit en la complimentant et la flattant ; Mise en valeur de sa propre personne :
s’attribuer des qualités personnelles pour se rendre attractif.
Promotion de soi : s’attribuer une compétence particulière ; Intimidation : Communiquer l’expression de force ; Exemplification: Donner l’exemple d’intégrité, de dignité et d’abnégation ; Supplication : susciter la sympathie, gérer ses faiblesses (gérer l’impression d’incompétence, Becker et Martin 1995)
Stratégies directes
Présenter des
informations concernant nos traits de
personnalité, nos aptitudes,
compétences et accomplissements
(réalisations)
Stratégies Défensives
Evitement
Falsification
Présentation d’excuses et d’explications
Justifications
Stratégies indirectes
Usage de la communication non verbale
57
Nous avons repris plus haut l’idée de Goffman selon laquelle le public a tendance à
interpréter des indications mineures comme le signe qu’il se passe quelque chose d’important
dans la représentation d’un acteur. Les stratégies de maîtrise des impressions, développées
plus haut, ont justement pour rôle de faire en sorte que l’acteur se comporte comme s’il était
responsable de tout ce qui se produit dans sa représentation. Cependant, il arrive que des
“maladresses”, selon la terminologie de Goffman, correspondant à une impression en
contradiction avec celle que donne l’acteur, soient retenues par le public. Il en résulte que ce
dernier en soit frappé et ébranlé dans son adhésion à l’interaction... Ce qui importe pour
Goffman, ce n’est pas que la définition momentanée, provoquée par une maladresse soit en
elle-même répréhensible, mais c’est plus simplement le fait qu’elle soit différente de la
définition officielle, dont le propre est d’être la seule possible. L’auteur en déduit que la
logique des modèles mécaniques, d’après laquelle un gain important peut venir compenser
une perte, ne convient -peut être pas- à l’analyse des représentations. L’auteur procède à une
comparaison d’ordre artistique, qui conviendrait peut être mieux : elle permet en effet de
comprendre comment une seule fausse note puisse provoquer une rupture de ton, ce qui
affecte la représentation toute entière...
Nous avons a traiter dans ce qui suit de ce qui invalide une représentation, affecte sa “cohérence expressive” et donc lui fait perdre toute crédibilité. Nous retiendrons l’appellation reprise dans une littérature abondante, àa savoir “les dissonances” dans la communication.
Le problème du trop : Bernard Legrand 71 met la lumière sur un premier type de dissonance
qui se confond avec l’usage excessif de manœuvres stratégiques et montre que “C’est par une
exagération, une emphase, une ostentation, un excès, une superfluidité infime parfois, à peine
décevable, que se trahit la representation frauduleuse”. Reprenant ainsi l’idée de Goffman,
selon laquelle, un acteur se trouve dans la nécessite de créer artificiellement des effets de
persuasion qui, parfois, dépassent, gauchissent et déforment les manifestations spontanées de
la conduite sincère. Des locutions familières montrent que là ou il y a de l’excès, il y a du
défaut: “Trop poli pour être honnête”, trop beau pour être vrai”... Comme si l’être réel d’une
chose, d’un comportement, d’une parole, supposait une mesure exacte de sa manifestation.
Tout ce qui dépasse cette mesure, d’aussi peu soit-il, laisse supposer une intervention, une
manipulation, a des relents d’artefact. Le trop serait selon Legrand, le trafiqué. Il peut trahir
son auteur dans la mesure ou il est l’indice d’un comportement compensatoire... En somme, 71 Bernard Legrand, L’image de soi ou la communication réussie, Ellipses, 1990, 125p
58
le mensonge, la flatterie, l’affabulation, la duperie, la mystification, sous toutes ses formes,
sont décevables par cette propriété de donner lieu à des manifestations “excessives”, ce terme
signifiant simplement, pour cet auteur, l’existence d’un surplus parfois insaisissable et
pourtant irréductible... Sous cet angle de vue, ces stratégies ne sont plus efficace et font perdre
à l’acteur de sa crédibilité lorsque leur usage se fait de manière exagérée et excessive (Baron,
1989) 72.
Le degré d’intentionnalité est un élément important duquel il faudrait tenir compte dans l’analyse de l’aspect stratégique du comportement persuasif d’un acteur. Il est d’autant plus possible de mesurer le degré d’intentionnalité d’un acteur, que des éléments peu manipulables peuvent lui échapper lors de sa représentation73 (Goffman, 1973). Dans certaines situations d’interaction, ou le doute est répandu, on accorde souvent une attention particulière a des aspects de la représentation qui ne peuvent se manipuler a volonté se donnant ainsi la possibilité de mesurer la crédibilité des aspects de la représentation qui se prêtent le plus àa la falsification…
Rappelons que Goffman envisage différentes situations d’interaction : L’acteur peut agir de
façon calculée, mais ne s’en rend compte qu’ à demi ; Parfois, il choisit de s’exprimer d’une
façon déterminée, mais essentiellement parce que la tradition de son groupe ou son statut
social réclament ce genre d’expression. Dans ce cas, le poids de la tradition et la culture le
poussent à se comporter de la sorte ; Parfois, les traditions attachées à un rôle amènent
l’acteur à produire une impression bien définie, d’un type déterminé, bien qu’il ne soit, ni
consciemment ni inconsciemment, disposé à créer une telle impression…
Par ailleurs, Habermas défend l’idée selon laquelle l’activité sociale n’est pas réductible à
l’activité stratégique. Selon lui, « Si la vie ne consistait qu’en observations réciproques, cause
au pouvoir et manipulation, il serait impossible de comprendre pourquoi, depuis la
perspective des participants, nous pouvons très précisément discerner si quelqu’un cherche à
nous convaincre par des raisons, à nous contraindre par des sanctions ou à nous manœuvrer
par des subterfuges »…
72 Paul Rosenfeld, Robert A. Giacalone et Catherine A. Riordan, Impression management in organisations, Ed Routledge, 1995 73 Erwing Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Ed de Minuit, 1973, p61
59
Chapitre IV :Méthodologie de la recherche
I. Intérêt de la méthode
Les phénomènes communicationnels sont des phénomènes porteurs de sens (ou encore d’après les analyses systémiques, d’« émergence du sens ») qui se caractérisent par leur complexité et leur dynamique… Mucchielli adhère avec nombre d’auteurs à l’idée principale selon laquelle toute recherche en communication est une recherche de signification. La genèse de ces significations découle d’un processus de contextualisation74. Selon les termes de cet auteur, un processus de contextualisation est un travail de mise en relation d’un phénomène avec des éléments sélectionnés de son environnement global. Confrontation d’où émergent des significations donnant le sens du phénomène communicationnel, c’est à dire donnant « une compréhension » de ce phénomène. Conformément à cette idée, il serait impossible d’aborder de tels phénomènes autrement que par une démarche qualitative. Une méthode qualitative est une méthode donnant lieu à des théories interprétatives faisant émerger du sens et des significations.75
C’est d’abord à partir d’un point de vu conceptuel que nous avons voulu aborder notre recherche suivant des techniques qualitatives. Le choix d’une méthodologie qualitative est d’autant plus justifié que, généralement en communication, l’objet de recherche est 76:
Immatériel, en ce sens qu’il ne se présente pas sous la forme d’un objet palpable et
tangible ;
Complexe vue que de multiples acteurs y interfèrent, avec des enjeux différents.
Frederick Erickson (1986) regroupe l’ensemble des approches qualitatives, telles que les observations directes, les observations participantes, sous la même catégorie de recherches dites «interprétatives ». Cette appellation se justifie d’après l’auteur principalement par le fait que ces approches partagent un intérêt central pour la signification donnée par les acteurs aux actions dans lesquels ils sont engagés…
74 Pierre Paille, Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand colin, 2003, 210 p, p11 75 Michelle Lessard-Hébert, Gabriel Goyette, Gérald Boutin ; La recherche qualitative, fondements et pratiques ; De Boeck, 1997, 200p, p 29 76 Veronique Zardet, Recherche en sciences de Gestion : Approche qualimétrique, Observer l’objet complexe, Ed Economica, 2004, 430p, p 316
60
Selon cet auteur, dans le cadre du paradigme interprétatif, le chercheur formule son objet de recherche en terme d’action, une action qui comprend « le comportement physique plus les significations que lui attribuent l’acteur et ceux qui sont en interaction avec lui… ». Face à l’objet « action-signification », le chercheur postule une variabilité des relations entre les formes de comportements et les significations que les acteurs leur assignent à travers leurs interactions sociales… Nous tenterons d’envisager notre objet de recherche « expression-impression » à partir de cette logique méthodologique. Les candidats se présentant à un entretien affichent une « expression » d’eux même plus au moins intentionnelle pour présenter une bonne image de leurs propres personnes. Les évaluateurs, interagissant avec ces derniers, en retiennent une « impression »…
Dans ce cadre, nous tenterons de répondre à deux objectifs de recherche :
Le premier est descriptif : Il s’agit de rendre compte des comportements
persuasifs des candidats, en d’autres termes de décrire les modalités d’usage de stratégies par
ces derniers et de détecter les facteurs qui déterminent leurs comportements. Selon Erickson,
les recherches interprétatives tentent généralement de répondre à un besoin, celui de tenir
compte de l’« invisibilité » de la vie quotidienne. En effet, le quotidien nous échappe souvent
parce qu’il est trop familier. La recherche interprétative permet une distanciation en rendant
étranger ce qui est familier et en explicitant ce qui implicite. Pour reprendre le terme de
l’auteur « le lieu commun devient problématique» 77
Le deuxième est interprétatif - compréhensif : Il s’agit d’essayer de
comprendre les significations des différents comportements persuasifs pour les évaluateurs.
Il s’agit aussi de tenter de comprendre la formation des impressions, suscitée par de tels
comportements.
L’analyse qualitative se présente empiriquement comme un acte complexe à travers lequel s’opère « une lecture » des traces laissées par un observateur relativement à un évènement de la vie personnelle, sociale ou culturelle 78… La lecture dont parle Mucchielli est le résultat d’un ensemble de processus intellectuels qui aboutissent à une attribution de sens. L’intérêt de l’analyste à travers cette lecture, va se situer au niveau du phénomène vécu ou observé. Le matériau sur lequel il travaille est constitué par des traces (documents, notes de terrain, témoignages audio, transcriptions d’entretien, documents vidéo…) isolées momentanément de leur terrain d’ « origine » pour être recontextualisées. Ce travail comporte une forme de réécriture et s’effectue en partie un certain temps après la tenu de l’observation ou la conduite d’un entretien…
77 Michelle Lessard-Hébert, Gabriel Goyette, Gérald Boutin ; La recherche qualitative, fondements et pratiques ; De Boeck, 1997, 200p, p 29 78 Pierre Paille, Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand colin, 2003, 210 p, p27
61
II. Les modalités de recueil et d’analyse des données Afin d’apporter une première compréhension du phénomène du management des impressions, nous avons procédé à des observations directes de situations de sélection dans un premier temps, et à une enquête auprès de quelques responsables de recrutement, dans un deuxième temps. Il convient d’abord d’expliquer le choix concernant les modalités de recueil et d’exploitation des données.
Au début de notre investigation, nous avons sollicité plusieurs cabinets privés de recrutement pour avoir la possibilité d’accéder à des entretiens afin d’y mener des observations directes. [Nous nous sommes aussi adressés à des responsables de recrutement travaillant dans les centres public d’emploi. Le cadre législatif en vigueur n’autorise d’offrir des services de conseil en recrutement, pour le compte d’entreprises publiques, qu’aux centres ayant un psychologue dans leurs effectifs. Et même dans ce cas, les programmes de conseil en recrutement se font occasionnellement. Outre les centres d’emploi remplissant cette condition, qui sont peu nombreux d’ailleurs, il s’est avéré que les restants n’assument généralement que la tâche d’intermédiation entre les entreprises demandeuses d’emploi et le marché de travail et n’assurent donc pas eux mêmes les entretiens de recrutement].
Nous espérions, à l’issu de cette prospection, avoir accès à un terrain que nous estimions idéal pour notre recherche. Malgré l’intérêt suscité par le sujet chez les responsables de recrutement sollicités, nous avons été confronté à un refus de leur part. La principale raison évoquée est que la présence d’une tierce personne en entretien, en l’occurrence celle de l’observateur, risquerait d’altérer la relation de confiance entre le candidat et l’évaluateur.
C’est alors que nous avons envisagé un autre terrain d’observation, celui des entretiens menés dans le cadre de la sélection de candidats pour un troisième cycle en commerce électronique, et assurés par l’école supérieure de commerce. Cet observatoire, qui nous a été plus accessible, ne présente certes pas les mêmes caractéristiques offertes par le premier (notamment celle de la diversité de la population observée), mais n’en est pas moins intéressant en terme de management des impressions…
Dans un premier temps, nous avons constitué notre corpus par toutes les données et informations recueillies à partir des observations des entretiens menés dans le cadre de la sélection des étudiants de la première promotion du mastère professionnel en commerce électronique (ESC). Nous avons complété ces données en nous entretenant, à l’issu de chaque ensemble d’entretiens, avec les professeurs chargés de l’évaluation des candidats postulants pour ce mastère. Selon Mucchielli 79, le recours à l’enquête sociologique par entretiens se fait en guise de complément d’enquête. Il sert à contextualiser les résultats obtenus préalablement à l’issu des observations. Ces entretiens complémentaires permettraient alors de compléter l’interprétation de données déjà produites.
En deuxième lieu, nous avons envisagé notre objet d’étude à partir d’un autre contexte d’entretiens. Nous nous somme intéressés aux entretiens de recrutement tels qu’ils sont pratiqués par les cabinets privés de recrutement. A cet effet, faute de n’avoir pas pu mener des observations directes d’entretiens, menés dans un cadre professionnel, nous avons analysé
79 Pierre Paille, Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand colin, 2003, 210 p, p27
62
les données recueillies à partir d’un ensemble d’entretiens menés avec quelques responsables de recrutement exerçants dans ces cabinets..
La situation d’entretien de sélection pour un mastère présente beaucoup de similitudes avec une situation de recrutement réelle, notamment en ce qui concerne l’usage du comportement persuasif. Toutefois, les deux situations restent inscrites dans deux contextes bien différents. Ne s’agissant pas du même terrain d’observation, nous avons choisi de traiter les données issus des deux démarches de façon séparée.
II.1. Enquête par des observations directes
Dans leur texte Observation as inquiry and method, Everston et Green (1986) se sont intéressés à l’observation en tant qu’ensemble d’outil de cueillette de donnés et en tant que processus de prise de décision ( quoi ou qui observer, comment observer et enregistrer les donnés, quand, ou, par qui ?)80.
les auteurs, du dit ouvrage, ont identifié et discuté les principaux facteurs impliqués dans un processus d’observation :
Le contexte ;
Les systèmes d’enregistrement et de consignation des donnés ;
Les unités d’observation ;
L’échantillonnage ;
Les différentes sources d’erreur.
Selon ces mêmes auteurs, la collecte de données implique un choix théorique plus au moins pré déterminé- selon que la recherche s’instaure dans un contexte de preuve ou dans un contexte de découverte- concernant ce qui sera observé, c’est à dire quelles sont ou seront les unités d’observation. Ce choix est inévitable puisqu’il est impossible d’observer toute la réalité à la fois. Nous ne pouvons en percevoir ou en représenter que des segments, appelés « unités » : « chaque unité représente un aspect particulier de la réalité et non toute la réalité», pour reprendre l’expression d’Evertson et Green (1986). « L’observation, celle de l’observateur naïf comme celle du chercheur, est donc toujours un processus sélectif… ».
A la lumière de cela et à partir des considérations théoriques que nous avons développé dans la première partie (Chapitre III), nous avons constitué une grille dans laquelle nous avons prédéterminé les catégories d’observation (Annexe 1) concernant deux aspects du comportement du candidat observé :
L’aspect non verbal de son comportement, tel que : 80 Michelle Lessard Hebert, Gabriel Goyette, Gerald Boutin, La recherche qualitative : Fondements et
pratiques, Ed De Boeck, 1997, p95
63
La manifestation de latence face à des questions ;
La fréquence des pauses silencieuses ;
La rapidité du débit verbal ;
La fréquence des gestes statiques et/ou rythmiques ;
Le taux du contact oculaire ;
La quantité des gestes d’autocontrôle ou autocentrés.
Les stratégies de management des impressions pouvant être utilisées par ces
derniers.
Ceci étant dit, à la lumière de l’avancement des observations, nous avons procédé à quelques modifications de cette grille.
Les entretiens observés se sont déroulés sur un laps de temps réduit (20 minutes en moyenne). Lors de nos observations, nous avons fait abstraction de tout ce qui se passe en dehors du bureau dans lequel se déroule l’entretien.
II.1.1. La population observée Les observations directes des entretiens ont été menées dans le cadre de la sélection de candidats pour un mastère professionnel en commerce électronique, la population considérée a été composée de deux catégories de candidats :
Un sous échantillon composé de 44 candidats. Tous des nouveaux maîtrisards
ressortissants de différents instituts, écoles et facultés de gestion ayant entre 23 et 27 ans en
moyenne. La majorité d’entre eux n’ont pas d’expérience professionnelle. 40% d’entre eux
sont de sexe féminin et 60% de sexe masculin.
Un sous-échantillon composé de 25 professionnels ayant entre deux ans et
10 ans d’expérience professionnelle, tous de formation académique en « Sciences de
Gestion ». 70% d’entre eux sont de sexe masculin et 30% sont de sexe féminin.
Etant parrainés par des entreprises, la plupart de ces candidats affichent clairement leurs
intentions de continuer à exercer dans l’entreprise ou l’organisation à laquelle ils
appartiennent, et s’intéressent à la formation en question (en commerce électronique) pour
leurs besoins professionnels ou pour mieux assumer la fonction qu’ils occupent. Dans
la plupart des cas, une telle formation s’avère indispensable pour suivre et s’adapter
à l’évolution du contexte économique des entreprises assurant la tutelle de ces candidats.
II.1.2. Les sources d’erreur
Outre son avantage certain, celui de saisir les phénomènes sur le vif et de ne pas dépendre des réponses voire des interprétations des enquêtés, comme c’est le cas pour l’entretien, la méthode d’observations directes présente certains risques : Elle peut laisser place à
64
l’inférence d’une certaine subjectivité de la part de l’observateur. La présence de l’observateur peut aussi altérer ou fausser le comportement observé. Certains auteurs vont même jusqu'à se demander si des comportements, objets d’une mise en scène, ne sont pas artificiellement adoptés dans le seul but de satisfaire l’observateur.81
Par ailleurs, ces mêmes auteurs reconnaissent que les observations sont sérieusement entravées par les croyances et les stéréotypes connus par l’observateur. Selon eux, il n’est pas surprenant que les désirs, les émotions, les ambitions des chercheurs observateurs obscurcissent leur vision de la réalité et déforment leurs interprétations. Cependant, les bons chercheurs se distinguent par le fait qu’ils trouvent le moyen de contrôler leur propre démarche82. Outre l’inférence des croyances du chercheur, l’observation peut être exposée à une autre sorte d’erreurs : Le chercheur peut négliger des détails qui se confondent trop avec ce qui les entoure mais qui peuvent induire d’autre significations au même phénomène.
Gardant en tête les risques se rapportant à une telle pratique de recherche, nous avons tenté de prendre des distances par rapport à ce que nous observons, de rester neutre au cours des observations et de se détacher des idées pré construites et des stéréotypes autant que possible. Nous avons aussi estimé nécessaire de décliner notre identité et les raisons de notre présence (aux candidats) avant chaque série d’entretiens. Enfin, et toujours dans un soucis de neutralité, nous avons tenté à chaque fois, d’occuper une place dans le bureau de façon à avoir un champ de vision qui serait favorable à l’observation, tout en essayant de prendre le moins de place dans le champs de vision du candidat.
II.2. Enquête par des entretiens avec des responsables de recrutement
Afin de faire une première lecture de la situation réelle de recrutement telle qu’elle se présente dans un cadre organisationnel professionnel et faute de pouvoir assister à ces types d’entretiens, nous avons procédé à une enquête par entretiens avec des responsables de recrutement. Nous analyserons les données recueillies à l’issu de ces entretiens pour apporter un premier éclairage sur l’usage du management des impressions dans une situation de recrutement réelle…
La première étape a consisté à essayer de recenser toutes les entreprises publiques ou privées qui assurent le service de recrutement pour le compte de clients. Dans un premier temps et afin d’avoir toutes les chances de notre coté, nous avons pris contact par téléphone avec une quinzaine d’entreprises assurant le métier de recrutement pour le compte d’entreprises demandeuses d’emploi. Parmi eux, nous pouvons distinguer:
• Les petites et moyennes entreprises de services qui assurent différents types de
services (conseil, audit, formation…) et qui procèdent à des recrutements de façon
occasionnelle ( Dans la plus part des cas, on fait appel à ces derniers pour recruter du
personnel moyen qualifié ou même une main d’œuvre ordinaire) ; 81Joel Guibert et Guy Jumel, Méthodologie des pratiques de terrain en sciences humaines et sociales, Armand colin, Paris,1997, 200p, p 93
82 option citée p 25
65
• Les centres publics d’emplois assurent dans la plupart des cas l’intermédiation entre
les offreurs d’emplois et les demandeurs d’emplois et n’assurent donc pas eux même
les entretiens, à l’exception de quelques uns qui comptent un psychologue parmi leurs
effectifs. Par ailleurs, des séminaires de formation aux techniques de recherche d’emploi83
sont périodiquement organisés (Selon les besoins de la région) dans la plupart des centres
d’emploi. Ces séminaires sont assurés par des psychologues ayant eux mêmes reçu des
formations (souvent à l’étranger) sur les techniques de recherche d’emploi. Généralement,
peuvent bénéficier d’une telle formation toutes les personnes à la recherche d’emploi, ayant
des difficultés à réussir les entretiens de recrutements auxquels ils sont conviés
[Ces séminaires sont organisés pour former, entre autres, aux techniques de communications
d’usage dans les entretiens de recrutement. Des simulations et des jeux de rôles peuvent être
organisés dans ce cadre], ou ayant du mal à mener convenablement toutes les démarches
relatives à la prospection de travail [Rédaction d’une lettre de motivation, présentation du
CV…]. Une sorte de convention morale est établie entre le formateur et la personne
à la recherche d’emploi. Le premier s’engage à assurer l’encadrement et l’orientation du
candidat pour l’aider dans sa démarche. Le deuxième s’engage à s’investir le maximum dans
sa prospection.
• Les grandes entreprises (Des multinationales ayant des filiales en Tunisie)
de Gestion des Ressources Humaines qui assurent différents métiers dans ce domaine tels
que : Le travail intérimaire, la gestion de contrats, le conseil en recrutement, la formation…
Elles offrent leurs services de conseil à toutes les entreprises privées qui ont besoin de restructuration des ressources Humaines, de formations particulières, ou de recrutement de personnel permanent ou temporaire. A l’issu d’une demande d’emploi de la part de ces dernières, les cabinets commandités procèdent, généralement, par offrir leurs services de conseil en recrutement en deux étapes :
Prospection d’offre d’emploi pour une présélection : En puisant dans leurs bases
de données ou éventuellement en publiant des annonces de demande d’emploi,
les responsables retiennent un certain nombre de candidatures. Ils convient les candidats
83 La convention TRE (Techniques de recherche d’emploi) est une sorte de protocole née d’un partenariat entre l’Agence Nationale de l’Emploi et du Travail Intermittent (ANETI) et l’Agence Nationale Française de Promotion de l’Emploi (ANPE). Elle consiste a organiser des séminaires dans le cadre de l’encouragement a l’insertion professionnelle…
66
concernés pour des entretiens de présélection. Enfin, ils rédigent les conclusions des
entretiens et les font transmettre à leurs clients.
Après avoir sélectionné quelques uns, les clients sollicitent, dans un second
temps, les conseillers en recrutement pour faire faire aux candidats retenus des tests
psychotechniques et éventuellement des entretiens approfondis. Un rapport est rédigé à l’issu
de cette étape.
Suite à un premier contact par téléphone, le nombre d’entreprises que nous avons jugé intéressant de visiter, s’est réduit à cinq. Nous avons visité ces entreprises et eu des entretiens préliminaires avec des responsables pour leur expliquer notre objet de recherche et l’intérêt de leur contribution à notre enquête.
II.2.1. Présentation de la population interviewée
L’échantillon témoin des interviewés a été constitué par des responsables opérant dans cinq bureaux de recrutement : Un centre public d’emploi (centre multiservices de La Goulette), El Amouri selection, Cogerh Selection, Adecco et Mainpower. Respectivement, nous nous sommes entretenu avec quatre psychologues et une spécialiste en gestion des ressources humaines, tous responsables de recrutement au sein des dits bureaux.
Certaines caractéristiques des évaluateurs peuvent influencer le comportement persuasif des candidats se présentant à un entretien dans un centre public ou un bureau privé de recrutement. De ce fait, il y a lieu de préciser, pour chacun des évaluateurs interviewés, l’âge, le sexe, la spécialité d’origine et le nombre d’années d’expérience en tant que responsable de recrutement. Nous récapitulerons tous ces éléments dans le tableau qui suit : Age Sexe
Spécialité d’origine Nombre
d’années d’expérience
Centre public d’emploi(Bureau multiservice
la Goulette)
34 ans
Féminin
Psychologie
Six ans (4 ans à la BNEC84 et 2 ans au bureau multiservice la Goulette)
El Amouri Selection
39 Masculin Psychologie Dix ans
Cogerh Selection
35 ans Féminin Psychologie Sept ans
Adecco
32 ans Féminin Psychologie Cinq ans
Mainpower
29 ans Féminin Gestion des Ressources Humaines Trois ans
84 Bureau National de l’Emploi des Cadres
67
II.2.2. Présentation des entretiens Les considérations théoriques, abordées dans la première partie, nous ont permis
de construire un canevas d’entretien pertinent. Nous avons élaboré une liste de questions, puis
sélectionné les plus pertinentes. Ce guide d’entretien à été ensuite soumis à quelques
responsables de recrutement exerçant dans les cabinets privés de recrutement les plus
importants, au cours d’un entretien avec chacun d’eux (Annexe 2). Les entretiens menés ont
duré en moyenne une heure et demi de temps.
Durant ces entretiens, nous avons pris des notes pour ensuite extraire l'essentiel de l'interview. Notre méthode comporte en réalité trois phases : La transcription, l’analyse et l’interprétation. Ceci étant dit, ces trois principales étapes ne sont pas radicalement séparées, elles se sont déroulées plutôt en alternance. Ceci est d’autant plus pratique que les entretiens ne se sont pas déroulés à la même période. Une alternance entre la transcription proprement dite et l’interprétation, a le mérite de donner une vision plus synthétique et de permettre de prendre plus de distance par rapport aux données recueillies. Nous n’allons donc pas procéder à une retranscription littérale de l'entretien, mais à une reconstruction progressive de l’objet de recherche d'après tous les éléments en notre possession.
68
Chapitre V : Interprétation des données
recueillies
Le terme de présentation favorable de soi (impression management) est utilisé en psychologie sociale lorsqu’on se réfère aux comportements utilisés par les individus pour contrôler les impressions qu’ils font sur les autres. Les entretiens de sélection et d’évaluation sont des moments très propices à ce genre de comportement, puisque la personne évaluée va essayer de créer une impression favorable sur l’évaluateur. Ces comportements sont nombreux et diffèrent aussi bien en intensité que selon le type de stratégie utilisée. L’utilisation de ces comportements, est sujette à discussion. En effet est-ce que ces comportements faussent l’évaluation des individus ou est-ce que l’évaluateur peut les identifier et découvrir une facette de la personnalité de l’individu et ainsi en tenir compte lors de son jugement ? C’est ce que nous avons essayé de comprendre tout au long de notre enquête…
I. Enquête par des observations directes Le management des impressions est le concept se référant aux comportements utilisés par
les individus pour contrôler les impressions qu’ils font sur les autres. Ce phénomène est
observable dans toutes les situations organisationnelles faisant l’objet d’interactions sociales
entre différents acteurs. Nous avons envisagé, dans cette recherche, une situation
organisationnelle particulière, à savoir la situation d’entretien de sélection. La principale
raison de notre choix réside dans le fait que les entretiens de sélection et d’évaluation sont des
moments très propices à ce genre de comportements, puisque la personne évaluée va essayer
de créer une impression favorable sur l’évaluateur. Ces comportements sont nombreux et
diffèrent aussi bien en intensité que selon le type de stratégie utilisée. Mais avant tout,
l’adoption de tel ou tel comportement par le candidat dépend de la façon dont il perçoit
la situation dans laquelle il se trouve. De ce fait, il est très important, pour comprendre
le comportement adopté par le candidat lors d’un entretien de sélection, de comprendre et
d’analyser la situation à laquelle il se trouve confronté. Nous essayerons dans un premier
temps de décrire et d’analyser la situation d’entretien qui a fait l’objet de nos observations.
A la lumière de cette compréhension préliminaire, nous procèderons, dans un deuxième
temps, à l’interprétation des données recueillies.
69
I.1. Analyse du contexte des observations L’entretien de sélection consiste à observer, analyser et éventuellement à tester, afin de choisir
la personne présentant le profil le plus adopté à un poste, dans un contexte précis. L’entretien
de sélection se situe donc dans un cadre social donné qui est une entreprise, une
administration, ou un organisme extérieur spécialisé. Il suppose pour l’interviewer,
l’utilisation d’un support qui limite son intervention, tout en lui offrant une couverture à l’abri
de laquelle il opère.
Une des difficultés de ce type d’entretien est celle de faire une évaluation immédiate dans un
climat d’anticipation. De plus, il nécessite des qualités spécifiques à l’interviewer (Mucchielli,
1989) telles que :
• Une formation psychosociologique et psychotechnique pour évaluer les traits de
personnalité du candidat ;
• Une capacité à effectuer une « notation » du candidat et une connaissance des
exigences du poste de travail ;
• Une aptitude à dépasser la dimension artificielle issue de la pression que la situation
et sa signification induisent sur le candidat.
La situation d’entretien de sélection génère aussi chez l’interviewé des attitudes particulières
telles que la perte de spontanéité, l’orientation de son attention vers les éléments favorables de
sa candidature et la manifestation d’attitudes spéciales envers l’interviewer (séduction,
persuasion…). C’est, à priori, la situation organisationnelle idéale pour faire une bonne
« présentation de soi » et faire usage des stratégies de management des impressions que nous
avons largement développées dans la première partie.
Par ailleurs, les entretiens de sélection présentent une autre caractéristique non négligeable :
celle de l’asymétrie dans la détention de l’information et de l’asymétrie de détention du
pouvoir entre les deux protagonistes. Ces derniers peuvent influencer sensiblement les
conditions du déroulement de l’interaction… En effet, l’évaluateur dispose un certain
ascendant sur son interlocuteur, il a le pouvoir d’accepter ou non sa candidature. Cela peut
amener le candidat à se comporter conformément aux désirs de son interlocuteur et se montrer
« complaisant » envers ce dernier. On peut considérer que le candidat, dans certaines
70
situations d’évaluation, possède lui aussi un certain ascendant sur son interlocuteur, celui de
détenir des informations que l’autre cherche à obtenir à l’issu de l’entretien.
Au delà de ces variables générales qui caractérisent toute situation d’entretien de sélection,
nous pouvons analyser le contexte de nos observations selon la méthode « actionniste »
présentée par Alex Mucchielli,85 qui est une analyse souvent utilisée dans les études
sociologiques des organisations. Il s’agit d’une approche phénoménologique des problèmes.
Elle considère qu’une organisation est un système en équilibre plus au moins stable dans
lequel les différents partenaires négocient en permanence la définition de la situation dans
laquelle ils interagissent et de leurs rôles dans cette situation. Cette méthode a pour but
l’analyse des relations sociales instaurées, en photographiant l’état de négociation, pour en
comprendre les enjeux pour les acteurs et les sens émergents de leurs interactions. Il s’agit
plus précisément, d’utiliser un ensemble de techniques qualitatives de recueil et d’analyse
(interview non directives, observations, analyse de contenus divers…) permettant d’abord de
remplir deux types de tableaux synthétiques : un pour les rôles et attentes et un pour
la définition de la situation par les différents acteurs.
Ces tableaux vont permettre ensuite, par « une analyse de contenu qualitative et théorisante »,
une compréhension globale de la situation.
• Tableau des rôles et attentes :
Acteur 1 Acteur2
Acteur 1
Définition de son rôle de l’acteur 1 Définition du rôle de l’acteur 2 par l’acteur1
Acteur 2
Définition du rôle de l’acteur 1 par l’acteur 2 Définition de son rôle de l’acteur 2
• Tableau des définitions de la situation :
Vision de la situation
Actions typiques et
implications
Significations attachés par le
chercheur Acteur 1
Acteur 2
85 « La nouvelle communication, épistémologie des sciences de l’information communication », Alex Mucchielli, Ed Armand Colin, 2000
71
Cette première analyse fait passer les données de statut « propos recueillis » au statut « concepts caractérisant chaque acteur ». Ces concepts participent à une vision théorique de la situation organisationnelle dans laquelle interagissent les deux acteurs. La dite situation étant considérée comme un système en équilibre dans lequel les différents partenaires négocient en permanence la définition de la situation.
Les données mises à notre disposition pour analyser la situation d’entretien proviennent essentiellement:
Des observations directes ;
Du formulaire à remplir par les évaluateurs tout au long du déroulement de l’entretien ;
D’un entretien avec les responsables des évaluations pour déterminer leurs attentes et
objectifs précédant chaque ensemble d’entretiens et à l’issu de chaque entretien pour rendre
compte de leur impressions;
D’une connaissance des données figurant dans les CV des candidats concernés…
Description de la situation d’entretien de sélection pour un mastère professionnel
Vision de la situation par les évaluateurs
La diversité des profils des candidats postulants pour ce mastère, ( des professionnels et des nouveaux maîtrisards ) tous ayant différents parcours académiques, différentes spécialités et différentes institutions d’origine, présente une contrainte à double tranchant : d’un coté, ceci incite les évaluateurs à être plus vigilants dans leur sélection, d’un autre coté, cela présente une opportunité de miser sur une diversité pouvant être source d’enrichissement pour cette promotion de mastère…
L’enjeu de la situation, considéré par les évaluateurs est d’autant plus important que ce mastère est proposé par leur institution académique pour la première fois. A cet effet un objectif institutionnel est fixé : former une première promotion susceptible de donner une image favorable de l’institution en question et qui serait à la hauteur des ambitions des responsables, relatives au niveau d’enseignement à inculquer.
Le facteur temps est aussi à considérer dans la vision de la situation par les évaluateurs. Un grand nombre d’entretiens (cent entretiens) est mené au cours d’un laps de temps réduit (trois à quatre jours). Les entretiens sont du type semi-directif : une grille d’évaluation, qui définit les principales connaissances à évaluer, est préparée à l’avance. En revanche, la manière dont ces thèmes seront abordés au cours de la discussion et dont les questions seront formulées, n’est pas fixée à l’avance… L’évaluateur a de ce fait une certaine liberté quant à la chronologie des questions à poser et au rythme et à la cadence avec laquelle l’interrogation sera organisée.
Selon les évaluateurs, le contexte difficile du marché de travail (concernant les nouveaux maîtrisards) ou la situation défavorable de certains dans leur travail (concernant les professionnels) incite beaucoup de candidats à s’intéresser à ce mastère pour de mauvaises raisons. La principale crainte des évaluateurs, réside dans le fait qu’il est envisageable que certains candidats considèrent cette formation comme un tremplin qui leur offrirait la possibilité d’accéder à une carrière dans l’enseignement supérieur ou, plus simplement d’obtenir un diplôme supplémentaire…
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Actions typiques et implications pour les évaluateurs
L’enjeu de la situation ainsi considéré par les évaluateurs implique certaines dispositions à prendre :
- Juger du niveau académique et professionnel du candidat à sélectionner en se référant à son CV et ses relevés de notes. Dans le cas d’évaluation de professionnels, où l’on juge le candidat davantage sur ses expériences professionnelles, il est envisageable de compléter l’entretien en le questionnant plus en détail soit pour combler un manque d’informations, soit pour vérifier la véracité de certains renseignements relatifs à ses compétences, ses qualifications et ses réalisations. Un petit exercice de recherche sur Internet est proposé au candidats pour rendre compte du niveau des connaissances techniques.
- S’assurer de la motivation réelle du candidat et évaluer l’intérêt qu’il porte à la formation en question. Une de leurs principales priorités est de s’assurer que la motivation réelle des candidats est de suivre cette formation pour ce qu’elle peut offrir comme opportunités de développer l’activité du commerce électronique, se trouvant encore à un état embryonnaire sur le marché économique tunisien… Dans ce cas, il s’agit de s’assurer que sa motivation est purement professionnelle dans le domaine du commerce électronique.
- Lorsque le candidat ne répond pas aux exigences essentielles figurant sur la grille d’évaluation (telles que les connaissances en économie, les connaissances en gestion, la manipulation de l’outil informatique, etc), l’évaluateur peut juger nécessaire d’écourter l’entretien et de s’en tenir à ses premières impressions, surtout qu’il est contraint par le facteur temps. L’évaluateur peut aussi décider d’écourter l’entretien s’il s’aperçoit, dès les premières minutes de l’entretien, d’un élément, considéré comme important, qui discrédite les propos du candidat. Ceci peut être le cas quand il y a :
Une contradiction entre les propos exprimés et les informations figurants sur le CV ;
Une information capitale figurant sur le CV ou la lettre de motivation et dont le
candidat a omit de citer…
L’évaluateur peut également pousser ses investigations plus loin et décider de prolonger plus l’entretien :
Lorsqu’il trouve les propos du candidat intéressants cherchant ainsi à conforter
les premières « bonnes » impressions qu’il s’est fait de lui;
Lorsque la représentation du candidat comporte des points d’ambiguïté qu’il convient
d’éclaircir. Généralement, dans ce cas, l’évaluateur, reste sceptique quant à la sincérité du
candidat ou par rapport à sa motivation réelle.
Significations attachées par le chercheur
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- Le caractère directif des entretiens ainsi menés peut réduire et freiner l’usage des stratégies de management des impressions de la part des candidats. Même s’il y a usage de telles stratégies, ces dernières restent fugaces et timides. Dans le même ordre d’idée plus l’entretien est directif et plus l’usage de stratégies de persuasion s’en trouve atténué. Certains évaluateurs affichent un ton et un style d’interrogation plus directifs, ce qui a tendance à perturber le candidat et à limiter ses tentatives de persuasion (ceci est d’autant plus vrai pour les candidats inexpérimentés). Les candidats les plus confiants (généralement ce sont les professionnels les plus expérimentés) ont tendance à se défendre plus lorsque l’entretien devient plus directif.
- Lorsque le doute est répandu et que, comme on l’a vu, l’évaluateur décide de prolonger l’entretien pour éclaircir certains aspects ambiguës de la représentation du candidat, l’évaluateur accorde généralement une attention particulière à des aspects de la représentation qui ne peuvent se manipuler à volonté tels que la manifestation de latence face à des questions gênantes, la fréquence des gestes d’autocontrôle (qui augmente quand le candidat est mis en situation de stress), la variation du niveau de maintien du contact oculaire… Dans ce cas, l’évaluateur en arrive à jeter le doute sur les prétentions du candidat et n’hésite pas à s’emparer de toute occasion pour discréditer ses propos. A cet effet, des questions pièges peuvent être posées.
I.2. Les influences concernant l’usage des stratégies de management des
impressions dans les entretiens de sélection observés :
Pour essayer de comprendre et d’expliquer les comportements des êtres humains, nous ne
devons pas seulement prêter attention à leurs objectifs et à leurs préférences, nous devons tout
autant examiner les situations auxquelles ils font face et discerner comment ils perçoivent ces
situations86 [Ross et Nisbett, 1991].
Nous avons essayé, dans ce qui a précédé, d’analyser globalement la situation générale
à laquelle tous les candidats postulant pour ce mastère sont confrontés. Mais bien qu’il
s’agisse de la même situation, les comportements de ces derniers ne sont pas les mêmes.
Nous avons pu relever, à l’issu de nos observations, trois groupes de variables qui
interagissent dans la définition de la situation et qui vont déterminer les stratégies utilisées par
les candidats : les caractéristiques du candidat (traits de caractère, situation et environnement
professionnels, ses motivations), celles de l’interviewer et celles de la situation.
86 Russel A. Jones, Méthodes de recherche en sciences Humaines, De Boeck, 2000, p15
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A. Caractéristiques du candidat
Les candidats font un choix, à des degrés de conscience différents, entre une présentation de
soi authentique qui cherche à donner une image vraie ou très proche de la réalité
et une présentation de soi stratégique qui vise à donner une bonne impression, quitte à
basculer dans le mensonge et la manipulation excessive.
D’après Baumeister (1982), ce choix serait déterminé par la personnalité et les valeurs de
l’individu. Nous n’avons pas poussé assez loin notre recherche pour tenir compte
des différences individuelles ( différences des traits de caractère) et leurs impacts sur l’usage
des stratégies de management des impressions. Une étude visant à analyser les portraits
sociologiques et les dispositions de la population étudiée aurait été nécessaire pour le faire,
mais aurait été complexe dans son élaboration.
Au delà de la personnalité de chacun, nous avons remarqué, au cours des observations, que
l’expérience est l’une des variables les plus importantes qui entrent en ligne de compte dans
la détermination du comportement persuasif adopté. Nous avons remarqué que les candidats
les plus expérimentés font usage de stratégies actives : Ils prennent l’initiative de se présenter
sous leur meilleur jour, répondant longuement aux questions en mettant en valeur leurs
accomplissements et leurs compétences. La promotion de soi est la stratégie qui a été
la plus utilisée par les candidats professionnels. Ceci peut s’expliquer par le fait que ces
derniers sont habitués à participer à ce genre d’entretiens et y manifestent donc une plus
grande aisance que les autres. Par ailleurs, ils savent pertinemment ce qu’on attend d’eux et se
déploient donc à se présenter de façon professionnelle. D’ailleurs, parmi les candidats ayant
les profils les plus intéressants, nous avons pu détecter dans leurs représentations un sens
aigu de professionnalisme. La manière couramment déployée par ces derniers, est d’exposer
le récit (compte rendu) des expériences, exploits, et accomplissements réalisés au cours de
leurs expériences avant même d’être interrogés là dessus tout en mettant en valeur,
implicitement, leurs motivations pour intégrer cette formation.
Quatre catégories de comptes rendus peuvent être distinguées :
1. Le choix de carrière et ce qui fait qu’ils sont intéressés par la formation en question.
Souvent, ce choix se trouve être en continuité avec le parcours professionnel du candidat;
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2. Les expériences professionnelles vécues, les responsabilités assumées et les postes occupés
antérieurement : Le commerce électronique étant un domaine qui concerne, de près, leurs
activités et leurs projets professionnels ;
3. La formation et le parcours académique précédant l’expérience : Ayant conscience du
caractère impressionnant que cela peut avoir, les ressortissants des écoles nationales les plus
prestigieuses (IHEC, école polytechnique, ENA…) n’hésitent pas à mentionner leur parcours
académique et à insister sur la qualité des enseignements dont ils ont bénéficié.
A des degrés différents, les candidats inexpérimentés (nouveaux maîtrisards) font usage de
stratégies actives qui relèvent plus de l’insinuation. Les plus extravertis d’entre eux,
s’attribuent des caractéristiques personnelles valorisantes pour donner une bonne image d’eux
mêmes, mais le plus souvent, cela se fait maladroitement, de façon machinale qui manque de
naturel.
Les stratégies les plus utilisées pour cette catégorie sont celles qui passent par l’allure, la prestance et l’apparence vestimentaire du candidat. Un certain nombre de candidats(surtout de sexe féminin), parmi cette sous-population, font de leur apparence physique leur principal atout. Il est important de rappeler à ce sujet, que l’institution d’appartenance (Ecole supérieure de commerce), se caractérise par des normes sociales et une « culture » qui valorise l’affirmation des valeurs matérielles. On y accorde beaucoup d’importance à l’image et à l’apparence vestimentaire. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’une grande propension des étudiants appartenant à cet établissement sont issus d’un milieu aisé.
La flatterie est aussi un comportement d’insinuation qui a été utilisé par certains nouveaux
maîtrisards ressortissants de l’institution même (ESC). Ce comportement a consisté, le plus
souvent, à appuyer ses déclarations ou à justifier ses choix en évoquant l’influence par des
personnes connus par l’auditoire. Le fait d’exprimer des propos élogieux destinés à
un des collègues des membres du jury ou de vanter la qualité des cours inculqués aux
étudiants de la dite institution, sont autant d’exemples concrets de tentatives de flatterie
adressées à l’auditoire, qui est d’ailleurs composé d’un certain nombre de professeurs
appartenant à l’institution en question. Toujours est- il, il faut préciser que de tels
comportements flatteurs ont été, dans la plupart des cas, assez fugaces et se sont manifesté
furtivement.
A une échelle moindre, il a été remarqué l’usage d’une troisième stratégie d’insinuation par cette catégorie de candidats, celle de la conformité d’opinion. Généralement, ce sont les personnes les plus expressives qui, de leurs propres initiatives, expriment des déclarations et des affirmations s’accordant avec l’opinion explicite ou sous-entendue de l’interviewer. Lorsque le jury se montre réticent à leurs propos, ils en arrivent à tempérer leur avis, afin de s’accommoder de celui des évaluateurs. La plupart des candidats inexpérimentés
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(les nouveaux maîtrisards) expriment leurs accords en reprenant intégralement des idées déjà exprimées par leurs interlocuteurs à un autre moment de l’entretien. Les plus timides d’entre eux se limitent à manifester leurs accords par un hochement de tête ou par des locutions telles que « c’est vrai ce que vous dite !; Je suis d’accord avec vous!… ».
Ceux qui persistent à défendre leurs idées de départ avec conviction se font rares parmi les
candidats inexpérimentés. Ils sont plus nombreux parmi les professionnels. Ces derniers, qui
comme nous l’avons remarqué plus haut, se présentent à l’entretien avec plus d’assurance,
argumentent leurs avis, tout en essayant de ne pas contredire les membres du jury et défendent
leurs positions de départ avec plus d’insistance en essayant de rester dans les normes et
les règles de comportements d’usage pour ce type de situation sociale.
La plupart de ces conformités d’opinion (accords) concernent des questions centrales
abordées lors de ces entretiens telles que l’importance du commerce électronique pour
l’économie tunisienne et le degré de maîtrise de ce volet par les entreprises tunisiennes , plus
particulièrement par les entreprises aux quelles appartiennent les candidats concernés, ou
encore les enjeux et les perspectives d’avenir du développement de l’activité en question.
En général, les plus expérimentés font preuve d’une meilleure maîtrise de l’aspect non verbal
de leurs communications : Ils se présentent avec plus d’assurance, se manifestant par un degré
plus important de maintien du contact oculaire, l’utilisation des gestes illustratifs, pour
soutenir et accompagner leurs propos, une meilleur locution et une argumentation structurée
et soutenue, un discours plus clair, connoté d’un certain formalisme. Il a été aussi remarqué,
que parmi cette catégorie de candidats, ce sont les professionnels présentant les profils
les plus intéressants, qui maîtrisent le plus l’aspect non verbal de leurs communications, ce
qui a permis, d’ailleurs, de donner plus de poids, de vigueur et de crédibilité à leurs propos et
de redorer les bonnes impressions suscitées par les renseignements objectifs que le jury a
d’eux (niveau de compétences, diplômes, expériences professionnelles…).
En ce qui concerne l’aspect vestimentaire, le candidat professionnel se montre imprégné par
l’environnement professionnel au quel il appartient (port systématique du costume cravate
pour les banquiers, tenue décontractée pour ceux qui travaillent dans le secteur privé…).
Le degré d’imprégnation par la culture de l’entreprise d’appartenance s’observe même au
niveau de la gestuelle adoptée par le candidat, de sa manière de se présenter, d’argumenter ses
propos. C’est ainsi, que le degré de formalisme dans le discours est, entre autres, relatif aux
conditions de travail dans l’entreprise assurant la tutelle du candidat concerné (structure
bureaucratique, structure décentralisée…). Des exemples concrets peuvent illustrer cela :
Un ancien énarque occupant un poste de responsabilité dans une administration fait usage
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d’une gestuelle soutenue (Gestes illustratifs, gestes rythmiques), d’un ton de voix solennel,
d’un débit de parole posé et tempéré, d’une locution très claire…Ce qui se rapproche
étonnamment de la représentation d’un homme politique. Nous avons pu relever aussi,
l’exemple typique d’un jeune banquier, travaillant dans le change, qui fait usage d’une
gestuelle plus dynamique et manifeste un haut degré de transparence et de professionnalisme
dans la formulation de ses réponses : Son débit verbal est plus rapide, l’intonation de sa voix
est dynamique et ses gestes sont rythmiques. Il se montre aussi impulsif dans la formulation
de ses réponses.
Les nouveaux maîtrisards, qui sont plus jeunes d’ailleurs, manifestent un degré moindre de
verbalisme. L’aspect non verbal de la communication qu’ils maîtrisent le plus est leur
apparence physique. Par ailleurs, leurs représentations se font plus statiques. Les plus
introvertis d’entre eux se trouvent handicapés par leur timidité et manifestent beaucoup de
latence dans la formulations de leurs réponses. A la lumière des données recueillies, nous
pouvons expliquer cela par le fait que ces candidats, outre le fait qu’ils manifestent une plus
grande difficulté à dépasser la dimension artificielle issue de la pression que cette situation
leur inflige, ces derniers ne sont pas familiarisés avec une situation très proche d’une situation
professionnelle organisationnelle réelle. Leurs comportements persuasifs plus informels,
moins calculés et moins stratégiques, illustrent bien la nature des relations interpersonnelles
à la quelles ils participaient jusque là.
L’usage des stratégies défensives observé
Les candidats inexpérimentés, relativement à leur manque d’assurance, qui se manifeste de manière plus flagrante chez les plus timides d’entre eux, se défendent moins énergiquement que les autres. Certains d’entre eux se montrent très passifs dans leurs comportements et se laissent submerger par la pression et le stress induits par la nature même de la situation.
A différents degrés, les candidats appartenant à cette sous-population manifestent un
comportement défensif qui se confond le plus souvent avec une attitude d’évitement qui
consiste, selon les cas, à :
Formuler des réponses évasives : Cela se fait à différents degrés d’intentionnalité.
Pour dissimuler des lacunes cognitives (quand le candidat comprend mal la question mais
qu’il ne veut pas l’admettre) ou pour éviter des pauses sonores ( quand le candidat n’a pas de
réponses à la question), le candidat se déploie à répondre brièvement en abordant un sujet
complètement différent afin de dissimuler son incompétence. Une telle attitude a consisté,
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dans certains cas assez fréquents d’ailleurs, à jouer sur le niveau d’abstraction du vocable ou à
utiliser des mots vides de sens…
Imputer ses incompétences à une tierce responsabilité : Tout en reconnaissant
le problème, pour lequel le candidat a été déjà démasqué, cette manœuvre a consisté, pour
certains candidats, à dénier leur part de responsabilité dans ce dernier et à imputer leur
incompétence à un élément indépendant de leur volonté. L’exemple le plus fréquent a consisté
à justifier une faible maîtrise, d’un domaine de connaissance particulier, à la mauvaise
formation dont a bénéficié le candidat dans ce domaine en question, au cours de son cursus
universitaire.
Présenter ses excuses et reconnaître ne pas pouvoir répondre à la question sans se
justifier. C’est le comportement défensif qui a été observé de manière assez fréquente pour
cette catégorie de candidats. Cela peut être considéré par l’évaluateur comme une marque de
sincérité du candidat. Mais lorsque cela se reproduit maintes fois, cela ne fait que prouver
l’incompétence de ce dernier.
Par ailleurs, les candidats expérimentés qui ont manifesté, comme nous l’avons mentionné plus haut, un comportement caractérisé par un certain professionnalisme, se sont comporté de façon à défendre leurs points de vu en se basant sur un discourt argumentatif. Les plus confiants d’entre eux n’ont pas hésité à maintenir leurs opinions et à les défendre, quitte à entrer en polémique avec l’un des membres du jury. Néanmoins, cela se fait tout en s’assurant de rester respectueux des règles de bienséances d’usage dans ce type de situation…
B. Caractéristiques de l’interviewer
Même si les candidats ne sont pas censés s’intéresser à l’interviewer, ce dernier va très vite
être catégorisé dans un stéréotype en fonction de son apparence, sa position et son
comportement. Ceci est d’autant plus vrai qu’avant même d’entrer en entretien, beaucoup de
candidats (Anciens étudiants de l’ESC) connaissent déjà le ou les professeurs qui vont les
interroger et se font une idée de sa personne, de ses compétences, et de ses orientations
théoriques voire même idéologiques.
Nous avons pu remarquer que le sexe de l’interviewer peut influencer la manière de
se comporter du candidat. Certains se montraient moins décontractés et moins ouverts face à
des interviewers de sexe masculin. Alors qu’ils abordaient l’interrogation avec plus de
confiance lorsqu’ils étaient jugés par des femmes. Ceci étant dit, nous ne pouvons pas
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confirmer cette hypothèse, vu le nombre limité des observations que nous avons pu mener.
Par ailleurs, l’hypothèse la plus valable, à notre sens, est que le plus déterminant dans
le choix du comportement à adopter par le candidat est le style d’expression et l’attitude de
réception, adoptés par l’évaluateur.
En effet, les évaluateurs ont montré un degré de directivité différent et cela a fortement
influencé le comportement adopté par les candidats. Certains évaluateurs se sont montré plus
attentifs aux propos de leurs interlocuteurs et ont présenté une attitude rassurante envers eux,
ce qui a encouragé ces derniers, même les plus introvertis d’entre eux, à prendre de
l’assurance au fur et à mesure du déroulement de l’entretien. D’autres ont affiché
implicitement leurs premières « mauvaises » impressions , ont adopté un ton et un style
d’interrogation très formels et ont eu tendance à accélérer le rythme de l’interrogation à
certains moments. Ceci a freiné les tentatives de persuasion de certains candidats.
C. Caractéristiques de la situation
Certes, on pourrait avancer avec méfiance l’hypothèse selon laquelle plus la motivation du candidat est grande, plus l’enjeu de la situation est important pour lui, plus sa volonté à adopter des comportements stratégiques sera grande. Ceci peut très bien expliquer le fait que les candidats professionnels se montrent plus persuasifs: Ils savent discerner exactement les bénéfices qu’ils peuvent tirer d’une telle formation. Plus encore, ils savent légitimer, aux yeux de leur auditoire, leurs motivations. Par contre, pour les nouveaux maîtrisards, ou du moins pour un grand nombre d’entre eux, une des principales difficultés réside dans le fait que leurs motivations réelles ne sont pas celles qui sont recherchées par les évaluateurs. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ont déjà postulé pour d’autres mastères dans des domaines complètement différents. On peut donc affirmer que l’enjeu de la situation, considéré par le candidat, est de nature à déterminer son comportement persuasif. Ainsi, nous avons pu remarquer que les personnes ayant du mal à justifier leurs motivations et qui avaient, entre autres, postulé pour des mastères dans d’autres domaines différents, étaient celles qui manifestaient les comportements les plus passifs : elles se contentent de répondre brièvement aux questions, parfois même, elles évitent carrément de répondre à certaines d’entre elles. Elles manifestent beaucoup de latence dans la formulation de leurs réponses et mises en situations de stress, elles n’essayent pas de se défendre.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le degré de directivité de l’entretien influence beaucoup l’usage de stratégies de persuasion par les candidats. Ainsi par exemple, si l’interview est guidée et structurée par une grille de questions, elle laissera moins de place au candidat de s’exprimer autrement qu’en répondant aux questions. Par contre, si l’évaluateur pose des questions plus ouvertes, cela laissera plus de liberté au candidat de s’exprimer selon sa propre volonté.
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I.3. Quelques effets observés sur la formation des impressions aux cours
des entretiens
D’une façon générale, au cours de cette série d’entretiens, vu que les interviewers sont
explicitement guidés dans leurs interrogations par une grille d’évaluation. La priorité est
donnée aux critères figurant dans cette grille. Si elle est jugée comme importante par ce
dernier, une compétence particulière peut être décisive dans la décision finale de l’évaluateur.
Le contraire est aussi vrai : Une incompétence particulière peut peser lourd contre le candidat,
et implique, à elle seule, la formation d’une mauvaise impression globale de ce dernier. Pour
illustrer cela, nous pouvons citer l’exemple d’un candidat qui ne maîtrise pas la navigation sur
Internet. Une telle incompétence est susceptible de discréditer complètement sa
représentation. En ce sens que même s’il fait preuve, par ailleurs, d’une bonne présentation
orale, sa représentation reste entachée par cette « fausse note ». L’impression générale que
son vis à vis se fera de lui le sera aussi. Il suffit parfois de quelques indices d’incompétence,
jugés comme étant flagrants par l’évaluateur, pour élaborer une mauvaise impression globale
du candidat. Cela est susceptible d’affecter entièrement son jugement. Cela rejoint l’idée de
Goffman, selon laquelle, dans toute interaction, une seule fausse note peut provoquer une
rupture de ton, ce qui affecte la représentation toute entière.
Paradoxalement, des contre exemples ont été observés. Bien que se faisant rares, ces derniers
cas ne doivent pas être négligés. En effet, certains candidats ne présentant pas un profil
particulièrement intéressant et malgré des incompétences flagrantes de leurs parts, ces
derniers ont suscité chez certains évaluateurs de « bonnes impressions ».
Dans notre tentative d’apporter à cela une explication, nous pouvons avancer, avec prudence,
que le jugement de certains évaluateurs se trouve être entaché d’une certaine subjectivité.
A titre d’exemple, certains évaluateurs de sexe féminin, ne sont pas insensibles à
la présentation physique de leurs futurs étudiants. Une d’entre elles a même avoué qu’elle a
un faible pour les filles, notamment celles qui sont agréables dans leurs présentations
physiques. Ce qui peut expliquer que dans certains cas observés, une bonne « première
impression » de la personne peut pousser l’évaluateur à faire abstraction de certaines
maladresses ou incompétences, relativement importantes, détectées lors de sa représentation.
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Ceci étant dit, en règle générale, les évaluateurs, bien que se trouvant impressionnés par la prestation de certains candidats, gardent un certain degré de lucidité et détectent l’usage de manœuvres d’influence par ces derniers. Plus encore, tout en réalisant avoir été impressionnés par une allure imposante ou un style d’expression distingué, ces derniers savent pertinemment qu’ils peuvent manquer d’objectivité dans leurs prises de décisions, et sont conscients, de ce fait, de s’être laissé séduire par certains aspects de la représentation du candidat. Ils ne sont pas pour autant dupés par la prestation de ce dernier et sont conscients des aspects de la représentation qui les impressionnent le plus...
A l’issu de l’interrogation des évaluateurs, nous avons pu reconnaître certaines conditions qui
peuvent favoriser et justifier la formation de bonnes impressions des candidats :
l’équilibre entre les comportements : Indépendamment de la qualité du candidat
(professionnel ou étudiant), l’assurance est d’autant plus appréciée si elle se manifeste de
façon modérée. Une telle qualité est aussi appréciée si les informations qu’on a de la personne
(Son expérience professionnelle, son cursus académique…) justifient une telle confiance en
soi. En règle générale, tout comportement persuasif est apprécié s’il est fait de façon
modérée : Il faut être confiant mais pas trop sûr de soi, suffisamment nerveux vu la nature de
la situation mais pas trop anxieux, poli mais pas de manière exagérée…
Tout comportement excessif est dérangeant et a tendance à perturber la perception de la
représentation du candidat. Ce type de comportement est généralement perçu, par
les membres du jury, comme un comportement compensatoire. Ces derniers, face une attitude
excessive, auront tendance à porter un regard plus critique à la représentation du candidat,
et à rester attentif à l’afflux de tout signe ou indice d’incompétence susceptible de discréditer
les propos de ce dernier.
La légitimité des comportements : Tout comportement persuasif est favorablement apprécié
s’il s’accorde avec la définition de la situation implicite sur laquelle s’accordent les deux
partenaires dans ce type d’interaction sociale. Le comportement du candidat doit être en
harmonie avec l’image qu’il peut donner de lui même. L’auto promotion, qui a sa place dans
la forme écrite des documents fournis (Les informations données par le candidat peuvent être
vérifiées en les confrontant avec son CV…), est d’autant plus appréciée quand le candidat
présente un profil intéressant. Les informations qu’on a de lui donnent alors plus de crédibilité
à ses propos.
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II. Enquête par entretiens avec des responsables de recrutement
Comme nous l’avons décrit dans le chapitre précédent, nous avons pu mener au cours de notre enquête cinq entretiens avec des responsables de recrutement ayant entre deux ans et dix d’expérience dans ce domaine. Ces derniers travaillent dans les cabinets de conseil en recrutement suivants : Un centre public d’emploi (centre multiservices de La Goulette), El Amouri selection, Cogerh Selection, Adecco et Mainpower. Respectivement, nous nous sommes entretenu avec quatre psychologues et une spécialiste en gestion des ressources humaines, tous responsables de recrutement au sein des dits bureaux. Les interviews ainsi menées ont duré en moyenne une heure et demi de temps.
II.1. Usage des stratégies de management des impressions L'aspect extérieur est l’une des stratégies de présentation de soi les plus remarquables lors de ce type d’entretien. C’est aussi un des éléments qui permettent de se faire une première impression de la personnalité du candidat. La bonne présentation physique (Les habits, la coupe de cheveux, le maquillage pour les femmes, les signes de propreté, l’aspect soigné…), font l’objet d’une grande attention de la part des évaluateurs lorsque le poste à pourvoir nécessite certaines compétences relationnelles et une certaine aisance lors des contacts sociaux. Ceci est le cas, par exemple, pour un poste d’attaché commercial, d’assistante de direction… Dans ces cas, la bonne présentation constitue un des critères sur lesquels sera jugé le candidat et figure donc dans la grille d’évaluation utilisée par l’évaluateur. Le responsable de recrutement évalue donc le candidat en faisant attention à cet aspect de la communication non verbale. Certains commencent même par recueillir des indices sur le comportement non verbal avant même d’entrer en entretien avec les candidats. Ceci est plus facile à faire lorsque l’aménagement de l’espace de travail (décloisonnement des bureaux) le permet (C’était d’ailleurs le cas pour la plupart des cabinets visités).
Par ailleurs, pour les postes à caractère technique (ingénieur, responsable de production…), l’évaluateur n’attache de l’importance à la présentation physique du candidat qu’ à un second plan. Dans ce cas, les critères de sélection envisagés relèvent des compétences techniques exigées et de l’expérience du candidat dans son domaine d’activité. Ceci étant dit, la plupart des évaluateurs reconnaissent que même dans ces cas, ils ne sont pas indifférents à une bonne présentation physique. Cette dernière peut, implicitement, constituer un critère « subjectif » de classement d’un certain nombres de candidats présélectionnés.
Sur le plan comportemental, les évaluateurs interviewés ont souvent à faire à des stratégies du type : Flatter l'évaluateur, avancer des propos flatteurs vis à vis du cabinet de recrutement, faire preuve de comportements non-verbaux insinuants, exagérer ses propos sur ses qualités personnelles et surtout sur ses expériences professionnelles.
Lorsqu’ils sont faits de façon exagérée ou lorsqu’ils prennent beaucoup de place dans la représentation du candidat, ces comportements sont perçus, par les évaluateurs, comme étant un bruit dans la communication de ce dernier et, le plus souvent, ils n’en tiennent donc pas compte. L’expérience de l’évaluateur est alors déterminante dans ces cas. C’est ainsi que certaines des personnes interviewées reconnaissent qu’ à leurs premières expériences, en tant
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que chargés de recrutement, ils se permettaient de recueillir les pressentiments des candidats à la fin de chaque entretien. Cette « familiarité » semble ainsi avoir encouragé les comportements excessifs. Par contre, les évaluateurs les plus expérimentés, apprennent à développer, face à une telle situation, des attitudes de réception susceptibles de décourager le candidat dans son comportement insinuant et donc d’atténuer ces « bruits ». Face à cette attitude, même si de tels comportements persistent, ils restent pour le moins fugaces et se manifestent timidement.
Selon les responsables interviewés, les personnes mettent, généralement, en avant les points positifs et laissent le plus possible de côté les points négatifs. Mais parfois, parler des points négatifs peut être une stratégie de présentation favorable de soi car, en montrant qu'on accepte ses torts et ses erreurs cela peut avoir deux conséquences : Tout d'abord on ne va plus en parler dans la suite de l'entretien en se disant que s'il les accepte, il ne sert à rien d'essayer de le piéger avec cela. D' un autre côté, cette autocritique peut être perçue comme quelque chose de positif et peut être considérée comme un signe d'honnêteté.
Généralement, selon les avis recueillis, deux principaux facteurs déterminent le comportement persuasif des candidats : L’usage des stratégies de management des impressions change selon les traits de la personnalité du candidat ou selon la nature de son expérience professionnelle.
II.1.1. Caractéristiques personnelles
Selon les responsables interviewés, la majorité des personnes jouent un rôle, dans un jeu où on essaie toujours de se montrer sous son meilleur jour, même si le caractère stratégique du comportement reste relatif à certains traits de la personnalité du candidat. Parmi les traits les plus cités, nous trouvons, l’introversion et l’intelligence :
L’introversion : Les personnes timides et introverties font usage de stratégies d’insinuation de manière plus timide et subtile que les autres. Ils avancent leurs propos en s’assurant de rester dans les normes acceptables et reconnues comme étant celles de cette situation professionnelle. Leurs propos restent alors formels. Par contre, les plus extravertis sont ceux qui s’expriment plus ouvertement, qui se permettent des propos informels quand l’occasion se présente. Ce sont aussi ceux qui acceptent de se livrer le plus à l’autre. Dans certains cas, ils en arrivent même à aborder des questions personnelles, surtout s’il s’est instauré , au préalable, une certaine relation de confiance entre les deux protagonistes.
L'intelligence : Ce trait de caractère va de pair avec le niveau de compétence de l’individu. Une personne compétente a déjà beaucoup d’atouts qui la favorisent et a relativement moins besoin de subterfuges pour convaincre son auditoire. Dans ce cas, l’évaluateur est plus impressionné par le profil du candidat que par la représentation que ce dernier offre à voir.
Par ailleurs, l’intelligence, ou plutôt la ruse, peut aussi être prise en compte dans la compréhension de l’usage de stratégies d’insinuation. Certaines personnes tenteraient de duper leurs interlocuteurs en faisant usage, à différents degrés, de stratégies d’insinuation et de falsification. Mais dans ces cas de figures, affirment les spécialistes concernés, l’évaluateur apprend, avec l’expérience à développer lui aussi des techniques pour démasquer ce genre de
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comportement. Il suffit d’un indice pour que les propos du candidat soient discrédités, surtout si la personne va trop loin et ment sur ses capacités ou sur ses précédents. Dans ce cas, quand le candidat est discrédité, il est plus difficile de lui faire confiance par la suite.
Pour voir s’il correspond au profil recherché, les évaluateurs interrogés accordent beaucoup d’importance à connaître les traits de caractères de leurs vis à vis. Ils s’investissent beaucoup dans l’entretien et se déploient souvent à établir une relation de confiance avec le candidat. Ils essayent dans leurs interrogations d’obtenir du candidat le maximum d’informations relatives à sa personne. Leur formation en psychologie (La plupart des responsables interrogés sont des psychologues) les aide dans cette tâche.
II.1.2. L’expérience professionnelle
En règle générale, les candidats les plus expérimentés arrivent à mieux gérer les impressions de leurs interlocuteurs et manifestent un comportement plus stratégique que les autres. L’assurance et le degré de préparation ressenti par ces derniers peuvent en être un facteur explicatif. Les candidats expérimentés manifestent plus d’aisance dans leurs réponses parce qu’ils sont généralement habitués à ce type de situations. Une bonne maîtrise de la relation de face à face peut être expliquée aussi par le fait que le candidat a pris l’habitude de gérer ce type de relations au cours de son expérience professionnelle et qu’il sait alors exactement ce qu’il doit afficher lors de sa représentation au cours de ce type d’interactions.
Au delà de l’expérience professionnelle proprement dite, plusieurs responsables interrogés évoquent l’importance de l’environnement professionnel dans lequel le candidat a évolué, pour la détermination de son comportement persuasif. Selon eux, la culture d’entreprise d’appartenance est souvent un facteur explicatif du comportement d’une personne. Sans vouloir tomber dans des stéréotypes, on retrouve souvent des exemples où le candidat ayant appartenu à une grande multinationale présente un sens de l’organisation poussé et un certain professionnalisme dans les relations interpersonnelles. Cela se traduit, au niveau de son comportement, par une clarté dans la synchronisation et la présentation des faits, une certaine objectivité et une certaine transparence dans la formulation du discours (Répondre directement aux questions…)… Un candidat ayant travaillé dans une administration publique, pendant un certain temps, manifeste une attitude plus bureaucratique : Il fait référence aux normes et réglementation pour se justifier. Sa représentation laisse transparaître une certaine rigidité et un certain formalisme lors de ses contacts sociaux.
Ceci étant dit, des exceptions qui infirment cette règle peuvent exister. Etant donné qu'ils savent qu'ils seront moins à l'aise, certains candidats inexpérimentés, auront beaucoup plus préparé leur entretien et auront très bien appris le rôle qu'ils veulent jouer, ce qui dans un certains sens peut-être un atout pour eux. Inversement, l'expérience, qui dans la plupart des cas constitue un atout pour le candidat postulant pour un travail, peut également le desservir. Certains, qui ont quitté leurs anciennes activités professionnelles depuis un certain temps, peuvent perdre de leur confiance en soi, surtout après plusieurs entretiens qui n'ont pas marché.
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II.2. Attitudes de réception des évaluateurs Avec l’expérience, les évaluateurs apprennent à développer, de leurs cotés, des attitudes de réception pour se prémunir contre l’aspect stratégique et calculé des comportements des candidats.
Face à un candidat expérimenté, l’évaluateur prend plus de temps pour se préparer à l’entretien. Généralement, ce dernier dure plus longtemps en moyenne et, même si, pendant les premières minutes de l’entretien, il s’avère que le candidat ne correspond pas au profil recherché pour le poste en question, l’évaluateur ne s’arrêtera pas à ses premières impressions : En effet, il y a de fortes chances qu’il s’investisse plus longtemps dans l’évaluation pour, éventuellement, pouvoir proposer au candidat un autre poste, pouvant mieux lui correspondre.
Les évaluateurs accordent beaucoup d’importance à vérifier si les personnes sont honnêtes ou
pas. S’ils retiennent quelques indices qui laissent semer le doute dans la représentation de leur
vis à vis, ils demandent plus de précisions dans les réponses. Dans la majorité des cas, ils
demandent à leurs interlocuteurs de ré exprimer clairement leurs propos afin d’éclaircir tous
les aspects qui leurs paraissent sombres ou pour élucider toutes les incohérences. Par ailleurs,
la majorité des évaluateurs interviewés affirment, qu’en cas de doute, ils n’hésitent pas à user
des questions pièges, qui mettent la personne face à une situation inattendue ou qui permettent
de voir les aspects cachés de sa personnalité.
Pour retirer le maximum d’informations concernant le candidat au cours de l’entretien, chose
primordiale pour mieux juger du degré d’adéquation du profil de ce dernier avec le poste à
pourvoir, l’évaluateur se déploie à instaurer une relation de confiance avec son vis à vis.
Le plus souvent il adopte une attitude rassurante, se permet parfois certaines in formalités
pour amener son interlocuteur à s’exprimer librement.
II.3. formation et permanence des premières impressions chez les évaluateurs La majorité des évaluateurs interrogés affirment que les premières impressions se forment tôt, dès les deux premières minutes de l’entretien. Par la suite, ces évaluateurs gèrent l’entretien, de façon à confirmer ou infirmer leurs premières impressions du candidat.
Ils commencent à se faire une première impression de la personne avant même d’entrer dans le bureau dans lequel se déroule l’entretien. La manière de se présenter lors du premier contact téléphonique, la ponctualité du candidat lorsqu’il se présente à l’agence sont tous autant d’éléments qui participent à se faire une première impression de sa personne.
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Les autres éléments du comportement non verbal qui se confondent, selon l’ordre d’importance attaché par les évaluateurs, avec la posture, le ton de la voix, la synchronisation des faits, la locution, la clarté et la bonne présentation des idées, participent, dans un second temps, à la formation des premières impressions de la personnalité du candidat au cours de l’entretien.
D’après les avis recueillis sur le sujet, les premières impressions sont capitales dans la mesure où se sont elles qui vont déterminer pour l’évaluateur la démarche à suivre et l’attitude à adopter au cours de ce qui reste de l’entretien. Les évaluateurs apprennent avec l’expérience à prendre plusieurs visages différents parce qu’ils sont confrontés à des traits de caractères et des comportements différents. C’est ainsi que face à un candidat timide et handicapé par le caractère stressant de la situation, l’évaluateur adopte une attitude rassurante envers ce dernier pour l’amener à s’exprimer davantage et à se présenter plus librement. Dans le cas inverse, où l’évaluateur se trouve confronté à des comportements excessifs (mensonge flagrant, flatterie excessive…), ce dernier essaye de réduire ces « bruits » et peut se montrer plus directif ou plus stricte dans son interrogation afin d’amener le candidat à se comporter conformément à son dessein.
Quant à la permanence des premières impressions, les personnes interrogées affirment à ce sujet, qu’il peut y avoir, parfois, des retournements de situation. Dans ce cas de figure, le candidat arrive à gagner en assurance au fur et à mesure du déroulement de l’entretien, surtout lorsqu’il se trouve rassuré par une attitude positive de la part de son évaluateur.
III. Conclusions
Généralement, concernant les deux situations d’entretien, les interviewers ont tendance à
évaluer les candidats professionnels de façon plus favorable. Mais, comme nous l’avons
abordé plus haut, cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs tels que:
- Les professionnels présentent des profils plus intéressants. L’expérience de certains
dans leurs domaines de compétence, leur connaissance de la situation du terrain dans
les domaines dans lesquels ils opèrent, sont autant d’éléments qui leurs procurent une marge
d’avance par rapport aux autres candidats et même parfois par rapport aux évaluateurs.
Souvent, ces derniers accordent plus d’importance à l’évaluation des personnes expérimentées
et se préparent davantage avant de s’entretenir avec eux. Concernant la situation d’évaluation
pour un mastère professionnel, les candidats expérimentés sont aussi avantagés par leur
motivation ( Certains peuvent même apporter un plus à la formation, parce qu’ils sont
directement concernés par la question et participent à des projets professionnels,
de grande envergure, de création et d’élaboration de sites virtuels de vente ou d’autres
prestations de services…) ;
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- Leurs expériences professionnelles leurs permettent une plus grande aisance et
facilité dans les contacts sociaux, d’autant plus, qu’au cours de leurs parcours professionnels,
ils ont été habitués à gérer ce type de situations organisationnelles. Ils maîtrisent plus l’aspect
non verbal de leurs communications qu’ils utilisent afin de soutenir et renforcer leurs
présentations orales.
Par ailleurs, nous avons remarqué lors des observations menées que les personnes
extraverties sont jugées de manière plus favorable car ils arrivent mieux à se projeter dans
l’interview. Au contraire, celles qui présentent une plus au moins grande timidité sont moins
bien évaluées car elles s’expriment moins bien verbalement et se montrent plus instables
émotionnellement. Elles sont plus facilement déstabilisées quand elles sont mises en situation
de stress. Par contre, nous ne pouvons pas avancer la même remarque concernant
les entretiens de recrutement professionnels. Selon les propos des évaluateurs interrogés,
les traits de caractère sont évalués relativement aux exigences du poste et à l’environnement
du travail que le candidat est appelé éventuellement à occuper. On peut, par exemple,
apprécier une personne, d’apparence timide, si le poste à pourvoir requière un tel trait de
caractère chez celui qui l’occupe.
- La directivité des entretiens est un élément central dans la manifestation de stratégies de management des impressions. Comme nous l’avons mentionné plus haut, si l’interview est guidée et structurée par une grille de questions, et surtout, si l’évaluateur ne se détache pas de la grille et se limite à poser les questions qui y figurent, il laissera moins de place au candidat pour s’exprimer autrement qu’en répondant aux questions. Dans ce cas de figure, la manifestation de comportements stratégiques se fera plus furtivement. L’usage de stratégies de management des impressions s’en trouve atténué. Par contre, si l’évaluateur pose des questions plus ouvertes, cela laissera plus de liberté au candidat de s’exprimer selon sa propre volonté. Lors des entretiens de recrutement menés par des professionnels, les évaluateurs laissent généralement une plus grande liberté au candidat pour s’exprimer librement. Pour cette raison, nous estimons que ce terrain présenterait un observatoire plus riche et plus intéressant en terme d’usage de stratégies de management des impressions.
- L’étude de l’usage des stratégies de management des impressions par les candidats,
est corrélative d’une étude du niveau de perspicacité et du degré de lucidité de l’évaluateur :
D’une façon générale et relativement à l’analyse des deux situations d’entretiens considérées,
nous pensons que l’usage de certaines stratégies mystificatrices (falsification, insinuation…),
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qu’elles soient intentionnelles ou non, doivent subordonner un manque de perspicacité chez
l’autre. Un public avisé serait moins impressionné par l’usage de manœuvres stratégiques et
tacherait d’en tenir compte lors de son jugement. L’enjeu de la situation n’étant pas le même,
les deux populations d’évaluateurs ne réagissent pas de la même manière face au
comportement stratégique des candidats interviewés:
Concernant les entretiens de sélection pour un mastère, et pour la population
d’évaluateurs composée de professeurs, les premières impressions peuvent être décisives dans
la conduite de l’entretien, en ce sens, que les évaluateurs peuvent se fier à leurs premières
impressions tôt au cours de l’entretien. Ils ne sont pas pour autant dupés par les manœuvres
stratégiques entreprises par certains candidats et connaissent pertinemment les aspects de
leurs représentations qui les impressionnent le plus. De même, ils savent que leur jugement
peut être entaché par une certaine subjectivité.
Les professionnels du recrutement interrogés ont une plus grande aptitude à dépasser
la dimension artificielle issue de la pression que la situation et sa signification induit sur
le candidat. Leur formation psychosociologique et psychotechnique et leur niveau
d’expérience dans le domaine, leurs facilitent l’évaluation des traits de la personnalité du
candidat. Ils ont alors une plus grande capacité à faire une évaluation objective en ayant une
connaissance complète des exigences du poste de travail à pourvoir.
Les jugements de ces professionnels du recrutement se caractérisent par un haut degré de
lucidité et un plus grand détachement de leurs premières impressions. De même, l’enjeu de
la situation est plus important pour cette catégorie d’évaluateurs qui, obligés de satisfaire et de
garder leurs clientèles ( les entreprises qui les ont sollicité pour des conseils en recrutement),
se déploient à faire leurs évaluations le plus objectivement possible, en s’assurant toujours de
l’adéquation du profil du candidat avec les exigences du poste à pourvoir. Ceci étant dit, ils
reconnaissent pouvoir être dupés par l’usage de comportements stratégiques, ce qui peut
expliquer , dans certains cas, les échecs de recrutement…
89
Conclusion Générale
Cette recherche a pour objet le concept de management des impressions, qui a été défini
comme étant « le processus par lequel un individu, au cours d’une interaction, tente de
contrôler et de manipuler les réactions, les idées de son interlocuteur, de façon à ce que ce
dernier se fasse une bonne image de lui et agisse conformément à ses intentions… ».
Pour comprendre ce phénomène, à priori équivoque et complexe, nous avons choisi d’investir
une situation organisationnelle particulière celle des entretiens de sélection. La raison de notre
choix est qu’au cours de cette situation, le candidat est appelé à faire en sorte d’orienter
l’attention de son interlocuteur vers les éléments favorables de sa candidature et l’amener à se
faire une bonne image de sa personne. L’entretien de sélection est donc une situation
organisationnelle très propice à l’usage de stratégies de management des impressions.
La perspective de management des impressions est donc utile, voire essentielle dans l’étude
du comportement lié à l’entretien.
Dans notre étude, qui s’insère dans une perspective descriptive- interprétative, nous avons
investi deux situations d’entretiens : les entretiens de sélection menés dans le cadre de
l’organisation d’un troisième cycle, et les entretiens de recrutement menés dans un cadre
professionnel. L’objectif étant de rendre compte des comportements persuasifs des candidats
se présentant à un entretien de sélection, en d’autres termes de décrire les modalités d’usage
des stratégies par ces derniers et de détecter les facteurs, aussi bien intra personnels
qu’interpersonnels, qui déterminent leurs comportements. Il s’agit aussi de tenter de
comprendre la formation des impressions suscitées par de tels comportements, c’est à dire
les significations rattachées par les évaluateurs à ces différents comportements persuasifs.
L’usage des stratégies de management des impressions peut révéler beaucoup d’aspects de
l’environnement social auquel appartient le candidat. Parfois, il donne des informations qui
aident à mieux l’évaluer (caractéristiques de la personnalité, caractéristiques liées au style de
présentation de soi) mais elles peuvent aussi être un bruit dans le système (par exemple
lorsqu’elles ne veulent rien dire si ce n’est un certain manque d’expérience de ces derniers),
elles peuvent aussi biaiser l’évaluation des candidats. Il existe donc différentes possibilités
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pour atténuer ce « bruit »: des interviews planifiées devraient aider à une évaluation
pertinente.
Un des mérites de cette étude est d’avoir investi un domaine de recherche qui n’a pas encore
été exploré par les traditions de recherches francophones en communication et en
management. Le principal apport a été de faire une première lecture « qualitative » de l’usage
des stratégies de management des impressions lors des entretiens d’évaluation. Les recherches
anglophones menées jusque là sur le sujet ont adopté des méthodologies quantitatives qui,
selon l’avis d’une grande tradition de recherche en communication, ne sont pas appropriées
pour étudier des phénomènes porteurs de sens, comme c’est le cas pour les phénomènes de
communication. Par ailleurs, notre enquête a consisté à investir une situation d’entretien de
recrutement réelle faisant intervenir des spécialistes de recrutement. Les recherches similaires
antérieures se sont essentiellement basées sur des visionnages d’entretiens préenregistrés
[David C. Gilmore et Gerald R. Ferris]. Certains d’entre eux ont fait appel à des étudiants qui,
à partir de visionnages [Baron, 1989 ; Von Baeyer et al, 1981] ou d’enregistrements [Amy. L.
Karistof, 2000] d’entretiens de sélection sont formés à faire des analyses de contenu dans des
conditions purement expérimentales.
Cette recherche a été entravée par beaucoup d’obstacles, notamment celui de la difficulté d’accéder au terrain. Nous avons trouvé beaucoup de difficultés pour assister à des entretiens de recrutement tels qu’ils sont menés régulièrement par les cabinets privés de recrutement. La raison du refus évoquée par la plupart des responsables travaillant dans ces cabinets, est que ces observations pouvaient être gênantes pour les candidats. Ces derniers, étant habitués à s’entretenir avec une seule personne, se trouveraient déstabilisés par la présence d’une tierce personne. Selon eux, cette intrusion pourrait même avoir des répercutions négatives et biaiser les conditions de l’interaction : la raison en est que la relation de confiance établit entre les deux protagonistes s’en trouverait menacée.
Certaines pistes de réflexion restent ouvertes quant à l’impact de ces stratégies sur
le jugement de l’interviewer et, il faudrait nous semble-t-il d’autres recherches qui se
concentrent notamment sur les deux questions suivantes : Quelle influence ont les
comportements de management d’impression sur les évaluations des interviewers ? à quel
point et de quelle manière les stratégies de management des impressions reflètent
les dispositions durables et les comportements probables au travail ?
Cette étude doit alors être envisagée en premier comme un point de départ pour de futures
recherches similaires. La petite taille de l’échantillon considéré et les difficultés rencontrées
pour accéder à un terrain intéressant, limitent la possibilité de généralisation.
91
Finalement une toute autre approche du management des impressions peut être imaginée.
Ainsi, selon Herriot (1984,1987) l’interview doit être considérée comme un exercice
d’échange social plus qu’une évaluation psychométrique traditionnelle. C’est dans cette
optique, que des entreprises multinationales de Gestion des Ressources Humaines [C’est
l’exemple Mainpower en Tunisie] pratiquent des nouvelles techniques de recrutement qui
consistent à faire des évaluations de groupes de candidats… Anderson (1988) va encore plus
loin en proposant d’utiliser l’interview comme une évaluation des habiletés du management
des impressions du candidat. Selon lui, il ne faut donc pas chercher à contrôler ou éliminer ce
phénomène…
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94
Abstract
This memoir sets to explore the concept of impression managememt. This type
of management refers to “the process by which people attempt to control or
manipulate the reactions of others to images of themselves or their ideas”.
For a better understanding of this apparently equivocal and complex
phenomenon, I have chosen to make a qualitative enquiry of job interviews to
analyse this phenomenon. The choice of this particular organisational situation
has been done on the premise that it is an ideal situation for the use of the
impression management strategies. I have proceeded, in this descriptive
interpretative research, to the observation of a number of interviews done for the
selection of candidates for a professional masters degree at ESC (Ecole
Superieure de Commerce). This survey has been complemented with interviews
with five recruitment advisors who work in recruitment cabinets (El Amouri
Selection, Mainpower, Adecco, Cogerh Selection and a public recruitment
office).