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rdtryhjv TUNIS, DU 26 AU 30 MARS 2013 LE BERCEAU DES RÉVOLUTIONS ARABES ACCUEILLE LE FSM MARS 2013 ALTERMONDES N°33 SUPPLÉMENT © Martin Barzilai / www.sub.coop

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Page 1: MARS 2013 SUPPLÉMENT ALTERMONDES N°33€¦ · les migrations qui s’est tenu en novem-bre 2012, à Manille (Philippines), et Depuis sa première édition, en 2001, à Porto Alegre

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TUNIS, DU 26 AU 30 MARS 2013

LE BERCEAU DES RÉVOLUTIONS ARABES

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supplémentEditoUN FSM SUR DES CHARBONS ARDENTS

I

II

III

DIXIÈME ÉDITION DU FSM

3 Tunis: un tournant dans l’histoire du FSM?

6 «Être accueilli par un pays en plein tournant révolutionnaire»

7 Autour du Forum social mondial

COMPRENDRE LES ENJEUX ET LE CONTEXTE

8 «Ces révolutions ont recréé le monde arabe»

9 «Les pays du Maghreb sont devenus des pays d’immigration»

10 Une région en pleine mutations…

12 Révolution en terre d’islam

LA SOCIÉTÉ CIVILE TUNISIENNE

14 Al Bawsala fait vivre la démocratie tunisienne16 Pour aller plus loin…

2 ALTERMONDES SUPPLÉMENT

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PAR ANNA DEMONTIS | ALTERMONDES

Tunis : un tournant dans l’histoire du FSM?

entre 30000 et 50000 personnes sontattendues pour la dixième édition duFSM qui aura lieu du 26 au 30 mars2013, à Tunis (Tunisie), berceau desrévolutions arabes.

La richesse résulte de la diversitéLa clef de ce succès? Proposer un «pro-cessus pour apprendre à désapprendre» quipermet de construire une nouvelle cul-ture politique, régie par l’horizontalitéet la coresponsabilité, au sein d’unespace ouvert et autogéré. Bien plusqu’un événement, chaque édition duForum est conçue comme une étapedans un processus de réflexion mené parles mouvements sociaux. Le FSM n’en-tend pas pour autant les représenter.Defait, les rencontres ne donnent lieu à

aucune déclaration finale qui fixerait despistes d’actions pour les organisationsde la société civile.«La richesse qui résultede la diversité inhérente au Forum en seraitsinon appauvrie, sacrifiée dans le seul butd’arriver à quelques pages négociées parles acteurs», précise Chico Whitaker.Inscrits dans le marbre par la Charte dePorto Alegre, les principes fondateursdu FSM (lire encadré) ont été énoncésen 2002, dès la deuxième édition. «Ons’est rendu compte qu’on ne pouvait passe contenter de décider par le vote, commedans les démocraties électives, expliqueChico Whitaker. Le pouvoir de la majo-rité accroît les risques de division. Lasociété civile doit prendre des décisions parconsensus.»La formule a très vite séduit celles et ceuxqui, depuis 1989 et la chute du mur de

eattle (Etats-Unis),1999.Quelquesmilliers de manifestants alter-mondialistes parviennent à blo-quer la Conférence de l’Organisa-

tion mondiale du commerce (OMC).Une première qui fait date et marquel’émergence d’une société civile mon-dialisée. Des mouvementssociaux brésiliens et françaisréfléchissent alors ensembleet proposent «une rencontredes organisations du mondeentier constituant cette sociétécivile qui émerge en tant qu’ac-teur politique », expliqueChico Whitaker,ex-secrétaireexécutif de la CommissionJustice et Paix au Brésil et l’undes fondateurs du Forum social mon-dial (FSM). Du 25 au 30 janvier 2001,au moment même où se tient, à Davos(Suisse), le Forum économique mon-dial, 20000 personnes se retrouvent àPorto Alegre (Brésil) pour la premièreédition de ce qui deviendra rapidementle rendez-vous incontournable du mou-vement altermondialiste. Face à ce suc-cès inattendu, les initiateurs décident deréitérer l’expérience. D’une rencontrenaît un processus.«Nous ne pensions pasaller si loin», confie Chico Whitaker.Douze ans plus tard, et bien que l’inté-rêt des médias pour le FSM se soitémoussé, force est de constater que laformule continue d’attirer les organi-sations : des forums sociaux théma-tiques sont organisés chaque année, àl’instar du 5e Forum social mondial surles migrations qui s’est tenu en novem-bre 2012, à Manille (Philippines), et

Depuis sa première édition, en 2001, à Porto Alegre (Brésil), le Forum social mondial(FSM) est devenu le rendez-vous incontournable d’une société civile qui, aux quatre coins du monde, réfléchit, propose et expérimente des solutions pour sortir de l’impassedans laquelle les politiques actuelles ont placé l’humanité et la planète. Deux ans aprèsl’éclatement des révolutions arabes, le grand rendez-vous altermondialiste prendra sesquartiers au Maghreb, à Tunis, du 26 au 30 mars. Et si l’édition 2013 marquait uneétape décisive dans la poursuite du processus du Forum?

S« On s’est rendu comptequ’on ne pouvait pas secontenter de décider parle vote. Le pouvoir de lamajorité accroît les risquesde division. La sociétécivile doit prendre desdécisions par consensus. »

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SOMMAIRE

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«DÉGAGE!» Le 14 janvier 2011, le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, cédant à la pression de la rue, fuyait sonpays, après 23 ans de règne sans partage. Il était le premierdictateur à tomber sous le souffle des révolutions arabes. Uncoup de semonce qui a résonné sur l’ensemble de la planète.Le 6 février suivant, à quelques milliers de kilomètres, prèsde 50000 personnes se rassemblaient à Dakar (Sénégal) pour la neuvième édition du Forum social mondial (FSM), galvanisées par un vent de révolte qui n’épargnait par leSénégal, en proie à de forts mouvements de contestationcontre la vie chère et les dérives du régime d’AbdoulayeWade, alors au pouvoir. Et c’est au moment où se clôturait la grand-messe du mouvement altermondialiste qu’a éclaté un second coup de semonce: sous la pression de la rue, le président égyptien Hosni Moubarak démissionnait. Nous étions le 11 février 2011.

Deux ans plus tard, c’est tout naturellement que le Forumsocial mondial a donc choisi de se tenir à Tunis, berceau desrévolutions arabes. Deux années marquées par des avancéessur le front de la démocratisation de la région, avec la chutedu régime Khadafi en Libye ou le départ d’Ali Abdallah Saleh,aux commandes du Yémen depuis 1978, mais aussi mar-quées par la terrible répression du régime syrien contre sapopulation et le silence assourdissant qui entoure encore certaines révolutions réprimées, comme au Bahreïn. Et là où les révolutions ont chassé les dictateurs –en Tunisie et en Égypte–, la transition s’avère complexe, quand elle n’estpas mise en danger. Aurait-il pu en être autrement? Pas sûr.Mais comme le rappelle le journaliste Thierry Brésillon 1

« l’aspiration à la dignité n’est pas un vain mot [et] les braises de la révolution sont loin d’être éteintes».

Bien plus qu’en 2011, le FSM, qui se tiendra du 26 au 30 mars à l’Université El Ménar de Tunis, vivra donc à l’heuredes révolutions arabes. Seul réel espace de convergencesentre mouvements citoyens et sociaux du monde, il doit permettre aux forces démocratiques tunisiennes d’enrichirleurs réflexions et de construire des réponses aux défis qui seposent à elles. C’est pour mieux comprendre les enjeux de ceForum à nul autre pareil et le contexte dans lequel il s’inscritqu’Altermondes, en partenariat avec le CRID 2, a décidé deréaliser ce supplément.

DAVID ELOY | RÉDACTEUR EN CHEF

1. Lire Al Bawsala fait vivre la démocratie tunisienne, page 14

2. Comme à chaque édition, le CRID coordonne la délégation des organisations françaises au FSM,ce qui représente plus de 500 personnes à Tunis.

Tunis. Graffiti sous l’autoroute Trans-African Highway 1 à l’angle de l’avenue Habib Bourguiba.

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Berlin, réfléchissaient et proposaientdéjà des alternatives. «La culture duFSM s’est égrenée de plus en plus», sou-ligne Nathalie Péré Marzano, déléguéegénérale du Centre de recherche et d’in-formation pour le développement(CRID), membre du Conseil interna-tional du FSM et qui coordonne depuisle début la délégation des organisationsfrançaises participant à l’événement.Après trois premières années à Porto Ale-gre, au Brésil, le FSM s’exporte à Mum-baï (Inde) en 2004. Il devient poly-centrique en 2006: Karachi (Pakistan),Caracas (Venezuela) et Bamako (Mali)accueillent l’événement.Complétée parune multitude de forums sociaux locaux,régionaux et nationaux,qui permettentà tout un chacun de participer auxréflexions,cette extension géographiqueva de pair avec un élargissement des pro-blématiques abordées.Ainsi, l’édition de2009 organisée à Belém (Brésil),aux por-tes de l’Amazonie,voit les questions éco-logiques et le «buen vivir», le mode devie des populations indigènes d’Amé-rique latine, s’imposer dans les débats.

En quelques années, les sociétés civilesont montré leur capacité à faire existerle FSM dans plusieurs parties du monde,tout en abordant de nouvelles thématiques.

Ancrage au MaghrebAujourd’hui, et alors que les médiasrelaient de moins en moins ce qui sepasse dans les Forums,où en est la dyna-mique? «Après plus de dix ans d’existence,les acteurs ont peur de s’installer dans uneroutine. Ils ont besoin de voir quels sontles leviers que cette dyna-mique permet d’activer,explique Nathalie Péré-Marzano. L’étape qui nousattend à Tunis pourrait êtreforte.C’est la première fois quedans l’espace du Maghreb-Mashrek, unetelle rencontre peut avoir lieu». Si larégion a vu naître un Forum socialmaghrébin, à El Jedida (Maroc), en2008, « il n’y a pas réellement de “tradi-tion” des Forums sociaux», précise AlaaTalbi du Forum tunisien pour les droitséconomiques et sociaux (FTDES),membre du Comité d’organisation local

>>

2001Première édition du Forum social mondial (FSM)à Porto Alegre (Brésil).

2002Deuxième édition, toujours à Porto Alegre, la Charte des principes du FSM est rédigée.

2003Un mois après la troisième édition du FSM, des manifestations contre la guerre en Irak sontorganisées dans plusieurs pays.

2004 Le FSM quitte le Brésil et s’implante à Mumbaï(Inde).

2005Le FSM revient à Porto Alegre, la ville qui l’a vunaître.

2006 Le FSM se décentralise et devient polycentriqueavec trois villes hôtes : Caracas (Venezuela), Bamako (Mali) et Karachi (Pakistan).

2007Nairobi accueille le Forum social mondial. Une première pour le continent africain.

2009Au FSM de Belém (Brésil), les questions écologiques et les peuples autochtones s’emparentdu débat.

2011Réunis à Dakar (Sénégal), les participants au FSM assistent à la chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte.

2013Deux ans plus tard, Tunis accueille le FSM. C’est la première fois que l’événement se tient dans un pays du Maghreb.

DIXIÈME ÉDITION DU FSM

LE FSM EN QUELQUES DATES

«Le Forum Social Mondial est un espace de rencontreouvert visant à approfondir la réflexion, le débat d’idéesdémocratique, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences, et l’articulation en vue d’actions efficaces, d’instances et de mouvements de lasociété civile qui s’opposent au néolibéralisme et à ladomination du monde par le capital et toute forme d’impé-rialisme, et qui s’emploient à bâtir une société planétaireaxée sur l’être humain». Tel est le premier principe édictépar la Charte du Forum social mondial. Chaque édition del’événement constitue une étape d’un processus deréflexion et de convergence des mouvements sociaux. Cetespace accueille tous les mouvements prêts à constituerun «contre-pouvoir» aux idées dominantes néolibérales, àl’échelon planétaire, tout en promouvant une «mondialisa-tion solidaire». Surtout, le FSM n’appartient à personne:un conseil international, garant des principes de la Charte,est chargé de faciliter son organisation, mais il n’a pas de rôle directif. Ainsi aucun document final n’est rédigé.Selon la Charte, «personne ne sera autorisé à exprimer au nom du Forum, dans quelque édition que ce soit, des prises de position prétendant être celles de tous lesparticipants». En effet, le FSM n’est pas une instancereprésentative de la société civile mondiale : « Il ne consti-tue donc pas d’instance de pouvoir que peuvent se dispu-ter ceux qui participent à ces rencontres, ni ne prétendconstituer l’unique alternative d’articulation et d’action des instances et mouvements qui en font partie».

LES PRINCIPES FONDATEURStunisien. Depuis 2009, la société civilemaghrébine se fait progressivement uneplace au sein du processus des Forumssociaux.Certains groupes restent cepen-dant marginalisés.«Il faut désormais quetous les mouvements tunisiens participent,surtout ceux qui représentent les paysanset les chômeurs», explique Alaa Talbi. Enpréparation du FSM,qui s’ouvrira le 26mars 2013,plusieurs forums sociaux ontdonc été organisés dans les grandesvilles de Tunisie et dans les communessituées à l’intérieur des terres. Cettedynamique touche l’ensemble des paysde la région: un Forum social des fem-mes s’est tenu à Marrakech (Maroc) enavril 2012,tandis que l’Égypte a accueilliun Forum social des jeunes en septem-bre 2012. «Les Marocains, les Algériens,les Libyens, les Égyptiens et les autres nesont pas des invités, ils sont des acteurs.C’est pour cela qu’il faut les mobiliser»,affirme Alaa Talbi.

Un mot d’ordre : dignitéUne mobilisation cruciale alors que lemonde arabe est traversé par un pro-

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cessus révolutionnaire et que le FSMapparaît comme un espace légitimepour favoriser le rapprochement desmouvements sociaux et ceux nés desrévolutions arabes. À Dakar (Sénégal),en 2011, le FSM avait ainsi permis la ren-contre avec les Y’en a marre, un mou-vement de contestation pacifique contrel’impunité, la corruption, les prévari-cations du régime Wade… Le FSM deTunis pourrait, devrait «aider les mou-vements sociaux tunisiens à nourrir leurréflexion sur des problématiques centra-les», explique Nathalie Péré-Marzano.Sans nier la spécificité du contexte poli-tique et social que connaît aujourd’huila Tunisie, notamment suite à l’assassi-nat de l’opposant Chokri Belaïd, il fau-dra toutefois veiller à ce que les débatsne soient pas «phagocytés par les enjeuxstrictement tunisiens, souligne la déléguéegénérale. Il y a des sujets transversaux surlesquels on peut échanger, notamment laquestion de la transition démocratique,économique, sociale et écologique. L’idéeest d’apporter un autre regard sur lessujets autour desquels ils sont en ce momenten lutte.»Pour Alaa Talbi, le mot d’ordre choisipour le Forum social mondial de Tunis–«Dignité»– est justement à même derassembler les acteurs des sociétés civi-les nationales, traditionnellement enga-gés dans la dynamique altermondialiste,comme ceux des nouveaux mouve-ments que sont les Occupy ou les Indi-gnés.«La dignité recouvre la liberté, la jus-tice sociale et la justice donc par rapportau contexte international et à la crise éco-nomique , il est clair que le terme “dignité”est le mot d’ordre pour une mondialisa-tion de la lutte», affirme-t-il. Issus desréactions à la crise de 2008,ces nouveauxmouvements sont apparus en dehors dumouvement altermondialiste tradi-

tionnel. Or, même si leur mode d’or-ganisation est différent, eux aussi cher-chent à construire une nouvelle culturepolitique, basée sur l’horizontalité etl’auto-organisation.«Ils font le pari d’unchangement de culture politique et tra-vaillent beaucoup par assemblées,souligneNathalie Péré-Marzano. Il faudrait doncqu’à Tunis, nous arrivions à renouveler laméthodologie en permettant à ces mouve-ments de travailler comme ils l’entendent».

S’adresser aux 98%«Le nouveau défi à relever, c’est de faireen sorte que de nouveaux mouvementspuissent s’approprier l’espace du Forum»,explique Chico Whitaker. D’après lecofondateur du FSM, les mouvementscomme Occupy, qui disent représenterles 99% de la population délaissés parle système, n’incarnent en réalité que«1% de la population mondiale.Les 98%restant ne sont toujours pas impliqués dansles processus de changement». L’enjeuqui se pose est donc de s’adresser à ces98% afin de «leur faire prendre consciencedes risques que court le monde en suivantla machine industrielle productiviste»,insiste Chico Whitaker. Raison de pluspour que les nouveaux mouvements sejoignent aux acteurs du FSM, afin queperdure « le seul réel espace dans le monde,où tous les mouvements peuvent se recon-naître mutuellement, trouver des conver-gences, réfléchir ensemble, comprendre laréalité mondiale et ses mécanismes». Unpoint de vue que rejoint Alaa Talbi : «Ilfaut conserver le FSM qui est un momentde partage d’idées, d’expériences et pourlancer des pistes de travail.La convergenceavec les révolutions arabes et les nouveauxmouvements pourrait contribuer à repen-ser le processus».Une nouvelle étape dansl’organisation de la société civile mon-diale, quatorze ans après Seattle.

« Le terme “dignité” est le mot d’ordre pour une mondialisation de la lutte »

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Atme, Syrie, décembre 2012. Femmes et enfants attendent aussi l’avènement de leur révolution.

Libye, mars 2011. Des femmes manifestent devant le Palais de Justice de Benghazi.

Irak, Camp de Domiz, décembre 2012. Plus d’un demi million de personnes ont fui la Syrie.

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Autour du Forum social mondial

l’information, des outils de sa production et de leur diffusionsont un grand obstacle à la démocratisation de la communica-tion. La logique des grands groupes de médias et des logicielspropriétaires est la même –le bénéfice– et cela va à l’encontrede l’idée de la libre circulation des savoirs et de la connaissance.Radios communautaires, réseaux sociaux,Web 2.0, liberté d’ex-pression, logiciels libres, accès à l’information... Voici quelques-unes des thématiques qui seront à l’honneur lors de la 3e éditiondu Forum Mondial des Médias Libres qui aura lieu à Tunis du24 au 30 mars prochain dans le cadre du FSM. Dans un mondeoù la production d’information abonde, mais où l’accès à uneinformation plurielle, critique et diversifiée est de plus en plusdifficile, le FMML reste un espace pour explorer des pistes et desalternatives qui garantissent aux citoyens le droit à la “com-munication par tous et pour tous”. Une telle démocratisation dela communication est fondamentale, car nul projet de démo-cratie ne peut être crédible et pérenne sans elle. Cela passe avanttout par une appropriation, par chacune et chacun, des moyensd’information et de communication».

Forum Mondial Sciences et DémocratieDepuis 2007,le Forum Mondial Sciences et Démocratie1 coor-donné par la Fondation Sciences Citoyennes et les PetitsDébrouillards, réunit les acteurs des sociétés civiles et dumonde de la recherche, œuvrant pour que la science parti-cipe à la construction d’un monde plus juste. Fabien Pia-secki, co-secrétaire exécutif du FMSD, revient sur les enjeuxde l’édition 2013: «Moment attendu de dialogue entre mou-vements citoyens, chercheurs et universitaires du monde entier,la 3e édition du Forum Mondial Sciences et Démocratie (FMSD),qui se déroulera du 23 au 25 mars à la Faculté des Sciences Humai-nes et Sociales de Tunis, s’annonce particulièrement fructueuse.Deux ans après le début des révolutions arabes, au cœur du paysqui a vu se lancer un processus historique, effervescent, com-plexe, enthousiasmant et difficile, nous débattrons de la placedes savoirs, de leurs productions et des modalités de leur par-tage. Nous discuterons aussi des conditions à réunir pour fairedes aventures techniques et scientifiques, des enjeux d’éducationet d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation desoutils au service des solidarités entre les peuples et au sein desnations elles-mêmes. Pour la première fois depuis le lancementdu processus en 2007 à Nairobi (Kenya), le FMSD va enrichirsa méthodologie et ses enjeux d’un volet “Stratégie d’actions com-munes”. Nous en avions déjà ressenti le besoin à Dakar en 2011.Au-delà des nécessaires conditions du dialogue entre monde aca-démique et forces sociales, citoyennes de par le monde, il deve-nait impératif d’effectuer des propositions d’actions communes.»

Forum Mondial des Médias LibresLe Forum Mondial des Médias Libres (FMML)2, qui tien-dra également sa troisième édition à Tunis,promeut les médiasalternatifs et indépendants œuvrant pour une informationriche, à même de développer l’esprit critique des citoyens.Erika Campelo de Ritimo, association engagée dans la pré-paration de l’événement, revient sur ses fondements et surles enjeux qui l’animent en 2013: «La marchandisation de

Comme à chaque édition, le Forum social mondial est aussi l’occasion de grands rendez-vous entre acteurs de la société civile. À Tunis se tiendront ainsi un Forum parlementairemondial, un Forum des économistes mais aussi un Forum Mondial Sciences et Démocratieet un Forum Mondial des médias libres. Zoom sur ces deux dernières initiatives.

1. En savoir plus : Forum Mondial Scienceset Démocratie :www.fmsd-wfsd.org/fr/

2. En savoir plus : ForumMondial des Médias Libres, www.fmml.net

DIXIÈME ÉDITION DU FSM

GUSTAVE MASSIAH | REPRÉSENTANT DU CRID AU CONSEIL INTERNATIONAL DU FSM

Il a demandé au conseil du Forum Social Maghreb-Mach-rek d’en décider.Cependant, l’évolution de la situation égyp-tienne compliquait la tenue d’un forum. Les mouvementségyptiens ne se sentaient plus en mesure de maintenir leurinvitation. La Tunisie a donc été choisie. Les mouvementssociaux tunisiens ont pris extrêmement à cœur cette déci-sion, tant ils considèrent que c’est important pour eux etmême pour tout le monde. Ils ont d’ailleurs lancé la pré-paration du FSM à Redeyef, dans le bassin minier, là où acommencé la révolution en 2008 1. Parmi les travailleurs etles familles de Redeyef, 500 à 600 personnes étaient pré-sentes pour ovationner le lancement du FSM en Tunisie.Certaines d’entre elles ont demandé quelle influence leForum aurait sur la société civile tunisienne. Le Forumn’en aura pas directement. Ce ne sont pas les mouvementsdu reste du monde, notamment européens ou américains,qui vont venir expliquer comment il faut faire.Aujourd’hui,c’est même plutôt l’inverse. Le Forum aura une influences’il participe au renforcement des mouvements de la sociétécivile tunisienne. Il permettra aux mouvements sociaux dansle monde d’apporter leur appui à la société civile tunisienneet de témoigner de ce que la société civile mondiale doitdéjà aux mouvements sociaux tunisiens.

our que l’organisation d’un Forum social mondial(FSM) soit possible, deux conditions doivent êtreréunies. D’abord, un groupe de mouvements sociaux

du pays d’accueil doit inviter les autres à venir discuter chezlui. En Tunisie, c’est ainsi le Forum tunisien des droits éco-nomiques et sociaux (FTDES), l’Union générale des tra-vailleurs tunisiens (UGTT), la Ligue tunisienne des droitsde l’Homme (LTDH), l’Association tunisienne des femmesdémocrates (ATFD), l’Union des diplômés chômeurs(UDC) et bien d’autres qui ont notamment proposé d’ac-cueillir le Forum. La deuxième condition est plus compli-quée à remplir : il faut que les autorités publiques du paysl’acceptent et fassent preuve d’une neutralité, bienveillantesi possible, mais en tout cas d’une neutralité à l’égard duFSM. Quand le Conseil international a lancé un appel poursavoir quel pays était prêt à accueillir l’édition de 2013, lesorganisations canadiennes, égyptiennes et tunisiennes,parties prenantes du processus du FSM, se sont manifes-tées. La Tunisie et l’Égypte sont les deux pays dans lesquelsa éclaté une révolution. D’une certaine manière, c’est for-midable d’être accueilli par un pays qui est en plein tour-nant révolutionnaire. Le Conseil international était doncenthousiaste à l’idée d’organiser un FSM dans l’un d’eux.

Pourquoi et comment la Tunisie a-t-elle été choisie pour accueillir le Forum social mondial 2013? Réponse avec Gustave Massiah, représentant du Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID) au Conseil international du FSM.

P 1. En 2008, les grèvesdes mineurs du bassinde Gafsa ont secouépendant six mois cetterégion du sud-ouest de la Tunisie. Elles sontconsidérées comme le point de départ duprocessus révolution-naire tunisien.

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Avenue Bourguiba, Tunis, mars 2011. Des manifestants brandissentdes silhouettes représentant les martyrs de la révolution.

L’Université El-Manar de Tunis se prépare pour le FSM.

«Être accueilli par un pays qui est en plein tournant révolutionnaire»

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9ALTERMONDES SUPPLÉMENT8 ALTERMONDES SUPPLÉMENT

Le 21 novembre 2012, le CRID organisait un débat sur le thème: «Deux ansaprès le début des soulèvements populaires, quels enjeux d’un FSM dans larégion Maghreb-Machrek?». Cette session proposait un regard croisé entre laTunisie et l’Égypte, animée par les interventions d’Alain Gresh, directeur adjointdu Monde diplomatique, la sociologue Hela Yousfi et Chema Triki, candidated’Ettakatol, le parti de centre gauche tunisien, aux dernières élections.

Dans le cadre de la préparation du Forumsocial mondial (FSM) de Tunis, le CRID,en partenariat notamment avec Attac, IDD,Ipam, Récit et le Secours catholique, ontorganisé, entre novembre 2012 et février2013, un cycle de séminaires afin d’initier lesfuturs participants aux enjeux spécifiques

d’un Forum dans le contexte spécifique duMaghreb-Machrek. Quatre débats ont eulieu, sur le devenir des révolutions arabes, lesconflits et les basculements géopolitiques, ledéveloppement économique, social et écolo-gique ainsi que les migrations dans la région.Les articles qui suivent en sont issus.

Ces révolutions ont recréé le monde arabe

e 14 janvier 2010, le peuple tuni-sien chassait Zine el-Abidine BenAli, au pouvoir depuis 1987. Dixjours plus tard, Le Caire s’en-

flammait. Président de la Républiqueégyptienne depuis 1981, Hosni Mou-barak était contraint à la démission le11 février 2011. Dans les deux cas,quelques semaines auront suffi pourfaire chuter le régime. «Des dictateursqui paraissaient inamovibles sont tombés,on a eu l’impression que ça allait s’éten-dre», se souvient le journaliste AlainGresh. Aujourd’hui, la Tunisie et l’É-gypte doivent en effet affronter une crisepolitique et institutionnelle, et la situa-tion économique, en berne, attise lesrevendications sociales. Les électionssuccessives ont de surcroît plébiscitédeux partis islamistes, Ennahdha enTunisie et les Frères musulmans incar-nés par le nouveau président égyptien,Mohamed Morsi. Un revirement poli-tique considéré par de nombreuxmédias et observateurs occidentauxcomme un «prélude à un hiver islamiste».

Programme politique communEn Tunisie, « face aux difficultés qu’il esten train de rencontrer,Ennahdha est tentéde reproduire certaines tendances hégé-moniques de l’ancien régime», reconnaîtla sociologue Hela Yousfi. Même choseen Égypte, où Mohamed Morsi a réussià faire adopter un projet de constitu-

PAR ANNA DEMONTIS | ALTERMONDES

tion controversé, concentrant les pou-voirs entre les mains du président etbafouant les libertés d’expression etreligieuses. Mais les partis islamistesdoivent composer avec une oppositionet une société civile plus fortes quejamais, décidées à défendre les acquisrévolutionnaires. «Ces révolutions ontrecréé le monde arabe, explique AlainGresh. Les trois éléments moteurs –lademande de dignité face à un État arbi-traire, la réponse des peuples aux politiquesnéolibérales et la jeunesse– sont toujourslà. Ces aspirations de la population semanifestent toujours et elles sont très for-tes.» Les affrontements violents à Siliana(Tunisie) entre manifestants et forces del’ordre, qui se sont déroulés entre le 27

novembre et le 1er décembre 2012, ensont un exemple éloquent: déclenchéespar la nomination du cousin de l’ancienPremier ministre, Hamadi Jebali, auposte de gouverneur de la province, lesmanifestations avaient des revendica-tions sociales et économiques (chô-mage, développement régional) etdénonçaient les pratiques clientélistesd’Ennahdha qui compromettent la jus-tice sociale. Si la situation sur le terrainreste tendue, il est nécessaire de rappe-ler que les révolutions sont des proces-sus qui ne sont pas terminés,ni en Tuni-sie, ni ailleurs : «La presse a très peu parlédes mouvements de contestation de ces der-niers mois, en Jordanie, au Koweït et enArabie Saoudite»,poursuit le journaliste.

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COMPRENDRE LES ENJEUX ET LE CONTEXTE

«Est-ce que la Tunisie va devenir islamiste?C’est la seule question que les journauxinternationaux se posent », critiqueChema Triki, ancienne candidate d’Et-takatol, le parti de centre gauche tuni-sien. Or, les médias occidentaux fontpreuve d’une méconnaissance du pay-sage politique propre à chaque pays.Leur tort, analyser l’échiquier tunisienà travers le prisme de la bipolarisation.«Je ne pense pas que dans les dix pro-chaines années il y aura un parti hégé-monique qui pourra gouverner seul. Çane sera pas comme en France, avec l’al-ternance gauche-droite».Et Alain Greshprécise : «Le fait de partager une visionconservatrice de l’Islam ne fonde pas deprogramme politique commun».Dans des contextes économiques minéspar les transitions complexes que tra-versent l’Égypte et la Tunisie, force estde constater que les islamistes sont faceà leurs contradictions. Ils sont de sur-croit divisés sur les questions écono-miques, sociales mais aussi sur la placedonnée à leur rôle de prédicateurs.Depuis vingt ans, les relations entre lesFrères musulmans égyptiens et l’Ara-bie Saoudite sont ainsi très tendues.Demême, en Tunisie, Ennahdha reste uneforce politique qui agit comme telle etqui est traversée par des dissensionsinhérentes à tout parti. «Certains isla-mistes suivent clairement une logique

néolibérale et personne n’en parle, souli-gne Hela Yousfi. Or, c’est justement surce point qu’il faut attaquer Ennahdha etnon sur le clivage islamistes/laïcs.»

Contre-natureCe clivage est également mis à mal par« la conquête du pouvoir» qui structurele débat politique en Tunisie. «Le pre-mier risque, ce n’est pas l’instaurationd’une dictature religieuse, c’est l’ins-tabilité institutionnelle chro-nique. Les alliances politiquessont ponctuelles,elles se recom-posent et se décomposent,maiselles ne sont pas basées sur desprojets clairs », explique lasociologue.Bien qu’Ennahdha ait rem-porté la majorité des suffrages lors duscrutin d’octobre 2011, le gouverne-ment actuel est aussi composé de deuxpartis laïcs, le Congrès pour la Répu-blique et Ettakatol, tandis que l’oppo-sition considérée comme démocrates’allie avec des personnalités de l’ancienrégime. Chema Triki rejoint cette ana-lyse et reproche, par exemple, l’emploidu terme « démocrates progressistes»pour qualifier le rassemblement NidaTounes, formé par Beji Caïd Essebsi afinde réunir les forces de la gauche tuni-sienne: «De nombreux réseaux du RCD,le parti de Ben Ali, ont été ainsi réactivés.Nida Tounes est en fait divisé entre l’an-

cien régime et la gauche tunisienne». Lapreuve, selon Hela Yousfi, que « le cli-vage ne se fait pas entre islamistes et démo-crates»,mais entre « le peuple qui a voulula chute du régime et une classe politiquequi est en train d’entretenir les pratiquesde l’ancien régime». La sociologue metd’ailleurs l’accent sur les partis tunisiensqui cultivent une vision à court termede l’avenir du pays afin de tous s’unircontre Ennahdha, « le diable à abattre»,sans se soucier de construire un projetcommun.De fait,naissent des coalitions«contre nature», incapables d’affronterles défis économiques et sociaux.«Cettematrice de discours a occulté la questionsociale et la priorité est donnée au jeu poli-tique», conclut-elle. Ainsi, les débatss’attardent sur les législatives dont lesreports successifs entretiennent le blo-cage institutionnel du pays. «Ce qui meparaît important, c’est de revenir au dia-logue, préconise Hela Yousfi. L’instau-ration d’un État démocratique respecté partous ne se fera que s’il y a un compromisentre les tenants de la raison universelle etles défenseurs d’un ordre divin transcen-dant mais aussi un consensus sur le pro-jet de société social et économique alter-natif qu’on veut mettre en place» Resteque le peuple tunisien pourrait s'impa-tienter face à la stratégie à court termedes décideurs politiques et accélérer lui-même la tenue de nouvelles élections.

« Le fait de partager une vision conservatricede l’Islam ne fonde pas de programme politiquecommun »

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Février 2012, Ali Abdallah Saleh cède officiellement le pouvoir, après 33 ans à la tête du Yémen.

Benghazi, Libye, 2011. Après Ben Ali et Moubarak, c’est le régime de Mouammar Kadhafi qui tombe.

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10 ALTERMONDES SUPPLÉMENT

Le 12 décembre 2012, le CRID organisait un débat sur le thème «Conflits, guerres et basculements géopolitiques dans le monde arabe». Cette session proposait de resituer lesmultiples conflits existants aujourd’hui dans la région au sens large (notamment au Mali,en Palestine et en Syrie) dans leur histoire récente et à la lumière d’éléments d’analysetransversaux comme l’économie politique régionale ou le jeu des grandes puissances.

Une région en pleines mutations

i les mouvements qui se sontdéveloppés en 2011 dans la plu-part des pays arabes ont surprisle monde, ce ne sont pas pour

autant des accidents de l’histoire. Le«printemps arabe», qui se prolongesous diverses formes, est le symptômede mouvements profonds dans les socié-tés et de mutations politiques en coursdans la grande région arabe et son voi-sinage.

Une exception arabe ?Les pays arabes et d’Afrique ont connula domination coloniale, puis après desluttes de décolonisation plus ou moinsdifficiles, des indépendances qui n’ontpas tenu toutes leurs promesses deliberté et de prospérité pour les peuples.Pendant le troisième quart du XXe siè-cle, marqué par la mondialisation néo-libérale croissante, ils sont tombés sousde nouvelles formes de dépendance–on a même parlé de «recolonisation»–,une domination exercée au nom de l’ef-ficacité de l’économie libérale, voire duprogrès et des droits de l’Homme.Dans le monde arabe, après la fin desempires coloniaux, principalementfrançais et britannique, se sont déve-loppés des régimes autoritaires.Les unsnationalistes, non alignés dans lecontexte de Guerre froide, mais s’ap-puyant plus ou moins sur l’empiresoviétique, et les autres réactionnaires,constitués essentiellement des monar-chies conservatrices liées aux Occi-dentaux. Après les guerres israélo-arabes de 1967-1973, les États-Unis ontexercé leur influence dominante surquasiment tous les États de la région,ce qui n’a nullement contribué à atté-nuer le caractère despotique des régi-mes, bien au contraire ! Au point qu’onavait l’impression, jusqu’en 2011,d’une «exception arabe» par rapport

PAR BERNARD DREANO | PRÉSIDENT DU CEDETIM

aux aspirations des peuples à la démo-cratie.Or, depuis une vingtaine d’an-nées, chacun de ces pays a été traversépar de profondes évolutions internes.D’une part, l’accroissement importantde la population à la fin du XXe siècle,accompagné d’une massification de lascolarisation (et notamment de la sco-larisation des filles), a entraîné l’arrivéed’une classe d’âge nombreuse et relati-vement éduquée sur le marché du tra-vail, dès la fin des années 1990. Cetteclasse d’âge a manifesté des comporte-ments très différents de ceux des géné-rations précédentes, comme en témoi-gne la diminution très nette du taux denatalité (sur ce dernier point le mondearabe se distingue de l’Afrique subsa-harienne). D’autre part, les régimesautoritaires se sont trouvés incapablesde répondre aux défis économiques et

aux attentes des populations. Les mou-vements d’accaparement internes et lapression néolibérale externe ont aboutiau démantèlement des filets sociaux etdes services publics, à l’accroissementdes inégalités et à la constitution de clansde kleptocrates. L’incapacité de fournirdu travail aux nouvelles générations agénéralisé le phénomène des «chômeursdiplômés». Or ces mêmes régimes, plusou moins dépendants de l’Occident etdes dollars des pétromonarques, ontperdu leurs légitimités patriotiques.Tout comme le nationalisme arabe s’esteffondré en tant que courant poli-tique, le libéralisme démocratique s’estdiscrédité et la gauche,réprimée,est res-tée marginale.L’islamisme (notammentl’islam politique de type Frères Musul-mans) a alors occupé l’espace social,puisest apparu comme la principale alter-native politique.

Alliances et contradictionsOr, le système de contrôle de cetterégion stratégique, fondé sur l’hégé-monie politique américaine et sur sonalliance avec Israël et les pétromonar-chies, fonctionne de plus en plus mal,notamment depuis l’échec de l’opéra-tion irakienne et le réveil des mouve-ments populaires. Ces alliances sont eneffet lourdes de contradictions. Lespétromonarchies sont ainsi tout à la foisles alliées des Occidentaux, les soutiensde mouvements islamistes «frèristes»plus ou moins néolibéraux, mais aussila matrice (et souvent le support con-cret) des salafistes dont l’influence s’é-tend du Mali au Yémen (y compris lesdjihadistes armés anti-occidentaux).Sans compter que le pouvoir de ces

«EN CE QUI CONCERNE le soutien des pays ara-bes à la cause palestinienne, je voudrais distin-guer les gouvernements des populations. À uneépoque, on a ressenti une cohésion entre lesaspirations palestiniennes et la cause arabe.Toutefois, les instances palestiniennes ont tou-jours voulu une politique indépendante de cespays, afin que notre cause ne soit pas soumiseaux différends géopolitiques. Aujourd’hui, lasituation a changé. Les divisions régionales ontentrainé une division de l’entité palestinienne.

Les axes régionaux qui se sont dessinés cesdernières années, c’est-à-dire l’axe Iran –Syrie,d’un côté et l’axe Arabie Saoudite– Égypte prérévolutionnaire – Jordanie, de l’autre ont influen-cé notre combat. Les révolutions populairesdans les pays arabes ont aussi relégué ausecond plan la question palestinienne. Cela nesignifie pas que les populations ne sont plussolidaires avec les Palestiniens, mais le combatpour la liberté a pris le dessus.»

YOUSSEF HABASH | MILITANT PALESTINIEN

« LE COMBAT POUR LA LIBERTÉ A PRIS LE DESSUS »

«COMMENT PERÇOIT-ON le monde depuis les zones decombat en Syrie? La réaction globale de la population,c’est “pourquoi la communauté internationale nous laissetomber?”. Les sentiments d’abandon et d’incompréhensionsont partout. On retrouve aussi plusieurs théories du complot qui expliqueraient la passivité voire la complicité,selon certains, de la communauté internationale. Il y auraitun complot pour que les Syriens s’entretuent. Cette idéeest très courante. L’objectif serait donc de faire sortir laSyrie du jeu actuel. Une autre théorie affirme que l’objectifest de protéger Israël. L’Occident voudrait que le régimecontinue de tuer sa population afin qu’Israël soit assuréqu’aucun danger ne viendrait du côté syrien. Les Syriensconservent cependant le même objectif : renverser un régime tyrannique. Ils continuent d’ignorer les enjeux géostratégiques de leur combat alors que, compte tenu de la position géostratégique de la Syrie, toutes ces données influent sur l’attitude ou la passivité des uns et des autres.»

HALA KODMANI | JOURNALISTE FRANCO-SYRIENNE

« UN OBJECTIF : RENVERSER UN RÉGIME TYRANNIQUE »

S pétromonarques,provisoirement encoreassis sur les barils de pétrole,est menacéà terme par les failles croissantes de leurspropres sociétés.C’est dans ce contexte –et alors que laFrance intervient aussi au Nord Mali–que va se tenir le Forum social mon-

dial, lieu de convergence et de mobili-sation d’acteurs des sociétés arabes etafricaines en mouvements, mais aussimoment de réflexion collective sur lesévolutions politiques et sociétales et lescombats citoyens en cours, notammentdans cette région du monde.

COMPRENDRE LES ENJEUX ET LE CONTEXTE

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA DEMONTIS | ALTERMONDES

« Les pays du Maghreb sont devenus des pays d’immigration »

gine grâce à l’État, des organisations territoriales ou inter-nationales, ndlr]. La Tunisie devrait très prochainementadopter un droit d’asile interne, ce qui est nouveau. Lesconséquences ne seront pas seulement juridiques. L’adop-tion de ce droit va aussi influencer la définition de ce qu’estune persécution, de ce qu’est la protection d’un État, ellemodifiera le rapport de la Tunisie au droit international,la place accordée aux demandeurs d’asile et surtout, la figuredu réfugié. »

La problématique des flux migratoires est importantedans la région Maghreb-Machrek. Les flux du Sud vers

le Nord continuent, bien évidemment, car les révolutionset les bouleversements historiques produisent systémati-quement des déplacements de populations. En 1990-1991,c’est, par exemple, au Proche et Moyen Orient qu’il y a eule plus de migrations au monde, en raison de la guerre entrel’Irak et le Koweït. Un autre phénomène important, c’estque les pays du Maghreb ne sont plus seulement des paysd’émigration. Ils sont devenus des pays d’immigration. Ilsne peuvent donc plus faire semblant de nier une réalité quia comme conséquence de créer de nouveaux enjeux, en par-ticulier sur les questions des libertés publiques, des mino-rités, du droit des étrangers, du droit d’asile, des réfugiéset donc, plus largement, sur la question de la liberté de cir-culation. Or, seulement cinq pays du monde arabe ont signéla Convention de Genève [qui définit les règles de protectiondes personnes en cas de conflit armé, ndlr] : le Maroc, l’Al-gérie, la Tunisie, l’Égypte et le Yémen. Aucun des 22 paysarabes n’a de droit d’asile interne [qui permet à un réfugiéd’être protégé sur une partie du territoire de son pays d’ori-

Les bouleversements géopolitiques et nationaux qu’ont engendrés les révolutions ne sont pas sans conséquence sur les déplacements de populations dans la région. Point de vue de Smaïn Laacher, sociologue,juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile.

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Mali, octobre 2012. Les milices islamistes du MUJAO ont imposé la charia dans le nord du pays.

Les migrants subsahariens affluent sur les côtes libyennes pour tenter de rallier l’Italie.

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supplémentsupplément

13ALTERMONDES SUPPLÉMENT

L’arrivée au pouvoir de partis islamistes en Tunisie et en Égypte suscite de nombreuxdébats et pose la question de la place de l’islam dans la sphère politique arabo-musulmane.Le phénomène inquiète de nombreux observateurs occidentaux, en partie parce qu’il estanalysé uniquement par le prisme religieux. La réalité est plus complexe.

Révolution en terre d’islam

Un monde qui n’a pas été désenchanté, c’est-à-dire oùle sacré est toujours présent». C’est ainsi que la socio-

logue Sonia Dayan-Herzbrun, également présidente de laCommission islam et laïcité, aime définir le monde arabo-musulman.Quoique poétique, la formule empruntée à MaxWeber, le célèbre sociologue allemand, a de quoi surpren-dre puisqu’elle affirme une réalité que les puissances occi-dentales ont trop souvent préféré occulter : l’islam joue unrôle social déterminant dans les pays de la région Maghreb-Machrek.La demande de réislamisation de l’espace politiqueet social ainsi que la promotion de l’islam comme bannièresymbolique de la contestation de l’alliance avec l’Occidentsont très anciennes et elles ont été constamment refouléespar les pouvoirs. Les régimes de Ben Ali et de Moubarak ontbénéficié pendant de longues années du soutien politiquede l’Occident parce qu’ils apparaissaient comme un rem-part contre les islamistes. C’est un des éléments qui expli-quent les succès électoraux des islamistes, en Tunisie et enÉgypte.

Laboratoire politique«Les régimes autoritaires n’ont fait que décaler la séquence isla-miste», explique Hasni Abidi, directeur du Centre d’études etde recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM).Ces succès électoraux ne sont pas pour autant religieux. Unemajorité des partis politiques tunisiens et égyptiens d’au-jourd’hui faisait déjà partie du paysage électoral sous les dic-tatures. En Tunisie, l’extrême gauche et certains partiscomme le CPR, ont certes été constants dans l’opposition.Mais, les partis islamistes ont été très sévèrement réprimés.«Beaucoup d’entre eux ont fait de la prison, ils en tirent unelégitimité», poursuit le chercheur. Même dans la clandesti-

PAR ANNA DEMONTIS | ALTERMONDES

nité, ils sont toujours restés proches des populations,menantdes campagnes d’alphabétisation,construisant des cliniquesou prodiguant un accompagnement psychologique.Dès lors,les islamistes étaient capables de produire un discours cré-dible pour des milliers d’Égyptiens et de Tunisiens lors descampagnes électorales qui se sont déroulées entre la fin del’année 2011 et janvier 2012. Et Hasni Abidi de trancher:«L’islam politique au pouvoir n’est pas une fatalité dans le mondearabe, c’est une situation inévitable dans le processus de transi-tion démocratique».Doit-on en déduire que la réussite des transitions démo-cratiques tunisienne et égyptienne passe par l’intégrationdes islamistes au jeu politique ? Selon Hasni Abidi, dansun certain sens, les révolutions arabes sont une chance pourl’islam politique car «il est replacé dans le débat de société.Jamaisauparavant des mouvements prônant l’islam politique ne sontarrivés au pouvoir». À leur charge désormais de prouver quel’islam est la solution, de prouver «qu’ils peuvent par l’islamrésoudre des problèmes d’ordre économique et social. Nous som-mes devant un laboratoire politique dont l’islam est l’objet prin-cipal», conclut le chercheur.

PragmatismeLes débuts n’ont, certes, pas été des plus prometteurs. Tan-dis qu’en Tunisie, le premier projet de Constitution posaiten préambule la charia comme source du droit –une réfé-rence depuis abandonnée, sachant que le rapporteur du pro-jet de constitution propose maintenant que l’Article 1er fassede l’islam la religion d’État–, en Égypte le président Moha-med Morsi tentait de faire adopter un texte constitutionnelcontroversé,aboutissant à la concentration des pouvoirs entreles mains du chef de l’État. Faut-il y voir des tentatives hégé-moniques visant à imposer une interprétation rigoriste del’islam? Ces coups de forces ne sont-ils pas, plutôt, les jalonsd’une stratégie politique ayant pour but de forger un partide gouvernement de manière durable, avec tout ce que celasuppose de pragmatisme et de compromis et d’islamiser lepolitique, surtout sous l’influence de radicaux, salafistes ouTahrir, dont les doctrines politiques et religieuses ne sontpas toutes identiques? Les avis sont partagés dans la sociétécivile. Tour à tour accusés de laxisme et d’autoritarisme,Ennahdha et les Frères musulmans sont de fait aussi des for-ces politiques motivées par la conquête du pouvoir. Ils optentdonc pour des tactiques pragmatiques qui leur permettentde rallier les électeurs, tout en devenant des alliés incontour-nables pour constituer les majorités parlementaires.Certainsvont même jusqu’à les qualifier de partis centristes, voire de

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« libéraux musulmans», puisqu’ils défendent des lignessocio-économiques néolibérales, en préservant notammentles partenariats avec l’Europe. Les Frères musulmans égyp-tiens ont ainsi contracté un prêt à intérêt de 4,8 millionsd’euros auprès du Fonds monétaire international (FMI), le20 novembre 2012,une pratique pourtant contraire aux règlesde la finance islamique.Ces partis islamistes peuvent néanmoins être amenés à dur-cir leur position religieuse, si le rapport de force politiquele leur permet. Une pression non négligeable pourrait éga-lement venir des mouvements salafistes, en vue des électionsde l’Assemblée constituante tunisienne et du scrutin légis-latif égyptien. Les partis du Front de la réforme (Tunisie) etAl-Nour (Égypte) sont « sortis du bois», selon les motsd’Hasni Abidi, afin de se distinguer des islamistes au pou-voir qu’ils jugent trop modérés. Mais là encore, le bât blesse :«On lit le Coran dans différentes traductions, c’est un texte extrê-mement complexe,écrit dans une langue ancienne.Chaque sou-rate, chaque terme est interprété indéfiniment»,prévient Sonia Dayan-Herzbrun.Il existe en outresept interprétations officielles de la charia qui seréfèrent à différentes écoles juridiques. «La cha-ria,c’est un discours politique,c’est souvent une appro-priation par les détenteurs du pouvoir de codes, derègles ou de lois coutumières qui ne figurent pas for-cément dans l’islam.» Dans ces conditions,qui peutlégitimement affirmer que le respect de la charia passe parl’application des huddud,ces règles selon lesquelles,par exem-ple, il faudrait lapider les coupables d’adultère ou couper lesmains des voleurs? Une tâche « impossible», concède HasniAbidi avant de préciser : «La religion est un argument marke-ting, un référent idéologique pour les islamistes et un argumentpour leur base électorale.» Ainsi, au Soudan, au Pakistan, enIran ou en Arabie Saoudite, les modalités d’application de laloi islamique varient selon les interprétations des décideurs.

Sans concessionLes partis islamistes, tels Ennahdha et les Frères musulmans,adoptent d’ailleurs aujourd’hui un discours conservateur, àl’image de l’AKP turc, plutôt qu’une rhétorique idéologiqueislamiste qui serait inspirée de la révolution iranienne de 1979.Mis à part la gestion contestée de la question kurde par Ankaraet les graves violations des droits humains qu’elle entraîne,« la Turquie peut servir de modèle à ces partis conservateurs»,d’autant qu’elle jouit «d’un développement intellectuel et éco-nomique», argumente Mme Dayan-Herzbrun, laquelle mettoutefois en garde contre un scénario «à l’iranienne»: «Si lespuissances occidentales n’avaient pas soutenu le Shah, si ellesn’avaient pas armé jusqu’aux dents l’Irak pour qu’il attaquel’Iran, le régime ne se serait sûrement pas autant radicalisé.»Les Occidentaux doivent donc être prudents et ne pas menerde «campagne internationale qui délégitimerait totalement lespartis comme Ennahdha et les Frères musulmans. Ce genre dedémarche produirait un effet de durcissement».Ils devront danstous les cas composer avec les partis islamistes,acteurs majeursde la scène politique arabe et composante intégrante de cessociétés dont l’horizon symbolique et culturel demeurel’islam.Car si personne ne peut prédire l’avenir, il semble toutefoispeu probable à ce jour que les peuples tunisien et égyptienfassent des concessions sur les acquis de leur révolution. Àl’heure où les populations arabes ont manifesté leur désirde dignité, de liberté et de démocratie, les régimes autori-taires ne peuvent plus servir de modèles. La très forte réac-tion de la rue qui a suivi l’assassinat, le 6 février dernier, deChokri Belaïd, figure de l’opposition de gauche tunisienne,semblerait le prouver.

COMPRENDRE LES ENJEUX ET LE CONTEXTE

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Camp de Hatay, Turquie, juillet 2012. Des réfugiéssyriens prient sous une tente.

Décembre 2012, un homme prie à la frontière turco-syrienne.

« L’islam politique au pou-voir n’est pas une fatalitédans le monde arabe, c’estune situation inévitabledans le processus detransition démocratique »

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15ALTERMONDES SUPPLÉMENT

PROPOSITIONS ET EXPÉRIENCES ALTERNATIVESLA SOCIÉTÉ CIVILE TUNISIENNE

N’en déplaisent aux Cassandres qui ne voudraient voir dans la Tunisie que les cendres d’une révolution déjà avortée, une multitude d’organisations de la société civile tunisienne, à l’instar d’Al Bawsala (qui signifie la boussoleen arabe) agissent, concrètement, au quotidien, et ne lâchent rien pour quel’espoir suscité par la révolution conduise à une véritable démocratie.

Al Bawsala fait vivre la démocratie tunisienne

ne rencontre entre députés et citoyens s’est tenue samedi12 janvier à Siliana (ouest de la Tunisie), six semainesaprès le soulèvement durant lequel plusieurs dizainesde manifestants ont été blessés par des tirs de «che-

vrotine» de la police. La colère s’est exprimée sans com-plaisance. Installés de plain pied avec leur public dans la courde la maison de la culture de Siliana, quatre députés de laConstituante – Haythem Belgacem (Congrès pour la Répu-blique, CPR), Issam Chebbi du parti Joumhouri (ex-PDP),Selma Mabrouk (indépendante, et ex-Ettakatol) et ZiedDoualetli (Ennahdha) – ont encaissé sans filtre les remon-trances de jeunes,blessés ou parents de blessés,qui n’avaientpas eu l’occasion de s’exprimer depuis les quatre jours d’é-meutes, fin novembre.

Passions déchaînéesToutefois, dans une ville désormais plutôt acquise à l’op-position, c’est un membre du bureau local du parti au pou-

PAR THIERRY BRÉSILLON | JOURNALISTE

voir Ennahdha qui a cru devoir lancer les hostilités en s’enprenant à Issam Chebbi et au parti Joumhouri tenté par l’al-liance avec Nidaa Tounes, dirigé par Béji Caïd Essebsi.Avantde critiquer les protestataires des mouvements sociaux quiagitent le pays : «Il faut interdire les grèves de la faim. Quandun parti a gagné les élections, les autres doivent accepter et setaire! Et de conclure: C’est nous qui avons libéré Siliana de BenAli!» Ce à quoi des jeunes n’ont pas manqué de rétorquer:«C’est nous qui étions dans la rue. Toi, on ne t’a jamais vu. Tuétais caché!» Le député d’Ennahdha,Zied Doualetli a eu beauappelé à la sagesse et souligner qu’«aucun parti n’a libéré laTunisie, la fin du régime de Ben Ali est l’œuvre du peuple tuni-sien», les passions étaient déchaînées.

La colère des blessés du RachCertains s’en sont pris à Béji Caid Essebsi pour avoir faitarrêter à titre préventif, du temps qu’il était Premier minis-tre de la transition (de mars à novembre 2011), plusieurs

AL BAWSALA

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L’ASSOCIATION AL BAWSALA vise trois objectifs : replacerle citoyen au cœur de l’action politique en lui donnant lesmoyens de s’informer sur l’activité des élus et de défendreses droits fondamentaux ; établir des relations avec lesélus et les décideurs afin d’œuvrer à la mise en placed’une bonne gouvernance et d’une éthique politique; participer à la défense de l’idée de progrès social et d’émancipation du citoyen. Ses activités consistent en une veille sur le travail législatif et exécutif, la promotionde la transparence et de la culture du «devoir de rendrecompte», la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles et l’aide au développement des initiatives citoyennes.

CONTACT : Al Bawsala, 43-45 Avenue Habib Bourguiba,Immeuble le Colisée, 1000, Tunis, www.albawsala.com/fr

MÉDIAS CITOYENSEN TUNISIE, l’effervescence citoyenne n’a d’égal que ledynamisme des médias indépendants. Lancé en 2004,Nawaat.org est un blog collectif indépendant, qui donne laparole à tous ceux qui, par leur engagement citoyen, laprennent, la portent et la diffusent. Nawaat anime égale-ment depuis 2011 le projet Jaridaty, qui a pour objectif decréer et développer des clubs de journalistes-citoyens ausein des maisons de jeunes situées sur tout le territoiretunisien. En partenariat avec Nawaat, mais aussi le CCFD –Terre Solidaire, le CRID, la FIDH, Reporter Citoyen, leSPIDH et l’UPIC, Altermondes mène, sur l’année 2013, unprojet de formation de jeunes de quartier à l’écriture jour-nalistique1. 15 jeunes tunisiens et 8 jeunes franciliens serendront ainsi au FSM de Tunis, où, encadrés par des jour-nalistes français et tunisiens, ils réaliseront un journalquotidien en ligne du FSM.

A SUIVRE SUR : Altermondes - www.altermondes.org, Jaridaty - www.jaridaty.net et Nawaat - www.nawaat.org

1. Le projet est soutenu par les Régions Ile-de-France et Pays de la Loire ainsi que par la Fondation de France.

dizaines de jeunes. Puis au gouvernement actuel de les avoirmaintenus en détention sans procès avant d’être libérés aprèsles incidents de novembre. D’autres ont interpellé HaythemBelgacem sur les déclarations du secrétaire général du CPR,Mohamed Abbou, qui avait affirmé que les jeunes de Silianan’avaient manifesté que parce qu’on leur avait donné 70 dinarspour descendre dans la rue.Mais c’est le sort des blessés à la «chevrotine» –le «rach»–,notamment ceux qui ont reçu des plombs dans les yeux, quia suscité l’angoisse la plus pressante. Le père d’unadolescent de 15 ans, atteint alors qu’il rentrait del’école,et dont l’œil est désormais perdu,a demandéla justice pour toutes les victimes et juré que si,dans la semaine, une solution n’était pas trouvéepour soigner les jeunes blessés, Siliana s’enflam-merait à nouveau.Une famille a signalé le cas d’unjeune dont un ophtalmologue belge pourraitencore sauver l’œil, si l’intervention a lieu rapi-dement, à condition que son coût de 4500 euros soit pris encharge. Face à cette demande, Issam Chebbi a appelé le gou-vernement à prendre ses responsabilités. Zied Doualetli lui,faisant valoir que les procédures administratives pour déblo-quer les fonds et obtenir les devises auprès de la Banque cen-trale seraient trop longues, s’est engagé à trouver lui-mêmele montant nécessaire. Il a invité un membre de la famille àl’accompagner à Tunis pour régler le problème. Propositiondont un jeune homme n’a pas manqué de souligner l’am-bivalence: «On ne peut pas tout régler de cette façon. Vous nepouvez pas nous acheter. Ce que nous demandons c’est la jus-tice». Avant de mettre en cause le nouveau gouverneur,nommé après les émeutes de novembre: «Le nouveau gou-verneur est pire que l’autre.»

Désacraliser le politiqueSi le débat a dû être interrompu au bout de moins d’uneheure, tant les passions devenaient impossibles à canaliser,il a pourtant atteint son objectif, selon Amira Yahyaoui, l’unedes fondatrices d’Al Bawsala : «Nous voulons approcher dudébat le plus pur, aussi proche que possible des citoyens, avec desmoyens rudimentaires, en plein air, où les gens n’hésitent pas à

prendre la parole. Pas de table, pas d’estrade qui crée une dis-tance. L’objectif est de désacraliser le politique, quitte à ce queles élus soient un peu chahutés.Nous ne modérons pas les débats,nous n’intervenons que pour couper court à la langue de bois etpour garantir la sécurité des gens.» Même si à plusieurs repri-ses, les participants à Siliana sont venus prendre à partie lesélus au plus près, les yeux dans les yeux, Selma Mabroukassure: «À aucun moment nous n’avons ressenti de menace.Aucontraire, cela prouve que même s’ils disent qu’ils n’ont plusconfiance dans les politiques, ils continuent à reconnaître queles élus ont un rôle à jouer.» Zied Doualetli, le plus chahutéde tous, relativisait : « J’ai passé douze ans dans une celluled’isolement, j’ai enduré des souffrances plus dures que celles-ci.Les jeunes de Siliana n’avaient pas eu l’occasion de rencontrerdes politiques depuis. C’est normal que leur colère s’exprime.»C’était le quatrième débat organisé par l’association Al Baw-sala, chacun est différent en fonction du contexte. Parailleurs, Al Bawsala assure un suivi permanent en direct desdébats à la Constituante sur Twitter.

Les braises de la révolutionMais l’expérience de Siliana prouve que l’aspiration à la dignitén’est pas un vain mot,que les braises de la révolution sont loind’être éteintes et qu’il y a toujours des Tunisiens vigilants pourdemander des comptes à leurs élus, quels qu’ils soient. Sur lechemin du retour,Amira Yahyaoui commentait:«Maintenant,il faut que les familles des blessés s’organisent pour poser le pro-blème de manière plus générale, plutôt que de défendre chacuneson cas. Nous allons faire en sorte que ce soit le prolongementde cette rencontre.» Ces débats montrent aussi que quelquechose a bien changé en Tunisie. Que l’enjeu principal de cetteépoque post-dictature, est moins de juguler une menace sala-fiste, que de remplacer le clientélisme par le politique et deconstruire l’espace démocratique dans une société somméede se taire depuis des décennies.

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Correspondant deRue 89 en Tunisie,Thierry Brésillonanime le bloghttp://blogs.rue89.com/tunisie-libre, unevéritable mine d’information pourqui souhaite lire desreportages, analyseset entretiens afin de décrypter latransformation de laTunisie post-dictature.

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« Pas de table, pas d’estrade qui crée unedistance. L’objectif est dedésacraliser le politique,quitte à ce que ce que les élus soient un peuchahutés. »

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Un citoyen de Siliana prend à partieun député d’Ennahdha.

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Cette publication a été réalisée avec l’aide financière del’Agence française de développement (AFD). Son contenu relève de la responsabilité d’Altermondes et duCRID, et ne peut en aucun cas être considérécomme reflétant les positions de l’Agence.

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_Changer le monde: [Nouveau] moded’emploi, Chico Whitaker, Éditions del’Atelier, 2006_Idées reçues sur le monde arabe,Pierre Vermeren (dir.), Editions Cavalier bleu, 2012_L’islam, la République et le monde,Alain Gresh, Hachette Pluriel, 2006_La perle et le colonel. Réflexions surle printemps arabe, Bernard Dreano,Éditions Non Lieu, 2011_Le peuple veut –Une explorationradicale du soulèvement arabe, Gil-bert Achcar, Editions Actes Sud,2013_«Sur les braises du “printempsarabe”», Alain Gresh, Hela Yousfi,Eric Rouleau et Wendy Kristianasen,Le Monde diplomatique, novembre 2012

_Tout a commencé à Porto Alegre...,Bernard Cassen, Editions Mille et une nuits, 2004_Tunisian Girl : blogueuse pour unprintemps arabe, Lina Ben Mhenni,Éditions Indigène, 2011_Tunisie, une révolution arabe, Pierre Puchot, Editions Galaade, 2011_Tunisie, la révolution confisquée,Pierre Puchot, Actes Sud, 2012_Une stratégie altermondialiste, Gustave Massiah, Editions La Découverte, 2011

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