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Melchior Mbonimpa Diangombé, l’Immortel Prise deparole Roman

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  • Melchior Mbonimpa

    Diangombé, l’Immortel

    Prise deparoleRoman

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  • Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.

    Éditions Prise de parole C.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2 www.prisedeparole.ca

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC), du programme Développement des communautés de langue officielle de Patrimoine canadien, et du Conseil des Arts du Canada pour nos activités d’édition. La maison d’édition remercie également le Conseil des Arts de l’Ontario et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

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    http://www.prisedeparole.ca

  • Diangombé, l’Immortel

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  • Du même auteur

    RomansLa tribu de Sangwa, Sudbury, Prise de parole, 2012.La terre sans mal, Sudbury, Prise de parole, 2008.Les morts ne sont pas morts, Sudbury, Prise de parole, 2006, prix

    Christine-Dumitriu-Van-Saanen.Le dernier roi faiseur de pluie, Sudbury, Prise de parole, 2003.Le totem des Baranda, Sudbury, Prise de parole, 2001, prix Jacqueline-

    Déry-Mochon.

    ÉtudesGuérison et religion en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2012.Défis éthiques contemporains, Sudbury, Prise de parole, coll. « Agora »,

    2009.La « Pax Americana » en Afrique des Grands Lacs, Hull, Vents d’Ouest,

    2000.Défis actuels de l’identité chrétienne. Reprise de la pensée de Georges Morel

    et de Fabien Eboussi Boulaga, Paris / Montréal, L’Harmattan, 1996.Ethnicité et démocratie en Afrique. L’homme tribal contre l’homme

    citoyen ?, Paris, L’Harmattan, 1994.Hutu, Tutsi, Twa. Pour une société sans castes au Burundi, Paris,

    L’Harmattan, 1993.Idéologies de l’indépendance africaine, Paris, L’Harmattan, 1989.

    Cinquante exemplaires de cet ouvrage ont été numérotés et signés par l'auteur.

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  • Melchior Mbonimpa

    Diangombé, l’Immortel

    Roman

    Éditions Prise de parole Sudbury 2014

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  • Œuvre en première de couverture et conception de la couverture : Olivier Lasser

    Tous droits de traduction, de reproductionet d’adaptation réservés pour tous pays.Imprimé au Canada.Copyright © Ottawa, 2014

    Diffusion au Canada : Dimedia

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaMbonimpa, Melchior, 1955-, auteurDiangombé, l'immortel / Melchior Mbonimpa. Publié en formats imprimé(s) et électronique(s). ISBN 978-2-89423-931-5. –ISBN 978-2-89423-772-4 (pdf ).

    ISBN 978-2-89744-018-3 (epub) I. Titre.

    PS8676.B65D53 2014 C843'.6 C2014-906849-2 C2014-906850-6

    ISBN 978-2-89423-931-5 (Papier)ISBN 978-2-89423-772-4 (PDF)ISBN 978-2-89744-018-3 (ePub)

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  • À Nailah, ma petite-fille qui vient de naître et qui me lira un jour, en français.

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    Avant-propos

    En guise d’entrée, je me permets de proposer au lec-teur une brève évocation du contexte géographique, historique et politique dans lequel se déroulera l’action de ce roman, évocation destinée à planter le décor. Soulignons d’abord que l’écriture n’est parvenue en Afrique des Grands Lacs qu’à la fin du dix-neuvième siècle, avec la colonisation européenne. La documen-tation écrite actuellement disponible sur cette région à l’époque de Ryangombe1, c’est-à-dire durant la seconde moitié du quinzième siècle de notre ère, est basée sur des sources orales recueillies par des ethnologues et des missionnaires chrétiens dès le début de la colonisation.

    Au temps de Ryangombe, la forêt vierge à l’ouest et la savane à l’est couvraient l’essentiel de l’Afrique interlacustre. Au centre de cette région ont vu le jour de minuscules royaumes, dont le Bushi, le Rwanda, le Burundi, le Buha, le Bushubi, le Gisaka, le Bugesera, le Toro, le Karagwe, le Nkore, le Nyoro, le Haya,

    1 Le nom du héros s’écrit aussi Lyangombe. La prononciation la plus proche, et qui est privilégiée dans ce roman, est Diangombé. Au Burundi, on l’appelle aussi Kiranga.

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    le Buganda… Ces royaumes guerroyaient sans cesse les uns contre les autres. On y parlait des dialectes qui étaient des variantes de la même langue. Les monarques régnant sur ces territoires portaient les titres de Kabaka, Bakama, Bagabe ou Bami. Ils étaient dotés de tambours sacrés, emblèmes magiques réputés plus puissants que toutes les autres forces réunies, y compris les armées et les troupeaux de vaches dont la taille déterminait l’importance ou l’insignifiance du potentat qui les possédait. La grandiloquence des aèdes gagés a élevé ces monarques à la surhumanité. Il est pourtant évident que les exploits décrits dans ces épopées aux péripéties similaires et répétitives ne furent pas aussi gigantesques que la littérature orale voudrait nous le faire croire.

    La poésie guerrière destinée à célébrer les exploits des rois et de leurs armées n’était pourtant pas entièrement biaisée ou manipulée. Ainsi, l’historien Alexis Kagame souligne que beaucoup de récits anciens racontent tout bonnement les échecs retentissants, et même l’extermi-nation complète d’un corps expéditionnaire. Il cite au moins dix cas de récits d’échec, dont les plus anciens remontent aux origines de l’histoire du Rwanda. Il est vrai que ces récits proviennent de « bardes popu-laires » plutôt que des griots du règne1. Mais on peut dire que, comparés aux célèbres conquérants qui ont fondé d’immenses empires ailleurs sur le continent noir, comme le Malien Soundjata, ou le Zoulou Chaka, pour ne citer que ceux-là, les monarques de

    1 Alexis Kagame, « Documentation du Rwanda sur l’Afrique inter-lacustre des temps anciens », dans Civilisation ancienne des peuples des Grands Lacs, Paris, Karthala, 1981, p. 317-318.

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    la protohistoire de l’Afrique des Grands Lacs n’étaient que des chefs de bande, des roitelets.

    En plus des bovins à grandes cornes, économique-ment surévalués, qui faisaient la fierté des princes et des hommes issus de hauts lignages, le petit peuple élevait des ovins et des caprins. Il cultivait aussi des plantes, très peu variées, les nombreuses espèces vivrières originaires des Amériques n’ayant pas encore été intro-duites en Afrique. Elles le seront grâce au « commerce triangulaire » qui s’établira à travers l’Atlantique. De ce commerce, on ne retient souvent que le côté honteux : la traite chrétienne des esclaves. On oublie que quantité de plantes nourrissantes (maïs, haricot, tomate, pomme de terre, manioc, arachide…) avaient été apprivoisées par les Autochtones des Amériques longtemps avant d’être diffusées dans le monde entier. Ces espèces vivrières profiteront à l’Afrique des Grands Lacs, mais elles n’at-teindront cette région très enclavée que deux ou trois siècles après avoir été introduites sur la côte atlantique.

    À l’époque qui constitue la toile de fond sur laquelle se déploie la geste de Ryangombe et de ses adeptes dans le temps historique, l’Afrique interlacustre n’avait que quelques céréales localement domestiquées, comme le sorgho et l’éleusine. On y cultivait sans doute aussi des légumes – l’amarante, la courge dont on mangeait les feuilles et le fruit, l’igname, des tubercules comme la colocase (qu’on appelle aussi taro) et la patate douce, qui s’était diffusée depuis très longtemps dans les régions tropicales et subtropicales d’Amérique, d’Océanie et d’Afrique.

    Le bananier, venu du continent indien, était parvenu dans cette zone longtemps avant que les

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    navigateurs portugais n’aient accompli la circonvolu-tion du continent vers la fin du quinzième siècle. Car entre la côte orientale de l’Afrique, l’Inde et la Chine, les échanges commerciaux par l’Océan Indien ont précédé de plusieurs siècles l’arrivée des Européens. C’est ce qui explique que, bien avant les nombreuses espèces vivrières d’origine américaine, le bananier ait atteint cette région de l’Afrique, alors qu’avec l’ouest, la barrière infranchissable de la forêt vierge limitait les échanges. En plus de la bière fabriquée à partir des céréales, le vin de banane agrémentait déjà les palabres, mais la banane se mangeait aussi comme légume vert ou comme fruit mûr. À côté des produits de l’élevage et de l’agriculture, la chasse, la pêche et la cueillette fournissaient de quoi améliorer l’ordinaire dans l’ali-mentation des populations.

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    Comme chez beaucoup d’autres peuples, on pratiquait dans cette zone une « religion première », basée sur le culte des ancêtres et la croyance en divers esprits parfois bienveillants, mais surtout malveillants. Puisqu’on sup-posait que les mânes et les esprits tissaient le destin des mortels, on leur adressait des prières et on leur offrait des sacrifices destinés à obtenir leur faveur ou à apai-ser leur colère. Ces mânes, esprits ou génies, n’étaient pas considérés comme des divinités. On croyait en un seul Dieu, tout-puissant, mais lointain : un Dieu caché auquel on n’adressait aucune prière, aucune louange, aucun chant, aucun poème. Un Dieu arbitraire, qui accordait ou retirait ses faveurs à qui et quand il le vou-lait. Imana-Dieu était perçu comme le créateur incréé,

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    existant de toute éternité, qui n’avait besoin d’aucun sanctuaire où les suppliants lui rendraient un culte. On disait de lui qu’il avait abandonné le monde et les humains afin de laisser aux esprits et aux génies de la Terre la tâche subalterne de les gouverner. Mais du haut de sa puissance, il se réservait le droit d’intervenir souverainement dans les affaires du monde, et nul ne savait quand, pourquoi et où il interviendrait, ni de quelle nature seraient ses spectaculaires manifestations.

    Chaque père de famille officiait dans le sanctuaire domestique dédié aux ancêtres, mais pour se prému-nir du malheur, limiter ou réparer les dégâts quand la malchance avait déjà frappé, on pouvait consulter des spécialistes du sacré. Ces devins ou clairvoyants jouaient donc un rôle considérable. On sollicitait leurs oracles avant de déclarer la guerre, de faire un long voyage, de se marier, mais aussi et surtout pour se protéger des mauvais coups du destin.

    Les habitants de ces royaumes de l’Afrique interla-custre avaient une conscience très aiguë du drame d’être mortel et de la fragilité de l’existence. Ils croyaient en une vie après la mort, mais une vie diminuée qui pouvait rendre les trépassés jaloux des vivants. Et il ne s’agissait pas d’une vie éternelle : cette existence misé-rable et peu enviable dans les ténèbres souterraines ne durait que trois générations avant de se dissoudre dans le néant. Les naturels de cette région partageaient avec les bouddhistes le verdict pessimiste de la première noble vérité du Sermon de Bénarès : « La vie est souf-france », et le bébé a raison de pleurer en sortant du sein de sa mère. Mais alors que le bouddhisme propose des voies de salut, des chemins de libération pour

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    échapper à l’enfer des réincarnations, les croyances des habitants des anciens royaumes de l’Afrique des Grands Lacs n’offraient aucun moyen d’échapper au désastre de la vie sur Terre et à la malédiction de la vie diminuée sous terre. Il n’y avait qu’une option : la résignation.

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    Aucun des monarques régnant dans cette région et à cette époque n’est parvenu à jeter les bases d’une vaste civilisation. Mais les héros civilisateurs qui imposent de grands bouleversements ne sont pas toujours des rois ou des membres de l’élite dominante. Ryangombe, personnage fascinant et flamboyant qui sut transcender l’univers étriqué de ces principautés – qu’on pouvait traverser à pied en moins d’une semaine –, n’apparte-nait probablement pas, ou n’a pas voulu appartenir, à la caste dominante. Il aurait délibérément choisi d’habi-ter la marge, la périphérie, plutôt que le centre néces-sairement conservateur.

    Encore de nos jours, on célèbre la geste de ce héros mythique qui a su rallier, fédérer, plutôt que diviser et opposer les habitants de ces royaumes jusqu’alors enlisés dans des conflits sans fin. Plus de cinq siècles après, on revendique encore l’héritage de Ryangombe dans toute la zone que couvre actuellement le nord-ouest de la Tanzanie, une grande partie de l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et le nord-est de la République démocratique du Congo.

    Ryangombe, également appelé Kiranga au Burundi, jouit donc d’un culte « international ». On lui accorde le titre de roi, alors qu’il ne régna sur aucun des

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    royaumes où son influence s’est répandue. Le clair-voyant Ryangombe ne convoitait aucun trône, aucun tambour royal, aucun troupeau de bovidés. Il a plutôt choisi de régner sur les cœurs et les esprits, auxquels il offrait pour la toute première fois cette chose inouïe : l’espérance de l’immortalité individuelle et d’une vie heureuse outre-tombe. Le contexte était pourtant dominé par la croyance selon laquelle « le seul contre-poids de la mort est d’engendrer ».

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    Dans ce roman, en me servant de l’aventure de Ryangombe et de sa secte initiatique comme matière à fiction, je ne fais qu’imiter d’autres créateurs d’œuvres d’art, qui se sont inspirés de la mythologie héritée de leurs ancêtres. À eux, comme à moi, l’inépuisable mémoire des origines fournit de la matière à travailler. Ainsi, depuis la renaissance jusqu’à nos jours, la mytho-logie gréco-romaine alimente la peinture, la statuaire, l’architecture et la littérature (roman, théâtre, poésie) de l’Occident chrétien et postchrétien. Pourtant, pendant le millénaire qu’a duré l’ère constantinienne (du début du quatrième siècle à la Renaissance au quinzième siècle), le christianisme avait relégué aux oubliettes la civilisation hellénistique qu’il avait délogée du bassin méditerranéen.

    Ryangombe, le personnage principal de ce roman, ne sera l’objet d’aucun maquillage destiné à le rendre acceptable aux lecteurs pratiquant l’une ou l’autre des deux religions abrahamiques présentes en Afrique des Grands Lacs : le christianisme et l’islam. Il est impos-sible de produire une hagiographie de Ryangombe, les

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    traditions de cette région ne sentant aucun besoin de le canoniser. Elles prêtent à cet ancêtre apothéosé des défauts et même des traits scandaleux : il est médiocre au jeu du trictrac, il ment souvent, il manque de respect envers sa mère, il se vante de ne pas pas-ser une seule nuit sans une femme dans ses bras… Remarquons au passage que Zeus dans la mythologie grecque ou Krishna dans la mythologie hindoue ne pourraient pas non plus se qualifier dans un concours de « sainteté » selon les critères des religions abraha-miques. En regardant les aventures sexuelles de ces deux divinités avec des lunettes chrétiennes ou musul-manes, on serait obligé de leur coller le label infâmant d’adultères incorrigibles et, bien entendu, ce jugement hors contexte serait dénué de toute pertinence. Étant donné que l’univers sacré où ces figures ont été (ou sont encore) vénérées est radicalement différent de celui des religions abrahamiques, toute tentative de comparaison serait absurde.

    Il semble bien que Ryangombe ait été un rebelle infatigable, habité par une invincible passion pour la liberté. Libre, il l’a été vis-à-vis des rois, de la richesse, des tabous sexuels et des croyances religieuses de son époque, qui offraient peu de remèdes contre le déses-poir. C’est cela qui rend exemplaire et étonnamment « prométhéenne » l’aventure de cet être d’exception en quête d’absolu hors des sentiers battus.

    De tous les personnages mis en scène dans ce roman, seuls quelques-uns sont historiques. La tra-dition orale de l’Afrique des Grands Lacs parle de Ryangombe et de son fils Binego dans des récits où le merveilleux s’invite. Cela a amené certains à conclure

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    que ces deux personnages seraient légendaires. Cette opinion est contredite par les spécialistes, qui privi-légient l’hypothèse de leur historicité. Ainsi, selon Alexis Kagame, Ryangombe serait contemporain de Ruganzu II Ndoli1, roi du Rwanda de 1467 à 1500, qui aurait combattu la secte naissante sans parvenir à l’anéantir. Les noms des rois du Rwanda mentionnés dans le roman, dont Ruganzu, sont historiques, ainsi que ceux des monarques du Burundi auxquels on fait allusion dans le roman. Tous les autres personnages sont fictifs, y compris les membres de la famille de Ryangombe.

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    Les conventions à propos de la transcription des lan-gues peuvent rendre la lecture fastidieuse. Je sais que la majorité de mes lecteurs ont le français comme langue maternelle. Donc, au risque de fâcher ceux qui sont familiers du mode de transcription des sons en vigueur dans les idiomes de l’Afrique des Grands Lacs, j’opte pour une « francisation » phonétique partielle. Je me permettrai quelques transgressions dans la manière de transcrire certains toponymes (noms des royaumes) et certains personnages (y compris celui de Ryangombe qui deviendra Diangombé ), afin de coller le plus pos-sible à la prononciation de ces termes dans les langues de la zone qui sert de décor au roman. Je n’adopte-rai pas une francisation à outrance. Ainsi, le nom du roi Ruganzu ne sera pas transformé en Rouganzou, et

    1 Alexis Kagame, « Documentation du Rwanda sur l’Afrique inter-lacustre des temps anciens », dans La civilisation ancienne des peuples des Grands Lacs, Paris, Karthala, 1981, p. 304.

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    le Burundi ne deviendra pas Bouroundi ; il n’est pas nécessaire d’aller jusque-là, d’autant plus que très peu de langues utilisant le même alphabet que le français prennent l’option d’écrire « ou » au lieu de « u ».

    Hormis les noms des royaumes, des monarques et des personnages historiques ou fictifs intervenant dans la trame du récit, j’éviterai systématiquement d’introduire dans le texte des locutions en langues africaines. S’il m’arrive d’insérer ça et là un proverbe, ou d’évoquer des formes et des contenus culturels africains, j’en proposerai non pas une traduction litté-rale, mais une adaptation française libre. J’espère ainsi rendre accessible, même pour un lecteur non averti, l’ambiance particulière et le contexte dans lequel mes ancêtres (dont Ryangombe) ont vécu et lutté.

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  • Première partieLa guerre

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    Si l’immortel Diangombé revenait sur Terre, il serait bien surpris par les mythes récents sur sa personne et son époque. Il ne s’étonnerait peut-être pas des tentatives de le rabaisser au rang d’imposteur et d’insignifiant. Déjà, de son vivant, les monarques qu’il avait dérangés, soit en les affrontant soit en les ignorant, avaient eu recours à l’arme de la dérision. Ils l’avaient traité de moins que rien, mais aucun d’eux n’était parvenu à l’ébranler, à empêcher ou même à freiner la prolifération de sa secte dans les royaumes du plateau des vaches.

    Mais comment réagirait Diangombé si on le confron-tait à la légende coloniale qui, depuis un petit siècle, prétend que, dans les vieux royaumes de l’Afrique des Grands Lacs, les guerres n’étaient que des simulacres, des parodies de conflits ne faisant, tout au plus, qu’une poignée de morts et de blessés, bref, presque un jeu d’enfants ? Diangombé s’irriterait ou rirait aux éclats en entendant cette fable, à la fois méprisante et teintée d’un lyrisme trompeur. À l’âge de l’innocence, donc, les habitants des vieux royaumes de cette région du monde n’auraient été que de « bons sauvages », qui ne

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    s’épuisaient pas à organiser des conflits dans lesquels étaient entraînés des guerriers condamnés à tuer ou à se faire tuer sur les champs de bataille !

    Et que dirait Diangombé face à ce second mythe, inventé cette fois par les potentats post-coloniaux en panne d’idées pour justifier leurs règnes aux résultats souvent maigres et meurtriers : « Nos ancêtres vivaient en symbiose. C’est le colonisateur qui a semé la zizanie parmi nous. » Diangombé proposerait-il lui aussi le retour au paradis perdu, à l’époque bienheureuse des ancêtres indépassables ? Ou dirait-il plutôt que cette nostalgie des origines cache une ignorance abyssale, un mensonge grossier et que la noble intention de retrou-ver l’harmonie primitive n’est qu’un leurre ?

    La mémoire des lieux, qui ne s’est pas totalement perdue, dément ces mythes. Dans les plateaux de l’Afrique interlacustre, les toponymes ont une histoire. Ainsi, à la frontière des anciens royaumes rivaux du Rwanda et du Burundi, les noms de certains endroits rappellent la férocité des guerres qui s’y sont déroulées. C’est le cas de la région du Buguesséra. Une traduction adéquate de ce terme serait « coupe-gorge », ou espace des calamités. Pourquoi cette région frontalière a-t-elle hérité de cette horrible appellation ? Sans doute parce qu’elle a été l’objet de conflits sans merci, qui en ont fait le lieu de tous les périls, un lieu de perdition.

    Sur la même frontière se trouve un site devenu le chef-lieu d’une province du même nom : Kirundo, qui signifie « amoncellement ». Mais de quel amon-cellement s’agit-il ? Il est presque certain que ce nom conserve la mémoire des origines, que cette appellation est comme l’inscription sur une pierre tombale érigée

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    au-dessus d’une gigantesque fosse commune : « Ici gisent de nombreux cadavres », victimes des guerres qui ont opposé pendant des siècles les armées des monarques régnant des deux côtés de l’Akanyaru, la rivière-frontière. Aucun de ces monarques n’est jamais parvenu à la victoire décisive qui aurait unifié pour de bon un peuple unique artificiellement divisé en fiefs séparés par un cours d’eau.

    Il y a enfin le site de Muyinga, lui aussi chef-lieu d’une province actuelle de l’ancien royaume du sud, terme qui évoque le râle des agonisants. Le topo-nyme renvoit au souvenir d’affrontements meurtriers et récurrents. L’endroit est pourtant paradisiaque, comme les deux précédents. Mais il porte un nom funeste parce qu’il a bu le sang des combattants pour la gloire des tambours sacrés, emblèmes du pouvoir dans tous les royaumes de cette région.

    Certains continuent malgré tout à croire aux mythes de l’innocence et de l’harmonie primitive, mythes qui ne veulent pas mourir ! Comme si la vie deviendrait insensée si l’on cessait d’y ajouter foi. La situation idyl-lique que ces fables laissent supposer ne correspond en rien à ce que Diangombé et les siens ont vécu. Quand ils prendront la parole sous peu, ils raconteront une tout autre histoire. Et les mythes s’évanouiront, comme lorsqu’on s’approche d’un arc-en-ciel. Au siècle de Diangombé, les guerres n’étaient ni symboliques ni inexistantes. Elles étaient réelles, infernales. Comme toujours et comme partout, les conflits armés étaient l’une des formes de la violence à l’état de nature, comme le déluge, la sécheresse, la peste, le choléra ou tout autre calamité qui décime les vivants.

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    Sans la guerre, sans le deuil impossible qui a suivi la disparition de son fils unique, Binégo, appelé sous les armes pour la deuxième fois, Diangombé n’aurait pas fondé la secte des Immortels. C’est la mort du fils, tombé au combat, qui révélera à Diangombé la nature de la mission dont il se savait investi depuis longtemps sans pourtant en connaître les contours précis. C’est la guerre et ses conséquences désastreuses qui lui fourni-ront ses premiers adeptes : des déserteurs déterminés à ne plus être envoyés à l’abattoir, des veuves et des orphelins, bref des victimes que les conflits armés entre puissants n’enrichissaient pas ; des humbles dont la guerre n’augmentait pas la taille des troupeaux, l’étendue des fiefs et le nombre des épouses.

    Diangombé et ses adeptes ne parleront pas de la guerre comme d’une récréation ou d’une simula-tion. Ils raconteront la réalité et, dès l’entrée, cette réalité n’aura rien de paradisiaque. Elle sera faite de carnage, de larmes, de sang, de désespoir, mais aussi, pour quelques-uns, de courage et d’une espérance rebelle. Quelques-uns ? Mais de qui s’agira-t-il ? Un petit nombre d’initiés animés d’une détermination inébranlable, qui déclarera la guerre à la guerre.

    La secte des Immortels, aussi connue comme la fra-ternité des Obscènes, ne rassemblera pas des héros. Les disciples de Diangombé seront plutôt des anticonfor-mistes qui ne voudront pas se couvrir de gloire sur les champs de bataille. Ils renonceront à l’honneur d’être classés parmi les preux par les griots du règne ou les bardes populaires. Ils préféreront un mysticisme her-métique qui les soustraira aux regards et aux applau-dissements. Diangombé, promoteur de l’immortalité,

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    promet aux adeptes qui lui resteront fidèles une vie heureuse après la mort, entre Ciel et Terre, sur les hauteurs du mont sacré, le Kalissimbi, le volcan mer-veilleux, sage et tranquille qui, comme un vieux, porte des cheveux blancs. Quant aux initiés qui s’aviseraient de trahir la voie en divulguant ses secrets, leurs mânes ne recevront aucune vénération, aucun sacrifice des vivants. Le jour même de leur mort, leurs âmes seront consumées dans le ventre du Nyiragongo, le volcan épouvantable qui vomit du feu.

    Voici donc, relatée par ses protagonistes, la geste de Diangombé et de ses sectateurs, aux origines d’une foi nouvelle que des siècles de mépris, et parfois de persé-cution, ne sont pas parvenus à éradiquer.

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    1. Diangombé

    Je m’ennuie. J’ai passé toute ma vie adulte à attendre. À l’âge de quinze ans, j’ai reçu en songe une mission impré-cise à accomplir. Depuis lors, ce n’est plus seulement en plein sommeil, mais aussi tout éveillé, que j’entends cette Voix qui m’interdit de me marier, qui m’oblige à rester libre pour la mission. Cette injonction à laquelle je me soumets ressemble pourtant à une malédiction puisqu’elle n’a pas fait disparaître en moi le goût des femmes. Au contraire, elles m’obsèdent et je ne parviens pas à me priver d’elles. À cause de cela, mon entourage me considère comme un dépravé. C’est lourd à porter, même si tout le monde croit que je m’en moque.

    C’est vrai qu’en contrepartie, la Voix m’accorde des dons très utiles. Il est rare que je tombe malade, et quand cela arrive, je n’ai besoin de personne pour me soigner. En brousse, je reconnais les herbes qui guérissent sans que personne ne m’ait initié au métier d’herboriste. Je suis capable de sentir qu’une personne a des intentions malveillantes à mon égard, et cela me permet de prendre les devants, de ne jamais me trouver sur la défensive. Je peux prédire l’avenir bien plus sûrement que les devins

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    du roi. Mais la Voix m’interdit d’utiliser ces dons, sauf pour me soustraire au danger. Elle me répète sans cesse que je dois les garder en réserve pour la mission.

    Aucun dialogue n’est possible entre elle et moi, et je ne peux lui poser aucune question. Je dois seulement écouter cette Voix autoritaire, impérative, écrasante. Quand je la sens venir, la transe me saisit, me rendant muet et me faisant tomber dans un état second. Je tremble comme une feuille quand elle me donne des ordres : « Fais ceci. Ne fais pas cela… ». Elle ne m’a pas encore révélé ce qui m’attend. J’ai trente-cinq ans, et à mon âge, la plupart des hommes ont accompli ce qui les rend respectables : prendre femme, faire des enfants, devenir eux-mêmes avant de mourir. Alors que moi, je suis condamné à attendre, sans me plaindre. Je sais que je ne mourrai pas jeune, mais si je deviens trop vieux, serai-je capable de remplir cette mystérieuse mission ?

    Ma mère, Matama, qui est pourtant au courant de ce qui m’arrive, n’arrête pas de me vilipender :

    – Diangombé, est-ce que tu ne pourrais pas au moins te construire une hutte, comme un homme ?

    – Une hutte pour faire quoi ? La tienne nous suffit !– J’en ai assez que tu l’utilises pour forniquer dès

    que je m’absente.– Mère, je n’y peux rien ! La Voix ne me protège pas

    du désir.– Espèce de menteur ! Je ne crois pas un instant que

    tu souhaites pareille protection !– Même si je la souhaitais, je ne pourrais pas la

    demander, et ça aussi tu le sais. La Voix ne me permet pas de poser des questions ou d’exiger des explications. Pour elle, seules mes oreilles comptent.

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    – Mais alors, si tu ne veux pas construire ta propre hutte, emmène les femmes que tu débauches dans la brousse.

    – La brousse est infestée de serpents.– Tu vas pourtant à la chasse. C’est la seule chose

    utile que tu fais !… et aucun serpent ne t’a jamais mordu.

    – Je peux utiliser mes pouvoirs pour me défendre contre toutes sortes de dangers, y compris les morsures de serpents. Mais les femmes qui m’accordent leur faveur ne sont pas protégées comme moi. Ce serait injuste de les entraîner dans les fougères des sous-bois.

    – J’ai honte chaque fois que, par accident, je te trouve dans les bras d’une femme, dans ma maison. Et ça arrive trop souvent. Ces femmes vont finir par croire que je te surveille comme si tu étais un gamin. Pense à ça aussi.

    – Mère, je m’en excuse.– T’excuser, ce n’est pas assez. Je vais me plaindre

    au roi si tu continues à me mettre dans des situations embarrassantes.

    J’ai souri, devinant qu’elle n’en ferait rien. Comme tout le monde, elle sait que je ne crains pas le roi, que nous nous sommes mesurés à maintes reprises, et qu’il n’a pu venir à bout de moi. Il m’arrive d’ailleurs de supposer que la mission qui m’attend consistera à l’affronter, lui ou un autre. C’est à cause d’eux qu’au-tour de moi les hommes de ma génération sont rares. Ils sont décimés par les flèches et les lances dans des guerres sans intérêt et sans fin.

    Un autre jour que ma mère me faisait des reproches à propos des femmes, j’ai failli répliquer que la plupart

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    de celles qui viennent vers moi sont des cadeaux du roi. C’est lui qui les a rendues veuves alors qu’elles étaient encore jeunes. Je sais comment ma mère aurait répli-qué. Elle m’aurait dit que je profite du désastre ! Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Ces femmes me remercient d’être disponible pour éteindre leur soif. Et je n’abuse pas d’elles, je ne les force pas, je ne les invite même pas. Je ne fais que répondre à leurs sollicitations, que je reconnais à des signes qui ne trompent pas.

    Il y a parmi elles une exception : Kabéja. Elle n’était pas veuve quand je l’ai engrossée. Je ne sais pas si elle a fait exprès de tomber enceinte pour me forcer à l’épou-ser. Mais je ne le pouvais pas, et elle ne saura jamais pourquoi. Kabéja m’a donné un fils, mais la Voix qui m’a interdit de me marier ne veut pas non plus que je m’occupe de Binégo, mon propre sang. J’ai su que Kabéja était enceinte de mes œuvres avant qu’elle s’en rende compte. Je n’ai manifesté aucune joie le jour où, finalement, elle m’a annoncé la nouvelle et m’a pressé d’organiser les noces aussitôt que possible pour lui éviter l’opprobre de la condition de fille-mère. Me sachant coincé, j’ai ignoré son enthousiasme et refusé le mariage qu’elle me proposait. Kabéja ne m’a jamais pardonné de l’avoir abandonnée et de l’avoir laissée seule pour éduquer notre fils. En secret, elle a même tout fait pour se venger. Mais sait-elle que rien de tout ce qu’elle a tenté contre moi ne m’est inconnu ?

    De mon côté, je n’ai rien fait contre la mère de mon fils, même pour la punir quand elle essayait de me châtier par tous les moyens. Je l’aimais, et j’aimais mon fils. Il fallait qu’elle reste en santé pour s’occuper de lui. Heureusement, la Voix n’impose ses interdits

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    qu’à moi seul. Ma mère a donc pu gâter son petit-fils sans se cacher, et sans danger. Grâce à Matama, Binégo a joui d’une enfance heureuse, malgré les railleries de petits garnements qui le traitaient de bâtard.

    Mais voilà qu’aujourd’hui, j’ai peur pour mon fils. Il aura bientôt l’âge de partir pour la guerre, et il n’aura pas le privilège dont je jouis. La Voix m’a dit : « Tu ne mettras jamais les pieds sur un champ de bataille. Ne te laisse jamais transformer en guerrier. Désobéis au roi. Il ne pourra rien contre toi. » Je n’avais pas encore de fils quand la Voix m’a intimé cet ordre. Même si j’en avais eu un, je sais qu’elle n’aurait supporté aucune négociation en faveur de mon rejeton.

    Binégo ne pourra éviter d’être guerrier. J’aurais bien voulu qu’il échappe aux mobilisations. J’ai même essayé à mes risques et périls d’utiliser mes pouvoirs magiques afin d’envoûter le roi et de lui arracher la promesse d’exempter Binégo du devoir de guerre. Malheureusement, mes sortilèges n’ont eu aucun effet. La Voix qui sait tout et qui me surveille s’est certaine-ment aperçue de ma désobéissance. Elle aurait pu me faire des remontrances, me châtier, me foudroyer, mais elle s’est contentée de faire en sorte que je n’aboutisse à rien en abusant de mes pouvoirs. Et elle m’a retiré la possibilité d’entrevoir quoi que ce soit sur l’avenir de Binégo. Son futur me reste caché à jamais. Pourtant, quand Kabéja, la mère de mon fils, tentait de ruiner ma vie pour se venger de ne l’avoir pas épousée, j’étais prévenu et je parvenais à déjouer ses plans. Je suis cer-tain que même maintenant, si Kabéja cherchait à me nuire, je le saurais et je pourrais prendre les moyens nécessaires pour déjouer ses tentatives.

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    J’ai avoué à ma mère que j’étais inquiet, que je ne voyais qu’un épais brouillard chaque fois que je tentais de percer le secret de l’avenir de mon fils :

    – J’ai peur pour Binégo. J’ai peur de le perdre. Il aura bientôt l’âge de faire partie des cadets du roi.

    – C’est maintenant que tu te préoccupes de lui ?– Je me suis toujours préoccupé de lui.– Je ne m’en suis pas aperçue ! Qu’est-ce que tu

    as fait pour l’élever ? La Voix dont tu m’as parlé t’a empêché de te marier, oui, mais sûrement pas d’élever ton fils.

    – Si, elle m’a empêché de l’élever. Je croyais te l’avoir dit.

    – Je ne vois pas ce que tu pourrais faire pour éviter à Binégo les champs de bataille. Il a rang de prince, même s’il n’a pas été élevé à la cour du roi comme toi. Et les princes doivent donner l’exemple.

    – Il n’est pas prince, pas plus que je ne le suis.– Comment sais-tu que tu ne l’es pas ? Je ne t’ai

    jamais parlé de ton père.– Je ne veux pas que tu m’en parles. Parlons plutôt

    de Binégo. Est-ce que tu ne pourrais pas demander au roi de le dispenser des entraînements et de la partici-pation aux guerres ? Le roi t’écoute toujours et, parfois, il suit tes conseils, même quand ils contredisent les oracles.

    – Es-tu fou ? Les fils du roi eux-mêmes n’échappent pas à cette obligation. Voyons ! Je ne peux me présen-ter devant le roi pour lui demander d’épargner mon petit-fils alors qu’il n’est pas infirme.

    J’ai compris que je lui demandais l’impossible, et qu’elle avait raison. Et j’ai aussi senti que Matama

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    était impressionnée par ma requête. Elle découvrait que j’avais un cœur de père, que j’aimais mon fils. Avant ce jour-là, ses sentiments sur mes rapports avec Binégo n’étaient pas très éloignés de ceux de Kabéja : elle craignait que je ne sois qu’un très mauvais exemple pour le garçon, moi, le fainéant qui n’avait même pas de hutte.

    J’aurais aimé sentir qu’elle redoutait comme moi ce qui pourrait arriver à son petit-fils. Comme tout le monde, elle semblait résignée à l’inévitable : les gar-çons grandissent et sont appelés sous les armes ! C’est ainsi depuis toujours et ce sera ainsi pour toujours ! Les hommes doivent défendre les tambours sacrés et les troupeaux des rois !

    Moi, je trouve anormal d’envoyer tant de jeunes gens à la mort. Je me sens coupable d’avoir une chance dont peu d’autres hommes profitent : être valide et exempté de participer aux guerres. Cette chance ne me met pas à l’abri ni de l’angoisse pour mon fils ni de l’ennui en attendant de connaître la nature de cette mission qui tarde à venir.

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  • Table des matières

    Avant-propos ........................................................................... 7

    Première partie : La guerre ................................................ 171. Diangombé ....................................................................... 242. Binégo ............................................................................... 313. Gahaya .............................................................................. 434. Ruganzu ............................................................................ 535. Kabéja ............................................................................... 62

    Deuxième partie : La dissidence ........................................ 736. Diangombé ....................................................................... 787. Matama ............................................................................. 848. Kabéja ............................................................................... 959. Diangombé .................................................................... 10510. Matama ......................................................................... 11411. Diangombé ................................................................... 121

    Troisième partie : Le grand périple.................................. 12912. Gahaya .......................................................................... 13413. Gahizi ........................................................................... 14114. Diangombé ................................................................... 15115. Kabéja ........................................................................... 15916. Gahizi ........................................................................... 17217. Binégo ........................................................................... 17918. Diangombé ................................................................... 19419. Gahizi ........................................................................... 20120. Binégo ........................................................................... 206

    Quatrième partie : Le retour ........................................... 21321. Matama ......................................................................... 21822. Diangombé ................................................................... 22623. Gahaya .......................................................................... 23724. Kabéja ........................................................................... 24525. Binégo ........................................................................... 25326. Kabéja ........................................................................... 262

    Cinq siècles plus tard ..................................................... 270

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  • Prise

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    Au XVe siècle, dans l’Afrique des Grands Lacs, une multitude de royaumes se font la guerre. Les habitants, sous la gouverne impitoyable de leurs rois et devins, meurent sans espoir de rédemption sur les champs de bataille, car la vie après la mort à laquelle ils ont droit, courte et faite de misère, ne les mène qu’au néant.

    Survient alors un homme insoumis, esprit libre et rebelle, dont la pensée et les actions feront trembler les puissants. Diangombé, fondateur de la secte secrète des Immortels, conduira ses adeptes à rejeter la guerre, les tabous sexuels et les bonnes manières. Il leur offrira surtout cette idée inédite : l’espérance de l’immortalité individuelle et d’une vie heureuse outre-tombe.

    Roman basé sur des faits historiques (la secte des Immortels existe toujours aujourd’hui), conte initia-tique également, baigné par le mystère, Diangombé, l’Immortel donne successivement la parole aux acteurs d’une révolution en marche.

    Canadien d’origine burandaise, MELCHIOR MBONIMPA a publié cinq romans, dont plusieurs ont été primés : Le totem des Baranda (prix Jacqueline-Déry-Mochon), Le dernier roi faiseur de pluie (prix de littéra ture éclairée du Nord), Les morts ne sont pas morts (prix Christine-Dumitriu-van-Saanen), La terre sans mal et La tribu de Sangwa. Il est professeur titulaire au Département des sciences reli gieuses de l’Université de Sudbury.

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    CouverturePrise de paroleDu même auteurPage titreCatalogageDédicaceCarteAvant-proposPremière partie - La guerre1. Diangombé

    Table des matières4e de couverture