mémoire final
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Victoire COINDREAU
IEP de Lille Quatrième année
Mémoire de recherche :
Le renouveau culturel chinois à travers
les arts visuels des années 1980 à aujourd'hui
Directeur de mémoire : M. Jean-Louis Thiebault
2
Remerciements
Je tiens d'abord à remercier M. Jean-Louis Thiebault, mon directeur de mémoire, qui a accepté de suivre mon travail de recherche ; Je remercie également Mme Isabelle Han, mon professeur de chinois, pour son soutien dans cette entreprise ; Enfin, je souhaite tout particulièrement adresser mes remerciements à M. Michel Nuridsany pour avoir accepté de m'accorder un entretien, et d'avoir répondu à mes questions, et pour son soutien en général.
3
Introduction
Avant-propos : qu'entendons-nous par le terme « culture » ?
Pour aborder cette vaste problématique qu'est le renouveau culturel en Chine, nous
devons dans un premier temps nous accorder sur la définition de la culture que nous
emploierons. En effet, il n'existe pas de définition universelle et stable de ce terme.
L'UNESCO par exemple, déclare que « La culture, dans son sens le plus large, est considérée
comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui
caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les
modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les
traditions et les croyances. »1. Cependant, en 1952 Alfred Kroeber et Clyde Kluckhohn, deux
grands anthropologues américains, ont regroupé pas moins de deux cents définitions
différentes du mot culture dans un ouvrage intitulé Culture : a critical review of concepts and
definitions.2 Ainsi, depuis le milieu du XXème siècle, deux acceptions coexistent dans la langue
française : la culture individuelle, qu'on pourrait assimiler à la culture générale, et la culture
collective, qui forme l'identité-même d'un peuple. C'est évidemment sur cette dernière que
nous allons nous concentrer, et plus particulièrement sur le patrimoine artistique, qui en est
une des manifestations, et qui comprend des éléments très divers, tels que l'architecture, la
peinture, la littérature, la langue, le folklore, la musique, le cinéma...
De la culture traditionnelle à la Révolution culturelle
L'évocation du mot « culture » associé à la Chine est remplie de symboles et de sous-
entendus. On pense d'abord à la culture traditionnelle chinoise millénaire, une des plus
vieilles de ce monde, et à tout l'imaginaire qui l'entoure : la calligraphie à l'encre de Chine,
les soieries, les bronzes ou encore la porcelaine fine, sous les règnes des grands empereurs
des dynasties Tang, Ming, Qing... Mais s'il est une période bien plus récente qui a marqué
tous les esprits, c'est bien celle de la Révolution culturelle. Officiellement appelée « la grande
Révolution culturelle prolétarienne », (Wuchan jieji wenhua dageming – 无产阶级文化大革
1
Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982 2 A. L. KROEBER et C. KLUCKHOHN, Culture : a critical review of concepts and definitions, Cambridge (Mass),
Papers of the Peabody Museum of American archeology and ethnology, Harvard University XLVII, 1952
4
命) elle fut lancée le 1er octobre 1966 par le président Mao Zedong, au dix-septième
anniversaire de la proclamation de la République Populaire de Chine, depuis une tribune
placée devant la Cité Interdite, sur la place Tian'Anmen où s'amassaient des millions de
Chinois venus montrer leur soutien sans faille au Grand Timonier. Ce dernier, appuyé par
ceux qu'on appellera « la Bande des Quatre »3, Jiang Qing, l'épouse de Mao, Zhang Chunqiao,
Wang Hongwen et Yao Wenyuan, appelle à la lutte contre le révisionnisme, la bureaucratie et
l'embourgeoisement, ordonne la destruction des « Quatre vieilleries » : les vieilles idées, la
vieille culture, les vieilles coutumes et les vieilles habitudes, toutes traces du passé de
l'Empire du Milieu. Il fonde le corps des « gardes rouges »4, composé de la jeunesse lycéenne
et étudiante, qui devient le bras actif de la Révolution culturelle. Les gardes rouges furent les
auteurs de nombreux actes de vandalisme contre les bâtiments d'architecture traditionnelle,
les temples, les œuvres d'art, les antiquités... Les livres et lettres classiques furent brûlés, les
objets anciens détruits, tandis que les intellectuels, personnifications de ces « vieilleries »
furent brimés, victimes de vexations, torturés voire assassinés, ou finissaient par se suicider.
Tout ce qui était antérieur à 1949 devait être réduit à néant. Ces exactions commises entre
1966 et 1969 instaurèrent un climat de terreur dans les grandes villes chinoises, plongeant le
pays dans le chaos et la guerre civile. A la suite de nombreux débordements, les millions
d'étudiants qui ont participé à cet élan destructeur furent envoyés en rééducation dans les
campagnes. La Révolution culturelle prit officiellement fin uniquement avec la mort de Mao
en 1976, même si l'historiographie occidentale la considère comme achevée dès 1969. Elle
fut déclarée grande catastrophe nationale, mais on en imputa l'entière responsabilité à la
bande des Quatre, préservant ainsi l'image du Grand Timonier, à qui le parti attribua à sa
mort « 70% de bon, 30% d'erreurs ».5
L'art dans les régimes totalitaires
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il serait également important de s'intéresser de
plus près aux liens qui se sont construits entre l'art et les régimes autoritaires comme celui
qui perdure en Chine. En effet, force est de constater que tous les grands totalitarismes de
l'histoire, que ce soit le stalinisme, le nazisme sous le IIIème Reich, l'Italie fasciste, le maoïsme
et même les régimes plus récents tels que celui de l'Irak de Saddam Hussein, ont
3S. BRAND, « Retour sur la Chine de la Révolution culturelle », Le Monde diplomatique, octobre 2009, pp.14-15
4J. ANDRIEU « Les gardes rouges : des rebelles sous influence », Cultures et Conflits n°18, 1995, p 121-164
5Ibid.
5
instrumentalisé l'art à des fins de propagande à la gloire du chef de l'Etat. Dans un article
intitulé « What is totalitarian art ? » 6 , Kanan Makiya reprend les arguments d'Igor
Golomstock, énoncés dans son ouvrage, Totalitarian art in the Soviet Union, the Third Reich,
Fascist Italy, and the People's Republic of China7. Il y explique d'abord qu'il étudie non pas
l'art sous les régimes totalitaires, mais « l'art totalitaire », en ce qu'il est un phénomène bien
particulier, avec sa propre idéologie, son esthétique et son style. Il est intéressant de
constater que ce type d'art se retrouve dans tous ces régimes, qui ont pourtant des origines
culturelles et des traditions artistiques complètement différentes. Le « réalisme » total est
d'abord apparu après 1932 au sein de l'Union Soviétique, lorsque Staline l'élève au rang de
seule forme d'art acceptable. Le point commun de toutes les formes d'art réaliste nationales,
ce sont les peintures à la gloire du grand leader, dans le cadre des politiques de culte de la
personnalité. Ce phénomène est, comme l'explique Golomstock, une des principales preuves
de « l'universalité des mécanismes de la culture totalitaire ».8 L'art totalitaire ne connaît pas
d'impulsion créative inconsciente, cette impulsion émane toujours de l’État. L'exposition
universelle de 1937 à Paris révèle les similitudes entre les arts de chaque dictature9 : le
pavillon allemand consiste en une énorme tour d'un goût douteux, qui hésite entre le temple
classique, l'église moyenâgeuse et le sarcophage futuriste, le tout dominé d'un immense
aigle. Le pavillon soviétique quant à lui est une sculpture de pas moins de 33 mètres de haut,
représentant un ouvrier et une paysanne, faucille et marteau en main. Un élément à la fois
évident au premier apport, mais important à noter, c'est que l'art totalitaire ne perdure
généralement jamais après la chute des régimes sous lesquels il a été produit, à cause de ses
liens étroits avec l’État et la politique. L'art totalitaire est donc rejeté une fois que les
conditions politiques de sa création ont disparu. Pourtant dans le cas de l'art sous Mao, force
est de constater qu'en Chine, l'art réaliste de propagande n'est pas abandonné, mais repris,
détourné par les artistes contemporains, comme nous le verrons plus tard. Peut-être est-ce
parce que le régime communiste chinois est toujours autoritaire, parce que la page n'est pas
tout à fait tournée. Toujours est-il qu'en Chine le réalisme socialiste était déjà en soi une
révolution par rapport à l'art traditionnel, et alimenta la propagande tout au long de la
Révolution culturelle. Le passage par l'art totalitaire a donc été une étape primordiale pour la
6K. MAKIYA, « What is totalitarian art ? », Foreign Affairs, mai/juin 2011
7I. GOLOMSTOCK, Totalitarian art in the Soviet Union, the Third Reich, Fascist Italy, and the People's Republic of
China, Icon (Harpe), octobre 1990 8Ibid.
9« L'art totalitaire », l'Express.fr, publié le 25/01/96, http://www.lexpress.fr/informations/l-art-
totalitaire_611934.html, consulté le 15/04/11
6
naissance de l'art contemporain chinois.
Un renouveau culturel ?
Ces quelques précisions sur cette terrible époque que fut la Révolution culturelle et
son influence sur les arts visuels sont primordiales pour comprendre les enjeux qui nous
préoccuperont tout au long de notre réflexion. En effet, de 1978 à 1985, le monde artistique
chinois reste affilié au politique10, cette fois ci pour dénoncer les méfaits de cette noire
période, et engagé le grand mouvement de réforme que l'on connaît, lancé par Deng
Xiaoping en 1978. Ce n'est donc qu'à partir du milieu de la décennie 1980 que la culture
chinoise prend sa réelle indépendance d'abord à travers la littérature, puis avec le cinéma,
qui devient un art à part entière. De même, arts plastiques et musique sont révolutionnés : le
rock chinois sort des caves pékinoises pour faire trembler les plateaux télévisés, Cui Jian11
chante « Rien en ton nom » et fait vibrer les adolescents lors de sa tournée intitulée « La
nouvelle longue marche ». Depuis les années 1990, la culture contemporaine chinoise est de
plus en plus médiatisée en Occident. De nombreux peintres tels que Zhang Xiaogang
exportent leurs œuvres dans le monde entier, que les collectionneurs s'arrachent pour des
sommes exorbitantes lors de ventes chez Sotheby's et Christie's. Le cinéma n'est pas en
marge de cette grande renaissance. Les films « Adieu ma concubine » de Chen Kaige, « Qui
Ju, une femme chinoise » de Zhang Yimou, ainsi que « Garçon d'honneur » d'Ang Lee et Xie
Fei, respectivement palme d'or au festival de Cannes en 1992, Lion d'Or de Venise en
septembre 1992, et Ours d'Or de Berlin en février 1993, en sont de parfaits exemples. Ce
renouveau culturel s'effectue sous de multiples facettes. Nous nous focaliserons donc
exclusivement sur les arts visuels, notamment la peinture et la sculpture, mais aussi la
photographie, la vidéo, les installations, la performance etc. D'abord pour des raisons
pratiques, car il nous sera plus facile de contourner l'obstacle que représente la barrière
linguistique, qui se serait présenté dans l'étude de la littérature, de la musique ou encore du
cinéma, et ensuite car c'est finalement dans ce domaine que ce renouveau culturel serait le
plus flagrant.
10
M.C. HUOT, La petite révolution culturelle, éditions Philippe Picquier, 1994, p.8 11
M. CORBIN CLARK, « Birth if a Beijing Music Scene », pbs.org, http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/red/sonic/, consulté le 15/04/11
7
Art contemporain, art expérimental, art « d'avant-garde », quelles différences ?
L'utilisation de ces trois termes pour parler de ce que l'on appelle « l'art
contemporain chinois » diffère selon les auteurs et les spécialistes. Cependant de grandes
nuances existent, que nous allons maintenant tenter d'éclairer. D'abord, il est important de
garder à l'esprit que ces trois notions sont des inventions occidentales, et que par
conséquent leur adaptation à la scène artistique chinoise ne va pas forcément de soi. En
Occident, l'art contemporain est avant tout une notion historique, une période artistique qui
s'étale de 1945 ou de 1960 à nos jours, selon ce que l'on choisisse pour point de repère la fin
de la seconde guerre mondiale ou l'apparition du pop art. Ainsi « l'art contemporain »
chinois ne rentre que très partiellement dans cette définition, puisqu'il est né avec bien du
retard par rapport à l'art contemporain occidental. Cette première précisions faite, on
comprend mieux pourquoi les artistes chinois ne peuvent s'empêcher de se définir, de se
construire et de s'identifier à travers le prisme de l'occident, ce qui sera l'objet de discussions
et de débats récurrents. Si la notion d'art contemporain est donc une définition relativement
générale, celle d'avant-garde est bien différente. Ce terme est traditionnellement utilisé pour
décrire les artistes, courants ou styles considérés comme en avance sur leur époque. Certains
vont parfois même jusqu'à refuser toute affiliation avec leurs prédécesseurs voire l'existence
de tout art antérieur. Le premier à avoir utilisé ce terme est Claude Henri de Saint Simon en
1825, dans son ouvrage Opinions littéraires, philosophiques et industrielles, lors d'un dialogue
inventé entre un artiste et un scientifique : « C'est nous, artistes, qui vous servirons d'avant-
garde : la puissance des arts est en effet la plus immédiate et la plus rapide. Nous avons des
armes de toute espèce : quand nous voulons répandre des idées neuves parmi les hommes,
nous les inscrivons sur le marbre ou sur la toile... Quelle plus belle destinée pour les arts, que
d'exercer sur la société une puissance positive, un véritable sacerdoce et de s'élancer en avant
de toutes les facultés intellectuelles, à l'époque de leur plus grand développement. »12 Ainsi,
l'art dit d'avant-garde n'a rien à voir avec l'art contemporain. Le courant dadaïste de 1916 au
début des années 1920, par exemple est avant-gardiste, en tant qu'il veut briser les
conventions imposées en vouant un culte à la liberté de création sous toutes ses formes. En
Chine on parle également d'art d'avant-garde (qianwei yishu - 前卫艺术) , lorsqu'on évoque
le milieu artistique chinois depuis la fin des années 1980, notamment avec l'exposition
12
H. DE SAINT SIMON, « L'artiste, le savant et l'industriel », Œuvres complètes de Saint Simon et d'Enfantin, vol.10 (1867), p.210
8
pékinoise de 1989 qui marqua les esprits, appelée China/Avant-Garde, première exposition à
grande échelle de ce genre en Chine, qui rassembla pas moins de 186 artistes venus des
quatre coins de la Chine. Pourtant, nombre d'entre eux, ainsi que certaines critiques, récuse
l'existence d'un art d'avant-garde en Chine. Ai Weiwei notamment, un des plus célèbres
artistes chinois, également architecte, critique et commissaire d'expositions, déclarait : « I
don't believe there is an avant-garde in China. Well the real meaning of an avant-garde
movement doesn't exist because there is almost no contextual background for it. Any kind of
idea, if it has a new, or individual perspective, can be said to be avant-garde. »13 Ding Yi,
autre artiste majeur sur la scène chinoise, pense lui qu'un art d'avant-garde émerge en Chine,
en tant qu'il permettrait l'émergence d'individualités, plutôt qu'une école ou un courant
artistique.14 Ainsi Hal Foster reprend la définition donnée par Peter Bürger dans son ouvrage
Theory of the Avant-Garde, avançant qu'il faut « redéfinir l'avant-garde en termes de
résistance critique plutôt que de transgression ».15 Cependant les artistes et les critiques
préfèrent désormais utiliser le terme d'art « expérimental »16, (shiyan meishu – 试验美术),
car selon eux le terme « avant-garde » est trop lié à l'évolution de l'art occidental, exagère le
radicalisme artistique ainsi que la rupture radicale avec les milieux artistiques officiels. Au
contraire, selon les dires de Wu Hung17, à peu près tout pourrait être considéré comme une
expérimentation artistique. Cette dernière n'a nul besoin d'être associée à un style ou sujet
particulier, ni à une certaine orientation politique. Il ajoute que l'art expérimental doit se
définir dans ses relations avec quatre grandes traditions de l'art contemporain, qui sont l'art
officiel, de propagande, l'art dit « académique » prônant l'esthétisme, la culture visuelle
urbaine et populaire qui émane de l'étranger (Hong-Kong, le Japon, l'Occident...) et l'art
commercial « international », même si ce dernier était initialement considéré comme de l'art
expérimental. 18 Ainsi, si ces trois notions s'entrecroisent à de multiples reprises lorsqu'on
parle de l'art contemporain chinois, on ne doit tout de même pas en faire l'amalgame, de
même qu'il faut garder en mémoire qu'elles ont des acceptions bien différentes en Chine et
en Occident.
13
C. HUOT, China's new cultural scene – a handbook of changes, Durham et Londres, Duke university Press, 2000, chapitre 5, p.126-127
14Ibid.
15H. FOSTER, Recordings : Art, Spectacle, Cultural Politics, Seattle, Bay Press, 1985
16WU. H, Exhibiting Experimental Art in China, Chicago, The David and Alfred Smart Museum, University of
Chicago Press, 2000, p.11 17
Ibid. 18
WU. H, Transcience : Chinese Experimental Art at the End of the Twentieth Century, Chicago, The David and Alfred Smart Museum, University of Chicago Press, 1999, p13-16
9
* *
*
Au premier abord, toute cette effervescence culturelle peut sembler très paradoxale
pour le néophyte. En effet, aujourd'hui plus que jamais le gouvernement garde le contrôle
des grands médias, censure internet grâce à son « Grand Pare-Feu » (Great Firewall), les
arrestations arbitraires se comptent en dizaines voire en centaines, au point que nous
pouvons légitimement nous demander comment tout ce foisonnement artistique arrive à
persister et même à se perpétuer sous un tel régime autoritaire, où il n'y a désormais plus
que l'économie qui compte, depuis que Deng Xiaoping a lancé le fameux slogan
« Enrichissez-vous ! » en 1992. L'argent, la poursuite de la fortune, a désormais une place
capitale dans les priorités du chinois « moyen », qui a délaissé la politique depuis 1989. Ce
qu'il faut bien comprendre, c'est qu'en Chine, peut-être encore plus qu'ailleurs, art,
économie et politique sont intrinsèquement liés. Huang Yong Ping, une des grandes figures
de l'art contemporain chinois, naturalisé français, disait d'ailleurs, « Quand on parle de
politique, c'est comme si on parlait d'art. De la même façon, quand on parle d'art, on parle
toujours de politique : et quand on débat de politique, c'est comme si on débattait sur
l'art. »19. Mais quelle est la réelle part de la politique dans les messages que veulent
transmettre les artistes chinois à travers leurs œuvres ? Quels sont ces messages ? Répondre
à ces questions nous mènera nécessairement à envisager la façon dont les artistes chinois
contemporains vont se positionner vis-à-vis du pouvoir et de la censure, et réciproquement,
comment les autorités chinoises vont réagir face à ces provocations artistiques plus ou moins
explicites. Une question non moins importante est celle de la place du monde occidental
dans le développement de l'art contemporain chinois. A-t-il joué un rôle d'intermédiaire, de
catalyseur ? Ou au contraire aurait-il involontairement détourné les œuvres chinoises de leur
sens originel, dans un accès d'ethnocentrisme où nos civilisations ont souvent excellé ? La
réalité est souvent bien plus complexe que cela. Enfin, en Chine, où la réussite économique
est l'ultime but de chacun, comment l'art a-t-il réussi à s'imposer comme source de fierté
nationale ? Là encore les occidentaux ainsi que la diaspora chinoise ont joué un grand rôle
dans l'ouverture de l'art chinois au marché de l'art international. En effet, 2007, douze
19
A. BLANC, Huang Yong Ping : Off and On History. L'art comme activation de L'histoire in : Arts, propagandes et résistances en Chine, dir. E.LINCOT, Paris, You Feng, 2007
10
artistes chinois sont dans les premières places du top 50 des artistes les mieux vendus dans
le monde20. Comment en est-on arrivé là ? Réel engouement durable ou bulle spéculative ?
Quel a été l'impact de la crise financière internationale sur ce marché de l'art chinois ?
Ainsi, après avoir déroulé chronologiquement les grands moments de cette
renaissance artistique, rythmée par les apparitions et disparitions de différents courants de
plus ou moins grande envergure et par les va-et-vient de la censure gouvernementale, nous
mettrons en lumière la place de l'art et des artistes chinois dans le monde occidental et en
Chine-même, à travers l'acceptation plus ou moins large et ambiguë des autorités, selon le
degré de « déviance » des œuvres et des comportements des artistes. Enfin nous mettrons
l'accent sur la dimension économique de cette renaissance culturelle, pour tenter
d'expliquer la place prépondérante qu'a récemment pris l'art chinois sur le marché de l'art
international.
20
« Art chinois du XXème
siècle – Lumières sur les nouvelles stars de la scène internationale »,artcurial.com, publié le 27/04/07, http://www.artcurial.com/fr/actualite/cp/2007/2007_06_05_1265.asp, consulté le 15/04/11
11
Chapitre Premier : La naissance et le développement de l'art contemporain
chinois : une nouvelle révolution culturelle ?
I – Du réalisme socialiste sous Mao Zedong au groupe des fÉtoiles
Le réalisme socialiste, une pré-révolution ?
Quelle est la véritable date de naissance de l'art contemporain chinois ? Répondre à
cette question demande finalement beaucoup plus de réflexion qu'il n'y paraît. En effet, on a
vu que la Révolution culturelle fut un désastre qui a signé l'arrêt de mort de l'art traditionnel,
une entreprise destructrice qui a relégué les arts en général au dernier plan. Pourtant,
comme le rappelle Michel Nuridsany21, c'est bien Mao qui a bouleversé l'art chinois, en
introduisant l'art de propagande sur le modèle réaliste socialiste, hérité de son voisin
soviétique. En effet cette nouvelle forme d'art a induit l'abandon des matières nobles et
traditionnelles que sont la soie et l'encre de Chine, au profit de la peinture à l'huile et de la
toile. L'art contemporain chinois est donc parti d'une révolution technique qui menait de
façon implicite à un bouleversement philosophique : pour les peintres classiques, la
possibilité née de la peinture à l'huile sur toile de corriger le « geste premier »22 entraîne une
complète dénaturation de l'art, qui est traditionnellement synonyme de spontanéité et de
maîtrise parfaite du geste.
L'irruption des Étoiles
Autre paradoxe : si l'art contemporain surgit, c'est d'abord en tant que mouvement
de contestation de cet art officiel communiste, introduit par le Grand Timonier. Avec la
disparition de ce dernier en 1976, la Révolution culturelle s'arrête de facto. Deng Xiaoping
entreprend alors en 1978 d'ouvrir la Chine au reste du monde, afin de relancer son économie
exsangue. Une porte vers l'Occident fut entrebâillée, que certains ne manquèrent pas de
pousser un peu plus. C'est ce que firent les artistes du groupe des « Étoiles »23,24 (Xing Xing,
星星), considérés par Chang Tsong Zung, commissaire d'exposition, critique d'art, directeur
21
M. NURIDSANY, « art contemporain », article écrit pour l'Encyclopédie Universalis 22
Ibid. 23
HUI C., The Stars : Ten years, Hong Kong, Hanart TZ Gallery, 1989 24
SIU H. The development of the Stars Artists, University of Hong-Kong, 2002
12
de galerie et grand promoteur de l'art contemporain chinois à travers le monde comme « les
premiers véritables artistes modernes à apparaître sur le continent chinois après la Deuxième
Guerre Mondiale »25. Pourquoi avoir choisi ce nom ? Huang Rui, l'un des deux principaux
initiateurs du groupe répondit à cette question en 2006 : « During the Cultural Revolution,
you could talk about the stars ... because the Cultural Revolution only addressed political
philosophy, not natural science. Moreover, the stars only appear at night, so the choice
seemed very natural at the time, but the stars shine independently and alone. Every single
star can exist by and for itself. (2006). »26. L'autre artiste qui s'engagea dans cette aventure
aux côté de Huang Rui fut Ma Desheng, rejoint ensuite par Wang Keping, Wang Luyan, Li
Xianting, Li Shuang, Qu Leilei, Zhao Gang, Shao Fei, Zhong Acheng, Wang Desheng, YanLi,
Mao Lizi, Bo Yun, Yang Yiping, le fameux Ai Weiwei et une unique femme, Li Shuang. Tous ces
artistes, qui deviendront plus ou moins célèbres par la suite, marquèrent à jamais l'histoire
de l'art chinois lorsque le 27 septembre 1979, ils montèrent « de force » une exposition
collective sur les grilles du parc à côté du Palais des Beaux-Arts de Chine de Pékin, après
s'être vu refuser l'autorisation de montrer leurs travaux, jugés bien trop expérimentaux, à
l'intérieur du-dit musée, éternel bastion de l'art officiel chinois27. Ce fut le début d'un grand
mouvement désordonné, cacophonique, fait d'interventions aussi diverses qu'incongrues,
souvent dans des lieux privés tels que des appartements, mais également parfois dans la rue,
toujours de façon informelle. En effet, seuls les groupes d'artistes reconnus avaient le droit
d'exposer, avec l'approbation des associations d'artistes municipale et nationale, du bureau
de la sécurité publique, et de la branche culturelle du gouvernement municipal. Il fallait
pouvoir faire preuve d'un certain statut politique, ainsi que d'un talent correspondant aux
standards et principes esthétiques nationaux. L'attitude des Étoiles fut de ce point de vue
très opportuniste, puisqu'ils demandèrent à être reconnus par la bureaucratie officielle. On
leur a d'abord répondu qu'aucun espace d'exposition n'était libre. Ils proposèrent alors qu'on
mette à la disposition des artistes un espace alternatif, où ils pourraient exposer
ouvertement leurs œuvres, ce qui a évidemment été refusé. C'est ainsi que les Étoiles se
retrouvèrent à installer leur exposition en plein air. La population pékinoise se précipita pour
admirer ces travaux, principalement des peintures et des sculptures, jusqu'à ce que ce la
police ferme l'exposition le lendemain, et la déclare officiellement illégale le 29 septembre.
25
J. TANSKI-GILBERT, « Le retour des Étoiles », galeriedutriangle.com, http://www.galeriedutriangle.com/_Presse/Fiche/art-0-1069319.htm, consulté le 19/04/2011
26LU Peng, « HUANG Rui : the linguistic context of the Art of the Stars », art2feedbrains.com, publié le 03/03/07
http://www.art2feedbrains.com/stars.html, consulté le 20/04/11 27
T. J. BERGHUIS, Performance Art in China, Timezone 8 Limited, 2006, p.40-43
13
Ma Desheng et Huang Rui furent envoyés au bureau de police local, où on leur expliqua que
l'exposition avait été bannie par le surintendant de la section « Dongcheng » du bureau de la
sécurité publique. Ils accrochèrent alors deux lettres de protestation, la première sur un
tableau d'affichage du quartier Xidan, où avait été érigé le mur de la démocratie, et la
seconde sur le site de l'exposition. La police répondit en placardant des avis dans le parc,
expliquant que l'exposition avait été annulée pour cause de trouble de l'ordre public.
Les Étoiles, précurseurs de l'activisme en Chine ?
En réponse à cette interdiction, certains membres du groupe des Étoiles, d'abord trois,
puis huit personnes, organisèrent une marche de protestation au nom des droits de l'Homme
individuels, à la date symbolique du 1er octobre 1979, jour de la fête nationale et plus
spécialement des trente ans de la proclamation de la République Populaire de Chine. Cette
manifestation, plus encore que l'exposition elle-même, attira l'attention non seulement du
grand public chinois, mais aussi de l'opinion publique internationale, qui considéra cette
action comme la première esquisse d'une performance artistique. Les nombreuses
personnes qui s'étaient ralliées à leur cause considéraient que l'action policière avait été
illégale, car elle n'avait aucun pouvoir de juridiction sur l'art. Tous étaient des intellectuels
également concernés par cette censure persistante de la part du bureau de la Sécurité
Publique. On retrouva Bei Dao et Mang Ke, fondateurs en 1978 du journal littéraire Today
(Jintian – 今天), avec lesquels Huang Rui avait collaboré l'année précédente, ainsi que
certains intellectuels « politiquement orientés », qui entendent rendre la fermeture forcée
de l'exposition inconstitutionnelle, comme Liu Qing et Xu Wenli28. Pendant les discussions
concernant l'organisation de la manifestation, ces derniers préconisèrent de demander
d'abord des excuses de la part du bureau de la Sécurité Publique, puis de descendre dans les
rues en cas de refus. Il fut décidé que la marche serait dirigée par deux équipes : la première
était composée de Xu Wenli, Huang Rui et Bei Dao, tandis que la seconde voyait à sa tête Liu
Qing, Wang Keping et Mang Ke. Au soir du 30 septembre, les autorités n'ayant toujours pas
présenté leurs excuses, les organisateurs planifièrent de commencer la manifestation à neuf
heures du matin le lendemain. Ils marchèrent accompagnés d'environ sept cents personnes,
du mur de la démocratie de Xidan jusqu'au quartier général du comité municipal du Parti,
derrière une bannière où était inscrit le slogan « Nous demandons la démocratie et la liberté
28
LU Peng, loc. cit.
14
artistique ». Si aucun des Étoiles n'a été interpellé, Liu Qing et Xu Wenli furent emprisonnés
trois ans, brièvement relâchés, puis remis derrière les barreaux pour une sentence de 15 ans.
Liu Qing retrouva sa liberté en 1991, puis émigra vers les États-Unis l'année suivante. Xu
Wenli quant à lui fut à nouveau libre de 1992 à 1998, puis en 2002, avant d'être exilé en
Amérique. Il est aujourd'hui considéré comme le plus éminent prisonnier chinois pour
activisme pro-démocratique29.
Finalement leur exposition sera transposée au studio Huafang, dans le parc Beihai de
Pékin au nord de la Cité Interdite et non loin du palais des Beaux-Arts de Chine, du 23
novembre au 2 décembre 197930. Mais ce n'était pas pour autant que le groupe des Étoiles
était enfin reconnu par les autorités, et plus particulièrement par le ministère de la Culture,
ou par l'association des artistes de Pékin. Cependant, ils s'enregistrèrent au sein de cette
dernière durant l'été 1980, sous le nom de la « société des peintres Étoiles », même s'ils ne
pouvaient pas, au regard de la loi, s'inscrire en tant qu'association autonome. Ce fut le
président de l'association des artistes chinois, Jiang Feng, qui finit par leur accorder le droit
d'installer leur exposition, cette fois au sein-même du palais des Beaux-Arts chinois, au
dernier étage, du 24 août au 7 septembre. Ce brusque revirement s'explique par le fait que
les autorités s'attendaient à un échec cuisant, pensant que la population ne comprendrait
pas leur travail, ce qui amènerait les Étoiles à revoir leurs méthodes et leurs ambitions, et les
ramènerait dans le droit chemin de l'art officiel. Or c'est bien le contraire qui s'est produit,
puisque, si effectivement la foule n'a pas forcément compris le sens de cet art
révolutionnaire, avant-gardiste, ils ont certainement saisi ce que cette exposition signifiait, et
en deux jours, pas moins de 80 000 personnes31 se sont empressées d'aller admirer les 149
oeuvres d'art proposées. Ce fut la première fois qu'un groupe d'artistes indépendants
exposait à l'intérieur d'une institution étatique officielle.
Qui étaient ces Étoiles ?
La plupart d'entre eux n'ont pas reçu d'éducation artistique particulière, n'ont jamais
29
E. ECKHOLM, « Beijing releases leading dissident » New York Times.com, publié le 25 décembre 2002 http://www.nytimes.com/2002/12/25/world/beijing-releases-leading-dissident.html?ref=xuwenli, consulté le 21/04/2011
30T. J. BERGHUIS, op. cit.
31Certains auteurs iront jusqu'à dire que pas loin de 200 000 personnes seraient venues visiter l'exposition, mais
aucun chiffre officiel n'a été établi.
15
appartenu à une quelconque institution officielle32. Leur positionnement dans le monde de
l'art chinois est donc tout à fait atypique, ce qui explique pour une grande part le premier
refus des autorités de les laisser exposer leurs œuvres « expérimentales ». Michel Nuridsany
ira jusqu'à rapprocher le groupe des Étoiles du mouvement punk, dans le sens où
l'expression primait sur la qualité, l'esthétisme : « Les punks, quand ils grimpaient sur scène,
avaient une envie vissée au corps : s'exprimer. Mais ils ne savaient pas aligner trois accords
sur leur guitare. Les Étoiles, c'est à peu près pareil. »33. D'ailleurs, leurs travaux ont souvent
été qualifiés d'opportunistes a posteriori, on les a traité d'amateurs. Ma Desheng, par
exemple, qui s'est vu refuser l'entrée dans les écoles d'Art au motif de son handicap (il
marchait à l'aide de béquilles), travaillait comme dessinateur industriel tout en s'exerçant à la
sculpture sur bois, avant de commencer la peinture traditionnelle à l'encre de Chine. Huang
Rui, lui, vivait comme fermier en Mongolie Intérieure pendant la Révolution culturelle, de
1968 à 1975, puis dans une usine de cuir à Pékin jusqu'en 197934. Ces deux hommes se
rencontrèrent d'ailleurs cette année-là, lorsqu'ils étudiaient au Centre culturel des
travailleurs de Pékin. Ensemble, ils allèrent s'entretenir avec divers artistes et enseignants
des Instituts Supérieurs d'Art de la capitale, pour la plupart rouverts entre 1977 et 1978, afin
de leur demander leur opinion quant à l'organisation d'une exposition publique qui
permettrait aux artistes non sélectionnés pour les expositions officielles de montrer leurs
travaux. La date retenue serait celle du 27 septembre 1979, jour de l'ouverture de la
cinquième exposition d'art national, au Palais des Beaux-Arts chinois. De nombreux
enthousiastes les suivirent dans leur idée, ceux qui deviendront les Étoiles. L'idée de Ma et
Huang était de réunir des artistes venant d'environnements différents, avec des techniques
et des inspirations diverses. Ainsi, Ai Weiwei étudiait la scénographie à l'école d'Arts
Dramatiques de Pékin tandis que Wang Keping s'était spécialisé dans l'écriture de script à
l'Académie du Film et de la Télévision de Pékin, bien qu'il n'ait jamais obtenu son diplôme,
préférant s'exercer à la sculpture, qu'il apprit en autodidacte. L'ambition des Étoiles n'était
donc pas esthétique. Ce qu'ils désiraient, c'était avant tout de s'exprimer librement. Ils se
disaient vouloir dépasser le réalisme socialiste, au profit « d'un art simple, humaniste,
capable de sentiments personnels et profonds »35. Ils entendaient rétablir le « zi wo » (自我),
32
H. BINKS, « The Stars group of artists »,Zeestone gallery.com, http://www.zeestone.com/article.php?articleID=16, consulté le 20/04/11
33M. NURIDSANY, L'art contemporain chinois, Paris, Flammarion, 2004, p. 10
34H. BINKS, loc. cit.
35C. FALLOU, « Wang Keping, l'écorce vive », paru le 25/08/10, L'intermède.com,
http://www.lintermede.com/exposition-wang-keping-la-chair-des-forets-musee-zadkine-sculpture-paris.php
16
signifiant littéralement « moi-même », l'individualité noyée dans le maoïsme au profit du
seul art des masses. Ma Desheng déclara d'ailleurs : « Every artist is a star. Even great artists
are stars from the cosmic point of view. We called our group "The Stars" in order to
emphasize our individuality. This was directed at the drab uniformity of the Cultural
Revolution »36. La plupart d'entre eux était en effet largement impliquée dans la Révolution
culturelle, d'abord gardes rouges, puis envoyés en rééducation, comme ce fut le cas pour
Huang Rui. Ils conservèrent de cette sombre période l'idée que l'art ne devait pas se confiner
aux sphères élitistes et intellectuelles, mais s'étendre aux masses. Cependant ils sont revenus
de leur exil dans les campagnes chargés de désillusion voire même de répugnance envers
toute forme de contrôle hiérarchique. Leur expérience de la Révolution culturelle a donc, en
un sens, forgé ce nouveau principe selon lequel l'art ne devrait pas s'en tenir aux institutions
officielles mais au contraire doit prendre son indépendance.
Le groupe des Étoiles naquit autour de plusieurs démonstrations artistiques
informelles, de discussions et de débats privés, où ils échangeaient sur leurs vues critiques
de la société et sur leurs conceptions de la liberté et de l'individualisme. En mai 1979
notamment, ils se réunirent au 76, Dongsi Shitiao, pour préparer l'ouverture de l'exposition
qu'ils intituleront The Stars Art Exhibition. L'un des membres, Zhong Acheng, la rapporte en
ces mots : « I rushed to the preparatory meeting for the painting exhibition, held in a
courtyard in the eastern wing of a moldy courtyard in Dongsi Shitiao. It was at night.
Proceedings were lit by a naked light bulb, and the participants glowed like wooden
engravings. The closer they were to the lamp, the finer the grain of the carved timber. To the
left of the lamp was Ma Desheng, to the right Huang Rui. Both were friendly and passionate
and they spoke energetically. The house was full of people and almost all of them were
smoking. The smoke wafted out of the house. There were people outside too, standing, and
when the discussions moved to important topics, they squeezed into the doorway. The
handsome poet Mang Ke offered everyone tea. People were busy inside and outside, taking
piles of mimeographed single pages to fold and aligning them page by page. The pages were
stapled together to form Today magazine. I am not sure, but now I think the name of the
exhibition 'the Stars' was suggested by Huang Rui that night. I agreed with the name,
consulté le 20/04/11
36H. BLINKS, loc. cit.
17
because it gave people some idea of what the exhibition was about. »37. L'excitation était
palpable, l'atmosphère était à la révolution. Pourtant, si quelques œuvres des Étoiles étaient
explicitement politique, comme la sculpture de Wang Keping, Idol, qui représentait Mao sous
les traits d'un bouddha38, ou encore une autre sculpture en forme d'homme bâillonné, à l'œil
bandé, symbolisant la condition du peuple chinois pendant la Révolution culturelle, ce n'était
pas le cas de la plupart des autres travaux, qui se distinguaient plutôt de l'art officiel par le
style, dérivé du modernisme occidental, comme par exemple le post impressionnisme, le
surréalisme ou l'expressionnisme abstrait.
L'extinction des Étoiles
Malgré l'immense succès de leur exposition de 1980, les critiques ont continué à
fuser de toutes parts, et particulièrement depuis les hautes sphères gouvernementales. La
pression politique était telle qu'en 1983 les Étoiles se dispersèrent, et la majorité d'entre eux
quittèrent la Chine. Ainsi, Li Shuang partit pour la France en 1983, Huang Rui s'installa au
Japon en 1984, où il développa son art, l'étendit à la photographie, l'installation et la
performance. La même année, Wang Keping s'envola à son tour vers la France, ses sculptures
devenant bien moins politiques, plus élémentaires39. Ma Desheng quant à lui alla en Suisse
puis à Paris en 1985 et 1986. Ai Weiwei, Yan Li, Zhong Acheng et Shao Fei émigrèrent aux
Etats-Unis, respectivement en 1981, 1985, 1987 et 1988. Qu Leilei quant à lui s'exila en
Angleterre en 1986. Bo Yun, Mao Lizi et Yang Yiping restèrent cependant en Chine. Ces trente
dernières années, plusieurs de ces artistes sont passés du statut de dissidents marginaux à
celui d'artistes à la renommée mondiale, comme c'est le cas pour Ai Weiwei, Huang Rui, ou
encore Wang Keping.
Dans la mouvance des Étoiles, de nombreux artistes chinois venant de toute la Chine
se mirent à leur tour à expérimenter de nouvelles formes d'art, influencés par l'effervescence
occidentale qu'ils découvraient avec une demi décennie de retard, grâce à la politique
d'ouverture de Deng Xiaoping. Pourtant en 1982, une polémique fut déclenchée à l'occasion
de l'inauguration d'une sculpture abstraite sur le barrage de Gezhou. Une association
37
LU Peng, loc.cit. 38
« Art contemporain. De l'or pour la Chine », artenovance.com, http://www.artenovance.com/actualites/artenovance/02.html consulté le 20/04/11
39Article biographique de WANG Keping,Galerie Zurcher.com, http://www.galeriezurcher.com/exhibitions-
1/article/wang-keping?lang=en, consulté le 20/04/11
18
d'artistes très influente déclencha une campagne contre la « pollution spirituelle » que
représente l'influence de l'art occidental dans l'art contemporain chinois. Ils obtinrent gain
de cause, et une Exposition nationale d'art pour « l'élimination de la pollution spirituelle
dans le monde artistique » est mise en place dès 1984 dans neuf villes de Chine. Voilà qui
parachève le grand retour en arrière du gouvernement chinois quant au développement d'un
art qui se voudrait indépendant de tout contrôle des autorités. Pourtant l'action du groupe
des Étoiles n'a pas été si vaine : en réaction avec cette exposition nationale d'art naquit ce
qu'on appelle aujourd'hui la « vague 85 »40.
40
J.P. GAVARD-PERRET, « L'art contemporain du nouvel empire », arts up info.com, http://www.arts-up.info/JPGP/JPGP_Art_chinois.htm, consulté le 20/04/11
19
II – Le tournant de 1985
L'assouplissement de la censure
La plupart des experts s'accordent à dire que la véritable naissance de l'art
contemporain chinois date de l'année 1985. D'abord parce que cette année-là, la censure
gouvernementale s'est globalement assouplie envers les médias et dans le milieu artistique.
Pas moins de quatre-vingts regroupements d'artistes éclosent alors de toutes parts, très
divers, aux envergures très inégales, mais tous voulant profiter du vent de liberté qui
soufflait sur la Chine à ce moment-là. La seconde moitié de la décennie 1980 fut une période
unique dans L'histoire de la Chine contemporaine. En effet, Deng Xiaoping a bien compris
qu'il ne pourrait sauver son pays qu'à l'aide de profondes réformes économiques afin de
s'ouvrir au reste du monde. Encore loin d'encourager ces mouvements artistiques avant-
gardistes, il les tolère cependant, tant qu'ils restent en dehors de toute revendication
politique.41 Wang Du, un des grands leaders du mouvement de 85, immigré en France, disait
d'ailleurs en parlant du gouvernement que « il avait compris que la Chine devait développer
son économie, sinon elle était foutue. Alors, si tu n'attaquais pas le communisme, ils te
laissaient tranquille ».42 La presse spécialisée se développe peu à peu, le journal Fine art in
China voit le jour, réalisé par de jeunes rédacteurs. Petit (4 à 8 pages) mais bon marché, il
sera diffusé dans toute la Chine, et servira rapidement de lien entre tous les artistes. Le rôle
des critiques d'art devient également primordial, de part leur rôle fédérateur43 : ils ont
impulsé l'organisation de manifestations visant à regrouper toute l'information relative au
monde de l'art et unir les différents mouvements autour d'une structure commune, à l'image
du « Yundong » (运动), signifiant littéralement « mouvement », sorte de fédération issue de
l'ère maoïste. Gao Minglu, précurseur de la critique d'art contemporain chinois, mais
également professeur en la matière et commissaire d'exposition est notamment à l'origine
de ce « mouvement de 85 » (bawu xinchao yundong – 八五新潮运动)44.
41
M.NURIDSANY, op. cit. p.11 42
Ibid. p. 69 43
E. BORIES, « Art expérimental chinois et affirmation ou rejet d'une esthétique endogène à travers le prisme de la critique d'art », dans Arts, propagandes et résistances en Chine, E. LINCOT (dir.), You Feng, Paris, 2008
44Ibid.
20
Rattraper l'Occident
Avec les années 1980 arriva également le profond sentiment d'un « retard à
rattraper ». Ainsi, dès le départ, l'influence des nouvelles techniques, des nouveaux courants
de l'art contemporain occidental était immense et incontournable. Déjà en 1978, une
exposition des plus anticonformistes pour l'époque fit une audacieuse apparition : on y avait
présenté des paysages du Musée d'Orsay. « C'était la première fois que nous voyions une
grande exposition. Nous avions devant nous la peinture européenne autrement qu'en
reproduction. », se rappelle Ding Yi, artiste contemporain d'origine shanghaienne45. Plus tard,
en 1983, le musée national d'art de Pékin exposa des œuvres de Picasso, puis de Munch.
Bien que ces différentes initiatives furent très rapidement réprimées, l'intention était là. Ainsi
en 1979, une exposition « européenne » fut interdite, en 1983 une exposition expérimentale
de peinture à Shanghai est fermée par la police46. Ces années pré-1985 ont été primordiales :
les commissaires d'expositions défiaient les autorités, comme s'ils se sentaient investis d'une
mission quasi sainte, celle de faire découvrir à la Chine et surtout à ses artistes ce qu'il se
passait, s'était passé, de l'autre côté de la planète. Cette période de découverte fut autant
confuse qu'effrénée, comme le rappelle Michel Nuridsany : « On découvre le surréalisme en
même temps que Picasso et que Duchamp ». Enfin, en 1985, Rauschenberg vint lui-même
présenter son œuvre à Pékin puis à Lhassa, et connut un succès phénoménal47.
La naissance de la nouvelle vague
Ainsi, dans ce grand élan enthousiaste, un groupe d'artistes qui n'avaient pas été
sélectionnés pour participer à la sixième Exposition nationale d'art décidèrent d'organiser
leur propre exposition qu'ils appelèrent La nouvelle vague de 1985, où ils présentèrent leurs
œuvres, toutes plus ou moins influencées par les nouveaux critères esthétiques imposés par
l'art occidental, tout en conservant une spécificité chinoise, liée au contexte socio-politique
bien particulier qui caractérisait la Chine de cette époque. Ces artistes s'affirmèrent à Pékin,
mais pas seulement, puisqu'on les retrouvait dans diverses expositions à travers la Chine
comme à Hangzhou lors de l'exposition Nouvel espace 85, où l'on découvrit Zhang Peili48, à
45
M.NURIDSANY, op. cit., p.92 46
Ibid., p. 11 47
Ibid. 48
Ibid.
21
Xi'an, qui organisa une exposition en 1980, ou encore à Shanghai puis Nankin, avec
l'exposition du « nouvel art figuratif », où Zhang Xiaogang fit sa première apparition49, avant
de devenir l'immense artiste qu'il est aujourd'hui. Une myriade de petits groupes d'artistes
ont éclos, dont certains eurent un rôle moteur pour le développement du mouvement. Un
« groupe Zéro » naquit dans la ville de Changsha, dans la province du Hunan, en Chine
centrale50, inspiré du groupe d'artistes allemands éponyme qui agissait dans les années 1960,
mais surtout en 1986 fut fondé à Harbin, capitale de la province du Heilongjiang, à l'extrême
nord-est du pays, le groupe « l'art du Nord »51, avec comme tête de file Wang Guangyi, autre
figure majeure de l'art contemporain chinois, et plus particulièrement du futur mouvement
appelé « pop politique ». Une biennale fut d'ailleurs organisée pour la première fois en 1987
à Changchun, dans le Jilin, (à la frontière avec la Corée du Nord) qui regroupa tous les
groupes artistiques du nord52. En réponse, Wang Du créa un salon des artistes de la Chine du
sud, composé également d'intellectuels, de philosophes... Il en parle en ces termes : « On a
fait une performance qui a duré trois jours. On transformait l'espace sans arrêt. On s'amusait.
On était innocent. On essayait de parler de la vie avec le plus grand naturel possible. Je
pensais que le cœur humain est le meilleur matériel pour l'art. Nous étions, j'étais, très
idéalistes. »53 Voilà qui résume bien l'effervescence créative qui régnait tout au long de la
seconde moitié de la décennie 1980.
Xiamen Dada
En 1986 eut lieu un intense remue-ménage dans la petite ville portuaire de Xiamen,
dans le Fujian, au sud-est de la Chine. Cette ville faisait partie d'une des premières zones
économiques spéciales créées par Deng Xiaoping pour dynamiser l'économie chinoise, en
attirant les investisseurs étrangers. Peut-être était-ce en partie grâce à ce statut très
particulier qu'un collectif de jeunes artistes vit le jour, influencé par cette nouvelle vague
d'art expérimental, et par la récente découverte des évolutions de l'art occidental. Ainsi,
Huang Yong Ping inventa avec Cha Lixiong, Liu Yiling, Lin Chun et Jiao Yaoming le groupe
49
Ibid. 50
LUO Mingjun, biographie, Art intern.net, http://en.artintern.net/index.php/artist/main/html/58 consulté le 21/04/11
51M.NURIDSANY, op. cit., p. 58
52Ibid., p.11
53Ibid. , p. 64
22
« Xiamen-dada »54. Il l'explique ainsi : « Xiamen Dada est l'expression combinée de deux mots.
Xiamen est la petite ville où je suis né, et dada, c'est le dadaïsme tel qu'on le connaît dans
l'art occidental. Le dadaïsme signifie la destruction, la révolte culturelle et politique contre la
tradition. A l'époque, pour nous, cet aspect-là des dadaïstes était très important. »55 Michel
Nuridsany lui a demandé « pourquoi Dada, cinquante ans après ? » et il a répondu : « L'art
contemporain chinois était en retard de cinquante ans par rapport à l'art occidental. Or la
référence à l'art occidental est essentielle si l'on veut qu'existe un art contemporain chinois.
Donc nous devons nous déterminer par rapport à l'art de l'Occident. Dada, pour moi, dans ce
contexte, était le plus radical. Mais quand j'ai écrit un de mes premiers textes, je l'ai
intitulé « Xiamen Dada post-modern », pour montrer que, si nous étions en retard, nous
n'ignorions cependant rien de ce qui se passait de plus actuel. »56 Leurs inspirations étaient
donc très diverses : Marcel Duchamp, John Cage, Joseph Beuys d'un côté, le taoïsme et le
bouddhisme zen de l'autre. Leurs actions furent également variées : ils écrivirent des
manifestes, un journal (qui n'eut finalement qu'un seul numéro), organisèrent des happening,
des expositions... Huang Yong Ping, en tant que grand admirateur de Duchamp, produisait
ses œuvres à base d'objet trouvés, de déchets. A la fin de leur première exposition Events,
les artistes qui avaient participé mirent délibérément le feu à leurs œuvres, peintures,
installations, photographies, dans un élan qu'ils qualifièrent eux-mêmes de « libérateur ».
« Si l'on dit qu'exposer des œuvres c'est veiller auprès d'un cercueil, alors brûler des œuvres
c'est procéder à l'incinération. Veiller c'est déprimant mais incinérer c'est excitant. Les œuvres
d'art pour l'artiste, c'est comme l'opium pour l'homme ; si on ne détruit pas l'art, la vie ne
peut être sereine, ne pas être serein, c'est plus conforme à la vie. Dada est mort, attention au
feu ! »57. Une des œuvres présentées avait d'ailleurs déjà été modelée par le feu : c'était un
quadruple portrait du buste de Léonard de Vinci, à des stades différents de la propagation du
feu, de la barbe au sujet. « La barbe est ce qu'il y a de plus facile à embraser », avait-il dit58.
L'exposition suivante, en 1987, fut fermée par les autorités au bout de deux heures : « J'avais
demandé au public de mettre à l'intérieur du musée toutes sortes d'objets trouvés à
54
S. NEAGU, « An erasure in three acts xiamen dada », sphere.ro, http://sfere.ro/nsphere/clock/clock_1005.html, consulté le 21/04/11
55« Chinese Art », synopsis du reportage de Valérie PAILLE, diffusé le 22 février 2011 sur Arte,
http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/tracks/nav/2902788,CmC=2904240.html, article consulté le 21/04/11
56M.NURIDSANY, op. cit. p. 37
57Cité dans l'œuvre de Gao Minglu, Zhongguo dangdai meishu shi, 1985-1986, ( « Histoire de l'art chinois
contemporain, 1985-1986) 58
M.C. HUOT, La petite révolution culturelle, op. cit. p. 215
23
l'extérieur. Le directeur du musée avait trouvé « esthétiquement inacceptable » ma méthode
et il avait fermé l'exposition deux heures après son ouverture », explique-t-il59. Huang Yong
Ping, placé sous surveillance par les autorités, préféra se retirer en France pour laisser libre
court à son art détonnant. On se souvint notamment de lui lorsqu'il réalisa, en 1987, une
immense sculpture intitulée Reptile, construite à base de deux livres d'Art, L'histoire de l'art
chinois et L'histoire de l'art moderne occidental, passés à la machine à laver, programme éco
– deux minutes : « laver les livres, ce n'est pas laver la culture, c'est la rendre plus sale »,
disait-il60.
Entre répression et officialisation, le début de l'internationalisation de l'art contemporain
chinois
Huang Yong Ping n'est d'ailleurs pas le seul à avoir subi la censure gouvernementale
de plein fouet. Par exemple à la même époque, dans la ville de Taiyuan, dans la province du
Shanxi, une exposition de « L'atelier des trois pas » est fermée quelques heures seulement
après son ouverture. Tous ces artistes d'avant-garde furent cependant réunis lors d'une
exposition au musée national des Beaux-Arts de Pékin, intitulée Tournons-nous vers l'avenir61.
Pourtant toutes ces manifestations restaient pour la plupart informelles, désordonnées et
illégales. En effet, les circuits de diffusion artistiques restaient inexistants dans la Chine des
années 1980 : il n'y avait pas de galeries privées, et évidemment pas non plus de
collectionneurs, les écoles d'Art étaient repliées sur elles-mêmes, tout fonctionnait en circuit
fermé. Certes il y avait de grandes expositions officielles, notamment à la Galerie nationale
des Beaux-Arts de Pékin, mais à quelques exceptions près, elles montraient surtout des
œuvres réalistes. L'exposition des Étoiles de 1980 au musée national des Beaux-Arts était
certes une grande avancée pour « l'officialisation » de l'art expérimental, mais cette
ouverture ne fut finalement qu'une parenthèse, puisqu'il a fallu attendre dix années pour
qu'une nouvelle exposition de ce genre ait lieu dans cet endroit. Si l'avant-garde réussissait
tout de même à montrer son travail, c'était souvent sous l'impulsion de demandes
extérieures, étrangères, notamment de la part des diplomates internationaux installés dans
les grandes villes chinoises. La diffusion se faisait donc par des canaux non officiels, grâce au
réseau international qui était en train de se mettre en place, sous l'impulsion des réformes
59
M. NURIDSANY, op. cit. p.34 60
Ibid. p. 38 61
Ibid. p.11
24
économiques de Deng Xiaoping. C'est ainsi que les directeurs de galeries internationales,
hors de Chine, commencèrent à rendre visite aux artistes chinois. C'est ainsi qu'en 1989 deux
importants événements eurent lieu à l'étranger. Le premier à Paris : une exposition intitulée
Les magiciens de la Terre, au centre Georges Pompidou et à la grande Halle de la Villette du
18 mai au 14 août, présenta les œuvres de 100 artistes contemporains du monde entier, et
notamment de trois artistes contemporains chinois, Huang Yong Ping, Yang Jiechang et Gu
Dexin62. C'était la première fois que des œuvres chinoises étaient exposées à l'étranger, et ce
fut d'ailleurs à cette occasion que Huang Yong Ping s'installa définitivement en France.
L'autre grand moment fut la célébration des dix ans du groupe des Étoiles, qui donna lieu à
une exposition itinérante à Hong Kong, Taipei et New York, organisée par la galerie Hanart TZ,
basée à Hong Kong, via son commissaire, Chang Tsong-Zung63.
L'exposition China/Avant-Garde
Cependant, 1989 fut surtout l'année d'une rupture très importante pour l'art
contemporain chinois : du 5 au 19 février, une exposition monumentale fut montée dans le
musée national des Beaux-Arts de Pékin, intitulée China/Avant-Garde 64, qui regroupa pas
moins de 186 artistes de ce « mouvement 85 », venus de tous les coins de Chine, y compris
du Tibet et de Mongolie Intérieure. L'initiative avait été lancée par l'un des organisateurs de
l'exposition, Gao Minglu, bien plus tôt, en 1986, lors d'une conférence intitulée « the Grand
Slide Show and Symposium on 1985 Trends of Young Artists », du 15 au 19 août, organisée
par l'académie des arts de Zhuhai, et le journal China Fine Arts Daily.65 De nombreux
critiques ainsi que des représentants des divers mouvements artistiques qui agissaient à
cette époque étaient présents. La première réunion d'organisation eu lieu en mars 1987,
organisée par Gao Minglu, et l'exposition était en fait prévue pour juillet 1987, et devait avoir
lieu au musée national de l'agriculture de Pékin. Cependant, trois mois avant l'ouverture,
l'association des artistes de Chine ordonna à Gao Minglu de cesser les préparatifs, en raison
d'une nouvelle campagne politique contre « la libéralisation bourgeoise ». Une fois le calme
revenu, début 1988, Gao reprit ses travaux de préparation, rapidement rejoint par de
nouveaux artistes et critiques. Le 8 octobre fut fondé le comité d'organisation, et Gao fut élu
62
Dossier « les magiciens de la Terre », Art Press, 1989, n°132, p44 63
HUI Chingshuen, op. cit. 64
GAO Minglu, « China Avant-Garde », in Encyclopedia of contemporary Chinese culture, Taylor & Francis, 2004 65
M. MA, « Memories of 1989 », Artzine China.com, http://www.artzinechina.com/display_vol_aid252_en.html, consulté le 21/04/11
25
à sa tête. Ce comité était composé de quatorze membres actifs, essentiellement des
universitaires et des critiques, dont Gan Yang, Zhang Yaojun, Liu Dong, Liu Xiaochun, Zhang
Zuying, Li Xianting, Tang Qingnian, Zhou Yan, Yang Lihua, Fan Di'an, Wang Mingxian, Kong
Changan et Fei Dawei. Ils étaient supportés par six institutions officielles qui avaient accepté
de sponsoriser l'exposition, mais surtout s'étaient portées en quelque sorte garantes
officielles, afin que l'exposition puisse se dérouler dans la galerie d'art nationale. Il y avait
notamment le Fine Arts Magazine et le China Fine Arts Daily. Les fonds nécessaires à
l'organisation avaient étaient soulevés par les organisateurs et les artistes eux-mêmes. Le
critique d'art Yin Shuangxi, à l'époque éditeur du Fine Arts magazine, témoigne : « My job
was similar to that of an ''office director'', responsible for the specifics in organization and
coordination. Then an office for exhibition was set up in the small red building where the
Youth League Committee and the Students Union of the Fine Arts College were located. The
job division went like this : Gao Minglu and Li Xianting were chief members of responsibility
for the exhibition. Gao was in charge of the whole affair; LI was responsible for designing the
layout of the exhibition hall ; Fei Dawei dealt with foreign contacts ; and Hou Hanru assumed
the printing of exhibition handouts. […] As the first massive exhibition, it set several
precedents : it was the first national exhibition accomplished via a planning mode ; the first
time art critics worked as a group to organize and discuss the works ; the first time artists
were charged fees for exhibited works – 100 yuan, or about $12, for each artist. »66 Et déjà,
avant-même l'ouverture, des problèmes avaient surgis : la veille de l'ouverture, des officiels
du musée et du bureau des Arts du ministère de la Culture avaient interrogé le comité
d'organisation sur certaines œuvres qu'ils jugeaient déjà trop provocatrices, comme par
exemple le Mao Zedong AO de Guangyi, peinture à l'huile qui représente un triptyque du
Grand Timonier derrière ce qui semble être une grille de fer. L'artiste eût dû adresser une
lettre de supplication, qui promettait que sa toile n'était qu'une analyse rationnelle de Mao
dans ses dernières années de vie, pour que cette dernière soit finalement présentée.
L'exposition ouvrit finalement ses portes le 5 février 198967, veille du nouvel An
chinois. Gao Minglu l'inaugura en ces termes : « La première grande exposition d'art
moderne de Chine organisée par les artistes chinois eux-mêmes est maintenant ouverte. » Les
297 œuvres d'art étaient dispersées dans six galeries, sur trois étages. On y retrouvait des
66
Ibid. 67
Ibid.
26
peintures, mais également des sculptures, des installations, des vidéos, le tout réparti en
différentes sections : « arts exotiques », « performance », « installations », « pop politique »,
« peinture rationnelle », « lavis expérimental ». Les œuvres majeures des grands artistes déjà
cités étaient évidemment exposées : Concise History of Western painting in Washing
Machine for Two Minutes de Huang Yong Ping, Mao Zedong No.1 de Wang Guangyi... Au rez-
de chaussée, dans le hall est se trouvait l'installation Mass of Midgnight des frères Gao : un
fond rouge et noir contre lequel était posée une immense croix confectionnée avec plus
d'une centaine de préservatifs, gonflés à l'air, tandis que des gants en latex également
gonflés étaient entassés sur le sol. Puis on retrouvait les travaux de Zhang Peili et de Gu
Wenda regroupés chacun dans leur propre section, ainsi que les photographies des
performances du groupe Xiamen Dada, dans une autre partie de l'étage. A l'étage suivant, on
pouvait admirer la peinture de Qu Yuan, All were Sinners before Our Arrival au-dessus de
laquelle était suspendue l'installation de Xu Bing, A Book from the Sky. Étaient également
exposées les œuvres de Wang Guangyi, Ding Fang, Ye Yongqing, Mao Xuhui, Liu Xiaodong,
Fang Lijun et Geng Jianyi. Zhang Nian quant à lui s'est vu refusé l'opportunité de montrer son
travail, a tout de même réalisé sa performance, qu'il a appelé floating egg, juste après
l'ouverture de l'exposition. Sur la photo témoin, on peut le voir assis sur le sol, les jambes
croisées, un paillasson découpé et des œufs éparpillés autour de lui. Sur son torse, il avait
attaché une feuille de papier blanc, où il était écrit « No theoretical debate during my
floating egg performance, lest it troubles the next generation »68. Enfin, au troisième étage,
se trouvaient les travaux qui répondaient à la qualification de « pur art du langage » : les
peintures abstraites et les lavis expérimentaux. Mais ce qui était le plus remarquable lors de
cette exposition, c'était la profusion de performances, pour la première fois en Chine : Wu
Shanzhuan vendait des crevettes sur le site, avant d'être interrogé puis interdit par la police,
Li Shan, habillé de rouge, lavait ses pieds dans une bassine remplie d'images de la tête d'une
personne, tandis que Wang Deren, bien qu'interdit avant-même l'exposition, projetait des
préservatifs dans les airs, sur scène. Toutes ces performances ont évidemment choqué le
public, et ont eu un grand retentissement à l'étranger, surtout aux États-Unis, où un article
paru dans un numéro du Time Magazine, intitulé Eggs, Gunshots and Condom69. Cependant,
seulement trois heures après l'ouverture, l'exposition fut fermée suite à plusieurs
performances un peu trop provocatrices au goût des autorités, en particulier lorsque Xiao Lu
68
Ibid. 69
LI X., « The pluralistic look of Chinese Contemporary Art since the Mid-Nineties »,chinese art.com, http://www.chinese-art.com/volume2issue2/image100/feature/feature1.htm, consulté le 21/04/11
27
tira délibérément deux coups de feu sur leur installation, Dialogue, composée de deux
cabines téléphoniques. Tang Song, un autre artiste cria alors « Give it another shot ! », ce
qu'elle fit. Cette performance n'était absolument pas prévue, hormis par les deux artistes.
L'exposition rouvrit cinq jours plus tard, officiellement en raison du festival du printemps.
Mais la réouverture ne fut que temporaire, puisque l'exposition fut de nouveau annulée
pour deux jours lorsque le bureau municipal de la sécurité publique de Pékin et le musée
reçurent simultanément deux lettres anonymes qui menaçaient de placer trois bombes dans
le musée si l'exposition n'était pas fermée. En conséquence, les autorités du musée ont
condamné le comité d'organisation à payer une amende de deux mille yuans. L'exposition
rouvrit le 17 février, puis ferma comme prévu deux jours après. On ne sait toujours pas qui
est l'auteur de ces menaces contre l'art de performance.70
La brèche se referme
Ce grand événement qui a quelque peu bouleversé le monde de l'art chinois est
souvent considéré comme un moment décisif de l'histoire de l'art contemporain. Cependant,
il faudrait nuancer quelque peu l'importance de cette exposition. D'abord, parce que même
si certaines œuvres exposées étaient très controversées, voire choquantes, l'exposition en
elle-même ne parvient cependant pas à rompre avec l'appellation officielle et traditionnelle
d' « exposition nationale », et reste finalement plus ou moins dans la continuité de ce qu'il se
faisait avant, en matière de manifestation culturelle. La grande ambition des artistes et
organisateurs de China/Avant-Garde était de faire de l'exposition un événement grandiose,
révolutionnaire, dans le sens où ils entendaient s'emparer de cette institution quasi sacrée
et inviolable qu'était le musée national d'art de Pékin. Ils ont d'ailleurs réussi, puisque le
musée fut entièrement re-décoré pour l'occasion, l'entrée revêtue de grands tapis noirs
parsemés de dessins de panneaux « interdiction de faire demi-tour ». La façon dont
l'exposition a tourné court, après une intervention policière, a beaucoup remué les habitants
de la capitale chinoise. L'amalgame a rapidement été fait entre performance artistique
expérimentale voire avant-gardiste et activisme pro-démocratique. En effet, il convient de
situer l'action dans son contexte politique : déjà en 1988, on a pu observer un durcissement
de la position gouvernementale, à la suite des premières manifestations étudiantes de 1986
70
M. MA, loc. cit.
28
et 1987.71 Deng Xiaoping place le conservateur Li Peng au poste de premier ministre, à la
place de Zhao Ziyang, plutôt réformiste. Il existait donc, au sein-même des hautes sphères du
gouvernement et du parti de fortes dissensions. On comprend aisément que Li Peng, obsédé
par la stabilité politique, ne se soit pas montré très magnanime envers ces artistes
provocateurs, d'autant que la tension montait progressivement au sein de la société chinoise,
divisée entre stabiliser le pays économiquement et politiquement, ou continuer coûte que
coûte les réformes, pour atteindre les Quatre puis Cinq grandes modernisations, la
cinquième étant de plus amples libertés individuelles72. Le paroxysme de ces tensions est
atteint seulement trois mois plus tard, le 4 juin 1989, sur la place Tian'Anmen, où étaient
présents la plupart des organisateurs et artistes de l'exposition China/Avant-Garde. La
tempête euphorique des années 1980 disparut alors aussi vite qu'elle était apparue. Le
critique d'art Huang Zhuan en parle d'ailleurs en ces termes : « The moment the Exhibition
was over, another storm of passion swept the whole country. When that storm died down, it
was already the 1990's. Then, the Exhibition was just like an answer to a curtain call. After
the 1990's, the entire world had changed, changed to a time of pursuing material comforts
and a time of consumption. And the previous avant-garde artists all scattered about : some
went abroad; some changed their lines; some began to live in seclusion. It’s just like a dream,
stopped abruptly. The modern art in the 1980's had disappeared almost overnight, without
any trace. » 73 Après les répressions et le massacre de la place Tian'Anmen, l'art
contemporain en Chine en tant que mouvement passionné de rébellion et de lutte pour la
liberté d'expression change complètement de visage, conscient que ce sombre événement a
bouleversé la société chinoise à jamais.
71
C. PUEL, Les trente ans qui ont changé la Chine, Buchet-Chastel, 2011 72
Elle fut évoquée par WEI Jingsheng en 1978 sur un ''dazibao'', affiche murale placardée sur le Mur de la démocratie à Pékin, en réponse à la campagne pour les Quatre modernisations menée par le gouvernement.
73« 1989 Avant-Garde Exhibition », Art Speak China.org,
http://www.artspeakchina.org/mediawiki/index.php/1989_Avant-Garde_Exhibition_%E5%89%8D%E5%8D%AB%E8%89%BA%E6%9C%AF%E5%B1%95 , consulté le 21/04/11
29
III – L'ère post Tian'Anmen : une liberté surveillée
La scission de l'art contemporain chinois en deux mouvements bien distincts
Toute la période de répression qui a précédé et suivi le massacre de la place
Tian'Anmen dans la nuit du 4 au 5 juin 1989, qu'on appela le printemps de Pékin, n'arrêta
pas pour autant le mouvement d'ouverture économique en marche en Chine depuis la fin
des années 1970, bien au contraire. En effet, 1989 fut également – et paradoxalement –
l'année de la mise en place d'une nouvelle politique de relance, dans le but d'atteindre une
véritable économie de marché74. C'est à ce moment que furent ouvertes les bourses de
Shanghai et de Shenzhen, par exemple. Jiang Zemin, ancien maire de Shanghai, accéda aux
postes de secrétaire général du parti communiste chinois et de président de la commission
militaire centrale, faisant de lui le nouvel homme fort du pays, toujours sous la houlette de
Deng Xiaoping, qui, malgré le fait qu'il n'ait plus de véritable pouvoir, restait le personnage
politique central de Chine. La nouvelle position gouvernementale vis-à-vis du monde de l'art
était alors assez floue, mais relativement positive : Jiang déclara en effet qu'on « tolérera
même une certaine impertinence, pourvu qu'elle reste « tolérable », c'est-à-dire
superficielle. »75 Les intellectuels et les artistes chinois se rendirent alors compte de
plusieurs éléments importants. D'abord Tian'Anmen leur a douloureusement montré les
limites de la tolérance du gouvernement. Si critique il y a, elle devra être insinuée de façon
très discrète. La seconde révélation fut plus positive : les diverses expositions d'œuvres
contemporaines chinoises qui ont eu lieu à l'étranger donnèrent lieu à une progressive
reconnaissance de ces artistes à l'international. Or cette dernière pourrait être une grande
opportunité pour l'acquisition d'une reconnaissance de l'art contemporain chinois cette fois
à l'échelle nationale. Ainsi, les artistes changèrent d'attitude dans leur façon d'envisager
leurs œuvres : certains se mirent à profiter de ce timide début de reconnaissance de la part
des autorités, d'autres préférèrent contourner la censure, par des méthodes de diffusion
détournées. Deux courants se formèrent donc : le premier, qui peut être qualifié de
« commercial », remporta de grands succès à l'étranger, tandis que le second resta beaucoup
plus avant-gardiste, en utilisant des techniques artistiques modernes et alternatives comme
la vidéo, l'installation ou la performance, comme le faisaient les artistes du mouvement 85.
74
C. PUEL, op. cit. 75
M. NURIDSANY, op.cit., p. 12
30
L'art contemporain chinois à la rencontre entre la tolérance et la provocation
Dans le premier courant évoqué, on peut regrouper différents mouvements, tels que
le « pop politique », le « réalisme cynique », ou encore le « Gaudi art », que les experts
n'hésitent pas à qualifier comme des synthèses entre ce que tolèrent les autorités et ce qui
reste vendeur en Occident, des œuvres « exotiques », « agréablement contestataires »76, qui
usent de l'illusion et de la dérision pour évoquer le passé politique chinois. Le pop politique
commença à prendre de l'ampleur lors de la foire internationale d'art de Canton en 199277,
qui fut la première grande manifestation artistique totalement privée, sans aucune
participation de l'Etat chinois : les investisseurs étaient payés en nature, puisqu'ils se
voyaient offrir les œuvres exposées en échange de leur participation financière. Le chef de
file du pop politique est Wang Guangyi, présent sur le devant de la scène artistique chinoise
dès le début des années 1980. La majorité de ses œuvres s'inspire largement de celles
d'Andy Warhol, et confrontent « l'emphase du réalisme socialiste et l'efficacité de
l'esthétique commerciale »78. Né à Harbin en 1956, il sortit diplômé de l'académie des
Beaux-Arts du Zhejiang en 1984. Tout de suite inspiré par l'art occidental, il peignait des
tableaux surréalistes à l'époque du groupe des artistes du Nord, avant de commencer à
revisiter le portrait de Mao, en 1988, quatre ans après son confrère américain du Pop art.
Lors de l'exposition China/Avant-Garde de 1989, il expose Mao, n°1 et obtint un succès
phénoménal. Il continua alors ses portraits quelques temps, rapidement imité par d'autres
artistes tels que Li Shan ou Yu Youhan, avant de se lancer en 1990 dans une immense série,
qu'il intitula La Grande Critique (Da pipan – 大批判). Chaque pièce est une reproduction
d'affiche de propagande de l'époque maoïste, de style réaliste socialiste, sous-titrée d'une
grande marque occidentale, comme Coca-Cola, Swatch, Carlsberg... Il s'explique : « Je
critique Coca-Cola, mais j'en bois tous les jours. Ces contradictions ne dérangent pas le
peuple chinois. »79 Le réalisme cynique, quant à lui, est mené par Fang Lijun, Yue Minjun ou
encore Zhou Chunya. Le premier peint des personnages aux crânes rasés, l'air railleurs,
cynique ou plein d'ennui. Les personnages du second sont quant à eux tous fendus d'un large
sourire, qui s'apparente plus à un rictus dérangeant, voire glauque. Zhou Chunya quant à lui,
76
M.NURIDSANY, op. cit. p.14 77
Ibid. 78
M. NURIDSANY, « art contemporain »,loc. cit. 79
M. NURIDSANY, op. cit. p. 58
31
est célèbre pour ses peintures représentant un chien vert, à la gueule rouge sang. Enfin, on
retrouve dans cette mouvance générale le kitsch à la chinoise, où le Gaudi art, apparu dans
les années 1990, dont les principaux représentants sont Liu Zheng, Xu Yihui et les trois frères
Luo, Weidong, Weibing et Weigu. Leur univers, inspiré de l'art populaire, est très coloré, très
chargé, et contient de nombreux symboles du bonheur : des enfants dodus, de l'or, des
animaux, éléments que l'on retrouve invariablement en Chine, dans les restaurants, les
magasins, chez les particuliers... Le tout mélangé aux symboles de la société de
consommation issue de l'Occident, souvent les mêmes que ceux que l'on retrouve dans La
Grande Critique de Wang Guangyi. « Leur art est simple, tapageur, exubérant, paradoxal et
clinquant, séduit et amuse à la fois, en Chine, aux États-Unis et en Europe », rapporte Michel
Nuridsany80. On doit la théorisation de ce mouvement au critique d'art Li Xianting.
L'art expérimental chinois
A côté de tous ces artistes dont la renommée internationale n'est plus à faire, bien
qu'ils soient loin de faire l'unanimité au sein des critiques, se développa un art beaucoup
plus « underground », qui s'exprimait et s'exprime toujours à travers l'installation, la
performance, la photographie, ou plus récemment la vidéo. Le body art fut l'un des moyens
d'expression les plus utilisés, et l'apparition de la vidéo permit d'étendre la diffusion de ces
performances au plus grand nombre81. Les premiers à utiliser ce médium sont Xu Zhen, Yang
Zhengzong et Yang Fudong. Xu Zhen appartient à la nouvelle génération, celle qui participa
activement au renouveau de l'art contemporain chinois, entre 1999 et 2002. Très jeune,
puisqu'il n'avait que 19 ans lorsqu'il participa à la Biennale de Venise de 2001, il y fit déjà
sensation avec sa vidéo Rainbow (cai hong - 彩虹), montrant un dos humain flagellé par un
fouet invisible. Même si à l'époque personne ne retint son nom, il persévéra dans son art
ironique et provocateur, et commence à faire parler de lui, particulièrement depuis qu'il est
également directeur artistique de la galerie Biz'art, à Shanghai. Sa production fut très intense
entre 1998 et 2004 : ses performances rivalisaient d'audace et ne manquaient pas de
choquer le public : par exemple, sa performance nommée Throwing a cat, immortalisée par
la vidéo I'm not asking for anything, consistait à attraper un chat (mort) par les pattes ou la
queue, et le jeter sur le sol, ce pendant quarante-cinq minutes. Et à la question « Pourquoi un
80
M. NURIDSANY, op. cit., p.123 81
M. NURIDSANY, loc. cit.
32
chat ? », il avait répondu « Parce que les chats sont sexy. »82 Ses autres vidéos sont
généralement dans un autre genre : il provoque toujours, cette fois en cherchant à déranger
les gens physiquement parlant, dans leur quotidien, souvent dans l'espace public, dans la rue
ou à la sortie des magasins, en hurlant, en y plaçant une immense soufflerie... Xu Zhen est
également le co-organisateur de deux grands événements artistiques de la précédente
décennie : les expositions Art for Sale et Jumelles, sur lesquels nous reviendrons, avec Yang
Zhengzhong. Ce dernier vit également à Shanghai, et est originaire de de Xiaoshan, petite
ville près de Hangzhou, dans la province voisine de Shanghai. Artiste polyvalent, il toucha un
peu à tous les supports avant de se focaliser sur la performance et la vidéo. Très talentueux
et apprécié des critiques, il sera représenté lors de l'exposition Alors la Chine ? du Centre
Georges Pompidou, avec une série vidéo nommée Je sais, je vais mourir, et qui fut montrée à
travers le monde entier. Sur ces vidéos, on peut observer des anonymes défiler devant la
caméra, à qui l'artiste a demandé de prononcer la phrase « Je vais mourir ». Yang Fudong,
encore un Shanghaien, est consacré à la Documenta de Cassel en 2002, puis à la biennale de
Venise de 200783. Ses vidéos très lentes et en noir et blanc sont des petites histoires, des
court-métrages, comme des contes.
Les années 1990, décennie de la consécration
Les années 1990 sont donc un nouveau pas vers la consécration nationale et
internationale de l'art contemporain chinois. A l'international d'abord, les artistes qui avaient
dû ou avaient préféré émigrer à l'ouest après les événements de 1989 développèrent des
réseaux de production, d'exposition et de diffusion entre les États-Unis, l'Europe et l'Asie, au
Japon ou encore à Hong Kong, et même en Chine continentale, sous l'œil méfiant des
autorités, souvent aidés par les spécialistes de l'art hongkongais ou Taiwanais. Les artistes
chinois s'exportent de plus en plus à l'étranger, où ils remportent un franc succès. Aux
biennales de Venise d'abord, puisque l'édition de 1993 en sélectionna 13, 3 en 1995, tandis
que l'année 1999 fut la consécration : 20% des artistes présentés sont chinois, et Cai
Guoqiang remporte le Lion d'Or de la biennale avec son installation Cour de perception des
impôts de Venise. C'est d'ailleurs lui qui a composé les feux d'artifices des cérémonies
officielles à l'occasion des Jeux Olympiques de Pékin 2008. La même année, le pékinois Xu
82
M. NURIDSANY, op. cit. p. 231 83
M. NURIDSANY, loc. cit.
33
Bing remporta le prix Mac Arthur, qui encourage et récompense les esprit créatifs par une
bourse de cinq ans, tandis que Gu Wenda, désormais établi à New York, a vu une de ses
créations consacrée en couverture de la revue Art in America. Ces trois artistes sont de ceux
qui ont quitté leur pays natal pour se faire une réputation, se sentant trop muselés par les
instances politiques chinoises. S'ils se sont construits, il est vrai, une grande réputation, leurs
confrères restés au pays n'ont rien à leur envier : eux aussi croulent sous les invitations à
participer aux diverses foires et expositions qui ont lieu à travers le monde. Ceux-là tiennent
vivement à leur statut d'artiste indépendant et vivent souvent de façon plus ou moins
bohème, même s'ils tentent, souvent en vain, de conserver leur profession initiale, malgré
leurs multiples déplacements à l'étranger. On observe le même phénomène avec les
« commissaires d'exposition indépendants », c'est-à-dire qui ne sont nullement employés par
des galeries, qu'elles soient officielles ou privées. Généralement, ils sont aussi critiques d'art
ou éditeurs, ou artistes eux-mêmes. Wu Hung insiste bien l'importance croissante de ces
personnages pour le développement de l'art contemporain chinois.84 En effet, ils sont le trait
d'union entre la Chine et l'Occident, de par leur profonde connaissance des codes artistiques
qui règnent à l'ouest, mais aussi des lieux, des personnes et des pratiques, tout en étant
toujours profondément rattachés à leur pays d'origine. Ainsi, ils sont les plus à même de
défendre l'art contemporain chinois, en tant que partie intégrante de la culture chinoise en
général, qui ne doit donc pas « s'internationaliser »85, malgré la nécessité pour lui de passer
par des canaux transnationaux pour être reconnu. Nous reviendrons sur ce sujet plus tard.
Les nouveaux espaces de l'art contemporain chinois
En effet, des galeries privées commencèrent également à s'intéresser de près à la
scène chinoise, phénomène primordial pour l'expansion de l'art contemporain chinois. C'est
le cas de la galerie Malborough à Londres, Bishofberger à Zurich ou encore de la Galerie de
France à Paris, qui présente Zhang Xiaogang, Fang Lijun, Chen Wenbo ou encore Yue Minjun.
A New York également, pas moins de cinq galeries ouvrirent leurs portes afin de défendre la
scène chinoise émergente86. Puis en 1993 eut lieu l'exposition China's New Art post 1989 à
Hong Kong, encore une fois à la galerie Hanart TZ, sous la direction de Chang Tsong-zung et Li
Xianting, où l'on retrouva des œuvres de Fang Lijun, Fang Shaohua, Wang Guangyi, Yu
84
WU. H, Exhibiting Experimental Art in China, op. cit. p.19 85
E. BORIES, op. cit., p.34 86
A. MALVOISIN, « L'émergence de la création contemporaine chinoise », Le Journal des Arts n°174, 27 juin 2003
34
Youhan, Li Shan, Geng Jianyi, Feng Mengbo, Wei Guangqing, Wang Yousheng, Wu Shanzhuan,
Yan Guoxin, Zeng Fanzhi, etc. Elle fut ensuite transportée en Australie, puis aux États-Unis.
Cependant cet enthousiasme est loin d'être partagé par la Chine continentale : tout
événement artistique un tant soit peu avant-gardiste ou du moins expérimental est
fortement découragé par les autorités, malgré les quelques preuves d'ouverture dont a fait
montre le gouvernement au début de la décennie. Les « gentilles » satires de Mao aux
couleurs chatoyantes oui, les installations, les performances, les photos ou les vidéos
choquantes, non. Par conséquent, les expositions ne touchent encore que des audiences
restreintes, souvent les familles, les amis, les autres artistes et les étrangers, et ont toujours
lieu dans des lieux privés. De nouvelles expressions sont apparues pour désigner ce
phénomène, tels que « apartment art » ou « embassy art ». 87 Puis, à partir de 1993 surtout,
se développent les premières galeries d'art en Chine continentale, tandis que le débat sur la
marchandisation de l'art éclot peu à peu. La première galerie privée, la Red Gate gallery, fait
office de précurseur, puisqu'elle s'ouvre à Pékin en 1991, suivie de près par la galerie
ShanghArt, à Shanghai. Le premier propriétaire de la Red Gate gallery était Brian Wallace, un
Australien qui avait commencé à s'intéresser à l'art contemporain chinois dès les années
1980, et avait commencé par organiser des expositions dans l'ancien observatoire de Pékin,
en 1988. Plus tard, en 1996, une autre galerie ouvrit, grâce à Handel Lee, un avocat sino-
américain, de l'autre côté de la douve de la porte est de la Cité Interdite. La Wang Fung Art
Gallery, quant à elle, ouverte en 1993, se situe dans le bâtiment des anciennes archives
impériales88. Certaines autres développèrent des partenariats avec des écoles, comme par
exemple la Capital Normal University Art Gallery, la Contemporary Art Gallery, et la Central
Academy of Fine Arts High School, notamment parce que leurs directeurs étaient des
sympathisants de l'art expérimental89. L'Etat s'immisce également peu à peu dans le monde
de l'art contemporain chinois, à travers de nouvelles sociétés étatiques pour la promotion
d'expositions. C'est le cas de Guo Shirui, directeur du centre d'art contemporain officiel,
dirigé par le National News and Publications Bureau, qui entreprit en 1994, de sponsoriser
et d'organiser une série d'expositions d'art expérimental90.
87
WU H., op. cit. p. 22 88
Ibid. 89
Ibid. 90
Ibid.
35
La première biennale d'art contemporain de Shanghai
En 1996 eut également lieu la première Biennale d'art contemporain de Shanghai,
sous l'autorité du ministère de la culture chinois et de l'administration municipale de
Shanghai91. Elle fut organisée par le musée d'art de Shanghai, installé au Parc du Peuple.
L'idée germait depuis de nombreuses années dans la tête du président du musée, Fang
Zengxian. Il engagea dès les années 1980 toute une équipe de commissaires d'exposition,
Chen Zhen, Yang Hui, Zhou Changjiang, Du Ning, et Zhang Jian-jun. Pour éviter les
débordements et la censure, tout en conservant la dimension nationale de l'événement,
cette équipe a préféré privilégier les peintures à l'huile. Zhang Jian-jun disait : « For the first
one, we couldn't be international but we chose some Chinese artists from overseas. We felt
that the oil painting scene was pretty active so we focused on oil painting, with artists from
all different provinces. We still had some realistic works because not everyone included could
be avant-garde. ».92 Les quelques pièces plus provocatrices étaient en quelque sorte
« atténuées » par des œuvres classiques, pour contenter les officiels. On y trouvait tout de
même quelques installations, dont des travaux de Chen Zhen et Zhang Jian-jun. Ce dernier
relate la visite des autorités dans une interview93 : « The museum staff were working hard
and were very nervous about how to play politics. That night suddenly one of the high-
ranking officials came to go over the show. Suddenly he saw Chen Zhen’s work and he said,
'Remove this work. You lied to me.' Apparently he thought that the work hadn't been included
in the proposal but the staff confirmed later that it had and had just been overlooked. » En
dépit de la censure gouvernementale donc, cette première biennale fut un grand succès ainsi
qu'une nouvelle victoire de l'art contemporain chinois en terre communiste. Désormais, il
n'est plus rare de voir des musées nationaux chinois, comme celui de Canton ou de
Shenzhen, organiser des expositions d'art expérimental. Ce fut ensuite au tour de villes plus
modestes, ou en tout cas plus reculées, comme Chengdu, capitale de la province du Sichuan,
au sud-ouest de la Chine, de s'ouvrir à l'art contemporain grâce à l'ouverture de galeries,
comme la Up River Gallery.
L'utilisation des lieux publics
91
Site web officiel de la Biennal Foundation, http://www.biennialfoundation.org/biennials/shanghai-biennale/, consulté le 20/04/11
92R. CATCHING, « Why care about the Shanghai Biennale ? », 22/10/10, Randian.com, http://www.randian-
online.com/en/features/why-care.html , consulté le 20/04/11 93
Ibid.
36
Ainsi, les commissaires d'exposition chinois se concentrent de plus en plus sur les
lieux officiels pour montrer l'art expérimental, essentiellement pour en développer
l'audience, faire découvrir l'art contemporain chinois à un plus large public, l'ouvrir à la
partie de la population moins initiée, qui n'aurait pas l'idée d'aller visiter des galeries privées.
L'autre but sous-jacent à l'invasion des lieux publics officiels est évidemment d'essayer de
rendre les autorités gouvernementales plus conciliantes, plus ouvertes, voire de les convertir
en supportrices de cet art contemporain. Mais d'autres ont trouvé un moyen encore plus
radical de se faire connaître, sans en passer par les institutions officielles : le détournement
d'espaces a priori non destinés à l'exposition artistique. Cette tendance vit le jour
essentiellement à partir de 1999, avec l'exposition déjà évoquée Art for Sale94. Elle fut
organisée dans le centre-ville de Shanghai du 10 au 25 avril 1999, au Shanghai Square
Shopping Center, 138, Huaihai road (Huaihai lu -淮海路), aujourd'hui remplacé par le
luxueux Time Square shopping center. Cet événement est toujours considéré comme une de
expositions les plus novatrices en matière d'art expérimental en Chine continentale. En effet,
non seulement les commissaires d'exposition, Xu Zhen, Fei Pingguo et Yang Zhenzhong,
utilisèrent un espace public, et qui plus est commercial, pour exposer de l'art, mais en plus
les œuvres qu'ils présentèrent pouvaient être considérées à la fois comme des pièces
artistiques et comme de la marchandise. Tout avait été calculé ainsi, y compris le catalogue
qui ressemblait à un catalogue de vente par correspondance. L'exposition en elle-même était
divisée en deux sections. Au premier plan, ils avaient installé un petit espace faisant penser
aux étalages d'un supermarché, tandis que derrière se tenait un plus grand espace réservé
aux installations, plus conventionnel. L'espace supermarché pouvait être considéré comme
une immense installation artistique en elle-même. Le jour de l'ouverture, l'artiste Song Dong,
habillé en vendeur de « l'agence de voyage Song Dong Art », guidait les visiteurs/clients à
travers les deux galeries, équipé d'un mégaphone. Les réactions furent évidemment
nombreuses, et loin d'être toutes positives. En effet, si les milieux artistiques furent très
enthousiastes, comme les magazines World of Art (Yishu shijie – 艺术世界) ou Elegance
(Fengcai – 风采), les critiques émanant des milieux officiels étaient acerbes, à tel point que
l'exposition, qui devait durer deux semaines, ferma au bout de seulement trois jours, pour
des raisons aussi diverses que floues. Art for Sale a donc fait office de pionnière dans sa
catégorie, et fut suivie par de nombreux autres événements, malgré son faible succès auprès
94
WU H. op. cit. p. 173
37
des autorités chinoises. Au Club Vogue de Pékin, un des bars huppés de la capitale, eut lieu
par exemple l'exposition Food as Art95 le 17 février 2000, sous la direction du Zhang Zhaohui.
Sept œuvres furent montrées au public, dont cinq installations et deux performances. Un
artiste originaire du Sichuan, Luo Zidan, s'auto-caricatura lors de sa performance intitulée
Nouveau Intellectual Turned Rascal, tandis que le danseur Wang Chunhong et ses élèves
interprétèrent un tableau appelé The Last Supper, où ils se transformaient tour à tour en
mangeurs et en plats. Une des installations fut finalement retirée par le propriétaire du lieu,
un homme d'affaire sino-australien : Pursuing the Soul for a Kill, de Sun Yuan et Peng Yu
consistait en un lévrier congelé, qui se faisait rôtir à l'aide d'un gros projecteur qui rayonnait
sur sa tête.96 Enfin, on peut également évoquer l'exposition Home ? : Contemporary Art
Proposals97, installée dans un grand magasin de meubles, le Star-Moon Home Furnishing
Center, au 18, Macao road (Macao lu - 马槽路), à Shanghai, toujours en 2000. L'événement
fit également beaucoup de bruit, de par sa taille tout d'abord, puisque l'exposition s'étalait
sur plus de 20 000 mètres carrés, mais également du fait de sa collaboration avec une grande
compagnie, qui dépensa plus de 450 000 yuans pour l'exposition.
* *
*
Ainsi, depuis la mort du Grand Timonier et le début de l'ouverture économique de
l'empire du Milieu, l'art s'est libéré de ses chaînes, porté par quelques audacieux
personnages. De 1978 à aujourd'hui, ces artistes ce sont multipliés, ont effectué un travail de
découverte titanesque, notamment des évolutions de l'art de l'autre côté de la planète, afin
de combler ce « retard à rattraper ». Cette nouvelle Longue Marche fut parsemée
d'embûches que représentent les vagues de censure et de répression de la part du régime
autoritaire chinois. Pourtant, nous l'avons vu, l'art contemporain chinois dispose aujourd'hui
d'une large reconnaissance, à la fois nationale et internationale, qui ne demeure cependant
pas sans ambiguïté. De plus, les relations entre monde artistique et autorités sont loin d'être
apaisées. En effet, si on a pu remarquer l'émergence d'une certaine ouverture entre les
années 1999 et 2002, la censure gouvernementale reste omniprésente. Plusieurs questions
doivent donc être posées. La plus évidente serait « comment font tous ces artistes pour
95
Ibid. p. 191 96
Ibid. 97
Ibid. p. 197
38
échapper au contrôle des autorités ? », mais pour aller plus loin, il faudra également étudier
le phénomène inverse : quelle est et comment expliquer, finalement, l'attitude ambiguë du
gouvernement vis-à-vis de ce phénomène qui les dépasse ? Ensuite, il sera temps d'éclaircir
le statut de l'artiste contemporain chinois à l'étranger, qui n'est pas sans ambiguïté, lui non
plus, avant d'envisager les problématiques actuelles traitées par les artistes chinois
d'aujourd'hui, qui ont, nous le verrons, évolué bien plus qu'on ne le pense depuis les années
1980.
39
40
Chapitre Deux : L'artiste contemporain chinois, héros de la lutte pour la liberté
d'expression ?
I – Jouer avec la censure : les relations ambiguës entre artistes et autorités chinoises
Le développement des villages et regroupements d'artistes en périphérie
Pour le néophyte occidental, qui observe de plus ou moins loin l'incroyable
fourmillement en train d'opérer sur la scène artistique chinoise, ce qu'il estime être des
prises de positions politiques des artistes, pour le moins opposées à celles du
gouvernements, sont autant de batailles menées contre la censure et les privations des
libertés individuelles. Cependant assimiler l'art contemporain chinois à un combat
permanent contre les institutions officielles serait réducteur. La situation est en fait bien plus
complexe que ça. En effet, depuis les événements de la place Tian'Anmen de juin 1989, la
communauté artistique a réalisé qu'il était peine perdue, contre-productif, voire dangereux
d'élever trop fort la voix contre le régime. Pourtant, comme le rappelle le critique et
universitaire Gao Minglu, les artistes chinois sont dans l'incapacité de s'extraire des réalités
socio-politiques et économiques de leur pays, dans lesquelles ils baignent, « puisqu'elles
conditionnent totalement la création »98. En effet, manquant toujours cruellement de
reconnaissance de la part des instances officielles, ils sont en tension permanente avec elles.
Face à cela, Gao Minglu observe deux attitudes distinctes99 : la première consiste pour les
artistes à se retrancher dans les périphéries des grandes villes, notamment autour de Pékin.
Ainsi se développent des villages à l'écart de la société urbaine, où les artistes se réunissent,
comme en signe de recueillement, tels des échappatoires au monde matérialiste et envahi
par la propagande. Le plus important était au départ situé dans le parc des ruines de l'ancien
Palais d'Été (Yuanming yuan – 圆明园) au nord de Pékin. Il fut créé en 1986, et regroupait
des artistes venant de toute la Chine. Ces derniers abandonnaient leur métier en même
temps qu'ils rejetaient le système établi par le régime autoritaire chinois100. Ils étaient
animés d'une volonté de s'extraire de leur existence de détenteurs de « bol de riz d'acier »
98
E. BORIES, op. cit., p.30 99
Ibid. 100
YANG W., « Getting Close to the Times : a A Look at Chinese Contemporary Art After the Move from the Region of Yuan Ming Yuan to Song Zhuang », Chinese art.com, http://www.chinese-art.com/Contemporary/volume2issue5/special.htm, consulté le 22/04/11
41
(Tie fan wan – 铁饭碗), une expression populaire qui désigne les personnes bénéficiant
d'une vie stable, avec un emploi et des revenus fixes, à savoir les fonctionnaires et employés
d'entreprises étatiques.101 Le sentiment de liberté, en l'absence de pression politique
pourtant quasi palpable en ville, ainsi que l'esprit communautaire qui régnaient là-bas
encourageaient l'échange et étaient moteurs de la créativité. Le choix de cet emplacement
n'est pas non plus anodin, car les ruines de l'ancien palais sont pourvues d'une forte
dimension symbolique dans l'esprit collectif chinois : la migration était autant physique que
psychologique.102 C'est dans ce village qu'émergèrent des talents tels que Fang Lijun et Yue
Mingjun, maîtres du réalisme cynique. Vivre au Yuanming yuan permettait aux artistes de
remettre en question de nombreuses notions, comme l'importance du succès, la signification
et le but de l'art, jusqu'aux rapports hommes-femmes. On peut parler d'avant-gardisme pur,
dans le sens artistique du terme mais aussi psychologique. Mais il aurait été bien trop
utopique de penser qu'un tel détachement puisse perdurer. En effet, rapidement le monde
de l'art marchand, et la société dans son ensemble eut vent de cet élan créatif. Les
propriétaires de galeries d'art, puis les médias commencèrent à venir visiter les ateliers, et le
village de Yuanming Yuan devint rapidement le centre d'attraction du monde artistique
chinois. Certains artistes commencèrent alors à regretter le calme qui régnait auparavant
sur le lieu, et décidèrent de quitter le village en direction de Songzhuang103, dans le district
de Tong Zhu, une vingtaine de kilomètres plus loin, où les loyers étaient toujours
relativement bon marché, au printemps 1994. Fang Lijun, Zhang Huiping, Yue Minjun, Liu
Wei, Gao Huijun et Wang Qiang furent les premiers à s'établir dans ce village abandonné,
d'architecture traditionnelle, c'est-à-dire en cours carrées, rapidement rejoints par d'autres à
la fin de l'année. Puis en 1995 les autorités fermèrent le village de Yuanming Yuan sans autre
forme de procès, déclarant qu'il était une menace à la stabilité interne, notamment de par sa
proximité avec le campus de l'université de Pékin, non sans interroger les artistes qui y
vivaient encore. Ces derniers finirent donc par rejoindre leurs confrères à Songzhuang, ainsi
que dans le village voisin, Xiaopu. Ils seraient désormais plus de 1 500 artistes à vivre dans
cette zone. Il faut également mentionner un autre lieu, le Dong cun (东村), traduction
littérale de l'East Village new yorkais. Situé dans la banlieue est de Pékin, originellement
appelé Datou cun (大头村), ce village attira les artistes chinois en même temps que le
101
Ibid. 102
Ibid. 103
H. DE LA BASTIDE, « Art et phénomène de regroupement à Pékin », dans Arts, propagandes et résistances en Chine, E. LINCOT (dir.), You Feng, 2008, p.39
42
Yuanming yuan, au début des années 1990, dont Zhang Huan, Ma Liuming ou encore Zhu
Min. Il avait cependant meilleure presse que le Yuanming Yuan, car les artistes qui y
résidaient étaient tous issus d'écoles d'art officielles. Zhuang Huan, par exemple, étudiait la
peinture à l'huile à l'Académie Centrale des Beaux-arts. Ses résidents lui donnèrent
l'appellation « Dong cun » afin de lui donner plus de sens, en clin d'œil au village d'artistes
new yorkais éponyme. Les artistes du Dong cun restèrent cependant dans l'anonymat le plus
total jusqu'en 1993, lorsque Zhang Huan causa l'annulation de tout un ensemble de
démonstrations artistiques, avec une performance à la China Art Gallery. Cependant dès le
milieu des années 1990 certains commencèrent à quitter le village, si bien qu'il n'y avait
quasiment plus personne au début des années 2000.104 S'il est un autre haut lieu de l'art
contemporain chinois qu'il faut également citer, c'est l'espace de Dashanzi. Considéré
comme le site artistique le plus célèbre de Chine, il est installé dans des anciennes usines de
production de matériel électronique, construite par des Allemands de l'est dans les années
1950. Abandonnées à la fin des années 1980, elles furent ensuite investies par l'Académie
des Beaux-arts à partir de 1995, qui était à la recherche de grands espaces, à loyers modérés.
L'espace fut finalement aménagé en 2000, sous l'impulsion de Sui Jiango, directeur du
département de sculpture de l'académie. C'est ainsi qu'une nouvelle communauté se
développa, à ce qui était encore la périphérie de Pékin, au nord-est.105 D'autres villes de
Chine vont voir se développer en leur sein ce genre d'espaces : c'est le cas de l'espace n°50
de Moganshan road (莫干山路) au nord du centre névralgique de Shanghai, vers la rivière
Suzhou, du Tank Storehouse Art District à Chongqing, ou encore du Blue Roof Art Center de
Chengdu. Ainsi, « These communities reveal the true state of Chinese contemporary art –
seemingly marginalized, but actually vigorous » commente Li Feng, le directeur du
département d'huile sur toile à la maison des enchères Huachen à Pékin.
La réponse ambiguë des autorités
Mais il serait intéressant de revenir sur l'expression de « village d'artiste », ce qu'elle
sous-entend et ce qu'elle implique. Comme le rappelle Hermance de la Bastide106, cette
104
« Dongcun », article publié dans l' Encyclopedia of contemporary Chinese Culture, Edward L.DAVIS, 2005, p.218
105 E. BEAUCHEMIN, « Dashanzi : de l'art contemporain dans du style Bauhaus », beijing.runweb.com, http://beijing.runweb.com/lang-FR-page-1437-2V-page,Dashanzi-De-lart-contemporain-dans-du-style-Bauhaus.html consulté le 23/04/11
106 H. DE LA BASTIDE, op. cit., p.45
43
appellation renvoie d'abord à une tradition internationale de regroupement : East Village,
Soho, Worpswede... Utiliser ce terme pour désigner les regroupements d'artistes chinois
peut donc être interprété comme une « manipulation » des instances officielles. Le
raisonnement est toujours le même : le gouvernement voit filer entre ses doigts une frange
de la société et se sent globalement impuissant face au phénomène d'internationalisation de
l'art contemporain chinois, sur lequel il éprouve des difficultés à garder contrôle. Ainsi, tout
en conservant une position dure face à ceux qui outrepassent le seuil de tolérance (les frères
Gao, installés à Dashanzi témoignent : « A un moment, on a voulu organiser une exposition.
Dès le premier jour, deux policiers ont bloqué l'accès aux visiteurs. On ne nous a jamais donné
d'explications »107) les autorités chinoises se montrent plus conciliantes avec les artistes qui
ne « mettent pas en péril la stabilité nationale ». Alors qu'en 1995 le Yuanming Yuan fut
fermé de façon pour le moins arbitraire, les artistes semblent être bien mieux accueillis par le
gouvernement de Songzhuang, alors que ce sont pourtant les mêmes personnes qui
viennent y habiter. A tel point que le gouvernement a créé la marque « Songzhuang – China »,
utilisée comme un label pour les produits locaux108. Le tout participe donc de la volonté des
autorités chinoises de se faire une place parmi les acteurs de cet engouement formidable
pour l'art contemporain chinois qui a lieu aujourd’hui, à tel point qu'il est devenu un enjeu
économique et financier international mais aussi un enjeu diplomatique. Ainsi finalement, la
position gouvernementale par rapport à l'art contemporain est bien plus complexe qu'il n'y
paraît.
Le développement du mass art
Une seconde forme de lutte face aux autorités peut également être adoptée par
certains artistes : l'utilisation de moyens de communication détournés, plus difficilement
contrôlables en amont. Ainsi, comme nous l'avons déjà évoqué, certains ont recours à la
technique du mass art, qui consiste à intervenir dans des lieux publics pour exposer son
travail. C'est ce qu'on fait Yang Zhenzong et Xu Zhen lorsqu'ils ont organisé l'exposition Art
for Sale en 2000, qui fut suivie de nombreuses autres. Même si la liberté des artistes n'est
pas encore totale, d'abord parce que les propriétaires des espaces utilisés (dans le cas de
bars par exemple) ou les directeurs de magasins conservent leur mot à dire quant à ce qui
107
E. BEAUCHEMIN, loc. cit. 108
H. DE LA BASTIDE, op. cit. p.44
44
sera exposé, et ensuite parce que rien n'empêche la police de mettre un terme à l'exposition,
les artistes et organisateurs par le biais du mass art peuvent désormais contourner le grand
obstacle que représente l'autorisation officielle avant l'installation de l'exposition. Ainsi,
même si l'événement est annulé quelques jours, voire quelques heures après, il aura tout de
même eu lieu. Wu Hung dans son ouvrage109 déclare même que « A cancellation does not
mean a failure. In fact, a cancellation always enriches the significance of a canceled
exhibition: it confirms the experimental nature of the exhibition and enhances its impact on
the public consciousness. It also confirms the unofficial identity of the curator and
participating artists, and strengthens their determination to change the system. Instead of
stopping experimental exhibitions, a cancellation encourages the effort to organize them. »
L'utilisation d'internet comme moyen de contourner le contrôle gouvernemental
Un autre moyen de contourner tous ces obstacles administratifs est l'utilisation
d'internet. Effectivement, même si la censure existe aussi sur le web depuis 2000 grâce au
« Great Firewall » mis en place par les autorités, un très grand nombre de sites internet
dédiés à l'art contemporain chinois ont fleuri sur la toile, qui recensent non seulement les
artistes et leurs œuvres, mais également les galeries et les expositions qui y ont lieu. En effet,
il est bien plus difficile pour le gouvernement de surveiller tout ce qu'il se passe sur internet,
et de plus il est très facile de contourner cette censure à travers un procédé informatique
très simple et tout à fait légal, qui consiste à changer son adresse IP de location (le système
du proxy). Le commun des mortels peut souscrire à un tel programme via un site internet, en
général américain, et pourra naviguer librement sur internet pour la modique somme d'une
quarantaine de dollars par an. Des solutions gratuites existent aussi, mais sont bien moins
efficaces. Ainsi le site 88 MOCCA.org, « The museum of contemporary art on the web »110 est
disponible en anglais et en mandarin, et propose au public de visionner plusieurs toiles et
photographies d'artistes majeurs, parfois même accompagnées d'un audio guide, avec des
commentaires des artistes, des analyses... On y trouve également un blog, des vidéos de
présentations d'expositions... Les ressources proposées sont également impressionnantes,
puisque le site recense et relie environ vingt-cinq galeries à travers le monde, mais aussi une
douzaine de magazines spécialisés en ligne, douze sites de collection, dont le fameux Ullens
109
WU H., op. cit. p.42 110
« The museum of contemporary art on the web », http://www.88mocca.org/#/home, consulté le 24/04/11
45
Center for Contemporary Art ; de nombreux articles sont également à disposition, ainsi que
des interviews d'artistes ou de spécialistes. Ainsi, les nouveaux médias et particulièrement
internet facilitent grandement la communication et les échanges entre artistes, galeristes,
experts et le grand public. Certains de ces sites sont d'origine étrangère, nouvelle preuve du
grand rôle des occidentaux dans la diffusion de l'art contemporain chinois. Le 88MOCA par
exemple est une initiative de la fondation Fritz Kaiser, domiciliée au Liechtenstein, mais la
plupart d'entre eux sont basés en Chine, comme le site artzineinchina.com111, qui est édité
par la société Izhang Culture Communication, établie à Shanghai. On peut également citer le
site artlinkart.com, qui se présente comme une « base de donnée d'art contemporain
chinois »112. Depuis les années 2000, des dizaines de sites de cet acabit ont envahi la toile.
Les artistes face à la censure
La réaction des artistes chinois face aux interdictions arbitraires qu'ils subissent est
tout à fait caractéristique de l'atmosphère générale qui règne sur le monde de l'art
expérimental en Chine. Dans le cadre d'un documentaire vidéo sur la censure de l'art
contemporain113, des étudiants du campus de la New York University à Shanghai ont
interviewé entre autres Li Zhenhua, un commissaire d'exposition et artiste qui partage sa vie
entre Shanghai, Pékin et Zurich, ainsi que le fameux et talentueux Xu Zhen. Lorsqu'on
demande au premier comment fonctionne réellement la censure gouvernementale, on
comprend qu'en fait il n'y a aucune règle écrite : « It depends on the manual, depends on the
scale of the project, whether it's a public project or just a personal experiment... », dit-il dans
un anglais quelque peu hésitant. Xu Zhen est beaucoup plus radical dans ses propos :
« People here are affected by censorship. If you want to do some activities or artwork, you
have to get permission from the government. It's not necessary for the museum to do this
work. If you're an artist or curator and you want to do this kind of work, the process can take
very long. Sometimes it takes one or two years to do this, so very few people go through
these procedures. So if you ask me about this situation, we don't know much about it. So if
there's a problem with your artwork, they will come and say you can't do it. At this time, you
will know what's allowed and what's not allowed ». « So it means that there are no actual
111
http://www.artzinechina.com 112
http://www.artlinkart.com/en/submit 113
S. HSU, « Video documentary project : Censorship in Chinese contemporary Art », http://shanghaichase.blogspot.com/2010/12/video-documentary-project-censorship-in.html, consulté le 24/04/11
46
standards the government follows for censorship? » demande alors l'interviewer. « No there
isn't. It's flexible. If they are not flexible with the standards, then wouldn't you be able to get
around the rules quite easily? » Les artistes chinois victimes de censure ainsi que de la
lenteur administrative, très caractéristique du régime, restent donc relativement
pragmatiques et semblent être assez résignés. Il ajoute un peu plus tard une phrase
révélatrice : « There's no problem if they put you in jail, you're still young. I think the
censorship is like movie ratings. [...] if we dismiss censorship, artists will stand up and say
they need censorship. So there will always be conflict, but this differs on occasion. For
example, one of our work was censored by the provincial government in 1999, but in 2001, it
was used by another branch of the government to represent China in an international
exhibition. » Voilà qui illustre une fois de plus l'attitude ambiguë des autorités : « We
shouldn't view artists as so simple, and same with the government. They're both complicated.
For example it can be as simple as if the government wants to trouble you, they can just have
someone to come over. So someone wants to trouble you, and it's my job to come charge you.
So as to that, censorship enforcers don't really have artistic principles or sense of cultural
development. They are simply part of the management system. It's just a national organ. So
based on this, it's impossible to discuss why art is okay or not okay with them. »114
Ainsi, voir les relations entre artistes contemporains chinois et autorités
gouvernementales comme une lutte ouverte permanente est une lourde erreur. Pourtant il
semble que les « amateurs » occidentaux peu éclairés persistent à interpréter les œuvres
chinoises comme autant de critiques ouvertes du gouvernement chinois, ou du régime
communiste autoritaire en général. A tel point que beaucoup d'artistes vont jouer de cette
méprise par pur intérêt financier, notamment les artistes des courants pop politique et
réalisme cynique.
114
Ibid.
47
II – Le grand malentendu
Le pop politique, une spécificité chinoise ?...
La première chose à laquelle on pense lorsqu'on évoque l'art contemporain chinois,
ce sont toutes ces peintures à l'huile aux couleurs vives reproduisant les icônes classiques de
la propagande aux grandes heures du maoïsme : des toiles rouges et noires représentant de
fiers ouvriers, des paysans ou encore des militaires souriants, portant une casquette ornée
d'une petite étoile rouge, avec, comme fondu dans le décor, un gros logo « Coca-Cola ». Ou
encore un portrait de Mao recouvert d'un grillage ou d'une cible rouge, telle celle d'une
arme à feu. Et pour cause, ce sont des œuvres de Wang Guangyi, chef de fil du pop politique,
et superstar de l'art contemporain chinois en Occident. Il sera beaucoup étudié par le
critique Li Xianting, grand promoteur du pop politique (zhengzhi bopu - 政治波普) en tant
qu'il est selon lui le moyen le plus facile pour accéder à la reconnaissance internationale,
indispensable pour que l'art contemporain chinois puisse perdurer115. Le pop politique éclata
d'abord à la biennale de Canton en 1992, puis fut consacré en 1993, lors de l'exposition
China's new art, post 1989. La même année, à la biennale de Venise, les treize artistes
chinois invités présentent également un ensemble d'œuvres issues des mouvements réaliste
cynique et pop politique. La Fièvre Mao (Mao re – 毛热)116, fait partie de ce courant : de
nombreux artistes vont détourner la figure emblématique de la République Populaire de
Chine à la suite de Wang Guangyi, lui-même reprenant l'idée d'Andy Warhol, son maître à
penser. Il se défend ainsi117 : « Warhol n'a pas connu Mao, pour lui c'était « juste » la
personne la plus célèbre du monde. » Pour Wang Guangyi, comme d'ailleurs pour tous les
chinois, Mao était un symbole, il a laissé en chacun de nombreuses émotions, très diverses.
L'artiste va donc parler de son travail autour de Mao comme d'une sorte de travail de deuil.
Zhang Hongtu, un autre artiste qui a travaillé autour de la figure de Mao, ajouta à ce sujet :
« If one has never lived under a communist government, Mao's portrait means nothing : it's
just a popular image such as Warhol did, like Marilyn Monroe. But the first time I cut Mao's
portrait with a knife and put it back together to make a new Mao image, I felt guilty,
sinful »118. Pour Li Xianting, l'œuvre de Wang Guangyi est « anti idéologique », marquerait le
115
E. BORIES, op.cit., « Le pop politique : une forme d'art corrompu ? », p.27-29 116
Ibid. 117
M. NURIDSANY, op. cit., p. 53 118
ZHANG H., Interview avec Jonathan HAY, retranscrit dans Boundaries in China, London, Reaktion Books, 1994
48
passage d'une vision humaniste, idéaliste, à un plus grand pragmatisme. Il met donc en garde
le public occidental de ne pas interpréter le pop politique comme de l'art contestataire, ce
que l'on pourrait penser en toute légitimité si l'on ne dispose pas de toutes les connaissances
nécessaires du contexte politique et social. Au contraire, le pop politique consiste plus selon
lui en une mise à distance sociologique, par l'intériorisation d'un ferment critique.119 Li
Xianting envisage le pop politique comme « un art de désœuvrement », miroir de la
dissolution de l'idéologie officielle mais aussi de la dissolution de la critique de cette
idéologie. Il serait « l'incarnation visuelle d'une forme d'art qui montre l'inverse de ce qu'il
est ». Une chose est certaine, c'est qu'encore aujourd'hui, les œuvres du courant pop
politique sont une valeur sûre sur le marché de l'art international, mais aussi en Chine
continentale. En effet, il semblerait que le public occidental en ait une vision européano
centrée, et soit séduit par ces œuvres car les considère « exotiques », pense les avoir
compris. Lors de la Biennale de Venise de 1993, les œuvres des treize artistes invités étaient
en effet toutes rassemblées dans une même salle, donnant ainsi une impression
d'homogénéité parfaite, tant dans les sujets que dans la technique. Se dégageait également
de la salle un sentiment de grand décalage temporel, de réel retard par rapport au reste de
la biennale. A tel point que les observateurs parlaient de chineseness pour qualifier les toiles
pop politiques exposées. Si l'on traduit cette expression en français par « chinoiserie », on
comprend pourquoi les artistes représentés ne se soient finalement pas montrés très
enthousiastes : Fang Lijun déclara ainsi que la pièce ressemblait à une « foire paysanne »
(nongcun jishi – 农村集市) exposant ses spécialités locales (tu te chan – 土特产), et que
c'était probablement ça qui attirait visiteurs120.
… Ou une vaste imposture ?
En Chine si le pop politique réussit à s'implanter également, c'est que les autorités
finirent par l'inclure dans leur seuil de tolérance, probablement plus occupées à traquer les
avant-gardistes qui iraient un peu trop loin dans leurs performances artistiques. Un débat
émergea ainsi entre les critiques, au sujet de cette soit-disant compréhension du pop
politique par les observateurs occidentaux, qui serait la seule raison de son succès. Dans les
années 2000, il se banalisa totalement. Pour preuve, si l'on va aujourd'hui visiter les galeries
119
E. BORIES, op. cit., p. 26 120
M.C. HUOT, China's new cultural scene, chapitre 4 : « China's Avant-Garde Art »op. cit. p. 131
49
d'arts de Moganshan road à Shanghai on ne peut que remarquer ces innombrables toiles
représentant Mao sous toutes ses coutures, toujours détourné ou ridiculisé, toiles de qualité
assez médiocre mais qui ont le mérite d'attirer l'œil du touriste non averti. En effet, cette
banalisation est analysée comme le signe apparent de la dérive commerciale de l'art
contemporain chinois, alors que ce courant n'était destiné à la base qu'à servir de sonde sur
le marché international. Les critiques iront même jusqu'à le qualifier d'art corrompu, de
« leurre culturel », conte lequel il faut se battre. Ainsi Qiu Zhijie121 reprend des propos qui
auraient été auparavant formulés par Li Xianting : « Dans l'état actuel des choses, ce truc-là a
eu au moins l'intérêt de faciliter l'entrée de l'art chinois sur la scène internationale : dans un
premier temps, il faut donc que nous le portions aux nues pour ensuite pouvoir le descendre
en flèche ». Fei Dawei quant à lui évoque une opposition entre les artistes du pop politique
et une nouvelle génération qui pratique « l'étude attentive de la culture chinoise »122.
Cependant, il semblerait que les artistes du pop politique commencent à manifester leur
mécontentement face à cette fausse compréhension de leur travail. Si pour l'instant il n'ont
pas vraiment démenti haut et fort cette lecture politique et contestataire qu'ont – peut-être
inconsciemment – les amateurs occidentaux, probablement pour ne pas altérer le succès
qu'ils connaissaient alors, ils commencent tout de même à hausser le ton : Zhang Xiaogang,
probablement l'artiste le plus en vue sur le marché international grâce à ses séries de toiles
autour de la famille, déclara par exemple : « On explique ma peinture de façon politique ;
mais moi, je cherche quelque chose de plus mystérieux dans la famille. Si je ne veux que
critiquer, je ne peux plus peindre. »123 Zhang Peili tient à peu près le même discours, il accuse
certains de ses contemporains de réaliser des œuvres teintées de « chinoiseries », « sur
commande » en quelque sorte, pour plaire, et donc pour vendre aux occidentaux. Il déclare :
« Les artistes chinois se demandent un peu trop « qui suis-je ? » L'idéal, c'est que les artistes
gardent leur naturel ».124 Xu Bing insiste, expliquant que désormais les artistes de l'avant-
garde refusent que l'on donne des interprétations sociologiques, politiques et surtout
idéologiques à leurs travaux, que l'on lise leurs œuvres comme des insurrections contre le
« dernier grand pays socialiste restant »125. Un exemple criant serait une des interprétations
occidentales des œuvres de Fang Ljiun : celles-ci représentent souvent des hommes chauves,
au visage grimaçant, la bouche grande ouverte comme un bâillement, et représenteraient
121
QIU Zhijie, Le moine et le démon, Luon, Musée d'art contemporain Milan, 5 continents, 2004 122
E. BORIES, op. cit., p.29 123
M. NURIDSANY, op. cit. p. 112 124
Ibid., p. 134 125
M.C. HUOT, op.cit., p. 130-131
50
l'ennui de la vie quotidienne des chinois d'aujourd'hui. Pourtant Andrew Salomon, écrivain et
journaliste américain, s'évertue à interpréter ces toiles comme les hurlements qui pourraient
sauver la Chine (« Howls that could free China »). Également dans le premier catalogue dédié
à l'exposition China's New Art, Post-1989, les critiques qualifiaient de dissidents les artistes
contemporains exposés : Jeffrey Hantover par exemple écrivait : « We see the work filtered
through memories of the flickering images of tanks rolling into Tienanmen Square, the
Goddess of Democracy tumbling to earth ».126 D'autant que du côté des artistes plus
expérimentaux, la critique est acerbe, à la fois à l'encontre des occidentaux, mais également
des artistes qui encouragent cette posture. Pour eux cette attitude des étrangers, « touristes
culturels », qu'ils accusent de néo-colonialisme, qui sélectionnent des œuvres « comme on
choisirait des filles dans une maison de passe »127 est détestable. Wang Nanning traite les
artistes qui se laissent soudoyer ainsi de « nouveaux riches vendus à la race dominante des
colonisateurs, qui se contentent d'utiliser quelques traits empruntés à l'art chinois
traditionnel pour signifier leur appartenance culturelle »128 Il vise directement des artistes
tels que Cai Guoqiang ou Gu Wenda, qui ont remporté un franc succès en Occident en usant
de techniques traditionnelles (poudre à canon, calligraphie...). Yan Lei de son côté, a évoqué
ces sentiments de frustration et d'exaspération à la fois envers les étrangers et les autres
artistes chinois à travers deux œuvres : la simple phrase « May I see your work ? »129,
premiers mots prononcés par les observateurs internationaux à leur arrivée dans les villages
d'artistes et studios chinois dans les années 1990, représentait pour lui le couperet, la
sentence finale, qui déterminerait la renommée de l'artiste ou la fin de son rêve de gloire. Ce
qu'il récuse surtout, c'est cet état de dépendance inextricable dans lequel était plongés les
artistes qui subissaient ce jugement souvent superficiel et non justifié, impuissants. Autre
grand sujet de révolte : la Documenta de Cassel130, dont la renommée mondiale mène
inexorablement à la consécration des artistes qui ont le privilège d'y être invités. C'est ainsi
qu'en 1997, il réalise une performance intitulée Invitation : il envoya à une centaine d'artistes
une lettre avec l'en-tête de la Documenta, annonçant la venue en Chine du directeur de la
manifestation, avec un numéro de téléphone, qui était en fait celui d'une cabine
126
J. HANTOVER, « What you see is not what you get : Chinese painting after June 4 » dans China's New Art, Post-1989 (catalogue)
127 Alain SAYAG, « la stratégie des artistes », catalogue de l'exposition ''Alors la Chine ?''
128 Ibid.
129 M.NURIDSANY, op. cit.,
130 La Documenta de Cassel est une des plus importantes manifestations culturelles destinées promouvoir l'art contemporain, au même titre que la biennale de Venise.
51
téléphonique. Les artistes appelaient donc ce numéro, et ne recevaient évidemment aucune
réponse, qui symbolisait la non-réponse des commissaires de Cassel face à l'attente des
artistes chinois, « plus préoccupés par le fait de participer à la Documenta qu'à réaliser une
bonne œuvre », dit Yan Lei131. Les répercussions de cette performance ont été énormes, les
artistes concernés se sont souvent fâchés, et ironie du sort, les plus mécontents furent ceux
qui n'avaient pas reçu la lettre. Le scandale fut si grand que Yan Lei dût publier une lettre
d'excuse, pour éviter l'incident diplomatique avec l'Allemagne132. Tout cela est donc tout à
fait symptomatique à la fois de l'état de dépendance des artistes vis-à-vis du monde de l'art
occidental, mais aussi des frustrations et énervements que cette impuissance génère chez les
artistes chinois.
L'influence de la Révolution culturelle
S'il est difficile pour nous autres occidentaux de faire abstraction de l'influence du
contexte socio-politique en Chine pour comprendre et interpréter les œuvres de ces artistes
chinois, c'est parce que nous avons un opinion biaisé sur la Révolution culturelle et ses
conséquences sur l'imaginaire des artistes. D'abord il faut bien distinguer les deux
« courants » chronologiques qui divisent les artistes : ceux qui étaient enfants ou jeunes
adolescents pendant les années 1960/1970 , qui ont donc vécu la Révolution culturelle plus
ou moins de l'intérieur, même si certains étaient encore trop jeunes, et ceux de la génération
suivante. L'analyse des premiers est très intéressante. En effet, même si aujourd'hui on parle
souvent - et à raison - de cette décennie comme l'une des grandes catastrophes du XXème
siècle, au même titre que le génocide cambodgien, il faut dépasser cette considération a
posteriori, et essayer de comprendre ce qu'il se passait dans les esprits de la jeunesse
chinoise d'alors. Témoigne de cette importance capitale la référence à cette période de
presque tous les artistes interrogés dans l'ouvrage de Michel Nuridsany, L'art contemporain
chinois133. La plupart de ces anciens gardes rouges vous diront que c'était une période
d'exaltation, où tout semblait être permis : les établissements scolaires qui n'étaient pas
fermés tenaient plus de l'anarchie que d'un lieu d'éducation, les rôles s'inversaient : les
élèves critiquaient les professeurs, séchaient impunément les cours, voyageaient en train
sans payer... La Révolution culturelle à travers les yeux de ces jeunes ressemblait plus à une
131
M. NURIDSANY op. cit. p. 15 132
Ibid. 133
Ibid.
52
joyeuse pagaille qu'à un génocide. Huang Yong Ping, par exemple, avait douze ans au début
des événements. Il dit : « Je l'ai vu de l'extérieur. Les enfants n'avaient aucun rôle dans cette
révolution-là. De toute façon, la Révolution culturelle s'insérait dans la révolution. Ce n'était
pas important... » 134 et reprend, après être interrompu par l'interviewer interloqué :
« important, mais dans la forme. C'était une utopie ». Yan Pei Ming quant à lui en parle
comme d'une certaine libération : « J'étais tout petit, je l'ai vécu, vraiment,
extraordinairement bien. Un souvenir : à côté de chez nous, il y avait une famille assez
bourgeoise, avec une belle maison au toit rouge, une toute petite court et un jardin. C'était
minuscule, peut-être cinq mètres sur six, mais à l'époque, cela nous paraissait grand et nous
faisait rêver. Nous, nous étions exclus de ce jardin protégé par des barbelés. Nous nous
demandions ''Pourquoi ont-ils une si belle maison ? Et un jardin ?" Un jour les gardes rouges
se sont tout appropriés. Nous avons pu entrer, enfin ! Nous ne pensions pas à la douleur des
autres : nous étions ravis. »135 Et nombreux sont les artistes qui partagent ce genre d'opinion,
qui s'attachent cependant plus à des souvenirs d'enfance forcément subjectifs, qu'à un réel
point de vue sur la question. Cependant, Michel Nuridsany déduit de ces propos qu'il
s'agirait plus d'un refoulement, d'une certaine « langue de bois »136. Les propos de Wang
Guangyi adressés à l'auteur à ce sujet sont plus intéressants : « C'était une époque où on
réfléchissait », dit-il, sous-entendant que ce ne serait pas le cas à l'heure de la société de
consommation de masse. « Elle m'a ouvert les yeux. Ça a été quelque chose de bon, dans ce
cens que ça a ouvert les yeux des gens sur d'autres choses. D'un point de vue général, pour le
pays, ça a sans doute apporté des blessures énormes, mais ça a aussi développé certains
côtés de l'art. ». Certes, ses contemporains ne manquent pas de critiquer ces propos, qu'ils
qualifient de manipulation, dont Wang serait coutumier lorsqu'il s'adresse à des occidentaux.
D'autant que beaucoup le soupçonnent d'être proche du pouvoir. Mais son discours mérite
tout de même réflexion. Wang Jian Wei, lui, a un discours complètement opposé : la
Révolution culturelle n'a pas ouvert les yeux des gens comme le prétend Wang Guangyi, elle
a « complètement détruit leur loyauté. La fameuse injonction de Mao, ''La révolte a toujours
raison'', a cassé les règles, encouragé à faire n'importe quoi .»137 Mais la Révolution
culturelle, c'était aussi, et surtout, une volonté immense de « créer un homme nouveau », de
mettre en place une révolution permanente. La plupart y croyait dur comme fer, l'idéologie
134
Ibid., p.37 135
Ibid., p. 51 136
Ibid., p. 15 137
Ibid., p. 76
53
était alors d'une puissance incroyable, inscrite dans tous les esprits, comme un rêve
inatteignable qui semble soudain accessible. Zhou Chunya va même jusqu'à dire que « Sans
la Révolution culturelle, il n'y aurait pas la Chine d'aujourd'hui. Avant la société chinoise était
très fermée, après, ce fut l'ouverture. »138. La Révolution culturelle a non seulement
révolutionné la façon de concevoir l'art, comme nous l'avons déjà évoqué, en l'extrayant de
son environnement raffiné et élitiste, pour le mettre à la portée des masses via l'art réaliste
de propagande, mais a également et évidemment eu un formidable impact sur les esprits des
artistes. C'est pourquoi aujourd'hui il est vraiment primordial pour l'observateur occidental
d'arrêter d'adopter des points de vue qu'on pourrait qualifier d'ethnocentristes, ou en tout
cas occidentalistes, qui consistent à dire que les artistes chinois sont les portes-paroles de la
dissidence, de la démocratie et de la révolte contre le régime autoritaire chinois. C'est
complètement faux, même si certains artistes prétendront le contraire pour faire monter les
enchères.
La diversité des thématiques abordées
Les thèmes abordés dans les œuvres des artistes chinois sont en effet bien loin de
tous tourner autour de la politique, du maoïsme, de l'autoritarisme et de la censure.
Aujourd'hui, les préoccupations de la plupart des artistes sont toutes autres : ce qu'ils
dénoncent a bien évolué : la consommation de masse, la perte d'identité, des valeurs qui
faisaient autrefois la spécificité de la culture chinoise, et qui ont tendance à disparaître dans
l'immense tourbillon du développement économique de l'empire du Milieu. Mais la
démarche est parfois même bien plus simple. Ainsi la performance, qui s'est développée
comme en réaction contre l'art « commercialo-contestataire » du pop politique ou du
réalisme cynique, a d'abord pris la forme du body art, « véhicule d'une réflexion sur
l'existence et l'idéalisme »139. Cet art de performance n'est pas séduisant, voire est parfois
écœurant : Zhang Huan par exemple s'en est fait une spécialité : en 1994, il s'entaille le cou,
puis se suspend au plafond par les pieds, faisant ainsi couler son sang sur un poêle placé en
dessous de lui, répandant une étrange odeur. Une autre fois, il enduisit l'intégralité de son
corps de miel et de saumure, et resta ainsi immobile pendant des heures dans des latrines
surchauffées, envahies de mouches et de moustiques, puis alla se jeter dans un lac. Il intitula
138
Ibid., p. 103 139
Ibid., p. 14
54
cette performance 12m². Autre grand moment dans l'histoire de la performance artistique
chinoise : le 31 décembre 1996, Song Dong s'étend nu, face contre terre, sur la place
Tian'Anmen vide, et y reste pendant quarante minutes. Une fine couche de glace se forme
alors sous lui, visible lorsqu'il se relève, disparue le lendemain matin. Allégorie de la
performance artistique, ou manifestation de « la tentation d'exister » ? D'autres se sont
concentrés sur ce qui forme les fondements de la civilisation chinoise, comme le langage, et
plus particulièrement l'écriture et les idéogrammes. Les artistes les plus célèbres qui ont
participé à ces travaux sur l'écriture sont Wu Shanzhuan, Gu Wenda et Xu Bing. Le premier a
travaillé sur la déconstruction de l'affect créé par les « caractères chinois dans le contexte
communiste révolutionnaire »140 : déjà en 1986, il installe au musée du Zhejiang une
installation qu'il a appelé Humour rouge (hongse youmo – 红色幽默), qui consistait en une
pièce dont les pans de murs étaient recouverts de caractères chinois de dimensions, formes
et couleurs différentes, l'ensemble donnant une cacophonie de significations : slogans
révolutionnaires ou publicitaires, extraits de presse, sentences maoïstes, adages populaires...
Il explique son travail ainsi : « La culture est une sorte de symbole ; les caractères sont des
symboles qui expriment des symboles […] Ils sont la dernière forteresse de la culture
[chinoise...] Le chinois est différent de toutes les formes langagières du monde, il est fait
d'idéogrammes. Pour cet isolement, pour cette construction qui peut par des figures exprimer
la pensée, on va alors écrire du chinois. On utilisera 70% de rouge, 25% de noir, 5% de blanc.
Les caractères en noir, ce sont l'expression de nos sentiments ; ne pas avoir de sentiments,
c'est avoir les meilleurs sentiments. »141 Une autre de ses œuvres s'intitule Nirvana/Detritus :
la superposition du sacré et de l'ordurier. En haut de l'installation, sont tracés les deux
caractères « Nie Pan » (涅槃), signifiant Nirvana, tandis qu'en dessous figure un entassement
des mêmes caractères « La Ji » (垃圾), de plus petite taille, signifiant donc détritus, ordure.
Cette installation peut être interprétée comme une critique globale du pouvoir de l'écriture.
Gu Wenda travaillera sur ce même thème, la déconstruction du caractère chinois en tant
qu'art calligraphique. Une de ses œuvres, Caractères chinois disloqués (Cuowei de zi – 错位
的字) est une toile où sont tracés les trois caractères cuo, wei et zi, comme disséqués, écrits
dans des tailles et des styles différents, ce qui est fait selon l'artiste pour désacraliser en
quelque sorte le caractère, montrer qu'il n'est finalement rien d'autre qu'un signe arbitraire.
Il a également « inventé » des idéogrammes, c'est à dire qu'ils ressemblent à des
140
M.C. HUOT, La petite révolution culturelle, op. cit. p.216 141
Ibid.
55
idéogrammes, sont tracés comme tels, selon les conventions traditionnelles, mais n'en sont
pas, car n'existent pas, n'ont aucune signification. En 1986, il veut exposer son œuvre à Xi'an,
mais sera censuré avant-même le début du vernissage, les inspecteurs ne pouvant déchiffrer
ce qui était écrit (et pour cause, puisque rien n'était en fait écrit.). 142
L'art contemporain chinois n'est donc pas cette imposture parfois dénoncée par des
observateurs ignorants, qui l'envisagent parfois uniquement comme une pâle copie du
travail exécuté par les artistes contemporains occidentaux plusieurs décennies plus tôt. Si
aucun de tous ces artistes chinois ne dément s'en être inspiré, bien au contraire, puisqu'ils
n'hésitent pas à clamer haut et fort leur admiration pour les avant-gardistes américains,
français, russes ou allemands qui ont réinventé l'art dans « leur » partie du monde, ils
tiennent à ce qu'on leur reconnaisse une véritable spécificité, non pas en tant qu'artistes de
nationalité chinoise, mais en tant qu'artistes contemporains « tout court ». Finalement la
nationalité chinoise de ces artistes contribue à l’ambiguïté de leur statut, car elle représente
en soi encore une certaine « originalité » sur la scène artistique internationale, et semble
permettre à certains d'accéder à la renommée internationale sur ce seul critère, mais d'un
autre côté constitue également une entrave à cette reconnaissance, de par l'attitude encore
très stricte des autorités communistes qui les contrôlent.
142
Ibid.
56
III – Le cas d'Ai Weiwei Ai Weiwei, fils d'Ai Qing S'il est un artiste chinois qui mérite une grande attention, ce serait Ai Weiwei. Bien
que souvent décrié dans les milieux artistiques contemporains, son parcours semble être un
cas d'école pour l'étude qui nous intéresse. Né en 1957 à Pékin, il semble prédestiné à une
carrière tumultueuse, puisqu'il est d'abord connu comme étant le fils d'Ai Qing (1910-1996),
considéré encore aujourd'hui comme l'un des meilleurs poètes de la Chine contemporaine.
Ce dernier traversa ainsi tous les drames qui ont marqué la Chine tout le long du XXème siècle.
D'abord emprisonné de 1932 à 1935 en tant qu'opposant au parti nationaliste, le
Kuomintang, il est réhabilité au moment de l'accession des communistes au pouvoir, et
devient l'un des responsables de l'Institut central des Beaux-arts, et rédacteur en chef
adjoint à la revue Littérature du Peuple. Cependant il eut de nouveaux déboires avec les
autorités après 1958 après la campagne des Cent Fleurs, politique lancée par Mao pour
rétablir son autorité, après sa défaite au VIIIème Congrès du parti communiste chinois :
suspecté d'être un « droitier », il est déporté d'abord en Mandchourie puis dans un camp de
travail du Xinjiang, à Shihezi, avec sa femme Gao Ying et son fils, Weiwei, à peine né. Il fut
libéré en 1975143, mais demeura sous le coup de la censure jusqu'en 1978. Féru de
découvertes et de voyages, il séjourna en France notamment en juin 1980, où François
Mitterrand, alors président de la République, lui décerna le titre de Chevalier des Arts et des
Lettres.
Ai Weiwei le provocateur
Ainsi dès son retour à Pékin, Ai Weiwei entra à l'Académie du film de Pékin, où il eut
pour camarades de classe les célèbres réalisateurs Chen Kaige et Zhang Yimou144. Toujours en
1978, il prit part, comme nous l'avons déjà vu, au groupe d'artistes avant-gardistes des
Étoiles, et continua d'exposer avec eux lors des événements de rétrospective en 1989 et en
2007. Il émigra aux États-Unis entre 1980 et 1993, grâce à son réseau de relations
probablement obtenu grâce à la célébrité de son père. Il vécut la plupart du temps à New
143
C.MEREWETHER, « Ruins in Reverse » dans Ai Weiwei : Under construction, University of New South Wales press, Sydney, 2008, p.29
144 M. WHITE, « Ai Weiwei : Fragments, Voids, Sections and Rings », archinect.com, http://archinect.com/features/article/47035 , consulté le 13/05/11
57
York, où il gagnait sa vie grâce à son activité artistique. En 1987 notamment, il prend part de
façon active à la fondation de la Chinese United Overseas Artists Association, dont le siège est
établi à New York. Il a également joué un rôle majeur au sein du mouvement de l'East Village,
premier collectif d'art expérimental. En 1993, il apprit que son père était malade, et rentra à
Pékin. Là-bas, il publia trois ouvrages sur des artistes expérimentaux, Black Cover Book
(1994), White Cover Book (1995) et Grey Cover Book (1997) 145 , participant ainsi à
l'assouvissement du désir pour les artistes et le public chinois d'acquérir des connaissances
sur l'art occidental. Il est resté en Chine après la mort de son père, et continue de produire
de l'art très provocateur, iconoclaste, alliant retour à la culture traditionnelle chinoise et
travail sur l'environnement populaire occidentalisé. Il acquit ainsi une large renommée,
d'abord en tant que personnalité artistique. De 1995 à 2003, il réalisa une série de
photographies qu'il intitula Study of perspective : toutes représentaient un doigt d'honneur
(le sien) en gros plan devant des monuments célèbres et symboliques partout dans le
monde : la Tour Eiffel, la basilique Saint Marc, la Maison-Blanche et bien-sûr la place
Tian'Anmen.
L'exposition Fuck Off
En 2000, il fut l'un des commissaires de l'exposition Fuck Off, ou littéralement
Uncooperative approach (不合作方式) selon le titre en mandarin, qui ouvrit le 4 novembre
à Shanghai, dans la zone de la Suzhou Creek, où se trouvent d'anciennes usines transformées
en ateliers et galeries d'art146. L'exposition était installée en marge de la troisième biennale
d'art contemporain de Shanghai, dans l'Eastlink Gallery, et était co-organisée par Feng Boyi. A
l'entrée était suspendu un travail d'Ai Weiwei, Gold distribution, qui consistait en une
immense photographie en noir et blanc où l'on distinguait un groupe de personnes de type
asiatique serrés dans une file d'attente, reproduction d'une célèbre photographie d'Henri
Cartier-Bresson prise en 1949 à Shanghai. Au rez-de-chaussée, le sol était nu, sale, tandis que
la salle du premier étage était spacieuse, propre et lumineuse. Quarante-six artistes étaient
exposés, dont feu Zhang Shengquan, qui s'était suicidé récemment. La majorité des œuvres
présentées étaient très subversives, voir choquantes, ce qui explique en grande partie la
fermeture de l'exposition par les autorités à la suite de la visite du bureau de l'inspection
145
C. MEREWETHER , Ai Weiwei Works : Beijing 1993-2003, Timezone 8 Ltd., Pékin, 2003 146
« Fuck Off Review », randian.com, http://www.randian-online.com/en/reviews/fuck-off.html, consulté le 13/05/11
58
culturelle. Notamment des photographies de Xu Tan ont été confisquées car considérées
comme de la pornographie, ainsi que le travail de Yang Fudong, The first intellectual, qui
représentait un jeune homme debout au milieu d'une rue, vêtu d'un costume déchiré, la
cravate défaite, le visage ensanglanté et l'air terrifié, tenant une brique de la main droite,
comme s'il allait la lancer en guise de représailles. En arrière-plan se dressaient les hautes
tours du district de Pudong, le quartier des affaires de Shanghai, avec la dernière
construction en date, l'immense tour Jinmao. Cependant la pièce la plus controversée
présentée dans le catalogue était les photographies de la performance Eating People de Zhu
Yu, qui n'étaient en fait pas exposées dans la galerie, mais gardées dans une valise noire,
dans un coin de l'espace. En effet, les commissaires étaient inquiets que le contenu soit
beaucoup trop sensible. L'impact de Fuck Off fut très important, d'une part à cause de son
contenu et de son titre, mais surtout du fait du contexte, puisque l'exposition eu lieu en
même temps que la biennale, comme nous l'avons déjà fait remarquer. Pourquoi cette
démarche ? Au départ, Ai Weiwei avait été invité par le propriétaire de la galerie, Li Liang,
pour mettre en place une exposition qui pourrait s'intégrer dans le cadre de la biennale.
Cependant, Ai a préféré organiser un événement qui s'inscrirait au contraire en réaction à
cette biennale, comme une critique de la scène artistique d'aujourd'hui, avec l'émergence
d'un art contemporain chinois « officiel », conforme à l'influence occidentale et aux
injonctions du parti, qui formait bien sûr la plus grande partie de la biennale. Dans une
interview, Ai déclara : « We do not cooperate with anyone, anything. This is a challenge to all
the powers, authorities and the system. It is small yet not to be ignored, like a nail in the eye,
a thorn in the flesh, a little grain of sand in the shoe – it reflects a valuable cultural spirit. »147
et Feng Boyi de clarifier : « Do not cooperate with the contemporary mainstream trend in
China, do not cooperate with the established structure of today's art world, do not cooperate
with the Western standard »148. Mais la réaction des autorités ne s'est pas limitée à
l'interdiction de l'exposition, puisqu'en avril de l'année suivante, une note législative parut,
« forbidding performance or display of bloody, violent and obscene subjects, as well as
presentation of human reproductive organs or other pornographic acts that are harmful to
the society. »149 Le comité de la biennale de Shanghai 2002 quant à lui, publia une
déclaration dans les grands journaux chinois, afin de barrer la route à toute tentative
147
ZHAO Chuan, « Fuck off – an uncooperative approach », cacsa.org, http://www.cacsa.org.au/cvapsa/2008/10_bs_37_4/BS37_4zhaochuan.pdf, consulté le 13/05/11
148 « Fuck off Review », loc. cit.
149 Notice du département de la Culture prohibant strictement la performance ou la démonstration de sujets sanglants, violents et obscène, au motif de « l'art ». Government Issue n°14, 3 avril 2001
59
d'organisation d'exposition « externe ».
Ai Weiwei, un artiste et un activiste reconnu
Une fois de plus, Ai Weiwei n'a pas failli à sa réputation de trublion de l'ordre établi.
Cependant l'artiste fait parfois montre d'attitudes assez paradoxales, comme lorsqu'il
accepte de collaborer en tant que conseiller artistique avec le cabinet d'architecture suisse
Herzog & Meuron, qui avait été mandaté par la ville de Pékin pour réaliser le stade
olympique pour les Jeux de 2008. C'est lui qui en a imaginé la forme enchevêtrée, qui lui vaut
son nom de nid d'oiseau. Cependant il décida de boycotter leur cérémonie d'ouverture,
estimant qu'ils seraient « écartés de l'esprit de liberté ». 150 Dans une interview accordée au
New York Times, il demande « si une société sans démocratie peut susciter du plaisir dans la
population. Il est impossible pour une société qui manque de liberté et de droit d'expression
d'obtenir la reconnaissance de la communauté internationale »151. Il connaît cependant un
succès phénoménal partout dans le monde, ses œuvres sont exposées aux États-Unis, en
Belgique, en Italie, en Allemagne, en France, en Australie, en Corée, au Japon, et bien sûr en
Chine. Il fut notamment représenté à la biennale de Venise de 1999, à la première triennale
de Canton en 2002, à la biennale de Sydney en 2006, ou encore à la Documenta 12 de Cassel
en 2007, où il fit venir un millier de ses compatriotes afin de recréer un village dans une
usine abandonnée. Aujourd'hui on retrouve une de ses œuvres, Sunflower Seeds à la Tate
Modern Gallery de Londres152, qui consiste en un immense parterre de plusieurs centaines
de millions de fausses graines de tournesol en porcelaine, peintes individuellement à la main
par près de mille six-cents artisans et ouvriers de la ville de Jingdezhen, berceau historique
de cette activité. Cette installation est chargée de sens pour quiconque possède quelques
connaissances en culture contemporaine chinoise : en premier lieu, la graine de tournesol
peut être considérée comme l'en-cas préféré des chinois, petits et grands, qui en
consomment quelque soient l'heure et l'endroit, dans les transports, les magasins, au
travail... Quiconque emprunte ne serait-ce que quelques heures les transports en commun
150
« Ai Weiwei dénonce le manque de libertés en Chine », 07/08/08, courrier international.com http://www.courrierinternational.com/breve/2008/08/07/ai-weiwei-denonce-le-manque-de-libertes-en-chine , consulté le 13/05/11
151 Ibid.
152 « Cric crac – Les graines de tournesol de l'artiste Ai Weiwei ne vont plus crisser », 15/10/10, http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2010/10/15/cric-crac-les-graines-de-tournesol-de-lartiste-ai-weiwei-ne-vont-plus-crisser/ , consulté le 13/05/11
60
locaux ne pourra pas manquer d'observer ce curieux manège, qui tournerait presque à
l'obsession. Mais une fois de plus Ai Weiwei ne peut s'empêcher de faire preuve
d'impertinence, puisque cette œuvre est également et surtout une référence claire à
l'imagerie de propagande sous l'ère maoïste, où le Grand Timonier était souvent représenté
comme le soleil, et le peuple par des fleurs de tournesol153. Roi de la provocation, il est
également friand d'ironie, lorsqu'il met en ligne en juin 2009 un poème intitulé ''Oublions''154,
à l'occasion des commémorations du massacre de Tian'Anmen :
« Oublions le 4 juin ! Oublions ce jour insignifiant ! La vie nous enseigne que, sous le totalitarisme, les jours se suivent et se ressemblent. Chaque jour est un même jour : il n’en est pas d’autre, pas d’hier ni de demain. De même, nous n’avons que faire d’une vérité parcellaire, nous n’avons que faire d’une justice et d’une équité fragmentaires. Sans liberté d’expression, sans liberté de la presse, sans droit de vote, nous ne sommes pas des hommes, nous n’avons pas besoin de mémoire. Privés du droit de mémoire, nous choisissons l’oubli.
Oublions donc toutes les persécutions, les humiliations, les massacres, les dissimulations, les mensonges, tous les paralysés et tous les morts ! Oublions tout ce qui est douloureux dans notre mémoire, oublions tous nos oublis ! Nous leur permettrons ainsi de ressembler à des honnêtes hommes tandis qu’ils se moquent de nous… Oublions cette armée qui a tiré sur les habitants, ces chars dont les chenilles ont écrasé les corps des étudiants, ce sang répandu et ces balles qui ont sifflé dans les ruelles et les grandes artères, ces places et cette ville sans larmes ! Oublions ces mensonges sans fin, ces hommes au pouvoir qui tablent sur l’inévitable oubli de tous, oubli de leur lâcheté, de leur noirceur, de leur médiocrité…
Oui, assurément, il faut oublier ! Ils doivent absolument être oubliés ; ils n’existent que grâce à l’oubli. Pour survivre, oublions donc ! »
En 2008, il s'était déjà lancé dans l'activisme pur à la suite du violent séisme qui eut
lieu dans la province du Sichuan en mai de cette année-là : scandalisé par le silence des
autorités sur le bilan des victimes de la catastrophe naturelle, à des fins de propagande, il a
organisé un mouvement civique pour collecter les noms des personnes décédées, en
particulier des enfants écrasés par l'effondrement de leurs écoles, construites sans aucun
respect des normes antisismiques. La liste n'a jamais été publiée par le gouvernement,
malgré la promesse qui avait été faite. « J'ai mobilisé plus de cent cinquante enquêteurs qui
nourrissent les rapports réguliers que je publie sur mon blog, et où figurent les noms, âge et
qualité des défunts. Publier leur identité est le moindre des hommages qu'on puisse leur
rendre. […] Leurs noms sont l'expression la plus fondamentale de leur droit et de leur valeur.
153
Ibid. 154
AI W., « Il faut oublier Tian'Anmen », 05/06/09, Courrier International.com, http://www.courrierinternational.com/article/2009/06/05/il-faut-oublier-tian-anmen, consulté le 13/05/11
61
Si les victimes ne sont exprimées qu'en chiffres, comment la société peut-elle demander à ses
citoyens d'agir en êtres responsables ? »155 Mais rapidement le gouvernement chinois s'est
mis à effacer cette liste, puis a complètement fermé son blog, avec l'approche du vingtième
anniversaire du massacre de la place Tian'Anmen. Qu'à cela ne tienne, la partie de cache-
cache avec les autorités ne faisait que commencer. En effet, Ai ouvrit un nouveau blog,
hébergé cette fois-ci hors de Chine. On peut voir une photographie de lui nu, les parties
cachées par un petit animal en peluche, symbole inventé par les cyber-dissidents pour
dénoncer la censure gouvernementale : baptisé « Caonima »156, il signifie littéralement
« cheval de paille et de boue », mais si l'on le prononce avec des tons différents, le mot
signifie « nique ta mère », message subliminal aux censeurs. L'étau se resserre lentement
autour de lui, des caméras de surveillance sont installées autour de son atelier pékinois, des
policiers en civil le surveillent jour et nuit. Cependant il n'a pas été physiquement inquiété
jusqu'à sa récente arrestation : « Ils n'osent pas s'attaquer à moi » déclare-t-il. Est-ce grâce à
sa renommée ? L'aura de son père ? Certains l'accusent de jouir de la nationalité américaine,
qui lui permettrait cette relative liberté, ce qu'il démentit en publiant la photocopie de son
passeport chinois sur son blog, puisque la Chine ne reconnaît pas la double nationalité.157
Avril 2011 : l'arrestation d'Ai Weiwei
Le dimanche 3 avril 2011, Ai Weiwei est interpellé par la police à l'aéroport
international de Pékin158, alors qu'il s'apprêtait à embarquer pour Hong Kong. Au même
moment, son atelier de Caochangdi, dans la banlieue de Pékin est fouillé, la trentaine
d'ordinateurs qui y étaient installée est saisie, et huit de ses assistants sont interrogés. Sa
femme, Lu Qing, quant à elle, a indiqué à la presse que d'autres agents se sont rendus à leur
domicile avec un mandat de perquisition, et ont confisqué un ordinateur ainsi que d'autres
équipements159. Cette intervention est le signe d'une opération policière élaborée et
155
S. BENJAMIN, « Fuck Pékin », 22/06/09, Libération.fr, http://www.liberation.fr/monde/0101575493-fuck-pekin, consulté le 13/05/11
156 Ibid.
157 Ibid.
158 « Chine – Arrestation d'Ai Weiwei pour dissuader les opposants éventuels », 04/04/11, amnesty.org, http://www.amnesty.org/fr/for-media/press-releases/china-detains-ai-weiwei-warning-against-dissent-2011-04-04 consulté le 13/05/11
159 « Onde de choc après l'arrestation du dissident chinois Ai Weiwei », 04/04/11, France 24.com, http://mobile.france24.com/fr/20110404-chine-arrestation-onde-choc-ai-weiwei-trublion-blog-dissidence-
62
approuvée par le haut de la hiérarchie de la sécurité publique. En effet, depuis quelques
temps, les dimanche sont devenus un jour sensible depuis mi-février, lorsque des
« promenades dominicales » ont été organisées en faveur d'une nouvelle Révolution du
jasmin, à l'image des révolutions arabes. Ai rejoint ainsi la longue liste des individus disparus
et dont personne, pas même leur famille, n'a de nouvelles, depuis février, début de la plus
grande vague de répression que la Chine ait connu depuis dix ans. La communauté
internationale s'est aussitôt mobilisée pour demander la libération de l'artiste, ce que les
autorités ont évidemment refusé sans donner de véritable explication. Officiellement, Ai a
été arrêté pour fraude fiscale et plagiat. Depuis, la presse officielle chinoise condamne
fermement tout soutien apporté à l'artiste : « Si Ai Weiwei est ainsi protégé par l'Occident,
c'est parce qu'il mène des activités d'opposition politique en Chine », souligne ainsi le
quotidien Huanqiu Shibao160, ajoutant que « c’est un tribunal chinois – et non la communauté
internationale – qui doit décider si Ai a commis un délit économique ou non ». De nombreux
éditoriaux dressent une critique accablante du personnage, soupçonné d'avoir diffusé de la
pornographie en ligne, et de pratiquer la bigamie, car il a eu un fils avec une autre femme
que son épouse, et de profaner l'art à travers ses multiples exhibitions publiques dans le plus
simple appareil.161 Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'Ai Weiwei était inquiété par
les autorités : déjà en décembre 2010, alors sous surveillance policière depuis le mois de
novembre, assigné à résidence pour avoir contesté le projet de démolition de son atelier à
Shanghai, il s'est vu refusé son départ pour la Corée du Sud, accusé de « mettre en danger la
sécurité nationale ». Le mois suivant, son atelier de deux mille mètres carrés situé dans la
banlieue de Shanghai fut effectivement démoli par les autorités, ce qui a entraîné
l'annulation de sa première grande exposition sur le territoire chinois : « Je ne pensais pas
que cela allait arriver aussi rapidement, bien que je savais qu'il serait démoli. Mais je croyais
que ce serait après le Nouvel An chinois »162 avait-il dit à l'Agence France Presse. La décision
de cette destruction avait été prise depuis plusieurs mois, officiellement pour « utilisation
non conforme du terrain », a expliqué l'artiste. Cependant l'ordre de démolition fait en fait
suite au soutien apporté par l'artiste à l'économiste dissident Feng Zhenghu, que les
never-sorry-internet, consulté le 13/05/11
160 « Attaques redoublées contre Ai Weiwei » 21/04/11, Courrier international.com, http://www.courrierinternational.com/article/2011/04/21/attaques-redoublees-contre-ai-weiwei, consulté le 13/05/11
161 Ibid.
162 C. GHYS, « L'atelier de l'artiste Ai Weiwei démoli à Shanghai », Libération.fr, http://next.liberation.fr/arts/01012313220-l-atelier-de-l-artiste-chinois-ai-weiwei-demoli-a-shanghai, consulté le 13/05/11
63
autorités chinoises empêchent depuis des mois de revenir du Japon. Il avait été construit à la
demande des autorités locales, mais n'avait cependant jamais été ouvert. De plus, la
semaine précédant son interpellation, divers services administratifs locaux étaient venus à
trois reprises pour des « contrôles de routine » : vérification de la conformité des normes
incendies, permis de travail des employés étrangers etc., tactique classique de la police pour
gêner le travail d'organisations sensibles.
La plus grande vague de répression en Chine depuis 1989
Ai Weiwei n'est cependant pas le seul à avoir disparu ces derniers temps163. Cheng Li
par exemple, s'est vu condamné à deux ans de « rééducation par le travail », après avoir été
arrêté le 24 mars au village d'artistes de Songzhuang, en banlieue de Pékin, tandis que trois
autres artistes arrêtés en même temps que lui ont finalement été relaxés, d'après Wei Rujiu,
un avocat impliqué dans l'affaire. Ces interpellations ont eu lieu suite à un ensemble de
performances artistiques intitulé Sensitive times. On retrouvait Cheng Li en plein coït avec
une femme sur un balcon dans un une performance intitulée Art whore, pour dénoncer le
statut trop commercial de l'art contemporain, tandis qu'un des autres artistes arrêtés, Huang
Xiang, s'était recouvert le corps de fleurs de jasmin en plastique, évidente référence au
mouvement pro démocratique qui est né ces derniers mois en Chine. Ce mouvement de
répression, pourtant de grande ampleur, n'a engendré que très peu de réactions en Chine à
cause de la censure qui empêchait quelconque média de recenser ces arrestations arbitraires.
A l'étranger au contraire, les réactions ne se firent pas attendre. Alors qu'Ai Weiwei entamait
début mai son second mois de détention, sans que le gouvernement chinois n'ai donné
aucun détail sur sa condition, les charges contre lui ou encore un éventuel procès, une
exposition de son travail a ouvert le week-end du 1er mai à la galerie Neugerriemschneider à
Berlin, où l'on pouvait voir, à l'entrée du bâtiment, une immense banderole blanche, où
étaient imprimés en noir les mots « Where is Ai Weiwei ? ». Une exposition encore plus
grande ouvrit ses portes la semaine suivante à la galerie Lisson à Londres, tandis qu'à
Manhattan, Circle of Animals/Zodiac Heads, la première statue publique de Ai, fut inaugurée
le 4 mai dernier à la fontaine Pulitzer, devant l'hôtel Plaza. La cérémonie fut présidée par
163
D. K. TATLOW, « A message of tolerance, unrepressed », 27/04/11, New York Times.com, http://www.nytimes.com/2011/04/28/world/asia/28iht-letter28.html , consulté le 13/05/11
64
Michael Bloomberg, qui rendit hommage à l'artiste tout au long de son discours, citant ses
phrases les plus marquantes, issues de ses interviews ou de ses articles. Il alla jusqu'à décrire
Ai comme « one of the most talented, respected and masterful artists of our time »164. La
dernière phrase fut lue par Alexandra Munroe, commissaire de la section d'art asiatique au
musée Guggenheim : « Without freedom of speech there is no modern world, just a barbaric
one. »165.
* *
*
La personnalité d'Ai Weiwei est donc incontournable dans le paysage artistique
chinois. Même s'il est surtout reconnu aujourd'hui pour son parcours tumultueux, son
activisme et ses frasques contre le gouvernement, c'est également un artiste de premier plan
sur la scène contemporaine, peut-être le plus important, qui a réussi à s'imposer comme un
leader de l'art expérimental chinois depuis la fin des années 1970. Son arrestation et les
immenses retombées de cet événement sur la scène internationale montrent bien que sa
renommée n'est plus à faire. Ai Weiwei est donc un excellent exemple, bien qu'un peu
extrême, de cette ambiguïté générale entre reconnaissance à travers le monde et censure au
sein-même de sa propre nation, rejet total et absolu de tout assujettissement à l'Occident,
alors que son art connaît un immense succès, puisqu'il se vend pour des millions de dollars
sur les grandes places financières de l'art contemporain. C'est maintenant à ce succès
commercial que nous allons nous intéresser, à l'extraordinaire et soudain engouement des
amateurs d'art contemporain du monde entier pour les artistes chinois, qui gagnent
désormais des sommes phénoménales grâce à leur travail.
164
R. SMITH, « 13 Heads do the talking for a silenced artist », 04/05/11, New York Times.com, http://www.nytimes.com/2011/05/05/arts/design/ai-weiwei-sculpture-near-plaza-hotel-review.html, consulté le 13/05/11
165 Ibid.
65
66
Chapitre trois – La place de l'art contemporain chinois sur le marché de l'art
international depuis le milieu des années 2000
I – Un art d'abord prisé par les occidentaux L'établissement d'une dépendance de l'art contemporain chinois à l'Occident Quiconque s'intéresse un minimum au marché de l'art contemporain aujourd'hui n'a
pu que remarquer un phénomène grandissant : la montée fulgurante dans les statistiques de
vente des grands noms de la scène artistique chinoise. Pourquoi ce succès si soudain ? Est-
ce une tendance de fond ou une bulle spéculative ? Quel impact la crise financière de 2008
a-t-elle eu sur l'économie de l'art contemporain chinois ? Nous l'avons vu, l'apparition de
l'art contemporain sur la scène culturelle internationale est largement due à l'action des
experts et amateurs étrangers, et surtout des occidentaux. Ce qui n'est pas sans nous
rappeler que déjà sous Mao, ce dernier employait l'expression « amis internationaux » pour
qualifier les étrangers. Par exemple, Francesca Dal Lago, une italienne formée à l'académie
centrale des beaux-arts, conseillère culturelle à l'ambassade d'Italie au début des années
1990, exposait des œuvres de Liu Wei chez elle en 1990, puis avec Enrico Perlo dans des
hôtels « joint-ventures », l'année suivante, lieux évidemment très fréquentés par les
étrangers.166 Ainsi, depuis l'émergence de cet art dans les années 1970/1980 jusqu'à
aujourd'hui, ceux que l'on appelle les « expatriés », généralement des intellectuels travaillant
aux ambassades et pour les divers services culturels, ou simplement les épouses d'hommes
d'affaires venus en Chine pour signer des contrats, ont largement contribué à la découverte
de tous ces artistes, qui ont acquis grâce à eux une certaine légitimité, et avec elle l'espoir
d'être un jour reconnus internationalement. En effet, les étrangers étaient, du moins à
l'époque, bien plus riches que les artistes chinois, et avaient par conséquent les moyens de
louer des salles, et d'acheter des œuvres. D'ailleurs les prix de ces dernières étaient toujours
affichés en dollars. Les artistes chinois sont tout à fait conscients de cette dépendance vis-à-
vis de l'Occident : Ding Yi l'explique en ces termes : « China's contemporary art is precisely in
a kind of colonial tradition ; it relies closely on the West »167. D'ailleurs certains d'entre eux
vont s'amuser de cette situation pourtant dérangeante, comme pour dédramatiser : Zhou
166
M.C. HUOT, La petite révolution culturelle, op. cit., p.209 167
M.C. HUOT, China's new cultural scene – a handbook of changes, op. cit.., p.127
67
Tiehai va par exemple inventer des couvertures de grands magazines spécialisés ou non, tels
que Newsweek ou encore Artnews, où il fait figurer son portrait en gros plan, à la façon dont
les vedettes sont présentées168. Ambition, mégalomanie ? Il est difficile d'avoir un avis
tranché sur cette question. Mais dans cette conversation qui eut lieu en 1997, entre l'artiste
et les organisateurs d'une exposition de son œuvre à Vancouver169, éclaire son point de vue :
– « It sounds like you are making this work for a Western audience.
– Yes, because the cultural power is in the West. So you have to do something here.
– But you would like to show your work in China.
– Yes, I want to show my work there, but there's no response, it's not well received. Art
is like science, You need knowledge to understand it »
Un autre phénomène qui va contribuer au développement et au succès de l'art
contemporain chinois, c'est l'émigration progressive de certains artistes et critiques en
Occident, en France notamment. Les critiques chinois Hou Hanru et Fei Dawei par exemple,
participent activement à la reconnaissance de l'art chinois sur la scène internationale depuis
la France, à travers la publication d'articles dans la presse spécialisée et l'organisation
d'expositions, de biennales, etc. Selon eux, une rupture a eu lieu dans l'art contemporain
chinois entre les décennies 1980 et 1990. Dans le catalogue de l'exposition Alors la Chine ?
qui eut lieu au centre Georges Pompidou en 2003, Hou déclare : « de nombreux artistes
talentueux se sont installés à l'étranger, et le monde de l'art contemporain est divisé en deux
écoles : les expatriés et leurs homologues en Chine. Chaque école a fixé son travail, dans des
environnements différents. »170 Pour lui, les artistes chinois vivant à l'étranger « critiquent et
déconstruisent le discours « mainstream » et les pratiques de l'art occidental en incorporant
leur expérience chinoise au centre de leur travail […]. Il est devenu nécessaire, même urgent,
de créer un espace pour un nouveau type de liberté intellectuelle et sociale. La subversion et
la critique dé-constructiviste peuvent aider à transformer l'ordre idéologique établi. Dans ce
contexte, l'introduction d'un « système chinois » par Huang Yong Ping est propice à
l'émancipation de ces espaces. »171 La dépendance de l'art chinois vis-à-vis du marché
168
J.P. GAVARD-PERRET, « Zhou Tiehai : l'ironie de l'histoire », Arts up.info, http://www.arts-up.info/JPGP/JPGP_Zhou_Tiehai.htm, consulté le 14/05/11
169 M.C. HUOT, op. cit.
170 HOU H., « Artistes chinois, diaspora et art global. Une phase intermédiaire », dans Alors la Chine ? (catalogue), Centre Georges Pompidou
171 Ibid.
68
occidental est donc réelle. La vraie question est de savoir si cette prise d'indépendance n'est
qu'une question de temps, et donc de savoir à quelles sont les causes : l'autoritarisme du
régime chinois qui censure les artistes, ou simplement au manque d'intérêt du public ? En
tout cas, les faits sont là : il n'y a aucun marché de l'art national, donc aucun débouché à
l'échelle de la Chine. Tout au plus, selon les artistes, une demi-douzaine de collectionneurs,
occasionnels la plupart du temps. En Occident au contraire, ces amateurs sont souvent
spécialisés, même s'ils ne peuvent être aussi qu'occasionnels, expatriés. De plus, ce sont
aujourd'hui de grandes institutions artistiques internationales qui s'intéressent de plus près
au cas de la Chine : « le temps est révolu où quelques diplomates et hommes d'affaires de
passage constituaient les seuls clients envisageables pour les jeunes artistes chinois. Ces
derniers figurent désormais en bonne place sur le marché occidental, par l'intermédiaire de
galeries sérieuses »172 . Nous avons déjà évoqué ces galeries : CAAW fondée par Hans Van
Dijk, ShanghArt, Red Gate, Courtyard... De l'autre côté, les initiatives locales, rares, ne
prennent pas, car manquent probablement de règles, d'une certaine institutionnalisation,
afin de pouvoir être prises au sérieux. C'est le cas notamment de l'Up River Gallery de
Chengdu. L'économie de l'art en Chine est également quasiment inexistante : les expositions
sont presque toujours autofinancées, même lorsqu'elles ont lieu dans des lieux officiels
prestigieux, les catalogues ne sont pas mis en vente mais distribués de la main à la main.
L'envolée de l'art chinois contemporain sur le marché de l'art international
Cependant les artistes chinois semblent avoir bien assimilé la consigne lancée par
Deng Xiaoping en 1992 : « Enrichissez-vous ! ». La première vente aux enchères eut lieu en
1996, organisée par Leng Lin, un critique aujourd'hui galeriste. Les galeries fleurirent de
toutes parts, d'abord des galeries étrangères, puis chinoises, à partir de 2007. C'est à partir
de 2006 que le marché mondial de l'art contemporain chinois explosa173. La première
importante vente d'artistes chinoises se déroula chez Sotheby's au printemps 2006 à New
York : le chiffre d'affaire s'éleva à 100 millions de yuans. Moins de six mois plus tard, la
totalité des ventes d'art chinois contemporain avait dépassé le 10 milliards de yuans. Une
sorte de fièvre financière s'est installée : des bureaux de vente se sont ouverts à Pékin et
Hong Kong, puis Shanghai, Nankin, Hangzhou, Taipei... On en dénombrait 159 en 2008, et
172
Ibid. 173
Compte rendu Artprice 2006
69
leur volume de transaction avait triplé depuis 2005. Cette année-là déjà, l'œuvre Pink de
Zeng Fanzhi était vendue à 75 000 dollars174. Trois ans plus tard, une toile du même acabit,
issue de la série Mask, partait à 9,6 millions de dollars. Investir dans l'art contemporain
chinois est devenu un véritable investissement, une valeur refuge. En 2007, la Chine a donc
fini par détrôner la France au troisième rang du classement par produit des ventes, derrière
les États-Unis et le Royaume-Uni175. Cette année-là, soixante-quinze enchères pour des
œuvres chinoises ont dépassé le million de dollar, la plus coûteuse ayant atteint le record
absolu de 8,5 millions de dollars, une toile de Zhang Xiaogang. Ce dernier occupe d'ailleurs la
seconde marche du classement des cent premiers artistes contemporains par produit de
vente établi par Artprice, devant Jeff Koons. Et parmi ce classement, pas moins de trente-six
artistes chinois y figurent, contre un seul, Cai Guoqiang, cinq ans plus tôt. Zhang Xiaogang
est donc une figure emblématique de cette envolée, car son parcours est tout à fait
symptomatique de ce phénomène : la première fois qu'il est introduit en vente, en 1998, il
vend un diptyque, Blood Lines Series n° 54 et n° 55, à 5 000 livres chez Christie's. Huit ans
plus tard, en octobre 2006, il voit ses œuvres issues de sa Big Family Series atteindre le
million, toujours chez Christie's à Londres. A peine un mois plus tard, sa toile datée de 1993,
Tian'Anmen Square, est vendue 2 millions de dollars chez Christie's Hong Kong, L'année
suivante, en novembre 2007 donc, son Family portrait, daté de 1994, atteint 4,4 millions de
dollars à New York, avec un total de 57 millions de dollars pour l'ensemble de ses œuvres
vendues sur l'année 2007, dont quinze lots adjugés au-delà du million de dollars. Zhang n'est
pas le seul artiste chinois à connaître ce formidable succès, puisque Yue Minjun se place au
quatrième rang, avec un record à 5,3 millions de dollars pour son œuvre Execution, Zeng
Fanzhi, vendu à 5 millions de dollars, Chen Yifei, dont l'œuvre avant-gardiste Eulogy of the
Yellow River s'est arrachée à 4,7 millions de dollars. Enfin, Cai Guoqiang détrône l'ensemble
le 25 novembre 2007, à la vente Asian Contemporary Art de Christie's Hong Kong, où ses
dessins sont partis pour l'équivalent de 8,5 millions de dollars. Ainsi, les chinois sont
désormais des stars de l'art contemporain, et leurs œuvres côtoient sans complexe celles
d'Andy Warhol, Damien Hirst, Jeff Koons ou Richard Prince dans les grandes collections new-
yorkaises et londoniennes.
Comment expliquer cet engouement aussi soudain qu'extraordinaire qu'a connu l'art
174
B. ANGREMY, « Art contemporain : de la contre-culture à l'intégration », Connexions n°53, mars 2010 175
Compte-rendu Artprice 2007
70
contemporain chinois, en seulement quelques années ? Plusieurs facteurs sont à explorer.
Premièrement, la reconnaissance de cet art sur le marché international s'est effectuée très
tardivement, alors que les artistes étaient déjà présents à tous les grands événements
artistiques internationaux depuis bien longtemps, que ce soit aux biennales de Venise, aux
Documenta de Cassel en Allemagne, et dans les expositions des grandes galeries et centres
d'expositions à travers le monde comme le centre Georges Pompidou à Paris, par exemple.
On l'a vu, l'art contemporain chinois, même s'il reste évidemment relativement récent
comparé à l'art occidental, ne date pas d'hier, et a même fêté les trente ans de son
apparition en 2009, avec le groupe des Étoiles où figurait déjà Ai Weiwei. Les artistes ont
donc déjà acquis une certaine maturité, ainsi qu'une large notoriété et légitimité auprès des
amateurs et experts en art. Ceci explique pour une large partie le rattrapage si rapide du
marché de l'art. Les autorités ont donc laissé se développer le marché, parce qu'ils se sont
bien rendu compte qu'il était générateur de devises. Les ventes aux enchères ont donc été
prises d'assaut par les collectionneurs étrangers, pour lesquels « l'exhibitionnisme prenait la
place de l'érudition » selon Rudolf Lorenzo, organisateur de la foire de Shanghai.176 Mais
l'emballement qu'a connu ce marché depuis 2005-2006 est surtout dû à une pression venue
de l'est, de la Chine elle-même.
II – La réappropriation du patrimoine artistique par la classe supérieure chinoise L'apparition de nouvelles initiatives gouvernementales en faveur du développement de l'art contemporain A partir des années 2006-2007, les autorités chinoises commencent à s'intéresser
sérieusement au réseau de l'art contemporain. C'est à cet élan d' « ouverture » que l'on doit
l'apparition et le succès du 798 Art district de Pékin. Né d'initiatives individuelles, (minjian -
民间) ce centre d'expositions, situé à l'emplacement d'une usine militaire désaffectée, tient
désormais lieu de modèle pour la création de zones de développement des industries
créatives, afin de regrouper les créateurs par catégories dans des clusters, décision prise dans
le cadre d'un nouveau plan quinquennal. Le 798 Art district connaît désormais un succès
immense auprès à la fois du grand public, des touristes et des investisseurs étrangers. Point
176
V. NOCE « Avec la crise, les prix de l'art contemporain chinois s'écroulent », publié le 04/06/08, toutsurlachine.blogspot.com, http://toutsurlachine.blogspot.com/2008/12/avec-la-crise-les-prix-de-lart.html , consulté le 12/04/11
71
culminant de cet espace, la création de l' « Ullens Center for Contemporary Art », du nom de
l'industriel et collectionneur Guy Ullens, ouvert en grande pompe en 2007, et surnommé le
MoMA chinois. Avec ce type de structure, les autorités peuvent ainsi orienter et contrôler le
développement de l'art contemporain, tout en reconnaissant son « utilité sociale ». Dans un
entretien pour le magazine Connexions, Bérénice Angremy177, directrice de la société
Thinking Hands, qui organise des expositions et fait du consulting, et qui est à l'origine du
festival d'art contemporain du 798 Art district, explique que cette dynamique ne fonctionne
pas vraiment, car les quartiers vraiment vivants sont ceux qui se sont créés spontanément,
par l'impulsions de groupes de personnalités, généralement des artistes ou des galeristes. Or
« cette vie est étouffée dans l'œuf par l'intermédiaire des autorités » : la police visite
régulièrement certaines galeries sans raison apparente, à la limite du harcèlement, tandis
que le quartier artistique de Caochangdi, pour ne citer que lui, est menacé de fermeture,
dans le cadre d'un plan d’État qui consiste pour le gouvernement à racheter des terrains et à
les revendre à des promoteurs immobiliers. Sans parler du dangereux amalgame fait par les
autorités entre création et production artistique contemporaine, qui risque fort de brider
toute originalité et créativité.
L'explosion de la demande interne
Cependant, malgré ces problèmes, la demande nationale en matière d'art
contemporain est en pleine croissance, ce qui se reflète dans l'explosion du nombre de
maisons de ventes, et la hauteur des volumes négociés. La Chine est désormais capable de
rivaliser avec New York et Londres en termes de chiffre de ventes et de prestige. Entre 2006
et 2007, le produit de ventes a augmenté de 78%, si bien que la compétition entre
commissaires-priseurs anglo-saxons et maisons de ventes locales s'intensifie. Ainsi, même si
Christie's domine toujours le marché, suivie de près par Poly International Auction, Sotheby's
et China Guardian, avec un produit de vente total en fine art178 de 197 millions de dollars
annuel, de multiples autres petits organismes fleurissent et se développent rapidement, avec
des produits de ventes annuels qui atteignent et dépassent vite le million de dollars. On
citera par exemple Beijing Cheng Xuan Auctions, Shanghai Hosane Auction, Hua Chen
Auctions ou encore Beijing Council International Auction, etc. Elles sont au total une centaine
177
B. ANGREMY, loc. cit. 178
Le fine art rassemble la peinture, l'installation, la sculpture, le dessin, la photographie et l'estampe.
72
à orchestrer de prestigieuses ventes aux enchères d'art contemporain à travers la Chine.
Ainsi, si jusqu'au milieu des années 2000, les artistes gagnaient leur vie exclusivement grâce
à la vente de leurs travaux à l'étranger, la situation a désormais tendance à s'inverser. Les
musées chinois ont doucement commencé à acheter certaines de ces œuvres, comme le
musée de Canton par exemple, tandis que des collectionneurs chinois apparaissent. En effet,
comme toujours dans L'histoire de l'art contemporain, les œuvres sont toujours achetées par
des personnes appartenant à la catégorie des « nouveaux riches », pour « s'offrir un vernis
de respectabilité et de culture ». Or cette catégorie socio-culturelle est en pleine expansion
en Chine. « Quant aux acheteurs, au début ils étaient tous étrangers. Aujourd'hui, les Chinois
représentent plus du tiers de nos clients. Ce sont des gens cultivés, qui ont de l'argent à placer.
Ils peuvent développer une collection, avoir envie de montrer leur statut ou bien de décorer
leur maison. », rapporte Zhang Wenjia, directrice de la galerie ShanghArt à Pékin dans un
entretien pour le magazine Connexions179. Wang Guangyi par exemple, prétend que 40% de
ses ventes s'effectuent en Chine180, même si la plupart des autres artistes donnent le chiffre
plus raisonnable de 5%. Dans le courant de l'année 2005, des investisseurs et promoteurs
immobiliers chinois qui ont fini par amasser de petites fortunes ont fait soudainement
irruption sur le marché, ce qui s'est traduit par une flambée des prix d'abord à l'étranger,
puis dans les salles chinoises de manière encore plus amplifiée. Les ventes ont ainsi
quintuplé en moins de deux ans, atteignant 1 400 millions de yuans. L'art devient peu à peu
assimilé à un actif financier, ce qui a débouché sur la création d'un nouveau modèle : la
bourse de l'art181. La Chine fait figure de pionnière dans ce domaine, lorsqu'en 2009 le
gouvernement lance la Shenzhen Cultural Assets and Equity Exchange (SZCAEE), qui va faire
des émules dans le monde entier. Également, depuis que l'empire du milieu est passé à la
seconde place mondiale en terme de puissance économique en 2010, elle veut maintenant
se concentrer sur la promotion de sa culture, preuve de l'émergence d'une stratégie de soft-
power à l'américaine : les mégalopoles chinoises, telles que Pékin, Hong Kong et Shanghai
ont attiré les plus grands opérateurs de ventes aux enchères, des galeries occidentales y
ouvrent des antennes, voire déménagent complètement pour y installer l'intégralité de leurs
locaux, et les salons, foires et autres grands événements artistiques se démultiplient dans
toute la zone sud-asiatique, de Pékin à Singapour, en passant par Hong Kong et Taipei. De
179
A. GARRIGUE, « Les collectionneurs ont une vision plus ouverte », entretien avec Zhang W., Connexions n°53, mars 2010
180 M. NURIDSANY, op. cit. p.9
181 Compte-rendu Artprice 2007
73
plus, l'art bénéficie de plus en plus du soutien du gouvernement, même si cet argument est à
nuancer, puisqu'il ne concerne que la partie « émergée » de l'iceberg qu'est l'art
contemporain chinois. A souligner également, le patriotisme des collectionneurs chinois qui
sont de plus en plus nombreux et de plus en plus riches. En effet, selon Artprice182, le
nombre de milliardaires chinois devrait progresser d'environ 20% par an jusqu'en 2014,
contre 5,6% pour le reste de la planète. Mais la situation n'est pas aussi simple qu'elle n'y
paraît : « Ce que le public ne voit pas, ce sont les manœuvres en coulisse : qui paie vraiment ?
Les acquéreurs ne règlent pas, négocient des délais, ou troquent avec d'autres tableaux. »,
explique un galeriste londonien183. Le processus de spéculation ne fait que prendre de
l'ampleur : les marchands enchérissent sur des œuvres d'artistes dont ils possèdent déjà des
travaux, afin d'en soutenir la valeur : c'est le processus d'impairment test. Ainsi l'art
contemporain, chinois en particulier, a été le laboratoire de la financiarisation du marché de
l'art, si bien qu'il fut le théâtre de tous les excès et ''d'artificialité''. 184 David Quadrio,
créateur italien du centre BizArt de Shanghai, évoque le phénomène de « tulipomanie »,
terme inventé pour désigner la spéculation qui a provoqué le premier krach boursier de
l'histoire en Hollande au XVIIème siècle. Il décrit la mission du centre BizArt comme « destiné
à générer des idées et non de l'argent », et dénonce l'attitude des maisons de vente, comme
Sotheby's et Christie's qui « ont traité la production artistique comme une industrie du luxe.
La création a été transformée en outil financier, plutôt qu'en instrument de la renaissance
culturelle en Chine »185
III – L'impact de la crise financière de 2008 : quelles conséquences pour l'art contemporain
chinois ?
Une chute vertigineuse... Il convient d'abord de signaler qu'avant la crise, l'art contemporain en général a vécu
sept années consécutives de hausse des prix, suite à l'explosion de la demande des nouveaux
acheteurs des pays émergents, dont la Chine, mais également de par la multiplication du
nombre de spéculateurs et des fonds d'investissements en art. L'art contemporain s'est donc
182
Compte-rendu Artprice 2010 183
V. NOCE , loc. cit. 184
Ibid. 185
Ibid.
74
complètement hypertrophié : les prix ont augmenté de 85% entre 2002 et 2008, tandis que
l'offre ne diminuait pas, particulièrement dans le « haut de gamme ». Les enchères
millionnaires ont également progressé de 620% sur la même période : alors que sept artistes
se partageaient 18 enchères millionnaires entre 2005 et 2006, deux ans plus tard, ce seuil a
été atteint 120 fois, par 25 artistes. Ainsi l'art contemporain devint rapidement le secteur le
plus spéculatif et le plus volatil du marché de l'art, et par conséquent fut le premier à souffrir
de l'effondrement des bourses européennes et américaines, et de la crise économique
mondiale qui a suivi. Le pic de la bulle spéculative est atteint en janvier 2008, tandis que les
prix chutèrent brutalement de 27,1% sur l'année, et de 4,4% sur le premier semestre 2009186.
Le marché a donc subi une violente correction, qui l'a fait redescendre au niveau de prix de
2006. C'est la plus lourde chute qu'ait connu l'histoire du marché de l'art, due à une soudaine
et large baisse de la demande sur le secteur haut de gamme. La Chine a subi de plein fouet
les rudes conséquences de ces deux années d'envolée spéculative, tandis que Hong Kong fut
la première place du marché de l'art international à être touchée. Par exemple, Hong Kong
Sotheby's pouvait se targuer de moins de 10% d'invendus en octobre 2007, alors que ce taux
a grimpé jusqu'à 29% en octobre 2008. Le 30 novembre de cette même année, la cession
d'art asiatique de Christie's fut un échec sans précédent : 44% des œuvres contemporaines
furent invendues. Le produit de vente a perdu 63%, en passant de 259 à 95 millions de
dollars de juillet 2007 à juin 2008. C'est donc statistiquement le pays qui a subi les plus
importantes pertes, suite à la crise. Un réel climat de défiance s'est installé, qui a subitement
bouleversé les valeurs de l'art : l'art contemporain chinois a perdu de son attractivité, à la fois
comme valeur artistique, mais aussi comme valeur marchande, par rapport à 2008. Dans les
galeries également, l'ambiance n'est pas au beau fixe : selon un reportage diffusé sur France
24 en janvier 2009, intitulé « Le marché de l'art contemporain fait les frais de la crise »187, les
ventes se sont écroulées également au sein des galeries, si bien que certains artistes
envisagent désormais de se reconvertir. De même, à Dashanzi, près d'une cinquantaine de
galeries ont dû mettre la clé sous la porte. La galerie new yorkaise Pace Wildenstein s'est vue
également contrainte de renégocier le bail de sa succursale de Pékin qui venait juste d'ouvrir,
et a dû déprogrammer une gigantesque exposition dédiée à l'œuvre de Zhang Huan qui
186
Compte-rendu Artprice 2008 187
H. MORTON et S. LE BELZIC, « Le marché de l'art contemporain fait les frais de la crise », reportage effectué à Pékin et diffusé en janvier 2009, http://www.france24.com/fr/20090118-chine-crise-economique-effets-art-contemporain-marche-reportage, consulté le 12/04/11
75
devait avoir lieu à Londres.188 Qi Feng, fondateur du musée d'art contemporain de Pékin
explique « C'est comme un tsunami et cela affecte particulièrement l'art chinois et l'art
asiatique en général. Je connais même deux ou trois grandes expositions ici qui ont dû être
annulées à cause de tout cela ».
… Mais un rattrapage extraordinaire
Pourtant, Zhang Weijia189 rapporte que l'art contemporain chinois s'est très bien
stabilisé après 2008. Le calme serait en quelque sorte revenu après trois ou quatre ans
d'ébullition. Les personnes uniquement intéressées par l'argent, les spéculateurs, ont quitté
le marché, de gré ou de force, tandis que les vrais collectionneurs sont restés, ce qui ne peut
être que bénéfique pour l'art. Avec la transformation de la clientèle également, qui est
devenue beaucoup plus chinoise qu'étrangère, les centres d'intérêts ont évolué : « Avant, les
étrangers cherchaient plutôt des œuvres caractéristiques de la culture chinoise, comme le
pop politique. Maintenant les collectionneurs ont une vision plus diversifiée et plus
ouverte. »190 Dans le reportage de France 24, Wolfang Stiller, artiste allemand installé à Pékin,
partage son opinion : « Finalement je pense que c'est une bonne chose pour l'art chinois,
parce que maintenant il y a tellement de jeunes artistes que ceux qui aspirent à devenir des
artistes devront y réfléchir à deux fois. Avant c'était comme un rêve, on devenait artiste, on
gagnait beaucoup d'argent. Ça, ça a changé. »191 Les observateurs n'étaient donc pas si
pessimistes quant à l'avenir de la place de l'art contemporain chinois sur le marché de l'art
international. Et pour cause : en 2010 se produit un « électrochoc ans L'histoire du marché de
l'art mondial : la Chine est désormais numéro un des ventes aux enchères de fine art »
déclare Thierry Ehrmann, fondateur et président d'Artprice, leader mondial de l'information
sur le marché de l'art192. Elle surpasse donc les États-Unis et le Royaume-Uni, qui dominaient
le marché d'une main de maître depuis les années 1950, en seulement trois années. En effet,
après la crise, la Chine est finalement devenue le moteur de la relance économique mondiale.
En parallèle, le gouvernement s'est concentré sur la promotion et le rayonnement de sa
culture via notamment l'organisation des jeux Olympiques de Pékin de 2008, puis de
188
V. NOCE,loc. cit. 189
A. GARRIGUE, « Les collectionneurs ont une vision plus ouverte », entretien avec Zhang W., Connexions n°53, mars 2010,
190 Ibid.
191 H. MORTON et S. LE BELZIC, loc. cit.
192 Compte-rendu Artprice 2010
76
l'Exposition universelle de Shanghai 2010. Depuis, le ministère de la Culture et des Finances
mène un grand travail de fond pour rendre gratuits tous les musées publics de Chine, ce qui
devrait être fait d'ici la fin de l'année 2012193. Désormais, quatre artistes chinois se sont
installés aux premiers rangs du classement annuel par produit de vente de fine art. Dans le
classement des maisons de vente mondiales, Christie's et Sotheby's restent cependant en
tête, et réalisent toujours la plus grande partie de leurs recettes à New York, contre 10% dans
leurs antennes hongkongaises. Les places suivantes sont attribuées respectivement à Poly
International, China Guardian et Beijing Hanhai Art Auction, toutes trois établies en Chine.
Puis on retrouve aux 7, 8, 9 et 10èmes places Beijing Council, Beijing Jiuge, Xiling Yinshe et
Beijing Highest Auctions. Au total, elles sont donc sept à se retrouver dans le top 10, contre
seulement trois maisons occidentales, Christie's, Sotheby's et Phillips de Pury & Company.
Ainsi, Pékin est devenu la seconde place de marché mondial derrière New York : cette
dernière a généré près de 2,7 millions de dollars de produit de ventes aux enchères en 2010,
contre 2,3 pour Pékin. On retrouve ensuite Londres, puis Hong Kong, Paris, puis Shanghai et
Hangzhou. Du côté des artistes, ils ont investi plus de la moitié du top 10 des artistes
contemporains en 2010194 : Zeng Fanzhi, Chen Yifei, Wang Yidong, Zhang Xiaogang, Liu
Xiaodong et Liu Ye se retrouvent en compétition avec les monstres que sont les américains
Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons et Richard Prince, ainsi qu'Andy Warhol. Et tout indique que
les élèves ne tarderont pas à surpasser les maîtres.
193
Ibid. 194
Ibid.
77
78
Conclusion Le renouveau culturel en Chine est un phénomène qui prend toute son ampleur
particulièrement depuis la dernière décennie. L'art contemporain en est son fer de lance,
grâce au fulgurant succès qu'il connaît aujourd'hui. L'histoire de l'art contemporain chinois
est celle d'une véritable renaissance artistique, qui s'est déroulée sur plusieurs décennies. En
effet, on peut d'ores et déjà considérer que l'art de propagande sous Mao, pendant la
Révolution culturelle, était en soi un grand bouleversement des traditions artistiques
chinoises : le réalisme socialiste transforme les valeurs, en abaissant l'art à la portée des
masses, lui qui était auparavant réservé aux élites. L'art contemporain chinois surgit à la fin
des années 1970, à la fin de la Révolution culturelle. En effet, avec la mort du Grand Timonier
en 1976, la Chine se relève et entreprend de s'ouvrir doucement au reste du monde, sous
l'impulsion de Deng Xiaoping, le nouveau grand leader. L'ère qui débute alors est une
période d'espérance, de foi en un avenir meilleur. Naquit le groupe des Étoiles, formé d'une
petite vingtaine d'artistes d'avant-garde qui décidèrent de frapper très fort en 1979, en
exposant publiquement leurs œuvres, très controversées pour l'époque. En effet, si l'heure
était à l'ouverture économique, il était encore hors de question de libéraliser les milieux
culturels, qui étaient donc toujours sous étroit contrôle étatique, et où chaque production
artistique devait respecter les standards nationaux édictés par le parti. On peut voir dans les
diverses manifestations des Étoiles le premier grand mouvement post Révolution culturelle
pour la liberté d'expression et plus largement la démocratie. Ainsi, ce que désiraient
réellement les Étoiles, ce n'était pas tant d'être acceptés en tant que marginaux, mais plutôt
d'être reconnus comme de véritables artistes par les autorités officielles, ce qui aurait signifié
un nouveau pas vers la libéralisation officielle de l'art. Cependant il est également intéressant
de remarquer que les Étoiles marquent une certaine continuité avec les ''artistes'' de la
propagande maoïste, dans le sens où les uns comme les autres n'avaient pas de réelle
éducation ou formation artistique, mais provenaient des masses, comme le prescrivait la
doctrine socialiste. D'ailleurs, les artistes des Étoiles comme les artistes contemporains qui
suivront leurs traces ont souvent mis leurs talents au service du parti, pour réaliser dessins,
tableaux ou affiches à la gloire de Mao pendant la Révolution culturelle. La démarche des
Étoiles est donc passionnante, car même lourdement réprimée, elle fut l'élément catalyseur
de la renaissance de l'art chinois à partir du milieu des années 1980.
79
En effet, c'est en général l'année 1985 que les experts choisissent pour dater la
véritable naissance de l'art contemporain chinois. En effet, à cette date les observateurs ont
pu remarquer un certain assouplissement de la censure gouvernementale envers les milieux
artistiques et les médias. Comme si un souffle de liberté s'était déclenché brutalement.
Attention, nous sommes encore bien loin de l'encouragement vers la création originale, ni
même de la tolérance générale, mais le gouvernement de Deng Xiaoping a petit à petit
délaissé le contrôle sur la culture pour se concentrer sur l'ouverture et la reconstruction de
l'économie chinoise. L'originalité artistique était désormais acceptée, tant que l'on
n'attaquait pas le régime communiste. Également avec l'ouverture, les artistes et
intellectuels chinois ont pu découvrir tout ce qui s'était passé en Occident en terme
d'invention artistique depuis des décennies : de là un sentiment de retard à rattraper s'est
installé dans les esprits, autre moteur de la grande effervescence qui anima la scène
artistique chinoise pendant les quelques années d'ouverture de l'empire du Milieu. C'est à
cette période que se révélèrent d'immenses talents désormais reconnus internationalement,
et que naquirent les principaux courants artistiques, le pop politique et le réalisme cynique,
dont les représentants firent office de figures de proue du « mouvement 85 ». Cependant,
jusqu'en 1989 ces artistes ne bénéficièrent pas d'une très large reconnaissance, car la
censure gouvernementale était encore très présente. Toute exposition ou événement
artistique public était généralement réprimé, fermé dans les heures suivant leur ouverture.
L'exposition historique, China/Avant-Garde qui eut lieu en février 1989 ne fit pas exception,
puisqu'elle fut suspendue par les autorités quelques heures seulement après son ouverture.
Cette exposition fut cependant exceptionnelle car c'était la première fois qu'un lieu officiel,
le musée des Beaux-Arts de Pékin, bastion de l'art officiel chinois, était occupé par de l'art
d'avant-garde. Cette exposition marqua aussi l'avènement de l'art de performance, qui
s'arroge depuis une place de plus en plus importante sur la scène artistique chinoise. Mais
1989 fut surtout l'année d'un des plus grands mouvements de répression de l'histoire de la
République Populaire de Chine depuis la fin de la Révolution culturelle. En effet, le grand
mouvement pro-démocratique qui s'est soldé par le massacre de manifestants sur la place
Tian'Anmen dans la nuit du 4 juin 1989 va bouleverser cette lutte pour la liberté d'expression
et transformer la scène artistique chinoise.
La période post 1989 est alors marquée par un sentiment de liberté surveillée pour
les artistes. Mais les années 1990 furent surtout celles de la découverte de l'art
80
contemporain chinois par les amateurs et experts étrangers, occidentaux pour la plupart. Les
artistes du pop politique et du réalisme cynique notamment, connaissent dès lors un succès
retentissant auprès des étrangers, qui semblent apprécier l'aspect contestataire de leurs
œuvres. Ces artistes vont donc beaucoup jouer sur l'ambiguïté de leur production et son
interprétation généralement faussée pour assurer la pérennité de leur succès. De l'autre côté,
une autre forme d'art se développe, la performance, le body art, puis la photographie et la
vidéo, qui seront des moyens d'immortaliser ces expérimentations artistiques pour le moins
avant-gardistes et hors du commun. Des expositions de cet art expérimental seront mises en
place à la fin de la décennie 1990 et au début des années 2000, malgré l'omniprésence des
autorités qui observent d'un très mauvais œil ce type d'art irrévérencieux. Il n'en demeure
pas moins que la consécration de l'art contemporain chinois sur la scène artistique
internationale remonte également à cette époque-là, conséquence de l'expatriation de
nombreux artistes chinois après les événements de 1989, et du mouvement inverse des
étrangers qui partent à la découverte de ces artistes orientaux.
La grande spécificité de l'art contemporain chinois, c'est qu'il a entretenu tout au long
de son développement des relations pour le moins ambiguës avec le gouvernement chinois.
En effet, il serait une erreur de croire qu'il s'est constamment placé en opposition contre le
régime, car si c'était le cas, il n'aurait jamais pu se développer et perdurer comme il le fait.
L'important était donc non pas de s'opposer aux autorités, mais de les contourner, afin
d'éviter au maximum la confrontation directe. Les artistes ont emprunté deux voies pour
réaliser cette stratégie : d'abord, certains ont préféré se rassembler et former des
communautés d'artistes, des villages, en périphérie des grandes villes, principalement autour
de Pékin. Puis progressivement, au rythme des visites des officiers de police, ils créèrent de
nouveaux espaces dédiés à l'art, qui sont aujourd'hui des lieux incontournables pour
quiconque s'intéresse à la création chinoise. L'autre solution choisie par d'autres artistes
pour contourner la censure est l'utilisation de moyens de communications détournés, plus
difficilement contrôlables : l'invasion de lieux publics par exemple, via le mass art, mais aussi
et surtout l'utilisation d'internet. De plus, il est important de comprendre que l'attitude des
artistes qui subissent la censure du régime n'est pas du tout celle qu'on pourrait attendre. Ils
restent en effet très pragmatiques, résignés. Certains s'en amusent même, et la considère en
quelque sorte comme une forme de consécration de leur art.
81
L'art contemporain chinois n'aurait donc pas la place de choix qu'il a aujourd'hui sur
la scène artistique internationale sans l'intervention des experts et amateurs occidentaux.
Pour autant, ce rôle primordial des étrangers dans la reconnaissance de l'art chinois est
source d'une certaine amertume pour une large partie des artistes. En effet, si comme nous
l'avons dit les artistes les plus renommés aujourd'hui ont su en quelque sorte s'adapter au
goût des occidentaux, beaucoup dénoncent encore aujourd'hui l'interprétation
complètement erronée qu'ont les étrangers de leurs œuvres. Nombre d'entre eux n'hésitent
pas à qualifier l'attitude des collectionneurs de néo-colonialiste, ne voyant à travers leurs
travaux que l'expression du rejet de leur condition, des politiques autoritaires menées par le
régime, voir du communisme dans son entièreté. Les plus ''marginaux'' accusent les artistes
tenant du pop politique ou du réalisme cynique de se conformer aux attentes du public
occidental afin d'assurer leur succès et avec lui l'afflux de devises sur leurs comptes en
banque. Et cela quitte à renoncer à leur indépendance artistique. Cependant, les artistes
tendent de plus en plus à s'émanciper de cette thématique politique, plus particulièrement
la jeune génération, qui n'a pas vécu la Révolution culturelle, qui eut, il est vrai, un impact
très important sur la vie des artistes chinois, mais pas forcément si négatif, au contraire. Cela
explique en grande partie l'exaspération des artistes vis-à-vis de ces interprétations
occidentales. Désormais, les thématiques abordées par les artistes sont beaucoup plus
d'ordres existentielles ; certains entreprennent d'explorer et de déconstruire les traditions
chinoises, tandis que d'autres s'expriment sur des problématiques beaucoup plus actuelles,
qui préoccupent la Chine des années 2000, seconde plus grande puissance mondiale et
moteur de la croissance internationale. Certains artistes se sont quant à eux radicalisés par
rapport au régime, refusent toute collaboration avec lui et ont au contraire préféré
emprunter la voie de l'activisme. C'est par exemple le cas d'Ai Weiwei, probablement l'un
des plus illustres artistes chinois actuellement, de par son engagement profond dans la lutte
pour la liberté d'expression, mais aussi à cause de sa triste actualité, puisqu'à force de
provocations toujours plus poussées, il s'est fait arrêter par les forces policières chinoises au
début du mois d'avril 2011, et son sort est inconnu de tous jusqu'à ce jour. La carrière
d'artiste d'Ai Weiwei ainsi que son engagement en marge du régime autoritaire remonte à la
fin des années 1970, puisqu'il faisait déjà parti du groupe des Étoiles. Il a ensuite fait le choix
de s'expatrier aux États-Unis jusqu'en 1993, mais a toujours tenu à conserver sa nationalité
chinoise. L'arrestation d'Ai Weiwei s'inscrit dans le cadre d'un nouveau grand mouvement de
répression national, pour contrer les éventuelles tentatives d'imitation de la Révolution de
82
jasmin et des autres révolutions arabes qui agitent la planète depuis le début de l'année
2011. Ainsi, la progression vers une certaine forme de liberté que l'on a pu observer
particulièrement depuis le début des années 2000 semble désormais bien compromise, ou si
elle existe toujours, ce n'est qu'une liberté sous haute surveillance.
Cependant, il semblerait que l'art contemporain chinois ne se soit jamais aussi bien
porté en termes de réussite économique. En effet, depuis une demi-douzaine d'années
maintenant, il caracole aux sommets des classements en termes de ventes sur le marché de
l'art international. Le succès de ces artistes chinois est donc aussi grand que soudain. Son
irruption sur la scène internationale, puis sur le marché, est largement due aux étrangers,
d'abord les expatriés en Chine, qui étaient les seuls à avoir les moyens mais surtout à
témoigner d'un certain intérêt pour l'art contemporain, encore bien trop inaccessible aux
masses non éduquées. Ce sont donc eux qui ont organisé les premières expositions, ouvert
les premières galeries dédiées à l'art contemporain chinois. C'est ainsi qu'une véritable
dépendance s'est instaurée entre cet art et le réseau du monde de l'art international. En
effet, il n'existait encore aucun marché de l'art à l'échelle nationale, et encore bien peu de
collectionneurs. Cependant cette dépendance fut très bénéfique à de nombreux artistes, qui,
très rapidement, virent leurs œuvres se vendre aux enchères dans les plus grandes maisons
de ventes internationales, comme Christie's ou Sotheby's. A partir de 2006, ces ventes
explosent, et les prix suivent le même mouvement. C'est ainsi qu'une dizaine d'artistes
commencent petit à petit à rivaliser avec des maîtres reconnus de l'art contemporain
international, comme Richard Prince ou Jeff Koons, et qu'en 2007, la Chine se retrouve à la
troisième place du classement mondial par produit de ventes. Plusieurs facteurs sont à
prendre en compte pour expliquer cette soudaine explosion : d'abord parce que le décalage
temporel entre la naissance de l'art contemporain chinois et son apparition sur le marché de
l'art est relativement important, ce qui a laissé aux artistes le temps de produire un grand
nombre d'œuvres, et de faire mûrir leur talent. Mais force est de reconnaître qu'aujourd'hui
le plus grand vecteur de la croissance de la part de l'art contemporain chinois sur le marché
de l'art international est la nouvelle pression qui y est exercée par la Chine elle-même.
En effet, depuis les années 2006-2007, la classe supérieure chinoise,
considérablement enrichie, s'est lancée dans un réel mouvement pour la réappropriation du
patrimoine artistique chinois, qui passe évidemment par l'art contemporain. D'abord, les
83
autorités elles-mêmes commencent à comprendre les enjeux sous-jacents de l'art
contemporain local, et l'impact qu'il pourrait avoir sur l'économie nationale. Ils ont donc
essayé en quelque sorte de s'approprier cet élan créatif, en créant centres d'expositions,
districts dédiés aux galeries d'art, etc. Si le succès de cette méthode est cependant très
mitigé, les initiatives privées, elles, ne manquent pas. La demande en art contemporain
augmente de façon exponentielle, les maisons de vente commencent à fleurir dans les
grandes métropoles chinoises, et connaissent rapidement un immense succès,
concurrençant désormais les grands noms du marché de l'art international.
La crise économique et financière de 2008 a évidemment porté un grand coup au
marché de l'art en général, et à celui de l'art contemporain chinois en particulier, parce que
ce dernier représentait le secteur le plus spéculatif et le plus volatil du marché global.
Statistiquement, la Chine est le pays qui a subi les plus grosses pertes dans ce secteur.
Pourtant de nombreux observateurs ne sont pas si pessimistes, et voient même dans la crise
un moyen de mettre fin aux dérives spéculatives qui jetaient un voile sur la réalité du marché.
La suite leur a montré qu'ils étaient dans le vrai, puisqu'en 2010, la Chine devient finalement
numéro un des ventes sur le marché de l'art international. La progression de l'art
contemporain chinois a donc suivi la tendance générale de ces dernières années, qui a vu
l'empire du Milieu grimper les marches des divers classements mondiaux, preuve que la
Chine est une véritable grande puissance, capable de s'affirmer aussi bien culturellement
qu'économiquement.
* *
*
Le renouveau culturel chinois est donc bien une réalité. En effet, la Chine, non
contente d'avoir réussi à devenir la seconde puissance mondiale grâce à une économie
toujours plus compétitive, entend désormais s'affirmer sur le plan culturel, dans le cadre
d'une politique de soft power calée sur celle des États-Unis. Il a pourtant fallu un certain
temps aux autorités pour comprendre la puissance potentielle de la culture contemporaine
chinoise, trop longtemps préoccupées à brider les esprits créatifs qui peuplent leur nation.
Cependant le gouvernement chinois tient toujours un double discours ambiguë vis-à-vis du
monde de l'art contemporain, puisque s'il encourage et tente te s'approprier le succès de
84
certains artistes, qui ont préféré assurer leur liberté, quitte à réprimer leur créativité et à se
cantonner à la production d'œuvres moins expérimentales, dont la vente assurera à coup sûr
la pérennité de leur succès. Mais ces artistes à succès qui concurrencent les plus grands
maîtres de l'art contemporain international ne sont qu'une petite minorité, la partie
immergée de l'immense iceberg que forme le monde de l'art contemporain chinois. Et ceux
qui restent méconnus du grand public ne sont pas pour autant mauvais, bien au contraire, et
les experts et amateurs de tous les horizons contribuent à les faire émerger. Mais la tâche est
bien plus ardue, car le gouvernement chinois est aujourd'hui plus que jamais méfiant envers
toute forme d'art un tant soit peu vindicatif, ou simplement subversif. Et l'arrestation d'Ai
Weiwei ne fait que confirmer cette nouvelle atmosphère répressive qui ne présage rien de
bon quant à la progression de la liberté d'expression en Chine.
85
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Vidéos
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Table des matières
Remerciements p. 2
Introduction
Avant-propos : qu'entendons-nous par le terme « culture » ? p. 3 De la culture traditionnelle à la Révolution culturelle p. 3 L'art dans les régimes totalitaires p. 4 Un renouveau culturel ? p. 6 Art contemporain, art expérimental, art « d'avant-garde », quelles différences ? p. 7
Chapitre premier : la naissance et le développement de l'art contemporain chinois : une nouvelle révolution culturelle ?
I – Du réalisme socialiste sous Mao Zedong au groupe des Étoiles
Le réalisme socialiste, une pré-révolution ? p. 11 L'irruption des Étoiles p. 11 Les Étoiles, précurseurs de l'activisme en Chine ? p. 13 Qui étaient ces Étoiles ? p. 15 L'extinction des Étoiles p. 17
II – Le tournant de 1985
L'assouplissement de la censure p. 19 Rattraper l'Occident p. 20 La naissance de la nouvelle vague p. 20
Xiamen Dada p . 21 Entre répression et officialisation, le début de l'internationalisation de l'art contemporain chinois p. 23 L'exposition China/Avant-Garde p.24 La brèche se referme p.27
III – L'ère post Tian'Anmen : une liberté surveillée La scission de l'art contemporain chinois en deux mouvements bien distincts p. 30 L'art contemporain chinois à la rencontre entre la tolérance et la provocation p. 31 L'art expérimental chinois p. 32 Les années 1990, décennie de la consécration p. 33 Les nouveaux espaces de l'art contemporain chinois p. 34 La première biennale d'art contemporain de Shanghai p. 36 L'utilisation des lieux publics p. 37
Chapitre deux : l'artiste contemporain chinois, héros de la lutte pour la liberté d'expression ?
I – Jouer avec la censure : les relations ambigües entre artistes et autorités chinoises
90
Le développement des villages et regroupements d'artistes en périphérie p. 41 La réponse ambiguë des autorités p. 42 Le développement du mass art p. 43 L'utilisation d'internet comme moyen de contourner le contrôle gouvernemental p. 44 Les artistes face à la censure p. 45
II – Le grand malentendu Le pop politique, une spécificité chinoise ?... p. 47 … Ou une vaste imposture ? p. 48 L'influence de la Révolution culturelle p. 51 La diversité des thématiques abordées p. 53
III – Le cas d'Ai Weiwei Ai Weiwei, fils d'Ai Qing p. 56 Ai Weiwei le provocateur p. 56 L'exposition Fuck Off p. 57 Ai Weiwei, un artiste et un activiste reconnu p. 58 Avril 2011 : l'arrestation d'Ai Weiwei p. 61 La plus grande vague de répression en Chine depuis 1989 p. 63
Chapitre trois : la place de l'art contemporain chinois sur le marché de l'art international depuis le milieu des années 2000
I – Un art d'abord prisé par les occidentaux L'établissement d'une dépendance de l'art contemporain chinois à l'Occident p. 66 L'envolée de l'art chinois contemporain sur le marché de l'art international p.68 II – La réappropriation du patrimoine artistique par la classe supérieure chinoise L'apparition de nouvelles initiatives gouvernementales en faveur du développement de l'art contemporain p. 70 L'explosion de la demande interne p. 71
III – L'impact de la crise financière de 2008 : quelles conséquences pour l'art contemporain chinois ? Une chute vertigineuse... p. 73 … Mais un rattrapage extraordinaire p. 75
Conclusion p.78 Bibliographie p. 84