miscellanea wj. ganshof van der meersch

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MISCELLANEA WJ. GANSHOF VAN DER MEERSCH Studia ab discipulis amicisque in honorem egregii professons édita E X T R A I T Mélanges publiés sous l'égide et avec l'appui du Centre interuniversitaire de Droit public et de l'Université Libre de Bruxelles É T A B L I S S E M E N T S É M I L E B R U Y L A N T B R U X E L L E S LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE * PARIS

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Page 1: MISCELLANEA WJ. GANSHOF VAN DER MEERSCH

M I S C E L L A N E A

WJ. GANSHOF VAN DER MEERSCH

Studia ab discipulis amicisque in honorem egregii professons édita

E X T R A I T

Mélanges publiés sous l'égide et avec l'appui du Centre interuniversitaire de Droit public et de l'Université Libre de Bruxelles

É T A B L I S S E M E N T S É M I L E B R U Y L A N T • B R U X E L L E S

L I B R A I R I E G É N É R A L E D E D R O I T E T D E J U R I S P R U D E N C E * P A R I S

Page 2: MISCELLANEA WJ. GANSHOF VAN DER MEERSCH

LA PROCÉDURE DE REVISION DE LA CONSTITUTION ET L'AUTORITÉ

DES PRÉCÉDENTS EN DROIT PUBLIC BELGE

ANDRé V A N W E L K E N H U Y Z E N

C H A R G é DE COURS A L'UNIVERSITé DE BRUXELLES.

'ARTICLE 131 de la Constitution belge établit, en des termes apparemment très clairs, la procédure de revision : « Le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu'il y a lieu

à la revision de teUe disposition constitutionnelle qu'il ' désigne.

Après cette déclaration, les deux Chambres sont dissoutes de plein droit.

Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l'article 71 (1).

Ces Chambres statueront de commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la revision.

Dans ce cas, les Chambres ne pourront déUbérer si les deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents ; et nul changement ne sera adopté s'il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages ».

Cet article n'a subi aucune modification depuis sa promulga­tion sous forme de décret le 11 février 1831 (2).

(1) L'article 71 de la Constitution prévoit que si le Roi exerce son pouvoir de dissolution des Chambres législatives, il doit, par le même acte, convoquer les électeurs dans les quarante jours et les nouvelles Chambres dans les deux mois.

(2) Pasin., 3« série, Bruxelles, 1833, Gouvernement provisoire, n" 44, p. 182 et suiv. U n article 131i;j a été ajouté le 15 janvier 1968 {Moniteur belge, 17 février 1968,

p. 1490), mais il se borne à proscrire la revision de la Constitution en temps de guerre ou lorsque les Chambres se trouvent empêchées de se réunir librement sur le territoire national.

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Chacun des stades de cette lourde procédure pourrait cependant faire l'objet de commentaires et sur plus d 'un point, l'on consta­terait que la même interprétation n'a pas toujoxurs été admise (3). Nous nous bornerons ici à examiner la dernière phase, celle de la revision proprement dite. Un problème d'interprétation se pose quant au calcul de la majorité spéciale que le dernier alinéa de l'article 131 exige pour qu'un changement à la Constitution soit adopté.

L'expression « deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles » est claire : le quorum des présences se calcule sur le nombre total des membres (4). Et les membres qui s'abs­tiendront, entrent en ligne de compte pour déterminer si ce quorum est atteint (5).

Mais la dififtculté d'interprétation à laquelle nous nous arrête­rons concerne les mots : « les deux tiers des suffrages ». Pour apprécier si cette seconde majorité spéciale est atteinte, faut-il faire abstraction des abstentions et établir seulement le rapport entre les votes « pour » et les votes « contre » ? Faut-il, au contraire, comprendre les abstentions dans le nombre sur lequel la propor-

(3) J. MASQUELIN, « La technique des revisions constitutionnelles en droit public belge », Annale! de droit et de sciences politiques, t. XII , n" 47, p. 105 et suiv. ; P. WiGNY, Propos constitutionnels, Bruxelles, 1953, p. 31 et suiv.

(4) Ce nombre est de 212 pour la Chambre, en vertu de l'article 212 de la Constitu­tion (modifié le 28 juillet 1971). En vertu de l'article 54 de la Constitution (modifié le 7 septembre 1893), les sénateurs élus directement sont 106; s'y ajoutent : les sénateurs provinciaux, actuellement au nombre de 48, les sénateurs cooptés, qui sont la moitié des précédents, le ou les sénateurs de droit (les fils du Roi, ou, à leur défaut, les princes belges de la branche de la famille royale appelée à régner). Si un ou plusieurs sièges étaient vacants, par suite de décès ou de démission, par exemple, on pourrait toutefois se demander si le quorum doit se calculer sur le nombre constitutionnel des membres de chaque assemblée ou bien seulement sur le nombre de membres qui la composent effectivement au moment du vote. La première solution nous paraît seule exacte {comp. art. 52, al. 5, du Règlement du Sénat, modifié le 19 mai 1949, qui se réfère au « nombre légal des membres du Sénat » pour le calcul du quorum ordinaire). En ce sens, J.J. THONISSEN, La Constitution belge annotée, 3» éd., Bruxelles, 1879, n" 203, p. 153-154. Voy. aussi A. GIRON, Diction­naire de droit administratif et de droit public, Bruxelles, 1896, t. III, v° « Pouvoir législatif », n" 30, p. 134-135. Le problème fut discuté, mais ne reçut pas de solution de principe, à la séance de la Chambre du 20 juillet 1881 {Ann. pari. Ch., S. O. 1880-1881, p. 1589 et 1590).

(5) La question de savoir si un membre qui est présent dans la salle des séances, mais qui ne participe aucunement au vote (en ne disant même pas qu'il s'abstient), doit être considéré comme absent ou comme s'abstenant, est sujette à controverses. Comp. les articles 41 du Règlement de la Chambre et 29 du Règlement du Sénat. Voy. Doc. pari. Ch., S. O. 1955-1956, 430, n° 1, p. 2, Doc. pari. Sén., S. O. 1967-1968, n» 173, p. 2, et Doc. pari. Ch., S. O. 1968-1969, 360, n» 2, p. 3 et suiv.

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tion des deux tiers se calcule, c'est-à-dire exiger, pour l'adoption d 'un changement à la Constitution, que les sénateurs ou les députés qui émettent un vote favorable à la modification, soient deux fois plus nombreux que les adversaires déclarés de cette modification réunis à ceux qui ne se prononcent ni dans un sens ni dans l 'autre?

Cette question est controversée. Elle a fait l'objet de débats animés à la Chambre des représentants et au Sénat au cours des sessions 1967-1968 et 1968-1969.

Le Constituant lui-même ne paraît pas avoir aperçu nettement le problème qui allait être si vivement débattu quelque cent cinquante ans plus tard. Certes, on peut citer l'opinion émise par Devaux, membre du Congrès National, à propos de l'article 62 de la Constitution. Cette disposition prévoit que « le Roi ne peut être en même temps chef d'un autre Etat sans l'assentiment des deux Chambres », mais que cet assentiment ne peut être donné si les deux tiers au moins des membres qui composent chacune des Chambres ne sont présents et que « la résolution n'est adoptée qu'autant qu'elle réunit au moins les deux tiers des suffrages ». <' Le Sénat se composera de quarante-cinq mem­bres, fait observer Devaux ; il ne faut que les deux tiers, c'est-à-dire trente membres, pour délibérer ; il faut que les deux tieis de ces trente (6) consentent; il en résulte que le tiers plus un, c'est-à-dire onze sénateuis, peuvent entraver l'adoption ou le rejet d'une résolution dont peut dépendre tout l'avenir de la Belgi­que » (7). Et Raikem, autre membre du Congrès et futur ministre de la Justice, déclara quinze jours plus tard, lors de la discussion du projet de l'article 131 lui-même (8) : « D'après une disposition déjà décrétée, il suffit de la majorité des deux tiers des membres présents (9) également au nombre des deux tiers pour que le chef de l'Etat en Belgique puisse être, en même temps, chef d 'un autre Etat. La section centrale (10) a cru qu'on devait suivre la même

(6) C'est nous qui soulignons. (7) E. HUYTTENS, Discussions du Congrès National de Belgique (,1830-1831), Bru­

xelles, 1884, t. II, p. 67 (séance du 9 janvier 1831). (8) Cet article portait dans le projet de la Commission le numéro 117. (9) C'est encore nous qui soulignons. (10) Le Congrès National se divisait en dix sections qui examinaient séparément

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règle pour la revision de la Constitution» (11). Toutefois, ces déclarations perdent une bonne part de leur portée lorsqu'elles sont replacées dans leur contexte historique. Les membres du Congrès National, en effet, considéraient, dans leur grande majo­rité, qu'un mandataire de la Nation avait le devoir de se prononcer pour ou contre les résolutions soumises au vote. S'il est arrivé, à neuf reprises, que des membres du Congrès s'abstiennent, l'assemblée marqua généralement sa réprobation et, sept fois sur neuf, ceux qui s'étaient abstenus de voter, n'ont pas été repris dans le décompte du total des membres ayant participé au vote (12).

Lors de la discussion, d'ailleurs fort brève, de l'article 131, le Constituant n'a vraisemblablement songé qu'à ce qui était nécessairement pour lui le plerumque fit, c'est-à-dire la réparti­tion des présents en partisans et en adversaires de la proposition discutée et n'a même pas envisagé le cas où le nombre de parle­mentaires qui s'abstiendraient, pourrait jouer un rôle dans le calcul de la seconde majorité des deux tiers prévue dans la pro­cédure de revision.

A l'appui de la thèse selon laquelle la majorité des deux tiers doit se calculer sur le nombre total des membres présents, on fait valoir un raisonnement dont le point de départ réside dans le but même de l'article 131 de la Constitution. L'exigence d'ime double majorité des deux tiers est destinée « à prévenir des décisions précipitées et à rendre impossible toute modification qui ne bénéficierait pas d'un large consensus national ». Or, si les abstentions doivent être exclues du nombre sur lequel la deuxième majorité qualifiée doit se calculer, un changement

les textes qui allaient faire l'objet des débats en séance plénière de l'assemblée. La section centrale qui délibérait également avant les débats du Congrès entier, était composée de délégués des dix sections (deux par section en matière constitu­tionnelle).

(11) E. HuYTTENS, op. cit., t. IV, p. 112. Rapport fait par M. Raikem à la séance du 24 janvier 1831.

(12) Voy. à ce sujet, le Document établi en date du 12 avril 1967 par les Services d'étude et de documentation du Sénat, sous le titre « L'abstention est-elle un suf­frage ? », reproduit dans Courrier Hebdomadaire, Centre de recherche et d'informa­tion socio-politiques, n" 424, 20 décembre 1968, p. 4 et suiv., ici p. 7 et suiv., et les références à E. HUYTTENS, op. cit. Voy. aussi, au sujet de l'opinion des membres du Congrès National concernant l'abstention, le rapport de la Commission du Règlement de la Chambre sur la proposition de modifier l'article 41 dudit règlement. Doc. pari. Ch., S. O. 1968-1969, 360, n" 2, p. 4 et suiv., qui renvoie également à E . HUYTTENS, op. cit.

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de la Constitution pourrait être adopté par quelques voix seule­ment, si la plupart des parlementaires présents devaient s'abstenir, ou même par une seule voix dans chaque Chambre, si tous les autres membres présents s'abstenaient de voter pour ou contre (13). Pour que l'article 131 de la Constitution garantisse effectivement que la charte fondamentale ne soit amendée que par la volonté d 'une large majorité, il faut donc interpréter cette disposition en ce sens que toute proposition de modification doit recueillir l'approbation des deux tiers au moins des députés ou des séna­teurs présents au moment du vote.

L'autre interprétation, celle qui exclut les abstentions du cal­cul, permettrait à une minorité, même faible, d'étabhr, à la faveur de circonstances qui conduiraient un grand nombre de parle­mentaires hostiles à la modification à s'abstenir, une règle nouvelle qui ne pourrait être abrogée qu'à l'issue d'une nouvelle procédvure de revision, moyennant ime double majorité des deux tiers qu'il serait peut-être, cette fois, très difficile de réunir (14). Remar­quons que l'hypothèse d'un nombre élevé d'abstentions est relativement plausible dans un pays, qui, comme la Belgique d'aujourd'hui, est soumise à des forces centrifuges qui réduisent l'intérêt de certains représentants de la Nation pour des questions qui, naguère, auraient été unanimement jugées d'intérêt natio­nal (15). La difficulté de revenir sur un changement apporté à

(13) Rapport de la Commission de revision de la Constitution du Sénat, sur la revision de l'article 39 de la Constitution (concernant les modes de votation). Doc. pari. Sén., S. O. 1968-1959, n" 193, p. 7. L'argumentation juridique développée par les tenants des deux thèses relatives à l'interprétation de l'alinéa 5 de l'article 131 de la Constitution a été analysée de manière fort précise par M. GEORGES RAEPERS, étudiant en sciences politiques et administiatives, dans un travail présenté au Sémi­naire de droit public approfondi (année académique 1968-1969) dirigé à cette époque par M. W.J. Ganshof van der Meersch. On y trouve un grand nombre de références aux travaux parlementaires intéressant notre sujet (jusqu'au début de l'année 1969).

(14) A vrai dire, même dans l'interprétation qui inclut les « abstentionnistes • dans le total sur lequel la seconde majorité des deux tiers prévue par l'article 131 de la Constitution doit se calculer, un changement à la Constitution pourrait n'être décidé que par quatre neuvièmes du nombre constitutionnel total des membres de chaque Chambre (2/3 X 2/3 = 4/9). Mais le minimum de votes positifs en faveur de la modification sera déjà sensiblement plus élevé et l'on peut même raisonnablement prévoir que, dans la pratique, les voix « pour » dépasseront toujours la moitié du nombre total des membres de chaque Chambre.

(15) L'article 32bis de la Constitution qui prévoit que les membres élus de chaque Chambre se répartissent en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais, implique par lui-même une certaine division de la représentation

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la Constitution justifie l'interprétation de l'article 131 de la Constitution qui rend plus difficile aussi le changement lui-même (16).

Cette interprétation est téléologique (17) : elle induit, en effet, du but en vue duquel la majorité spéciale des deux tiers est exigée, que seule une « large majorité » peut décider la revision de la Constitution. Elle fut adoptée lors de la procédure de revision qui se déroula après la première guerre mondiale. Le rapport de la Commission de revision de la Chambre (18) affirme qu'il ne serait pas « conforme à l'esprit de la Constitution » qu'une modification de la Constitution soit adoptée alors que, compte tenu des abstentions, elle n'obtiendrait pas deux tiers des voix de l'assemblée (19).

Il est vrai que le Président du Sénat M. de Favereau déclara lors d'une séance de la Commission de revision de cette assemblée, le 24 mai 1921 : « Elles (c'est-à-dire les abstentions) comptent pour les présences mais pas pour les votes » (20). Mais le court échange de vues au cours duquel ces paroles furent prononcées, ne fut pas exempt d'une certaine confusion. Dès le lendemain, en séance publique, M. de Favereau considéra que n'était pas adopté un texte qui recueiUit 64 « oui » contre 32 « non », trois

nationale, en fonction de la communauté linguistique à laquelle ses membres appar­tiennent. Voy. aussi l'article 38frii. On pourrait imaginer que les parlementaires appartenant à tel groupe linguistique se désintéressent de telle question qui, à tort ou à raison, leur semblerait à ce moment-là n'affecter que les intérêts d'une com­munauté ou d'une région qui ne serait pas la leur.

(16) L'on répond ainsi à l'objection de ceux qui font observer que des lois qui ont peut-être, sur le destin du pays, une influence plus grande que telle ou telle disposition constitutionnelle, peuvent, théoriquement du moins, être votées aussi par une seule voix, tous les autres parlementaires s'abstenant. Ces lois pourront, du jour au lendemain, être abrogées par une majorité simple.

(17) Sur la définition des différentes méthodes d'interprétation, voy. notam­ment L.P. PATRAS, L'interprétation en droit public interne, Athènes, 1962, p. 223 et suiv., et l'exposé clair et systématique de A. GRISEL, Droit administratif suisse, Paris, Neufchatel, 1970, p. 54 et suiv. Voy. aussi les références citées à la note 40, infra.

(18) Doc. pari. Ch., S. O. 1920-1921, n» 255, p. 614. (19) Le rapporteur devait d'ailleurs confirmer très nettement ce point de vue

en séance publique : « Elle (la Commission de revision) estime que le texte de l'article 131 doit être entendu à la lettre {sic!) : la proposition pour être admise, doit recueillir les deux tiers des suffrages des membres présents ». Ann. pari. Ch., S. O. 1920-1921, 7 juin 1921, p. 1492.

(20) Compte rendu analytique des réunions de la Commission de revision consti­tutionnelle du Sénat, 24 mai 1921, p. 75, cité par la note des Services d'étude et de documentation du Sénat, p. 15, que nous avons citée à la note 12 ci-dessus.

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membres s'étant abstenus (21). Il justifia sa décision en déclarant que la Commission de revision avait examiné de quelle manière il y avait lieu de « supputer les abstentions » et qu'elle avait « décidé qu'elles doivent être comptées comme des suffrages ». Comme deux membres qui s'étaient abstenus, déclaraient qu'ils avaient « pairé » avec des membres empêchés d'assister à la séance, le Président admit que le cas d'abstention pour pareil motif devrait peut-être faire l'objet d'une solution particulière ; mais ce problème des abstentions pour « pairage » ne paraît, en fait, plus avoir été évoqué par la suite (22).

Le 2 juin 1921, au Sénat à nouveau, la même interprétation fu t encore donnée à l'article 131, alinéa 5, de la Constitution. Le Président déclara qu'une disposition transitoire que l'on proposait d'insérer après l'article 53 n'avait « pas recueilli la majorité prescrite par la Constitution ». Sur 84 membres ayant « pris part » au vote, 50 avaient répondu « oui », 21 avaient répondu « non » et 13 s'étaient abstenus (23).

Beaucoup plus récemment encore, au cours de l'année 1967, les deux Chambres, qui étaient « constituantes » pour la troisième fois depuis la deuxième guerre mondiale (24), réaffirmèrent qu'en matière constitutionnelle, les abstentions devaient inter­venir non seulement pour le calcul du quorum, mais également

(21) Ann. pari. Sén., 25 mai 1921, p. 589 et suiv. (22) « Pairer » en langage parlementaire signifie conclure avec un autre membre

de la Chambre dont on fait soi-même partie, un accord aux termes duquel, à telle séance déterminée, à laquelle l'un est empêché d'assister, l'autre déclarera s'abstenir lors de chaque vote. Le « pairage » a lieu entre un membre de la majorité et un membre de l'opposition et vise à éviter que l'absence d'un parlementaire à une séance puisse modifier le résultat des votes. Voy. H.Fr. DE CROO, « Le pairage », Res Publica, 1963, p. 381 et suiv. On peut se demander si le pairage est possible en matière de revision de la Constitution. Compte tenu de l'exigence d'une majorité des deux tiers, ne faudrait-il pas que, pour deux parlementaires de la majorité qui s'absentent, un seul parlementaire de l'opposition s'abstienne et vice versa ?

(23) Ann. pari. Sén., 2 juin 1921, p. 632. Le texte des Annales dit bien : « Voici le résultat du vote : 84 membres y ont pris part, 50 ont répondu oui, 21 ont répondu non, 13 se sont abstenus >.

(24) En 1954 et en 1958, des Chambres furent élues après que les Chambres précédentes et le Roi eussent adopté des déclarations de revision, suivant l'alinéa 1 " de l'article 131 de la Constitution. Mais aucune modification ne fut, en fait, apportée à la Constitution : la majorité gouvernementale ne disposait pas des deux tiers des sièges et l'opposition refusa de lui apporter son concours pour amender le pacte fondamental. En 1965, à nouveau, des déclarations de revision furent suivies d'élec­tions générales ; au cours de la législature 1965-1968, le travail de revision fut entamé et aboutit à des résultats très modestes.

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pour le calcul des « deux tiers des suffrages » (25). Certes, le rapport fait par M. Pierson au nom de la Commision de revision de la Constitution aboutissait à une « conclusion en droit » sui­vant laquelle les abstentions ne devaient pas être comptées potir le calcul de la majorité des deux tiers nécessaire pour qu 'un changement à la Constitution soit adopté. Mais cette « conclusion en droit » était suivie d'une « conclusion pragmatique » exigeant que cette majorité soit « calculée sur le nombre de membres présents au moment du vote » (26).

La question fut à nouveau débattue et, cette fois-ci, de manière plus vive, au début de la législature suivante. En janvier 1969, la Commission sénatoriale de revision de la Constitution proposa de modifier l'article 29 du règlement de la Haute Assemblée par l'addition d 'un alinéa disposant que « tant pour l'application de l'article 38 que de l'article 131 de la Constitution, les absten­tions sont comptées dans le nombre des membres présents ; (mais qu') elles n'interviennent pas pour déterminer la majorité ». Ce texte fu t adopté par la Commission du règlement du Sénat le 5 février 1969 par onze voix contre dix. L'assemblée plénière le vota le 11 juin 1969 par cent dix voix contre soixante et u n e ; seul le Président du Sénat s'abstint. La Commission de revision de la Chambre, examinant s'il y avait heu de suivre cet exemple, n'a pu s'y décider, dix voix « pour » s'opposant à dix voix « con­tre », tandis qu'un député s'abstenait. Mais la Commission du règlement, saisie à son tour, par la proposition de deux de ses membres, MM. Meyers et Desruelles (27), suggérait d'introduire à l'article 41 du règlement de la Chambre ime disposition iden­tique à celle alors envisagée pour compléter l'article 29 du règle-

(25) Ann. pari. Sén., 2 mai 1967, p. 1366 et suiv. (un vote par assis et levé con­firma l'interprétation proposée par la Commission de revision, par le président du Sénat et, à l'unanimité, par le Bureau); Doc. pari. Ch., S. O. 1967-1968, 47, n° 2 ; Ann. pari. Ch., 21 décembre 1967, p. 12 (adoption par assentiment du rapport de M. Pierson dont il est question dans le texte ci-dessus). Voy. aussi la Note de la Commission de revision du Sénat du 26 avril 1967, reproduite dans le Courrier Hebdomadaire, Centre de recherche et d'information socio-politiques, n" 424, 20 décembre 1968, p. 22 et suiv.

(26) Doc. pari. Ch., S. O. 1967-1968, p. 9 (conclusion en droit) et p. 10 et 11 (conclusion pragmatique).

(27) Doc. pari. Ch., S. O. 1968-1969, 370, n" 1. Voy. p. 1 le rappel des étapes, vécues jusque-là, de la procédure de modification des règlements des Chambres. Voy. aussi Ann. pari. Sén., S. O. 1968-1969, 11 juin 1969, p. 1562 et 1563.

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ment du Sénat. Finalement, la Chambre adopta cette disposition réglementaire avant même le Sénat, le 29 mai 1969, par cent treize voix contre quatre-vingts, le nombre des abstentions étant de cinq (28). Ainsi donc le sens donné à l'article 131, alinéa 5, de la Constitution s'est trouvé sensiblement modifié par la volonté de majorités parlementaires qui ne correspondaient nullement à la majorité qualifiée requise en matière de revision de la Consti­tution (29).

C'est déjà en rapprochant l'article 131 de l'article 38 de la Constitution que M. Pierson, dans le rapport auquel nous nous sommes référé précédemment, arrivait à la conclusion qu'en droit, la majorité des deux tiers exigée pour tout amendement à la Constitution ne devait se calculer que sur la somme des votes « pour » et des votes « contre ». L'article 131, comme l'ar­ticle 38, en effet, étabht la majorité en « suffrages » ; il exige « au moins les deux tiers des suffrages » et l'article 38 dispose que « toute résolution est prise à la majorité absolue des suffra­ges ». Qu'est-ce qu'un suffrage, demandent alors les tenants de la seconde thèse relative à l'interprétation de l'article 131 de la Constitution? C'est un vote positif ou négatif. Celui qui s'abs­tient de prendre part au vote, n'émet aucun suffrage. Il ne saurait donc entrer en compte lorsqu'il faut calculer « la majorité absolue des suffrages » ou lorsqu'il faut déterminer si une pro­position de revision de la Constitution a obtenu ou non « les deux tiers des suffrages ». Et l'article 38, qui est appliqué constam­ment, puisqu'il détermine comment une résolution est prise en matière ordinaire, notamment pour le vote des lois, a toujours été interprété comme prescrivant une majorité de « oui » par rapport aux « non » sans que les abstentions doivent être prises en considération (30).

(28) Ann. pari. Ch., 29 mai 1969, p. 18. (29) Même s'il faut effectivement faire abstraction des abstentions. Par ailleurs,

l'article 131 n'était pas soumis à revision. (30) Doc. pari. Ch., S. O. 1967-1968, 47, n» 2 (rapport Pierson), p. 2 et suiv.,

spécialement p. 6 ; S. O. 1968-1969, 360, n» 1, p. 2 et suiv . ; Doc. pari. Sén., S. O. 1968-1969, n" 193, p. 8 et suiv. ; n» 373, p. 5 ; Ann. pari. Ch., 22 avril 1969, p. 3 j 27 mai 1969, p. 5 ; Ann. pari. Sén., 10 juin 1969, p. 1521 et suiv., spécialement les interventions de M. Vandekerckhove (p. 1522) et de M. Vranclcx, ministre de la Justice (p. 1544); 11 juin 1969, p. 1552 et suiv. Voy. aussi le Document établi en date du 12 avril 1967 par les Services d'étude et de documentation du Sénat, cité

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Pour les Chambres constituantes élues en 1968, l'interpréta­tion de l'article 131, alinéa 5, de la Constitution, adoptée expressé­ment en 1921 et en 1967, « repose purement et simplement sur une erreur ». Le précédent de 1921 (31) est im « mauvais précé­dent » sur lequel il serait dangereux de faire naître « une mauvaise tradition qui risquerait d'entraver et même d'empêcher des revisions de la Constitution ultérieures. Il est plus que temps d'en revenir à la vérité constitutionnelle » (32).

L'argument tiré de la comparaison de l'article 131 avec l'arti­cle 38 de la Constitution ne manque pas de pertinence. Est-il décisif? Il se fonde sur l'exégèse du texte et même sur l'exégèse d 'un mot, le mot « suffrage ». Or, il n'est pas a priori certain que ce mot doive avoir exactement le même sens dans les deux dispositions. La Constitution belge utiUse d'autres vocables dans des acceptions diverses ; le mot « pouvoir » se rapporte tantôt aux fonctions de la puissance publique (33), tantôt à ses orga­nes (34), le mot « tribunal » vise parfois toute juridiction dépen­dant du pouvoir judiciaire (35), parfois seulement une juridiction judiciaire portant effectivement ce titre suivant les lois d'organi­sation judiciaire (36), parfois toute juridiction quelconque, judiciaire ou administrative (37). La première phrase de l'article 97 qui dispose : « Tout jugement est motivé », s'applique à tout

à la note 12 supra, p. 17 et suiv. Dans le même sens, J. DEMBOUR, « La notion de suffrage au sens de l'article 38, alinéa l", de la Constitution belge. La portée des abstentions », RA, 1960, p. 5 et suiv. ; cet auteur considère d'ailleurs (p. 9) que les abstentions ne constituent pas non plus des suffrages au sens de l'article 131 de la Constitution.

(31) Nous avons signalé qu'il existe au moins deux précédents, puisque l'inter­prétation admise lors du vote au Sénat du 25 mai 1921 fut également appliquée le 2 juin 1921, au Sénat aussi. Voy. supra le texte et la note 23.

(32) Doc. pari. Sén., S. O. 1968-1969, p. 13 et 14. (33 A l'article 25 (« Tous les pouvoirs ... sont exercés ») ou à l'article 26 (« Ls

pouvoir législatif s'exerce collectivement par ... »). (34) A l'article 25 (« chacune des trois branches du pouvoir législatif ») ou à

l'article 28 (« L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif ») ou encore à l'article 131, alinéa 1 " (« le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la revision ... »).

(35) Aux articles 92 et 93 qui définissent la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

(36) A l'article 101 qui parle des officiers du ministère public « près des cours et des tribunaux ».

(37) A l'article 94 : « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu'en vertu d'une loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit ».

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acte de juridiction (38) ; mais la seconde phrase du même article, qui ajoute : « Il est prononcé en audience publique », ne concerne que les décisions des organes judiciaires, non celles des juridic­tions administratives (39). Dans de telles conditions, la méthode exégétique (40) ne paraît pas s'imposer rigoureusement pour élucider la portée d'une disposition de la Constitution belge. A fortiori poiu: préciser cette portée dans une hypothèse — celle d'abstentions plus ou moins nombreuses — qui n'a pas été envisagée par le Constituant.

Mais l'article 131, selon les tenants de la thèse aujourd'hui admise par nos assemblées législatives, ne laisse « aucune possi­bilité d'interprétation, car les termes utilisés sont clairs et exempts de toute ambiguïté ». Or, « l 'un des principes les plus fondamen­taux de la jurisprudence, lorsqu'il s'agit de l'interprétation d'im texte dont la clarté ne laisse nullement à désirer, c'est qu'en tout état de cause, aucune interprétation acceptable ne peut aller

(38) Cass., 29 octobre 1957, Pas., 1957,1, 215, avec la note de W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH.

(39) Cass., 9 octobre 1959, Pas., 1960, I, 170, avec les conclusions du procureur général R. Hayoit de Termicourt, Rev. crit. jur. belge, 1960, p. 177, avec la note de P. DE VISSCHER. Voy. aussi J. VELU, i L'arrêt de la Cour de cassation du 9 octo­bre 1959 et le problème de l'application aux juridictions administratives des règles constitutionnelles sur la publicité des audiences et des jugements », JT, 1960, p. 441 et suiv.

(40) Voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. l", 3» éd., Bru­xelles, 1962, n"' 6 et (>bis, p. 10 et suiv., qui envisage le problème de l'interprétation de la loi en droit privé, mais observe (note 3, p. 14) que l'évolution des méthodes d'interprétation — de l'école de l'exégèse à l'école scientifique — se produisit parallèlement en droit public. Voyez toutefois sur l'inapplicabilité en droit public belge, de la distinction entre « l'école de l'exégèse » et « l'école scientifique », H. BucH, « L'interprétation en droit public belge », in Studi in memoria di Tullio Ascarelli, Milan, 1968, p. 149 et suiv., spécialement p. 170 et suiv. Mais cet auteur admet que l'interprétation de la Constitution ne doit pas être régie par les mêmes règles que l'interprétation des autres dispositions du droit public (p. 179) et, au surplus, il admet, en droit public, le recours à des critères d'ordre téléologique pour fixer le sens d'une norme de droit pubUc (p. 179).

La doctrine française sur les méthodes d'interprétation du droit public est relativement pauvre. Voy. CL. PALAZZOLI, « L'interprétation de la Constitution », rapport français au VIII" Congrès international de droit comparé, Pescara, 1970, in Etudes de droit contemporain. Editions de l'Epargne, Paris, 1970, p. 289 et suiv., ici p. 289. Par contre, la doctrine en langue allemande concernant les problèmes d'interprétation du droit constitutionnel, est fort riche. Voy. la doctrine citée dans le manuel d'A. HAMANN, Das Grundgesetz fiir die Bundesrespublik Deutschiand von 23 mai 1949, 2* éd., Berlin, 1961, p. 54 et suiv., et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la R F A citée par H. VON MANGOLDT et FR. KLEIN, Das Bonner Grundgesetz, Berlin, Francfort, 1957, p. 6 et suiv., spécialement p. 9 et 10, qui s'est prononcée pour une interprétation systématique et téléologique des textes constitutionnels.

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à rencontre de la lettre même du texte » (41). Ces considérations, que l'on trouve dans le rapport de la Commission de revision de la Constitution du Sénat du 12 février 1969, ont de quoi surpren­dre. On ne comprend guère qu'im texte constitutionnel « exempt d'ambiguïté » ait pu, par deux fois, dans les deux Chambres, recevoir une interprétation opposée à celle que la majorité de la Commission a finalement adoptée. On ne comprend pas davan­tage que de nombreux auteurs (42) aient pu écarter une inter­prétation littérale si évidente. Enfin, on peut s'étonner qu'en 1970, les mêmes Chambres constituantes étabhssant de nouveaux cas où des majorités spéciales doivent être réunies pour l'adoption de certaines résolutions aient jugé nécessaire, pour écarter préci­sément toute ambiguïté, de préciser que ces majorités-ci devaient se calculer sur les « suffrages exprimés » (43).

La nouvelle interprétation de l'article 131, alinéa 5, de la Constitution admise par la Chambre et par le Sénat, sera vrai­semblablement maintenue dans l'avenir. Sans doute, l'interpré­tation d'ime disposition constitutionnelle par les règlements des

(41) Doc. pari. Sén., S. O. 1968-1969, n" 193, p. 9. (42) J.J. THONISSEN, La Constitution belge annotée, Bruxelles, 1879, n" 203,

p. 153; G. BBLTJBNS, La Constitution revisée, Liège, 1894, sous l'article 38, n» 4, p. 348 ; P. ERRERA, Traité de droit public belge, 2« éd., Paris, 1918, § 17, p. 20 et suiv. ; V. BooN, Het Belgisch Staatsrecht, I. Grondtuettelijk Recht, Bruxelles-Lierre, 1948, p. 396 ; J. MASQUELIN, « La technique des revisions constitutionnelles en droit public belge », Ann. dr. et se. pol., t. XII, n» 47, p. 114; P. WIGNY, Droit constitu­tionnel, principes et droit positif, Bruxelles, 1952, II, n" 368, p. 521, et Propos consti­tutionnels, Bruxelles, 1963, p. 45. Contra : Pandectes belges, t. I " , Bruxelles, 1878, v" « Abstention de voter », p. 750, n°" 25 et suiv. (le cas de la revision de la Consitu-tion n'est cependant pas spécialement envisagé) ; O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, Liège, Paris, 1908, n" 336, p. 715 (« les abstentions ne sont point comptées comme des suffrages ») ; DEMBOUR, loc. cit. à la note 30 ci-dessus. Plusieurs auteurs se contentent d'utiliser, dans leur exposé de l'article 131, les termes mêmes de cette disposition de telle sorte qu'il est impossible de déterminer leur position sur la question qui nous occupe ; ainsi A. GIRON, Dictionnaire de droit administratif et de droit public, Bruxelles, 1896, t. I " , v" « Constitution », n» 3, p. 252-253; Pandectes belges, t. XCI , Bruxelles, 1908, v*" « Revision de la Constitution », n» 6, p. 716-717; G. DoR et AD. BRAAS, « La Constitution », in Novelles, Lois politiques et administratives, Bruxelles, 1935, t. II, Bruxelles, 1935, n» 1042, p. 341-342; K. BRANTS et C. KETELAER, De staatsinrichting van België, Anvers, Bruxelles, Gand, Louvain, 1959, n" 24, p. 3 0 ; A. MAST, Overzicht van het Belgisch Grondwettelijk Recht, Gand, 1963, n" 349, p. 358-359.

(43) Voy. l'article \ " , alinéa 4, l'article 3his, alinéa 3, l'article 59iiJ, § 1" , alinéa 2, et § 2, alinéa 2, et l'article ÏOlquater de la Constitution. Le texte a été introduit par un amendement de M M . Snyers d'Attenhoven et consorts à l'article 1", alinéa 4, de la Constitution, mais le mot « exprimés » ne paraît avoir jamais fait l'objet de justification ou de discussion. Voy. Doc. pari. Sén., S. O. 1969-1970, n" 5 1 6 ; Ann. Pari. Sén., 18 juin 1970, p. 2047 et suiv. ; Doc. pari. Ch., S. E. 1968, 10, n» 37. 2°.

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Chambres législatives n'est-elle pas à l'abri de critiques (44). Et ces règlements ou l 'un d'eux pourrait demain être changé par une majorité simple. Mais si les partisans d'une nouvelle revision constitutionnelle constituent, à un moment donné, une importante majorité au sein des assemblées législatives, l'inter­prétation actuelle ne leur sera pas utile, mais elle ne les gênera pas non plus ; s'ils ne disposent que d'une majorité relativement étroite, mais qu'ils escomptent une attitude passive de la part d 'un certain nombre d'hésitants, cette interprétation leur donnera une chance de faire aboutir leurs projets.

C'est d'ailleurs en fonction d'une situation poUtique donnée que la nouvelle interprétation a été décidée (45). Ce qui fit dire à certains parlementaires que c'était « le gouvernement qui, pour des raisons d'opportunité poUtique et en vue de se « confec­tionner », si possible, une majorité constitutionnelle » (46), avait provoqué un nouvel examen de l'interprétation à donner à l'article 131, alinéa 5, de la Constitution.

L'évolution de l'interprétation donnée à l'article 131, alinéa 5, met en lumière la valeur des « précédents » en droit public.

En droit public, en droit constitutionnel en particulier, l'inter­prétation n'est pas seulement l'œuvre de juristes. Il existe une « interprétation poUtique de la Constitution » (47). La pratique quotidienne des organes du gouvernement et des assemblées délibérantes contribue pour une part considérable à fixer le sens et la portée des textes, en même temps qu'eUe est à l'origine d'une véritable « coutume constitutionneUe » qvii se situe au-delà des textes (48).

(44) Dans la mesure où l'interprétation donnée par les règlements des Chambres modifie le sens donné auparavant à une disposition constitutionnelle, la Constitution se trouve en fait revisée sans que la procédure de l'article 131 de la Constitution soit respectée et à la majorité simple des suffrages, sans que les abstentions entrent en ligne de compte. U n e divergence entre les règlements de l'une et l'autre assemblée est possible, puisque chaque Chambre arrête souverainement son règlement (voy. art. 46 Constit.). En définitive, on peut se demander quelle est l'autorité juridique de cette interprétation, modifiable à tout moment et décidée par l'organe même qui devra appliquer la disposition interprétée.

(45) Courrier Hebdomadaire, Centre de recherche et d'information socio-politi­ques, n" 424, 20 décembre 1968, p. 3.

(46) Doc. pari. Ch., S. O. 1968-1969, 360, n» 2, p. 5. Voy. aussi Doc. pari. Sén., S. O. 1968-1969, n» 193, p. 8.

(47) CL. PALAZZOLI, « L'interprétation de la Constitution », op. cit., p. 292. (48) Voy. W. J. GANSHOF VAN DER MEBRSCH, Pouvoir de fait et règle de droit dans le

fonctionnement des institutions politiques, Bruxelles, 1957, p. 21 et suiv.

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Cette interprétation n'est pas seulement politique du fait de celui qui la donne. Elle l'est par sa nature, par ses caractères, notamment par les motifs qui la justifient et par sa variabilité dans le temps. Les considérations d'opportunité politique ne sauraient y être étrangères et, comme la conjoncture politique est essentiellement mouvante, on ne saurait s'étonner que l'inter­prétation des textes que cette conjoncture inspire à une majorité politique elle-même changeante, se caractérise notamment par son instabilité.

Le caractère évolutif de l'interprétation politique des textes constitutionnels peut, au moins pour partie, se justifier objective­ment. Certes, il convient toujours que l'interprète « s'arrête devant les prescriptions formelles de la loi fondamentale » (49). Mais « le propre de la loi constitutionnelle étant (...) d'être indissolublement liée à la situation sociale qu'elle doit régir, l'évolution de la situation de fait justifie et impose une modifica­tion de l'interprétation constitutionnelle » (50). La rigidité de la constitution belge qui résulte de la lourdeur de la procédure de revision établie par l'article 131, est ainsi atténuée par la sou­plesse de son interprétation (51).

Il en résulte que l'autorité des « précédents » en droit public belge, particulièrement dans le cas où l'interprétation est le fait des assemblées représentatives, est faible.

Déjà l'interprétation jurisprudentielle subit parfois des revire­ments spectaculaires. L'arrêt de la Cour de cassation du 5 novem­bre 1920 (52) écartant, en matière de responsabilité aquilienne des personnes publiques, la distinction qu'elle opérait précé­demment entre l'autorité ayant agi à l'instar d'une personne privée et celle ayant accompli un acte relevant de la puissance publique — pour n'admettre sa compétence que dans le premier

(49) A. MAST, « L'interprétation de la Constitution », in Rapports belges au VIII' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1970, p. 521 et suiv., ici p. 550.

(50) Ibidem, p. 552. ( 5 1 ) V o y . W . J . GANSHOF VAN DER MEERSCH, « D e l ' i n f l u e n c e d e la C o n s t i t u t i o n

dans la vie politique et sociale en Belgique », Revue de l'Université de Bruxelles, 1954, p. 172 et suiv. ; A. MAST, « Le pouvoir constituant, pouvoir tout-puissant et débile », Travaux et Conférences, 1964, p. 5 et suiv. ; H. VAN IMPE, « D e onlenigheid van de Belgische Grondwet », Tijdschrift voor Bestuursvietenschappen en Publiek Recht, 1968, p. 18 et suiv.

(52) Pas., 1 9 2 0 . I, 1 9 3 .

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cas seulement —, est suffisamment connu et significatif pour que nous ne citions point d'autres exemples (53).

Dès lors, il ne faut pas s'étonner que l'interprétation de la loi fondamentale par les assemblées délibérantes subisse des muta­tions inattendues. Il en est d'ailleurs d'autres exemples que celui qui retient essentiellement notre attention dans cette étude. C'est ainsi que non seulement l'alinéa 5 de l'article 131, que nous avons précisément analysé, mais aussi l'alinéa 1^' du même article a été compris différemment suivant les époques. La question de savoir si les déclarations du pouvoir législatif concer­nant les dispositions constitutionnelles qu'il y a lieu de reviser, peuvent comporter des indications sur le sens et les modalités de cette re vision a été résolue affirmativement en 1892 et lors des re visions les plus récentes, tandis qu'en 1919, il fut finalement décidé de supprimer toutes les formules relatives au but et au contenu des textes qui seraient ultérieurement adoptés (54).

Mais la modification de l'interprétation de l'article 131, ali­néa 5, de la Constitution s'est produite dans des circonstances particulières. L'interprétation antérieure venait d'être réaffirmée, après un examen sérieux, dans les deux Chambres. Cette confir­mation émanait des Chambres qui avaient conféré le mandat de Chambres constituantes aux assemblées qui, précisément, voulaient à présent donner une nouvelle acception aux mots « les deux tiers des suffrages ». Les nouvelles Chambres s'attri­buaient donc à elles-mêmes et sans aucun contrôle le pouvoir de statuer dans des conditions différentes de celles qui étaient envisagées lors des déclarations de revision et lors des élections qui les avaient suivies. Enfin, ce revirement dans l'interprétation

(53) Nous pourrions nous référer également à l'arrêt du 27 mai 1971, en cause Etat belge contre Fromagerie Franco-Suisse, Le Ski, qui a modifié radicalement la solution admise antérieurement pour la solution du conflit entre le traité inter­national et la loi interne. Voyez d'ailleurs les conclusions de M. le procureur général Ganshof van der Meersch avant cet arrêt, dans lesquelles on lit, à propos de la méthode du constituant belge, qui consiste à n'énoncer que des principes et non des règles complètes et précises : « Cette méthode (...) favorise par les « blancs » que laisse subsister le texte et que la confrontation d'un certain nombre de principes permet de combler, Vévolution de notre droit constitutionnel (c'est nous qui soulignons) et son expression par la jurisprudence ».

(54) Voy. J. MASQUELIN, « La technique des revisions constitutionnelles », op. cit., p. 101 et suiv., et P. WIGNY, Propos constitutionnels, op. cit., p. 35 et suiv. Pour les déclarations les plus récentes, voy. Moniteur belge, 18 avril 1965, p. 4143 et suiv., et 2 mars 1968, p. 2051 et suiv.

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des dispositions relatives à la procédure de revision paraissait inspiré non par le souci d'en revenir à une plus grande vérité constitutionnelle, mais par le désir de faciliter l'adoption de réformes déterminées. La majorité gouvernementale ne disposait des deux tiers des sièges ni à la Chambre ni au Sénat ; elle risquait même de s'effriter lors du vote de certaines propositions qui, selon le pacte gouvernemental (55), allaient être faites pour la revision de la Constitution. En excluant les abstentions du chiffre sur lequel devait se calculer la majorité des deux tiers prévue par l'alinéa 5 de l'article 131, le gouvernement pouvait espérer que le quorum des deux tiers serait atteint grâce à la simple présence de quelques membres seulement de l'opposition et que la majorité des deux tiers des suffrages serait obtenue même si un nombre plus ou moins élevé des parlementaires appartenant aux partis qui avaient conclu le pacte gouvernemental, refusaient d'émettre un « vote de discipline » à l'égard de certaines propositions de revision et se réfugiaient dans l'abstention.

« D'intempestives manipulations de la procédure de revision (...) ne peuvent que nuire à l'autorité de la loi constitutionnelle » (56). Cette considération aurait dû, dans les circonstances que nous venons de rappeler, inciter les Chambres à respecter le « précé­dent » de 1921. Elles ne l'ont pas fait.

Au cours des travaux de la Commission de revision du règle­ment du Sénat, le Président de cette assemblée déclara que « tout parlement nouvellement élu a pouvoir d'exprimer sa propre opinion et de donner sa propre interprétation » de la Con­stitution. « En tout état de cause, précisait-il, les parlementaires de la nouvelle session ne sont pas Ués en l'occurrence par les décisions antérieures » (57).

D'une manière générale et sur le plan strictement juridique, les précédents n'ont effectivement aucvme force obhgatoire, non

(55) Ce pacte gouvernemental, réalisé par un accord conclu le 12 juin 1968 entre le parti social chrétien (PSC) et le parti socialiste belge (PSB), apparaît sous forme d'annexé à la déclaration faite par le gouvernement de M. Eyskens, le 25 juin 1968, devant les Chambres. Voy. Compte rendu analytique du Sénat, 25 juin 1968.

(56) A. MAST, « Le pouvoir constituant ... », op. cit., p. 14. (57) Doc. pari. Sén., S. O. 1968-1969, n" 273, p. 3. Voy. aussi la réponse faite par

le président de la Chambre à un membre de celle-ci formulant des réserves (sic) à l'égard de l'interprétation admise en 1967 : cette interprétation « n'engageait pas l'avenir » (Doc. pari. Ch., S. O. 1968-1969, 360, n" 2, p. 10).

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seulement d'une session à l'autre, mais aussi au cours d'une même session. Chacune des assemblées législatives tient de la Constitution (58) le droit d'établir et, par conséquent, de modifier son règlement, c'est-à-dire « le mode suivant lequel elle exerce ses attributions ». En dehors même des questions de procédure, rien ne saurait obliger les parlementaires à conserver la même opinion sur vme question quelconque, fût-ce à l'égard d'im problème d'interprétation de la Constitution.

Le précédent n'est pourtant pas très éloigné de la coutume, laquelle est considérée comme l'une des sources essentielles du droit constitutionnel belge (59). La coutimie « se constitue par la répétition des précédents » (60). Or, dans certaines matières, spécialement en droit constitutionnel, les précédents ne sauraient être nombreux. C'est sans doute pour cette raison que, dans des circonstances déterminées, im précédent unique paraît suflSre à fonder ime règle de droit. En cas de lacune du droit écrit ou si l'événement invoqué comme précédent a eu im grand reten­tissement, on acceptera plus aisément que ce seul acte serve de modèle pour l'avenir et engendre ainsi une norme juridique (61). Dans la question d'interprétation qui a retenu notre attention dans la présente étude, le précédent n'avait pas, à l'époque,

(38) Art. 57 : c Chaque Chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions >.

(59) W.J. GANSHOF VAN DBR MBERSCH, Pouvoir défait et règle de droit dam le fonc­tionnement des institutions politiques, op. cit., p. 21 et suiv. ; P . WiGNY, Propos consti­tutionnels, op. cit., p. 21.

(60) W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, Pouvoir de fait op. cit., p. 22. (61) Comp. aux Pays-Bas, la controverse entre C.W. Van der Pot et R. Kranen-

burg au sujet de la règle selon laquelle le Roi ne peut faire usage de son droit de dissolution qu'une seule fois pour le même motif en cas de conflit avec les Chambres. Le premier de ces auteurs soutient à ce propos qu'un événement unique (« een bepaalde gebeurtenis, die een sterke reactie teweegbrengt »), en l'occurrence, la démission du gouvernement qui, en 1868, avait envisagé de dissoudre une seconde fois une Chambre à peine élue à la suite d'une première dissolution, peut être créateur d'une règle de droit public, qui n'a pas le caractère d'une coutume (De ver-deeling der staatstaak, Groningen, 1921, p. 14 et suiv. ; Handboek van het Nederlandse Staatsrecht, Zwolle, 1950, p. 12 et suiv.). R. Kranenburg (Het Nederlandse Staats-recht, 8" éd., Haarlem, 1958, p. 124 et suiv.) conteste cette thèse en faisant observer que la règle « dissolution sur dissolution ne vaut » n'est, en réalité, qu'un corollaire du principe général du régime parlementaire suivant lequel un ministre ne saurait se maintenir au pouvoir s'il ne jouit pas de la confiance de la représen­tation nationale. Voy. aussi mon étude « De quelques lacunes du droit constitutionnel belge », dans Le Problème des lacunes en droit, études publiées par CH. PERELMAN, Bruxelles, 1968, p. 339 et suiv., ici p. 354, où nous rappelons un avis de la Section de législation du Conseil d'Etat belge, fondé sur un précédent unique.

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suscité une grande émotion et il ne s'agissait pas non plus de combler une lacune de la Constitution, mais seulement de fixer le sens d'une disposition de celle-ci. Ces dernières observations conduisent sans doute à comprendre que les parlementaires de la majorité aient pu, en 1969, ne pas se sentir liés par le précédent de 1921. Elles permettent en même temps de penser que si, en droit public belge, un précédent unique ne suffit pas toujours à fonder une norme, il n'est pas exclu qu'il le soit parfois et les débats qui se sont déroulés en 1969, comme d'autres débats parlementaires d'ailleurs, tendent même à montrer que l'existence d 'un précédent sera du moins un argument de poids dans la discussion d'un problème de procédure parlementaire.

En modifiant en 1969 le sens donné à l'article 131, alinéa 5, de la Constitution, les Chambres belges n'ont donc pas violé une règle de droit (62).

Toutefois, les conditions dans lesqueUes ce revirement de la jurisprudence parlementaire s'est produit appelle certaines réser­ves. On a observé que le bon fonctionnement du régime parle­mentaire en Angleterre est dû notamment au « fair play » de tous ceux qui participent à la vie politique. Le changement d'une règle de la procédure de revision de la Constitution alors que cette procédure est entamée, le changement d'une règle du jeu alors que la partie est entamée, va directement à rencontre d'une telle conception. Nos assemblées législatives semblent donc avoir manqué de ce sens subtil qui permet aux Britanniques de distinguer, au delà des normes juridiques, ces « bonnes manières » parlementaires qui sont si nécessaires à l'existence d 'un véritable régime parlementaire (63).

Quoi qu'il en soit, le précédent de 1921 concernant l'interpré­tation de l'article 131, ahnéa 5, a manifestement perdu sa valeur. Les Chambres doivent observer les dispositions de leurs règle­ments (64).

(62) Sauf, bien entendu, si l'on considère que l'interprétation qu'elles ont donnée à l'article 131, alinéa 5, est, en elle-même, contraire à la Constitution.

(63) P. BiscARETTi DI RuFFiA, Introduzione al diritto comtituzionale comparato, 2» éd.. Milan, 1970, p. 162 et suiv.

(64) Voy. cependant nos réserves quant à la valeur d'une interprétation de la Constitution par voie des règlements des Chambres, supra dans le texte et à la note 44. On ne saurait parler de nouveau précédent puisque les articles revisés depuis ont

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Une modification des articles 38 et 131 de la Constitution demeure cependant souhaitable. Elle permettrait de consacrer dans le texte même de la Constitution, le mode de calcul des majorités et d'éliminer la divergence qui existe maintenant entre la rédaction de ces dispositions relatives à la majorité ordinaire et à la majorité qualifiée nécessaire pour modifier la Constitu­tion (65), d'une part, et la rédaction des articles nouveaux exi­geant une majorité « surqualifiée » pour l'adoption de certaines lois qui intéressent les rapports entre les communautés linguisti­ques (66), d'autre part : les textes anciens établissent les majorités en « suffrages », les textes nouveaux en « suffrages exprimés ».

L'article 42 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1949 dispose que « le Bundestag statue à la majorité des voix exprimées » (67j. Si la doctrine dominante interprète cette disposition comme excluant les abstentions du calcul de la majorité, la précision qu'apporte l'épithète n'a pas empêché radicalement les controverses (68). Dès lors, si le

tous été adoptés à des majorités qui représentaient non seulement les deux tiers de ceux qui avaient voté pour ou contre, mais aussi les deux tiers de tous les membres présents, y compris ceux qui s'étaient abstenus.

(65) Il faudrait ajouter les articles 566«j et 62 qui parlent aussi de « suffrages » et non de « suffrages exprimés ».

(66) Voy. supra dans le texte et à la note 43. (67) C'est nous qui soulignons. Le texte original en allemand est : « Zu einem

Beschlusse des Bundestages ist die Mehrheit der abgegebenen Stimmen erforderlich ». ( 6 8 ) V o y . T H . M A U N Z , G . DORIG e t R . HERZOG, Grundgesetz, Kommentar,

Mûnchen, Berlin, 1970, art. 42, § 18, et les références citées. Dans le rapport de M. Pierson sur l'interprétation des articles 38 et 131, cinquième

alinéa, de la Constitution {Doc. pari. Ch., S. O. 1965-1966, 47, n" 2, p. 6), il est fait allusion aux règles en usage dans d'autres assemblées parlementaires. A vrai dire, le droit comparé était de peu de secours pour l'interprétation de l'article 131, alinéa 5. Dans les pays anglo-saxons, le système du vote oral ou du vote par « divi­sion » exclut les abstentions. Voy. M. AMELLER, Parlements, Union interparlemen­taire, 2" éd., Paris, 1961, p. 223 et suiv. Aux Pays-Bas, l'abstention proprement dite n'existe pas, le règlement de l'Assemblée commune des Etats Généraux (art. 22, al. 2) comme celui de la Première Chambre (art. 31, al. 2) et celui de la Deuxième Chambre (art. 87) n'autorisent le vote que pour ou contre ; le seul moyen de ne pas se prononcer est de se dissimuler derrière les tentures (« rookgordijn »), c'est-à-dire de s'absenter au moment du vote. Voy. VAN RAALTE, Het Nederlandse Parlement, La Haye, 1958, p. 2 9 9 ; voy. les textes des règlements dans P. GOOSSEN, Parlement en Kiezer, Jaarboekje, La Haye, 1964. En France, comme la Constitution exige, dans des cas déterminés, la majorité absolue « des membres composant l'assemblée », le Règlement de l'Assemblée Nationale (art. 68, 1) en a déduit en toute logique que, dans ces cas-là seulement, la majorité est calculée sur le nombre de sièges, tandis que, dans les autres cas, l'Instruction générale du Bureau de l 'Assemblée Nationale précise que les abstentions « n'entrent pas en ligne de compte dans le dénombrement des suffrages exprimés ». En Italie, l'article 64 de la Consti-

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Constituant belge voulait exclure toute équivoque, il pourrait, à l'article 38 par exemple, déclarer, en s'inspirant du Règlement intérieur de l'Assemblée générale des Nations Unies (69), que l'expression « suffrages exprimés » s'entend des votes « pour » et des votes « contre », les membres qui s'abstiennent étant considérés comme n'exprimant aucun suffrage.

SOMMAIRE

L'article 131 de la Constitution belge, disposition qui, depuis sa promul­gation en 1831, n'a subi aucune modification, organise la procédure de revision en trois stades : tout d'abord, le pouvoir législatif détermine les dispositions qu'il y a lieu de modifier ; ensuite, les Chambres législatives sont dissoutes de plein droit et de nouvelles Chambres sont élues ; celles-ci statueront alors, de commun accord avec le Roi, sur les points soumis à revision. Le dernier alinéa précise : « Dans ce cas, les Chambres ne pourront délibérer si les deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents; et nul changement ne sera adopté s'il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages ».

S'il est clair que le quorum de présences exigé par l'article 131 doit se calculer sur le nombre total des membres des assemblées, la doctrine est partagée quant au point de savoir si les « deux tiers des suffrages » que tout changement doit réunir pour être adopté, se compte sur l'ensemble des présents ou seulement sur le total des votes pour ou contre, les abstentions étant exclues.

Les travaux préparatoires de la Constitution apportent peu de lumière sur cette question.

tution prévoit, de manière générale, que « les décisions de chacune des deux Cham­bres et du Parlement ne sont valables (...) que si elles sont adoptées à la majorité des membres présents ». L'article 35, alinéa 6, du Règlement de l 'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe précise que « seules les voix „ pour " ou

contre " entrent dans le calcul des suffrages exprimés ». Voy. L'Assemblée consul­tative, procédure et pratique, manuel préparé conformément aux instructions du Dr. A.L. Struycken, greffier de l'Assemblée, Conseil de l'Europe, 4« éd., Strasbourg, 1962, p. 165 et suiv. L'article 33 du Règlement de l'Assemblée parlementaire euro­péenne {Journal Officiel des Communautés, 217/58) comporte la même précision.

La pratique et les textes sont très différents les uns des autres, on le voit ; on ne saurait dès lors dégager un principe commun qui pourrait inspirer l'interprétation des dispositions de notre Constitution.

(69) Art. 88 : • Aux fins du présent règlement, l'expression „ membres pré­sents et votants " s'entend des membres votant pour ou contre. Les membres qui s'abstiennent de voter sont considérés comme non votants ». Voy. aussi l'article 127, concernant le vote au sein des commissions. Publications des Nations Unies, a" A/520/Rev. 10, N e w York, 1970.

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La thèse qui exige que la majorité spéciale des deux tiers s'apprécie e n fonction du nombre total des présents, ceux qui s'abstiennent y étant compris, se fonde svu: la considération que le constituant a certainement voulu qu'ime modification ne pût être acquise qu'à ime « large majorité ». Or, si les abstentions n'entraient pas en ligne de compte et qu'elles fussent nombreuses, im nouvel article pourrait être adopté par un nombre réduit de parlementaires. Cette interprétation téléologique fut adoptée au Sénat au cours de la révision de 1921 et deux dispositions, qui avaient recueiUi deux fois plus de voix « pour » que de voix « contre », furent rejetées parce que les « oui » ne représentaient pas les deux tiers des suffrages lorsque les abstentions y étaient comprises. Cette interprétation fut confirmée par les deux Chambres en 1967.

Cependant, en 1969, au cours même de la troisième phase d'une pro­cédure de revision, l'interprétation inverse fut, cette fois, adoptée par les Chambres et leurs règlements respectifs furent adaptés en conséquence. Pour justifier ces décisions, il fut dit que le terme « suffrages » du dernier alinéa de l'article 131 ne pouvait désigner que des votes « pour » ou « contre ». L'abstention n'est pas un suffrage. On en voit pour preuve l'article 38 de la Constitution qui utilise aussi ce mot pour déterminer la majorité nécessaire pour l'adoption d'une résolution par les assemblées législatives en matière ordinaire : jamais, il n'a été considéré que les abstentions devaient entrer en ligne de compte pour savoir si ime loi ordinaire, par exemple, avait recueilli « la majorité absolue des suffrages ». Cette seconde interprétation se présente comme tme interprétation littérale, répondant à la méthode exégétique. L e recours à cette méthode parait aujotird'hut très contestable.

La modification de l'interprétation donnée à l'article 131 de la Consti­tution, bien que, dans des cas concrets, il ait été fait jadis application de l'interprétation ancienne, montre que les « précédents » — qui ne consti­tuent pas une véritable coutume constitutiormelle — ne suffisent pas à fixer le sens de la norme constitutionnelle. Dans la mesure où l'inter­prétation de la Constitution n'est pas l'œuvre de juristes, mais constitue une « interprétation politique », elle est appelée à se modifier en fonction de l'évolution de la situation sociale qu'elle doit régir.

Il n'empêche que le changement d'interprétation du dernier alinéa de l'article 131 paraît spécialement critiquable. Si, sur le plan juridique, il faut admettre que les précédents n'ont pas par eux-mêmes de force obligatoire en matière de procédure parlementaire, les conditions dans lesquelles le revirement de la jurisprudence parlementaire s'est produit en l'espèce et les mobiles poUtiques qui semblent l'avoir inspiré, appellent certaines réserves. II était sans doute peu conforme au « fair play » que le bon fonc­tionnement de la démocratie parlementaire exige de changer les règles du jeu parlementaire au cours même de la procédure qui était engagée.

Il serait souhaitable que les articles 38 et 131 de la Constitution soient modifiés afin que le mode de calcul des majorités qu'ils prévoient, soit

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précisé par la Constitution elle-même. On pourrait en même temps éliminer la différence entre la rédaction de ces articles et la rédaction de quatre articles nouveaux, adoptés en décembre 1970, qui prévoient une majorité « surqualifiée » pour le vote de certaines lois qui intéressent les rapports entre les communautés linguistiques. U n texte éliminant toute équivoque pourrait être établi en s'inspirant du Règlement intérieur de l'Assemblée générale des Nations Unies qui exclut expressément les abstentions du calcul des majorités.

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