mÉmoire - cjfa.eu · ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative...
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MASTER II CONTRATS PUBLICS MASTER II CONTRATS PUBLICS MASTER II CONTRATS PUBLICS MASTER II CONTRATS PUBLICS &&&& PARTENARIATSPARTENARIATSPARTENARIATSPARTENARIATS –––– 2010/20112010/20112010/20112010/2011
UNIVERSITÉ MONTPELLIER 1 - FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE
LA DOMANIALITE PUBLIQUE
VIRTUELLE
Mathilde FOGLIA
Prix du Tribunal administratif de Montpellier 2012
MÉMOIRE
SOUS LA DIRECTION DE MONSIEUR LE PROFESSEUR GUYLAIN CLAMOURGUYLAIN CLAMOURGUYLAIN CLAMOURGUYLAIN CLAMOUR
GuylainTexte tapé à la machine
GuylainTexte tapé à la machine
GuylainTexte tapé à la machineBNDPA 2011, MEM. 2
GuylainTexte tapé à la machine
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LISTE DES ABRIEVATIONSLISTE DES ABRIEVATIONSLISTE DES ABRIEVATIONSLISTE DES ABRIEVATIONS
Act. : Actualité AJCT : Actualité juridique collectivités territoriales AJDA : Actualité juridique de droit administratif AOT : Autorisation d’occupation temporaire du domaine public BEA : Bail emphytéotique administratif BJCP : Bulletin juridique des contrats publics Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre civile CA : Cour d’appel CAA : Cour administrative d’appel Cass. : Cour de cassation C. com. : Code de commerce C. domaine de l’Etat : Code du domaine de l’Etat CDI : Cahiers de droit de l'intercommunalité CE : Conseil d’Etat CJA : Code de justice administrative CJEG : Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz CGCT : Code général des collectivités territoriales CGPPP : Code général de la propriété des personnes publiques Chron. : Chronique Comm. : Commentaire Concl. : Conclusions CP-ACCP : Revue Contrats publics CSP : Code de la santé publique D. : Recueil Dalloz DDHC : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen Dr. adm. : Revue de droit administratif Dr. et patrimoine : Revue droit et patrimoine EDCE : Etudes et documents du Conseil d’Etat GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative Gaz. pal. : Gazette du Palais JCl. : Fascicules du Juris-Classeur JCP A : La Semaine juridique administration et collectivités territoriales JCP G : La Semaine juridique édition générale JCP N : La Semaine juridique notariale et immobilière JO : Journal officiel Loi MOP : Loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses
rapports avec la maîtrise d’œuvre privée LPA : Les Petites Affiches Obs. : Observations RDI : Revue de droit immobilier RDP : Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger Rec. : Recueil Lebon RD rur. : Revue de droit rural RFDA : Revue française de droit administratif RFD const. : Revue française de droit constitutionnel RLC : Revue Lamy de la concurrence RLCT : Revue Lamy collectivités territoriales RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial RTDSS : Revue trimestrielle de droit sanitaire et social S. : Sirey Sect. : Section TA : Tribunal administratif T. confl. : Tribunal des conflits VEFA : Vente en l’état futur d’achèvement
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SOMMAIRESOMMAIRESOMMAIRESOMMAIRE
PARTIE IPARTIE IPARTIE IPARTIE I : L’ABANDON CONTESTA: L’ABANDON CONTESTA: L’ABANDON CONTESTA: L’ABANDON CONTESTABLE DE LA DOMANIALITBLE DE LA DOMANIALITBLE DE LA DOMANIALITBLE DE LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLEE PUBLIQUE VIRTUELLEE PUBLIQUE VIRTUELLEE PUBLIQUE VIRTUELLE .... 24242424
CHAPITRE 1 : LA PARTICIPATION OUBLIEE DE LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE A LA PROTECTION
DU DOMAINE PUBLIC .................................................................................. 25
Section 1 : Une suppression injustifiée par la volonté de réduire la
consistance du domaine public ........................................................... 26
Section 2 : Une suppression incohérente avec le maintien d’une logique
domaniale au sein du droit des propriétés publiques.............................. 46
CHAPITRE 2 : LA CONTRIBUTION INCOMPRISE DE LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE A LA
VALORISATION DES PROPRIETES PUBLIQUES ......................................................... 61
Section 1 : La promotion hostile d’une logique « propriétariste » ........... 62
Section 2 : Le dépassement possible de l’obstacle « propriétariste » ...... 92
PARTIE IIPARTIE IIPARTIE IIPARTIE II : L’«: L’«: L’«: L’« AMENAGEMENT INDISPENAMENAGEMENT INDISPENAMENAGEMENT INDISPENAMENAGEMENT INDISPENSABLESABLESABLESABLE » DE LA DOMANIALITE » DE LA DOMANIALITE » DE LA DOMANIALITE » DE LA DOMANIALITE PUBLIQUE PUBLIQUE PUBLIQUE PUBLIQUE
VIRTUELLEVIRTUELLEVIRTUELLEVIRTUELLE................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ 109109109109
CHAPITRE 1 : LA RENAISSANCE ENVISAGEABLE DE LA THEORIE DE LA DOMANIALITE PUBLIQUE
VIRTUELLE ........................................................................................... 110
Section 1 : L’ambiguïté de la méthode retenue .................................... 111
Section 2 : L’ambiguïté de l’économie générale du droit des propriétés
publiques rénové ........................................................................... 136
CHAPITRE 2 : LA REDECOUVERTE NECESSAIRE DE LA THEORIE DU DETOURNEMENT DE PROCEDURE
..................................................................................................... 147
Section 1 : Le perfectionnement opportun des formules contractuelles
« publicisées » ............................................................................... 150
Section 2 : La correction nécessaire des éléments de subjectivité de la
domanialité publique virtuelle ......................................................... 172
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INTRODUCTIONINTRODUCTIONINTRODUCTIONINTRODUCTION
habituel défaut de l’homme est de ne pas prévoir l’orage par beau temps »1. Si
l’anticipation n’est pas une qualité humaine, elle semble au contraire, constituer
une vertu prétorienne. Elle est, en effet, au fondement même de la théorie de la
domanialité publique virtuelle, parfois nommée domanialité publique par anticipation, dont
l’existence comme la légitimité sont au cœur d’un débat notoire mais néanmoins largement
renouvelé par la réforme ambitieuse du droit des propriétés publiques opérée par
l’ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du CGPPP2. Aussi, s’il est des
constructions prétoriennes auxquelles sont attachés les juristes, tel n’est pas le cas de la
domanialité publique virtuelle dont il n’est pas excessif d’écrire qu’elle a longtemps été
malmenée par la doctrine avant que certaines voix ne s’élèvent récemment contre sa
disparition. Car en effet, à la question de savoir si la domanialité publique virtuelle méritait
ou non une place au sein des « habits neufs du droit domanial »3, le législateur, largement poussé
en ce sens par les critiques doctrinales, a entendu répondre par la négative et ainsi, oublier
discrètement mais volontairement ladite théorie.
§ 1 : Objet de l’étude
Théorie prétorienne élaborée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Association Eurolat – Crédit
Foncier de France du 6 mai 19854, la domanialité publique virtuelle constitue plus justement
une construction dont les fondations et les rouages ont été imaginés par la jurisprudence mais
dont la dénomination a été choisie par la doctrine5. Elle revêt, selon une présentation
traditionnelle, deux significations. D’une part, aux termes de l’arrêt du 6 mai 1985 précité,
la domanialité publique virtuelle constitue une théorie dont la mise en œuvre frappe de
nullité les clauses d’une convention qui confèrent à un tiers « un droit réel sur un terrain 1 Nicolas MACHIAVEL, Le Prince, 1515. 2 Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques : JO 22 avril 2006, p. 6024. 3 P. YOLKA, « Code général de la propriété des personnes publiques », JCl. Propriétés publiques, fasc. 6. 4 CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, Rec., p. 141 ; RFDA 1986, p. 26, concl. B. Genevois ; AJDA 1985, p. 620, note E. Fatôme et J. Moreau ; LPA 1985, p. 4, note F. Llorens ; RTDSS 1986, p. 296, note E. Alfandari. 5 La notion apparaît pour la première fois sous la plume d’Etienne Fatôme et de Jacques Moreau dans leur note consacrée à l’arrêt du 6 mai 1985 : AJDA 1985, p. 620.
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appartenant à une collectivité publique, affecté à un service public, et destiné par les parties à être
aménagé à cet effet » et l’autorisent à « céder librement son « droit au bail » à toute personne de son
choix », de telle clauses étant réputées incompatibles avec « les principes de la domanialité
publique ». D’autre part, lorsqu’elle trouve à entrer en jeu, la théorie rend illégal l’acte par
lequel une personne publique décide de déclasser de son domaine public une dépendance qui
n'est plus affectée à l’exécution de la mission de service public qu’elle servait initialement
mais dont il est acquis avec certitude qu’elle recevra une nouvelle affectation à l’utilité
publique6. En réalité, la formulation la plus claire de la domanialité publique virtuelle est à
rechercher dans les avis rendus par le Conseil d’Etat interrogé par les propriétaires publics
sur la faisabilité de diverses opérations immobilières projetées sur des dépendances
domaniales. En ce sens, aux termes de l’avis rendu par les sections de l'intérieur et des
travaux publics réunies le 31 janvier 1995, « un terrain nu appartenant à l'Etat fait partie du
domaine public si, antérieurement, il a été affecté à l'usage direct du public ou à un service public
moyennant des aménagements spéciaux et n'a pas fait l'objet, postérieurement à sa désaffectation, d'un
acte juridique de déclassement. En dehors de cette hypothèse, l'appartenance d'un terrain nu qui est la
propriété d'une personne publique au domaine public ne se concrétise que dans la mesure où ce terrain
reçoit une affectation à l'usage direct du public ou à un service public moyennant des aménagements
spéciaux. Le fait de prévoir de façon certaine l'une ou l'autre de ces destinations implique cependant que
le terrain est soumis dès ce moment aux principes de la domanialité publique »7. La clarté de la
solution formulée par les juges du Palais Royal permet ainsi de saisir à la fois le fondement, la
fonction et, de façon plus implicite cependant, la finalité assignée à la domanialité publique
virtuelle. Ainsi entendue, cette théorie jurisprudentielle repose en effet sur une projection
temporelle consistant à anticiper l’entrée de certains biens dans le domaine public dès lors
que leur affectation à une utilité collective moyennant des aménagements spéciaux est prévue
de façon suffisamment certaine. Sa fonction, ensuite, a été parfaitement résumée par le
professeur Etienne Fatôme qui explique de la domanialité publique virtuelle qu’elle régit « la
situation d’un bien appartenant à des personnes publiques entre le moment où la décision de les affecter à
l’usage du public ou à un service public moyennant des aménagements spéciaux [est prise] de façon
certaine et celui, où, une fois les aménagements spéciaux prévus réalisés, l’affectation [devient]
6 CE, 1er février 1995, Préfet de la Meuse, Rec. T., p. 674 ; LPA 1996, p. 4, concl. G. Bachelier. 7 CE, avis, 31 janvier 1995, req. n°356960, EDCE n°47, 1995, p. 473 ; AJDA 1997, p. 126, E. Fatôme et P. Terneyre ; Les grands avis du Conseil d'État, Dalloz, 3e éd., 2008, n° 26, comm. E. Fatôme et P. Terneyre.
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effective »8. Autrement dit, il s’est agi pour le juge de concevoir un régime juridique
transitoire pour celles des propriétés publiques dont le statut domanial est amené à évoluer
dans le temps, d’un régime de domanialité privée à un régime de domanialité publique.
L’originalité d’un tel régime tient alors au fait que seuls les principes de la domanialité
publique trouvent à s’appliquer par anticipation, à des biens qui ne remplissent pas
actuellement les conditions d’appartenance au domaine public et constituent, à défaut, des
dépendances du domaine privé de la collectivité publique propriétaire. Il n’est donc
parfaitement assimilable, ni à un régime de domanialité publique auquel il n’emprunte que
celles des règles ayant valeur de principe, ni à un régime de domanialité privée duquel il
diffère de par la marque de la puissance publique qu’il porte. Enfin, l’étude des finalités
poursuivies par la domanialité publique virtuelle permet de l’envisager comme procédant
d’une démarche téléologique. En effet, celle-ci a été spécifiquement élaborée par le Conseil
d’Etat pour brider les comportements douteux des propriétaires publics en les empêchant
d’arguer de l’appartenance actuelle du bien en cause au domaine privé pour prendre à son
propos, une décision qui soit conforme avec le droit de la domanialité privée mais
incompatible avec sa destination future. En ce sens, elle revêt les apparences d’une « théorie-
obstacle » qui s’oppose à la commission d’une fraude à la loi par les collectivités publiques
propriétaires et remplit ainsi, une fonction éminemment préservatrice de la légalité.
Nonobstant l’objectif louable qui la justifie, autant dire d’emblée que la codification du
droit des propriétés publiques n’a pas été, loin s’en faut, l’occasion pour le législateur de
témoigner une estime particulière à l’égard de la domanialité publique virtuelle, dont les
défauts avaient déjà été largement dénoncés par la doctrine.
Appelée de ses vœux par la doctrine, la refonte du droit domanial constituait une réelle
nécessité au vue de l’état de désuétude dans lequel se trouvaient de nombreuses règles de ce
droit avant 2006. Le code du domaine de l’Etat en est certainement l’une des illustrations les
plus topiques. Institué par un décret du 28 décembre 19579, ce texte lacunaire et obsolète
n’avait pourtant pas fait l’objet d’une réforme d’ensemble depuis un décret du 11 décembre
8 E. FATÔME, « La consistance du domaine public immobilier : évolution et questions ? », AJDA 2006, p. 1087. 9 Décret n°57-1336 du 28 décembre 1957 porte réforme des règles de gestion et d’aliénation des biens du domaine national et codification sous le nom de code du domaine de l’état des textes législatifs applicables à ce domaine : JO 29 décembre 1957, p. 11871.
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197010 alors même que, comme son intitulé l’indique, il ne comportait aucune disposition
applicable aux collectivités publiques propriétaires autres que l’Etat et que la codification
n’avait pas entendu intégrer certains acquis jurisprudentiels laissant notamment à l’écart les
apports de l’arrêt Société « Le Béton »11. Quand bien même le juge a pu largement ignorer les
dispositions de ce texte pour bâtir lui-même un corps de règles domaniales, ces dernières
n’apparaissaient pas plus aptes à satisfaire les impératifs modernes assignés au droit des
propriétés publiques. Ce constat de l’obsolescence du droit du domaine est dressé de façon
quelque peu alarmante par la Section du rapport et des études du Conseil d'Etat dans ses
Réflexions sur l'orientation du droit des propriétés publiques adoptées en 198612 qui concluent au
profond décalage de ce droit avec les réalités économiques. Il est vrai que le droit de la
domanialité publique disposait à cette période, d’un champ d’application démesuré,
largement imputable aux contours insaisissables du critère de l’aménagement spécial résultant
de l’arrêt Société « Le Béton », et engendrant une « hypertrophie » du domaine public. De
façon très liée, la doctrine s’accordait, avant l’entrée en vigueur du CGPPP, à dénoncer les
imperfections du droit domanial comme son inhabileté à permettre l’appréhension des biens
publics en termes de valorisation économique. L’illustration la plus couramment proposée
par les auteurs consistait alors à dénoncer les aspérités du principe d’inaliénabilité du
domaine public, particulièrement depuis que le Conseil d’Etat avait admis d’en déduire une
interdiction absolue de constituer des droits réels sur les dépendances de ce domaine13.
Finalement, alors même qu’il constituait un droit antiéconomique, le droit de la domanialité
publique était parvenu à englober l’essentiel des patrimoines publics, freinant ainsi
l’investissement privé comme la volonté largement exprimée par les collectivités publiques
de valoriser leurs propriétés.
Dans ces conditions, le rapport du Conseil d’Etat préconisait l’intervention du législateur
pour endiguer l’extension de la domanialité publique par une modification des critères
d’entrée d’un bien dans le domaine public et un aménagement de son régime. Il est apparu en
10 Décret n°70-1161 du 11 décembre 1970 portant révision du code du domaine de l’état : JO 15 décembre 1970, p. 11503. 11 CE, Sect., 19 octobre 1956, Société Le Béton, Rec., p. 375 ; D. 1956, p. 681, concl. M. Long ; AJDA 1956, p. 488, chron. J. Fournier et G. Braibant ; JCP 1957, II, p. 9765, note Blaevoet ; Rev. adm. 1956, p. 617 et 1957, p. 131, notes G. Liet-Veaux et Morice. 12 Conseil d’Etat, Réflexions sur l’orientation du droit des propriétés publiques, Rapport pour 1986, La doc. fr., EDCE n°38, 1987. 13 CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, préc.
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effet, que le projet d’une réforme d’ensemble du droit des propriétés publiques pouvait
s’avérer lourd à porter pour la jurisprudence « car ce n’est pas le juge qui commande les litiges
qu’il a à résoudre »14. La tâche n’était pas pour autant évidente pour le législateur dès lors qu’il
n’était pas dans ses habitudes courantes de contrarier la jurisprudence du Conseil d’Etat en
matière domaniale15. En ce sens, les lois du 5 janvier 198816 et du 25 juillet 199417 ont pu
constituer des interventions aussi originales qu’insatisfaisantes en raison de leur visée
purement sectorielle comme de la démarche empirique ayant présidé à leur adoption. De la
même manière, prenant conscience de l’inadaptation du droit positif aux impératifs
économiques, le législateur avait eu l’occasion d’intervenir pour proposer des solutions
ponctuelles, accentuant par là même l’éparpillement des règles domaniales18. Néanmoins,
dès avant ces textes, un groupe de travail interministériel constitué autour du conseiller
d'État Max Querrien s’était vu confier la mission de réfléchir, dans une perspective plus
générale, à l'élaboration d'un projet de code des propriétés publiques finalement achevé en
1999 sans que ne lui soit donné suite pour autant. Vint ensuite l’article 34 de la loi du 2
juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit et autorisant ce dernier à prendre
par ordonnance les mesures législatives nécessaires pour modifier et compléter le droit
domanial19, réitéré et amendé par trois nouvelles habilitations législatives20. C’est au terme
de cette longue attente que la partie législative du CGPPP a finalement fait l’objet de
14 M.-A. LATOURNERIE, « Les critères de la domanialité publique », Domaine public et activités économiques, CJEG 1991, n° hors-série, p. 16. 15 Ibidem. 16 Loi n°88-13 du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation : JO 6 janvier 1988, p. 208. 17 Loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 complétant le code du domaine de l'Etat et relative à la constitution de droits réels sur le domaine public : JO 26 juillet 1994, p. 10749. 18 Voir not. : Loi n°2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure: JO 30 août 2002, p. 14398 ; Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice : JO 10 septembre 2002, p. 14934 ; Ordonnance n°2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l'organisation et du fonctionnement du système de santé ainsi que des procédures de création d'établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux soumis à autorisation : JO 6 septembre 2003, p. 15391. 19 Loi n°2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, art. 34 : JO 3 juillet 2003, p.11192 ; AJDA 2003, p. 1652, comm. P. Gonod ; Contrats et Marchés publics 2003, comm. 143, obs. E. Delacour ; Adde : Cons. const., décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, Recueil, p. 382 ; AJDA 2003, p. 1302, obs. M.-C. de Montecler, p. 1353, obs. J.-D. Dreyfus, p. 1391, note E. Schoettl, p. 1404, note E. Fatôme, p. 2348, étude E. Fatôme et L. Richer ; BJCP 2003, p. 354, note A. Tessier ; Contrats et Marchés publics 2003, chron. 18, étude F. Linditch ; JCP A 2003, act. 348 et 1890, étude F. Linditch ; JCP A 2004, act. 149, note Kameni ; JCP G 2003, act. 347 ; JCP N 2003, act. 149 ; RDP 2003, p. 1163, étude F. Lichère ; RFD const. 2003, p. 772, note E. Fatôme et L. Richer. 20 Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, art. 89 : JO 10 décembre 2004, p.20857 ; Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie, art. 48 : JO 27 juillet 2005, p. 12160 ; Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d’acquisition, art. 27 : JO 1er avril 2006, p. 4882.
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l’ordonnance du 21 avril 2006, ratifiée tardivement par la loi du 12 mai 2009 de
simplification et de clarification du droit21.
Contrairement aux prémisses législatives précédentes, le CGPPP procède à une
refonte globale de l’ensemble du droit domanial amenant ainsi le législateur à prendre
position sur les règles et théories domaniales forgées par la jurisprudence. C’est donc dans
ces conditions que la question de la destinée de la domanialité publique virtuelle s’est
naturellement posée aux rédacteurs de l’ordonnance du 21 avril 2006, en des termes que
l’on peut décrire comme nettement plus hostiles que favorables. Sans prétendre à
l’exhaustivité, il nous semble cependant permis d’énoncer au moins trois obstacles au
maintien de la théorie jurisprudentielle de la domanialité publique virtuelle dans le nouvel
ordonnancement du droit domanial.
En premier lieu, la méthode retenue pour procéder à la codification du droit des propriétés
publiques n’était manifestement pas favorable à la survivance de la thèse prétorienne du
domaine public virtuel. Le caractère désuet et éclaté de ce droit obligeait en effet de rompre
avec le principe classique de codification à droit constant pour privilégier une codification à
droit non constant qui « autorise […] une refonte normative ciblée sur la modernisation de la gestion
domaniale »22 et permet d’introduire de véritables modifications de fond de l’état du droit des
propriétés publiques. Cette méthode originale a ainsi permis de revenir sur certains acquis
jurisprudentiels parmi lesquels, la théorie de la domanialité publique virtuelle.
La seconde difficulté présidant à l’intégration de la domanialité publique virtuelle au sein du
nouveau droit domanial est de nature conceptuelle. Elle tient à l’introduction même d’une
idée de virtualité dans le cadre d’un droit fait de réalités tangibles, d’un droit des choses et
des biens qui, à maints égards, se doit certainement d’être « un droit plus « rustique », plus
« opérationnel », plus éloigné peut-être des constructions intellectuelles et tenant davantage compte des
données ponctuelles et des exigences du concret »23. Dans ces conditions, imaginer une domanialité
publique virtuelle confine presque à l’oxymore. Néanmoins, le propos mérite d’être nuancé.
D’une part, l’immixtion du concept de virtualité dans la jurisprudence administrative n’a pas
21 Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de clarification et de simplification du droit : JO 13 mai 2009, p. 7920 ; C. MAUGUË et G. BACHELIER, « La ratification du code général de la propriété des personnes publiques, enfin ! », AJDA 2009, p.1177. 22 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques : JO 22 avril 2006, p. 14934. 23 D. LABETOULLE, « Rapport de synthèse des travaux du colloque », Domaine public et activités économiques, CJEG 1991, n° hors-série, p. 141.
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M. Foglia – LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE - BNPA 2011 MEM.2
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été inaugurée par la jurisprudence Association Eurolat – Crédit Foncier de France. L’on se
souvient à cet égard de la thèse du « service public virtuel » défendue par le commissaire du
gouvernement Bernard Chenot dans des conclusions demeurées célèbres : « Certaines activités
d'intérêt général ne sont pas susceptibles d'être exercées dans des conditions satisfaisantes par le libre jeu
d'une exploitation privée et orientent ainsi le caractère de services publics virtuels et peuvent être soumis à
un régime de service public par une simple intervention de l'autorité administrative, et notamment par le-
biais d'une autorisation domaniale assortie d’obligations de service public »24. Pour autant, largement
critiquée pour les « horizons infinis »25 qu’elle ouvrait au service public, cette thèse n’a connu
que des développements jurisprudentiels limités si bien qu’il était possible de présager le
même sort à la domanialité publique virtuelle. Or, s’il est vrai que ladite théorie n’a occupé
qu’une place réduite dans la jurisprudence du Conseil d’Etat consacrée au droit domanial, ce
dernier n’est pour autant, jamais revenu sur son principe, y compris lorsque, par la voix de
ses membres, il prônait parallèlement le retour à un « noyau dur de la domanialité publique »26.
L’on relèvera donc que malgré les critiques dont elle a fait l’objet, la remise en cause de la
domanialité publique virtuelle a été particulièrement tardive et surtout, qu’elle n’est pas le
résultat d’un revirement de jurisprudence décidé par le Conseil d’Etat lui-même, mais le
fruit de la codification législative qui marque néanmoins un tournant de son histoire. D’autre
part, il est essentiel, pour que la théorie soit acceptable, que l’intitulé de « domanialité
publique virtuelle » retenu par la doctrine pour désigner le raisonnement suivi par la Haute
Assemblée dans l’arrêt Association Eurolat – Crédit Foncier de France ne suscite aucune
confusion : la domanialité publique virtuelle ne décrit pas une domanialité publique irréelle,
ni même seulement éventuelle, mais une domanialité publique, non actuelle, qui comporte
néanmoins, en elle, les conditions de sa réalisation.
Au-delà de cette clarification sémantique, il convient d’évoquer la dernière hostilité
au maintien de la domanialité publique virtuelle au sein du droit des propriétés publiques
renouvelé. Elle nous paraît être d’ordre contextuel si par contextuel, l’on n’entend pas
nécessairement conjoncturel. Elle tient à l’inadéquation présumée de cette théorie avec les
objectifs retenus par le CGPPP ainsi qu’avec la logique qui sous-tend, depuis l’entrée en
vigueur dudit code, le droit des propriétés publiques. De façon unanime, la doctrine
24 Concl. B. Chenot sur CE, 6 février 1948, Radio-Atlatntique, Rec., p. 65 ; RDP 1948, p. 244. 25 Jean-Louis AUTIN et Catherine RIBOT, Droit administratif général, Litec, Objectif Droit, 4e éd., 2005, p. 157. 26 M-A LATOURNERIE, art. préc., p. 15 ; Conseil d’Etat, Réflexions sur l’orientation du droit des propriétés publiques, préc.
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M. Foglia – LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE - BNPA 2011 MEM.2
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considère que la réforme du droit domanial s’est articulée autour de deux objectifs
principaux : il s’est agi pour les codificateurs, d’une part, de limiter la consistance du
domaine public pour contenir son expansion hypertrophique et, d’autre part, de façon
étroitement imbriquée, d’orienter le droit domanial vers la valorisation des propriétés
publiques. Le rapport de présentation de l’ordonnance du 21 avril 2006 est particulièrement
clair à cet égard lorsqu’il indique qu’« il s'agit de proposer une définition qui réduit le périmètre de
la domanialité publique » et de concrétiser « les évolutions les plus notables [du droit domanial
lesquelles] ont porté sur l'émergence de la notion de valorisation économique du domaine public ».
Aussi, l’article L 2111-1 du CGPPP traduit-il la première de ces orientations en proposant
une définition renouvelée du domaine public immobilier dont l’apport majeur réside dans la
substitution au critère de l’aménagement spécial forgé par la jurisprudence27, de celui de
l’aménagement indispensable supposé plus rigoureux et dont la recherche n’est plus exigée
que pour ceux des biens affectés à l’exécution d’une mission de service public.
De même, le nouvel ordonnancement du droit domanial illustre indéniablement la démarche
« valorisatrice retenue par le législateur en consacrant une logique qualifiée par le professeur
Sophie Nicinsky de « propriétariste »28. Aussi, alors que le code du domaine de l’Etat était
exclusivement « fondé sur une approche domaniale qui mettait au premier plan de la réflexion et de
l'analyse la distinction classique entre domaine public et domaine privé »29, le CGPPP constitue au
contraire la « manifestation d’une logique propriétariste conçue globalement comme une extension de la
marge de manœuvre du propriétaire »30 et un renforcement du degré de maîtrise de celui-ci sur
ces biens. L’intitulé, la structure et le contenu du code sont révélateurs de cette conception
nouvelle des propriétés publiques, laquelle résulte largement de la prise de conscience de ce
que les personnes publiques disposent, sur les biens du domaine privé mais également sur les
biens de leur domaine public, d’un droit de propriété dont la reconnaissance
constitutionnelle31 n’a fait que consacrer les travaux doctrinaux en la matière32. Or, cette
27 CE, Sect., 19 octobre 1956, Société Le Béton, préc. 28 S. NICINSKI, « Les logiques du Code général de la propriété des personnes publiques : de la pluralité au risque de contradiction », RLCT 2008, n° 37. 29 D. LABETOULLE, « Présentation du Code général de la propriété des personnes publiques », JCP A 2006, p. 1359 ; JCP N 2006, p. 1881. 30 S. NICINSKI, « Les logiques du Code général de la propriété des personnes publiques : de la pluralité au risque de contradiction », art. préc., n°37. 31 Cons. const., décision n°87-207 DC des 25 et 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, Recueil, p. 61 ; Cons. const., décision n°86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, Recueil, p. 141 ; Cons. const., décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994, Loi complétant le code du domaine
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appréhension renouvelée de la relation des personnes publiques avec leurs biens a
profondément bouleversé les objectifs gouvernant la gestion des patrimoines publics. L’on
sait en effet que le droit domanial dispose d’une branche historique centrée sur les impératifs
de conservation du domaine, de protection de son intégrité et de son affectation de telle sorte
qu’il ait longtemps été essentiellement présenté comme un droit de police administrative et
de conservation, l’Administration détenant à ce titre un « droit de garde » sur les
dépendances domaniales. Or, « à partir du moment où l’idée d’un droit de propriété des personnes
publiques sur le domaine public a été émise, sa valorisation économique a pu légitimement côtoyer son
affectation à l’utilité publique »33. C’est dire de ce droit qu’il comporte une seconde branche,
nettement axée sur la valeur économique des patrimoines publics que les collectivités
propriétaires doivent pouvoir utiliser de façon rationnelle, voire rentable grâce aux pouvoirs
de gestion dont elles sont titulaires, ce qu’exprimait déjà en 1944, le commissaire du
gouvernement Bernard Chenot selon lequel « le domaine public n’est plus seulement un objet de
police administrative, c’est l’assiette d’un nombre toujours croissant de services d’intérêt général et c’est
un bien dont l’administration doit assurer, dans l’intérêt collectif, la meilleure exploitation »34. Plus
encore, comme souligné précédemment, cet impératif moderne de valorisation des
propriétés publiques s’est largement imposé comme un leitmotiv lors de la codification du
droit domanial sans toutefois que le législateur ne précise réellement la signification qu’il
entendait en retenir. Notion ajuridique et polysémique, la valorisation des patrimoines
publics peut tout d’abord viser la perception par la collectivité propriétaire de redevances en
contrepartie de la délivrance d’autorisations d’occupation privative du domaine public. De
même, elle peut justifier de faciliter les modalités de circulation des biens publics, entre
patrimoines publics et patrimoines privés ou entre patrimoines publics, de favoriser
l’externalisation de la gestion des biens publics ou encore de créer des conditions favorables à
la mise en place de partenariats publics-privés en vue de répondre aux besoins grandissants
de l'état et relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, Recueil, p. 96 ; AJDA 1994, p 786, note G. Gondouin ; RFD const. 1994, p. 814, note P. Bon. 32 Yves GAUDEMET, Traité de droit administratif, Droit administratif des biens, Tome 2, LGDJ, 12e éd., 2002, pp. 15 à 27 : le professeur Yves Gaudemet explique en effet que Maurice Hauriou a été le premier auteur à introduire dans la doctrine l’idée de la propriété des collectivités publiques sur leur domaine public. Largement relayée par la suite, notamment par Louis Rigaud, la thèse de la propriété publique est désormais acquise ; Adde : Philippe YOLKA, La propriété publique, Eléments pour une théorie (préf. Y. Gaudemet), LGDJ, Bibliothèque de droit public, Tome 191, 1997. 33 S. NICINSKI, « Les logiques du Code général de la propriété des personnes publiques : de la pluralité au risque de contradiction », art. préc., n°37 ; Adde : Philippe YOLKA, La propriété publique, Eléments pour une théorie, op. cit. 34 Concl. B. Chenot sur CE, 5 mai 1944, Compagnie maritime de l’Afrique orientale, Rec., p. 129 ; RDP 1994, p. 236.
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d’infrastructures et d’équipements publics, lesquels pourront, en fin de contrat, faire retour à
la personne publique et élargir ainsi son patrimoine. Dans le cadre du présent mémoire, il
convient de retenir l’acception de la notion de valorisation telle qu’elle a été formulée par le
rapport de l’Institut de la gestion déléguée en considérant que « la valorisation d'un équipement
public est sans doute la réalisation et l'entretien de celui-ci au moindre coût, son aliénation au meilleur
prix lorsqu'il est devenu inutile, mais aussi l'adéquation constante de cet équipement à l'intérêt général
qu'il doit servir. Bref, la valorisation des biens publics s'entend d'une valorisation au service de l'utilité
publique »35.
Ainsi décrits, les objectifs ayant guidé les rédacteurs de l’ordonnance du 21 avril 2006
paraissent éminemment austères à la confirmation de la domanialité publique virtuelle au sein
du droit domanial dès lors que celle-ci a souvent été présentée comme une entrave à leur
réalisation. La théorie jurisprudentielle forgée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Association
Eurolat – Crédit Foncier de France peut tout d’abord être perçue comme contrariant
directement l’impératif de resserrement de la consistance du domaine public, à condition
toutefois de considérer qu’elle repose sur une interprétation particulièrement souple du
critère de l’aménagement spécial résultant de la jurisprudence Société « Le Béton ». En effet,
pour d’aucuns, la domanialité publique virtuelle ou, plus justement en ce cas, la domanialité
publique par anticipation, doit être dénoncée en ce qu’elle participe de l’expansion
outrancière du domaine public, le juge administratif se contentant de rechercher un
aménagement spécial du bien en cause qui soit simplement prévu, et non pas effectivement
réalisé. Certes, une seconde interprétation de la solution rendue par le Conseil d’Etat dans
l’arrêt du 6 mai 1985 précité tend au contraire à considérer que les juges du Palais Royal
n’ont pas entendu étendre la consistance du domaine public mais simplement le champ
d’application de son régime et plus précisément, celui des principes de la domanialité
publique. Néanmoins, la critique ne fait alors que se déplacer et consiste à reprocher à la
théorie de la domanialité publique virtuelle de freiner considérablement la valorisation des
propriétés publiques. En effet, en décidant ainsi de renforcer la portée et le champ
d’application des principes de la domanialité publique, le Conseil d’Etat a volontairement fait
le choix d’assujettir des biens qui devraient en bonne logique être soumis à un régime réputé
35 Y. GAUDEMET et L. DERUY, « Les travaux de législation privée Le rapport de l'Institut de la gestion déléguée, Propos introductifs », LPA 2004, p. 9.
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M. Foglia – LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE - BNPA 2011 MEM.2
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souple de domanialité privée, au respect d’un régime contraignant, critiqué pour son
inaptitude à favoriser l’exploitation optimale du domaine. Il en va ainsi du principe
d’inaliénabilité et de la prohibition de démembrer la propriété publique qui, applicables aux
biens du domaine public virtuel, interdisent à la personne publique propriétaire de recourir,
à propos de certains biens de son domaine privé, aux formules contractuelles empruntant au
droit commun lorsque ces dernières supposent un transfert, même temporaire, de propriété,
de constituer des droits réels au profit de tiers ou encore, lorsque l’opération immobilière
projetée nécessite d’organiser la coexistence des propriétés publiques et des propriétés
privées, de mettre en place un réseau de servitudes. Subséquemment, c’est donc la liberté
contractuelle des personnes publiques qui se trouvent considérablement limitée par la mise
en œuvre de la domanialité publique virtuelle. En ce sens, elle constitue un réel obstacle à la
manifestation de la volonté du propriétaire public sur ceux des biens qui forment pourtant
partie de son domaine privé, comme à l’expression de la volonté de l’Administration
contractante. De même, la domanialité publique virtuelle a pu couramment être décrite
comme une entrave à la valorisation économique en raison des fortes incertitudes qui
l’entouraient et dont la cause est largement imputable aux termes évasifs de sa formulation,
puis de sa confirmation par le Conseil d’Etat. Ainsi, les auteurs se sont-ils interrogés sur le
contenu même des principes de la domanialité publique dont l’application anticipée est au
fondement de la domanialité publique virtuelle, ou encore sur le moment exact à compter
duquel, la destination du bien à une utilité publique étant prévue de façon suffisamment
certaine, ce dernier devient soumis au respect desdits principes36. De telles zones d’ombre
engendrent en effet une insécurité juridique menaçante pour les opérations menées sur le
domaine public, préjudiciable à la collectivité publique propriétaire comme à ses partenaires
dont l’engagement financier pouvait être largement dissuadé par tant de risques.
Or, « quand le droit ne convient pas, plutôt que de chercher à le tourner, il faut songer à le
changer»37. Ainsi, aux termes du rapport de présentation au Président de la République de
l’ordonnance du 21 avril 2006, la nouvelle définition du domaine public immobilier proposée
par le CGPPP « prive d'effet la théorie de la domanialité publique virtuelle ». La formulation
36 E. FATÔME et P. TERNEYRE, « Le financement privé de la construction d’ouvrages publics, en particulier sur le domaine public », AJDA 1997, p. 126 37 D. LABETOULLE, « Rapport de synthèse des travaux du colloque », Domaine public et activités économiques, art. préc., p. 141.
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péremptoire retenue semble devoir mettre un terme au débat sur la destinée de la
domanialité publique virtuelle et ce, d’autant plus que l’argument kelsénien tiré de la
hiérarchie des normes devrait emporter, si besoin est, la conviction des plus réticents. Plus
encore, la déconstruction par le législateur d’une théorie progressivement forgée par la
jurisprudence a pu être présentée comme salutaire tant elle était perçue comme génératrice
de blocages dirimants pour la valorisation des propriétés publiques.
§ 2 : Intérêt de l’étude
Aussi, d’aucuns pourront légitimement s’interroger, à l’évocation du sujet du présent
mémoire, sur l’intérêt véritable présidant à l’étude d’une construction jurisprudentielle
réputée défunte et dont la mise à l’écart ne saurait être regrettée. Plus encore, à l’approche
du cinquième anniversaire de l’entrée en vigueur du CGPPP, l’exercice consistant à se
questionner sur l’avenir d’une théorie anéantie par le législateur peut paraître malvenu.
Evidemment, le sujet nous semble au contraire porteurs d’enjeux déterminants et ce, pour
plusieurs raisons cumulées.
Dès lors qu’elle est une source centrale du droit du domaine y compris depuis la
codification opérée en 2006, l’analyse doctrinale doit être considérée avec attention. Or,
celle-ci a rapidement mis en avant les incertitudes gouvernant la remise en cause législative
de la domanialité publique virtuelle38. Aussi, l’on a pu s’interroger sur l’aptitude de la
nouvelle définition du domaine public immobilier à priver d’effet la théorie prétorienne, en
soutenant qu’il serait plus juste d’en déduire un simple raccourcissement de la période durant
laquelle celle-ci est amenée à régir le bien dont il est acquis qu’il intègrera le domaine
public39. Plus récemment, c’est la question de l’opportunité même de sa disparition qui s’est
trouvée posée de façon fort convaincante par le professeur Philippe Yolka dans un article
dont l’intitulé, « Faut-il réellement abandonner la domanialité publique virtuelle ? », est révélateur
du contenu40. De cette interrogation résulte l’idée selon laquelle, critiquée tout au long de
38 E. FATÔME, « La consistance du domaine public immobilier : évolution et questions ? », art. préc., p. 1087 ; F. MELLERAY, « Le code général de la propriété des personnes publiques. Définitions et critères du domaine public », RFDA 2006, p. 906. 39 E. FATÔME, « La consistance du domaine public immobilier : évolution et questions ? », art. préc., p. 1087. 40 P. YOLKA, « Faut-il réellement abandonner la domanialité publique virtuelle ? », JCPA 2010, n°8, étude 2073, p. 26.
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son existence jurisprudentielle, la domanialité publique virtuelle pourrait être présentée sous
un nouveau jour de nature à lui reconnaître une légitimité posthume. Or, à ce stade, il
convient de s’interroger sur la pertinence même de l’emploi de l’adjectif « posthume », et la
question de se déplacer pour se formuler ainsi : faut-il réellement parler de l’abandon de la
domanialité publique virtuelle ? Car en effet, la mort annoncée de la théorie jurisprudentielle
n’a rien d’évident. D’une part, alors même que l’une des préoccupations du législateur
consistait à la priver d’effet, sa remise en cause n’apparaît pas de façon explicite au sein du
corps même du CGPPP mais seulement de façon tacite et discrète au sein du rapport de
présentation de l’ordonnance du 21 avril 2006. D’autre part, le silence du CGPPP à l’égard
de la domanialité publique virtuelle n’est pas sans poser la question de son traitement
prétorien tant la jurisprudence constitue, comme la doctrine, une source historique et
essentielle du droit domanial. En effet, en décidant de ne pas régler expressément le sort de
la domanialité publique virtuelle, le législateur a nécessairement laissé une marge de
manœuvre importante au juge administratif pour décider de la destinée d’une théorie
domaniale qu’il a lui-même forgé, prenant ainsi le risque de voir ce dernier s’affranchir de
l’affirmation tranchante formulée par le rapport de présentation de l’ordonnance, et,
subséquemment, de l’esprit ayant présidé à l’élaboration du code et à l’édiction des nouvelles
conditions d’appartenance d’un bien au domaine public immobilier.
Enfin, il est essentiel de souligner que les enjeux attachés à la connaissance de la destinée de
cette œuvre prétorienne ne sont pas exclusivement théoriques mais présentent de réelles
incidences pratiques. En effet, il s’agit concrètement de déterminer quelles sont, depuis
l’entrée en vigueur du CGPPP et l’abandon supposé de la domanialité publique virtuelle, les
possibilités de gestion dont dispose le propriétaire public sur ceux de ses biens qui
appartiennent au domaine privé mais qui sont amenés avec certitude à intégrer le domaine
public, le plus souvent car ils vont devenir le siège d’un ouvrage à réaliser qui constituera
l’aménagement indispensable dudit bien. Comme souligné précédemment, jusqu’alors, la
mise en œuvre de la domanialité publique virtuelle empêchait le recours à de nombreuses
catégories de montages contractuels complexes, au premier rang desquelles, celles supposant
que soient accordés des droits réels au partenaire privé de l’Administration, et faisait peser
un risque lourd sur les relations contractuelles déjà nouées, dès lors que sa méconnaissance
pouvait conduire le juge administratif à en prononcer la nullité. Depuis l’élaboration du code,
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M. Foglia – LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE - BNPA 2011 MEM.2
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de tels obstacles devraient être levés au profit d’un renforcement de la sécurité juridique et
de la redécouverte de la liberté contractuelle des personnes publiques, désormais autorisées à
recourir à la technique contractuelle qu’elles jugent la plus adaptée à la réalisation du projet
dont elles ont l’initiative, y compris si celle-ci est empruntée au droit commun41. De même,
considérer que la disparition de la domanialité publique virtuelle est acquise revient à
admettre que l’autorité domaniale puisse disposer d’une grande latitude dans la mise en
œuvre des attributs attachés au droit de propriété, en lui permettant notamment de
démembrer ce droit au profit de tiers, sans que ne trouve à s’’imposer le modèle limité du
droit réel administratif. Au contraire, si la théorie prétorienne caractérise encore l’état du
droit positif, l’application anticipée des principes de la domanialité publique devrait continuer
à interdire toute décision qui, tout en étant compatible avec le statut domanial actuel du bien,
est en contrariété directe avec son appartenance prochaine et certaine au domaine public,
bridant encore le degré de maîtrise dont dispose la personne publique sur ses biens en faveur
d’un certain « intégrisme domanial » privilégiant la protection du domaine public à venir42.
§ 3 : Problématique et plan de l’étude
Dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une réforme globale du droit des propriétés
publiques, la remise en cause de la domanialité publique virtuelle doit être appréciée à l’aune
des objectifs ayant guidé le législateur dans cette entreprise. Aussi, il s’agit de renoncer
d’emblée, à discuter, dans le cadre de ce mémoire, de l’urgence impérieuse ayant justifié le
renouvellement de ce droit comme sa mise en conformité avec les besoins des agents
économiques. De même, il n’est pas question de jauger la consécration déjà évoquée du
paradigme « propriétariste » soucieux de réaffirmer la maîtrise des collectivités publiques sur
leurs biens.
Il est en revanche possible d’isoler, au sein du droit domanial réformé la question du sort
réservé par le législateur à la théorie de la domanialité publique virtuelle. En réalité, à s’en
tenir aux termes du rapport de présentation de l’ordonnance du 21 avril 2006, la question ne
41 Il s’agit, à ce stade, de centrer le propos sur l’obstacle que constitue la théorie de la domanialité publique virtuelle pour le recours aux montages contractuels complexes sans envisager encore les autres contraintes liées notamment au droit des marchés publics et de la loi MOP. 42 D. LABETOULLE, « Rapport de synthèse des travaux du colloque », Domaine public et activités économiques, art. préc., p. 139.
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devrait plus trouver à se poser dès lors que ladite théorie y est présentée comme
radicalement privée d’effet. Une telle affirmation est alors de nature à ouvrir la voie aux
critiques concernant le bien fondé de la remise en cause de la construction jurisprudentielle
et confirmer l’idée, exposée par le professeur Sophie Nicinski, selon laquelle les critiques
susceptibles d’être adressés au CGPPP tiennent moins à son contenu qu’à ce qu’il ne contient
pas43. Dans le même temps, il ne s’agit pas d’imiter la démarche du juriste tentant de justifier
le recours au contrat de partenariat, en dressant un bilan des avantages et des inconvénients
attachés au maintien, ou à l’inverse, à la disparition de la théorie de la domanialité publique
virtuelle. Au contraire, il convient de centrer le propos sur l’étude des raisons ayant poussé
le législateur à remettre en cause la domanialité publique virtuelle, ainsi que sur la cohérence
de cette entreprise. Aussi, la problématique retenue dans le cadre de la présente étude peut-
elle être formulée ainsi : la modernisation du droit des propriétés publiques nécessitait-elle la
remise en cause de la domanialité publique virtuelle ?
Pour répondre à la question, il est nécessaire de s’intéresser aux difficultés générées
par la mise en œuvre jurisprudentielle de la domanialité publique virtuelle et de se demander
si le législateur n’a pas surestimé les avantages attachés à sa suppression comme les
inconvénients liés à son maintien, pour la cohésion de la réforme du droit domanial.
Envisager d’anéantir la domanialité publique virtuelle revient en effet à percevoir les rapports
entretenus par cette dernière avec les objectifs défendus par le CGPPP en termes
d’incompatibilité. Or, ce postulat nous paraît particulièrement contestable dans la mesure
où, loin de limiter la valorisation des propriétés publiques, l’anticipation des principes de la
domanialité publique en favorise au contraire la conciliation avec la protection de
l’affectation. En effet, la domanialité publique virtuelle n’est pas à proprement parler
inconciliable avec l’esprit du CGPPP dès lors que la logique « propriétariste » précédemment
évoquée ne le résume pas à elle seule. Autrement dit, l’élaboration du code n’a pas été
l’occasion pour le législateur, de balayer du champ du droit des propriétés publiques la
logique domaniale fondée sur les exigences de protection de l’affectation et plus largement
du domaine public dont la jurisprudence administrative fait un impératif d’ordre
43 S. NICINSKI, « Les logiques du Code général de la propriété des personnes publiques : de la pluralité au risque de contradiction », art. préc., n°37.
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M. Foglia – LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE - BNPA 2011 MEM.2
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constitutionnel44. Au contraire, en 2006, c’est toute « l'armature du droit domanial »45 qui se
trouve codifiée et confirmée. Plus encore, il semble que les rédacteurs de l’ordonnance du 21
avril 2006 aient véritablement entendu concilier les deux logiques rivales. Or, l’élaboration
de la domanialité publique virtuelle répond à un questionnement simple : il s’agit pour le
juge de savoir si, lorsqu’un bien ne remplit pas encore, au jour où il statue, les critères
traditionnels de la domanialité publique mais qu’il est destiné de façon certaine à les remplir,
il doit attendre, pour protéger ce bien, son entrée effective et officielle dans le domaine
public ou s’il peut décider de sa protection dès le moment où cette entrée, bien que future,
lui paraît suffisamment certaine. L’arrêt Association Eurolat - Crédit-Foncier de France, confirmé
par la suite par le Conseil d’Etat, opte évidemment pour la seconde branche de l’alternative.
Le CGPPP, au contraire, manifeste clairement la préférence du législateur pour la première
des deux options. Partant, en refusant de consacrer une théorie éminemment protectrice de
l’affectation des biens à une utilité collective, le code semble échouer dans cette entreprise de
conciliation. Néanmoins, l’argument tiré de l’échec de l’équilibre recherché entre ces deux
approches contradictoires du seul fait de la mise à l’écart d’une théorie protectrice du
domaine public ne suffit pas à convaincre dès lors que la conciliation ne s’est pas faite entre
deux termes exactement égaux. Le législateur semble en effet avoir parfaitement entendu les
avertissements du président Daniel Labetoulle pour lequel « il faut sans doute se garder d'une
illusion : on peut atténuer les aspérités de la domanialité publique, mais il est sans doute illusoire de
penser que l'on peut avoir simultanément les avantages inhérents à des logiques sinon opposées du moins
substantiellement différentes. On ne peut pas revendiquer, d'une part, l'idée d'une protection domaniale
forte, au nom de la police, ou des libertés publiques ou de l'intérêt général, et revendiquer, d'autre part,
les avantages économiques d'une exploitation en quête de rentabilité ; il y a là deux approches également
légitimes et respectables, mais entre lesquelles il faut choisir et que l'on ne peut impunément confondre ou
réunir »46. Aussi, si pour certains auteurs, la logique « propriétariste » consacrée par le
CGPPP « complète, celle traditionnelle, d’affectation qui conserve toute son importance »47, il y a tout
lieu de nuancer le propos en soulignant, avec le professeur Philippe Yolka, que « le centre de
44 CE, 21 mars 2003, Sipperec, Rec., p. 144 ; AJDA 2003, p. 1935, note P. Subra de Brieusses ; RFDA 2003, p. 903, chron. J. Soulié. 45 P. YOLKA, JCl. préc. 46 D. LABETOULLE, « Rapport de synthèse des travaux du colloque », Domaine public et activités économiques, art. préc., p. 141. 47 J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif des biens, Montchrestien, 5ième éd., 2010, p. 20
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gravité de la théorie domaniale se déplace d'une logique de protection (centrée sur l'affectation publique)
vers une démarche de valorisation (fondée sur le droit de propriété) »48 laquelle constitue la logique
dominante du code quand l’approche domaniale, bien que maintenue, se trouve reléguée au
second rang. Dans ces conditions, il faut certainement admettre que la suppression de la
domanialité publique virtuelle est acceptable s’il s’est agi de favoriser les modalités selon
lesquelles une collectivité publique peut exploiter son domaine, notamment en attirant des
investisseurs privés avec lesquels elle pourra nouer des relations partenariales.
Pour autant, la justification « valorisatrice » de l’éradication de la théorie prétorienne ne
paraît pas plus convaincante. En effet, il semble réellement que le législateur ait mal évalué
ses potentialités pour concrétiser les impératifs économiques de valorisation des propriétés
publiques. Celle-ci doit en effet être conçue comme déclinant des fonctions ambivalentes.
L’une, bien connue de la doctrine comme du législateur, ressort directement de la solution
rendue dans l’affaire Association Eurolat – Crédit Foncier de France. Elle consiste à analyser cette
théorie comme une véritable théorie domaniale fondée sur l’idée que le domaine public est
un objet de protection et que l’affectation de certaines propriétés publiques à une utilité
collective comme la continuité de cette utilité doivent être préservées. Ainsi perçue, elle
constitue dans le même temps une source de rigidités, prohibitives de certaines opérations de
gestion sur les biens publics, et même, punitives lorsque de telles opérations sont
effectivement réalisées et ainsi sanctionnées par le juge. La seconde acception de la
domanialité publique virtuelle, moins notoire, semble avoir été ignorée par le législateur lors
de la refonte du droit des propriétés publiques. Elle suppose de la considérer comme une
théorie économique, capable de permettre la valorisation des patrimoines publics et plus
encore, conditionnant celle-ci. L’idée d’anticipation au fondement de la domanialité publique
virtuelle constitue en effet la condition d’un grand nombre d’opérations sur les biens publics.
L’examen des modalités selon lesquelles une AOT constitutive de droits réels est susceptible
d’être délivrée par la personne publique propriétaire pour la réalisation d’un équipement
public est éclairant dans la mesure où parmi elles, figure l’exigence de la domanialité
publique préexistante du terrain qui en est l’objet. Or, l’intégration dudit terrain au sein du
domaine public n’est en réalité effective qu’à compter de la réalisation de l’équipement
public, l’aménagement spécial ou désormais, indispensable, de la dépendance étant ainsi
48P. YOLKA, fasc. préc..
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M. Foglia – LA DOMANIALITE PUBLIQUE VIRTUELLE - BNPA 2011 MEM.2
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vérifié. Ce n’est donc qu’en anticipant cette domanialité publique que la réalisation de
l’opération immobilière sur la base d’une AOT devient possible49. Aussi, loin d’être résumée
par son seul volet prohibitif, la domanialité publique virtuelle dispose de façon tout aussi
essentielle d’un volet permissif et il en va alors de cette théorie comme de nombreuses règles
domaniales : elle peut simultanément « apparaître comme constituant un privilège, une prérogative
de puissance publique dans une optique de protection et comme une sujétion très lourde dans une optique
d'exploitation »50.
Finalement, en privant la domanialité publique virtuelle d’effet, le législateur a
parallèlement privé le juge et les collectivités publiques propriétaires d’un instrument
indéniable de protection et de valorisation des propriétés publiques. Paradoxalement, la
suppression de la domanialité publique entre donc en contrariété directe avec les
préoccupations du codificateur (Partie I).
Partant, il y a tout lieu de reconsidérer la solution radicale proposée par l’ordonnance
du 21 avril 2006 et consistant à rayer définitivement la domanialité publique virtuelle de la
carte des théories domaniales. Dans le même temps, si celle-ci peut se fondre dans la
conception renouvelée des biens publics en ce qu’elle participe de la concrétisation des
logiques directrices du CGPPP, il est particulièrement difficile d’engager un plaidoyer en
faveur du maintien de la théorie dans sa formulation originelle, sauf à nier concrètement les
difficultés attachées à sa mise en œuvre. Aussi, en détournant volontairement l’une des
formules-phares du CGPPP, il est possible de réfléchir à un « aménagement indispensable »
de la domanialité publique virtuelle. Autrement dit, plutôt que de conserver la domanialité
publique virtuelle dans l’état où elle se trouvait avant l’entrée en vigueur du CGPPP ou de la
supprimer purement et simplement, il s’agit de proposer une voie alternative, soucieuse
d’assurer une conciliation entre la protection du domaine public et la valorisation des
propriétés publiques et fondée sur une approche renouvelée de la domanialité publique
virtuelle, centrée sur l’objectif d’empêchement de la fraude à la loi ayant présidé à son
élaboration. Elle consiste à s’interroger de la manière suivante : à la considérer comme
acquise, la disparition de la domanialité publique virtuelle permet-elle désormais une gestion
49 P. YOLKA, « Faut-il réellement abandonner la domanialité publique virtuelle ? », art. préc. , p. 26, étude 2073. 50 E. FATÔME, « A propos des bases constitutionnelles du droit du domaine public », AJDA 2003, p. 1192.
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libre, dégagée de toute contrainte, des biens dont il est acquis avec certitude qu’ils
intègreront le domaine public ? Deux éléments de réponse peuvent être apportés. En
premier lieu, alors même qu’elle a pu être présentée comme une conséquence inhérente au
nouveau critère de l’aménagement indispensable, la remise en cause de la domanialité
publique virtuelle comme de l’idée d’anticipation qui la fonde n’a en réalité rien de certain
dès lors d’une part, qu’elle n’est pas directement et expressément inscrite dans le CGPPP et
d’autre part, que son appréhension dans une perspective holistique destinée à la considérer
comme dépendante de l’économie générale du droit des propriétés publiques réformé,
permet plutôt de conclure à son maintien. Aussi, après avoir analysé la suppression de la
théorie prétorienne à l’aune des objectifs visés par les rédacteurs de l’ordonnance du 21 avril
2006, il conviendra de se pencher sur la méthode retenue pour concrétiser cette disparition,
ainsi que sur son efficacité. En second lieu, il semble délicat de considérer que de tels biens
puissent être gérés comme des propriétés privées sans que ne s’imposent aux personnes
publiques propriétaires la nécessité de prendre en considération l’affectation future des biens
à une utilité publique. Or, les propriétaires publics disposent, depuis la refonte du droit
domanial, d’outils, notamment contractuels, de gestion de leurs patrimoines, spécifiquement
crées pour épouser les contours de la propriété publique et qui sont simultanément des
promesses séduisantes pour les agents économiques et les investisseurs privés et des
techniques rassurantes pour la protection due à l’affectation de certains biens, y compris
lorsqu’elle n’est que future. Dans ces conditions, l’absence de recours à ces formules pourrait
ainsi être envisagé comme la volonté de contourner les dernières contraintes de droit public
dont on aura compris qu’elles sont rendues nécessaires pour permettre de préserver la
logique domaniale au sein du droit des propriétés publiques (Partie II).
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PARTIEPARTIEPARTIEPARTIE IIII
L’abandon contestableL’abandon contestableL’abandon contestableL’abandon contestable de la domanialité publique virtuellede la domanialité publique virtuellede la domanialité publique virtuellede la domanialité publique virtuelle
La trame générale de la réforme du droit des propriétés publiques témoigne de la
volonté du législateur de réaliser une conciliation entre le respect des « exigences
constitutionnelles inhérentes à […] la protection des propriétés publiques »51 et la nécessité de
remodeler les règles domaniales dans « une perspective économique, une perspective d’investissement,
qui n’est pas juridique »52 mais qui revêt désormais une importance capitale, particulièrement
dans un contexte d’austérité budgétaire. Dans ces conditions, il faut croire que la domanialité
publique virtuelle ne pouvait permettre cet équilibre, voire qu’elle n’était propre à assurer la
concrétisation d’aucune de ces deux logiques directrices, dès lors que les rédacteurs de
l’ordonnance du 21 avril 2006 ont opté pour une solution radicale à son égard, en l’excluant
totalement du nouvel ordonnancement domanial. Or, paradoxalement, l’abandon de cette
théorie trahit l’échec de la codification dans cette entreprise de conciliation. En permettant
de protéger un bien avant même son intégration effective dans le domaine public dès lors que
cette dernière est acquise avec certitude et en empêchant la personne publique propriétaire
de prendre des mesures incompatibles avec l’affectation future du bien, la domanialité
publique virtuelle constitue en effet un formidable outil de protection du domaine public
dont le droit domanial est désormais privé (Chapitre 1).
En réalité, pour décrire plus fidèlement les objectifs ayant animés le législateur, il
semble préférable de parler une « concurrence »53, au sein du droit des propriétés publiques
renouvelé, entre l’approche domaniale et l’approche « valorisatrice », la même importance
ne leur étant pas reconnue. Le CGPPP traduit ainsi le choix de ses rédacteurs de « restreindre
le champ d’application [du] domaine [public], afin de permettre aux collectivités territoriales de
s’affranchir des règles très protectrices applicables au domaine public (inaliénabilité et imprescriptibilité),
pour valoriser plus aisément leur patrimoine, en recourant à des modalités de gestion souples et
51Cons. const., décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, préc. 52Y. GAUDEMET, Domaine public et activités économiques, CJEG 1991, n° hors-série, p. 29. 53S. NICINSKI, « Les logiques du Code général de la propriété des personnes publiques : de la pluralité au risque de contradiction », art. préc., n°37.
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innovantes »54. Dans ce contexte, le démantèlement de la domanialité publique virtuelle
constitue alors l’un des instruments permettant à la nouvelle logique d’exploitation
économique des biens publics de s’imposer et l’on doit certainement approuver le sacrifice de
cette théorie pour le plus grand bien de la gestion optimale des propriétés publiques à
laquelle elle est réputée faire obstacle. Or, l’analyse des effets générés par sa disparition
appelle en réalité un constat plus nuancé qui souligne un net décalage avec les objectifs qui lui
étaient assignés. L’abandon de cette construction prétorienne paraît en effet, totalement
impropre à désinhiber la mise en œuvre des pouvoirs de gestion de l’Administration
propriétaire, les rédacteurs de l’ordonnance du 21 avril 2006 ayant mal apprécié sa
contribution paradoxale à la valorisation des propriétés publiques (Chapitre 2).
Chapitre 1Chapitre 1Chapitre 1Chapitre 1 : La participation oubliée de la domanialité publique : La participation oubliée de la domanialité publique : La participation oubliée de la domanialité publique : La participation oubliée de la domanialité publique
virtuelle à la protection du domaine publicvirtuelle à la protection du domaine publicvirtuelle à la protection du domaine publicvirtuelle à la protection du domaine public
Connu de tous et largement souligné par la Section du rapport et des études du
Conseil d'Etat dans ses Réflexions sur l'orientation du droit des propriétés
publiques55, l’hypertrophie pathologique du domaine public devait nécessairement trouver une
solution dans la modernisation du droit des propriétés publiques. C’est d’ailleurs dans cette
perspective, que l’habilitation législative du Gouvernement plusieurs fois modifiée invitait ce
dernier à modifier la définition du domaine public mobilier et immobilier des collectivités
publiques propriétaires56. Au lendemain de son entrée en vigueur, les commentateurs
autorisés du CGPPP faisaient ainsi valoir l’un de ses apports essentiels, qui « réside dans la
définition qui est donnée de la domanialité publique avec une volonté […] très claire de restreindre le
champ de la domanialité publique »57 en réservant la qualification de dépendance du domaine
public et l’application d’un régime exorbitant du droit commun correspondant aux seuls
biens qui le méritent eu égard à l’utilité collective qu’ils servent. La démarche doit
54Guide pratique d’utilisation du CGPPP mis en ligne : http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/Orga_territoriale/Mise_en_ ligne_ CG3P.pdf. 55Conseil d’Etat, Réflexions sur l’orientation du droit des propriétés publiques, préc. 56Loi n°2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, art. 34, préc. ; Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, art. 89, préc. ; Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie, art. 48, préc. ; Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d’acquisition, art. 27, préc. 57C. MAUGUË, « Frontières de la domanialité publique », JCP A 2006, p. 1367 ; JCP N 2006, p. 1889.
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certainement d’être soulignée dès lors qu’elle ne concerne pas, loin s’en faut, l’ensemble des
notions du droit public, les impératifs de clarification du droit et de sécurité juridique
l’emportant parfois sur la cohérence des initiatives législatives avec celles des théories qui, à
l’instar de la théorie domaniale, sont les plus fondamentales58.
Or, l’un des arguments destinés à légitimer la suppression de la domanialité publique
virtuelle consistait précisément à souligner l’incompatibilité de son maintien avec le besoin de
« proposer une définition qui réduit le périmètre de la domanialité publique »59. Pour autant, il ne
suffit pas à emporter l’approbation mais conduit au contraire, à juger injustifiée la disparition
de la théorie prétorienne qui doit être regardée comme fondée sur un postulat erroné. En
effet, loin de consacrer de nouvelles hypothèses de domanialité publique et de constituer ainsi
une illustration jurisprudentielle de l’extension démesurée du domaine public, la domanialité
publique virtuelle s’attache en réalité à régir le régime juridique applicable à certains biens
dont l’affectation prochaine et certaine à l’utilité publique commande une protection
particulière (Section 1). Plus encore, sans rompre « avec les approches dominantes de la théorie
domaniale »60, la codification réformatrice opérée par l’ordonnance du 21 avril 2006
maintient intact l’impératif de protection de l’affectation des biens publics et rend ainsi
surprenant l’acharnement législatif à l’encontre de cette théorie tant elle participe de cette
logique protectrice et sa suppression de son affaiblissement (Section 2).
Section 1Section 1Section 1Section 1 : Une suppression injustifiée par la volonté de réduire la consistance : Une suppression injustifiée par la volonté de réduire la consistance : Une suppression injustifiée par la volonté de réduire la consistance : Une suppression injustifiée par la volonté de réduire la consistance
du domaine publicdu domaine publicdu domaine publicdu domaine public
L’une des finalités essentielles assignées à la codification du droit domanial consistait
donc à revenir à une consistance raisonnable du domaine public61. En bonne logique, le
moyen privilégié par le législateur dans cette entreprise de « recentrage » a supposé de
moderniser les critères selon lesquels un bien intègre désormais le domaine public de la
58Il en va ainsi de la théorie générale des contrats administratifs et de ses rapports avec les marchés publics, devenus des contrats administratifs par détermination de la loi depuis la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier : F. MODERNE, « Faut-il vraiment « administrativiser » l’ensemble des marchés publics ? », AJDA 2001, p. 707 ; G. CLAMOUR « Loi MURCEF : les enjeux de l’« administrativisation » des marchés publics », JCP G 2002, G II, 123. 59Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, préc. 60Ibidem. 61M.-A. LATOURNERIE, art. préc., p. 16.
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collectivité qui en est propriétaire. Plus particulièrement, fort des critiques déployées par la
doctrine à l’endroit du critère réducteur tiré de l’aménagement spécial du bien, les
rédacteurs du CGPPP lui ont substitué celui, réputé plus exigent, de l’aménagement
indispensable à l’exécution de la mission de service public en cause. Or, aux termes mêmes
du rapport de présentation de l’ordonnance du 21 avril 2006, ce dernier doit également être
entendu comme capable d’emporter la disparition de la domanialité publique virtuelle et l’on
est ainsi amené à déduire de la corrélation établie que la réduction nécessaire du périmètre du
domaine public immobilier a persuadé le législateur de revenir sur cette théorie prétorienne.
Or, son assimilation aux critères d’intégration d’une dépendance dans le domaine
public n’a en réalité rien d’évident. Au contraire, si la domanialité publique virtuelle
participe indéniablement de l’extension du droit de la domanialité publique en ce qu’elle
décide de la soumission anticipée de certains biens du domaine privé aux principes de la
domanialité publique (§ 2), elle n’opère pas pour autant une intégration prématurée de ces
biens au domaine public et partant, ne constitue pas une cause de l’extension démesurée de
sa consistance (§ 1).
§ 1 : La domanialité publique virtuelle, faux symptôme de l’ «hypertrophie » du domaine public
L’arrêt Association Eurolat-Crédit Foncier de France est à l’origine d’une controverse
doctrinale opposant les tenants de la domanialité publique par anticipation à ceux de la
domanialité publique virtuelle quant aux conséquences exactes devant être déduites de sa
solution. Plus précisément, au lendemain de la lecture de cet arrêt, le point de litige
consistait à déterminer si le Conseil d’Etat avait entendu consacrer de nouvelles hypothèses
de domanialité publique (A) ou si, au contraire, il n’avait fait que se prononcer sur le régime
juridique caractérisant certains biens du domaine privé dont la particularité réside dans le fait
qu’ils sont destinés avec certitude à intégrer le domaine public (B).
A. La thèse erronée de la domanialité publique par anticipation
Pour les premiers, la solution lue le 6 mai 1985 constitue une véritable remise en cause
de l’interprétation traditionnelle des critères de la domanialité publique et plus précisément,
du critère réducteur de l’aménagement spécial dont l’identification prétorienne doit, en
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principe, se coupler avec l’affectation du bien à un service public62. Etonnant revirement de
jurisprudence, l’arrêt Association Eurolat-Crédit Foncier de France reviendrait ainsi sur les
solutions passées exigeant, pour qu’un bien affecté à l’exécution d’une mission de service
public mérite d’être incorporé au domaine public, qu’il ait été spécialement aménagé à cet
effet.
Dès lors, l’on perçoit aisément les critiques adressées à la solution retenue par le Conseil
d’Etat. Elles consistent à regretter que le juge administratif ait entendu faire céder l’une des
dernières barrières à l’interprétation extensive et indécise du critère de l’aménagement
spécial en n’exigeant plus sa réalisation effective mais en se contentant d’une réalisation
seulement prévue, modifiant ainsi les conditions d’appartenance d’un bien au domaine public
des collectivités propriétaires dans le sens d’un assouplissement injustifié. Or, dès avant
1985, la doctrine se plaisait déjà à souligner le déclin du critère de l’aménagement spécial,
jugé incapable de jouer le rôle réducteur qui lui avait été assigné63. Aussi, alors que le juge
admettait déjà, au grand regret de la doctrine, que l’aménagement du bien soit d’une faible
importance matérielle pourvu qu’il ait été réalisé64 ou même, parfois, que les travaux devant
y conduire ne soient pas totalement achevés mais seulement commencés65, voilà que ce
dernier autorisait désormais qu’il ne puisse être qu’envisagé. C’est dire de la construction
jurisprudentielle inaugurée en 1985 qu’elle tend à rendre illusoire la recherche par le juge
d’un aménagement spécial du bien affecté à l’exécution d’une mission de service public.
Aussi, l’on peut lire chez le professeur Yves Gaudemet que « la domanialité publique virtuelle
condamne irrémédiablement le critère de l’aménagement spécial » car « on ne voit pas que l’on puisse
rechercher un aménagement spécial dans ce qui n’est pas encore affecté ni même physiquement réalisé »66.
62CE, 19 octobre 1956, Société Lebéton, préc. ; CE, Ass., 11 mai 1959, Dauphin, Rec., p. 294, D. 1959, p. 314, concl. H. Mayras ; AJDA 1959, p. 113, chron. M. Combarnous et J.-M. Galabert, et p. 228, note J. Dufau ; JCP 1959, p. 11269, note J. de Lanversin. 63P. SANDEVOIR, « La notion d'aménagement spécial dans la détermination du domaine public », AJDA 1966, p. 84 ; F. HERVOUËT, « L'utilité de la notion d'aménagement spécial dans la théorie du domaine public », RDP 1983, p. 135 ; F. MELLERAY, « La recherche d'un critère réducteur de la domanialité publique. Remarques sur la modernisation annoncée de la notion de domaine public », AJDA 2004, p. 490. 64Concl. H. MAYRAS sur CE, Ass, 11 mai 1959, Dauphin, Rec., p. 294 ; D. 1959, p. 315 : « L'importance matérielle, d'ailleurs non négligeable, de ces aménagements importe peu. Ce qui compte, c'est qu'ils aient été réalisés ». Aussi, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat se montre particulièrement indulgent quant à la condition de l’aménagement spécial en admettant la suffisance d’une chaîne apposée sur une grille ; CE, Sect., 30 mai 1975, Dame Gozzoli, Rec., p. 325 ; AJDA 1975, p. 348, chron. M. Franc et M. Boyon : à propos de l’entretien d’une plage permettant de regarder celle-ci comme spécialement aménagée. 65CE, 1er octobre 1958, Sieur Hild, Rec., p. 463. ; T. confl., 15 janvier 1979, Payan contre Société des autoroutes du Sud de la France, Rec., p. 665 ; JCP 1980.II.19453, note Y. Brard. 66Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, Droit administratif des biens, Tome 2, LGDJ, 13e éd., 2008, p.118.
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Dans ces conditions, il devenait intéressant de lire la solution rendue par le Conseil d’Etat
dans l’arrêt Association Eurolat-Crédit Foncier de France à la lumière des conclusions du président
Labetoulle sur l'arrêt Lecoq lorsque ce dernier écrivait : « le critère de l'affectation à un service
public est principal. Le critère de l'aménagement spécial est secondaire. Et, allant peut-être au-delà de ce
qu'impliquent vos arrêts, nous dirions volontiers que lorsqu'un immeuble, propriété d'une personne
publique, est le siège d'un service public, cette affectation présume l'aménagement spécial, présume la
domanialité publique. »67. D’ailleurs, il n’est pas inutile de relever qu’un an seulement après la
lecture de l’arrêt Association Eurolat-Crédit Foncier de France, le rapport public du Conseil d’Etat
de 1986 soulignait le caractère nécessaire et urgent d’une réforme législative susceptible de