mondes du tourisme
TRANSCRIPT
Mondes du Tourisme
16 | 2019Tourisme et emplois : singularités, permanences,transformationsTourism and professions: singularities, permanence, transformations
Christophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot (dir.)
Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/tourisme/2301DOI : 10.4000/tourisme.2301ISSN : 2492-7503
ÉditeurÉditions touristiques européennes
Référence électroniqueChristophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot (dir.), Mondes du Tourisme, 16 | 2019,« Tourisme et emplois : singularités, permanences, transformations » [En ligne], mis en ligne le 01décembre 2019, consulté le 18 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/tourisme/2301 ;DOI : https://doi.org/10.4000/tourisme.2301
Ce document a été généré automatiquement le 18 octobre 2020.
Mondes du tourisme est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution- Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Ce numéro thématique de la revue Mondes du tourisme est intitulé « Tourisme et
emplois : singularités, permanences, transformations ». Il entend répondre à diverses
problématisations qui caractérisent les spécificités contemporaines de l’emploi dans le
domaine du tourisme. Sept articles mobilisant des cadres disciplinaires variés (droit,
histoire, géographie, sciences de gestion) et divers terrains internationaux abordent la
question de l’emploi mais aussi des formations.
This thematic issue of the journal Mondes du tourisme is entitled "Tourism and
professions: singularities, permanence, transformations". It intends to respond to
various problematizations which characterize the contemporary specificities of
employment in the tourism field. Seven papers mobilizing various disciplinary
frameworks (law, history, geography, management sciences) and various international
fields tackle the question of employment but also courses and diplomas.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
1
SOMMAIRE
Éditorial
Tourisme et emplois : singularités, permanences, transformationsChristophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot
Recherche - Dossier: Tourisme et emplois : singularités, permanences,transformations
Contribution à une approche renouvelée des statistiques sur l’emploi touristiquePhilippe Violier
Faire d’une passion une profession : la place des syndicats d’initiative dans le tourismefrançaisJulie Manfredini
Le cadre juridique de travail des employés de service du secteur de la restauration. Laquestion spécifique du salaireLouis Jolin
Réformes territoriales et exercice de la compétence tourisme par l’institution publiquedépartementale française. Cas exploratoires de la Charente-Maritime et des Deux-SèvresJérôme Piriou et Marie-Noëlle Rimaud
Engagement des étudiants en tourisme, hôtellerie et restauration envers leur domained’études et leur carrière : les facteurs déterminantsJean Lagueux et Audrey Nanot
L’évolution du discours sur les ressources humaines en tourisme : entre théories et pratiquesmanagérialesBoualem Kadri, Mohamed Reda Khomsi et Cyril Martin
Quelles ressources humaines pour le tourisme de mémoire ? Le profil des agents prestatairesde services lors des funérailles bamilékés du CamerounBertrand Dongmo Temgoua
Actualités de la recherche
Comptes rendus de thèse
Aurore GIACOMEL, Les enjeux du travail émotionnel individuel et collectif dans les groupeshôteliers multinationaux : la complexité de l’équilibre émotionnel au service del’homéostasie organisationnelleThèse de doctorat en sciences de gestion de l’Université d’Angers, dirigée par Dominique Peyrat-Guillard (soutenuele 18 septembre 2019)Aurore Giacomel
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
2
Étienne GUILLAUD, De l’attrait à l’usure. Les trajectoires professionnelles des éducateurssportifs en nautismeThèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, dirigée par Annie Dussuet et Gildas Loirand (soutenue le10 décembre 2018)Étienne Guillaud
Lectures critiques
Laurent Sébastien FOURNIER et Fiorella GIACALONE (dir.), L’Europe pèlerine. Religion ettourismeL’Harmattan, 2017, 275 p.Christophe Guibert
Maria GRAVARI-BARBAS et Sébastien JACQUOT, Atlas mondial du tourisme et des loisirs. DuGrand Tour aux voyages low costAutrement, 2018Véronique Mondou
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
3
Éditorial
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
4
Tourisme et emplois : singularités,permanences, transformationsChristophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot
1 Les pratiques et les destinations touristiques se diffusent dans un nombre toujours plus
grand de lieux et de pays. La diversification des manières de « faire du tourisme »
constitue également une caractéristique contemporaine. Pour autant, à chaque étape,
chaque niveau du « système touristique » (MIT, 2005), les fonctions exercées par les
professionnels, bien qu’en mutation, sont centrales afin de proposer une offre de
services touristiques en cohérence avec les attendus et exigences des touristes eux-
mêmes. Activité marchande, le tourisme présuppose donc, de l’acte de réservation
(d’un séjour, d’une chambre d’hôtel, d’un cours de parapente par exemple) à la
prestation (visite d’un lieu patrimonial ou d’une cave viticole, pratique d’une activité
sportive par exemple), tout un enchevêtrement d’activités professionnelles nécessitant
des compétences et des savoir-être propres aux offres de services de type touristique. Si
les tâches et fonctions des emplois touristiques sont variées au sein d’un « espace
pluriel » (Guillaud, 2018), renforçant dès lors le piège de la charge sémantique et
nominale que peut revêtir clandestinement ce terme, les rémunérations sont d’une
part assez hétérogènes (allant du salaire minimum à plus du double du salaire
minimum, y compris pourboires et autres gratifications) et les niveaux de qualifications
sont, d’autre part, également très disparates (du CAP au Bac +5 en France par exemple).
Les transformations économiques, technologiques, culturelles et sociétales qui peuvent
être identifiées dans la plupart des secteurs professionnels affectent également le
champ du tourisme. Partant, plusieurs thématiques, engageant autant de questions,
peuvent être identifiées – sans que celles-ci ne soient exhaustives.
Effet structurant du « numérique »
2 La multiplication des procédures, plus ou moins formalisées, liées au développement
d’Internet, telle que la réservation « en ligne » de produits touristiques (séjours,
circuits, hébergements, etc.), ont des effets qualitatifs et quantitatifs sur les métiers
« historiques » du secteur touristique. De « nouveaux » métiers, de nouvelles tâches
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
5
professionnelles émergent. Comment le déploiement des nouvelles technologies dans
des plans stratégiques digitaux est-il accepté et intégré sur le terrain par le personnel ?
Comment celui-ci perçoit-il l’évolution de ses fonctions, de son métier ? (Sotiriadis et
Varvaressos, 2016). Comment les voyagistes ont-ils opéré des transformations sociales
(p. ex. rationalisation des effectifs salariés en agence de voyage) ? Quelles ont été les
stratégies de positionnement et/ou de repositionnement stratégique des entreprises du
secteur face à la concurrence internationalisée ? Quelle forme prend l’offre touristique
lorsque les individus ne sont plus au centre de la prestation de service (services
touristiques en ligne comme les visites guidées en baladodiffusion (podcast), service de
conciergerie virtuel, etc.) ?
Visibilité/invisibilité
3 Si les métiers du tourisme sont, dans les représentations spontanées, identifiables aux
personnels d’accueil (dans les offices de tourisme, dans les hôtels, campings et
résidences, au sein des sites touristiques patrimoniaux, etc.) et de service (moniteurs
d’activité sportive – ski, surf, voile, etc. –, guide conférencier, animateur de colonie,
etc.), il existe de nombreuses professions éloignées physiquement et symboliquement
du contact direct avec les clientèles touristiques. Les personnels de service (Pinna,
2013) tels que les « femmes de chambre » ou les plongeurs, dans la restauration en
particulier, bien qu’invisibles (Castel, 1999) aux yeux des touristes ou circonscrits à de
courtes et rares interactions, sont néanmoins primordiaux et nécessaires dans le « bon
fonctionnement » d’une offre touristique. De surcroît, de plus en plus d’emplois reliés
au tourisme le sont en arrière-scène (back office) mais ajoutent beaucoup de valeur à la
prestation de service. Quelles sont, dès lors, les formes de reconnaissance pour les
acteurs de part et d’autre des frontières de l’accueil ?
Des professionnels à contre-espace et contretemps
4 Le temps des vacances, des congés est caractérisé par une forte concentration,
hivernale et estivale surtout, à la fois spatiale (les stations de ski, les stations
balnéaires) et temporelle. Or, être salarié (ou à son compte) d’une entreprise ou d’une
association de services touristiques, c’est travailler à contretemps et contre-espace,
autrement dit hors des lieux et temporalités des cadres de vie ordinaires des touristes
(Sébileau, 2014). Comment, toutefois, conjuguer activité professionnelle estivale lors
des congés scolaires et vie familiale ? Comment pérenniser une vie conjugale lorsqu’on
fait « les saisons » (en été à la plage comme moniteur de voile, l’hiver comme guide de
haute montagne) ? Quelles solutions collectives (telles que les groupements
d’employeurs dans certaines régions) sont inventées pour faciliter l’emploi des
saisonniers et les fidéliser ? Pour quels résultats ? De quelles façons le tourisme peut-il
surmonter ces contraintes temporelles sectorielles propres pour rendre l’emploi
touristique globalement plus attractif ?
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
6
Conjuguer passion et activité professionnelle
5 En lien avec la thématique précédente, de nombreux travaux ont montré que
l’engagement sur le modèle de la passion, dans certains secteurs professionnels,
constituait une spécificité que l’on peut adosser au secteur touristique. Passionné de
« vieilles pierres », passionné de surf (Guibert et Slimani, 2011) ou d’équitation, des
professionnels du tourisme s’engagent dans des carrières à l’aune de leurs propres
pratiques personnelles, de leurs passions. Comment ces professionnels négocient-ils la
place de leur passion dans leur activité professionnelle ? Si l’on considère l’envers du
décor, peut-on parler de désenchantement, voire de désillusion ? Les emplois
touristiques font-ils toujours partie d’un projet de carrière ou bien s’agit-il seulement
d’un passage avant de trouver un emploi plus « prometteur » ?
Une relation d’emploi spécifique ?
6 En dehors de la possible conjugaison passion/activité professionnelle, quelle est la
nature de la relation d’emploi des différents professionnels du tourisme, acteurs de ce
secteur par choix ou par contrainte ? Quelles sont ses éventuelles spécificités, ses
différentes formes eu égard au niveau de qualification des emplois ? Comment peut-elle
être appréhendée dans le cadre d’une théorie de l’échange social renouvelée
(Cropanzano et al., 2017) afin d’aider à prévoir les comportements au travail au-delà
d’un simple décryptage a posteriori et de susciter les comportements désirables pour des
organisations du secteur touristique confrontées à de nouvelles exigences (hôtellerie
life style, approche narrative, contact enrichi personnalisé, etc.) ? Comment s’articulent
les comportements positifs et négatifs des professionnels du tourisme confrontés à des
expériences de travail variées et parfois imprévisibles (engagement/retrait,
comportements citoyens/comportements contreproductifs, confiance/défiance, jeu
émotionnel en profondeur/jeu émotionnel en surface, etc.) ? Quel est le rôle des
partenaires sociaux, souvent peu présents, dans la définition des contrats sociaux ?
Les stratégies RH : permanences ou révolution(s) ?
7 En appui des thématiques précédentes et prenant en compte les effets conjoncturels de
la crise économique qui touche, quoique différemment, les pays européens et nord-
américains, comment se définissent ou se redéfinissent les stratégies entreprises en
termes de « politique RH » ? Quelles articulations sont possibles entre les stratégies RH
corporate et leur déclinaison sur le terrain ? La croissance touristique mondiale met une
pression sur l’offre touristique, qui à son tour exerce une pression sur la demande de
main-d’œuvre. Cette même main-d’œuvre est également sollicitée par d’autres secteurs
d’activité, souvent plus attrayants pour l’employé. Quelles sont les nouvelles stratégies
utilisées par les entreprises touristiques pour accéder à de nouveaux bassins de
travailleurs et pour retenir ces derniers ? Enfin, les formations proposées (en présentiel
ou en e-learning) sont-elles en adéquation avec les emplois et les compétences
recherchés par les organisations touristiques ? Quelle place est accordée aux soft skills
dans les programmes de formation et dans les politiques de recrutement ?
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
7
8 Pour répondre à ces diverses problématisations, sept articles mobilisant des cadres
disciplinaires variés (droit, histoire, géographie, sciences de gestion) et des terrains
internationaux spécifiques abordent la question de l’emploi mais aussi des formations.
L’article de Philippe Violier, intitulé « Statistiques et emploi », propose une critique
argumentée des modalités de production et des usages des données statistiques
spécifiques à « l’emploi touristique », pointant les enjeux de définition dont sont issues
les fausses évidences et les erreurs interprétatives. Le texte proposé par Julie
Manfredini, « Faire d’une passion une profession, la place des syndicats d’initiative
dans le tourisme français », interroge, sous l’angle de l’histoire, la création progressive
de métiers singuliers au sein des « syndicats d’initiative » à la fin du XIXe siècle. Les
convictions des élites culturelles locales ont contribué à structurer la
professionnalisation des premières associations de promotion touristique. Louis Jolin
analyse, du point de vue du droit, « Le cadre juridique de travail des employés de
service du secteur de la restauration. La question spécifique du salaire ». Un parallèle
est proposé entre les situations des « employés à pourboire » au Québec et en France.
Jérôme Piriou et Marie-Noëlle Rimaud analysent quant à eux les effets des
transformations institutionnelles à l’œuvre en France à l’aune d’une comparaison
localisée. Leur article, « Réformes territoriales et exercice de la compétence tourisme
par l’institution publique départementale française. Cas exploratoire de la Charente-
Maritime et des Deux-Sèvres », analyse spécifiquement l’échelon des comités
départementaux du tourisme et les assignations de compétences qui leur sont liées.
Jean Lagueux et Audrey Nanot, dans un article intitulé « Engagement des étudiants en
tourisme, hôtellerie et restauration envers leur domaine d’études et leur carrière : les
facteurs déterminants », questionnent les motivations et les prédispositions des
étudiants à s’engager dans des formations diplômantes au Canada. À partir d’une
enquête quantitative, ils montrent que les expériences et les satisfactions des étudiants
lors d’expériences professionnelles passées sont centrales pour saisir leur niveau
d’investissement dans leurs formations respectives. Boualem Kadri, Mohamed Reda
Khomsi et Cyril Martin proposent une étude relative à « L’évolution du discours sur les
ressources humaines en tourisme : entre théories et pratiques managériales ». Cet
article interroge, en particulier à partir d’un corpus de la revue Espaces, tourisme et
loisirs, la prise en compte du tourisme comme objet de recherche scientifique, ainsi que
la construction sociale des discours et des théories qui lui sont liés. Enfin, Bertrand
Dongmo Temgoua, dans l’article intitulé « Quelles ressources humaines pour le
tourisme de mémoire ? Le profil des agents prestataires de services lors des funérailles
bamilékés du Cameroun », analyse l’adéquation entre le profil des acteurs du tourisme
et leur formation. Au-delà de la qualification initiale, l’efficacité de ces agents dépend
également de compétences et de connaissances singulières, telles que les conventions
sociales attachées au phénomène des funérailles bamilékés.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
8
BIBLIOGRAPHIE
Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, Folio Essais, 1999.
Russel CROPANZANO, Erica ANTHONY, Shanna DANIELS, Alison HALL, « Social exchange theory : A critical
review with theoretical remedies », The Academy of Management Annals, n° 11(1), 2017.
Équipe MIT, Tourismes 2. Moments de lieux, « Mappemonde », Belin, 2005.
Christophe GUIBERT et Hassen SLIMANI, Emplois sportifs et saisonnalités. L’économie des activités
nautiques : enjeux de cohésion sociale, L’Harmattan, 2011.
Étienne GUILLAUD, De l’attrait à l’usure. Les trajectoires professionnelles des éducateurs sportifs en
nautisme, thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, 2018.
Gabriele PINNA, « Vendre du luxe au rabais : une étude de cas dans l’hôtellerie haut de gamme à
Paris », Travail et emploi, n° 136, 2013.
Arnaud SÉBILEAU, « Rester après la saison : l’économie symbolique du néoruralisme balnéaire »,
Juristourisme, n° 163, 2014.
Marios SOTIRIADIS et Stelios Varvaressos, « Crucial Role and Contribution of Human Resources in
the Context of Tourism Experiences : Need for Experiential Intelligence and Skills », dans Marios
SOTIRIADIS et Dogan GURSOY (dir.), The Handbook of Managing and Marketing Tourism Experiences,
Emerald Group Publishing Limited, 2016.
AUTEURS
CHRISTOPHE GUIBERT
Maître de conférences en sociologie, Université d’Angers, UFR ESTHUA Tourisme et culture,
Laboratoire ESO (UMR CNRS 6590), [email protected]
JEAN LAGUEUX
Sciences de gestion, ESG UQAM, [email protected]
NATHALIE MONTARGOT
Professeure associée, docteur en sciences de gestion, La Rochelle Business School – Excelia Group,
CEREGE (EA1722), [email protected]
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
9
Recherche - Dossier: Tourisme etemplois : singularités, permanences,transformations
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
10
Contribution à une approcherenouvelée des statistiques surl’emploi touristiqueContribution to a renewed approach to the tourist employment statistics
Philippe Violier
1 Cette analyse s’inscrit à la suite d’une réflexion sur le dénombrement des « voyageurs »
internationaux selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et les institutions
gouvernementales publiée récemment (Stock, Coeffé et Violier, 2017). Dans le même
ordre d’idées, des données sont mobilisées au sujet des emplois touristiques. Ainsi, le
global des emplois en France est estimée à +/- 10 %. L’effectif salarié dans le secteur
serait de l’ordre de 8 % du total (1 038 559 sur 12 839 130) selon le Mémento du tourisme
2017 (données de 2016), publication annuelle de la direction générale des Entreprises du
ministère de l’Économie et des Finances. Les recherches sur cette question dans la
littérature scientifique s’appuient sur les données produites par les organismes
institutionnels. Si une distance est parfois prise (Clergeau, 2013), nous relevons que cet
angle de l’emploi est peu travaillé (Raboteur, 2000), quand le sujet n’est pas seulement
effleuré (Sinclair et Stabler, 1997 ; Caccomo, 2007 ; Vellas, 2007 ; Botti et al., 2013). Nous
nous proposons donc, dans cet article, de nous interroger tout d’abord de manière plus
précise sur les conditions dans lesquelles ces données sont produites ; nous montrerons
ainsi les biais qui perturbent l’analyse. Puis, nous esquisserons une piste de recherche
pour établir des données plus robustes.
1. Une combinaison entre choix par défaut etraisonnement économique
2 Les données sur l’emploi en France sont élaborées par deux organismes institutionnels.
D’une part, l’Insee a publié en 2015 un numéro d’Insee Première consacré à l’emploi
touristique local, soit les emplois « directement liés à la présence de touristes sur le lieu
de leur séjour » (Durieux et al., 2015, p. 1). Ce choix met de côté, de fait, le secteur des
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
11
transports ainsi que celui des agences de voyage, mais confond le tourisme et les
voyages d’affaires. D’autre part, le Mémento du tourisme, publié par la direction générale
des Entreprises aborde également la question des emplois, notamment dans sa dernière
édition (2018, chiffres de 2017). L’analyse de ces deux publications permet d’informer
plusieurs critiques.
3 Premièrement, la base de la définition d’un secteur du « tourisme » s’inscrit dans la
comptabilité nationale, dont l’objet consiste à mesurer la valeur ajoutée produite par
l’économie nationale. Elle vise de ce fait à éviter les doubles comptes provenant des
chevauchements possibles entre différentes branches. Ainsi, les déplacements des
« touristes » qui animent ce secteur économique à côté de ceux effectués par les
habitants ne sont pas pris en compte, puisqu’ils sont déjà inclus dans la branche
transport. La branche du « tourisme » est ainsi construite à partir des « activités
caractéristiques », appellation qui couvre un ensemble hétérogène dont l’unité ne tient
qu’au fait qu’aucune autre branche de la comptabilité nationale ne les englobe. C’est
donc un choix par défaut. Afin cependant de ne pas minimiser les effets économiques
du « tourisme », l’OMT a recommandé l’usage du compte satellite du tourisme (CST)
qui, à côté des activités caractéristiques, évalue la contribution du secteur aux autres
branches et permet de mesurer la consommation touristique intérieure des résidents et
des non-résidents, en France.
4 Or parmi les branches du « tourisme », trois d’entre elles rassemblent 89 % des
emplois : les « hébergements touristiques » pour 17 %, les « restaurants et cafés » pour
49 % et les « services non urbains de transport » pour 23 %.
5 Si les entreprises de l’hébergement peuvent être, en grande partie, considérées comme
relevant des mobilités, toutes ces dernières relèvent-elles du tourisme au sens strict ?
Nous touchons là à une question fondamentale qui partage les chercheurs : les uns,
pour délimiter le tourisme, s’approprient la définition en usage dans les institutions et
défendue par l’OMT1 ; les autres défendent une approche plus restrictive, soit un
système qui a pour finalité la recréation des individus, ce qui exclut de fait les voyages
d’affaires, les pèlerinages et autres voyages scolaires (Knafou et Stock, 2003). Ces
auteurs insistent sur le fait que le tourisme est une mobilité du temps libre, qui place
les individus au centre des choix essentiels (choix de la destination, des compagnes et
compagnons de voyage, de l’usage du temps sur place… ; alors que dans les voyages
d’affaires, les décisions relèvent de la stratégie de l’entreprise, y compris pour les
voyages dits de stimulation, de récompense ou autres) (Stock et al., 2018).
6 C’est également loin d’être le cas des restaurants et des cafés, qui sont également
fréquentés par les habitants. Les proportions de non-résidents, dont les touristes, et
d’habitants au sein de leur clientèle sont variables selon les lieux. La DGE le reconnaît
d’ailleurs :
Les indicateurs d’activité, d’emplois et de démographie d’entreprises mentionnésportent sur l’ensemble des secteurs liés au tourisme, sachant qu’une partieseulement de ces secteurs, variable selon les cas, relève effectivement du tourisme.Ainsi, par exemple, le total des emplois ne concerne pas que l’emploi touristique,mais la totalité de l’emploi dans les secteurs caractéristiques du tourisme. (DGE,2017, p. 23)
7 Or cette précaution, prise dans l’ouvrage, est systématiquement oubliée dans les
communications ultérieures, notamment lorsque sont proclamées les données sur
l’emploi touristique.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
12
8 Deuxièmement, ce choix est aussi inspiré par le modèle de la « chaîne de valeur » et par
une définition économiciste du tourisme, qui réduit le tourisme à un échange
marchand, alors que la part du non-marchand est importante. Selon les statistiques de
la DGE elle-même, les personnes qui résident en France et qui passent une nuit en
dehors de leur résidence principale, dans le cadre de voyages personnels, ont eu
recours en 2017, pour 62,4 % des nuitées, à des hébergements non marchands2. Là
encore, la part du tourisme est difficile à apprécier au sein de cette catégorie des
« voyages personnels » car elle englobe, outre le tourisme au sens strict, les visites aux
parents et amis qui relèvent des relations sociales et revêtent donc un caractère
obligatoire du point de vue des normes sociales. Mais le non-marchand génère des
activités marchandes : bâtiment, construction, entretien paysagiste, alimentation… Ces
dépenses sont prises en compte dans le CST au titre des dépenses des touristes.
9 Troisièmement, les personnels des organisations institutionnelles ne sont pas pris en
compte dans ce décompte des emplois. Or, le réseau « Tourisme & territoires », qui
anime les agences départementales, revendique sur son site 2000 emplois3. Il
conviendrait également d’ajouter les emplois occupés au sein des structures locales et
intercommunales, ainsi qu’au niveau régional.
10 Ensuite, dans la publication de la DGE les données incluent les services des agences de
voyage et voyagistes, alors que l’Insee (Durieux et al., 20015) les exclue en se
concentrant sur « l’emploi local ». Certes, l’activité des agences de voyage – appellation
qui recouvre aussi bien les agences de voyage au sens strict, qui sont des points de
vente, que les tour-opérateurs qui élaborent les prestations, circuits et séjours
distribués par les premières – est en grande partie orientée vers l’outgoing. Mais une
partie de l’activité de cet ensemble est au contraire orientée vers l’accueil in situ et
relève donc bien de l’emploi local. Certaines entreprises notamment, les agences
réceptives, sont totalement orientées vers cette fonction.
11 Enfin, outre le flou qui entoure la définition du périmètre du secteur et donc des
emplois qui en relèvent, l’analyse longitudinale est également perturbée par des
modifications fréquentes. En nous basant sur trois éditions du Mémento du tourisme,
nous avons pu établir le tableau suivant, qui met en évidence les modifications
apportées. La colonne de droite indique les observations que nous inspire cette
approche longitudinale. Nous avons retenu trois années : 2009 comme année de base
pour conduire les observations ; 2013 car il n’y a pas de changement entre 2009 et 2013 ;
et enfin 2015. Des catégories sont apparues en 2013 et 2015. Certaines ont vu leur
périmètre redéfini. Une autre a été mentionnée en marge du tableau en 2009. Une
dernière a disparu en 2013. Notons cependant qu’elles portent sur des effectifs réduits.
Tableau 1. Évolution des catégories statistiques prises en compte dans le Mémento du tourisme,publié annuellement par la DGE
2009 2013 2015
Apparition de
nouvelles catégories
Sites et monuments
historiques
(2 956 emplois)
Organisation de jeux de
hasard et d’argent
(17 528 emplois)
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
13
Évolution du
périmètre de
certaines catégories
Activités récréatives
(7 834 emplois)
Parcs d’attraction et
autres services récréatifs
(31 849 emplois)
Catégories
mentionnées en
marge
Location de courte
durée de voitures…
(11 491 emplois)
Disparition de
catégories
Entretien corporel
(9 071 emplois en 2009)
2. Position de recherche : inverser le modèle
12 Il est prématuré de proposer une méthode alternative. Nous pouvons seulement inviter
à engager une réflexion qui, au lieu de définir a priori un ensemble de secteurs et en se
fondant sur un concept robuste du tourisme, partirait des pratiques réelles des
individus touristes qui génèrent des dépenses auprès d’entreprises et d’organisations
qui pourraient dès lors être considérées comme relevant du tourisme, dans une
proportion à définir. L’emploi en serait ensuite déduit. La démarche consiste à
identifier, en premier lieu, les pratiques des touristes. Ensuite, nous mobilisons la
typologie des lieux, selon le principe que, parmi les lieux touristiques, certains sont
spécialisés et donc une grande partie de leurs emplois dépendent du tourisme, tandis
que dans d’autres, polyfonctionnels, seule une partie, à déterminer, des emplois peut
être qualifiée de touristique. Il serait enfin nécessaire d’introduire une dimension de
saisonnalité.
2.1. Les comportements des touristes
13 La première étape consiste à identifier des contextes touristiques types à partir, d’une
part, des modes d’accès aux lieux touristiques pratiqués par les individus. Nous
proposons de mobiliser une modélisation (schéma 2) déjà publiée (Stock et al., 2018).
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
14
Schéma 2. Position de recherche à partir d’un modèle économique/chaîne de valeur alternatif
Source : élaboré par l’auteur, publié dans Stock et al., 2018
14 La modélisation que nous proposons repose sur une analyse des pratiques qui oppose
deux situations extrêmes. D’une part, les individus sont confrontés, pour mettre en
œuvre leur projet touristique, à une forte altérité objective, c’est-à-dire que des
horizons d’altérité peuvent être définis (langue, culture, manières d’être, mal être
corporel…) résultant de l’hétérogénéité culturelle ou biophysique du monde. Pour
affronter cette altérité, les individus sollicitent des technologies spatiales (Stock, 2008),
telles que le voyage organisé tout compris pour une pratique de découverte ou le séjour
en hôtel-club dans le cas d’une recherche de repos ou de jeux. La chaîne de valeur
(agent de voyage-tour opérateur-transporteur-hébergeur) fonctionne. Dans ces
situations il est possible de considérer que la très grande partie des emplois est
strictement cantonnée aux entreprises caractéristiques du tourisme.
15 Dans le détail, cependant, deux nuances peuvent être apportées. D’une part, la chaîne
de valeur est concurrencée par des médiations opérées par des relations sociales
(parents et amis) qui offrent aux individus des alternatives. D’autre part, sur leur lieu
de destination, les individus trouvent des marges de manœuvre dans l’articulation
entre les établissements contrôlés par les grands groupes capitalistes, inclus dans la
chaîne de valeur, et les artisans locaux qui gravitent à proximité et qui n’y sont pas
intégrés. Par exemple, à Maurice, l’expérience de nager avec les dauphins est
essentiellement proposée dans la Baie de Tamarin par de petites entreprises locales,
alors qu’une grande part de la fréquentation de l’île reste contrôlée par les grands
groupes maîtrisant les hôtels-clubs.
16 À l’opposé, en situation de forte familiarité, les touristes entrent en relation directe, ou
non intermédiée, avec des entreprises variées. C’est notamment le cas lorsque des
individus qui résident en France métropolitaine y déploient également leurs pratiques
touristiques. Or ce cas de figure est dominant : en 2017, 19 % seulement des nuitées
induites par les voyages personnels ont eu pour cadre un pays étranger ou les DOM
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
15
(DGE, 2018). C’est aussi le cas lorsque des non-résidents ont acquis, grâce à des séjours
fréquents, des compétences poussées – pas nécessairement dans le même lieu, car une
partie des savoirs peut être réinvestie ailleurs. Dans ce cas, une grande partie des
besoins sont satisfaits de façon autoproduite par les touristes, notamment
l’alimentation, le transport, voire même l’hébergement. L’estimation du volume
d’affaires est d’ailleurs difficile à établir car la familiarité favorise l’économie
informelle.
17 Entre ces deux situations extrêmes, une configuration intermédiaire peut être définie,
qui associe la chaîne de valeur traditionnelle pour les fonctions de transport et
d’hébergement et une constellation au sein de laquelle les individus piochent selon
leurs projets.
18 Cette première approche préalable consiste donc à identifier les combinaisons de types
de systèmes d’acteurs présents.
2.2. Mobilisation de la typologie des lieux
19 Une seconde approche aborde la question par les lieux. Dans leur analyse, Durieux et al.
(2015) esquissent une telle démarche en distinguant les effets du tourisme sur l’emploi
selon différents types d’espace. Leur analyse est cependant élaborée à partir d’une
approche classique, fondée sur les distinctions géographiques entre littoral et
montagne, d’une part, et entre ville et campagne, d’autre part. Elle est certes un peu
sophistiquée par l’introduction de distinction selon les tailles de ville (unité urbaine
parisienne, grandes unités urbaines, unités urbaines moyennes), l’altitude (haute
montagne, moyenne montagne) ou les littoraux (méditerranéen, corse, atlantique,
breton). Mais cette approche tend à naturaliser les distinctions. Par ailleurs, la notion
de station est mobilisée mais sans que les auteurs n’explicitent ce dont il s’agit et en
limitant son application à la seule montagne.
20 Une approche plus fine est nécessaire (tableau 2), qui mobilise une typologie des lieux
(Équipe MIT, 2002 ; Duhamel, 2018). En effet, dans les lieux créés ou inventés par le
tourisme, il est possible de considérer que l’essentiel des activités est animé par le
tourisme et donc près de 100 % des emplois peuvent y être affectés. Il s’agit des lieux
créés par le tourisme, comme les comptoirs ou les stations. Toutefois, ces dernières
constituent également des lieux de vie, donc la part du tourisme dans l’emploi y est
moindre, de l’ordre de 80 à 90 %. Au-delà, les stations littorales ont fortement évolué
depuis les années 1970-1980 avec des processus de diversification économique,
notamment en matière de résidentialisation, à savoir l’accueil de populations,
notamment retraitées, qui choisissent d’habiter à l’année dans les lieux autrefois
nettement dominés par le tourisme. Cette évolution se produit également pour des
actifs qui s’installent dans des stations touristiques dès lors que la croissance de la
mobilité contemporaine, dans une société à individus mobiles (Stock, 2005), permet
d’accéder quotidiennement à des emplois. Il faudrait donc ajuster en fonction de la
dynamique démographique locale.
21 Dans les lieux investis, deux cas peuvent être distingués : d’une part, ceux dans lesquels
le tourisme constitue le principal moteur économique (sites – lieux que les touristes
visitent mais dans lesquels ils ne dorment pas ; villages ou villes touristifiés – lieux
historiques subvertis par le tourisme, devenu moteur économique principal, comme
Cordes ou Venise). D’autre part, dans les villes touristiques, le tourisme est un secteur
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
16
parmi d’autres, il faudrait donc estimer son poids et déterminer les branches
entraînées.
Tableau 2. Part des emplois touristiques selon les différents types de lieu
Type Sous-type Caractéristiques principales Mesure des emplois
Lieux créés ou
inventés par le
tourisme
ComptoirLieux fermés gérés par un seul
opérateur100 %
Station Lieux créés par le tourisme mais
ouvert80 à 90 %
Station villeIdem mais processus de
diversification en cours
60 à 80 % selon l’intensité
de la diversification
Lieux investis par le
tourisme
Ville
touristique
Le tourisme est un secteur
économique parmi d’autres
10 à 15 % selon la
touristicité
Ville étapeIdem mais la fonction
d’hébergement domine10 %
Ville
touristifiée
Le tourisme est devenu la
fonction principale80 à 90 %
22 Il faudrait ensuite (tableau 3) combiner les deux approches car les comportements des
touristes ne sont pas homogènes. Ainsi, dans un même lieu, situé le long du littoral en
France, des touristes relativement autonomes, par exemples des résidents dotés de
fortes dispositions et compétences, côtoient d’autres touristes, davantage hétéronomes
du fait de leur confrontation à un degré plus ou moins élevé d’altérité, notamment les
non-résidents, qui les porte à privilégier la mobilisation de la chaîne de valeur, ou des
résidents qui font le choix d’un séjour tout compris qui correspond mieux à leur projet
du moment.
Tableau 3. Croisement entre le comportement des touristes et les types de lieux
Forte
altérité
Altérité
intermédiaire
Forte
familiarité
Station côte atlantique française 10 % Dominante 90 %
Station haute montagne très
renommée40 % 30 % 30 %
Paris 20 % 30 % 50 %
23 Enfin, il faudrait également tenir compte de la saisonnalité afin de pondérer les emplois
en équivalent temps-plein.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
17
24 La piste que nous proposons consiste donc à enquêter auprès des touristes pour
connaître leurs pratiques réelles en matière de satisfaction de leurs besoins. Ensuite,
une estimation du volume d’affaires réalisé par des transactions touristiques au sens
stricte et de manière expérimentale, et non sur une base conventionnelle peu discutée,
permettrait d’évaluer la part du tourisme dans les activités présentes dans les lieux et
de déduire le nombre d’emploi au prorata entre les achats effectués par les touristes et
ceux effectués par les habitants.
Conclusion
25 Une telle approche serait certes minutieuse, mais elle ne présente pas de difficultés
insurmontables. Il suffit peut-être, pour être réaliste, de renoncer à vouloir produire
des données annuellement, pour un résultat assez peu intéressant tant les variations
d’une année sur l’autre sont minimes. Sortir de l’illusion et des faux-semblants nous
semble mériter une approche un peu plus construite, même si elle se révèle
relativement longue à mettre en œuvre.
BIBLIOGRAPHIE
Laurent BOTTI, Nicolas PEYPOCH et Bernardin SOLONANDRASANA, Économie du tourisme, coll. « Les
topos », Dunod, 2013.
Jean-Louis CACCOMO (dir.), Fondements d’économie du tourisme. Acteurs, marchés, stratégies, coll. « Les
métiers du tourisme », De Boeck, 2007.
Cécile CLERGEAU, « Création de richesses par le tourisme », dans Philippe VIOLIER (dir.), Le tourisme,
un phénomène économique, coll. « Études », La Documentation française, 2013.
DIRECTION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES, Mémento du tourisme, parution annuelle.
DIRECTION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES, Les chiffres clés du tourisme, parution annuelle.
Philippe DUHAMEL, Géographie du tourisme et des loisirs. Dynamiques, acteurs, territoires, coll. « U »,
Armand Colin, 2018.
Stéphanie DURIEUX, Pascal EUSEBIO et David LÉVY, « Un million d’emplois liés à la présence de
touristes. La moitié dans les espaces urbains », Insee Première, n° 1555, juin 2015.
ÉQUIPE MIT, Tourismes 1. Lieux communs, coll. « Mappemonde », Belin, 2002.
Rémy KNAFOU et Mathis STOCK, « Tourisme », dans Jacques LÉVY et Michel LUSSAULT, Dictionnaire de la
géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003.
Joël RABOTEUR, Introduction à l’économie du tourisme, L’Harmattan, 2000.
Thea M. SINCLAIR et Michael John STABLER, The economics of tourism, Routledge, 1997.
Mathis STOCK, « Les sociétés à individus mobiles : vers un nouveau mode d’habiter ? »,
EspacesTemps.net, 2005 [https://www.espacestemps.net/articles/societes-individus-mobiles/].
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
18
Mathis STOCK, Vincent COËFFÉ et Philippe VIOLIER, avec la collaboration de Philippe DUHAMEL, Les
enjeux contemporains du tourisme. Une approche géographique, Presses universitaires de Rennes,
2017.
François VELLAS, Économie et politique du tourisme international, Economica, 2006.
NOTES
1. Lorsque la démonstration nous oblige à mobiliser la définition ou l’appellation « tourisme » au
sens de l’OMT et des institutions, beaucoup trop large pour nous, le mot apparaît entre
guillemets.
2. Selon Les chiffres clés du tourisme en France, édition 2018, autre publication de la DGE.
3. Cf. site internet : https://www.tourisme-territoires.net/rn2d/
RÉSUMÉS
Cet article analyse, dans un premier temps, les statistiques sur l’emploi touristique publiées par
la direction générale des Entreprises du ministère de l’Économie et des Finances. Elles sont
fondées sur une catégorie dite des « activités caractéristiques » qui isole certaines branches de
l’économie, lesquelles, dans la réalité, fournissent des services également consommés par les
habitants, comme la restauration et les cafés. Par ailleurs, cette mesure n’est pas stable dans le
temps. Ensuite, nous proposons une contribution pour une approche plus fine qui se fonde sur les
pratiques des touristes et sur une typologie des lieux et espaces touristiques.
This paper analyses firstly the tourist employment statistics published by the Directorate General
for Enterprise (D.G.E) of the French Ministry of Economy and Finance. Such statistics are based
upon a category named “typical activities” that isolates certain sectors of the economy, which in
reality provide services consumed by local inhabitants, for instance restaurants and cafés.
Furthermore, such a measurement is not stable over time. Secondly, we propose here a
contribution to a much more precise approach based upon the tourist practices and a typology of
tourist places and spaces.
INDEX
Mots-clés : statistique, emploi, consommation, tourisme
Keywords : statistics, employment, consumption, tourism
AUTEUR
PHILIPPE VIOLIER
Géographie, Université d’Angers, Esthua, UM ESO
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
19
Faire d’une passion une profession :la place des syndicats d’initiativedans le tourisme françaisTurning a passion into a profession: the place of tourist offices in French tourism
Julie Manfredini
1 Si le fait touristique fait son apparition au début du XIXe siècle avec la multiplication de
l’usage des termes tourist et tourism, outre-Manche puis en France, le processus
d’industrialisation marque particulièrement la seconde moitié du siècle. Catherine
Sicart en rappelle le processus opératoire, comprenant la modernisation des
transports, les mutations du système bancaire, les transformations urbaines ainsi que
l’apparition d’organismes officiels spécialisés dans le voyage (Sicart, 2008). L’intérêt
pour cette activité à fort potentiel économique fit rapidement l’objet d’études
économiques, lui conférant de fait un statut (Sicart, 2008)1. S’il est difficile de percevoir
l’apport économique du tourisme, par manque de données statistiques, cette activité
prend suffisamment d’importance pour intéresser de nombreuses catégories
socioprofessionnelles, façonnant et consolidant les réseaux touristiques. Si
« l’ouverture officielle du chantier scientifique du tourisme » ne date que de 1929
(Sicart, 2008, p. 120), la lente professionnalisation des acteurs touristiques se met en
place dès la fin du XIXe siècle avec l’apparition d’acteurs peu à peu spécialisés dans la
mise en tourisme du territoire.
2 En effet, si l’État ne s’intéresse officiellement au tourisme qu’à partir de 1910, avec la
mise en place de l’Office national du tourisme (ONT) et ce malgré un succès relatif, les
syndicats d’initiative (SI) apparaissent en France dès 1889 et construisent rapidement
les premiers réseaux touristiques. L’étude proposée ici s’appuie sur notre thèse,
intitulée Le rôle des syndicats d’initiative dans la construction de l’identité française de la fin
du XIXe siècle aux années 19702, rédigée à partir des documents émis par les SI et révélant
les différentes personnalités intéressées par le tourisme. Elle reprend la périodisation
initiale, de la naissance du premier SI à Grenoble en 1889 – modèle qui sera suivi par
des centaines d’autres – aux années 1970, marquées par leur lente disparition au profit
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
20
des offices du tourisme (OT)3. À travers l’étude des comptes-rendus des conseils
d’administration des SI, de leur correspondance, de leurs bilans de trésorerie, de leur
publicité touristique, ainsi que des articles de journaux relatant leurs actions, les
premiers constats montrent une forme associative locale innovante, regroupant
l’ensemble des professions intéressées par le tourisme, selon le modèle des sociétés de
développement suisses. Dans un premier temps dévolus à l’accueil et au renseignement
des touristes, les SI accomplissent la mise en tourisme du territoire sous de multiples
formes et valorisent le patrimoine local, qu’il soit matériel ou immatériel. Comme
l’explique Nabila Oulebsir, les SI, très tôt considérés comme les bases du tourisme
réceptif, sont devenus des « agence de marketing » (2011, p. 127), dont les actions
dynamiques et variées étaient connues des réseaux touristiques, reconnues par l’État,
mais peu soutenues. Les difficultés quotidiennes, accompagnées d’un appui national
insuffisant, ont fait des SI les parents pauvres du tourisme français. Néanmoins, ils ont
joué un rôle essentiel dans la mise en tourisme du territoire et dans la reconnaissance
des professionnels du tourisme pendant quatre-vingt ans. Les SI mentionnés dans cet
article concernent l’ensemble du territoire français, révélant des pratiques communes.
Toutefois, à plusieurs occasions, nous nous appuyons sur certains SI particuliers,
comme celui de Grenoble qui, par sa naissance et le modèle qu’il constitue, est
particulièrement cité ici. De même, le SI de Provence et celui de Saint-Brieuc
représentent des exemples solides du processus de création d’une identité territoriale
forte, dont les traces sont encore visibles aujourd’hui à travers les marques
« Provence » et « Bretagne ». Néanmoins, c’est la multiplicité des exemples pris sur
l’ensemble du territoire métropolitain français qui révèle l’ampleur de cet engagement
des élites culturelles locales.
3 À travers cet article, il s’agit de raconter l’histoire de ces bénévoles passionnés par leur
ville, leur région ou leur patrie, de l889 aux années 1970, et d’observer ce « monde
multiforme » (Levati, 2009) qui place le tourisme au cœur de ses préoccupations.
L’écriture du voyage, sous toutes ses formes, est « l’un des fondements de l’industrie
touristique » (Hoerner et Sicart, 2003, p. 82) auquel les SI français contribuent
grandement par leur publicité, activité qui représente les deux tiers de leur budget. En
effet, à travers les guides, dépliants puis affiches – héritiers des livres de voyages –, les
SI dressent le portrait de la destination touristique. Cette « image culturelle »4,
attendue par les touristes, est issue de l’héritage culturel des acteurs touristiques et
reflète leurs connaissances et leurs passions, constitutives de leur identité. Ainsi, en
écrivant l’histoire non exhaustive de ces acteurs, passionnés et avant-gardistes,
moteurs de ces associations, nous dressons le portrait de ces organismes privés et
dynamiques, dotés d’une grande capacité d’adaptation, inscrits au cœur du processus
touristique français ainsi que des émotions au centre de cette construction des
destinations touristiques.
I. Le rôle de la bourgeoisie culturelle au sein du SI
Composition d’un SI
4 D’après les sources utilisées, les SI s’inscrivent au cœur des réseaux touristiques
français notamment grâce au cumul des fonctions, pratique courante et recherchée. De
nombreux corps de métiers sont suffisamment intéressés par le tourisme pour être
régulièrement présents dans la liste des membres (cf. illustration 1), même si notre
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
21
étude ne peut être exhaustive5. D’ailleurs, nous verrons combien la composition des SI
illustre les transformations de la société et de son époque. Cependant, si certains points
communs peuvent être relevés, aucun SI ne se ressemble, chacun préférant définir son
identité en fonction des besoins de sa communauté. Comme le montre l’illustration 2,
différents acteurs ont, tour à tour, été au cœur des SI. Dans un premier temps, les
membres de la noblesse et de la bourgeoisie traditionnelle jouent un rôle important,
tant dans la formation des syndicats que dans le financement de leurs actions. La
réputation de certains noms offre un appui non négligeable, même si ces acteurs
deviennent rapidement membres honoraires, délaissant les hautes fonctions une fois le
plaisir de l’innovation disparu. Ils laissent ainsi la place aux élites modernes, soucieuses
de s’investir tant dans la politique culturelle locale que sur le territoire alentour, qui
vont diriger les SI pendant soixante ans avant que la marchandisation du tourisme et
des loisirs ne fasse la part belle aux professionnels du tourisme.
Illustration 1. Composition des SI
Nom du SI Membres du bureau - leur fonction- leur métier ou position sociale
SI de Nancy et des
Vosges
En 1903
H. Gutton -président- architecte et administrateur du tramway
Ph. Berger - vice-président - conseiller général de Giromagny
A. Parisot - vice-président - administrateur de la société des Thermes de
Plombières
J. Garnier - vice-président - industriel
Perrigot-Masure - secrétaire- président AC Vosgien
SI de Lyon
En 1910
A. Rivoire - président - membre de la chambre de commerce et président
honoraire du syndicat des horticulteurs
A. Millet - vice-président - ancien juge au tribunal de commerce
F. Quinnon - vice-président - délégué au TCF
SI de Bollène
En 1930
E. Gachet - président- …………
L’abbé Clavel -vice-président - religieux
Commandant Dugloud - vice-président - militaire
Escoffier - trésorier - banquier
J. Raoux - secrétaire ou archiviste - artiste
Auriac - secrétaire ou archiviste - imprimeur
SI de Fontainebleau
En 1935
É. Sinturel - président - inspecteur principal (forêt de Fontainebleau)
R. Galant - vice-président - artiste
Capitaine Aubertin - vice-président - militaire
C. Ballen de Guzman - secrétaire - notable équatorien installé à
Fontainebleau
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
22
Illustration 2. Les catégories sociales des membres des SI et leur évolution
5 Ces membres, quelle que soit leur origine sociale, ont de nombreux points communs,
dont leur dynamisme, leur intérêt pour le tourisme, leurs passions culturelles et une
grande capacité d’engagement en faveur de leur territoire. Ensemble, ils participent à
la construction d’une culture commune de référence. L’exemple du SI de Grenoble,
étudié dans la thèse de Bertrand Larique (2006, p. 147), nous éclaire quant au
recrutement des membres du SI et révèle un élargissement du recrutement au début du
XXe siècle. En effet, comme l’illustre le graphique 1, le SI grenoblois recrutait en 1899
principalement au sein de la ville : près de 86 % des membres du SI résidaient en ville,
seules 59 personnes ne provenaient pas de la capitale du Dauphiné. Au début du siècle,
les SI tentent de consolider leur assise régionale en recrutant leurs membres sur un
territoire plus vaste. De fait, en 1910, le SI de Grenoble compte 664 adhérents dont 224
ne résident pas dans la ville mais sont issus d’autres départements comme la Savoie, la
Haute-Savoie, la Drôme et les Hautes-Alpes (cf. graphique 2).
Graphique 1. Composition des SI, l’exemple Grenoblois en 1889
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
23
Graphique 2. Composition des SI, l’exemple Grenoblois en 1910
Affirmation des élites culturelles6
6 Si certains corps de métiers sont très intéressés par les retombées économiques du
tourisme, comme les hôteliers, les restaurateurs ou les commerçants (dont les épiciers,
les cafetiers, les limonadiers ou les boulangers), ce ne sont pourtant pas eux les plus
actifs. En effet, tout comme les grands propriétaires rentiers présents parmi les
pionniers, les professionnels intéressés par le tourisme sont, dans un premier temps,
soit relégués au titre de membres d’honneur, soit fondus dans la masse des adhérents.
Ce sont les élites modernes, comme les avocats, les industriels, les membres des
chambres de commerce ou les publicistes qui semblent devenir les moteurs de cette
association touristique. Cette situation, accentuée par un manque d’engagement de la
part des professionnels du tourisme, est régulièrement critiquée et dénoncée par
l’ensemble des SI alors que ces professionnels sont les premiers bénéficiaires des
retombées. Toutefois, certaines personnalités locales actives marquent les lieux et
contribuent au développement de leur ville. Ce fut le cas d’Henry de Jouvenel, sénateur
de Corrèze (1921 et 1933), animateur des État généraux du tourisme en 1913. Son action
a permis la naissance de plusieurs SI, dont cinq en Corrèze et dix en Dordogne, d’où le
surnom de « champion du tourisme » qui lui est attribué (Manigand, 2000, p. 164). Sur
le long terme, leurs actions parviennent à créer une mise en tourisme efficace du
territoire, justifiant une récompense pour certains membres. Certains se sont vus
attribuer la légion d’honneur, comme Paul Arnal, fondateur du Club Cévenol, qualifié
d’« apôtre du tourisme dans les Cévennes et les Causses » (cf. illustration 3).
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
24
Illustration 3. Paul Arnal, fondateur du club cévenol
Musée des vallées cévenoles, coll. Particulière Catherine Poudevigne
7 Comme l’explique Olivier Poujol, cette récompense, reçue en 1929, est venue célébrer
les mérites de ce passionné, très actif dans la promotion du tourisme français7. D’autres
ont reçu une récompense spécialement pensée et créée par les acteurs du tourisme
français. Entre 1949 et 19638, la croix du mérite touristique a mis à l’honneur l’œuvre de
nombreuses personnalités, grâce à l’initiative de Marcel Bellon9, président du SI du
Queyras. Lui-même a reçu cette décoration en juin 195010. Enfin, certaines villes ont pris
le parti de récompenser ces entrepreneurs du tourisme, qui ont marqué le
développement et la promotion de leur territoire, par l’attribution de leur nom à un
lieu ou un objet. Ce fut le cas à Lyon, où le nom d’Achille Lignon, président d’honneur
et fondateur du SI, fut inséré au cœur de la toponymie de la ville avec la création d’un
quai éponyme11. Ces « entrepreneurs du loisir » (Réau, 2011, p. 17) usent de leur passion
et de leurs réseaux pour compléter et diversifier l’offre touristique.
Des acteurs parfois très influents
8 Parmi les acteurs les plus influents, de par leurs qualités et leurs réseaux, les avocats
ont joué un rôle important dans les débuts des SI, allant jusqu’à s’imposer dans les plus
hautes fonctions ou se faisant les fondateurs de ces associations novatrices. Leurs
intérêts personnels ont rejoint leur passion pour le tourisme, faisant de ces grands
orateurs des acteurs indispensables. Armand Chabrand, président du SI de Grenoble en
1904, illustre la position de ce groupe12. Cet alpiniste chevronné présidait déjà la Société
des touristes en Dauphiné, avant de prendre la direction du SI et était l’auteur de
nombreux ouvrages sur les coutumes dauphinoises et le tourisme et de guides
touristiques. Sans surprise, les médecins jouent également de leur influence, profitant
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
25
de l’engouement pour le thermalisme et œuvrant au développement des stations.
Quant aux milieux journalistiques, présents et impliqués, ils n’ont cessé de s’imposer.
Rédacteurs en chef, journalistes et publicistes veillent à la promotion touristique de
leur ville, comme le fit Léon Goulette à Nancy. Journaliste de L’Est Républicain et
fondateur du SI de Nancy et des Vosges en septembre 1903, il a contribué au
développement du thermalisme vosgien, devenant un acteur indispensable du
développement économique, culturel et touristique de la région (Roth, 2004).
9
Bien que pionniers en matière de tourisme, les SI n’ont pas non plus été à contre-
courant de leur époque. Les femmes n’y ont pas de réelle place, si ce n’est comme
accompagnatrices de leurs maris. Contrairement à certaines associations
professionnelles et caritatives qui, dès la fin du XIXe siècle, offrent aux femmes uneidentité publique alors qu’elles sont exclues des
suffrages, tel n’est pas le cas des SI (Fraisse et Perrot, 2002). Au sein de notre corpus de
documents, seules deux femmes atteignent des postes élevés : Jane Raoux au SI de
Bollène dans les années 1930 et la comtesse d’Agay à la tête du SI d’Agay. La première,
artiste peintre et fille du maréchal forgeron, est mentionnée régulièrement comme
secrétaire adjointe ou archiviste jusqu’en 194613. Cette année-là, elle préside les
réunions du conseil d’administration, remplaçant momentanément le président, tout
en étant accompagnée de trois vice-présidents quand habituellement un ou deux
suffisent. La seconde, sœur d’Antoine de Saint-Exupéry, lutte sans relâche en 1949
contre le SI de Saint-Raphaël qui veut absorber celui d’Agay, jugé trop proche et
contreproductif au sein de la politique touristique locale14. En général, les femmes sont
plutôt mentionnées comme personnel d’accueil, comme c’est le cas pour le SI
d’Albertville en 192415. La plupart se perdent dans la masse des adhérents, seule une
présence figurative leur est proposée. Elles reçoivent des présents et font des visites
touristiques programmées lors des déplacements, pendant que leurs homologues
masculins discutent autour de la table. Néanmoins, la situation progresse peu à peu et
certaines deviennent déléguées du SI, comme le montre l’exemple du SI du Queyras en
1955 où quatre des cinq délégués qui œuvrent dans les territoires voisins sont des
femmes, notamment à Nice, Lyon et Toulon16. Par ailleurs, certaines sont récompensées
pour leur action en faveur du tourisme au même titre que leurs collègues masculins. Ce
fut le cas pour Odette Chevalier dont les trente années au service de la fédération de
Franche-Comté-Jura furent célébrées par l’attribution de la croix de chevalier du
mérite touristique17. Toutefois, dans les années 1960, il semble que les femmes œuvrant
à des postes élevés demeurent des exceptions ; elles sont plutôt cantonnées au rôle
d’hôtesse au sein des bureaux, comme à Grenoble où les robes bleues sont devenues
leur signe distinctif18.
II. Naissance d’une passion19, prémices d’uneprofession
Un groupe qui partage les mêmes objectifs
10 S’il existe, à la fin du XIXe siècle, des syndicats professionnels ou des associations
spécialisées dans un domaine œuvrant à la défense d’un métier ou d’un terroir, la
naissance des SI relève d’un tout autre objectif. Fondés sur le modèle des sociétés de
développement suisses, apparues dans les années 1880, les syndicats d’initiative
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
26
entendent rassembler les professionnels et particuliers intéressés par le tourisme,
directement ou indirectement. Ainsi sont nés ces « groupes de citoyens, désintéressés
qui, chacun dans [leur] localité mettent en œuvre, proportionnellement à leurs
ressources, leurs moyens propres à perfectionner les conditions de séjour de leurs
hôtes »20. Unis dans l’effort pour accomplir une œuvre nationale, les membres étaient
emplis d’idéaux et se surnommaient les « apôtres du tourisme », conscients de leur rôle
dans un système touristique fragile21. En effet, l’État se préoccupe peu du tourisme
avant la création de l’Office national du tourisme (1910) et l’intérêt de quelques
personnalités comme Étienne Clémentel, fondateur du groupe du tourisme à la
Chambre des députés en 1912 (Larique, 2007)22. Si, avant la Première Guerre mondiale,
la France se dote au niveau national d’un « tourisme à trois têtes », composé de l’Union
nationale des associations de tourisme (UNAT), de l’Union des fédérations des SI (UFSI)
et de l’Office national du tourisme (ONT), les SI locaux et régionaux sont régulièrement
salués pour leurs actions. Mais il faut attendre 1935 pour voir l’apparition d’un
Commissariat général du tourisme (Larique, 2006) institué dans le cadre de la montée
des périls et de l’instrumentalisation des acteurs du tourisme en faveur de la nation.
Ainsi, si les SI sont « au cœur du système de construction du tourisme », ce sont
également des « institutions difficiles à cerner » (Bertho-Lavenir, 1999, p. 259).
11 Aussi, dans le cadre de la lente reconnaissance des SI et de l’appui fragile dont ils
bénéficient au niveau national, le président du SI est un personnage emblématique,
entrepreneur du tourisme et souvent avant-gardiste, dont la personnalité active
marque la structure et les réseaux auxquels il participe. Décrits la plupart du temps
comme des personnalités souriantes et aimables, le côté provocateur n’est pas non plus
pour déplaire et devient parfois une qualité pour être la figure de proue du SI. Ces
qualités le font réélire notamment lorsque le « courage, l’expérience [et] l’amabilité »23
sont présents, parce qu’un bon président est un homme qui reste longtemps à la tête de
son syndicat et qui en marque l’esprit général. D’ailleurs, les plus influents au sein des
réseaux touristiques cumulent de nombreuses fonctions sur plusieurs années, leur
permettant une visibilité touristique d’un point de vue économique, culturel et
territorial. Le cas de Maître Louis Porte illustre cette influence, tant au sein du SI de
Grenoble, qu’il administre pendant vingt ans avant d’en être le président, qu’au sein
d’autres organismes tels que le comité d’organisation des JO d’hiver de 1968, les Amis
de l’université de Grenoble ou la Société dauphinoise de secours de montagne
(cf. tableau 1).
Tableau 1. L’influence des présidents des SI
Nom SI Éléments biographiques
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
27
Maître Louis
Porte
(décédé en
1965)
Élu en 1951
Réélu en 1960
et 1964
Grenoble
avocat à la cour d’appel de Grenoble
administre le SI pendant vingt ans avant d’accéder à la
présidence
administrateur du comité d’organisation des JO d’hiver
(1968)
président de la Société dauphinoise de secours de
montagne
membre de l’administration des Amis de l’université de
Grenoble.
officier du mérite touristique, de la légion d’honneur et du
mérite national
Chevalier des Palmes académiques et décoré de la croix de
guerre (14-18)
Pierre
Gravier
Élu en 1934
Réélu en 1944
Briançonnais-
Pelvoux
fondateur et président du club de hockey de Briançon
(1934).
président du comité du tourisme départemental des
Hautes-Alpes
membre du Comité régional du tourisme de Grenoble
président de l’office de tourisme des Hautes-Alpes (Gap) en
1954
vice-président de la chambre de commerce de Gap (1954)
président du syndicat des hôteliers de Cannes et membre
de l’administration du SI de Cannes
Jean Durand
En place de
1947 à 1949
Nîmes
s’occupe du SI de Nîmes depuis 1920 (secrétaire général
pendant quinze ans)
cumule les vice-présidences du Club Cévenol, du comité
des fêtes de Nîmes et de la fédération des SI de Provence
préside l’union départementale des SI du Gard
membre du CRT de Marseille
Partage et création d’une culture commune
12 Les membres du bureau du SI sont ceux qui, avec le président, œuvrent le plus à la
promotion de leur structure et de sa politique touristique. Leur étude permet de
comprendre le degré de mobilisation des intellectuels présents dans les SI, leurs
prédilections et les répercussions tant sur le territoire que sur la société locale. Ils
placent peu à peu le loisir au centre de leurs préoccupations individuelles dans l’intérêt
de la société (Corbin, 1995). En effet, ces personnalités locales sont animées d’une
passion pour leur territoire, sa promotion et le développement touristique bien avant
que les notions de vacances et de loisirs et que la propagande touristique ne soient
intégrées au quotidien des Français. Il semble qu’un fort sentiment patriotique soit
partagé par ces notabilités culturelles et rejaillisse, par leurs actions, sur l’identité de
leur territoire (Goujon, 1989). En effet, certains perçoivent leur engagement au sein du
SI comme un acte patriotique, finalement peu éloigné de l’engagement militaire, voire
comme le prolongement d’un tel engagement. Ainsi, il n’est pas étonnant d’y retrouver
d’anciens combattants ou des militaires de carrière, comme le commandant Alfred
Trouillet à Bollène24. Engagé volontaire depuis ses 18 ans, il a participé aux deux
conflits mondiaux et obtenu la croix de guerre à deux reprises ; il s’est intéressé au SI
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
28
de sa ville dès 1939. Si cette couverture était idéale en temps de guerre pour superviser
certains actes de résistance, le commandant a poursuivi son engagement civique et
culturel au sein du SI en le présidant à partir de 1946. Les membres des SI œuvrent
inlassablement à la conservation et à la promotion de l’héritage historique de leur
territoire local, établissant dès que possible des parallèles avec l’histoire nationale,
inaugurant des musées comme celui de l’archerie à Crépy-en-Valois, instaurant des
festivités comme la foire de Dijon, apposant des plaques commémoratives ou
organisant des conférences sur le tourisme régional, accompagnées de films et de
causeries à destination des élites locales. Ainsi, patrimoines matériel et immatériel sont
à l’honneur dans la politique des SI, socle solide illustré par l’émergence du patrimoine
gastronomique par exemple, où repas de célébration, apéritifs et congrès
commémorent les spécialités culinaires locales, forgeant la réputation des terroirs
gastronomiques français.
13 Cette implication dans la défense, la préservation et la promotion du patrimoine local,
et sa concrétisation par des rendez-vous touristiques, est le résultat d’une passion
dévorante de ces élites culturelles pour leur territoire et la Culture. Chacun met ainsi
ses expériences et ses compétences au service de la promotion publicitaire du
territoire. C’est le cas de Paul Ruat et de Paul Testartqui, avec leurs cartes postales, se
font les vecteurs des symboles provençaux pour le premier et de la modernisation du
territoire d’Épinal pour le second. D’autres mettent leur plume au service des SI,
comme Auguste Giry, journaliste et membre du SI de Provence, auteur d’un rapport
détaillé intitulé Du SI de Provence : l’action des SI (1917) et de plusieurs écrits sur l’identité
provençale25. Passionnées par la culture et l’histoire de leur localité, ces personnalités
se donnent les moyens de la faire connaître à travers les guides locaux ou les journaux
qu’ils créent parfois spécialement dans ce but. Ce fut le cas d’Octave-Louis Aubert,
fondateur du SI de Saint-Brieuc en 1907 et délégué de la fédération des SI de Bretagne26.
Jusqu’en 1949, ce publiciste, éditeur et historien s’est impliqué dans la promotion de ce
territoire, célébré par une multitude d’initiatives dont la création de la revue Bretagne
touristique (1922-1939) (Pallier, 1996). Enfin, la valorisation de leur territoire et de son
identité est également visible à travers certains événements dont les exemples sont
nombreux : de Jules Lafon et la Paulée de Meursault à Jean Héritier et le salon
international des santons en Arles, organisé dès 1958 et encore célébré de nos jours. Les
personnalités les plus dynamiques au sein des SI montrent donc un attachement
particulier à leur ville et aux territoires alentours. Ils se reconnaissent à leur position
sociale élevée, à la reconnaissance qui les entoure de par leurs actions et à leur
implication, ainsi qu’à leur place au sein des réseaux culturels et touristiques – même si
ceux-ci s’entrecroisent de plus en plus. De fait, ces élites culturelles renforcent l’image
du tourisme et de ses enjeux, faisant de ce domaine un impératif économique et
culturel pour chaque territoire en voie de développement.
Disparaître pour perdurer
14 Malgré leurs difficultés quotidiennes, les SI ont perduré pendant quatre-vingt ans,
devenant le socle solide et indispensable du tourisme français. Toutefois, dès 1965, dans
un bilan général, le constat est sans appel et annonce la disparition progressive des SI :
« Le temps des bénévoles est révolu, celui des mécènes aussi »27. Les SI ont
régulièrement réfléchi à de possibles alternatives afin de s’autofinancer, avançant
l’idée d’équité afin que chaque acteur touristique cotise proportionnellement à ses
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
29
intérêts, comme le suggérait Pierre Defert, ou la mise en place d’une taxe sur les plus-
values touristiques évoquée par le Docteur Maulini28. Néanmoins, ces propositions sont
restées incomprises et les SI, déjà fragiles, se sont progressivement essoufflés. L’idéal
aurait été d’intégrer le budget des SI au futur plan économique de l’État comme au sein
du budget communal, mais le statut d’origine des SI rendait impossible cette solution.
15 D’où l’apparition des conventions, sortes de contrats passés entre les municipalités et
leur SI, formalisant une situation déjà existante. Dès lors, le SI recevait un financement
municipal fixe et régulier pour les frais de chauffage, d’éclairage, de poste et le salaire
des personnels. En contrepartie, le SI s’accommodait d’une perte d’autonomie et
effectuait une mission de service public, à sa seule charge financière. Par conséquent, le
fonctionnement du syndicat évolue puisqu’il doit désormais rendre des comptes, ce qui
va à l’encontre de ses principes originels, créant des tensions et des déceptions. Dès
lors, par exemple, « le SI s’engage à soumettre à l’agrément du maire des candidats à la
fonction de directeur, en cas de nécessité de pourvoir à cet emploi », transformant peu
à peu le SI en organisme municipal29.
III. Évolutions du tourisme et des territoires, le rôle desélites culturelles
Développer les espaces et les temps culturels dans la ville
16 La multiplication des compétences dévolues aux SI leur a permis d’élaborer une offre
culturelle étendue. Ils ont contribué à la création de lieux culturels renommés, par
simple proposition ou par financement, comme des musées ou des théâtres. Ce fut le
cas à Marseille où le futur fondateur de l’office du tourisme, Marius Dubois, est
également l’un des acteurs ayant œuvré à la création d’un bâtiment au parc Chanot
transformé à son initiative en Musée du Vieux-Marseille30. De même, ce personnage
public est à l’initiative de plusieurs événements de grande ampleur, comme la
célébration du 25e centenaire de la ville en 1899, l’Exposition coloniale de 1906 ou celle
de l’électricité de 1908. L’ensemble des SI, puis des offices du tourisme, proposent,
organisent et exposent l’identité de leur territoire lors d’événements culturels
spécifiques, comme les salons et les festivals, dont la renommée s’inscrit durablement
dans l’identité urbaine, profitant à la fois aux touristes et aux habitants. Cette
implication culturelle au sein de l’espace urbain s’inscrit dans un objectif plus général,
celui de développer cet espace pour le rendre plus accessible et plus lisible, pour ainsi
améliorer le tourisme. D’où la contribution de certains architectes aux SI, pour qui la
modernité passe par une transformation de l’espace urbain. Henri Gutton, à Nancy, a
mis cette idée en pratique à travers sa participation à l’embellissement et au
développement de la cité durant sa présidence du SI dès 1903, avec son engagement en
faveur de l’Art nouveau et du tramway31. Il a ainsi contribué à moderniser les
transports à Nancy et dans les Vosges par le développement des réseaux.
17 La Seconde Guerre mondiale et la période de reconstruction qui s’ensuit accélèrent cet
engagement urbain pris par les SI. En effet, tout en souhaitant redémarrer l’activité
touristique de leur ville et proposer une nouvelle offre en relation avec le tourisme de
masse qui se profile dans les années 1950, ces structures poursuivent dans un premier
temps leur engagement patriotique. Ainsi, avant même la fin du conflit, certains SI se
penchent sur l’élaboration d’un nouveau plan d’urbanisme pour leur cité, comme ce fut
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
30
le cas à Bollène. Dès 1941, le SI élabore des plans pour sa ville, notamment pour le
square de la place de la bascule, répondant à la demande faite par la mairie32. Ces
démarches urbanistiques se poursuivent après la guerre, avec des propositions pour
conserver l’église du pont et assainir certains quartiers de la ville, dont celui du Puy33.
Les SI repositionnent aussi leur local au cœur de l’espace touristique de la ville, veillant
à ce qu’une meilleure accessibilité puisse faire converger les touristes jusqu’à ce point.
Le développement du réseau routier, dans son ensemble, en offrant une meilleure
accessibilité, incite les acteurs locaux à moderniser leur politique touristique, à
améliorer la préservation et la mise en valeur de leurs monuments historiques (Rauch,
2001). Cela engendre parfois de vives tensions, comme à Bollène pour la préservation
de la statue de Pasteur créée par Félix Charpentier34. Enfin, les SI insistent sur
l’importance d’une politique d’hygiène efficace, accompagnée de l’embellissement des
entrées de ville, premier espace visible par les visiteurs. Toutefois, ces nombreuses
missions ont été reprises par les municipalités qui ont par la suite souhaité les déléguer
aux nouveaux OT, sous leur direction, dans les années 1960-1970.
Le tourisme, une passion en devenir
18 Le socle solide sur lequel repose l’activité touristique, en France, est fondé sur une prise
de conscience essentielle de la part des acteurs les plus haut placés. Dès la fin du XIXe
siècle, et ce malgré l’absence d’une organisation nationale des SI, ces associations ont
tissé de solides réseaux touristiques, entre eux ainsi qu’avec toutes les organisations
publiques ou privées intéressées par le tourisme, comme les chambres d’industrie ou
les compagnies de cars ainsi que les associations de tourisme comme le Touring Club de
France (TCF) ou l’Automobile Club de France (ACF) (Bertho-Lavenir, 1999). Il s’agissait
d’établir un esprit de solidarité, sorte de « loyale camaraderie »35 dont Léon Auscher et
Edmond Chaix se faisaient les promoteurs. On retrouvait d’ailleurs l’ensemble de ces
organismes au sein du local du SI, sorte d’espace centralisateur. Par son action, le TCF a
d’ailleurs contribué au développement des SI en leur donnant « un élan nouveau »
(Bertho-Lavenir, 1996, p. 59), en fédérant les initiatives des élites intellectuelles et
sociales locales. Les liens entretenus avec les SI entrent dans la stratégie mise en place
par le TCF pour « développer le tourisme sous toutes ses formes » tout en obtenant une
reconnaissance officielle pour ses actions (Réau, 2011, p. 34).
19 Le cumul des fonctions des présidents et des membres du bureau de chaque SI illustre
également cette volonté de consolider les réseaux. Ce cumul des fonctions était alors
conçu comme une façon de garantir une meilleure continuité des politiques. Le
président du SI de Vichy, Robert Mathieu36, qui a cumulé les présidences du syndicat
des hôteliers (1945) et de la fédération hôtelière de l’Allier (1945), en est un exemple. De
même, en 1965, il fut à la fois membre du conseil municipal et du comité des fêtes.
Toutefois, si le rôle de certains présidents dans les grandes instances touristiques n’est
plus à démontrer, offrant au SI une influence locale et nationale, il est vrai que cette
stratégie a ralenti l’évolution des politiques touristiques ainsi que le renouvellement
des acteurs. Néanmoins, dès 1945, le Dr. Meillon, dans son rapport sur les SI, rappelle
que le tourisme est « l’œuvre assidue et souvent courageuse de tous nos groupements
réunis en un faisceau solidaire autour des dirigeants des SI, de leurs fédérations et de
l’union nationale de ces fédérations. »37 Ainsi, malgré leurs difficultés, leurs limites et
leurs échecs, les actions lancées par les SI, souvent novatrices, sont progressivement
reconnues.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
31
Développer les pratiques touristiques
20 Connaissant les besoins spécifiques du tourisme local, les SI se sont parfois illustrés
dans la création de nouveaux métiers et de nouvelles pratiques. C’est par exemple le cas
du développement du tourisme hivernal et de l’espace montagnard, avec la création du
métier de moniteur de ski. Le développement de la station Val d’Isère en offre
l’exemple avec la création d’une école de ski (1934-1935). Grâce à Charles Diébold, les
moniteurs de ski ont pu être formés afin de sécuriser ce sport (Travers, 2003). Cette
personnalité a d’ailleurs poursuivi son initiative au sein du comité régional de Savoie
qui, dès 1948, allie les personnalités des SI et des OT locaux afin d’élaborer une
politique touristique des sommets plus cohérente38. On retrouve des initiatives
semblables du côté de l’espace rural, nouveau territoire à conquérir pour dynamiser le
tissu économique local. Ici, ce sont les Logis et les Gîtes ruraux qui héritent de
l’engagement des SI. En effet, Raymond Julien-Pagès, président de l’office du tourisme
du Puy et du SI de Velay, eut l’idée de rassembler les hôteliers et les restaurateurs
passionnés par l’accueil afin de proposer une offre de logement nouvelle39. Ainsi est né
l’hôtel Mistou à Potempeyrat (Haute-Loire) en 1948, en parallèle de la naissance des
Logis de France, conférant une réputation nouvelle et confirmée à ces professionnels
du tourisme. Le succès de ces nouvelles formules se confirment dans les années 1950,
lorsque les vacances sont davantage prévues et organisées (Rauch, 2001).
Professionnaliser leurs actions : la naissance des écoles detourisme
21 Si les SI ne sont pas, à eux seuls, à l’origine des écoles d’hôtellerie et de tourisme, ils
s’en sont fait les promoteurs. La première école de tourisme est née à Lausanne en 1893
et a, semble-t-il, servi de modèle pour l’école hôtelière de Paris. Les SI voient dans ces
établissements une opportunité de développer le tourisme, en ayant la garantie
d’obtenir un personnel de qualité. En France, la première école ouvre à Thonon-les-
Bains, où le thermalisme réclame un personnel qualifié. La deuxième école française
date de 1914 : c’est l’école de commerce et d’industrie hôtelière inaugurée à Nice en
1916 au sein de la Villa Guiglia40 (Bottaro, 2013) ( cf. illustration 4). À travers cette
institution, les acteurs touristiques, privés et publics, œuvrent ensemble à l’élaboration
d’une formation complète destinée à créer de nouveaux métiers touristiques ou à
appuyer les compétences d’activités existantes. Centré sur la pratique hôtelière,
l’enseignement comporte d’autres matières, comme la culture générale ou la
sténodactylographie, auxquelles s’ajoutent à partir des années 1920 la géographie
touristique, l’industrie régionale ou les ateliers-écoles, favorisés par la loi Walter-Paulin
de 1937 sur l’apprentissage artisanal (cf. illustration 5). Ce n’est qu’en 1937 que la
section tourisme est mise en place, avant sa rapide disparition en 1939, permettant
toutefois de se former au métier de guide-interprète. À sa réouverture en 1943, sur
l’initiative de personnalités locales comme Ferdinand H. Pons (président du SI de
Cannes), la gestion de l’école est confiée à un conseil d’administration dans lequel les
membres de SI siègent aux côtés des délégués de la chambre de commerce et de
l’hôtellerie. Les SI accueillent avec satisfaction l’apparition d’une formation
professionnelle des membres de leur bureaux de renseignement qui, après deux années
d’études, obtiennent le titre « d’agent du tourisme ». La professionnalisation du
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
32
tourisme en France, malgré des débuts timides, se confirme dans les années 1950 grâce
au soutien du Commissariat général du tourisme. Le développement et la renommée
des écoles hôtelières et du centre national d’enseignement touristique sont ainsi
assurés, bien que les écoles de Paris, Strasbourg, Thonon-les-Bains, Grenoble, Nice,
Clermont-Ferrand et Toulouse existaient déjà. Les acteurs nationaux ont ainsi poursuivi
un mouvement de professionnalisation soutenu depuis longtemps par les acteurs
locaux.
Illustration 4. École de commerce et d’industrie hôtelière de Nice
Photographie de l’École de commerce et d’industrie hôtelière niçoise, rue France, vers 1916, prêtée parAlain Callais et le CEHTAM.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
33
Illustration 5. Enseignements à l’école de commerce niçoise
Photographie des premiers cours dispensés à l’école de commerce et d’industrie hôtelière niçoise,vers 1920, prêtée par Alain Callais et le CEHTAM.
Conclusion
Sans compter, tous les dirigeants des SI ont payé de leur temps, de leur intelligence,d’un labeur souvent acharné et qui n’allait pas sans de lourds sacrifices pour leursintérêts particuliers [...].Dr Meillon41
22 Au sein des sources mobilisées – des récits aux hommages en passant par les articles de
journaux –, tous s’accordent sur la passion qui animait les administrateurs des
syndicats d’initiative ; un sentiment qui s’exprimait envers le tourisme mais également
de leur « petite patrie ». Ces hommes, confiants tant dans leur héritage que dans leur
avenir, qualifiés d’« amis des belles choses » ou d’« amoureux de leur ville », formaient
une communauté intéressée par le tourisme, vaste et disparate. Percevant l’importance
de l’enjeu culturel pour l’avenir du tourisme et de l’économie française, ces
« entrepreneurs du dépaysement » (Andrieux et Harismendy, 2011, p. 12) en ont fait un
moteur de l’industrie touristique et ont ainsi créé une « culture touristique » (Guillet,
2011, p. 97).
23 Par leurs initiatives, les SI ont en effet fait prendre conscience aux autorités de
l’importance de l’échelon local, ils ont tissé des réseaux touristiques à divers échelons
et se sont impliqués dans le développement des politiques festives, hygiéniques ou
d’embellissement de leur ville. S’agissant de l’activité touristique, ils ont contribué à
révéler les enjeux de cette activité économique, ses différentes possibilités à travers les
diverses pratiques possibles, ainsi que l’intérêt à créer des structures comme les Logis,
les écoles de ski ou les maisons culturelles. De même, les SI ont contribué à répondre
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
34
aux besoins de nombreux territoires en étudiant les tendances touristiques et ont créé
de nouveaux métiers, comme celui de moniteur de ski, bien qu’ils aient aussi renforcé
par ce biais la saisonnalité de ces nouveaux emplois.
24 Toutefois, comme le dit Philippe Violier, « la mutation d’un système à l’autre ne se
produit pas à un moment bien identifié, voire à une date précise, mais se comprend par
la mise en relation des faits dont les significations s’éclairent les unes les autres »
(Violier, 2016). Si l’industrie du tourisme s’est construite sur un temps long, fait de
modernisations techniques, d’évolution des représentations, de nouveaux désirs
d’évasion, d’échanges culturels, il ne faut pas oublier le rôle des acteurs touristiques
locaux qui ont œuvré à la cohérence de l’ensemble. Ainsi, en quatre-vingt ans
d’existence, les SI ont permis le maintien d’un tissu économique local dynamique grâce
au renforcement de l’identité territoriale, la création d’une réputation touristique et
une meilleure accessibilité territoriale. Leur dynamisme publicitaire a également
permis le développement des logos touristiques, dont les marques de territoire
semblent aujourd’hui les héritières. Enfin, comprenant les nouveaux enjeux liés à la
modernité, les SI ont très tôt soutenu la création des écoles de tourisme, favorisant la
professionnalisation du tourisme. En retour, cette mobilisation économique, culturelle
et touristique a fédéré les initiatives en faveur d’un territoire et de son identité,
permettant leur appropriation tant par les habitants que par les touristes.
25 La professionnalisation des SI, devenus OT, est marquée par le tissage de réseaux
solides, ce qui n’est pas sans rappeler d’autres entreprises comme celle des nageurs du
Racing Club (Réau, 2011). En cherchant à améliorer les structures locales pour accueillir
les touristes, à valoriser l’apport culturel du territoire à partir de leur propre héritage
et à utiliser « le voyage pour exister professionnellement » (Réau, 2011, p. 223), les SI
ont renforcé leur légitimité par leur professionnalisation mais ont également contribué
à élargir les compétences et les métiers de l’industrie touristique en influençant à leur
tour la professionnalisation des enseignements supérieurs par l’intégration des études
touristiques dans les années 197042. Aujourd’hui, les OT, à la suite des syndicats,
deviennent à la fois les artisans et les victimes de cette « troisième révolution
touristique » (Violier, 2016), dont la recomposition des acteurs, l’émergence de
nouveaux désirs, le renouvellement du public et l’apparition de nouveaux outils
mériteraient une nouvelle étude.
BIBLIOGRAPHIE
Jean-Yves ANDRIEUX et Patrick HARISMENDY (dir.), Initiateurs et entrepreneurs du tourisme (1850-1950),
PUR, 2011.
Catherine BERTHO-LAVENIR, La roue et le stylo, Odile Jacob, 1999.
Catherine BERTHO-LAVENIR, « Le TCF et la politique de protection des sites au début du siècle dans
le Morbihan », dans Nathalie RICHARD et Yveline PALLIER (dir.), Cent ans de tourisme en Bretagne
(1840-1940), Apogée, 1996.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
35
Alain BOTTARO, « L’évolution de l’enseignement hôtelier, l’exemple niçois (1914-1950) », Recherches
régionales, n° 203, 2013 [https://www.departement06.fr/documents/Import/decouvrir-les-am/
recherchesregionales203 _14.pdf].
Alain CORBIN, L’avènement des loisirs (1850-1960), coll. « Champs Histoire », Flammarion, 1995.
Geneviève FRAISSE et Michelle PERROT (dir)., Tome IV : le XIXe siècle, dans Georges DUBY et Michelle
PERROT (dir.), Histoires des femmes en Occident, coll. « Tempus », Académique Perrin Éditions, 2002.
Franck, « Achille Lignon », Rues de Lyon, 2016 [https://www.ruesdelyon.net/allee/724-allee-
achille-lignon.html].
Paul GOUJON, Cent ans de tourisme en France, Le Cherche Midi, 1989.
François GUILLET, « La construction de la Normandie en tant qu’objet touristique pendant la
première moitié du XIXe siècle », dans Jean-Yves ANDRIEUX et Patrick HARISMENDY (dir.), Initiateurs et
entrepreneurs du tourisme (1850-1950), PUR, 2011.
Jean-Michel HOERNER et Catherine SICART, La science du tourisme : précis franco-anglais de
tourismologie, Balzac Éditeur, 2003.
Bertrand LARIQUE, « Les débuts et les déboires de l’organisation officielle du tourisme en France :
l’expérience malheureuse de l’Office national du tourisme (1910-1935) », Entreprises et Histoire,
n° 47, 2007.
Bertrand LARIQUE, L’économie du tourisme en France des années 1890 à la veille de la Seconde Guerre
mondiale : organisation et développement d’un secteur socio-économique, thèse d’histoire, Université
Michel de Montaigne-Bordeaux III, 2006.
Stefano LEVATI, « Les notables napoléoniens : du cas français à celui italien », Rives
Méditerranéennes, n° 32-33, 2009 [https://journals.openedition.org/rives/2969].
Christine MANIGAND, Henry de Jouvenel, Presses Universitaires de Limoges, 2000.
Nabila OULEBSIR, « Du voyage pittoresque au tourisme patrimonial : l’action des syndicats
d’initiative nord-africains, ou l’invention d’une Méditerranée moderne », dans Jean-Yves
ANDRIEUX et Patrick HARISMENDY (dir.), Initiateurs et entrepreneurs du tourisme (1850-1950), PUR, 2011.
Yves PALLIER, « Le Breton, le touriste et le pittoresque : la revue Bretagne (1933-1937) de
l’exposition universelle aux musées folkloristes », dans Nathalie RICHARD et Yveline PALLIER (dir.),
Cent ans du tourisme en Bretagne (1840-1940), Apogée, 1996.
Olivier POUJOL, « Une association centenaire : le Club Cévenol », 2012 [www.club.cevenol.org/Fr/
histoire.php].
André RAUCH, Vacances en France de 1830 à nos jours, coll. « Pluriel », Hachette Littératures,
réédition 2001.
Bertrand RÉAU, Les Français et les vacances, CNRS Éditions, 2011.
Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française, T.2, Le Robert, 2012.
François ROTH, Léon Goulette, le premier directeur de l’Est Républicain, 2004 [http://devoo.xyz/
academiestanislas/images/Publications/TomeXVIII/TomeXVIII-Roth.pdf].
Catherine SICART, « Les découvreurs du tourisme aux sources de la réflexion scientifique sur le
tourisme », Les cahiers internationaux du tourisme, n° 1, 2008.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
36
Alice TRAVERS, Politique et représentations de la montagne sous Vichy. La montagne éducatrice
(1940-1944), L’Harmattan, 2003.
Vieux Marseille, « Inauguration de la rue Marius Dubois », actualités du comité du Vieux-
Marseille, [http://comitevieuxmarseille.eklablog.com/inauguration-de-la-rue-marius-dubois-
a5916815].
Philippe VIOLIER, « La troisième révolution touristique », Mondes de tourisme, Hors-série, 2016
[https://journals.openedition.org /tourisme/1256].
NOTES
1. En effet, dès le début du XXe siècle, les études se multiplient, dont celle de Picard (1911) ou de
Stadner (1917), révélant le poids du tourisme sur les économies locales.
2. Cette thèse a été soutenue en 2015 à Paris I sous la direction de Pascal ORY.
3. 364 syndicats d’initiative existent encore aujourd’hui, contre 2 278 OT.
4. Réflexion menée par Jean-Marie MIOSSEC, cité dans J-M HOERNER et C. SICART, La science du
tourisme : précis franco-anglais de tourismologie, Balzac Éditeur, 2003, p. 84.
5. En effet, les sources provenant des SI sont disparates, inégales, parfois inexistantes.
6. Par « élites culturelles » nous entendons l’ensemble des personnalités intéressées par la
culture sous toutes ses formes et dont les réseaux valorisent l’identité du territoire, par la
publicité et l’animation des lieux. Ce groupe n’est pas homogène même si des tendances
émergent à certaines époques (cf. illustration 1).
7. Voir Olivier POUJOL, « Une association centenaire : le Club Cévenol », 2012
[www.club.cevenol.org/Fr/histoire.php]. Paul Arnal (1871-1950), né en Lozère dans une famille
d’artisans boulangers, fut bachelier en théologie puis pasteur à Uzès entre 1910 et 1937. Il a fondé
le Club Cévenol à Florac le 18 septembre 1864.
8. Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ADBDR), 212W50, lettre adressée au
président du SI du Queyras, 14 mai 1949.
9. Marcel Bellon, maire d’Aiguilles-en-Queyras et directeur du SI, a créé cette récompense et l’a
proposée au Commissariat général du tourisme. Cette création a été soutenue par l’un de ses
amis, Maurice Petsche, alors ministre des Finances.
10. ADBDR, 212W50, « Les SI s’adaptent aux exigences modernes du tourisme », coupure de
presse, s.l.n.d.
11. Franck, « Achille Lignon », Rues de Lyon, 2016 [https://www.ruesdelyon.net/allee/724-allee-
achille-lignon.html].
12. Archives départementales d’Isère (ADI), 100M3/2, membres du SI de Grenoble, 1904-1905.
13. Archives municipales de Bollène (AMB), 4R9, délibérations du conseil d’administration du SI,
le 5 juillet 1930.
14. ADBDR, 212W49, lettre adressée au commissaire général du tourisme, 27 juillet 1949.
Malheureusement, nous n’avons pas de plus amples informations sur le SI d’Agay.
15. Brochure touristique sur le SI d’arrondissement d’Albertville envoyée par l’office du tourisme
de la ville.
16. ADBDR, 212W52, assemblée générale du SI du Queyras, 29 août 1955.
17. Archives municipales de Montbéliard (AMMt), 62S2, « Au congrès des SI de Franche-Comté »,
s.l.n.d.
18. ADI, 4332W418, « Bilan de l’action du SI à son assemblée générale », Le Dauphiné Libéré, juin
1961.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
37
19. Le terme est utilisé ici dans le sens employé depuis le XVIIe siècle et qui « désigne une vive
affection que l’on a pour quelque chose » (Rey, 2012). Un sentiment si envahissant qu’il exige un
engagement inconditionnel de la part des membres des SI.
20. ADI, 41J1, M. Perret, secrétaire général du CRT de Grenoble, « L’organisation actuelle du
tourisme en France ou la grande pitié des SI », causerie Radio Alpes-Grenoble, 7 avril 1948 à
19h15.
21. ADI, 153M6, « Les SI, leur situation en 1914 : actuelle et dans l’avenir », bulletin de la
fédération des SI, 1914.
22. Le groupe parlementaire du tourisme est présidé, dès 1913, par Antoine Borrel et ce jusqu’en
1931.
23. Archives municipales de Vichy (AMV), journal La Tribune, le 12 octobre 1964. Ces qualités
expliquent la réélection du président du SI de Vichy, Robert Mathieu.
24. AMB, 4R9, hommage à Alfred Trouillet, s.l.n.d.
25. ADBDR, 212W40, Jacques VARAGE, « Le SI de Provence : une section aixoise », Le Mémorial d’Aix,
1903, n° 92, 66e année.
26. Octave-Louis Aubert était également président de la chambre de commerce et de l’industrie
de Saint-Brieuc.
27. ADI, 4332W418, Henri Morin, Bilan sur le tourisme français, 1965.
28. AMMt, 62S2, Dr Maulini, Première encyclique touristique, 6 octobre 1963.
29. Archives municipales de Tours (AMT), 3R446, convention entre la municipalité et le SI de
Tours, décembre 1966.
30. Vieux Marseille, « Inauguration de la rue Marius Dubois », actualités du comité du Vieux-
Marseille [http://comitevieuxmarseille.eklablog.com/inauguration-de-la-rue-marius-dubois-
a5916815].
31. Archives municipales d’Épinal (AME), 3Rb, liste des membres du SI de Nancy et des Vosges en
1903.
32. AMB, 4R9, lettre du président du SI adressée au maire, 23 octobre 1941 ; rapport du SI de
Bollène, 1941, par le Commandant Trouillet et Jane Raoux.
33. AMB, 4R9, assemblée générale du SI, 1950.
34. AMB, 4R9, compte-rendu du conseil d’administration des SI du Vaucluse, n.d.
35. Archives nationales (AN), F12 12279, A-E Meillon, « L’œuvre des SI "ESSI" », s.l.n.d.
36. Archives municipales de Vichy (AMV), coupures de presse du journal La Montagne entre 1955
et 1965.
37. AN, F12 12279, A-E Meillon, « L’œuvre des SI "ESSI" », s.l.n.d. A-E Meillon est à l’époque le
président de la Confédération pyrénéenne touristique, thermale et climatique.
38. Les initiatives sont proposées et explorées par Edmond Desailloud et Pierre Fallion aux côtés
de Charles Diébold.
39. AMV, « La volonté de la fédération des SI d’Auvergne en faveur de l’expansion touristique de
la région », La Tribune, 1963.
40. La villa Guiglia, qui abritait autrefois l’école de commerce et d’industrie hôtelière de Nice,
héberge de nos jours le Centre universitaire méditerranéen.
41. AN, F12 12279, A-E Meillon, « L’œuvre des SI "ESSI" », s.l.n.d.
42. Voir le travail mené par Hugues SERAPHIN, L’enseignement du tourisme en France et au Royaume-
Uni. Histoire. Comparaisons, analyses et perspectives, coll. « Touristica Nova », éditions Publibook,
2012.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
38
RÉSUMÉS
En France, les réseaux touristiques ont été formés par l’action dynamique des associations
touristiques, dont les syndicats d’initiative (SI) font partie. Ces structures locales, regroupant
toutes les professions intéressées par le tourisme, sont issues d’une démarche novatrice apparue
en 1889 à Grenoble, avec la naissance du premier syndicat d’initiative français. Destinés à
l’accueil et au renseignement des touristes, les SI accomplissent également une mise en valeur
touristique de leur territoire. Cependant, ces associations ont souffert d’un manque de
reconnaissance et de difficultés quotidiennes qui nous poussent à nous interroger sur leur
longévité. En effet, les SI ont vécu pendant quatre-vingt ans, considérés tantôt comme la base du
tourisme réceptif, tantôt comme des « agence de marketing » (Oulebsir, 2011, p. 127), mais dont
l’essentiel des actions au sein des réseaux touristiques reste méconnu. Il s’agit, ici, d’étudier
l’histoire de ces SI à travers l’engagement de leurs bénévoles, passionnés tant par leur ville, leur
région que leur patrie. En nous appuyant sur les sources émises par ces différents SI, bien que
notre recherche ne soit pas exhaustive, nous souhaitons dresser le portrait de ce « monde
multiforme » (Levati, 2009) qui place le tourisme au cœur de ses préoccupations. Les passions et
les convictions personnelles engendrent une mobilisation active en faveur du territoire et
aboutissent à la construction d’une culture commune. Les SI deviennent ainsi un outil de
promotion et un symbole d’engagement, se faisant à la fois le réceptacle et l’émetteur de
l’identité culturelle du territoire. Ces élites engagées ont perçu l’enjeu culturel, en ont fait un
moteur de l’industrie touristique et ont ainsi créé une « culture touristique » (Guillet, 2011, p. 97).
Aussi, à travers l’histoire de ces structures, des années 1900 à 1970, nous souhaitons montrer à
quel point les SI ont été la cheville ouvrière, fragile mais pérenne, du tourisme français grâce à
leurs membres, acteurs omniprésents au sein des réseaux touristiques français.
In France, tourist networks have been created by the dynamic action of tourist associations, of
which tourist offices (syndicats d’initiative, SI) are part. These local structures, bringing together
all professions interested by the tourism, come from an innovative approach that appeared in
1889 in Grenoble, with the birth of the first French tourist office (SI). Intended for the reception
and information of tourists, the SI also carry out the touristic development of their territory.
However, these associations lacked recognition and their daily difficulties lead us to wonder
about their longevity. Indeed, the SI have lived for 80 years, considered sometimes as the
foundation of receptive tourism, sometimes as “marketing agency”, but whose essential actions
within tourist networks remain unknown. Here, it is a question of studying the history of these SI
through the commitment of their volunteers, passionate about their city; their region and their
homeland. Although our research is not exhaustive, we wish to draw a portrait of this
“multifaceted world” which places tourism at the center of its concerns, by relying on the
sources emitted by these different SI. Passions and personal convictions generate active
mobilization in favor of the territory and lead to the construction of a common culture. French
tourist offices (SI) thus become a promotional tool and a symbol of commitment, being both the
receptacle and the transmitter of the territory’s cultural identity. These elites perceived the
cultural issue, made it a driving force in the tourism industry, and thus created a “tourism
culture”. Also, throughout the history of these structures, between the years 1900 to 1970, we
wish to show how much the SI were the backbone, fragile but lasting, of French tourism, thanks
to their members, who were ubiquitous actors within French touristic networks.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
39
INDEX
Mots-clés : tourisme, syndicats d’initiative, identité, entrepreneurs, histoire culturelle
Keywords : tourism, French tourist office, identity, cultural studies
AUTEUR
JULIE MANFREDINI
Docteure en histoire contemporaine
Chercheuse associée à l’EIREST
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
40
Le cadre juridique de travail desemployés de service du secteur de larestauration. La question spécifiquedu salaireThe legal framework of work for service employees in the catering sector. The
specific question of wages
Louis Jolin
Introduction
La croissance touristique mondiale met une pression sur l’offre touristique qui àson tour met de la pression sur la demande en main-d’œuvre. Cette même main-d’œuvre est également sollicitée par d’autres secteurs d’activité, souvent plusattrayants pour l’employé. Quelles sont les nouvelles stratégies utilisées par lesentreprises touristiques pour accéder à de nouveaux bassins de travailleurs et pourretenir ces derniers ?1
1 Avant même d’aborder les stratégies à mettre en place par les entreprises touristiques,
il importe de considérer le cadre juridique, qui facilite ou non le recrutement des
travailleurs de service dans les restaurants. Ce cadre juridique, au Québec, est celui
établi principalement par la Loi sur les normes de travail (RLRQ, c. N-1.10), modifiée en
juin 2018 par la LQ 2018 c.21., mais aussi par le Code du travail (RLRQ, c. C-27) pour les
salariés syndiqués ou en voie de l’être.
2 Le présent texte porte donc sur les principales dispositions touchant le salaire
découlant de la loi sur les normes du travail au Québec et analyse les évolutions en
cours et les modifications possibles. De manière sommaire, un parallèle sera fait avec le
cadre juridique français pour mieux comprendre les spécificités de la législation
québécoise en offrant un éclairage comparatif
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
41
3 Le même exercice pourrait toucher les dispositions relatives au processus d’embauche,
au contrat de travail, aux congés payés, aux vacances, à la conciliation famille-travail, à
la langue de travail, aux impôts à payer…
4 Mais vu les limites imposées pour notre exposé, nous nous contenterons de la
rémunération des salariés, en questionnant son impact sur la rétention ou le
recrutement des employés de service dans les restaurants ou les établissements
d’hébergement et, plus globalement, sur l’image même du tourisme québécois.
1. Le paradigme de recherche
5 Le paradigme de recherche est celui du droit comme phénomène social, « qui
s’intéresse à l’origine des normes, aux facteurs sociaux qui le conditionnent, au droit
comme effet et reflet de la société » (Jolin, 2012, p. 209). S’il est vrai, selon ce paradigme
de recherche, que le droit ne doit pas être étudié en soi de manière exclusive – ce qui
est le cas avec le positivisme juridique (Kelsen, 1962 ; Tropper, 1994) – mais comme
produit des transformations extérieures, il doit aussi être abordé comme producteur de
transformation dans la société (Binet, 1990 ; Cubertafond, 1999). C’est en ce sens qu’on
peut considérer le cadre juridique du travail comme un élément déterminant pour
accéder à de nouveaux bassins de travailleurs ou du moins pour retenir ceux qui sont
en place.
6 Dans sa thèse de doctorat portant sur les systèmes juridiques de détermination des
salaires, le juriste réputé en droit du travail au Québec, René Laperrière (1972, tome 1,
p. 2), affirmait ce qui suit :
[…] si l’on entend donner au droit un rôle social et en faire un instrumentdynamique au service de l’économie, il faut dépasser l’interprétation des lois pourconfronter celles-ci au contexte socioéconomique auquel elles s’appliquent ; quelleest la fonction de la loi, de quelle manière affecte-t-elle la réalité des dimensionséconomiques, la réalité des décisions économiques et des relations sociales etcomment à son tour est-elle influencée et modelée par la dynamique de cetteréalité ?
7 Faut-il maintenir certaines dispositions législatives ou réglementaires, faut-il les
changer si le contexte socioéconomique évolue ?
8 Dans un contexte de relatif plein emploi au Québec, on assiste actuellement à un réel
problème de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre dans l’industrie
touristique et hôtelière2. Le tourisme national et international est en constante
progression, mais on constate une forte concurrence sur les produits et les prix selon
les marchés réels et potentiels. Les gouvernements sont appelés à intervenir pour
stimuler l’économie touristique, tout en se souciant à la fois des consommateurs et des
employés du secteur.
9 Pour ces derniers, le droit du travail est sollicité avec ses spécificités nationales car les
systèmes nationaux sont différents d’un pays à l’autre (p. ex. France/Canada-Québec).
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
42
2. De quelques différences et ressemblances entre ledroit du travail au Québec et en France
10 De manière sommaire, mais significative pour notre propos, retenons les
caractéristiques suivantes au Québec :
Un salaire minimum et des conditions minimales de travail sont assurés pour tous les
salariés québécois en vertu de la Loi sur les normes du travail (sauf pour ceux qui travaillent
dans les entreprises dites de « compétence fédérale », autrement dit dont les objets
ressortent à l’autorité législative fédérale3). Pour les salariés des entreprises de compétence
fédérale, ces normes se retrouvent dans le Code canadien du travail, (LRC [1985], ch. L-2).
Le Code du travail québécois régit principalement le processus de syndicalisation des
travailleurs (unités d’accréditation, négociation des conventions collectives, etc.).
Dans le domaine du tourisme, de la restauration et de l’hôtellerie, il y a peu de travailleurs
syndiqués dans les PME, mais la syndicalisation est largement présente dans les grandes
entreprises hôtelières et de transport, ainsi que dans quelques chaînes de restaurants4.
Les contrats individuels de travail comme les conventions collectives doivent respecter le
minimum prévu à la Loi sur les normes de travail, qui est d’ordre public, mais les contrats et
conventions peuvent contenir des dispositions plus favorables.
La négociation des conventions collectives se fait principalement au plan local par unité
d’accréditation. On trouve donc peu de conventions sectorielles au Québec ; il en existe
cependant dans certains milieux en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective
(LRQ, c. D-2), comme les agents de sécurité, le personnel d’entretien des édifices publics à
Montréal et Québec, les services automobiles, le camionnage, la coiffure en Outaouais… Les
conventions sectorielles dans l’industrie de la construction sont encadrées par la Loi sur les
relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans
l’industrie de la construction (RLRQ, c. R-20).
Si pour une entreprise, ou une unité d’accréditation, il y a une convention collective, elle
s’applique à tous les travailleurs de l’entreprise ou de l’unité ; dans ce contexte, il n’y a plus
de contrat individuel…
11 Par comparaison, toujours de manière sommaire mais significative, le système national
français se caractérise par les éléments suivants :
Le Code du travail prévoit des normes nationales, dont le SMIC5, et le processus de
syndicalisation.
La syndicalisation se fait sur une base individuelle.
Des conventions sectorielles sont présentes dans les principaux secteurs, négociées par les
centrales syndicales représentatives et des associations d’employeurs. Les dispositions
s’appliquent alors aux employés du secteur, syndiqués ou non.
Il existe principalement deux conventions sectorielles dans le domaine de l’hôtellerie et de
la restauration : la Convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants (HCR) du
30 avril 19976, modifiée régulièrement jusqu’à ce jour par des textes attachés et des
avenants ; et la Convention collective du personnel des entreprises de restauration des
collectivités du 20 juin 19837, également modifiée par des annexes et avenants.
Les contrats individuels et les conventions locales sont possibles mais elles doivent respecter
au minimum les normes nationales et la convention sectorielle.
Il faut donc tenir compte du principe de hiérarchie des normes, modifié récemment par le
gouvernement Macron pour certaines conditions de travail (p. ex., la durée maximale de
travail) mais pas pour le salaire (Miné, 2017).
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
43
3. Le salaire des salariés ou employés de larestauration et la question des pourboires
12 Au Québec :
Pour les salariés assujettis, le salaire minimum est établi par règlement gouvernemental en
vertu de la Loi sur les normes du travail, article 40. À compter du 1er mai 2020, le taux
général du salaire minimum est de 13,10 $ de l’heure, mais pour les salariés au pourboire le
salaire minimum est inférieur à 10,45 $8.
Est considéré comme salarié au pourboire, en vertu de l’article 3 du Règlement sur les
normes du travail (c. N-1.1, r-3), celui qui reçoit habituellement des pourboires et qui
travaille :
1- dans un établissement qui offre contre rémunération de l’hébergement à destouristes, y compris un établissement de camping ;2- dans un local où des boissons alcooliques sont vendues pour consommation surplace ;3- pour une entreprise qui vend, livre ou sert des repas pour consommation àl’extérieur ;4- dans un restaurant, sauf s’il s’agit d’un lieu où l’activité principale consiste àfournir des services de restauration à des clients qui commandent ou choisissent lesproduits à un comptoir de service et qui paient avant de manger.
Le pourboire ne doit pas être confondu avec le salaire ; il comprend les frais de service
ajoutés à la note du client (s’il y a lieu) mais ne comprend pas les frais d’administration
ajoutés à la note (s’il y a lieu) (article 50 de la loi).
En pratique, au Québec, les pourboires ne sont généralement pas inscrits sur la note du
client et laissés à sa discrétion (entre 10 et 20 % de la note, généralement 15 %).
Les pourboires doivent être déclarés par le salarié pour fins d’impôt. En vertu de
l’article 42.11 de la Loi québécoise sur les impôts (RLRQ., c. I-3), un pourcentage minimal de
8 % sur les ventes du salarié susceptibles d’engendrer un pourboire est attribué par
l’employeur sur le bulletin de paie pour le calcul des charges sociales payées par l’employeur
sur le salaire de l’employé et pour les déductions à la source. Mais il y a des exceptions
(p. ex., préposé au vestiaire, conjoint de l’employeur, personne qui ne reçoit qu’une cote des
pourboires)9.
La Loi sur les normes de travail permet aux salariés au pourboire de convenir entre eux d’un
partage des pourboires. L’employeur ne peut intervenir. Il appartient aux salariés au
pourboire d’en convenir sur une base volontaire et seuls ces salariés sont parties à la
convention : les maîtres d’hôtels, les commis-débarrasseurs, les employés de cuisine ne
peuvent intervenir, mais les salariés au pourboire peuvent décider de les inclure.
La Loi sur les normes du travail édicte aussi que les heures en attente de travail sur place
doivent être payées (article 57 de la loi) et qu’un minimum de trois heures doit être
rémunéré lors d’une assignation au travail sur les lieux de l’entreprise (article 58 de la loi).
Plusieurs autres dispositions de la loi ont des incidences sur le salaire (durée normale du
travail, rémunération des heures supplémentaires, congés payés, etc.).
Éléments d’analyse
De cet aperçu sommaire, on peut certes affirmer que les dispositions législatives
ont un impact sur les salariés au pourboire. La distinction entre les travailleurs
soumis au taux général du salaire minimum et les salariés au pourboire laisse une
•
•
•
•
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
44
partie du salaire à l’appréciation de la clientèle mais rien n’interdit au
restaurateur d’imposer directement des frais de service et des frais
d’administration sur la facture si les clients en sont informés préalablement.
Cependant, la pratique générale en Amérique du Nord ne va pas dans ce sens,
contrairement à ce que l’on retrouve dans plusieurs pays européens (notamment
la France). Les salariés au pourboire sont divisés sur cette question, certains y
gagneraient certainement, d’autres y perdraient… Il y a un écart important dans
les PME de la restauration entre ce que gagnent les cuisiniers et les autres
employés de cuisine (qui ne reçoivent pas de pourboires) et les serveurs, à
l’avantage de ces derniers. Le partage volontaire des pourboires ne concerne pas,
en principe, les cuisiniers.
Dans plusieurs restaurants, on retrouve un climat de tension sur cette question et
un sentiment d’injustice (on est loin de l’équité salariale !). Bien sûr, des
conventions collectives dans le secteur de la grande hôtellerie (p. ex. Le Reine
Elizabeth à Montréal, qui fait maintenant partie du groupe Accord) accordent de
bien meilleures conditions à l’ensemble du personnel, mais cela ne concerne pas
les nombreux autres établissements. Il n’y a pas de convention sectorielle au
Québec dans le secteur de la restauration, des cafés et des bars…
La pratique de laisser le pourboire (ou frais de service) à l’appréciation seule de la
clientèle ne va pas dans le sens de la valorisation du travail des serveurs et nuit à
l’image du tourisme québécois auprès de la clientèle hors Amérique du Nord. Elle
peut donner lieu à du profilage racial et à de la discrimination, car il arrive que le
restaurateur ajoute, dans certaines situations, les frais de service directement sur
la facture sans en avoir informé préalablement le client10. Cette pratique
contrevient en quelque sorte à la Loi sur la protection du consommateur (RLRQ,
c. P-40.1) car les prix affichés dans les menus ne correspondent pas aux prix réels.
Avec les taxes à la consommation et les pourboires ou frais de services, il y a un
écart d’environ 30 %.
13 Peut-on faire autrement ? Des modifications législatives pourraient-elles faire évoluer
la situation et avoir un impact réel sur la valorisation du travail en restauration, sur la
rétention et le recrutement des employés et sur l’amélioration de l’image du tourisme
québécois ? Peut-on s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays ?
14 En France, par exemple :
Tout d’abord, un salaire minimum est prévu par la loi : rappelons que le SMIC est le salaire
horaire en dessous duquel il est interdit de rémunérer un salarié et ce quelle que soit la
forme de sa rémunération. Depuis le 1er janvier 2020, le SMIC horaire brut est fixé à
10,15 euros, soit 1 159,42 euros bruts mensuellement sur la base de la durée légale
hebdomadaire de 35 heures11.
Les frais de service (10 à 15 %) sont généralement obligatoires et inscrits sur la facture du
client de manière distincte, tout en étant inclus dans la plupart des cas dans le prix affiché
au client.
Perçus par le salarié ou par l’employeur, ils sont versés intégralement au personnel en
contact avec la clientèle ; en outre, ils entrent dans la composition même du salaire
minimum ou du salaire conventionnel des personnels concernés, c’est-à-dire ceux qui sont
en contact direct avec la clientèle ; si le salaire minimum ou conventionnel n’est pas atteint,
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
45
l’employeur doit combler la différence, ce qui arrive surtout si les frais de service ou les
pourboires constituent la seule rémunération du salarié.
L’existence d’une convention sectorielle, la Convention collective nationale des hôtels, cafés,
restaurants (HCR) est l’élément distinctif principal par rapport au Québec. Elle s’applique à
l’ensemble des salariés du secteur (serveurs, cuisiniers, maîtres d’hôtel, etc.) : selon les
postes et l’ancienneté, elle fixe un salaire horaire conventionnel minimum, qui en 2019 se
situe entre 10,03 euros (niveau 1, échelon 1) et 21,83 euros (niveau 5, échelon 3).
La convention sectorielle régit également les autres conditions de travail. Il faut rappeler
qu’un contrat individuel peut offrir plus que le minimum conventionnel.
Éléments d’analyse
La convention sectorielle offre une plus grande équité entre les divers personnels
du secteur même si, par exemple, le personnel de cuisine ne bénéficie pas des frais
de service, étant rémunéré par un salaire fixe versé par l’employeur. Le salaire
conventionnel minimum est plus généreux que le SMIC. Les frais de service
obligatoires, généralement inclus dans le prix affiché, n’induisent pas le client en
erreur sur le prix à payer. Des patrons en France souhaitent cependant remettre
en question « le service compris » afin de motiver davantage le personnel, mais
cette prétention rencontre une vive opposition des syndicats qui y voient une
régression sociale (Fergus, 2012).
En outre, un client satisfait de la prestation de service peut ajouter, en sus des frais
de service, un petit pourboire, généralement de 5 %. Les touristes québécois en
France auront tendance à ne pas laisser de pourboire lorsqu’ils voient que les frais
de service sont inclus dans les prix affichés, de la même manière que les Français
non avertis, en voyage au Québec, oublieront de laisser un pourboire car ils croient
à tort que les frais de service sont inclus dans les prix affichés.
En guise de conclusion sommaire
15 Que faire au Québec ? Que devrait prévoir la Loi sur les normes du travail ? Pourquoi ne
pas avoir une convention sectorielle qui aurait l’avantage de clarifier la situation de la
rémunération et des conditions de travail pour l’ensemble du secteur ? Les employeurs
souhaitent davantage contrôler le partage des pourboires, ce que craignent les salariés
concernés (Lahaie, 217). Ne devrait-on pas prendre le virage des frais de service inscrits
obligatoirement sur la facture, voire même inscrits dans le prix affiché ? Il devrait en
être de même pour les taxes.
16 Quel serait l’impact de l’imposition de frais de service obligatoires par opposition aux
pourboires laissés à la discrétion des clients ? Quel impact sur les autres conditions de
travail ? Et sur l’image du tourisme québécois ? Sur ces questions, des recherches plus
approfondies sont nécessaires.
17 Des changements législatifs et réglementaires en la matière ne sont pas neutres et
peuvent avoir des conséquences positives sur la valorisation des emplois, le
recrutement et la rétention de la main-d’œuvre. En même temps, la nature et
l’intensité du rapport de forces entre les parties prenantes du secteur peuvent retarder
ces changements…
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
46
18 Les mêmes questionnements sont applicables à d’autres aspects liés aux conditions de
travail des employés de service dans le secteur de la restauration. Des changements
récents à la Loi sur les normes du travail ont été accueillis de manière mitigée par
l’Association des restaurateurs : si elle s’est réjouie, par exemple, de la possibilité
d’étaler les heures de travail sur une période de quatre semaines si le travailleur et
l’employeur le consentent, elle s’inquiète des conséquences économiques de
l’augmentation des vacances (trois semaines au lieu de deux) après trois ans de service
continu chez le même employeur12. Le régime légal des vacances en France est
nettement plus avantageux (cinq semaines après un an).
19 Les grandes centrales syndicales, notamment la Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec (FTQ), ont fait du salaire minimum à 15 $ de l’heure un enjeu
des élections provinciales de l’automne 2018. Cependant, dans une note analytique
publiée fin décembre 2017 par la Banque du Canada, il est mentionné « qu’environ
60 000 emplois disparaîtraient d’ici 2019 en raison de la hausse du salaire minimum
dans les différentes provinces du pays » (Cambron-Ouellet,2018).
20 Un champ de recherche reste donc ouvert pour mesurer les effets du dispositif législatif
actuel ou de ses modifications possibles ou souhaitables. Des entretiens devraient être
réalisés avec des travailleurs de la restauration œuvrant dans des établissements de
nature différente dans diverses régions du Québec. Faut-il mettre en place le même
encadrement juridique sur l’ensemble du territoire ou doit-il être adapté selon
l’intensité touristique de la région et la nature des établissements ?
BIBLIOGRAPHIE
Monographies
Bernard CUBERTAFOND, La création du droit, Ellipses, 1999.
Louis JOLIN, « La double interaction entre droit et tourisme », dans Lucie K. MORISSET, Bruno
SARRASIN et Guillaume ÉTHIER (dir.), Épistémologie des études touristiques, PUQ, 2012.
Hans KELSEN, Théorie pure du droit, traduction de C. Esenmann, Sirey, 1962.
René LAPERRIÈRE, Les systèmes juridiques de détermination des salaires. Expériences québécoises,
canadiennes et étrangères, thèse de doctorat, Montréal, tome 1, 1972.
Michel TROPPER, « Le positivisme juridique », dans Michel TROPPER (dir.), Pour une théorique juridique
de l’État, PUF, 1994.
Revues, journaux, sites web
Lise BINET, « La thématique des transformations du droit et le paradigme du droit phénomène
social », Les Cahiers du droit, vol. 31, 1990.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
47
Dominique CAMBRON-OUELLET, « Le salaire minimum sera un enjeu électoral », Métro, 4 janvier 2018.
FERGUS, « Service compris : la duplicité des restaurateurs », Agora Vox, 22 novembre 2012 [https://
www.agoravox.fr/tribune-libre/article/service-compris-la-duplicite-des-126295].
Richard LAHAIE, « Pourboires : des patrons veulent mettre la main sur les revenus des serveurs »,
L’Aut’Journal, 27 septembre 2017.
Michel MINET, « Droit du travail : la hiérarchie des normes est-elle inversée ? », La Tribune, 29
septembre 2017 [https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/droit-du-travail-la-hierarchie-des-
normes-est-elle-inversee-752010.html].
Jean-Frédéric MOREAU et David RÉMILLARD, « Illégal, le pourboire sur la facture », Le Soleil, 26 août
2017.
NOTES
1. Extrait de l’appel à communication pour les Rendez-vous Champlain 2018.
2. Selon le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT) : « À l’instar de
d’autres secteurs d’activité économique, l’industrie touristique connaît de plus en plus de
problèmes de recrutement pour le travail saisonnier ou à temps partiel. Ceci s’explique en partie
par le fait qu’une forte proportion de ces emplois est traditionnellement occupée par des jeunes
étudiants dont l’effectif est actuellement en diminution. De plus, l’arrimage de l’emploi avec le
calendrier scolaire pose certains défis aux gestionnaires. Enfin, dans un contexte où la population
vieillit et où son taux de croissance diminue, la main-d’œuvre se fait donc de plus en plus rare et
difficile à trouver, particulièrement pour des emplois à temps partiel ou saisonniers. »
En outre, selon une étude concernant le tourisme et la main-d’œuvre, 54 % des emplois en
tourisme en 2012 étaient dans le secteur de la restauration et 11 % dans celui de l’hébergement.
Cependant, le salaire moyen dans l’industrie du tourisme est de 37 979 $ pour les employés à
temps complet, comparativement à 46 656 $ pour l’ensemble du Québec. Dans le secteur
spécifique de la restauration, il est de 31 803 $ pour les employés à temps complet. Ces données
proviennent du site du CQRHT, consulté en février 2019 : https://cqrht.qc.ca/portrait-de-
lindustrie-touristique/donnees-sur-lindustrie-touristiquetouristique/.
3. Il s’agit principalement, pour le secteur du tourisme, des fonctionnaires et autres employés du
gouvernement fédéral (ministères intervenant dans le secteur, la Commission canadienne du
tourisme, Parcs Canada…) et des travailleurs du transport aérien, de Via Rail et, plus
globalement, œuvrant dans le transport interprovincial ou international.
4. En 2017, le taux de syndicalisation au Québec dans le secteur de l’hébergement et de la
restauration était de 10,3 %, le taux global pour l’ensemble des secteurs étant de 38,4 %. Source :
Institut de la statistique du Québec, Taux de présence syndicale, résultats selon le sexe pour diverses
caractéristiques de la main-d’œuvre et de l’emploi, Québec, Ontario, Canada, 2018.
5. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est le salaire minimum horaire en
dessous duquel un salarié de plus de 18 ans ne peut être payé en France.
6. Étendue par arrêté du 3 décembre 1997, JORF du 6 décembre 1997. Dernière version publiée le
29 janvier 2018 et en vigueur le 1er avril 2018. Grille des salaires mise à jour en 2019 suite à
l’augmentation du SMIC.
7. Étendue par arrêté du 2 février 1984, JONC du 17 février 1984. Dernière version publiée le 22
juin 2017, en vigueur le 1er septembre 2017. Grille des salaires mise à jour en 2019 suite à
l’augmentation du SMIC.
8. Au 1er mai 2018, le salaire minimum général était de 12,00 $ de l’heure et de 9,80 $ pour les
employés à pourboire.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
48
9. Les exceptions sont prévues aux articles 42.1 à 42.15.
10. L’Association des restaurateurs du Québec a rappelé qu’il est illégal d’ajouter les frais de
service sans l’accord préalable du client. Ce rappel fait suite à une plainte faite par un client à qui
le restaurateur avait chargé d’office 15 % de frais de service sans son consentement. Le
restaurateur s’est défendu en prétextant que c’était la coutume à l’égard des touristes asiatiques
– or, malgré la ressemblance, le client n’en n’était pas un (Moreau et Rémillard, 2017).
11. Au 1 er janvier 2018, le SMIC horaire brut était à 9,88 euros, soit 1498,47 euros bruts
mensuellement sur la base d’une durée légale hebdomadaire de 35 heures.
12. Articles 8 et 11 de La Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions
législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, LQ 2018, c. 21.
Voir le site web de l’Association des restaurateurs du Québec : www.Restaurateurs.ca/nouvelles
(consulté le 19 juin 2018).
RÉSUMÉS
Le droit est producteur de transformations sociales. Le cadre juridique des employés de service
du secteur de la restauration peut avoir un impact positif ou négatif sur le recrutement et la
rétention des travailleurs. Le présent article met l’accent sur l’encadrement juridique des salaires
au Québec, principalement ceux des employés à pourboire, tout en faisant un parallèle avec
l’encadrement juridique en France pour mieux saisir les spécificités propres à chaque société et
pour s’inspirer éventuellement du dispositif mis en place dans la société française. Des
recherches sur les effets des modifications éventuelles sont à venir.
Law produces social transformations. The legal framework for service employees in the catering
sector can have a positive or negative impact on the recruitment and retention of workers. This
article focuses on the legal framework of wages in Quebec, mainly those of tip employees, while
drawing a parallel with the legal framework in France to better understand the specifics of each
country and possibly draw inspiration from the system in place in French society. Research on
the effects of possible changes is to come.
INDEX
Mots-clés : restauration, emploi, tourisme, cadre juridique
Keywords : catering, employment, tourism, legal framework
AUTEUR
LOUIS JOLIN
Professeur titulaire à la retraite, actuellement professeur associé au département d’études
urbaines et touristiques ESG UQAM
Domaine de spécialisation : droit du tourisme
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
49
Réformes territoriales et exercice dela compétence tourisme parl’institution publiquedépartementale française. Casexploratoires de la Charente-Maritime et des Deux-SèvresTerritorial reforms and the exercise of tourism policy by the French
departmental public institution. Focus on Charente-Maritime and Deux-Sèvres
Jérôme Piriou et Marie-Noëlle Rimaud
Introduction
1 En France, les lois de décentralisation, dites lois Defferre, du 2 mars 1982 et du 7 janvier
19831 ont organisé la répartition des compétences entre différentes institutions. Par
cette décentralisation, le pouvoir central reconnaît une certaine autonomie à des
collectivités que l’on qualifie de locales ou territoriales. Une compétence, dans le sens
juridique du terme, comprend à la fois une aptitude légale à intervenir, ainsi que la
mise en application de politiques dans des domaines d’intervention spécifiques
(Pontier, 2012). Les collectivités territoriales historiques (communes, départements,
régions) et les établissements publics de coopération intercommunale [EPCI] disposent,
dans les faits, de compétences de plus en plus étendues et le mode de détermination des
compétences a une incidence directe sur l’exercice de celles-ci. Ainsi, le troisième acte
de la décentralisation s’est traduit par trois lois qui ont, d’une part, spécialisé les
compétences des collectivités territoriales et, d’autre part, redéfini les périmètres
spatiaux. La loi du 27 janvier 20142 sur la modernisation de l’action publique territoriale
et d’affirmation des métropoles, dite loi « MAPTAM », avait pour objectif de clarifier
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
50
l’exercice des compétences au niveau local. Le statut de métropole est créé, permettant
à ces dernières d’intervenir dans la voirie départementale, dans les transports scolaires
ou encore dans la promotion des territoires concernés. Puis, la loi du 16 janvier 20153,
relative à la délimitation des nouvelles grandes régions, aux élections régionales et
départementales et modifiant le calendrier électoral, a marqué une étape importante
dans le redécoupage des régions métropolitaines. En effet, l’article 1 de cette loi précise
que 13 nouvelles régions se substituent aux 22 régions métropolitaines existantes sans
modification des départements qui les composent. Cette loi a été complétée par la loi
du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République4, dite
loi NOTRe. Ce dernier volet de la réforme territoriale désigne clairement les régions
comme « chef[s] de file du développement économique […], avec une compétence
exclusive en matière d’aides directes aux entreprises » (Manier, 2015, p. 88). La loi
NOTRe va également « modifier assez largement les attributions des structures
intercommunales » (Marcou, 2015, p. 1043). Les EPCI font l’objet d’un redécoupage, dès
lors que les communes rassemblées atteignent un seuil minimal de 20 000 habitants
(contre 5 000 habitants auparavant), à l’exception des zones de montagne et territoires
peu denses où le seuil minimal est fixé à 5 000 habitants, ou encore les
intercommunalités récemment constituées d’un minimum de 12 000 habitants. Le
département garde une orientation de garant des solidarités humaines et de la
cohésion territoriale. Il est compétent « pour mettre en œuvre toute aide ou action
relative à la prévention ou la prise en charge des situations de fragilité, de
développement social, l’accueil des jeunes enfants, l’autonomie des personnes âgées ou
handicapées ; il assure également des compétences sociales et de solidarité territoriale,
pour faciliter l’accès aux droits et services des publics dont il a la charge » (Jourdan,
2016, p. 52). Dans ce contexte, le gouvernement français assume la priorité de faire des
« économies d’échelles » et de « supprimer des doublons » (Chavrier, 2015, p. 1028). La
suppression de la clause générale de compétence des départements, comme des
régions, confirme la spécialisation des compétences de ces collectivités (Pontier, 2012).
Le département et la région deviennent de ce fait des collectivités territoriales
spécialisées (Jourdan, 2016).
2 Mais la compétence tourisme ne fait pas partie du périmètre d’attribution clairement
accordé à une collectivité territoriale. En effet, la loi 23 décembre 19925 portant sur la
répartition des compétences dans le domaine du tourisme, dite loi Mouly, énonçait les
rôles et les missions de chaque institution, à l’image d’une construction administrative
très structurée par niveau hiérarchique (Michaud, 1995). Mais elle a été abrogée le 1er
janvier 20056 au profit du Code du tourisme, dont l’article L 111-1 précise que « l’État,
les régions, les départements et les communes sont compétents dans le domaine du
tourisme et exercent ces compétences en coopération et de façon coordonnée ». Le
législateur a jusqu’à présent maintenu cette situation de compétence partagée entre les
collectivités territoriales, par la loi du 16 décembre 20107 sur la réforme des
collectivités territoriales. Par ailleurs, même si la notion de « chef de file » pouvait être
séduisante, compte tenu de la multiplicité de structures et des contraintes financières
et de gestion (Pontier, 2012), le législateur considère que l’État est responsable de la
politique nationale du tourisme et les collectivités territoriales sont associées à sa mise
en œuvre (Jégouzo, 2013). Ceci amène La Gazette des communes à titrer, en janvier 2017 :
« Depuis la loi NOTRe, la compétence tourisme se divise entre coopération et
compétition »8.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
51
3 L’intérêt de cette recherche est d’examiner comment l’échelon départemental réagit
aux réformes territoriales concernant l’exercice de sa compétence tourisme. En effet,
même si l’exercice de la compétence tourisme n’est pas remis en cause pour les
départements, les changements de périmètres spatiaux des régions et de certaines
intercommunalités, ainsi que l’agrégation d’offices de tourisme en établissements de
pôle intercommunaux voire intercommunautaires, requièrent des adaptations dans le
paysage institutionnel touristique français.
1. L’institution départementale française et sacompétence tourisme
1.1. Le département, un niveau intermédiaire de plus en pluscontroversé
4 Le département a été créé suite à la Révolution française avec un découpage opéré
selon le principe d’une limite spatio-temporelle d’une journée à cheval depuis le chef-
lieu (Ozouf-Marignier, 1989). Il devient l’échelon supérieur aux communes, division du
territoire hérité de la trame paroissiale (Delamarre, 1989). Puis, suite à un nouveau
maillage, sont apparues dès 1956 les circonscriptions d’action régionales, avant une loi
de 1972 qui a érigé la région en établissement public à vocation spécialisée (Bodiguel,
2006). Par l’acte I de la décentralisation, notamment par la loi du 7 janvier 1983, l’État
est contesté dans l’exercice de ses compétences et dans sa souveraineté. En effet, le
législateur de l’époque transfère une partie des compétences de l’État, comme
l’aménagement du territoire, le développement économique ou encore la protection de
l’environnement, aux communes, aux départements et aux régions (Bodiguel, 2006). Le
département se retrouve donc à un niveau intermédiaire complexifiant sa justification
d’existence :
Le problème qu’impose tout niveau intermédiaire est celui de la dépossessionrelative des niveaux inférieurs par le niveau régional, ainsi que celui d’unecontradiction potentielle entre autonomie locale et régionale. (Chavrier, 2012,p. 88)
5 Un rapport, présenté le 23 janvier 2008 par la Commission pour la libéralisation de la
croissance française sous l’égide de Jacques Attali, proposait la suppression du
département pour simplifier le « mille-feuille territorial » (Manier, 2015, p. 84). Il faut
préciser que l’échelon intercommunal a été conforté par la loi d’orientation du 6 février
19929 sur l’administration territoriale de la république, complétée par plusieurs autres
lois dans les deux décennies suivantes, et que les origines de l’intercommunalité
remontent à la loi du 22 mars 189010. Déjà sous la Troisième République, le choix est fait
de rationaliser via l’intercommunalité tout en préservant l’administration locale ;
réformer : oui, supprimer les communes chéries : non (Bellanger, 2012). L’acte II de la
décentralisation, correspondant à la série de réformes adoptées en 2003 et 2004, voulait
doter la République de régions plus grandes, plus fortes avec une intention de
constituer des couples distincts État-régions et communes-départements, notamment
par loi constitutionnelle du 28 mars 200311 (Chavrier, 2012). Mais la loi du 13 août
200412, relative aux libertés et responsabilités locales, modifie ces intentions en
« deven[ant] étonnamment départementaliste » (Chavrier 2012, p. 88). Les élus
départementaux ont souhaité voir perdurer leur institution et préserver leurs
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
52
compétences. Aussi, on assiste à un « lobby départemental » qui influe le travail
parlementaire au Sénat et à l’Assemblée nationale (Frinault, 2013).
6 La loi du 7 août 201513, portant sur la nouvelle organisation territoriale de la
République, a confirmé le département dans l’exercice des compétences relatives aux
solidarités humaines et à la cohésion territoriale (Manier, 2015). Néanmoins, la loi
NOTRe a supprimé la clause de compétence générale. Par cette suppression, le
département ne peut désormais régler que par délibération les affaires de ses
compétences dans les domaines attribués par la loi. De ce fait, la loi écarte le
département de toute possibilité d’intervention en faveur du développement
économique, au profit de la seule région (Marcou, 2015). S’agissant du tourisme, cette
compétence reste partagée entre les différentes collectivités territoriales,
complexifiant encore pour le département sa position de niveau intermédiaire.
1.2. Enchevêtrement de la compétence tourisme du départementavec les autres collectivités territoriales
7 En France, l’origine des institutions touristiques s’observe à l’échelle locale avec la
création des syndicats d’initiative, ancêtres des offices de tourisme actuels, dès la fin du
XIXe siècle. Des regroupements de syndicats d’initiative en fédérations régionales
apparaissent dès le début du siècle suivant, conduisant à la création des syndicats
départementaux d’initiative (Williems, 2011). Mais l’État, par le ministère des Travaux
publics, demanda aux préfets de ne pas encourager les initiatives départementales afin
de ne pas perturber le développement des syndicats d’initiative (Manfredini, 2017). Les
lois de décentralisation ont donné un cadre légal aux départements concernant
l’exercice de la compétence tourisme, permettant la création de comités
départementaux du tourisme (CDT) (Stock, 2003). Les CDT, dans leur quasi-totalité de
statut associatif, aussi appelés « agences départementales de développement
touristique » (ADT), fonctionnent selon un cadre d’intervention défini par le conseil
départemental14 au moyen de conventions, souvent renouvelées chaque année
(Escadafal, 2007). Dans les faits, le CDT a pour objectif principal d’établir une promotion
à l’échelle nationale et, en collaboration avec le comité régional du tourisme (CRT),
d’assurer la promotion à l’échelle internationale (Violier, 2003). Cependant, la loi Mouly
du 23 décembre 1992 sur la répartition des compétences entre les collectivités
territoriales « n’apporte aucune solution globale et se borne à imposer, aux régions, un
plan de développement touristique et, aux départements, un schéma d’aménagement
touristique » (Violier, 1999, p. 60). Le tourisme étant considéré comme un service public
local, chaque collectivité intervient comme elle le souhaite. Un problème demeure
cependant, concernant le périmètre de l’exercice de la compétence tourisme pour ces
collectivités territoriales, renseigné dans ces plans et schémas de développement
touristique. Comme le précise Laurence Jégouzo :
La partie réglementaire du Code du tourisme n’ayant jamais été publiée, le contenude ce plan est laissé à la libre appréciation de ses rédacteurs, comme d’ailleurs pourle schéma régional. Il en résulte une profusion de documents plus descriptifs quevéritablement engageants où il est par ailleurs assez rarement fait allusion auschéma régional. (2013, p. 37)
8 Par ailleurs, un autre problème apparaît concernant le rédacteur, puisque la sphère
publique du tourisme présente un caractère bicéphale entre élus et techniciens. Comme
Philippe Violier l’a souligné :
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
53
Cette dualité est porteuse de conflits, les premiers [élus] imposent plutôt unterritoire administratif et tendent à privilégier des stratégies égalitaires, tandis queles seconds [techniciens] mettent en avant plutôt des logiques commerciales desélection. (1999, p. 61).
9 A priori, les réformes territoriales ont contribué à modifier l’organisation du « mille-
feuille ». Comme nous l’avons déjà précisé, elles prévoient le transfert de la compétence
économique des départements aux régions mais aussi celui de la promotion du
tourisme des communes aux intercommunalités15. De plus, elles opèrent un
élargissement de plusieurs périmètres spatiaux : grandes régions et EPCI. Mais, le
maintien de l’article L 111-1 du Code du tourisme, qui évoque un exercice de la
compétence tourisme en coopération et de façon coordonnée, annihile en partie cet
exercice de clarification. La situation du département se voit complexifiée voire
fragilisée dans le paysage institutionnel du tourisme français.
10 On peut dès lors s’interroger : dans quelle mesure les récentes réformes territoriales
participent-elles à transformer les conditions d’exercice de la compétence tourisme par
les institutions publiques départementales françaises ?
2. Étude exploratoire de deux départements à intensitétouristique hétérogène en Nouvelle-Aquitaine
11 Notre recherche est de type exploratoire. En effet, compte-tenu du caractère récent des
réformes territoriales, nous souhaitons, par ces travaux exploratoires, établir une
« reconnaissance avec la connaissance » (Brunet et al., 1992, p. 205). Cette démarche
requiert de recourir à la description afin de délimiter les contours du problème et
d’orienter de nouvelles pistes de recherche (Gumuchian et Marois, 2000). L’objectif est
de comprendre l’évolution de l’exercice de la compétence tourisme pour l’institution
publique départementale et d’identifier les changements, les modifications qui ont été
nécessaires dans le contexte des récentes réformes territoriales. Nous avons choisi
d’interroger par entretiens semi-directifs, au cours du mois de novembre 2018, trois
acteurs : les directeurs de deux agences départementales de développement touristique
(ADT), celle des Deux-Sèvres et celle de Charente-Maritime, ainsi que la directrice de
« Tourisme et territoires », anciennement Fédération nationale des destinations
départementales. Trois thèmes ont été abordé lors de ces entretiens : explications sur
les missions anciennes et les missions actuelles ; identification des interlocuteurs et des
échanges avec les autres collectivités territoriales ; compréhension des conséquences
ou des non-conséquences des réformes territoriales récentes. Les entretiens, d’une
durée moyenne d’une heure, ont été intégralement retranscrits. L’analyse manuelle des
données nous a permis de structurer les données et de regrouper les principaux
verbatims.
2.1. Cas du département des Deux-Sèvres
12 Le département des Deux Sèvres compte 374 743 habitants, avec une faible densité de
population, de 61 habitants au kilomètre carré. L’offre d’hébergement touristique est
assez modeste avec 1 814 emplacements de camping et 1 817 chambres d’hôtel (Prévot,
2016). Selon l’ADT des Deux-Sèvres, en 2016, le département a recensé une faible
fréquentation, avec seulement 485 000 nuitées. La majorité des nuitées concerne des
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
54
activités d’affaires dans l’agglomération du chef-lieu de département, Niort16. Le
tourisme de découverte du Marais poitevin constitue l’offre touristique principale,
largement médiatisée par la labellisation au titre des Grands Sites de France, labellisé
Parc naturel régional en mai 2014.
13 Dans ce département, il existait deux institutions touristiques il y a encore dix ans : le
CDT, une association sous convention et financement du conseil général, et l’Union
départementale des offices du tourisme et syndicats d’initiative (UDOTSI). Dès 2004,
compte tenu de la faible densité de population, la volonté a été de réaliser des
regroupements de communes et de doter les EPCI de la compétence tourisme. Cette
réorganisation territoriale, dix ans avant la loi NOTRe, a été décidée dans un contexte
de restrictions budgétaires, mais aussi par une nécessité de professionnaliser les
missions des offices de tourisme. Aussi, le département est passé de 31 offices de
tourisme et syndicats d’initiative, soit une structure par canton, à 9 aujourd’hui17,
principalement gérés par des communautés de communes ou des structures
intercommunautaires. Le rôle de ces nouvelles structures a été consolidé avec l’aide du
conseil départemental. Le 2 août 2008, l’UDOTSI et le CDT ont fusionné pour donner
naissance à une nouvelle association, l’agence de développement touristique des Deux-
Sèvres. Si le CDT assurait la promotion des Deux-Sèvres, parmi 14 autres missions, la
nouvelle agence s’est recentrée autour de 4 missions, abandonnant notamment l’action
commerciale. Ce choix s’explique pour plusieurs raisons. D’abord, le budget de la
structure a baissé, passant de 1,2 million d’euros à 850 000 euros, dont 700 000 euros de
dotation du département soit environ 82 % du budget total. Ensuite, face à la
professionnalisation des offices de tourisme (OT), le personnel de l’ADT des Deux-
Sèvres a dû s’adapter et répondre aux besoins en ingénierie. Il est important de
préciser que ce repositionnement ne s’est pas fait sur commande du conseil
départemental. Enfin, la structure est passée de 14 à 8 employés. Cette équipe a été
amenée à développer de nouvelles compétences, liées à l’accompagnement des
professionnels du tourisme, notamment le personnel des OT de pôles. En 2011, la
signature d’une convention entre les 6 OT de pôles, l’ADT et le CRT a permis d’organiser
la répartition des missions. L’ADT s’est spécialisée dans l’ingénierie, laissant à la région
la charge de la promotion. Signe d’une nouvelle évolution, en 2015, l’ADT des Deux-
Sèvres a rejoint les locaux du conseil départemental suite à une mutualisation des
moyens, permettant une économie, mais réduisant également son budget de
fonctionnement, et, le 12 mars 2018, le département a décidé de reprendre l’exercice
direct de l’ensemble de la compétence tourisme. L’ADT a ainsi disparu au profit d’une
conférence permanente du tourisme, en tant qu’instance légale de concertation et de
mobilisation des acteurs du tourisme18.
2.2. Cas du département de la Charente-Maritime
14 La Charente-Maritime est le deuxième département français en termes d’augmentation
de la population touristique par rapport à la population permanente. Pour une
population de 639 600 habitants (janvier 2015), on comptabilise 33,6 millions de nuitées
touristiques (Chiffres Charente-Maritime Tourisme, 201619). La fréquentation
touristique se concentre principalement sur le littoral et dispose d’une offre
d’hébergement conséquente avec notamment 7 510 chambres d’hôtel (soit 14 % des
chambres d’hôtel de la Nouvelle-Aquitaine) et 48 100 emplacements de camping
(Garçon, 2016).
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
55
15 On retrouve dans ce département la même situation que dans les Deux-Sèvres
concernant la professionnalisation d’OT de pôles. Dans ce contexte et face à une baisse
des subventions publiques, l’ADT s’est progressivement éloignée de sa mission de
communication. Mais, dans ce département, un choix spécifique a été opéré, en
anticipation de la loi NOTRe. Au moment des élections départementales de 2015, les
présidents de l’ADT de Charente et de l’ADT de Charente-Maritime ont décidé un
rapprochement en préparation de la constitution de la région Nouvelle-Aquitaine.
Cette fusion a été facilitée par un départ en retraite de la directrice de l’ADT de
Charente, mais aussi par le basculement dans une même famille politique des deux
départements. L’opportunité d’une mutualisation a été considérée du point de vue
économique. Une nouvelle association « Charentes Tourisme » est née le 22 juin 2017,
suite à la validation par les exécutifs de la fusion des deux agences. Cette institution
dispose d’un budget de près de 6 millions d’euros : 80 % des ressources sont consacrées
à l’ingénierie et 20 % à la communication. Une évaluation des compétences des
individus, un fléchage des profils de recrutement et un accompagnement du personnel
ont également facilité cette évolution. Un tel changement s’explique par le niveau de
professionnalisation des partenaires, qui nécessite un niveau d’expertise plus élevé de
la part d’une ADT. L’accompagnement des professionnels par des formations permet
également d’atteindre un meilleur taux d’autofinancement et de justifier de la sorte
d’une bonne voie d’autonomisation de l’institution auprès de sa collectivité de tutelle.
La subvention des deux départements ne représente que 53 % du budget, dont les deux
tiers sont alloués par le département de Charente-Maritime, complétée par une taxe de
séjour additionnelle en Charente-Maritime qui représente 15 % du budget total. Les
recettes provenant d’actions contribuent à hauteur de 32 % au budget total.
3. Adaptation des départements dans le contexte de laréforme territoriale et des jeux d’acteurs
3.1. Transformation de la structuration des institutions touristiquesdépartementales
16 Le département, doté de la compétence tourisme, se doit d’engager une politique
touristique au moyen d’un financement au sein d’un service ou par conventionnement
avec une entité morale distincte. Dans le département des Deux-Sèvres, le conseil
départemental a fait le choix d’internaliser cette compétence, selon la délibération du
12 mars 2018. Cette décision est intervenue dans le contexte de direction vacante à
l’ADT mais également de divergence des points de vue entre la présidence de l’ADT et
celle du conseil départemental. Le contexte politique a, à l’inverse, favorisé le
rapprochement entre l’ADT de Charente et l’ADT de Charente-Maritime, conduisant à
leur fusion et à la création d’une nouvelle entité. Ces deux cas montrent que les
conditions d’exercice de la compétence tourisme par les départements sont
hétérogènes.
17 Pour autant, les réformes territoriales ne sont pas l’unique raison des évolutions. La
baisse des dotations financières des collectivités de tutelle, ainsi que la hausse du
recours aux technologies de l’information et de la communication ont demandé aux
acteurs institutionnels, en particulier aux départements, d’adapter les actions relatives
à l’exercice de la compétence tourisme. Cette évolution est primordiale puisqu’en
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
56
situation de crise, en cas de manque de reprise en main, l’organisation peut disparaître
(Rochet et Keramidas, 2007). Dans les Deux-Sèvres, le service loisirs accueil, qui avait
pour objectif d’accompagner l’ADT dans la commercialisation des offres de prestataires
d’hébergement, a disparu, comme dans la plupart des autres départements. Cette
mission était devenue obsolète compte-tenu de la montée en puissance d’opérateurs de
réservation en ligne. La reprise de l’exercice de la compétence tourisme par le conseil
départemental des Deux-Sèvres en mars 2018 témoigne de la volonté d’aller encore plus
loin dans la redéfinition de la stratégie touristique. De manière générale, selon les
entretiens réalisés, ce sont les missions de promotion et de communication qui
devraient être limitées à l’avenir. Dans les deux départements étudiés, par choix
stratégique ou par nécessité d’adaptation, une orientation de l’exercice de la
compétence tourisme est affirmée vers l’ingénierie. Cette mission présente un double
avantage. Tout d’abord, sur le plan financier, l’ingénierie demande un investissement
moindre et permet de facturer des prestations à des prestataires. Ensuite, sur le plan
politique, l’ingénierie confirme la mission de solidarité et de cohésion territoriale,
compétence exclusive du département et contribue à affirmer le rôle de cet échelon
dans le paysage institutionnel touristique français.
18 Cette transformation des missions a demandé une adaptation des structures. Une partie
du personnel des ADT a dû acquérir de nouvelles compétences pour se reconvertir à des
actions relatives à l’ingénierie. Face à la transformation du rôle et des missions des
institutions publiques, se pose effectivement la question de l’adéquation entre
compétences et emplois, amenant les acteurs à compléter leurs qualifications sur le
plan technique et managérial (Bartoli, 2005). Dans les Deux-Sèvres, un plan d’évolution
des carrières et des emplois a permis d’accompagner des agents de promotion et de
production afin qu’ils puissent se repositionner sur l’ingénierie. Dans les Charentes, la
fusion-création a été l’occasion de réaliser une évaluation des compétences en
identifiant, par entretiens, les domaines d’expertise et les souhaits d’évolution du
personnel, mais aussi de cibler des profils spécifiques pour les recrutements. Un plan
de formation d’environ 100 000 euros par an est également envisagé. De son côté,
l’association « Tourisme & Territoires » est engagée dans la formation des personnels
des institutions membres, notamment pour aider les ADT à se repositionner. Dans les
deux départements étudiés, les directeurs admettent toutefois avoir connu des départs
de collaborateurs à hauteur d’environ 10 % du personnel. L’enjeu pour ces structures
est désormais de constituer une gouvernance et de permettre aux équipes de
contribuer aux projets d’avenir.
3.2. Mutualisation verticale et horizontale de la compétencetourisme
19 La mutualisation consiste en un changement des organisations afin de mieux répondre
au contexte économique et social. On peut définir la pratique de la mutualisation
comme « une mise en commun et un partage de moyens matériels ou immatériels au
sein d’une même organisation ou avec une organisation extérieure dans l’objectif
d’atteindre un but commun » (Marin, 2014, p. 22). La mutualisation engage des
relations avec les parties prenantes dans l’exercice de la compétence tourisme. On peut
parler de mutualisation verticale. Pour autant, nous verrons qu’en dépit du Code du
tourisme qui cadre les activités, il existe des disparités de fonctionnement des
institutions touristiques qui contribuent à complexifier cette mutualisation. Dans le
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
57
département des Deux-Sèvres, le CDT avait pour mission, jusqu’à 2008, d’animer le
réseau des OT – une trentaine20 – et d’aider à leur restructuration et à leur
professionnalisation, en recevant une dotation du département, via l’UDOTSI. En 2018,
le département ne compte plus que 8 OT, soit un par EPCI21. Dans le département de
Charente-Maritime, certains OT sont importants, tant par leur effectif que par leur
budget, principalement sur les communes littorales. Pour autant, l’orientation donnée
aux missions de ces structures se distingue de celle d’un CDT puisqu’un OT consacre la
quasi-totalité de son budget à l’accueil et à l’information du public. Dans certains cas,
plus complexes, notamment pour des raisons économiques, la mutualisation de
l’exercice de la compétence tourisme entre une ADT et un OT peut s’opérer par le
regroupement dans une même structure. Cela a été le cas par exemple dans le Cher où
l’OT de l’agglomération de Bourges et l’ADT se sont regroupés pour former une
association unique. Dans les relations entre une ADT et un CRT, l’élaboration de
conventions d’objectifs permet aussi de favoriser la mutualisation de l’exercice de la
compétence tourisme pour les collectivités. Ainsi, en Nouvelle-Aquitaine, il est
aujourd’hui proposé qu’une convention territoriale d’exercice concertée, spécifique au
tourisme, entre en vigueur. Dans les relations de mutualisation avec l’État, mais aussi
avec d’autres parties prenantes comme les ADT, il existe un outil innovant : les contrats
de destination, lancés en 2013, qui ont pour objectif de favoriser l’attractivité et la
compétitivité d’une destination en impliquant les acteurs dans une gouvernance (Bédé,
2015). Ainsi, le 19 juillet 2018, 34 partenaires de la côte atlantique ont signé un contrat
de destination « côte atlantique » retenu par le ministère délégué au Tourisme afin de
promouvoir la France à l’international sur une durée de trois ans avec un soutien
financier de 75 000 euros. Nous allons voir que la stratégie de mutualisation de
l’exercice de la compétence tourisme peut aussi s’opérer légalement de manière
horizontale entre un conseil départemental et son ADT, dans le cas d’une
internalisation, mais aussi entre plusieurs ADT dans le cas d’une fusion.
3.2.1. L’internalisation de la compétence tourisme, un moyen de mutualisationpour le conseil départemental : cas de la conférence permanente du tourisme
20 La rationalisation budgétaire a conduit le conseil départemental des Deux-Sèvres à
internaliser l’exercice de la compétence tourisme. Le concept d’internalisation est ici
considéré comme l’antonyme de celui d’externalisation. Il exprime les démarches
d’acteurs qui renoncent à confier certaines activités à un ou plusieurs tiers (Bance,
2015). Dans le cas des Deux-Sèvres, cette démarche s’est opérée en deux étapes
distinctes. Début 2016, l’ADT a déménagé dans les locaux du conseil départemental. De
ce fait, l’ADT assurait réaliser une économie de 60 000 euros sur un budget annuel
d’1,2 million d’euros22. Puis, en 2018, dans un contexte difficile pour la gouvernance de
l’ADT suite au départ de son directeur, mais également en raison d’un conflit politique
entre le président de l’ADT et le président du conseil départemental, l’exercice de la
compétence tourisme a désormais été opéré directement par le conseil départemental
des Deux-Sèvres. Ainsi, en respect du Code du tourisme, en particulier de
l’article L 132-3 (pour rappel, relatif au statut, principe d’organisation et composition
du CDT), le conseil départemental doit disposer d’un « service tourisme » dédié à
l’exercice de la compétence. À ce service est associé, depuis le 13 mars 2018, une
conférence permanente du tourisme. Finalement, on remarque que cette conférence
permet au département de rester dans la légalité (article L 132-3) en intégrant au CDT
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
58
des délégués du conseil départemental ainsi que les différentes parties prenantes.
L’internalisation d’une mission de service public relève d’un idéal type, permettant de
justifier les objectifs et finalités retenus par l’autorité organisatrice (Bance, 2015).
Cependant, la question de l’efficacité est essentielle afin de juger de la portée de l’action
de cette internalisation et finalement de son intérêt pour le département. À la
motivation budgétaire s’ajoute une motivation stratégique. Nous remarquons, dans le
cas des Deux-Sèvres, que l’autorité publique considère être la mieux à même de décider
à qui confier l’exercice de la compétence tourisme ; en l’occurrence, à l’un des services
dont le conseil départemental contrôle directement les objectifs. L’intérêt pour une
collectivité publique est ici d’assurer directement le pilotage, le contrôle et l’évaluation
de la mission. On peut dès lors parler d’une forme de régulation (Bauby, 2015).
3.2.2 La fusion-création de la compétence tourisme, un moyen de mutualisationentre agences départementales du tourisme : le cas de l’association « CharentesTourisme »
21 Dans le département de Charente-Maritime, une autre forme de mutualisation a été
réalisée, en procédant à la fusion de l’ADT de Charente et de l’ADT de Charente-
Maritime. On peut qualifier de fusion une mutualisation dès lors que « deux ou
plusieurs organisations combinent leurs actifs et leurs passifs à l’instigation de l’une
d’entre elles, qui est de fait l’acquéreur, pour créer une nouvelle entité » (Wangani,
2013, p. 20). La fusion peut s’opérer par l’absorption qu’effectue une organisation
existante des actifs d’une ou plusieurs organisations ; ou par la création d’une
organisation nouvelle, à laquelle plusieurs organisations apportent leurs actifs.
L’option choisie par les conseils départementaux de Charente et de Charente-Maritime
a été la création d’une nouvelle association « bi-départementale » sous le nom de
« Charentes Tourisme ». Cette fusion a pris la forme d’un accord de principe donné par
les assemblées départementales, le 22 juillet 2016, suivi d’une validation d’un projet de
traité de fusion par les bureaux et conseils d’administration des ADT le 9 novembre
2016. Les deux conseils départementaux ont finalement approuvé la fusion, les 15 et
16 décembre 2016. Cette opération était donc voulue par les collectivités de tutelle.
Souvent considérée par les organisations publiques comme un outil étranger provenant
du secteur privé, la fusion-acquisition est un moyen pertinent pour les organisations
qui sont en quête de rupture stratégique, de compétitivité, de taille critique et de
création de valeur (Gouali, 2007). La nouvelle institution touristique bi-départementale
souhaite orienter sa stratégie vers les acteurs intermédiaires, qui sont plus directement
en contact avec les consommateurs finaux. La répartition des ressources illustre
d’ailleurs cette stratégie puisque 80 % d’entre elles sont destinées à l’orientation vers
les acteurs et les territoires et 20 % à l’orientation vers les consommateurs finaux23.
22 De manière générale, les principales motivations d’une fusion portent « sur l’extension
d’une gamme de produits, l’accès à de nouveaux marchés, l’amélioration de l’efficacité,
l’accroissement de moyens » (Wangani, 2013, p. 20). On retrouve bien ces raisons dans
la fusion-création de Charentes Tourisme. Tout d’abord, la direction a souhaité limiter
les doublons de certaines actions exercées par d’autres acteurs. Pourtant, les acteurs
avec qui l’institution collabore sont aussi des clients, voire des concurrents. Charentes
Tourisme identifie comme clients « les offices de tourisme, les collectivités territoriales,
les investisseurs, le grand public, l’international, les clubs partenaires, les acteurs
touristiques et porteurs de projets »24. L’« amélioration de l’efficacité » et
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
59
l’« accroissement de moyens » se retrouvent également dans le renforcement du
nombre de salariés et l’augmentation du budget global. Ce redimensionnement était
nécessaire, selon la direction de Charentes Tourisme, dans un contexte politique
d’agrandissement spatial du périmètre de la région. Par ailleurs, la situation
économique de l’ADT de Charente étant délicate avant la fusion, la mutualisation a
également permis de réaliser des économies.
3.3. Positionnement d’institutions touristiques départementales enquête de légitimité
23 Les récentes réformes territoriales n’ont pas donné davantage de précisions quant à
l’attribution de la compétence tourisme entre collectivités. Cependant, l’évolution des
périmètres spatiaux de certaines régions et EPCI interroge le positionnement de la
collectivité départementale au sein du « mille-feuille territorial » (Manier, 2015, p. 4).
Selon les directeurs interrogés, les compétences de l’institution touristique
départementale ne seraient pas bien identifiées, voire seraient confuses pour leurs
partenaires. Pour la directrice de l’association « Tourisme & Territoires », le
positionnement des structures dépend du contexte financier et de leur manière
d’aborder l’évolution du marché. La question de la valeur ajoutée d’une institution
touristique départementale peut être posée, par rapport aux autres niveaux
territoriaux. La légitimité est donc une ressource nécessaire, celle-ci étant conférée et
contrôlée par les parties prenantes (Buisson, 2005). Aussi, dans les Deux-Sèvres, dès lors
que le nombre d’OT a été réduit de 30 à 8 structures, la légitimité de l’ADT s’est trouvée
confinée à l’accompagnement de la professionnalisation. Cette nécessité de
positionnement s’explique par le constat du renforcement de la position d’accueil,
d’information et de promotion des OT, pilotés pour la plupart d’entre eux par les EPCI.
À cela s’ajoute le renforcement du pouvoir économique des régions, avec l’attribution
par ces dernières d’aides financières aux entreprises, une action qui n’est plus autorisée
dans les compétences du département. La mission d’ingénierie, comme on a pu
l’observer dans les institutions touristiques départementales de Charente-Maritime et
des Deux-Sèvres, représente une perspective stratégique qui complète les
caractéristiques de la légitimité et participe à l’attraction d’autres ressources (Aldrich
et Fiol, 1994 ; Zimmermann et Zeitz, 2002). La question du financement est d’ailleurs
cruciale pour ces structures, même si beaucoup reste à faire.
Conclusion
24 Dans le contexte français de réformes territoriales, le département semble être LA
collectivité qui est passée, relativement, à travers les mailles du filet des diverses
reconfigurations spatiales, ou encore du fameux « big bang territorial » (Torre et
Bourdin, 2015, p. 3). Annoncé comme en voie de disparition, cette collectivité se voit
confirmer des compétences importantes autour de la solidarité et de la cohésion
territoriale. Les lois MAPTAM et NOTRe n’ont d’ailleurs pas apporté de changement
concernant l’exercice de la compétence tourisme. Alors rien ne change ? Finalement
tout change ! Nous avons observé, concernant l’exercice de la compétence tourisme,
que l’échelon départemental se retrouve en quelque sorte pris en étau entre les EPCI et
les régions qui ont gagné en visibilité et lisibilité. De ce fait, les institutions touristiques
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
60
départementales ont dû s’adapter à un environnement changeant. Le fait que la loi ne
précise pas davantage les missions de l’échelon départemental dans l’exercice de la
compétence tourisme a permis aux conseils départementaux de fixer, dans le respect
de la loi, les objectifs selon leurs propres politiques départementales du tourisme. Mais
la légitimité du département a été malmenée dans le cadre de ces réformes
territoriales, qui ont été jusqu’à créer un nouvel échelon, la métropole, supplantant
une partie du périmètre spatial et d’actions du département. Le cas de la métropole de
Lyon est à cet égard particulièrement significatif. L’absence d’un chef de file désigné
pour l’exercice de la compétence tourisme par les collectivités territoriales a suscité
une attitude opportuniste de l’institution touristique départementale. Au regard de la
compétence relative à la solidarité et à la cohésion territoriale du département,
l’institution touristique départementale cherche à creuser son sillon et à se démarquer.
Motivée par la recherche de financements, en réponse à une baisse des dotations
financières de la collectivité de tutelle, l’institution touristique départementale semble
avoir redéfini son ADN par rapport aux autres collectivités en charge de l’exercice de la
compétence tourisme. La pertinence de l’exercice de la compétence tourisme par le
département devra être questionnée. Il semblerait que, bien que la loi l’oblige, chaque
département associe au tourisme des missions qui lui semblent cohérentes face aux
problématiques du territoire. En définitive, ce travail étant exploratoire, notre
réflexion demande à présent à être complétée par le cas d’autres départements et, plus
globalement, d’autres échelons territoriaux.
BIBLIOGRAPHIE
Howard E. ALDRICH et C. Marlene FIOL, « Fools Rush In? The Institutional Context of Industry
Creation », The Academy of Management Review, 19(4), 1994.
Philippe BANCE (dir.), L’internalisation des missions d’intérêt général par les organisations publiques.
Réalités d’aujourd’hui et perspectives, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2015.
Annie BARTOLI, Le management dans les organisations publiques, Dunod, 2005.
Pierre BAUBY, « Remettre à l’endroit…le "rapport principal-agent" », dans Philippe BANCE (dir.),
L’internalisation des missions d’intérêt général par les organisations publiques. Réalités d’aujourd’hui et
perspectives, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2015.
Emmanuel BELLANGER, « Les syndicats de communes d’une France en morceaux ou comment
réformer sans supprimer (1890-1970) », dans Rémy LE SAOUT, Réformer l’intercommunalité. Enjeux et
controverses autour de la réforme des collectivités territoriales, Presses universitaires de Rennes, 2012.
Jean-Luc BODIGUEL, « La DATAR : quarante ans d’histoire », Revue française d’administration publique,
2006/3, n° 119.
Roger BRUNET, Robert FERRAS et Hervé THÉRY, Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, La
Documentation Française, 1992.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
61
Marie-Laure BUISSON, « La gestion de la légitimité organisationnelle : un outil pour faire face à la
complexification de l’environnement ? », Management & Avenir, 2005/4, n° 6.
Géraldine CHAVRIER, « Quels pouvoirs juridiques pour l’exercice des compétences ? », Revue
française d’administration publique, 2015/4, n° 156.
Géraldine CHAVRIER, « La vocation du niveau intermédiaire : stratégies et prospective », Revue
française d’administration publique, 2012/1, n° 141.
Aliette DELAMARRE, « La carte des 36 000 communes », Mappemonde, 89/4, 1989.
Alain ESCADAFAL, « Attractivité des destinations touristiques : quelles stratégies d’organisation
territoriale en France ? », Téoros, 26-2, 2007 [http://journals.openedition.org/teoros/808].
Erhard FRIEDBERG, Le pouvoir et la règle, Seuil, 1993.
Thomas FRINAULT, « Réforme française de l’allocation dépendance et gestion départementale. Un
jeu d’influences réciproques », Gouvernement et action publique, 2013/1, vol. 2.
Nathalie GARÇON, « La Charente-Maritime à grands traits », Insee Analyses Nouvelle-Aquitaine, n° 7,
2016 [https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908390].
Mohamed GOUALI, Fusions-acquisitions, Éditions d’Organisation, 2007.
Hervé GUMUCHIAN et Claude MAROIS, Initiation à la recherche en géographie. Aménagement,
développement territorial, environnement, Anthropos, 2000.
Laurence JÉGOUZO, « Tourisme & territoire – Collectivités territoriales – L’acte III de la
décentralisation et le tourisme », Juris tourisme, n° 157, 2013.
Chantal JOURDAN, « Nouvelle organisation territoriale de la France, un paysage institutionnel local
redéfini (loi NOTRe du 7 août 2015) », Après-demain, 2016/1, n° 37, NF.
Julie MANFREDINI, Les syndicats d’initiative. Naissance de l’identité touristique de la France, Presses
universitaires François Rabelais, 2017.
Didier MANIER, « La réforme territoriale en France : l’avenir du département en tant que
collectivité territoriale », Allemagne d’aujourd’hui, 2015/2, n° 212.
Gérard MARCOU, « Les enjeux de la réforme territoriale », Revue française d’administration publique,
2015/4, n° 156.
Pierre MARIN, « Analyse des effets des pratiques de mutualisation sur la performance des
organisations publiques locales : le cas des Services départementaux d’incendie et de secours »,
thèse de doctorat en sciences de gestion sous la dir. de David CARRASUS, Université Pau Pays de
l’Adour, 2014.
Jean-Luc MICHAUD, Les institutions du tourisme, Presses universitaires de France, 1995.
Marie-Victoire OZOUF-MARIGNIER, La formation des départements : la représentation du territoire français
à la fin du XVIIIe siècle, Éditions de l’EHESS, 1989.
Jean-Marie PONTIER, « Compétences locales et politiques publiques », Revue française
d’administration publique, 2012/1, n° 141.
Pascal PRÉVOT, « Les Deux-Sèvres à grands traits », Insee Analyses Nouvelle-Aquitaine, n° 7, 2016
[https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908461].
Claude ROCHET et Olivier KERAMIDAS, « La crise comme stratégie du changement dans les
organisations publiques », La Revue des sciences de gestion, 2007/6, n° 228.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
62
Mathis STOCK (dir.), Le tourisme : acteurs, lieux et enjeux, Belin, 2003.
André TORRE et Sébastien BOURDIN, Big bang territorial : la réforme des régions en débat, Armand Colin,
2015.
Philippe VIOLIER, « Chapitre 5. Les acteurs du tourisme », dans Mathis STOCK (dir.), Le tourisme :
acteurs, lieux et enjeux, Belin, 2003.
Philippe VIOLIER, « L’espace local et les acteurs du tourisme », dans Philippe VIOLIER (dir.), L’espace
local et les directeurs du tourisme, Presses universitaires de Rennes, 1999.
Simon WANGANI, « Les fusions dans les organisations publiques : le cas de Pôle Emploi », La revue
des sciences de gestion, 2013/5, n° 263-264.
Gilles WILLEMS, « Aux origines de La Bretagne Touristique. Revue mosaïque de la modernité
bretonne », dans Jean-Yves ANDRIEUX et Patrick HARISMENDY (dir.), Initiateurs et entrepreneurs
culturels du tourisme (1850-1950), Presses universitaires de Rennes, 2011.
Monica A. ZIMMERMAN et Gerald J. ZEITZ, « Beyond survival: Achieving new venture growth by
building legitimacy », Academy of Management Review, vol. 27, n° 3, 2002.
NOTES
1. Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les
départements, les régions et l’État publiée au Journal officiel de la République française (JORF) du
9 janvier 1983, p. 215
2. Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et
d’affirmation des métropoles publiée au JORF n° 0023 du 28 janvier 2014, p. 1562
3. Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales
et départementales et modifiant le calendrier électoral publié au JORF n° 0014 du 17 janvier 2015,
p. 777
4. Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République
publiée au JORF n° 0182 du 8 août 2015, p. 13705.
5. Loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992 portant sur la répartition des compétences dans le
domaine du tourisme, publiée au JORF n° 299 du 24 décembre 1992, p. 17657.
6. Ordonnance n° 2004-1391 du 20 décembre 2004, art. 5 (V) publiée au JORF du 24 décembre
2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005.
7. Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales publiée au JORF
n° 0292 du 17 décembre 2010, p. 22146.
8. Voir : https://www.lagazettedescommunes.com/487237/depuis-la-loi-notre-la-competence-
tourisme-se-divise-entre-cooperation-et-competition/
9. Loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la
République publiée au JORF n° 33 du 8 février 1992, p. 2064.
10. Loi du 22 mars 1890 sur les syndicats de communes ajoutant un titre 8 (art. 169 à 180) à la loi
du 05-04-1884 relative à l’organisation municipale publiée au JORF du 6 mars 1890, p. 91.
11. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la
République publiée au JORF n° 75 du 29 mars 2003, p. 5568.
12. Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales publiée au JORF
n° 190 du 17 août 2004, p. 14545.
13. Op. cit.
14. Nom de l’assemblée délibérante depuis les élections départementales des 22 et 29 mars 2015.
Auparavant cette assemblée s’appelait « conseil général ».
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
63
15. À l’exception de quelques cas particuliers, telles que les stations classées tourisme.
16. 69,3 % des nuitées hôtelières, en 2016, sont générées par la clientèle affaire, URL : http://
www.pro-tourisme-deux-sevres.com/wp-content/uploads/2018/01/Chiffres-cl%C3%A9s-2016.pdf
17. http://www.tourisme-deux-sevres.com/infos-pratiques/contacter-nos-offices-de-tourisme
18. Délibération n° 5A de la séance du 12 mars 2018 du Conseil départemental des Deux-Sèvres
relative à la compétence tourisme, art. 1 et art. 2.
19. Voir : https://charentestourisme.com/Creer-et-developper/J-analyse-mon-territoire/Les-
chiffres/Chiffres-cles ?p =-1
20. Le département a compté jusqu’à 31 offices de tourisme, soit un par canton.
21. Selon le rapport de la Mission des offices de tourisme Nouvelle-Aquitaine (Mona), « État des
lieux du réseau offices de tourisme en Nouvelle-Aquitaine », 2019, p. 25
22. Anonyme, « Deux-Sèvres. Tourisme : l’ADT déménage et fait 60 000 € d’économie », Courrier de
l’Ouest.fr, 2015 [https://www.courrierdelouest.fr/actualite/deux-sevres-tourisme-ladt-demenage-
et-fait-60-000-deconomie-22-12-2015-250130].
23. Op. cit.
24. Support de présentation de la séance plénière des conseils départementaux de Charente et
Charente-Maritime présenté à Saintes le 25 septembre 2017.
RÉSUMÉS
En France, plusieurs régions et intercommunalités ont connu, ces cinq dernières années, de
profondes évolutions tant dans leurs dimensions spatiales que dans l’attribution d’un portefeuille
de compétence. Le département, soumis à diverses menaces de disparition, est confirmé dans sa
compétence de solidarité et de cohésion territoriale. Le tourisme est une compétence partagée
par l’ensemble des collectivités territoriales. Aussi, dans sa politique touristique, le département
doit, selon le Code du tourisme, se coordonner avec les autres collectivités territoriales. Nous
nous sommes interrogés sur l’évolution des conditions de l’exercice des institutions publiques
départementales françaises dans ce contexte de récentes réformes territoriales. Nous
examinerons la manière dont les comités départementaux du tourisme, organisme d’application
de la politique départementale du tourisme, réagissent face à l’évolution du contexte territorial.
Nous analyserons pour cela deux départements à intensité touristique hétérogène : la Charente
Maritime et les Deux Sèvres.
In France, several regions and intermunicipalities have undergone profound changes over the
last five years, both in their spatial dimensions and in the allocation of a portfolio of
competences. The department, subject to various threats of disappearance, is confirmed in its
competence of solidarity and territorial cohesion. Tourism is a competence shared by all the local
authorities. Therefore, in its tourism policy, the department must, according to the tourism code,
coordinate with the other local authorities. We asked ourselves about the evolution of the
conditions under which French departmental public institutions operate in this context of recent
territorial reforms. We will examine the way in which the departmental tourism committees,
responsible for implementing departmental tourism policy, react to changes in the territorial
context. To this end, we analyze two departments with heterogeneous tourism intensity: Deux-
Sèvres and Charente-Maritime.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
64
INDEX
Mots-clés : départements, réformes, tourisme, compétences, territoires
Keywords : departments, reforms, tourism, competence, territories
AUTEURS
JÉRÔME PIRIOU
Docteur en géographie, professeur-assistant
Excelia Group – La Rochelle Business School
CERIIM – Centre de recherche en intelligence et innovation managériales
MARIE-NOËLLE RIMAUD
Docteure en droit, professeure-associée
Excelia Group – La Rochelle Business School
Directrice du laboratoire INNOV Case Lab
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
65
Engagement des étudiants entourisme, hôtellerie et restaurationenvers leur domaine d’études etleur carrière : les facteursdéterminantsCommitment of tourism, hotel and restaurant management students to their
field of study and their career: determining factors
Jean Lagueux et Audrey Nanot
Introduction
1 D’ici 2035, la croissance de l’industrie touristique canadienne risque d’être
sérieusement compromise du fait d’une pénurie annoncée de 235 000 travailleurs
(Conference Board Canada, 2016), ce qui amène les établissements d’enseignement en
tourisme, hôtellerie et restauration (THR) à se questionner sur les moyens de
recrutement et de formation à mettre en œuvre pour attirer des candidats ayant un
fort potentiel d’engagement envers leur future carrière.
2 En effet, si c’est souvent la passion d’un métier qui amène un individu à choisir une
carrière, la réalité du milieu professionnel peut parfois apparaître comme étant en
porte-à-faux par rapport aux aspirations profondes de ces mêmes individus. Afin de
répondre à cette problématique, la présente recherche identifie des facteurs ayant une
influence sur le degré d’engagement d’un étudiant à persévérer dans le domaine choisi.
Ces facteurs peuvent être nombreux, depuis les conditions socioéconomiques d’un
territoire, en passant par la culture d’une industrie, le type d’emploi jusqu’au profil de
l’individu. Cependant, cette recherche écartera l’analyse des milieux de travail pour
mieux saisir le ressenti de l’individu par rapport à cet environnement, en lien avec les
expériences professionnelles vécues avant et au cours de son parcours académique.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
66
I. La revue de littérature
3 Alors que de nombreuses recherches en gestion ont identifié les facteurs favorisant la
loyauté des individus à une organisation, peu ont lié les traits intrinsèques d’un
étudiant, en processus d’apprentissage, à sa volonté de persévérer dans le domaine
choisi (Costen et Salazar, 2011). Afin d’aborder cette problématique, les concepts
entourant la carrière d’un individu, l’appréciation de son environnement de travail et
les intentions reliées au domaine d’études choisi ont, dans un premier temps, été
extraits de la littérature existante sur le sujet. Dans un deuxième temps, le concept
d’expérience émotionnelle en milieu de travail, qui fait état du ressenti de l’individu
lorsqu’il est en milieu de travail, est défini à partir des écrits existants. Enfin, à partir
des recherches effectuées sur les employés de services en THR, certaines
prédispositions de l’individu sont précisées.
Engagement envers sa carrière
4 Premièrement, au cœur de la problématique de cette recherche, se situe la propension
d’un employé à s’engager dans différents cadres organisationnels et certaines
industries. Au-delà de la loyauté envers son organisation, le construit d’engagement
envers sa carrière est ici plus pertinent (Darden et al., 1989).
5 Les travaux de London et Noe (1997) font état d’un ensemble de facteurs endogènes et
exogènes à l’individu pouvant être reliés à sa motivation à poursuivre ou non dans la
même voie de carrière. La revue de littérature qui suit relève un ensemble de
paramètres évoqués dans la littérature scientifique de la gestion des ressources
humaines et du comportement organisationnel afin de construire un modèle d’analyse
pouvant expliquer la motivation sous-tendant la loyauté envers sa carrière.
6 Afin de mieux cerner cette propension de l’individu à s’engager, les travaux de Carson
et Bedeian (1994) arrivent à un construit composé de trois dimensions. La première
examine comment les individus se projettent dans les tâches à accomplir et comment
ils s’identifient ultimement à leurs responsabilités professionnelles. La deuxième
dimension du concept, la planification de carrière, fait référence au contrôle exercé par
les individus sur les mesures conscientes qu’ils ont prises pour planifier leur carrière,
c’est-à-dire leur capacité à faire des choix qui font partie d’un schéma interne et qui
sont alignés à leurs convictions personnelles ou à leurs croyances professionnelles. La
troisième et dernière dimension, la résilience professionnelle, examine la capacité des
employés à travailler avec un certain degré de pression, à réagir de manière
professionnelle aux défis imprévus et à conserver l’énergie nécessaire pour continuer
sur la voie professionnelle librement choisie (Darden et al., 1989).
7 Dans la même veine, la recherche sur la persévérance scolaire est prolifique et a
hautement contribué à mieux comprendre la progression des étudiants dans leur
cheminement scolaire. Le fait d’avoir un emploi rémunéré pendant ses études est
désormais reconnu comme ayant des effets négatifs sur la continuité des études
(Maurel et al., 2009). Toutefois, la littérature s’est peu attardée à saisir les effets de la
poursuite d’un programme d’études sur la continuité du choix de carrière d’un
étudiant. Ainsi, l’intention de terminer son programme d’études, voire de changer de
programme ou de travailler dans un autre champ d’activité n’est pas documentée. Cette
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
67
étude s’intéresse donc à la continuité de carrière sous le regard de la persévérance
scolaire.
L’appréciation de l’expérience au travail
8 Afin de mieux saisir les facteurs agissant sur la capacité à se projeter dans le futur, les
construits issus des mesures de performance au travail peuvent être considérés. Ainsi,
la littérature en gestion des ressources humaines continue de lier le sentiment positif
ressenti par un individu en milieu de travail à sa performance et à sa volonté de
persévérer. Partant de ce consensus, la dimension propre à la satisfaction au travail
demeure à ce jour un construit incontournable dans l’étude des liens que les employés
peuvent entretenir avec leur emploi (Brown et Lam, 2008).
9 Dans le but d’approfondir cette appréciation du milieu de travail, de nouveaux
construits émergent afin de saisir d’autres aspects de la dynamique de travail de
l’employé. Ainsi, le concept d’expérience au travail apparaît au tournant des
années 1970 et a depuis intégré un certain nombre de perspectives liées aux notions de
qualité, de valeur et d’émotions. En effet, dans le but de réduire les taux de rotation de
leur personnel, les organisations ont commencé à inclure à leurs pratiques de gestion
des ressources humaines des approches de marketing interne afin de résoudre les
problèmes liés à l’engagement des employés (Jones, 2008). Or, le concept d’expérience
dans un milieu professionnel a rapidement pris une perspective différente que celle
utilisée pour mesurer la satisfaction des clients. Des concepts tels que le travail
émotionnel des employés (Lee et Ok, 2012 ; Seymour, 2000), le bien-être individuel
(Johnson et Spector, 2007), le plaisir et la satisfaction au travail (Young Gin et al., 2013)
ont permis de mettre en lumière de nouveaux aspects propres à la compréhension de la
performance émotionnelle des employés de service. Alors que ce dernier concept, la
satisfaction en milieu de travail, s’avère être une mesure a posteriori d’un événement,
plusieurs chercheurs ont tenté de saisir la validité de l’expérience émotionnelle propre
au moment de l’épisode de travail. Dans cette optique, le degré de plaisir et d’excitation
ressenti par l’employé devient un facteur de plus en plus utilisé pour caractériser
l’environnement de travail (Plester et Hutchison, 2016). Cette perspective, axée sur
l’impact à moyen terme de l’expérience professionnelle vécue par le prestataire, sera
donc celle priorisée dans le cadre de cette étude.
Les prédispositions des individus
10 Comme mentionné par London et Noe (1997), un regard sur le travailleur – l’étudiant
dans le cadre de notre étude – et de ses prédispositions s’avère judicieux afin d’orienter
une lecture juste du profil d’individus les plus enclins à se démarquer dans ce type
d’environnement et à se projeter dans leur choix de carrière.
11 La littérature propre au milieu THR a largement étudié les caractéristiques
individuelles qui correspondent le mieux aux emplois liés à la prestation de services.
Ainsi, la qualité du service offert et la performance globale des agents ont souvent été
examinées à travers l’étude des traits de personnalité (Lee-Ross et Pryce, 2005), des
prédispositions innées (Winsted, 1997), des compétences acquises, des valeurs
personnelles et des éléments culturels (Johns et al., 2007).
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
68
Les antécédents culturels
12 L’une des tâches essentielles de tout employé en THR est d’accueillir et de servir des
invités de toutes origines culturelles et ethniques. Par conséquent, il existe une
abondante littérature explorant l’empreinte culturelle individuelle comme antécédent
à la performance professionnelle (Lee et al., 2018 ; Taylor et McArthur, 2009). De plus,
les marqueurs culturels sont plus que jamais des repères significatifs lorsqu’on tente
d’expliquer la relation que certains individus entretiennent avec leur milieu de travail
(Sizoo et al., 2004). Lorsque l’on considère les caractéristiques propres à l’expression
culturelle dans des cadres conceptuels, les construits issus des recherches de Geert
Hofstede sont souvent les premiers utilisés (Yoo et al., 2011). Parmi les six dimensions
examinées pour mesurer l’impact de la culture sur l’organisation du travail,
l’orientation individualisme/collectivisme et le degré de distance hiérarchique perçu
dans les relations professionnelles sont les deux dimensions les plus couramment
utilisées pour explorer le sentiment d’identité ou d’appartenance des employés
(Hofstede et al., 2017). Mentionnons que les recherches d’Hofstede sont orientées vers
la mesure de traits caractéristiques à toute une nation (Bearden et al., 2006). Or, si l’on
désire se rapprocher des prédispositions individuelles, une autre perspective sur la
culture doit être adoptée. Ainsi, une dimension qui reprend de l’importance dans les
milieux de travail du THR est la présence d’environnements plus ou moins formels,
dans lesquels il existe une distance hiérarchique plus ou moins forte entre les individus
(Dash et al., 2006). De plus, ces milieux de travail sont également caractérisés par la
présence d’individus dont l’expression du comportement varie d’une approche plus
individualiste ou collectiviste (Johns et al., 2007). Ces deux dimensions à elles seules
permettent de situer plus précisément l’individu quant à sa capacité à lire les attentes
inhérentes à son comportement au sein d’une équipe de travail, mais également à y
répondre adéquatement dans une structure plus ou moins statique quant à son
organisation hiérarchique. Différentes études dans le milieu THR (Koc, 2013 ; White,
2005) ont en outre démontré le lien positif entre la perception de la distance
hiérarchique, d’une organisation de travail plus collectiviste qu’individualiste et le
degré de satisfaction ressentie par l’employé de service ; ces deux dimensions
apparaissent donc comme des indicateurs fiables à considérer dans l’explication des
facteurs liés à l’appréciation du milieu de travail.
L’orientation client des employés de services
13 La nature des tâches des emplois en THR est par ailleurs spécifique au domaine des
services, dans un environnement de consommation hédonique, et requiert de faire le
lien entre le profil des employés de service et la satisfaction qu’ils peuvent apporter à la
clientèle lors des interactions de service. Le concept de COSE (Customer Oriented Service
Employee, ou employé de service orienté client) (Kang et Hyun, 2012), défini comme
étant la tendance ou la prédisposition d’un prestataire de service à répondre
adéquatement aux besoins d’un client dans un contexte professionnel (Brown et al.,
2002), s’avère judicieux pour analyser l’engagement du travailleur dans ce contexte de
travail particulier. Ce construit est composé de quatre dimensions qui deviennent de
bons indicateurs pouvant influencer l’appréciation du milieu de travail (Kang et Hyun,
2012). La première dimension fait référence au niveau de compétences techniques
acquis par les employés, les rendant plus ou moins bien outillés pour répondre aux
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
69
besoins des clients lorsqu’en situation de prestation de service. La deuxième dimension,
axée sur les compétences sociales, analyse la capacité des employés à dialoguer de
manière significative avec les clients afin de bien percevoir ce que les clients
communiquent et ce qu’ils ressentent. La troisième dimension aborde le degré de
motivation : elle fait référence au degré d’engagement des employés à l’égard de leur
travail, tel que démontré dans leurs interactions avec les clients. Enfin, la dimension de
l’autorité décisionnelle fait référence à la capacité des employés à prendre des
décisions de manière autonome sans avoir à vérifier avec les supérieurs hiérarchiques.
Ce concept se distingue de celui de l’autonomisation, qui est l’autorité donnée par
l’organisation aux employés afin qu’ils prennent leurs propres décisions. Cette
prédisposition envers le client s’est révélée être un indicateur fiable permettant de
relier le concept de COSE à la satisfaction du client ou à la qualité du service (Hennig‐Thurau, 2004).
Le locus de contrôle
14 Enfin, et dans le but de préciser le profil d’employé souhaité, d’autres dimensions de
l’individu présentent un intérêt pour saisir le degré d’engagement de l’employé.
Notamment, le concept de « locus de contrôle », qui a largement été utilisé dans les
domaines du leadership et de la motivation, permet de mesurer la faculté de l’individu à
percevoir l’inhérence des événements de son existence comme étant propre à sa
volonté ou externe à ses décisions (Rotter, 1966). Dans les faits, les individus qui
estiment avoir un certain contrôle sur leur destin – locus de contrôle interne – ont
tendance à démontrer une plus grande compréhension de leur lieu de travail que ceux
qui pensent que le monde extérieur contrôle leur destin (Salazar et al., 2002). De plus,
dans le milieu THR, Silva (2006) a, plus spécifiquement, constaté que les attitudes des
employés vis-à-vis de leur emploi, en particulier leur engagement envers l’organisation
et leur satisfaction au travail, étaient étroitement liées à la mesure de leur locus de
contrôle. Cette dimension présente donc un fort intérêt lorsque pour comprendre
l’adéquation entre l’individu et la nature de l’emploi.
II. Le model conceptuel
15 Le modèle conceptuel émanant de cette revue de littérature est donc fondé sur les
travaux de London et Noe (1997) et sur la théorie de motivation de carrière. London et
Noe (1997) se réfèrent à un certain nombre de facteurs situationnels qui, eux-mêmes,
émanent des théories de la motivation. Cette théorie fait ressortir les facteurs de
motivation reliés au développement de carrière chez les individus et tente d’isoler
certains de ces facteurs, endogènes ou exogènes, ayant des liens avec la progression
professionnelle.
16 Ainsi, un modèle conceptuel dérivé de la littérature sur le comportement
organisationnel et les ressources humaines relie un certain nombre de prédispositions
des employés en tentant compte d’une nouvelle dimension, à savoir le degré de plaisir
vécu lors d’un épisode de travail.
17 Composé de sept construits, le cadre analytique relie quatre prédispositions
individuelles à une variable d’appréciation du milieu de travail, elle-même reliée au
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
70
concept d’engagement de carrière et à trois dimensions d’intentions futures des
participants.
18 Sur la base de notre revue de littérature, trois hypothèses principales ont été énoncées.
L’hypothèse n° 1 examine la relation entre l’appréciation en milieu de travail
(expérience émotionnelle) et l’engagement professionnel, tandis que l’hypothèse n° 2
énonce un certain nombre de relations entre cette même appréciation en milieu de
travail et les intentions futures des étudiants. Enfin, l’hypothèse n° 3 énonce les
relations attendues entre des facteurs endogènes à l’individu et l’appréciation de
l’environnement de travail. La figure 1 illustre l’ensemble d’hypothèses entre chaque
construit. Le tableau 1 énonce les relations attendues et présente les résultats obtenus.
Figure 1. Cadre conceptuel
La méthodologie
19 Afin de mener à bien cette recherche, un échantillon de 600 étudiants, fréquentant tous
le même établissement, a été sollicité. Cet établissement propose trois ordres distincts
d’enseignement, dont deux ont été sondés : l’ordre collégial (trois techniques distinctes
en tourisme, hôtellerie et restauration)1 et universitaire (en tourisme et hôtellerie). Sur
ce nombre de possibles répondants, 465 questionnaires ont été recueillis, dont 424 ont
finalement été conservés pour la validité de leurs résultats. Le questionnaire, développé
en utilisant des échelles de mesure déjà existantes, a été distribué en classe.
20 L’analyse factorielle confirmatoire n’a pas confirmé la présence d’une structure
factorielle de second ordre pour les construits de COSE et d’engagement de carrière. Les
facteurs individuels ont été traités séparément dans le cadre de l’analyse. De plus, afin
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
71
d’obtenir une cohérence interne, le coefficient alpha de Cronbach a été évalué pour
toutes les échelles (Nunnally, 1978).
Le profil de l’échantillon
21 Au total, parmi notre échantillon de 424 répondants, 66 % des individus se sont
identifiés comme étant des femmes et 44 % comme étant des hommes. 42 % des
participants étaient en première année d’étude, 30 % en deuxième année et 28 % en
troisième année ou plus. En ce qui concerne les groupes d’âge, 45 % de l’échantillon
avaient entre 17 et 20 ans, 45 % entre 21 et 25 ans et 10 % 26 ans et plus. La répartition
des étudiants par programme d’études a révélé que 33 % des étudiants suivaient un
programme international de gestion hôtelière, 23 % étaient dans un programme de
gestion de la restauration, 23 % dans un programme de gestion touristique (trois
niveaux collégiaux) et 21 % faisaient partie d’un programme de gestion touristique et
hôtelière au niveau universitaire.
22 S’agissant de l’expérience de travail, 27 % des participants avaient de 0 à 6 mois
d’expérience de travail dans leur domaine d’études, 19 % avaient de 7 à 12 mois
d’expérience, 18 % avaient de 13 à 24 mois d’expérience, 18 % avaient 48 mois
d’expérience et 18 % avaient 49 mois ou plus d’expérience professionnelle.
Le portrait des répondants
23 Afin d’obtenir une meilleure compréhension de notre échantillon de population en
fonction de leurs caractéristiques individuelles perçues et liées aux variables choisies,
un portrait partiel a été dressé.
24 Dans l’ensemble, les étudiants s’estiment plus collectivistes qu’individualistes
(̅ = 5,2 / 7) et ils manifestent aussi une appréhension de la distance hiérarchique plus
faible (̅ = 2,3 / 7), ce qui démontre un sens plus élevé de l’égalité en termes de
perception de la distribution du pouvoir dans leur environnement. Quant à l’expression
de leur orientation client, ils ont déclaré posséder de bonnes compétences techniques
(̅ = 5.6 / 7) et d’excellentes aptitudes sociales (̅ = 6.3 / 7), qui seraient typiques des
étudiants formés en programmes d’accueil. La troisième dimension du COSE, la
motivation perçue, a obtenu une moyenne de 6,2 / 7, ce qui illustre une plus grande
perception de leur propre désir de faire les efforts appropriés pour accomplir une tâche
professionnelle donnée.
25 Pour la dernière prédisposition étudiante, les résultats montrent qu’ils se perçoivent
comme ayant un locus de contrôle plus interne qu’externe (̅ = 5,5 / 7), ce qui indique
qu’ils sont dotés de la croyance personnelle d’avoir le contrôle de leur propre vie. Les
résultats liés aux épisodes de travail vécus par les étudiants révèlent par ailleurs qu’ils
ont surtout ressenti un sentiment de plaisir au travail (̅ = 5,4 / 7).
26 Enfin, en termes d’engagement dans leur carrière, les résultats montrent que les
étudiants ont tendance à s’identifier très fortement à leur carrière (̅ = 6,0 / 7) mais
qu’ils sont moins enclins à se projeter dans un plan de carrière (̅ = 4,9 / 7) et qu’ils
étaient également moins résilients donc moins outillés pour rebondir face aux défis liés
au travail (̅ = 4.4 / 7).
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
72
Les résultats
27 Des analyses de régression simple et multiple ont été utilisées pour étudier le lien entre
ce que les étudiants ont vécu, expérimenté au cours de leur épisode de travail et les
trois dimensions de l’engagement professionnel. Ces trois dernières montrent certaines
relations. Le tableau 1 et la figure 2 rapportent les résultats au regard des hypothèses
qui ont été confirmées.
Figure 2. Résultats des hypothèses de recherche
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
73
Tableau 1. Synthèse des hypothèses et des résultats
28 La première série d’analyses examine la relation entre les épisodes de travail des
étudiants et l’engagement envers leur carrière. Premièrement, une analyse de
régression simple a été utilisée avec l’identification de la carrière comme critère et les
variables associées aux épisodes de travail des étudiants comme prédicteurs. Les
résultats de l’analyse de régression indiquent qu’il existe une relation positive entre le
degré d’expérience émotionnelle vécue par les répondants (H1a : β = 0,233,
Rdeux = 0,026) et la façon dont ils s’identifient à leur carrière, ce qui signifie que plus le
travail est agréable, plus ils se sentent connectés à la profession choisie. Pour ce qui est
de la seconde dimension, l’engagement envers sa carrière ou la planification, un lien
positif est également obtenu (H1b : β = 0,222, Rdeux = 0,026). Enfin, pour la troisième
dimension, l’appréciation de l’expérience en milieu de travail montre un lien positif
avec la résilience face à sa carrière (H1c : β = 0,261, Rdeux = 0,029). La variance
expliquée par ces trois facteurs est très basse, ce qui indique que bien d’autres facteurs
peuvent en effet expliquer la variabilité associée à l’appréciation de l’expérience. Ces
résultats indiquent qu’une personne ayant une expérience émotionnelle positive sera
plus disposée à s’identifier à sa carrière, à la planifier et sera plus résiliente à travers sa
carrière.
29 Ces résultats sont conformes à d’autres études, dans lesquelles le facteur du plaisir (les
émotions positives au travail) est relié à des concepts similaires liés à l’emploi, tels que
l’intégration au travail (Tews et Michel, 2015) et l’engagement envers ses tâches
(Plester et Hutchison, 2016). Ils convergent également avec les travaux de Kong et Jiang
(2018) qui précisent que la présence d’émotions positives au travail, au travers de la
présence d’une intelligence émotionnelle supérieure, ont un lien positif avec
l’établissement d’objectifs reliés à sa carrière. Par conséquent, les présents résultats
confirment la pertinence du concept de plaisir au travail dans des modèles expliquant
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
74
l’engagement des employés, au-delà de leur emploi, envers leur carrière. Cette relation
entre le plaisir vécu au travail et l’engagement envers sa carrière nécessitera d’être
investiguée davantage.
30 Le deuxième niveau d’analyse porte sur les liens entre l’expérience émotionnelle des
étudiants et leur intention de continuer à étudier ou travailler dans leur domaine de
carrière ou dans un autre domaine. Les résultats montrent qu’il existe un lien entre
l’expérience émotionnelle du participant, en milieu de travail, et la suite de ses études.
Ainsi, plus l’expérience émotionnelle est positive, plus l’individu a l’intention de
travailler dans le même domaine (H2a : β = 0,206, Rdeux = 0,002). Ce résultat est aussi en
lien avec la relation négative qui existe entre l’expérience émotive positive et le désir
de vouloir travailler dans un autre domaine (H2b : β = - 0,230, Rdeux = 0,018). D’autre
part, il existe aussi un lien négatif significatif entre l’expérience émotionnelle en milieu
professionnel et l’intention de poursuivre ses études dans un autre domaine (H2c : β = -
0,211, Rdeux = 0,130), ce qui signifie que plus l’expérience émotionnelle est positive,
moins l’étudiant sera enclin à étudier dans un autre domaine.
31 Bien que le modèle de Tinto (Bers et Smith, 1991) soit la référence en termes de
persévérance scolaire, peu d’études ont été menées pour examiner le lien entre le désir
de l’étudiant de poursuivre ses études dans un même domaine et les expériences
professionnelles vécues dans ce même domaine d’activité. Le modèle de Tinto
comprend deux dimensions, garantes de persévérance : l’intégration académique et
l’intégration sociale. Les recherches effectuées sur la relation entre ces deux concepts
et les intentions d’études demeurent mitigées et présentent souvent des résultats
contradictoires (Bers et Smith, 1991). L’intégration professionnelle, à adapter aux
programmes en alternance travail-études, serait alors une nouvelle dimension à
considérer dans la persévérance scolaire.
32 Le troisième niveau d’analyse porte sur les liens entre les prédispositions des étudiants
et leur appréciation de leur épisode de travail en tant qu’expérience émotionnelle. Une
régression multiple, avec l’appréciation de l’expérience de travail comme variable
dépendante, montre que les variables explicatives du modèle expliquent 21,2 % de la
variance.
33 Les résultats de cette régression multiple montrent, dans un premier temps, qu’il existe
un lien positif entre le fait de se percevoir comme plus collectiviste qu’individualiste
(H3a : β = 0,113) et le fait de vivre des émotions plus positives sur le lieu de travail. Ce
résultat est soutenu par les recherches de Hui et al. (1995) qui ont constaté que « les
employés collectivistes ont déclaré être plus satisfaits de leur travail, salaire,
promotion, supervision et collègues que leurs homologues individualistes ». Ainsi, le
trait collectiviste semble être moins lié aux émotions personnelles négatives. Les
résultats actuels confirment donc que le collectivisme et l’individualisme demeurent
des facteurs pertinents qui influent sur les résultats liés au travail.
34 Deuxièmement, également issu du concept de COSE, le fait de se percevoir comme
possédant de bonnes compétences techniques a aussi un lien positif (H3c-i : β = 0,099)
avec des émotions plus positives. Cet effet se traduit aussi au niveau de la motivation
envers son travail (H3c-iii : β = 0,579). Cela signifie que les individus éprouvent plus de
plaisir au travail lorsqu’ils se sentent mieux outillés d’un point de vue technique et
qu’ils sont plus motivés. Enfin, lorsque les étudiants démontrent un locus de contrôle
plus interne, une relation positive significative (H3d : β = 0,127) existe avec la présence
d’émotions positives, ce qui signifie que les étudiants qui ont l’impression de mieux
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
75
maîtriser leur destin expérimentent davantage de plaisir au travail. Cette relation
positive entre le locus de contrôle des étudiants et l’expérience émotionnelle confirme
les résultats de Silva (2006) sur les attitudes professionnelles et l’engagement
organisationnel, dans lesquels cinq grands traits de personnalité et le locus de contrôle
sont positivement reliés à la satisfaction professionnelle des employés et leur
engagement. Cela confirme également les résultats de nombreuses autres études : un
locus de contrôle interne est positivement lié à des résultats de performance plus
souhaitables (Dijkstra et al., 2011 ; Twenge et al., 2004). Les résultats de cette étude
offrent donc une nouvelle perspective en confirmant que le locus de contrôle a aussi
une relation positive sur les émotions positives expérimentées en milieu professionnel
par les employés.
Conclusion
35 En conclusion, cette recherche offre des outils permettant d’identifier plus aisément un
individu porté à connaître des expériences positives en milieu professionnel et à
ultimement persévérer dans l’industrie. L’adéquation entre la satisfaction,
l’engagement et la persévérance est aussi probante. La richesse de ces résultats peut
s’avérer utile pour les recruteurs académiques afin de cibler au mieux les étudiants les
plus prompts à persévérer, mais permet aussi de détecter les individus dont la
performance pourrait être accrue dans leur première année de travail si le milieu
professionnel présente une forte adéquation avec la perception de plaisir et
ultimement le souvenir de satisfaction.
36 Plus spécifiquement, les résultats de cette étude peuvent aider les directions
d’établissement en milieu THR à développer l’offre d’emploi proposée aux étudiants au
cours de leurs programmes d’études. Lorsque les établissements aident les étudiants à
trouver un stage rémunéré, un emploi complémentaire à leur scolarité ou un poste
estival, ils peuvent se référer à ces résultats pour faire le lien avec les profils des
étudiants et pour ainsi mieux les préparer afin d’optimiser leur niveau d’engagement
envers leur future carrière. Ainsi, le fait de mieux comprendre le rôle des expériences
émotionnelles dans les stages professionnels peut les amener à se concentrer sur des
organisations qui visent à créer de véritables expériences positives pour leurs employés
et qui valorisent la notion de plaisir au travail. Puisqu’il existe un lien positif entre le
facteur du plaisir au travail et l’avenir des carrières des étudiants, il est donc logique
que les établissements d’enseignement et leurs représentants travaillent avec des
organismes qui visent à améliorer le niveau de plaisir au travail afin de garder les
étudiants dans le domaine de l’hospitalité. Les établissements d’enseignement formant
les futurs gestionnaires et la main d’œuvre en milieu THR peuvent également travailler
avec les étudiants afin de les aider à mieux appréhender l’importance du plaisir au
travail et leur enseigner des façons d’allouer du temps pour valoriser ce facteur.
37 Éduquer les étudiants à apprécier leurs propres compétences techniques peut
également mieux les préparer à leur environnement de travail. En effet, sensibiliser les
étudiants au fait que plus ils se sentent compétents au travail sur le plan technique,
plus ils sont susceptibles de vivre une expérience émotionnelle positive au travail, peut
inciter les étudiants à se concentrer sur l’acquisition de ces compétences. Les
enseignants dont le champ d’expertise touche plus spécifiquement l’accueil peuvent
également se concentrer sur les impacts positifs de bonnes compétences sociales et
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
76
animer des ateliers et des sessions de formation dédiés afin d’outiller les étudiants pour
qu’ils deviennent des communicateurs efficaces, dotés de compétences sociales
exceptionnelles. De plus, il serait aussi tout à fait à propos de proposer des programmes
qui misent plus particulièrement sur l’expérience affective positive en milieu de travail.
38 Enfin, les établissements d’enseignement devraient prendre en compte le puissant
concept de locus de contrôle lors du recrutement des étudiants. La sensibilisation à
l’autodétermination et un locus de contrôle plus interne peuvent également permettre
aux étudiants d’avoir une meilleure appréciation de leur lieu de travail, tout en
s’amusant davantage. Sensibiliser les étudiants à prendre conscience de leur locus de
contrôle interne par des activités de mentorat, de coaching ou de jeux de rôles peut
être un moyen efficace de démontrer un comportement plus approprié au travail, de
promouvoir les émotions positives au travail, qui s’avèrent in fine bénéfiques pour leur
engagement envers leur carrière.
39 Finalement, il serait pertinent d’interpeller les responsables du recrutement dans les
organisations touristiques misant sur certaines dimensions propres à la qualité du
service à la clientèle et surtout à la rétention de leurs employés. En effet, ces résultats
pourraient aussi être vulgarisés et communiqués auprès des recruteurs afin de
valoriser le fait que les prédispositions les plus gagnantes chez les futurs candidats sont
celles axées sur le locus de contrôle et sur la mise en lumière des habilités techniques et
sociales.
Limites de la présente étude
40 Bien que les résultats de la présente étude se limitent à une seule population scolaire,
ils révèlent des relations significatives entre des concepts qui n’avaient pas été reliés
auparavant et ils fournissent des conseils utiles sur la façon d’améliorer les modèles
théoriques futurs. Cela permettra d’enrichir la compréhension globale de l’engagement
professionnel des étudiants pour la nouvelle génération de travailleurs plus diversifiée
entrant sur le marché du travail.
41 Ces résultats appellent néanmoins des études sur d’autres populations scolaires, dans
des contextes sociaux et culturels différents, afin de mieux comprendre les mécanismes
de la gestion de carrière. De plus, des études portant sur d’autres prédispositions, telles
que l’intelligence émotionnelle, l’empathie, l’auto-efficacité, l’adaptabilité, les
compétences de communication, entre autres, permettraient certainement de
comprendre comment l’engagement professionnel peut être façonné et renforcé.
42 Dernièrement, l’engagement professionnel devrait également être envisagé sous un
angle différent en tenant compte du facteur de longévité, plus précisément en
extrapolant le modèle actuel afin d’étudier les facteurs qui permettraient aux
travailleurs plus âgés de poursuivre leur carrière plus longtemps.
43 L’engagement professionnel est complexe et multidimensionnel et l’industrie THR est
aujourd’hui confrontée à des changements démographiques et à la nécessité de trouver
de nouvelles façons d’offrir une expérience distincte à sa clientèle. Des recherches
supplémentaires sont donc nécessaires pour affiner ces résultats.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
77
BIBLIOGRAPHIE
William O. Bearden, R. Bruce Money et Jennifer L. Nevins, « Multidimensional versus
unidimensional measures in assessing national culture values: The Hofstede VSM 94 example »,
Journal of Business Research, 59(2), 2006 [http://dx.doi.org/10.1016/j.jbusres.2005.04.008].
Trudy H. Bers et Kerry E. Smith, « Persistence of community college students: The influence of
student intent and academic and social integration », Research in Higher Education, 32(5), 1991
[doi : 10.1007/BF00992627].
Steven Brown et Son Lam, « A Meta-Analysis of Relationships Linking Employee Satisfaction to
Customer Responses », Journal of Retailing, 84(3), 2008 [doi : 10.1016/j.jretai.2008.06.001].
Tom J. Brown, John C. Mowen, Todd Donavan et Jane W. Licata, « The customer orientation of
service workers: Personality trait effects on self and supervisor performance ratings », Journal of
Marketing Research, 39(1), 2002 [doi: 10.2307/1558588].
Kerry D. Carson et Arthur G. Bedeian, « Career commitment: Construction of a measure and
examination of its psychometric properties », Journal of Vocational Behavior, 44(3), 1994 [doi :
10.1006/jvbe.1994.1017].
Conference Board Canada, Bottom line: Labour shortages threaten tourism's growth - national
summary, 2016 [http://emerit.ca/product/LMISUPDEM2.0-OL-E/en].
Wanda Costen et John Salazar, « The impact of training and development on employee job
satisfaction, loyalty, and intent to stay in the lodging industry », Journal of Human Resources in
Hospitality & Tourism, 10(3), 2011 [doi : 10.1080/15332845.2011.555734].
W. R. Darden, R. Hampton et Roy D. Howell, « Career versus organizational commitment:
Antecedents and consequences of retail salespeople's commitment », Journal of Retailing, 65(1),
1989.
Satya Dash, Edward Bruning et Kalyan Kumar Guin, « The moderating effect of power distance on
perceived interdependence and relationship quality in commercial banking », International
Journal of Bank Marketing, 24(5), 2006 [doi : 10.1108/02652320610681747].
Maria T. M. Dijkstra, Bianca Beersma et Arne Evers, « Reducing conflict-related employee strain:
The benefits of an internal locus of control and a problem-solving conflict management
strategy », Work & Stress, 25(2), 2011 [doi : 10.1080/02678373.2011.593344].
Thorsten Hennig‐Thurau, « Customer orientation of service employees: Its impact on customer
satisfaction, commitment, and retention », International Journal of Service Industry
Management, 15(5), 2004 [doi : 10.1108/09564230410564939].
Geert Hofstede, Gert Jan Hofstede et Michael Minkov, Cultures and organizations software of the
mind: Intercultural cooperation and its importance for survival, MTM, 2017.
C. Harry Hui, Candice Yee et Karen L. Eastman, « The relationship between individualism -
collectivism and job satisfaction », Applied Psychology, 44(3), 1995 [doi : 10.1111/j.
1464-0597.1995.tb01080.x].
Nick Johns, Judy Henwood et Claire Seaman, « Culture and service predisposition among
hospitality students in Switzerland and Scotland », International Journal of Contemporary
Hospitality Management, n° 19, 2007 [doi : 10.1108/0959611071072956].
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
78
Hazel-Anne M. Johnson et Paul E. Spector, « Service with a smile: Do emotional intelligence,
gender, and autonomy moderate the emotional labor process? », Journal of Occupational Health
Psychology, 12(4), 2007 [doi : 10.1037/1076-8998.12.4.319].
Peter Jones, Handbook of hospitality operations and IT, Butterworth Heinemann, 2008.
Juhee Kang et Sunghyup Sean Hyun, « Effective communication styles for the customer-oriented
service employee: Inducing dedicational behaviors in luxury restaurant patrons », International
Journal of Hospitality Management, 31(3), 2012 [doi: 10.1016/j.ijhm.2011.09.014].
Erdogan Koc, « Power distance and its implications for upward communication and
empowerment: crisis management and recovery in hospitality services », The International
Journal of Human Resource Management, 24(19), 2013 [doi : 10.1080/09585192.2013.778319].
Haiyan Kong et Xinyu Jiang, « Job satisfaction research in the field of hospitality and tourism »,
International Journal of Contemporary Hospitality Management, 30(5), 2018 [doi : 10.1108/
IJCHM-09-2016-0525].
JungHoon Lee, Alleah Crawford, Melvin R. Weber et Dori Dennison, « Antecedents of cultural
intelligence among american hospitality students: Moderating effect of ethnocentrism », Journal
of Hospitality & Tourism Education, 30(3), 2018 [doi : 10.1080/10963758.2018.1444494].
JungHoon Lee et Chihyung Ok, « Reducing burnout and enhancing job satisfaction: Critical role of
hotel employees’ emotional intelligence and emotional labor », International Journal of
Hospitality Management, 31(4), 2012 [doi : 10.1016/j.ijhm.2012.01.007].
Darren Lee-Ross et Josephine Pryce, « A preliminary study of service predispositions amongst
hospitality workers in Australia », The Journal of Management Development, 24(5/6), 2005 [doi :
10.1108/02621710510598436].
Manuel London et Raymond. A. Noe, « London's Career Motivation Theory: An Update on
Measurement and Research », Journal of Career Assessment, 5(1), 1997 [doi :
10.1177/106907279700500105].
Arnaud Maurel, Magali Beffy et Denis Fougère, « L’impact du travail salarié des étudiants sur la
réussite et la poursuite des études universitaires », Économie et Statistique, Insee, 2009.
Jum C. Nunnally, Psychometric theory, McGraw-Hill, 1978.
Barbara Plester et Ann Hutchison, « Fun times: The relationship between fun and workplace
engagement », Employee Relations, 38(3), 2016 [doi : 10.1108/ER-03-2014-0027].
Julian B. Rotter, « Generalized expectancies for internal versus external control of
reinforcement », Psychological Monographs: General and Applied, 80(1), 1966.
John Salazar, Susan Hubbard et Leta Salazar, « Locus of control and its influence on hotel
managers' job satisfaction », Journal of Human Resources in Hospitality & Tourism, 1(2), 2002
[doi : 10.1300/J171v01n02_02].
Diane Seymour, « Emotional labour: A comparison between fast food and traditional service
work » International Journal of Hospitality Management, 19(2), 2000 [doi: 10.1016/
s0278-4319(00)00009-8].
Paula Silva, « Effects of disposition on hospitality employee job satisfaction and commitment »,
International Journal of Contemporary Hospitality Management, 18(4), 2006 [doi :
10.1108/09596110610665320].
Steve Sizoo, Wilfried Iskat, Richard Plank et Hendrick Serrie, « Cross-Cultural Service Encounters
in the Hospitality Industry and the Effect of Intercultural Sensitivity on Employee Performance »,
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
79
International Journal of Hospitality & Tourism Administration, 4(2), 2004 [doi : 10.1300/
J149v04n02_04].
Marcia Taylor et Laura McArthur, « Cross-cultural knowledge, attitudes and experiences of
hospitality management students », Journal of Hospitality & Tourism Education, 21(4), 2009 [doi :
10.1080/10963758.2009.10696955].
Michael Tews et John Michel, « Workplace fun matters… but what else? », Employee Relations,
37(2), 2015 [doi : 10.1108/ER-10-2013-0152].
Jean M. Twenge, Liqing Zhang et Charles Im, « It's beyond my control: A cross-temporal meta-
analysis of increasing externality in locus of control, 1960-2002 », Personality and Social
Psychology Review, 8(3), 2004 [doi : 10.1207/s15327957pspr0803_5].
Christopher White, « The relationship between cultural values and individual work values in the
hospitality industry », International Journal of Tourism Research, 7(4‐5), 2005 [doi : 10.1002/jtr.
535].
Kathryn Frazer Winsted, « The service experience in two cultures: A behavioral perspective »,
Journal of Retailing, 73(3), 1997 [doi : 10.1016/S0022-4359(97)90022-1].
Boonghee Yoo, Naveen Donthu et Tomasz Lenartowicz, « Measuring Hofstede's five dimensions
of cultural values at the individual level: Development and validation of CVSCALE », Journal of
International Consumer Marketing, 23(3-4), 2011 [doi : 10.1080/08961530.2011.578059].
Choi Young Gin, Kwon Junehee et Kim Wansoo, « Effects of attitudes vs experience of workplace
fun on employee behaviors: Focused on generation Y in the hospitality industry », International
Journal of Contemporary Hospitality Management, 25(3), 2013 [doi : 10.1108/09596111311311044].
NOTES
1. Le niveau collégial québécois offert dans les CÉGEP, correspond à un baccalauréat
professionnel français.
RÉSUMÉS
Au cours de leur formation académique, les étudiants dans le domaine du tourisme, de
l’hôtellerie et de la restauration ancrent lentement leurs choix de carrière dans l’industrie pour
laquelle ils étudient. Cette recherche, basée sur la théorie des motivations de carrière de London
et Noe (1997), établit un lien entre certaines dimensions intrinsèques des individus, telles que
l’empreinte culturelle, les traits d’orientation client et le locus de contrôle, et leur appréciation
des épisodes réels de travail au cours desquels des émotions positives sont vécues. Combinées aux
prédispositions individuelles des étudiants, ces expériences concrètes déterminent la manière
dont les étudiants s’engagent dans leur carrière naissante. Les résultats d’un sondage mené
auprès de 424 étudiants du secteur du tourisme ont révélé qu’il existait une relation positive
entre les étudiants ayant du plaisir au travail et la manière dont ils s’identifiaient, planifiaient et
faisaient preuve de résilience face aux défis liés à leur carrière.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
80
During their academic training, students in the fields of tourism, hotel and restaurant
management slowly anchor their career choices in the industry for which they study. This
research, based on the theory of career motivations of London and Noe (1997), establishes a link
between certain intrinsic dimensions of individuals, such as cultural imprint, customer
orientation traits and locus of control, and their appreciation of the real work episodes during
which positive emotions are experienced. Combined with the individual predispositions of the
students, these concrete experiences determine the way in which students embark on their
nascent career. Results of a survey of 424 tourism students revealed that there is a positive
relationship between students who have fun at work and how they identify, plan and
demonstrate resilience in the face of challenges related to their careers.
INDEX
Mots-clés : emploi, tourisme, carrières, modèle de motivation, étudiants
Keywords : employment, tourism, careers, motivation model, students
AUTEURS
JEAN LAGUEUX
Professeur, Université du Québec à Montréal
Gestion stratégique des entreprises touristiques
AUDREY NANOT
Professeure, Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec
Gestion de la diversité dans les entreprises touristiques
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
81
L’évolution du discours sur lesressources humaines en tourisme :entre théories et pratiquesmanagérialesThe evolution of the discourse on human resources in tourism: between
managerial theories and practices
Boualem Kadri, Mohamed Reda Khomsi et Cyril Martin
Introduction
1 L’entreprise, acteur majeur dans la société aujourd’hui, fait de plus en plus l’objet d’une
attention particulière de la part des chercheurs et des acteurs politiques et sociaux :
elle s’organise, s’adapte, apprend et marque son implication par une responsabilité
sociale. Ce processus évolutif et adaptatif de l’organisation à la société montre un
management postindustriel qui donne avantage non à la rationalité (technologie,
organisation rationalisée) mais à la dimension de la ressource humaine de l’entreprise
(Crozier, 1989). Peretti (2013, p. 6) résume ainsi l’évolution de cette dimension :
La fonction personnelle a émergé lentement dès la première moitié du XXe, s’estprofessionnalisée dans la seconde moitié, est devenue fonction des ressourceshumaines et est reconnue comme une fonction stratégique aujourd’hui.
2 Depuis les années 2000, la pratique des ressources humaines devient « partenaire »,
s’adapte au contexte et aux défis (contingence de l’environnement) et s’ancre, pour
l’horizon 2020, dans la société (responsabilité sociale, développement durable,
humanitaire) (Peretti, 2013, p. 17).
3 S’agissant du tourisme, on note aussi que cette activité a évolué depuis les années 1970,
d’une situation qualifiée d’éphémère (animations réalisées en fonction de la présence
temporaire des touristes, pratiques économiques peu planifiées) à celle où l’activité
devient une fonction stratégique, notamment pour l’économie urbaine et le
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
82
développement territorial, ainsi qu’un « genre commun » pour la société (Lussault et
Stock, 2007). Mais cette évolution est-elle aussi constatée en matière de gestion des
ressources humaines de l’entreprise touristique ?
4 L’irruption de nouvelles activités, dans l’économie traditionnelle des années 1970, tels
les services et notamment ceux liés au tourisme (loisirs, divertissement, événements),
résulte en une réalité économique et managériale confrontée à divers aspects :
l’importance des relations humaines dans la confection du produit, la dimension
d’intangibilité du produit, une gestion des ressources humaines différente, dans
laquelle la prestation du personnel est une partie intégrante de la qualité du produit et
de l’expérience humaine. Par ailleurs, une autre réalité vient marquer l’évolution du
tourisme, notamment en ce qui concerne la construction de son identité scientifique,
qui s’édifie peu à peu par la confrontation interdisciplinaire nécessaire à la
compréhension de la complexité du phénomène touristique. Nous nous intéressons ici
au discours en gestion des ressources humaines en tourisme, et plus particulièrement à
son évolution dans le développement du tourisme et de l’entreprise. Si le discours
scientifique sur cette complexité touristique se développe, en est-il de même du
discours concernant la gestion des ressources humaines ? Ce dernier évolue-t-il de la
même manière que celui observé dans le management de l’organisation en général ?
Comment se présente le discours en gestion des ressources humaines dans la recherche
en tourisme, notamment dans les ouvrages et les revues ? Pour répondre à ces
interrogations, le présent article propose une analyse de type épistémologique du
discours sur la gestion des ressources humaines en tourisme, constituée à partir
d’articles issus de la revue Espaces tourisme & loisirs. En sus d’être francophone, le choix
de cette revue est motivé, d’une part, par le fait qu’elle est considérée par plusieurs
acteurs du tourisme comme un espace privilégié pour exprimer leurs regards sur
différents sujets qui touchent leur secteur et, d’autre part, par la possibilité offerte par
la revue de mener une analyse diachronique sur les articles qui traitent de la gestion
des ressources humaines en tourisme depuis les années 1990.
1. Revue de littérature
5 Pour saisir l’évolution du discours sur la gestion des ressources humaines en tourisme,
nous avons lancé une recherche dans les principales bases de données scientifiques
francophones (Cairn.info, OpenEdition, Persée, Tel [thèses en ligne] et Emerald Insight),
indexées par le moteur de recherche Google Scholar, en utilisant des mots clés assez
génériques comme : gestion des ressources humaines, GRH, tourisme, entreprise
touristique. À ce titre, les résultats des différentes requêtes recensent un total de
3 550 références publiées entre 2000 et 2019, réparties sur 99 pages. Au-delà de la
dimension quantitative, deux constats importants peuvent être tirés des résultats de
cette recherche :
Même si notre objectif n’était pas de recenser des livres ou des manuels scolaires qui traitent
de la gestion des ressources humaines en tourisme, il est intéressant de souligner qu’il
n’existe aucun livre dédié exclusivement au sujet et référencé sur le moteur de recherche.
Cette dimension se retrouve cependant dans plusieurs ouvrages qui traitent de la gestion
des entreprises touristiques et elle occupe souvent un chapitre à part entière. Nonobstant
cette existence, les problématiques abordées traitent dans la grande majorité de cas
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
83
d’adaptation des techniques de gestion des ressources humaines au contexte touristique eu
égard aux caractéristiques spécifiques de ce secteur.
Pour ce qui est des articles scientifiques, sur les 3 550 références répertoriées sur Google
Scholar, uniquement trois articles abordent la question de l’évolution de la gestion de
ressources humaines en tourisme. Pour les autres articles, la dimension touristique est soit
absente, soit marginale, dans la mesure où le tourisme est cité uniquement pour illustrer des
problèmes reliés souvent aux questions d’employabilité (recrutement, formation, adaptation
culturelle, etc.).
6 Tenant compte de la faiblesse du corpus scientifique dédié à l’étude de l’évolution de la
gestion des ressources humaines en tourisme, nous avons jugé important de retracer
l’évolution de cette pensée GRH dans les manuels et les ouvrages généraux, dans la
perspective de dégager une trame historique qui pourrait guider notre lecture des
textes analysés dans la revue Espaces tourisme & losirs.
1.1. De la gestion de la force de travail à la gestion des talents
7 L’observation de la littérature en management de l’organisation fait ressortir des
efforts importants sur le plan scientifique : rapprochement entre sciences humaines de
gestion, prise en compte des problématiques engendrées par les divers
environnements, rupture avec la vision organiciste de l’entreprise et importance
d’asseoir un discours managérial où la fonction stratégique des ressources humaines
est présente. Dès 1987, Juan et Jacob observaient un effort d’intégration des sciences de
la gestion et des sciences humaines dans les nouvelles conceptions managériales,
soulignant par ailleurs que la transmission des connaissances portant sur la dimension
humaine n’était pas unanimement reconnue, mais que la tentation de son contrôle et
de son encadrement était toujours présente. Aujourd’hui, cette dimension occupe une
place importante dans les théories du comportement organisationnel et constitue un
pilier de la réflexion théorique dans le domaine du management. Ce postulat est aussi
observable à la consultation de la table des matières d’ouvrages de management
organisationnel où la question des ressources humaines est omniprésente. L’analyse
des thématiques traitées sous ce volet au cours des quarante dernières années permet
de conclure à un changement radical du paradigme qui soutient la pensée scientifique
dans ce domaine de recherche. À titre d’illustration, déjà en 1994, Côté, Bélanger et
Jacques constataient qu’en à peine quelques décennies, on est passé d’une vision
« mercantiste », où l’individu est considéré comme une force de travail, à une vision
bureaucratique, où le comportement des individus devra être uniformisé dans un souci
de productivité, puis finalement à une vision organiciste où l’entreprise s’adapte aux
besoins de l’individu.
8 Dans un contexte de mobilité internationale de la main-d’œuvre, de nouveaux défis
apparaissent pour les entreprises, dont celles en tourisme et hôtellerie, nous faisant
observer deux problématiques : d’une part, celle de l’adaptation de l’individu à
l’organisation et au travail (culturelle) et, d’autre part, l’intégration des nouvelles
technologies dans toutes les sphères de l’organisation. Selon Robbins et Judge (2011),
dans un contexte où les entreprises opèrent sur plusieurs continents, les équipes de
gestion sont appelées à collaborer sur certains dossiers de façon permanente, voire
instantanée. Les nouvelles technologies permettent de dépasser les barrières
spatiotemporelles en mettant en lien des équipes situées un peu partout à travers la
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
84
planète, mais amènent en même temps de nouvelles problématiques en matière
d’organisation du travail (travail en réseau, travail à distance, etc.).
9 La nécessité d’une adaptation aux contextes local et international conduit à
l’émergence de nouveaux rôles et fonctions des ressources humaines dans l’entreprise,
mis en évidence dans la littérature académique. Ainsi, selon Dupont (2013), la fonction
qui doit être attribuée aux ressources humaines (RH) fait l’objet de nombreux discours
quant au rôle qu’elles pourraient exercer au sein des entreprises et aux défis qu’elles
devraient pouvoir relever. Dans les années 1990, des recherches effectuées en Europe
montrent la valorisation de la fonction du DRH (développement organisationnel) et
l’importance accordée à la fonction de DRH (position stratégique) au sein de
l’entreprise (Bournois, Rojot et Scaringella, 2003).
10 En embrassant ce développement stratégique, un DRH doit faire preuve d’une grande
polyvalence s’agissant du fonctionnement de l’entreprise, de façon à se positionner en
tant que réel acteur stratégique de son organisation. Ses fonctions pourraient être
« hyper-partagées » (Guérin et Pigeyre, 2007) par le transfert de certaines activités
aussi bien vers l’extérieur que vers l’intérieur de l’entreprise.
1.2. En tourisme, la GRH est en mode d’adaptation continue
11 Le tourisme est présenté par les organismes internationaux comme une des activités les
plus performantes dans le monde (plus de 9 % du PIB mondial), qui comporte aussi
divers aspects la distinguant des autres activités économiques, ce que font aussi les
ouvrages en tourisme (généraux et spécialisés). Dans les ouvrages généraux, on
remarque que l’entreprise et la gestion des ressources humaines sont présentées à
travers notamment les problèmes rencontrés par l’activité et les pratiques développées.
Mesplier et Bloc-Duraffour (2014) donnent quelques informations sur le lien entre
tourisme et emploi, en montrant son importance économique tout en précisant la
difficulté à l’évaluer (emplois directs-indirects, consommation trans-sectorielle, etc.).
Stock et ses collègues (2003), abordent aussi le tourisme et ses retombées économiques
pour la société (revenus, investissements) et les marchés (alliances, types d’emplois) ;
ils montrent la complexité et la diversité de l’activité seulement au niveau de la société,
sans évoquer l’entreprise. Copper et Hall, dont le livre sur le tourisme international
(Contemporary Tourism : an International Approach) a été traduit en français, présentent
cette activité suivant une approche davantage managériale, tout en apportant une
critique du discours scientifique en tourisme (problème de définition des notions). Ces
auteurs font en effet observer la difficulté de mesure dans l’industrie touristique, qui
serait due à la méconnaissance de l’offre et donc à la complexité de l’industrie : taille
diverse des entreprises, secteurs disparates, cultures en compétition (public, privé) pas
de produit unique mais des biens et services aux aspects tangibles et intangibles
(Copper et Hall, 2008). Ils écrivent que la ressource humaine est importante pour la
qualité du produit, mais recèle un problème : « le tourisme de ce début de XXIe est
marqué par une crise des ressources humaines », caractérisée par la mobilité de la
main-d’œuvre, la nécessité de pratiques managériales interculturelles, la démographie
en baisse dans les pays développés, une fonction des ressources humaines faible dans
les petites entreprises, etc. (ibid. : 177).
12 Dans l’objectif de retracer l’évolution du discours sur la gestion stratégique des
ressources humaines en tourisme, restauration et hôtellerie dans la littérature, Madera
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
85
et ses collègues (2017) ont analysé 300 articles publiés au cours des vingt dernières
années dans neuf revues scientifiques classées dans le premier tiers des revues en
tourisme et hôtellerie. Leurs analyses, du contenu et des thématiques, les amènent à
conclure, entre autres, qu’il existe une corrélation significative entre la performance
des ressources humaines et celle des organisations. En d’autres termes, ces auteurs
constatent que dans la grande majorité des articles analysés, les chercheurs ont
tendance à établir un lien entre l’amélioration des conditions de travail des employés et
les gains de performance organisationnelle. En effet, les caractéristiques spécifiques du
secteur touristique (pénurie de main-d’œuvre, saisonnalité, mobilité internationale et
servuction) conduisent les chercheurs et les professionnels à s’intéresser davantage à
ce type de problématique afin de proposer des pratiques bénéfiques pour l’ensemble
des acteurs du secteur.
13 Le constat de Madera et ses collègues (2017) est confirmé aussi par d’autres auteurs qui
se sont intéressés aux problématiques de la gestion des ressources humaines en
tourisme. C’est le cas notamment de Monereau (2008), Lozato-Giotart, Leroux et Balfet
(2012), Leroux et Pupion (2014) et Clergeau et al. (2014). Ces auteurs francophones, qui
ont consacré des livres ou des chapitres de livre à la question de la GRH en tourisme,
retracent l’évolution de la culture d’entreprise vis-à-vis des ressources humaines au
cours du XXe siècle. À ce titre, Monereau (2008) présente ces dernières comme un
gisement de compétences qu’il faudra bien utiliser pour améliorer la performance de
l’entreprise, alors que Leroux et Pupion (2014) expliquent que la modification de
l’environnement externe et interne des entreprises touristiques les a forcées à
s’adapter en matière de gestion de ressources humaines afin de rester compétitives.
Nous retrouvons le souci d’adaptation à un environnement en perpétuelle mutation
chez des auteurs anglo-saxons comme Goeldner et Ritchie (2009), Lee-Ross et Pryce
(2010) et Cook, Hsu et Marqua (2014). De façon presque unanime, ces auteurs
soutiennent que l’accessibilité grandissante des destinations et des attractions
touristiques a poussé les entreprises qui œuvrent dans ce domaine à revoir leurs façons
de faire, plus particulièrement au niveau de la gestion des ressources humaines. À titre
d’illustration, Lee-Ross et Pryce (2010) identifient le management interculturel comme
un enjeu important du XXIe siècle. Pour eux, la diversité des employés et des touristes
exige une prise en considération de la dimension culturelle pour que les deux parties
soient satisfaites de la prestation de service.
14 Finalement, comme on peut le constater dans la figure ci-dessous, l’évolution du
discours en gestion des ressources humaines, que ce soit en tourisme ou de façon
générale, a suivi pratiquement le même cheminement. Autrement dit, la perspective
pratique et professionnelle a dominé l’appréhension scientifique du discours et cela
s’explique par divers facteurs : le développement récent du tourisme et de son
industrie, une activité dépeinte comme complexe et difficile à appréhender, un
tourisme perçu à travers des retombées économiques rapides en termes de revenus
nécessitant le recours à des pratiques professionnelles. L’importance accordée à la
gestion des ressources humaines est donc tardive ; par exemple, on remarque dans un
ouvrage des années 1990, Économie et management (Tinard, 1992), que l’auteur met
l’accent sur les métiers du tourisme et leurs problèmes, ainsi que sur les aspects
économiques (offre, demande, produit) ; l’hôtel y est ainsi perçu à partir des
perceptions des touristes et des marchés, non à partir de la gestion de la ressource
humaine.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
86
Figure 1. Évolution de la fonction RH (1960-2010) dans le discours scientifique et son déploiementdans l’entreprise touristique
Source : les auteurs
2. Méthodologie
15 La perspective que nous proposons est une interrogation de type épistémologique
concernant la construction du discours sur la gestion des ressources humaines par les
spécialistes du tourisme. Nous privilégions une approche de type constructiviste pour
l’analyse du discours des chercheurs. Nous appréhendons cette analyse de la gestion
des ressources humaines en tourisme à travers les écrits parus dans la revue
francophone Espaces tourisme & loisirs. Non seulement celle-ci est une importante revue
sur le plan du discours professionnel, mais elle permet d’apporter un regard
diachronique sur l’évolution du discours en gestion des ressources humaines et ce,
depuis les années 1990.
16 Nous faisons plus spécifiquement appel à deux types d’analyse :
D’une part, l’analyse thématique afin de faire émerger des « thèmes représentatifs du
contenu analysé, et ce, en rapport avec l’orientation de recherche (problématique) ». Cette
méthode a deux fonctions : faire émerger des thèmes pertinents d’un corpus et ensuite
rechercher des récurrences et des regroupements (Paillé et Muchielli, 2008). Notre grille
d’analyse a été constituée en privilégiant le mode de « thématisation séquenciée » : tirer un
échantillon de textes au hasard, les analyser pour en constituer une fiche thématique. Si la
fiche est retenue, elle est utilisée pour les autres textes. Cette démarche est appliquée quand
le corpus est dense et qu’il est possible de travailler en équipe. Un exemple de cette grille,
confectionnée pour les besoins de notre analyse thématique, est présenté dans la partie 3 (cf.
tableau 1). Nous avons utilisé cette grille pour l’analyse des 63 textes retenus.
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
87
D’autre part, l’analyse des « catégories conceptualisantes », qui permet, selon Paillé et
Muchielli (2008, p. 233), de dépasser la simple analyse thématique du discours et d’apporter
les premiers éléments de théorisation d’un phénomène. Nous appliquons cette méthode (que
ces deux auteurs ont utilisée dans le cadre d’expériences et d’entreprises en psychologie) à
notre matériau, constitué par les observations et les pratiques liées à la gestion des
ressources humaines en tourisme et relevées dans les écrits publiés dans la revue Espaces
tourisme & loisirs. Le travail d’analyse consiste, selon Paillé et Muchielli, à construire une
catégorie qui mènera vers la théorisation. La catégorie est constituée au fur et à mesure de
l’analyse d’une interview. Pour notre travail d’analyse, il s’agissait des thèmes et des sous-
thèmes d’analyse en ressources humaines, issus des écrits de la revue Espaces tourisme &
loisirs. La catégorie est définie par ces deux mêmes auteurs (2012, p. 234) comme désignant
« directement un phénomène. Elle représente la pratique par excellence à travers laquelle se
déploie l’analyse en acte. À la différence de la “rubrique” ou du “thème”, elle va bien au-delà
de la désignation de contenu pour incarner l’attribution même de la signification ».
En soulignant la relation avec la théorisation ancrée, Paillé et Muchielli estiment nécessaire
de soulever des questions d’ordre épistémologique : « la catégorie est-elle une variable ?
Quelle relation avec le concept ? » Pour eux, la catégorie désigne un phénomène, le décrit et
lui donne sens, montrant ainsi une perspective de construction conceptuelle et de
théorisation : « elle [la catégorie] a les propriétés synthétique, dénominative et explicative
d’un concept. », ajoutant que « […] tout construit théorique tentant de mieux cerner
l’expérience humaine est d’abord, à l’origine, une catégorie » (Paillé et Muchielli, 2008,
p. 236-237). Aussi, suivant cette méthode, la catégorie est construite selon deux conditions :
elle doit répondre, d’une part, à un travail de description analytique et, d’autre part, à un travail
d’interprétation.
17 Notre corpus d’analyse est constitué des articles recensés dans la revue à partir de
l’identifiant « ressources humaines » qui nous renvoie à 76 articles, dont certains
n’étaient plus disponibles sur le site. À noter que nous n’avons pas retenu les articles
constitués essentiellement d’entretiens, car non pertinents pour une analyse
thématique. Ainsi, nous avons retenu 63 articles aux fins de l’analyse du discours.
3. Analyse thématique du discours de la GRH : la revueEspaces tourisme & loisirs
18 Parmi les différentes techniques d’analyse de contenu, nous avons privilégié l’analyse
thématique. Cette dernière consiste à déterminer à partir d’un corpus donné un certain
nombre de thèmes représentatifs du contenu analysé, en rapport avec l’orientation de
la recherche (la problématique). Pour effectuer cette recherche, rappelons que nous
avons principalement utilisé un corpus de textes provenant de la revue francophone
Espaces tourisme & loisirs, corpus composé de 63 textes, parus sur trois périodes :
années 1990, années 2000 et années 2010.
19 L’analyse thématique du discours de la GRH à partir du corpus de textes a nécessité
deux étapes :
La création d’un tableau de 5 colonnes : 1) textes ; 2) thèmes ; 3) mots et expressions
significatifs relevés ; 4) relations du discours avec l’entreprise, la société, les institutions ;
5) relations du discours avec des théories (management, sociologie, etc.). En outre, les textes
sont séparés selon les décennies : années 1990-1999 (3 textes) ; années 2000-2009 (43 textes) ;
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
88
années 2010-2015 (17 textes) ; cela permet de construire l’information en vue de son
utilisation pour les différentes analyses qui suivront tout au long du texte.
L’identification des thèmes et des axes thématiques des 63 textes, qui sont rassemblés
respectivement dans les tableaux 2 et 3.
Tableau 1. Exemple de grille d’analyse devant servir à l’analyse thématique et à l’analyse parcatégories « conceptualisantes »
Décennie 1990
Textes Thèmes
Mots et
expressions
significatifs
relevés
Relations du
discours avec
l’entreprise,
la société, les
institutions
Relations du
discours avec
des théories
(management,
sociologie, etc.)
Expression
pré-
catégorielle
« Qualité :
L’expérience
du groupe
Accor »
Chantal
Haas
1994
Revue
Espaces
tourisme &
loisirs, no
125
L’interdépendance
entre la satisfaction
client et la
satisfaction des
employés
Les attentes de la
clientèle dans le
milieu hôtelier
Les relations
employeur/
employé
Les exigences
des clients
Les attentes
des clients
La formation
des employés
Culture
d’entreprise
internationale
Accor
Gestion des
ressources
humaines
Adaptation
contrainte
Source : les auteurs
20 L’analyse thématique a été réalisée en trois phases : une analyse à partir du logiciel
NVivo, une analyse des axes thématiques et une analyse des caractéristiques du
discours en rapport avec le processus scientifique.
3.1. L’analyse à partir du logiciel NVivo
21 Cette première analyse de contenu, très sommaire, se fonde sur deux aspects : la
récurrence des mots et un regroupement selon un diagramme. Dans cette analyse, deux
principaux regroupements d’occurrences ressortent très nettement parmi les thèmes
analysés et présentent une interrelation très étroite. Le premier regroupement
rassemble les mots « communication », « web », sociaux, « réseaux », « recrutement »,
« travail » et « employeur ». L’utilisation des réseaux sociaux et d’Internet transforme
les pratiques du recrutement mais aussi les stratégies managériales relatives aux modes
de visibilité et de recherche de compétences. Le deuxième regroupement est constitué
de plusieurs termes très liés : « mobilité », « professionnelle », « emplois »,
« compétences », « formation », « ressource », « gestion », « culture », « tourisme »,
« touristique », « jeunes », « entreprise », « GRH », « développer ». L’emploi dans les
secteurs touristique et hôtelier ayant pour caractéristiques d’être saisonnier, précaire
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
89
et soumis à une mobilité importante, il impose des défis en termes de recrutement et
d’attractivité de main-d’œuvre, particulièrement pour les jeunes, et l’entreprise tente
de s’y adapter à travers l’utilisation des réseaux sociaux et des nouvelles technologies,
une meilleure identification de sa culture d’entreprise, la valorisation des qualifications
par la formation, tout en édifiant la mobilité dans le milieu touristique et hôtelier
comme un moyen d’acquisition des compétences. De ce fait, tendre vers une gestion des
ressources humaines qui évolue en permanence et s’adapte en conséquence devient
une exigence constante pour l’entreprise.
Tableau 2. Fréquence des mots (généré par le logiciel Nvivo, 2019)
Mot Récurrence Mot Récurrence
recrutement 19 professionnelle 9
tourisme 18 sociaux 9
entreprise 15 culture 8
mobilité 13 développer 8
touristique 13 emploi 8
travail 13 jeunes 8
compétences 12 ressources 8
gestion 12 web 8
GRH 12 réseaux 7
formation 10 communication 6
employeur 6
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
90
Figure 2. Diagramme des fréquences et regroupements des mots
Source : généré par le logiciel NVivo, 2019
3.2. L’analyse des regroupements et des axes thématiques
22 Pour l’analyse thématique, nous avons d’abord procédé à l’identification du
regroupement des thèmes des 63 textes (cf. tableau 3), permettant d’engager la
procédure de récurrence (thèmes répétitifs) à partir de cinq axes thématiques. Le
tableau 4 montre l’organisation des cinq axes thématiques, auxquels se rattachent les
thèmes identifiés dans le tableau 3 en fonction de la décennie et de leur ordre
numérique.
Tableau 3. Identification des thèmes par décennie
1990-199924-Conditions de travail
difficiles2010-2015
1-Interdépendance de la
satisfaction client-employé
25-Pratiques de recrutement
difficiles
47-Assurer la réputation de
l’entreprise par le web
2-Recherche d’un
fonctionnement managérial
adapté
26-Inadaptation des
organismes territoriaux en
tourisme
48-Importance du web et de sa
gestion
3-Harmonisation du dialogue
entre acteurs de l’entreprise
27-Redécouverte des valeurs
et de la culture d’entreprise
49-Réseaux sociaux comme outil
de communication
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
91
2000-2009
28-Précarité de l’emploi
comme obstacle au
fonctionnement
50-Visibilité de l’entreprise par
les réseaux sociaux comme
4-Diversité d’emploi et culture
d’entreprise
29-Reconnaissnce des acquis
professionnels
51-Transformation des pratiques
de gestion par le web
5-Réalités touristiques et
adaptation des organismes
30-Considérer la culture
d’entreprise internationale
52-Usage limité du web par les
organismes
6-Utilisation de la fanfare pour
construire la relation humaine
31-Importance de la GRH
comme fonction vitale
53-Usage limité du web par les
organismes
7- Précarité de l’emploi chez les
jeunes
32- Facteur humain comme
fondamental en tourisme
54-Recrutement par les
organismes-conseils
8-Formation comme vecteur de
formation de la RH
33-Nécessité des profils
diversifiés
55-Jeunes face au changement
dans l’organisation du travail
9- GRE pour contrer la
saisonnalité
34-Importance des tests et
mise en situation
56-Perception du travail par les
jeunes salariés
10-Inégalité homme-femme dans
l’emploi
35-Ressource humaine en
évolution constante
57-Contrainte de l’emploi
atypique
11-Repenser le modèle de la DRH36-Assurer le développement
personnel par le coaching
58-Contrainte de situation
saisonnalité-fidélisation
12-Repenser les compétences du
manager
37-Mobilité internationale
comme atout de la GRH
59-Groupement employeur (GE)
comme outil de la GRH
13-Difficultés de recrutement38-Communauté de salariés
comme valeur
60- Groupement employeur (GE)
comme outil de la GRH
14-Prestation de service en
hôtellerie-restauration
39-Identification du potentiel
à la mobilité
61- Groupement employeur (GE)
comme outil de management de
la RH
15-Nouvelles technologies
comme lien entre tradition et
modernité
40-Formation de la ressource
humaine
62-Conception de la mobilité
comme atout
16-Transformation du métier
par les nouvelles technologies
41-Le saisonnier face à la
règlementation
63-Concevoir la mobilité comme
atout
17-Transformations du
management et de la GRH
42-Reconnaissance des
communautés salariés-clients
18-Les jeunes face à l’emploi43-Importance de
l’interculturel en GRH
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
92
19-Innovation dans l’emploi
comme moyen d’insertion des
jeunes
44-Identification des besoins
internes par l’audit externe
20-Attentes du salarié comme
facteur de recrutement
45 Évolution constante des
métiers
21-Adaptation de la ressource
humaine en hôtellerie-tourisme
46-Soutien à l’analyse des
compétences
22-Difficultés de recrutement
des jeunes en tourisme-
hôtellerie
23-Difficultés du management
en situation de crise économique
23 Parmi les thèmes regroupés autour des cinq axes thématiques (cf. tableau 4), on peut
observer que les axes thématiques 2, 3, 4 et 5 représentent 93,5 % de la réalité
thématique organisée à partir des 63 textes analysés. Toutefois, cette réalité est formée
d’une situation double exprimant deux pôles du discours professionnel sur la GRH, se
présentant en forme de « double contrainte » :
une réalité interne, formée de contraintes, organisée autour de « la problématique de
l’emploi » (axe 4), regroupant 26,9 % des thématiques du discours professionnel ;
une réalité externe (l’environnement), représentée par l’axe 2 (Nouvelles technologies) et
l’axe 3 (Repenser les modèles et pratiques) ; cette réalité exprime l’exigence d’adaptation
(insertion des technologies, modèles managériaux repensés) à une situation de contraintes
représentée par la réalité interne (Problématique de l’emploi).
Tableau 4. Axes thématiques et récurrences des thèmes relatifs aux 63 textes
Périodes
Axes thématiques1990-1999 2000-2009 2010-2015 Total
1-La recherche d’une culture d’entreprise - 4 - 4
(6,3 %)
2-Nouvelles technologies et transformation de la
gestion- 2 7
9
(14.3 %)
3-Repenser les modèles et pratiques
(management, GRH, DRH)- 6 7
13
(20,6 %)
4-Problématique de l’emploi (précarité,
formation, saisonnalité, inégalité, recrutement) - 14 3
17
(26,9 %)
5-Adaptation aux réalités et contraintes de
l’entreprise3 17 -
20
(31,7 %)
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
93
Total textes 3 textes 43 textes 17 textes63
textes
Source : les auteurs
24 La nécessité d’une adaptation (cf. figure 3), qui représente également une contrainte et
une exigence (axe 5 : « Adaptation aux réalités et contraintes de l’entreprise »), relie les
deux réalités (interne et externe) observées plus haut (cf. tableau 4) et montre aussi
qu’il y a une difficulté à la mettre en œuvre : par exemple, la « Recherche d’une culture
d’entreprise » (axe 1) ne représente que 6,3 % de l’analyse thématique.
Figure 3
25 Ainsi, cette première identification de la réalité thématique (63 textes) montre bien une
situation en forme de « double contrainte » : d’une part, les conditions d’emploi et
d’organisation du travail ont un poids important et, d’autre part, la nécessité
d’adaptation à cette réalité (condition interne) et aux exigences des environnements
(condition externe). S’agissant de ce dernier aspect, il s’agit aussi de la nécessité de
repenser le travail et l’organisation imposée par le renouvellement du management,
l’évolution de la société et l’impact des TI (technologies de l’information), qui imposent
à leur tour des changements et deviennent ainsi une exigence d’adaptation. Enfin, en
regroupant les axes 2, 3 et 5, l’importance de la contrainte d’adaptation de l’entreprise
et des salariés s’accroît davantage, totalisant plus des deux tiers (66,6 %) des thèmes
retenus dans les 63 textes.
26 L’image proposée à travers ces deux pôles – une « réalité interne » (contraintes de la
situation d’emploi) et une « réalité externe » (exigences d’adaptation) – nous montre
deux caractéristiques : une grande part (2/3) est accordée à la contrainte d’adaptation
(axes 2, 3, 5 et 1) et une faible part (1/3) revient à la problématique de l’emploi – sans
que cela ne l’amoindrisse pour autant. En effet, nous faisons face à une situation
complexe : comment concilier les deux aspects de cette dernière, organisée autour
d’une situation contradictoire qui nécessite d’évoluer avec les conditions diverses de
l’activité d’emploi en tourisme ? Faut-il reconsidérer le modèle de management du
tourisme davantage pris dans un processus de recherche de solutions à des problèmes,
d’où l’importance plus grande accordée aux pratiques et moins à l’analyse de type
conceptuel ?
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
94
3.3. Les caractéristiques du discours en rapport avec le processusscientifique
27 Nous avons par ailleurs recherché certains aspects spécifiques dans le but d’observer le
lien du discours sur la GRH avec la perspective scientifique. Nous avons privilégié pour
cette analyse les années 2009 (17 textes), 2013 (8 textes) et 2015 (9 textes), le tout
rassemblant 34 textes, soit 54 % de l’ensemble des textes analysés (cf. tableau 5).
Tableau 5. Le discours sur la GRH en tourisme, à travers quelques indicateurs
Années
Indicateurs2009 2013 2015
Pratiques/
expériences
10 entreprises dont
4 grandes
2 grands hôtels
7 entreprises dont
3 grandes
1 organisme
6 entreprises et
3 organismes publics
Méthodes 5 8 6
Approches/
théories2 - 3
Acteurs
(analystes)
Entreprise : 6
Banque : 1
Université : 1
Cabinet : 8
Organisme public : 1
Entreprise : 3
Cabinet : 5
Entreprise : 1
Université : 2
Cabinet : 5
Organisme public : 1
Total textes 17 textes 8 textes 9 textes
Source : les auteurs
28 Cette analyse de la relation entre le discours et sa base théorique ou pratique portait
sur l’identification de certains indicateurs :
pratiques et expériences : la réalité du discours en lien avec la pratique et l’expérience
d’entreprise ;
méthodes : le recours aux outils relevant du management d’entreprise ;
approches : les analyses relevant des sciences humaines et sociales ;
acteurs (DRH, consultant, universitaire) : statut des acteurs analysant la situation de la
gestion des ressources humaines dans les entreprises.
29 L’analyse de la réalité du discours, pour la période 2009-2015, nous permet de relever
les aspects suivants :
L’intérêt des pratiques et expériences associées à l’entreprise sont reconnues (recrutement,
formation, mobilité, etc.) durant cette période. Cette observation des pratiques et des
expériences se voit aussi dans les grands hôtels (2) et les grandes entreprises, en moins
grand nombre (7 cas), qui se présentent comme des acteurs importants dans la diffusion des
•
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
95
procédés managériaux liés à la gestion des ressources humaines en période de changement
continu.
L’indicateur « outil, méthodes » (25/34) nous permet également d’observer un intérêt pour
le développement d’instruments d’organisation en matière de GRH, d’’analyse de l’emploi et
de fonctionnement organisationnel, renforçant ainsi la nécessité d’adaptation à la
contrainte, ainsi qu’une garantie de rationalisation.
L’indicateur « approches, théories » (5/34) montre que la dimension scientifique d’une
analyse de GRH reste encore peu développée. Toutefois, on note également une orientation
vers la remise en question de certaines problématiques internes à l’activité touristique (les
contraintes), telles la mobilité des salariés, l’analyse et l’organisation du travail, analysées
par une sociologie industrielle et du travail jadis en vigueur dans un contexte de stabilité
(années 1950-1980) et aujourd’hui bousculée dans ses concepts (Mercure et Vultur, 2019).
Par ailleurs, la référence à des approches et des théories n’est pas seulement le fait de
l’université, mais aussi de chercheurs autonomes ou dans des cabinets de conseil.
L’analyse du discours sur la gestion des ressources humaines est engagée surtout par deux
acteurs clés : les cabinets de conseil et les entreprises, représentant respectivement 53 % et
29,5 % de l’ensemble des 34 textes analysés. On retiendra ici que parmi les entreprises
engagées, on retrouve des responsables de GRH ou DRH de grandes entreprises, telles que
Disney, Accor, Club Med, ainsi que des hôtels de luxe.
4. Analyse du discours de la GRH selon les catégoriesconceptualisantes
30 Suite à l’analyse thématique, qui nous a permis de développer une première réflexion
sur le discours en GRH à travers les articles de la revue Espaces tourisme & loisirs, nous
poursuivons par une analyse des catégories conceptualisantes. Cette dernière nous
rapproche davantage du cœur conceptuel du discours et, par là même, nous permet
d’affiner la construction des connaissances en ce sens. L’analyse des catégories
conceptualisantes est effectuée selon les étapes suivantes :
l’élaboration d’expressions catégorielles primaires, à partir des thèmes et sous-thèmes : il
s’agit ici de réduire les thèmes et sous-thèmes ainsi que les expressions utilisées en
expressions que nous identifions comme catégorielles pour chaque texte ;
une catégorisation dite « catégories conceptualisantes secondaires » réalisée à partir des
expressions catégorielles primaires ;
la construction de catégories conceptualisantes principales.
31 D’après un premier regroupement des thèmes et sous-thèmes relevés dans chaque
article, par décennie, on dénombrait 63 catégorisations primaires (les 63 articles
retenus pour l’analyse), que nous avons regroupées en catégories conceptualisantes
secondaires (cf. tableau 6).
32 Ainsi, durant la décennie 1990, seuls trois textes ont été identifiés, dont les expressions
primaires ont été regroupées autour de la catégorie conceptualisante secondaire de
« contexte managérial contraignant ». Cela désigne une adaptation visée et souhaitée,
mais l’objectif d’adaptation est contraint du fait d’une situation difficile et complexe de
l’activité touristique, une situation souvent rappelée dans les écrits de type
professionnel autant que conceptuel.
•
•
•
1.
2.
3.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
96
Tableau 6. Regroupement des expressions catégorielles primaires et des catégoriesconceptualisantes secondaires, élaborées à partir des 63 textes considérés comme matériaud’analyse du discours en ressources humaines, extraits de la revue Espaces tourisme & loisirs (période 1999-2015)
Catégories conceptualisantes
secondairesExpressions catégorielles primaires
Contexte managérial contraignant
DÉCENNIE 1990-1999 – 3 TEXTES
Contrainte d’exigence des clients / satisfaction des
employés
Nécessité d’une adaptation permanente
Contrainte de mobilité / nécessité de concertation
DÉCENNIE 2000-2009 – 43 TEXTES
Adaptation de l’organisation
Construire sa culture d’entreprise
L’adaptation par la concertation
Découvrir sa culture d’entreprise
Connaître la culture d’entreprise des groupes
internationaux
Hôtellerie entre tradition et innovation
Développer la compétence interculturelle
Adaptation des ressources humaines
Adapter les RH à l’organisation touristique
Repenser le rôle du DRH
Reconstruire la GRH
Revoir la GRH face au changement
Repenser la fonction GRH
Repenser la perception vis-à-vis du travail
La problématique du recrutement
Le recrutement à l’étude
La fonction GRH intégrée à l’activité
L’importance du facteur humain
L’importance des profils diversifiés
Reconnaître davantage les tests psychométriques
Adapter la GRH aux clients
La gestion du service en hôtellerie
Le projet de mobilité comme moteur de la GRH
Assurer l’intégration permanents–saisonniers
La connaissance des besoins réels par l’audit
La nécessité de l’analyse de l’emploi
La mobilité internationale comme opportunité
La construction personnelle par le coaching
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
97
Conditions de travail difficiles
La contrainte de la précarité de l’emploi
La contrainte de la saisonnalité professionnelle
Le problème de la discrimination hommes-femmes
L’équilibre difficile entre pénurie et fidélisation de la
main-d’œuvre
Les conditions d’emploi difficiles
Les conditions sociales difficiles des saisonniers
Le management inadapté des organisations territoriales
Penser les conditions sociales du travail
La reconnaissance des acquis professionnels
La communauté des salariés
L’inégalité des saisonniers face à la règlementation
Nécessité de la formation et
reconnaissance des qualifications
La formation des personnes
Le passage du métier au service
L’emploi et les jeunes
La professionnalisation des jeunes
La garantie de la diplomation des salariés
La valorisation des métiers
DÉCENNIE 2010 (JUSQU’À 2015) – 17 TEXTES
Adaptation par le web
Renforcer la visibilité de l’entreprise par le web (2)
Renforcer le recrutement et la recherche de compétences
par l’utilisation des réseaux sociaux (3)
La perception nouvelle du travail
Nouvelles générations et perceptions nouvelles face au
temps de travail (2)
La mobilité comme opportunité (2)
La contrainte situationnelle de
l’activité
Adaptation lente d’organismes et agences au recrutement
par le web (2)
Recrutement par les cabinets de conseil
La double contrainte d’adaptation flexibilité-sécurité
La double contrainte saisonnalité-fidélisation de la main-
d’œuvre
Difficile adaptation de l’outil « groupement
d’employeurs » à la situation touristique (3)
33 La décennie 2000-2009 est la plus fournie en textes (43) et l’on dénombre autant
d’expressions catégorielles primaires reflétant le discours des auteurs. À la suite des
43 expressions catégorielles, quatre catégories conceptualisantes secondaires ont été
identifiées, à partir de la problématique de l’adaptation (entreprise, organisation
territoriale, individus) : 1) adaptation de l’organisation (6) (culture d’entreprise,
management organisationnel, etc.) ; 2) adaptation des RH à l’organisation (20)
(perception de la mobilité, nécessité de repenser les RH et le DRH, etc.) ; 3) conditions
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
98
de travail difficiles (11) (nouvelles perceptions du travail, conditions d’emploi, etc.) ; et
4) nécessité de la formation et reconnaissance des qualifications (6) (adaptation des
métiers et des personnes). Les catégories 2 et 3 sont les plus fournies (20, 11), soit plus
de 72,1 % des catégories de la décennie et 49,2 % de l’ensemble des catégories
analysées (63). Dans la catégorie 2, « la mobilité professionnelle » est considérée comme
une opportunité (mobilité internationale comme projet) ou selon une perspective de
nouvelle perception du travail, alors qu’elle était perçue comme une contrainte dans
les années 1990.
34 Ce qui ressort des quatre catégories de la décennie 2000-2009, c’est la nécessite de
passer d’une situation qui génère une contrainte inhérente à l’activité touristique à une
perspective consistant à développer une nouvelle perception du travail, des conditions
de mobilité, et à adapter les outils d’organisation à la situation particulière des RH en
tourisme.
35 Le discours de la GRH en tourisme évolue donc selon une constante forte et contrainte,
celle de la situation touristique : dans la décennie 1990 (réduite toutefois à trois
articles), on s’oriente vers l’observation de l’existence d’une situation complexe, alors
que la décennie 2000-2009 voit la nécessité d’une perception nouvelle de l’adaptation
face à une situation touristique encore alourdie de contraintes diverses (précarité,
inégalité dans l’emploi, notamment des saisonniers face à la règlementation sociale,
mobilité, etc.).
36 Dans la décennie 2010 (jusqu’en 2015), le discours évolue dans le même sens que la
décennie précédente, avec en plus la nécessité d’une adaptation aux technologies
numériques.
37 En effet, au cours des années 2010-2015, on retrouve le même noyau central du
discours, à savoir la situation complexe dans laquelle évolue l’activité touristique, avec
toutefois l’intégration d’une nouvelle perception à travers, notamment, deux aspects :
d’une part, l’opportunité offerte par le web (réseaux professionnels), permettant
d’ouvrir de nouvelles possibilités à l’entreprise touristique (marque, visibilité,
élargissement du bassin des compétences) et, d’autre part, l’appréhension d’une
nouvelle situation (perception renouvelée du travail). Néanmoins, la situation
complexe et permanente dans laquelle évolue l’activité touristique (précarité,
saisonnalité, mobilité, etc.) demeure vivace.
38 Au cours de la période 2010-2015, on observe 17 expressions catégorielles primaires,
que nous regroupons en trois catégories conceptualisantes secondaires : 1) l’adaptation
par le web (5) ; 2) la perception nouvelle du travail (4) ; et 3) la contrainte situationnelle
de l’activité (8). Les regroupements 1 et 2, qui représentent 53 % des expressions
catégorielles primaires, peuvent être identifiés comme les deux catégories principales
d’un premier noyau, celui de la perspective d’une adaptation aux changements divers
(mondialisation, mobilité, travail, etc.). Le regroupement 3, autour de la catégorie
« contrainte situationnelle de l’activité », représentant 47 % des expressions
catégorielles, constitue le second noyau irréductible de l’activité (précarité, double
contrainte, flexibilité, saisonnalité, etc.).
39 Finalement, cette analyse nous permet d’observer que le discours sur la gestion des
ressources humaines en tourisme, à partir des écrits parus dans la revue Espaces
tourisme & loisirs, peut être compris comme étant formé d’une catégorie
conceptualisante principale, formée de deux catégories conceptualisantes et identifiées
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
99
comme étant ses deux noyaux opposés mais complémentaires. La catégorie
conceptualisante principale est identifiée par « la double contrainte adaptative » et les
deux noyaux qui la composent sont « la perception adaptative renouvelée » et « la
contrainte situationnelle fonctionnelle » (cf. tableau 7).
40 Selon Paillé et Mucchielli (2012), la catégorie conceptualisante est caractérisée selon
trois moments : la définition (ce qui désigne le phénomène comme arguments) ; les
propriétés (ce qui distingue et caractérise le phénomène) ; et les conditions d’existence
(les situations et les événements qui donnent vie au phénomène).
Tableau 7. Les catégories conceptualisantes issues du discours de la GRH en tourisme, à partird’articles de la revue Espaces tourisme & loisirs (1999-2015)
CATÉGORIES
CONCEPTUALISANTESDÉFINITION PROPRIÉTÉS
CONDITIONS
D’EXISTENCE
La double contrainte
adaptative
« La double contrainte* »
se réfère à une situation
aux aspects
contradictoires, rendant
difficiles le
fonctionnement et
l’adaptation au
changement.
Mobilité
professionnelle
inhérente /
programme de
mobilité proposée
Saisonnalité
permanente /
meilleure
intégration
saisonniers-
permanents
Flexibilité /
sécurité dans
l’emploi
Saisonnalité /
fidélisation de la
main-d’œuvre
Contexte marqué par
divers aspects
(traditions/
innovations)
Activités de plus en
plus mondialisées /
perception négative
localement
Sensibilité de l’activité
à tout incident, mais
grande résilience
La contrainte
situationnelle
fonctionnelle
Il s’agit ici des différents
aspects qui constituent la
situation fonctionnelle du
tourisme, à laquelle font
référence de nombreux
ouvrages et qui est
reconnue comme centrale.
Précarité de
l’emploi
Recrutement
difficile
Mobilité
professionnelle
Situation de précarité,
mais nécessité
d’adaptation aux aléas
et aux clients
Inégalité
socioprofessionnelle
entre travailleurs
Adaptation lente de
l’organisation
Mondialisation
économique et sociale
plus prégnante
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
100
La perception
adaptative renouvelée
Nouvelle vision de la façon
d’entrevoir les modes
d’organisation et la
situation de l’activité
Accroissement de
l’utilisation des
réseaux sociaux
professionnels
Utilisation du web
pour la visibilité
entrepreneuriale
Adaptation des
nouvelles
générations aux
réalités de la
mondialisation
Besoins chez l’individu
et l’entreprise de
s’adapter au
changement interne et
international
Besoins de développer
des compétences
nouvelles
(interculturelles
internationales,
internes)
* en référence à la théorie de la double contrainte (double bind) de Gregory BATESON et al. (1956, 1980)
41 La théorie de la « double contrainte » (double bind) de Bateson (1956, 1980) mobilisée
dans notre recherche peut nous aider à comprendre en grande partie la réalité de
l’activité touristique (entreprise, organisme) qui émerge à travers les discours des
praticiens (entreprise, organisme, cabinet-conseil, consultant). Cette théorie, élaborée
par Gregory Bateson, Don D. Jackson, Jay Haley et John Weakland en 1956, est basée sur
l’observation de la communication du sujet avec sa famille. Cette relation s’engage à
partir d’« injonctions paradoxales », dans lesquelles le sujet qui reçoit le message se
trouve devant des énoncés logiques mais contradictoires et s’il réagit ou n’agit pas
correctement, il risque d’être mal perçu (Watlzlawick et al., 1972).
42 Pour Watzlawick, Helmick et Jackson (1972), la situation de la double contrainte, dans
la relation de communication, se présente en trois phases, selon lesquelles le message
est ainsi structuré :
a) il [le message] affirme quelque chose ; b) il affirme quelque chose sur sa propreaffirmation ; c) ces deux affirmations s’excluent. Ainsi, si le message est uneinjonction, il faut lui désobéir pour lui obéir… Le sens du message est doncindécidable…
43 Cette théorisation de la relation de communication développée dans le contexte de la
psychiatrie-psychanalyse trouve aussi un intérêt dans le domaine des sciences
humaines et sociales, notamment au niveau de l’entreprise (coaching, développement
personnel, analyses des enjeux, etc.). Des auteurs y ont recours également pour
observer la relation de l’organisation et le modèle de management (relations des
individus avec les structures), comme Duterme (2008) et Casteigts (2017), ce dernier
évoquant le « management sous injonctions paradoxales » pour des institutions
transnationales. Cette approche théorique sert aussi d’appui pour analyser la relation
des individus avec différentes cultures, dans le cas du management interculturel
(Gauthey, 2002). Les points de focalisation de ces différents travaux sont les relations
individu-organisation et le modèle organisationnel-modèle interculturel, où les
injonctions paradoxales sont aussi observées. Comme le souligne Gauthey (2002),
l’interculturel, développé dans les organisations économiques et internationales à
travers un message centré sur un style d’organisation ouvert aux « contextes
culturels », ne masquerait-il pas l’intérêt stratégique de l’organisation face à la
compétition ? Il écrit à ce propos : « Curieux d’observer combien certains discours sur
les cultures et l’interculturel véhiculent en fait, le discours du “même” ! Un paradoxe
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
101
qui serait à interroger » (2002, p. 4). Le modèle de l’interculturel, tel que décrit, est
porteur de contradictions car il cherche « à plus ou moins unifier, plaquer. Cette
multiplicité de strates organisationnelles, de logiques identitaires peut être violente et
s’apparenter pour les acteurs à des situations de doubles contraintes… Le problème,
c’est que déjà sans les dimensions interculturelles, les pratiques des ressources
humaines dans les organisations aujourd’hui sont porteuses d’injonctions
contradictoires » (ibid., p. 5)
44 Comment se situe le monde du tourisme-hôtellerie-loisirs dans ce contexte ? Le
tourisme comme produit et expression des transformations sociétales se présente avec
un double visage : un phénomène social et culturel (expériences), mais aussi une
activité économique (services et mise en tourisme des territoires). On peut reconnaître
certains ingrédients de la double contrainte au sein du tourisme, notamment : la
perception binaire (le touriste–le voyageur), un objet en partage (réel–imaginaire), un
statut scientifique controversé (discipline–champ d’études) (Kadri, 2008, 2011).
45 On retrouve aussi certains de ces aspects dans le management de l’organisation
touristique, notamment s’agissant de la gestion des ressources humaines soumise à des
enjeux et des contraintes : précarité et conditions de l’emploi, mobilité des salariés,
culture d’identité non identifiée, interculturel, problème de reconnaissance des acquis,
etc. Ces contraintes liées à la gestion de la ressource humaine peuvent aussi devenir des
injonctions paradoxales : par exemple, la mobilité est une contrainte mais elle est aussi
perçue comme une compétence qu’il s’agit de cultiver ; cela renforce l’idée que si l’on
veut progresser dans le monde professionnel, il faudrait accepter la mobilité
professionnelle comme un projet individuel et de management, et ainsi organiser sa vie
professionnelle en termes de flexibilité, cela pour satisfaire le management qui
s’organise à travers les TI et répond à ses enjeux stratégiques, alors que l’individu
continuera à faire face à des enjeux professionnels contraignants. Comme le montrait
Gauthey (2002), alors que l’entreprise recherche l’efficacité stratégique, elle met aussi
en place des méthodes (management participatif, coaching, développement personnel,
audit organisationnel, analyse des conflits, etc.). Ce sont ces modes de management qui
sont questionnés (adaptation au mode participatif) pour tenter de sortir de la double
contrainte. À ce propos, Gauthey (ibid., p. 7), écrit : « De nombreuses entreprises ont
attendu de leurs salariés une ouverture, une adaptation aux contraintes mais bien peu
de choses qui se fassent de manière cadrée, régulée ». En fait, il s’agirait de développer
un mode d’adaptation nécessaire à l’exigence d’adaptation à une pratique managériale
(par exemple, le mode participatif, ou celui lié à l’interculturel).
Conclusion
46 L’analyse du discours de la GRH en tourisme, à travers des écrits publiés dans la revue
Espaces tourisme & loisirs, est une opération sensible, nécessitant d’aller au-delà d’une
simple analyse thématique et de compléter cette dernière par un second processus plus
proche de la conceptualisation et de la construction scientifique. En effet, la
catégorisation va plus loin que la simple analyse de discours, puisqu’elle permet de
déconstruire mais aussi de viser l’émergence de la signification et donc d’opérer des
interprétations (Paillé et Muchielli, 2012).
47 Ce processus de construction sociale des concepts scientifiques, indispensable pour les
sciences sociales et notamment les études touristiques, est pourtant critiqué du fait de
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
102
sa relation et de sa proximité avec le « relativisme ». Hacking (2017 : 9), qui pose déjà la
question dans le titre sans équivoque de son ouvrage Entre science et réalité. La
construction sociale de quoi ?, évoque d’emblée l’importante querelle qui anime la
communauté scientifique :
L’idée de construction sociale est, parmi beaucoup d’autres, une idée farouchementcombattue dans le cadre des guerres culturelles américaines […]. L’expression estdevenue code. Si vous l’utilisez positivement, vous vous taxez vous-même d’uncertain radicalisme. Si vous la dénigrez, vous vous déclarez rationnel, raisonnableet respectable.
48 Au fil de ce travail de construction scientifique en études touristiques, notre intérêt
portait sur une interrogation : comment appréhender le discours en ressources
humaines dans le monde du tourisme ? Nous supposions que la situation complexe de
cette activité professionnelle et économique, souvent mise en avant dans les écrits,
représenterait un facteur important dans la compréhension dudit discours. Aussi
l’utilisation de deux types d’analyse de discours, à travers les 63 textes analysés extraits
de la revue Espaces tourisme & loisirs, nous a permis de tirer quelques conclusions :
L’analyse NVivo, grâce à deux importants regroupements des mots, a montré que la gestion
des ressources humaines en tourisme est une fonction qui devra s’adapter continuellement à
une situation particulière, marquée à la fois par les contraintes (précarité, saisonnalité,
mobilité), par une exigence d’adaptation constante pour répondre aux stratégies de
l’organisation (visibilité de la marque, nouvelles valeurs, nouvelles technologies, mobilité
interculturelle) ainsi que par la valorisation des qualifications et des métiers, notamment
chez les jeunes.
L’analyse des axes thématiques a permis de venir renforcer ces premières observations, en
délimitant une situation double : une partie dominée par des conditions d’emploi
difficiles (1/3) et l’autre partie (2/3) faite d’exigences d’adaptation (mobilité internationale,
réseaux professionnels, repenser l’organisation du travail, penser la mobilité non comme un
frein mais plutôt comme une opportunité). Si la première représente seulement un tiers du
noyau, elle comporte néanmoins une contrainte majeure handicapant la situation générale,
où prédomine le recours à la pratique professionnelle pour répondre aux exigences
d’adaptation. Aussi, nous observons qu’une part importante des pratiques professionnelles
managériales est réalisée par des cabinets-conseil (52 %) et des grandes entreprises.
Toutefois, ces grandes entreprises peuvent jouer un rôle indéniable dans la diffusion de
pratiques managériales novatrices pour l’entreprise. Enfin, signalons que très peu d’études
ou d’observations par les milieux universitaires et de recherche sont engagées.
49 Mais cette analyse thématique reste trop partielle pour parvenir à une déconstruction
du discours, d’où la nécessité d’appliquer une autre analyse, celle des catégories
conceptualisantes, qui nous permet d’appréhender une réalité sociale complexe et donc
de relever une signification et une interprétation du processus lié à cette réalité. Il
s’agit conséquemment d’une construction sociale de cette réalité, qui fait émerger non
seulement des catégories conceptuelles (cf. tableau 7), mais montre aussi que la réalité
touristique est composée d’un noyau double ; il s’agit de la double contrainte
adaptative, formée de deux éléments exprimant une réalité contraignante : une
contrainte situationnelle permanente vécue à la fois par les employés et la hiérarchie
managériale et une vision liée à l’adaptation au changement.
50 Le monde de l’activité touristique (tourisme-hôtellerie-loisirs), observé à travers le
discours sur la gestion des ressources humaines, serait-il plus soumis à la double
contrainte que d’autres secteurs d’activité économique ? Si des études sur
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
103
l’organisation ont été réalisées (management interculturel, développement
organisationnel, etc.) depuis plus de quatre décennies, nous n’avons pas connaissance
de telles observations dans le secteur en tourisme ; toutefois des interventions relatives
au coaching et à l’audit organisationnel sont indentifiables dans le discours de la GRH
pour ce même secteur Ces dernières interventions en tourisme peuvent représenter un
matériau important dans l’évaluation de l’importance de la double contrainte, en les
complétant d’autres interventions de recherche.
51 Il serait très utile de s’intéresser aux textes sur la gestion des ressources humaines en
tourisme parus dans les revues classées, tant francophones qu’anglophones. Dans le
contexte francophone, on trouve peu de textes. Par exemple, la revue Gestion des
ressources humaines propose peu de titres consacrés au tourisme (deux articles sur deux
décennies), alors que la revue Human Resource Management, classée huitième par le
Centre national de la recherche scientifique (CNRS), fait référence à plus de
1 300 articles portant sur ce secteur, dont près de 1 000 en hôtellerie.
52 Les textes de la revue Espaces tourisme & loisirs sur la gestion des ressources humaines,
loin de présenter une vision de l’organisation réduite à la réalité professionnelle
(pratiques) de l’activité touristique, constituent un matériau incontournable pour
l’identification de deux aspects au plan épistémologique. D’une part, à travers l’analyse
du discours et la théorisation du contenu, ce matériau nous convie à percevoir une
autre réalité professionnelle, moins visible. Comme l’exprime Wittezaele (2008 : 18) à
propos de l’intervention de Bateson sur la relation de communication par la théorie de
la double contrainte, ce dernier met à jour une autre réalité de la communication et
« nous invite à voir l’invisible, en quelque sorte, c’est-à-dire les règles implicites qui
régissent les rapports entre les différentes personnes […] ». D’autre part, certains
éléments conceptuels de la sociologie du travail ne semblent plus adaptés au contexte
de la réorganisation actuelle du travail. Par exemple, le concept de précarité,
caractérisant notamment les conditions d’emploi en tourisme, est aujourd’hui
réinterrogé, à la faveur d’un concept plus opératoire et moins normatif, comme celui de
vulnérabilité (Vultur, 2019). Le monde du tourisme-hôtellerie-loisirs apparaît donc
comme un milieu spécifique, particulièrement favorable à l’observation de la
redéfinition des concepts en sciences sociales.
BIBLIOGRAPHIE
Gregory BATESON, Vers une écologie de l’esprit, tome 2, Seuil, 1980.
Gregory BATESON, Don D. JACKSON, Jay HALEY et John WEAKLAND, « Toward a theory of
schizophrenia », Behavioral Science, 1(4), 1956.
Franck BOURNOIS et C. Brooklyn DERR, « Les directeurs des ressources humaines ont-ils un
avenir ? ». Revue française de gestion, n° 98, 1994.
Franck BOURNOIS, Jacques ROJOT et Jean-Louis SCARINGELLA, RH, les meilleures pratiques des entreprises
du CAC 40, Éditions d’Organisation, 2003.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
104
Michel CASTEIGTS, « Le pilotage des politiques européennes : un management sous injonctions
paradoxales. Ou pourquoi l’Europe est de plus en plus schizophrène. », dans Joachim BECK et
Fabrice LARAT (dir.), Transnationale Verwaltungskulturen in Europa – Les cultures administratives
transnationales en Europe, Dike Verlag & Nomos Verlag, 2015 [https://halshs.archives-ouvertes.fr/
halshs-01585711/document].
Cécile CLERGEAU, Olivier GLASBERG et Philippe VIOLIER, Management des entreprises du tourisme, Dunod,
2014.
Roy A. COOK, Cathy H.C. HSU et Joseph J. MARQUA, Tourism. The business of hospitality and travel,
Pearson, 2014.
Chris COOPER et C. Michael HALL, Le tourisme aujourd’hui : une approche internationale, De Boeck, 2008.
Nicole CÔTÉ, Laurent BÉLANGER et Jocelyn JACQUES, La dimension humaine des organisations, Édition G.
Morin, 1994.
Michel CROZIER, L’entreprise à l’écoute, InterÉditions, 1989.
Claude DUTERME, « Double contrainte et entreprise : contexte global, paradoxes locaux,
souffrances individuelles », dans Jean-Jacques WITTEZAELE (dir.), La double contrainte : l’influence des
paradoxes de Bateson en sciences humaines, De Boeck, 2008.
Claire DUPONT, « Du discours stratégique à la construction de la fonction RH par les praticiens »,
XXII Conférence internationale de management stratégique, 2013.
Franck GAUTHEY, « Management interculturel : représentations et pratiques en questions »,
Communication et organisation, n° 22, 2002 [http://communicationorganisation.revues.org/2721].
Charles R. GOELDNER et J.R. Brent RITCHIE, Tourism. Principles, practices, philosophies, John Wiley &
Sons, 2009.
Francis GUÉRIN et Frédérique PIGEYRE, « Peut-on encore parler de "la" professionnalisation de la
GRH ? », Actes du 18e congrès de l’AGRH, 2007.
Salvador JUAN et A. JACOB, Organisation et management en question, coll. « Logiques sociales »,
L’Harmattan, 1987.
Darren LEE-ROSS et Jospehine PRYCE, Human resources and tourism. Skills, culture and industry, Channel
View Publications, 2010.
Erick LEROUX et Pierre-Charles PUPION, Management du tourisme et des loisirs, Vuibert, 2014.
Jean-Pierre LOZATO-GIOTART, Erick LEROUX et Michel BALFET, Management du tourisme. Territoires, offres
et stratégies, Pearson, 2012.
Boualem KADRI, « Réflexion sur l’épistémologie du tourisme. La perspective constructiviste », dans
Lucie K. MORISSET, Bruno SARRASIN et Guillaume ÉTHIER (dir.), Épistémologie des études touristiques,
Presses de l’Université du Québec, 2011.
Boualem KADRI, « L’identité scientifique du tourisme : un mythe ou une réalité en construction »,
Téoros. Revue de recherche en tourisme, vol. 27, n° 1, 2008.
Juan MADERA, Mary DAWSON, Priyanko GUCHAIT et Amanda BELARMINO, « Strategic human resources
management research in hospitality and tourism : a review of current literature and suggestions
for the future », International journal of contemporary hospitality management, vol. 29, n° 1, 2017.
Daniel MERCURE et Mircea VULTUR, Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail, Presses de
l’Université Laval, 2019.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
105
Alain MESPLIER et Pierre BLOC-DURAFFOUR, Le tourisme dans le monde, Bréal, 2014.
Michel MONEREAU, Management des organisations touristiques, Bréal, 2008.
Pierre PAILLÉ et Alex MUCCHIELLI, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand Colin,
2008.
Jean-Marie PERETTI, Ressources Humaines, Vuibert, 2013.
Michel LUSSAULT et Mathis STOCK, « Tourisme et urbanité », dans Philippe DUHAMEL et Rémi KNAFOU
(dir.), Les mondes urbains du tourisme, Belin, 2007.
Stephen ROBBINS et Timothy JUDGE, Les comportements organisationnels, 14e éditions, Pearson
Education, 2011.
Mathis STOCK, Olivier DEHOORNE, Philippe DUHAMEL, Jean-Christophe GUAY, Rémy KNAFOU, Olivier
LAZZAROTI, Isabelle SACAREAU et Philippe VIOLIER, Le tourisme : acteurs, lieux et enjeux, Belin, 2003.
Yves TINARD, Le tourisme économie et management, McGraw-Hill, 1992.
Mircea VULTUR, « Le concept de précarité : quelle adéquation aux transformations actuelles du
monde du travail », dans Daniel MERCURE et Mircea VULTUR (dir.), Dix concepts pour penser le nouveau
monde du travail, Presses de l’Université Laval, 2019.
Paul WATZLAWICK, Janet HELMICK et Don de Avila JACKSON, Une logique de la communication, Points
Essais, 1972.
Jean-Jacques WITTEZAELE, « La double contrainte ; un concept fondateur », dans Jean-Jacques
WITTEZAELE (dir.), La double contrainte : l’influence des paradoxes de Bateson en sciences humaines, De
Boeck, 2008.
RÉSUMÉS
L’entreprise, acteur majeur dans la société aujourd’hui, fait de plus en plus l’objet d’une attention
particulière des chercheurs et managers d’entreprises, à travers notamment l’analyse de la
fonction des ressources humaines. L’industrie du tourisme et des loisirs, qui montre une grande
particularité de sa ressource humaine (importante mobilité, partie intégrante de l’expérience),
fait observer une perspective pratique et professionnelle plus développée que l’appréhension
scientifique. Si le discours scientifique sur cette complexité touristique est bien constaté, en est-il
de même du discours concernant la gestion des ressources humaines ? Dans cet article, nous
analysons le discours en gestion des ressources humaines dans la recherche en tourisme,
notamment dans les ouvrages et les revues. La perspective proposée est une interrogation de
type épistémologique privilégiant une approche de type constructiviste pour l’analyse du
discours des chercheurs. Deux analyses sont développées : d’une part, l’analyse thématique pour
faire faire émerger les thèmes pertinents d’un corpus ; d’autre part, l’analyse des « catégories
conceptualisantes », afin d’apporter les premiers éléments de théorisation d’un phénomène.
Cette analyse de la gestion des ressources humaines en tourisme est réalisée à travers les écrits
parus dans la revue francophone Espaces tourisme & loisirs, qui permet d’apporter un regard
diachronique sur l’évolution du discours en gestion des ressources humaines, et ce, depuis les
années 1990.
The company, a major player in society today, is increasingly the subject of particular attention
from researchers and business managers, notably through the analysis of the human resources
function. The tourism and leisure industry, which shows a great particularity of its human
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
106
resources (significant mobility, an integral part of the experience), points out a practical and
professional perspective more developed than scientific apprehension. As such, this paper
attempts to understand how the discourse in human resources management in tourism research
looks like, especially in books and journals. In order to answer this question, the proposed
perspective is an epistemological type of questioning favoring a constructivist approach to the
analysis of the researchers’ discourse. Two analyzes are developed : first, a thematic analysis to
bring out the relevant themes from a corpus ; second, the analysis of “conceptualizing
categories”, in order to provide the first elements of theorizing a phenomenon. This analysis of
human resource management in tourism is carried out through the writings published in the
French-language journal Espace tourisme & loisirs, which provides a diachronic view of the
evolution of the discourse on human resource management since the 1990s.
INDEX
Mots-clés : tourisme, ressources humaines, emploi, théorie du management
Keywords : human resources, employment, tourism, management theory
AUTEURS
BOUALEM KADRI
PhD
MOHAMED REDA KHOMSI
PhD
CYRIL MARTIN
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
107
Quelles ressources humaines pour letourisme de mémoire ? Le profil desagents prestataires de services lorsdes funérailles bamilékés duCamerounWhat human resources for memory tourism? The profile of agents providing
services during the funerals of the Bamileke people of Cameroon
Bertrand Dongmo Temgoua
Introduction
1 Les récentes avancées sur le concept du tourisme de mémoire montrent qu’il s’agit
d’une forme assez singulière de pratique touristique, qui se conçoit au-delà de la mise
en valeur des hauts lieux témoins des faits historiques marquants, tels que les Grandes
guerres ou les vestiges de la traite négrière (Mbaye, 2005 ; Rieutort et Spindler, 2015).
Les dynamiques de tourisme de mémoire émergent souvent de contextes socioculturels
particuliers dès lors que ces sociétés sont soumises à l’influence des activateurs dits
externes, car exogènes au lieu mis en tourisme. Dans ce cas, cette rencontre entre
facteurs endogènes, liés à la culture et aux traditions locales, et facteurs exogènes
donne naissance à cette forme de tourisme de mémoire, comme celle qui s’est
développée autour des funérailles bamilékés1 du Cameroun. Outre l’émergence d’un
nouveau contexte socioculturel, le mouvement enclenché charrie de nouveaux enjeux
socioéconomiques et pose en conséquence plusieurs questions pour les structures
économiques qui se mettent en place. D’abord, celle de leur organisation respective et
de leurs formes de management en relation avec les différents projets ; ensuite celle
des rôles et du comportement des acteurs impliqués dans les processus de
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
108
transformation et partant, enfin, celle des qualifications des opérationnels, c’est-à-dire
ceux directement impliqués dans l’élaboration des prestations touristiques inhérentes.
2 La littérature apporte certes des éléments de réponse sur bien des aspects du
questionnement ci-dessus. En effet, sur la question du rôle et de la coordination des
actions des différentes parties prenantes impliquées dans la coproduction du service
touristique, l’approche conventionnaliste du service donne des éclairages théoriques.
Plus précisément, les conventions implicites, qu’observent les différentes catégories
d’acteurs, notamment les conventions de qualité, d’effort, de qualification, de
responsabilité, de fidélité, etc., assurent la coordination de la relation de service en
général et de service touristique en particulier (Gadrey, 1994 ; Gomez, 1999 ; Clergeau et
al., 2017). S’agissant des formes d’organisation spécifiques qui structurent différents
projets, Verstraete et Jouison-Laffitte (2009), dans une perspective tout aussi
conventionnaliste, considère le « business model » comme la convention au cœur du
projet d’entreprendre, l’artefact social qui mobilise et structure l’ensemble des parties
prenantes à la genèse de l’organisation. Au sujet de la qualification, que nous
considérons ici comme une relation d’équivalence équitable entre une activité et sa
valeur, le courant « substantiviste », porté dans un premier temps par Naville (1956),
considère que la qualification dépend de l’homme et non du poste de travail qu’il
occupe : ce qui fait du temps de formation le critère déterminant pour définir la
qualification (Oiry, 2005). Un peu plus tard, Friedmann et Reynaud (1958) vont
considérer que la qualification appartient plutôt au poste de travail. Cela étant, seuls
les critères liés à la technique, à la complexité du poste de travail sont mobilisés pour
donner une valeur objectivement équitable. Un autre courant, « relativiste », moins
enclin à proposer des normes absolues, considère la qualification comme le résultat
d’un compromis social entre les différents acteurs de l’environnement interne et
externe de l’entreprise (Maurice 1984). Toutefois, au-delà des perceptions
« substantivistes » de Naville (1956)2 et Friedmann (1964)3 et celles « relativistes » de
Maurice (1984), il semble nécessaire, pour le cas spécifique du tourisme de mémoire qui
nous intéresse, d’appréhender la qualification par le prisme d’une approche holistique
basée sur la réalité empirique du travail. Ce qui permettrait de tenir compte des
singularités locales, comme le proposent Lesne et Montlibert (1972). En effet, celles-ci
sont parfois différentes selon les cultures, les traditions et les valeurs sociales et
identitaires des peuples. Ce qui rejoint finalement l’approche du compromis social, base
du courant relativiste. Cependant, le sujet qui nous intéresse, en l’occurrence le
tourisme de mémoire et notamment la question de la ressource humaine spécifique à
cette forme encore en pleine exploration scientifique, donne lieu à l’interrogation
suivante : quel est le profil type du professionnel du tourisme de mémoire ? Par
ailleurs, peut-on objectivement imaginer un parcours de formation qui rende apte
l’apprenant à exercer efficacement dans le champ du tourisme de mémoire où qu’il se
retrouve ? L’un des enseignements majeurs de la recherche effectuée ces dernières
années est la redéfinition actualisée du tourisme de mémoire par l’énoncé de ses
principales caractéristiques (Rieutord et Spindler, 2015). Au regard de celles-ci, il
apparaît que le tourisme de mémoire émerge de différentes sources, pas forcément
rattachées aux faits historiques ou aux événements tristes du passé, et fait l’objet
d’expériences aussi diverses que variées, en fonction des lieux.
3 Cette reconceptualisation a donné lieu à la classification de la dynamique touristique
des funérailles bamilékés dans le champ du tourisme de mémoire, avec une singularité :
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
109
le côté festif qui contraste avec le tourisme de mémoire triste basé sur les vestiges de la
Grande guerre. Dans le cas d’espèce, le tourisme de mémoire naît de la rencontre entre
tradition et modernité. En effet, « si le tourisme est un phénomène emblématique de
notre modernité, la mémoire constitue, elle, la clé de voûte du processus de
conservation de nos traditions » (Clergeau et al., 2017, p. 1). À cet effet, « parler de
tourisme de mémoire, c’est envisager une rencontre entre la tradition avec ses velléités
conservatrices et la modernité avec ses tendances novatrices, deux concepts souvent
perçus comme antagonistes (Noah Onana, 2012) » (Dongmo Temgoua, 2017, p. 20). On
imagine donc, au cœur de ce phénomène, une tension latente, dont la gestion
conditionnera l’essor ou non des activités touristiques potentielles inhérentes. Ce qui
conduit à faire appel à des prestataires de services qualifiés dans cette gestion de la
tension entre tradition et modernité.
4 Par ailleurs, si on admet que chaque société a une tradition, une culture impliquant des
aspects identitaires matériels et immatériels à préserver au moyen de la mémoire,
alors, « la mobilité touristique s’inscrit dans une stratégie des individus socialisés, dans
leur intentionnalité, et dans l’efficacité de certains lieux plutôt que d’autres dans la
réussite du projet de récréation » (Violier, 2011, p. 2). Dans le même temps, s’il faut
reconnaître que la modernité, c’est souvent l’innovation, l’évolution, les changements,
voire des ruptures (Touraine, 1992 ; Warnier, 2008 ; Noah Onana, 2012 ; Silberzahn,
2014), on se rend à l’évidence de la complexité qui peut entourer la prestation de
service dans le tourisme de mémoire. Dès lors, dans un contexte de nécessaire
cohabitation entre tradition et modernité, quels professionnels pour faire face de
manière pertinente et cohérente aux attentes et exigences qualitatives des prestations
touristiques ?
5 Notre contribution propose d’esquisser le profil d’un des acteurs clés directement
impliqué au cours de la coproduction, dans une relation tripartite et conventionnaliste
de service dans le tourisme de mémoire. Pour l’instant ce type de professionnels ne
semble pas exister. Aussi, allons-nous essayer de détecter les qualités requises pour les
prestataires de services dans le cadre du tourisme de mémoire lié au patrimoine
immatériel, comme c’est le cas des funérailles bamilékés du Cameroun. Précisons dès à
présent qu’il ne s’agit pas d’obsèques. Les funérailles « désignent des rites funéraires
certes, mais davantage des festivités suivant un protocole traditionnel bien défini, à
forte intensité folklorique, dans une atmosphère empreinte d’une grande allégresse.
Les funérailles sont organisées en mémoire d’un défunt, en général, longtemps après
ses obsèques » (Dongmo Temgoua, 2017, p. 19). À partir de ce phénomène socioculturel,
qui entretient un important marché du tourisme de mémoire (Dongmo Temgoua, 2015),
on s’interrogera sur le passage d’une coproduction duale des services (prestataires-
clients) à une coproduction tripartite (qui donne une place au défenseur de la
tradition), puis sur les qualités que devraient présenter les fournisseurs de prestations.
1. D’une coproduction duale a une coproductiontripartite
6 Comme pour la plupart des activités de service, la production dans le tourisme
implique une participation directe du client au cours du processus. Dans un schéma
classique de prestation touristique, cette co-élaboration du service donne lieu à une
coproduction impliquant le client et le prestataire, qui représentent les deux parties
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
110
mises à contribution. L’originalité du tourisme de mémoire réside justement dans le fait
qu’il s’agit d’un processus de coproduction tripartite qui nécessite la participation d’un
tiers supplémentaire, à savoir : le gardien de la tradition. Cela ajoute de la complexité
aux tâches des prestataires, quant à la réalisation d’un service de qualité qui tienne
compte à la fois des exigences et attentes implicites des différentes parties attachées à
des valeurs relativement antagonistes.
1.1. L’approche client-prestataire
7 À la lumière des travaux de Gadrey (1994), Clergeau (2014) a schématisé la relation de
service dans le tourisme comme une coproduction co-définie et copilotée, comme nous
l’avons mentionné plus haut, par les deux acteurs principaux que sont le prestataire et
le client. Le schéma ci-après montre à cet effet que le service touristique est ainsi un
processus de transformation d’une réalité initiale en réalité voulue par le touriste, qui
est lui-même relativement impliqué aux côtés de l’agent prestataire. Dans l’élaboration
du service, l’entreprise prestataire participe à l’effort collectif, c’est-à-dire qu’elle
observe les conventions d’efforts en faisant le nécessaire pour disposer d’agents
qualifiés (Gomez, 1999 ; Verstraete et Jouison, 2009).
Figure 1. Schéma de coproduction de services
Source : adapté de Clergeau (2014)
8 Le schéma ci-dessus est, rappelons-le, relatif au cas classique d’une prestation de
service touristique qui implique une coproduction bipartite, c’est-à-dire lorsque seuls
les prestataires et les clients coproduisent. Dans ce cas, le prestataire n’éprouve a priori
pas de difficulté pour trouver l’agent qualifié qui, par son intervention directe dans le
processus de co-élaboration, va contribuer à la réalisation de la prestation. En effet, les
universités et autres instituts de formation dans le domaine du tourisme ont, depuis, eu
le temps d’adapter les formations aux exigences professionnelles du secteur. À titre
d’illustration, suivant les statistiques produites par l’université d’Angers, 75 % des
étudiants de master de l’UFR ESTHUA4 tourisme et culture obtiennent un emploi moins
de six mois après l’obtention de leur diplôme. Cette insertion professionnelle rapide et
réussie témoigne de l’opérationnalité de ces derniers et atteste de la qualité et de
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
111
l’adéquation des formations reçues à cet effet. Ainsi, on serait tenté de conclure qu’il
suffit, pour le prestataire de services touristiques en quête de ressources humaines, de
s’orienter vers des sources aussi bien internes qu’externes. Il lui reviendrait, tout
simplement, de cibler des candidats potentiels parmi les personnes justifiant d’une
expérience sur le poste concerné ou d’une formation sanctionnée par le(s) diplôme(s)
requis, obtenu(s) auprès d’instituts de formation spécialisés. On se situe là dans une
logique substantiviste de la qualification, subordonnée à la formation effectuée ou à
l’apprentissage issu d’une longue expérience préalable. Cependant, le tourisme de
mémoire autour des funérailles bamilékés laisse place à une tout autre réalité. Celle-ci
est d’ailleurs riche d’enseignements nouveaux pour l’analyse des parties prenantes
impliquées au cours du processus de coproduction du service touristique.
1.2. Les prestations de services dans le tourisme de mémoire : unecoproduction tripartite
9 Dans le tourisme de mémoire, la relation de service est différente du schéma classique
connu jusqu’ici. Elle laisse apparaître un tiers acteur, inscrit dans une posture
protectionniste de défenseur des us et coutumes et de l’authenticité. En effet, si la
naissance de la dynamique touristique autour de la mémoire est précédée par la
rencontre entre la tradition (clé de voûte de la « mémoire ») et la modernité (très
favorable au changement, à l’innovation et à la remise en cause perpétuelle des acquis
de la société), il va sans dire qu’au cœur de cette forme de tourisme subsiste une assez
forte défiance. Tel est d’ailleurs le cas pour les funérailles bamilékés au Cameroun
(Dongmo Temgoua, 2017). En effet, la neutralisation de cette tension est au centre de
l’émergence d’activités économiques. Celles-ci sont tournées vers la quête et la
préservation d’une coexistence harmonieuse entre les valeurs traditionnelles, d’une
part, et les exigences d’une vie moderne d’autre part. D’où l’implication dans
l’élaboration des prestations touristiques de ce tiers acteur, que nous qualifions de
« gardien(s) de la tradition ». Cette catégorie d’acteurs comporte : les chefs
traditionnels considérés en pays bamiléké comme dépositaires des traditions
ancestrales, les patriarches ainsi que l’ensemble des Bamilékés qui ont toujours vécu
dans leur région d’origine, nonobstant les mouvements migratoires que le Cameroun a
connus dès son entrée dans la colonisation. L’existence et le rôle de cet acteur
deviennent déterminants dans le processus de coproduction qui est donc « tripartite ».
10 Dans le cadre d’une simple coproduction bipartite, on imagine déjà la relative
complexité de la tâche de l’agent prestataire selon le cas. Celui-ci a un rôle essentiel,
qui le place au centre de l’activité relationnelle qu’il pilote de bout en bout pour le
compte de l’entreprise. Cela implique pour lui, de disposer d’une panoplie d’outils
déterminants pour produire un service de qualité. Il s’agit :
d’une parfaite connaissance des objectifs stratégiques de son entreprise ;
d’une maîtrise en matière des savoir-faire5 relatifs aux exigences techniques de la
prestation ;
d’un savoir-être6 pour l’implication harmonieuse du client comme coéquipier/copilote dont
il intègre les apports ;
de la prise en compte des autres enjeux7 relatifs au contexte et au champ spatiotemporel qui
entourent la réalité transformée, ou à transformer.
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
112
11 On peut dire, au regard de ce qui précède, que l’agent prestataire qualifié pour la
prestation touristique duale8 sera déterminé par les quatre caractéristiques ci-dessus.
La coproduction dans le cadre du tourisme de mémoire, illustrée à travers les
funérailles bamilékés, semble davantage mettre l’accent sur la quatrième, outre les
trois premières citées. À cet égard, la coproduction tripartite impliquant le(s)
gardien(s) de la tradition entraîne des difficultés supplémentaires pour le prestataire.
En comparaison avec une coproduction classique, le schéma suivant représente la
relation tripartite qui aboutit à la réalisation du service dans le tourisme de mémoire
autour des funérailles bamilékés.
Figure 2. Schéma de coproduction tripartite impliquant touriste, prestataire et gardien de latradition dans le tourisme de mémoire lié aux funérailles bamilékés
Source : adapté de Clergeau (2014)
12 Le schéma ci-dessus laisse entrevoir que, dans le tourisme de mémoire, les attentes et
les exigences relatives aux prestations ne sont pas formulées par le seul couple
touriste/client, mais plutôt par le triptyque client-prestataire-gardien de la tradition.
Ce dernier participe, au même titre que les deux autres acteurs, à la fourniture d’un
service de qualité, qui intègre bien sûr les atouts de la modernité tout en respectant les
principes inviolables de la tradition. L’analyse empirique montre, comme nous allons le
présenter dans ce qui suit, la nécessaire prise en compte des valeurs traditionnelles non
aliénables et la connaissance des pratiques coutumières. Cela doit cependant se faire en
considérant comme acquis certains éléments de la modernité : conditions d’hygiène,
confort, etc. surtout s’ils ne nuisent en rien à la préservation et à la transmission de la
tradition. Cela justifie l’interrogation sur l’existence du professionnel du tourisme de
mémoire, notamment le profil de l’agent prestataire, véritable dépositaire de l’équilibre
tripartite, pierre angulaire du service touristique dans un contexte aussi singulier.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
113
2. Les qualités requises pour les prestataires deservices touristiques mémoriels : le cas desfunérailles camerounaises
13 Nos investigations ont été menées au Cameroun, dans la région de l’Ouest et plus
précisément en pays bamiléké, où se pratiquent les funérailles. Il semble à cet effet
judicieux de décrire tout d’abord l’environnement empirique de l’étude, pour mieux
appréhender sa singularité. Par ailleurs, en s’appuyant sur les caractéristiques de la
qualification que nous avons énumérées plus haut et en focalisant sur la singularité de
la coproduction tripartite des services touristiques, nous avons essayé d’identifier les
qualités attendues d’un fournisseur de prestations, notamment en ce qui concerne les
ressources humaines directement impliquées dans la co-élaboration du service
touristique.
2.1. L’environnement empirique de l’étude
14 Sur le plan géographique, le pays bamiléké est confondu avec la région de l’Ouest du
Cameroun, l’une des dix du pays. La région compte huit départements, scindés en
arrondissements. Sept de ces départements constituent le berceau de l’ethnie Bamiléké,
comme l’indique la carte suivante.
Figure 3. Le pays bamiléké sur une carte schématique du Cameroun
Source : http://afrique-solidarite-emploi-format.webnode.fr/news/les-bamilekes-cameroun/
15 Sur un plan traditionnel, le pays bamiléké est constitué de 118 chefferies, qui sont des
entités à la fois politiques, administratives et traditionnelles représentant des
communautés territoriales. Par ailleurs, plus de 1,6 million de Bamilékés vivent en
dehors de la région d’origine. Pendant toute la saison sèche, qui dure environ cinq mois
chaque année, quatre à cinq funérailles sont organisées chaque semaine dans chaque
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
114
chefferie. Les manifestations mobilisent à chaque fois de 1 000 à 50 000 participants
selon l’ampleur et la notoriété du défunt. Il s’agit d’un devoir de mémoire non facultatif
et par ailleurs fondamentalement identitaire de cette ethnie. En effet, les funérailles
bamilékés participent d’un processus d’accomplissement de la vie pour l’individu :
« tant que tu n’organises pas des funérailles lorsqu’il le faut, tu ne peux pas être en
harmonie avec tes ancêtres » (Momo Soffack 1er)9. Bien plus, « il n’y a pas de site
d’emprunt pour l’organisation des funérailles. Ils doivent se faire à la source de la famille, c’est-
à-dire au village d’origine » (Kengni Jean10). Ainsi donc, la majorité des participants
séjournent pendant quelques jours en pays bamiléké, venant des communautés
bamilékés des autres régions et même de l’étranger. « Si les membres d’une famille
concernée par les funérailles résident au nord du pays, par exemple, ou même à
l’étranger, en principe, ils doivent obligatoirement faire le déplacement vers l’Ouest
pour l’événement » (Kengni Jean). Ce qui étaye l’idée d’un tourisme de mémoire
(Dongmo Temgoua, 2017). Les images suivantes donnent un aperçu des festivités des
funérailles (à gauche), en comparaison aux obsèques (à droite).
Figure 4
Source : images tirées du site Sinotable.com et de notre banque personnelle de photos prises pendantl’observation participante.
16 Notre étude a été circonscrite à la commune de Dschang. Dans cette ville, par exemple,
des entreprises familiales se sont créées autour de cette dynamique touristique, qui
s’est mise en place dès le XIXe siècle, au contact du pays avec la modernité. L’histoire
situe ce contact avec la modernité, d’origine occidentale11, à la période coloniale, qui a
aussi engendré de nombreux flux migratoires (Owona, 1973 ; Djache, 2012 ; Temgoua,
2014). Aujourd’hui, le marché de services touristiques autour de ce phénomène culturel
et identitaire, propre à cette ethnie qui compte parmi les plus représentatives du
Cameroun (Debel, 2011), constitue le plus important du pays. À ce titre, une multitude
d’entrepreneurs se déploient pour offrir des services dans un contexte de tension
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
115
latente entre tradition et modernité (Dongmo Temgoua, 2017). Dans le cas de notre
étude, les promoteurs des structures qui exploitent ce tourisme de mémoire sont des
entrepreneurs, au sens des économistes classiques (Laurent, 1989). Ils peuvent avoir à
la fois l’étiquette de capitaliste, d’optimisateur de ressources et de dirigeant « manager
général ». Ainsi, l’organisation et la gestion des entreprises qu’ils créent leur incombent
au premier chef.
17 L’étude empirique a été réalisée sur la base d’entretiens semi-directifs menés en deux
phases (27 au total), de périodes d’observation participante et d’analyse de documents,
conduisant à une triangulation des données. Dans un premier temps, nous avons, dans
une phase d’exploration préliminaire, eu recours à quatre catégories d’acteurs
importants, rencontrés individuellement ou en groupes, afin de disposer d’éléments
pertinents de compréhension des traditions bamilékés et surtout des funérailles. Il
s’agit :
des patriarches et hommes de culture ressortissants de la région de l’Ouest du Cameroun,
considérés ici comme les témoins vivants de ces traditions et us et coutumes propres à cette
ethnie ;
des organisateurs de funérailles, considérés ici comme les déclencheurs de toutes les
dynamiques rituelles, culturelles, économiques, financières, touristiques… observées autour
du phénomène ;
des chefs traditionnels, dépositaires et gardiens des traditions, garants théoriques de
l’authenticité des pratiques et usages liés aux funérailles ;
des voyageurs se rendant dans la région de l’Ouest, parmi lesquels des ressortissants
bamilékés qui se déplacent effectivement pour motif de funérailles.
18 Au-delà de la quinzaine d’entretiens menés auprès ces différentes parties prenantes
impliquées dans les funérailles, nous nous sommes également appuyé sur une étude
longitudinale rétrospective de douze parcours entrepreneuriaux, à partir desquels nous
avons reconstitué les interactions sociales qui ont permis à l’entrepreneur de déployer
son modèle d’affaires. Le tableau suivant présente le profil des personnes ressources
interviewées au cours de cette deuxième phase d’investigations.
Tableau 1. Profils des personnes-ressources interviewées au cours de la deuxième phaseempirique
Noms et
prénoms
Date
d’entretienStatut/ titre/ profession
Lieu (ville) de
l’entretien
Durée de
l’entretien
AKONO Jean Paul 04-oct-15
Promoteur de la structure de
logistique événementielle
« Papa Ako »
Dschang 1h
GOUFACK
Bernard30-oct-15
Promoteur de l’Hôtel Teclaire
PalaceDouala 1h15
KIGNI Joseph 07-janv-16Promoteur de l’Hôtel Place de la
MétéoDouala 35 min
TONFACK
LONGKENG
Joseph
13-janv-16Promoteur du Motel Royal de
DschangDouala 1h
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
116
DJIKENG
KEMGOU Fabien23-janv-16 Promoteur de l’Hôtel du Lac Dschang 1h05
IDRISSOU MOMO 02-janv-16
Promoteur du restaurant/
service traiteur « la Côte chez
Idrissou »
Douala 1h30
TONFACK
Etienne08-févr-16
Promoteur du restaurant/
service traiteur « Source de
Bénédictions »
Douala 1h10
NAFACK
Rigobert26-févr-16 Promoteur de l’Hôtel Salvador Dschang 50 min
FELEFACK Jean
Paul14-avr-16
Gérant du Motel Royal de
Dschang et promoteur du
service traiteur « FELEFACK »
Dschang 1h15
TATSALEKEU
Martin14-avr-16
Promoteur de l’agence de
voyage « MENOUA Voyage »Dschang 1h03
TATSIA Pélagie 14-avr-16
Promotrice du service traiteur
« NZ » (Nzinmeda) et logistique
événementielle
Dschang 45 min
M. DEMANOU 22-juin-16 Promoteur de FODEM Voyage Yaoundé 1h15
19 L’observation participante a consisté, dans un premier temps, à prendre part aux
funérailles comme invité ; dans un second temps, nous avons eu le privilège et le plaisir
de faire partie d’une équipe d’organisation des funérailles. Pendant la phase de
traitement des données, nous inspirant de Paillé (1996, 1998), nous avons procédé au
repérage systématique des thèmes abordés dans le corpus de verbatims issus des séries
d’entretiens semi-directifs entièrement retranscrits. D’ailleurs, comme le suggèrent
Beaud et Weber (2003), le travail d’analyse a commencé au moment de la transcription.
L’identification des verbatims significatifs en fonction des thèmes a permis par la suite
de disposer de sources empiriques, dont l’usage devait permettre de confronter la
perception théorique à la réalité du terrain. Ainsi, pour l’analyse des données, nous
avons donc retenu la stratégie narrative qui vise à comprendre un processus en
s’appuyant sur « la construction d’une histoire organisée et chronologique des
évènements à partir de sources brutes » (Langley, 1997, p. 41). La première visée d’un
tel récit est descriptive et compréhensive. Cela correspondait bien à notre souci de
comprendre la démarche de l’entrepreneur et ses critères pour les choix relatifs à la
mobilisation de ses ressources humaines pour ses prestations dans le tourisme de
mémoire, dans un contexte aussi singulier que celui des funérailles bamilékés.
20 Les résultats de notre analyse permettent d’esquisser le profil de l’agent prestataire. Au
cours de notre enquête de terrain, nous avons cherché des réponses aux questions
suivantes : comment les personnes qui travaillent dans les entreprises touristiques
concernées par les funérailles sont-elles recrutées ? Quels sont les savoirs, savoir-faire
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
117
et aptitudes préalables retenus par les employeurs ? Quelles sont les autres
caractéristiques prises en compte au moment du recrutement ?
2.2. Les attributs de qualification des agents prestataires
21 L’analyse montre que le personnel doit avoir des capacités spécifiques et que leur
encadrement doit être en rapport avec les réalités contextuelles, qui peuvent varier
d’une localité à l’autre, d’une région à l’autre, d’une aire culturelle à l’autre et, par
extrapolation et selon toute logique, d’un pays à l’autre. Dans le cas des funérailles,
quelques illustrations s’agissant du transport, de l’hébergement, de la restauration/
service traiteur, ainsi que de l’animation culturelle permettent de mettre en évidence
des attributs nécessaires des agents qualifiés.
22 Dans l’hébergement, si l’on suppose a priori qu’il existe des principes standards 12 et
quasi universels dans le service, quel que soit le lieu, on serait tenté de croire que la
provenance ou le lieu de formation initial du personnel n’influence pas le recrutement.
En d’autres termes, cela voudrait dire qu’il suffirait de disposer du savoir-faire
technique et du savoir-être, justifié par le diplôme sanctionnant la formation requise
ou par une expérience acquise dans le domaine, pour prétendre à l’emploi. Nos
investigations révèlent cependant que les entrepreneurs autour des funérailles
préfèrent recruter des personnes originaires de la localité et accoutumées aux mœurs
et coutumes du terroir, qu’ils forment ensuite avec l’appui de formateurs ayant une
expérience auprès de chaînes ou des groupes hôteliers internationaux. Bernard Goufak,
propriétaire de l’hôtel Téclaire Palace affirme ce qui suit : « J’ai d’abord signé un
contrat de formation avec Monsieur Tsagué, un ancien cadre du groupe Accor, et les
choses ont été gérées sur le plan local avec l’inspection de travail. » Il faut préciser
qu’au Cameroun il existe des instituts de formation en hébergement, au niveau
secondaire comme universitaire. Il nous est apparu important de connaître la raison de
ce contrat. Monsieur Goufak nous précise ceci : « huit mois avant l’ouverture, nous
avons lancé un test de recrutement du personnel, procédé à des interviews à l’issue
desquelles des jeunes gens de la localité ont été recrutés et formés. » Cette démarche
mérite au moins de susciter la question de savoir s’il s’agit d’un acte de solidarité
envers la communauté locale ou si cette approche est liée à la particularité du tourisme
de mémoire, principale forme de tourisme de la ville de Dschang. Il aurait pu recruter
directement des professionnels sortis des écoles de formation en hôtellerie qui, pour la
plupart, se trouvent dans les grandes villes du pays comme Douala et Yaoundé.
Pourtant, pour le lancement de son hôtel, Bernard Goufak a tenu à former un personnel
local aux savoir-faire et savoir-être suivant le modèle occidental. Ce qui permet
d’intégrer de la modernité au service et aux prestations envisagées dans un contexte
local assez singulier. Au lieu de recruter ailleurs un personnel qualifié parce que
justifiant d’une formation adéquate reçue dans les centres de formation en
hébergement, le promoteur choisit de mobiliser des fonds pour former pendant huit
mois de jeunes gens recrutés sur place.
23 Nul doute que ces derniers ont l’avantage de maîtriser les réalités locales, ce qui leur
permettra d’offrir un service « authentique » pour la satisfaction des touristes qui
recherchent des expériences originales. En effet, selon les travaux de McCannell (1976),
la recherche d’expériences véritables pour combler une vie quotidienne qui leur
apparaît monotone et vide serait la principale quête des touristes. L’authenticité est ici
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
118
relative à ce qui fait autorité, qui est conforme à l’original, qui est incontestable, qui est
vrai (Farladeau, Bourdeau et Marcotte, 2018).
24 L’entrepreneur de Téclaire Palace semble anticiper sur le lien possible relatif aux effets
de tension potentielle entre tradition et modernité, d’une part, et tourisme d’autre
part. À cet effet, les travaux de Taunay (2009, 2011) sur le cas de la Chine sont édifiants.
À la suite d’Oakes (1998), l’auteur montre que la modernité est un fondement majeur du
tourisme intérieur chinois : « la contradiction entre le désir d’authenticité du touriste
et le désir de modernité du village a été gérée à travers la mise en scène élaborée de la
tradition, de la consommation et du commerce qui a accueilli les touristes au village »
(Taunay, 2009, p. 115). Ainsi, tout en se pliant aux exigences modernes de qualité de
service grâce à la « formation sur mesure » reçue, le personnel de Téclaire Palace aura
les qualifications requises pour assurer les prestations inhérentes au tourisme de
mémoire. Pour cet entrepreneur, la combinaison de ces deux facteurs, à savoir la
connaissance et une prédisposition naturelle au respect de la tradition locale, d’une
part, et la prise en compte des exigences de la modernité en termes d’accueil,
d’hygiène, de commodités de séjour, etc., d’autre part, contribue à l’encadrement
optimal du touriste durant son séjour.
25 Dans le même temps, le recrutement des chauffeurs des compagnies et agences de
voyages interurbains qui offrent leurs services tient évidemment compte des
qualifications, vérifiées à travers les acquis objectivement identifiables. La sélection
tient aussi et surtout compte de la capacité d’expression des candidats dans des
conditions a priori atypiques. Il s’agit de mettre l’accent sur leur capacité d’acceptation
des conditions extraordinaires de travail et d’adaptation permanente aux changements.
Elles constituent, en effet, une caractéristique de l’individu recherché, en plus des
savoir-faire et savoir-être acquis par des formations techniques indiquées. À titre
d’illustration, des conventions sociales implicites sont établies entre les touristes des
funérailles et les prestataires exerçant dans le transport par autobus. En effet, les
voyages sont généralement programmés de nuit : « ce sont les voyageurs, c’est-à-dire
les touristes, qui ont imposé cela ». Ces propos sont ceux de Tatsalekeu Martin, le
propriétaire de l’une des plus importantes compagnies de voyage interurbain
desservant la région de l’Ouest à partir des grandes villes du pays. Il poursuit ainsi :
« en principe, les voyages de nuit ne sont pas bons pour nous, mais les voyageurs
l’imposent ». Si l’on cherche à comprendre pourquoi, on se rend compte que les
touristes le font pour des raisons évidentes : « ils disent que pour eux, c’est économique
en temps puisqu’en journée ils ont la possibilité de vaquer à leurs occupations
habituelles, puis de voyager par la suite dans la nuit ». Cela entraîne une conséquence
majeure chez le prestataire : le travail des chauffeurs se fait ainsi à contretemps et avec
des contraintes supplémentaires à surmonter. Celles-ci sont à la fois endogènes (les
prédispositions intellectuelles et techniques des chauffeurs…) et exogènes
(l’infrastructure routière ainsi que l’environnement des voyages qui révèlent des
insuffisances notoires et ne favorisent pas les meilleures conditions pour la pratique
nocturne). « La distance est à peu près de 400 à 500 km13. Vu l’état des routes, pour
effectuer ce voyage, il faut au minimum 8h de temps » (Demanou Oscar, propriétaire de
FODEM Voyage).
26 Dès lors, le recrutement des conducteurs de bus et d’autobus va au-delà de simples
connaissances techniques et savoir-faire acquis au cours de la formation antérieure des
postulants. Elle intègre, comme nous le voyons, d’autres facteurs liés au contexte, au
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
119
méso-environnement et aux conventions implicites établies entre les parties prenantes.
Ce qui suppose, en amont, le développement individualisé de la ressource humaine. La
qualification intègre des facteurs psychologiques, comportementaux et sociologiques
importants. Demanou Oscar, le propriétaire de FODEM Voyage, déclare ainsi : « comme
mes chauffeurs sont souvent amenés à conduire toute la nuit et compte tenu du fait que
la sécurité des centaines de passagers qu’ils transportent est liée à leur état physique,
psychologique et mental, cela implique un comportement spécifique de leur part ». Les
qualifications des chauffeurs ne se vérifient pas seulement dans le contexte purement
professionnel mais aussi en dehors, notamment dans son environnement social
quotidien. C’est pourquoi « en journée et au quotidien, ils doivent adopter un mode de
vie différent pour être dans les meilleures conditions de travail » (Demanou Oscar)14. Le
chauffeur adéquat, qualifié pour un travail au sein de FODEM Voyage, dont l’activité est
fortement tributaire des funérailles qui, par ailleurs, constituent en période forte
l’essentiel du chiffre d’affaires de l’entreprise, est, en conséquence, celui qui se fond
naturellement à ces exigences contextuelles supplémentaires. D’ailleurs, pour s’assurer
que les chauffeurs en service observent un comportement efficient au quotidien, les
promoteurs vont jusqu’à user de moyens peu conventionnels de pression, en
s’appuyant sur les membres des familles respectives de leurs employés.
27 Cela donne lieu à un autre attribut de qualification non négligeable : le statut
matrimonial. Pour Oscar Demanou, par exemple, le fait d’être marié constitue un atout,
voire une condition sine qua none du profil de chauffeur. « Je dois donc m’appuyer sur
leurs familles, c’est-à-dire leurs femmes et enfants pour les contraindre de respecter,
par exemple, les horaires de sommeil pendant la journée ». Il en est de même pour
Tatsalekeu Martin, qui prend lui des mesures pour être renseigné des faits et gestes de
sa centaine de chauffeurs pendant le service et en dehors du service. En établissant un
lien de proximité avec les familles de leurs employés, ils pensent ainsi disposer d’autres
moyens de surveillance de ces derniers. Ceux-ci doivent, en effet, observer une
discipline de vie stricte même en dehors des heures de travail ; raison pour laquelle il
est primordial pour l’employé qualifié d’être en mesure d’accepter cette intrusion à des
fins professionnelles dans leurs vies privées. À ce niveau, les aspects
psychosociologiques entrent en jeu. On imagine que s’il est acceptable pour un
professionnel de culture africaine de s’accommoder de cela, cela semble moins évident
pour quelqu’un de culture occidentale, ayant une perception différente de la vie privée.
Le promoteur de FODEM Voyage est conscient du sacrifice que cela implique de la part
de ses employés, puisqu’il affirme : « c’est très pénible pour eux, mais il est important
pour moi de m’assurer qu’ils ne se livrent pas à d’autres activités préjudiciables à la
bonne exécution de leur tâche ». Bien qu’admettant qu’il est peu commode pour un
employeur d’aller aussi loin dans la vie privée de son employé, les entrepreneurs
estiment ne pas pouvoir faire autrement : « ce n’est pas du tout facile, mais je préfère
me séparer d’un chauffeur qui n’est pas accessible à ces exigences-là ». Ils semblent
d’ailleurs encouragés par les membres des familles respectives desdits chauffeurs, qui
n’hésitent pas à coopérer, bien au contraire, sans doute pour contribuer à préserver le
gagne-pain familial. Les transporteurs y voient un moyen efficace d’assurer la qualité
de service et la sécurité des touristes : « Puisque le confort et la vie de nombreuses
personnes sont en jeu, mes chauffeurs doivent accepter que je surveille leur vie
privée » (Demanou Oscar).
28 S’agissant de la restauration et des services traiteurs autour des funérailles, un critère
revient chez tous les entrepreneurs lorsqu’ils embauchent : c’est la « passion pour la
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
120
restauration ». Il s’agit selon eux d’un métier très contraignant, nécessitant certes des
connaissances théoriques et un savoir-faire impliquant de nombreuses règles strictes,
mais aussi et surtout une motivation intrinsèque allant au-delà du gain financier
escompté. « Lors du recrutement, je pose toujours la question suivante : pourquoi
voulez-vous travailler dans ce métier ? », nous raconte Tonfack Etienne15, précisant que
c’est souvent sa première question et en même temps la plus importante et que la
réponse à celle-ci conditionne la suite. À cette question, « si le postulant répond en
disant qu’il recherche un travail parce qu’il n’en a pas malgré ses qualifications, alors je
lui réponds immédiatement non, cela ne vaut pas la peine de poursuivre l’entretien ».
Cependant, même si les qualifications du postulant sont à parfaire, le propriétaire du
restaurant « Source de Bénédictions » espère souvent du candidat une réponse
particulière : « Quand tu me dis que c’est ta passion ou que c’est ce que tu aimes faire, je
dis, on va se battre ». Il faut donc que l’agent prestataire témoigne d’une volonté et
d’une passion fortes, sans lesquelles il est presqu’impossible, selon les entrepreneurs,
de surmonter toutes les exigences de ce métier. Comme pour les transports, celles-ci
sont à la fois physiques, sociales, psychologiques et surtout culturelles.
29 En réalité, dans le contexte camerounais en particulier, l’acte alimentaire est avant tout
un acte culturel comprenant des principes traditionnels inviolables, du moins pour une
certaine catégorie d’acteurs : les puristes des coutumes et les gardiens des traditions.
Ces principes, qui renforcent les difficultés du prestataire, concernent aussi bien
l’élaboration que la consommation du service. D’ailleurs, à l’Ouest du Cameroun, de
nombreuses sources orales, « documentaires et cinématographiques »16 indiquent que
des personnes non avisées ont été durement contraintes par les autorités
traditionnelles à payer des amendes importantes et à se faire purifier spirituellement.
Pour quel motif ? Celui d’avoir consommé le « taro à la sauce jaune » en se servant
d’une fourchette, ce qui est interdit par la tradition (Dongmo Temgoua, 2017). Par
ailleurs, il est difficile d’imaginer qu’au lieu d’utiliser un mortier et un pilon en bois
pour piler le taro, suivant la technique et le rituel qui accompagnent la préparation de
ce mets, l’agent prestataire utilise un mixeur électrique pour obtenir une pâte similaire
par souci de facilité et de rapidité. Celle-ci ne sera jamais considérée comme du taro,
parce que ses propriétés physiques et son goût seront différents. On peut être sûr
qu’aucun connaisseur n’oserait en consommer. Au contraire, les auteurs de « l’affront »
s’exposeraient à des sanctions (Dongmo Temgoua, 2017). On comprend donc que la
restauration dans le cadre des funérailles exige, au-delà des connaissances techniques,
une forte motivation intrinsèque de l’agent prestataire.
30 Comme nous l’avons vu plus haut, la coproduction tripartie augmente la complexité de
la tâche de l’agent prestataire. Sa qualification est ainsi subordonnée à des
connaissances, à un savoir-faire et savoir-être qu’il est possible d’acquérir à travers une
formation proposée par les établissements spécialisés dans le tourisme. Cependant,
quel institut de formation prend en compte la coproduction tripartite relative au
tourisme de mémoire puisqu’il s’agit d’une découverte récente ? (Dongmo Temgoua,
2017). Nul doute que pour les prestations relatives aux funérailles, l’agent prestataire
qualifié dès sa sortie du centre de formation n’existe pas encore. Cette situation
contribue à faire de l’identité culturelle de la clientèle, de l’aire culturelle
d’appartenance de l’employé, ainsi que de la connaissance des valeurs traditionnelles
des communautés d’accueil des éléments importants pour l’évaluation du profil de
l’agent prestataire. À défaut de disposer, dans leurs effectifs, d’employés remplissant
ces critères, les entrepreneurs du tourisme de mémoire autour des funérailles ont
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
121
développé des stratégies alternatives. Celles-ci consistent, par exemple, à disposer dans
chaque localité de la région de l’Ouest de collaborateurs qui maîtrisent à la fois les
aspects techniques modernes des prestations mais aussi les tenants et aboutissants des
us et coutumes locaux. « Dans chaque ville de l’Ouest, j’ai au moins une personne
compétente que je peux à tout moment associer à mon équipe, lorsque je suis appelé à
faire une prestation qui nécessite d’intégrer automatiquement les réalités locales que je
ne maîtrise pas bien » (Tonfack Etienne). Il s’agit d’emplois temporaires qui viennent
en appui à la qualité du service attendu. L’entrepreneur complète en disant : « Même si
cela doit me coûter cher, je suis toujours prêt à avoir recours, de manière ponctuelle, à
des personnes qui maîtrisent les spécialités locales pour renforcer mon équipe
habituelle ». L’agent prestataire est, dans ce cas, une sorte de consultant, qui peut se
mettre au service de plusieurs entreprises similaires lorsque celles-ci sont appelées à
offrir des prestations dans sa localité. Néanmoins, le prestataire compétitif sera celui
qui disposera de la pleine maîtrise des contraintes traditionnelles et des exigences de la
modernité, comme c’est le cas du service traiteur « Source de Bénédictions ». Son
promoteur affirme : « en général, je maîtrise très bien l’ensemble des mets
traditionnels qui sont préparés pour les cérémonies des funérailles. Cela peut aussi
justifier le fait que je sois très sollicité » (Tonfack Etienne). Cela renvoie à l’observation
des conventions de fidélité à la tradition qui sont établies entre les trois principales
catégories de parties prenantes aux funérailles, à savoir le prestataire, le client/touriste
et le gardien de la tradition.
31 Au regard de ce qui précède, les éléments suivants apparaissent comme fondamentaux
dans l’appréciation du profil de l’agent prestataire ayant les qualifications
professionnelles requises pour le tourisme de mémoire en relation avec les funérailles
bamilékés du Cameroun :
le savoir-faire technique, acquis au moyen d’une formation dans un centre dédié ou par
apprentissage progressif sur le terrain ;
le savoir-être, qui semble être un des fondements de la coproduction, puisque la nécessaire
co-élaboration entre le client et le prestataire ne saurait être optimale autrement ;
la capacité d’acceptation des conditions extraordinaires (peu avantageuses) de travail et
d’adaptation permanente aux changements ;
la connaissance des mœurs, us et coutumes, ainsi que des principes traditionnels inviolables
de la localité, du territoire d’accueil.
Discussion
32 Cette étude laisse de nombreuses interrogations en suspens bien qu’elle permette de se
rendre à l’évidence que les structures de formation aux métiers de l’industrie du
tourisme ne proposent pas encore de profils complets pour le tourisme de mémoire.
D’émergence récente et fortement rattaché à la mise en valeur des sites témoins de la
Grande guerre, le tourisme de mémoire est désormais ouvert à d’autres sources. Il
serait intéressant pour la recherche en ressources humaines d’explorer les spécificités
de ce tourisme en vue d’aider à la mise sur le marché du travail des professionnels
qualifiés. Pour le tourisme de mémoire à essence culturelle, comme les funérailles, on
imagine que la prise en compte des mœurs, us et coutumes et traditions locales dans la
formation des apprenants supposerait, compte tenu de la forte diversité des cultures
dans le monde, une multitude de spécialisations. Pourrait-on, par exemple, regrouper
•
•
•
•
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
122
l’ensemble des cultures similaires en grandes aires culturelles et en faire l’objet
d’enseignements pour renforcer la formation des futurs professionnels du tourisme de
mémoire lié aux traditions ? En d’autres termes, peut-on envisager, dans le monde
académique, de recenser toutes les formes possibles de tourisme de mémoire, de les
classer par catégories selon les similitudes, de déceler les caractéristiques distinctives
et ensuite envisager des parcours de formation adaptés à chaque catégorie identifiée ?
On parlera par exemple de parcours de BTS tourisme et culture ; filière : tourisme de
mémoire ; option : mémoire culturelle immatérielle ; spécialité : tradition africaine /
tradition d’Amérique latine /tradition indienne… La limite majeure de cette étude est, à
notre sens, le fait que le tourisme de mémoire étudié soit relatif à une seule ethnie, les
Bamilékés du Cameroun. Cela pose un problème de représentativité et la question de la
généralisation des résultats se pose. Il serait sans doute pertinent de mener d’autres
études dans d’autres contextes socioculturels pour voir jusqu’à quel point nos résultats
sont pertinents. Toutefois, l’évidence d’une prise en compte des besoins futurs en
termes de ressources humaines qualifiées pour le développement de toutes les formes
de tourisme de mémoire interpelle la communauté scientifique.
Conclusion
33 Au regard des exigences et des singularités du tourisme de mémoire lié aux funérailles
bamilékés au Cameroun, il apparaît que la qualification de l’agent prestataire est
subordonnée à bien plus que les savoir-faire et savoir-être que l’on peut objectivement
acquérir dans des établissements de formation. Il ne s’agit là que d’un simple préalable.
En réalité, son efficacité va dépendre de sa bonne connaissance du contexte et des
enjeux inhérents au cadre global de la prestation ; autrement dit, à sa capacité à
observer les conventions sociales, d’une part, et de service, d’autre part. Celles-ci
régissent les relations entre les différentes catégories de parties prenantes impliquées
dans la coproduction. Par ailleurs, dans le cas du tourisme de mémoire relatif aux
traditions et aux us et coutumes, comme c’est le cas de la présente analyse, l’agent
prestataire fait face à une contrainte supplémentaire, celle d’intégrer une troisième
partie et de combiner son action avec elle. L’implication de ce tiers acteur, dont le
statut et le rôle protecteur puisent dans le souci de préservation de la tradition, rend
encore plus complexe la tâche de l’agent, sur qui repose le résultat final. Cette exigence
supplémentaire offre a priori un avantage relatif aux populations locales. Les
ressortissants des localités concernées peuvent en effet avoir de meilleures
prédispositions s’agissant des attributs de qualification que les autres professionnels
étrangers aux us et coutumes locaux. Au regard de l’émergence récente du tourisme de
mémoire, qui intéresse de plus en plus la communauté scientifique (Rieutort et
Spindler, 2015), ce constat a le mérite d’ouvrir le débat sur le type de professionnel
qualifié pour ce domaine, d’une part, et sur le type de formation adéquat, d’autre part.
La réponse à cette question devrait permettre aux établissements spécialisés dans le
tourisme de former des agents qualifiés ; c’est-à-dire des agents prestataires en mesure
d’assurer convenablement la coproduction du service et de participer ainsi au
développement et à la pérennisation du tourisme de mémoire ou de toute autre forme
de tourisme basée sur le patrimoine immatériel, où qu’il se trouve.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
123
BIBLIOGRAPHIE
Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de l’enquête de terrain, La Découverte, 2003.
Cécile CLERGEAU et Jacques SPINDLER, « Tourisme et création de valeur », Management & avenir, vol. 2,
n° 84, 2016.
Cécile CLERGEAU et Jacques SPINDLER (dir.), L’immatériel touristique, L’Harmattan, 2014.
Cécile CLERGEAU, Bertrand DONGMO TEMGOUA et Joseph NGIJOL, « Le tourisme de mémoire entre
tradition et modernité : une analyse conventionnelle à partir des funérailles camerounaises », Les
autres tourismes : émergence des modèles alternatifs et défis pour le management, 4ème
conférence annuelle de l’AFMAT, La Rochelle, mai 2017.
Anne DEBEL, Le Cameroun aujourd’hui, Éditions du Jaguar, 2011.
Sylvain DJACHE NZEFA, Les civilisations du Cameroun : histoire, art, architecture et sociétés traditionnelles,
Éditions Route des Chefferies, 2012.
Bertrand DONGMO TEMGOUA, « Les sources du tourisme de mémoire : émergence d’un marché
touristique autour des funérailles camerounaises », dans Laurent Rieutort et Jacques Spindler
(dir.), Le tourisme de mémoire un atout pour les collectivités territoriales ?, coll. « Grale », L’Harmattan,
2015.
Bertrand DONGMO TEMGOUA, Le tourisme de mémoire porteur d’opportunité(s) entrepreneuriale(s), une
analyse à partir des us et coutumes camerounais, Thèse de doctorat de l’Université Bretagne-Loire,
Université de Nantes, 2017
Isabelle FALARDEAU, Laurent BOURDEAU et Pascale MARCOTTE, « Innovation et authenticité en
tourisme. Points de rencontre », Téoros, n° 37, 2, 2018 [http://journals.openedition.org/teoros/
3323].
Georges FRIEDMANN, Le travail en miettes, coll. « Idées », Gallimard, 1964.
Jean GADREY, « La modernisation des services professionnels. Rationalisation industrielle ou
rationalisation professionnelle ? », Revue française de sociologie, vol. 35, n° 2, 1994.
Pierre-Yves GOMEZ, « De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de conventions ? », Les Cahiers de
l’Artemis, vol. 2, 1999.
Pierre Yves GOMEZ, Qualité et théorie des conventions, Economica, 1994.
Ann LANGLEY, « L’étude des processus stratégiques : défis conceptuels et analytiques »,
Management international, vol. 2, n° 1, 1997.
Paul LAURENT, « L’entrepreneur dans la pensée économique », Revue internationale PME, vol. 2, n° 1,
1989.
Marcel LESNE et Christian MONTLIBERT, Formation et analyse sociologique du travail, La Documentation
française, 1972.
Marc MAURICE, « La qualification comme rapport social. À propos de la qualification comme mise
en forme du travail », Document de travail LEST, n° 15, 1984.
Guèye MBAYE, Sites liés à la traite négrière et à l’esclavage en Sénégambie : pour un tourisme de mémoire,
Unesco, 2005.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
124
Pierre NAVILLE, Essai sur la qualification du travail, Marcel Rivière, 1956.
Godefroy NOAH ONANA, Tradition et modernité, quel modèle pour l’Afrique ? Une étude du concept de
tradition dans ses rapports avec la modernité des Lumières jusqu’à l’époque contemporaine, thèse de
doctorat, Université de Paris Est Créteil, 2012.
Tim OAKES, Tourism and modernity in China, Routledge, 1998.
Ewan OIRY, « Qualification et compétence : deux sœurs jumelles ? », Revue française de gestion,
vol. 31, n° 158, 2005.
Adalbert OWONA, « La naissance du Cameroun (1884-1914) », Cahiers d'études africaines, vol. 13,
n° 49, 1973.
Pierre PAILLÉ, « De l’analyse qualitative en général et de l’analyse thématique en particulier »,
Recherches qualitatives, vol. 15, 1996.
Pierre PAILLÉ, « Un regard sur la recherche qualitative en éducation au niveau des mémoires de
maîtrise et des thèses de doctorat des universités québécoises francophones (années 80 et début
des années 90) », Recherches qualitatives, vol. 18, 1998.
Philippe SILBERZAHN, « L'innovation ou la tragédie du modèle d'affaires », L’Expansion Management
Review, vol. 4, n° 155, 2014.
Benjamin TAUNAY, Tourisme intérieur chinois, coll. « Espace et territoires », Presses Universitaires
de Rennes, 2011.
Benjamin TAUNAY, Le tourisme intérieur chinois : approche géographique à partir de provinces du sud-
ouest de la Chine, thèse en géographie, Université de la Rochelle, 2009.
Albert Pascal TEMGOUA, Le Cameroun à l’époque des allemands : 1886-1916, L’Harmatan Cameroun,
2014.
Thierry VERSTRAETE et Estèle JOUISON-LAFFITTE, Business model pour entreprendre, le modèle GRP : théorie
et pratique, coll. « Petites entreprises et entrepreneuriat », De Boeck, 2009.
Philippe VIOLIER, « Les lieux du monde », EspacesTemps.net, 2011 [https://www.espacestemps.net/
articles/les-lieux-du-monde/].
Jean-Pierre WARNIER, « Invention des traditions et esprit d’entreprise : une perspective critique »,
Afrique contemporaine, vol. 2, n° 226, 2008.
NOTES
1. Les Bamilékés sont un peuple d’Afrique centrale établi au Cameroun dans la région de l’ouest,
où vivent également les Bamouns et les Tikars, proches d’eux par leurs ancêtres communs, leurs
structures sociales voisines et leurs langues. Selon Anne Debel (2011), c’est le plus grand groupe
ethnique du pays.
2. Selon lesquelles la qualification se focaliserait sur la relation entre la formation et
l’organisation technique du travail (Dubar, 1996 ; Oiry, 2005).
3. Qui conduisent à définir la qualification comme l’ensemble des savoirs et savoir-faire des
ouvriers de métier (Dubar, 1996 ; Oiry, 2005).
4. http://www.univ-angers.fr/fr/acces-directs/facultes-et-instituts/ufr-esthua-tourisme-et-
culture.html
5. Élément fondamental des conventions de qualification.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
125
6. Relatif aux conventions d’efforts, qui ont trait à la construction de la qualité au sein de
l’organisation et qui concernent directement les personnels qui sont impliqués dans les
prestations de services.
7. Convention de fidélité à la tradition.
8. Nous considérons « duale » et « bipartite » comme des synonymes.
9. Chef supérieur des Foto (gardien de la tradition), entretien du 25/01/2015.
10. Kengni Jean est un patriarche Foto, autorité traditionnelle ayant le titre honorifique de « Su
Fo », qui signifie « ami du chef », entretien du 26/10/2014.
11. Sur la base des travaux de Noah Onana (2012), de Touraine (1992) et de Warnier (2008), en
Afrique en général, la modernité par rapport à la tradition a une origine : l’Occident.
12. En général, quel que soit le lieu où l’on se trouve, on s’attend à ce qu’une structure
d’hébergement puisse disposer d’un service d’accueil et réception, d’un service d’étage et
éventuellement d’un service de bar/restaurant… avec l’idée de rendre le séjour du touriste le
plus agréable possible.
13. Pour celui qui part de la capitale Yaoundé vers Dschang et ses environs.
14. Demanou Jean Oscar, promoteur de FODEM Voyage, interviewé le 23 juin 2016 à Yaoundé.
15. Propriétaire du restaurant/traiteur « Source de Bénédictions », entretien du 08 février 2016.
16. Voir par exemple : https://www.youtube.com/watch ?v =i34snBF8DLU
RÉSUMÉS
L’émergence récente du tourisme de mémoire et son développement s’accompagne de
nombreuses interrogations dont celle relative aux ressources humaines de qualité. Dans la
coproduction tripartite qui implique, outre le touriste et le prestataire, l’intervention des
gardiens de la tradition, comme c’est le cas dans le service autour des funérailles bamilékés, vient
complexifier la tâche de l’agent prestataire. Il semble que, pour l’instant, les établissements de
formation en tourisme ne produisent pas encore de professionnels qualifiés pour cette forme
assez singulière, étroitement liée aux us et coutumes locales non transgressables. D’où l’intérêt et
la nécessité de dresser le profil de l’agent prestataire, dans une perspective de renforcement des
parcours de formation visant à la mise sur le marché du travail de professionnels qualifiés du
tourisme de mémoire. Tel est le dessein du présent article.
The recent emergence of memory tourism and its development is accompanied by many
questions, including the question of quality human resources. In the tripartite co-production
which involves, in addition to the tourist and the service provider, the intervention of the
guardians of tradition, as is the case in the service around the Bamileke funerals, complicates the
task of the service provider agent. It seems that, for the time being, the tourist training
establishments do not yet produce qualified professionals for this rather singular form, closely
linked to the local customs and uses which cannot be transgressed. Hence the interest and the
need to draw up a profile of the service provider, with a view to strengthening training courses
aimed at bringing qualified professionals from memory tourism into the labour market. This is
the aim of this article.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
126
INDEX
Mots-clés : tourisme, Bamiléké, prestataires touristiques, coproduction
Keywords : tourism, Bamileke, service provider, co-production
AUTEUR
BERTRAND DONGMO TEMGOUA
Docteur en sciences de gestion
Institut des beaux-arts de l’Université de Douala-Nkongsamba (Cameroun)
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
127
Actualités de la recherche
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
128
Actualités de la recherche
Comptes rendus de thèse
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
129
Aurore GIACOMEL, Les enjeux dutravail émotionnel individuel etcollectif dans les groupes hôteliersmultinationaux : la complexité del’équilibre émotionnel au service del’homéostasie organisationnelleThèse de doctorat en sciences de gestion de l’Université d’Angers, dirigéepar Dominique Peyrat-Guillard (soutenue le 18 septembre 2019)
The issues of emotional labor in hospitality multinational groups: the individual
and collective emotional balance at the service of organizational homeostasis
Aurore Giacomel
1 Notre époque se caractérise par un renouvellement éthique et écologique, plus
respectueux de l’humain et de l’environnement. L’expérience du touriste est au cœur
des préoccupations, notamment au sein des groupes hôteliers multinationaux.
Progressivement, l’accent mis sur l’expérience vécue pour attirer et retenir les clients
se prolonge de l’autre côté du desk, avec le développement d’une « expérience
collaborateur » de plus en plus poussée. En effet, les salariés du front office sont incités à
« rester eux-mêmes » dans leur travail, afin d’afficher une image plus authentique face
aux clients. Cette injonction s’ajoute à celle de l’hyperpersonnalisation du service : le
salarié doit paradoxalement correspondre à ce que chaque client attend, tout en
restant lui-même. De telles injonctions contradictoires génèrent une tension constante,
qui peut engendrer des comportements de retrait et des déséquilibres émotionnels
chez les salariés.
2 Dans ce contexte de travail, pourquoi certains salariés subissent ces injonctions, jusqu’à
ressentir de la souffrance au travail, alors que d’autres s’en accommodent
parfaitement ? Sur quels facteurs l’organisation peut-elle jouer pour garantir
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
130
simultanément le bien-être de ses salariés et la qualité du service ? Notre hypothèse est
que la cohérence des attentes, perçues et réelles, des clients et des employés a un
impact sur les effets des pratiques RH, dont la compréhension est atteignable
principalement via les mécanismes psychosociaux des individus. Les discours des firmes
hôtelières tournent aujourd’hui autour de la flexibilité, l’agilité et
l’hyperpersonnalisation, en faveur d’une adaptabilité accrue. Cependant, ces principes
sont mis en œuvre de façon peu réaliste, ce qui crée des dysfonctionnements à tous les
niveaux de l’organisation. Ainsi, les firmes semblent créer elles-mêmes les phénomènes
qu’elles essaient de contrer : un désengagement des clients, qui ne retrouvent pas la
promesse dans la prestation effective, et un désengagement des salariés, confrontés aux
demandes paradoxales de leur rôle de travail. Nous savons que les pratiques RH
d’amélioration du bien-être influent positivement sur la rétention et l’implication des
salariés ; cependant, les mécanismes qui constituent ces liens sont peu étudiés. Il
semble notamment primordial d’examiner les mécanismes émotionnels qui entrent en
jeu, particulièrement dans le cadre de métiers qui gèrent de l’humain.
3 La littérature sur le travail émotionnel (TE) englobe ces aspects propres aux métiers
dits du front office. Hochschild (1983) a initialement défini le concept comme « la
manière de gérer ses émotions pour se donner une apparence physique correspondant
à ce qui est attendu socialement ; celui-ci a lieu en échange d’un salaire » (Hochschild,
1983, p. 7). Afin d’afficher l’émotion adéquate, l’employé peut utiliser trois stratégies de
TE : exprimer naturellement ses émotions, réaliser un jeu en surface (feinte
émotionnelle) ou réaliser un jeu en profondeur (transformation de l’émotion). Depuis,
de nombreux auteurs se sont attelés à l’étude de ce concept, cherchant à discerner des
liens entre les stratégies émotionnelles utilisées par les salariés et leurs comportements
et attitudes au travail. La littérature souffre néanmoins d’un morcellement de l’étude
du concept, qui n’a pas permis la formation d’un consensus sur sa définition et
empêche d’appréhender la gestion émotionnelle des salariés de façon réaliste. En outre,
les échelles mesurent, chacune, des composantes différentes du TE, et donc un TE de
nature différente. Ainsi, les chercheurs évaluent indistinctement un processus, un
mécanisme biologique, une compétence, une expression ou encore une stratégie, des
mesures qui n’impliquent pas les mêmes outils et ne mènent pas aux mêmes
conclusions.
4 Ce travail de thèse propose de relier la stratégie hôtelière aux métiers du front office,
grâce à un cadre épistémologique original en sciences de gestion : la pensée complexe
d’Edgar Morin. Adopter le paradigme de la complexité pour étudier le TE a permis
d’explorer ses divers aspects disciplinaires (neurobiologiques, psychologiques,
sociologiques, etc.) et de prendre en compte simultanément les différents niveaux
d’analyse (individuel, interindividuel, organisationnel). L’objectif est d’identifier le
potentiel que peuvent offrir les capacités complexes humaines d’autorégulation en vue
du maintien durable de l’organisation dans un environnement complexe. Notre étude
compile plusieurs objets de recherche complexes et imbriqués : les mécanismes
émotionnels chez l’être humain, en situation de travail, au sein d’une organisation
touristique, dans une société en mutation. La problématique posée est la suivante : une
meilleure compréhension du TE et de l’équilibre émotionnel individuel et collectif au
sein des équipes en contact avec les clients peut-elle permettre d’optimiser la capacité
adaptative dans les métiers du front office de l’hôtellerie ? À partir d’une littérature
transdisciplinaire sur la régulation et la gestion des émotions, nous avons fait émerger
un modèle représentant la complexité du TE (cf. figure 1). Ce modèle s’appuie sur de
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
131
multiples théories en biologie et neurosciences, en sociologie, en psychologie et
psychanalyse, en comportements organisationnels et en systémique. Nous avons réalisé
60 entretiens semi-directifs et des observations dans des équipes de réception et de
restauration en salle, au sein de cinq Novotel en région parisienne. Après analyse
textuelle, à l’aide du logiciel IraMuTeQ, de nouveaux éclairages apparaissent quant aux
comportements et vécus émotionnels dans ces métiers.
Figure 1. Le travail émotionnel comme système complexe
Image 1003E1140000842500004A4FB42E7749A17881F3.emf
5 Contrairement à notre hypothèse de départ, selon laquelle les nouvelles normes
émotionnelles imposées aux salariés par les hôteliers participeraient à l’augmentation
des troubles émotionnels parmi le personnel de front office, nos analyses désignent
plutôt comme coupables des normes d’organisation du travail, des normes liées à la
digitalisation et des normes de communication interne et externe. En effet, le maintien
volontaire d’un fort turnover et des situations fréquentes de sous-effectif dans les
équipes de contact réduisent l’espace temporel destiné à évacuer les émotions et le
soutien dans l’équipe et nécessitent donc un effort de TE supplémentaire. La vocation
des outils numériques à réduire la place des procédures administratives au profit d’une
relation client approfondie entraîne, au contraire, une réduction des contacts clients et
prive les salariés de reconnaissance directe par les clients. Ajoutons à cela une crainte
généralisée des réceptionnistes de voir leur emploi remplacé à l’avenir par les
technologies. Côté ressources humaines, la focalisation du recrutement sur le savoir-
être est jugée chronophage par les équipes, qui doivent se charger de la formation des
nouvelles recrues aux savoir-faire. Parallèlement, les pratiques de management
participatif ne prennent réellement en compte ni les besoins ni les contraintes des
employés sur le terrain. Ceci engendre des ressentis de déception et de trahison, que
doivent gérer les salariés. Pour finir, les promesses d’hyperpersonnalisation du service
accroissent les exigences des clients et demandent donc un effort de TE
supplémentaire. De même, l’allègement des contraintes sociales pour les clients, incités
à se comporter à l’hôtel comme chez eux, favorise la généralisation d’un manque de
respect des clients envers les salariés, à gérer en supplément.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
132
6 Plusieurs résultats importants sur la nature et le fonctionnement du TE sont apparus.
Tout d’abord, un TE peut être réalisé lors de tout épisode émotionnel, qu’il soit lié à une
interaction interpersonnelle ou non. Chez les répondants, même ceux ayant un recul
manifeste sur leur gestion émotionnelle, l’identification des stratégies de jeu en surface
et de jeu en profondeur, usuelles dans la littérature scientifique, ne nous a pas paru
évidente. Deux processus de gestion émotionnelle sont principalement vécus sur le
terrain : le fait de bloquer directement le négatif chez le client, par habitude ou en
relativisant, car le salarié sait qu’il va résoudre le problème du client ; mettre le négatif
en attente pour se concentrer sur le présent et évacuer les émotions ensuite. Sur sept
profils de combinaison des stratégies de TE résultant de nos analyses, trois profils ne
font pas référence aux stratégies décrites par la littérature. Enfin, ces différentes façons
de réaliser un TE se répercutent sous forme de vécus et de comportements au travail,
que nous avons pu catégoriser en neuf profils. En l’état, aucun lien significatif n’a été
trouvé entre ces deux types de profil. Nos résultats font également émerger l’existence
d’un TE collectif. En effet, en front office, l’accueil d’un client se fait par le collectif
« équipe de réception » et non par un réceptionniste ; et l’équipe gère ses émotions
collectivement comme s’il s’agissait d’un seul organisme.
7 L’impact qu’auront les normes organisationnelles sur les comportements et vécus au
travail dépendra directement de leur influence sur le TE réalisé par les salariés, lui-
même déterminé par le lien que l’individu entretient envers son rôle de travail, ses
ressources individuelles ainsi que les ressources matérielles disponibles sur le lieu de
travail. Nous avons décelé un quatrième antécédent du TE : le lien collectif de l’équipe
de front office envers leur rôle collectif de travail. Le lien individuel envers le rôle de
travail dépendra du degré d’internalisation des normes organisationnelles : plus
l’individu aura intégré ces normes, plus il s’identifiera à son rôle de travail. Le type de
lien développé serait fonction de : la marge de manœuvre par rapport au rôle prescrit,
la cible du lien, les apports du rôle par rapport à soi et les raisons de l’attachement au
rôle. Les ressources individuelles, consciemment mobilisées par les répondants, sont :
les capacités de contrôle sur ses émotions – facilitées par l’existence d’espaces prévus
pour la gestion émotionnelle et par certains traits de personnalité – ; la maîtrise perçue
de son travail et de ses émotions ; le plaisir et les relations interpersonnelles au travail ;
les compétences relationnelles ; le ressourcement hors travail ; l’équilibre entre vie
privée et vie professionnelle. Ainsi, les ressources matérielles du lieu de travail, les
ressources individuelles, le lien individuel envers le rôle de travail et le lien collectif
envers le rôle collectif de travail paraissent constituer quatre piliers de l’équilibre
émotionnel au travail.
8 L’être humain est une entité adaptative, aussi bien au niveau moléculaire, cellulaire et
neuronal qu’au niveau psychologique et même social. Or, les organisations, qui
cherchent à contrôler le moindre rouage de la formidable machine qu’est l’humain –
notamment le système des émotions – comme s’il s’agissait d’une machine artificielle,
ne font qu’empêcher les capacités adaptatives du vivant. En effet, contrairement à la
machine vivante qui s’autorégénère continûment, poussée vers un équilibre
homéostatique qu’elle se doit de conserver afin de survivre dans le temps, la machine
artificielle ne peut croître que si l’on y ajoute des rouages supplémentaires et
dysfonctionne dès qu’une de ses pièces dysfonctionne. Toute organisation complexe
peut, sur le modèle de la machine vivante, s’adapter de façon autonome en fonction des
stimuli reçus de l’extérieur et ainsi s’adapter à son environnement en tirant parti de ses
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
133
capacités de réorganisation interne. L’homéostasie organisationnelle constituerait, en
ce sens, un objectif alternatif à l’objectif d’expansion infinie des firmes, qui arrive aux
limites de ses possibles aujourd’hui. Il s’agirait, pour les entreprises, non plus de croître
indéfiniment, mais de tendre vers un équilibre qui puisse être durable et utile pour
l’humain, en tant que société et individu.
BIBLIOGRAPHIE
Arlie HOCHSCHILD, The Managed Heart: Commercialization of Human Feeling, University of California
Press, 1983.
RÉSUMÉS
La complexité croissante de l’environnement exige une capacité accrue d’adaptation des chaînes
hôtelières, qui fondent leurs stratégies sur les demandes d’expériences et d’authenticité des
touristes. Les salariés du front office sont, en effet, incités à répondre à des attentes paradoxales
face aux clients, ce qui influe sur leur travail émotionnel et peut déboucher sur des
comportements de retrait et des cas de déséquilibre émotionnel. Une meilleure compréhension
du travail émotionnel et de l’équilibre émotionnel individuel et collectif peut-elle permettre
d’optimiser la capacité adaptative dans ces métiers de contact ? Nous proposons une analyse
qualitative et transdisciplinaire, guidée par l’approche épistémologique de la pensée complexe
d’Edgar Morin, afin de traiter ce questionnement complexe.
AUTEUR
AURORE GIACOMEL
ATER, Université d’Angers
Docteure en sciences de gestion
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
134
Étienne GUILLAUD, De l’attrait àl’usure. Les trajectoiresprofessionnelles des éducateurssportifs en nautismeThèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, dirigée par AnnieDussuet et Gildas Loirand (soutenue le 10 décembre 2018)
From attraction to professional wear. Professional trajectories of sports teachers
in nautical activities
Étienne Guillaud
1 Cette thèse interroge les conditions de production du sentiment d’usure propre aux
éducateurs sportifs en nautisme, entendus comme les titulaires d’une certification – un
brevet d’état (BE) ou un BPJEPS – leur permettant d’encadrer contre rémunération tout
au long de l’année les activités de voile, char à voile, kayak, surf et kitesurf. L’usure au
sein de cet univers professionnel, caractérisé par un fort engagement des travailleurs,
n’est jamais indépendante des attraits ayant présidé à l’entrée dans le métier. Elle peut
finalement être définie comme le processus de dévaluation de ces attraits au cours de la
trajectoire professionnelle. Une soixantaine d’entretiens et des observations dans
divers établissements nautiques du littoral de la région Pays de la Loire constituent le
cœur du travail d’enquête, mené entre 2013 et 2017. Le développement des activités
nautiques en Pays de la Loire, historiquement moins implantées que dans d’autres
régions (comme la Bretagne), est un enjeu politique fort en matière de valorisation
touristique. Mais les conditions de travail et d’emploi des travailleurs, qui permettent
ce développement, demeurent peu visibles.
2 Ainsi, le travail d’éducateur sportif en nautisme est souvent présenté sur le mode d’un
« métier-passion », voire d’une « chance », pour son cadre d’exercice (le bord de mer),
les bonnes relations entretenues au sein des établissements ou encore le caractère
gratifiant de la transmission des activités nautiques. Or, derrière cette image
valorisante, il s’avère que les départs du métier sont fréquents après quelques années
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
135
d’exercice au point que ce turnover pose problème au sein des établissements nautiques.
En effet, l’exercice du métier est marqué par une pluralité de difficultés, comme des
rémunérations relativement faibles, des effets de saisonnalité (Guibert et Slimani, 2011)
ou bien encore un coût physique exigeant durant les phases d’encadrement.
L’espace professionnel de l’encadrement du nautisme
3 Au-delà du caractère peu visible des difficultés au travail, un autre trait singulier du
métier de service d’éducateur sportif est de se situer à l’intersection du « marchand » et
du « non-marchand ». S’ils peuvent assurer des prestations socio-éducatives ou
sportives considérées comme des activités reconnues d’utilité publique ou sociale, les
centres nautiques du littoral assurent une large part de leur chiffre d’affaires par le
biais de prestations commerciales, souvent plus répétitives et techniquement moins
intéressantes, principalement à destination des touristes durant la période estivale. La
nécessité de commercialiser leurs prestations pour la survie économique de leurs
établissements obligent alors les éducateurs sportifs à devenir des « agents de
développement » des activités nautiques. Les communes littorales bénéficient de ce
travail, qui contribue à faire du nautisme une ressource territoriale pour elles. Mais
cela ne se traduit pas en retour par la reconnaissance de ce travail ou par une
contribution à l’amélioration des conditions d’emploi de ces travailleurs de la part de
ces communes.
4 L’encadrement des activités nautiques correspond aux tâches effectuées pour et sur les
usagers (Hughes, 1996) : il est considéré comme le cœur de l’activité et reste son aspect
le plus visible. Il engage la maîtrise de compétences relationnelles (pour assurer la
transmission de savoirs et savoir-faire), mais aussi un sens pratique de l’encadrement
(pour assurer la sécurité). L’encadrement ne peut toutefois résumer l’ensemble des
tâches des éducateurs sportifs en nautisme. D’autres tâches annexes sont importantes :
la gestion et la réparation du matériel, la gestion administrative et financière, le
management des équipes saisonnières, les activités de formation... Ces tâches peuvent
s’avérer convoitées, notamment avec l’âge, à la fois pour éviter la lassitude en
diversifiant ses tâches mais aussi pour protéger sa santé en allant moins souvent « sur
l’eau ».
5 La répartition des tâches et des prestations devient dès lors l’objet de rapports de
pouvoir, souvent déniés comme tels, au sein des établissements nautiques. Le groupe
professionnel peut ainsi s’envisager comme un champ (Quijoux, 2015), au sein duquel
les éducateurs permanents (en CDI ou titulaires de la fonction publique) tendent à
s’attribuer les publics et les tâches les plus valorisés et les plus à même de les protéger
des difficultés au travail au dépend des saisonniers (en contrat de 5 à 8 mois). La
concurrence pour l’obtention des postes stables est forte depuis le milieu des
années 2000 et place les saisonniers dans des situations de « loyautés incertaines »
(Jounin, 2009). L’enjeu du champ est de bénéficier d’une reconnaissance en tant que
« professionnel ». Cette reconnaissance passe par des jugements professionnels
(compétence relationnelle avec l’usager, maîtrise du sens pratique, connaissances
techniques...) et moraux (bonne hygiène de vie, capacité à « prendre sur soi » ...)
circulant entre éducateurs stabilisés dans l’emploi et en mesure d’assurer les
recrutements et les réputations des uns et des autres. La constitution d’un capital
symbolique pour se faire reconnaître au sein du champ peut ainsi déterminer le
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
136
maintien ou non dans l’emploi. Toutefois, les éducateurs sportifs en nautisme doivent
aussi mobiliser d’autres ressources en dehors de l’espace professionnel, par exemple
des ressources matérielles ou économiques familiales, pour avoir des chances de
perdurer dans le métier.
Du reclassement au vécu de l’usure : les trajectoiresdes éducateurs
6 L’orientation vers le métier d’éducateur sportif en nautisme est marquée, au départ,
par une situation de frustration ou d’échec : impossibilité de trouver un emploi, vécu de
l’ennui au travail, conflit avec des collègues ou employeurs, sentiment de s’être trompé
d’orientation scolaire et professionnelle, etc. Ces expériences poussent les individus à
se sentir déclassés et à se réorienter professionnellement. Devenir éducateur sportif
n’est ainsi que rarement un premier choix et prend plutôt la forme d’une reconversion
à un moment où les enquêtés voulaient « changer de vie ». Le fait d’exercer ce métier
valorisant, notamment car il s’exerce en bord de mer, permet aux éducateurs de
constituer leur travail comme distinctif, au sens où il n’est pas un « travail ordinaire »
et limité à la seule dimension professionnelle (« c’est plus qu’un travail »), ce qui leur
permet de conjurer le déclassement initial. La rhétorique de « la passion » dans le
groupe professionnel sert alors moins à décrire un attrait pour le nautisme ou le travail
lui-même qu’à tirer un profit distinctif de soi à soi (Lahire, 2004), en se singularisant en
tant que travailleur éloigné du modèle classique du salariat, et à légitimer une
inscription au sein d’un espace professionnel dans lequel le dévouement « passionné »
est implicitement exigé.
7 L’usure se traduit alors, pour ces éducateurs, par les difficultés vécues lorsque leur
statut de travailleur « ordinaire », et même plus : de travailleur « mal rémunéré » et
« mal considéré », leur est rappelé. Ces rappels peuvent survenir lors de mésentente
avec leur employeur, lorsque leur rémunération ou la saisonnalité de leur emploi pose
des difficultés dans la vie familiale, ou bien encore lorsque leur corps se fatigue ou se
blesse. C’est le plus souvent dans l’articulation de plusieurs de ces facteurs que les
éducateurs sportifs vivent, au fil du temps, une série de désajustements qui les
conduisent peu à peu à percevoir leur travail comme difficile, voire à ne plus le
supporter au point de devoir en sortir.
8 L’usure était, au départ de ce travail, une catégorie indigène, exprimant un sentiment
diffus. En la redéfinissant comme la dévaluation des attraits initiaux pour le métier, il
est possible d’en rendre compte sociologiquement et de l’extraire des explications trop
« psychologisantes » ou « pathologisantes ». Le processus d’usure interroge alors
l’ambivalence entre visibilisation et invisibilisation du travail (Krinsky et Simonet,
2012). Cette ambivalence vient du fait que, pour se préserver de l’usure, les éducateurs
sportifs en nautisme doivent tout à la fois mettre à distance le travail en tant
qu’activité de travail pour en conserver la dimension distinctive et, dans le même
temps, trouver les moyens d’en assurer la reconnaissance pour qu’il ne puisse faire
l’objet d’une dévaluation en vieillissant. Les chances de trouver une forme d’équilibre
propice à maintenir l’engagement dans le métier sont inégales et semblent plutôt
bénéficier à ceux qui sont déjà les plus disposés, par leurs positions et leurs ressources,
à accéder à des formes de reconnaissance professionnelle.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
137
BIBLIOGRAPHIE
Christophe GUIBERT et Hassen SLIMANI, Emplois sportifs et saisonnalités. L’économie des activités
nautiques : enjeux de cohésion sociale, L’Harmattan, 2011.
Everett C. HUGHES, Le regard sociologique. Essais choisis, Éditions de l’EHESS, 1996.
Nicolas JOUNIN, Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, La Découverte,
2009.
John KRINSKY et Maud SIMONET, « Déni de travail : l’invisibilisation du travail aujourd’hui.
Introduction », Sociétés contemporaines, n° 87, 2012.
Bernard LAHIRE, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte,
2004.
Maxime QUIJOUX, « Première partie. Bourdieu et le travail, une introduction », in Maxime QUIJOUX
(dir.), Bourdieu et le travail, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
AUTEUR
ÉTIENNE GUILLAUD
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
138
Actualités de la recherche
Lectures critiques
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
139
Laurent Sébastien FOURNIER etFiorella GIACALONE (dir.), L’Europepèlerine. Religion et tourismeL’Harmattan, 2017, 275 p.
Christophe Guibert
RÉFÉRENCE
Laurent Sébastien FOURNIER et Fiorella GIACALONE (dir.), L’Europe pèlerine. Religion et
tourisme, L’Harmattan, 2017, 275 p.
1 Paru en juin 2017, l’ouvrage d’anthropologie L’Europe pèlerine. Religion et tourisme a été
publié chez L’Harmattan (collection « Ethnologie d’Europe ») sous la direction de
Laurent Sébastien Fournier (univ. Aix-Marseille) et de Fiorella Giacalone (univ. Perugia,
Italie). Plusieurs ouvrages sur le thème des fêtes et du tourisme ont été dirigés dans la
même collection par L.S. Fournier. Celui-ci, L’Europe pèlerine, est le fruit de
communications francophones présentées lors du 28e colloque international du réseau
de coopération scientifique en ethnologie et historiographie européennes, Eurethno
(créé en 1988), qui s’est tenu en septembre 2014 en Italie. Selon les coordinateurs de ce
recueil, composé de treize textes, les mobilités relevant du pèlerinage en Europe
s’inscrivent dans des dynamiques anciennes tout en témoignant d’une certaine
contemporanéité. Comme l’indique l’introduction, l’Organisation mondiale du tourisme
(OMT) estime d’ailleurs à 330 millions le nombre de voyageurs « intéressés par les lieux
de la foi » (p. 11). Au-delà de sa composante spirituelle et religieuse, ancrée dans les
traditions européennes, l’époque contemporaine se caractérise aussi par une
« métaphorisation du pèlerinage et de sa transformation en activité profane » (p. 12)
selon L.S. Fournier. La variété des profils sociologiques des « pèlerins », les sens
attribués à ces mobilités singulières et les dynamiques de valorisation des territoires
témoignent de l’élasticité nominale du phénomène.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
140
2 Organisé en deux parties, l’ouvrage traite des « diversités pèlerines » dans un premier
temps (six articles), puis des « pèlerinages transformés » (sept articles) dans un second
temps. Les terrains européens convoqués par les chercheuses et les chercheurs sont
multiples et variés, tant sur le plan géographique (France, Italie, Norvège, Serbie,
Pologne, etc.) que sur le plan historique (les XIXe, XXe et XXIe siècles sont appréhendés).
Les chapitres de la première partie analysent les spécificités des pèlerinages en Europe
à l’aune de traditions localisées et dont les ressorts religieux sont variés. Le culte de
Sainte Rita à Cracovie, le culte de Saint Olaf dans les Îles Féroé, des traditions pèlerines
dans le sud de l’Italie sont autant de cas qui associent le pèlerinage à des dimensions
externes (« tourisme thérapeutique », guérison infantile, littérature). Les chapitres de
la seconde partie traitent quant à eux des nouvelles modalités pèlerines et des
transformations contemporaines qui caractérisent ce type de mobilités en Europe.
Participant au développement territorial et patrimonial, le tourisme et
l’interculturalité sont ici au cœur des analyses. Les Saintes-Maries-de-la-Mer dans le
sud de la France, le pèlerinage « sportivo-religieux » de Notre-Dame-du-Rugby dans le
département des Landes, la médiatisation exacerbée du culte de Sainte Rita de Cascia
en Italie, entre autres, constituent des cas illustrant la plasticité des pèlerinages
contemporains. Entre spiritualité et tourisme profane, dévotion et médiatisation, local
et global, etc., les pèlerinages – et les transformations continuelles qui les
caractérisent – ne peuvent renvoyer à une unique modalité de pratique et de sens.
3 L’analyse ethnologique et anthropologique est en conséquence utile à l’interprétation
de ce phénomène à la fois spirituel, social, patrimonial, économique ou encore
territorial. Chaque article témoigne bien, à sa manière, de ce constat. Plusieurs
remarques peuvent toutefois être formulées à l’égard de cet ouvrage de bonne tenue.
Premièrement, les deux directeurs auraient pu proposer une conclusion générale
permettant de revenir sur les éléments proposés en introduction et d’y répondre de
manière conclusive. Si le lecteur perçoit bien, à la lecture de l’introduction générale et
des treize articles, que les modalités de pèlerinage analysées et questionnées sont
éminemment variées, une critique plus globale des termes et de la polysémie des mots
aurait été la bienvenue. Des éléments de réponse sont proposés p. 269 et 273 de
l’ouvrage, au sein desquelles L.S. Fournier indique quelques « enjeux du débat » et de
définition. En l’état, au sein de chaque cas analysé, les protagonistes sont-ils – se
considèrent-ils réellement comme – des pèlerins ? Partant du principe épistémologique
bachelardien selon lequel l’obstacle verbal se produit lorsqu’on croit expliquer un
phénomène en le nommant, peut-on uniformiser l’ensemble de ces pratiques sous un
même vocable (pèlerin) ? Notons que la difficulté se pose également en des termes
similaires au sujet d’autres notions (le tourisme « d’affaire » ou le tourisme « de santé »
ne renvoient pas aux mêmes pratiques et représentations que le tourisme
« d’agrément »). Enfin, des données ethnographiques issues de phases d’observation
auraient positivement renforcé les arguments développés par les auteurs. En
particulier, le recours à la photographie, lorsque cela était possible, aurait assurément
permis au lecteur de mieux appréhender les phénomènes sociaux contemporains
exposés.
4 Il n’en demeure pas moins que la thématique proposée par les auteurs est originale et
que l’ensemble des articles est agréable à lire. Prendre comme objet le pèlerinage
contemporain à l’échelle européenne constitue en soi une gageure tant la variabilité
des usages et des régimes de valeurs est étendue, difficulté qu’ont néanmoins su relever
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
141
les auteurs et les directeurs de l’ouvrage. Le champ d’investigation semble encore vaste
et prometteur en termes de recueil de données empiriques et d’interprétations
savantes, en particulier au-delà des frontières européennes.
AUTEUR
CHRISTOPHE GUIBERT
Maître de conférences HDR en sociologie
Laboratoire Espaces et sociétés (UMR CNRS 6590), Université d’Angers, UFR Esthua Tourisme et
culture
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
142
Maria GRAVARI-BARBAS et Sébastien JACQUOT, Atlas mondial du tourisme etdes loisirs. Du Grand Tour aux voyages low costAutrement, 2018
Véronique Mondou
RÉFÉRENCE
Maria GRAVARI-BARBAS et Sébastien JACQUOT, Atlas mondial du tourisme et des loisirs. Du
Grand Tour aux voyages low cost, Autrement, 2018
1 Comme son titre l’indique, l’Atlas mondial du tourisme et des loisirs. Du Grand Tour aux
voyages low cost a pour ambition de traiter de ces faits sociaux que sont le tourisme et
les loisirs à une échelle internationale, en en analysant les différentes facettes. La
gageure consiste, sur une double page, à étudier l’un des aspects de ces phénomènes
par une analyse synthétique et – atlas oblige – par des graphiques et cartes.
2 L’ouvrage est divisé en cinq parties. Si dans le titre de l’atlas, le terme de loisirs
apparaît, les titres des chapitres et leur contenu se concentrent avant tout sur le
tourisme. Après une approche historique, rappelant ses origines, l’ouvrage explore les
développements contemporains du tourisme. Son caractère mondialisé est abordé
grâce aux thèmes du transport aérien, des croisières maritimes, de l’hôtellerie
internationale et des congrès. Le chapitre 3 est consacré aux pratiques touristiques et
aux hauts lieux du tourisme. La partie suivante traite des enjeux actuels du tourisme,
notamment le terrorisme, la question du genre, le tourisme de mémoire, la
tourismophobie. L’ouvrage se termine par une approche régionale permettant de
traiter le tourisme en France et dans les différents continents.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
143
3 C’est là qu’apparaît une première difficulté à réaliser un tel ouvrage, que le proverbe
« qui trop embrasse mal étreint » peut résumer. Scinder le tourisme en différentes
thématiques, c’est prendre le risque de perdre de vue le caractère systémique de ce
phénomène global et aboutir à un propos réducteur. Mais, même si la complexité de
sujets tels que les évolutions de l’hôtellerie internationale, des mutations des pratiques
touristiques ou l’apparition de phénomènes comme le surtourisme est difficile à
restituer, les auteurs parviennent globalement à en donner les points clés et les enjeux
majeurs.
4 Mais la valeur ajoutée d’un atlas s’apprécie dans la production de cartes. Et c’est là où
réside la faiblesse de cet ouvrage. Dans un atlas, les cartes doivent être conçues en
résonance à l’analyse textuelle – les deux s’alimentant réciproquement. Ici, les cartes
ne sont pas, ou peu, intégrées au texte. Par ailleurs, la majorité des documents sont des
cartes de localisation, d’inventaire sans réelle plus-value. Les cartes d’analyse
statistique restent classiques et n’utilisent pas des modes de représentation plus riches,
comme les cartes en anamorphose par exemple pour représenter les déformations de
l’espace-temps. L’absence de chorèmes renforce le caractère non analytique.
5 Le choix des données traitées ne permet pas toujours de résumer au mieux un
phénomène ou n’apporte pas un éclairage significatif. Par exemple, sur le thème des
croisières maritimes, est proposée une carte des itinéraires « tour du monde ». Or, ce
type de croisière est marginal dans l’offre des opérateurs, alors même que cette activité
connaît de profondes mutations, qui auraient été plus pertinentes à représenter.
6 Des données non datées, des problèmes d’unité ou des chiffres discordants émaillent
par ailleurs les planches. Ainsi, au sujet de la fréquentation des musées (p. 50 -51), Le
Louvre passe de 7 400 visiteurs sur la carte à 8,1 millions dans le texte. Même
contradiction au sujet des recommandations de voyages formulées par les États-Unis
(p. 62-63) : le texte mentionne que la Tunisie est affectée d’une recommandation
« reconsidérer le voyage », tandis que la carte mentionne seulement une « très grande
prudence ».
7 Mais ce sont avant tout les multiples erreurs de construction cartographique qui
discréditent l’atlas. Des aberrations grossières sur les échelles le ponctuent. Plusieurs
cartes sont dénuées d’échelle (p. 31, 38, 49, 75) et, sur d’autres planches, elles sont
fausses. Ainsi le plan de l’exposition universelle de 1900 centré sur Paris (p. 15) laisse
apparaître une échelle de 1,3 cm pour 200 km. De la même manière, les cartes de
Gruissan (p. 43) et de Sydney (p. 86) se voient affubler d’une échelle selon laquelle 1,3 et
1,5 cm représentent respectivement 500 km et 200 km.
8 Enfin, des erreurs de sémiologie graphique achèvent de décrédibiliser le travail
cartographique. Les légendes des cartes en points proportionnels posent très souvent
problème, la taille des cercles en légende ne permettant pas de saisir les valeurs.
9 Les valeurs quantitatives absolues (des effectifs) sont à plusieurs reprises (notamment
p. 24 et 76) représentées par des aplats de couleur – carte choroplèthe – alors qu’il
conviendrait de les cartographier avec des points proportionnels. S’agissant de ce
même type de données statistiques, les cartes mêlent d’ailleurs parfois ces deux formes
de représentation au sein d’une même carte (p. 30, 34, 79 et 89), interdisant ainsi toute
comparaison. Le non-respect des règles de base de la cartographie traduit un manque
de rigueur qui limite son usage, notamment à des fins pédagogiques, alors même qu’il
s’agit de l’un des objectifs de cet atlas.
Mondes du Tourisme, 16 | 2019
144