musique et éducation

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Revue internationale d’éducation de Sèvres 75 | septembre 2017 Musique et éducation Music and education Música y educación Emmanuel Bigand (dir.) Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/ries/5853 DOI : 10.4000/ries.5853 ISSN : 2261-4265 Éditeur France Education international Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2017 ISBN : 978-2-85420-615-9 ISSN : 1254-4590 Référence électronique Emmanuel Bigand (dir.), Revue internationale d’éducation de Sèvres, 75 | septembre 2017, « Musique et éducation » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 29 juin 2021. URL : https:// journals.openedition.org/ries/5853 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.5853 © Tous droits réservés

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Revue internationale d’éducation de Sèvres 

75 | septembre 2017Musique et éducationMusic and educationMúsica y educación

Emmanuel Bigand (dir.)

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/ries/5853DOI : 10.4000/ries.5853ISSN : 2261-4265

ÉditeurFrance Education international

Édition impriméeDate de publication : 1 septembre 2017ISBN : 978-2-85420-615-9ISSN : 1254-4590

Référence électroniqueEmmanuel Bigand (dir.), Revue internationale d’éducation de Sèvres, 75 | septembre 2017, « Musique etéducation » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 29 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/ries/5853 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.5853

© Tous droits réservés

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R E V U E

I N T E R N A T I O N A L E

D ’ É D U C A T I O N

Sèvres

n° 75 - septembre 2017

D O S S I E R

musique et éducation

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revue internationale d’éducation - S È V R E S

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sommaire

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Actualité documentaire 7

Bernadette Plumelle

Ressources en ligne 11

Federica Minichiello

Le développement de la robotique à l’école

Le point sur l’actualité internationale en éducation

Padma M. Sarangapani

Un nouveau paysage éducatif en Inde 15

Stéphane Kesler

L’Estonie : un nouveau modèle éducatif 19

Hilaire Hounkpodote, Labass Lamine Diallo, Bassile Zavier Tankeu

PASEC 2014 et qualité des enseignants : une photographie pour un diagnostic 22

Repères sur les systèmes éducatifs étrangersMohamed Adel Ben Amor, Mlaoueh Ammar

Le système de formation des ressources humaines en Tunisie 27

Seydou Loua

Les grandes réformes de l’école malienne de 1962 à 2016 34

Notes de lectureJean-Pierre-Véran

Pour le management pédagogique : un socle indispensable. Connaître, éclairer, évaluer, agir, Alain Bouvier, préface de Bernard Toulemonde, Berger-Levrault, 2017 40

Ré-inventer l’école. Une école de qualité pour tous et pour chacun, Luigi Berlinguer, préface de François Dubet, Éditions Fabert, 2017 42

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N° 75 - septembre 2017

sommaire

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dossiercoordination : Emmanuel Bigand

Musique et éducation

Introduction 45

Le pouvoir transformationnel de la musique : quelles implications pour la société ?

Emmanuel Bigand

La raison d’être de la musique a été souvent débattue : simple loisir, ou sublime activité artistique ? Aujourd’hui les études de neurosciences cognitives suggèrent que la musique exerce un pouvoir transformationnel sur le cerveau et le fonctionnement de l’esprit. Ce pouvoir se manifeste dès les premières minutes jusqu’aux derniers instants de la vie. Il semble avoir contribué au développement des compétences cognitives et sociales fonda-mentales des humains. Les implications de ces études sont essentielles pour les politiques de santé et d’éducation et elles invitent à repenser l’apprentissage de la musique aujourd’hui.

Musique et plasticité cérébrale 55

Laura Ferreri

Le cerveau humain a la capacité unique de modifier sa structure et sa fonction tout au long de la vie, un phénomène appelé la plasticité cérébrale. La musique est un stimulus riche et complexe capable de stimuler tout le cerveau, induisant ainsi des changements neuronaux importants. Quelle est la relation entre la musique et la plasticité cérébrale ? Après une introduction sur l’intérêt neuroscientifique pour la musique et les processus de plasticité cérébrale, cet article vise à présenter les principaux résultats sur la neuro-plasticité induite par la musique. Les effets de la formation et de l’expertise musicales sur le cerveau sont d’abord examinés. Puis sont abordés et discutés du point de vue de la remédiation neurologique l’importance de la stimulation et des changements du cerveau liés à la musique sur la stimulation d’autres fonctions non musicales.

La musique chez les tout-petits 65

Développement émotionnel, auto-régulation et coopération sociale

Laurel J. Trainor

Dans le domaine de l’éducation, la musique est souvent perçue comme un luxe dont on peut se dispenser sans réelle conséquence sur le développement de l’enfant. La recherche présentée dans cet article montre au contraire que, dès un âge très précoce, les interactions musicales influencent le développement social et émotionnel des enfants et jouent un rôle dans leur acquisition de capacités telles que l’autorégulation, indispensables, à bien des égards, pour la réussite de leur vie future.

Sciences cognitives et traditions d’enseignement oral dans la musique classique indienne 75

Shantala Hedge

La musique classique indienne est l’une des plus anciennes traditions musicales au monde et c’est une tradition orale. Plusieurs techniques et méthodes d’enseignement lui sont spécifiques, notamment la tradition d’enseignement maître-élève (Guru-Shishya Parampara), qui a toujours été considérée comme un élément crucial de cet enseignement

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depuis ses origines à l’ère védique (environ 5 000 ans av. J.-C.). Le guru joue un rôle majeur en transmettant non seulement son savoir technique sur le sujet, mais également ce qui constitue l’essence même de la musique classique indienne, à savoir sa dimension spirituelle. Des travaux de recherche plus systématiques sur cette tradition musicale et ses méthodes d’enseignement spécifiques pourraient permettre d’éclairer d’un jour nouveau la compréhension de ses bénéfices globaux dans une perspective psychosociale et neuroscientifique.

Apprendre le pan, apprendre à être à Trinidad et Tobago 87

De l’accomplissement personnel à la construction nationale

Aurélie Helmlinger

Qu’apprend on lorsque on s’initie à la pratique du pan, parfois également appelé steelpan ou steeldrum ? Comme toute pratique musicale, le jeu en steelband requiert une variété de compétences dans lesquelles le social, le musical et le cognitif (émotions, mémoire, motricité) s’imbriquent étroitement. Les connaissances musicales stricto sensu ne sont qu’une facette des domaines d’apprentissage développés par la pratique de la musique. L’article propose une vue d’ensemble des compétences apprises dans un steelband, en s’intéressant en particulier aux compétences musicales, sociales et politiques.

Musiques et identités sénégalaises 97

Moussa Sy

Le désintérêt des élèves sénégalais pour les cours de musique montre qu’il y a nécessité de changer de démarche. Au Sénégal, la musique constitue l’une des bases importantes de la société traditionnelle et elle intègre admirablement les divers aspects de la vie sociale. L’article invite à revaloriser l’enseignement traditionnel de la musique et ses méthodes, tout en incitant les élèves à s’ouvrir à des musiques venues d’ailleurs, afin que la musique sénégalaise, avec de nouveaux schémas pédagogiques, soit porteuse des richesses de sa culture dans une perspective moderne.

Quand la musique donne le ton 107

Culture musicale, scolarité et communauté dans la classe D du lycée Sainte-Anne, Copenhague (2011-2014)

Henrik Reeh

Le lycée Sainte-Anne de Copenhague est un établissement réputé pour les résultats de ses élèves et pour être le foyer d’une intense tradition chorale et musicologique. L’article interroge les parcours de 32 élèves d’une même classe, tous reçus au baccalauréat 2014 avec une option musique et mathématiques. Une enquête documente le rôle de la musique dans leurs vies. Les répondants désignent la musique comme la base d’une communauté lycéenne. Plus qu’un savoir spécifique, la musique renforce la discipline intellectuelle, promeut la culture générale et offre un répit face à la pression scolaire. Afin de comprendre cette coexistence entre musique et éducation, la relation entre « individu » et « commu-nauté » est examinée et la notion de « culture » désigne le point d’articulation qui peut rendre compte de la dynamique pédagogique en question.

Le dispositif « orchestre à l’école » et son impact sur un territoire 117

Le cas du département de la Mayenne, en France

Denis Waleckx

De nombreux dispositifs visant à démocratiser l’accès à la pratique et la consommation culturelles se basent sur un partenariat renforcé entre les ministères en charge de l’éducation et de la culture et les collectivités territoriales. À partir de l’exemple probant

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sommaire

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du déploiement, en Mayenne, du dispositif « orchestre à l’école », l’article se propose d’éclairer les raisons qui peuvent expliquer l’accueil favorable dont il a bénéficié dans ce département, et de rendre compte de l’ensemble des retombées qu’il induit, tant en termes de développement de compétences solides et variées chez les élèves bénéficiaires, qu’en termes de transmission intergénérationnelle et d’animation artistique du territoire.

Musique et cohésion sociale lors d’un moment décolonial en Afrique du Sud 129

Stephanus Muller

Cet article évoque différentes initiatives musicales institutionnelles prises lors de la vague de protestation qui a agité les universités sud-africaines en 2015 et 2016. Il considère différents types de réponses – structurelles, archivistiques et événementielles – apportées à ce moment de crise de l’enseignement supérieur sud-africain, et prend l’exemple de l’Université de Stellenbosch, dans la province du Cap occidental (Afrique du Sud), pour illustrer la manière dont des approches institutionnellement innovantes pour l’enseigne-ment de la musique à l’université pourraient contribuer à répondre aux demandes de transformation décoloniale de l’université sud-africaine portées par les étudiants.

El Sistema à la croisée des chemins 139

Principes et perspectives d’un réseau mondial

Maria Majno

Depuis la création d’El Sistema par J.A. Abreu au Venezuela en 1975, cet effort d’intégration sociale fondé sur la pratique musicale collective est à présent répandu dans plus de 65 pays sur cinq continents. Les résultats sur le plan éducatif et artistique sont aussi remarquables que les défis rencontrés lors des adaptations aux différents contextes, alors que les effets touchent aussi bien le domaine éducatif que le plan cognitif et celui de la socialisation. L’article propose une réflexion sur l’essor international des projets inspirés de ce modèle, après une synthèse actualisée des principes qui l’inspirent.

Références bibliographiques 149

Hélène Beaucher

Abstracts 161

Resúmenes 163

Les auteurs 165

La revue 169

Numéros disponibles 170

Commander/s’abonner 173

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actualité internationale

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Dactualité documentaire

ALTBACH Philip G., REISBERG Liz, DE WIT HansResponding to massification: differentiation in postsecondary education worldwideBoston : Boston college center for international higher education, 2017, 170 p. [en ligne]

La massification de l’enseignement post-secondaire, plus de 200 millions d’étudiants dans le monde, est une ten-dance forte dans les pays émergents et une réalité dans les pays développés. L’étude analyse les évolutions des systèmes d’en-seignement supérieur et d’enseignement professionnel de treize pays : l’Australie, le Brésil, le Chili, la Chine, l’Égypte, la France, l’Allemagne, le Ghana, l’Inde, le Japon, le Royaume-Uni, la Russie et les États-Unis. Elle montre que la politique de l’éducation dans tous les pays étudiés fait face à des défis comparables. Elle pointe également l’expansion et la diver-sification insuffisante des institutions d’enseignement supérieur. http://bit.ly/2u0aeb6

N

BIJELJAC-BABIC RankaL’enfant bilingue : de la petite enfance à l’écoleParis : Odile Jacob, 2017, 172 p.

L’école française hésite encore sur l’importance à accorder au bilinguisme et à l’apprentissage simultané de plusieurs langues vivantes chez les très jeunes enfants. S’appuyant sur les études très

nombreuses menées dans le monde, l’auteure veut faire découvrir les avan-tages du bilinguisme et valoriser la richesse d’une double culture dès le plus jeune âge. L’ouvrage porte sur les parcours langagier et cognitif de l’enfant bilingue, de la naissance à 6 ans.

N

BUISSON-FENET Hélène (sous la direction de)École des filles, école des femmes : l’institution scolaire face aux parcours, normes et rôles professionnels sexuésLouvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, 2017, 266 p.

À l’heure où toutes les enquêtes inter-nationales pointent le fort écart entre la sur-réussite des filles à l’école et leur diffi-culté à accéder aux plus hautes sphères professionnelles, l’ouvrage analyse les trajectoires et les parcours féminins de formation ; les normes et les stéréotypes de genre dans l’institution scolaire ainsi que le cadre d’activité et le champ profes-sionnel scolaire à dominante féminine. Les contributeurs mettent en lumière la manière dont les rapports de domination se jouent dans la sphère éducative, dans différents contextes éducatifs et géographiques.

N

DIA Hamidou, HUGON Clotilde, D’AIGLEPIERRE Rohen (coordinateurs)États réformateurs et éducation arabo-islamique en Afrique : dossierAfrique contemporaine, 2016, n° 257, p. 3-110

Alors qu’elle est restée longtemps en marge des politiques nationales en

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Afrique, l’éducation arabo-islamique constitue une offre éducative de plus en plus importante car elle offre un cadre majeur de socialisation des enfants et des jeunes. Ce dossier apporte une profon-deur historique et une perspective anthropologique à ce type d’éducation implanté de longue date en Afrique. Il dresse un panorama de l’offre arabo- islamique, sous l’angle des institutions, des acteurs, des systèmes de financement et des modes de gouvernance. Il passe en revue les savoirs et les philosophies reli-gieuses qui les sous-tendent et analyse les réformes publiques destinées à rap-procher l’offre éducative arabo-islamique des standards scolaires classiques.

N

GUNI: global university network for innovationHigher education in the world 6. Towards a socially responsible university: balancing the global with the localBarcelone: Global university network for innovation, 2017, 537 p., [en ligne]

Les experts de 28 pays examinent les responsabilités des universités à l’échelle locale et mondiale. Ils explorent les conflits potentiels ou les difficultés pour répondre aux exigences de la société en matière de compétitivité mondiale tout en contribuant à une société plus équi-table et durable. Les contributeurs réflé-chissent à la façon dont l’engagement global et local devrait être inclus dans l ’enseignement, la formation, la recherche, les activités institutionnelles, la gouvernance et le leadership et ils iden-tifient les meilleures pratiques à travers le monde. http://bit.ly/2tyuzkH

N

HAYDEN Mary, THOMPSON Jeff (ed.)International schools: current issues and future prospectsOxford studies in comparative education, 2016, vol. 26, n° 2, 240 p.

La fondation des premières écoles internationales il y a plus d’un siècle et leur croissance au cours des dernières années constituent l’objet d’étude de cet ouvrage avec une série de perspectives personnelles écrites par certains de ceux qui ont participé à leur développement. Le nombre de ces écoles a augmenté, elles se sont répandues dans différentes régions du monde, les types d’établissements se sont diversifiés ainsi que les modes de pro-priété. Aussi, de nombreuses questions se posent quant à leurs objectifs fondamen-taux, aux programmes qu’elles choi-sissent, à la nature de leur organisation et à leurs contributions potentielles pour répondre à un besoin éducatif mondial.

N

LAFONTAINE DominiqueLa différenciation dans les systèmes éducatifs : pourquoi, comment, avec quels effets ?Paris : CNESCO, Lyon : IFE, 2017, 58 p. [en ligne]

S’appuyant sur des travaux d’éduca-tion comparée et sur les enquêtes inter-nationales, le rapport s’attache à décrire la diversité des modes d’organisation qui existent dans le monde pour prendre en compte et gérer l’hétérogénéité des publics scolaires. Il tente d’apporter une réponse fondée scientifiquement à la question des effets de ces modes d’organi-sation, en synthétisant les apports des nombreuses recherches expérimentales ou en milieu naturel existantes. [http://goo.gl/4hV7ZC]

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actualité internationale

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THEMINES Jean-François, DOUSSOT Sylvain (sous la direction de)Acteurs et action : perspectives en didactiques de l’histoire et de la géographiePresses universitaires de Caen, 2016, 339 p.

L’ouvrage analyse les situations d’enseignement-apprentissage de l’histoire et de la géographie par le prisme de l’action didactique. Il cherche à cerner les processus en jeu lorsque les professeurs proposent aux élèves des situations empreintes d’un certain degré d’incerti-tude. La première partie éclaire l’action didactique à partir de l’appropriation par les élèves de situations qui leur sont pro-posées sur le mode de la rupture avec les fonctionnements classiques dans ces deux disciplines. La deuxième partie est centrée sur les enseignants. La troisième partie souligne les difficultés à faire construire en géographie l’idée que les individus puissent être appréhendés comme des acteurs de la société dans laquelle ils vivent.

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VEUTHEY Carole (dir.), MARCOUX Géry (dir.), GRANGE Teresa (dir.)L’école première en question : analyses et réflexions à partir des pratiques d’évaluationParis : EME, 2017, 237 p.

L’ouvrage s’inscrit dans les débats et les réflexions actuels sur l’entrée de l’enfant dans le monde scolaire (3-6 ans). Si l’importance des premières années de scolarité dans la lutte contre les inégalités sociales et culturelles est admise, des interrogations sur les choix de scolari-sation subsistent. L’ouvrage réunit les contributions d’experts de différents pays (Belgique francophone, France, Italie et

Suisse romande). Partant des pratiques d’évaluation effectives ou souhaitées, chaque chapitre contribue à la réflexion sur les tensions et les enjeux de l’école dite « première ».

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Publications d’organisations européennes et internationales

BIRD : Banque internationale pour la reconstruction et le développementHigher education for development: an evaluation of the world bank group’s supportWashington : Banque mondiale, avril 2017, 166 p. [en ligne]

Le soutien de la Banque mondiale à l’enseignement supérieur est-il cohérent et bien articulé ? Comment a-t-il contri-bué aux systèmes d’enseignement supé-rieur ? Aux résultats sociaux et écono-miques ? Ce rapport analyse la conception de la Banque mondiale en matière d’appui à l’enseignement supérieur dans le monde. L’évaluation montre que l’ensei-gnement supérieur est une priorité dans environ un tiers des stratégies nationales, avec un accent mis sur le soutien à la gou-vernance en Europe et en Asie centrale, sur l’employabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et sur l’accès à l’ensei-gnement supérieur dans la région de l’Afrique subsaharienne. http://bit.ly/2pFOfk3

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COX ChristianGlobal citizenship concepts in curriculum guidelines of 10 countries: comparative analysisGenève : UNESCO - BIE, 2017, n° 9, 110 p. [en ligne]

Ce rapport analyse et compare la place réservée à l’éducation à la citoyenneté

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mondiale (ECM) dans les curricula et les orientations adoptées dans dix pays de cultures et de niveaux de développement différents en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. L’auteur compare les programmes d’enseignement pri-maire et secondaire en histoire et sciences sociales ainsi qu’en éducation civique et morale. Seuls deux des programmes de dix pays incluent systématiquement des concepts associés à l’ECM. Cependant, tous comprennent des contenus liés aux valeurs et aux attitudes, qui font référence au monde et à l’humanité. http://bit.ly/2r7A87j

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ESSOMBA Miquel Àngel, TARRES Anna, FRANCO-GUILLEN NuriaResearch for cult committee: migrant education: monitoring and assessment: studyBruxelles : Parlement européen, février 2017, 196 p. [en ligne]

L’étude propose une revue de la litté-rature concernant les principales caracté-ristiques de la politique éducative en direction des enfants de migrants. Ces caractéristiques ont permis d’élaborer un questionnaire adressé aux experts de 27 pays de l’Union européenne. Les rap-ports nationaux européens montrent que peu a été fait pour suivre et évaluer l’édu-cation des enfants de migrants, mais la plupart des pays disposent déjà d’une infrastructure habilitée. Les efforts fournis par les pays sont fonction de la taille relative de leur population née à l’étranger et, dans une moindre mesure, du niveau des politiques d’intégration dans le domaine éducatif. https://goo.gl/jdPJ4E

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Eurydice : réseau d’information sur l’éducation en Europe, Eurostat : office statistiqueKey data on teaching languages at school in Europe: 2017 editionBruxelles : Eurydice, mai 2017, 176 p. [en ligne]

Ce rapport comporte soixante indi-cateurs caractérisant l’enseignement-apprentissage des langues dans l’Union européenne et dans neuf autres pays. Si les élèves commencent à étudier une langue étrangère plus tôt, l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère n’est pas obli-gatoire partout. Les élèves doivent atteindre le niveau d’utilisateur indépen-dant pour leur première langue étrangère quand ils quittent le secondaire supérieur général. Plus de la moitié des enseignants de langues étrangères ont voyagé à l’étranger pour des raisons profession-nelles. Enfin, la majorité des pays euro-péens offre un soutien linguistique aux élèves migrants récemment arrivés. http://bit.ly/2sHQSDr

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GUERRIERO Sonia (ed.)Pedagogical knowledge and the changing nature of the teaching professionParis : OCDE, février 2017, 276 p. [en ligne]

Les enseignants sont confrontés actuellement à des attentes plus élevées et plus complexes pour amener les élèves à atteindre leur plein potentiel. La nature et la variété de ces exigences impliquent que les enseignants soient des professionnels qui prennent des décisions fondées sur une base de connaissances solide et actua-lisée. Le rapport examine la dynamique des connaissances dans la profession enseignante et la façon dont les connais-sances des enseignants peuvent être

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actualité internationale

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mesurées. Il offre également une base conceptuelle pour une future étude empi-rique sur leurs connaissances. http://bit.ly/2sHQSDr

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ISU : Institut de statistique de l’UNESCOThe data revolution in educationMontréal : UNESCO-UIS, mars 2017, n° 39, 81 p. [en ligne]

Ce rapport appelle une révolution des données sur l’éducation fondée sur la création de systèmes statistiques natio-naux, et soutenue par un pacte mondial pour le suivi de l’objectif mondial d’éducation (ODD 4). Ce document contient des recommandations pour pro-duire et diffuser des statistiques sur l’éducation de qualité en vue de la plani-fication et du suivi des progrès accomplis. Il demande des changements dans trois grands domaines concernant les dimen-sions de l’offre et de la demande des sys-tèmes d’information nationaux sur l’éducation : un environnement propice ; des productions de données intégrant normes et standards internationaux et nouvelles sources et domaines ; un ren-forcement de la diffusion et de l’utilisation des données. http://bit.ly/2nJmlT8

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UNESCOAid to education is stagnating and not going to countries most in needParis : Rapport mondial de suivi de l’éducation, Paris : UNESCO, juin 2017, 9 p. [en ligne]

Le montant de l’aide alloué à l’éduca-tion baisse pour la sixième année consé-cutive, de 4 % par rapport à 2010 : l’aide à l’éducation de base est inférieure de 6 %

à ce qu’elle était en 2010 et l’aide à l’ensei-gnement secondaire chute par rapport à 2015. De plus, l’aide ne va pas aux pays qui en ont le plus besoin. Ainsi, l’Afrique sub-saharienne, qui compte plus de la moitié des enfants non scolarisés dans le monde, reçoit 26 % de l’aide en faveur de l’éducation de base, contre 22 % pour l’Afrique du Nord et l’Asie occidentale, où 9 % des enfants ne sont pas scolarisés. http://bit.ly/2s14OMa

Bernadette Plumelle, CIEP

@ressources en ligne

Le développement de la robotique à l’école1

Le Parlement européen a voté, en février 2017, le texte « Règles de droit civil sur la robotique » : parmi les décisions figure la création d’une Agence euro-péenne pour la robotique et l’intelligence artificielle, pour pouvoir « relever les défis ouverts par le développement de la robo-tique ». Les progrès en termes de roboti-sation appellent à de nombreux question-nements, qu’il s’agisse de risques d’automatisation des emplois ou d’ingé-rence dans d’autres aspects de la vie cou-rante : les robots représenteraient, à eux

1. Pour faciliter la lecture, seule la racine des liens Internet est mentionnée. Pour y accéder dans leur intégralité, consulter cet article sur le site du CIEP : h t t p : / / w w w. c i e p . f r / r e v u e - i n t e r n a t i o n a l e -

deducation-sevres ou sur OpenEdition Revues.org : http://ries.revues.org/

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seuls, plus de 50 % du trafic sur Internet2. La Fédération internationale de robo-tique [https://ifr.org] a estimé le chiffre d’affaire de la robotique « de service » (non industrielle) à 35 milliards de dol-lars, avec la France en deuxième position, en nombre de sociétés spécialisées dans le secteur. En éducation, les scénarios d’application de la robotique intriguent, tantôt objets d’enseignement pour une initiation intuitive à la programmation informatique, tantôt solutions d’accès à distance ou d’assistance aux enseignants, etc.

Cet article présente une sélection non exhaustive d’acteurs, de colloques et d’initiatives pour montrer comment la robotique trouve progressivement une place au sein de l’école, à l’instar du programme Youth Robotics en Arménie [http://www.armrobotics.am/eng], qui vise la création, d’ici 2019, de groupes de robo-tique dans toutes les écoles du pays (pour les 12-18 ans).

Sitographie arrêtée le 15 juillet 2017.

Acteurs et initiatives

« L’usage de la robotique à l’école »

Cet article de l’Agence des usages (TICE) offre un regard introductif sur la robotique éducative, loin d’être « juste une technologie à maîtriser » ; son utili-sation soulève des questions, comme le choix en termes de discipline et de scéna-risation pédagogique, le rôle des ensei-gnants dans la mise en œuvre des projets, l’impact réel sur les apprentissages. Trois catégories d’usage sont présentées : l’apprentissage de la robotique, dans des domaines comme la mécanique, l’électro-nique et l’informatique. L’apprentissage avec la robotique, basée sur l’interaction

2. https://www.incapsula.com/blog/bot-traffic-

report-2016.html (2017).

entre apprenants, enseignants et robots, compagnons pour les uns, assistants pour les autres ; l’apprentissage par la robo-tique (par exemple, la construction de kits robotiques) de compétences transversales comme le travail collaboratif, le raison-nement scientifique, la résolution de pro-blèmes. Si plusieurs études semblent confirmer un impact positif en termes d’apprentissages, la littérature existante serait souvent basée sur des rapports d’enseignants, avec une nécessité de confirmation par des études à plus large échelle. [https://www.reseau-canope.fr/

agence-des-usages/]

« Robot et Éducation, de quoi parlons-nous ? »

Ce colloque, organisé en mai 2016 par l’Institut français de l’éducation (IFÉ-ENS) et l’Université Lyon 2, explore les possibilités d’usage de la robotique dans un établissement scolaire en complément de ce qui existe déjà (environnements numériques de travail, logiciels, etc.) ; « l’affordance socio-culturelle » va notamment étudier la modification des comportements en salle de classe, engendrée par l’introduction d’un nouvel objet technologique3. Parmi les axes de développement exposés, on peut évoquer la télé-présence, avec un robot « avatar » de l’élève et de l’enseignant absent, ou « passerelle » entre l’école et l’extérieur – un expert externe, des musées hors horaires d’ouverture, des lieux lointains –, ainsi que les robots comme compagnons d’interaction sociale, capables de s’adapter à leurs interlocuteurs et d’en accompagner, de façon personnalisée, les apprentissages. [https://clarolineconnect.univ-lyon1.fr/]

3. Voir l’intervention et les travaux de S. Simonian, Institut des sciences et pratiques d’éducation et de formation de l’Université Lyon 2. http://recherche.

univ-lyon2.fr/ecp/

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actualité internationale

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Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

L’équipe Flowers de l’INRIA, spécia-lisée dans la robotique développementale, étudie par la modélisation informatique l’intelligence des enfants et leur aptitude à l’exploration spontanée. Depuis 2015, des colloques annuels sont organisés sur la robotique éducative, pour présenter les possibilités ouvertes par ces technologies, tout en reliant l’engouement actuel à une dynamique de plus long terme et des ini-tiatives pionnières, comme le langage de programmation Logo dans les années 1970-1980. Parmi les projets, on peut citer les modules IniRobot de décou-verte de la robotique pour les enfants de 6 à 11 ans, pensés notamment pour les acti-vités sur le temps périscolaire ; Poppy Education [https://www.poppy-education.org], une plateforme de ressources destinées aux collégiens et lycéens pour utiliser dif-férentes versions du robot open source POPPY ; dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir 2, le projet PERSEVERONS [http://pi.espe-aquitaine.fr/

perseverons], porté par l’Université de Bordeaux, pour mesurer l’impact des activités pédagogiques robotiques en termes de motivation, persévérance, décrochage. [https://flowers.inria.fr/] ; [http://dm1r.fr/roboeduc17/]

École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)

L’EPFL accueille le siège du Pôle de recherche nationale (PRN) robotique, réunissant sur une période de 12 ans les principaux acteurs suisses de la recherche en robotique (2010-2022). Parmi les réa-lisations de l’école, on peut citer le robot Thymio 2 [https://www.thymio.org] et son logiciel open source de programmation graphique, couplé à une programmation textuelle simplifiée, utilisé pour le module

IniRobot de l’INRIA cité précédemment. Un pilote avec le robot Thymio a été pro-posé à des élèves de seize écoles à travers le monde, pour simuler une mission colla-borative d’exploration spatiale sur Mars. Cette expérience préliminaire encoura-geante est désormais ouverte à toutes les écoles volontaires en Suisse. [https://www.nccr-robotics.ch/fr/] ; [http://www.robotsenclasse.ch/]

RÉseau de personnes-ressources au développement des compétences par l’Intégration des technologies de l’information et de la communication (RÉCIT)

Le RÉCIT est un réseau québécois spé-cialisé dans l’éducation préscolaire, qui souhaite promouvoir l’intégration péda-gogique des TICE par les enseignants. Il met à disposition de nombreuses res-sources sur la robotique en école mater-nelle, comme des activités préparatoires – déplacements sur un quadrillage, construction en briques Lego – un jeu « oui/non » pour identifier les robots dans l’environnement avoisinant, un tableau comparatif des robots les plus répandus avec des informations très pra-tiques, comme la facilité d’utilisation, la nuisance sonore, les prérequis en termes d’espace. Le site propose également un recensement d’articles récents comme, par exemple, une entrevue en 2017 du chercheur T. Karsenti (CRIFPE) sur l’utilisation du robot Nao avec des enfants atteints de troubles du spectre de l’autisme. [http://recitpresco.qc.ca/]

Robo-ScuolaLe projet italien Robo-Scuola est un

exemple, parmi d’autres, de déploiement de la robotique à l’école : 3 000 élèves (entre 6 et 19 ans) et environ 100 ensei-gnants, dans la région du Piémont, explorent l’application de la robotique

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dans des disciplines comme les mathéma-tiques et l’art. Ils étudient, par exemple, les inventions de Léonard Da Vinci en essayant de reproduire le fonctionnement de ces machines, imaginées au XVe siècle, avec les technologies robotiques actuelles. Le cas de la région du Piémont offre éga-lement un exemple de partenariat public-privé (avec une fondation d’entreprise), pour ouvrir des espaces dédiés à des ate-liers de robotique pour les écoles et deux laboratoires pour les enseignants, pour un accompagnement pédagogique à la pré-paration de cours avec les robots, en col-laboration avec l’Istituto italiano di tecno-logia. [https://www.iit.it] ; [http://www.istruzionepiemonte.it/]

Robot-enseignant et initiation à la robotique (Corée)

La Corée du Sud est souvent présentée comme un pays précurseur en robotique éducative : il y a dix ans déjà, on y réperto-riait des expériences d’utilisation de robots-enseignants, comme le modèle iRobi, conçu pour accueillir des enfants en école maternelle et primaire. Ce marché s’est dissous depuis, en raison d’une demande insuffisante et d’une bar-rière d’accès en termes de prix. Le pays vise actuellement l’initiation à la robotique dès le collège, avec une dynamique en plein essor : un millier d’acteurs privés présents sur le secteur, environ 17 modèles de robots homologués par le ministère de l’éducation et de nombreux événements, comme l’Olympiade internationale des robots. [https://www.iroc.org]4 ; [http://english.keris.or.kr]

4. Lire également : J. Yoo. « Results and Outlooks of Robot Education in Republic of Korea », dans Procedia - Social and Behavioral Sciences/176 (2015) téléchargeable de http://www.sciencedirect.com et « Comment faire entrer les robots à l’école » (2016) https://www.lesechos.fr/.

Human-Robot InteractionCe portail est destiné à la recherche

dans l’interaction homme-robot et à l’organisation d’une conférence annuelle qui en est à sa douzième édition. Parmi les dernières contributions, on peut citer des robots proposant des temps de pause sur mesure aux apprenants, particulièrement utiles pour des systèmes de tutorat inter-actif de jeunes élèves, avec des portées d’attention assez réduites. On y retrouve aussi l’EPFL, avec le prototype Cellulo [http://chili.epfl.ch/cellulo], dont l’ambition est « de devenir le papier/stylo de demain », révolutionnant une offre parfois bridée par des problématiques de prix, des diffi-cultés logistiques ou d’intégration à des curricula existants. Cellulo est un robot portatif polyvalent, capable d’interagir avec de grandes feuilles de papier qui, littéralement, « contiennent » l’activité pédagogique ; il peut devenir, au besoin, un globe que l’on déplace sur un planéta-rium pour étudier la variation de l’orbite, une molécule sur laquelle on analyse les effets causés par des vibrations et ainsi de suite. [http://humanrobotinteraction.org/]

Federica Minichiello, CIEP

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lle point sur...

Inde : un nouveau paysage éducatif*

Le parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party, BJP)1 a remporté les élec-tions nationales de 2015 à une majorité écrasante, conduisant au pouvoir Narendra Modi et balayant toute oppo-sition. Il n’existe actuellement pas de chef de file reconnu de l’opposition à la Chambre du peuple2. On s’attendait à ce que le nouveau gouvernement, de droite, annonce des changements et des initia-tives en matière d’éducation, confor-mément à son idéologie et à sa source d’inspiration idéologique – le Rashtriya Sevak Sangh (RSS)3. Comme prévu, le gouvernement a annoncé la mise en œuvre d’un processus pour la formu-lation d’une nouvelle politique éducative (la précédente politique nationale datait de 1989).

* Article traduit de l’anglais par Sylvaine Herold. 1. Le Bharatiya Janata Party (BJP) est l’un des deux principaux partis politiques indiens. Créé en 1980, le BJP est un parti de droite nationaliste hindoue considéré comme l’aile politique du Rashtriya

Swayamsevak Sangh (RSS). (Source : Wikipédia) (NdT)2. Le Parlement de l’Inde est un parlement bicamé-ral, comprenant le Conseil des États (Rajya Sabha) et la Chambre du peuple (Lok Sabha). Le chef du parti majoritaire à la Lok Sabha est traditionnellement nommé Premier ministre de l’Inde. (Source : Wikipédia) (NdT)3. Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) ou « orga-nisation patriotique nationale » est un groupe extré-miste nationaliste hindou de droite et paramilitaire qui, outre les considérations religieuses, propage une conception raciale du peuple indien. (Source : Wikipédia) (NdT)

Voici maintenant deux ans que ce pro-cessus pour une nouvelle politique édu-cative (New Education Policy : NEP) est en cours. Un comité de fonctionnaires à la retraite ne comprenant qu’un seul spécia-liste d’éducation a mené une consultation nationale, recueillant l’opinion du peuple indien via des contributions en ligne et des réunions de consultation, qui pro-posaient treize thèmes de discussion pour l’enseignement scolaire et vingt pour l’enseignement supérieur. Selon le site Internet du ministère, 110 623 des 244 252 organismes villageois, 725 des 4 027 municipalités, 2 738 des 6 620 blocs, 340 des 669 districts et 19 des 36 États ou territoires de l’Union4 ont pris part à ces consultations ou ont envoyé leurs contri-butions en ligne pour la nouvelle poli-tique éducative. Il s’agit sans nul doute du processus consultatif le plus vaste jamais mené pour l’élaboration d’une politique éducative dans toute l’histoire de l’éducation moderne ! On ne sait cepen-dant pas clairement quelles contributions spécifiques ont été reçues de chacune de ces consultations – nous n’avons pu trouver sur le site ni résumé des contribu-tions clés ni mention de la méthodologie utilisée pour consolider l’ensemble de ces données. Le comité responsable du déve-loppement de la nouvelle politique édu-cative a remis son rapport le 30 avril 2016 et l’on s’attendait à ce que la nouvelle poli-tique soit annoncée dans les mois sui-vants. Mais, en juillet dernier, un nouveau comité a été constitué, afin de finaliser son élaboration.

4. L’Inde est une république fédérale composée de 29 États et 7 Territoires de l’Union, eux-mêmes divisés en districts, puis en tehsils portant différents noms selon les États (ici appelés « blocs »). Au niveau local, l’organisation administrative des zones rurales et des zones urbaines diffère : les zones rurales relèvent du système des panchayats (ici : organismes villageois) et les zones urbaines des municipalités. (Source : Wikipédia) (NdT)

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Cela ne veut pas dire pour autant que les choses en sont à un point de statu quo. Certaines évolutions n’ont pas besoin de proclamation politique en grande pompe et sont déjà à l’œuvre sur le terrain, dans l’enseignement scolaire et dans l’ensei-gnement supérieur. Et, sans nul doute, ces évolutions de terrain importent plus que l’élaboration d’une politique, qui repré-sente plus une déclaration d’intention et d’ambition qu’une pratique concrète. Dans cet article, nous évoquons des évo-lutions à l’œuvre dans trois domaines, révélatrices du climat actuel dans l’ensei-gnement scolaire et supérieur indien.

Liberté d’expression dans l’enseignement supérieur

Après seulement quelques mois au pouvoir central, le BJP a été confronté à des troubles étudiants qui impliquaient des Dalits5 sur deux campus et des groupes étudiants de gauche sur plusieurs campus d’établissements d’enseignement supérieur d’élite. Des étudiants dalits, par ailleurs actifs dans les cercles d’études dalits et la vie politique du campus, en particulier en ce qui concerne la discrimi-nation exercée par certains administra-teurs ou professeurs de la caste supérieure, s’étaient heurtés à des membres de partis étudiants affiliés au BJP. L’escalade des affrontements sur les campus a fina-lement conduit à l’exclusion temporaire des étudiants dalits – suite à quoi l’un d’entre eux s’est donné la mort. Ailleurs, des groupes étudiants de gauche, qui organisaient des débats et critiquaient l’action du gouvernement en matière de « terrorisme » ou sa politique au Cachemire, ont fait l’objet d’actions de

5. « Dalit » est le nom générique donné à l’ancienne caste des « intouchables » ; ces derniers bénéficient de dispositifs de discrimination positive dans les éta-blissements d’éducation.

police en raison de leur prétendu carac-tère antinational. L’implication directe du ministère du développement des res-sources humaines dans ces événements et ses directives aux vice- recteurs des uni-versités représentent un niveau d’ingé-rence sans précédent dans l’autonomie des universités. Il semble être dans l’air du temps d’être intolérant vis-à-vis des étudiants qui « gaspillent leur temps et les ressources de la nation » en s’impliquant dans des activités politiques et des débats, alors qu’ils devraient se consacrer à leurs études, à l’université et contribuer au développement de la nation. Les campus universitaires, qui ont de tout temps été des lieux importants d’expression d’une citoyenneté libérale, y compris via la dissidence, mais également pour la formation politique des futurs citoyens, via des discussions et des débats animés, ont désormais reçu le message qu’ils ne doivent plus encourager une telle liberté d’expression ni accueillir ou héberger des militants ou des penseurs politiques. Toute critique à l’encontre de l’action gouvernementale est considérée comme étant « antinationale », limitant ainsi la liberté d’expression. On attend des étu-diants qu’ils se concentrent sur l’excel-lence et qu’ils rendent compte, par leurs résultats, des ressources qui leur sont consacrées. Les étudiants et les facultés devraient en outre éviter de se mêler de politique et se consacrer aux matières uni-versitaires. Un système de classement des universités a en outre été introduit et des réformes sont en cours, qui lient les ressources et le statut des universités à des mesures de performance.

Le droit à l’éducation

Le droit à l’éducation a été promulgué en Inde en 2009 et a fait l’objet d’impor-tants débats, notamment en ce qui concerne : la clause exigeant des écoles

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privées non subventionnées6 qu’elles réservent 25 % de leurs places à des élèves désavantagés financièrement ; les clauses relatives à l’exigence de « non-redoublement »7 des élèves (c’est-à-dire le passage automatique de niveau en niveau sans que l’élève soit mis en situation d’échec) et à l’évaluation conti-nue et globale plutôt que par des examens annuels. La Cour suprême de l’Inde a statué en faveur de la constitutionalité de la clause des 25 % en règle générale, mais elle en a exempté les écoles religieuses ou de minorités linguistiques. Dans les faits, cela a conduit à l’augmentation du nombre d’écoles privées non subvention-nées revendiquant le statut d’école de minorité – s’engouffrant dans la faille leur permettant de conserver leur clientèle exclusive ! La politique de « non-redou-blement » a par ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques. Cette politique est déjà mise en œuvre dans les écoles gouver-nementales et il est courant d’entendre les enseignants se plaindre qu’en raison de cette politique, les enfants n’ont plus peur de l’échec et n’étudient plus. Les direc-teurs d’écoles affirment, quant à eux, que les enseignants auraient commencé à négliger leur enseignement, compte tenu du fait que les élèves ne peuvent plus échouer. Ces critiques, conjuguées à la faiblesse générale des résultats d’appren-tissage des élèves dans les écoles gouver-nementales, ont conduit la politique de

6. Il existe trois types d’écoles en Inde : les écoles du gouvernement (government schools), gérées et finan-cées par le gouvernement de chaque État ; les écoles privées aux frais de scolarité plus élevés, surtout des-tinées aux classes moyennes urbaines ; et les écoles privées subventionnées par le gouvernement, pour réduire les frais de scolarité et les rendre accessibles aux enfants des familles pauvres. (Source : S. Herold et T. Mamode (2014), fiche documentaire sur l’Inde à l’occasion du colloque international « L’éducation en Asie », CIEP, 12-14 juin 2014 [https://goo.gl/X9tSo9]. (NdT) 7. No detention en anglais. (NdT)

non- redoublement à être identifiée comme le principal problème à l’origine de la baisse de niveau. Et les écoles privées de se plaindre de conserve, arguant que cela aboutira également à la baisse des niveaux d’apprentissage dans leurs éta-blissements. À l’origine, cette clause avait été intégrée dans la Loi sur le droit à l’éducation, afin de protéger les enfants de la stigmatisation liée à l’échec scolaire, en plaçant la responsabilité de l’éducation sur les écoles – mais sans trouver, semble-t- i l , d ’écho pol i t ique favorable . Aujourd’hui, la plupart des États indiens ont adopté des règlements types abro-geant la politique de non-redoublement et ils ont également promulgué le rétablis-sement des examens standardisés au niveau des classes 5 (11 ans) et 8 (14 ans), jugés nécessaires, notamment afin de garantir la responsabilisation des ensei-gnants. La notion de responsabilité8 émerge actuellement comme un thème central – en particulier la responsabilité des enseignants pour l’apprentissage des élèves.

Cadre curriculaire et manuels nationaux

On s’attendait à ce que la révision du Cadre curriculaire national (National Curriculum Framework : NCF), élaboré en 2005, et des manuels figurent en bonne place parmi les priorités du nouveau gou-vernement ; et ce d’autant plus que le NCF 2005 avait été considéré comme une réaction visant à infléchir la « safrani-sation »9 du curriculum et des manuels qui prévalait alors. Mais cela n’a pas été le cas. Le nouveau gouvernement a, dès le départ, totalement repris à son compte

8. Accountability en anglais. (NdT)9. Le safran est la couleur associée à l’hindouisme ; la « safranisation » fait donc référence à l’influence hindoue.

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le NCF 2005, saluant la modernité des principes à partir desquels il avait été for-mulé. « Le comité recommande que les principes directeurs de la réforme curri-culaire tels qu’énoncés dans le NCF 2005 soient considérés comme pertinents et activement mis en œuvre » (p. 106 du document de discussion de la NEP 2016). Le ministère a également mis un terme à la révision des documents curriculaires. Les manuels mis au point par le Conseil national pour la recherche et la formation pédagogiques (National Council of Edu-cational Research and Training) ont été conservés, sans changement. Il semble que le ministère de l’éducation s’efforce d’apparaître comme moderne, tourné vers le développement et préoccupé par les faibles niveaux d’apprentissage, d’effi-cacité et de responsabilité dans le système scolaire gouvernemental, plutôt que d’avoir l’air influencé par le nationalisme Hindutva10 ou guidé par des intérêts idéo-logiques. Le seul sujet ayant fait l’objet d’une attention nationale est celui du yoga, promu comme matière d’enseigne-ment sous l’intitulé « yoga pour la santé et le bien-être ». « Le yoga recevra une attention particulière. Des efforts seront faits pour que le yoga soit introduit dans l’ensemble des écoles. » (p. 100). L’inclusion de la pratique du yoga à l’école, promue par le MHRD, reçoit actuel-lement un puissant soutien. Mais, comme on pouvait s’y attendre, cela a suscité des inquiétudes quant à savoir si cette pra-tique devait être considérée comme la promotion effective de pratiques hin-doues à l’école – car elle peut comprendre

10. L’Hindutva (ou « hindouïté ») désigne le courant idéologique qui sous-tend le nationalisme hindou offensif qui influence actuellement la société indienne et dont l’arrivée au pouvoir du BJP est l’une des manifestations. (Source : Guillaume Gandelin (2016) : « L’hindutva, aux origines du nationalisme hindou », Asialyst, [https://goo.gl/42Tr1k]. (NdT)

le chant du mantra « om » et la salutation au soleil sous la forme du « surya namaskar »11. Le MHRD lui-même a soi-gneusement évité toute référence aux liens entre religion et yoga, soulignant plutôt ses vertus, internationalement reconnues, pour le bien-être physique et mental. Face à la rumeur malveillante fai-sant état d’une fatwa lancée contre le yoga, le Darul-uloom Deoband, un séminaire islamique orthodoxe, a précisé qu’il n’y avait aucun problème avec cette « forme d’exercice ». Mais tout doute ou examen de ce qui est compris exactement sous l’appellation de « yoga » suscite immédia-tement son lot de commentaires stridents et fallacieux en provenance des groupes d’extrême droite.

Dans certains des États dirigés par le BJP, au Rajasthan notamment, les manuels d’histoire ont été révisés pour intégrer une version Hindutva de la lutte pour la liberté de l’Inde, qui redéfinit radi-calement les rôles attribués aux héros nationaux, y compris le Mahatma Gandhi, réduisant le premier Premier ministre de l’Inde, Jawaharlal Nehru, à une figure mineure, tandis que certains personnages Hindutva sont promus au rang de héros, comme c’est le cas de Veer Savarkar, un admirateur de Hitler.12

On assiste actuellement en Inde à la convergence entre une droite ancienne et le néolibéralisme. Dans ses perspectives générales de développement, l’État indien considère la dissension politique comme une perte de temps et de ressources quand, au contraire, tous les citoyens devraient être unis pour le progrès de la nation. Dans ce contexte, la liberté d’expression est considérée comme un luxe inutile et

11. Nom de la salutation au soleil en sanskrit trans-littéré. (NdT)12. L’Inde a une structure fédérale et les États ont leurs propres commissions scolaires et leurs propres manuels.

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l’activité de ceux n’ayant pas à justifier de leur temps ni de leurs résultats. C’est en fait le système éducatif tout entier qui se fait actuellement « discipliner » en Inde, à travers ce régime de responsabilité, qui vise à instaurer plus d’efficacité et à limiter le gaspillage. L’État fédéral indien a également envoyé des forces de police sur les campus ou exclu des étudiants pour avoir « perturbé » la vie du campus. Après des décennies de progrès vers une péda-gogie « centrée sur l’enfant », inscrite dans la Loi sur le droit à l’éducation à tra-vers la clause de non-redoublement, la tendance s’est désormais inversée et la peur de l’échec fait son retour comme outil de responsabilisation : des ensei-gnants pour l’enseignement et des élèves pour l’apprentissage.

La perspective développementale néolibérale promeut la supervision étroite de l’enseignement pour une plus grande efficacité et la notion de responsa-bilité pour de meilleurs résultats. C’est cette approche qui a été adoptée au niveau central, parallèlement à la montée en puissance de l’agenda idéologique Hindutva dans les structures verna-culaires. Si une nouvelle politique éduca-tive est attendue dans les prochains mois en Inde, le nouveau paysage éducatif est déjà bel et bien en train de prendre forme, mais sans le nécessaire soubassement de droits et de libertés fondamentaux.

Padma M. Sarangapani, Tata Institute of Social Sciences, Inde

L’Estonie : un nouveau modèle éducatif

Avec 1,3 million d’habitants, l’Estonie est un pays faiblement peuplé. Sa popula-tion scolaire compte 143 000 élèves dans les premier et second degrés. Pourtant, cette taille réduite n’empêche pas l’Estonie non seulement de disposer d’un système éducatif original, mais aussi de repré-senter un modèle de réussite scolaire. La position de l’Estonie dans l’évaluation PISA de 2012 était déjà très favorable, mais les résultats de 2015 sont spectacu-laires : l’Estonie a dépassé la Finlande et figure désormais au premier rang euro-péen du classement PISA et au troisième rang mondial. Cette réussite ne doit rien au hasard : il existe un modèle éducatif estonien, qui se caractérise par quelques éléments originaux.

Une volonté d’excellence éducative globale inscrite dans une perspective internationale

L’Estonie dispose d’une tradition ancienne de qualité scolaire. Selon un recensement effectué en 1881, 48 % de la population savaient déjà lire et 94 % lire et écrire, bien au-dessus de la plupart des pays européens. Elle a poursuivi cette priorité donnée à l’éducation : en 2011, la part de la population comprise entre 55 et 64 ans ayant été scolarisée au-delà du col-lège était de 85 % en Estonie, soit 25 points au-dessus de la moyenne française.

L’excellence éducative recherchée est globale et ne s’arrête pas aux portes de l’école. Considérant chaque individu comme devant être en situation perma-nente d’apprentissage, les objectifs fixés au système éducatif doivent se traduire dans les compétences de l’ensemble de la population, et un certain nombre d’indi-cateurs clés de la stratégie 2020 du minis-tère de l’éducation concernent les adultes.

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Cette volonté d’excellence s’intègre aussi dans une dimension internationale. Membre de l’OCDE depuis 2010, l’Estonie participe à PISA depuis 2006, ainsi qu’aux principaux tests internationaux (dont TALIS et PIAAC). Au-delà, les politiques éducatives se réfèrent explicitement à l’environnement international. À titre d’exemple, parmi les indicateurs clés de la stratégie éducative élaborée en 2014, figure l’accroissement du nombre d’élèves les plus performants identifiés dans PISA. La réussite dans les évaluations internatio-nales permet en retour de valider, dans le débat public estonien, les choix éducatifs réalisés depuis une génération.

Un système éducatif fondé sur l’information

L’Estonie a fait le choix de participer pleinement à la société de l’information, et l’État contribue à ce projet de société digitale, en offrant le plus de services dématérialisés possible, qu’il s’agisse du vote électronique ou de la possibilité de signer en ligne des contrats authentifiés.

En termes éducatifs, ce primat de l’information se décline de deux façons.

D’une part, les apprentissages font une large part à l’excellence numérique. L’inscription de l’éducation dans la société de l’information est l’un des cinq objectifs de la stratégie éducative 2020 de l’Estonie. Parmi les indicateurs choisis figure la maîtrise par chaque élève des technologies de l’information et de la communication, et le fait que 80 % des adultes (compris entre 16 et 74 ans) dis-posent de compétences en la matière.

D’autre part, l’Estonie a développé un système d’information exhaustif qui est au cœur du pilotage du système éducatif : l’Estonian Education Information System (EHIS). Son champ couvre l’ensemble du champ éducatif, depuis l’enseignement préélémentaire jusqu’au supérieur et à

la formation d’adultes. Il comprend les principaux domaines concernés par l’éducation : les évaluations d’élèves ; le management des écoles ; les curricula ; les manuels scolaires ; la recherche en éducation ; l’entrée dans l’enseignement supérieur ; le registre des qualifications professionnelles. Il est consultable par tous les publics directement parties pre-nantes de l’école : élèves et étudiants, enseignants, institutions éducatives.

L’intérêt de ce système unique est de pouvoir disposer d’informations et de statistiques portant sur l’intégralité du champ éducatif, et ce à toutes les échelles : d’établissement, locale, nationale, inter-nationale (UNESCO, OCDE, Eurostat).

Le croisement de ces informations conduit à des comparaisons temporelles ou géographiques entre établissements ou régions, en facilite le pilotage, et permet de passer de la description de l’activité à l’analyse des résultats de l’enseignement, en établissant un lien entre les différentes échelles de l’action éducative.

Une autonomie de l’établissement qui intègre l’offre d’enseignement

En Estonie, l’État central dispose peu de pouvoir en matière éducative. Symboli-quement, le siège du ministère de l’éduca-tion se situe à Tartu, ancienne ville univer-sitaire, et non à Tallin, la capitale politique et le siège de toutes les autres institutions. À l’instar des pays nordiques auxquels l’Estonie se compare, les pouvoirs de l’échelon local, municipalité et province, sont plus importants que ceux de l’État central et comprennent notamment la contractualisation avec les établissements scolaires et l’obtention de leurs moyens.

Toutefois, la particularité de l’Estonie est surtout d’accorder un très haut niveau d’autonomie à l’établissement scolaire. L’OCDE réalise une évaluation globale du degré d’autonomie, selon le pourcentage

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de décisions prises au niveau de l’établis-sement. Les compétences transférées aux établissements peuvent correspondre à trois domaines principaux : les ressources humaines (recrutement des enseignants et des chefs d’établissement) ; le finance-ment (utilisation d’un budget public et capacité à faire appel à des ressources privées) ; l’enseignement et la pédagogie (choix du programme ou des matériels).

Dans l’ensemble, l’Estonie figure dans le trio de tête de l’OCDE, avec l’Angleterre et les Pays-Bas, puisque plus de 70 % des décisions sont prises au niveau de l’établissement scolaire.

En outre, l’autonomie de l’établisse-ment tend à changer de nature. Elle ne concerne plus seulement son fonction-nement et sa capacité à utiliser les marges de manœuvre qui lui ont été attribuées, à l’occasion du mouvement général de décentralisation observé partout en Europe depuis une génération. Ces marges de manœuvre sont en effet le plus souvent limitées, parce que si les établis-sements disposent de davantage de compétences et d’une liberté d’action accrue, c’est presque toujours en contre-partie d’un contrôle renforcé par des col-lectivités locales à la fois plus attentives et plus puissantes.

Ici, l’autonomie est comprise dans une dimension plus ambitieuse : la capacité de l’établissement à proposer et à porter un projet éducatif singulier. L’établissement peut ainsi construire le cadre de son action et ses objectifs propres, ce qui détermine en conséquence ses relations avec ses tutelles et la grille selon laquelle il pourra être évalué. Le débat porte donc moins sur l’utilisation des moyens que sur la qualité des enseignements dispensés, en fonction des objectifs que se fixe l’établissement. C’est son ambition pédagogique qui est discutée, et non les facteurs qui permettent d’y parvenir.

Il ne s’agit pas de construire une édu-cation à la carte : le curriculum assez large va de pair avec un socle commun, des dis-ciplines partagées et des examens termi-naux (et partiels) dont les résultats sont regardés par tous avec attention. L’autono-mie consiste plutôt à pouvoir déterminer une offre d’enseignement cohérente et propre à un établissement. En Estonie, un collège peut décider de proposer des cours conjointement avec des enseignants de lycée, sur des spécialités qu’il souhaite développer. Il ne s’agit plus d’enseigne-ments optionnels mais d’un position-nement qui fonde la stratégie de l’établis-sement, sa différenciation avec d’autres, et qui se traduit, notamment, par des objec-tifs précis concernant les savoirs des élèves, évalués tout au long de l’année. L’auto-nomie de l’établissement consiste donc à être à l’origine de son cadre d’action.

Un établissement acteur de son évaluation

L’Estonie représente un modèle original d’évaluation d’établissement. Historiquement, les premiers dispositifs, développés en Angleterre par l’inspection anglaise, l’Ofsted, à partir de la fin des années quatre-vingts, ont renforcé l’enca-drement éducatif de l’école. Parallèlement à l’autonomie conférée aux établisse-ments, une autorité extérieure structure l’inspection d’établissements : l’établis-sement est certes autonome dans l’utilisa-tion de ses moyens mais il en rend compte à travers un schéma unique. L’évaluation d’établissement, « school inspection », se fonde sur un cadre essentiellement chiffré et s’inscrit dans une démarche compara-tiste proposée tant aux parents qu’aux autorités de tutelle.

Un nouveau modèle d’évaluation d’établissements, prenant davantage en compte leurs forces propres, s’est ensuite développé. Une place plus importante est

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faite aux équipes des établissements dans la mise en place de leur évaluation : l’approche est davantage collaborative, plus qualitative et tournée vers l’amélio-ration de l’établissement et non plus sur son classement. Porté d’abord par l’Écosse, ce modèle s’est diffusé largement en Europe et est davantage compatible avec l’autonomie croissante des établisse-ments, mais il se réfère toujours à un cadre fixé à l’extérieur de l’établissement.

Face à ces modèles fondés sur le primat de l’évaluation externe, l’Estonie repré-sente une nouvelle conception, qui prend en compte l’autonomie pédagogique de l’établissement et se fonde essentiellement sur son auto-évaluation. L’évaluation externe de l’ensemble des établissements, sur une grille commune, n’est plus réalisée à l’échelle d’un pays. De même, il n’y a plus d’inspection d’écoles, à intervalles régu-liers, réalisée par un organisme dépendant d’autorités éducatives locales ou centrales. En revanche, l’établissement doit conduire chaque année sa propre évaluation. Libre à lui de la mener comme il l’entend : les méthodes comme les indicateurs retenus sont choisis par lui, en fonction de ses objectifs pédagogiques spécifiques. En revanche, celle-ci doit être cohérente avec sa stratégie et la qualité de l’auto- évaluation comme la véracité des données fournies sont des éléments déterminants de jugement de l’établissement par les autorités de tutelle : l’établissement est acteur de son évaluation, il en devient donc responsable.

Par ces quelques caractéristiques majeures, l’Estonie prend ainsi réso-lument place, quoique pour l’instant de manière discrète, parmi les systèmes édu-catifs les plus performants au monde.

Stéphane Kesler, inspecteur général de l’administration

de l’éducation nationale et de la recherche, France

PASEC 2014 et qualité des enseignants : une photographie pour un diagnostic

En Afrique subsaharienne franco-phone, la réflexion sur la question ensei-gnante a longtemps été considérée comme secondaire, l’accent ayant été mis en priorité sur l’accès afin de satisfaire cer-tains engagements pris dans le cadre des préoccupations internationales d’éduca-tion. C’est le cas des politiques d’ajuste-ment du secteur de l’éducation, qui ont impacté notamment la formation et le recrutement des enseignants (Bernard et al., 2004 ; Bourdon et Nkengné- Nkengné, 2007 ; Lauwerier et Akkari, 2015). Ces politiques ont contribué à la diversification concomitante des statuts professionnels (fonctionnaires, contrac-tuels, communautaires…) et des profils de formation des enseignants.

Longtemps abordée sous l’angle du déficit quantitatif d’enseignant, la question enseignante s’installe progressi-vement à la faveur de la déclaration d’Incheon, au cœur des préoccupations nationales et internationales en termes de qualification des enseignants.

Dans cette dynamique, le rapport international et les rapports nationaux des dix pays participant à l’évaluation PASEC 2014 ont conduit à la production d’une analyse sur les profils de formation des enseignants des élèves testés en Afrique subsaharienne francophone. Ces rapports constituant le tremplin d’importantes réflexions sur les ensei-gnants et les directeurs d’établissement campent aussi l’environnement de ces acteurs centraux des systèmes éducatifs, à travers une analyse du genre, de la formation académique, de la formation professionnelle et du regard sur leurs conditions matérielles de travail.

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Les enseignants étant définis à travers l’Objectif de développement durable n° 4 (ODD4), comme un moyen fondamental à renforcer pour l’atteinte d’une éduca-tion de qualité pour tous dans le monde avant 2030, les données de l’évaluation PASEC 2014 proposent une analyse de cette cible comme préalable à cette action. Cet article présente un aspect de ce diagnostic, à savoir la situation de la for-mation académique et professionnelle des enseignants des classes primaires évaluées.

Niveau académique des enseignants

Le rapport international PASEC 2014 a analysé les divers niveaux de formation académique des enseignants des classes de début et de fin de scolarité primaire, dont les élèves ont été évalués. Les tableaux 1 et 2 présentent la répartition des élèves selon le niveau académique de leur enseignant (primaire, secondaire et universitaire).

Premier constat sur le niveau acadé-mique des enseignants : en général, dans

Tableau 1. Répartition des élèves selon le niveau académique de l’enseignant Début de scolarité

Niveau primaire Niveau secondaire Niveau universitaire

Bénin - 80,3 19,7

Burkina Faso 0,3 39,0 60,7

Burundi 0,4 86,1 13,5

Cameroun 1,6 81,3 17,2

Congo - 84,9 15,1

Côte d’Ivoire - 80,0 20,0

Niger - 93,3 6,7

Sénégal - 59,2 40,8

Tchad - 71,5 28,5

Togo - 90,6 9,4

Tableau 2. Répartition des élèves selon le niveau académique de l’enseignant Fin de scolarité

Niveau primaire Niveau secondaire Niveau universitaire

Bénin - 76,8 23,2

Burkina Faso 1,5 38,1 60,4

Burundi 1,2 74,2 24,6

Cameroun 0,0 72,2 27,8

Congo 0,3 65,7 34,0

Côte d’Ivoire 1,0 47,2 51,8

Niger - 70,5 29,5

Sénégal - 52,8 47,2

Tchad - 41,9 58,1

Togo - 71,5 28,5

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tous les pays évalués, la quasi-totalité des élèves en début et en fin du cycle primaire est encadrée par un enseignant dont le niveau académique est supérieur au pri-maire. La majorité des élèves a un ensei-gnant de niveau secondaire, à l’exception du Burkina Faso (39,0 % en début et 38,1 % en fin de scolarité) et, en fin de scolarité, de la Côte d’Ivoire (47,2 %) et du Tchad (41,9 %). Dans le cas de ces pays, la majorité des élèves est encadrée par des enseignants ayant une formation universitaire.

À l’inverse, dans de nombreux pays, les pourcentages d’élèves encadrés par un enseignant ayant une formation univer-sitaire sont bien plus faibles : moins de 25 % au Bénin et au Burundi en fin de sco-larité primaire, et moins de 20 % dans six pays en début de scolarité (Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Niger et Togo).

Par ailleurs, dans tous les pays, le pour-centage d’élèves dont les enseignants ont un niveau d’enseignement supérieur, est plus élevé en fin de cycle qu’en début de cycle, à l’exception du Burkina Faso, où ce pourcentage est presque identique.

Formation professionnelle initiale des enseignants

Le PASEC 2014 a tenté d’apprécier le niveau de la formation professionnelle initiale des enseignants à travers la durée de cette formation, indépendamment de leur niveau académique, afin de faciliter la comparabilité, les types de formations spécifiques à l’enseignement pouvant varier entre pays.

Les tableaux 3 et 4 montrent la répar-tition des élèves selon la durée de la for-mation professionnelle initiale de l’ensei-gnant, répartie en quatre catégories.

L’évaluation montre qu’il existe dans tous les pays évalués une proportion non négligeable d’élèves dont l’enseignant n’a reçu aucune formation professionnelle initiale. La plupart des pays a en effet été confrontée à la nécessité d’une réponse urgente au défi de l’accès, par le recrute-ment important d’enseignants ne disposant souvent pas de formation pour cette profession. Dans certains cas, les enseignants ont reçu une formation péda-gogique de quelques jours. Cette situation a le plus souvent débouché sur une

Tableau 3. Répartition des élèves selon la formation professionnelle de l’enseignant Début de scolarité

Aucune formation

professionnelleMoins de six mois Un an Deux ans et plus

Bénin 15,6 4,9 10,5 69

Burkina Faso 14,6 17,3 45,3 22,8

Burundi 10,1 9 8,2 72,7

Cameroun 20,7 2,4 17,6 59,3

Congo 15,7 17,8 6,8 59,7

Côte d’Ivoire 20,3 15,2 28,3 36,3

Niger 23,3 21,2 28,7 26,8

Sénégal 5,9 29,6 58 6,5

Tchad 23,9 42,1 26,6 7,4

Togo 67,2 23,8 7 2

Moyenne 21,5 18,3 23,8 36,3

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différenciation des statuts et des condi-tions contractuelles.

En début du cycle, cette proportion atteint 21,5 %, en moyenne. Des varia-tions sensibles autour de cette moyenne sont notables. Au Sénégal, le pourcentage d’élèves dont l’enseignant n’a aucune formation professionnelle initiale est comparativement faible (5,9 %). Cette proportion dépasse 20 % au Cameroun (20,7 %), en Côte d’Ivoire (20,3 %), au Niger (23,3 %) et au Tchad (23,3 %), et atteint des proportions alarmantes au Togo (67,2 %). En fin de cycle, la part d’élèves dont l’enseignant n’a aucune for-mation initiale est inférieure à 11 %, pour tous les pays sauf le Burundi (14,8 %) et le Togo (34,3 %).

La proportion d’élèves dont l’ensei-gnant a bénéficié d’une formation initiale de moins de six mois varie de 2,4 % au Cameroun à 42,1 % au Tchad, en début de cycle. En fin de cycle, cette proportion se situe entre 2,7 % au Cameroun et 48,0 % au Togo. Ici encore, il est constaté que le début de scolarité primaire n’est pas

prioritaire pour l’attribution d’ensei-gnants formés.

Dans la plupart des pays, aussi bien en début qu’en fin de cycle, une grande majo-rité d’élèves ont un enseignant qui a suivi au moins un an de formation profession-nelle, hormis au Togo, où seulement 17,7 % d’élèves de 6e année et 9,0 % d’élèves de 2e année ont un enseignant ayant reçu au moins un an de formation initiale.

En fin de cycle, le problème de l’absence de formation des enseignants ou de la faible durée de leur formation ini-tiale est moins alarmant au Cameroun, au Congo, en Côte d’Ivoire et au Niger, comparativement à des pays comme le Togo, le Sénégal et Tchad.

L’analyse du profil professionnel ini-tial des enseignants, mis en relation avec leur niveau académique et leur partici-pation à des formations complémen-taires, montre que l’absence de forma-tion initiale du maître n’implique pas forcément une absence totale de for-mation pédagogique. À l’exception du

Tableau 4. Répartition des élèves selon la formation professionnelle de l’enseignant Fin de scolarité

Aucune formation

professionnelleMoins de six mois Un an Deux ans et plus

Bénin 4,2 18,4 28,6 48,8

Burkina Faso 14,8 8,4 39,4 37,4

Burundi 10,2 10,2 11,4 68,2

Cameroun 8,6 2,7 35,3 53,4

Congo 7,9 8,4 19,2 64,5

Côte d’Ivoire 3,1 9,6 23,2 64,1

Niger 4,1 12,8 38,5 44,7

Sénégal 4,2 31,9 57,5 6,3

Tchad 10,9 15,5 48,4 25,3

Togo 34,3 48 10,5 7,2

Moyenne 10,2 16,6 31 42,2

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Burundi, parmi les élèves ayant des enseignants sans formation profession-nelle initiale, plus de 70 % de ces élèves ont des enseignants ayant suivi une for-mation complémentaire en pédagogie. Il est également intéressant de constater que l’absence de formation initiale touche les enseignants de tous les niveaux académiques.

Formation continue des enseignants

La formation continue offre à l’ensei-gnant l’opportunité de parfaire ses apti-tudes professionnelles, de développer de nouvelles compétences pédagogiques, d’apprendre à mieux connaître et à appli-quer les programmes scolaires. Dans des contextes de forte présence d’enseignants sans formation initiale professionnelle, elle se présente comme une alternative importante pour améliorer la qualité du système éducatif. Les instruments de collecte des données contextuelles du PASEC 2014 ont abordé la question de la formation continue des enseignants selon le nombre de jours de formation complé-mentaire reçue au cours des deux der-nières années. Pour les besoins des ana-lyses, le nombre de jours de formation a été scindé en cinq catégories (absence de formation continue, entre un et cinq jours de formation, entre six et dix jours de formation, entre onze et vingt jours de formation et plus de vingt jours de formation).

L’absence de formation continue des enseignants demeure une réalité, que ce soit en début ou en fin de scolarité pri-maire. Le pourcentage d’élèves est compris entre 2,2 % au Cameroun et 63,0 % au Burundi en début de cycle, et entre 4,5 % au Sénégal et 41,8 % au Burundi en fin de cycle. Le Burundi est, pour les deux niveaux, le pays qui compte

le plus d’élèves dont l’enseignant n’a reçu aucune formation continue.

Toutefois, les pourcentages d’élèves encadrés par un enseignant ayant reçu au moins quelques jours de formation complémentaire sont élevés, dans presque tous les pays, et particulièrement au Cameroun et au Sénégal (plus de 95 %). Parmi les enseignants ayant bénéficié de formation, la répartition selon le nombre de jours de formation montre, pour cer-tains pays, une concentration dans la caté-gorie comprise entre un et cinq jours de formation.

Le PASEC 2014 a permis de réaliser une première photographie de constat comparatif sur les enseignants de dix pays d’Afrique subsaharienne francophone, qui met en évidence les insuffisances et diversités liées à la formation de la profes-sion enseignante. Faute de place, nous ne pouvons mener ici l’analyse du lien entre le niveau académique et les différentes catégories de formation (professionnelle initiale et continue) des enseignants avec les performances des élèves, qui reste à conduire.

Le rapport des enseignants à la forma-tion initiale spécifique à l’enseignement et à la formation continue dans des contextes scolaires complexes caracté-risés, entre autres, par une insuffisance de ressources pédagogiques et des tailles de classe importantes constitue un véritable obstacle à la qualité de l’enseignement-apprentissage et à la construction d’une professionnalité enseignante.

L’hétérogénéité des niveaux de for-mation académique, des modes et des parcours de formation, la répartition inéquitable des profils de formation dans les systèmes éducatifs subsahariens francophones, la faiblesse du volume de formation professionnelle enseignante et le faible volume de temps consacré à la formation continue constituent

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un éventail de constats qui confortent l’ODD 4, point C : « d’ici à 2030, accroître considérablement le nombre d’ensei-gnants qualifiés… ». Qui plus est, ce constat relatif à la formation des ensei-gnants invite à aller plus loin dans la défi-nition de ce qui est entendu et attendu à travers la « qualification des enseignants » dans l’ODD 4C. Un enseignant qualifié est-il celui qui présente les certifications attendues ou celui qui manifeste effecti-vement les compétences attendues pour l’enseignement ?

La détention de la certification pour l’enseignement n’étant pas un gage absolu de la manifestation des compétences d’enseignement, le PASEC s’est engagé, dans sa deuxième vague d’évaluation comparative internationale intitulée PASEC 2019, à évaluer les compétences des enseignants sur des disciplines fonda-mentales enseignées (mathématiques et langue d’enseignement) et sur le savoir didactique (maîtrise des objectifs d’ap-prentissage et typologie des erreurs). n

Hilaire Hounkpodote, Labass Lamine Diallo, Bassile Zavier Tankeu,

PASEC

rrepères sur les systèmes éducatifs étrangers

Le système de formation des ressources humaines en Tunisie

Quelques données

Le dispositif de formation des res-sources humaines en Tunisie comprend, depuis l’indépendance en 1956, trois sys-tèmes : éducatif (primaire à l’école, préparatoire au collège et secondaire au lycée), professionnel (du certificat d’apti-tude professionnelle au brevet de techni-cien supérieur) et universitaire (baccalau-réat suivi de trois années et plus).

Le contexte

Le dispositif de formation des res-sources humaines a été marqué pendant une cinquantaine d’années, par l’absence de vision globale, malgré les inter-connexions entre les trois systèmes. Les systèmes éducatif et professionnel étaient longtemps interconnectés avec des filières professionnalisantes et des lycées tech-niques unissant l’enseignement scolaire à la formation professionnelle et technique. Les choix politiques des années 1990 ont entraîné une régression de la composante professionnelle dans le système éducatif (conversion des lycées techniques en lycées généraux, suppression de l’initia-tion professionnelle aux lycées, renon-ciation au projet du baccalauréat profes-sionnel), si bien que le seul lien qui a persisté entre ces deux systèmes concerne

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chômage des diplômés du supérieur ont impulsé en 2012 une réflexion qui a abouti à une vision unifiée du système de déve-loppement des ressources humaines.

Les défis du développement d’un système unifié de ressources humaines

Améliorer les compétences de baseComme l’attestent le classement

PISA 2015 ainsi que les conclusions du Livre blanc édité par le ministère de l’Éducation en mai 2016, les élèves tuni-siens présentent un déficit en compé-tences de base, de façon générale, surtout en sciences humaines et sociales. La mar-ginalisation de ces compétences a débuté à la fin des années 1980, entraînant un

Enseignement primaire Écoles publiques Écoles privées

Nombre d’établissements 4 575 324

Nombre d’élèves 1 079 000 (dont 48,3 % de filles) 60 313 (dont 47,2 % de filles)

Nombre d’enseignants 64 944 5 455

Cycle préparatoire et secondaire

Nombre d’établissements 1 409 346

Nombre d’élèves 893 348 (dont 54 % de filles) 58 706 (dont 34,3 % de filles)

Nombre d’enseignants 75 056 10 583

Source : statistiques du ministère de l’éducation, octobre 2015.

Enseignement supérieur Public Privé

Nombre d’établissements d’enseignement

supérieur et de recherche

203, dont 31 en co-tutelle,

répartis sur 13 universités65

Nombre total d’étudiants 294 487 30 669 (10,4 %)

Nombre d’enseignants permanents 18 768

Nombre de chercheurs permanents 12 515

Nombre de structures de recherche590 (309 unités et

281 laboratoires)

Source : statistiques du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, juin 2016.NB : Les statistiques exactes du ministère de la formation professionnelle et de l’emploi ne sont pas disponibles sur son site web, en raison de la mobilité permanente des apprenants vers les deux autres systèmes, ainsi que vers le marché de l’emploi.

l’orientation dichotomique (enseigne-ment secondaire ou professionnel) à la fin du cycle de base (école et collège, soit 9 ans au total). Ceci marqua le début de la dépréciation du système professionnel et la massification des lycées. Par ailleurs, la seule interconnexion entre les systèmes éducatif et universitaire concerne l’orien-tation universitaire. Cette vision éclatée du dispositif de formation des ressources humaines en Tunisie a contribué, à partir de 2000, à la baisse du niveau des élèves, donc des intrants à l’université, à la dépré-ciation accélérée de la formation profes-sionnelle et à la massification de l’ensei-gnement supérieur. Les effets néfastes de cette vision, surtout la baisse du niveau des apprenants des trois systèmes, les dif-ficultés d’insertion professionnelle et le

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désintérêt des institutions et des élèves, aggravé par la baisse du niveau linguis-tique des formateurs. La dépréciation de l’enseignement professionnel et tech-nique a entraîné de son côté un afflux massif des élèves vers les lycées, dépassant les capacités réelles de formation des formateurs et obligeant les autorités à recruter des formateurs non qualifiés et/ou non habilités. Cette situation a été aggravée par la comptabilisation de la moyenne de l’année terminale pour 25 % dans la moyenne finale au baccalauréat, sans prémunir contre les dérives abusives qui n’ont pas tardé à se manifester, affec-tant la crédibilité du système éducatif. La résultante est une baisse du niveau général des bacheliers, à l’entrée du système universitaire.

Coordonner et articuler les trois systèmes de formation

Outre les interconnexions ci-haut citées entre les trois systèmes, le dispositif de formation des ressources humaines et de développement des compétences en Tunisie doit se doter d’une vision globale et intégrée. Les passerelles entre les sys-tèmes n’ont pas été mises en place au moment opportun, faisant du système professionnel une voie de récupération des échecs des deux autres. Certaines réformes entreprises séparément dans les trois systèmes ont aggravé leur désarti culation et occasionné des discordances.

Renforcer la professionnalisation des parcours de formation

La dépréciation de la formation pro-fessionnelle et la régression de l’ensei-gnement technique et professionnel dans le système éducatif ont eu un impact négatif sur le système universitaire. De son côté, l’université n’a ni pu ni su anti-ciper les mutations qui font d’elle le

véritable moteur du développement régional et un levier entrepreneurial. Ce clivage avec le monde socioéconomique a fait que l’université a continué à former pour des métiers à faible valeur ajoutée ou qui ont subi des mutations profondes ou même sont devenus obsolètes, de même qu’elle n’a pas anticipé l’émer-gence de nouveaux métiers à forte valeur ajoutée. La mise en place du système LMD, suite à l’adhésion de la Tunisie au processus de Bologne en tant que pays partenaire en 2006, n’a pas apporté les améliorations escomptées de façon notable, car sa mise en place a été déviée de ses objectifs initiaux, principalement la professionnalisation des parcours de formation en vue d’une meilleure inser-tion professionnelle. Les améliorations souhaitées ne se sont pas produites, entraînant un cumul de chômeurs diplô-més de l’enseignement supérieur, qui représentent actuellement 38 % de l’en-semble des chômeurs en Tunisie.

Améliorer la gouvernance des établissements et institutions

Les études sur le dispositif de for-mation des ressources humaines en Tunisie réalisées par la Banque mon-diale, l’Union européenne ou encore la Banque africaine de développement ont mis le doigt sur la mauvaise gouver-nance des institutions et établissements des trois systèmes, à tous leurs niveaux hiérarchiques, qualifiée de « déficit managérial ». Si les systèmes éducatif et professionnel sont handicapés par leurs textes réglementaires, qui n’ont pas prévu les structures et mécanismes de bonne gouvernance, il en va diffé-remment du système universitaire. Les textes qui l’organisent ont prévu, depuis la fin des années 1970, la mise en place de différentes structures de gestion admi-nistrative et académique, orientation

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explicitée dans la loi de 20081 et les textes d’accompagnement. Cette loi a insisté sur la vision et les missions du système d’enseignement supérieur et de recherche, sur l’autonomie des univer-sités grâce à un passage intermédiaire par le statut d’établissement public à carac-tère scientifique et technologique et sur l’assurance qualité, concepts consolidés et complétés après janvier 2011. D’après ces mêmes études, la mauvaise gouver-nance des trois systèmes est principale-ment due à l’absence d’une démarche qualité basée sur un système de manage-ment de la qualité, ainsi qu’au faible taux d’encadrement. Ceci a amené les princi-paux bailleurs de fonds à recommander une clause sur la gouvernance comme critère d’acceptabilité des projets tuni-siens d’appui à la réforme des systèmes éducatif, professionnel et universitaire, de même que la mise en place d’unités de gestion par objectifs, structures de management de projets, est une condi-tion sine qua non pour la libération des fonds.

Réhabiliter la formation des formateurs

Durant les trente premières années d’indépendance, la formation des formateurs, dans les trois systèmes, était bien codifiée et organisée. Pour le système éducatif, les enseignants des écoles primaires étaient formés dans les instituts supérieurs de formation des maîtres et les écoles normales des ins-tituteurs, alors que les professeurs du secondaire étaient formés dans les facul-tés scientifiques et littéraires, ainsi qu’à l’École normale supérieure (ENS), pour l’élite. Les enseignants professionnels

1. Loi n° 2008-19 du 25 février 2008, relative à l’enseignement supérieur.

et techniques, destinés aux centres de formation professionnelle et aux lycées techniques, étaient en grande partie for-més à l’École normale supérieure d’en-seignement technique (ENSET). Enfin, l’accès à l’enseignement supérieur était réservé aux titulaires du grade d’assistant ou plus, alors que les assistants délégués et attachés de recherche dits contrac-tuels, ne contribuaient qu’à l’enseigne-ment pratique, avec un plafond hebdo-madaire de quatre heures d’initiation à l’enseignement.

Avec la dépréciation de l’enseigne-ment professionnel et la massification du secondaire et par suite du supérieur, on a assisté à un démantèlement du dis-positif de formation des formateurs, avec la suppression des instituts supé-rieurs de formation des maîtres et des écoles normales des instituteurs, la dépréciation de l’ENS, la conversion des lycées techniques en lycées généraux et celle de l’ENSET en école d’ingénieurs. L’accès à l’enseignement primaire et secondaire fut alors ouvert à du person-nel non qualifié et/ou non habilité, alors que l’enseignement supérieur, du fait de la massification, avait recours aux contractuels et autres vacataires (surtout des professeurs de l’enseignement secon-daire), qui se sont vu confier des charges horaires importantes et même des res-ponsabilités pédagogiques. La résultante de ce démantèlement est une baisse notable du niveau des élèves et des étu-diants, surtout dans les compétences lin-guistiques et gestuelles, ainsi que des for-mateurs, surtout sur le plan pédagogique, contribuant à l’augmentation du nombre de chômeurs diplômés du supé-rieur, pour la plupart difficilement employables. Ainsi, la formation des for-mateurs (technique, scientifique, lin-guistique et pédagogique) constitue actuellement le principal défi dans la

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réforme du dispositif de formation des ressources humaines en Tunisie.

Principales réformes du dispositif de formation des ressources humaines

Mise en place de la classification nationale des qualifications (CNQ)

Publiée en 20092, la CNQ est un cadre de référence reliant les diplômes délivrés par les différentes composantes du dispositif de formation des ressources humaines aux niveaux de qualifications correspondants. La CNQ comprend sept niveaux de qualifications et six descrip-teurs, formulés en termes de résultats d’apprentissage, ce qui confère une meilleure visibilité aux compétences des ressources humaines tunisiennes. Néan-moins, son implémentation et sa concré-tisation tardent, car elles sont tributaires de la mise en place des instances de gou-vernance de ladite CNQ, de celle des réformes des trois systèmes et de la règlementation du marché du travail, notamment la fonction publique.

Coordination entre les trois systèmes de formation

Depuis 2012, le rapprochement des trois systèmes a été entamé, afin de confé-rer au dispositif de formation des res-sources humaines davantage de cohé-rence et de cohésion. Ceci permet de promouvoir et de mettre en valeur les qualités intrinsèques des ressources humaines dans les secteurs public et privé. Afin d’assurer une meilleure articulation des projets de réforme des trois systèmes et une meilleure coordination du dispo-sitif de formation des ressources humaines, l’arrêté conjoint du 8 octobre

2. Décret n° 2009-2139 du 8 juillet 2009, fixant la classification nationale des qualifications.

2015 a institué une commission tripartite entre les trois ministères concernés, qui statue sur les questions d’intérêt commun.

L’orientation tridimensionnelleL’approche de l’orientation vers la

filière de choix du candidat a été révisée à tous les niveaux d’études, dans le cadre d’une orientation tridimensionnelle éla-borée par la commission tripartite en 2014. Les fondements de cette approche sont :

- Le réaménagement de l’horaire sco-laire, avec allègement du volume horaire enseigné au profit des activités culturelles et sportives, de l’initiation aux métiers en situation réelle et du renforcement de l’apprentissage interactif et du numé-rique. Ces mesures permettront à l’élève d’améliorer ses compétences de base, de découvrir les métiers précocement et de s’initier à l’esprit entrepreneurial (port-folio compétences de l’élève).

- Au terme de l’enseignement de base, l’élève choisit parmi un panier de filières habituelles et de filières professionnelles, renonçant ainsi à l’orientation classique dichotomique (lycée vs centre de forma-tion professionnelle), qui entraîne à la fois une massification de l’enseignement secondaire et une marginalisation de l’enseignement professionnel. En amont, un accompagnement par des conseillers habilités à l’orientation permet d’assister l’élève dans ses choix.

- Les nouveaux bacheliers peuvent choisir entre les filières universitaires et les filières professionnelles ; depuis juin 2014, le guide de l’orientation uni-versitaire comprend une présentation des centres de formation professionnelle et de leurs filières du niveau BTS ; le nombre de nouveaux bacheliers optant pour une filière professionnelle croît d’année en année, ce qui entraînera à moyen terme

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une revalorisation du système profes-sionnel et une démassification de l’université.

- La mise en place de passerelles dans les deux sens, entre les formations profes-sionnelle et universitaire, permet aux étu-diants en cours de formation d’intégrer volontairement l’enseignement profes-sionnel, de même qu’elle ouvre la possibi-lité aux titulaires du brevet de technicien supérieur (BTS) de postuler sur concours à une inscription en 3e année de licence appliquée en continuité avec le BTS. Les textes relatifs aux passerelles sont en cours de publication.

- La reprise de la réflexion sur le bacca-lauréat professionnel en 2015 ouvrira à ses titulaires des opportunités profes-sionnelles à valeur ajoutée certaine, grâce au renforcement des compétences spécifiques.

- Une Instance nationale d’information et d’orientation sera créée pour concréti-ser cette démarche.

Gouvernance et management des ressources

Le ministère de l’enseignement supé-rieur et de la recherche scientifique a entamé, depuis 2008, l’amélioration de la gouvernance des établissements d’ensei-gnement supérieur et de recherche (EESR), des universités, des centres de recherche et des départements du minis-tère. Les conseils scientifiques, conseils d’administration, conseils des universités, cellules qualité et autres sont autant de structures de soutien à la bonne gouver-nance. Néanmoins, la massification, ayant entraîné la création hâtive d’EESR sans mise à disposition adéquate des res-sources surtout humaines (académiques, administratives et techniques), a freiné cet élan. À cela est venu s’ajouter le retard de création de l’Instance d’évaluation, d’assurance qualité et d’accréditation en

2013, prévue dans la loi de 2008. Le minis-tère a institué une commission nationale pour la réforme de l’enseignement supé-rieur et de la recherche scientifique en 2011, dont les travaux ont abouti à la pro-duction d’un Plan d’action stratégique (PAS)3, publié en janvier 2015. Ce dernier comprend quatre axes stratégiques : gou-vernance, recherche innovation, profes-sionnalisation des parcours de formation, vie estudiantine. Le PAS a inspiré la conception du Projet de modernisation de l’enseignement supérieur en soutien à l’employabilité (Promesse), financé par la Banque mondiale. Dans le cadre de ce projet 2016-2020, des fonds compétitifs (Projets d’appui à la qualité) ont été ins-crits pour améliorer la gouvernance des EES, des universités, des centres de recherche et des départements du minis-tère. Des fonds spécifiques ont été égale-ment alloués pour les accompagner dans la mise en place du système de manage-ment de la qualité en vue de la certification des prestations et de l’accréditation des diplômes. La gouvernance par la qualité est ainsi l’une des actions phares du Pro-messe et prioritaires du ministère.

La professionnalisation des parcours de formation

Depuis la promulgation de la loi de 2008, le ministère a arrêté une série de mesures dans l’objectif de renforcer l’orientation professionnalisante des par-cours de formation. - L’individualisation de licences et mas-

tères professionnels, avec l’engagement d ’une réf lexion sur le doctorat professionnel. - La mise en place d’une commission

mixte entre le ministère de l’enseigne-ment supérieur et de la recherche et l’Utica (centrale patronale) a permis un

3. https://goo.gl/c2SzQ3

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rapprochement entre l’université et le monde socio-économique, qui s’im-plique davantage dans l’enseignement, les stages et la recherche. Le concept d’université entrepreneuriale se déve-loppe, plaçant l’université au cœur du développement régional. - La promulgation de la loi relative aux

stages et à l’alternance4, et textes y affé-rents, a permis de valoriser et de codifier cette activité pédagogique primordiale pour l’insertion professionnelle. Sur un autre plan, les passerelles entre les forma-tions universitaires et professionnelles ont permis également la mise à disposi-tion des étudiants en licence et mastère professionnels des plateformes des centres de formation professionnelle. - La généralisation, au niveau licence, de

l’enseignement de l’anglais, de l’informa-tique, de l’entrepreneuriat et des tech-niques de communication, soft skills indispensables améliorant notablement l’employabilité et la création de start-up par les jeunes diplômés. - La mise en place, depuis 2006, de par-

cours (licence et mastère) co-construits entre universitaires et professionnels, a notablement amélioré l’insertion profes-sionnelle des diplômés, en attestent les audits réalisés. Le système universitaire tunisien dispose aujourd’hui d’une expertise éprouvée en ingénierie de la co-construction, grâce à la formation de méthodologues et d’auditeurs de par-cours co-construits, et à l’élaboration d’un guide méthodologique et d’un guide d’audit5. - Le ministère a engagé une réflexion sur

la mise en place d’un dispositif universi-

4. Loi n° 2009-21 du 28 avril 2009, fixant le cadre général de la formation pratique des étudiants de l’enseignement supérieur au sein des administra-tions, des entreprises ou des établissements publics ou privés.5. [https://goo.gl/AhfbLu]

taire de validation des acquis de l’expé-rience (VAE).

- Depuis 2013, les EESR et les universités ont commencé à créer leurs propres centres de carrières et de certification des compétences (4C). Les 4C sont des inter-locuteurs privilégiés entre l’université et l’entreprise, aident les étudiants à appré-hender les métiers et leurs compétences respectives et leur facilitent l’accès aux certifications techniques et en soft skills.

La formation des formateursUn projet initié en 2012 et instauré

en 2016, conjointement entre le ministère de l’éducation et le ministère de l’ensei-gnement supérieur et de la recherche vise à réviser le dispositif de formation des formateurs du système éducatif. Ainsi, le projet prévoit la formation de professeurs de l’enseignement primaire, à raison de 2 700 étudiants par année, dans le cadre d’une licence appliquée en éducation et enseignement, co-construite entre les deux ministères et assurée en alternance. Neuf EESR ont été convertis en instituts supérieurs des sciences de l’éducation, dont l’accès est soumis à un test psycho-technique. Concernant l’enseignement secondaire, les deux ministères ont mis en place des mastères professionnels mono-disciplinaires en alternance, reposant sur trois composantes : renforcement de la formation dans la discipline, didactique de la discipline, stage et mémoire. Ces mastères démarreront à la rentrée 2017 et recruteront parmi les titulaires de licence dans les disciplines enseignées au secon-daire. Selon les prévisions du ministère de l’éducation, dix années transitoires seront nécessaires pour faire de ce nouveau pro-cessus la seule voie d’accès à l’enseigne-ment primaire et secondaire.

Concernant l’enseignement supé-rieur, la réforme entamée dans le cadre du PROMESSE prévoit la réduction, déjà

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Justifications de la réformeL’initiative de réorganiser les systèmes

éducatifs africains est née lors de la confé-rence d’Addis-Abeba sur l’éducation, en 1961. La première réforme de l’enseigne-ment au Mali a donc vu le jour en octobre 1962. Selon Diambomba (1980), « après près d’un siècle de colonisation, le bilan de l’enseignement était insuffisant au Mali, avec une discrimination volontaire de la scolarisation des filles, neuf Maliens sur dix ne savaient ni lire ni écrire, environ 88/100 enfants ne partaient pas à l’école. Les cadres supérieurs étaient insuffisants avec trois docteurs vétérinaires, une dou-zaine de professeurs, huit à dix docteurs en médecine générale ; trois pharma-ciens ; une douzaine d’hommes de droit, de rares ingénieurs pour une masse de 4 300 000 citoyens ». S’est alors fait sentir l’urgence de réviser son contenu et ses buts, et de créer un système d’éducation qui répondrait aux nécessités nationales.

Objectifs de la réformeLa réforme du système éducatif

malien avait pour but de s’attaquer aux aspects qualitatifs et quantitatifs de l’enseignement, à travers cinq objectifs : un enseignement tout à la fois de masse et de qualité ; un enseignement qui puisse fournir avec une économie maximum de temps et d’argent tous les cadres néces-saires au pays pour ses divers plans de développement ; un enseignement qui garantisse un niveau culturel permettant l’établissement d’équivalences de diplômes avec les autres États modernes ; un enseignement dont le contenu soit basé non seulement sur les valeurs spéci-fiquement africaines et maliennes mais aussi sur les valeurs universelles ; enfin, un enseignement qui décolonise les esprits.

La structure de l’enseignement changea alors, avec un enseignement fon-damental, un enseignement secondaire

amorcée, du nombre de contractuels et autres vacataires non qualifiés, l’amélio-ration du processus de recrutement des enseignants, l’institutionnalisation de la formation pédagogique et autres mesures qui permettent de rehausser le niveau des enseignants universitaires. Néanmoins, le monde universitaire tunisien reste réfrac-taire à l’évaluation des enseignants par les pairs et par les étudiants, opposition qui sera en partie aplanie par la mise en place du système de management de la qualité.

En somme, ces mesures relatives à la formation des formateurs permettront de relever leur niveau et d’endiguer la prin-cipale lacune du dispositif de formation des ressources humaines en Tunisie.

Mohamed Adel Ben Amor, Université de Monastir, Tunisie

Mlaoueh Ammar, ministère de l’enseignement supérieur

et de la recherche scientifique de Tunisie

Les grandes réformes de l’école malienne de 1962 à 2016

La réforme de l’enseignement de 1962

En 1886, Joseph Galliéni ouvre l’école des otages à Kayes à l’image de celle de Louis Faidherbe au Sénégal. En 1895, le nouveau gouverneur du Soudan, Louis E. Trentinian, transforme l’école des otages en école de fils de chefs, pour former des interprètes et des commis. Cette école coloniale redoutée et rejetée, qui allait directement à l’encontre des idéaux traditionnels, est aujourd’hui réclamée au Mali, au point de ne plus arriver à satisfaire la demande.

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général, un enseignement technique et professionnel, l’enseignement supérieur, l’éducation spéciale, l’enseignement normal et l’alphabétisation. La réforme de 1962 voulait mettre en place une forma-tion adaptée aux réalités du pays et aux exigences du développement scientifique et technologique. Elle permit à beaucoup d’enfants en âge scolarisable d’aller à l’école, et aux autres de bénéficier des pro-grammes d’alphabétisation.

Cependant, en dépit de ce change-ment d’esprit de l’école malienne après l’indépendance, la réforme rencontra un certain nombre de difficultés. En effet, malgré la volonté affichée, les contenus d’enseignements n’étaient pas adaptés aux réalités du pays. L’enseignement resta plus théorique que pratique car il est dif-ficile d’obtenir un enseignement de qua-lité avec des classes à effectif pléthorique. Les expériences d’enseignement dans les langues nationales, initiées à travers le pays dans certaines écoles depuis les années 1980, demeurèrent timides et sources de nombreuses discordances.

Les réformes suivantes ont ensuite visé la révision et l’adaptation des objec-tifs de la réforme de 1962, en fonction des nouvelles réalités maliennes et mondiales.

La nouvelle école fondamentale (NEF)

Le système éducatif malien ne parve-nant pas à atteindre tous les objectifs fixés en 1962, la restructuration de l’école fon-damentale malienne et de son adminis-tration s’imposait : c’est la conceptualisa-tion de la « nouvelle école fondamentale » (NEF) à la suite des journées de réflexion du 27 au 30 octobre 1994. La NEF avait pour finalité de « faire de l’école malienne le lieu d’émergence du citoyen patriote et bâtisseur d’une société démocratique, profondément ancré dans sa culture et

ouvert aux autres cultures, maîtrisant les savoir-faire populaires et apte à intégrer les connaissances et compétences liées au progrès scientifique et à la technologie moderne… ». Cette finalité fut reprise par la Loi d’orientation sur l’éducation de 1999. Cette réforme était caractérisée par un tronc scolaire commun, visant à sup-primer toute dichotomie entre éducation formelle et éducation non formelle et à mettre en place un ensemble de disci-plines et de contenus d’enseignement permettant de faire acquérir à tous les enfants, à travers un multilinguisme fonc-tionnel, des compétences les rendant capables de s’insérer dans le système de production moderne et de s’adapter aux impératifs de changement de l’environ-nement. Des modules furent créés, parmi lesquels les activités locales, le renforce-ment scolaire, l’environnement, la créa-tion et l’expression, les activités sportives approfondies, la gestion du quotidien et de l’infrastructure collective, la mainte-nance des outils et des appareils, les arti-sanats non implantés localement et les techniques nouvelles.

Mise en œuvre de la NEFLa mise en œuvre de cette réforme se

fondait sur des options stratégiques :

- décentralisation de l’éducation de base, afin de donner aux collectivités territo-riales un pouvoir de gestion des établisse-ments scolaires ;

- renforcement de l’utilisation des lan-gues nationales dans l’enseignement fondamental, afin de former des enfants bilingues ;

- développement du préscolaire, afin de mieux préparer les enfants à affronter l’environnement scolaire au moment de la scolarisation ;

- élaboration et mise en œuvre d’une véritable politique de formation initiale et continue du personnel enseignant,

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pour combler les insuffisances d’effectifs et de personnel ; - promotion de la production de

manuels scolaires ; - mise en place d’un système de partena-

riat véritable autour de l’école et détermi-nation des ressources humaines, maté-rielles et financières nécessaires ainsi que des critères de leur gestion ; - liaison étroite entre l’enseignement

primaire, secondaire et supérieur pour une meilleure harmonisation et une cohérence du système éducatif ; - élaboration d’une politique de

communication interne et externe aux différents départements de l’école malienne.

Cette nouvelle réforme de l’éducation de base, mal planifiée et précipitée, ne dura que quatre années. Les failles révélées lors de sa mise en œuvre, notamment l’insuffisance de matériel, de ressources humaines et les mauvais résultats des élèves, conduisirent à son abandon et à la mise en place d’une autre réforme, qui concernerait l’ensemble du système éducatif.

Le Programme décennal de développement de l’éducation (PRODEC)

Le Programme décennal de dévelop-pement de l’éducation (Prodec) était la planification stratégique de la politique nationale de refondation de l’ensemble du système éducatif malien de 1998 à 2008. Le Prodec s’articulait autour d’un axe référentiel – un village, une école et/ou un centre d’éducation pour le développe-ment (CED) – et de onze axes prioritaires : une éducation de base de qualité pour tous ; un enseignement professionnel adapté aux besoins de l’économie ; un enseignement secondaire général et tech-nique rénové et performent ; un ensei-gnement supérieur de qualité répondant

à des besoins prioritaires et aux coûts maî-trisés ; une utilisation des langues mater-nelles dans l’enseignement formel conco-mitamment avec le français ; une politique du livre et du matériel didac-tique opérationnel ; une politique soute-nue de formation des enseignants ; un partenariat véritable autour de l’école ; une restructuration et un ajustement ins-titutionnel nécessaires à la refondation du système éducatif ; une politique de communication centrée sur le dialogue et la concertation avec tous les partenaires ; une politique de financement soutenue, rééquilibrée, rationnelle et s’inscrivant dans la décentralisation. De l’éducation de base à l’enseignement supérieur, ces onze axes ont repris les objectifs de la réforme de 1962 de manière plus détaillée, plus ambitieuse et plus contextuelle.

La Loi n° 99-046 du 28 décembre 1999 portant loi d’orientation sur l’éducation fut votée pour mettre en œuvre ce nou-veau programme et clarifier la finalité et les nouveaux objectifs de la politique nationale dans le domaine de l’éducation et de la formation, notamment dans son article 11 :

(…) le système éducatif malien a pour finalité de former un citoyen patriote et bâtisseur d’une société démocratique, un acteur du développement profondément ancré dans sa culture et ouvert à la civilisa-tion universelle (…).

À ce titre, il s’agissait, entre autres, de faire acquérir à l’apprenant, dans chaque ordre d’enseignement, des compétences lui permettant de s’insérer dans la vie active ou de poursuivre ses études : entraîner l’apprenant à connaître et à pra-tiquer les obligations d’un membre actif d’une société démocratique respectueuse de la paix et des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen ; créer et stimuler chez l’apprenant l’esprit d’entreprise et de protection de l’environnement.

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Outre ces objectifs, le Mali s’était fixé notamment l’amélioration du taux brut de scolarisation et l’alphabétisation des jeunes déscolarisés et non scolarisés âgés de 9 à 15 ans. Afin d’atteindre les objectifs fixés, les autorités maliennes ont mis en place le Programme d’investissement sec-toriel de l’éducation (PISE), qui s’est étalé sur trois phases successives (2001-2005, 2006-2009 et 2010-2012). Les objectifs visés par le PISE étaient, entre autres : - le développement de l’enseignement

fondamental à travers l’amélioration de l’encadrement de la petite enfance ; - des taux brut et net de scolarisation ; - l’éducation spéciale ; - une bonne couverture en matière

d’alphabétisation ; - la formation et le recrutement

d’enseignants dans tous les ordres d’enseignement ; - une redynamisation de l’enseignement

secondaire, avec de nouvelles filières et de nouvelles disciplines et l’atteinte d’un ratio élève/classe de 50 en 10e année ; - un enseignement supérieur rénové,

avec une meilleure gestion des effectifs et répondant aux exigences de la mondiali-sation (notamment le système LMD), la modernisation des infrastructures et le développement de la recherche scientifique.

L’état des lieux de ce programme montre certaines avancées, comme l’amélioration des taux de scolarisation et d’alphabétisation, la réforme du lycée, avec de nouvelles filières, la mise en œuvre du système LMD, encore en expérimen-tation dans certaines facultés. Cependant, nombreux sont les objectifs qui n’ont pas été atteints, comme la gestion des effec-tifs étudiants, qui reste disproportion-née malgré la scission de l’Université de Bamako en quatre établissements, ainsi que l’insuffisance d’enseignants et de matériels de travail à tous les niveaux. Les

difficultés rencontrées lors des premières phases ont engendré des retards dans l’ensemble de l’exécution du programme.

Le curriculum de l’enseignement fondamental

À travers le Prodec, le Mali a entamé une approche curriculaire par compé-tences, dans le but d’améliorer la qualité de son système éducatif. La Loi d’orien-tation sur l’éducation de 1999 définit le curriculum comme « l’ensemble des dis-positifs (finalités, programmes, emplois du temps, matériels didactiques, méthodes pédagogiques, modes d’éva-luation) qui, dans le système scolaire et universitaire, permet d’assurer la for-mation des apprenants ». Le curriculum intègre les besoins éducatifs fondamen-taux des apprenants, en impliquant les communautés dans la définition de ces besoins et la détermination des contenus d’apprentissage, afin de mieux lier l’école à la vie. Maiga et al. (2012) indiquent que « le curriculum de l’enseignement fon-damental a été mis à l’essai à partir de 2002. Plusieurs évaluations ont été faites et ont été soumises au forum national sur le curriculum de l’enseignement fonda-mental organisé en mars 2008. Les conclusions de ce forum, qui ont sou-ligné les difficultés, les acquis et les nou-velles orientations, ont été examinées par le Forum national sur l’éducation tenu les 30 et 31 octobre et les 1er et 2 novembre 2008. » Sa conception, sa mise à l’essai et son suivi-évaluation étaient assurés par le Centre national de l’éducation (CNE), la Direction nationale de l’éducation de base (DNEB), des partenaires techniques et financiers dans le cadre du PISE, les académies et l’ONG World Education.

Le curriculum, qui est la suite logique de la pédagogie convergente (l’utilisa-tion des langues nationales dans l’ensei-gnement fondamental), a été mis à l’essai

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dans 80 écoles à pédagogie convergente. Le niveau I (1re et 2e années) du curricu-lum a connu en octobre 2005 un début de généralisation sur 2 550 écoles, avec 11 langues nationales. Dans l’esprit du curriculum, l’accueil des enfants en 1re année se fait en langue nationale ainsi que l’essentiel de la première année. Le français est introduit en 1re année sous forme orale, comme langue de commu-nication scolaire ou langue seconde. En deuxième année, on consolide l’appren-tissage de l’écrit en langue nationale, et on apprend à lire et écrire en français. En troisième année, l’enseignement de la langue nationale comme matière doit se poursuivre jusqu’en neuvième année.

Le curriculum rencontre un certain nombre de difficultés, notamment en ce qui concerne l’utilisation des langues nationales, qui suscite des débats depuis plusieurs années, ainsi que la formation et le recrutement des enseignants, l’in-suffisance de matériels didactiques, etc. Les langues nationales sont utilisées dans l’enseignement fondamental depuis 1979, au motif que l’enfant apprend et comprend mieux et plus vite dans sa langue maternelle. Cependant, cette uti-lisation souffre de nombreuses insuffi-sances telles que les effectifs trop élevés dans les salles, la mauvaise formation des enseignants, la non adhésion des parents d’élèves, etc. Selon Loua (2016), 75 % des parents d’élèves de Bamako et 96 % des parents ayant un niveau d’études supérieures sont défavorables à l’utilisa-tion des langues nationales dans l’ensei-gnement fondamental. Le constat géné-ral révèle un échec de cette innovation, qui avait pour objectif de rehausser le niveau des écoliers maliens.

La bonne exécution du curriculum suppose d’avoir les bonnes ressources éducatives. Outre la relecture du curricu-lum et la dotation des écoles en manuels,

l’une des mesures recommandées par le forum sur l’éducation en 2008 porte sur la formation des enseignants.

L’approche par compétences

L’approche par compétences vise à développer les compétences des appre-nants en en tenant compte au moment de l’élaboration des programmes. Dans le curriculum, la compétence est définie comme étant « un ensemble de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être constatés et mesurés, permettant à une personne d’accomplir de façon adaptée une tâche ou un ensemble de tâches ». Selon Cros et al. (2010), « la conception malienne de la réforme curriculaire par compétences est fondée sur les compétences “discipli-naires”, “transversales”, “de vie”, compre-nant une approche globale et intégrée de l’apprentissage, un décloisonnement des disciplines et leur regroupement en “domaines”, un apprentissage basé sur la démarche de résolution de problèmes se fondant sur la liaison entre l’école et la vie pour donner du sens aux apprentissages scolaires ». L’enseignant change de rôle et devient un facilitateur pour l’acquisition des compétences, en créant un environ-nement favorable à l’apprentissage. L’approche par compétences a été adoptée car les résultats des apprenants maliens n’étaient plus satisfaisants depuis plu-sieurs années. À l’image de plusieurs pays de la sous-région, il fallait trouver une méthodologie d’enseignement et d’apprentissage en rapport avec les inno-vations antérieures.

Cependant, les difficultés d’applica-tion de cette réforme curriculaire par l’approche par compétences sont nom-breuses. Les enseignants dénoncent notamment l’insuffisance de formations adéquates, de matériels, de temps, de res-sources humaines. Beaucoup d’acteurs font une confusion entre la pédagogie

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convergente et l’approche par compé-tences car la convergence entre les langues nationales et le français n’est pas claire-ment élucidée. Selon Cros (2010), la non prise en compte de la réforme curriculaire dans la formation initiale des enseignants fait que les jeunes enseignants formés à l’enseignement classique se retrouvent démunis dans des écoles, sans formation par rapport à la nouvelle approche et dans des classes aux larges effectifs. La grande mobilité du personnel enseignant affecté dans les classes du curriculum et majori-tairement constitué de contractuels est une difficulté majeure, qui désorganise les écoles et fragilise la mise en œuvre du curriculum.

La réforme licence-master-doctorat (LMD)

Le Mali a institué le système LMD dans son enseignement supérieur public par le décret n° 08-790/RM du 31 décembre 2008, pour répondre aux exigences de la mondialisation en matière d’enseignement supérieur. La faculté des sciences et techniques a été choisie comme faculté pilote, avec un début de générali-sation prévu pour 2011. Naparé (2011) cite le ministre malien de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, selon lequel « la réussite du LMD dépendra de son appropriation par tous les partenaires, de l’élaboration des offres de formation, de l’amélioration des conditions de vie et de travail des ensei-gnants ». Malgré les difficultés ren-contrées au cours des trois premières années à la faculté des sciences et tech-niques, en raison de problèmes d’organi-sation et du non achèvement des années universitaires, la généralisation du sys-tème a commencé en 2011, avec la scission de l’Université de Bamako en quatre uni-versités et celle de Ségou. Chacune applique le système LMD à sa manière ;

les années universitaires ne commencent et ne terminent jamais ensemble ni au même moment pour la même université. De nombreuses difficultés de mise en œuvre, notamment l’insuffisance d’ensei-gnants, de matériels, de documents, de laboratoire, d’Internet, de formation, etc., poussent les enseignants à demander régulièrement de meilleures conditions de travail. Le cas de la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation, où le système LMD a été mis en place en 2014-2015, en est une illustration. Le système LMD n’apportera une amélio-ration de l’enseignement supérieur que si des moyens humains, matériels et finan-ciers adéquats sont mobilisés.

L’école malienne a connu plusieurs réformes et innovations pédagogiques dans le but de l’améliorer et de l’adapter aux enjeux éducatifs nationaux et inter-nationaux. Cependant, les efforts consentis pour ces réformes n’ont pas été couronnés de succès, en raison de l’immensité des besoins. Les autorités politiques et scolaires doivent œuvrer ensemble et mettre l’accent sur l’augmen-tation des taux de scolarisation, le recru-tement d’enseignants, l’amélioration de l’efficience ainsi que sur l’efficacité interne et externe des structures éduca-tives, le développement de la recherche scientifique, une meilleure gestion des ressources, le renforcement de la décen-tralisation de l’éducation. Les actions d’alphabétisation doivent être renforcées, car les taux brut et net de scolarisation sont certes satisfaisants mais encore éloi-gnés des objectifs de l’éducation pour tous. Ainsi, en 2013, le taux brut de scola-risation du Mali était de 81,5 % avec 89,1 % pour les garçons et 74 % pour les filles. Le taux net de scolarisation était de 62,1 % au niveau national avec 68 % pour les garçons et 56,4 % pour les filles. Avec une mobilisation des ressources

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humaines de qualité et une gestion effi-ciente, l’école malienne pourra atteindre ses objectifs à court, moyen et long terme. n

Seydou Loua, Université des lettres et des sciences

humaines de Bamako

Bibliographie

CROS F., DE KETELE J-M. et al. (2010) : Étude sur les réformes curriculaires par l’approche par compétences en Afrique, AFD/OIF.

DIAMBOMBA M. (1980) : La réforme sco-laire au Mali : Essai d’analyse des facteurs qui atténuent ses résultats. Québec, Université Laval/Faculté des sciences de l’éducation.

NAPARE M. D. (2011) : Le système LMD à la Faculté des sciences et techniques (FAST) de l’Université de Bamako : quelle appropriation des protagonistes et bénéficiaires, Bamako/ROCARE/UEMOA.

PRODEC (2000) : Programme Décennal de Développement de l’éducation : les grandes orientations de la politique éducative, Bamako/MEN.

SAMAKE B., KONANDJI Y., MAIGA B. (2012) : Étude relative aux réformes en cours des systèmes nationaux d’éducation et/ou de formation : les réformes curriculaires en éduca-tion, l’expérience malienne, Burkina Faso/Ouagadougou/Association pour le dévelop-pement de l’éducation en Afrique.

nnotes de lecture

Pour le management pédagogique : un socle indispensable. Connaître, éclairer, évaluer, agirAlain Bouvier Préface de Bernard Toulemonde, Berger-Levrault, 2017

Les quelque 400 pages de cet ouvrage constituent un propos riche de la bigar-rure du parcours de son auteur : théorie et pratique s’éclairent réciproquement, l’expérience internationale nourrit le regard du fin connaisseur et du praticien expert des institutions françaises de l’éducation. Cette richesse chatoyante est indissociable de la clarté d’exposition qui, à travers quatre parties intitulées « Connaître », « Éclairer », « Évaluer » et « Agir », offre un socle de connaissances, de méthodes, de références et d’expé-riences destiné à outiller ses lecteurs, et tout particulièrement les acteurs du management pédagogique de proximité. Mais tous ceux qui s’interrogent sur l’avenir de l’école à l’échelle mondiale trouveront dans cette réflexion et ce témoignage de quoi étayer leur réflexion.

Alain Bouvier cherche à faire comprendre les enjeux actuels de l’École. Dans le préambule, il affiche l’ambition de « connaître les faits, tenter de les éclairer, de les comprendre pour agir, et, pour cela, savoir les relativiser, dans le temps et dans l’espace, dans une vue systémique, distanciée et critique ». Il recour t donc à la comparaison.

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Les différences entre l’enseignement supérieur et l’enseignement scolaire per-mettent de mieux caractériser ce que cer-tains considèrent comme l’intangible originalité de ce dernier. Les données internationales aident à mieux cerner en quoi consiste précisément l’originalité française de l’enseignement scolaire, et la spécificité de chacune de ses composantes.

On pourra certes questionner, dès le premier chapitre de la première partie, une volonté démonstrative qui conduit par exemple l’auteur à opposer specta-culairement le nombre brut de fonction-naires en France et au Canada (5,45 mil-lions contre 0,257) plutôt que de comparer le taux de fonctionnaires dans la population active des deux pays (entre 20 et 25 % en France contre entre 15 et 20 % au Canada, selon l’OCDE), mais l’auteur lui- même a fort honnêtement prévenu son lecteur : « (…) toute donnée isolée, non contextualisée et non relati-visée, dissimule une tentative de mani-pulation de l’opinion par celui qui la met en avant. Dans ce qui suit, comme tout un chacun, je n’échappe pas à ce travers. »

On pourra aussi relever que l’auteur n’évoque que trois des principes du ser-vice public – « continuité », « égalité », « adaptabilité » – sans évoquer la « neu-tralité », qui constitue la quatrième loi de Rolland pour les théoriciens du service public. Peut-être aussi trouvera-t-on sévère son point de vue sur les professeurs (« ils sont moins cadres qu’un chef scout, et ils s’en satisfont ! »), même s’il s’appuie sur Edgar Morin pour qui, en 2015, « une partie d’entre eux a acquis la flemme et une autre a perdu la flamme ».

Mais ce qui frappe le lecteur décou-vrant cette radioscopie de l’école en ce début de XXIe siècle, à l’échelle mondiale comme à l’échelle locale, c’est la mise en lumière de chocs essentiels, d’enjeux

cruciaux, devant lesquels l’immobilisme du statu quo paraît absolument mortifère. Alain Bouvier montre clairement l’école d’État bousculée par les coups de boutoir de l’éducation du marché, qui effectue, en France notamment, une révolution silen-cieuse. Comment faire face à ces défis nouveaux, accentués par la révolution numérique ? Certainement pas en main-tenant le processus top-down de la bureaucratie éducative ni en pratiquant la politique prêtée à l’autruche.

Il est essentiel, comme l’indique Bernard Toulemonde dans sa préface, de faire confiance aux acteurs, en s’appuyant sur un management pédagogique de proximité qui pense réseaux, manage-ment cognitif, pilotage intellectuel, gou-vernance pédagogique, avec le souci du développement professionnel de chaque acteur. De rompre aussi avec l’exercice libéral et solitaire du métier de fonction-naire enseignant pour mener un travail collaboratif d’équipes ouvertes aux acteurs du territoire. De renoncer enfin aux faux semblants d’une école de l’égalité des chances, qui creuse les inégalités d’origine sociale entre les élèves qu’elle accueille.

Membre du Haut conseil de l’école de 2005 à 2013 puis du Comité de suivi de la loi de refondation de 2013, Alain Bouvier est parfaitement informé des évaluations de la politique éducative nationale et des résistances qui freinent cette démarche. Il fait partager à ses lecteurs cette connais-sance de l’intérieur de la boîte noire édu-cative, et ce n’est pas le moindre mérite de son livre. Il dessine six scénarios d’avenir à vingt ans pour l’école : ils vont de l’école du statu quo à la désintégration de l’école en passant par sa communautarisation, sa dématérialisation, sa marchandisation régulée, et son « uberisation ». Cela le conduit à s’interroger sur la possibilité de réformer l’école française. Quand Luigi

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Berlinguer propose de « Ré-inventer l’école »1 à partir d’innovations déjà pré-sentes mais isolées, non généralisées, Alain Bouvier s’attaque à l’immobilisme d’un système éducatif, prisonnier de questions taboues qu’il soulève allègre-ment : celles, que l’« on » n’ose jamais (se) poser à propos des élèves, des parents, des enseignants, des cadres de proximité, du système et de ses coûts. Qui est cet « on » ? Les bureaucraties ministérielles et syndi-cales, dont le partenariat repose sur ces tabous. À la fin de cette démonstration implacable, Alain Bouvier dégage dix principes pour une réforme, s’il n’est pas trop tard : un projet systémique, visant l’équité par l’individualisation, cherchant à améliorer l’efficience, privilégiant l’alternance pour la formation profes-sionnelle, intensifiant le développement professionnel des acteurs, favorisant l’implication des parents, développant la gouvernance territoriale, systématisant la publication de l’évaluation des résul-tats, reposant sur la confiance envers les acteurs, et ramenant à 20 % de ce qu’il est aujourd’hui l’effectif de l’administration centrale.

La conclusion ne peut être qu’interro-gative : « en France, des consensus sont-ils possibles sur ce que la société attend de son école ? ». C’est bien la question de fond. Les propositions pour l’école des candidats à la présidence de la République française en 2017 ont exprimé des dissensus profonds. Mais, depuis le Conseil national de la Résistance et les travaux, en 1946, de la commission minis-térielle d’étude connus sous le nom de Rapport Langevin-Wallon, ni le nouveau contrat pour l’école de 1995 ni les lois d’orientation de 1989, 2005 et 2013 n’ont

1. Berlinguer, Luigi, Réinventer l’école Une école de

qualité pour tous et pour chacun, Fabert, 2017, ouvrage dont nous rendons compte dans ce même numéro.

su, comme l’écrivait en 2003 François Dubet, porter aussi simplement et complètement qu’en 1946 « une convic-tion et une volonté : construire une école démocratique, utile aux élèves et à la nation, accueillante aux individus ».

La somme produite par Alain Bouvier, enrichie d’une solide bibliographie et d’un index pratique, est une contribution précieuse au débat politique, nécessaire en France comme dans d’autres pays. C’est aussi, par sa confiance dans l’intelli-gence collective et ses propositions concrètes de mise en œuvre, une aide à l’exercice professionnel quotidien des chevilles ouvrières d’un système éducatif en péril : les cadres intermédiaires, et, tout par t icul ièrement, les chefs d’établissement.

Jean-Pierre Véran, IA-IPR honoraire

Ré-inventer l’écoleUne école de qualité pour tous et pour chacun

Luigi Berlinguer Préface de François Dubet Éditions Fabert, 2017

L’ouvrage de Luigi Berlinguer est nourri de sa riche expérience politique, nationale et européenne, et de sa culture d’universitaire, alliant connaissance fine du système éducatif en général et des fré-missements de l’innovation en son sein, et conscience aiguë des enjeux idéo-logiques, éthiques, didactiques de l’éducation dans son pays comme à l’échelle internationale. À sa manière, François Dubet l’exprime dans sa pré-face : « Luigi Berlinguer n’est pas seule-ment un ancien ministre de l’éducation italien, un expert de l’école ayant tout vu, tout lu ou presque, c’est surtout un homme de la Renaissance. Il n’est pas

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nostalgique des Humanités du passé : il plaide pour une nouvelle Renaissance dans une Italie et une Europe qui ne regardent plus que derrière elles ».

Le titre et son sous-titre clarifient l’enjeu de cet essai : il ne prône ni restau-ration ni refondation, mais argumente pour une réinvention de l’école, conci-liant qualité, équité et personnalisation.

Dès le premier chapitre, le diagnostic est posé : « l’approche ne peut être que le dépassement d’une école désormais désuète ». Ce dépassement passe par la transformation des rôles jusqu’ici assi-gnés à l’enseignant et aux élèves. Luigi Berlinguer plaide pour un « learner cen-tred teaching », car « une école sans connaissances ni notions est une école de l’ignorance, mais avec uniquement des connaissances et des notions, ce n’est ni une école de culture ni une école de for-mation ». Est donc essentielle la création d’environnements d’apprentissage pro-jetant l’élève vers un contexte culturel, social et économique plus large que le milieu scolaire. L’élève apprend ainsi à agir de façon autonome et responsable, dans une école qui n’est plus celle de la verticalité transmissive et répétitive, mais de l’horizontalité participative.

On connaît l’argumentation des défenseurs de l’école bureaucratique cen-tralisée, focalisée sur les savoirs plutôt que sur ce que l’élève apprend : tout écart par rapport à ce modèle serait un pas vers la fragmentation et la marchandisation de l’éducation. Luigi Berlinguer répond à ces réticences en fixant pour horizon l’école comme bien commun régi par le principe de subsidiarité. Un curriculum concerté nationalement sert de cadre à l’offre édu-cative élaborée par chaque unité ou réseau d’enseignement, disposant de 15 à 30 % de l’horaire global pour encourager les vocations culturelles qui lui sont spéci-fiques. Cette flexibilité s’applique aussi

aux élèves, de manière à les éduquer au choix entre divers parcours optionnels dès le collège.

Luigi Berlinguer déploie la dialectique de la verticalité et de l’horizontalité. Il envisage ainsi de passer de cursus uniques et fermés (l’école d’hier fondée sur l’opposition entre les savoirs et la sépara-tion des matières) à des cycles ouverts et continus, marqués par la continuité et non plus la discontinuité, le dynamisme et non plus la fermeture. Ils supposent une articulation épistémologique et métho-dologique, aucune matière n’étant plus centrale, puisque c’est l’élève qui est cen-tral, non les savoirs ou les enseignants. Si la structure du cursus reste donc verticale, les méthodes et les contenus sont hori-zontaux. Cette réinvention suppose éga-lement de dépasser les antinomies entre savoir et faire, corps et esprit, déductif et inductif, pour redéfinir ce qu’est une culture.

S’appuyant sur Edgar Morin (la complexité pour surmonter la parcelli-sation des savoirs) comme sur Dewey (learning by doing), Luigi Berlinguer pro-pose donc de passer de l’école de la trans-mission à l’école laboratoire. Cette approche dynamique repose sur une didactique interdisciplinaire par pro-blèmes (problem posing, problem solving) fondée sur l’apprentissage coopératif (empowered peer education).

Il consacre un chapitre entier à l’espace et au temps de l’apprentissage. Dans l’école d’hier, la salle de cours stan-dardisée et contraignante est l’alpha et l’oméga de l’espace scolaire. Il s’agit désormais de penser un espace d’appren-tissage diversifié, sollicitant, stimulant, flexible et multiforme, en lien avec un cur-sus souple. Dans le même esprit, il substi-tue au temps scolaire rigide et non modi-fiable le temps flexible de l’apprentissage. Désormais le temps scolaire se compose

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du temps pour apprendre et du temps pour enseigner. Il regrette à ce propos une spécificité italienne : l’absence de biblio-thèque scolaire.

Luigi Berlinguer met l’accent sur deux autres spécificités italiennes à corriger : les sous estimations des cultures scientifique et musicale. Il faut donner toute leur place à ces apprentissages et en renouveler les méthodes, qui doivent être fondées, pour les enseignements scientifiques, sur la recherche et l’enquête. Rappelant que l’absence d’enseignement pratique de la musique est en opposition avec Aristote, le quadrivium médiéval et Leibnitz, Luigi Berlinguer considère la pratique musicale comme bénéfique pour l’apprentissage de l’élève et la qualité de l’éducation.

L’alphabétisation numérique est un défi essentiel de l’école à réinventer. Luigi Berlinguer s’appuie sur la notion de pro-sumer, qui caractérise les usages numé-riques où chacun est à la fois producteur et consommateur d’informations, de res-sources. Pour s’approprier la culture numérique, il ne faut pas compter sur les instruments numériques seuls, mais sur la transformation des enseignants et des élèves en prosumers.

L’heure est donc venue d’un huma-nisme nouveau, articulant humanités, culture scientifique et numérique. Les humanités classiques sont vivantes, si elles échappent à la canonisation déplorative et sont partie prenantes de la formation du citoyen.

Ce nouvel humanisme s’appuie éga-lement sur l’éducation tout au long de la

vie, en raison des liens toujours plus étroits, dans une économie de la connais-sance, entre culture et travail. Il ne s’agit pas d’asservir l’éducation à l’économie, mais de prendre en compte la relation entre formation et production.

Finalement, on peut situer l’enjeu de la renaissance de l’école dans passage de l’égalité faible (la trop fameuse égalité des chances d’accès à l’éducation) à l’éga-lité forte, celle du droit à la réussite pour tous.

Très concrètement illustré d’exemples qui montrent que la dynamique du chan-gement est présente dans l’école italienne, cet essai a le mérite de rassembler en quelques chapitres une riche expérience et une réflexion prospective sur l’école dont nous avons besoin ici et maintenant, en Italie et ailleurs. Il se démarque par son angle d’approche, révélé par le titre, d’autres essais prophétisant la déscolari-sation de la société comme Ivan Illitch en 1971, et prend le contre-pied de ceux qui déplorent « la fin de l’école » comme la cohorte des conservateurs d’une école mythifiée et lyophilisée. Pour lui, l’école est à ré-inventer, à re-créer : si l’on consi-dère que l’école répond au besoin d’apprentissages non situés dans une société, nos sociétés, à l’ère du numérique et de l’accès de tous à une scolarisation longue, ont toujours plus besoin d’école, mais d’une école plus efficace que celle héritée du siècle dernier. n

Jean-Pierre Véran, IA-IPR honoraire

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IntroductionLe pouvoir transformationnel de la musique : quelles implications pour la société ?

Emmanuel BigandInstitut universitaire de France, LEAD CNRS,

Université de Bourgogne-Franche-Comté

La musique résulte-t-elle d’une sélection adaptative ?

Il y a trente ans, la publication de l’ouvrage de Stephen Pinker How the mind works créait une petite révolution dans la société des sciences cognitives de la musique. Son auteur, directeur d’un des plus prestigieux centres de sciences cognitives1, y exposait la façon dont on pouvait comprendre l’architecture de la pensée et du cerveau humain. S’inscrivant dans le courant de la psychologie évolutionniste (Tobby et Cosmides, 1992), Pinker développait l’idée que l’évo-lution du cerveau humain a conduit à sélectionner, durant la phylogénèse, un ensemble de processus mentaux, portés par des réseaux neuronaux spécifiques, particulièrement efficients pour répondre aux questions cruciales d’adaptation à l’environnement physique et social. Ces processus constitueraient une « boîte à outils » cognitive permettant d’interagir avec nos congénères et d’évoluer dans l’environnement de façon fructueuse. Les processus qui présentent des avantages pour résoudre les grands défis adaptatifs sont retenus. L’ensemble forme l’archi-tecture de la pensée et du comportement humain. Par exemple, l’adaptation à l’environnement social impose de résoudre une équation psychologique para-doxale : collaborer avec ses congénères tout en étant en compétition avec eux. Résoudre ce type de paradoxe requiert un grand nombre d’algorithmes mentaux qui ont été, selon Pinker, progressivement implémentés dans le cerveau humain.

On sera bien sûr curieux de découvrir ce que contient cette « boîte à outils cognitifs » et si la musique en fait ou non partie. Tout un ensemble de mécanismes cognitifs (perception de la profondeur, perception trichromatique, compétence linguistique), et sociaux cognitifs (empathie, aptitude à détecter les tricheurs...) remplissent cette boîte, mais Pinker est formel : la musique n’en fait

1. Massachusetts Institute of Technology, MIT Boston.

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certainement pas partie car elle ne présente aucun avantage adaptatif. Les comportements musicaux sont superfétatoires. Ils résultent de l’utilisation ludique des outils cognitifs sélectionnés durant la phylogénèse pour répondre aux problèmes de l’adaptation. Selon la terminologie de Pinker, la musique n’est qu’une activité de détente comparable aux activités de bricolage que nous pouvons faire en utilisant des outils perfectionnés le dimanche. Selon son expression, « Music is a cheesecake »2 : si elle venait à disparaître, le cours de l’humanité n’en serait pas changé.

La proposition de Pinker a fortement impressionné la communauté scientifique de la musique car elle donnait une formulation théorique à la position largement dominante du sens commun, dont certains compositeurs, tel Alexandre Borodine, se sont fait les porte-parole, selon laquelle « la musique est une activité relaxante, à coté des activités sérieuses ». Les personnalités politiques qui ont fortement réduit l’enseignement de la musique dans les écoles, les collèges et les lycées pensaient sans doute, comme Pinker, que la disparition de la musique des institutions pédagogiques ne changerait pas le cours du développement psychologique des enfants. Que peut-on répondre à Pinker ? On pourrait bien évidemment objecter que la musique est une activité « artistique » et donc, à ce titre, qu’elle est hautement respectable. Cela ne constitue par une véritable objection : Pinker ne conteste nullement que les activités inventées par l’homme à partir des compétences de base soient hautement respectables. Il prétend simplement que le cerveau n’a pas évolué pour faciliter l’émergence de ces acti-vités artistiques et n’en n’a tout simplement pas « besoin ». Autrement dit, le cerveau n’a pas évolué pour aimer les cheesecakes. Les cheesecakes sont des inven-tions tardives qui flattent les processus gustatifs qui ont été sélectionnés durant la phylogénèse car ils résolvaient de façon avantageuse, des problèmes d’adaptation (la recherche de sucre, dans le cas présent). La musique est un cheesecake sonore et il en serait de même pour toutes les autres activités artistiques.

Combien musical est l’être humain ?

Sur le plan neuroscientifique, la conséquence logique de cette position est que les habiletés musicales reposent « nécessairement » sur des compétences mentales et des structures neuronales dévolues à d’autres fonctions. Ceci constitue d’ailleurs l’argumentation essentielle de Pinker : en comparant les liens structu-raux étroits qui existent entre la musique et le langage, l’auteur entend démontrer combien la musique détourne les compétences linguistiques de leur fonction première et « squatte » les réseaux neuronaux du langage. Par conséquent, la musique ne peut en aucun cas avoir la moindre influence sur l’habileté linguis-tique puisqu’elle lui est, en quelque sorte, inféodée. De la même façon, la musique

2. « La musique est une pâtisserie ». (NdlR)

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ne peut pas avoir d’influence structurelle sur le fonctionnement psychologique de l’individu. En toute logique également, le comportement musical devrait disparaître aussitôt que les capacités linguistiques d’un individu seraient perturbées par une pathologie cérébrale. Enfin, dans l’ontogénèse, tout comme dans la phylogénèse, les comportements musicaux devraient apparaître tardivement, et en tout cas bien après les comportements linguistiques.

Depuis 1997, les neurosciences cognitives de la musique ont accumulé des évidences scientifiques qui démontrent exactement tout le contraire. Les démonstrations les plus remarquables proviennent des études neuropsycho-logiques et des études sur le développement de l’enfant, sur lesquelles ce numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres reviendra longuement. La façon dont la pathologie désorganise le fonctionnement cérébral et les répercussions de ces désorganisations sur l’équilibre psychologique renseignent sur le fonc-tionnement normal du cerveau et de l’esprit. Entre les années 2011 et 2013, j’ai coordonné un important programme de recherche européen (EBRAMUS) sur les nouvelles perspectives thérapeutiques offertes par la musique dans le cas de pathologies cérébrales avérées. Le fait que la musique puisse offrir des recours thérapeutiques efficaces dans ce type de situations extrêmes suggère qu’elle active des processus mentaux et des réseaux neuronaux qui sont au cœur du fonction-nement psychologique des êtres humains (Bigand et Tillmann, 2015). Il est, de ce point de vue, surprenant de constater que la musique est une habileté qui est préservée lors d’atteintes cérébrales sévères et qu’elle résiste nettement mieux à ces atteintes que le langage, qui est une des compétences les plus immédiatement perturbées (Sachs, 2009). La musique apparaît de ce fait comme un moyen de remédiation efficace à de nombreuses pathologies cérébrales, telles que les maladies dégénératives (maladie de Parkinson ou d’Alzheimer). La musique contribue également à la rééducation du langage et l’on peut montrer que des patients aphasiques retrouvent par le chant une certaine fluence d’élocution : ils ne parlent plus mais ils chantent (Bigand, 2013). Qui plus est, il est également démontré que la musique est un outil de rééducation linguistique plus efficace que le langage lui-même. De façon similaire, l’apprentissage d’un instrument de musique facilite la rééducation motrice des patients après un accident vasculaire cérébral et nous avons montré que des activités musicales facilitent l’acquisition du langage chez des enfants sourds (Rochette et al., 2014).

La musique contribue également à retarder les effets du vieillissement cérébral. On montre par exemple que des jeunes seniors qui débutent le piano et le pratiquent régulièrement (plusieurs heures par semaines) amélioreront leurs performances dans des tâches de fonctions exécutives au bout de quatre mois de pratique. Cette amélioration est plus importante que pour des seniors de mêmes âges très actifs socialement mais ne pratiquant pas la musique. Chez les personnes âgées sans pathologie, la musique permet de réduire le vieillissement cognitif au même titre qu’une pratique adaptée du sport. Les effets de la musique ne s’observent pas que chez les adultes. Les observations rapportées dans les services

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de néo-natalité sont spectaculaires. Dans le service du professeur Denis Semama au Centre hospitalier universitaire de Dijon, par exemple, Solène Pignon déve-loppe des actions musicales avec des grands prématurés, qui visent à stimuler les fonctions vitales indispensables à leur survie : respiration et nutrition. Les observations montrent que chanter à voix douce des berceuses peut déclencher des reflexes de succion chez ces prématurés, qui sont indispensables pour leur nutrition mais restent très difficiles à obtenir chez des grands prématurés. La musique est largement utilisée, dans ce type de service, comme un soutien à la prise en charge médicale de ces bébés.

Les recherches actuelles conduisent donc à repenser entièrement la fonction de la musique. L’être humain « est musical », et ceci plusieurs mois même avant sa naissance. Il reste « musical » jusqu’à la fin de sa vie, comme le démontre l’efficacité des actions musicales dans de nombreux services hospitaliers en fin de vie. Les études neuroscientifiques convergent ici vers les conclusions des travaux ethnomusicologiques, qui, tels celui de John Blacking (1977), démontrent l’importance des activités musicales dans les groupes sociaux. On ne connaît pas de sociétés humaines ni de période dans l’histoire de ces sociétés, où des formes de pratiques musicales n’auraient pas existé ou auraient disparu. Conjointement, il semble difficile d’identifier une espèce animale qui présente une compétence musicale comparable à la nôtre. Il n’existe pas d’espèce, par exemple, dans laquelle les congénères sont capables de synchroniser leurs mouvements sur des sons comme dans la danse. La musique semble une compétence universelle et spéci-fique aux humains, ce qui n’est pas le cas des activités de loisir. On pourrait penser qu’il en est de même pour toutes les activités artistiques. Or, même par rapport à ces activités, la musique présente des singularités évidentes : elle est fortement résistante aux pathologies cérébrales et le bébé humain y répond, pour ainsi dire, avant même d’être né. La musique n’est donc pas « une activité artis-tique ». Sa fonction psychologique ne peut en aucun cas se réduire à une dimension esthétique. Ranger la musique dans les activités artistiques reviendrait à passer à coté de sa fonction psychologique fondamentale. Les neurosciences cognitives rejoignent ici les conclusions des ethnomusicologues. La musique est une forme de communication sociale par les sons, au même titre que le langage. Personne ne réduirait le langage à un art, même si, bien sûr, certaines formes d’expression linguistique présentent des caractéristiques esthétiques remar-quables. Il n’y a pas plus de raison de le faire pour la musique.

Pourquoi et comment cette activité s’est-elle développée chez les humains ? Comme le souligne S. Mithen (2005), les recherches archéologiques et anthropologiques ne se sont guère intéressées à cette question, tant que les enjeux théoriques n’étaient pas apparus comme évidents. En analysant plus atten-tivement les sites, il serait probablement possible d’établir une datation approxi-mative de l’émergence des activités musicale. Les flûtes récemment découvertes en Slovénie et en Allemagne, qui ont été datées de 40 et 60 000 ans avant notre ère, révèlent des caractéristiques surprenantes : les trous sont espacés de façon très

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précise pour produire des intervalles musicaux qui correspondent globalement à ceux que l’on connaît actuellement en Occident. Un tel savoir-faire résulte d’une pratique beaucoup plus ancienne que la date des instruments retrouvés. Si l’on considère que bien d’autres instruments ont pu être construits avec des matériaux plus vulnérables, on peut facilement faire remonter les activités musi-cales de type instrumental à plusieurs centaines de milliers d’année, et bien davantage encore pour les musiques orales.

L’ancienneté et l’universalité des pratiques musicales laissent donc penser que cette activité a pu répondre à des fonctions essentielles pour l’adaptation. Cette hypothèse est loin d’être nouvelle puisqu’elle fut étayée initialement par C. Darwin, dès 1871. On sait que Darwin, dont l’épouse était musicienne et mélomane, s’inter-rogeait sur la raison d’être de cette activité. Il la comparait à des activités ou des traits qui, chez l’animal, n’ont pas de raison adaptative apparente, voire qui présentent des désavantages majeurs (comme le plumage du paon). Pour quelles raisons ces traits n’ont-ils pas été progressivement éliminés ? Darwin envisage que ces traits contribuent indirectement à l’adap tation car ils confèrent un avantage pour la sélection des partenaires. La musique aurait pu initialement avoir une fonction similaire. Nos ancêtres étaient dotés d’émotion et il est fort probable que la possibilité de communiquer ses émotions et de les moduler par des sons pouvait présenter un intérêt pour la sélection du partenaire. Darwin conclut son analyse en stipulant que « […] musical notes and rhythm were first acquired by the male or female progenitors of mankind for the sake of charming the opposite sex »3. À l’opposé de Pinker, Darwin pense que les aptitudes mentales nécessaires pour faire de la musique ont pu être l’objet d’une sélection adaptative. Elles font partie de la boîte à outils et ne dépendent pas de l’existence d’autres aptitudes pour se manifester sous la forme d’un loisir. Darwin (1871) attribue d’ailleurs une antériorité à la communication sonore musicale sur la communication linguistique :

The suspicion does not appear improbable that the progenitors of man, either the

males or females, or both sexes, before acquiring the power of expressing their

mutual love in articulate language, endeavoured to charm each other with musical

notes and rythms 4.

La capacité à communiquer par des sons musicaux pourrait donc préfi-gurer des formes plus symboliques de communication, telle que le langage.

La position de Darwin reste aujourd’hui séduisante à plusieurs égards, et de nombreuses évidences compatibles avec cette théorie sont apportées par les recherches actuelles. Les observations ethnomusicologiques soulignent, par exemple, que les activités musicales s’accentuent pendant la puberté pour redevenir

3. « Les notes musicales et le rythme ont été acquis par les ancêtres mâles ou femelles de l’humanité pour charmer le sexe opposé ». (NdlR)4. « Il semble probable que les ancêtres de l’homme, qu’ils soient mâles ou femelles ou des deux sexes, avant d’acquérir la capacité d’exprimer leur amour réciproque dans un langage articulé, ont cherché à se charmer l’un l’autre par des notes musicales et un rythme ». (NdlR)

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normales lorsque les mariages sont établis. Les musiques entendues durant cette période ont un statut en mémoire tout à fait différent des musiques découvertes à d’autres périodes de la vie. Le lien entre musique et sexualité s’observe par ailleurs de façon assez nette dans de nombreuses cultures musicales. Par exemple, la samba semble provenir d’un rituel africain de procréation, durant lequel les danseurs touchaient leur nombril. Le « b » de samba serait le « b » d’« ombilicum ». Les études d’imagerie cérébrale montrent, quant à elles, que le plaisir musical intense, celui qui donne parfois des frissons dans le dos, est loin d’être un plaisir purement intellectuel. On constate en effet que les centres du réseau de la récompense, connus pour leur implications dans la satisfaction des besoins bio logiques, tels que le noyau accumbens qui décharge de la dopamine, sont activés lors de l’écoute : le plaisir musical rapporté par les auditeurs dans le scanner est proportionnel à l’activation de ce noyau accumbens et à l’intensité de la décharge de dopamine. Le prix que les auditeurs se disent prêts à payer pour pouvoir acheter les morceaux en question est lui-même corrélé à l’intensité de cette décharge (Salimpoor et al. 2011).

Pourquoi le bébé humain naît-il musical ?

La position de Darwin, pour séduisante qu’elle soit, présente une limite : elle n’explique pas pourquoi les bébés pourraient être prédisposés à traiter les structures musicales dès les premiers jours de leur existence, voire avant. On sait en effet que les nourrissons ont très rapidement la capacité de percevoir des structures musicales complexes, telles que la distance des modulations, dans le cas de la musique tonale occidentale (Trehub et Trainor, 1993). Des nourrissons de quelques jours peuvent différencier des musiques émotionnellement positive ou négative, et des fœtus gardent une mémoire fine des intervalles qui composent des chansons auxquelles ils ont été pré-exposés dans la vie intra-utérine. Si on leur représente ces chansons un an après, et qu’on a demandé aux parents de faire en sorte que leurs bébés n’y soient pas exposés durant la première année de la vie, on constate qu’ils peuvent déceler des changements de notes qui modi-fient les intervalles originaux. Les capacités des nouveaux nés pour la musique sont très sophistiquées et l’on voit mal pourquoi il pourrait en être ainsi si cela ne répondait pas à une fonction psychologique importante. Or l’une des carac-téristiques du bébé humain est de venir au monde dans un fort état d’immaturité. La prise en charge émotionnelle du bébé humain est donc un enjeu d’adaptation plus important encore que pour les autres espèces. La musique présente de nombreux avantages pour contribuer à cette prise en charge. Elle permet de réguler l’état émotionnel du nourrisson en l’informant sur l’état émotionnel de son environnement social immédiat. De nombreuses études montrent que le nourrisson utilise la communication par la musique pour médiatiser sa relation sociale avec ses proches ainsi qu’avec les adultes étrangers (Trainor, ce volume). Il est possible que sa compétence à analyser les détails du signal musical serve

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principalement à assurer cette fonction sociale. L’aptitude pour la communication émotionnelle de type musical aurait donc pu être l’objet d’une sélection adap-tative car elle présentait des avantages pour l’inscription du bébé dans son envi-ronnement social immédiat. Différents éléments empiriques ont été apportés à l’appui de cette thèse, telle que l’existence d’un parlé-chanté spécialement dédié aux nourrissons que l’on retrouve dans tous les pays du monde et qui présente des caractéristiques structurelles invariantes. De la même façon, Trehub observe que les chansons pour enfants de nombreux pays du monde présentent des traits universaux. Cette communication émotionnelle par le son pourrait également contribuer à amorcer des formes plus complexes de communication linguistique qui ne se développent que vers la fin de la première année chez le bébé.

La musique contribuerait ainsi à la formation des couples, puis à la prise en charge de l’immaturité des petits êtres qui en résultent. Ces deux seules raisons suffisent-elles pour penser que l’aptitude humaine pour la musique est biologi-quement prédéterminée ? Aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question à l’heure actuelle mais il est intéressant de constater que, dès le moment où l’on considère que la capacité de l’humain pour la musique pourrait avoir été sélectionnée à cause des avantages qu’elle procure à la communication sociale émotionnelle, il n’est plus possible de penser, comme le fait Pinker, que cette activité pourrait disparaître sans que le cours de l’humanité n’en soit fondamen-talement changé. Il y a tout lieu de penser que notre état d’être humain est en partie façonné par cette capacité à communiquer par les sons sur un mode sensible avec nos congénères. Il est également plausible que cette capacité déter-mine de nombreuses autres compétences cognitives et psychologiques, telle que l’empathie par exemple.

Le pouvoir transformationnel de la musique et ses implications pour l’éducation

La musique aurait de ce fait un pouvoir transformationnel sur l’esprit humain. Sa pratique a pu et peut donc encore entraîner de profondes modifica-tions psychologiques et neurophysiologiques. Les implications sociales de ces découvertes sont importantes tant pour le monde de la santé (Bigand et Tillmann, 2015) que pour celui de l’éducation. Ce sont ces implications éducatives que le présent numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres entend aborder. Si la musique a un pouvoir transformationnel de l’esprit, alors il convient d’en tirer des conséquences au niveau des politiques éducatives. Pour alimenter cette réflexion, nous avons choisi de confronter deux niveaux d’observation : celui des études psychologiques à petites échelles sur l’individu ou des petits groupes d’individus, et celui d’observations sociologiques à l’échelle de grands groupes sociaux. Le changement d’échelle d’observation impose inévitablement une

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rupture épistémologique, la technicité méthodologique des recherches en neuros-ciences cognitives étant nécessairement bien différente de celles des méthodes d’observation des sciences sociales et de l’éducation.

Ce numéro invite donc à une réflexion multidisciplinaire autour d’un concept central : le pouvoir transformationnel de la musique. Cette réflexion s’articule tout d’abord sur deux revues de questions neuroscientifiques. La première traite de l’impact de la musique sur la plasticité cérébrale. Laura Ferreri résume les principales études montrant qu’une pratique musicale soutenue peut modifier l’anatomie et le fonctionnement du cerveau, chez des musiciens experts, chez des enfants et des adultes qui débutent, tardivement pour ces derniers, la pratique d’un instrument ou du chant. En modifiant le cerveau, la musique se présente comme un véritable outil de stimulation cognitive, non invasif, qui peut jouer un rôle important pour la santé et l’éducation. Le second article, de Laurel Trainor, développe plus en détail l’impact de la stimulation musicale chez les nourrissons. On sait, depuis les travaux remarquables de Glenn Schellenberg au Canada, que la musique contribue aux acquisitions cognitives fondamentales de l’enfant, notamment en favorisant les acquisitions linguistiques, et au dévelop-pement de son quotient intellectuel. Lorsque les enfants sont répartis en début d’année scolaire aléatoirement dans des activités extrascolaire telles que des leçons de piano ou de chant, des cours de théâtre ou d’autres activités non spécifiées, ce sont les enfants des deux groupes musique (chant et piano) qui auront eu un développement cognitif le plus grand en fin d’année. Les enfants ayant été répartis aléatoirement dans ces activités, ce résultat ne peut pas être causé par des variables socioculturelles confondues avec la pratique de la musique. Qui plus est, l’équipe de Mireille Besson, au CNRS de Marseille, a montré, de son côté, que des enfants en situation d’échec scolaire vont davantage bénéficier d’ateliers musicaux dispensés hebdomadairement pour les aider à réduire ce déficit que ceux suivant des ateliers de peinture, alors même que ces derniers rapportent avoir un énorme plaisir à suivre les ateliers peinture. Il est donc bien acquis (voir Bigand, 2010), que la musique facilite le développement cognitif de l’enfant. Dans ce numéro, Laurel Trainor revient sur des effets bien plus inattendus de la pratique de la musique, et observés plus récemment. La musique semble favoriser également le développement des compétences psychosociales et émotionnelles de l’enfant.

Les études neuroscientifiques conduisent logiquement à anticiper des effets positifs à l’échelle sociale de la pratique musicale. Les articles suivants apportent des éclairages originaux sur cette hypothèse en abordant, à travers diffé-rents regards culturels, des situations d’apprentissage et de pratique musicale. Shantala Edge s’interroge tout d’abord sur l’impact sur la formation de la person-nalité que peuvent avoir les caractères spécifiques de l’apprentissage de la musique en Inde. La tradition maître-élève du système « Gurukula » est une méthode de formation conçue non seulement pour transmettre les connaissances et les savoir-faire techniques relatifs à la musique, mais aussi pour favoriser le développement de la personnalité globale de l’élève. Le pouvoir transformationnel de la musique

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pourrait de fait varier selon les méthodes d’apprentissage et s’intensifier dans celles qui, comme en Inde, revendiquent explicitement un engagement complet de l’indi-vidu, et pas uniquement l’acquisition d’une technique et d’un savoir-faire.

Dans d’autres cultures, l’éducation musicale est médiatisée par le groupe. En analysant les stratégies d’apprentissage en vigueur à Trinité et Tobago, Aurélie Hemlinger détaille la façon dont, dans ce type de situation d’apprentissage, le musicien apprenti doit « gagner » la musique qu’il apprend, en montrant qu’il la mérite par sa soumission aux règles sociales. La pratique de la musique est ainsi indissociable de la construction d’une personnalité sociale. Cette dimension sociale conduit à s’interroger sur la forme que doit prendre l’éducation musicale dans les cultures où les traditions musicales orales restent très actives, comme en témoigne l’article de Moussa Sy sur l’éduction musicale au Sénégal.

Les articles suivants développent plus longuement encore l’importance de la formation des compétences socio-cognitives. Les programmes de sociali-sation par la musique « El Sistema » mis en place au Venezuela par A. Abreu auprès des enfants les plus défavorisés, reposent fortement sur cette hypothèse que la musique, en mettant en progrès les individus sur le plan cognitif et socio-cognitif, va contribuer au développement de leur citoyenneté et, de fait, à leur intégration sociale. Maria Majno, qui a mis en place de tels programmes en Italie avec la contribution de Claudio Abbado, propose ici une description détaillée de leurs démarches psycho-pédagogiques, de leurs réussites et de leurs limitations. Henrik Reeh propose, quant à lui, un suivi, au sein d’une classe de trente élèves, au Danemark, des effets de la pratique musicale. L’identité au niveau de la classe constitue un cadre essentiel de la scolarité, de la vie musicale et des amitiés, et l’auteur analyse comment le mélange particulier entre le savoir musical et d’autres éléments pédagogiques a été vécu par les élèves pendant leur scolarité commune, et continue d’influencer la vie de ces élèves après les trois années passées au lycée Sainte-Anne de Copenhague. Il en ressort que la musique offre non seulement une communauté de goût, de ton et d’amitiés, qui, loin d’accentuer la concur-rence entre les individus, sert à réunir les élèves, et que cette influence perdure plusieurs années après avoir quitté le lycée. Dans l’article suivant, Denis Waleckx revient sur les intérêts institutionnels des projets d’orchestre à l’école, mis en place avec succès en France, en s’appuyant sur l’exemple du département de la Mayenne. Ces dispositifs sont assez faciles à mettre en place et présentent des avantages pour la coordination des politiques publiques et d’animation du terri-toire et la diversification des offres culturelles apportées aux enfants. Les évalua-tions de ce projet sont très positives, du point de vue de la réussite scolaire de tous les élèves, de leur insertion dans la société, de l’intégration de tous dans le projet et du développement du sens de la coopération.

Au fil des articles, il apparaît que la pratique musicale se traduit par un bouleversement cognitif, social, et identitaire des individus, qui a une influence positive sur la cohésion du groupe. Le dernier article de ce numéro souligne ainsi l’importance de la musique comme facteur de cohésion sociale, en rapportant un

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témoignage tout à fait singulier du rôle de la musique lors d’un moment déco-lonial récent en Afrique du Sud (2015-2016). Stephanus Muller décrit deux projets musicaux créés à cette occasion et permettant à des étudiants évoluant dans des environnements éducatifs contestés d’exprimer des identités anti conformistes et de créer de nouvelles formes de cohésion sociale dans des circonstances de tension et de violence particulièrement difficiles. La musique apparaît ici comme un puissant catalyseur de lien social dans des moments de forte instabilité et de mécontentement. Enfin, l’ensemble de ces articles est accompagné d’un article bibliographique, dans lequel Helène Beaucher présente plusieurs publications pertinentes pour compléter en enrichir la réflexion, dans un cadre largement interdisciplinaire, sur les effets de la musique sur le cerveau, l’individu et la société.

À l’issue de ce numéro, nous espérons que le lecteur aura pu se convaincre de l’importance neurophysiologique, cognitive et sociale des pratiques musicales qui, si elles sont encadrées de façon adaptée, contribuent au développement d’aptitudes fondamentales pour une société. Au regard des résultats actuels des neurosciences cognitives de la musique dans les domaines de l’éducation et de la santé, il nous semble aujourd’hui indispensable de repenser l’apprentissage musical, en facilitant son accès au plus grand nombre, non seulement pour les jeunes enfants, mais également pour les adultes et les seniors : une petite révolution éducative pour le monde musical, en quelque sorte.

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Musique et plasticité cérébrale*

Laura FerreriUniversité de Barcelone / Institut biomédical

IDIBELL, Barcelone

L’intérêt neuroscientifique pour la musique

La musique a une présence constante et unique tout au long de la vie humaine. À travers les siècles, de nombreux philosophes, artistes et scientifiques ont tenté de rendre pleinement compte du rôle que la musique joue dans nos vies en montrant comment elle peut influencer nos émotions, notre cognition et notre comportement. Durant les deux dernières décennies, les sciences du cerveau ont porté une attention sans précédent à la musique, de plus en plus considérée comme « la nourriture des neurosciences » (Zatorre, 2005). Quelles caractéristiques particulières de la musique intéressent-elles tant la communauté neuroscientifique ?

Dans Αρμονίκων Στοκείων (les Éléments d’harmonique), le philosophe Aristoxène (Tarente, fin du IVe siècle av. J.C.) est le premier philosophe grec à avoir affirmé que comprendre une composition musicale signifie suivre le processus de sa mélodie avec l’oreille et l’intellect. L’oreille détecte les amplitudes de la mélodie qui se succèdent, alors que l’intellect envisage les fonctions des notes à l’intérieur du système auquel elles appartiennent. Plus précisément, Aristoxène propose deux procédés principaux impliqués dans l’écoute de la musique : la mémoire, pour retenir le passé, et les sens, à savoir la perception, afin d’appréhender le présent. Cette conception intuitive, qui contrastait avec l’approche mathématique de la musique par Pythagore, était extrêmement nova-trice, à la lumière des récentes découvertes neuroscientifiques.

En effet, l’intérêt neuroscientifique pour la musique n’est pas simple-ment motivé par la possibilité fascinante de trouver les corrélations neurales de ce langage sensoriel basé sur des règles, temporellement ordonné et extrêmement complexe. Dans Musicophilia, Oliver Sacks (2007) affirme que « les humains sont une espèce musicale autant que linguistique ». À peu d’exceptions près, tout le monde peut percevoir la musique, les tonalités, le timbre, les intervalles de hauteur tonale ainsi que le rythme, les courbes mélodiques et l’harmonie. Toutes ces caractéristiques sont ensuite assemblées (la plupart du temps implicitement)

* Article traduit de l’anglais par Jane-Mary Rivière.

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à l’aide de différentes parties du cerveau et ceci est généralement accompagnée d’une réaction émotionnelle intense et profonde (Koelsch, 2014). Par conséquent, le véritable défi porté par la musique dans le domaine neuroscientifique commence à partir de preuves que la musique, en tant que stimulus auditif très complexe avec un fort impact émotionnel, implique tout le cerveau à travers un ensemble diversifié d’opérations perceptives et cognitives et donc des substrats neuronaux également divers. Comme l’étude de la physiologie et de la neurologie cérébrales est fondamentale pour comprendre le fonctionnement du cerveau, la musique est devenue un modèle très utile pour la recherche sur le cerveau relative à la perception et à la cognition, en mesure d’apporter des contributions inté-ressantes aux connaissances générales sur le cerveau : comment il fonctionne et comment il peut modifier sa structure et ses fonctions en réaction à la stimulation externe.

Qu’est-ce la plasticité cérébrale ?

On entend par plasticité cérébrale la capacité du cerveau à modifier sa structure, sa fonction et sa connectivité. Une augmentation de la plasticité céré-brale est associée à des changements multiples et dissociables du cerveau en corrélation avec des résultats comportementaux, y compris des augmentations de la longueur dendritique, des augmentations ou des diminutions dans la densité de la colonne vertébrale, la formation de synapses, une activité gliale accrue et une activité métabolique altérée. Qui plus est, ces changements peuvent se produire tout au long de la vie d’un individu et ne sont pas limités à une fenêtre critique pendant les premières années de la vie, comme on le pensait auparavant.

Il y a près de vingt ans, un groupe de chercheurs du Royaume-Uni a mené une étude très connue sur les chauffeurs de taxi londoniens, qui avaient des compétences en navigation particulièrement développées. Après avoir scanné leur cerveau par le biais de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), Maguire et ses collaborateurs (2000) ont constaté que les chauffeurs de taxi avaient un hippocampe plus volumineux, l’hippocampe étant une région du cerveau spéci-fiquement impliquée dans la formation de la mémoire, par rapport aux sujets témoins qui avaient une mémoire spatiale moins développée. De manière signi-ficative, cette étude a non seulement confirmé le rôle de l’hippocampe dans les représentations spatiales, mais a également indiqué une capacité pour des varia-tions locales de la structure du cerveau sain d’un humain adulte en réponse aux exigences environnementales. Nous savons maintenant que ces changements se produisent également après des formations courtes et que seulement quarante-cinq minutes d’entraînement sur une tâche de navigation sur un jeu vidéo semblent suff ire pour modifier la structure et la connectiv ité de l’hippocampe.

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La capacité d’induire la plasticité cérébrale est strictement lié à une pers-pective de remédiation, comme la nécessité d’une récupération fonctionnelle suite à des lésions cérébrales. En effet, le système nerveux central est capable de récupérer et d’adapter des mécanismes de compensation secondaires aux lésions (Su et al., 2016). En faisant de la remédiation pour réapprendre les tâches de base, un patient souffrant d’une lésion cérébrale traumatique peut être capable de former de nouvelles connexions cérébrales lui permettant de récupérer les capacités perdues. Plusieurs études ont donc essayé de stimuler la plasticité cérébrale en proposant des stratégies de remédiation visant à atténuer les déficits associés à des pathologies spécifiques, tels que les déficits physiques après des accidents vasculaires cérébraux ou des pathologies focales provoquant l’aphasie. Par conséquent, il est extrêmement important de comprendre ce qui peut stimuler le cerveau spécifiquement et donc modifier sa plasticité et améliorer les résultats comportementaux.

Dans ce cadre, la musique, capable de stimuler le cerveau entier, apparaît comme étant un stimulus unique. Plusieurs auteurs ont étudié les effets de la pratique et de l’écoute musicales sur les fonctions cognitives et neurales. Les données tant comportementales que de neuro-imagerie ont révélé l’ampleur et la nature plastique de la réaction du cerveau à la stimulation musicale. Dans cet article, je développerai donc deux principaux thèmes liés à la plasticité cérébrale produite par la musique : tout d’abord, l’effet de la formation musicale sur le cerveau ; ensuite, l’utilisation de la musique pour stimuler et réhabiliter les fonctions cognitives.

Musique et plasticité cérébrale

La formation musicale et le cerveau

Si la musique peut stimuler et changer l’organisation neurale, le cerveau des musiciens est-il différent de celui des non musiciens ? Plusieurs expériences sur l’expertise musicale ont grandement contribué à comprendre l’immense gamme des changements de plasticité liés à la musique.

Ouvrant les portes à la recherche sur la plasticité musicale, Ramon et Cajal affirment (voir Ramon, Cajal, Pasik et Pasik, 1999) que :

tout le monde sait que la capacité d’un pianiste [de jouer] en s’adaptant à la

nouvelle œuvre demande de nombreuses années de gymnastique mentale et

musculaire. Pour comprendre ce phénomène important, il est nécessaire

d’admettre que, parallèlement au renforcement des voies organiques préétablies,

de nouvelles voies d’accès sont créées par la ramification et la croissance progres-

sive des processus dendritique et axonal terminaux.

Jouer un instrument de musique est en effet une expérience intense, multi-sensorielle, motrice, cognitive et émotionnelle qui commence généralement à un âge précoce et exige l’acquisition et le maintien d’un ensemble de

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compétences au cours de la vie d’un musicien. La raison en est qu’une pratique musicale constante est capable de modifier l’organisation du cerveau en augmen-tant le nombre de neurones employés pour un certain processus, soutenant leur synchronisation temporelle et augmentant le nombre et la force des connexions synaptiques excitatrices et inhibitrices.

Plusieurs études par neuro-imagerie ont démontré que la pratique musi-cale est capable de modifier l’organisation du cerveau dans les cortex auditifs, somatosensoriel et moteur, chez les enfants et les adultes. En particulier, ces régions montrent généralement une augmentation du volume ou de la densité de la matière grise et une amélioration de l’organisation microstructurale de la matière blanche chez les musiciens, par rapport aux individus sans formation musicale.

Il est important de noter que la plupart des études sur l’expertise musi-cale se concentrent sur la formation musicale précoce. En effet, bien que la plasticité cérébrale soit un phénomène qui concerne la durée de vie entière, le système nerveux central présente sa malléabilité maximale durant les premières phases du développement. Pour cette raison, la formation musicale précoce, qui commence au cours de l’enfance et l’adolescence, peut avoir un bénéfice et un effet maximum sur le cerveau. Toutefois, des résultats cruciaux ont également été obtenus avec des débuts tardifs et une formation musicale courte. Par exemple, des adultes non musiciens qui ont appris à jouer une séquence à cinq doigts sur un clavier en seulement cinq jours ou à jouer au piano et à lire une partition musicale en quinze semaines ont montré une meilleure performance comporte-mentale accompagnée d’une réorganisation du cerveau cortical (voir Dalla Bella, 2016, pour une revue).

Il est intéressant de noter que l’expertise musicale peut aussi influer sur la réorganisation des régions corticales et sous-corticales essentielles pour d’autres fonctions cognitives non musicales, telles que les processus de langage, les fonctions exécutives ou les processus de mémoire. Conformément à cela, des études récentes sur le vieillissement suggèrent que les changements du cerveau liés à la pratique musicale augmentent la résistance au vieillissement cognitif. Par exemple, une étude récente sur des cojumeaux a révélé que les jumeaux qui jouent un instrument de musique étaient moins susceptibles de développer une démence et une déficience cognitive que leurs cojumeaux non musiciens (Balbag et al., 2014). Ensemble, toutes ces études suggèrent que les changements neuro-plastiques liés à la formation musicale peuvent se produire rapidement, à diffé-rents stades de la vie, et peuvent avoir des conséquences comportementales importantes sur les capacités non musicales également.

Si la formation musicale est capable de stimuler et d’induire la plasticité cérébrale facilement dans les régions impliquées dans des capacités non musicales également, il est raisonnable d’émettre l’hypothèse que non seulement la formation musicale mais aussi la simple exposition à la musique pourraient moduler les réactions cérébrales et influencer positivement les fonctions non

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musicales aux niveaux à la fois comportemental et fonctionnel. La section suivante se concentrera donc sur l’effet de l’exposition à la musique sur la stimu-lation d’autres fonctions cognitives, ouvrant ainsi des perspectives importantes pour les paradigmes de remédiation.

De la plasticité cérébrale à la stimulation et à la remédiation cognitives

Un grand nombre d’études ont révélé la façon dont la musique peut améliorer les capacités non musicales de fonctions cognitives plus perceptuelles à des fonctions cognitives supérieures et plus générales en réaction non seulement à la formation musicale, mais aussi à une simple exposition musicale. Ici, je me concentrerai sur trois processus principaux : la musique, le langage et la mémoire, afin de présenter la façon dont les changements du cerveau liés à la musique peuvent moduler la cognition et le comportement humains.

Mouvement

Un lien intrinsèque existe entre la musique et le mouvement : nous n’avons pas besoin d’être des musiciens experts pour commencer à frapper des mains, taper des pieds ou danser quand une pièce musicale commence. Au contraire, parfois, nous ne pouvons tout simplement pas nous empêcher de bouger notre corps et de suivre le rythme d’un extrait musical que nous aimons. Dans le domaine de la recherche sur la musique et les mouvements, la plupart des études ont mis l’accent sur la composante rythmique et sur la capacité des humains à se synchroniser avec une stimulation musicale donnée. Par exemple, il a été démontré que la musique, via la capacité de synchronisation avec un rythme auditif donné, peut influencer la manière et la fréquence à laquelle les sujets marchent. Au niveau neurophysiologique, un tel phénomène est connu sous le nom d’entraînement neuronal et fait référence au fait que nos oscillations neuronales internes sont capables de modifier leur fréquence pour se synchro-niser sur des oscillations (musicales) externes. Cet effet de la musique sur le cerveau et le mouvement pourrait-il améliorer les fonctions motrices altérées ? En 1996, Thaut et al. ont suggéré que la stimulation auditive rythmique pourrait être utilisée pour atténuer les déficits moteurs de la maladie de Parkinson. Ils ont comparé un groupe de patients atteints de la maladie de Parkinson suivant un programme d’entraînement à la marche à domicile basé sur une stimulation auditive rythmique avec un groupe témoin qui avait participé à un programme d’entraînement interne à son propre rythme. Après trois semaines, les patients qui s’étaient exercés avec la stimulation auditive rythmique, par rapport au groupe témoin, avaient amélioré de manière significative la vitesse de leur démarche, leur longueur de foulée et la cadence de leurs pas. Un autre axe de recherche clinique concerne la rééducation suite à un AVC, durant laquelle trois

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semaines de thérapie soutenue par de la musique avec un piano MIDI1 ou une batterie électronique ont produit des améliorations significatives des compétences globales fines associées à des changements neuraux spécifiques indiquant une meilleure connectivité corticale et une activation améliorée du cortex moteur (Altenmüller et al., 2009).

Langue

Comme Tillmann (2012) l’a évalué, la recherche en matière de cognition musicale éclaire non seulement la compréhension des processus musicaux, et linguistiques ainsi que celle d’autres stimulus structurés. En effet, la musique et le langage partagent plusieurs ressources neuronales, ce dont il est possible d’apporter la preuve tant au niveau perceptif que cognitif. Par exemple, grâce aux propriétés structurantes de la musique qui pourraient soutenir l’organisation linguistique et améliorer sa compréhension, il est plus facile d’apprendre des séquences chantées que des paroles. De même, les propriétés syntaxiques d’une structure musicale constituent un lien direct avec la langue. Dans une étude bien connue, Patel et al. (1998) ont testé la spécificité linguistique du P600, une corrélation du potentiel du cerveau lié aux événements, au traitement syntaxique. En comparant les incongruités syntaxiques dans le langage et la musique, les résultats ont révélé que les incongruités structurelles linguistiques et musicales suscitaient des incongruités statistiquement indiscernables. Ces liens bien établis entre la musique et le langage expliqueraient un effet musical positif sur les processus linguistiques non musicaux. Selon Patel (2011), cinq conditions peuvent expliquer la façon dont la musique profite au codage neuronal de la parole (l’hypothèse OPERA) : (1) le chevauchement dans les réseaux du cerveau qui traitent une caractéristique acoustique utilisée dans la musique et le discours ; (2) le fait que, en termes de précision de traitement, la musique impose des exigences plus élevées sur ces discours partagés ; (3) les fortes émotions positives suscitées par la musique ; (4) la répétition donnée par une formation musicale et (5) l’attention accrue qu’entraîne la musique.

Quant au mouvement, les caractéristiques rythmiques et mélodiques des stimuli musicaux sont utilisées dans le domaine clinique pour améliorer la performance linguistique. Un bon exemple est donné par la Melodic Intonation Therapy (MIT), un processus thérapeutique utilisé par les musicothérapeutes et les orthophonistes pour aider les patients atteints de troubles de la communica-tion causés par des lésions cérébrales. Le MIT est basé sur les observations selon lesquelles certains patients aphasiques sont aidés dans la parole s’ils doivent produire des mots chantés plutôt que dits et si le rythme est frappé avec les mains. On a démontré que la musique améliore la performance linguistique également chez les enfants dyslexiques, pour lesquels une formation musicale

1. La norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface - Interface numérique pour instruments de musique) est un protocole de communication standard qui permet de faire transiter des informations musicales d’un instrument à l’autre ou d’un ordinateur à un instrument et réciproquement. (NdlR)

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peut améliorer considérablement leurs capacités de frapper le rythme (c’est-à-dire leur capacité à reproduire des structures rythmiques) ainsi que des traite-ments auditifs et les compétences phonologiques (voir par exemple Flaugnacco et al., 2014). Dans ce cas, la valence émotionnelle positive et la synchronisation rythmique produites par la stimulation musicale peuvent expliquer l’amélioration du langage par la musique.

Mémoire

Combien d’entre nous peuvent se souvenir facilement des paroles d’une chanson, mais se sentent totalement incapables d’apprendre un poème par cœur ? Pourquoi avons-nous le sentiment que l’on peut mieux se souvenir d’une infor-mation difficile à encoder si elle est chantée, plutôt que dite ? La recherche neuro-cognitive a effectué des études très poussées sur les mécanismes qui pour-raient servir de médiateur à cette facilitation mnémonique musicale (voir Ferreri et Verga, 2016). Il a été proposé que la musique peut aider à l’encodage des sujets en raison de ses caractéristiques perceptuelles intrinsèques : la structure ryth-mique ainsi que l’organisation séquentielle des phrases musicales et des variations de mélodies peuvent jouer un rôle crucial dans la formation de la mémoire, par exemple en attirant l’attention des sujets sur les informations pertinentes à retenir ou en permettant le traitement de la manipulation profonde. En outre, il est important de souligner le pouvoir émotionnel et évocateur de la musique : un extrait musical peut être profondément évocateur en nous transportant dans sa « beauté pure » et évoquant ainsi des émotions spécifiques et des souvenirs d’évé-nements, de rencontres ou d’états d’esprit qui ne peuvent être évoqués d’une autre manière.

Cela devient particulièrement pertinent dans le domaine clinique, où l’idée qu’un extrait musical pourrait évoquer des expériences de vie particulières et des détails épisodiques connexes possibles a conduit plusieurs auteurs à enquêter sur la relation entre la musique et la mémoire, en particulier chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Par exemple, on a montré que la musique peut, à la fois, améliorer sensiblement les patients atteints d’une forme modérée de la maladie d’Alzheimer à se souvenir d’épisodes autobiographiques et réduire les niveaux d’anxiété. Par exemple, El Haj et al. (2012) ont testé les mémoires auto-biographiques de patients modérément atteints d’Alzheimer en utilisant une méthode narrative libre sous condition « silence », sous condition « musique » dans laquelle des sujets étaient exposés aux Quatre saisons de Vivaldi, et sous condition « musique choisie », dans laquelle des sujets étaient exposés à la musique de leur choix. Les résultats ont indiqué une meilleure performance sous les condi-tions « Quatre saisons » et « choisie », chacune étant plus élevée que dans la condition « silence ». En outre, observant que l’amélioration autobiographique a été également caractérisée par un perfectionnement des mots émotifs positifs, les auteurs ont conclu que la musique améliore la performance de la mémoire auto-biographique en favorisant des mémoires émotives positives.

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Ensemble, les études analysées dans le domaine du langage, du mouve-ment et de la mémoire suggèrent que la musique est un bon outil de stimulation cognitive, capable de moduler la plasticité cérébrale et de stimuler un large éven-tail de performances cognitives.

N

Le cerveau humain a la capacité inouïe – la dénommée plasticité céré-brale – de changer sa structure et sa fonction en réponse à une stimulation externe tout au long de la vie d’un individu. La musique est une présence unique tout au long de notre vie et constitue un stimulant riche et complexe capable de stimuler tout le cerveau. L’apprentissage et la pratique de la musique sont des activités multimodales impliquant des processus perceptifs, moteurs, sensoriels, émotionnels et cognitifs associés à des réseaux neuronaux complexes : plusieurs études sur les enfants et les adultes ont montré que la formation musicale courte et longue est capable de façonner la structure et les fonctions du cerveau, indui-sant ainsi des processus de plasticité cérébrale. En outre, pratiquer et écouter de la musique chez les non musiciens s’est avéré fortement capable de moduler l’activité cérébrale. Dans ce cadre, plusieurs études ont souligné que la capacité de la musique à stimuler et à modifier les fonctions du cerveau peut être employée pour améliorer d’autres capacités non musicales telles que le mouvement, le langage ou la mémoire, avec des conséquences importantes pour les interventions neuro-réhabilitatives.

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La musique chez les tout-petits

Développement émotionnel, auto-régulation et coopération sociale*

Laurel J. TrainorMcMaster University, Canada

De nombreuses pages ont été écrites sur la nature hautement sociale de l’espèce humaine. En effet, les réalisations scientifiques, technologiques et cultu-relles qui différencient les êtres humains des autres primates seraient impossibles sans une coopération poussée entre les individus. Bien que la cognition et l’émotion soient parfois envisagées comme des fonctions distinctes, la recherche fait apparaître un important chevauchement entre les réseaux cérébraux impliqués dans les processus cognitifs, émotionnels et sociaux. Nos sentiments semblent se trouver à la base de tout, de la cognition à la motivation, en passant par notre conscience de nous-mêmes. La musique est une activité humaine importante capable de susciter des réponses émotionnelles, d’influencer les interactions sociales et de favoriser la sociabilité. La musique est également très présente dans les vies des bébés et des jeunes enfants, ce qui laisse penser qu’elle remplit d’importantes fonctions de développement. Le fait de chanter des chansons aux bébés est une pratique universelle dans toutes les sociétés humaines, et les personnes qui s’occupent de nourrissons ne maîtrisant pas encore le langage utilisent la musique pour leur communiquer des émotions et les aider à réguler leur état intérieur. Les jeunes enfants semblent être naturellement désireux de coopérer avec les autres et de les aider, et ils apprennent très tôt à intérioriser les normes sociales de leur culture afin d’orienter leur comportement dans des situations sociales complexes. Dans cet article, j’explore le monde musical des tout-petits afin de révéler le rôle que peut jouer la musique dans le dévelop-pement émotionnel précoce, l’auto-régulation et la construction de relations sociales coopératives.

Musique, émotion et développement de l’auto-régulation

Ainsi que l’ont décrit de façon éloquente des chercheurs comme Antonio Damasio (2005), nos pensées et actions sont intimement guidées par nos senti-ments. Le fait d’anticiper des sentiments positifs nous motive pour atteindre

* Article traduit par Eva Loechner.

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certains objectifs, tandis que les émotions négatives nous conduisent à remédier à des situations désagréables ou nocives. Dans cette perspective, la musique est un peu une énigme. Elle peut en effet susciter des réponses affectives fortes chez les individus, manifestées par des pleurs, une gorge nouée, la chair de poule et une accélération des battements du cœur. Pourtant la musique ne concerne en général pas directement des objets ou des événements du monde, et elle ne peut pas directement nous aider à résoudre un problème dans nos vies. La musique suscite des émotions d’une façon assez différente des autres stimuli. En effet, elle ne sollicite pas réellement la totalité de la gamme des émotions humaines, et une partie au moins des réponses à la musique est davantage de nature esthétique. Par exemple, plutôt que de nous rendre malheureux, la musique triste provoque souvent un sentiment et une appréciation positifs, lorsqu’elle est ressentie comme belle et/ou poignante. D’un autre côté, le groupe dirigé par Robert Zatorre a démontré que les pics d’émotions positives suscitées par la musique sont corrélés à la libération de dopamine dans le striatum, une région du cerveau impliquée dans les processus émotionnels en général (Salimpoor et al., 2011). Ainsi, les émotions fortes induites par la musique semblent activer le cerveau de la même manière que d’autres expériences émotionnelles.

Pourquoi les êtres humains pratiquent-ils la musique ?

Pourquoi les êtres humains pratiquent-ils la musique ? De nombreuses théories ont été échafaudées pour répondre à cette question, depuis celle qui envisage la musique comme une création culturelle qui procure du plaisir au cerveau à la manière d’une drogue, en activant des circuits de récompense déjà existants, jusqu’à celle qui considère la musique comme le produit d’une adap-tation de l’espèce au cours de l’évolution, conférant des capacités de survie immé-diates (Trainor, 2015). La vérité se situe probablement quelque part entre les deux. À l’origine, la musique semble être apparue grâce à des circuits cérébraux existants qui ont évolué afin de traiter les sons de manière générale (par exemple la perception des tonalités, du rythme et des séquences vocaliques animales) et de fournir des réponses émotionnelles aux stimulations sonores (par exemple, les sons menaçants des prédateurs ou les gazouillis affectueux des parents). Cependant, en même temps que la musique s’est mise à remplir des fonctions favorisant l’adaptation et la survie de l’espèce, les effets de l’évolution ont proba-blement considérablement accru les aptitudes de l’être humain pour la musique.

Plusieurs explications ont été proposées au rôle joué par la musique dans l’adaptation de l’espèce à son environnement, conduisant à la présence de la musique dans toutes les sociétés humaines connues, passées et présentes. Si la pression de l’évolution s’est sans doute manifestée de multiples façons, les deux pour lesquelles les données de la science sont les plus claires sont (1) que la musique nous aide à réguler nos émotions, ce qui est particulièrement important

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à un stade précoce de développement, puisque les nourrissons sont très imma-tures dans ce domaine, et (2) que le fait de jouer de la musique en commun promeut la cohésion du groupe, renforce la coopération entre ses membres et, indirectement, contribue à leur survie. Dans cette partie, j’étudie le rôle que joue la musique chez les nourrissons s’agissant de leurs émotions et de la régulation de leurs états intérieurs. Dans la suivante, j’examinerai la manière dont la musique encourage la sociabilité et la socialisation à un âge précoce.

Musique et auto-régulation chez les tout-petits

De nombreuses études indiquent que, de l’adolescence à la vieillesse, les individus tendent à écouter de la musique dans un but d’auto-régulation, qu’il s’agisse de réguler leurs humeurs, de se distraire, de rediriger leur attention, de se relaxer, ou au contraire de se galvaniser et de maintenir leurs sens en éveil. La musique est également utilisée à des fins thérapeutiques dans le traitement de la dépression. L’auto-régulation représente la capacité de l’individu à contrôler ses pensées, ses émotions et son comportement. Elle requiert de sa part une aptitude à choisir dans son environnement les objets sur lesquels se concentrer, à contrôler et réguler ses niveaux d’excitation, et à inhiber les comportements inappropriés. Elle est indispensable au bon fonctionnement de l’individu dans le monde qui l’entoure. Elle est également cruciale, s’agissant des interactions sociales. Les tests évaluant les capacités d’auto-régulation mettent souvent en jeu une situation dans laquelle des enfants se voient proposer une petite récompense (par exemple, un biscuit), qu’ils peuvent obtenir immédiatement, mais également une grosse récompense (par exemple, plusieurs biscuits) s’ils acceptent d’attendre cinq minutes sans prendre l’unique biscuit. Les jeunes enfants ont beaucoup de mal à contrôler leurs impulsions dans une telle situation. Les enfants (et les adultes !) qui ne peuvent différer la gratification d’un besoin, s’empêcher de dire tout ce qui leur passe par la tête ou exploser lorsqu’ils sont en colère, ont du mal à se faire des amis, à fonctionner normalement dans un cadre scolaire ou à conserver leur emploi. Il est intéressant de noter que la capacité à s’auto-réguler est un meilleur indicateur de succès scolaire précoce que l’intelligence.

Les bébés humains sont très immatures à la naissance et ont une période prolongée de développement, comparés aux autres mammifères. Cette situation présente des avantages car la longue période de plasticité cérébrale qui en résulte leur permet d’apprendre grâce à leur environnement, et de se livrer à des jeux créatifs. En contrepartie, cette capacité d’auto-régulation est très immature chez les bébés, qui dépendent des personnes qui prennent soin d’eux pour les aider à s’auto-réguler. Sans cette assistance, par exemple, il est très difficile pour un nourrisson de se calmer, lorsqu’il est énervé. La musique, qui prend souvent la forme de berceuses chantées au bébé accompagnées d’un mouvement de bercement, est un moyen précieux pour permettre aux bébés de réguler leur état intérieur.

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Ceux qui s’occupent des bébés leur parlent et leur chantent diffé remment qu’ils ne le font avec d’autres personnes. De nombreuses études portant sur les façons de s’adresser aux tout-petits ont montré que, dans toutes les cultures, on leur parle sur un ton généralement assez aigu, avec des sonorités claires, ainsi que des schémas rythmiques et des répétitions appuyés. En effet, étant donné que les nourrissons ne comprennent pas le sens des mots, le message leur est transmis grâce à ses caractéristiques musicales ; et l’on parle d’ailleurs parfois de langage musical. Les bébés préfèrent écouter un langage qui leur est destiné que celui destiné aux adultes, surtout lorsqu’il est porteur d’émotions positives, et les personnes qui prennent soin d’eux utilisent ce type de langage pour attirer leur attention et communiquer avec eux.

Le fait de chanter des chansons à des enfants semble également une pratique universelle, quelle que soit la culture, et la simple présence d’un nour-risson suscite auprès des personnes qui prennent soin d’eux l’envie de chanter. Même dans les sociétés occidentales, où tous les adultes ne pratiquent pas le chant par ailleurs, la plupart des parents chantent des chansons à leurs bébés. En règle générale, les chansons destinées aux tout-petits sont caractérisées par un ton de voix aimant ou souriant, une tonalité aiguë, une gamme de tons rela-tivement restreinte, un tempo ralenti et un style plus conversationnel que ce que l’on rencontre dans d’autres types de chants. Par exemple, si leur bébé réagit positivement, les parents auront tendance à répéter, sur le mode de la conver-sation, des phrases ou des couplets plutôt que d’adhérer à la structure exacte de la chanson. Les parents tendent aussi souvent à remplacer les mots de la chanson par le prénom de leur bébé ou d’autres mots. Comme c’est le cas du langage, les tout-petits préfèrent écouter des chansons qui leur sont directement destinés que d’autres types de chants.

Pourquoi cette pratique de chanter des chansons aux tout-petits est-elle si répandue ? Quel rôle remplit-elle ? Comme cela a déjà été indiqué précédem-ment, la capacité des nourrissons à s’auto-réguler est très immature, et il est aisé d’observer que le chant est utilisé pour les aider à contrôler leur état intérieur. Preuve en est que les chansons destinées aux bébés peuvent être classées en deux catégories, les berceuses et les comptines (Trainor et al., 1997). Les berceuses sont utilisées lorsque les bébés sont énervés et/ou pleurent, et lorsqu’ils ont du mal à s’endormir. À l’inverse, les comptines sont utilisées pour susciter l’attention et l’éveil des nourrissons, et les placer ainsi dans l’état optimal pour être réceptifs, interagir avec les événements et les personnes importants de leur environnement (leurs parents, par exemple), et apprendre de nouvelles choses. Les recherches effectuées dans mon laboratoire montrent que les adultes interprètent les berceuses à l’aide de sons aériens, doux et apaisants, tandis que les comptines sont rendues par des sons brillants, rythmés, aux consonnes fortement accentuées. Les analyses acoustiques montrent que les mères varient davantage la gamme tonale et exagèrent davantage les sons accentués, lorsqu’elles chantent une comptine plutôt qu’une berceuse. De fait, lorsque les bébés écoutent des comptines, ils ont tendance

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à davantage concentrer leur attention sur des objets du monde environnant que lorsqu’ils écoutent des berceuses. Les chansons destinées aux bébés sont donc bien un moyen important pour les aider à réguler et contrôler leur état intérieur.

Le chant semble également plus efficace que les simples paroles pour réguler les émotions des bébés. Les mères ont tendance à davantage sourire lorsqu’elles chantent que lorsqu’elles parlent à leurs bébés, et ces derniers préfèrent les sons vocaliques aux tonalités plus joyeuses, qu’il s’agisse de paroles ou de chansons. Le chant fonctionne également mieux que la parole pour maintenir les enfants dans un état de bien-être. Dans une étude réalisée par Sandra Trehub et al. (2015), lorsque l’on place des nourrissons hors de portée de leurs parents, ils peuvent écouter des chansons pendant environ neuf minutes avant de donner des signes de détresse, tandis que cette durée n’est que de cinq minutes s’ils écoutent simplement des paroles. En outre, les chansons destinées aux bébés sont susceptibles de modifier les taux de l’hormone du stress, le cortisol. Ces chercheurs ont observé que les chants maternels augmentent les taux de cortisol chez les nourrissons dont les taux de base sont bas, mais les diminuent chez les nourrissons dont les taux de base sont élevés. Le chant apparaît donc comme un moyen efficace qu’utilisent les parents pour aider les bébés à réguler leur état intérieur.

Il est intéressant de constater que le fait d’écouter une chanson procure souvent aux nourrissons une expérience sensorielle aux multiples facettes. Lorsqu’on lui chante une berceuse, un bébé sent en général autour de lui les bras de la personne qui s’occupe de lui ; peut-être sent-il également une main lui caresser le dos, ainsi que la stimulation vestibulaire du bercement. Lorsqu’on lui chante une comptine, le bébé voit généralement le visage du parent, et peut-être le sent-il lui toucher les doigts et les orteils, en fonction des actions décrites dans la chanson. Ce genre d’expérience aide également probablement les nourrissons à développer leurs capacités d’auto-régulation. L’aspect rythmé du chant, la fami-liarité procurée par la répétition des mêmes chansons permettent au nourrisson de prévoir ce qui va se passer ensuite et de ressentir la satisfaction intrinsèque que procure une prédiction correcte. Lorsque le parent s’interrompt pendant la chanson ou marque une pause avant la note suivante, en attente peut-être d’une réaction de son bébé, cela aide probablement ce dernier à apprendre à anticiper et à tolérer qu’un besoin ne soit pas immédiatement satisfait.

Nous pouvons donc conclure que le fait de chanter des chansons à des nourrissons les aide à atteindre des états affectifs et des niveaux d’excitation optimaux, et que le chant est un des moyens qu’utilisent les parents à cet effet. Les bienfaits du chant sont peut-être plus importants encore pour les bébés à risque. Par exemple, les travaux de Standley et de son équipe ont montré que chez les bébés prématurés, le chant peut aider à stabiliser les fonctions physio-logiques telles que le rythme cardiaque et les niveaux de saturation en oxygène, ainsi que diminuer les besoins en sédation. À plus long terme, le chant et les activités musicales peuvent aider à développer de plus larges capacités d’auto-régulation, indispensables à la vie personnelle et professionnelle.

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Musique, interactions sociales et développement d’une sociabilité discriminante

Très tôt, les bébés sont des êtres sociaux. Les nouveau-nés reconnaissent le visage de leur mère, sa voix, son odeur. Quelques mois plus tard, leur attache-ment à leurs parents est évident, si l’on observe leur détresse lorsqu’ils sont séparés d’eux et leur anxiété lorsqu’on les place dans les bras d’une personne étrangère. De façon très précoce, les bébés ont également des attentes sociales envers les autres. Dans une étude célèbre, Kiley Hamlin et son équipe ont montré que, dès l’âge de six mois, les bébés ont une préférence pour des situations où un agent (par exemple, une forme triangulaire) aide un autre agent (une forme carrée) à grimper une colline, à une situation où, au contraire, un agent en empêche un autre de grimper cette même colline.

Les interactions sociales des êtres humains sont très complexes. Même si de nombreuses espèces manifestent une forme de sociabilité, Michael Tomasello (2014) et son équipe ont suggéré que la façon dont les êtres humains, dans leur enfance, interagissent socialement, diffère fondamentalement de ce que l’on rencontre chez d’autres primates, même ceux qui sont phylogénétiquement les plus proches de nous, comme les chimpanzés. Ce qui frappe particulièrement dans les interactions sociales humaines est la diversité et la complexité des moda-lités de coopération entre les individus. Cette coopération s’est probablement développée sous la pression de l’évolution. Par exemple, plusieurs individus qui coopèrent, chacun dans un rôle différent, peuvent chasser le gros gibier bien plus efficacement qu’un individu agissant seul. On pense également que les bienfaits de la coopération ont favorisé l’évolution de capacités cognitives supérieures, comme le désir d’interagir avec d’autres individus, ou la capacité à comprendre les pensées, les sentiments et les intentions d’autrui. Toutefois, parallèlement à ces bénéfices procurés par la coopération, les groupes primitifs d’homo sapiens se sont également retrouvés en compétition, forçant ainsi les individus à s’identifier et à coopérer avec les membres de leur groupe, mais pas nécessairement avec ceux de groupes étrangers (même si, bien sûr, le fait de comprendre les pensées, senti-ments et motivations des membres de groupes étrangers leur permettait de mieux rivaliser avec eux). Ce qui rend les choses encore plus complexes est que, même si la coopération est généralement une bonne stratégie à l’intérieur d’un groupe, il est inévitable qu’il s’y installe également une forme de concurrence pour la possession des ressources. C’est cela qui a conduit aux rapports complexes de coopération et de concurrence, et à la formation de hiérarchies de domination, qui sont encore évidentes au sein des sociétés humaines aujourd’hui. En outre, la création de normes de comportements socialement acceptables au sein d’une société, d’institutions de gouvernement, de moyens de faire respecter l’ordre et la loi, est probablement une conséquence de ces mêmes facteurs.

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Ce qui est remarquable, dans une perspective de développement, c’est à quel point les nourrissons et les bébés de l’espèce humaine semblent intrinsè-quement animés du désir d’aider les autres, même dans des situations où eux-mêmes n’en retirent aucun bénéfice évident. Tomasello et son collègue, Felix Warneken, ont montré que, dès l’âge de 14 mois, les bébés se comportent de façon altruiste, en aidant un expérimentateur qu’ils ne connaissent pas, sans la perspective d’une récompense, d’un mot de félicitation ni même d’un encoura-gement. Par exemple, si un expérimentateur fait tomber accidentellement un objet dont il a besoin (par exemple, un crayon pour dessiner) et essaie, sans succès, de le récupérer, on observe en général qu’un bébé aura tendance à le ramasser et à le lui rendre.

Un puissant facteur de motivation pour la coopération entre les individus

Quel est le rôle de la musique dans tout cela ? Elle semble un puissant facteur de motivation pour la coopération entre les individus. Elle est présente dans la quasi-totalité des événements collectifs importants, qu’il s’agisse des mariages, des enterrements, des fêtes, des réunions politiques, des événements sportifs ou encore des exercices militaires. De nombreux aspects des interactions sociales utilisent la communication non-verbale. À titre d’illustration, entre 12 et 18 mois, les bébés développent des facultés d’attention conjointe avec d’autres individus, en regardant par exemple dans la direction où quelqu’un d’autre regarde ou pointe du doigt, de sorte qu’ils se concentrent tous deux sur le même objet ou événement. On peut considérer ce type de comportement comme un partage d’information coopératif.

De plus, les individus se lancent fréquemment dans des actions communes et coordonnées afin d’accomplir une tâche comme, par exemple, celle de porter un objet lourd. Ces mêmes individus tendent à apprécier ceux qu’ils perçoivent comme semblables à eux-mêmes. Par exemple, un individu en appré-ciera un autre davantage s’il imite certains de ses mouvements lors d’une conver-sation, même si ces imitations sont inconscientes. Le mouvement interactionnel synchrone est un cas particulier, dans lequel les individus se meuvent en commun de façon harmonieuse. Cette synchronie interactionnelle est, en principe, difficile à réaliser car il faut pouvoir prédire à quel moment l’autre va agir ou se déplacer de telle ou telle façon. Si l’on attend que l’autre agisse, il est déjà trop tard pour être synchronisé ! En revanche, la musique est le stimulus idéal pour obtenir cette synchronie interactionnelle, grâce à son rythme régulier. Contrairement à nos cousins phylogénétiquement les plus proches, comme les chimpanzés, les êtres humains repèrent facilement le rythme de base d’un air musical, et comme ce rythme est généralement très régulier, le cerveau peut prédire quand tombera

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le prochain temps, et ainsi prévoir les mouvements à exécuter afin d’être en synchronie avec la musique (Merchant et al., 2007). Si les individus sont capables d’être en synchronie avec de la musique, ils sont également capables de l’être les uns avec les autres. Il est intéressant de constater qu’il semble exister des connec-tions privilégiées, à l’intérieur du cerveau, entre les systèmes auditifs et moteurs impliqués dans la perception du rythme, de sorte que lorsque l’on entend de la musique, cela nous donne envie de bouger à son rythme ! Dans mon laboratoire, nous avons montré qu’avant même que les bébés soient suffisamment matures sur le plan de la motricité pour bouger précisément en rythme sur de la musique, leurs systèmes auditifs et moteurs agissent en commun pour percevoir ce rythme (Phillips-Silver et Trainor, 2005).

Interagir en synchronie

De nombreuses études auprès d’adultes ont montré que le fait d’interagir en synchronie avec d’autres individus a des conséquences sociales. Par exemple, après avoir interagi en synchronie avec une autre personne, les individus disent apprécier davantage et avoir davantage confiance en cette personne que s’ils avaient agi de façon non synchrone. Et dans les jeux qui reposent sur la confiance et les alliances, les individus coopèrent plus facilement s’ils ont auparavant interagi en synchronie avec un autre joueur que si ces deux joueurs ont agi de façon non synchrone. Cela pourrait expliquer pourquoi la musique est si omni-présente dans toutes les sociétés, pourquoi les gens continuent d’aller au concert alors qu’ils pourraient écouter de la musique chez eux, pourquoi les adolescents font des goûts musicaux en commun un critère d’amitié, et pourquoi la musique joue un si grand rôle à l’école dans les activités traditionnelles des petites classes. Lorsque tout le monde chante The Clean Up Song – une comptine qui invite les enfants à ranger – tous les enfants sentent qu’ils font partie du groupe social qui doit ranger la salle de classe !

À partir de quel âge le mouvement synchrone affecte-t-il les interactions sociales ? Dans une série d’études conduites par mon laboratoire, nous avons montré que, dès l’âge de 14 mois, lorsque des bébés interagissent en synchronie avec un expérimentateur, cela les rend plus susceptibles, par la suite, de vouloir aider ce dernier (Trainor et Cirelli, 2009). Lors de ces études, une expérimenta-trice et son assistante se tiennent debout, face à face. L’assistante porte l’enfant dans un porte-bébé de sorte qu’il soit face à l’expérimentatrice. L’assistante fait office de « siège sauteur » pour le bébé. En pliant les genoux, elle fait monter et descendre le bébé en musique (la chanson Twist and Shout des Beatles). L’expé-rimentatrice, elle, danse en écoutant une piste rythmique diffusée dans ses écou-teurs. Avec certains bébés, elle danse au même rythme qu’eux, en suivant le bon tempo, mais avec d’autres, elle danse trop vite ou trop lentement. Après environ trois minutes de cette danse synchrone ou non, on teste la motivation du bébé à aider l’expérimentatrice, grâce à des tâches telles que celles utilisées par Felix

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Warneken, décrites précédemment. En l’occurrence, les bébés qui ont dansé de façon synchrone avec l’expérimentatrice se montrent bien davantage disposés à l’aider que ceux qui n’étaient pas synchronisés avec elle. De la même façon, et bien que des bébés de 9 mois ne soient pas encore capables d’aider aussi ouver-tement que ceux de 14 mois, ceux-ci se montrent plus disposés à attraper un ours en peluche qui a auparavant bougé de façon synchrone avec eux que celui qui était désynchronisé. De même, des bébés de 12 mois, qui ont déjà des attentes vis-à-vis des interactions d’autrui, expriment de la surprise lorsqu’ils voient deux adultes qui, après avoir dansé de façon non synchrone (c’est-à-dire à des tempos différents), se montrent ensuite amicaux l’un avec l’autre.

La sociabilité de l’enfant, à travers son désir d’aider, est donc dirigée envers la personne qui a dansé en synchronie avec elle. Ce n’est pas uniquement que le fait de bouger en synchronie rend les bébés généralement plus heureux et plus disposés à aider. Ils sont plus disposés à aider uniquement la personne avec qui ils ont expérimenté le mouvement synchrone, mais pas une tierce personne qui n’a pas dansé avec eux du tout. En revanche, s’ils découvrent que cette tierce personne est l’amie de quelqu’un avec qui ils ont dansé en synchronie, les bébés étendront à cette personne leur désir accru d’aider. C’est tout à fait remarquable : non seulement les bébés de 14 mois utilisent le mouvement synchrone sur de la musique pour décider à qui accorder leur confiance et leur amitié, mais ils utilisent également cette information pour décider qui inclure dans leur cercle social plus élargi. Ainsi, le mouvement synchrone rendu possible par la musique joue un rôle important dans le développement social précoce, en aidant les bébés à établir des relations de confiance et d’amitié et à construire un réseau de sociabilité.

Le rôle de la musique dans l’éducation

En résumé, les chansons chantées aux nourrissons les aident à contrôler leurs émotions et à réguler leurs états intérieurs. Cette expérience musicale prend place dans un contexte d’interactions intimes aux multiples facettes entre les bébés et ceux qui s’occupent d’eux, mettant en jeu l’ouïe, la vue, le toucher et le mouvement. Lorsqu’ils atteignent l’âge de 14 mois, l’influence du mouvement synchrone en musique sur les interactions sociales des bébés est claire, si l’on en juge par leur choix d’aider davantage les personnes avec lesquelles ils ont bougé de façon synchrone (et leurs amis) plutôt que celles qui n’étaient pas en synchronie avec eux. Ces observations suggèrent que la musique est un moyen très efficace de promouvoir le développement social et émotionnel précoce, et que les parents devraient être encouragés à interagir en musique avec leurs bébés. À titre d’illus-tration, dans une étude où nous avons assigné au hasard des couples parent-bébé dans deux types de classes, les unes proposant des activités musicales interactives, les autres faisant écouter passivement de la musique comme fond sonore à

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d’autres activités, nous avons observé une plus grande sollicitation des fonctions cérébrales musicales, cognitives et sociales chez les bébés qui se livraient à des activités musicales interactives (Tomasello, 2014). Cette recherche suggère également que les interventions musicales sont d’autant plus utiles que le nouveau-né ou le parent sont à risque (bébé né prématuré ou nécessitant des soins médicaux particuliers, mère souffrant de dépression post-partum, mère très jeune ou isolée). En outre, la capacité du mouvement synchrone à encourager la sociabilité des bébés comme des adultes suggère que la musique devrait être partie intégrante des activités des crèches et des écoles. La musique est parfois considérée comme un luxe dans le domaine éducatif ; mais notre recherche montre au contraire qu’elle est une façon naturelle, amusante et peu coûteuse de développer les capacités d’auto-régulation et de sociabilité indispensables à une vie personnelle et professionnelle réussie.

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TREHUB S. E., GHAZBAN N., CORBEIL M. (2015) : « Musical affect regulation in infancy », Annals of the New York Academy of Sciences, 1337, 186-192.

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Sciences cognitives et traditions d’enseignement oral de la musique classique indienne*

Shantala HegdeInstitut national de la santé mentale

et des neurosciences, Inde

Les musiciens ont toujours été considérés comme des modèles d’étude intéressants pour comprendre les phénomènes de neuro-plasticité (Ferreri, ce volume), et plusieurs travaux de neuro-imagerie ont montré des différences, structurelles et fonctionnelles, entre les cerveaux des musiciens et des non- musiciens. Ces effets de la musique se généralisent à d’autres domaines de fonc-tionnement du cerveau, tels que les fonctions sensorimotrices, les fonctions auditives et spatiales, les habiletés linguistiques et la mémoire (Trainor, Shahin et Roberts, 2009). La plupart de ces études ont été menées dans des pays occi-dentaux, sur des populations occidentales et sur la base de musiques occidentales. Les traditions musicales issues d’autres cultures ont jusqu’à présent été très peu explorées. Si la musique possède sans nul doute certaines caractéristiques univer-selles, il n’en demeure pas moins que les musiques issues de cultures différentes ont également des caractéristiques propres et des méthodes singulières d’ensei-gnement et d’interprétation. Dans cet article, je donnerai un aperçu de certaines des caractéristiques spécifiques de la musique classique indienne et de sa méthode d’enseignement, et je montrerai en quoi l’étude neuroscientifique de la musique classique indienne pourrait très certainement faire progresser notre connaissance et notre compréhension du fonctionnement du cerveau et de l’esprit.

La musique classique indienne : une tradition orale

La musique indienne est l’une des plus anciennes traditions musicales du monde. Elle a comme trait caractéristique d’être une tradition orale. Les râgas et les tâlas forment la base de la musique classique indienne. « Râga » est un mot sanskrit signifiant « celui qui suscite des émotions, des couleurs ». Le mot « tâla », quant à lui, désigne différentes structures rhythmiques et métriques. Il n’existe pas de pendant exact du concept de râga dans la musique occidentale,

* Article traduit par Sylvaine Herold.

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bien qu’il puisse être comparé aux gammes ou aux modes. Les râgas peuvent être considérés comme un ensemble de notes ayant des règles et des normes spécifiques régissant leur usage dans les mouvements ascendants ou descendants. Les râgas forment ainsi le cadre de l’élaboration mélodique des compositions. Dans chacune des deux traditions de musique classique indienne, à savoir celle du Nord (dite musique classique hindoustanie) et celle du Sud (dite musique classique carnatique), il existe des centaines de râgas (Jahirazboy, 1995). Les nuances complexes de l’élaboration du râga et du tâla sont transmises par tradi-tion orale. À chaque râga est associé un thème affectif, dénommé ras/rasa (un mot sanskrit qui désigne l’essence). Un même râga peut cependant évoquer plus d’une émotion et, lors de la phase d’improvisation, l’artiste est libre d’exprimer un rasa selon sa propre musicalité, tout en restant dans le cadre du râga concerné. L’expression d’un rasa est considérée comme un élément crucial de la musique classique indienne et elle peut évoluer de manière dynamique lors de l’exécution d’un râga. Dans la tradition de musique classique indienne, l’exécution des râgas évolue au fil du temps, en différentes phases. L’improvisation intervient à plusieurs niveaux : improvisation mélodique avec et sans paroles ou composi-tions établies, improvisation mélodique avec différentes permutations et combi-naisons des notes du râga, variations au sein de l’improvisation mélodique avec et sans paroles selon une certaine métrique et des cycles rythmiques complexes. Un râga n’est pas seulement un ensemble de notes distincts. Des râgas peuvent en effet comporter exactement les mêmes notes mais différer dans leur exécution et dans la manière dont ils permettent de produire différents effets esthétiques et émotionnels. Même la nature subtile d’une note peut différer, lorsqu’elle est jouée dans des râgas différents. Le processus d’assemblage des notes pour permettre la continuité musicale et faire ressortir un rasa spécifique (effet émotionnel) est bien trop subtil pour être mis sous forme écrite. Parvenir à exprimer les différents rasa-bhava (expériences émotionnelles) d’un râga donné nécessite de disposer de nombreuses connaissances et compétences, et est consi-déré comme le parangon de la virtuosité dans la musique classique indienne. La musique indienne envisage en effet les râgas comme des individus : parvenir à une juste compréhension d’un râga équivaut dès lors à étudier un individu et sa personnalité. Cela ne peut être appris que d’un guru (maître) compétent et par une pratique constante, proche d’un état de méditation.

La tradition d’enseignement maître-élève (Guru-Shishya parampara)

En tant que tradition orale, la connaissance et la formation musicales sont transmises en Inde d’un guru (maître) à un shishya (élève/disciple), et la relation entre le guru et son disciple est tenue en grand respect. Cette tradition, dénommée Guru-Shishya parampara (parampara signifie « tradition »), était la

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norme pour toutes les matières et la méthode à la base du système d’enseigne-ment indien. Cette méthode d’enseignement s’inscrivait en outre dans le système du Gurukula (littéralement « la demeure du maître »), dans lequel le disciple était tenu de vivre avec son guru pendant un certain nombre d’années, afin de parvenir à une formation complète, au-delà du simple champ des matières sélec-tionnées. Cette méthode d’enseignement est considérée comme déterminante, à la fois dans la musique classique hindoustanie et carnatique. La tradition maître-élève est une méthode de formation conçue non seulement pour transmettre les connaissances et les savoir-faire techniques relatifs à la musique, mais aussi afin de favoriser le développement de la personnalité globale de l’élève.

Dans un premier temps, le guru procède à l’évaluation de l’élève. Il décide de le prendre sous sa tutelle seulement s’il le juge apte. Ce rituel, connu sous le nom de « Ganda Bhandhan », perdure encore aujourd’hui dans les arts liés à la danse et à la musique. Par ce rituel, le guru accepte que l’élève soit formé sous sa tutelle, en attachant un fil tissé spécialement pour l’occasion au poignet de l’élève. Cette cérémonie est considérée comme un moment spirituel de bon augure, en particulier dans la tradition hindoustanie.

Dans le système du Gurukula, un même râga peut être enseigné des mois durant par le guru. Dans la tradition hindoustanie, il existe plusieurs types d’écoles de musique traditionnelles, dénommées les Gharanas. Dans certaines Gharanas orthodoxes, l’élève a interdiction de pratiquer un autre râga que celui qui est enseigné, voire d’y penser seulement. Le guru accompagne l’élève dans l’apprentissage des aspects techniques du râga, et lui enseigne également l’essence des nombreux autres aspects du râga, tels que : la manière dont il doit être exécuté, de faire l’expérience des différents niveaux de conscience au cours du processus d’exécution et d’aider le public à vivre la même expérience.

Origines de la tradition maître-élève à l’ère védique

La musique indienne tire son origine des védas et on peut retracer les débuts de la tradition maître-élève à l’ère védique (environ 5 000 ans av. J.-C.) dans la méthode védique d’enseignement des mantras. Cette méthode demeure inchangée depuis son origine. Les védas1 sont les anciens textes hindous, écrits en sanskrit. Ils sont composés de mantras (versets) et sont enseignés par un guru expert, selon une tradition orale. Le Rig Veda, le premier des quatre védas, est composé de 10 600 mantras. Le quatrième véda, le Sama Veda, est composé de 1 549 versets issus des mantras du Rig Veda (sauf pour 75 d’entre eux). La

1. Le Veda fonctionne comme un ouvrage de référence, qui a valeur normative dans tous les domaines intéressant la vie religieuse (rites, croyances) et sociale (organisation idéale de la société, éthique politique). Aujourd’hui encore, les jeunes brahmanes en apprennent par cœur de longues séquences et certains mantras (formules, prières) sont encore utilisés à l’occasion de rites domestiques (mariage, initiation, funérailles). Source : d’après J. Varenne, « Veda », Encyclopædia Universalis [en ligne] [http://www.universalis.fr/encyclopedie/veda] (NdT)

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musique classique indienne tire son origine du Sama Veda et de la manière spécifique dont il est récité, dénommée Sama Gaana. Les védas (dont le nom signifie, littéralement, la connaissance par excellence) sont également appelés « Shrutis » (ce qui signifie « ce qui a été entendu ») et considérés comme étant « Apaurusheya » (c’est-à-dire révélés aux prophètes, dénommés les Rishis). Les mantras védiques ne doivent dès lors être ni déformés ni modifiés, et ils doivent être récités d’une manière bien spécifique. Les mantras védiques relèvent tous de systèmes métriques précis, dénommés les Chandas. Chacun de ces systèmes métriques est composé d’un nombre précis de syllabes, ou « Maatras », qui correspondent au temps nécessaire pour produire une syllabe courte. Les arran-gements des maatras incorporent le rythme. Les mantras sont récités dans des tons graves, médiums ou aigus, dénommés Anudatta, Swarita et Udatta. Il est strictement stipulé que les mantras doivent être reçus verbalement avec des into-nations précises et selon leur rythme inhérent. Les mantras védiques n’ont jamais existé comme texte écrit, mais ont été transmis oralement, de génération en génération. Les védas ne peuvent dès lors être réduits à de simples textes devant être mémorisés. Ils forment en effet la base de toute la philosophie hindoue et de sa connaissance spirituelle. Le guru est donc central dans ce processus d’apprentissage et les textes védiques sont enseignés selon la tradition maître-élève.

La tradition d’enseignement et de formation maître-élève n’est pas propre à l’enseignement de la musique et s’applique également à d’autres formes d’arts, comme la danse et les quêtes spirituelles. Ce système a plus tard été repris dans d’autres traditions, telles que le bouddhisme, le jaïnisme, le zen, etc. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que la musique et les autres formes artistiques ont été intégrées, en Inde, à une configuration universitaire, avec un curriculum et des diplômes selon les différents niveaux de formation. Mais, encore de nos jours, les diplômes universitaires en musique et en arts ne constituent pas véri-tablement la référence pour évaluer la virtuosité d’un élève, et de nombreux étudiants en musique, inscrits dans des programmes d’études musicaux à l’université, perpétuent également en parallèle la tradition maître-élève, afin d’acquérir une formation musicale approfondie. De fait, presque tous les musi-ciens indiens célèbres ont été formés dans cette tradition, et aucun par le seul biais d’un enseignement universitaire.

Les progrès technologiques accomplis au cours du siècle dernier ont largement changé la donne. Les compositions musicales, ainsi que la description des structures des râgas et des mantras védiques peuvent désormais se faire sous forme écrite. L’accès facilité aux enregistrements a en outre facilité le processus d’apprentissage. L’écoute du guru ou d’autres musiciens accomplis a toujours été considérée comme une part très importante du processus d’apprentissage. Les disciples plus avancés, quant à eux, font les accompagnements pendant les concerts du guru, avant de se lancer comme musiciens indépendants. Le guru les encourage également à l’accompagner, en chantant quelques lignes de la

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composition ou en ajoutant quelques improvisations mélodiques pendant le concert. Cela représente une part importante de la méthode d’enseignement de la musique classique indienne. Dans cette tradition, il est dit que le râga se développe progressivement au sein du musicien, tandis que ce dernier évolue également avec le râga. La tradition maître-élève est donc conçue comme un processus visant à acquérir la compétence et la maîtrise des râgas et de leur exécution.

L’équivalent du concept de guru dans la tradition occidentale serait celui de mentor. La recherche en psychologie et en éducation regorge d’exemples démontrant les avantages du mentorat, qui est associé à toute une série d’effets positifs – en termes de comportements, d’attitudes, de santé, de relations, de motivation et de carrière (Eby, Allen, Evans, Ng et DuBois, 2008). Des recherches systématiques similaires spécifiques à l’enseignement de la musique en Inde font encore défaut, bien que les bénéfices mentionnés puissent être étendus à la relation guru-shishya. Dans cette relation, le guru considère qu’il est de son devoir de transmettre son savoir musical à l’élève apte. La relation qui les unit est considérée comme étant d’ordre divin et relevant du destin. Un guru ne se contente pas d’aider son disciple à acquérir les connaissances techniques, il le guide, et l’incite également à rechercher les savoirs d’autres gurus, afin de faciliter son apprentissage et le développement de ses compétences. Mais la tradition maître-élève de la musique indienne diffère peut-être du concept occidental de mentorat, en raison de facteurs socio-culturels. Il reste à étudier l’apprentissage selon cette tradition de manière systématique.

Dévotion et spiritualité dans l’enseignement de la musique classique indienne

La musique indienne, hindoustanie et carnatique, doit son développe-ment, dans la période postvédique, aux traditions saintes, qui ont accordé une grande importance à la musique et l’ont utilisée, non pas comme moyen de divertissement, de délassement mental ou de plaisir, mais comme ressource de leurs quêtes spirituelles et de leur recherche de l’extase. L’un des concepts clés des systèmes religio-philosophiques indiens est que l’origine de la création elle-même relève du « Naada », c’est-à-dire d’une sonorité mélodieuse. En parallèle, il existe également la croyance que l’univers tout entier – depuis sa création jusque dans sa perpétuation – est rythmique. Ainsi, la tonalité du Naada et le rythme sont considérés comme les clés de voûte de l’existence manifestée et sont des caractéristiques centrales de la musique. La spiritualité a toujours été une composante indissociable de la musique classique indienne. Le dénominateur commun entre différentes compositions est en effet l’expérience spirituelle du bhakti rasa (l’émotion de l’amour et de la dévotion) et du shanta rasa (l’émotion

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de paix). De fait, le « Naada Yoga »2 est une branche importante de la méta-physique en Inde. La musique a toujours été considérée comme une méthode puissante pour accéder à des expériences transcendantales, comme celle du nirvana/mukthi (le salut). En ce sens également, la musique et la spiritualité suivent des voies parallèles, à la poursuite du même dessein. Cette caractéristique de la musique indienne explique qu’elle ait besoin d’interprétations en constante évolution, et non de simples représentations de compositions fixes selon un schéma préétabli. La musique indienne entretient donc des rapports étroits avec les traditions religieuses et spirituelles. Il existe ainsi une croyance selon laquelle la musique, le musicien et l’auditeur devront se fondre à la nature, afin de ressentir la quintessence de l’expérience musicale.

La musique indienne est considérée, dans sa véritable essence, comme une voie pour atteindre le bien-être spirituel et l’élévation de l’être humain. Cela est postulé à la fois pour les artistes et pour leurs auditeurs. Cependant, même du seul point de vue des caractéristiques structurelles, les nuances raffinées du système du râga et du tâla ne peuvent être pleinement exprimées sous forme écrite. Sous l’influence du système éducatif occidental, il existe désormais des textes écrits sur les râgas et les tâlas, mais ils ne sont considérés que comme une référence ou un cadre basique, incapable de transmettre l’essence même de la musique classique indienne. Les nuances doivent nécessairement être apprises par l’observation, la compréhension et l’écoute d’un guru expert, qui détient la maîtrise de la tradition musicale. Le rôle de ce dernier est de guider le disciple, de lui permettre d’apprendre les différentes dimensions de l’élaboration des râgas et de faciliter le processus créatif de l’improvisation. La méthode d’apprentissage unique, qui consiste à imiter le professeur, à suivre son exemple avant de développer sa propre improvisation créative, est un processus qui n’a pas encore été étudié dans une perspective psychologique occidentale.

Cours et exercices de base de la musique classique indienne

Soulignons tout d’abord que l’enseignement et la formation aux impro-visations sur les râgas et les tâlas ne commencent pas dans les premiers temps de l’apprentissage. Les cours de base de musique classique indienne sont consacrés à l’apprentissage des notes et de leurs variations au sein de chaque râga. Ces cours élémentaires, dénommés « swarapatha », s’attachent à atteindre la produc-tion de « shruti » (ton) et de « swaras » (solfège) parfaits. Par la suite viennent les alankaras ou saralevarase – selon que l’on se réfère à la musique classique hindoustanie ou carnatique – qui sont des exercices, allant du plus simple au

2. Le Nada Yoga est une pratique de concentration, connue de l’hindouisme aussi bien que du bouddhisme, qui consiste à fixer l’attention sur un son que l’on peut entendre à l’intérieur des oreilles et de la tête. (Source : Wikipédia). (NdT)

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plus complexe, basés sur des permutations et des combinaisons des notes des râgas. Maîtriser cette technique est considéré comme une étape cruciale pour apprendre les compositions dans différents râgas, mais également comme le socle pour parvenir à des improvisations libres lors de l’élaboration du râga. L’élabo-ration du râga, en tant que telle, a lieu à des moments différents dans les deux traditions. Par exemple, dans la tradition hindoustanie, il y a tout d’abord la phase Aalap (la présentation initiale du râga et une improvisation libre sans métrique ni tempo fixés), puis la phase jor-jahala (une phase avec pulsation rythmique, en particulier dans les présentations instrumentales), la phase vilambit (compositions selon un cycle rythmique lent), la phase drut (compositions selon un cycle rythmique intermédiaire à rapide) et enfin la phase ati-dhrut (cycle rythmique extrêmement rapide).

La musique classique indienne est également basée sur différents tâlas (cycles rythmiques), assez complexes par nature. Les temps sont arrangés hiérar-chiquement dans les modèles de cycles rythmiques, et il existe un vocabulaire spécifique pour exprimer les différents temps et sons produits par les instruments de percussion traditionnels (Tabla, Phakwaj dans la musique classique hindous-tanie ; Mrudangam, Ghatam dans la musique classique carnatique). Le cycle rythmique d’un tâla contient un nombre spécifique de temps, qui peut varier de 3 à 128. Un tâla donné est sous-divisé en sous-unités. Des tâlas différents peuvent ainsi avoir le même nombre de temps, mais leur structure peut différer en raison de l’arrangement de leurs sous-unités. Les improvisations lors des représentations ainsi que les permutations et combinaisons au sein d’un même tâla sont donc illimitées. Le potentiel infini d’improvisation dans n’importe quel tâla ou râga ouvre ainsi un vaste champ pour le déploiement des compétences créatives de l’artiste en représentation, tout en demeurant dans le cadre de la discipline du système râga-tâla. De tels exercices, portant à la fois sur la mélodie et sur le rythme, et impliquant des contenus basés sur le vocabulaire, sont riches d’un point de vue cognitif. Ils impliquent également des calculs, des permutations et des combinaisons mathématiques complexes et ils peuvent être considérés comme des exercices cognitifs impliquant de nombreuses fonctions cognitives exécutives et de niveau supérieur.

Ainsi, les spectacles de musique indienne ne sont pas seulement des représentations (de textes musicaux tout prêts ou déjà écrits) mais des variations improvisées sur le système du râga. Il n’est malheureusement pas possible, dans le cadre du présent article, d’apporter des explications plus détaillées sur les nuances du système râga-tâla. La forme actuelle de la classification et de la formation des différents râgas et tâlas dans le système indien a été profondément influencée par les différents exercices mentaux qui étaient utilisés pour apprendre les mantras védiques. En bref, il existe onze exercices différents visant à faciliter la mémorisation de la récitation des mantras védiques : Samhita (récitation des mantras tels qu’ils sont, dans leur forme originelle), Pada, Krama, Jata, Maala, Sikha, Rekha, Dhwaja, Danda, Rathaa et Ghana. Ces méthodes se distinguent

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par leur structure de récitation des mots. Ces différentes techniques et méthodes ont permis de garder vivante la littérature védique, et ont également influencé les méthodes d’enseignement de la musique classique indienne.

Il convient ici de souligner que cette tradition de récitation, d’enseigne-ment et de formation aux védas perdure encore de nos jours en Inde et ne constitue en aucun cas un artéfact d’une histoire révolue.

Recherche en neuroscience cognitive sur la musique classique indienne

Des recherches neuroscientifiques utilisant l’imagerie par résonnance magnétique structurelle ont constaté une densité de matière grise plus élevée dans les régions du lobe préfrontal, du lobe temporal droit, de l’hippocampe et dans le cortex cingulaire intérieur, chez les prêtres védiques formés selon la tradition orale d’apprentissage des mantras védiques, comparés à un groupe témoin en bonne santé. Ces aires du cerveau interviennent dans le traitement de la mémoire verbale, de la mémoire à court terme et de la mémoire déclarative à long terme (Hartzell et al., 2016 ; Kalamangalam et Ellmore, 2014). Des études systématiques, à la fois transversales et longitudinales, seraient nécessaires afin de mieux comprendre les bases sociales et neuronales de l’enseignement musical dans la tradition indienne, qui met l’accent sur la mémoire et la création spontanée.

Une étude en imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle a été menée pour analyser les effets de la récitation du son « Om/Aum ». Ce son est considéré comme le son primordial et son apprentissage précède celui des mantras védiques. Dans la tradition Dhrupad et dans certaines Gharanas de la tradition hindoustanie, la phase initiale de l’élaboration du râga commence par ce qu’on appelle « Nom-tom alaap ». Le terme « Nom-tom » fait référence aux syllabes modifiées utilisées pour réciter « Om ». Le chant du son « Om » est également une méthode répandue de méditation. Lorsqu’il est chanté de manière efficace, cet « Om » est connu pour être associé à une sensation de vibration autour des oreilles, qui se propage via la branche auriculaire du nerf vague. Dans cette étude, des sujets sains volontaires devaient chanter les sons « Om » et « Ssss » lors de deux sessions différentes ; les résultats étaient comparés à un état de repos silencieux. On a constaté une désactivation significative dans les aires bilatérale, orbitofrontale, thalamique, hippocampale, dans le cortex cingulaire antérieur et le gyrus parahippocampique lorsque les volontaires chantaient « Om » par rapport à la session silencieuse. L’étude a également constaté une désactivation importante de l’amygdale droite lors du chant de « Om ». En revanche, lors de la tâche comparative – le chant du son « Ssss » –, on n’a constaté ni activation ni désactivation dans ces aires cérébrales. Les auteurs suggèrent que le débit sanguin réduit constaté bilatéralement dans l’hippocampe, l’amygdale

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et le gyrus cingulaire suite à la stimulation du nerf vague gauche indiquerait une médiation du nerf vague. La désactivation de l’amygdale et du système limbique témoigne d’un état émotionnel équilibré et de relaxation (Kalyani et al., 2011). C’est peut-être la première étude à faire le lien entre la neuroscience et la récitation du son « Om ».

Peu de travaux ont abordé l’expérience émotionnelle de l’auditeur au cours des différentes phases d’élaboration et d’improvisation du râga. Dans l’une d’elles, il a pu être observé que les participants qui n’étaient pas formellement formés à la musique classique indienne ont estimé que les variations émotion-nelles au sein de certains râgas étaient plus importantes que celles d’un râga à un autre. Les participants ont été non seulement capables de percevoir les nuances des différentes phases d’élaboration d’un râga, mais également d’évaluer les changements de variation émotionnelle lors de ces différentes phases. Cette étude a également souligné la liberté dont les artistes disposent, dans la tradition musicale indienne, pour faire varier l’expressivité émotionnelle associée à un râga spécifique (Hedge et al., 2012). L’instrument, le timbre et la manière dont les notes d’un râga sont abordées jouent également un rôle essentiel dans le ressenti de certaines émotions par les auditeurs occidentaux (Balkwill et Thomson, 1999).

Ces trente dernières années, les neurosciences cognitives et affectives de la musique se sont largement développées. Que ce soit de manière active ou passive, se livrer à une activité musicale provoque différents changements dans le fonctionnement et les aspects structurels du cerveau. Ces recherches permettent de faire avancer le fonctionnement du cerveau et de démontrer les bienfaits, psychologiques et physiques de la musique sur la santé globale. Elles contribuent également à la compréhension du rôle de la musique dans nos vies et ce savoir peut être mis à profit pour formuler des bonnes pratiques ou méthodes d’ensei-gnement de la musique. Malheureusement, l’essentiel de la recherche concerne la musique et l’enseignement musical occidental. Il existe donc un déficit impor-tant de compréhension des variations interculturelles, probablement en raison de la nature inhérente de la musique mais peut-être également des méthodes d’enseignement et de formation spécifiques des musiciens.

Les neurosciences cognitives considèrent la musique dans une approche modulaire – en examinant ses différents parties et caractéristiques constitutives afin de comprendre le tout. Mais l’âme de la musique classique indienne, qui consiste à faire l’expérience de l’état méditatif, de la spiritualité et des différents niveaux de conscience mériterait également d’être étudiée sous l’angle des neurosciences cognitives. Le cœur de la musique classique indienne réside dans son tout et non dans la somme de ses parties. L’improvisation et la capacité à faire ressortir une essence émotionnelle (rasa), dans le respect des règles et limites fixées par la structure du râga, sont au cœur de la musique classique indienne. Des recherches systématiques seraient nécessaires pour étudier ce processus créatif. Il serait notamment intéressant d’étudier quels aspects de l’improvisation

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musicale sont uniques et créatifs par rapport à ceux liés aux innombrables années de pratique et, dans une large mesure, à l’interprétation du guru. En outre, s’ils connaissent le râga qui va être exécuté et le tâla dans lequel s’inscrit la compo-sition, les artistes-interprètes ignorent comment l’improvisation entre artistes va se passer pendant le concert. Une communication permanente a donc lieu entre les artistes pendant l’ensemble de l’exécution3, qui mériterait également d’être étudiée.

De nombreux musiciens attribuent le processus d’improvisation créative non seulement aux années de pratique mais également à la capacité à s’oublier et à se fondre dans le râga et le tâla. L’artiste dispose d’une grande liberté, au sein même des règles du système râga-tâla, pour exprimer ses pensées créatives et transmettre des variations émotionnelles. Aucune étude visant à examiner les bases neuronales de ces improvisations spontanées n’a encore été menée.

Il nous paraît important de parvenir à une meilleure compréhension de l’importance de la tradition maître-élève dans l’enseignement musical indien. Pour cela, des études systématiques visant à comprendre les fondements psycho-sociaux et neuronaux de la méthode d’enseignement des multiples nuances des râgas ou encore la manière dont les permutations et combinaisons de notes sont mémorisées en parallèle de l’apprentissage des différentes compositions et de la capacité à improviser pourraient apporter un nouvel éclairage à notre compré-hension actuelle du rôle de la musique dans nos vies.

N

La musique classique indienne ne consiste pas seulement en une gram-maire complexe ou en une science acoustique ; elle ne se limite pas non plus à l’art de jongler avec des permutations et des combinaisons mathématiques complexes de notes et de rythmes – bien qu’elle les ait développées et y ait recours. Elle comprend l’ensemble de ces éléments, mais va bien au-delà, pour se faire l’expérience et exprimer la voix de l’esprit. On considère traditionnelle-ment que cette musique ne peut être apprise que d’un guru. La rencontre entre le guru et son disciple est prédestinée, car il ne s’agit pas seulement de transmettre les nuances techniques et esthétiques d’un art, mais également les valeurs et tout ce qui contribue à la formation d’un véritable artiste. Le guru occupe en Inde une place plus élevée que celle des parents biologiques. L’amour et le respect inconditionnels sont au cœur de la relation entre le guru et son élève. Seul un guru véritablement expert peut transmettre l’essence de la musique à un disciple digne de son apprentissage, et seul ce savoir permet d’exprimer pleinement ce qu’est la musique indienne. Dans sa véritable essence, la musique indienne origi-nelle, tout comme ses évolutions ultérieures, est considérée comme une forme

3. Dans la musique classique hindoustanie ou carnatique, il n’y a pas plus de quatre artistes dans les ensembles musicaux.

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alternative de quête spirituelle, destinée à aider les musiciens comme les audi-

teurs à accomplir leur voyage spirituel. Il semble aujourd’hui nécessaire de mener

des recherches plus poussées sur la musique classique indienne, à partir des

perspectives scientifiques actuelles, tant psychologiques que neurocognitives. Je

conclurai cet article en citant un Doha (couplet) de Saint Kabir :

Guru so aisachaahiye, sheesseykachunalayei,

Shees so aisachaahiye, Guru ko sab kuchdayei

[Le guru idéal ne doit rien attendre en retour de son enseignement au disciple.

Le disciple idéal doit vouloir tout donner au guru et se dévouer à lui.]

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Apprendre le pan, apprendre à être à Trinidad et Tobago

De l’accomplissement personnel à la construction nationale

Aurélie HelmlingerCNRS

Qu’apprend on lorsque on s’initie à la pratique du pan ? Parfois égale-ment appelé « steelpan » ou « steeldrum », cet instrument fut inventé à Trinidad et Tobago pendant la Seconde Guerre mondiale (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). Fabriqués à partir de bidons de pétrole recyclés en idiophones mélodiques et accordés sur l’échelle tempérée − comme un piano −, les pans constituent une famille percussive se déclinant du grave à l’aigu dans des orchestres appelés steelbands, aux côtés d’instruments de percussions non mélodiques (batterie, congas, idiophones frappés ou raclés). Comme toute pratique musicale, le jeu en steelband requiert une variété de compétences dans lesquelles le social, le musical et le cognitif (émotions, mémoire, motricité…) s’imbriquent étroite-ment. Les connaissances musicales stricto-sensu ne sont qu’une facette des domaines d’apprentissage développés par la pratique de la musique. Une vue d’ensemble de ce champ de compétence nécessite par conséquent une approche pluridisciplinaire. Si le présent travail s’inscrit avant tout dans le champ de l’ethnomusicologie, il puise ses ressources théoriques parmi des disciplines variées, allant de l’anthropologie à la psychologie cognitive de la musique. On tentera surtout de tirer les fils qui relient ces éléments.

Dans un premier temps, c’est à la transmission musicale en elle-même − et à ce qu’elle implique cognitivement − que l’on s’intéressera ; en second lieu, on analysera ce que l’organisation des orchestres − et de la façon dont ils répètent − développe comme compétence sociales, notamment en termes de discipline et de patience ; enfin, on montrera comment l’inscription des steel-bands dans des réseaux nationaux fait de la pratique du pan un agent politique qui non seulement a une place privilégiée dans le roman national, mais a permis un véritable transfert de rapports violents vers la pratique musicale.

Apprendre un morceau : « share the music »

À Trinidad et Tobago, les personnes souhaitant jouer du pan passent forcément − à de rares exceptions près − par le steelband, donc par un collectif. En effet, les instruments sont très rarement possédés par les musiciens, et qui veut apprendre doit se rendre dans un panyard, le lieu de répétition du steelband.

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C’est alors généralement « l’arrangeur » (le directeur musical) ou le captain (responsable du groupe) qui dirige les répétitions, et donc qui est chargé de la transmission. Ces groupes, qui jouent le plus souvent dans des compétitions nationales, en particulier celle du Panorama1, jalonnent le territoire trinidadien. Ils sont le lieu privilégié de l’apprentissage, à moins que le débutant ne s’initie − même si c’est plus rare − dans une église, ou maintenant, de plus en plus souvent, en milieu scolaire. En effet, depuis 2004, sous l’impulsion du gouver-nement, un programme appelé « Pan in the Classroom » a permis la création de steelbands dans des écoles, dirigés par des enseignants de pan ; seule une minorité d’établissement bénéficie encore de ce programme. Si les environnements reli-gieux ou scolaires diffèrent sur bien des aspects de celui des panyards, les modes de transmission ont en réalité beaucoup en commun. En particulier, ils partagent tous la caractéristique de placer d’emblée le paniste − musicien de pan − dans un ensemble orchestral.

Que ce soit au panyard, à l’église ou à l’école, la part formelle de l’ensei-gnement se résume en effet essentiellement à l’apprentissage du répertoire. Cette règle connaît toutefois une exception : l’échelle chromatique, qui peut être soit explicitement transmise, soit connue du fait que, comme elle est souvent utilisée dans la musique (Helmlinger, 2001), les panistes savent généralement à quoi ce terme se réfère. Ils apprennent donc, en principe, comment monter du grave à l’aigu sur leur instrument. Dans les écoles, certains enseignants s’attachent maintenant aussi à faire connaître des gammes diatoniques, mais cette part un peu plus théorique de la transmission est en général rapide et loin d’être systématique.

Pour ce qui est des apprentissages moteurs, c’est au fil de l’acquisition du répertoire et sans guère d’encadrement verbal que le paniste acquiert la souplesse du jeu de poignet nécessaire à la manipulation de mailloches dans un espace concave. Si un principe général peut être énoncé (jouer les notes placées à droite de la main droite, et les notes de gauche de la main gauche), le novice est en fait laissé très libre dans ses doigtés. Ses choix sont cependant influencés par l’observation des gestes de panistes expérimentés qu’un enfant trinidadien peut faire depuis l’enfance : la taille de l’instrument, qui est composé de un à douze bidons pour un musicien, rend les stratégies motrices particulièrement visibles. Si le débutant n’a pas encore la musculature adéquate, sa posture et ses choix de mouvements montrent qu’une part de transmission des savoir-faire moteurs est déjà effectuée en amont, ce qui tend à confirmer qu’une grande partie de l’apprentissage a lieu hors des situations d’enseignement formelles (Atran et Sperber, 1991). La norme technique est essentiellement déterminée par l’efficacité du geste, sa capacité à être effectué au tempo, et seules les aberrations

1. Compétition nationale associées aux festivités du carnaval. Il s’agit du principal événement musical des steel-

bands de Trinidad et Tobago. Rassemblant de 150 à 200 groupes selon les années, le nombre de musiciens oscille entre une trentaine à une centaine par steelband.

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seront relevées et corrigées : si le musicien frappe vraiment trop fort, faisant saturer la note de son instrument2 (« don’t slam the pan ! »), risquant ainsi de le désaccorder, ou s’il est bloqué par un doigté infaisable à la vitesse requise, encore que le novice n’obtienne pas forcément une aide explicite dans ce cas de figure. Lorsqu’une partie musicale nécessite une musculature qu’il n’a pas encore déve-loppée, on lui suggère parfois de se muscler, hors instrument, avec des baguettes de métal. C’est à peu près tout, pour ce qui concerne les savoirs moteurs, qui seront acquis au fil de la pratique. L’immense majorité des répétitions est consacrée à la mémorisation des pièces.

Pour la transmission, la part d’échanges inter-individuels avec un trans-metteur est réduite au strict minimum. L’orchestre étant divisé en « sections », ensemble d’instruments identiques et jouant à l’unisson, c’est à ce sous-groupe que le transmetteur s’adresse généralement, ou à son responsable, le « section leader », qui doit ensuite enseigner à ses camarades ce qu’il a appris. Outre ces séances collectives, des transmissions inter-individuelles sont très souvent néces-saires. Pour la compétition du Panorama notamment, de nombreux panistes arrivent au fur et à mesure des répétitions, et doivent alors rattrapper le morceau avec un paniste de leur section. Comme je l’ai montré ailleurs, la démonstration visuelle est essentielle à la transmission : les surfaces accordées sur l’instrument ayant une forme et une taille propres, elles ont chacune leur identité visuelle (Helmlinger, 2012). Le son est bien sûr crucial, comme toujours en musique, mais il ne suffit ici pas à enseigner, et l’aide visuelle est particulièrement efficace : les musiciens regardent la succession de gestes pour pouvoir l’imiter, et cela jusqu’à un bon niveau de pratique. Ce renfort visuel facilite probablement la mémorisation puisque ce paramètre sensoriel est connu en sciences cognitives pour sa robustesse dans ce domaine (Eysenck, 2012 ; Squire et Kandel, 2002). Certains panistes, notamment les improvisateurs, finissent bien sûr par pouvoir jouer d’oreille, mais il s’agit d’une habileté rare et admirée.

Sans base théorique, c’est en effet bien une sorte de chorégraphie, que le musicien doit retenir, lorsqu’il apprend à jouer une pièce, guidé dans son apprentissage par les gestes du transmetteur ou de ses camarades. La mémoire semble particulièrement efficace puisque les musiciens n’ont ni la possibilité de varier − comme cela peut être le cas pour les formes les plus complexes dans les traditions orales − ni l’aide de la partition (Helmlinger, 2012). Ils jouent rigoureusement par cœur. Il leur faut aussi jouer sur des instruments dont la logique sous-jacente est assez contre-intuitive, puisque contrairement à beau-coup d’instruments, les notes ne sont pas disposées linéairement du grave à l’aigu. Les contraintes d’accordage ont poussé les fabricants à éloigner les inter-valles jugés « dissonants », en particulier les secondes mineures et majeures, donc des petits intervalles, et à placer au contraire de manière adjacente préfé-rentiellement des intervalles plus grands tels que des quintes, quartes, ou tierces,

2. Lors d’une frappe très forte, la hauteur de la note est altérée.

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les octaves étant maintenant systématiquement rassemblées. Les repères musi-caux sont donc délicats à assimiler pour les panistes, ce qui contribue proba-blement à expliquer la difficulté qu’ils semblent éprouver à jouer d’oreille. Le paniste se sert donc beaucoup de son sens visuel. Avec l’expérience, toutefois, même lorsqu’il ne pousse pas, comme les plus passionnés, la curiosité jusqu’à s’instruire en théorie musicale, le paniste développe une certaine connaissance de son instrument. Sans acquérir nécessairement la capacité à jouer d’oreille, qui implique une connaissance, même non verbale, des intervalles, les processus de mémorisation semblent de plus en plus courts. Tout se passe comme si les expériences passées lui permettaient de reconnaître des figures musicales ou intervalles et d’accélérer la mémorisation, mais qu’il ne s’agissait pas d’une connaissance suffisante pour déduire une séquence motrice d’une audition musi-cale (jeu d’oreille). On peut supposer que le paniste acquiert au fil du temps de ce que les sciences cognitives appellent une mémoire implicite de son instru-ment (Eysenck, 2012 ; Squire et Kandel, 2002), facilitant la mémoire mais insuf-fisante pour le jeu d’oreille.

Dès que les panistes ont retenu la succession de notes − c’est-à-dire en quelques minutes −, la partie sera répétée en boucle avec les camarades de section ou même directement avec le reste de l’orchestre. L’une des qualités essentielles qu’ils devront développer pour cela est le sens rythmique, qui leur permettra d’honorer l’immense exigence de précision culturellement attendue dans la synchronie des frappes. Il faut répéter inlassablement les parties pour atteindre la justesse temporelle demandée et maîtriser les imbrications rythmiques complexes caractéristiques des musiques polyrythmiques : une écoute d’une grande acuité, particulièrement tournée vers les autres, s’impose. Il faut souligner qu’un steelband peut comprendre jusqu’à une centaine de musiciens, et que s’ils peuvent jouer avec un chef d’orchestre, celui-ci accompagne la musique sans réellement la diriger. L’immense précision de la coordination temporelle de l’ensemble repose essentiellement sur les capacités rythmiques culturellement développées à Trinidad et Tobago, conjuguée aux nombreuses heures de pratique pendant lesquelles le musicien adapte, par les mouvements de son corps, la logique polyrythmique à l’espace de jeu en trois dimensions des pans. Enfin, l’un des aspects les plus remarquables des performances mnésiques des panistes est qu’elles sont étroitement dépendantes du collectif. J’ai en effet pu observer les différences radicales de qualité des performances mnésiques entre des situations collectives et d’autres, où le musicien jouait seul. Une expérience inspiré de la psychologie cognitive a confirmé les observations : le jeu en groupe favorise clairement la mémoire, pour les experts comme pour les non experts (Helmlinger, 2010 ; 2012).

On voit différentes compétences se dessiner dans l’apprentissage musical en steelband. Il est intéressant de noter que toutes ces compétences s’élaborent étroitement en interaction avec les autres musiciens, elles sont construites avec et par la relation à autrui.

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Discipline et patience

Les steelbands sont apparus dans des environnements difficiles, des zones urbaines défavorisées, parmi des populations stigmatisées, pour la plupart des descendants d’esclaves africains3, artisans ou ouvriers. Imbriqués dans un système de compétitions musicales organisées à l’échelle du pays, le paniste s’insère, on l’a vu, dans un collectif. Au-delà des aspects strictement liés à l’apprentissage de l’exécution musicale, l’appartenance à cet ensemble comporte plusieurs corol-laires en terme d’organisation, qui ont un impact direct sur le comportement du musicien. D’abord, un steelband implique forcément une logistique déve-loppée. Les orchestres atteignent une centaine de musiciens. Un seul instrument peut comporter jusqu’à douze bidons entiers, en plus du « rack », la structure métallique qui les assemble. Il faut alors une quinzaine de personnes pour le soulever, un camion pour le transporter. Être membre d’un steelband, c’est donc nécessairement prendre sa place dans une organisation complexe, un réseau d’entraide. Par la force des choses, c’est une école de sociabilité.

Pour l’apprentissage musical également, le musicien doit, pour participer, établir des rapports sociaux : on doit « lui donner » la musique, pour reprendre les termes employés. Lorsqu’il s’agit d’un enseignant missionné par le programme « Pan in the Classroom », lorsque le transmetteur est l’arrangeur et qu’il est donc particulièrement motivé à ce que tout le monde apprenne efficacement pour pouvoir obtenir la meilleure interprétation possible, ou encore lorsque le trans-metteur a vraiment la fibre enseignante, l’opération se déroule en principe de façon optimale. Mais il arrive fréquemment que la transmission à l’intérieur de l’orchestre ne soit pas si simple (Helmlinger, 2011), les transmetteurs se retrouvant en position d’enseignement de façon parfois quelque peu subie. Il est fréquent qu’ils s’ingénient à se faire prier et rendent le processus de transmission plus complexe qu’il pourrait l’être. Retards, rendez-vous manqués, jeu d’esquive, démonstration trop brève… L’apprenti en steelband doit fréquemment développer des trésors de négociation, de patience. Il doit ne pas compter son temps et, le moment venu, faire preuve d’une bonne mémoire. Il doit « gagner » en quelque sorte sa musique, montrer qu’il la mérite par sa soumission aux règles sociales, fussent-elles quelque peu arbitraires. S’il lui est parfois nécessaire de protester de son sort pour obtenir gain de cause, il lui faut toutefois faire bonne figure et maintenir la cohésion de l’orchestre. S’adapter à ce contexte fait partie du parcours initiatique du novice, qui doit ainsi apprendre à apprendre, développer des trésors de diplomatie, de patience voire de fatalisme, et d’efficacité dans l’encodage. Ces qualités sont également requises dans les séances collectives. L’orchestre comprend en effet de quatre à une dizaine de sections instrumentales différentes. Celles-ci rassemblent jusqu’à une ou deux dizaines de musiciens, qui exécutent à l’unisson

3. Selon le dernier recensement (Central Statistical Office, 2011), la composition de la population de Trinidad et Tobago était la suivante : 34,22 % d’origine africaine, 35,43 % d’origine indienne, 22,8 % de métis, auxquels s’ajoutent 7,55 % de diverses minorités (caucasiens, chinois, syriens…).

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des parties musicales conjuguant la complexité des polyrythmies d’origine afri-caine et celle de la musique symphonique occidentale. Il est compréhensible qu’il soit souvent nécessaire de faire jouer parfois longuement certaines sections, sans les autres. Les panistes doivent alors patienter pour une durée indéfinie, tout en restant mobilisables à tout moment, donc sans trop s’éloigner. Parfois, le groupe joue ensemble mais répète inlassablement, des heures durant, un très court passage du morceau. L’ennui monte graduellement, et les musiciens doivent apprendre à surmonter la frustration que cette situation génère inévitablement.

En outre, le contexte des compétitions et les enjeux − prestige et finan-cier − qu’elles portent, conjugué au goût pour la parole dans ces sociétés où l’art du verbe est très valorisé (Abrahams, 1983), génère une abondance de discours parfois longs, destinés à motiver les troupes, à instiller un état d’esprit gagnant. Pour participer à un tel événement, le musicien devra également écouter doci-lement ces prises de paroles solennelles des responsables, bien qu’ils ne donnent pas toujours d’instructions très concrètes.

L’attente fait à ce point partie des répétitions qu’il est difficile de ne pas y voir une stratégie de susciter la frustration, de la part des responsables, afin d’obtenir non seulement une précision d’exécution touchant à la perfection mais l’investis-sement émotionnel maximal attendu dans l’interprétation. Les pièces Panorama, notamment, fortement associées au carnaval, se doivent d’être une explosion de joie. Lorsqu’enfin, après les efforts pour apprendre la musique, les heures d’attentes, le moment est venu de jouer, tous ensemble, au tempo voulu, sans interruption, les musiciens laissent exploser une joie de jouer sans mélange, interprètent de tout leur cœur. La formidable intensité de la satisfaction induite par cette réali-sation collective justifie enfin tous les efforts investis dans l’apprentissage.

Quoi qu’il en soit, l’expérience du steelband développe nécessairement la capacité à attendre, la discipline, la soumission à un ordre social. Du même coup, elle implique l’apprentissage d’une résistance discrète, sans rébellion. Pour mériter l’exaltant bonheur de jouer dans ce contexte, le musicien doit acquérir un auto-contrôle sans faille. Cette aptitude est un atout essentiel, dans une société où les relations de pouvoir ont conservé une dimension arbitraire probablement héritée du passé esclavagiste du pays. Les rapports sociaux de la région sont marqués par une forte hiérarchisation, et celle-ci s’observe notamment dans l’attente arbitraire qui est imposée aux individus. Ils éprouvent régulièrement le constat de P. Bourdieu (1997) :

Le tout-puissant est celui qui n’attend pas et qui, au contraire, fait attendre.

L’attente est une des manières privilégiées d’éprouver le pouvoir.

L’anthropologue K. Birth, dans son ouvrage spécifiquement dédié à la gestion du temps à Trinidad et Tobago, a finement analysé ces processus (Birth, 1999), montrant que le steelband est loin d’être l’unique lieu où l’on peut vivre cette expérience. Mais ces orchestres offrent une formidable motivation pour développer cette compétence.

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Apprentissage politique

Rien qu’à l’échelle de l’orchestre, l’organisation matérielle et musicale du steelband pour la préparation des compétitions musicales implique intrinsè-quement un jeu politique. L’ampleur de la mobilisation sociale appelle une répar-tition des rôles et des tâches qui met en jeu l’exercice du pouvoir. Être membre d’un steelband, c’est apprendre à fonctionner à cent, prendre sa place dans ce complexe social, la hiérarchie et le respect des aînés. Si certains rôles-clés sont communs à tous les groupes (arrangeur, captain, section leader…), les modes d’attribution de ces fonctions, ainsi que leur fréquence de rotation, varient beau-coup : autocratie, méritocratie, démocratie… Le paniste apprend rapidement à évoluer et à se positionner dans cette école de vie.

Mais être membre d’un steelband, c’est aussi apprendre à fonctionner à l’échelle du pays. De nombreuses recherches sur l’histoire de ces formations musicales montrent à quel point elles ont été à la fois le produit et l’un des vecteurs de la construction nationale (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). Le pan, officiellement consacré « instrument national » par le gouvernement en 1992 (Dudley, 2007), a en effet été un agent politique essentiel, en particulier depuis l’indépendance (1962), les politiciens ayant rapidement perçu son caractère emblématique : invention locale, fabriqué à partir d’un objet de récupération, issu des bas quartiers, apparu en contexte oppressif (harcèlement policier)… La pratique du pan fut donc rapidement investie par un interventionnisme politique très actif. Les premières mesures furent mises en place dès le début des années 1950, afin de pacifier les rapports entre les groupes, dont les rivalités pouvaient provoquer des bagarres sanglantes lors du carnaval. La génération des pionniers était en effet issue d’un milieu très proche de la délinquance et avait une image déplorable dans le pays (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). L’une des initiatives les plus importantes fut d’encourager la création d’une association nationale des steelbands, dont Pan Trinbago est l’héritière aujourd’hui.

Cette association est en elle-même un véritable organe de politique nationale des steelbands. Chaque groupe membre participe à l’élection des repré-sentants, régionaux ou nationaux. Entièrement financée par le gouvernement, l’association a pour tâche principale d’organiser les compétitions, et notamment la fameuse compétition du Panorama. Les compétitions musicales créent une arène nationale, dans laquelle les groupes se mesurent chaque année, mettant en jeu une hiérarchie constamment renouvelée, un véritable réseau de sociabilité. Il existe une vie politique parallèle à la vie musicale, avec des campagnes élec-torales aux enjeux relativement importants : le bureau exécutif − salarié à plein temps en plus de divers avantages en nature − gère un budget qui se compte en millions4. Il existe donc des professionnels de la politique des steelbands et le

4. En 2011, il était de 25 millions de TT$ (3,2 millions €). En 2016, il était de 30 millions de TT$, après être monté jusqu’à 34 millions de TT$ (4,4 millions €) en 2015 (Trinidad Express Newspapers, 2011, 2016).

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musicien, même s’il n’a la plupart du temps pas voix au chapitre, puisque seuls deux membres par groupe ont le droit de vote, n’est en général pas sans opinion sur la gouvernance. Par sa participation musicale, le musicien intègre de fait un modèle réduit de politique nationale, avec les mêmes jeux politiques et les mêmes risques en termes de corruption, d’injustice. Il apprend à explorer l’éventail des possibles qui existent entre la soumission et la résistance : passivité, désappro-bation en contexte privé, protestation publique, manifestation et action politique (Loublon, 2017).

N

L’intégration dans un steelband développe chez le paniste, une variété de compétences cognitives et sociales ; la musique se réalisant − dans sa trans-mission comme dans toute performance − en une forme de sociabilité. Elle implique à Trinidad et Tobago un investissement souvent discontinu, car lié au carnaval, mais assez chronophage, lorsque le processus d’apprentissage d’un répertoire est en cours. Pour qu’un tel coût soit consenti, le participant doit être attiré par une gratification particulièrement motivante. La transmission culturelle des steelbands semble en effet bénéficier d’une attractivité remarquable, si l’on en croit leur prolifération fulgurante depuis leur création. En un peu plus de sept décennies, ils ont été adoptés par de nombreux pays, et sur tous les conti-nents. Pour reprendre les termes proposé par Olivier Morin (2011), l’attrait d’un phénomène culturel peut être cognitif (facilité de transmission, de reproduction) ou motivationnel (faisant appel à « des émotions, ou des mécanismes de décision, qui nous poussent à la reproduire »). La pratique collective des pans semble offrir un parfait équilibre entre les deux. Les avantages pour la mémorisation facilitent la transmission (Helmlinger, 2012), et l’interprétation très chorégraphique de la musique − en particulier l’heure de gloire de la compétition du Panorama, humblement qualifiée de « greatest show in the world » − suscite l’enthousiasme des participants, et maintient une motivation à toute épreuve.

Ces phénomènes contribuent à expliquer pourquoi les steelbands s’implantent dans des contextes très divers, y compris dans des milieux difficiles, où ils connaissent un succès remarquable. Les exemples abondent : le phénomène semble valable aussi bien à Trinidad et Tobago, où ils ont en premier lieu joué un rôle pacificateur (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2008), qu’aux États-Unis, où ils ont été utilisés par des travailleurs sociaux, dès les années soixante, auprès de jeunes de quartiers comme Brooklyn (Smith, 2012). Plus récemment, ce type d’initiative a été engagé en France. Un steelband a ainsi été initié pour des adoles-cents évoluant en SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) depuis 2010 à La Courneuve5, et depuis 2016 à Marigot (Saint Martin)6.

5. Alain Rouaud, communication personnelle.6. Claudie Donne, communication personnelle.

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Dans la région nantaise, une initiative plus ambitieuse a été lancée en 2008, intégrant la pratique du pan dans le cursus scolaire ; actuellement, treize classes de REP (réseau d’éducation prioritaire) de CM1-CM2 sont concernées, soit 254 élèves7. Des initiatives ponctuelles ont également lieu en milieu carcéral8, avec un succès frappant. À la suite du stage à la prison centrale de Poissy en 2004, les détenus − pourtant condamnés à des peines lourdes et connaissant donc des problèmes de sociabilité particulièrement aigus − ont pris l’initiative de rédiger un document collectif, pour tenter d’obtenir la pérennisation de l’acti-vité : du jamais vu, selon les gardiens, qui avaient pourtant observé les effets d’une grande variété d’activités9. Un signe de la formidable adhésion que peut susciter la pratique du steelband et de son rôle socialisant.

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7. Jean-François Fourichon, directeur de la Maison des Arts de Saint-Herblain, communication personnelle.8. Différentes initiatives ont été réalisées : à la maison d’arrêt du Val d’Oise en 2003, à la prison centrale de Poissy en 2004, à la maison d’arrêt de la Santé, Paris 2010 (Alain Rouaud, communication personnelle), et également à la maison d’arrêt de Laval en 2015 (Jean Duval, communication personnelle).9. Alain Rouaud, communication personnelle.

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LOUBLON M. (10/01/2017) : « Pan in disharmony as players meet », Trinidad Express Newspaper. [https://goo.gl/wrjpRa]

Trinidad Express Newspapers (2011, mars 12) : « Pan Trinbago takes lion’s share ». [https://goo.gl/dhTH1r]

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Musiques et identités sénégalaises

Moussa SyProfesseur d’éducation musicale, Sénégal

Il ne fait pas le moindre doute qu’il n’existe sur la terre aucun peuple

plus naturellement sensible au son de la musique que celui-ci (peuple

de la Sénégambie) ; les principaux personnages (c’est-à-dire les rois et les chefs)

la considèrent vraiment comme un ornement de leur État, si bien que

la musique fait rarement défaut lorsque nous leur rendons visite.

Richard Jobson,

The discovery of River Gambra (1623)

Place et rôle de la pratique musicale dans la société traditionnelle sénégalaise

En Afrique, la pratique musicale accompagne depuis toujours toutes les activités humaines. Le chroniqueur sénégalais Yoro Diaw (1847-1919), dans Les Cahiers de Yoro Diaw, signale que les rois et les chefs de provinces avaient des fara, dont le rôle était de jouer de la musique. Certains instruments servaient d’insignes aux autorités dans l’ancien empire du Djoloff, comme les dioung-dioung (grands tambours bifaces), qui étaient fabriqués pour les empereurs et vice-rois des différentes provinces.

La musique traditionnelle animait les travaux des champs et plongeait le peuple dans les rêveries avec les khalam (guitare de quatre à cinq cordes), riiti (violon monocorde des bergers) ou autres thokoro (flûte peul), en rappelant l’histoire des fils des contrées et terroirs. Dans certains villages, la musique marquait les cérémonies des rites de passage, dans d’autres, une fête cyclique, etc. La musique traditionnelle africaine présidait aux différents événements importants de la vie : naissance, mariage, funérailles, événements religieux. Le répertoire se composait de chants d’amour, de chants satiriques, humoristiques, d’épopées relatant les exploits de héros et parfois de chants érotiques. Elle berçait les bébés et animait les jeux des enfants. La musique, essentiellement fonction-nelle, était à la base de tous les aspects de la vie.

La musique traditionnelle africaine se transmet oralement. La musique fait corps avec la tradition, qu’elle institutionnalise et formalise, voire rigidifie. L’instrument et l’artiste forment une unité, dans laquelle l’instrument devient

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la voix de l’artiste. Certains récits ne peuvent être transmis que par le chant. Comme il était d’usage dans la tradition, le jeune musicien se formait chez un maître. Cette formation obéissait à des règles strictement parentales ou senti-mentales. La relation entre l’élève et le maître était de nature filiale, le plus souvent, ou de maître à disciple (parfois l’apprenant était obligé de développer ses connaissances au sujet d’une technique particulière ou d’une branche d’une généalogie). Le maître portait en lui son expérience comme un bien inaltérable et l’élève, une fois jugé apte à recevoir les cours, se devait d’être à la disposition de son professeur, jour et nuit. Pour acquérir le savoir du maître, il était, par la force des choses, obligé d’habiter avec lui pendant des années, son instrument toujours à portée de main. L’apprentissage devait englober tous les aspects non seulement du savoir strictement musical mais aussi – et de façon non moins importante – le volet humain dans tout son acception. En effet, le maître occupait une place particulière dans la chaîne qui relie l’homme à la surnature et au ciel ; il était celui qui peut rendre compte des musiques depuis le lieu où elles existent, celui des savoirs réservés, des savoirs acquis souvent au prix de l’initiation, avec le piège du secret dont celle-ci se pare et qui empêche l’initié de transmettre ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a dit. L’élève acceptait de servir le maître et de l’aider dans les travaux champêtres ou autres, l’accompagnait dans ses voyages de pays en pays, chez les rois et princes, le secondait dans les céré-monies. L’apprentissage et l’éducation, toujours ensemble, se pratiquaient sans interruption, sans horaires fixes. Ce type de relation ne visait ni l’innovation ni l’originalité. Chaque communauté avait ses critères propres en matière d’éducation. Cette forme d’éducation, propre à la tradition orale, remplissait les fonctions attendues d’elle dans les sociétés africaines, où prédominent le rythme et la parole, la chaleur du mouvement vital par rapport à ce qui est fixé. Le rôle de ces « écoles » se limitait essentiellement à la reproduction « d’un esprit musical », il fallait n’être que la voix du maître, comme l’évoque Djibril Tamsir Niane (1960) :

Ma parole est pure et dépouillée de tout mensonge ; c’est la parole de mon père ;

c’est la parole du père de mon père. Je vous dirai la parole de mon père telle

que je l’ai reçue.

Ainsi, dans les traditions africaines, à côté du raisonnement et de la réflexion intellectuelle, la survivance du sentiment de l’honneur, de la tendance à l’esprit de solidarité ou de communauté, de religiosité, ont toujours été déve-loppés dans les apprentissages de la science musicale. La musique, de même que l’organisation sociale ou la langue ou encore la religion, représentait une des bases importantes de la société traditionnelle.

De nombreux témoignages racontés le soir au coin du feu permettent de mesurer toute la passion qui a animé ces musiciens durant des siècles. Les restitutions de mélodies témoignaient souvent d’une rare intensité sonore et sentimentale. Les airs s’apprenaient de façon routinière. C’est la répétition globale

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des mélodies, en vue de l’obtention d’un son désiré, qui constituait l’essentiel de l’apprentissage. Ceci explique comment certaines mélodies traditionnelles de structure complexe ont été assimilées intégralement d’une manière orale par beaucoup de musiciens d’autrefois. Ici intervient la motivation due au plaisir engendré par la musique.

Le griot, médiateur entre les hommes et les forces de la nature

En Afrique, la musique joue un rôle de médiation entre les hommes et les forces de la nature. Le griot était vu comme un personnage disposant de pouvoirs mystiques. Ainsi, chez les Wolof, la musique détient le pouvoir d’attirer les premières pluies avec le bawnaan1 ; de conjurer le mauvais sort avec le ndeup2, chez les Lébous ; d’introniser un roi, de marquer le passage des jeunes garçons à l’âge adulte avec le boukout3 chez les Diola, etc. Les apprenants en musique traditionnelle devaient maîtriser la généalogie des familles et les liens familiaux, être à égale distance des composantes de leur communauté, savoir distinguer les musiques pour les nobles et les princes, celles des rites, pratiquer les instruments liés aux événements religieux ou profanes, sans oublier les connaissances ésoté-riques. Les instruments permettaient de communiquer avec les forces invisibles. Selon qu’ils étaient à cordes, à vent, à percussion, ils étaient en rapport avec les éléments : la terre, l’air et l’eau.

Rien ne se faisait autrefois sans un chant ou la présence du griot : Niani, chant de bravoure ; Tara, musique dédiée au marabout El hadj Omar Foutiyou-Tall ; Kéléfaba, guerrier mandingue ; ceddo, chant de révolte, etc. Ces classiques de la musique traditionnelle, où sont retracées les pages glorieuses de notre histoire et évoqués les exploits des grandes personnalités, faisaient rêver les jeunes, qui découvraient des personnages dont s’enorgueillissaient non seulement leurs familles mais toute leur communauté.

Le griot traditionnel prenait en charge la mélancolie et autres soucis de la destinée humaine en les transformant en chants. En un instant, il savait faire jaillir comme une étincelle un mot, de ce mot émergeait une note, et de cette note un chant. Le griot était celui qui savait regarder, observer les signes : la pluie, le retour de la verdure, ainsi que l’issue heureuse d’une bataille, pour les élever aux dimensions d’une fresque épique. Il n’excluait pas la souffrance, mais la transformait en conquête. Comme le dit Nimrod (2003), citant Kourouma, le griot était musicien, « savant, historien, généalogiste et panégyriste ».

1. Cérémonie incantatoire pour obtenir la pluie. (NdlR)2. Pratique traditionnelle destinée à soigner les personnes perturbées psychiquement ou mentalement. (NdlR)3. Rite d’initiation. (NdlR)

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La musique au Sénégal après l’Indépendance

Dans l’après-guerre, toutes les grandes villes sénégalaises avaient un ou plusieurs orchestres modernes. Les soirées étaient très animées. Les amoureux de la musique avaient élaboré de nombreuses stratégies pour développer leur art : incorporer l’armée, prendre des cours d’instruments chez des aînés jusque dans les bars, chez les missionnaires, fabriquer leurs propres instruments, entre autres. Dans les grandes villes, ils profitaient de la présence des étrangers (appelés effectuant leur service militaire ou fonctionnaires affectés par la métropole) et se formaient sur le tas. Souvent, les formations musicales étaient créées par les autorités municipales. Durant cette période post-indépendance, les vedettes de la musique traditionnelle étaient très sollicitées elles aussi, par les jeunes comme par leurs parents, pour des taneber ou khawaré (soirées de musiques tradition-nelles avec chants et danses) et des panals (parades) ou autres événements. On jouait toutes sortes de musiques et même de la musique classique.

L’engouement pour la musique poussa les musiciens traditionnels vers les villes. Toutes les occasions étaient bonnes pour faire de la musique, des khawarés aux séances de lutte. Ce n’était plus seulement pour les événements traditionnels mais aussi pour les rencontres politiques. À chaque politicien était attaché un musicien.

Le musicien sénégalais n’éprouvait pas le besoin de prendre des cours académiques de musique ; il se contentait de reprendre les œuvres étrangères. Et selon l’âge ou le niveau de ses connaissances, l’imitation aboutissait souvent à une création. Ainsi, plusieurs pièces de musique européenne sont devenues des morceaux à l’ambiance bien « sénégalaise ».

L’organisation des orchestres modernes et leur mode de gestion inspirait beaucoup les musiciens traditionnels. Les formations se créaient pour des raisons autres que familiales, ethniques, géographiques, etc. Le Président-poète Léopold Sédar Senghor, voulant capitaliser toute cette énergie, créa alors l’École des arts.

L’enseignement de la musique à l’école

L’enseignement musical est présent dans le programme sénégalais, de la maternelle au secondaire. À la maternelle ou plus exactement au préscolaire et dans le primaire depuis 1972, le but est « de favoriser la libre expression et le développe-ment du goût de l’enfant dans les activités musicales », tandis que dans le secondaire, il est recommandé « de chanter en chœur et de donner le goût de la musique ». Il s’y ajoute l’histoire de la musique, en plus des connaissances théoriques et pratiques.

L’éducation musicale était pratiquée au Sénégal, bien avant l’indépen-dance, particulièrement dans l’enseignement confessionnel, sous la forme de cours de chants, avec un répertoire français : Au clair de la lune, Sur le pont d’Avignon, Le Furet, par exemple.

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Avec la création du conservatoire de Dakar, un corps d’éducateurs artis-tiques est créé, qui sera suivi, plus tard, du corps des professeurs d’éducation musicale. Le programme reste européen mais le cours va avoir deux volets : la théorie et l’histoire.

Pourtant, l’éducation musicale occupe aujourd’hui une position que l’on peut qualifier de fragile, voire marginale, à en juger par certains aspects : budget alloué à la formation des enseignants au conservatoire, horaires attribués à cet enseignement dans les établissements scolaires, une discipline qui reste faculta-tive, le manque de matériel, sans oublier des classes pléthoriques et le sentiment de malaise et d’abandon des enseignants d’éducation musicale.

Langues et musiques du Sénégal

On dénombre au Sénégal4 une vingtaine d’ethnies, dont quelques-unes ont été retenues comme principales par l’adoption de leur langue comme langues nationales : par exemple, les ethnies Wolof (Wolof, Lébou), Halpulaar (Fouta, Laobé, Peul et Toucouleur), Mandingue (Malinké, Socé), Sérère et Joola.

Les Wolofs ont donné au pays sa langue principale et des lettres de noblesse aux percussions sénégalaises ; ils sont le peuplement dominant et donnent une ambiance de fête à la musique sénégalaise, avec leurs sabars (tambours) aux rythmes très dansants. Le wolof doit d’être langue dominante à ses sonorités, qui indiquent très musicalement la joie ou l’inquiétude. La musique des Halpulaar, peuple du yéla5, rappelle le « blues » ; les peuls se localisent dans le Fouta, sur les cours moyens du fleuve Sénégal et en Haute Casamance. Les Sérères, dont la musique semble être de la poésie, peuplent la région du Sine et du Saloum en particulier. Les Mandingues, communautés de djélys (griots) et de balla (joueurs de balafon), plus portés vers la musique de cour, avec des grands maîtres de la parole, dominent dans la moitié sud du Sénégal, en Moyenne Casamance. Le Sénégal compte aussi des minorités : les Soninkés, le groupe Tenda constitué de Badiananké, Koniagui, Bassari et de Bedik, les Baïnouk, les Joola, les Balantes.

Finalités et pédagogie de l’enseignement de la musique au Sénégal

Le curriculum en cours d’implantation au collège invite à l’adoption d’une pédagogie moderne, fondée sur l’approche par les compétences, de pratiques éducatives contextualisées mais aussi ouvertes à l’environnement local et extérieur. La pratique musicale peut et doit ainsi aider à la construction d’une culture et à la formation esthétique.

4. La population du Sénégal est estimée à 15 millions de personnes actuellement. 5. Le Yéla est la musique principale des Toucouleurs ; c’est un ensemble de chants et de danses qui, à l’origine, servait de rituel pour rendre grâce à Dieu. (Source : d’après Wikipédia, NdlR)

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La pratique musicale, dans le système éducatif scolaire actuel, prend en compte et développe la pluralité et la diversité des aptitudes, tout en favorisant la formation d’une société unie et attachée à sa culture. Dans le nouveau programme d’éducation musicale, il est d’ailleurs suggéré que l’enseignant prenne en compte les éléments culturels spécifiques de sa zone. Celui qui est en Casamance doit privilégier la musique de son aire géographique, tout en s’appuyant sur une approche comparative avec les autres aires culturelles. Les enseignements doivent montrer la particularité régionale mais aussi les points communs. Certaines activités portant sur la pratique musicale favorisent l’usage d’éléments extérieurs (par exemple, avec les instruments de musique, le mélange très inté-ressant des percussions Wolofs et Diolas et/ou les cordes peuls).

Les exercices et activités se font avec beaucoup de naturel chez les tout petits. L’activité vocale aide à la découverte, à l’apprentissage et à la mémorisation des phonèmes des signes linguistiques, voyelles, consonnes, mots, etc. Nous conti-nuons l’apprentissage de chants européens (pour la diction et un prolongement de la lecture) et ceux d’autres continents, car ne voulons-nous pas être des citoyens du monde ? Les chants en langue nationale ont eu un impact réel sur la scolarisation. L’école commence à devenir un prolongement de la maison. Pour la lecture et le langage, la musique améliore la perception au niveau des sonorités, des syllabes et aide ainsi aux travaux de phonétique et de diction. Nous essayons de lier les exercices rythmiques en percussion et les nombres de syllabes chantées, afin d’amener les tous petits à ne pas dépasser les frappes ; les collégiens situent les temps plus facilement. Dans les contes africains, il existe toujours une partie chantée qui résume l’histoire et facilite la compréhension du texte. Cette activité est utilisée comme moment d’écoute. À travers les jeux, les enfants, très tôt et dans toutes les langues locales, s’amusent avec les chiffres et les nombres.

Musique et mutations de la société sénégalaise

De nos jours, la culture ne sait plus très bien ce qu’elle représente ni à qui elle s’adresse. Les techniques traditionnelles des peuples ne conviennent plus à la « communication ». Comme le disait Ravi Shankar dans un entretien à Munich, en août 1972 : « le musicien doit être fidèle aux traditions du passé, sincère dans son attitude vis-à-vis du présent et capable d’animer son art de toutes les émotions afin qu’il puisse agir sur son auditeur » (Unesco, 1973).

Si nos valeurs ont pu résister et survivre, c’est grâce aux griots. Le griot, en effet, avait un rôle très important dans sa société. Il était le dépositaire de la tradition orale et historique. Car la pratique musicale est avant tout sociale, un mode de vie permettant aux acteurs d’en tirer des éléments régénérateurs. Si nous avons quelque chose qui nous est propre, nous le retrouvons certainement dans notre musique.

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Récemment encore, l’on estimait que la musique traditionnelle n’avait comme préoccupation que l’exaltation. La ferveur suscitée par l’épopée était une manière de tirer les choses vers le haut. Aujourd’hui, les questions de généalogie n’ont plus le même effet car le statut social du Guer (le noble) ne dépend plus de sa lignée mais de son compte en banque. Le griot n’est plus celui qui, en abordant la généalogie de telle ou telle lignée, fait revivre un passé. Il anime aujourd’hui pour tout le monde et subit les lois de la concurrence. Ainsi cette transformation sociale, cette « décorporalisation » ont mené vers l’autonomie de la nouvelle génération de jeunes griots d’abord, puis des griots en général, avec la création d’autres rapports dominés par l’argent. Il faut bien vivre.

Le degré d’évolution et le niveau de vie de chaque société influencent le développement de l’art musical et des instruments en particulier. Aujourd’hui, nous ne pouvons nier l’orientation artistique et culturelle que prend la société sénégalaise, entraînant irrémédiablement la musique dite traditionnelle dans son mouvement. L’ère du numérique semble avoir pris le dessus.

Beaucoup plus pragmatiques que leurs aînés, les jeunes, aujourd’hui, ont une conception très moderne de leur rapport à la culture et à la société. La radio a envahi tous les espaces, elle est la compagne des bergers, la confidente des agriculteurs ; la télévision est partout. Internet est devenu familier. Les médias ont tout simplement remplacé les griots et rendent la musique accessible à tous. Et, ce qui est très important, la musique devient commercialisable et rentable.

Un regain d’intérêt pour l’éducation musicale grâce aux nouvelles technologies

Les enseignants de musique sont conscients d’avoir un rôle important à jouer dans la formation de ceux qui formeront demain la société sénégalaise.

Aujourd’hui, la recherche peut permettre à l’éducation musicale d’améliorer et de varier ses approches pédagogiques, voire de créer des méthodes inspirées de l’enseignement traditionnel. Selon des travaux récents, la musique renforcerait les capacités de transfert des connaissances. Elle agirait comme un catalyseur qui stimule le développement des capacités cognitives des enfants et intègrerait admirablement les divers aspects de la vie sociale et religieuse. La plupart des chansons, comptines ou fables peuvent être des guides pour la classe d’âge concernée. Les paroles sont des maximes ou des proverbes, des phrases avec des mots aux sonorités très musicales qui permettent d’apprendre à vivre en société, à vivre avec les autres.

Depuis 2013, avec l’apport de la technologie, il s’agit de redonner un nouvel élan à la pratique musicale dans les établissements scolaires, en permettent aux élèves d’apprendre la musique sénégalaise avec une approche moderne.

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De nouvelles musiques, un nouveau statut du musicien, un public plus large, l’éclosion des nouvelles technologies : il faut prendre la mesure de cette nouvelle situation. Les mobiles, tablettes et ordinateurs portables apparaissent dans le cours d’éducation musicale. Utiliser un instrument devient facile grâce aux logiciels et applications. Ainsi, les compétences sont diversifiées. Nous avons agréablement constaté un intérêt nouveau pour le cours de musique de toutes les catégories d’élèves. Certains se sentent obligés d’acheter des outils plus perfor-mants, d’autres commencent à changer d’attitude : ils prennent des notes avec leurs outils numériques, prennent en images certains aspects du cours au lieu d’écrire. De nouvelles compétences se révèlent. Des groupes se forment, de dimensions différentes, selon les travaux, les compétences, etc. Certaines familles contribuent à l’achat du matériel. Il semble que le travail soit plus régulier, continu. Les travaux à faire à la maison sont désormais les bienvenus. La tradition n’est pas oubliée. Ainsi, dans les clubs de musique, les cours de musique réhabilitent des chants comme les « kassaks » pour les garçons (la circoncision) et le « ndiam » ou tatouage chez les filles.

N

L’éducation musicale se donne comme objectif de cultiver à la fois un esprit, une sensibilité, un corps. L’importance d’un engagement aussi large que possible, englobant la sensorialité, l’affectivité, les capacités intellectuelles, la participation corporelle, mettant l’accent sur le rôle que la musique est suscep-tible de jouer dans le développement humain, doit être défendue et mise en valeur.

La pédagogie a une fonction sociale. Aucune action pédagogique ne peut être coupée ou isolée d’un environnement en perpétuel changement.

Dès la création de la Commission nationale de l’éducation musicale, nous avons plaidé pour que les enseignants de musique puissent s’initier à de nouvelles connaissances et techniques éducatives. Au Sénégal, hormis dans un ou deux établissements, les approches pédagogiques sont méconnues. Nous avons exprimé le vœu que l’École des arts, qui est la case formatrice des éducateurs musicaux, mette en place un laboratoire de recherche pour prendre en charge toutes les questions liées à la pédagogie de la musique. Car les méthodes d’ensei-gnement et la démarche doivent changer, si l’on veut susciter chez les élèves des conduites novatrices.

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Bibliographie

BEART C. (1955) : « Jeux et jouets de l’Ouest Africain », Mémoires de l’Institut fran-çais d’Afrique Noire, tome 1, IFAN-Dakar, n° 42.

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GOUVERNEMENT DU SÉNÉGAL (1972) : décret n° 72-861 du 13 juillet 1972 « Réforme de l’enseignement au Sénégal ».

GADEN H. (éd) (1912) : « Légendes et coutumes sénégalaises. Cahiers de Yoro Dyao », Paris : E. Leroux, consultable en ligne (19 p.) : [https://goo.gl/BHXMkD]

GRABOCZ M. (sous la direction de) (1999) : Méthodes nouvelles, musique nouvelles : musicologie et création, Presses universitaires de Strasbourg.

NIMROD (2003) : « La servitude volontaire de l’écrivain africain », Africultures, 54, (1), 194-198, DOI: 10.3917/afcul.054.0194.

ROSSELOT B. (2001) : Aventuriers et Griots : De la galère à la profession, Paris : L’Harmattan.

SAMB A. (1975) : « Folklore wolof du Sénégal », Bulletin de l’IFAN, tome 37, série B, n° 4.

SANKHARE O. (1998) : Youssou Ndour le poète, Dakar : Nouvelles éditions africaines du Sénégal.

SOUTHERN E. (1997), The Music of Black Americans: A History, 3e édition, New York : Norton& Company.

TAMSIR NIANE D. (1960) : Soundjiata ou l’épopée mandingue, Paris : Présence africaine.

UNESCO (1973) : Revue Cultures, « Musique et société », vol. 1, n° 1, Unesco.

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Quand la musique donne le ton

Culture musicale, scolarité et communauté dans la classe D du lycée Sainte-Anne, Copenhague (2011-2014)1

Henrik ReehUniversité de Copenhague

Formation musicale et exigences scolaires

La question de la musique dans son rapport à l’éducation remonte, certes, à l’antiquité grecque mais elle se retrouve parfois dans la vie quotidienne de la modernité. Voici une discussion entre parents qui se tient lors d’une pause dans un atelier de piano pour enfants. Comme souvent dans les classes moyennes, la conversation touche au choix d’établissement scolaire et aux expériences péda-gogiques qui s’y attachent. « Et alors, Sainte-Anne, c’est un bon lycée ? » Situé à Copenhague, capitale du Danemark, le Sankt Annæ Gymnasium [Lycée Sainte-Anne : SAG]2 est reconnu pour l’importance qu’il accorde à la musique en général et au chant en particulier. Autrefois appelé « l’École du chant », cet établissement public reçoit des élèves âgés de 10 à 19 ans, tous doués pour la musique. Or la réponse d’un parent d’élève (dont le fils adolescent fréquente ce lycée depuis longtemps) peut surprendre, car elle souligne un aspect qui n’a rien de musical : « C’est certainement une bonne école pour ceux qui savent faire leurs devoirs. » Alors que l’image d’élèves musiciens surdoués, qui font pâlir les élèves aux perfor-mances plus ordinaires, hante les attentes de ceux qui n’ont jamais visité l’école, un parent d’élève déjà initié met ainsi l’accent sur les exigences scolaires qui caractérisent l’école de son enfant. Inattendue, cette réponse finit par rendre cet établissement plus attrayant et accessible pour des jeunes qui ne s’imaginent pas en futurs musiciens professionnels. Tous les ans, plusieurs centaines d’adolescents déposent effectivement une demande d’admission à la section lycée, prévue pour les 16-19 ans.

Au lycée Sainte-Anne, les musiques classique et rythmique ont l’une et l’autre droit de cité. Grâce à la présence, notamment, de plusieurs chorales et d’un orchestre symphonique complet, la musique à partition y occupe cependant une place prépondérante. Cela explique-t-il le fait que la note moyenne d’un baccalauréat passé dans ce lycée figure au sommet du classement national ? Il

1. Profonds remerciements profonds à Rasmus Henrik Reeh, lycéen à Sankt Annæ Gymnasium, 2011-2014, et à ses camarades de classe, qui ont bien voulu répondre au questionnaire à la base du présent article.2. Voir le site Internet du Sankt Annæ Gymnasium, partiellement en anglais : SAG.DK

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serait injuste, dans ce contexte, d’oublier la musique rythmique qui est à la base, tous les ans, d’une comédie musicale avec 400 participants, exclusivement composée et produite par les élèves. La musique est un champ d’expression et d’apprentissage large, et l’ensemble de l’éventail musical – du rythmique au classique et au-delà – est présent dans la conscience commune et des élèves de cet établissement exceptionnel dans le paysage éducatif et musical danois.

Plusieurs livres ont célébré les exploits du SAG dans le domaine du chant choral, et, d’emblée, on est tenté d’analyser le rapport entre musique et éducation au niveau de l’établissement dans sa totalité ou, du moins, à l’échelle de sa section lycéenne. Néanmoins, chaque élève réalise son propre parcours pendant sa scola-rité lycéenne. Un adolescent – qui se trouve être notre fils aîné – est arrivé au lycée Sainte-Anne avec des préférences pour les sciences humaines et sociales, avant de s’orienter vers une filière axée sur la musique et les mathématiques ; finalement, il a passé son baccalauréat avec un diplôme où les sciences naturelles sont en position de force pour, ensuite, faire des études de médecine. Ce parcours imprévu a eu lieu dans une classe de 32 élèves qui ont tous été reçus au bacca-lauréat du premier coup – et avec des notes très élevées. Pendant trois années, ils ont partagé au moins sept à huit heures par jour, et beaucoup de relations en sont sorties, alors et depuis.

L’identité au niveau de la classe constitue un cadre essentiel de la scola-rité, de la vie musicale et des amitiés. Voilà pourquoi je vais me consacrer à ce niveau d’échelle – la classe – dans ma tentative de voir plus clair dans le mélange particulier – un véritable cocktail ? – entre le savoir musical et d’autres éléments pédagogiques, durant les périodes de vie avant, pendant et après les trois années au lycée Sainte-Anne.

Deux observations orientent mon enquête. D’un côté, la scolarité de la classe D au lycée est nourrie d’un programme musical soutenu, qui a de nombreuses répercussions chez les élèves. D’autre part, le parent d’élève que je suis ne peut que remarquer le sérieux scolaire de cette classe, non seulement dans le rapport entre les professeurs et les élèves, mais aussi entre les lycéens eux-mêmes. À l’heure où les médias décrivent une vie lycéenne animée par les écrans numériques, l’alcool et le divertissement, on ne s’attend guère à une telle musicalité commu-nautaire ni à une ambiance quasi-intellectuelle dans une classe de lycée. Or c’est bien une impression de grand sérieux que donne la vie dans la classe D (option musique et mathématiques) au lycée Sainte-Anne, dans la promotion de 2014.

Que nous disent les anciens élèves eux-mêmes, trois ans après leur réus-site au baccalauréat, sur le rôle joué par la musique à l’école, dans l’éducation et dans la vie ? Le présent article en rendra compte en suivant la structure d’une enquête que j’ai pu mener, grâce à la médiation de mon fils, auprès de ses anciens condisciples.

Les questions – une vingtaine au total – visaient à documenter le fonc-tionnement de la musique pendant des périodes de vie distinctes, surtout lors du passage au lycée Sainte-Anne, mais aussi avant et après ces trois années

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lycéennes. Les questions étaient pour la plupart assez simples, afin de faciliter une réponse – sans toutefois exclure des réflexions élaborées si les répondants désiraient se lancer en ce sens. Voici un exemple : « La musique était-elle d’impor-tance dans ta famille pendant ton enfance ? ». Cette question préfigurait une réponse pouvant se limiter à un simple « oui » ou « non ». Mais elle invitait aussi à des explications individuelles qui donnent de la profondeur à l’enquête, tant au niveau du répondant singulier qu’au niveau de la classe en tant que groupe. En général, il n’y a pas eu qu’une seule réponse quantifiable à une question donnée ; au contraire, de nombreuses réponses qualitatives ont été proposées par les répondants qui, en quelque sorte, contribuent à une réflexion commune. Ainsi le présent article va-t-il tenter d’articuler la réflexion des anciens de la classe D sur le rapport entre musique et éducation.

Musique

Éducation

Figure 1. Problématique générale, 1.

Avant le lycée : pratiques musicales enfantines

Tout lycéen inscrit au lycée Sainte-Anne doit avoir des connaissances de musique et, en plus, savoir jouer d’un instrument. Un aperçu des instruments pratiqués par les élèves de la classe D donne les contours de deux orchestres possibles – l’un rythmique, l’autre classique. La formation rythmique disposerait de musiciens jouant des instruments suivants : saxophone, guitare (3), flûte, piano (4), basse électrique, batterie (2) et chant (4). La formation classique – on imagine aisément un orchestre de chambre – aurait des instrumentalistes de clarinette, violon, guitare, hautbois, flûte traversière, piano (3) et chant. La répar-tition des élèves entre les musiques rythmique et classique n’est pas exclusive ; 7 élèves pratiquent les deux genres, ce qui donne 13 musiciens rythmiques et 13 musiciens classiques. Dans un segment de 19 répondants sur 32 élèves, ce n’est pas un mauvais point de départ pour un milieu musical actif.

Cependant, il ne faut pas penser que chaque élève a appris à manier un instrument dès sa prime enfance. Le début instrumental a eu lieu progressivement entre l’âge de 5 et 13 ans. L’âge moyen du début est 9,5 ans ; huit élèves ont commencé à l’âge de 8 ou 9 ans. Une répartition semblable vaut pour les répon-dants (16 sur 19) ayant chanté avant le lycée. Ici encore, le début se fait petit à petit, et six élèves ont commencé à chanter après leurs dix ans. Le début moyen s’est fait à 9,8 ans.

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Une telle fréquence de musiciens et de chanteurs dépasse de loin la moyenne dans cette tranche d’âge. Alors que, de nos jours, les instrumentalistes se font rares, les élèves du lycée Sainte-Anne le sont tous. Toutefois, de grandes différences se révèlent à l’intérieur du groupe, quand on pose la question de l’intérêt familial pour la musique. Assurément, cet intérêt est présent dans toutes les familles sauf deux, mais un écart se dessine entre les élèves dont les parents apprécient la musique « pour le plaisir » et l’élève, par exemple, dont les deux parents sont des organistes professionnels. Une poignée d’élèves indique que l’un des parents, au moins, a reçu une formation de musicien professionnel.

Quand on demande « quel rôle la musique a-t-elle joué dans ta vie avant l’admission dans ce lycée ? », tous les élèves confirment un goût pour la musique. Les différences sont nettes ; un élève « appréciai[t] de jouer avant le [lycée] et jouai[t] dans un groupe. Seulement je ne répétais que rarement à la maison. » Un autre élève « assistai[t] souvent à des récitals d’orgue ou à d’autres concerts dans les églises un peu partout. Avec insistance, mon père essayait de m’enseigner la théorie musicale dès l’âge de 8 ou 9 ans. Commencé à faire du piano à 6 ans, du violoncelle à 8. » La participation à des chorales, à des groupes de rock et à des comédies musicales figure parmi les réponses ; la somme de celles-ci révèle combien la pratique musicale a été présente chez ces élèves, à une époque où la musique est généralement liée à la consommation et à une écoute distraite.

Pendant les trois années de lycée : cours, chorale, communauté

Une fois admis, les élèves individuels peuvent accorder plus ou moins d’importance à la discipline de musique en sélectionnant le niveau et l’ampleur des cours à suivre. La moitié de la classe D étudie la musique pendant les deux premières années seulement (200 heures au total – niveau B). L’autre moitié y ajoute 125 heures (niveau A) pendant la troisième année de lycée. Au cours de cette dernière année, le reste de la classe se consacre à un cours de physique afin d’améliorer ses bases en sciences naturelles.

L’intérêt porté à l’enseignement de la musique ainsi qu’aux activités musicales pendant les loisirs est partagé par tous : 16 élèves sur 19 répondants font partie de la chorale classique ; trois d’entre eux participent, en outre, au chœur de chambre plus restreint. Le lycée est également réputé pour sa comédie musicale annuelle, le SAG Show.3 Tous ont participé à cette aventure au cours de leur scolarité ; au total, 16 sur 19 ont participé pendant l’ensemble des trois années.

3. Voir divers enregistrements vidéo sur YouTube, dont : « Ouverture [...], 2013 » [https://goo.gl/vBMRkb] et « Ouverture [...] », 2014 [https://goo.gl/7P5CGc].

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La participation à l’impressionnant orchestre symphonique ou au big band de l’établissement est bien plus modeste. Deux élèves ont joué du hautbois et de la flûte traversière, respectivement, dans l’orchestre classique, alors qu’un seul élève a fait de la guitare dans le big band. La musique collective dans des formations plus petites, pratiquée par tous dans les leçons de musique, a été bien plus répandue.

Interrogés sur le rôle de la musique pendant leur période au lycée, les répondants décrivent une réalité complexe. Deux élèves indiquent que la musique avait peu de poids dans leur scolarité. Les autres (17 sur 19) soulignent l’apport de la musique dans un environnement qui, parfois, pouvait sembler moins exigeant que pendant la période du collège, où certains étaient déjà scolarisés au lycée Sainte-Anne :

« Au lycée, mon rapport à la musique devenait un peu plus détendu. Je voulais

prendre plaisir à jouer de la musique en fin de journée avec des amis – au lieu

de bosser avec les partitions avant les concerts. »

D’autres, par contre, se mettent pleinement à la musique :

« La chorale m’occupait encore plus qu’auparavant. Au moment le plus intense,

j’allais à la répétition quatre fois par semaine, en plus des concerts. Je commençais

aussi à aller à plus de concerts [...] et je devenais plus attentive (et critique) à

l’égard de la musique qu’on écoutait au quotidien. »

Il n’est pas rare que l’admission au lycée Sainte-Anne apporte une véri-table révolution du style de vie et de l’approche de la musique :

« Le SAG a tout changé. [...] À mon arrivée [...] j’étais stupéfaite que des gens

de mon âge soient aussi bons. Je suis rentrée chez moi, j’ai effacé Facebook

pendant une année, et je faisais plein de musique. J’étais très impliquée. »

Parmi les élèves, la musique s’avère porteuse de communauté :

« La musique était un intérêt partagé par tous mes camarades. En fait, nous ne

parlions pas énormément de musique. Tous en avaient une compréhension et

une connaissance. Dans la chorale, je me suis fait de nouveaux amis qui sont

parmi ceux que je continue de voir trois ans après le bac. »

La musique fait ainsi figure de langue commune qui unit les élèves – sans pour autant les obliger à en parler explicitement.

« Au SAG, la musique occupait une place importante au quotidien, car tous y

passaient beaucoup de temps. Contrairement à ma vie au collège, j’ai rencontré

des gens qui partageaient mon goût musical. Voilà pourquoi j’ai commencé à

aller aux concerts avec des amis, alors qu’auparavant j’y allais plutôt avec mes

parents. »

La musique investit vraiment le monde vécu (« Lebenswelt ») des élèves, que ce soit au niveau individuel ou en communauté, à l’intérieur des espaces scolaires ou en ville. Vu la participation limitée à des orchestres (pourtant fabu-leux), c’est rarement un avenir de musicien instrumentaliste qui est envisagé

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dans la classe D. La musique y offre plutôt une communauté de goût, de ton et d’amitiés. Au lieu d’accentuer la concurrence entre les individus, la musique sert à les réunir.

Après le baccalauréat : quand la profession et la science prennent le dessus

Après le baccalauréat, une année sabbatique (systématiquement pratiquée par les jeunes Danois) conduit aux études supérieures et aux activités profes-sionnelles. La musique va-t-elle survivre, dans cette nouvelle phase de la vie ?

L’enquête fait apparaître une continuité de la pratique musicale : 16 répondants sur 19 continuent de jouer et de chanter. La moitié du groupe semble même y accorder beaucoup de temps : « je chante dans une chorale après le SAG » ; « chante et joue de la musique » ; « je joue au piano et je prends toujours des leçons hebdomadaires » ; « je joue de la basse et chante dans un groupe avec des amis du SAG. » Ainsi, les pratiques se poursuivent, parfois dans des cadres nés grâce à la culture musicale au lycée.

L’activité musicale ne signifie pas que la musique s’impose dans les choix éducatifs et professionnels des jeunes. Deux tiers répondent que la musique est absente de leurs études ou de leur travail. Parmi les 14 étudiants du groupe, trois seulement s’occupent de musique ; l’un va devenir instituteur avec option musique ; un deuxième est au conservatoire national et un troisième fait des études de musicologie à l’université. La majeure partie des étudiants a retenu les sciences naturelles – cultivant ainsi la deuxième composante particulière de la classe D (musique et mathématiques). Sans doute faut-il voir aussi, dans la préfé-rence pour les sciences, le fait que les perspectives d’emploi sont plus encoura-geantes que pour la plupart des musiciens professionnels.

Vu la pratique musicale répandue dans le groupe, dont la moitié fait des études universitaires de sciences naturelles, on peut conclure qu’une coexis-tence entre musique et science se prolonge au-delà du bac. Seulement, la musique est une activité de loisirs, alors qu’elle était une discipline principale dans le cursus lycéen.

Or, même à titre de supplément, la musique est une source de commu-nauté parmi les jeunes. Ce rôle humain et social mérite d’être reconnu voire formalisé comme un ajout essentiel à la problématique « musique et éducation ». Ainsi se dessine un modèle triangulaire, qui, désormais, comprend les instances suivantes : musique, éducation, communauté.

On peut également mentionner que de nombreuses réponses à l’enquête soulignent l’importance subjective de la musique. Un ancien élève note ainsi :

« [C]’est quelque chose que j’aime toujours faire, et je joue dans un orchestre

toutes les semaines. Je prends plaisir à jouer de la musique. »

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Ainsi, dans le contexte d’une activité musicale, le mot de plaisir s’invite-t-il dans le débat ; avec lui se confirme la puissance d’une subjectivité esthétique qui, par ailleurs, est loin de se faire respecter dans le monde contemporain. Vu l’intensité subjective investie dans la pratique musicale, il serait justifié de faire entrer un quatrième élément dans la structure d’ensemble. La musique s’inscrit désormais dans une relation à l’éducation institutionnalisée mais aussi par rapport au jeu dynamique entre individu et communauté.

Musique

Individu Communauté

Éducation

Figure 2. Problématique d’ensemble, 2.

Vue d’ensemble : passion musicale et ambitions scientifiques

On s’approche de la fin de l’enquête ainsi que de l’histoire de la classe D. Deux questions résument la situation. D’abord : que signifie le statut privilégié de la musique dans un lycée pour les expériences musicales des élèves ? Ensuite : comment les activités musicales à l’école accompagnent-elles le développement cognitif et intellectuel des jeunes ? Prises dans leur ensemble, les réponses fournies par les anciens élèves me semblent esquisser une réflexion assez cohé-rente et nuancée sur chacune des deux problématiques. Alors que toutes les composantes de la réflexion s’enracinent dans des commentaires formulés par les répondants, le présent article doit se limiter à résumer succinctement l’argument collectif.

Stratégie et vie musicales

À la question « l’accent mis sur la musique au lycée Sainte-Anne a-t-il signifié quelque chose pour ta vie musicale ? », 16 anciens élèves sur 19 ont répondu par l’affirmative, alors que trois résistent à une telle interprétation. Finalement, la question posée n’est pas si simple car elle reflète un causalisme qui pourrait déformer une complexité réelle. Comme on sait, les élèves étaient déjà bien préparés à la pratique musicale avant d’être admis au lycée ; l’esprit musical de l’école ne peut donc être cité comme la cause de toute évolution. En réalité, c’est au niveau de la pratique chorale que l’école fait vraiment la diffé-rence ; la musique rythmique est davantage laissée à l’initiative des élèves eux-mêmes, dans le contexte du SAG Show, notamment.

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Bien sûr, de nombreux élèves expriment leur reconnaissance à l’égard de l’école et de l’engagement musical qui s’y déploie. La diversité des musiques rencontrées change vraiment l’écoute des élèves et introduit de nouvelles pers-pectives dans leur pratique.

Une série de commentaires louant la culture musicale au SAG recourt à la notion de « réseau » : les contacts s’établissent grâce aux réseaux, et ceux-ci sont porteurs d’avenir car ils durent au-delà des trois ans de lycée. Par consé-quent, le lycée devient plus qu’un établissement scolaire ; il ouvre aux élèves eux-mêmes un vaste champ d’échanges sociaux et culturels, surtout après la fin de la journée scolaire, quand les activités extra-curriculaires prennent la relève. Le terme de « communauté » s’impose alors.

« [La musique] donne un énorme sentiment de communauté et rend la vie sociale

très facile d’accès. Car nous savons tous qu’il y un champ d’intérêt commun. »

Intérêt commun et communauté vont de pair.Certes, devant le nombre de musiciens très doués, certains peuvent

éprouver un sentiment d’insuffisance qui va parfois jusqu’à inhiber leur envie de jouer. Il reste toutefois des lieux de collectivité où le commun des mortels peut se rencontrer ; les chorales classique et rythmique cultivent une expression musi-cale de haute volée qui s’accompagne de rencontres humaines de longue durée. Ainsi la qualité des performances musicales reste-t-elle un but reconnu, à peine questionné. Dans l’ensemble, les répondants rendent un hommage unanime à la culture musicale de leur lycée.

Musique et vie intellectuelle

La deuxième question de synthèse posée aux anciens de la classe D était la suivante : « l’accent mis sur la musique à Sainte-Anne a-t-il signifié quelque chose pour ta vie intellectuelle et cognitive ? » Si la question sur les conséquences musicales du privilège accordé à la musique pouvait déjà poser problème, l’hypo-thèse tacite d’un lien entre la musique et la faculté de penser le fait aussi. Il faut savoir que le lycée Sainte-Anne se trouve au sommet du classement national des bacheliers au Danemark. Seulement, on ne saurait dire si ce niveau intellectuel et scolaire est en partie assuré par le fait que les lycéens admis proviennent des élites relatives de leurs nombreuses écoles d’origine.

Il serait plus intéressant de voir si l’on peut comprendre une culture scolaire hors du commun en se référant à la forte présence d’un milieu éducatif musical. En règle générale, les réponses à l’enquête témoignent des exploits péda-gogiques, tout en faisant remarquer les limites d’un enseignement musicologique de lycée.

Des répondants notent comment la musique apporte des méthodes de travail à d’autres domaines. Ainsi le mot « discipline » est-il souvent cité dans une justification de la musique en dehors de son propre domaine. Et plusieurs élèves observent comment le niveau poussé du savoir musical « déteint » – une métaphore récurrente – sur d’autres champs de leur scolarité lycéenne.

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Seulement, les fortes doses de musique apportent plus que des bonnes notes au bac et un savoir pointu en musicologie. En effet, la valeur de la musique ne saurait se mesurer à son utilité directe dans d’autres disciplines, telles que les sciences naturelles, dont une dizaine de répondants ont fait le centre de leurs études universitaires. La contribution cognitive et intellectuelle de la musique pourrait bien s’avérer plus large.

Dans ce contexte, les anciens élèves apprécient la façon dont la musique nourrit leur culture générale. S’y ajoute l’effet psychologique de la musique sur l’envie d’aller à l’école voire sur la faculté d’en supporter le stress. Cette fonction thérapeutique est soulignée par plusieurs réponses à l’enquête. Bien que la musique soit justifiée par son apport à la prestation intellectuelle, elle semble également pouvoir diminuer les pressions qui pèsent sur la vie scolaire contemporaine.

La culture, point d’intersection et d’ancrage

Grâce aux réponses des anciens élèves de la classe D, nous avons obtenu quelques aperçus de l’intérieur de la « boîte noire » que constitue la relation entre musique et éducation dans ce lycée danois, réputé à la fois pour sa forte tradition chorale et pour son niveau scolaire élevé. Certes, la classe D se distingue des six autres classes de la promotion 2014. Et toutes les classes D dans l’histoire du lycée Sainte-Anne ne sont pas identiques. Mais les réponses de la classe D, 2011-2014, témoignent d’une culture musicale fondée dans l’enfance et au cours de l’adoles-cence. Une fois admis dans une classe privilégiant la musique et les mathéma-tiques, les porteurs de cette culture sont capables non seulement d’absorber un savoir de haut niveau mais aussi de faire vivre la musique au profit des individus et du groupe. Moins que d’une formation de solistes, c’est davantage d’une communauté musicale au sens large qu’il s’agit, en partie grâce aux activités collec-tives telles que la chorale classique et la comédie musicale du SAG Show.

Nous avons déjà insisté sur la nécessité d’augmenter la problématique de « musique et éducation » d’une relation supplémentaire impliquant les deux composantes « individu et communauté ». Il nous semble, enfin, justifié d’attirer l’attention sur le point d’intersection entre les deux axes, et de qualifier cette intersection à l’aide du terme « culture ».

Musique

Individu CULTURE Communauté

Éducation

Figure 3. Problématique d’ensemble, 3.

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Le recours à la notion de culture vise à reconnaître la complexité à la fois pédagogique et humaine qui est à l’œuvre dans cet établissement scolaire. Plus que d’une relation causale entre enseignement de musique et réussite cogni-tive, il s’agit d’une constellation entre des éléments institutionnalisés et commu-nautaires, explicites et implicites, qui, tous, contribuent à promouvoir la pratique musicale et un environnement scolaire de haut niveau.

Bibliographie

ADORNO T. W. (1975) : Einleitung in die Musiksoziologie, Frankfurt am Main: Suhr-kamp Verlag, [1962].

PALSMAR H. (sous la dir. de) (2004) : For Skolen og for Livet. Om korsang, dannelse og læreprocesser. Festskrift 75 år. Sangskolen på Sankt Annæ Gymnasium, Copenhague : Danmarks Pædagogiske Universitets Forlag.

REEH H. (2013) : « Espaces scolaires de la rentrée : Architectures et cérémonies d’accueil dans trois lycées à Copenhague », Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 64, décembre, p. 65-76.

SCHAFER R. M. (1995) : The Soundscape. Our Sonic Environment and the Tuning of the World, Rochester, Vermont: Destiny Books, 1995.

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Le dispositif « orchestre à l’école » et son impact sur un territoire

L’exemple de la Mayenne, en France

Denis WaleckxDirecteur académique des services

de l’éducation nationale, France

La participation de la musique aux cérémonies sociales, culturelles et religieuses semble bien revêtir, sous des formes diverses, un caractère universel. Conséquence probable de cet enjeu sociétal, social et culturel, l’enseignement de la musique est souvent porté par les autorités publiques ou religieuses. En France, pays de tradition centralisée, l’organisation de cet enseignement est historiquement confiée à deux ministères, celui de l’éducation nationale – l’éducation musicale faisant partie des programmes de la scolarité obligatoire – et celui de la culture, assurant la tutelle des établissements d’enseignement spécialisé, les conservatoires et les écoles de musique.

Le mouvement de décentralisation, initié au début des années 1980 et visant à transférer certaines compétences aux collectivités territoriales ainsi que la volonté politique, régulièrement affichée, de démocratiser l’accès à la pratique et la consommation culturelles de qualité ont exigé une meilleure coordination des politiques publiques en faveur des arts et de la culture. De nombreuses expérimentations ont été menées, plus ou moins articulées à la politique de la ville, s’adressant prioritairement aux publics les plus éloignés de la fréquentation des grandes institutions culturelles, et souvent portées par ces mêmes institu-tions1. Elles ont accompagné l’émergence et l’installation du concept d’éducation artistique et culturelle pour tous. Ce processus s’est appuyé sur la réaffirmation de la contribution essentielle de l’éducation artistique et culturelle à la formation générale de l’individu et sur la professionnalisation du partenariat, facilitée, dans le domaine de la musique, par le rôle d’interface essentiel joué par les musiciens intervenants.

1. Parmi ces dispositifs, on peut notamment citer « Dix mois d’école et d’opéra », fruit d’un partenariat mis en place en 1991 entre l’Opéra national de Paris et les académies de Paris, Versailles, Créteil « en direction des élèves relevant de l’éducation prioritaire et n’ayant pas facilement accès à l’Art et à la culture ». [https://goo.gl/Dkk1tw] On peut également signaler l’existence du dispositif Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale), initié et coordonné par la Cité de la musique – Philharmonie de Paris en 2010, « projet de démocratisation culturelle s’adressant à des enfants issus de quartiers relevant de la politique de la ville ou de zones rurales insuffi-samment dotées en institutions culturelles ». [http://demos.philharmoniedeparis.fr/le-projet.aspx]

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Il ne s’agit pas ici de dresser un tableau exhaustif des différents dispo-sitifs qui ont pu participer de ce lent processus. Si nous nous intéressons à « orchestre à l’école », c’est que son déploiement rapide sur des territoires variés en France semble témoigner tout à la fois de sa pertinence et de sa souplesse d’utilisation. De même, si nous rendons compte de son installation dans le dépar-tement de la Mayenne, c’est, qu’avec près de quarante orchestres, ce département de taille modeste a su percevoir tout le bénéfice qu’il pouvait en tirer, et lui réserver un accueil favorable. Nous allons illustrer comment les différents acteurs publics ont su l’utiliser comme un levier d’acquisition de compétences musicales, cognitives, émotionnelles, comportementales, mais aussi comme vecteur de cohésion sociale et d’animation territoriale. « Orchestre à l’école » en Mayenne semble signer la rencontre l’un dispositif et d’un territoire, rencontre qui n’a aucun caractère modélisant, mais dont l’étude peut mettre en lumière les conditions de sa réussite, de son élargissement, de son transfert.

« Orchestre à l’école » : définition, cahier des charges, organisation

On compte près de 1 190 dispositifs du type « orchestre à l’école » aujourd’hui en France, implantés dans 614 villes et 93 départements. Ces orchestres sont de nature, de répertoire, d’effectifs, d’importance, d’histoire, de rayonnement et de qualité extrêmement variés. Il semble donc nécessaire de dessiner le cahier des charges minimal du dispositif qui fonde, au-delà de ses différentes déclinaisons, ses invariants. Un « orchestre à l’école » s’appuie néces-sairement sur un partenariat territorial entre un établissement scolaire et une structure spécialisée dans l’enseignement de la musique. C’est donc un projet qui induit un travail en complémentarité entre les professeurs de l’éducation nationale et les professeurs des écoles de musique ou de conservatoire. Dans le cadre du dispositif, les élèves bénéficient en général d’une heure d’instrument et d’une heure d’orchestre par semaine. Il s’adresse a priori à une classe entière, se réappropriant ainsi l’organisation traditionnelle et l’un des marqueurs symbo-liques de l’école française et donnant de fait naissance à de véritables classes-orchestres.

Le premier dispositif de ce type a été créé en 1999 à l’initiative de la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI). La mobilisation de l’ensemble de la profession musicale a permis à de nombreuses initiatives locales de voir le jour. En septembre 2008 est créée l’association Orchestre à l’école, qui a vocation à piloter le dispositif au niveau national, à encourager la création d’orchestres notamment dans les zones géographiques et quartiers fragiles, à soutenir financièrement les initiatives et les projets et à promouvoir les actions les concernant. L’association, devenue Centre national de ressource des orchestres

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à l’école en 2017, est signataire d’une convention cadre avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la culture et le ministère de la ville. À ce soutien institutionnel s’ajoute la participation d’un important mécénat privé.

Le schéma financier d’un dispositif local s’appuie, lui aussi, sur le parte-nariat et, en conséquence, sur des contributions croisées pour en assurer l’inves-tissement – l’achat du parc instrumental – et le fonctionnement : État (intervention des professeurs de l’éducation nationale, dispositifs liés à politique de la ville, projets culturels), collectivités locales (interventions des professeurs des écoles de musique, dispositifs locaux, matériels, éventuellement parc instrumental), association Orchestre à l’école (parc instrumental, aide aux projets et à leur financement, ingénierie), éventuellement mécénat privé (parc instrumental). Dans la plupart des cas, la participation au dispositif est gratuite pour les élèves.

En cohérence avec les politiques éducatives, artistiques et culturelles dans les territoires

Le préambule de la convention cadre signée conclue le 27 février 20172

entre les ministères en charge de l’éducation et de la culture, le secrétariat d’État à la ville et l’association Orchestre à l’école pose à la fois la réalité et le cadre des convergences entre la dynamique proposée par le dispositif et les politiques portées par l’État. Elle cite notamment la mise en œuvre du parcours artistique et culturel de chaque enfant, portée conjointement par les ministères en charge de l’éducation et de la culture,3 et précisant que l’action portée par l’association « s’adosse aux grands objectifs de formation précisés dans le référentiel du parcours d’éducation artistique et culturelle4 [PEAC] ». Ceux-ci s’organisent autour de trois axes : fréquenter (les œuvres et les artistes), pratiquer (s’intégrer dans un processus collectif, réfléchir sur sa pratique) et s’approprier des connais-sances (exprimer une émotion, utiliser un vocabulaire approprié).

Le préambule évoque également la complémentarité entre l’ensei-gnement obligatoire d’éducation musicale, assurée par les professeurs de l’éducation nationale qui vise « à doter progressivement les élèves des références nécessaires à la constitution d’une culture musicale et artistique par la pratique vocale, l’éducation de la perception et la connaissance des œuvres » et « les pratiques instrumentales collectives [qui] offrent de nouvelles perspectives dès lors qu’elles sont mises en œuvre avec des moyens appropriés5 ».

2. [http://eduscol.education.fr/cid60408/orchestre-a-l-ecole.html]3. Voir la circulaire interministérielle n° 2013-073 du 3 mai 2013, conformément à l’article 10 de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.4. Arrêté du 1er juillet 2015, Journal officiel du 7 juillet 2015.5. Voir note 2.

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Un contexte favorable à la prise en charge globale de l’élève

La réforme des rythmes scolaires a relancé la réflexion sur les différents temps de l’enfant, scolaire, péri ou extra-scolaires et sur la nécessité de la bonne articulation de ces temps dans le cadre d’une prise en charge éducative globale de l’enfant, élève d’une classe, mais aussi habitant d’un quartier, d’une ville ou d’un village, adhérent d’une association ou d’un club sportif, membre d’une famille, d’une fratrie, d’une chorale... La quasi généralisation, au niveau national, des projets éducatifs territoriaux (PEDT), outils de collaboration locale qui rassemblent, à l’initiative d’une collectivité territoriale, l’ensemble des acteurs intervenant dans le domaine de l’éducation, terme pris dans son acception la plus large, a rappelé s’il en était besoin, que le temps éducatif ne se réduisait pas au temps scolaire.

Parallèlement, le socle commun de compétences de connaissances et de culture6 définit les connaissances et les compétences qui doivent être acquises à l’issue de la scolarité obligatoire. Il renforce cette approche globale, propose une mise en système et en synergie des savoirs et des disciplines au profit de cinq domaines de formation qui s’en nourrissent et les transcendent : « les langages pour penser et communiquer ; les méthodes et outils pour apprendre ; la formation de la personne et du citoyen ; les systèmes naturels et les systèmes techniques ; les représentations du monde et l’activité humaine ». Il pose une double cohérence, verticale, progressive, curriculaire, avec des paliers en jalon-nant la maîtrise, et horizontale, en invitant aux prolongements et en s’en nour-rissant, par une reconnaissance et une validation des compétences travaillées à l’école mais renforcées en dehors.

Une réflexion sur la rationalisation d’une offre éducative dispersée

La Mayenne est le plus petit département de la région des Pays de la Loire, par sa superficie et le nombre de ses habitants (318 095). Territoire rural, sa densité est de 59 habitants au km², contre 112 en Pays de la Loire, et 117 en France. Le département se caractérise par le poids important de l’industrie dans l’économie locale, notamment pour ce qui concerne le secteur agroalimentaire. Le secteur privé regroupe 12 700 entreprises, dont certaines sont leaders sur leur marché. La Mayenne compte 255 communes et dix intercommunalités (une communauté d’agglomération et 9 communautés de communes).

6. [https://goo.gl/D5pD7U]

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Pour développer une politique culturelle irriguant l’ensemble du terri-toire, le département de la Mayenne a, de longue date, misé sur le niveau inter-communal. Il a notamment voté, dès 1993, un « plan musique », qui visait à structurer un réseau d’écoles de musique intercommunales. Il a aussi soutenu la création de postes de musiciens intervenants en milieu scolaire par les communes et communautés de communes, faisant ainsi évoluer le rôle des écoles de musique vers des missions, alors nouvelles, d’éducation artistique et culturelle. Ainsi, en septembre 2017, le département comptera dix écoles de musique intercommu-nales7, un collectif des directeurs animant le réseau des établissements sur les questions d’organisation et de projets.

Cette démarche départementale a été confortée par l’évolution des cadres nationaux relatifs aux enseignements artistiques. La dimension territoriale est explicitée par la Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et respon-sabilités locales, qui, sans opérer de nouveau transfert de compétences, donne la charge aux départements d’adopter, « dans un délai de deux ans (…), un schéma départemental de développement des enseignements artistiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l’art dramatique. Ce schéma, élaboré en concer-tation avec les communes concernées, a pour objet de définir les principes d’orga-nisation des enseignements artistiques, en vue d’améliorer l’offre de formation et les conditions d’accès à l’enseignement.8 » La loi pose également clairement que les établissements d’enseignement artistique participent à l’éducation artis-tique des enfants d’âge scolaire.

En ce qui concerne l’enseignement scolaire, la Mayenne compte, en 2016, 61 442 élèves (32 591 dans le premier degré pour 6 806 000 au niveau national, 27 017 dans le second pour 5 579 355 en France), dont environ un tiers dans le réseau privé sous contrat d’association. Caractéristique d’un territoire rural, le réseau des écoles et des établissements est dispersé. Dans le premier degré, on compte 229 écoles publiques et 101 écoles relevant de l’enseignement privé sous contrat. Environ 80 % d’entre elles comptent moins de six classes. Dans le second degré public, le département compte 27 collèges, six lycées d’enseignement général et technologique et cinq lycées professionnels publics. Le réseau privé sous contrat d’association est composé de quatorze collèges, cinq lycées d’ensei-gnement général et technologique et trois lycées professionnels.

« Orchestre à l’école » en Mayenne

La Mayenne compte à ce jour 38 orchestres de ce type, ce qui, compte tenu de la taille modeste du département, montre combien le territoire s’est approprié le dispositif. En effet, si 14 écoles élémentaires publiques sur 230 sont

7. Après le passage de compétences des enseignements artistiques à la communauté d’agglomération.8. Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, article 101.

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impliquées (6 %), le dispositif existe dans un lycée général (sur 11, soit 9 %), 9 collèges (sur 27, soit 33 %), certains possédant plusieurs classes-orchestres. C’est le cas pour les collèges Jean Rostand de Château-Gontier et Sévigné de Mayenne, proposant une classe orchestre par niveau. C’est également le cas du collège Francis Lallart de Gorron, petit collège rural, ne comptant qu’une centaine d’élèves (effectif bien en deçà de la moyenne des collèges français), mais dont 70 participent aux quatre classes orchestres de l’établissement. Dès 2003, date de la création de la première classe orchestre au collège de Gorron, l’ensemble des partenaires (collectivités locales, structures culturelles, association, éducation nationale) ont fait le pari que le dispositif serait vecteur de progrès pour les élèves, tant sur le plan scolaire que sur le plan comportemental, et participerait d’un développement harmonieux de l’action culturelle sur le territoire.

L’expérience a fait l’objet d’un premier bilan académique à la fin de l’année 2015 dressé à la demande du recteur par deux inspecteurs pédagogiques régionaux d’éducation musicale, dans le cadre d’un protocole d’évaluation pilotée par la directrice académique en poste. À partir d’observations de quatre dispo-sitifs « orchestre à l’école » du Nord Mayenne et d’entretiens avec les différents acteurs et usagers (chefs d’établissements, professeurs, parents, élèves, partenaires, élus), ce bilan avait pour objectif de « mesurer les effets du dispositif sur la scolarité et la réussite des élèves au regard du projet académique » (Bourdin et Seince, 2015), sachant que celui-ci est articulé autour de quatre ambitions : 1) réussite, conforter la réussite de tous les élèves, 2) insertion, favoriser une insertion réussie dans la société ; 3) solidarité, ne laisser personne au bord du chemin ; 4) coopération, travailler ensemble pour la réussite de tous. Le bilan académique se proposait également « de mettre en évidence les effets sur la vie de l’établissement, l’ensemble de la communauté éducative et les relations établies avec les établissements d’enseignement artistique partenaires ».

Nous citerons les conclusions de ce bilan, notamment en ce qui concerne les effets constatés et avérés du dispositif, mais aussi les limites repérées.

Le renforcement des compétences musicales et comportementales des participants

Maîtriser son geste instrumental, son souffle, jouer juste, s’écouter, écouter l’autre, suivre un tempo, lire une partition, la gestuelle du chef sont quelques compétences abordées, travaillées, développées par la pratique instru-mentale et orchestrale. Celles-ci sont évaluées par l’école de musique dans le cadre du cursus musical de l’élève mais également reconnues au sein du bulletin scolaire. En effet, le bilan académique note que « la présence d’une rubrique particulière à la classe-orchestre est de nature à valoriser le travail des élèves, notamment lorsque l’appréciation prend en compte l’implication dans

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les activités collectives ». La plupart des classes-orchestres se produisant très rapidement en concert (parfois quelques semaines après la découverte des instru-ments !), une pédagogie basée sur l’oralité, sur l’imprégnation et sur l’imitation est très souvent pratiquée dans les classes de débutants, avant même de travailler la lecture des partitions, abordée dans la suite du processus d’enseignement.

Ceci étant, le bilan académique souligne qu’au-delà de ces compétences musicales, ce sont les compétences sociales et civiques, d’une part, l’autonomie et l’initiative, d’autre part, qui sont unanimement reconnues « comme des marqueurs forts du dispositif de classe-orchestre. »

En effet, tous les témoignages convergent pour affirmer que la partici-pation à un projet collectif, valorisé par une présentation publique, induit une dynamique positive, qui crée et soutient la motivation de tous, justifie les efforts faits individuellement en leur donnant du sens, favorisant ainsi une forme d’intégration sociale transférable. Les élèves se sentent reconnus, renforcés dans leur estime de soi, s’intègrent mieux dans l’établissement, sont davantage assidus, peuvent se réconcilier avec les apprentissages plus traditionnels9. Ils apprennent de fait à respecter les règles collectives, comme les exigences et le calendrier du projet, ou les codes établis et exigeants des concerts publics.

De même, porté par le groupe, l’élève travaille aussi sa responsabilité individuelle et son autonomie ; il choisit son instrument, prend soin de son matériel et le gère, apprend à travailler sa partition, à retravailler les passages insuffisamment maîtrisés, à organiser son temps. Des chartes de fonctionnement des classes orchestres formalisent parfois ces exigences « pour soi vis à vis des autres ». Enfin, « si la plupart des élèves ne fait pas le constat d’une incidence positive ou négative de la pratique musicale sur la réussite scolaire, un élève rencontré indique de manière remarquable que la classe-orchestre “l’a rendu plus fort” en lui apportant une motivation supplémentaire dans son travail au collège10. »

Des projets ambitieux, des rencontres avec des professionnels

Le 14 mars 2015, lors du festival Jeune public, Myung-Whun Chung, dans l’Auditorium de Radio France, l’orchestre philharmonique de Radio France et trois orchestres à l’école, dont un collège mayennais11, ont interprété la Symphonie du Nouveau monde, d’Anton Dvorak, sous la direction d’Adrien

9. Voici un exemple parmi d’autres de « réconciliation scolaire », dont peut s’enorgueillir le dispositif dans le dépar-tement de la Mayenne : un élève de e, atteint de phobie scolaire, était instruit à domicile. Scolarisé « à l’essai » en 5e dans un collège proposant « orchestre à l‘école », membre de cet ensemble, il a progressivement repris confiance en lui, consolidé ses relations et finalement obtenu son baccalauréat avec mention très bien.10. Bilan des observations dans le département de la Mayenne, op. cit., p. 7.11. Les trois orchestres à l’école retenus pour participer au projet étaient ceux de Gorron (Mayenne), de Sorgues (Vaucluse), et de Livron (Drome).

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Perruchon. Une semaine de répétition sur place avait précédé le concert et, en janvier, une rencontre entre les trois orchestres de jeunes avait eu lieu, à laquelle étaient associés deux musiciens du philharmonique suivant le projet.

Au-delà du caractère inoubliable de l’expérience vécue par les élèves, il faut souligner le caractère « apprenant » de ce type de projet. La rencontre avec le grand répertoire de l’orchestre, l’émotion artistique générée par cette rencontre, la réalisation d’un concert dans des conditions professionnelles, au côté d’un des grands orchestres français, dans une salle parisienne de référence, renforcent tout le travail mené en amont au sein des dispositifs, donnant du sens à ce travail, à l’exigence demandée et confortent l’ambition des élèves. Le contact avec les diffé-rents professionnels, les musiciens (chefs d’orchestre, répétiteurs, instrumen-tistes), les techniciens (ingénieurs du son, régisseurs), les métiers de communication, les administratifs font prendre conscience de la richesse du monde de la musique vivante et de la diversité des métiers qui y participent. « Jouer avec des musiciens professionnels est une source de fierté pour eux, et plus encore lorsque le concert est donné dans un lieu prestigieux ou embléma-tique » souligne le bilan académique.

Même si tous les projets ne sont pas aussi ambitieux, l’organisation et la tenue de concerts réguliers font partie de la culture de projet portée par toutes les classes orchestres : participation aux journées portes ouvertes, à des cérémonies officielles et républicaines diverses (remise du diplôme national du brevet, jume-lage, vœux), aux fêtes (de l’établissement, de la musique), concerts de Noël, manifestations organisées dans des lieux extrêmement variés, allant de la salle polyvalente de l’établissement au salon de l’Élysée, en passant par le Sénat, le conseil départemental, la direction académique ou l’Olympia. Tous ces concerts impliquent la prise en compte des exigences de la musique vivante et induisent des rencontres avec des professionnels.

Des éléments de transmission entre pairs et entre générations

Dans de nombreux cas, la remise des instruments de musique donne lieu à une cérémonie publique qui solennise l’entrée dans le dispositif et la réception par chaque élève de l’objet qu’il va apprendre progressivement à maîtriser et dont il sera responsable durant tout le cursus. Cette cérémonie inter-vient après une période de quelques semaines, pendant laquelle le jeune aura pu manipuler plusieurs instruments, affiner et faire son choix. Elle donne lieu à un concert des aînés, concert qui intègre pour partie les débutants, avant la remise des instruments proprement dite. Lorsque le dispositif est parrainé par une formation d’adultes riche d’une certaine notoriété sur le territoire, la cérémonie voit se succéder le concert de l’orchestre parrain, une prestation commune inté-grant les débutants, et la distribution des instruments par pupitre, ce qui, de fait,

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installe des parrainages individuels par couples d’instrumentistes de générations différentes12. Parfois, c’est une formation d’anciens élèves qui parraine le dispo-sitif de l’établissement13.

Il est clair que ce type de cérémonies joue fortement sur la symbolique de la transmission, du passage de témoins entre les jeunes et entre les générations. D’autant que le même type de cérémonie a lieu pour la reprise des instruments, lorsque l’élève sortant du dispositif va poursuivre son parcours.

Le resserrement des liens intergénérationnels ne se limite pas à ces circonstances. Le bilan académique souligne que « les élèves se déclarent souvent très proches des professeurs impliqués dans l’animation des classes-orchestres (professeur d’éducation musicale, professeurs des écoles de musique et des conservatoires). Ils identifient ces enseignants comme ceux leur apportant la plus grande aide. Les élèves apprécient également de se sentir “à pied d’égalité” avec leurs professeurs lorsqu’ils partagent une même partie dans la production orches-trale ». D’autant que le dispositif permet à certains professeurs de l’établissement, non spécialistes, de profiter de sa présence pour y participer et conforter eux même leurs compétences musicales. L’aspect convivial d’orchestre à l’école, souligné par bon nombre de participants, renforce les liens sociaux et la qualité du « vivre ensemble ». La contribution du dispositif à la sérénité du climat scolaire, une des conditions indispensables à la qualité des apprentissages, mérite d’être soulignée.

La symbolique de la transmission intergénérationnelle se retrouve également au niveau du répertoire, par exemple lorsque les ensembles abordent un répertoire de musiques traditionnelles, proposant alors, par essence, un modèle à la fois intemporel et transmissif, ou au contraire s’appropriant des répertoires très identifiés géographiquement ou historiquement14.

Le sentiment d’appartenance aux dispositifs, aux établissements, aux territoires

Nous l’avons souligné, l’élève qui participe au dispositif fait souvent valoir un sentiment de fierté. Il fait effectivement partie d’un groupe clairement identifié, dont la valeur et le travail sont reconnus, appréciés, les productions

12. C’est le cas des classes orchestres du collège Jean Rostand de Château-Gontier, de formation variété jazz, parrainés par deux formations d’adultes, le Big Band Sud Mayenne et les K-phoniques. Elles sont aussi jumelées avec un orchestre à corde de Fribourg en Brisgau.13. La classe orchestre du lycée Victor Hugo de Château-Gontier, créé en septembre 2012 est parrainée par un groupe rock d’anciens élèves, le groupe Rotters Damn.14. À ce titre, le projet 2017 autour du répertoire américain des classes orchestres de Château Gontier, Renazé, et Gorron mérite d’être cité. Les trois orchestres, après avoir étudié durant l’année, d’abord séparément puis dans une formation de près de 70 élèves, le répertoire de la musique américaine (jazz et comédies musicales), iront le présenter à New York afin d’être confronté in situ au public américain et à d’autres orchestres locaux, lors d’un séjour d’une dizaine de jours.

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attendues. Le caractère intégratif du dispositif est reconnu et opportunément utilisé. Dans plusieurs écoles primaires du département, il a facilité l’accueil des réfugiés, les enfants intégrant l’orchestre tandis que les parents suivaient les concerts comme les autres familles.

De nombreux accessoires et situations favorisent ce sentiment d’appar-tenance au dispositif ou à l’établissement porteur, les cérémonies abordées plus haut relevant elles d’une sorte d’adoubement symbolique. Du côté des acces-soires, on citera la tenue commune pour les concerts ou les logos de l’orchestre ou de l’établissement. Mais nous insisterons surtout sur les passages obligés qui ponctuent la vie des dispositifs, qui, de la recherche de subventions jusqu’à l’enca-drement des concerts et des sorties, en passant par l’excitation et stress de « l’avant concert », le soulagement et la fierté de « l’après », créent une dynamique collective commune. Dans plusieurs établissements, les parents d’élèves ont d’ailleurs créé une association spécifique, signifiant ainsi la place active qu’ils souhaitaient prendre dans cette dynamique, mais aussi de l’exigence quasi profes-sionnelle que demande une parentalité de ce type. Des orchestres de parents voient le jour, répondant ou prolongeant ceux des élèves15. Évidemment, l’impor-tance de cette dynamique est fortement corrélée au poids démographique des participants au dispositif par rapport à l’ensemble de la population scolaire.

Les retombées du dispositif

Ces retombées étaient attendues, ne serait-ce que pour valider l’inves-tissement public consenti, sachant que, dans le département de la Mayenne, un élève sur cinq d’école de musique étudie son instrument sur le temps scolaire. S’il est impossible de mesurer ces retombées de manière complète, des tendances se dessinent.

Ainsi, si la poursuite d’étude instrumentale individuelle existe, illustrée par de vraies réussites, elle peut être considérée statistiquement comme assez faible. Nous l’avons vu, ce n’est pas l’objectif premier du dispositif. En revanche, la poursuite de la pratique instrumentale collective semble beaucoup plus signi-ficative, ce qui a pour effet positif et mesurable de permettre aux orchestres locaux d’assurer le renouvellement de leurs instrumentistes. Ainsi, si l’on prend l’exemple du territoire de l’école intercommunale du Bocage Mayenne, sur lequel trois dispositifs sont déployés, pour 30 élèves en sortant en 2014, 13 avaient rejoint l’année suivante un orchestre associatif du territoire, participant ainsi de son animation. De même, environ 50 % des instrumentistes de l’harmonie de Bais sont d’anciens membres d’orchestres à l’école. Fort du dynamisme renforcé de son harmonie, ce village de moins de 1 400 habitants organise depuis sept ans les Baldifolies, festival d’orchestres amateurs, qui réunit chaque année environ

15. C’est le cas à Laval, où le steel band de l’école Germaine Tillion a donné naissance à un orchestre similaire regrou-pant des adultes du quartier des Pommeraies.

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un millier d’instrumentistes. Les retombées en termes d’animation du territoire, de pratique et de consommation musicales sont évidentes, sans évoquer les retombées économiques.

L’usage stratégique d’un dispositif souple et mobilisateur

Développement de compétences musicales, transversales, transférables chez les élèves, insertion dans un collectif apprenant, renforcement de l’ambition et de l’exigence collectives et individuelles, inscription dans une dynamique de projet, insertion et mobilisation d’adultes, resserrement des liens sociaux, trans-mission intergénérationnelle, retombées en termes de pratique, d’animation et de consommation artistiques sur le territoire, les apports et les effets potentiels d’un dispositif comme « orchestre à l’école » sont nombreux et couvrent un large spectre.

Au-delà de la spécificité du dispositif et du département étudiés, cette étude de cas illustre la manière dont des acteurs publics d’un territoire, pleinement conscients des apports de la pratique musicale collective ont su créer une belle dynamique partenariale pour favoriser cette pratique et en tirer bénéfice : béné-fice pour les élèves qui découvrent le monde de la musique de manière à la fois gratifiante et exigeante, développent des compétences musicales, cognitives et comportementales variées et transférables, apprennent l’autonomie, confortent leur projection dans l’avenir, affinent leur projet de vie ; bénéfice pour les porteurs de politiques publiques en faveur des arts et de la culture, par la qualité renforcée du partenariat éducatif, par l’accroissement quantitatif et qualitatif du public impacté par la pratique artistique et la consommation culturelle ; bénéfice pour les adultes qui entourent les élèves, participent à la dynamique de projet et profitent aussi de ses effets ; bénéfice enfin pour le territoire sur le plan social et politique, grâce au renforcement de la cohésion de ses habitants et du sentiment identitaire, au resserrement des liens intergénérationnels, aux retombées locales en termes d’animation et de consommation culturelle. Cette étude de cas illustre ainsi le rôle essentiel d’acteurs locaux pour reconnaître, mesurer et utiliser au mieux le potentiel éducatif et mobilisateur d’un dispositif, afin de l’ajuster aux enjeux éducatifs, aux contraintes et aux spécificités des territoires où il se déploie. Quant au dispositif étudié, il semble bien que ce soit sa grande souplesse qui rende relativement aisée son utilisation stratégique dans le cadre d’une politique locale cohérente et puisse ainsi produire les effets positifs les plus probants.

Bibliographie

BOURDIN Y., SEINCE M. (2015) : Orchestre à l’école. Bilan des observations dans le département de la Mayenne, Nantes, Académie de Nantes.

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Musique et cohésion sociale lors d’un moment décolonial1 en Afrique du Sud*

Stephanus MullerUniversité de Stellenbosch, Afrique du Sud

En 2015-2016, l’Afrique du Sud a été secouée par une vague de protes-tation étudiante d’ampleur nationale. Déclenché par le mouvement #RhodesMust-Fall (RMF)2 à l’Université du Cap (UCT), qui réclamait le retrait du campus de la statue du magnat minier impérialiste Cecil John Rhodes (1853-1902), le mouvement s’est ensuite différencié au sein des différentes universités, intégrant des dimensions anti-Afrikaans, intersectionnelle3 et ouvrière. Il a finalement abouti à la revendication d’une éducation gratuite pour tous, identifiée dans un mouvement national intitulé #FeesMustFall4. Les établissements d’enseignement supérieur sud-africains ont réagi à cette vague de protestation de différentes manières. À l’Université de Stellenbosch, où le mouvement était initialement dirigé par le collectif OpenStellenbosch, les rencontres, soigneusement chorégraphiées, entre les étudiants et la direction ont finalement dégénéré en une confrontation frontale, marquée par des actes de désobéissance civile et des perturbations de la part de certains étudiants ainsi que par une réponse sécuri-taire croissante de la part de la direction de l’université.

C’est dans ce contexte (mais sans lien de causalité) que l’Université de Stellenbosch a fondé Africa Open, un institut pour la musique, la recherche et l’innovation, dont l’objectif est de mener des projets interdisciplinaires et expé-rimentaux. Parmi les premiers projets mis en œuvre par l’institut, deux comprenaient l’instauration d’un dialogue avec les protestations étudiantes, par

* Article traduit par Sylvaine Herold. 1. Le terme « décolonial » fait référence à un mouvement de pensée, né d’abord en Amérique latine et faisant l’objet d’une réception encore assez superficielle en France, qui dénonce la survivance de phénomènes de domination post-coloniaux via les structures subjectives du pouvoir, les imaginaires et la colonisation épistémologique, en Amérique latine, en Afrique ou en Asie notamment. Le mot fait allusion à l’invasion de l’imaginaire de l’autre, à son occidenta-lisation. « S’opère, alors, la naturalisation de l’imaginaire de l’envahisseur européen, la subalternisation épisté-mique de l’autre, le non-européen, et la négation et l’oubli des processus historiques extra-européens. » (Source : site de l’IRESMO, Luiz Fernandes de Oliveira, Vera Maria Ferrão Candau (2010), « Pedagogia decolonial e educação antirracista e intercultural no Brasil », Educ. rev., vol. 26 n° 1, Belo Horizonte) (NdT)2. À bas Rhodes. (NdT)3. L’intersectionnalité est un concept, forgé en 1989 par l’universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw, visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race. Voir : « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum, 1989 (NdT) 4. À bas les frais de scolarité. (NdT)

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le biais de la musique. Bien qu’ils n’aient pas délibérément recherché la création d’espaces d’expression pour les identités protestataires ou de cohésion sociale parmi les manifestants, ces deux projets ont montré comment la musique peut permettre à des étudiants évoluant dans des environnements éducatifs contestés d’exprimer des identités anticonformistes et de créer de nouvelles formes de cohésion sociale dans des circonstances difficiles.

Le premier projet, Ingoma Yomzabalazo, a accompagné la création d’un collectif étudiant à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg) en reconnais-sance de l’importance de la musique (et de son archivage) pour la recherche. Les termes du projet accordaient une grande autonomie aux étudiants, leur permet-tant de fixer eux-mêmes leur agenda en fonction de leur ressenti de la crise en cours. Le second projet, You’re in Chains Too5, a consisté en l’organisation d’un concert de solidarité en faveur d’une éducation gratuite pour tous. Ce concert a eu lieu dans une église, car il n’était pas possible d’organiser ce genre d’évène-ments sur le campus de l’université. Il s’agissait d’explorer de nouvelles formes de cohésion sociale de la protestation dans un environnement éducatif contesté. Sans le soutien structurel de l’université à la création d’un institut comme Africa Open, ces réponses (pas nécessairement en adéquation avec l’agenda ou l’approche de l’université) n’auraient pas été envisageables. Dans cet article, la création d’Africa Open et les projets Ingoma Yomzabalazo et You’re in Chains Too sont analysés comme des exemples d’engagement sociopolitique d’une université sur la base et par le biais de la musique, dans un contexte caractérisé par des appels pressants au changement décolonial6.

Africa Open : une réponse structurelle aux demandes de changement

En juin 2016, l’Université de Stellenbosch – qui héberge le plus ancien département de musique universitaire d’Afrique du Sud – a approuvé la création d’un nouvel institut indépendant pour la recherche musicale. Africa Open – Institut pour la musique, la recherche et l’innovation – a été fondé pour être le lieu de divers projets musicaux et de recherche radicaux, sur un financement initial de la Fondation Andrew W. Mellon, de la Fondation Volkswagen et du programme de bourses Newton de la British Academy. Ces projets, intitulés respectivement « Delinking Encounters »7 (qui prévoient la numérisation des collections d’archives musicales, la publication d’éditions critiques de musique africaine, la formation d’un forum interdisciplinaire pour l’étude des musiques populaires et la conservation de contenus pour la publication électronique),

5. « Vous êtes dans les fers, vous aussi ». (NdT)6. Voir note 1. (NdlR)7. « Déconnecter les rencontres ». (NdT)

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« The Hidden Years Music Archive Project »8 ou HYMAP (qui documente la musique populaire en Afrique du Sud entre 1959 et 2005) et « South African Jazz Cultures and the Archive »9 (une collaboration avec l’Université de York, à travers laquelle les conversations et les performances de musiciens jazz sont documentées et conservées), ont représenté une évolution majeure par rapport à l’approche, centenaire, de l’université, qui consistait à promouvoir au niveau institutionnel la musique savante occidentale, tout en cultivant une certaine indifférence pour le riche héritage musical sud-africain, au-delà de cette enclave disciplinaire.

En 2005 lorsque le département de musique de l’université a célébré son centenaire en publiant une brochure commémorative confirmant la prédomi-nance de la musique savante occidentale dans cette université, où certains des hommes politiques sud-africains les plus connus de l’époque de l’apartheid ont étudié et travaillé (Grové, 2005 ; Walton, 2007). L’étude des liens entre les présup-posés idéologiques de la musique savante occidentale dans ses itérations colo-niales et les hypothèses de suprématie blanche (culturelle/musicale) est devenue depuis un riche champ d’investigation et de critique pour les universitaires musi-cologues sud-africains. Cependant, vingt ans seulement après les premières élec-tions démocratiques en Afrique du Sud, cet élan critique s’est heurté à une résistance farouche, y compris à travers des mesures de censure institutionnelle et des menaces de poursuites judiciaires (Muller et Froneman, 2005). Les discours sur la musique au sein des établissements d’enseignement supérieur (discours qui défient, dénient, ignorent, critiquent, exposent ou défendent les intrications complexes entre la musique et les contextes socio politiques) sont dès lors devenus des exemples fascinants d’un processus de négociation des héritages culturels de l’apartheid et du colonialisme, représentant, à bien des égards, une forme de contestation exemplaire venant souligner les problèmes plus profonds de la société sud-africaine en cette seconde décennie du XXIe siècle. Et de fait, nombre des problèmes non réglés de l’Afrique du Sud moderne, en vertu d’un compromis politique imparfait, reflètent, de manière lancinante, la désillusion d’une géné-ration d’étudiants soi-disant « née libre » – y compris dans les départements de musique.

La création d’Africa Open a constitué une réponse structurelle à ces circonstances particulières. Conçu comme institut interdisciplinaire et trans-disciplinaire pour la recherche musicale en Afrique, il vise en particulier à étudier la contribution de la musique sud-africaine et africaine à la musique locale, continentale et internationale, tout en collaborant avec des artistes, des univer-sitaires et le public (Muller, 2016). S’appuyant sur un projet, lancé en 2005, d’élaboration d’une archive musicale à l’Université de Stellenbosch (le Centre de documentation pour la musique, DOMUS10) comme base pour la préservation

8. « Le projet d’archivage musical des années cachées ». (NdT)9. Les cultures jazz sud-africaines et les archives. (NdT)10. Documentation Centre for Music en anglais. (NdT)

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du patrimoine musical et des futures évolutions curriculaires, Africa Open entend créer l’archive musicale en libre accès la plus importante, la plus sûre et la plus en pointe technologiquement d’Afrique, tout en offrant un espace intellectuel d’avant-garde et interconnecté pour la recherche, l’innovation et la pensée critique, mettant l’accent sur des projets créatifs en contexte africain. Au cours de ses onze années d’existence, DOMUS a mis au point un modèle dynamique de constitution d’archives et de diffusion de la connaissance, via des bourses d’études et d’autres projets créatifs. Ce modèle est dorénavant formalisé sous la forme d’un institut universitaire (Africa Open) intégrant une archive (DOMUS) (de Jongh, 2015). Il a montré à quel point l’archivage est un instrument puissant de changement dans la manière dont sont produits les savoirs, en ancrant ces changements dans la matérialité de passés encore exclus ou ignorés de l’histo-riographie. Offrir un espace institutionnel pour que le passé devienne histoire à travers la recherche universitaire et, réciproquement, découvrir, grâce à la recherche, de nouveaux matériaux qui seront intégrés aux archives afin de devenir visibles historiquement, telle est la stratégie d’Africa Open pour mener à bien le renouveau des études musicales en Afrique du Sud.

On ne saurait sous-estimer l’importance du changement institutionnel et structurel pour permettre de formuler des réponses flexibles aux défis actuels de l’enseignement supérieur en Afrique du Sud. Théoriser, écrire, développer une terminologie de la décolonialité/de la transformation/du changement, protester et financer des projets interventionnistes, tout cela a de l’importance. Mais cela ne saurait être suffisant, notamment car ces initiatives peuvent rarement être des stratégies à long terme au sein des processus d’évolution lents qui caractérisent le changement à l’université. Les énergies (et les opportunités) qui se manifestent dans ces activités nécessitent des structures qui prennent en compte, au-delà de la crise actuelle, la réalité des futures générations d’étudiants. Ces étudiants n’auront pas seulement besoin de l’outillage pratique et méthodologique pour penser de manière nouvelle l’Afrique du Sud à travers la musique, mais également des ressources que pourront leur fournir des structures institutionnelles conçues et développées dans le but de mettre en œuvre la promesse du moment décolonial que nous vivons actuellement.

L’institut Africa Open est ainsi engagé dans différents types d’études et de projets expérimentaux. Il encourage les masters de recherche et les doctorats à orientation artistique et conventionnels sur différents sujets et à partir de différentes méthodologies ; il soutient des performances, des initiatives de conser-vation, des films, des ateliers et des enregistrements ; il a lancé un projet visant à publier des éditions critiques de musique africaine, à les rendre disponibles au format numérique et rentables commercialement pour les compositeurs afri-cains ; il œuvre à la mise en place de résidences artistiques qui ouvrent l’université à des traditions musicales non représentées dans les intérêts souvent étroits des facultés et dans les curricula occidentalisés, tout en traduisant ces rencontres par de la génération de contenus pour une publication électronique expérimentale.

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En 2006 déjà, lorsque la Société de musicologie d’Afrique du Sud et le Symposium d’ethnomusicologie avaient fusionné pour devenir la Société sud-africaine de recherche en musique (SASRIM)11, la recherche universitaire sud-africaine en musicologie avait pris un tournant décisif, s’écartant des cloisonnements disci-plinaires qui caractérisent les études musicales supérieures dans de nombreux établissements occidentaux. Bien que les départements de musique des universités s’accrochent mordicus aux distinctions disciplinaires entre « ethnomusicologie », « théorie musicale », « éducation musicale », « études des musiques populaires » et « musicologie », sans doute en vertu d’un mélange de considérations pragma-tiques et idéologiques, la contamination de ces labels à l’ère de l’apartheid a incité la SASRIM à adopter celui, plus inclusif, d’« études musicales », afin d’intégrer tous les domaines d’études universitaires en musicologie, y compris les recherches artistiques s’intéressant à des savoirs auparavant non valorisés par l’académie. Africa Open, en tant qu’institut de recherche de deuxième et troisième cycle, n’est pas tenu par la pragmatique de l’enseignement et des curricula, ni de s’inscrire dans les traditions de recherche universitaire territorialisées et colo-niales issues de l’ère de l’apartheid. Sa création par l’Université de Stellenbosch, en tant que structure qui, sans le remplacer, existe indépendamment d’un dépar-tement de musique basé sur un conservatoire, constitue une reconnaissance institutionnelle majeure de l’importance de l’éducation musicale dans l’université sud-africaine du XXIe siècle, dont le rôle se doit de dépasser la simple formation de musiciens à même de jouer les canons occidentaux et d’enseignants à même de les former.

Les archives de la protestation : Ingoma Yomzabalazo

La vague de protestation étudiante de 2015-2016 a été remarquable, notamment en raison du rôle clé joué par la musique lors des meetings et des manifestations12. L’importance de la musique dans la lutte pour la justice sociale et politique en Afrique du Sud est depuis longtemps reconnue par les musiciens et les universitaires. Les manifestations étudiantes de 2015-2016 appelaient dès lors une réponse savante de la part d’Africa Open, afin de documenter le son et la généalogie de la protestation, tout en permettant aux étudiants de s’engager dans un projet intellectuel de production de savoir. Le projet Ingoma Yomzaba-lazo: Song as Struggle and Resistance Caucus13 illustre la manière dont les étudiants ont eux-mêmes décidé de l’agenda de leur engagement intellectuel – à travers la

11. South African Society for Research in Music en anglais. (NdT)12. Des manifestations ont eu lieu dans la plupart des universités sud-africaines, sous des formes variées : manifes-tations pacifiques, occupations de bâtiments, vandalisme et altercations violentes entre étudiants et police/sécurité privée/forces paramilitaires.13. Conseil sur le chant comme lutte et résistance. (NdT)

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musique – à ce moment historique de transformation de l’université. Lors d’une réunion avec l’étudiant militant Mbe Mbhele de l’Université du Witwatersrand et le collectif BLK Thought à Braamfontein (Johannesburg) le 16 octobre 2016, Africa Open a proposé de financer la documentation des chants de protestation étudiants, afin de les archiver comme matériaux pour de futures recherches. Bien que cette initiative pour une documentation archivistique formelle ait été prise par Africa Open, la discussion à Braamfontein a révélé que les étudiants du collectif BLK Thought avaient depuis longtemps, et de leur propre initiative, entrepris l’exploration intellectuelle et créative de la musique de protestation. Ce qui leur avait fait défaut, cependant, avait été l’absence de reconnaissance institutionnelle de l’importance de ce phénomène et des discussions l’entourant dans la communauté étudiante. Ce manque de reconnaissance témoignait de l’existence alors généralisée de perceptions, souvent erronées, du mouvement étudiant comme un phénomène de foule destructeur et anti-intellectuel. Il montrait également à quel point le rôle de la musique dans les évènements sociopolitiques sud-africains contemporains demeurait incompris et sous-estimé par la direction des universités. Suite à la réunion de Braamfontein, Mbhele a fait part de la volonté du mouvement étudiant d’organiser un symposium pour débattre de la direction à donner au projet. Ce symposium a été organisé le 27 octobre 2016 à Carfax (Newton, Johannesburg). Il a été filmé et enregistré comme partie intégrante du plus important projet de documentation des chants du mouvement étudiant.

Le 9 janvier 2017, Mbhele a envoyé à Africa Open une proposition pour le projet Ingoma Yomzabalazo: Song as Struggle and Resistance Caucus. Le collectif BLK Thought suggérait d’organiser un évènement sur trois jours dans la province du Cap occidental dans les trois universités régionales (Université du Cap, Université du Cap occidental et Université de Stellenbosch) et dans le township de Kayelitsha14, qui inclurait des performances, des lectures, des débats et des collaborations improvisées.

[L’initiative] cherche à trouver des voies pour parler de ce que le chant signifie

pour les populations noires au sein de la lutte et de quelle manière il peut être

ou a été utilisé comme méthode de résistance. Ce qui intéresse le conseil, c’est

de créer un dialogue entre les artistes sur le rôle des pratiques acoustiques des

populations noires dans la lutte. Autrement dit, le conseil souhaite créer une

communauté de pratiquants qui pourront interpréter, archiver et transmettre

cette « chose » qu’est le chant dans l’expérience de cette autre « chose » qu’est

d’être noir. Fondamentalement, le conseil cherche à trouver des moyens et des

mots pour souligner la vitalité de l’art nègre dans le projet décolonial.15

14. Le township de Kayelitsha, situé dans la métropole du Cap, est le deuxième plus grand township d’Afrique du Sud. (Source : Wikipédia) (NdT)15. Extrait du programme d’Ingoma Yomzabalazo.

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Cette proposition a abouti à la visite de plusieurs artistes et étudiants militants de l’Université de Witwatersrand dans la province du Cap occidental, du 15 au 17 février 2017, dans le cadre d’un partenariat entre BLK Thought, la « station spatiale panafricaine »16, Iphupho L’ka Biko17 et Africa Open.

Le projet Ingoma Yomzabalazo s’inscrit dans un engagement permanent d’Africa Open consistant à travailler, avec les étudiants militants, à documenter et à développer le dialogue sur les chants, à soutenir des performances, en s’intéressant également, selon les termes du collectif BLK Thought, au « pouvoir animateur » des chants dans la lutte pour la justice sociale et l’éducation gratuite. Au moment d’écrire cet article, les mouvements de protestation étudiants en Afrique du Sud semblent avoir été décimés sous l’effet combiné de mesures répressives, de fractures internes et d’une certaine fatigue. Le travail du collectif BLK Thought montre pourtant que les explorations les plus intéressantes et les plus stimulantes de l’impact des performances musicales sur la cohésion sociale et l’identité, des phénomènes de transmission intergénérationnelle de trauma-tismes et de sens à travers la musique, ou encore des intrications entre démo-cratisation et pratiques musicales en Afrique du Sud, sont fonction de l’activisme, et vont souvent à l’encontre des institutions éducatives. Le rôle de la musique comme vecteur de cohésion sociale trouve son expression la plus éloquente non pas dans les curricula ou dans les activités proposées par les universités sud-africaines, mais bien dans le tumulte de la protestation, qui constitue le centre de la pensée et des actions cherchant à concevoir un avenir au-delà des catégories de l’apartheid et des clichés coloniaux. L’archivage de ce moment a donc à voir avec l’impératif d’une réponse intellectuelle qui envisage ces moments de protes-tation comme des moments de réflexion et de création.

Solidarité non autorisée à travers la musique : You’re in Chains Too

Fin 2016, après des mois d’une forte présence militaire et policière sur les campus à travers tout le pays, l’institut Africa Open a organisé un concert de solidarité avec les étudiants dans une église de Stellenbosch, située en dehors et en face du campus, appelée la Kruiskerk. Intitulé « You’re in Chains Too », ce concert est apparu comme le moyen, pour des musiciens et poètes renommés, d’exprimer leur solidarité avec les étudiants protestataires, dont un grand nombre avait été renvoyé ou incarcéré injustement pour leurs activités lors des manifes-tations. L’évènement était également important symboliquement, comme moyen de formuler une réponse artistique à la violence et au traumatisme subis, de

16. Pan-African Space Station (PASS) en anglais, une station radio qui comprend : « un studio radio live périodique et contextuel ; un espace de représentation et d’exposition ; une plateforme de recherche et une archive vivante, ainsi qu’une chaîne de radio internet permanente ». [http://panafricanspacestation.org.za]17. Groupe de musique fondé en 2015 à Johannesburg.

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créer un sentiment d’unité et de réconfort au sein d’une communauté vulnérable et de forger un sentiment de solidarité entre les personnels de l’université et les étudiants, inquiets de la violence institutionnelle et des réponses policières. D’un point de vue formel, l’université n’a pas souhaité soutenir l’évènement par la mise à disposition d’équipements ou un soutien financier. You’re in Chains Too a donc proposé des performances musicales et poétiques comme expressions non officielles de résistance et de solidarité, au sein d’une structure éducative essen-tiellement tournée vers le maintien de l’ordre et dont la direction se souciait principalement de préserver le concept de neutralité bureaucratique, dans un contexte de troubles sociopolitiques et d’ébranlement du projet universitaire.

La présence de musiciens, de poètes et d’intellectuels plus âgés et respectés, en interaction avec des jeunes musiciens, poètes militants et porte-paroles du mouvement étudiant, a contribué à convertir ce lieu, pendant les quatre heures du concert, en une sorte de vision alternative de l’université. Y ont eu lieu : des interactions intergénérationnelles dans des performances collectives (le batteur vétéran Louis Moholo-Moholo18 et le pianiste Kyle Shepherd19) ; des discussions informelles constructives entre des intellectuels engagés chevronnés (comme Lwasi Lushaba20) et des étudiants militants, notamment sur l’ambiguïté entre les modes d’action et de protestation esthétiques et politiques ; et l’évocation de moments antérieurs de lutte politique historique, en lien avec les préoccupa-tions contemporaines (la poésie de Lesego Rampolokeng21 en association impro-visée avec Louis Moholo-Moholo). Mais, si cet espace tout entier résonnait de critique, de douleur, de création, de peur, d’engagement, de colère et de toute une gamme d’émotions et de sensibilités convoquées par la poésie et la musique afin de tenter de faire face à la crise sociopolitique en train de balayer les univer-sités sud-africaines, il était également confiné territorialement par une surveil-lance rapprochée du périmètre de l’église par l’université et par des interventions violentes d’une force de sécurité menaçante, comme lors de l’envoi d’un véhicule blindé afin d’intimider les étudiants qui arrivaient à l’église en chantant.

Le concert You’re in Chains Too est par ailleurs venu illustrer les limites des tentatives de mise en scène des processus d’apprentissage ou de catharsis à travers la musique, en tant que programme officiel organisé d’interactions pres-crites. La perturbation de l’évènement par des étudiants protestant contre la perfor-mance d’une personne blanche (l’écrivaine Stacy Hardy22) exprimant la souffrance de la violence sexuelle en usant de la métaphore de la brutalité policière, dans sa lecture intitulée « Indecent Exposure »23, a constitué un point de rupture critique,

18. Louis Tebogo Moholo (né en 1940), batteur jazz du groupe The Blue Notes.19. Kyle Shepherd (né en 1987), pianiste et compositeur jazz primé.20. Maître de conférences en sciences politiques à l’Université du Cap.21. Lesoko Rampolokeng (né en 1975) est un écrivain, dramaturge et poète-performer sud-africain qui travaille actuellement à l’Université de Rhodes à Grahamstown (Afrique du Sud).22. Stacy Hardy (née en 1987) est écrivaine et journaliste ; elle travaille à l’Université de Rhodes à Grahamstown (Afrique du Sud).23. Exposition indécente. (NdT)

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mettant à rude épreuve l’idée que l’espace esthétique puisse être dissocié ou puisse agir en tant que médiateur de tensions théoriques et politiques parvenues à un tel point de radicalisation qu’elles basculent souvent dans la violence. Fait marquant toutefois, cette perturbation elle-même est devenue un catalyseur permettant aux étudiants d’intervenir sur l’importance de la musique en tant qu’héritage de lutte et de protestation. Athabile Nonxuba, étudiant à l’Université du Cap, emprisonné à double reprise pour son implication dans les manifestations autour du mouvement Rhodes Must Fall, a pris la parole et livré une conférence sur l’importance histo-rique du jazz dans la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud et de figures comme Louis Moholo-Moholo et Lesego Rampolokeng, parvenant ainsi à convaincre les étudiants que la musique, les artistes, cet espace et les perfor-mances qui s’y déroulaient leur appartenaient. Il a défendu, face à un public récalcitrant, l’idée qu’il fallait permettre à la musique de continuer, et donc au concert de reprendre avec Nduduzo Makhathini (pianiste), Afurakan24 (poète) et Louis Moholo-Moholo, en duo avec Lesego Rampolokeng.

Les débats ultérieurs autour de cet évènement sur les réseaux sociaux ont révélé l’importance de la musique dans la conscience sociale et politique du pays. Ils ont également permis d’ouvrir une discussion entre les différentes opinions présentes au sein du mouvement étudiant et d’exposer les tensions existantes, donnant par là même un aperçu fascinant des affrontements intellec-tuels et esthétiques qui font du Fallism25 un mouvement philosophique d’une telle importance en Afrique du Sud. Le poète-slameur Afurakan a vivement critiqué le rôle des personnes noires dans la lutte en cours, tandis que Ta Mara Mandisi Gladile, responsable de la perturbation du concert, soulignait une logique afro-pessimiste radicale (« nous avons empêché une personne blanche de nous parler, cette action en elle-même a des implications politiques et cultu-relles et nous renforce en tant que noirs », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux).

N

Les trois exemples analysés ci-dessus – transformation structurelle dans un environnement universitaire, documentation archivistique de la protestation et expression non autorisée d’une solidarité politique – pointent différentes fonctions de la musique comme catalyseur de lien social dans l’enseignement supérieur sud-africain, à un moment d’instabilité et de mécontentement. La manière dont la lutte et la protestation politiques sont inscrites dans la musique est caractéristique d’une pratique musicale comme forme d’expression informelle dans de nombreux milieux sociaux sud-africains, et l’importance de la musique

24. Nom de scène de Thabiso Mohare.25. Le terme « fallism », formé à partir du mot « fall », présent dans le nom des premiers mouvements étudiants sud-africains de 2015-2016 (#RhodesMustFall et #FeesMustFall), désigne le mouvement national étudiant qui en est né, porté par la génération « née libre », et qui revendique notamment une éducation gratuite pour tous. (NdT)

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dans l’expression du mécontentement des étudiants ne fait pas exception. Les nombreux défis auxquels est confronté l’enseignement supérieur sud-africain ne pourront être résolus par des activités musicales ou par un intérêt savant dans ces activités, mais l’omniprésence de la musique dans l’auto-expression et les stratégies des étudiants indique que la musique et les réflexions sur les pratiques musicales sont cruciales pour, à la fois, comprendre et exprimer la transmission intergénérationnelle du traumatisme, mais également faire progresser la démo-cratisation des moyens d’expression, affirmer des identités marginales et permettre la revendication de l’espace par le corps social noir. Le projet Ingoma Yomzabalazo n’a pas seulement démontré l’importance de la musique pour favoriser la cohésion sociale parmi les étudiants eux-mêmes lors des actions de protestation, mais également la manière dont il est possible d’agir sur l’aliénation des étudiants à l’université par la reconnaissance et l’engagement en faveur de l’importance de cette cohésion musicale dans un cadre éducatif. Le concert You’re in Chains Too, quant à lui, a permis une compréhension de l’espace scénique comme espace de conservation pour l’expression musicale d’identités contestées par les étudiants ou d’autres militants politiques ; expressions susceptibles de susciter des réponses violentes dans des contextes éducatifs par ailleurs vivement contestés. Dans les deux cas, le rôle de la musique a été primordial pour créer des espaces d’iden-tification et de cohésion sociale dans un contexte éducatif extrêmement contesté. Ainsi, ces temps de crise dans l’enseignement supérieur sud-africains sont également l’opportunité de restaurer la compréhension du rôle joué par la musique dans les luttes sociopolitiques sud-africaines, en affirmant que la musique et la recherche musicale sont essentielles à la réflexion sur des solutions éducatives en Afrique du Sud.

Bibliographie

DE JONGH S. (2015) : « Armed with a light bulb at the end of a cord: the ten-year journey of DOMUS », Fontes Artis Musicae n° 62:3, p. 212-221.

GROVÉ J. I. (coord.) (2005) : « Konservatorium 1905-2005: die Departement Musiek en die Konservatorium aan die Universiteit Stellenbosch by geleentheid van die Eeufees 1905-2005 », African Sun Media.

MULLER S. (2016) : « Openings », Sun Media. [en ligne] [https://goo.gl/UQ18jV]

MULLER S., FRONEMAN W. (2015) : « Crisis? What Crisis? », éditorial du South African Music Studies, n° 34/35, p. vii-xviii.

STOLP M. (2016) : « Report to the academy: power and ethics in humanities research », Acta Academica n° 48:1, p. 1-26.

WALTON R. C. (2007) : « Review of Konservatorium 1905-2005: die Departement Musiek en die Konservatorium aan die Universiteit Stellenbosch by geleentheid van die Eeufees 1905-2005 », in Notes n° 64/2, p. 318-20.

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El Sistema à la croisée des chemins

Principes et perspectives d’un réseau mondial

Maria Majno*Association SONG onlus Sistema in Lombardia,

Sistema Europe

Und in dem « Wie »…

Da liegt der ganze Unterschied1

H. von Hoffmansthal

Der Rosenkavalier, Acte 1

Travailler sur « El Sistema » impose de distinguer la légende et l’histoire, l’action et son retentissement, l’extension et la persistance, l’engouement et la réalité, la passion et la militance, les souhaits et les résultats objectifs. La naissance du projet, avec 11 musiciens, dans un garage de Caracas, la multiplication des participants dès le lendemain, la propagation quasi-miraculeuse des années suivantes, les centaines de « núcleos »2 sur tout le territoire vénézuélien, y compris dans les zones les plus éloignées, puis les tournées des principaux orchestres du Venezuela dans des salles célèbres et les soirées qui se terminent immanquable-ment par une explosion de joie, telles sont les manifestations d’une mythologie attrayante et longtemps alimentée, il faut en convenir, par une propagande évidente.

Le projet a connu son apogée au moment de la désignation, en 2007, de Gustavo Dudamel, son plus célèbre talent, à la direction musicale du Los Angeles Philharmonic, puis des « résidences » en 2013 au Festival de Salzbourg et à la Scala de Milan pour EXPO 2015. Ces deux cycles ont célébré de façon concluante toutes les facettes de la production officielle d’El Sistema, en présen-tant les différentes générations orchestrales, des vétérans du « Simón Bolívar » à l’Orchestre « Infantil » (âge maximal 13 ans).3

Aujourd’hui le Venezuela connaît une situation dramatique avec 80 % de la population (août 2017) vivant au-dessous du seuil de pauvreté, privée de nourriture et de soins.

* Maria Majno exprime ses plus vifs remerciements à Chara Iacovidou, Isabelle Joris et Michel Starobinski pour leurs précieuses observations.1. « Et dans le “comment” se trouve toute la différence ».2. Les structures fonctionnelles, éducatives, artistiques et administratives d’El Sistema sont appelées « noyau ».3. L’enregistrement de la Première Symphonie de Mahler par l’Orquesta Infantil sous la direction de Sir Simon Rattle (Unitel, 2013) compte parmi les documents les plus convaincants d’une qualité interprétative qui ne craint guère les comparaisons.

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Auparavant, les résultats d’El Sistema ont été indéniables : El Sistema a mobilisé au Venezuela jusqu’à 700 000 jeunes par an, et trois fois plus si l’on prend en compte la totalité de son histoire. Certes, tous ne sont pas devenus musiciens mais il est évident qu’une telle masse a dû laisser des traces positives. C’est donc plutôt sur le plan international qu’il faut chercher à situer aujourd’hui l’héritage de José Antonio Abreu. Le fondateur d’El Sistema a incontestablement sa place parmi les personnages ayant le plus contribué aux fondements, à la pratique, à la réflexion sur l’éducation musicale de notre époque.

L’actualisation des principes fondateurs

Le fait que la pratique musicale d’ensemble est le meilleur foyer de démocratie et de progrès est le premier présupposé de El Sistema.

Par essence, l’orchestre et le chœur sont bien plus que des structures artistiques.

Ce sont des exemples et des écoles de vie sociale, car chanter et jouer ensemble

comporte une coexistence profonde qui tend vers la perfection et l’excellence

[…]. (Abreu, 2009)

Les variations sur ce motif abondent dans les propos du créateur d’El Sistema. Jusqu’à ses dernières interventions devant le grand public en 2013, l’humaniste Abreu a puisé dans la philosophie classique, comme les fameux énoncés d’Aristote et de Platon sur l’importance de la musique dans l’éducation. La formation à la beauté, dont on devient affamé ou assoiffé dès qu’on en a goûté la richesse immatérielle, affranchit de la vraie pauvreté, celle « de ne se sentir personne ». Ainsi, El Sistema a été conçu comme

un programme de récupération sociale et transformation culturelle profonde

[…] adressé sans distinctions, mais en priorité aux groupes vulnérables et en

danger ».4 (Abreu, 2009)

Abreu croit en la compensation des inégalités par l’accès à la pratique, par les opportunités de succès, au progrès comme agent d’affranchissement, à l’engagement comme vecteur de discipline et de respect.

L’effet d’El Sistema se fait ressentir dans trois domaines fondamentaux : dans

la sphère personnelle et sociale, dans la famille et dans la communauté […] La

musique devient une source pour développer les dimensions de l’être humain

[…] ; les avantages émotionnels et intellectuels sont énormes.

À partir du discours d’acceptation de J. A. Abreu au prix TED, qui reste une référence pour sa pensée, plusieurs auteurs (dont les « Abreu Fellows »), se sont efforcés de lister les valeurs fondamentales impliquées dans El Sistema.

4. Voir : www.fundamusical.org.ve/

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El Sistema n’est ni un programme, ni un curriculum, ni une pédagogie. C’est

une quête. […] Plusieurs programmes valables d’apprentissage musical partagent

des valeurs et des pratiques semblables. Or, 42 années d’exploration pour cerner

les façons les plus efficaces de développer la jeunesse à travers ces priorités ont

produit des résultats sans précédents. […] En s’engageant dans ce travail, on

aspire à tous ces objectifs […] et on trouve son propre chemin : les idéaux sont

globalement partagés, adaptés et incarnés dans chaque culture spécifique.

(Booth, 2017).

La « systématisation » proposée par Eric Booth suit une série de dix principes, sorte de décalogue que nous proposons de confirmer ou compléter avec les acquis de notre expérience, ayant été un acteur principal de l’établisse-ment d’El Sistema en Lombardie en Italie et de la création du réseau européen5. Tout au long de la diffusion du modèle vénézuélien aux autres pays et continents, nous avons pu bénéficier des leçons directes ou indirectes tirées de l’adaptation d’El Sistema aux divers territoires.

1. Une mission de changement social

Tocar y Luchar (« jouer et lutter ») : les deux verbes de cette devise éclairent différemment les objectifs culturels et sociaux d’El Sistema, selon les contextes respectifs. Si El Sistema est né au Venezuela comme une contre-proposition à la dégradation et à la tentation de la violence, sa dimension de lutte et de résistance se traduit en « jeu », dans d’autres langues, sans pour cela renoncer à la dimension d’engagement. Ainsi, la pratique instrumentale évoquée par « tocar » rappelle tangiblement le pouvoir émotionnel direct de la musique, sa capacité à « toucher » immédiatement, au point que l’Orquestra Geraçaõ – Sistema Portugal en a tiré sa devise : « Aprendendo música, para tocar vídas ».

2. Accès et excellence : dépasser la dichotomie

Les conditions premières dans le projet d’origine sont l’absence de sélection et la gratuité : impliquer le plus grand nombre possible d’enfants sans demander de contribution financière et en même temps viser le sommet, avec l’ambition de l’excellence. Le contraste entre ces finalités a longtemps dominé le débat, jusqu’à risquer de polariser les approches entre le but « musical » et le but « social ». La radicalisation d’un tel raisonnement peut conduire au refus des « niveaux » qui jouent une part essentielle dans l’idée de croissance implicite dans l’éducation. Maintes initiatives inspirées par El Sistema ont résolu la quadra-ture du cercle en recourant à un critère de qualité également apte à assurer la motivation des participants : pas de progrès sans persévérance, pas de

5. Voir : www.sistemalombardia.eu/ et www.sistemaeurope.org/

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persévérance sans la satisfaction d’augmenter ses possibilités et la richesse des résultats. L’image de la pyramide convient aussi bien au modèle qu’à ses dériva-tions : les deux mots clé s’imbriquent facilement dans le but d’une construction à la fois solide et élevée6.

3. L’environnement du núcleo comme ambiance et contexte

Les centres didactiques d’El Sistema sont nés comme une gigantesque « permanence » après-scolaire proposant une alternative aux risques de la rue dans les Barrios : violence, crime, danger de mort. Cette coexistence physique crée un havre de sécurité, fermé à la force mais ouvert à la communauté. Dans d’autres pays, moins affectés par cette absence d’opportunités, l’image du noyau représente bien l’échange entre le centre et les alentours, les protagonistes de l’apprentissage et ceux qui les soutiennent, dans une atmosphère de solidarité productive et engagée. Même les écoles de musique préexistantes ont voulu se transformer. Les méthodes traditionnelles se sont hybridées avec les innovations de l’enseignement collectif, élargissant ainsi les horizons pédagogiques avec des adaptations propres au milieu égalitaire. Ce n’est pas un hasard si le plus authen-tique Nucleo en Lombardie s’est développé dans un centre social nommé « Barrios ».

4. Intensité, fréquence des performances publiques : la contagion de la collectivité

L’intensité et la fréquence de la pratique dans les núcleos au Venezuela ont attiré autant – sinon plus – de critiques que d’approbation. Quatre heures par jour, six jours par semaine, sans compter les séminaires et les répétitions exceptionnelles offrent une cible évidente pour la critique, qui voit dans cette ténacité un jeu de pouvoir dissimulé. Toutefois, cette cadence soutenue s’avère indispensable pour assurer de le progrès à démontrer en public (voir point 8).

5. Utilisation de l’ensemble : le paradoxe des talents intégrés

Simultanément, l’enseignement de groupe permet une éducation à la vie collective avec ses règles, et offre une ressource moins coûteuse pour toucher le plus grand nombre. Ainsi, selon le principe du « peer teaching & learning », l’enseignement et l’apprentissage par les pairs, toute compétence apprise est aussi

6. L’éventail des « Sept Dimensions » élaboré pour la pédagogie commune propédeutique aux projets du SEYO - Sistema Europe Youth Orchestra (Drive & Dance, Flow, Love in Sound…) a été conçu délibérément pour être appliqué aussi bien aux instrumentistes juniors qu’aux plus avancés (www.sistemaeurope.org/seyo).

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apte à être enseignée, et celui qui sait jouer quatre notes sera encouragé à les transmettre à celui qui en sait deux. Des enquêtes récentes se sont donné pour but de mesurer les bénéfices de la musique d’ensemble en fonction du style de répétition, des sources de perception multiple, de la tolérance à la réitération, de l’attention distribuée, de l’accélération de l’empathie (Brice Heath, 2016). Il ne faut toutefois pas oublier les besoins de l’individu, surtout s’il montre du talent. L’un des problèmes les plus fréquemment discutés est précisément la compatibilité avec l’enseignement individuel, indispensable tôt ou tard pour les talents les plus manifestes. Une solution consiste alors à faire de l’attention parti-culière une récompense non exclusive mais valorisante.

6. Le modèle CATS : Citizen Artist Teacher Scholar

L’un des résultats des premiers « Abreu Fellows » est l’élaboration du quadrilatère qui définit le rôle de ceux qui guident la formation dans le contexte d’El Sistema : l’enseignant musicien agit en même temps dans le sillage des teaching artists, qui trouvent dans leur vocation éducative une motivation ulté-rieure à leur engagement esthétique et social (Booth, 2009). À ces acteurs éclec-tiques vient s’ajouter une troisième dimension, qui comporte des visées ultérieures de recherche (scholars). Enfin, des passerelles se construisent en direction des citizen artists (artistes citoyens), dont on observe l’essor et qui font écho concrè-tement à une phrase d’Abreu souvent citée comme point de départ d’El Sistema :

Nous ne cherchons pas à former de bons musiciens mais de meilleurs citoyens.

7. Une mise à jour continue de la pédagogie

L’éducation et l’enseignement partagent la caractéristique de ne pas avoir de fin : s’il existe dans El Sistema une « méthode » (terme à prendre avec circons-pection lorsqu’il s’agit d’une stratégie), c’est bien la gradation séquentielle de l’itinéraire pédagogique, et la conscience que le processus ne s’arrête pas avec l’achèvement de la maîtrise instrumentale7. Les spécificités de l’approche collec-tive requièrent en premier lieu une formation particulière : même les mentors qui abordent ce mode didactique avec un abondant bagage technique admettent qu’il n’est guère évident de « savoir s’y prendre ». Quelle que soit la portée du réseau, le besoin le plus constamment évoqué par les acteurs est celui d’un accompagnement plus dense, subtil et expérimenté : une étude de Sistema Europe a confirmé que ce souhait reste au premier plan jusque dans la diversité même des projets.

7. Les enseignants des différents projets Sistema tendent à leur tour à adapter les méthodes de didactique musicale à leurs propres styles et environnements, le plus souvent en s’inspirant des approches de Dalcroze, Kodály, Orff et Suzuki.

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8. L’implication de la famille et de la collectivité

Parmi les ingrédients de la réussite du Sistema, l’appui de la famille – et celui de l’école – est fondamental dans toutes ses phases : l’impulsion au démar-rage, le dépassement des obstacles, la stabilisation de l’effort, la dynamique de l’ambition. C’est le public qui apprécie et récompense, dans un cercle de moti-vation réciproque. Mais la proximité des familles est aussi un outil puissant pour rapprocher et construire le public de demain : les préjugés contre la musique « savante » se voient bien mieux combattus par cette complicité instinctive que par des interventions exogènes. La discipline quotidienne est allégée par le corol-laire de performances publiques fréquentes. Celles-ci ne sont pas perçues comme des épreuves redoutables mais plutôt comme des occasions de mettre en valeur les acquis, donnant lieu à une sorte de contagion réciproque entre exécutants et nouveaux auditeurs, conquis par la découverte expressive d’émotions révélées.

9. Liens et réseaux pour mobiliser la solidarité

L’adaptation au territoire conditionne directement la durabilité de chaque núcleo. Une évaluation préliminaire de la volonté d’une adoption perma-nente par la communauté, au-delà des enthousiasmes salutaires mais transitoires, est une étape indispensable pour les promoteurs d’El Sistema, avant d’implanter un nouveau projet. C’est l’intégration sur le territoire qui assure une motivation organique à prendre soin sur le long terme d’un corps d’abord étranger, en l’assis-tant lors de transitions difficiles ou devant des obstacles à sa soutenabilité et à sa permanence dans le temps. Périodiquement, la question se pose : quand les ressources tarissent, est-ce envisageable de s’adresser aux enfants et aux familles pour leur dire que tout cela était réussi, mais qu’hélas c’est maintenant fini ? C’est là qu’entre en jeu la mobilisation des ressources complémentaires. Tout centre didactique est un acteur de la décentralisation, aussi bien qu’un membre des relations globales, ce qui assure aussi un transfert adéquat d’un núcleo à un autre, la mobilité personnelle étant aussi à respecter. Le travail sur le territoire comporte nécessairement des échanges vers une construction unifiée et cohérente, qui puisse ensuite inspirer également l’individu en dehors de la dimension musi-cale. Sans oublier que cette approche intégratrice permet de surmonter les tensions pouvant se manifester avec les autres structures didactiques établies, telles que les conservatoires ou les écoles de musique existantes.

10. Ambition et réussite : un cercle inclusif

Comme le rappelle souvent Marshall Marcus (2017), fondateur, entre autres, de Sistema Europe, l’ambiance d’El Sistema fait oublier la crainte de l’échec et apprécier l’erreur comme facteur d’expérience. Ainsi le dialogue est

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réellement ouvert aux capacités particulières et à l’inclusion du handicap physique ou mental : selon Naybeth García et Jhonny Gómez, fondateurs du Programa de Educación Especial, « l’âme ne connaît pas d’incapacité ». En parallèle aux justes efforts de la validation scientifique, cela nous rappelle que l’art conserve un fond irréductible et non mesurable, constitutif de l’unicité de la culture humaine. C’est la dimension esthétique qui est capable à son tour de provoquer le chan-gement social.

Une stratégie en mouvement

Ce catalogue n’est évidemment pas la seule façon d’énumérer et de commenter les caractéristiques d’El Sistema. On pourrait aussi se concentrer sur une rose des vents dont les points cardinaux sont l’intégration sociale, la sensi-bilisation culturelle, l’éducation musicale et la qualité artistique (figure 1), ou produire un kaléidoscope énergique et joyeux de 21 traits constitutifs, comme l’a proposé Marshall Marcus (2017). Ce qui nous semble constituer l’essence de tous ces propos est la considération qu’il s’agit d’axes dynamiques plutôt que de points fixes, et qu’El Sistema est une stratégie en mouvement.

INTÉGRATION

SOCIALE

SENSIBILISATION

CULTURELLE

ÉDUCATION

MUSICALEQUALITÉ

ARTISTIQUE

De la critique à la perspective

Cela faisait presque quarante ans qu’on disait du bien d’El Sistema, et il était certainement temps d’engager une discussion objective sur l’ensemble de ses démarches et de ses résultats. Ceci à plus forte raison considérant son expan-sion à cinq continents (la Russie semble être le seul grand État sans projet inspiré d’El Sistema). Cette tâche critique a été assumée par Geoff Baker, enseignant-

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chercheur spécialisé dans les musiques latino-américaines. Son ouvrage El Sistema – Orchestrating Venezuela’s Youth (2014) expose le parcours entre l’enthousiasme initial et la découverte d’abîmes négatifs lors son enquête au Venezuela.8 Ses critiques ont eu un grand retentissement, mais les défenseurs d’El Sistema ont souligné de leur coté, les limites d’une recherche « ethnographique » qui procède sur la base d’une imbrication étroite entre le chercheur et le terrain concerné (Kenyon, 2015). La querelle se poursuit mais les arguments invoqués s’usent au fur et à mesure que le temps passe9 et, en 2017, Baker a déclaré sur son blog : « je ne pense pas, une seule seconde, qu’El Sistema manque d’aspects positifs ».

Plus que jamais, le dialogue doit donc rester concret, ouvert à une révision constante, voire radicale, mais constructive. Il faut admettre que tout pouvoir comporte un risque d’instrumentalisation et, dans ce contexte, on a vu émerger des formulations centrées sur les « droits », comme les travaux du Salzburg Global Seminar n. 479 (2011), qui ont donné lieu à la déclaration « The Value of Music: The Right to Play. »

C’est l’élan pour contribuer à l’établissement de ce droit, bien plus qu’à une dynamique de pouvoir, qui se révèle capable d’éveiller la motivation solidaire des orchestres et des salles de concerts, et des artistes sensibilisés. Ces alliés sont fondamentaux aussi bien pour la diffusion que pour la qualité du projet El Sistema, et un panorama de leurs contributions devrait faire l’objet d’une étude ultérieure ; nous en donnons des exemples en fin d’article.10

Une autre alliance prometteuse est celle des scientifiques. Nous nous bornerons ici à évoquer la série de congrès « Neuromusic », et le bulletin élec-tronique bimensuel Neuromusic News, gérés par la Fondazione Mariani pour la neurologie pédiatrique. Lors du dernier congrès, à Boston sur le thème « Music, Sound and Health », une session entière a été consacrée aux bénéfices extra-musicaux de l’apprentissage musical, dont trois exposés ont touché de près le contexte d’El Sistema.

Le milieu scolaire et parascolaire offre la pépinière la plus adaptée pour ce genre d’études. Dans le cadre du Sistema en Lombardie, The San Siro Project: musical training, cognitive and emotional development (Danelli, Paulesu et al., en cours d’élaboration) examine justement l’évolution des adolescents entre 11 et 14 ans dans une étude longitudinale concernant les axes cognitivo-émotionnel, comportemental et socio-culturel.

8. Rappelons que le point de départ de Baker est une contestation de fond de la structure de l’orchestre comme modèle de collaboration et de démocratie : il y voit au contraire un chaudron pour des jeux de pouvoir malsains. Ce présupposé est en effet difficilement réconciliable avec la conception valorisante des ensembles musicaux comme foyers d’écoute, de respect réciproque et d’intentions synergiques. 9. Voir le site de Jonathan Govias, par exemple.10. La détermination de Claudio Abbado constitue probablement l’exemple le plus éloquent de force de rassem-blement à cet égard, puisqu’il a soutenu l’introduction et le développement d’un Sistema national pour l’Italie (Abbado, 2012), mais aussi pour l’Europe, compte tenu de son engagement pour les orchestres de jeunes Mahler Jugendorchester et European Union Youth Orchestra.

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Par ailleurs, un recensement des contributions académiques est à l’ordre du jour, dans l’effort de suivre les travaux sur les ramifications multiples du Sistema, alors que ces travaux augmentent à un rythme tel qu’il se révèle quasi-ment impossible de se maintenir à jour. Mais les tentatives même incomplètes aboutissent de toute façon à des résultats stimulants (voir les principales plates-formes en fin d’article)11.

En passant des critiques constructives aux orientations de recherche et aux perspectives plus générales, on peut aussi lire la situation d’origine et son rayonnement ultérieur comme une « crise de croissance » de grande amplitude. À plus forte raison parce que les núclei (ou les structures analogues), une fois établis, non seulement demandent à être soutenus, mais entraînent à leur tour une augmentation de la demande. La gestion présuppose donc une sorte d’ingé-niosité inlassable, pour multiplier les ressources sans en disposer nécessairement a priori.12 Les managers des projets se réclament souvent d’un concept imaginatif de « valeur ajoutée », selon lequel la croissance personnelle et la satisfaction évoquées par les professionnels participants offrent déjà en elles-mêmes des éléments importants de récompense.

Par contraste, l’intention de José Antonio Abreu, qui a été économiste autant que musicien et ministre de la culture, est que l’investissement dans El Sistema comporte aussi des bénéfices économiques, notamment pour la prévention (abandon scolaire, intimidation, criminalité). On attend toujours l’élaboration d’une recherche apparemment en cours sur les indicateurs, confiée à la collaboration entre El Sistema Venezuela et la Banque mondiale. Il reste encore beaucoup de travail à faire sur la démonstration et la publication des résultats.

Bibliographie

ABBADO C. (2012) : Préface à A. RADAELLI, La musica salva la vita, Milan : Feltrinelli.

ABREU J.A. (2009) : Discours pour la réception du Prix TED. [https://goo.gl/BGsyas] ; [https://goo.gl/i34w2q]

ABREU J.A. (2013) : Discours d’inauguration du Festival de Salzbourg. [https://www.youtube.com/watch?v=VTjfx2mp-XI]

BAKER G. (2014) : El Sistema: Orchestrating Venezuela’s Youth, Oxford, UK: Oxford

BOOTH E. (2009, 2013, 2017) : [http://ericbooth.net/category/el-sistema]

BRICE HEATH S. (2016) : « The Benefits of Ensemble Music Experience (and why These Benefits Matter so Much in Underserved Communities) » in El Sistema – Music for Social Change, C. Witkowski (ed.), London, New York: Omnibus Press, p. 73-88.

11. Parmi les articles récents et prometteurs, quoique provisoires, nous citons celui du partenariat Longy School – Bard College / WolfBrown, relié au réseau de Sistema USA. [https://goo.gl/LZF3q1/] ; [https://goo.gl/Sjid1x/].12. Il est impressionnant de lire, dans le dossier de presse sur la « Nouvelle ambition de déploiement national 2016-2019 » du projet Démos de la Philharmonie de Paris, que le coût annuel pour un orchestre est estimé à 260 000 Euros. Ce montant correspond, dans d’autres environnements, au budget annuel d’un réseau national tout entier.

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KENYON N. (2015) : « The Triumph of a Musical Adventure », The New York Review of Books, 24 septembre 2015, p. 74-76.

MARCUS M. (2017) : « Sistema Europe: Origins, Approaches and Diversity » (power-point) : [https://marshallmarcus.wordpress.com/PDP2017]

SALZBURG GLOBAL SEMINAR (2011) : The Value of Music: The Right to Play, [https://goo.gl/Pta7fG]

TUNSTALL T. & BOOTH E. (2016) : Playing for Their Lives – The Global El Sistema Movement for Social Change Through Music, New York, NY : W.W. Norton.

Sources d’information complémentaires

Artistes et organisations

Fondation Katia et Marielle Labèque : [http://www.fondazionekml.org]

Göteborg Symphony Side By Side: [https://www.gso.se/en/barn-unga/side-by-side]

Los Angeles Phiharmonic, YOLA at HOLA: [https://www.laphil.com/education/yola/hola]

Philharmonie de Paris, Démos : [http://demos.philharmoniedeparis.fr]

Congrès et conférences

Take a Stand (Los Angeles Philharmonic) : [https://goo.gl/TGhRXS]

Pratiques collectives en orchestre et accès à la culture (Démos, Philharmonie de Paris) : [https://goo.gl/qc5mi4]

Lettres d’information et blogs

The Ensemble : [theensemblenewsletters.com]

Neuromusic News (Fondazione Mariani) : [https://goo.gl/XjnGah]

Playing for Their Lives : [http://playingfortheirlives.com]

Recherche

Porticus – CAL Community Arts Lab : [https://www.porticus.com/en/home]

SERA – Sistema Evaluation and Research Archive : [https://goo.gl/fc9Arv]

SIMM Social Impact of Making Music (Guildhall School Music) : [https://goo.gl/Bkon7r]

Sistema Global Review I & II : [http://sistemaglobal.org/literature-review]

Réseaux et ressources

Sistema Connect : [http://www.sistemaconnect.org]

Sistema Europe : [www.sistemaeurope.org]

Sistema Global : [www.sistemaglobal.org] ; [http://sistemaglobal.org/resources]

Sistema USA : [https://www.elsistemausa.org]

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dossier

Références bibliographiques du dossier « musique et éducation »

Hélène BeaucherCentre de ressources et d’ingénierie

documentaires, CIEP

L’étude scientifique du cerveau et l’intérêt pour les activités artistiques en neurosciences sont très récents. Ils montrent que la musique s’enracine profondément dans notre cerveau et suggère de nombreuses implications pour l’éducation. La pratique musicale a-t-elle des effets positifs sur les compétences non artistiques ? Quelle est la place de la musique dans les politiques publiques ? Quelles sont les expériences en faveur de l’accès des jeunes à la musique ?

Cette bibliographie concerne en majorité des travaux produits ces dix dernières années sur ce sujet. La première partie vise à apporter des éléments de réflexion sur les enjeux sociaux, culturels et politiques de la musique. La deuxième partie propose des ouvrages et articles sur le thème « cerveau, musique et émotions ». La troisième partie présente une sélection d’études examinant les impacts de la musique sur les compétences cognitives, comportementales et sociales. Les dernières parties fournissent un aperçu des politiques, pratiques et dispositifs d’apprentissage de la musique, avec un focus sur le développement international des orchestres et chorales d’enfants. Les résumés sont, pour l’essentiel, ceux des éditeurs ou des revues. Biblio-graphie arrêtée le 15 juillet 2017.

Enjeux sociaux, culturels et politiques de la musique

BARENBOÏM Daniel, La musique éveille le temps, Fayard/Paris, 2008, 216 p.

La musique exige un parfait équilibre entre intellect, émotion et tempérament. Daniel Barenboïm analyse la façon dont la perception de la musique s’inscrit à la fois dans le corps, dans l’esprit et dans la vie sociale. Il a fondé et dirige le West-Eastern Divan Orchestra, un orchestre qui réunit de jeunes instrumentistes d’Israël, des États arabes voisins et des Territoires palestiniens pour promouvoir le dialogue et la paix.

BONINI BARALDI Filippo, Tsiganes, musique et empathie, Maison des sciences de l’homme/Paris, 2013, 360 p. + DVD-ROM

Les recherches de l’auteur chez les Tsiganes de Transylvanie (Roumanie) explorent le lien entre musique, émotion et empathie, et se concentrent sur différents contextes sociaux, où musique et pleurs vont de pair. L’approche de ces thèmes est interdisciplinaire (ethnomusicologie, anthropologie et psychologie cognitive). L’ouvrage invite à penser l’émotion musicale comme une forme d’identification, de projection, d’empathie avec des êtres, des « agents » que la musique véhicule et porte en elle.

DELORENZO Lisa C., Giving voice to democracy in music education: diversity and social justice in the classroom, Routledge/New York, 2015, 286 p.

L’ouvrage traite de l’éducation musicale comme moyen de façonner la conscience démocratique, et voit dans la démocratie une dimension vitale de l’enseignement de la musique. Les différentes

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contributions adoptent des perspectives politiques, pédagogiques et humanistes, pour aborder l’enseignement de la musique en tant que pratique démocratique à la fois à l’école et dans la formation des enseignants.

ELLIOTT David J., SILVERMANN Marissa, Music matters: a philosophy of music education, Oxford university press/Oxford, 2014, 568 p.Pourquoi la musique est-elle si importante dans nos vies ? Comment a-t-elle le pouvoir de nous transformer ? Fondé sur un large éventail de sources, l’ouvrage propose une véritable philosophie de l’éducation à et par la musique, intégrant les aspects socioculturels, artistiques, participatifs et éthiques des valeurs de la musique, de l’éducation, de la pratique et de l’écoute musicale, de sa compréhension, des émotions qu’elle suscite, ainsi que de la musique en communauté.

GAULIER Armelle, GARY-TOUNKARA Daouda, DJEBBARI Élina, et al., Musique et pouvoir, pouvoirs des musiques dans les Afriques, Afrique contemporaine, n° 254, 2015, p. 7-126Ce dossier explore les relations entre musique, migration et politique sur le continent africain et dans les diasporas. Des chansons de l’exil aux chants de la migration, des circulations artis-tiques transcontinentales aux médiateurs d’échanges culturels, en passant par la production de discours alternatifs d’émancipation, les liens entre musique, migration et politique sont décryptés.

POMPIDOR Henri, « Pour une sociologie du chant choral : contribution à l’analyse sociale et culturelle des pratiques chorales », L’éducation musicale, octobre 2016, n. p. [en ligne]Vecteur majeur de socialisation, le chant choral représente l’un des moyens de transmettre les normes et les valeurs constitutives de la société et des groupes sociaux qui la composent. Il a été et reste utilisé pour unifier les individus autour d’une même langue, d’une même culture ou d’une même nation. L’article propose d’identifier un nouveau champ de recherches, dont l’objet est d’étudier les modes et les significations des pratiques chorales dans les sociétés. [http://bit.ly/2rSNhlB]

TURINO Thomas, Music as social life: the politics of participation, University of Chicago Press/Chicago, 2008, 280 p., + CDDans le monde entier et à travers l’histoire, on a utilisé la musique pour exprimer émotions intérieures, rejoindre le divin ou endormir les bébés… Initiation au pouvoir de la musique, l’ouvrage analyse les raisons pour lesquelles la musique et la danse sont souvent au cœur de nos expériences personnelles et sociales les plus profondes. L’auteur distingue le cas des perfor-mances censées être « présentationnelles », opposé aux performances destinées à être « parti-cipatives », incitant à réévaluer la notion de genre musical à partir de la fonction sociale et des contenus de la performance.

La musique dans les sociétés traditionnelles

GUILLEBAUD Christine, Le chant des serpents musiciens itinérants du Kerala, CNRS/Paris, 2008, 384 p. + DVD-ROMOfficiants de rituels domestiques, chanteurs au porte-à-porte, contractuels à la radio d’État, etc., les musiciens itinérants du Kerala (Inde du Sud) pratiquent leur art selon des codes sans cesse redéfinis. Pour comprendre la vie musicale de ces musiciens, il est indispensable de consi-dérer leur musique « dans tous ses états » (pratiques, discours, espaces et relations sociales).

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L’auteure propose de reconsidérer les rapports entre musique et société, en prenant comme axe d’observation la mobilité des musiciens et leur relation commune, via ce service musical et rituel de traitement des maux et des infortunes, à des commanditaires de caste supérieure.

LEGRAIN Laurent, Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie, Paris, Centre d’études mongoles et sibériennes – École pratique des hautes études/Paris, 2015, 394 p. + CD audio

Aux confins septentrionaux du pays où vivent les Darhad, l’attachement au chant est perçu comme une dimension pérenne de l’ethos culturel. Inscrivant ses analyses dans la temporalité de l’histoire socialiste, l’auteur trace les contours du monde sonore mongol. Il examine les différents dispositifs par lesquels les enfants sont encouragés à se positionner dans le continuum sonore, parmi lesquels les cours de chant dispensés à l’école et le gardiennage du troupeau.

LONCKE Sandrine, Geerewol : musique, danse et lien social chez les Peuls nomades woddabe du Niger, Société d’ethnologie/Paris, 2015, 416 p. + DVD-ROM

Au cœur du Sahel nigérien, des milliers de Peuls nomades wodaabe se réunissent chaque année pour un rassemblement cérémoniel, dont le rituel est appelé geerewol. Deux fractions de lignages différents se livrent une guerre dont les seules armes sont le chant et la danse. Comment la musique et la danse sont-elles l’expression esthétique de différentes manières d’être ensemble ? Pourquoi le rituel et la performance artistique collective sont-ils des espaces privilégiés pour faire société ? L’enquête conduit au cœur des représentations culturelles et des conceptions esthétiques de cette société ouest-africaine d’éleveurs nomades.

Musique, cerveau, émotions : l’apport des neurosciences et des sciences cognitives

BIGAND Emmanuel dir., TILMANN Barbara dir., PERETZ Isabelle dir., et al., « The neurosciences and music V: cognitive stimulation and rehabilitation », Annals of the New York Academy of sciences, n° 1337, mars 2015, p. 1-271

Ce volume propose un panorama complet des études neuroscientifiques actuelles concernant les effets de la musique sur le cerveau, et des implications sociales qui en découlent pour l’éducation et la santé.

BIGAND Emmanuel dir., Le cerveau mélomane, Belin/Paris, 2013, 220 p.

Notre cerveau est mélomane dès la naissance. L’auteur se penche sur l’universalité des émotions induites par la musique et présente les plus récentes découvertes scientifiques sur les interactions entre langage et musique, sur l’influence bénéfique de cette dernière sur les capacités cognitives, et sur la plasticité cérébrale. Les pratiques musicales touchent au plus profond de notre cerveau, en coordonnant l’activité de nombreux circuits corticaux et sous-corticaux qui sont associés à des expériences cognitives et affectives ayant de très fortes implications pour la mémoire.

BIGAND Emmanuel dir., HABIB Michel dir., BRUN Vincent dir., Musique et cerveau : nouveaux concepts, nouvelles applications, Sauramps Médical/ Montpellier, 2012, 135 p.

La littérature scientifique s’est enrichie ces dernières décennies de très nombreux travaux préci-sant les effets de la musique sur le cerveau. L’objectif de cet ouvrage est d’illustrer ces connais-sances et ces débats pour quelques-uns des domaines les plus marquants de la recherche scientifique médicale, avec des applications thérapeutiques maintenant reconnues, mais aussi avec un large champ de perspectives pour l’avenir.

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HABIB Michel, BESSON Mireille, « Langage, musique et plasticité cérébrale : perspectives pour la rééducation », Revue de neuropsychologie, 2008, vol. 18, n° 1-2, p. 103-126

L’expertise musicale est associée à des particularités qui ont pu être révélées grâce aux moyens de neuro-imagerie. Elles concernent plusieurs régions toutes impliquées soit dans le contrôle moteur du geste soit dans les fonctions audio-perceptives. L’apprentissage de la musique possède des effets plus généraux sur la plasticité cérébrale. Les implications sont discutées, avec comme perspective l’utilisation de l’entraînement musical chez des enfants souffrant de troubles spécifiques d’apprentissage du langage et de la lecture.

KOLINSKY Régine dir., MORAIS José dir., PERETZ Isabelle dir., Musique, langage, émotion : approche neuro-cognitive, Presses universitaires de Rennes/Rennes, mai 2010, 127 p.

À la croisée de plusieurs disciplines – psychologie, psychologie cognitive, psycholinguistique, neuropsychologie, neurosciences, musique – cet ouvrage illustre le foisonnement récent des connaissances neuroscientifiques sur la musique et ses relations avec le langage et les émotions. Les auteurs abordent la perception des structures musicales dans ses relations avec le langage, le rôle et l’importance des émotions dans la musique ainsi que les éventuels dysfonctionnements du traitement de ces émotions.

KRAUS Nina, SLATER Jessica, THOMPSON Elaine C., et al., « Music enrichment programs improve the neural encoding of speech in at-risk children », The journal of neurosciences, 2014, vol. 4, n° 36, p. 11913-11918 [en ligne]

L’équipe de chercheurs de l’école de communication de la Northwestern University de Chicago a analysé in situ l’évolution de la perception sonore par le cerveau des enfants participant pendant au moins deux ans à un programme de formation musicale. L’étude fournit les preuves concrètes de l’évolution neurobiologique du cerveau de ces enfants. Elle démontre que l’appren-tissage de la musique peut littéralement remodeler le cerveau d’un enfant de façon à améliorer sa réception sonore, ce qui améliore automatiquement ses aptitudes d’apprentissage et d’acqui-sition du langage. [http://bit.ly/1w919qx]

LECHEVALIER Bernard dir., PLATEL Hervé dir, Le cerveau musicien : neuro-psychologie et psychologie cognitive de la perception musicale, De Boeck Supérieur/Bruxelles, 2010, 332 p.

Comment percevons-nous la musique ? L’ouvrage fait explicitement le lien entre les études de psychologie cognitive et de neurosciences cliniques et fondamentales sur la perception musicale. Il permet de comprendre comment la musique est un stimulant cognitif et cérébral et une forme d’expression particulière de l’intelligence, qui trouvent leur source dans le besoin de notre cerveau d’associer expériences sensorielles, motrices et émotionnelles.

LEMAN Marc, Embodied music cognition and mediation technology, MIT Press/Cambridge MA, 2008, 297 p.

S’appuyant sur des travaux issus de la recherche en informatique, psychologie, neurosciences et musicologie, l’ouvrage propose une théorie sur l’incarnation de la cognition musicale. Le corps humain agirait comme un médiateur entre l’esprit et le monde physique, musical. L’expé-rience musicale serait basée sur une interaction entre le la musique et le corps. Il présente un modèle qui décrit la relation entre un sujet humain et son environnement ; il analyse le couplage perception/action, explore différents niveaux d’engagement du corps et examine les applications possibles.

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TRAINOR Laurel, HANNON Erin, « Musical development », in The psychology of music, DEUTSCH Diana dir., Elsevier/London, 2013, p. 423-497Les auteurs passent en revue les phases essentielles du développement des aptitudes musicales en détaillant les interactions musicales précoces des nourrissons et de leurs parents, puis en montrant comment se forgent, au fil des premières années, les fondements des aptitudes mélo-diques, rythmiques et harmoniques. L’impact de la formation musicale sur les aptitudes psycho-logiques générales est également abordé.

TREHUB Sandra, TRAINOR Laurel, « Les stratégies d’écoute chez le bébé : origine du développement de la musique et de la parole », in Penser les sons : psychologie cognitive de l’audition, BIGAND Emmanuel dir., MCADAMS Stephen dir., PUF/Paris, 1994, p. 299-347Les auteurs analysent en détail toutes les aptitudes musicales précoces des nourrissons dans les domaines de la perception du rythme, de la hauteur et de l’harmonie. On y découvre que les nourrissons sont de véritables musicologues, bien avant l’heure.

Les impacts de l’éducation et de la pratique musicales

CATTERALL James C., DUMAIS Susan A., HAMPDEN-THOMPSON Gillian, The arts and achievement in at-risk youth: findings from four longitudinal studies, National endowment for the arts/Washington, 2012, 27 p. [en ligne]La pratique d’activités artistiques améliore-t-elle les résultats scolaires et les compétences comportementales et sociales des enfants et des jeunes défavorisés ? Les auteurs examinent les données issues de quatre grandes études longitudinales nord-américaines pour comparer les résultats obtenus par les élèves ayant une pratique assidue des arts (musique, danse, théâtre, arts visuels) à l’école ou hors de l’école avec ceux des élèves ne pratiquant pas ou peu une activité artistique. Les résultats suggèrent que l’éducation artistique peut constituer une voie importante pour améliorer les résultats des jeunes défavorisés. [http://bit.ly/1OCm908]

HALLAM Susan, The power of music: a research of the impact on the intellec-tual, social and personal development of children and young people, Inter-national Music education research centre – iMERC/London, 2015, 168 p. [en ligne]Ce rapport fournit un panorama des bénéfices de la musique sur le développement intellectuel, social et personnel des enfants et des jeunes. Il explore les preuves fournies par les neurosciences et la littérature de recherche de l’impact de l’apprentissage de la musique sur le développement du langage, le développement intellectuel, la créativité, la confiance en soi, la sensibilité émotionnelle, la concentration, le travail en équipe, et le bien-être. Une pratique musicale assidue contribue à améliorer toute une gamme de compétences non musicales. [http://bit.ly/2sayyWV]

LAURET Jean-Marc, L’art fait-il grandir l’enfant ? Essai sur l’évaluation artis-tique et culturelle, Éditions de l’Attribut/Toulouse, 2014, 160 p.Souvent reléguée après les apprentissages fondamentaux, l’éducation artistique et culturelle ne va pas de soi. Ses objectifs peuvent diverger : réussite scolaire, intégration professionnelle ou épanouissement personnel. L’ouvrage propose une synthèse des recherches menées depuis une trentaine d’années, principalement aux États-Unis, en matière d’évaluation artistique et culturelle. Il privilégie une approche qualitative, en s’appuyant sur les compétences forgées par l’éducation artistique : créativité, imagination, confiance personnelle, concentration, faculté d’apprentissage, estime de soi, ouverture à l’autre, prise de conscience de son environnement.

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WINNER Ellen, GOLDSTEIN Thalia R., VINCENT-LANCRIN Stéphane, L’art pour l’art ? L’impact de l’éducation artistique, OCDE/Paris, 2014, 300 p.

L’éducation artistique est souvent considérée comme un moyen de développer des compétences essentielles pour l’innovation : pensée critique et créative, motivation, confiance en soi, capacité à communiquer et coopérer, mais aussi des compétences dans des disciplines scolaires non artistiques. L’ouvrage a pour objectif d’évaluer l’impact de l’éducation artistique sur un vaste éventail de compétences, en examinant de manière critique l’ensemble des travaux de recherche menés actuellement dans le domaine de l’éducation et de la psychologie. Les différents types d’éducation artistique étudiés comprennent l’enseignement des arts dans le cadre scolaire (musique, arts plastiques, théâtre et danse), et hors du cadre scolaire.

Impacts sur les facultés cognitives et comportementales

LECOQ Aurélie, SUCHAUT Bruno, L’influence de la musique sur les capacités et les apprentissages des élèves en maternelle et en cours préparatoire, IREDU/Dijon, 2012, 6 p.

Cette note expose les résultats d’une recherche dans les classes de grande section maternelle, dont l’objectif était de mesurer les effets de la pratique musicale sur le développement cognitif et les acquisitions scolaires. L’expérimentation confirme l’efficacité des activités musicales sur les acquisitions scolaires des jeunes élèves même si les mécanismes de transfert entre musique, capacités cognitives et performances scolaires n’ont pu être clairement mis à jour. [http://bit.ly/1PFxQo3]

SCHELLENBERG E. Glenn, « Music lessons enhance IQ », Psychological Science, vol. 15, n° 8, 2004, p. 511-514 [en ligne]

Cette étude expérimentale menée auprès d’enfants de six ans avait pour but de tester l’hypothèse selon laquelle la musique rend plus intelligent. 144 enfants de 6 ans ont été répartis de manière aléatoire dans quatre groupes : cours de clavier, cours de chant, cours de théâtre et aucun cours. Le QI des enfants a été testé avant le début des cours et après 36 semaines de cours. L’auteur montre que les cours de musique, par opposition aux cours de théâtre ou à l’absence d’ensei-gnement artistique, induisaient une augmentation des scores obtenus aux tests de QI par les jeunes enfants. [http://bit.ly/1kIMv07]

Éducation musicale, lecture et conscience phonologique

BOLDUC Jonathan, RONDEAU Julie, « Rythmons les apprentissages ! », Langage et pratiques, 2015, vol. 56, p. 15-22 [en ligne]

De nombreuses études ont documenté l’impact de l’éducation musicale sur le développement des habiletés d’éveil à l’écrit. Des recherches ont notamment établi des corrélations positives et des liens causals significatifs entre le traitement rythmique et les capacités de conscience phonologique au préscolaire. À cette période où les apprentissages ludiques prédominent, la réalisation de comptines combinant rythmes et mots serait un moyen efficace de sensibiliser l’enfant aux unités sonores du langage. [http://bit.ly/2sZuR6u]

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FLAUGNACCO Elena, LOPEZ Luisa, TERRIBILI Chiara, et al. « Music training increases phonological awareness and reading skills in developmental dyslexia: a randomized control trial », PLoS ONE, 2015, 17 p. [en ligne]La dyslexie, qui se manifeste par des difficultés de lecture, serait due à un problème d’encodage des sons. La musique favoriserait la synchronisation neuronale pour traiter les tonalités et les rythmes, avec des répercussions positives sur l’audition et le langage. Les chercheurs ont testé le bénéfice d’une cure de musique chez des enfants dyslexiques. Des séances hebdomadaires de musique rythmée pendant quelques mois améliorent considérablement les capacités de lecture des enfants dyslexiques. Il y a un transfert de compétence au sein du cerveau, du rythme vers l’habilité à discerner les sons et donc à lire correctement. [http://bit.ly/2supISQ]

Compétences sociales

KIRSCHNER Sebastian, TOMASELLO Michael, « Joint music making promotes prosocial behavior in 4-year-old children », Evolution and human behavior, vol. 31, 2010, p. 354-364 [en ligne]Dans les cultures traditionnelles, la musique et la danse font souvent partie intégrante de cérémonies de groupe importantes ; l’une des hypothèses est que la musique favoriserait le lien social, la cohésion du groupe et la coopération. Des enfants de 4 ans participant à une formation musicale en groupe pendant dix mois ont été comparés un groupe témoin de même statut socio-économique. Les enfants du groupe de musique étaient plus susceptibles d’aider spon-tanément un autre enfant. Les résultats suggèrent que la formation musicale en groupe facilite le développement des compétences prosociales. [http://bit.ly/2uhz578]

PEARCE Eiluned, LAUNAY Jacques, DUNBAR Robin I. M., « The ice-breaker effect: singing mediates fast social bonding », Royal society open science, octobre 2015, n° 2, 9 p. [en ligne]Pendant sept mois, des groupes d’adultes suivant une fois par semaine les cours de chant choral ont été observés. Dans cette étude, les chercheurs prouvent que cette activité agit à plusieurs niveaux liés à la socialisation : elle exige la coordination, donc l’interaction, et augmente le comportement pro-social et le sentiment d’affiliation. Ils ont mesuré un regain de sentiments positifs et une plus grande tolérance à la douleur, par la production augmentée de deux hormones impliquées dans l’attachement et le sentiment de bien-être : l’endorphine et l’ocytocine. [http://bit.ly/2suoRld]

Politiques et initiatives d’apprentissage de la musique

Politique internationale et européenne

DUDT Simone, « From Seoul to Bonn: a journey through international and Euro-pean music education policies », in Listen out: International perspectives on music education, HARRISON Chris dir., HENNESSY Sarah dir., Musik Mark/London, 2012, p. 126-137 [en ligne]L’auteure examine les contextes de politique culturelle internationaux et européens pour l’éducation musicale. Elle explore les stratégies développées par l’Unesco en matière d’éducation artistique et fournit un aperçu des politiques en place au niveau de l’Union européenne. [http://bit.ly/2selXgP]

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EMC : European Music Council, La Déclaration de Bonn : une adaptation de l’Agenda de Séoul dans le contexte européen de la musique, EMC/Bonn, 2011, 5 p. [en ligne]

En mai 2011, le Conseil européen de la musique (CEM) a invité des structures actives dans le domaine de l’éducation musicale à discuter de la mise en œuvre des objectifs pour le dévelop-pement de l’éducation artistique inclus dans l’Agenda de Séoul. La Déclaration de Bonn reflète les arguments de l’Agenda et interprète ces objectifs en mettant l’accent sur l’enseignement de la musique en Europe. [http://bit.ly/2siYdfg]

UNESCO, L’Agenda de Séoul : objectifs pour le développement de l’éducation artistique, UNESCO/Paris, 2010, 11 p. [en ligne]

Résultant de la seconde Conférence mondiale de l’UNESCO sur l’éducation artistique, l’Agenda de Séoul appelle l’attention des États membres de l’Unesco, de la société civile, des organisations et communautés professionnelles, sur la nécessité de reconnaître les objectifs, d’appliquer les stratégies proposées et de mettre en œuvre les actions, dans un effort concerté pour parvenir à une éducation artistique de grande qualité qui profite aux enfants, aux jeunes et aux appre-nants de tous âges. [http://bit.ly/2rmvl6I]

Études transnationales

COX Gordon dir., ROBIN Stevens dir., The origins and foundations of music education cross-cultural historical studies of music in compulsory schooling, Continuum/London, 2010, 256 p.

L’ouvrage explore les origines et les fondements de l’éducation musicale et examine son inté-gration dans le curriculum de l’enseignement scolaire en Europe (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Irlande, Norvège, Espagne), en Amérique du Nord (Canada, États-Unis), en Amérique latine (Argentine, Cuba), en Afrique, et en Asie-Pacifique (Australie, Chine, Japon, Afrique du Sud). Les différentes contributions analysent, dans le contexte politique et social de chaque pays, les objectifs et contenus du programme d’enseignement, les méthodes péda-gogiques, la formation des enseignants et les expériences des élèves.

Eurydice : réseau d’information sur l’éducation en Europe, L’éducation artistique et culturelle à l’école en Europe, EACEA: Education audiovisual and culture executive agency/Bruxelles, septembre 2009, 106 p. [en ligne]

L’étude examine la place de l’éducation artistique et culturelle dans les programmes scolaires de trente pays européens ; elle en présente les objectifs, l’organisation, l’offre d’activités extra-scolaires ainsi que les initiatives en faveur du développement de l’éducation artistique et cultu-relle. [http://bit.ly/2u16iDE]

DURAN Lucy éd., Growing into music: a multicultural study of musical enculturation in oral traditions, School of oriental and african studies, London University/London, 2012, DVD, 1:05 mm [en ligne]

Réalisé dans le cadre du projet Growing Into Music, ce film explore la façon dont les enfants acquièrent les répertoires et les techniques de la musique dans différentes cultures de tradition orale (Inde, Mali, Guinée, Azerbaïdjan, Cuba, Venezuela). L’apprentissage se déroule parfois au sein des familles, et implique différentes pédagogies, allant des leçons individuelles à l’apprentissage en groupe, par jeu, osmose, imitation ou encore à l’école. Les enfants apprennent le langage corporel de la musique avant même d’apprendre la technique musicale. [http://bit.ly/2tTN6Km]

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Politiques et pratiques nationales

BMBF: Bundesministerium für Bildung und Forschung, Instrumentalunterricht in der Grundschule: Prozess- und Wirkungsanalysen zum Programm Jedem Kind ein Instrument, BMBF/Berlin, 2015, 292 p. [en ligne]Dispensé dans des écoles primaires, en Rhénanie du Nord – Westphalie depuis 2008, puis à Hambourg, le programme JeKi – Jedem Kind ein Instrument a pour objectif de permettre à chaque enfant d’apprendre à jouer d’un instrument de musique. Il repose sur un partenariat local entre un établissement scolaire et un conservatoire de musique, dans une logique d’initiation à la pratique instrumentale, vocale ou chorégraphique, en groupe. Ce rapport présente les résultats scientifiques des projets de recherche sur JeKi financés par le BMBF selon quatre perspectives : les effets de l’enseignement instrumental à l’école primaire, la coopération entre l’école de musique et les enseignants, la qualité de l’enseignement. [http://bit.ly/2svfpj6]

OFSTED: Office for standards in education children’s services and skills, Music in schools: what hubs must do, OFSTED/London, 2013, 23 p. [en ligne]Les Music Education Hubs ont été mis en place en 2012 dans le cadre du plan national d’éducation musicale britannique. Ces centres agissent localement, en regroupant et coordon-nant les partenariats entre écoles, autorités locales, structures associatives et professionnelles, afin de répondre aux besoins d’un territoire ou d’une communauté. Le rapport précise que les Music Hubs ont insufflé une vitalité et une énergie nouvelles ainsi qu’une méthode collaborative dans le travail avec les jeunes. Il souligne de grandes disparités entre les différentes régions. [http://bit.ly/2uyyrS0]

UIBEL Stefanie, « Education through music – the model of the Musikkinder-garten Berlin », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 1252, 2012, p. 51-55L’auteure présente le Musikkindergarten de Berlin, créé en 2005 à l’initiative du pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboïm. Plus qu’un simple éveil musical, ce jardin d’enfants propose une véritable éducation par la musique. Les enseignants spécialement formés travaillent en étroite collaboration avec les musiciens de la Staatskapelle. Tous les projets développés passent par la musique.

ZHE Ji, « Éduquer par la musique : de l’“initiation” des enfants à la musique classe à la “culture de soi” confucéenne des étudiants », Perspectives chinoises, 2008, vol. 104, n° 3, p. 118-129 [en ligne]La politique et l’éducation sont indissociables dans les tentatives de promouvoir le confucia-nisme en Chine contemporaine. L’union alors célébrée du sacré, du pouvoir et du savoir s’inscrit en tension avec une modernité d’abord caractérisée par la différenciation des institutions et des valeurs. Partant de ce constat, l’article étudie le cas particulier d’une société engagée depuis 2000 dans l’initiation des enfants à la musique classique et dans la promotion de la « culture de soi » chez les élèves. [http://bit.ly/2rTVc23]

France

BONNERY Stéphane coordinateur, « L’enseignement de la musique, entre insti-tution scolaire et conservatoires », Revue française de pédagogie, n° 185, 2013, p. 5-68 [en ligne]Ce dossier explore les nouvelles formes curriculaires de l’enseignement de la musique, à l’école et dans les conservatoires : dans les cours d’éducation musicale de l’enseignement secondaire ;

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dans les projets partenariaux destinés aux élèves de l’enseignement secondaire ; dans les dépar-tements de « musiques actuelles » des conservatoires qui accueillent des adolescents et des jeunes adultes ; et dans les dispositifs partenariaux d’éveil musical, destinés aux tout petits enfants et à leurs parents. [http://bit.ly/2sd8iHK]

DOUCET Sandrine, Les territoires de l’éducation artistique et culturelle : rapport au premier ministre, 2017, 107 p. [en ligne]

Comment généraliser les actions d’éducation artistique et culturelle ? Selon l’auteure, l’élément clé de cette démarche est le parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC). Le rapport préconise de construire le parcours en commun en facilitant sa co-construction au plus près du territoire de vie des enfants, sur les temps scolaires, périscolaire et extrascolaires, et de garantir le parcours pour tous, en mettant en valeur l’importance de la gouvernance stratégique à l’échelle régionale. [http://bit.ly/2rqV5d1]

LÉON Jean-Charles coordinateur, « Arts et culture : quels parcours ? », Cahiers pédagogiques, n° 535, janvier 2017, p. 10-56

Pour donner aux jeunes un égal accès à l’art et à la culture, les derniers textes officiels concer-nant l’éducation artistique et culturelle mettent l’accent sur la notion de « parcours », qui doit permettre à l’élève de se constituer une culture personnelle, de développer son habileté artis-tique et de rencontrer des artistes, des œuvres, des lieux. Une charte pour l’éducation artistique et culturelle a été présentée en juillet 2016. Parmi ses dix principes clés figurent l’exigence de l’accessibilité de l’art à tous, et l’affirmation que la culture est un lien qui permet au jeune de s’inscrire comme sujet du monde.

Les orchestres et chœurs d’enfants et de jeunes

Le programme El Sistema

ALEMÁN Xiomara, DURYEA Suzanne, GUERRA Nancy G., et al., « The effects of musical training on child development: a randomized trial of El Sistema in Venezuela », Prevention Science, 2016, p. 1-14

Le curriculum du programme vénézuélien El Sistema met l’accent sur les interactions sociales par l’apprentissage collectif de la musique. L’article décrit les résultats d’une étude visant à évaluer les effets du programme sur le développement des enfants défavorisés fortement exposés à la violence. L’expérimentation conduite dans 16 nucleos (centres de musique) a porté sur un échantillon de 2 914 enfants. Les estimations indiquent une amélioration de la maîtrise de soi ainsi qu’une réduction des problèmes de comportement et suggèrent que la participation à El Sistema pourrait jouer un rôle important dans la prévention de la violence et l’acquisition de compétences prosociales. [http://bit.ly/2uhz578]

BAKER Geoffrey, El Sistema: orchestring Venezuela’s youth, Oxford university press/Oxford, 2014, 362 p.

L’ouvrage constitue l’une des premières analyses critiques d’El Sistema, souvent présenté comme un moyen de changer le monde. Il questionne les aspects pédagogiques du programme, explo-rant les problématiques de l’orchestre symphonique. Il interroge la réalité du slogan du système, « action sociale à travers la musique ». Enfin, il analyse la manière dont le programme a réussi ses objectifs, et les rapports entre rhétorique, représentation et réalité. Selon l’auteur, l’idée d’une « action sociale à travers la musique » défendue relève en fait davantage d’une stratégie de marketing.

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CREECH Andrea, GONZALEZ-MORENO Patricia, LORENZINO Lisa, et al., El Sistema and Sistema-inspired programs: a literature review of research, evaluation, and critical debates – second edition 2016, Sistema global/San Diego, 2016, 223 p. [en ligne]

Les dispositifs El Sistema, développés par plus de 90 pays suscitent un nombre croissant de publications. Comment se situent-ils dans le paysage de l’éducation musicale ? Les pratiques pédagogiques peuvent-elles être utilisées dans d’autres contextes culturels ? Cette revue de la littérature présente l’état des connaissances sur le programme et les dispositifs inspirés d’El Sistema. Elle synthétise les principaux résultats issus des rapports de recherche et d’évaluation. Elle examine le fonctionnement du programme, ses effets sur les compétences, la participation des familles, les aspects pédagogiques, la progression des élèves. Une partie présente les différents débats et critiques que suscite le programme.

Dispositifs d’éducation musicale dans différents pays

APPEZZATO Ricardo, BRUNO Marta, CAZNOK Yara, et al., « A experiência do Guri Santa Marcelina no ensino musical e inclusão social », Synergies-Brésil, n° 9, 2011, p. 88-97 [en ligne]

À côté du travail d’éducation musicale, Guri Santa Marcelina développe plusieurs actions socio-éducatives, dans le but de transformer les personnes et les communautés. Lancé en 1995 par l’État de São Paulo, ce dispositif brésilien offre depuis sa création à plusieurs milliers d’enfants des cours de solfège et des expériences régulières de pratiques chorales et instrumen-tale en dehors du temps scolaire. Cet article décrit l’expérience, la mission et les objectifs généraux de ce programme. [http://bit.ly/2sxoN4Z]

CHONG Hyuan Ju, KIM Soo Ji, « Development of school orchestra model in Korean public schools and student’s perception of the orchestra experience », IJEA: International journal of education & the arts, 2016, vol. 17, n° 35, p. 1-17 [en ligne]

En 2011, le ministère de l’éducation coréen a lancé le projet d’orchestre à l’école SOP (School orchestra project), afin de développer des programmes pour les élèves identifiés à risque dans des régions défavorisées. L’article décrit la mise en place de ce projet mis en œuvre dans 77 établissements d’enseignement primaire et la perception des élèves. Les résultats indiquent que le projet peut offrir aux élèves une opportunité d’acquérir des expériences positives pour la confiance en soi et les relations sociales. [http://bit.ly/2rvB8mw]

COEN Pierre-François, MORA Giorgia, Évaluation des orchestres en classe de Genève : rapport scientifique, Haute école pédagogique de Fribourg/Fribourg, octobre 2015, 63 p. [en ligne]

Les expériences d’Orchestres en classe se développent de plus en plus en Suisse romande. À quoi servent les orchestres de classe ? Quels sont les effets et impacts de ce dispositif sur les appren-tissages musicaux et les compétences sociales ? La confiance et la discipline ? Le but principal de l’orchestre en classe, à savoir le plaisir de faire de la musique ensemble, est plébiscité par tous. [http://bit.ly/2sEzgdY]

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DESLYPER Rémi, ELOY Florence, GUILLON Vincent, et al., Pratiquer la musique dans Démos : un projet éducatif global ?, Observatoire des politiques culturelles/Grenoble, 2016, 117 p. [en ligne]Initié en 2010 et coordonné par la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, Démos (Dispo-sitif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) est un projet de démocratisation culturelle centré sur la pratique musicale en orchestre. De dimension nationale, il est destiné à des enfants habitant des quartiers relevant de la politique de la ville ainsi que des zones rurales insuffisamment dotées en institutions culturelles. Utiliser cette activité comme support d’un accompagnement social plus large, profiter de ce cadre pour renouveler la pédagogie de l’enseignement musical, ou encore construire un modèle d’éducation par l’art destiné à la formation de l’individu et du citoyen constituent autant de facettes du projet Démos, dont ce rapport présente les résultats de l’évaluation globale. [http://bit.ly/2t2aX6X]

GCPH: Glasgow centre for population health, Evaluating Sistema Scotland: initial findings report, GCPH/Glasgow, 2015, 86 p. [en ligne]Big Noise - Sistema Scotland a pour mission de transformer des vies par la musique d’orchestre. Soutenu par le gouvernement écossais, il est implanté depuis 2008 dans deux quartiers défa-vorisés de Stirling et de Glasgow. L’accent est mis sur l’apprentissage en groupe et sur une pédagogie musicale essentiellement basée sur le rythme et le corps. Ce rapport présente les résultats de l’évaluation de l’impact de ce programme sur la vie des enfants. Il indique notam-ment qu’il améliore la confiance, la fierté et l’estime de soi, la santé et le bien-être, ainsi que la fréquentation scolaire, les aspirations des enfants et de leur communauté. [http://bit.ly/2swpECS]

HILLE Adrian, Étude d’impact des orchestres à l’école, Institut Montaigne/Paris, 2010, 39 p. [en ligne]Orchestre à l’école est un projet qui permet à des élèves de collège, notamment en zone d’éducation prioritaire, d’apprendre un instrument pendant trois ans. Cette étude examine l’impact de la participation à un orchestre à l’école sur les résultats académiques, la note de vie scolaire, ainsi que des caractéristiques non-cognitives comme l’attitude envers l’école, l’ambition, l’estime de soi, les rapports sociaux et la confiance envers les autres. L’expérimen-tation a permis de favoriser de manière significative le développement des capacités cognitives et non-cognitives des élèves. [http://bit.ly/2tFmABq]

LABORDE Denis dir, L’orchestre pour exister ensemble ? Démos au cœur de la cité : enquête sur le projet Démos réalisée par l’institut de recherche sur les musiques du monde dans le cadre d’une convention avec la philharmonie de Paris, Philharmonie de Paris/Paris, 2016, 119 p. [en ligne]Les auteurs interrogent la capacité de modélisation du projet Démos, en analysant la manière dont l’équipe de coordination met en place et anime un système de coopération propre à chaque territoire. En articulant les effets individuels du dispositif avec ses effets globaux, l’étude propose une série d’interrogations pour l’avenir du dispositif. [http://bit.ly/2rdKJNw]

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Abstracts

Introduction The transformational power of music: What are the implications for society? p. 45Emmanuel BigandThe raison d’être of music has often been debated: is it simply recreational, or a sublime artistic activity? Studies in cognitive neuroscience now suggest that music exercises a transformational power on the brain and how the mind works. This power manifests itself from the first minutes to the last instants of life. It seems to have contributed to the development of the fundamental cognitive and social competences of human beings. The implications of these studies are essential for health and education policies and should lead us to reconsider music learning today.

Music and brain plasticity p. 55Laura FerreriThe human brain has the unique ability to modify its structure and function throughout our life, a phenomenon known as brain plasticity. Music is a rich and complex stimulus able to stimulate the whole brain, thus inducing important neuronal changes. What is the relation between music and brain plasticity? After an introduction on the neuroscientific interest in music and brain plasticity processes, this article aims at presenting the main findings on music-driven neuroplasticity. The effects of musical training and musical expertise on the brain will be first explored. Furthermore, the important consequences that music-related brain stimulation and changes have on the stimulation of other non-musical functions will be considered and discussed from a neurorehabilitation perspective.

Music in infancy Emotional development, self-regulation and building cooperative social relationships p. 65Laurel J. TrainorMusic is often viewed as a frill in education that can be dispensed with at little cost to children’s development. In this paper, research is presented indicating that, very early in life, musical interactions can influence children’s social and emotional development, and likely contribute to the development of skills such as self-regulation that affect virtually all aspects of future success.

The cognitive sciences and traditions of oral teaching in Indian classical music p. 75Shantala HedgeIndian classical music (ICM) is one of the oldest musical traditions. It is an oral tradition. Various techniques and methods are unique to this oral method of teaching and the Guru–Shishya (teacher–student) tradition of teaching has been considered crucial since its origins in the Vedic era (c.5000 BC). The Guru plays the key role in passing on not just the technical knowledge of the subject but the true essence of ICM – spirituality. Systematic research on ICM and its unique methods of teaching can shed new light on understanding its overall benefits from a psychological and neuroscientific perspective.

Learning pan: Learning to be in Trinidad and Tobago From a personal accomplishment to nation-building p. 87Aurélie HelmlingerWhat do we learn when learning pan, Trinidad and Tobago’s national instrument, also called “steelpan” or “steeldrum”? Just like any other musical practice, playing in a steelband requires a variety of competences in which social, musical and various cognitive parameters like emotions, memory and motricity are intimately interlocked. Musical knowledge in the strict sense of the term is what catches the attention when we speak of transmission, but it is only one facet of a much wider range of abilities. A comprehensive overview of the skills learnt in a steel band is proposed here, with a focus on musical, social and political skills.

Music and Senegalese identities p. 97Moussa SySenegalese students’ lack of interest in music lessons shows that a change of approach is needed. Music is one of the important bases of traditional society in Senegal and integrates admirably with the various aspects of social life. This article seeks to enhance the value ascribed to traditional music

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teaching and its methods while encouraging students to be open to music from elsewhere, so that Senegalese music, drawing on new teaching blueprints, will convey the richness of its culture in a modern perspective.

When music sets the tone Musical culture, education and community in Class D at the Sankt Annæ Gymnasium, Copenhagen (2011–2014) p. 107Henrik ReehThe Sankt Annæ Gymnasium is renowned for its students’ results and for being home to an intense choral and musicological tradition. This article examines the trajectories of 32 students from the same class, all of whom obtained their baccalaureate in 2014 with a specialization in music and mathematics. A survey documents the role of music in their lives. The respondents describe music as the basis of a high school community. More than a specific form of knowledge, music reinforces intellectual discipline, promotes general culture and offers respite from academic pressure. In order to understand this coexistence between music and education, the relation between “individual” and “community” is examined and the notion of “culture” points to the interface that can describe the pedagogical dynamic in question.

The “Orchestras at School” scheme and its impact on a local area The case of the département of Mayenne in France p. 117Denis WaleckxMany schemes aiming to democratize access to cultural practice and consumption are based on a reinforced partnership between the ministries responsible for education and culture and local authorities. Drawing upon the convincing example of the deployment of the “Orchestras at School” scheme in Mayenne, this article seeks to shed light on the reasons that might explain its favourable welcome in this département, and to report on all the impacts it has entailed, both in terms of the development of solid and varied competences among the students involved and in terms of intergenerational transmission of knowledge and artistic outreach in the area.

Music and social cohesion in a decolonial moment in South Africa p. 129Stephanus MullerThis article describes the different institutional musical initiatives taken during the wave of protest that gripped South African universities in 2015 and 2016. It considers different types of responses – structural, archival and event-driven – which were advanced at this moment of crisis in South African higher education, and takes the example of Stellenbosch University in Western Cape (South Africa) to illustrate the way in which institutionally innovative approaches to the teaching of music at university could contribute to responding to students’ demands for the decolonial transformation of South African universities.

El Sistema at the crossroads Principles and perspectives of a global network p. 139Maria MajnoSince the creation of El Sistema by J. A. Abreu in Venezuela in 1975, this effort to achieve social inclusion based on collective musical practice has now spread to over 65 countries across five conti-nents. The results at the educational and artistic level are as remarkable as the challenges that have been encountered in adapting to different contexts, while the effects are felt not only in the educa-tional field but also at the level of cognition and socialization. This article reflects upon the inter-national rise of projects inspired by this model, after an updated summary of the principles that inspire it.

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Resúmenes

Introduction El poder transformacional de la música : ¿ qué implicaciones para la sociedad ? p. 45Emmanuel Bigand

La razón de ser de la música ha sido objeto de repetidos debates : ¿mero ocio o actividad artística sublime? Hoy en dia, los estudios de neurociencias cognitivas sugieren que la música ejerce un poder transformacional sobre el cerebro y el funcionamiento de la mente. Este poder se manifiesta desde los primeros minutos hasta los últimos instantes de la vida. Parece haber contribuido al desarrollo de las competencias cognitivas y sociales fundamentales de los humanos. Las implicaciones de estos estudios son esenciales para las políticas de salud y de educación y nos invitan a volver a pensar el aprendizaje de la música hoy.

Música y plasticidad cerebral p. 55Laura Ferreri

El cerebro humano tiene la capacidad única de modificar su estructura y su función a lo largo de la vida, fenómeno llamado plasticidad cerebral. La música es un estímulo rico y completo capaz de estimular todo el cerebro, induciendo unos cambios neuronales importantes. ¿ Cuál es la relación entre música y plasticidad cerebral ? Después de una introducción sobre el interés neurocientífico por la música y los procesos de plasticidad cerebral, este artículo se propone presentar los principales resultados sobre la neuroplasticidad inducida por la música. Se examinan primero los efectos de la formación y de los conocimientos músicales sobre el cerebro. Se abordan y estudian luego desde el punto de vista de la remediación neurológica la importancia de la estimulación y de los cambios del cerebro vinculados con la música sobre la estimulación de otras funciones no musicales.

La música para los muy pequeños Desarrollo emocional, autoregulación y cooperación social p. 65Laurel J. Trainor

En el campo de la educación, la música se percibe a menudo como un lujo del cual podemos pres-cindir sin que surjan consecuencias reales sobre el desarrollo del niño. La investigación presentada en este artículo muestra por lo contrario que, desde una edad muy precoz, las interaciones musicales influencian el desarrollo social y emocional de los niños y juegan un papel en su adquisición de capacidades como la autoregulación, indispensables, en no pocos aspectos, para el éxito de su vida futura.

Ciencias cognitivas y tradiciones de enseñanza oral en la música clásica india p. 75Shantala Hedge

La música clásica india es una de las más antiguas tradiciones musicales en el mundo y es una tradición oral. Varias técnicas y métodos de enseñanza son específicos de ésta, especialmente la tradición de enseñanza maestro-discípulo (Guru-Shishya Parampara), que siempre ha sido conside-rada como un elemento crucial de esta enseñanza desde sus orígenes en la era védica (alrededor de 5000 antes de Cristo). El Gurú desempeña un papel mayor al transmitir no sólo su saber técnico sobre el tema, sino también lo que constituye la esencia misma de la música clásica india, a saber su dimensión espiritual. Unos trabajos de investigación más sistemáticos sobre esta tradición musical y sus métodos de enseñanza específicas permitirían echar nueva luz sobre la comprensión de sus beneficios globales en una perspectiva psicosocial y neurocientífica.

Aprender el pan, aprender a ser De la realización personal a la construcción nacional en Trinidad y Tobago p. 87Aurélie Helmlinger

¿ Qué es lo que uno aprende cuando se inicia a la práctica del pan, llamado también a veces steelpan o steeldrum ? Como toda práctica musical, el juego en steelband requiere una variedad de compe-tencias entre las que lo social, lo musical y lo cognitivo (emociones, memoria, motricidad) se entre-lazan íntimamente. Los conocimientos musicales propiamente dichos sólo son una faceta de los dominios de aprendizaje desarrollados por la práctica de la música. El artículo propone un panorama de las competencias aprendidas en un steelband, con particuliar énfasis en las competencias musicales, sociales y políticas.

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Músicas e identidades senegaleses p. 97Moussa SyEl desinterés de los alumnos senegaleses por las clases de música muestra que es necesario cambiar de manera de proceder. En Senegal, la música constituye una de las bases importantes de la sociedad tradicional e integra maravillosamente los diversos aspectos de la vida social. El artículo invita a revalorizar la enseñanza tradicional de la música y sus métodos, invitando al mismo tiempo a que los alumnos se abran a músicas procedentes de otros horizontes, para que la música senegalesa, con nuevos esquemas pedagógicos, sea portadora de riquezas de su cultura en una perspectiva moderna.

Cuando la música da el tono Cultura musical, escolaridad y comunidad en la clase D del Instituto Santa Ana, Copenhague (2011-2014) p. 107Henrik ReehEl instituto Santa Ana de Copenhague es un establecimiento de gran reputación por los resultados de sus alumnos y por ser el lugar de una intensa tradición coral y musicológica. El artículo examina las trayectorias de los 32 alumnos de una misma clase que aprobaron sin excepción el bachillerato 2014 con una opción música y matemáticas. Una encuesta documenta el papel de la música en sus vidas. Los alumnos que contestan designan la música como la base de una comunidad dentro del instituto. Más que un saber específico, la música refuerza la disciplina intelectual, promueve la cultura general y ofrece un momento de alivio frente a la presión escolar. Para entender esta coexistencia entre música y educación, se examina la relación entre « individuo » y « comunidad » y la noción de « cultura » señala el punto de articulación que puede dar cuenta de la dinámica pedagógica en cuestión.

El dispositivo « orquestas en la escuela » y su impacto en un territorio El caso del departamento de la Mayenne en Francia p. 117Denis WaleckxNumerosos dispositivos que procuran democratizar el acceso a la práctica y al consumo culturales se basan en una colaboración reforzada entre los ministerios encargados de la educación y de la cultura y las colectividades territoriales. A partir del ejemplo significativo del desarrollo en Mayenne del dispositivo « orquesta en la escuela », el artículo se propone aclarar las razones que pueden explicar la acogida favorable de la que benefició en este departamento y dar cuenta de la totalidad de las repercusiones que suscita tanto en términos de desarrollo de competencias sólidas y variadas en los alumnos beneficiadores como en términos de transmisión intergeneracional y de animación artística del territorio.

Música y cohesión social en un moment descolonial en África del Sur p. 129Stephanus MullerEste artículo evoca diferentes iniciativas musicales institucionales adoptadas durante una ola de protesta que sacudió las universidades surafricanas en 2015 y 2016. Considera distintos tipos de respuesta – en el marco estructural, archivístico y de los eventos – dadas a este tipo de crisis de la enseñanza superior surafricana, y toma como ejemplo la universidad de Stellenbosch en la provincia del Cap occidental (África del Sur) para ilustrar la manera con la que unas aproximaciones institu-cionalmente inovadoras para la enseñanza de la música en la universidad podrían contribuir à responder a las pedidas de transformación descolonial de la universidad surafricana expresadas por los estudiantes.

El sistema en la encrucijada Principios y perspectivas de una red mundial p. 139Maria MajnoDesde la creación de El Sistema por J. A. Abreu en Venezuela en 1975, este esfuerzo de integración social fundado en la práctica musical colectiva se ha extendido en más de 65 países sobre los cinco continentes. Los resultados en el marco educativo y artístico son tan destacados como los retos encontrados en las adaptaciones en diferentes contextos mientras que los efectos tocan tanto el campo educativo como el cognitivo y el de la socialización. Después de una síntesis actualizada de los principios que lo inspiran, el artículo propone una reflexión sobre el desarrollo internacional de los proyectos inspirados por este modelo.

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dossier

Les auteurs

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Hélène Beaucher est documentaliste au centre de ressources et d’ingénierie documentaires du Centre international d’études pédagogiques. Courriel : [email protected]

Emmanuel Bigand est professeur de neurosciences cognitives à l’Université de Bourgogne. Il est membre senior de l’Institut universitaire de France et il a dirigé jusqu’en 2016 un laboratoire du CNRS spécialisé sur l’apprentissage et le développement cognitif. Il a effectué ses études au Conservatoire de musique de Versailles et a été musicien d’orchestre pendant plusieurs années. Son travail de recherche porte sur les processus d’écoute et d’apprentissage de la musique. Plusieurs études ont été consacrées aux problèmes posés par les musiques contemporaines. Il a coordonné un programme européen de recherche sur musique, cerveau et santé. Courriel : [email protected]

Laura Ferreri est une chercheuse post-doctorale à l’unité de cognition et de plasticité cérébrales (Université de Barcelone et IDIBELL Institut Biomedical, Barcelone, Espagne). Après un master en neurologie cognitive à l’Université de Raffaele (Milan, Italie), elle a obtenu un doctorat en psychologie cognitive à l’université de Dijon (France) dans le contexte du programme EBRAMUS (cerveau et musique européens) Marie Curie. Son principal domaine de recherches concerne l’effet de la musique sur le cerveau, avec une focalisation particulière sur les processus de mémoire et de récompense. Courriel : [email protected]

Shantala Hegde est docteure, professeure adjointe et consultante à l’unité de neuropsychologie du département de psychologie clinique ainsi qu’auprès du département de neuro-réhabilitation du National Institute of Mental Health and Neuro Sciences, (NIMHANS) à Bangalore (Inde). Elle y est en charge du laboratoire de cognition musicale. Elle s’intéresse à la musique et aux neurosciences, tout particulièrement aux applications de la musique pour la réhabilitation neuropsychologique. Elle est également musicienne (chanteuse), formée dans la tradition de la musique classique hindoustanie, et compositrice. Courriel : [email protected] ; site internet : http://nimhans.ac.in/users/dr-shantala-hegde

Aurélie Helmlinger est chargée de recherche au CNR, LESC (Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative), UMR7186 et enseignante de steelband à la Cité de la Musique (France). Prenant pour axe central le corps – social ou individu en performance – elle mène ses recherches sur les steelbands de Trinidad et Tobago, abordant tout autant la dimension sociale et politique des orchestres, que les questions de cognition musicale. Elle a ainsi montré comment cette « jeune musique » profondément créole s’est inscrite dans l’histoire de la jeune nation, et a envisagé simultanément la question de la mémorisation du répertoire, entre traditions écrite et orale. Courriel : [email protected]

Maria Majno est musicienne et musicologue, vice-présidente de Sistema Europe et enseigne à l’Université catholique de Milan. Durant ses dix-huit ans à la tête de la Società del Quartetto di Milano, elle a façonné plusieurs saisons et co-productions avec la Scala. Elle joue un rôle clé dans le développement d’El Sistema en dirigeant le réseau en Lombardie, la région la plus avancée depuis le lancement du projet en Italie par Claudio Abbado. Elle guide également l’association European Mozart Ways et la Fondation Mariani pour la neurologie pédiatrique, œuvrant ainsi à la relation entre neurosciences, musique et éducation. Courriel : [email protected]

Stephanus Muller est professeur de musique et directeur d’Africa Open – Institut de musique, de recherche et d’innovation, à l’Université de Stellenbosch (Afrique du Sud). Il encadre de nombreux étudiants de troisième cycle en musique et dirige différents projets de recherche institutionnelle. Il est par ailleurs corédacteur du journal South African Music Studies, et romancier. Courriel : [email protected]

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Henrik Reeh, docteur en littérature comparée, est professeur associé d’études urbaines et de culture moderne au département d’études d’arts et de culture à l’Université de Copenhague, Danemark. Il est co-président de la commission doctorale de la faculté des sciences humaines dans cette université. Il collabore au 4Cities – Erasmus Mundus Master Course (4Cities.eu). Auteur de livres sur la culture urbaine de la modernité, sur l’art contemporain dans l’espace public ainsi que sur des problèmes d’urbanisme, sa monographie sur Siegfried Kracauer et la ville, Ornaments of the Metropolis: Siegfried Kracauer and Modern Urban Culture, a paru chez MIT Press aux États-Unis. Courriel : [email protected]

Moussa Sy est professeur d’éducation musicale au Sénégal et auteur de cahiers d’activités pédagogiques (1997) pour l’association francophone internationale des directeurs d’établissements scolaires, ainsi que d’articles sur la musique au Sénégal dans les journaux sénégalais. Il a été enseignant associé en musicologie à l’université Gaston Berger (2011-2012) et président de la commission nationale d’éducation musicale du Sénégal en 2012. Courriel : [email protected]

Laurel J. Trainor est professeure de psychologie, de neuroscience et de comportement à l’Université McMaster, professeur distingué et membre de la Société royale du Canada, de l’Institut canadien de recherche avancée et de l’Association des sciences psychologiques. Elle a publié plus de 120 articles sur les neurosciences du développement auditif et la perception de la musique dans des revues telles que Science et Nature (http://trainorlab.mcmaster.ca/) et co-détient un brevet pour l’aide auditive neuro-compensatrice. Elle est la directrice fondatrice du LIVELab (http://livelab.mcmaster.ca/), une salle de concert et de recherche unique pour étudier la performance musicale et l’interaction humaine. Elle est également diplômée de musique (Université de Toronto) et flûte principale dans l’orchestre Symphony on the Bay. Courriel : [email protected]

Denis Waleckx est agrégé de musique, docteur en musicologie, auteur d’une thèse sur la musique dramatique de Francis Poulenc. Il a été successivement professeur, inspecteur pédagogique régional d’éducation musicale, délégué académique à la formation des personnels de l’éducation nationale et directeur académique des services départementaux de l’éducation nationale (DASEN) dans différentes académies (Versailles, Montpellier, Aix-Marseille, Nice, Corse, Créteil, Nantes). Il est actuellement inspecteur d’académie-DASEN de la Mayenne, en France. Courriel : [email protected]

Actualité internationale

Mlaoueh Ammar est diplômé du cycle supérieur de l’École nationale d’administration (ÉNA) et Conseiller des services publicsest en Tunisie. Directeur des réformes à la direction générale de la rénovation universitaire depuis 2009, il a été chargé de mission au cabinet du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (2009-2016). Il est expert en matière de réforme de l’enseignement supérieur auprès du bureau national ERASMUS + Tunisie (2014-2020). Courriel : [email protected]

Mohamed Adel Ben Amor est titulaire d’une thèse ès sciences pharmaceutiques (biochimie) et du grade de professeur hospitalo-universitaire en biochimie. Il enseigne à la faculté de pharmacie de Monastir (Tunisie) et est praticien des hôpitaux. Nommé président de l’Université de Monastir (février 2011), puis directeur général de la rénovation universitaire (2011-2016) et chef du cabinet du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (2014-2016) de Tunisie, il est auditeur selon la norme ISO 15189 (laboratoires d’analyses médicales) et instructeur en pédagogie universitaire. Courriel : [email protected]

Labass Lamine Diallo est docteur en sciences de l’éducation (Université de Bordeaux II) et a été enseignant-chercheur à l’université des lettres, langues et sciences humaines de Bamako (Mali). Il est actuellement conseiller technique à la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage (Confemen). Courriel : [email protected]

Hilaire Hounkpodote est coordonnateur par intérim du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) de la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage (Confemen). Il est ingénieur statisticien économiste, diplômé de l’École nationale de statistique et d’économie appliquée (ENSEA) d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Courriel : [email protected]

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Stéphane Kesler est inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (France). Courriel : [email protected]

Seydou Loua est enseignant chercheur au département des sciences de l’éducation de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako. Malien de nationalité, il est titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université Lumière Lyon 2, et d’un diplôme de psychopédagogie de l’École normale supérieure de Bamako. Actuellement, ses recherches portent sur les politiques éducatives. Courriel : [email protected]

Federica Minichiello est chargée de veille au centre de ressources et d’ingénierie documentaires du Centre international d’études pédagogiques. Courriel : [email protected]

Bernadette Plumelle est responsable du centre de ressources et d’ingénierie documentaires du Centre international d’études pédagogiques. Courriel : [email protected]

Padma M. Sarangapani, professeur d’éducation au Tata Institute of Social Science (Inde), dirige le Centre pour l’innovation et la recherche action en éducation du campus de Bombay. Membre du Conseil national pour la formation des enseignants depuis 2013, elle a également contribué à plusieurs instances au niveau national et régional. Elle a été rédacteur en chef de Contemporary Education Dialogue (2002-2014) et est membre du conseil scientifique international du British Journal of Sociology of Education, depuis 2011. Ses travaux portent principalement sur les enseignants, le curriculum et les théories pédagogiques. Courriel : [email protected]

Bassile Zavier Tankeu est conseiller technique au Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage (Confemen). Il est ingénieur principal des travaux de la statistique, diplômé de l’Institut sous-régional de statistique et d’économie appliquée (ISSEA) de Yaoundé (Cameroun).

Jean-Pierre Véran est inspecteur d’académie (H). Il intervient en formation de l’encadrement en académie et à l’École supérieure de l’éducation nationale (ESEN) sur la gouvernance des organisations éducatives, les politiques éducatives et l’éducation aux médias et à l’information. Courriel : [email protected]/ Blog : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/

Remerciements

Agnès Florin, Université de Nantes, France

Jean-Marie De Ketele, Université catholique de Louvain, Belgique

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la revue

Revue spécialisée dans le champ de l’éducation et de la formation à travers le monde, la Revue internationale d’éducation de Sèvres est éditée par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP), membre de la Communauté d’universités et d’établissements Sorbonne Universités.

Elle publie en langue française trois numéros par an pour un public de responsables et d’acteurs de l’éducation, ainsi que d’universitaires et de chercheurs issus des sciences humaines et sociales concernés par les questions d’éducation. La majorité des auteurs sont étrangers et les articles s’inscrivent dans une perspective de recherche. Les numéros sont orga-nisés autour d’un dossier central, portant sur un thème qui fait l’objet de débats dans le monde. Ils proposent également des informations et des ressources documentaires dans le champ des politiques éducatives ou des pratiques pédagogiques.

La revue s’appuie sur un conseil scientifique international et un comité de rédaction qu’elle réunit régulièrement. Depuis sa création en 1994, elle a publié 1 000 auteurs de 110 pays. Repérée dans différents classements internationaux et bases de données, la revue a rejoint en 2012 la plateforme d’édition en sciences sociales et humaines OpenEdition. Ses numéros sont disponibles en libre accès après deux ans sur Revues.org : [http://ries.revues.org/]

Procédures de soumission

La revue annonce chaque année sur son site, au plus tard en novembre, les thèmes des dossiers de l’année suivante. Chaque dossier thématique est confié à un coordinateur invité, avec lequel la revue construit les sollicitations qu’elle adresse aux auteurs. Elle peut également publier les articles qui lui sont soumis spontanément, après avis du comité de rédaction et sous réserve qu’ils s’inscrivent dans la problématique traitée dans le dossier ou dans la ligne éditoriale de la revue.

Les textes proposés à la revue sont adressés à la rédaction au plus tard six mois avant la publication de chaque numéro à l’adresse suivante : [email protected]. Les articles peuvent être soumis en français, anglais, allemand, espagnol, italien. Ils sont ensuite traduits en français par la revue. Les articles sont soumis à relecture et sont validés par le comité de rédaction. Ils n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Les consignes aux auteurs sont disponibles en ligne sur le site de la revue : [http://ries.revues.org/2358]

Articles du dossier

Les articles du dossier proposent nécessairement une analyse comparative ou une étude dans un pays donné du thème traité par le dossier. Ils ne peuvent excéder 25 000 signes (soit 4 000 mots en français, 3 500 mots en anglais), y compris les références et notes de bas de page. Ils sont accompagnés d’un résumé et d’une notice biographique pour chacun des auteurs (100 mots chacun maximum). Les tableaux et graphiques sont limités au strict nécessaire.

Autres rubriques

Outre le dossier thématique, la revue propose dans chaque numéro des rubriques regroupées sous l’intitulé « L’actualité internationale en éducation ».

– Rubrique « Le point sur l’actualité internationale en éducation » : ces articles courts et factuels (6 à 8 000 signes) permettent de présenter des réformes en cours dans les systèmes éducatifs, des difficultés de mise en œuvre ou encore des événements notables.

– Rubrique « Repères sur les systèmes éducatifs » : ces articles visent à présenter de façon problématisée l’organisation des systèmes éducatifs et les principaux enjeux qui sont les leurs (18 000 signes).

– Rubrique « Notes de lecture » : ces articles ne peuvent excéder 6 000 signes.

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Page 171: Musique et éducation

numéros disponibles

Revue internationale d’éducation – Sèvres

75 Musique et éducation, septembre 2017

74 Les enseignants débutants, avril 2017

73 Ce que l’école enseigne à tous, décembre 2016

72 Confiance, éducation et autorité, septembre 2016

71 Formation professionnelle et employabilité, avril 2016

70 Les langues d’enseignement, un enjeu politique, décembre 2015

69 Pourquoi enseigner l’histoire ?, septembre 2015

68 L’éducation en Asie, avril 2015

67 Pédagogie et révolution numérique, décembre 2014

66 L’école dans les médias, septembre 2014

65 Le financement de l’éducation, avril 2014

64 Les espaces scolaires, décembre 2013

63 L’école et la diversité des cultures, septembre 2013

62 Les attentes éducatives des familles, avril 2013

61 Enseignement et littérature dans le monde, décembre 2012

60 Le métier de chef d’établissement, septembre 2012

59 Éducation et ruralités, avril 2012

58 Les ONG et l’éducation, décembre 2011

57 Le plaisir et l’ennui à l’école, septembre 2011

56 Le curriculum dans les politiques éducatives, avril 2011

55 Former des enseignants, décembre 2010

54 Palmarès et classements en éducation, septembre 2010

53 Qualité, équité et diversité dans le préscolaire, avril 2010

52 Un seul monde, une seule école ? décembre 2009

51 Un renouveau de l’enseignement des sciences, septembre 2009

50 En classe : pratiques pédagogiques et valeurs culturelles, avril 2009

49 Quel avenir pour les études en sciences humaines ? décembre 2008

48 L’École et son contrôle, septembre 2008

47 Enseigner les langues : un défi pour l’Europe, avril 2008

46 L’émergence d’une autre école, décembre 2007

45 L’enseignement supérieur, une compétition mondiale ?, septembre 2007

44 L’élève, futur citoyen, avril 2007

43 Que savent les élèves, décembre 2006

42 L’éducation artistique, septembre 2006

41 École primaire, école de base, avril 2006

40 L’éducation dans le monde, décembre 2005

39 La formation des élites, septembre 2005

38 Les défis de l’orientation dans le monde, avril 2005

37 Diplômes et examens de l’enseignement secondaire, décembre 2004

36 École et religion, juillet 2004

35 Décrochages et raccrochages scolaires, avril 2004

34 La formation professionnelle initiale : une question de société, décembre 2003

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Page 172: Musique et éducation

33 L’enseignement des langues vivantes à l’étranger : enjeux et stratégies, septembre 2003

32 Le processus de décision dans les systèmes éducatifs, mars 2003

31 Les parents et l’école, novembre 2002

30 Le métier d’enseignant en Europe, juin 2002

29 L’élève aujourd’hui : façons d’apprendre, mars 2002

28 Les grands débats éducatifs aujourd’hui – Europe, décembre 2000

27 Les grands débats éducatifs aujourd’hui – Afrique, Amérique, Asie, octobre 2000

26 L’évaluation des systèmes éducatifs aujourd’hui, juin 2000

25 Le droit à l’éducation : vers de nouveaux contenus pour le XXIe siècle, tome 2, mars 2000

24 Le droit à l’éducation : vers de nouveaux contenus pour le XXIe siècle, tome 1, décembre 1999

23 La formation ouverte et à distance, septembre 1999

22 Dimension économique des politiques éducatives, juin 1999

21 La formation des enseignants. II – Des problématiques convergentes, mars 1999

20 La formation des enseignants. I – Des approches constrastées, décembre 1998

19 Langue maternelle, langue d’enseignement, septembre 1998

18 Les technologies nouvelles, juin 1998

17 Enseigner la diversité culturelle, mars 1998

16 La formation tout au long de la vie, décembre 1997

15 Les grands débats éducatifs aujourd’hui, septembre 1997

14 L’éducation scientifique, juin 1997

13 Ruptures politiques, enseignement de l’histoire, mars 1997

12 Programmes et politiques éducatives, décembre 1996

11 L’évaluation des élèves, septembre 1996

10 L’école en milieu rural, juin 1996

9 Des langues vivantes à l’école, mars 1996

7 Enseignements bilingues, septembre 1995

3 Les langues régionales et l’Europe, septembre 1994

1 Approches comparatives en éducation, mars 1994

À paraître en 201776 Nouvelles formes d’éducation (déc.)

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2017n° 74 : Les enseignants débutants (avril) 4068756 17,00

n° 75 : Musique et éducation (sept.) 4069371 17,00

n° 76 : Nouvelles formes d’éducation (déc.) 4069986 17,00

2016n° 71 : Formation professionnelle et employabilité (avril) 7149646 17,00

n° 72 : Confiance, éducation et autorité (sept.) 7149892 17,00

n° 73 : Ce que l’école enseigne à tous (déc.) 7150262 17,00

Autres numéros : indiquer le numéro et le titre références quantité montant sous-total

n° 17,00

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n° 17,00

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bìalec, 54183 Heillecourt (France)

Dépôt légal n° 91673 - septembre 2017

Imprimé sur papier issu de forêts gérées durablement

Dépôt légal : septembre 2017

Photos en couverture : copyrights Jean Noguet/CIEP et Sébastien Toubon/Q.P.

© CIEP 2017

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