musique et emotion

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1 Article paru dans « Actualités psychologiques », 2001, 11, 1 - 25 (publié par Institut de psychologie, Université de Lausanne). Dans la présente version j’ai maintenu la reproduction des citations en langue originale et en traduction. Dans l’article publié, les citations en langue originale avaient disparu pour des raisons d’espace. Musique et émotions Rémy Droz Institut de psychologie, Faculté des Sciences sociales et politiques, Université de Lausanne « The man that hath no music in himself, Nor is not mov’d with concord of sweet sounds, Is fit for treasons, stratagems and spoils; The motions of his spirit are dull as night, And his affections dark as Erebus: Let no such man be trusted. » 1 (W. Shakespeare, The Merchant of Venice, V, 1) 1. La Psychologie de la musique n’existe pas La musique n’ayant pas de « psyché », la musique ne saurait faire l’objet d’une étude de « sa » psychologie ! Si la musique a une « âme », elle l’a par métaphore. A supposer que la psychologie soit la science du comportement comme certains aiment à l’affirmer, précisons d’emblée : la musique n’a pas de comportement. La musique n’est ni animal ni être humain. Elle n’est même pas un organisme. Il s’ensuit que parler d’une « psychologie de la musique » est un peu comme parler pour ne rien dire. Ou alors, c’est mal dire ce qu’il y aurait à dire. En tous les cas, c’est parler sans avoir assez réfléchi à ce qu’on voulait dire, et surtout, à ce qu’on avait à dire. S’il devait être question de parler de 1 « L’homme qui n’a pas de musique en lui, et qui n’est pas ému par le concert des sons harmonieux, est propre aux trahisons, aux stratagèmes et aux rapines. Les mouvements de son âme sont mornes comme la nuit et ses affections noires comme l’Erèbe. Défiez-vous d’un tel homme. »

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Musique et émotions

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2. La Psychologie de la musique nexiste pas

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Article paru dans Actualits psychologiques, 2001, 11, 1 - 25 (publi par Institut de psychologie, Universit de Lausanne). Dans la prsente version jai maintenu la reproduction des citations en langue originale et en traduction. Dans larticle publi, les citations en langue originale avaient disparu pour des raisons despace.

Musique et motions

Rmy Droz

Institut de psychologie, Facult des Sciences sociales et politiques,

Universit de LausanneThe man that hath no music in himself,

Nor is not movd with concord of sweet sounds,

Is fit for treasons, stratagems and spoils;

The motions of his spirit are dull as night,

And his affections dark as Erebus:

Let no such man be trusted.

(W. Shakespeare,

The Merchant of Venice, V, 1)

1. La Psychologie de la musique nexiste pas

La musique nayant pas de psych, la musique ne saurait faire lobjet dune tude de sa psychologie! Si la musique a une me, elle la par mtaphore. A supposer que la psychologie soit la science du comportement comme certains aiment laffirmer, prcisons demble: la musique na pas de comportement. La musique nest ni animal ni tre humain. Elle nest mme pas un organisme.

Il sensuit que parler dune psychologie de la musique est un peu comme parler pour ne rien dire. Ou alors, cest mal dire ce quil y aurait dire. En tous les cas, cest parler sans avoir assez rflchi ce quon voulait dire, et surtout, ce quon avait dire. Sil devait tre question de parler de psychologie en rapport avec la musique et pour paratre moins saugrenu, il conviendrait sans doute de parler dune psychologie de lexprience musicale, dune psychologie des activits musicales, voire mme de conduites relatives ou de comportements relatifs la musique. Quant voquer la psychologie du musicien: aucun problme! Mais cest un discours bien diffrent.

Telle quelle apparat aujourdhui, la psychologie de la musique semble avoir simplement subordonn ses interrogations et ses problmatiques concernant les phnomnes comportementaux en rapport avec la musique aux mthodes usuelles ou standard de la psychologie exprimentale et de la psychomtrie.

Ainsi, le discours psychologique relatif au phnomne musical apparat davantage comme une discipline intresse par lexploitation de loffre des mthodes disponibles dinvestigation psychologique en les appliquant un domaine supplmentaire, plutt que dtre une discipline scientifique qui se consacrerait ltude des problmes qui se posent dans le contexte de la rencontre entre le musical et le psychologique, et qui, le cas chant, dvelopperait les mthodes idoines qui lui seraient propres.

Lobjectif dune telle psychologie centre sur les mthodes est alors de viser autant que faire se peut la qualit scientifique du discours: rigueur, prcision, contrle, vrification, etc. Ses protagonistes renoncent, consciemment ou non, explorer comme une terre inconnue quelque chose qui parat avoir de limportance pour daucuns en loccurrence, la musique et les comportements, les expriences, les motions, les activits, ... humains que lon rencontre avec le musique. Ils ne sinterrogent gure sur ladquation quil devrait y avoir entre les phnomnes tudis et les mthodes utilises pour y parvenir. Il sensuit, malheureusement, que la psychologie de la musique telle quelle existe aujourdhui ne parat pas tre trs intressante.

Il me semble quelle est assez peu intressante pour le musicien, parce quelle manque de pertinence par rapport sa manire forcment subjective et personnelle de vivre le musical et de se rfrer son vcu musical. Le musicien ne se reconnat pas lui-mme, et il ne reconnat pas son activit spcifique de musicien dans le discours de la psychologie de la musique. Trop centre sur ses mthodes, pas assez centre sur la pertinence de son approche eu gard au phnomne interrog, cest prcisment ces tudes essentielles quelle a rates.

Le discours de la psychologie de la musique ne permet pas de cerner des interrogations qui paraissent fondamentales. Jaimerais, par exemple, quon mexplique ce que sont des activits musicales, et quelle pourrait tre leur spcificit. Jaimerais tellement savoir pourquoi je fais de la musique, comment je fais pour apprendre la musique, que veut dire comprendre la musique, comment et pourquoi la musique agit sur mes tats desprit. Et ainsi de suite.

Le discours de la psychologie de la musique est galement assez peu intressant pour le musicothrapeute. En effet, ce discours ne lui permet ni de comprendre les effets multiples et complexes de la musique elle-mme, ni ceux de lcoute musicale, ni ceux de lactivit musicale sur ltre humain. A plus forte raison, ce nest pas la psychologie de la musique qui permet de comprendre comment il se fait que lcoute et les activits musicale peuvent avoir des effets bnfiques pour daucuns.

2. Musique et motion I

Il y a eu, dans un pass plus ou moins lointain de la psychologie scientifique, des travaux pour identifier les musiques censes avoir des effets calmants, des effets digestifs, des effets de dtente, et ainsi de suite.

Binet (en vritable pionnier, comme toujours, mais nanmoins prcd par Dogiel [1880]) et Cartier [1895], vers la fin du 19e sicle dj, staient intresss aux rapports entre lcoute musicale, la respiration, le cur, et la circulation capillaire, de mme que Patrici [1896]. En 1911, un certain Jentsch publiait mme un livre au beau titre Musik und Nerven.

Des recherches plus ou moins scientifiques sur linteraction entre musique et me, systme neurovgtatif, motions ou aspects psychiatriques divers avaient dj t conduites depuis la fin du 15e sicle. Par ailleurs, des pratiques faisant usage de thrapies musicales ayant pour but des gurisons somatiques ou psychiques sont connues aussi bien depuis lpoque de lAncien Testament que depuis lAntiquit grecque et les chants de Homre! .

Depuis, les travaux qui tentent dclaircir les interdpendances et les interactions entre le phnomne musical et les domaines de la psychologie et des fonctions physiologiques, influences rciproques qui sont la fois videntes et difficiles saisir, nont pas cess.

De nombreux auteurs (Johnson & Trawick [1938], Zimny & Weidenfeller [1962, 1963], Weidenfeller & Zimny [1970]), sintressent aux interdpendances entre le rythme cardiaque, la respiration, ou le rflexe psychogalvanique, et lcoute de diffrentes pices de musique. Walker [1980] analyse les corrlations entre la rcognition de stimuli musicaux et une modification des ondes alpha lEEG. Dautres se penchent sur les effets de lcoute musicale et lactivit gastrique (Sugarman [1954a], Wilson [1956], Demling, Tzschoppe & Classen [1970]). Sugarman [1954a, 1954b] allant dailleurs jusqu formuler des programmes dcoute thrapeutique pour traiter des personnes souffrant dhypertension artrielle motionnelle ou de dsordres gastriques dorigine psychosomatique.

Dans une srie intressante de recherches, Hevner [1936, 1937] explore des concepts de type motionnel en rapport avec des formes musicales lmentaires. Elle transpose des pices de musique, ou elle en modifie les tempi, etc. De tels changements sont susceptibles de transformer le caractre apparent dun morceau: peru comme tant srieux quand il est lent et grave, le mme objet musical paratra drle ou insolent sil est rapide et dans les aigus. Ainsi, Hevner peut conclure que le mode majeur parat trs heureux, trs gracieux, tandis que le mode mineur parat trs triste, assez rveur, plutt digne. Un rythme marqu est ressenti comme tant trs digne, assez puissant, un peu triste et faiblement excitant, tandis quun rythme fluide est gracieux, heureux, rveur. Les harmonies simples semblent assez dignes, trs heureuses, gracieuses, lgrement rveuses, tandis que les harmonisations complexes (et notamment dissonantes) sont ressenties comme tant plutt excitantes, puissantes, et tristes, etc.

Harrer [1982] dans un panorama des tudes scientifiques en rapport avec lexprience musicale, rapporte entre autres une tude spectaculaire conduite sur le chef dorchestre (et accessoirement pilote davions raction) Herbert von Karajan, o il apparat que lactivit du chef dorchestre sollicite lactivit cardiaque du sujet dune manire bien plus intense que le pilotage dun jet agrment de quelques manuvres acrobatiques!

On a mme dcrit une forme dpilepsie musicogne, parfois appele musicolepsie, o des crises convulsives apparaissent conscutivement certaines auditions musicales. On ne connat pas les mcanismes de dclenchement de telles crises, mais on suppose quelle pourraient tre dclenches par les motions qui accompagnent laudition de certaines pices de musique (Yvonneau & Barros Ferreira [1963]).

Plus rcemment, nous apprenons, par exemple, que Sloboda [1991] rapporte que 80 % de ses rpondants ont eu des ractions vgtatives en coutant de la musique au cours des dernires cinq annes, que Daniel [1988] a dcouvert que des tudiants sont activs par de la musique rapide, qui est plus impressionnante, mais aussi plus dsagrable, que de la musique plus lente qui parat plus agrable, relaxante, mais aussi fatigante et dpressive. La musique complexe ne plat pas, et le temps dcoute corrle avec une perception dtendue de la musique. Terwogt et van Grinsven [1991] observent que ltablissement de correspondances entre les motions bonheur, tristesse, angoisse, colre et des pices de musique est plus facile pour les motions bonheur, tristesse, que pour les deux autres. Finalement McFarland et Kennison [1989] signalent que les sujet droitiers gnrent plus daffects positifs et moins daffects ngatifs en coutant de la musique avec loreille droite, tandis que les gauchers prouvent plus daffects positifs et moins daffects ngatifs en coutant de la musique avec loreille gauche. Etc.

Ce petit choix nest pas exhaustif, cela va de soi. Mais il est reprsentatif dans le sens quil montre deux choses. Premirement, les travaux disponibles sont assez rptitifs. Deuximement, leurs rsultats sont dune banalit certaine. Ces travaux nont rien de surprenant parce que, dans le fond, ces chercheurs et leurs sujets dcouvrent (avec tonnement et ravissement?) dans la musique ce que les compositeurs y avaient introduit!

3. Affects et passions dans la musique

En effet, depuis la musique de lpoque Baroque, les musiciens, compositeurs et thoriciens, avaient tent dtablir un rapport entre la rhtorique du discours musical qui tait cens vhiculer des affects ou des motions limage de la rhtorique du discours verbal des Anciens, et les affects ressentis par leurs auditeurs.

Cette rflexion sur les rapports entre musique et motion avait un nom, ctait lAffektenlehre. Lide dtablir un paralllisme, voire une interpntration, entre musique et rhtorique avait videmment pass par le chant; et lide que le texte chant et la musique qui laccompagnait devaient se complter, que la musique devait traduire le sens du texte, et permettre lauditeur de participer aux dveloppements dramatiques tait, bien entendu en rapport avec lopra naissante au milieu du 17e sicle.

Dun point de vue moderne, lennui est quil ny avait des banalits prs quassez peu de consensus entre les diffrents thoriciens de cette rhtorique de laffect musical. Ils avaient donc de la peine tablir quelles compositions exactement (ou quelles techniques de composition plus prcisment) devaient susciter tel ou tel autre affect. A vrai dire, les auteurs ntaient mme pas unanimes, dun ct, pour savoir, si la musique devait susciter un affect ou sil elle devait plutt lvoquer. Et, dun autre ct, ils ntaient pas daccord non plus pour dcider si lauditeur devait tre rellement affect par ce quil entendait, ou sil tait plutt souhaitable quil puisse comprendre quel tait laffect que le compositeur avait voulu voquer. En somme, les confusions entre laffectif (ou les motions) et le cognitif ne datent pas daujourdhui. Examinons nanmoins quelques uns des discours.

Voici ce quen pense J. G. Walther [1732] dans son Musikalisches Lexikon oder musikalische Bibliothek (p. 11): Afetto (ital.) Affection (gall.) Affectus (lat.) un affect ou un moi (mouvement dhumeur) que la musique peut susciter. Kircher (...) et Hirsch (...) en distinguent principalement huit, savoir: lamour, la tristesse, la joie, la colre, la compassion, la peur, linsolence et ltonnement.

De son ct, le compositeur, musicien, chanteur et thoricien musicologue J.Mattheson [1739] nous apprend presque la mme poque, dans Der vollkommene Capellmeister (p.208): On aura de la peine croire que mme dans les petites, et peu respectes, mlodies de danse, les mouvements des sentiments doivent aussi bien tre distingus que la lumire et lombre peuvent ltre. Pour donner une faible preuve, on aura, par exemple, un affect plus lev et plus fier dans une Chaconne que dans une Passacaille; dans une Courante, les sentiments sont orients vers un espoir tendre. Mais je ne parle pas dune Corrente italienne pour le violon. Dans une Sarabande, on ne rencontre quun srieux guind; lEntre vise le majestueux et le vaniteux; le Rigaudon, la plaisanterie aimable; dans une Bourre, on vise le contentement et un caractre aimable; dans le Passepied, lindcision et linconstance; par la Gigue, lardeur et lempressement; dans une Gavotte, la joie jubilante et exubrante, dans le Menuet, lagrment mesur, etc.

Mattheson montre ainsi que non seulement le compositeur peut donner sa musique les caractristiques ncessaires pour voquer des motions bien dfinies. Il a le devoir le faire. De plus, Mattheson dmontre quil existe pour lui une correspondance terme--terme entre le caractre dun morceau musical et une danse qui fonde ainsi un quasi dictionnaire des motions permettant de traduire celles-ci dans les rythmes de danse qui sont au got des musiciens, des auditeurs, et (parfois, mais dj plus ncessairement) des danseurs de lpoque. Dailleurs, lauditeur moderne sy retrouve sans peine, et sans avoir apprendre un systme conceptuel sotrique: quiconque a entendu une Sarabande du 18e sicle aura remarqu que cest une musique plus solennelle et plus empese quune Gavotte, ou plus forte raison encore quune Gigue, qui peut prendre une allure et un tempo aussi vertigineux que dchan (dans linterprtation de quelques baroqueux contemporains, par exemple)!

J. J. Quantz, musicien de cour et matre de flte du roi Frdric II de Prusse (Frdric le Grand), prcise les techniques de composition qui permettent de susciter telles motions (Affekte) ou telles passions (Leidenschaften) dans son Versuch einer Anleitung die Flte traversiere zu spielen [1752] (pp. 107-108): Je veux donner quelques caractristiques qui, prises ensemble, permettent sinon toujours, du moins dans la plupart des cas, de savoir quel affect domine et quelle en doit tre, par consquent, linterprtation, si elle doit tre flatteuse, triste, tendre, joyeuse, insolente, etc. On peut reconnatre cela: 1) aux tonalits qui peuvent tre dure (majeur dur hart) ou molle (mineur moll weich). La tonalit dure est gnralement utilise pour exprimer la joie, linsolence, le srieux, la majestueux; la tonalit molle pour exprimer la flatterie, la tristesse, et la tendresse. (...) 2) on peut reconnatre les passions aux intervalles entre les notes, qui peuvent tre proches ou distantes, galement en observant si les notes sont lies ou dtaches. Par des intervalles proches et lis on exprime la flatterie, la tristesse, la tendresse; par des notes brves et dtaches, ou par des notes loignes ncessitant des grands sauts, de mme que par des figures o la deuxime note est toujours suivie dun point, on exprime la joie et linsolence. Des notes pointes et tenues expriment le srieux et le pathtique; le mlange de notes longues, durant des moitis de mesures ou des mesures entires, avec des notes rapides, exprime la fastueux et le majestueux. 3) on peut reconnatre les passions aux dissonances. Celles-ci nont pas deffet unique, mais leurs effets varient (...) 4) la signalisation de laffect dominant est finalement donn par le mot qui figure au dbut de chaque morceau: Allegro, Allegro non tanto, assai , di molto , moderato, Presto, Allegretto non tanto, Andante, Andantino, Arioso, Cantabile, Spiritoso, Affettuoso, Grave, Adagio, Adagio assai, Lento, Mesto, etc.

Si les choses en restaient l, on aurait (comme dj chez Mattheson) une correspondance parfaite entre le catalogue des motions considres comme tant dignes dintrt et un vocabulaire musical limit et somme toute assez cohrent. Comme nhsitent pas le faire certains psychologues modernes (p.ex., Rsing [1993, pp. 579-588]), on pourrait tablir une systmatique de linterdpendance motion - forme musicale sous forme de tableaux double entre de la forme suivante (lexemple ci-dessous est tir de Rsing [1993] qui se fonde sur des recherches de Scherer [1982] et Eibl-Eibesfeld [1984]).

Frquences

de base

hauteurvariabilit

de la fr-

quence de

base

variation

mlodiquetempovolume

sonoreligne

mlodiquetimbre des

instru-

ments

Joieaigusforterapideintensedescendant

et

ascendantbcp

de sons

harmoni-

ques

Tristesse

bassesfaiblelentfaibledescendantpeu de

sons

harmoni-

ques

Rsing [1993] prsente, dailleurs, un modle plus complexe, dont il noffre malheureusement ni les ventuels fondements empiriques ni les justifications thoriques. Dans ce modle, il distingue quatre espces de musique:

presto [joie],

adagio [tristesse],

marche [sentiment de puissance, conduites de parade],

tendresse [geste de soumission, berceuse].

Celles-ci sont croiss avec quatre attitudes psychologiques:

nature de laction,

position et mouvements corporels dominants,

mode dexpression,

fonction.

auxquelles sajoutent cinq caractristiques musicales

tempo,

rythme,

intensit et couleur sonore,

volution de la mlodie,

harmonisation.

Lintrt du modle nest pas transcendant. Je dirais mme volontiers quil est de nature purement acadmique, et quil vhicule lennui de son acadmisme. Les motions sont plus riches que cela. Et la musique lest galement!

Peut-tre vaut-il la peine de revenir un instant Quantz. Avant dmettre les rgles gnrales que je viens dvoquer, il en tait venu parler des changements des motions et de leur volution lintrieur dun morceau. Mais vrai dire, ce discours qui examine les changements, ne sadresse pas seulement au compositeur, il sadresse avant tout linterprte qui, selon Quantz, doit tenter de traduire au fur et mesure de sa progression dans lexcution dun morceau ces changements dhumeur, de passion ou dmotion que le compositeur a voulu signifier (Quantz, [1752], (p. 107): Dans lAllgro, et dans tous les morceaux pleins dentrain, la vivacit doit simposer, en revanche, dans lAdagio, et dans les morceaux qui lui ressemblent, la tendresse, ainsi quun agrable tirement et soutien de la voix doit dominer. Lexcutant dun morceau doit tenter de se mettre lui-mme dans les passions principales et secondaires quil doit exprimer. Et parce que dans la plupart des morceaux une passion alterne constamment avec une autre, de mme lexcutant doit savoir juger chaque ide musicale et la passion quelle contient et toujours adapter celle-ci son interprtation. Ce nest que de cette manire quil pourra satisfaire aux intentions du compositeur et aux reprsentations que celui-ci a eues en fabricant le morceau. Il existe mme diffrents degrs de vivacit, ou de tristesse. Par exemple, quand il y a un affect colreux, linterprtation doit tre bien plus enflamme que dans des morceaux badins, bien que linterprtation doit tre anime dans tous les deux; il en de mme dans leurs contraires. (...) Les ornements, quils soient obligatoires ou arbitraires, ne doivent jamais contredire laffect dominant dans la mlodie principale, et par consquent, le soutenu et ce qui est tir ne doit pas tre confondu avec le badinage, le plaisant, le mi-joyeux ou le vivace, ou encore linsolent ne doit pas tre confondu avec le flattant, etc. (...) Le changement entre piano et forte souligne en partie certaines notes, et en partie il suscite la tendresse. Des passages flatteurs dans lAdagio ne doivent pas tre interprts avec des coups de langue ou des coups darchets trop durs; en revanche, dans lAllgro, des ides amusantes ou leves ne doivent pas tre interprtes avec lenteur, avec des liaisons ou avec des attaques molles.

Il ny a pas dire, le professeur bien plus que le musicologue, voque l un aspect vident de la musique que de nombreux psychologues de la musique paraissent ngliger: une composition nexiste pas, ou du moins, elle est trs fcheusement incomplte sans son interprte! En tout tat de cause, elle est inaudible ce qui diminue son charme (abstraction faite des vrais spcialistes qui entendent dans leur tte la musique quils sont en train de lire).

4. Musique et interprtation

Je devais avoir un peu plus de dix ans quand jai entendu pour la premire fois la Neuvime symphonie de Beethoven la radio. Ctait la St-Sylvestre ou le jour de lAn. Lexprience fut pouvantable. Le chef qui dirigeait avait choisi des tempi incroyablement arrachs et le tout avait quelque chose de scand et de hach qui me faisait penser de la musique militaire particulirement agressive et martiale.

Quelques annes plus tard, toujours adolescent, jai chant dans la Fantaisie pour piano, orchestre et chur du mme Beethoven. Ce morceau, sorte de prcurseur de la Neuvime, partage beaucoup dlments musicaux avec celle-ci. Le pianiste tait de premier ordre, tendre, doux et trs muscial. Le chef dorchestre, gant de deux mtres, avait devant lui un chur dexcellente humeur, souriant et joyeux. Il ne pouvait pas savoir que cette hilarit tait d un accident vestimentaire dont il tait la victime ignorante: le boutons de sa chemise avaient lch (en chur!) et chaque fois quil levait le bras, il nous offrait une vue imprenable sur son torse nu dathlte.

Ces deux expriences ont fait que ces deux uvres ont occup des places trs diffrentes dans mes souvenirs. Dun ct, une musique dune agressivivit insupportable quelques annes seulement aprs la fin de la deuxime guerre mondiale, de lautre, une musique de la tendresse et du rire. Depuis, jai toujours eu une attente heureuse, quand jallais entendre la Fantaisie, et jai mis plus de quarante ans avant dtre capable dcouter la Neuvime avec suffisamment de dtachement et dattention pour comprendre et pour sentir que ce ntait pas la musique beethovenienne qui tait la cause de mon malaise, mais son interprtation par un chef insupportable.

De telles expriences dapprhension auditive et motive se rptent de nombreuses fois au cours dune vie, et mes expriences de musicien actif ne sen distinguent pas foncirement. Jouer sous la baguette dun chef insupportable modifie ma relation affective avec le chef, cela va de soi, mais aussi et durablement! mes rapports avec le morceau jou.

Dans la musique de chambre il en va de mme. Le jeu avec des partenaires pour lesquels on a de la sympathie et avec lesquels on est en harmonie (mais oui!) a quelque chose dune interaction tendre, voire amoureuse (gnralement toute innocente), et combien intense. Si le jeu avec des partenaires inconnus peut trs rapidement conduire la cration de liens amicaux durables, lpreuve peut devenir difficile, voire insupportable, lorsque cette harmonie fondamentale de lentente musicale et humaine fait dfaut. Plus prudents que les couples maris, les professionnels dveloppent parfois des stratgies surprenantes pour protger leur carrire et leur russite professionnelles des alas de la quotidiennet et de lrosion affective qui peut se produire dans tout collectif humain: ne jamais se voir en dehors des sances de travail, par exemple, ou ne jamais se voir sans la prsence dun mdiateur professionnel, etc. Mais revenons quelques instants aux interprtes et linterprtation.

Dans son trait de violon, Versuch einer grndlichen Violinschule [1756], paru lanne de naissance de son fils Wolfgang Amadeus, Lopold Mozart parle longuement de la question de linterprtation (p. 122): Que le coup darchet fait toute la diffrence, nous lavons vu au chapitre prcdant. Le prsent chapitre va pleinement nous convaincre que les coups darchet donnent vie aux notes, quils produisent tantt une mlodie modeste, puis insolente, srieuse, badinante, puis flatteuse ou encore pose et majestueuse, subitement triste ou enjoue. On dcouvre ainsi que le coup darchet est cet intermdiaire dont lusage raisonnable nous donne le pouvoir de susciter auprs des auditeurs les affects indiqus. Je comprends ainsi lorsque le compositeur fait un choix raisonnable, lorsquil choisit la mlodie qui ressemble chaque passion et quil indique clairement linterprtation quelle exige. Ou lorsquun violoniste bien entran possde par lui-mme un jugement assez sain pour jouer avec intelligence les notes pour ainsi dire nues, et lorsquil sefforce de dcouvrir laffect en appliquant les coups darchet que je vais indiquer dans ce qui suit.

De son ct, Quantz [1752] explore longuement diffrents aspects de linterprtation et de ses effets escompts sur lauditeur (p.116): Les passions changent de temps en temps dans lAllegro, de mme que dans lAdagio. Linterprte doit donc se glisser en chacune et tenter de lexprimer de la manire requise. Il est donc ncessaire danalyser sil ny que des ides joyeuses dans le morceau interprter, ou si dautres ides, dune espce diffrente, y sont rattaches. Si cest la premire variante, linterprtation doit entretenir une joie constante. Si cest la seconde, il convient dappliquer la rgle nonce ci-dessus. La joie est exprime par des notes brves, quil sagisse selon lexigence de la mesure de croches ou de doubles croches ou, dans une mesure alla breve, de noires. Ces notes sont prsentes aussi bien sautillantes que par un mouvement descalier et exprimes par la vivacit du coup de langue. Le solennel est prsent par de longues notes, sous lesquelles une autre voix produit des mouvements rapides, et par des notes pointes. Les notes pointes doivent tre produites par linterprte avec des coups de langue incisifs et prsentes avec vivacit. Le point est longuement tenu et la note suivante est trs brve (...) Linsolent est prsent par des notes o un point suit la deuxime ou la troisime, ce qui fait que la premire sera prcipite. Il faut cependant se garder de trop prcipiter le mouvement, de manire ce que cela ne sonne pas comme de la musique de danse commune. (...) Le flatteur est exprim par des notes lies qui ascendent ou descendent en escalier, de mme par des notes syncopes dont la premire moiti est indique faiblement, tandis que leur deuxime moiti est renforce par un mouvement de la poitrine ou des lvres.

On constate avec quel soin Quantz prsente linterprtation dune musique qui est dj toute crite. Voici ce quil dit encore propos des diffrentes indications des tempi (Quantz, [1752], p. 108s.): Toutes ces indications, lorsquelles sont utilises de manire bien rflchie, exigent chacune son interprtation particulire lors de lexcution sans rappeler ce que jai dit soulign, savoir que chaque morceau ayant les caractres signals peut contenir des mlanges dides pathtiques, flatteuses, solennelles ou badinantes ce qui demande, pour ainsi dire, lors de chaque mesure que lon sache se mettre dans un autre affect, de manire se prsenter comme tant tantt triste, tantt joyeux, puis srieux, etc., cette capacit de faire semblant tant particulirement ncessaire en musique. Pour qui peut bien comprendre cet art il sera facile dobtenir les applaudissements des auditeurs, et son interprtation sera de tout temps mouvante. Il ne faudrait cependant pas croire que cette subtile distinction peut tre apprise rapidement. On ne peut presque pas lexiger des jeunes personnes qui sont gnralement trop superficielles et trop impatientes. Cette capacit augmente cependant avec le dveloppement de la sensibilit et du jugement.

Mais linterprte a des responsabilits supplmentaires qui lui incombent: une multitude de petites notes, crites ou laisses la discrtion et linspiration improvisatoire de linterprte, ont pour fonction daccrotre lintrt de lauditeur et den enrichir ses motions. Voici un texte moderne qui introduit le sujet (Veilhan, [1977], p. 33): Les ornements et les agrments sont des variations, des broderies destines varier, orner lossature du texte musical, (...) les agrments (ou notes de got), plus sobres et plus concis, sont, eux, des petites notes, des trilles, des flattements, etc. ... ajouts par le compositeur ou (le plus souvent) par linterprte pour enjoliver, agrmenter le texte musical et en augmenter la beaut. Quantz [1752] exprime la chose de la manire suivante (p. 81): Les ornements ou agrments que jai dcrits aux 14. et 15. , servent selon la nature du morceau lexhortation et augmenter la joie, les simples appoggiatures, en revanche renforcent la douceur et la tristesse. Puisque la musique doit tantt exciter les passion, et parfois les calmer, cela claire la ncessit de ces dcorations lors dune mlodie simple et naturelle.

Les cadences, finalement, constituent un moment dimprovisation et de libert. Ce sont aussi des moments, o lexcutant sort un bref instant de son rle dinterprte et se permet de devenir lui-mme crateur. Linterprte reprend les ides musicales principales du morceau et les met en scne, tout en se donnant la libert de faire tat de sa virtuosit et de son savoir-faire. On voit demble comment la forme voluera dans linterprtation de virtuoses indlicats: de longueur dmesure, la cadence naura plus quune seule fonction, permettre lartiste dtaler son moi hypertrophi et laisser la champ libre son narcissisme. Mais pour Quantz [1752] il va de soi que la cadence est brve (pas plus que la dure dune respiration) et doit reflter le climat motionnel de la pice dans laquelle elle se situe en le conduisant si possible son apoge (p. 157): Les cadences exigent en raison de leur invention impromptue, plus dadresse de lesprit que drudition. Leur plus grande beaut rside en ce quelles transportent lauditeur par leur caractre inattendu dans un nouvel et mouvant tonnement, et quelles doivent ainsi inciter lexcitation des passions au plus haut. Il ne faut cependant pas penser quune multitude de petits passages rapides permet elle seule de parvenir cette fin. Non, les passions peuvent bien mieux tre souleves par plusieurs intervalles simples avec quelques dissonances adroitement insres que par une multitude de figures polychromes.

Dans le fond, le caractre irremplaable de linterprte pose bien des problmes. Selon sa fonction clairement dfinie, il est rigoureusement au service du compositeur ou de la composition. Mais certains interprtes, et non les moindres, (s)ont eux-mmes une personnalit. Il sensuit invitablement que linterprte risque dapposer sa marque, plus ou moins indlbile, luvre quil joue. Cela peut-tre un bienfait: on connat des interprtes et des interprtations dont les qualits sont vritablement inoubliables, et les techniques modernes destines conserver les vnements sonores permettent de confronter le mythe de linoubliable sa trace. Mais il faut bien dire quil existe aussi des interprtes qui, plutt que de se mettre au service de la musique, tentent dasservir la musique leurs besoins. Occasionnellement, cela peut tre fascinant, mais le risque de dtruire la musique et de lui enlever son pouvoir dmouvoir nest pas ngligeable. Au lieu dtre mu par la musique, au lieu de ressentir les passions que le compositeur voulait voquer, lauditeur est impressionn par linterprte, par sa virtuosit, sa capacit de simposer et den imposer, etc.

Lun des signes de la virtuosit qui se dtache de la musicalit est la tendance de certains interprtes de trop accentuer les tempi proposs par le compositeur: les mouvements rapides sont jous de manire trop fbrile et nerveuse, en dfinitive stressante pour le auditeur qui se demande si linterprte va se planter ou non, tout en esprant un tout petit peu laccident en raison du Scoop unique quil constituerait, les mouvements lents sont tals au point que lauditeur laisse son attention flottante se noyer avant de sendormir. Un autre signe qui illustre bien linterdpendance entre le vedettariat et le Show business, est lintensit sonore de linterprtation. Les salles de concert deviennent de plus en plus grandes, les instruments de musique de plus en plus puissants et quelques interprtes (je parle de la musique dite classique!), ainsi que les managers de quelques salles ont dcouvert les bienfaits de lamplification sonore par des moyens lectroniques. Il nest pas exclu que les difficults contemporaines dtecter et ressentir lmotion dans la musique soient lies de telles dgnrescences: les compositeurs qui composaient selon les Affektlehren travaillaient pour des instruments dont lintensit sonore tait faible, et pour des auditoires assez intimes. La musique dorgue et les grandes festivits royales, o plusieurs douzaines voire des centaines de musiciens intervenaient, montrent cependant que tout rgle connat ses exceptions.

Cela dit, les thoriciens ne sont pas plus puristes que ncessaire. Voici ce quen pense C.P. E. Bach [1753] dans son Versuch ber die wahre Art das Clavier zu spielen (p. 123): De la quantit des affects que la musique peut susciter, on peut voir quels talents un musicien complet devrait avoir, et avec quelle intelligence il devrait sen servir, afin quil tienne la fois compte de ses auditeurs, et selon leurs attentes du contenu des vrits quil leur prsentera, du lieu, et dautres circonstances. Puisque la nature, dans sa sagesse, a dou la musique de tant de manires de varier, afin que chacun puisse y prendre part, le musicien a galement le devoir, dans les limites de ses possibilits, de donner satisfaction toutes sortes dauditeurs.

5. Musique et motion II

En introduisant la thorie des affects des thoriciens du 18e sicle, nous avions soulign en passant que ce conglomrat de thories tait assez htrogne, pour ne pas dire contradictoire, et que les auteurs navaient pas tabli de consensus pour indiquer de manire claire et univoque la correspondance entre des motions prcises et leur expression musicale tout aussi prcise (dans la composition et dans linterprtation).

Malheureusement cette incertitude et ce manque de cohrence se retrouvent dans les travaux empiriques ultrieurs de la psychologie de la musique: la fidlit et la validit de ces travaux sont trs faibles, et le restent obstinment. Elles sont faibles pour une raison simple que les compositeurs du 18e sicle devaient implicitement connatre sans sen soucier particulirement, et que les thoriciens psychologues auraient facilement pu identifier: la musique a le pouvoir immense de modifier les tats physiologiques et psychologiques des auditeurs, mais elle na pas un pouvoir absolu.

Le pouvoir que la musique peut avoir est, en effet, une fonction directe de ltat psychologique ou physiologique hic et nunc de lauditeur. En termes thoriques, la musique nest pas simplement un stimulus S qui dclenche une raction R: (S > R). elle est autre chose. Dans le plus lmentaire des cas de figure, elle est un stimulus S, accueilli par un organisme O qui a (peut-tre) une personnalit P et une exprience E (ainsi quventuellement une srie dautres caractristiques C) qui viennent moduler sa raction: S-> [O, P, E, C] -> R. Aussi, on comprend immdiatement que la raction de lorganisme devient imprvisible si on admet que les autres caractristiques contiennent, par exemple, lhumeur H de lauditeur, ou que lexprience du sujet E contient, entre autres, aussi bien sa culture musicale CM, sa matrise dun instrument musical MIM ou du solfge MS, ses sympathies et ses antipathies lgard de certains compositeurs COMS ou interprtes INT, que les rapports conflictuels quil vient dentretenir avec un congnre CoC propos dune place de parking quil voulait occuper, le verre de trop quil a absorb la veille VTAV, et bien autre chose encore. Ce qui fait quen tout tat de cause, E nest pas un facteur unique, mais doit tre dcod comme une espce de constellation existentielle et fort complexe: E = {CM, MIM, MS, COMS, INT, CoC, VTAV, ... }. Nous renonons ( contrecur, bien sr) analyser ce qui pourrait advenir de linterprtation quelque peu laborieuse quexigerait une formule encore non exhaustive de la forme S-> [O, P, {CM, MIM, MS, COMS, INT, CoC, VTAV, ... }, C] -> R, et cetera, ad infinitum...6. Conclusion

Une approche moins simpliste et moins caricaturale, mais peut-tre encore acceptable sur le plan psychologique, consisterait alors supposer que lvnement musical assume une fonction de surface de projection et que ce que lauditeur y trouve et y re-trouve est en partie ou totalement la projection sur son monde extrieur (ou sur son environnement momentan) des lments, conscients ou non, permanents ou momentans, de sa vie intrieure dont il a, son tour, conscience ou non. A mon avis, cest une hypothse qui ne manque pas de sduction.

Malheureusement, plus encore que les taches des planches Rorschach, la majorit des vnements musicaux et les expriences qui en rsultent sont tout la fois influencs par des lments incroyablement saturs en significations et en connotations culturelles et nanmoins trs sensibles aux dispositions momentanes ou non affectives ou cognitives, de lauditeur individuel, ses prfrences, ses habitudes, etc. Les projections de lauditeur deviennent ainsi la fois incroyablement riches et polymorphes, mais aussi particulirement tributaires de son acculturation (musicale entre autres, mais non exclusivement), et de ses humeurs tout la fois.

On comprend ds lors que le dveloppement de tests projectifs musicaux soit particulirement difficile (et, tous comptes faits, assez peu satisfaisant du point de vue psychomtrique). Dans de telles conditions, la recherche dinvariants caractristiques (de traits de personnalit, par exemple) devient assez problmatique, pour ne pas dire dsesprante.

Ce quon peut dire de la raction dune personne une musique et son interprtation est donc invitablement tributaire dun vnement singulier et dun point singulier dans le continuum espace-temps! Il y a bien quelques rgles, mais les exceptions sont trop frquentes pour les confirmer.

* * *

En somme, cela revient dire que lexprience musicale est avant tout une exprience individuelle et que, de surcrot, elle est sensible en permanence toutes sortes de dispositions personnelles, momentanes ou non, qui peuvent changer tout moment ou, au contraire, rester permanentes de manire imprvisible! Si tel tait le cas, il deviendrait invitable de donner un pronostic plutt pessimiste pour lavnement dune psychologie de lexprience musicale ayant de srieux fondements scientifiques. En revanche, quelle aubaine pour les Muses, pour la musique et pour les musiciens (sans parler des auditeurs) ...

Im Verhltnis zur Musik

ist alle Mitteilung durch Worte von schamloser Art;

das Wort verdnnt und verdummt;

das Wort entpersnlicht;

das Wort macht das Ungemeine gemein.

(F. Nietzsche [1956] , p. 610).

7. Rfrences des ouvrages cits

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Les Courbes, Gilly

Hiver 2000-2001

Rmy Droz

www.contrepointphilosophique.chRubrique Esthtique

Juillet 2003

Lhomme qui na pas de musique en lui, et qui nest pas mu par le concert des sons harmonieux, est propre aux trahisons, aux stratagmes et aux rapines. Les mouvements de son me sont mornes comme la nuit et ses affections noires comme lErbe. Dfiez-vous dun tel homme.

Ce nest pas le propre de la psychologie de la musique que de prsenter cette caractristique. Ce nest ni sa tare, ni sa qualit. Cest plutt une caractristique du chercheur qui veut faire de la psychologie de la musique, que de la science elle-mme. En effet, cest bien le chercheur qui choisit dans quelle direction il veut aller. Cest une problmatique quon trouve dans dautres disciplines scientifiques.

Il existe des chercheurs qui se sentent en quelque sorte rassurs en prsence dune mthode considre comme tant bonne, voire irrprochable ou fconde, par eux-mmes et par leurs pairs. Quand ils ont trouv une telle mthode, ils lappliquent aussi frquemment que possible et tentent de gnraliser son champ dapplication. Pour diffrentes raisons, une recherche qui est conduite dune telle manire produit des rsultats susceptibles dentretenir la conviction que sa recherche marche bien dans la tte du chercheur: le rsultats sont aussi valides que les mthodes utilises et quand le rendement de la mthode diminue, on change de domaine. En loccurrence, on passe de la musique la peinture ou aux arts gastronomiques. Lintrt de telles recherches nest pas exorbitant. Leur fcondit heuristique pas non plus. Mais le chercheur est en paix et le rel ne peut gure se faire entendre, il na pas voix au chapitre.

Dautres chercheurs sintressent davantage aux problmes en tant que tels qu lapplication ou la gnralisation de mthodes prcises et prouves. Ils font mme lhypothse quil pourrait y avoir un rapport entre le problme tudier et les mthodes mettre en uvre. Quand le problme est touffu, ou quand il est tout nouveau, ils peuvent peiner trouver des mthodes bien adaptes. Les chercheurs ttonnent parfois pendant longtemps. En dpit de ces limites, je pense personnellement que seule la recherche centre sur le problme a un potentiel heuristique digne de ce nom (et, terme, digne des investissements ncessaires en termes de travail et de finances...).

A lpoque Baroque, plusieurs auteurs sinterrogaient sur les origines et la nature dune danse italienne de carnaval, la Tarentelle. Lune des hypothses postulait que cette danse tait joue pour le femmes ayant t piques (ou mordues) par une Tarentule, ce qui ncessitait lintervention des musiciens soit parce quil fallait empcher ces femmes de tomber dans un sommeil lthargique, puis mortel, soit parce que piques au plus vif, elles sautaient dans toutes les directions et en profitaient pour faire venir des musiciens afin daccompagner leurs licences printanires... Or, ces curieux malaises des femmes apulliennes sont dj voqu par Aristoxne de Tarente (350 av. J.-C., donc bien avant linvention du Carnaval), qui rapporte que loracle consult recommanda de leur jouer des pans de printemps pendant 60 jours, ce qui produisit en Italie un grand nombre de panographes (Combarieu [1909]). Les pans taient des chants sacrs de gurison adresss Apollon en sa double qualit et responsabilit de dieu de la musique et de la mdecine.

La problmatique de Hevner montre immdiatement que la mthode des facteurs isols en variables avec un nombre limit de modalits ne permet pas de rendre justice ltude du phnomne musical. Faute de plans exprimentaux complexes (i. e., fisheriens), elle ne matrise que les interactions les plus lmentaires entre variables ce qui conduit des rsultats qui sont, somme toute, un peu dcevants par leur banalit.

On notera que ce texte est accompagn dune bibliographie tendue et trs utilisable.

Daniel [1988] reprend ainsi sans trop sen soucier la distinction entre musique ergotropiques (stimulantes) et trophotropiques (relaxantes), distinction postule par de nombreux thoriciens de notre sicle et jamais clairement tablie, sans doute parce quelle ne tient pas compte de lhumeur momentane de lauditeur. Pour une prsentation attentive des concepts, cf. Decker-Voigt [1991].

Le concept comme tel na t cr que vers la fin du 19e sicle par le musicologue et chef dorchestre Kretzschmar.

A partir de J.-B. Lully le ballet en faisait naturellement partie, le public franais assistait donc la naissance des premires uvres dart totales et multimdia de lre moderne.

Il ne faudrait pas confondre la reprsentation des affects dans la musique baroque avec lexpression motionnelle personnelle du musicien, compositeur ou interprte. Les compositeurs baroques se situaient au sein dun systme assez conventionnel, bien que non unifi. Le premier compositeur chercher la traduction de ses tats dme subjectifs dans sa production musicale, tait probablement Johann Gottfried Mthel (1728-1788), la fois le dernier lve de J. S. Bach et le premier musicien du Sturm und Drang. Mthel tait considr comme une espce de phnomne bizarre par les autres compositeurs de son poque. En effet, non seulement il tentait de reprsenter ses tourments intrieurs dans sa musique, mais de surcrot il ne composait que lorsquil se sentait dhumeur le faire! Son cas fit Ecole: exprimer des motions personnelles devint une des proccupations majeures des musiciens de lpoque romantique.

Afetto (ital.) Affection (gall.) Affectus (lat.) ein Affect, oder eine Gemthsbewegung. Kircherus, und mit ihm Hirsch in seinem Extract, lib. 4. c. 6. ingleichen Janowka p. 2. Clav. ad Thesaur. magnae artis Muicae, geben derer frnehmlich achte an, als: Liebe, Leid, Freude, Zorn, Mitleiden, Furcht, Frechheit und Verwunderung, so die Music erregen kann.

Nun drfte man schwerlich glauben, dass auch so gar in kleinen, schlecht geachteten Tantz-melodien die Gemths-Bewegungen so sehr unterschieden seyn mssen, als Licht und Schatten immermehr seyn knnen. Damit ich nur eine geringe Probe gebe, so ist z.E. bey einer Chaconne der Affect schon viel erhabener und stltzer, als bey einer Passacaille. Bey einer Courante ist das Gemth auf eine zrtliche Hoffnung gerichtet. Ich meine aber keine welsche Geigen-Corrente. Bey einer Sarabande ist lauter steife Ernsthafftigkeit anzutreffen; bey einer Entree geht der Zweck auf Pracht und Eitelkeit; bey einem Rigaudon auf angenehmen Schertz; bey einer Bouree wird auf Zufriedenheit und geflliges Wesen gezielet; bey einem Rondeau auf Munterkeit; bey einem Passepied auf Wankelmuth und Unbestand; bey einer Gigve auf Hitze und Eifer; bey einer Gavotte auf jauchzende oder ausgelassene Freude; bey einem Menuet auf mssige Lustbarkeit u.s.w.

La prcision est ncessaire: les sarabandes italiennes du sicle prcdant taient des danses trs animes qui taient danses dune manire si dvergonde que le clerg avait d y mettre le hol et avait fait interdire ces musiques par trop lascives! De tels changements du caractre musical dune pice taient frquents. Ainsi le Menuet tait une danse formelle, assez rapide au 18e sicle pour se changer en un mouvement calme (souvent suivi dun Trio rapide) dans les symphonies classiques.

Ich will einige Kennzeichen geben, aus denen zusammen genommen, man, wo nicht allezeit, doch meistentheils wird abnehmen knnnen, was fr ein Affect herrsche, und wie folglich der Vortrag beschaffen seyn, ob er schmeichelnd, traurig, zrtlich, lustig, frech, ernsthaft, u.s.w. seyn msse. Man kann dieses erkennen 1) aus den Tonarten, ob solche hart oder weich sind. Die harte Tonart wird gemeiniglich zur Ausdrckung des Lustigen, Frechen, Ernsthaften, und Erhabenen: die weiche aber zur Ausdrckung des Schmeichelnden, Traurigen, und Zrtlichen gebrauchet; (...) Man kann 2) die Leidenschaften erkennen: aus den vorkommenden Intervallen, ob solche nahe oder entfernet liegen, und ob die Noten geschleifet oder gestossen werden sollen. Durch die geschleifeten und nahe aneinander liegenden Intervalle wird das Schmeichelnde, Traurige, und Zrtliche; durch die kurz gestossenen, oder in entferneten Sprnge bestehenden Noten, ingleich durch solche Figuren da die Puncte allezeit hinter den zweyten Noten stehen, aber, wird das Lustige und Freche ausgedrcket. Punctierte und anhaltende Noten drcken das Ernsthafte und Pathetische; die Untermischung langer Noten, als halber und ganzer Tacte, unter die geschwinden, aber, das Prchtige und Erhabene aus. 3) Kann man die Leidenschaften abnehmen: aus den Dissonanzen. Diese thun nicht alle einerley, sondern immer eine vor der anderen verschieden Wirkung. (...) Die 4) Anzeige des herrschenden Hauptaffects ist endlich das zu Anfange eines jeden Stckes befindliche Wort, als: Allegro, Allegro non tanto, assai , di molto , moderato, Presto, Allegretto non tanto, Andante, Andantino, Arioso, Cantabile, Spiritoso, Affettuoso, Grave, Adagio, Adagio assai, Lento, Mesto, u.a.m.

Contrairement ce quaffirme lauteur, Adagio (ad agio laise) nest pas le tempo de la tristesse, du deuil ou de la marche funbre. Cest un tempo calme, mais non ncessairement retenu. Le tempo de la tristesse est nomm avec prcision par Quantz qui matrisait son italien: Mesto. Cela dit, Lento faute de mieux, aurait pu faire laffaire. Lhabitude de jouer les Adagii sur une tempo excessivement lent est aussi romantique que tardive.

Dans la mme perspective, il parat un peu rapide didentifier la tendresse aux cas des gestes de soumission et des berceuses. Lindication de tempo Amoroso frquente lre baroque fait penser tout autre chose.

On remarquera en passant que Quantz rend son lecteur attentif au changements dhumeur ou daffect lintrieur dun morceau et quil part de lexigence que linterprte de qualit saura les traduire, afin que lauditeur puisse les apprcier. Cette manire de voir les choses est assez contraste avec une conviction implicite, mais trs prsente dans de nombreuses recherches modernes: celles-ci postulent frquemment, la constance dune humeur travers le morceaux, voire travers des uvres entires.

Im Allegro, und allen dahin gehrigen munteren Stcken muss Lebhaftigkeit; im Adagio, und denen ihm gleichenden Stcken aber, Zrtlichkeit, und ein angenehmes Ziehen oder Tragen der Stimme herrschen. Der Ausfhrer eines Stckes muss sich selbst in die Haupt- und Nebenleidenschaften, die er ausdrcken soll, zu versetzen suchen. Und weil in den meisten Stcken immer eine Leidenschaft mit der anderen abwechselt; so muss auch der Ausfhrer jeden Gedanken zu beurtheilen wissen, was fr eine Leidenschaft er in sich enthalte, und seinen Vortrag immer derselben gleichfrmig machen. Auf diese Art nur wird er den Absichten des Componisten, und den Vorstellungen so sich dieser bey Verfertigung des Stckes gemacht hat, eine Genge leisten. Es giebt selbst verschiedene Grade der Lebhaftigkeit oder der Traurigkeit. Z.E. Wo ein wtender Affect herrschet, da muss der Vortrag weit mehr Feuer haben, als bey scherzenden Stcken, ob er gleich bey beyden lebhaft seyn muss: und so auch bey dem Gegentheile. Man muss sich auch mit dem Zusatze der Auszierungen, mit denen man den vorgeschriebenen Gesang, oder eine simple Melodie, zu bereichern, und noch mehr zu erheben suchet, darnach richten. Diese Auszierungen, sie mgen nothwendig oder willkrlich seyn, mssen niemals dem in der Hauptmelodie herrschenden Affecte widersprechen; und folglich muss das Unterhaltene und Gezogene, mit dem Tndelnden, Geflligen, Halblustigen und Lebhaften, das Freche mit Schmeichelnden, u.s.w. nicht verwirret werden. Die Vorschlge machen die Melodie an einander hangend, und vermehren die Harmonie; die Triller und brigen kleinen Auszierungen, als: halbe Triller, Mordanten, Doppelschlge und battemens, muntern auf. Das abwechselnde Piano und Forte aber, erhebt theils einige Noten, theils erreget es Zrtlichkeit. Schmeichelnde Gnge im Adagio drfen im Spielen mit dem Zungenstosse und Bogenstriche nicht zu hart; und hingegen im Allegro, lustige und erhabene Gedanken, nicht schleppend, schleifend, oder zu weich angestossen werden.

Dass der Bogenstrich alles unterscheide, haben wir schon in dem vorhergehenden Hauptstcke eingesehen. Das gegenwrtige wird uns gnzlich berzeugen, dass der Bogenstrich die Noten belebe; dass er bald eine ganz modeste, bald eine freche, bald eine ernsthafte, bald eine scherzhafte, itzt eine schmeichelnde, itzt eine gesetzte und erhabene, itzt eine traurige, itzt aber eine lustige Melodie hervorbringe und folglich dasjenige Mittelding sey, durch dessen vernnftigen Gebrauch wir die erst angezeigten Affecten bey den Zuhrern zu erregen in den Stand gesetzt werden. Ich verstehe, wenn der Componist eine vernnftige Wahl trifft; wenn er die ieder Leidenschaft hnliche Melodie whlet, und den zugehrigen Vortrag recht anzuzeigen weiss. Oder wenn ein wohlgebter Violonist selbst eine gesunde Beurteilungskraft besitzet, die, so zu reden, ganz nacketen Noten mit Vernunft abzuspielen; und wenn er sich bemhet den Affect zu finden, und die hier folgenden Stricharten am rechten Orte anzubringen.

Dun point de vue moderne, le conseil de Quantz est assez surprenant et concerne probablement le cas particulier de notes syncopes dont la premire partie serait consonnante et la deuxime dissonante.

Die Leidenschaften wechseln im Allegro eben sowohl als im Adagio fters ab. Der Ausfhrer muss sich also in eine jede zu versetzen, und sie gehrig auszudrcken suchen. Es ist demnach nthig, dass man untersuche, ob in dem zu spielenden Stcke lauter lustige Gedanken vorkommen, oder ob auch andere Gedanken von verschiedener Art damit verknpfet sind. Ist das erstere, so muss das Stck in einer bestndigen Lebhaftigkeit unterhalten werden. Ist aber das letztere, so gilt die obige Regel. Das Lustige wird mit kurzen Noten, sie mgen, nachdem es die Tactart erfordert, aus Achttheilen, oder Sechzehntheilen, oder im Allabrevetacte aus Viertheilen bestehen, welche sowohl springend, als stufenweise sich bewegen, vorgestellet, und durch die Lebhaftigkeit des Zungenstosses augedrcket. Das Prchtige, wird sowohl mit langen Noten, worunter die anderen Stimmen eine geschwinde Bewegung machen, als mit punctierten Noten vorgestellet. Die punctierten Noten mssen von dem Ausfhrer scharf gestossen, und mit Lebhaftigkeit vorgetragen werden. Die Puncte werden lange gehalten, und die darauf folgenden Noten sehr kurz gemachet, (...) Das Freche wird mit Noten, wo hinter der zweyten oder dritten ein Punct steht, und folglich die ersten prcipitiert werden, vorgestellet. Hierbey muss man sich hten, dass man nicht allzu sehr bereile: damit es nicht einer gemeinen Tanzmusik hnlich klinge. (...) Das Schmeichelnde, wird durch schleifende Noten welche stufenweise auf oder nieder gehen; ingleichen durch synkopierte Noten, bey denen man die erste Hlfte schwach angeben, die andere aber durch Bewegung der Brust und der Lippen verstrken kann, ausgedrcket.

Alle diese Wrter, wenn sie mit gutem Bedachte vorgesetzet sind, erfordern jedes einen besonderen Vortrag in der Ausfhrung: zugeschweigen, dass, wie ich schon gesaget habe, jedes Stck von bemeldeten Charakteren, unterschiedene Vermischungen von pathetischen, schmeichelnden, lustigen, prchtigen, oder scherzhaften Gedanken in sich haben kann, und man sich also, so zu sagen, bey jedem Tacte in einen anderen Affect setzen muss, um sich bald traurig, bald lustig, bald ernsthaft, u.s.w. stellen zu knnen: welche Verstellung bey der Musik sehr nthig ist. Wer diese Kunst recht ergrnden kann, dem wird es nicht leicht an dem Beyfalle der Zuhrer fehlen, und sein Vortrag wird also allezeit rhrend seyn. Man wolle aber nicht glauben, dass diese feine Unterscheidung in kurzer Zeit knne erlernet werden. Von jungen Leuten, welche gemeiniglich hierzu zu flchtig und ungeduldig sind, kann man sie fast gar nicht verlangen. Sie kmmt aber mit dem Wachsthume der Empfindung und der Beurteilungskraft.

Diese Auszierungen oder Manieren, welche ich im 14. und 15. beschrieben habe, dienen, nach Beschaffenheit eines Stckes zur Aufmunterung und Frhlichkeit: die simplen Vorschlge hingegen zur Erweichung und Traurigkeit. Weil nun die Musik die Leidenschaften bald erregen, bald wieder stillen soll; so erhellet daraus der Nutzen und die Nothwendigkeit dieser Manieren, bey einem natrlichen simplen Gesange.

Die Cadenzen erfordern, wegen ihrer geschwinden Erfindung, mehr Fertigkeit des Witzes, als Gelehrsamkeit. Ihre grsste Schnheit besteht darinn, dass sie als etwas unerwartetes den Zuhrer in eine neue und rhrende Verwunderung setzen, und die gesuchte Erregung der Leidenschaften gleichsam aufs hchste treiben sollen. Man darf aber nicht glauben, dass eine Menge geschwinder Passagien solches allein zu bewerkstelligen vermgend sey. Nein, die Leidenschaften knnen viel eher durch etliche simple Intervalle, und geschikt darunter vermischete Dissonanzen, als durch viele bunte Figuren erreget werden.

J. S. Bach crivait la fin de chacune de ses compositions trois lettres: S. D. G. (Soli Deo Gloria). Manifestement, il ne travaillait mme pas pour la gloire de la musique, mais bien pour la gloire de Dieu. Pendant une longue poque contemporaine, heureusement en dclin me semble-t-il, bien des virtuoses, adeptes du Stardom-System paraissaient essentiellement dirigs par le principe S. M. G. (Soli Mihi Gloria). La confusion entre interprtation et vedetteriat mriterait dtre explor, de mme que la complicit des mdia, et leur responsabilit. Il faut cependant bien admettre que les vedettes existaient dj du temps de J. S. Bach.

Aus der Menge der Affeckten, welche die Musick erregen kann, sieht man, was fr besondere Gaben ein vollkommener Musikus haben msse, und mit wieviel Klugheit er sie zu gebrauchen habe, damit er zugleich seine Zuhrer, und nach dieser ihrer Gesinnung den Inhalt seiner vorzutragenden Wahrheiten, den Ort, und andere Umstnde mehr in Erwegung ziehe. Da die Natur auf eine so weise Art die Musick mit so vielen Vernderungen begabet hat, damit ein jeder daran Antheil nehmen knne: so ist ein Musikus also auch schuldig, so viel ihm mglich ist, allerley Arten von Zuhrern zu befriedigen

Nen dplaise Walter Mischel! p. ex., [1982].

On pourra penser aux lments dharmonie, aux citations musicales, aux formes tablies, au caractre spcifique prt la sonorit de certains instruments, etc. On pourra aussi se rappeler que le Ranz des vaches tait interdit aux soldats Suisses au service du roi de France, parce que cette mlodie dclenchait immdiatement leur Heimweh et les poussait la dsertion. A linverse dans de nombreux pays balkaniques le jeu dun instrument appel le Taragot a t interdit durant chaque crise politique de lempire Austro-Hongrois. Cet instrument avait la rputation de dclencher les rvolutions!

Pour un test projectif musical, cf. Verdeau-Pailles [1974], pour une tentative de diagnostic de la personnalit bas sur le prfrences musicales, cf. Cattell & Anderson [1953], pour un essai de dveloppement de test objectif de personnalit, cf. Cattell & Saunders, [1954].

En comparaison avec la musique, toute communication verbale est de nature impudique; le verbe dilue et rend sot; le verbe dpersonnalise; le verbe rend ordinaire ce qui est extraordinaire.