ne pas confondre

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i DITORIAL M#decine et Maladies Infectieuses -- 1986 -- 1 - 4 & 5 NE PAS CONFONDRE Par H. H. MOLLARET Le vocabulaire de la m~decine et des sciences annexes, d~j~ riche de plus de 100 000 roots en 1961, selon le Dizionario medico de Lauricella, s'accro~t chaque annie d'environ un millier de termes nouveaux. Cette richesse devrait donner au langage m~dical toute sa precision ; elle devient, paradoxalement, par son abondance m~me cause fr~quente de confusion. Nombre de termes emprunt~s au langage courant ont acquis, par transfert de sens, une signification nouvelle, plus ~troite, donc plus precise, perceptible seulement pour le m~decin qui, seul, fera une difference entre deux mots du langage usuel que le non m~decin tiendra pour synonymes. Un linguiste peut consid~rer les roots rechute et r#cidive comme synonymes, alors qu'ils ont chacu n, pou[ le m~de- cin, leur signification propre ; la difference entre les champs s~mantiques des roots est une source perP~tuelle de confu- sion, comme I'a soulign~ H. Pons (Concours m#d. 1969, 5016). Une autre cause de confusion vient de ce qu'un m~me terme peut avoir, selon la langue, un sens different : c'est le cas, par exemple chez les auteurs frangais et les auteurs anglo-saxons, des termes occurence, infestation, virulence, approach et approche, etc. II n'est pas inutile de rappeler ici, dans le domaine de la pathologie infectieuse, les d~finitions de quelques termes qu'il ne faut pas confondre : EPIDEMIE et ANADEMIE : I'dpiddmie a ~td ddfinie en 1860 par Littr~ : ((une maladie qui attaque en m~me temps et dans le m~me lieu un grand nombre de personnes ~ la fois et qui ddpend d'une cause commune et g~n~rale surve- nue accidentellement)), d~finition reprise de cetle du Dic- tionnaire de Capuron et Nysten (1806) : ((dpiddmie, du grec ~pi, (sur) et demos (peuple) : maladie qui attaque un grand nombre de personnes & la fois et qui tombe sur le peuple)). A I'~pid~mie, M. B altazard a oppos~ I'anad#mie : ((ma- ladle [ infectieuse ] non contagieuse, qui attaque un grand nombre de personnes au m~me lieu)). (Manuila, Dictionnai- re frangais de M~decine, Paris 1970). Alors que I'~pid~mie, infectieuse et contagieuse, est caract~ris~e par la circulation de I'agent causal dans la population, I'anad~mie, infectieuse et non-contagieuse, correspond & la contamination simulta- n~e de plusieurs personnes ~ une source commune (une anad~mie de t~tanos). Selon les circonstances, un m~me agent peut entrainer une ~pid~mie (peste pulmonaire) ou une anad~mie (peste bubonique). Mais en fait, la cause majeure d'imprdcision ou de con- fusion tient ~ I'ignorance des mddecins, ~ leur mdconnais- sance du vocabulaire m~dical ou scientifique amenant, de plus en plus frdquemment, ~ confondre les paronymes tels que la radiation (action d'dmettre) et le rayonnement (qui est dmis), la denture (l'ensemble des dents) et la dentition (leur formation), I'inhibage (emploi d'un processus ralentis- sant) et I'inhibition (qui en r~sulte). Citons encore ddcou- verte et invention ; Maurice Lamy a d~plor~ (Pres$e m#dica- le, 1962, 70, 52, pp. 2539) que la plaque de marbre appo- s~e rue de S~vres sur le tour de I'H6pital Necker rappelle que Laennec y ddcouvrit I'auscultation, mdthode qui n~exis- tait pas et qu'il a donc invent#e. De la m~me fagon, notre Palais de la D#couverte devrait s'appeler (<Palais de la Ddcouverte et de I'lnvention)). INFECTION et INFESTATION : I'infection a ~td d~finie par A. Lwoff comme : ((la pbn~tration dans I'organisme d'une entitd dtrang~re capable de se multiplier et de repro- duire des entitds identiques)) (J. Gen. Microbiol., 1957, 17, 239-253). A cette ddfinition qui ne pr~juge pas de la nature de I'<(entitd ~trang~re>), s'oppose celle de I'infesta- tion <(p~ndtration dans I'organisme et fixation sur lui d'un parasite non microbien)), selon le Dictionnaire de Gamier et Delamarre. Schdmatiquement donc, infection serait r~serv~e aux bact~ries et virus et infestation ~ tous les parasites, ~ I'exclusion des bact~ries et des virus. Certains auteurs, cependant, veulent r~server le terme d'infestation au cas des seuls helminthes et hombre d'auteurs am~ricains voudraient le r~server ~ la prdsence des seuls ectoparasi- tes. 4 :

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i DITORIAL M#decine et Maladies Infectieuses -- 1986 -- 1 - 4 & 5

NE PAS CONFONDRE

Par H. H. M O L L A R E T

L e vocabulaire de la m~decine et des sciences annexes, d~j~ riche de plus de 100 000 roots en 1961, selon le Dizionario medico de Lauricella, s'accro~t chaque annie d'environ u n mil l ier de termes nouveaux. Cette richesse devrait donner au langage m~dical toute sa precision ; elle devient, paradoxalement, par son abondance m~me cause fr~quente de confusion.

Nombre de termes emprunt~s au langage courant ont acquis, par transfert de sens, une signif ication nouvelle, plus ~troite, donc plus precise, perceptible seulement pour le m~decin qui, seul, fera une difference entre deux mots du langage usuel que le non m~decin tiendra pour synonymes. Un linguiste peut consid~rer les roots rechute et r#cidive comme synonymes, alors qu'i ls ont chacu n, pou[ le m~de- cin, leur signif ication propre ; la difference entre les champs s~mantiques des roots est une source perP~tuelle de confu- sion, comme I'a soulign~ H. Pons (Concours m#d. 1969, 5016).

Une autre cause de confusion vient de ce qu'un m~me terme peut avoir, selon la langue, un sens di f ferent : c'est le cas, par exemple chez les auteurs frangais et les auteurs anglo-saxons, des termes occurence, infestation, virulence, approach et approche, etc.

II n'est pas inut i le de rappeler ici, dans le domaine de la pathologie infectieuse, les d~fini t ions de quelques termes qu' i l ne faut pas confondre :

EPIDEMIE et A N A D E M I E : I'dpiddmie a ~td ddfinie en 1860 par Littr~ : ((une maladie qui attaque en m~me temps et dans le m~me lieu un grand nombre de personnes ~ la fois et qui ddpend d'une cause commune et g~n~rale surve- nue accidentellement)), d~f in i t ion reprise de cetle du Dic- t ionnaire de Capuron et Nysten (1806) : ((dpiddmie, du grec ~pi, (sur) et demos (peuple) : maladie qui attaque un grand nombre de personnes & la fois et qui tombe sur le peuple)).

• A I'~pid~mie, M. B altazard a oppos~ I'anad#mie : ((ma- ladle [ infectieuse ] non contagieuse, qui attaque un grand nombre de personnes au m~me lieu)). (Manuila, Dict ionnai- re frangais de M~decine, Paris 1970). Alors que I'~pid~mie, infectieuse et contagieuse, est caract~ris~e par la circulation de I'agent causal dans la populat ion, I'anad~mie, infectieuse et non-contagieuse, correspond & la contaminat ion simulta- n~e de plusieurs personnes ~ une source commune (une anad~mie de t~tanos). Selon les circonstances, un m~me agent peut entrainer une ~pid~mie (peste pulmonaire) ou une anad~mie (peste bubonique).

Mais en fait, la cause majeure d' imprdcision ou de con- fusion t ient ~ I'ignorance des mddecins, ~ leur mdconnais- sance du vocabulaire m~dical ou scientif ique amenant, de plus en plus frdquemment, ~ confondre les paronymes tels que la radiation (action d'dmettre) et le rayonnement (qui est dmis), la denture (l'ensemble des dents) et la dentition (leur formation), I'inhibage (emploi d 'un processus ralentis- sant) et I'inhibition (qui en r~sulte). Citons encore ddcou- verte et invention ; Maurice Lamy a d~plor~ (Pres$e m#dica- le, 1962, 70, 52, pp. 2539) que la plaque de marbre appo- s~e rue de S~vres sur le tour de I 'H6pital Necker rappelle que Laennec y ddcouvrit I 'auscultation, mdthode qui n~exis- ta i t pas et qu' i l a donc invent#e. De la m~me fagon, notre Palais de la D#couverte devrait s'appeler (<Palais de la Ddcouverte et de I ' lnvention)).

I N F E C T I O N et I N F E S T A T I O N : I'infection a ~td d~finie par A. Lwof f comme : ((la pbn~tration dans I'organisme d'une entitd dtrang~re capable de se mult ip l ier et de repro- duire des entitds identiques)) (J. Gen. Microbiol., 1957, 17, 239-253). A cette ddf in i t ion qui ne pr~juge pas de la nature de I'<(entitd ~trang~re>), s'oppose celle de I'infesta- tion <(p~ndtration dans I'organisme et f ixat ion sur lui d 'un parasite non microbien)), selon le Dict ionnaire de Gamier et Delamarre. Schdmatiquement donc, infection serait r~serv~e aux bact~ries et virus et infestation ~ tous les parasites, ~ I 'exclusion des bact~ries et des virus. Certains auteurs, cependant, veulent r~server le terme d'infestation au cas des seuls helminthes et hombre d'auteurs am~ricains voudraient le r~server ~ la prdsence des seuls ectoparasi- tes.

4 :

Infection et infestation d~signent ~gatement I'#tat de I'organisme envahi.

C O N T A G I O N et C O N T A M I N A T I O N : la contagion est la transmission - directe ou indirecte - d'une maladie, d'un malade fi un sujet sain, alors que la contamination est Fen- vahissement par des microorganismes d'un objet, d'une substance ou d'un organisme vivant, homme ou animal. Ce dernier terme s'applique donc aux choses comme aux ~tre animus.

R E C H U T E et R E C I D I V E : selon Garnier et Delamarre, la rechute est : ((une nouvelle ~volution morbide, succ~dant

une premiere infection de m~me nature, sans qu'i l y ait eu nouvelle infection)), cependant que la r#cidive est : <(l'apparition d'une maladie chez un individu qui a d~j& souffert de cette maladie plus ou moins Iongtemps aupara- vant)). La r~cidive diff~re de la rechute en ce qu'i l y a une nouvelle infection.

F O N G I O U E , M Y C O S I Q U E et M Y C O T I Q U E : selon Gar- nier et Delamarre, fongique se rapporte aux champignons et mycosique ~ une mycose. L'adjectif mycotique rut c r ~ en 1885 par Osier pour d~signer les an~vrysmes art~riels dus ~ une Iocalisation bact~rienne sur les parois vasculaires au cours d'une endocardite infectieuse subaigu~. Mais en 1970 I'Acad~mie des Sciences I'a accept~ avec le sens : <<relatif ~ une mycose, c'est-~-dire ~ une affection due un champignon>), tout en pr~cisant que ((pour une maladie caus~e par un champignon, on ne doi t pas dire une maladie mycotique, mais on doi t ut i l iser I'adjectif fongique~) (C.R.: Acad. Sci., 1970, 270, 138-144),

I N C I D E N C E et P R E V A L E N C E : I'incidence d'une maladie est le nombre de cas nouveaux survenus pendant une p~- rjode donn~e pour une populat ion donn~e (notion dynami- que) ; la prevalence est la total i t~ des cas, anciens et nou- veaux, d'une maladie dans une populat ion donn~e, ~] un moment precis, ou durant une p~riode d~termin~e (not ion statique).

I A T R O G E N E et N O S O C O M I A L : I ' infection iatrog~ne, ~tymologiquement (<provoqu~e par le m~decin)), r~sulte d'un acre m~dical, 05 qu' i l soit effectu~ ; I'infection d'h6- pital (nosocomiale ou hospitali~re) est contract~e dans un ~tablissement hospitalier sans qu' i l y air n~cessairement un acte m~dical. Si I 'affection ayant entra~n~ I'hospitalisa-

t ion est elle-m~me infectieuse, la nouvelle infection est, en fait, une surinfection.

D E T O X I F I C A T I O N et D E T O X l C A T I O N : l a d#toxifica- tion est I 'opdration physico-chimique par laquelle un pro- duit perd sa toxici t~ ; la detoxication est Faction d'dlimi- nation d'un toxique par I'organisme (C.R.Acad. Sci., 1967 264, 81 )

N Y C T H E M E R A L et C l R C A D I E N : le rythme nycth~m#ral est associ~ ~ I'alternance du jour et de la nuit, alors que le rythme circadien est associ~ & une alternance d'environ 24 heures (C.R. Acad. Sci., 1967, 264, 81).

P O U V O I R P A T H O G E N E , V I R U L E N C E et T O X I N O G E - NESE : le terme virulence, aptitude d'un microorganisme se d~velopper dans I'organisme humain ou animal et fi y entra~ner des I~si'ons, est de plus en plus souvent employd, particuli~rement par les auteurs anglo-saxons, comme syno- nyme de pouvoirpathog&ne. Elle n'en est qu'une des moda- lit~s et s'oppose, en particulier, fi la toxinog~n~se.

Roux et Yersin, dans leur troisi~me m~moire sur la dipht~rie (Ann. Inst. Pasteur, 1890, 4, 7, 385-426) ont clairement d~fini et oppos~ ces deux modalit~s du pouvoir pathog~ne : (<il ne faut pas confondre Faction toxique des cultures avec leur virulence . . . la virulence est I 'aptitude d'un microbe fi se d~velopper dans le corps d'un animal vivant)).

L'assimilation du pouvoir pathog~ne ~ la virulence rut faite par Charles Nicolle qui, s']l maint int bien I'indispensa- ble dist inction entre virulence et pouvoir toxique, en intro- duisit une autre entre Pouvoir pathog~ne et action patho- g~ne : ((Faction path0g~ne d'un microbe ou d'un virus (le mot action doit ~tre employ~ ici et non le mot pouvoir) est faite ~ la fois de sa virulence (pouvoir pathog~ne) et de son pouvoir toxique>).

II nous semble n~cessaire de continuer ~ distinguer, dans le pouvoir pathog~ne d'un agent infectieux, les deux modalit~s principales, virulence d'une part, pouvoir tox ique de I'autre.

Et pour f inir, rappelons qu' i l convient de ne pas con- fondre la L ITTERATURE, ensemble des textes relatifs un sujet donn~, et la BIBLIOGRAPHIE, ensemble des textes express~ment examines et signal,s en f in d'article.