o western crepuscular
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Article
Jean-Philippe DesrochersSquences : la revue de cinma, n 269, 2010, p. 12-15.
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Le western crpusculaire : rflchir le genre
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Le western classique a sans conteste impos son idologie
jusqu la fin des annes 50, poque o un vent nouveau
soufflait sur le monde. lheure du rvisionnisme et
laube des mouvements dmancipation politique et sociale, on
naccepte plus si facilement lide dune pope hroque du
genre de celles quon trouve dans les westerns, depuis longtemps
ancre dans linconscient collectif occidental. Des cinastes ont
alors commenc souligner, lintrieur de films appartenant
tout de mme au genre, son aspect foncirement factice. Si cette
autocritique a parfois pris des formes parodiques (acid western,
western spaghetti et autres), elle en a galement pris une
plus mlancolique, qui, tout en critiquant les fondements et
en sattaquant aux mythes du western, lui rendait galement
hommage, dune certaine faon. Le western crpusculaire,
psychologisant et (auto)rflexif, porte en son sein une conscience
(trs critique) de lhistoire du western.
Selon Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat,
exgtes franais du western, le crpusculaire mettrait souvent
en scne des hros vieillissants, fatigus. Essentiellement, le
western crpusculaire dit la fin de lOuest et celle du genre
[] et peut tre considr comme le rcit dune disparition.
Cela entrane invitablement un sentiment mlancolique, qui
soppose une certaine nostalgie. Un contre-exemple rcent
de la tendance crpusculaire mlancolique serait Appaloosa
(Ed Harris, 2008), film rtrograde et conservateur qui se veut
clairement nostalgique de lpoque o le western commercial
et conventionnel rgnait sur les crans, endossant par la bande
lidologie tendancieuse qui pouvait maner de certains de
ces films.
Le grand matre John Ford ralise, en 1962, The Man Who
Shot Liberty Valance, lun de ses derniers westerns, mais aussi
lun des premiers films rflexifs du genre. Ford y fait preuve dun
travail remarquable de conscience critique et de dmythification
dun genre cinmatographique quil a pratiquement difi lui-
Le western crpusculaireRflchir le genreLe western, genre par excellence du cinma amricain, a profondment marqu limaginaire de gnrations de cinphiles.Sans prtendre lexhaustivit, nous proposons ici un parcours personnel parmi quelques films marquants du westerncrpusculaire , sous-catgorie du western amricain qui a donn quelques grands films souvent oublis et qui reste en
grande partie thoriser.
JEAN-PHILIPPEDESROCHERS
Nous sommes dans lOuest.Lorsque la lgende devient la
ralit, imprimez la lgende ! Se trouve dans cette phraselessence de la rflexion de
Ford sur le western...
PHOTO: The Assassination of Jesse James by the Coward Robert FordSQUENCES 269 |NOVEMBRE DCEMBRE 2010
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mme. Pour ce faire, le film met en place un mtadiscours sur
la dformation que peuvent oprer les mdias quant aux faits
historiques. Lattitude du journaliste du Shinbone Staren dit long
ce sujet : Nous sommes dans lOuest. Lorsque la lgende devient
la ralit, imprimez la lgende ! Se trouve dans cette phrase
lessence de la rflexion de Ford sur le western, qui a toujours
prfr perptuer la lgende plutt que de mettre en lumire la vrit . Ford, dans sa mise en scne, expose cette altration des
faits par les mdias alors quil montre que lhomme responsable
de la mort de Liberty Valance nest pas celui que lhistoire crite
a retenu, filmant la scne de lassassinat du hors-la-loi dabord
selon le point de vue de Stoddard, puis selon celui de Doniphon.
La figure du revenant :une prsence fantomatiqueUn procd couramment utilis par le crpusculaire consiste
mettre en scne des personnages agissant titre de revenants,
qui doivent renouer avec un pass (souvent hors la loi) quils
tentaient de laisser derrire eux. Cest le cas, entre autres, des
hros vieillissants de Man of the West(Anthony Mann, 1958) et de
Ride the High Country(Sam Peckinpah, 1962). Unforgiven(1992),
de Clint Eastwood, reprend galement cette stratgie narrative,
tout comme Pale Rider(1985), son western prcdent.
High Plains Drifter(1973), deuxime ralisationdEastwood,
est certes un film plus atypique que les westerns subsquents
de celui que lon considre souvent comme lun des plus fiers
reprsentants du classicisme hollywoodien. Cette fois-ci, la figure
du revenant porte en elle quelque
chose de lordre du surnaturel. Est-il la
rincarnation du marshal Jim Duncan,
de retour dans la petite ville de Lago
pour se venger des trois hors-la-loiqui lont tu, mais aussi pour punir
les citoyens qui staient montrs
indiffrents devant la flagellation
mort de leur marshal ? Eastwood
pose la question tout au long du film
et laisse planer le mystre. Dailleurs,
afin de crer un rapprochement entre
les deux hommes, Eastwood utilise
des raccords de position en fondus
enchans qui juxtaposent les visages
de ltranger qui sommeille et du marshal se faisant fouetter.
On pourrait lire dans cette ambigut une sorte de flche pointe
en direction des spectateurs de westerns, se dlectant duneentreprise filmique aux intentions douteuses.
Sur fond musical strident, le film souvre avec un plan
abstrait, flou, puis un lent fondu enchan fait apparatre
ltranger, personnage camp par Eastwood, qui samne au
loin, en direction du spectateur. La chaleur extrme du dsert
altre limage, la distorsionne, dgageant un fort sentiment
dinquitante tranget. Ce lone ridersurgit de nulle part, dun
no mans land incertain, tel un mirage. Louverture de High
Plains Drifter(surprenante pour un cinaste comme Eastwood)
confre au film une atmosphre se rapprochant de la tendance
psychdlique de lpoque, sans toutefois pousser laudace a
loin que, par exemple, Alejandro Jodorowsky (El Topo, 1970).
Le personnage principal deDead Man (Jim Jarmusch, 1
est lui aussi une sorte de revenant (mme sil na pas co
la priode western, il est quand mme lhomonyme du p
William Blake !) Proche parent des acid western, Dead Ma
caractrise par un rcit qui sarticule autour de la lente agode son protagoniste, qui est atteint dune balle tt dans le r
Au terme dune longue dambulation dans la nature, Blake
port son dernier repos par un Amrindien du nom de Nob
Le film est loccasion pour Jarmusch de revisiter lpo
western, de mettre mal bon nombre de codes et de principe
genre, et dorienter le droulement et le dnouement audac
de son rcit en fonction dune tout autre mythologie, celle d
spiritualit amrindienne, qui soppose bien des gards c
de lhomme blanc.
Le western crpusculaireaux accents politiquesSi John McCabe, protagoniste du sous-estim McCab
Mrs. Miller (Robert Altman, 1971), nest pas vritablemen
revenant, il incarne certes la figure de ltranger. Ds la sque
initiale, Altman nous prsente McCabe comme un antihros. D
un dcor automnal, on voit, en plonge, un homme sappro
au loin dont on ne peut pas encore deviner les traits puisq
est couvert de fourrure de la tte au pied. Le ton est do
pour un western crpusculaire sous la pluie, dans la neige
boue, atmosphre rehausse par les chansons mlancoliq
de Leonard Cohen qui ponctuent tout le film. Par ailleurs,
au long du rcit, McCabe est prsent comme un personnvulgaire, alcoolique, cabotin, qui devra se mesurer une fem
beaucoup plus forte et dtermine que lui en affaires. Bref
est loin de la vision paradisiaque de lOuest et on sloigne d
conception hroque et idalise du protagoniste dans le wes
plus classique.
En outre, le duel final prend la forme du jeu du chat et d
souris, plutt que du duel hroque habituel au genre. McC
isol du reste de la ville, y meurt gel dans lindiffrence to
tandis que Mrs. Miller sombre dans les paradis artificiels. C
dernire se verra srement dans lobligation de vendre bas
McCabe & Mrs. Miller
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leur entreprise une compagnie minire. Bref, selon la conclusion
de McCabe and Mrs. Miller, tout le monde est perdant; seules
les grandes entreprises (le capitalisme) y sont gagnantes au final.
Altman nous fait ainsi part dune certaine dsillusion par rapport
au rve amricain. laube du 20e sicle (le film se droulerait
en ces temps-l) et dun capitalisme plus sauvage associ une
industrialisation en expansion, le combat de lindividu contre lesgrandes entreprises est vou lchec. Si lindividu a peut-tre dj
triomph envers et contre tous du moins, cest ce que le western
classique sest entt faire croire , il nen est certes plus ainsi.
Le film de Altman pave la voie pour Heavens Gate (Michael
Cimino, 1980), film immense et ambitieux, aussi bien dans son
contenu que dans sa mise en scne et sa forme (la version du
ralisateur, censure lpoque, fait plus de 3 h 30). vocation
libre de la guerre du Johnson County de 1892, le film est une
puissante charge caustique dnonant le racisme amricain
lpoque de la conqute du territoire. Si Cimino laisse entrevoir
la possibilit dune communaut chez les immigrants lors des
squences se droulant sous le chapiteau du Heavens Gate
et plus particulirement lors de la brillante scne du discours
enflamm de Mr. Eggleston appelant la rvolte , il montre
galement comment les grands propritaires terriens de
lpoque auraient procd lextermination de ces gens qui ils
promettaient richesse et libert.
Le personnage de James Averill aura, quant lui, perdu tout
ce en quoi il croyait, notamment ses idaux dgalit sociale et
lamour dune femme. Le film se termine avec une squence
magnifique, extrmement mlancolique. De retour dans lest du
pays une dizaine dannes aprs les vnements principaux du
rcit, Averill porte les traits dsabuss dun vieillard et affiche un
regard tourment. Plong dans un monde dans lequel il se sent
tout fait tranger, il erre sur un navire de luxe, mari une
femme quil naime visiblement pas. En somme, le rve amricain
de libert et dpanouissement individuels, vhicul notamment
par la littrature et les films western, en prend pour son rhume
dans Heavens Gate.Par consquent, il nest pas surprenant que
le film ait t excessivement mal reu, aussi bien par la critique
que par le public, lors de sa sortie amricaine initiale.
La lgende de Jesse JamesFilm saisissant, The Assassination of Jesse James by the Coward
Robert Ford (Andrew Dominik, 2007) approfondit, contrairement
aux prcdents films consacrs cette figure mythique, la relation
entre le clbre hors-la-loi et son jeune assassin. Demble, ds
la premire squence, Dominik prsente un hros inquiet la
prsence fantomatique qui sent la mort la sienne et celle dune
poque approcher inexorablement. Dans lun des plans de lasquence, James est cadr de dos, devant un horizon incertain,
le regard en direction du soleil couchant, vers un Ouest qui se
drobe sous ses pieds. Cela se veut une sorte de matrialisation de
la notion de crpusculaire. Il renvoie galement, par sa plastique,
au travail du peintre romantique Caspar David Friedrich, que
Dominik transpose dans lOuest amricain.
Foncirement crpusculaire, le film se droule en majeure partie
quelques mois avant lassassinat de James en 1882, une poque o
ltatisation du territoire amricain sachve. Un criminel comme
James, dans un tat du Missouri presque entirement civilis,o
les hors-la-loi nont plus leur place, se trouve littralement touff
et encercl par la loi. De l proviennent les nombreuses inquitudes
et la propension la mlancolie qui le mneront sa perte. Grandethmatique du crpusculaire, lessoufflement du hros mythique
est donc au centre du film de Dominik.
Par ailleurs, le film poursuit, sa manire, le travail entam
par John Ford dans Liberty Valance et montre comment les
diffrents mdias (littrature, bande dessine, photographie,
chanson populaire, thtre, cinma) ont contribu llaboration
du mythe de Jesse James. linstar du film de Cimino, The
Assassination of Jesse Jamesmet galement en scne un autre
pisode peu glorieux de lhistoire amricaine. On y avance que
Ford, tel un vulgaire pion, aurait t manipul par la police afin
Les cinastes du westerncrpusculaire ont montr comment
le genre peut tre utilis comme
canevas partir duquel puiserquelques grands archtypesnarratifs et formels quilscherchent transcender...
Heaven's Gate
The Man Who Shot Liberty Valance
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quil fasse disparatre James, puis aurait t abandonn lui-
mme. Edward OKelly, lassassin de Ford, sera quant lui excus
pour son geste et lhistoire ne retiendra quune seule chose
propos de ltre pourtant complexe qutait Robert Ford : sa
lchet. Bref, le film souligne le fait quen dpit des multiples
tentatives de civilisation du pays, le cercle vicieux de violence
la base de son fondement sy perptue depuis.
Le western crpusculaire aujourdhuiOutre le film de Dominik, peu de westerns substantiels ont t
tourns rcemment aux tats-Unis. Certains films contemporains,
comme le magnifique Three Burials of Melquiades Estrada(Tommy
Lee Jones, 2005) et le sombre et sans issu No Country for Old Men
(Ethan et Joel Coen, 2007) sinscrivent dans la ligne de lesthtique
western et de son tat desprit, tout en proposant une mixit
des genres cinmatographiques. Parmi les films plus aisment
identifiables au western classique, le sanguinaire The Proposition
(John Hillcoat, 2005) est un film qui, tout en tant crpusculaire,
demeure assez conventionnel en surface. Il trouve nanmoins sa
singularit dans le fait quil relate le difficile processus dtatisation
du territoire australien la fin du 19esicle. On y rend hommage
aux peuples autochtones (brillant montage photo lors du gnrique
douverture) tout en faisant allusion au mpris colonial britannique
et aux diffrents peuples qui se sont disput cet pre territoire.
On y prsente galement un rapport assez singulier entre
lhomme et la nature. Une fois que Mike Burns reoit loffre du
capitaine Stanley, Hillcoat filme frquemment son protagoniste
errant dans loutbackaustralien avec, comme trame sonor
musique discrte et introspective de Nick Cave et Warren E
Filmer dans ce non-lieu cette errance silencieuse, puissant
fragile la fois, met en place un espace rflexif, contempl
mille lieues de la tension dramatique habituellem
prconise dans le western plus classique, qui progresse
fonction des actes hroques poss par le protagoniste.
Savoir repousser les limites du genreComme ce fut le cas pour Heavens Gate, les films crpuscula
ont pour la plupart t mal reus lors de leur sortie en salle.
vident que les amateurs de western classique pouvaient
rebuts devant ces films psychologisants qui prenaient un m
plaisir dsamorcer chacune de leurs attentes. Les cinaste
western crpusculaire ont montr comment le genre peut
utilis comme canevas partir duquel puiser quelques gra
archtypes narratifs et formelsquils cherchent transcen
afin doffrir une proposition cinmatographique nouvell
stimulante, tant pour lanalyste que le cinphile.
Pour conclure, il est tout de mme important de ga
lesprit que le western, mme classique, a possiblem
toujours port en lui cette tendance crpusculaire. Ces fi
ayant constamment trait dvnements mythiques
mythologiques relis la fondation de la nation amricaine
thmes de la fin dun monde (et forcment, le commencem
dun autre) et de la mort ont toujours t, diffrents deg
au cur du western.
PHOTO: No Country for Old MenSQUENCES 269 |NOVEMBRE DCEMBRE
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