o western crepuscular

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  • 5/20/2018 O Western Crepuscular

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    Jean-Philippe DesrochersSquences : la revue de cinma, n 269, 2010, p. 12-15.

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    Le western crpusculaire : rflchir le genre

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    Panoramique|Laboratoire exprimental12

    Le western classique a sans conteste impos son idologie

    jusqu la fin des annes 50, poque o un vent nouveau

    soufflait sur le monde. lheure du rvisionnisme et

    laube des mouvements dmancipation politique et sociale, on

    naccepte plus si facilement lide dune pope hroque du

    genre de celles quon trouve dans les westerns, depuis longtemps

    ancre dans linconscient collectif occidental. Des cinastes ont

    alors commenc souligner, lintrieur de films appartenant

    tout de mme au genre, son aspect foncirement factice. Si cette

    autocritique a parfois pris des formes parodiques (acid western,

    western spaghetti et autres), elle en a galement pris une

    plus mlancolique, qui, tout en critiquant les fondements et

    en sattaquant aux mythes du western, lui rendait galement

    hommage, dune certaine faon. Le western crpusculaire,

    psychologisant et (auto)rflexif, porte en son sein une conscience

    (trs critique) de lhistoire du western.

    Selon Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat,

    exgtes franais du western, le crpusculaire mettrait souvent

    en scne des hros vieillissants, fatigus. Essentiellement, le

    western crpusculaire dit la fin de lOuest et celle du genre

    [] et peut tre considr comme le rcit dune disparition.

    Cela entrane invitablement un sentiment mlancolique, qui

    soppose une certaine nostalgie. Un contre-exemple rcent

    de la tendance crpusculaire mlancolique serait Appaloosa

    (Ed Harris, 2008), film rtrograde et conservateur qui se veut

    clairement nostalgique de lpoque o le western commercial

    et conventionnel rgnait sur les crans, endossant par la bande

    lidologie tendancieuse qui pouvait maner de certains de

    ces films.

    Le grand matre John Ford ralise, en 1962, The Man Who

    Shot Liberty Valance, lun de ses derniers westerns, mais aussi

    lun des premiers films rflexifs du genre. Ford y fait preuve dun

    travail remarquable de conscience critique et de dmythification

    dun genre cinmatographique quil a pratiquement difi lui-

    Le western crpusculaireRflchir le genreLe western, genre par excellence du cinma amricain, a profondment marqu limaginaire de gnrations de cinphiles.Sans prtendre lexhaustivit, nous proposons ici un parcours personnel parmi quelques films marquants du westerncrpusculaire , sous-catgorie du western amricain qui a donn quelques grands films souvent oublis et qui reste en

    grande partie thoriser.

    JEAN-PHILIPPEDESROCHERS

    Nous sommes dans lOuest.Lorsque la lgende devient la

    ralit, imprimez la lgende ! Se trouve dans cette phraselessence de la rflexion de

    Ford sur le western...

    PHOTO: The Assassination of Jesse James by the Coward Robert FordSQUENCES 269 |NOVEMBRE DCEMBRE 2010

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    Laboratoire exprimental|Panoramiqu

    mme. Pour ce faire, le film met en place un mtadiscours sur

    la dformation que peuvent oprer les mdias quant aux faits

    historiques. Lattitude du journaliste du Shinbone Staren dit long

    ce sujet : Nous sommes dans lOuest. Lorsque la lgende devient

    la ralit, imprimez la lgende ! Se trouve dans cette phrase

    lessence de la rflexion de Ford sur le western, qui a toujours

    prfr perptuer la lgende plutt que de mettre en lumire la vrit . Ford, dans sa mise en scne, expose cette altration des

    faits par les mdias alors quil montre que lhomme responsable

    de la mort de Liberty Valance nest pas celui que lhistoire crite

    a retenu, filmant la scne de lassassinat du hors-la-loi dabord

    selon le point de vue de Stoddard, puis selon celui de Doniphon.

    La figure du revenant :une prsence fantomatiqueUn procd couramment utilis par le crpusculaire consiste

    mettre en scne des personnages agissant titre de revenants,

    qui doivent renouer avec un pass (souvent hors la loi) quils

    tentaient de laisser derrire eux. Cest le cas, entre autres, des

    hros vieillissants de Man of the West(Anthony Mann, 1958) et de

    Ride the High Country(Sam Peckinpah, 1962). Unforgiven(1992),

    de Clint Eastwood, reprend galement cette stratgie narrative,

    tout comme Pale Rider(1985), son western prcdent.

    High Plains Drifter(1973), deuxime ralisationdEastwood,

    est certes un film plus atypique que les westerns subsquents

    de celui que lon considre souvent comme lun des plus fiers

    reprsentants du classicisme hollywoodien. Cette fois-ci, la figure

    du revenant porte en elle quelque

    chose de lordre du surnaturel. Est-il la

    rincarnation du marshal Jim Duncan,

    de retour dans la petite ville de Lago

    pour se venger des trois hors-la-loiqui lont tu, mais aussi pour punir

    les citoyens qui staient montrs

    indiffrents devant la flagellation

    mort de leur marshal ? Eastwood

    pose la question tout au long du film

    et laisse planer le mystre. Dailleurs,

    afin de crer un rapprochement entre

    les deux hommes, Eastwood utilise

    des raccords de position en fondus

    enchans qui juxtaposent les visages

    de ltranger qui sommeille et du marshal se faisant fouetter.

    On pourrait lire dans cette ambigut une sorte de flche pointe

    en direction des spectateurs de westerns, se dlectant duneentreprise filmique aux intentions douteuses.

    Sur fond musical strident, le film souvre avec un plan

    abstrait, flou, puis un lent fondu enchan fait apparatre

    ltranger, personnage camp par Eastwood, qui samne au

    loin, en direction du spectateur. La chaleur extrme du dsert

    altre limage, la distorsionne, dgageant un fort sentiment

    dinquitante tranget. Ce lone ridersurgit de nulle part, dun

    no mans land incertain, tel un mirage. Louverture de High

    Plains Drifter(surprenante pour un cinaste comme Eastwood)

    confre au film une atmosphre se rapprochant de la tendance

    psychdlique de lpoque, sans toutefois pousser laudace a

    loin que, par exemple, Alejandro Jodorowsky (El Topo, 1970).

    Le personnage principal deDead Man (Jim Jarmusch, 1

    est lui aussi une sorte de revenant (mme sil na pas co

    la priode western, il est quand mme lhomonyme du p

    William Blake !) Proche parent des acid western, Dead Ma

    caractrise par un rcit qui sarticule autour de la lente agode son protagoniste, qui est atteint dune balle tt dans le r

    Au terme dune longue dambulation dans la nature, Blake

    port son dernier repos par un Amrindien du nom de Nob

    Le film est loccasion pour Jarmusch de revisiter lpo

    western, de mettre mal bon nombre de codes et de principe

    genre, et dorienter le droulement et le dnouement audac

    de son rcit en fonction dune tout autre mythologie, celle d

    spiritualit amrindienne, qui soppose bien des gards c

    de lhomme blanc.

    Le western crpusculaireaux accents politiquesSi John McCabe, protagoniste du sous-estim McCab

    Mrs. Miller (Robert Altman, 1971), nest pas vritablemen

    revenant, il incarne certes la figure de ltranger. Ds la sque

    initiale, Altman nous prsente McCabe comme un antihros. D

    un dcor automnal, on voit, en plonge, un homme sappro

    au loin dont on ne peut pas encore deviner les traits puisq

    est couvert de fourrure de la tte au pied. Le ton est do

    pour un western crpusculaire sous la pluie, dans la neige

    boue, atmosphre rehausse par les chansons mlancoliq

    de Leonard Cohen qui ponctuent tout le film. Par ailleurs,

    au long du rcit, McCabe est prsent comme un personnvulgaire, alcoolique, cabotin, qui devra se mesurer une fem

    beaucoup plus forte et dtermine que lui en affaires. Bref

    est loin de la vision paradisiaque de lOuest et on sloigne d

    conception hroque et idalise du protagoniste dans le wes

    plus classique.

    En outre, le duel final prend la forme du jeu du chat et d

    souris, plutt que du duel hroque habituel au genre. McC

    isol du reste de la ville, y meurt gel dans lindiffrence to

    tandis que Mrs. Miller sombre dans les paradis artificiels. C

    dernire se verra srement dans lobligation de vendre bas

    McCabe & Mrs. Miller

    SQUENCES 269 |NOVEMBRE DCEMBRE

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    leur entreprise une compagnie minire. Bref, selon la conclusion

    de McCabe and Mrs. Miller, tout le monde est perdant; seules

    les grandes entreprises (le capitalisme) y sont gagnantes au final.

    Altman nous fait ainsi part dune certaine dsillusion par rapport

    au rve amricain. laube du 20e sicle (le film se droulerait

    en ces temps-l) et dun capitalisme plus sauvage associ une

    industrialisation en expansion, le combat de lindividu contre lesgrandes entreprises est vou lchec. Si lindividu a peut-tre dj

    triomph envers et contre tous du moins, cest ce que le western

    classique sest entt faire croire , il nen est certes plus ainsi.

    Le film de Altman pave la voie pour Heavens Gate (Michael

    Cimino, 1980), film immense et ambitieux, aussi bien dans son

    contenu que dans sa mise en scne et sa forme (la version du

    ralisateur, censure lpoque, fait plus de 3 h 30). vocation

    libre de la guerre du Johnson County de 1892, le film est une

    puissante charge caustique dnonant le racisme amricain

    lpoque de la conqute du territoire. Si Cimino laisse entrevoir

    la possibilit dune communaut chez les immigrants lors des

    squences se droulant sous le chapiteau du Heavens Gate

    et plus particulirement lors de la brillante scne du discours

    enflamm de Mr. Eggleston appelant la rvolte , il montre

    galement comment les grands propritaires terriens de

    lpoque auraient procd lextermination de ces gens qui ils

    promettaient richesse et libert.

    Le personnage de James Averill aura, quant lui, perdu tout

    ce en quoi il croyait, notamment ses idaux dgalit sociale et

    lamour dune femme. Le film se termine avec une squence

    magnifique, extrmement mlancolique. De retour dans lest du

    pays une dizaine dannes aprs les vnements principaux du

    rcit, Averill porte les traits dsabuss dun vieillard et affiche un

    regard tourment. Plong dans un monde dans lequel il se sent

    tout fait tranger, il erre sur un navire de luxe, mari une

    femme quil naime visiblement pas. En somme, le rve amricain

    de libert et dpanouissement individuels, vhicul notamment

    par la littrature et les films western, en prend pour son rhume

    dans Heavens Gate.Par consquent, il nest pas surprenant que

    le film ait t excessivement mal reu, aussi bien par la critique

    que par le public, lors de sa sortie amricaine initiale.

    La lgende de Jesse JamesFilm saisissant, The Assassination of Jesse James by the Coward

    Robert Ford (Andrew Dominik, 2007) approfondit, contrairement

    aux prcdents films consacrs cette figure mythique, la relation

    entre le clbre hors-la-loi et son jeune assassin. Demble, ds

    la premire squence, Dominik prsente un hros inquiet la

    prsence fantomatique qui sent la mort la sienne et celle dune

    poque approcher inexorablement. Dans lun des plans de lasquence, James est cadr de dos, devant un horizon incertain,

    le regard en direction du soleil couchant, vers un Ouest qui se

    drobe sous ses pieds. Cela se veut une sorte de matrialisation de

    la notion de crpusculaire. Il renvoie galement, par sa plastique,

    au travail du peintre romantique Caspar David Friedrich, que

    Dominik transpose dans lOuest amricain.

    Foncirement crpusculaire, le film se droule en majeure partie

    quelques mois avant lassassinat de James en 1882, une poque o

    ltatisation du territoire amricain sachve. Un criminel comme

    James, dans un tat du Missouri presque entirement civilis,o

    les hors-la-loi nont plus leur place, se trouve littralement touff

    et encercl par la loi. De l proviennent les nombreuses inquitudes

    et la propension la mlancolie qui le mneront sa perte. Grandethmatique du crpusculaire, lessoufflement du hros mythique

    est donc au centre du film de Dominik.

    Par ailleurs, le film poursuit, sa manire, le travail entam

    par John Ford dans Liberty Valance et montre comment les

    diffrents mdias (littrature, bande dessine, photographie,

    chanson populaire, thtre, cinma) ont contribu llaboration

    du mythe de Jesse James. linstar du film de Cimino, The

    Assassination of Jesse Jamesmet galement en scne un autre

    pisode peu glorieux de lhistoire amricaine. On y avance que

    Ford, tel un vulgaire pion, aurait t manipul par la police afin

    Les cinastes du westerncrpusculaire ont montr comment

    le genre peut tre utilis comme

    canevas partir duquel puiserquelques grands archtypesnarratifs et formels quilscherchent transcender...

    Heaven's Gate

    The Man Who Shot Liberty Valance

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    Panoramique|Laboratoire exprimental14

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    quil fasse disparatre James, puis aurait t abandonn lui-

    mme. Edward OKelly, lassassin de Ford, sera quant lui excus

    pour son geste et lhistoire ne retiendra quune seule chose

    propos de ltre pourtant complexe qutait Robert Ford : sa

    lchet. Bref, le film souligne le fait quen dpit des multiples

    tentatives de civilisation du pays, le cercle vicieux de violence

    la base de son fondement sy perptue depuis.

    Le western crpusculaire aujourdhuiOutre le film de Dominik, peu de westerns substantiels ont t

    tourns rcemment aux tats-Unis. Certains films contemporains,

    comme le magnifique Three Burials of Melquiades Estrada(Tommy

    Lee Jones, 2005) et le sombre et sans issu No Country for Old Men

    (Ethan et Joel Coen, 2007) sinscrivent dans la ligne de lesthtique

    western et de son tat desprit, tout en proposant une mixit

    des genres cinmatographiques. Parmi les films plus aisment

    identifiables au western classique, le sanguinaire The Proposition

    (John Hillcoat, 2005) est un film qui, tout en tant crpusculaire,

    demeure assez conventionnel en surface. Il trouve nanmoins sa

    singularit dans le fait quil relate le difficile processus dtatisation

    du territoire australien la fin du 19esicle. On y rend hommage

    aux peuples autochtones (brillant montage photo lors du gnrique

    douverture) tout en faisant allusion au mpris colonial britannique

    et aux diffrents peuples qui se sont disput cet pre territoire.

    On y prsente galement un rapport assez singulier entre

    lhomme et la nature. Une fois que Mike Burns reoit loffre du

    capitaine Stanley, Hillcoat filme frquemment son protagoniste

    errant dans loutbackaustralien avec, comme trame sonor

    musique discrte et introspective de Nick Cave et Warren E

    Filmer dans ce non-lieu cette errance silencieuse, puissant

    fragile la fois, met en place un espace rflexif, contempl

    mille lieues de la tension dramatique habituellem

    prconise dans le western plus classique, qui progresse

    fonction des actes hroques poss par le protagoniste.

    Savoir repousser les limites du genreComme ce fut le cas pour Heavens Gate, les films crpuscula

    ont pour la plupart t mal reus lors de leur sortie en salle.

    vident que les amateurs de western classique pouvaient

    rebuts devant ces films psychologisants qui prenaient un m

    plaisir dsamorcer chacune de leurs attentes. Les cinaste

    western crpusculaire ont montr comment le genre peut

    utilis comme canevas partir duquel puiser quelques gra

    archtypes narratifs et formelsquils cherchent transcen

    afin doffrir une proposition cinmatographique nouvell

    stimulante, tant pour lanalyste que le cinphile.

    Pour conclure, il est tout de mme important de ga

    lesprit que le western, mme classique, a possiblem

    toujours port en lui cette tendance crpusculaire. Ces fi

    ayant constamment trait dvnements mythiques

    mythologiques relis la fondation de la nation amricaine

    thmes de la fin dun monde (et forcment, le commencem

    dun autre) et de la mort ont toujours t, diffrents deg

    au cur du western.

    PHOTO: No Country for Old MenSQUENCES 269 |NOVEMBRE DCEMBRE

    Laboratoire exprimental|Panoramiqu