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OCTOBRE 2017 – N o 154 Mathématiques – Modélisation aléatoire de la biodiversité Diusion des savoirs Esthétopies Raconte-moi... un perfectoïde Carnet – Maryam Mirzakhani, Jean-Pierre Kahane

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OCTOBRE 2017 – No 154

• Mathématiques – Modélisationaléatoire de la biodiversité

• Di↵usion des savoirs –Esthétopies

• Raconte-moi... un perfectoïde

• Carnet – Maryam Mirzakhani,Jean-Pierre Kahane

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Comité de rédaction

Rédacteur en chef

Boris Adamczewski

Institut Camille Jordan, [email protected]

Rédacteurs

Thomas Alazard

ENS, [email protected]

Caroline Ehrhardt

Université Vincennes [email protected]

Damien Gayet

Institut Fourier, [email protected]

Sébastien Gouëzel

Université de [email protected]

Sophie Grivaux

Université de [email protected]

Fanny Kassel

IHÉ[email protected]

Pierre Loidreau

Université Rennes [email protected]

Romain Tessera

Université [email protected]

Secrétariat de rédaction :smf – Claire RopartzInstitut Henri Poincaré11 rue Pierre et Marie Curie75231 Paris cedex 05Tél. : 01 44 27 67 96 – Fax : 01 40 46 90 [email protected] – http://smf.emath.fr

Directeur de la publication : Stéphane Seuret

issn : 0224-8999

À propos de la couverture. Photographie d’un simple ruban dans l’espace imaginaire sol. Il n’y a qu’un rubanet il ne s’enroule pas. Cette image révèle comment la lumière, di↵usée par ce ruban, s’enroule une multitudede fois autour de deux directions : une stable et une instable. La géométrie d’un espace est donnée par ladistance entre les points qui la composent. La lumière parcourt le chemin le plus court. La géométrie d’unespace est ainsi révélée par la façon dont la lumière circule. (crédit : Pierre Berger).

SMF – GAZETTE

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ÉditorialÉditorial

Chère lectrice, cher lecteur,Particulièrement répandu en Perse aux xiiie et xive siècles, le gazhel est uneforme poétique chantant l’amour, aussi bien charnel que mystique. L’und’eux commence par ces vers :

« À cette source elle a bu.Elle est morte – et la source n’a pas tari. »

Nul doute que nombreux seront les mathématiciennes et mathématiciensqui continueront à s’abreuver à la source découverte par Maryam Mirza-khani. Cet été, l’annonce de son décès à tout juste quarante ans des suitesd’une longue maladie a endeuillé l’ensemble de la communauté. De natio-nalité iranienne alors qu’elle travaillait aux États-Unis, première femme àobtenir la médaille Fields, elle était, et restera, un symbole. Anton Zorichlui rend un hommage émouvant dans ces pages. Tristement, la période es-tivale a également été marquée par le décès d’une figure des mathéma-tiques françaises : Jean-Pierre Kahane. Hervé Que↵élec lui consacre ici unCarnet, en attendant un numéro spécial à venir.Au sommaire de cette Gazette , les Mathématiques ne sont bien sûr pas enreste. Tu apprendras tout d’abord comment l’aléa se met au service du vi-vant afin de modéliser la diversité biologique, puis tu embarqueras pourune petite promenade à travers la géométrie de contact et poursuivras taroute à la rencontre de la théorie de Littlewood-Paley. La rubrique Raconte-moi te propose quant à elle une halte dans l’univers passionnant des es-paces perfectoïdes. Introduits dans sa thèse de doctorat par le jeune maisdéjà très remarqué mathématicien allemand Peter Scholze, ces dernierspréfigurent l’avènement d’une nouvelle ère pour la géométrie arithmétique.Et pourquoi ne pas s’accorder une minute pour rêver? La rubrique Di↵usiondes savoirs met à l’honneur l’exposition Esthétopies, présentée à l’institutHenri Poincaré au printemps dernier. Les géomètres, comme William Thurs-ton, aiment concevoir et imaginer des espaces. Sensibles et complexes.Pierre Berger t’invite à les écouter, à observer comment la lumière s’y ré-pand. Une immersion dans des géométries nouvelles, située quelque part

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entre esthétique et mathématique. De son côté, la smf ne ménage pas sese↵orts afin de promouvoir les mathématiques auprès de la jeunesse. Nousrevenons sur la première édition du concours smf junior ; une initiative àsaluer et un franc succès.Virginie Bonnot n’est pas mathématicienne, mais enseignante-chercheuseen psychologie sociale. Pour la rubrique Parité, elle décrypte de son œil ex-pert les stéréotypes de genre. Comment ils corrompent nos perceptions,nos jugements et nos comportements.Pour finir, Sébastien Gouëzel part en croisade (amicale) contre le trop ré-pandu mésusage de LATEX, distillant quelques conseils avisés. Un article àl’endroit de ceux pour qui ce terme évoque davantage le rougissant sou-venir d’un textile infiniment extensible, que le système de composition dedocuments créé par Leslie Lamport... et aussi de certains autres !En te souhaitant une agréable lecture,

Boris Adamczewski

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SommaireSommaire

smf 5Mot du président 5

Mathématiques 7Modélisation aléatoire de la biodiversité – S. Méléard 7

Structures de contact vrillées, d’après Borman-Eliashberg-Murphy – S. Courte 21

La théorie de Littlewood-Paley – H. Bahouri 28

Diffusion des savoirs 40Esthétopies – P. Berger 40

Le Concours smf junior 2017 – P. Pansu 46

Parité 55Stéréotypes de genre : quelques apports de psychologie sociale – V. Bonnot 55

Raconte-moi 60un perfectoïde – B. Le Stum 60

Tribune libre 65Un vivier négligé d’étudiants en Sciences – G. Courtade-Coulomb 65

Information 67L’interdisciplinarité en mathématique-biologie : le rôle de la cid 51 67

En pratique... 69Petits conseils LATEX entre amis – S. Gouëzel 69

Carnet 72Vie et œuvre scientifique de Jean-Pierre Kahane – H. Queffélec 72

Maryam Mirzakhani – A. Zorich 77

Livres 81

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Mot du présidentMot du président

Chères et chers collègues,

J’espère que votre rentrée s’est bien déroulée, et que vos licences et mas-ters sont su�samment fréquentés, en attendant la vague démographiquede 2018!

L’été n’a pas été de tout repos à la smf, qui a été très active et sollicitée :doctorat et agrégation, icm, nouveaux programmes en lycée, situation enTurquie, publications « ouvertes »... Je me focaliserai ici sur le sujet desagrégés-docteurs, qui me semble très symbolique et essentiel pour l’ave-nir de notre communauté et l’enseignement des mathématiques.

Suite à notre appel mi-juillet, nous avons pris connaissance de la situationdélicate dans laquelle se trouvaient plusieurs agrégés, qui ont vu leur pro-longement de détachement ou même leur disponibilité refusés par des rec-teurs d’académie. Ceux-ci appliquaient une note de service de décembre2016 qui n’autorise pas les agrégé(e)s n’ayant pas validé deux années detitularisation à demander une disponibilité, et de fait empêche les jeunesagrégés-docteurs (ou les jeunes en fin de doctorat) d’occuper un posted’ater ou de post-doc. Avec d’autres acteurs de la communauté, nous avonsfait remonter notre mécontentement et fait circuler au plus vite l’informa-tion sur toutes les situations qu’on nous avait signalées. Presque toutesont été résolues, malheureusement pas toutes. . . et certain(e)s ont mêmedû démissionner du corps des agrégés pour poursuivre leur travail de re-cherche. Cela envoie un très mauvais signe aux étudiants qui partagent lesnouvelles via tous les réseaux sociaux ! Quand le nombre de candidats dequalité est cruellement insu�sant pour les concours d’enseignement, cetype de mesure et ces décisions ne font que décourager les jeunes à pas-ser des concours qui, ne l’oublions pas, sont très exigeants. C’est se priverpotentiellement de professeurs ayant connaissance du milieu des mathé-matiques, ayant préparé des cours et des exposés devant des publics va-riés, bref ayant une expérience importante pour enseigner les mathéma-tiques à nos enfants.

La smf s’est très vite positionnée sur ce sujet, et a interpellé les respon-sables sur la menace que représentait cette note de service. Lors de la

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réunion des préparateurs d’agrégation organisée par la smf, la smai, et lesresponsables du concours le vendredi 29 septembre dernier à l’ihp, cettesituation a longuement été débattue, et la communauté parle d’une voixunanime. Ce message sera porté par la smf, ainsi que nos inquiétudes (oudu moins la vigilance à manifester) sur les réformes de la licence qui sonten gestation, les pré-requis qui pourront être demandés, les futurs pro-grammes de lycée.Quelques informations de la smf elle-même.Suite aux suggestions du jury du prix d’Alembert 2016, la smf a décidé decréer un prix récompensant des actions innovantes en pédagogie des ma-thématiques : le prix Jacqueline Ferrand. Ce prix rend hommage à cettegrande mathématicienne, que beaucoup d’entre nous avons connue grâceaux fameux livres Arnaudiès - Lelong-Ferrand. La première édition aura lieuen 2018 et il sera remis avec le prix d’Alembert lors du 2e congrès de la smf,en juin prochain. Je vous invite à déposer ou à susciter des candidatures.Notre transformation digitale se poursuit. C’est un grand enjeu pour la smfde mettre ses structures informatiques et son site à niveau, pour pouvoirdéfendre et représenter les mathématiques, fournir du contenu attrayant,mettre en valeur les actions de ses bénévoles et le beau travail de ses sa-larié(e)s, et favoriser la lecture des articles et livres que nous publions. La« migration » n’est pas encore e↵ectuée, mais j’espère que vous apprécie-rez, lorsque le moment sera venu, les avancées que nous vous propose-rons.La smf est très concernée par le devenir des jeunes entrant dans la recherche.Ainsi, le Conseil d’Administration a décidé que tout étudiant en thèse auradroit, dès 2018, à trois années d’adhésion gratuite à la smf. Je vous re-mercie de passer le message à vos étudiantes et étudiants, et vos écolesdoctorales, sur cette mesure qui vise à intégrer les jeunes très rapidementdans la communauté.Enfin, je voudrais remercier tous les bénévoles et vous, adhérents – sur-tout si vous avez résisté jusqu’ici à mon « Mot du président » ! Votre soutienest fondamental, et passe par votre adhésion : celle-ci nous donne plusd’envie, et plus de crédibilité lors de nos interventions auprès des acteursde la communauté, des responsables politiques, des médias. . . Votre sou-tien peut aussi passer par votre participation active à nos débats, à nosactions : en particulier, les « instances » de la smf se renouvellent naturel-lement, et toute bonne volonté sera accueillie avec joie.Je vous souhaite un bel automne.

Le 2 octobre 2017Stéphane Seuret, président de la smf

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Mathématiques

Modélisation aléatoire de la biodiversité :de l’importance des paramètres d’échelle

La modélisation de la biodiversité biologique et desfonctionnements évolutifs des écosystèmes est fondamentale,avec des applications qui vont de questionsenvironnementales jusqu’à des problématiques médicales.Les mathématiques aident à comprendre les mécanismes demutation et de sélection naturelle et elles peuvent apporterun point de vue objectif dans la modélisation de labiodiversité. Notre but dans cet article est de mettre enévidence la richesse des modèles qui dérivent des modèlesindividuels et l’importance des paramètres d’échelles, enparticulier des échelles de temps.

• S. Méléard

1. Une modélisation complexe etl’importance du hasard

« (...) in after years, I have deeply regretted that I did notproceed far enough at least to understand something of

the great leading principles of mathematics, for menthus endowed seem to have an extra-sense. »

Charles Darwin, Autobiography.

1.1 – Des phénomènes complexes

Que ce soit pour mieux prédire les e↵ets del’activité humaine sur l’environnement ou les ré-sistances à certaines thérapies médicales, acquérirune bonne compréhension des mécanismes d’évo-lution de la biodiversité devient une démarche es-sentielle. Comprendre le fonctionnement d’un éco-système, les changements engendrés par la dis-parition ou l’apparition d’une nouvelle espèce gé-nère des questions extrêmement compliquées quinécessitent non seulement des outils mathéma-tiques sophistiqués, mais également un dialogueconstant avec les biologistes. Nous souhaitons mo-déliser la diversité biologique à tous les niveaux duvivant, du plus microscopique (bactéries) au plusmacroscopique (comportement de communautéset métapopulations) en tenant compte des capaci-

tés d’adaptation des individus et des espèces à leurenvironnement. Une grande di�culté dans la mo-délisation du vivant vient du fait qu’il n’y a pas dequantités conservées. De ce fait, pour comprendrele fonctionnement d’un écosystème, il est souventnécessaire de se ramener aux comportements indi-viduels en tenant compte des grandes di↵érencesdans les échelles de temps, de taille, de durée devie et de reproduction des di↵érentes espèces, ainsique des fortes interactions compétitives et mutua-listes entre ces espèces, comme par exemple lesrelations hôte-parasite, proie-prédateur ou plante-pollinisateur-herbivore, mais qui peuvent être beau-coup plus compliquées. On cherche à identifierdes quantités calculables liées aux mécanismes del’évolution, comme par exemple le temps d’extinc-tion d’une espèce, l’estimation d’une abondanced’espèce, la vitesse d’invasion d’un parasite, la pro-babilité de mutation d’un gène et la probabilité quele gène mutant se fixe dans la population.

Notre but dans cet article est de mettre en évidencela richesse des modèles qui peuvent dériver desmodèles individuels et l’importance de la prise encompte des échelles de paramètres, en particulierdes échelles de temps.

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Mathématiques

1.2 – L’importance du hasard

Le hasard intervient à toutes les échelles du vi-vant. Grâce aux possibilités modernes de mesures,les biologistes constatent de plus en plus la variabi-lité individuelle des individus, telle que l’avait pres-sentie Darwin. Ils sont maintenant capables d’isolerdes bactéries dans des gouttelettes de nutriment etd’étudier le développement de chaque populationissue d’une cellule. Ces observations possibles surde petites populations de cellules ou de bactériesrendent les modèles probabilistes de plus en pluspertinents.Il y a essentiellement trois sources de hasard agis-sant à des échelles extrêmement di↵érentes. Lapremière source de hasard provient des erreursdans la réplication de l’adn : le filament d’adn peutêtre déformé par changement de l’une ou de plu-sieurs bases, un bout d’adn peut s’insérer ou dis-paraître. Cela donne un adnmutant qui va pouvoirdans certains cas se répliquer. L’impact de ces mu-tations peut être plus ou moins important suivantque la partie du chromosome où la mutation estapparue correspond à un gène codant pour uneprotéine ou non. La deuxième source de hasard ap-paraît dans la démographie des individus et leursinteractions écologiques : les événements de re-production des individus et leur durée de vie sontaléatoires, de même, par exemple, que leur pro-babilité d’accouplement pour des individus sexuésou de pollinisation pour une plante. La troisièmesource d’aléa, beaucoup plus macroscopique, estcelle qui provient des variations environnementales,catastrophes écologiques, changement climatiqueou toute autre source de perturbations de l’envi-ronnement (comme un antibiotique dans le milieubactérien). Il est important de pouvoir intégrer cestrois niveaux d’aléa dans les modèles. Néanmoinsnous n’aborderons pas ici la modélisation de l’envi-ronnement aléatoire et nous nous concentreronssur la dynamique des populations et l’évolution gé-nétique.Notons que l’importance du hasard a été prise encompte dès les premiers travaux demodélisation del’évolution au début du xxe siècle (Galton, Haldane,Wright, Fisher), ce qui a permis l’émergence deprocessus stochastiques originaux, tels les proces-sus de Galton-Watson et de Wright-Fisher (cf. [16]).Une nouvelle gamme de modèles est apparue en1982 avec le processus de coalescence de Kingman(cf. [12, 13]) qui modélise la reconstruction de lagénéalogie d’un échantillon de gènes dans unegrande population, expliquant ainsi l’histoire de ces

gènes et leur plus récent ancêtre commun. Ce pro-cessus fourmille de propriétés mathématiques in-téressantes qui continuent à être explorées. Néan-moins il opère à l’échelle des gènes et oublie lesindividus et leurs interactions macroscopiques. Lesmodèles que nous développons décrivent la dyna-mique de populations en prenant en compte di↵é-rentes échelles de variabilité et d’interaction. Lebut est de pouvoir ainsi mieux comprendre la struc-ture des écosystèmes et les scénarios d’évolutionde la biodiversité et d’estimer ensuite les di↵érentsparamètres d’importance grâce aux observationsrécentes des biologistes.

2. Modèle stochastique pour ladémographie d’une espèce

2.1 – Processus de naissance et mort

Nous allons décrire certaines propriétés du pro-cessus de naissance et mort qui modélise la dyna-mique de la taille d’une population d’individus demême type au cours du temps. Nous allons montrersur cet exemple très simple que suivant les échellesde paramètres choisies, il pourra nous mener à dif-férents types de modèles et de résultats.Le processus de naissance et mort est un processus(Nt , t > 0) indexé par le temps continu, à valeursdans ç , qui représente la taille d’une population.Ses trajectoires sont des fonctions constantes parmorceaux qui à chaque instant de saut croissentou décroissent de 1, suivant qu’il y a naissance oumort d’un individu. Les temps de saut sont aléa-toires. Si la population est de taille i , le temps d’at-tente pour avoir une naissance suit une loi expo-nentielle de paramètre ›(i) > 0 et le temps d’at-tente pour avoir une mort suit une loi exponentiellede paramètrefi(i) > 0, ces événements aléatoiresétant indépendants. Les paramètres ›(i) et fi(i)sont appelés taux de naissance et taux demort pourune population de i individus. Ils peuvent dépendrede la taille de la population de di↵érentes façons etpeuvent intégrer une contrainte environnementale.On suppose que ›(0) = fi(0) = 0, modélisant le faitqu’il n’y a pas d’immigration. Remarquons que lesparamètres des lois exponentielles ne dépendentque de l’état de la population juste avant le saut (etnon pas de toute la trajectoire jusqu’à cet instant).On appelle ce processus un processus de Markov :son comportement aléatoire dans le futur ne dé-pend de son passé que par l’information que donneson état présent.

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Modélisation aléatoire de la biodiversité

Le processus (Nt , t > 0) peut être simulé de ma-nière très simple. On se donne une condition aléa-toire initiale N0 2 ç . On simule le premier tempsde saut par une loi exponentielle de paramètre›(N0) + fi(N0). En ce temps aléatoire, avec pro-babilité ›(N0)/

›(N0) + fi(N0)⌘

, on crée une nais-sance et le processus croît de 1 ; avec probabilitéfi(N0)/

›(N0) + fi(N0)⌘

, on crée une mort et le pro-cessus décroît de 1. On réitère cet algorithme enremplaçant N0 par le nouvel état N0 ± 1. On peutmontrer que la loi du processus (Nt , t > 0) est ca-ractérisée par l’opérateur (appelé générateur infini-tésimal) défini pour toute fonction continue bornéeÊ par

LÊ(i) = ›(i)⇣

Ê(i +1)�Ê(i)⌘

+fi(i)⇣

Ê(i �1)�Ê(i)⌘

. (1)

En particulier, l’espérance de Ê(Nt) satisfait àÑ (Ê(Nt)) = Ñ (Ê(N0)) +

R t0 Ñ (LÊ(Ns))ds.

Il est possible de donner une condition très géné-rale sur les coe�cients qui assure que le processusn’explose pas en temps fini et est bien défini surë + (cf. [16]). C’est en particulier le cas si le taux denaissance est borné par un nombre proportionnel àla taille de la population (›(i) 6 ›i).Nous allons privilégier deux exemples fondamen-taux. Considérons des réels strictement positifs b,d et c.

1) Les individus se reproduisent et meurent in-dépendamment les uns des autres, aux mêmestaux respectifs b et d . Le processus est alors ap-pelé processus de branchement binaire, de taux›(i) = b i , fi(i) = d i . Du fait de l’indépendance, il estpossible de montrer que la loi du processus issude n individus est égale à la loi de la somme den processus de branchement indépendants, issuschacun de 1 individu. Cette propriété s’appelle lapropriété de branchement et permet souvent d’ob-tenir des calculs explicites.

2) Supposons ici que b > d . On ajoute aux hypo-thèses précédentes une hypothèse de compétitionentre les individus. Celle-ci est prise en compte àtravers un terme additionnel de mort proportion-nel au nombre de paires distinctes d’individus. Onappelle processus de naissance et mort logistiquele processus de taux ›(i) = b i , fi(i) = d i + c i(i �1),où c > 0 modélise la pression de compétition entredeux individus. C’est une modélisation simple del’écologie à travers une lutte des individus pour sur-vivre, par exemple pour partager des ressourceslimitées ou des territoires. La propriété de branche-ment est perdue et les calculs deviennent beaucoup

moins explicites dans ce cas.Une question récurrente dans l’étude de la biodiver-sité est la possibilité d’extinction de la populationen temps long. Cette probabilité se calcule expli-citement en fonction des taux et de la conditioninitiale i . Introduisons ui = è (Extinction|N0 = i) =èi (T0 < +1) si T0 désigne le premier temps d’at-teinte de 0 par le processus. En conditionnant parla valeur du premier saut (naissance ou mort), il estfacile de montrer que la suite (ui )i est solution del’équation de récurrence

›(i)ui+1 � (›(i) +fi(i))ui +fi(i)ui�1 = 0.

L’on peut en déduire que

Théorème 1. (i) Si1º

k=1

fi(1) · · ·fi(k)›(1) · · ·›(k) = +1, il y a ex-

tinction presque-sûre de la population.

(ii) Si1º

k=1

fi(1) · · ·fi(k)›(1) · · ·›(k) = U1 <1, alors pour i > 1,

la probabilité d’extinction ui de la population initia-lisée à i individus vaut

ui = (1+U1)�11º

k=i

fi(1) · · ·fi(k)›(1) · · ·›(k) 2]0,1[ .

Remarquons que dans le cas (i i), la population peutsurvivre avec une probabilité non nulle mais la pro-babilité de survie ne vaut jamais un. Il y a donctoujours une chance non négligeable que la popu-lation s’éteigne, du fait de l’aspect aléatoire de ladémographie. Cet e↵et est connu par les biologistessous le nom de dérive génétique.Voyons comment ce théorème se traduit sur lesexemples que nous avons introduits précédemment.Dans le cas du processus de branchement binaireet quand b 6 d , la série

¥1k=1

fi(1)···fi(k)›(1)···›(k) diverge et il

y a extinction presque-sûre. En revanche, si b > d ,¥1

k=1fi(1)···fi(k)›(1)···›(k) =

db�d et ui = (d/b)i .

Dans le cas du processus de naissance et mort lo-gistique, il est facile de voir (par le critère de d’Alem-bert par exemple), que la série

¥1k=1

fi(1)···fi(k)›(1)···›(k) di-

verge, conduisant à l’extinction presque-sûre dela population. Ainsi, la compétition entre les indi-vidus rend l’extinction inévitable. Nous voyons surcet exemple très simple l’impact d’une contrainteenvironnementale (c > 0) sur l’extinction de la po-pulation.Notons la finesse du résultat général : le quotientfi(1)···fi(k)›(1)···›(k) traduit une comparaison très subtile entre

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Mathématiques

les taux de mort et les taux de naissance. La conver-gence de la série fait que ce quotient tend vers 0. Ilest intuitif que si les taux de mort sont petits devantles taux de naissance, la population peut persister.Le critère de convergence ou divergence de la sériequantifie cette petitesse.Nous verrons dans la partie 2.4 que dans certainscas, même si les paramètres de naissance et mortprédisent une extinction presque-sûre, celle-ci peutavoir lieu sur une échelle de temps lointaine et uncomportement transitoirement stable peut appa-raître avant cette extinction. Cela a par exempleété observé en Arizona par des biologistes pour unepopulation de serpents à sonnettes en voie d’extinc-tion (cf. Renault, Ferrière, Porter, non publié).

Revenons au cas général où la série¥1

k=1fi(1)···fi(k)›(1)···›(k)

diverge. Le temps d’extinction T0 est donc bien définiet, si Ñ n désigne l’espérance sachant que N0 = n,on aProposition 1. Ñ 1(T0) = 1

fi(1) +¥

i>2›(1)...›(i�1)fi(1)...fi(i) et

pour n > 2,

Ñ n(T0) =n�1º

k=0

✓ 1fi(k +1)

i>k+2

›(k +1) . . .›(i �1)fi(k +1) . . .fi(i)

.

Pour chaque entier n, désignons par ‰n une va-riable aléatoire dont la loi est celle du temps d’at-teinte Tn de n partant de n +1. Si le processus partde n, il peut atteindre n �1 en un saut par un évé-nement de mort ou il atteint n +1 en un saut, maisalors il doit repasser par n avant d’atteindre n �1.Une manière probabiliste de décrire cela est de re-marquer que ‰n�1 a même loi que

1{Yn=�1}En +1{Yn=1}�En + ‰n + ‰0n�1

où Yn, En, ‰0n�1 et ‰n sont des variables aléatoiresindépendantes, En de loi exponentielle de para-mètre ›(n) + fi(n), ‰0n�1 distribuée comme ‰n�1 etè (Yn = 1) = 1 � è (Yn = �1) = ›(n)/(›(n) + fi(n)). Enprenant l’espérance nous en déduisons que

Ñ n(Tn�1) =›(n)fi(n)

Ñ n+1(Tn) +1

fi(n).

L’étude de cette équation de récurrence mène aurésultat.

2.2 – Approximation en grande population :équation (logistique) de Verhulst et ré-gulation de la population

Nous allons maintenant nous intéresser au casde populations de grandes tailles, telles les mil-

liards de bactéries qui habitent notre intestin oules milliards de cellules qui se promènent dans nosvaisseaux. Il est intuitif de remarquer que si la tailled’une population est grande, elle ne sera guère sen-sible aux fluctuations dues à une seule mort ou àune seule naissance (par exemple une seule divi-sion cellulaire). Ainsi, au moins sur un intervallede temps borné, sa dynamique sera très proched’une dynamique sans fluctuations aléatoires quirésumera le comportement macroscopique de cettepopulation.

Nous allons quantifier cette approximation enintroduisant un paramètre d’échelle K qui tend vers+1, en supposant que la taille initiale de la popula-tion est d’ordre K. Le processus d’intérêt est alorsle processus de Markov (ZK

t = NKt /K, t > 0) dont les

sauts ont l’amplitude ± 1K avec des taux respectifs

donnés par ›K(n) et fiK(n), si la taille vaut n. C’estce processus qui va nous permettre de comprendrele comportement macroscopique de la population.Du point de vue biologique cela signifie que chaqueindividu est a↵ecté d’un poids 1/K représentant laressource qui lui est attribuée sous une hypothèsede ressource totale (pour les K individus) d’ordre un.La loi de ZK est caractérisée par l’opérateur définipour toute fonction continue bornée Ê par

LKÊ(z) = ›K(Kz)⇣

Ê(z +1K)�Ê(z)

+fiK(Kz)⇣

Ê(z � 1K)�Ê(z)

. (2)

On peut en déduire, par un argument classique deprobabilités, que le processus (ZK

t , t > 0) se décom-pose sous la forme

ZKt = ZK

0 +MKt +

1K

Z t

0(›K(KZ

Ks )�fiK(KZK

s ))ds, (3)

où la partie à variation finie décrit la tendance cen-trale de ZK alors que le processus (MK

t , t > 0) encaractérise les variations aléatoires. Ce processusMK est une martingale de carré intégrable, qui véri-fie en particulier que pout tout t > 0,

Ñ (MKt ) = 0 ; Ñ ((MK

t )2)

=1K2

Z t

0Ñ⇣

›K(KZKs ) +fiK(KZ

Ks )

ds. (4)

Commentons cette formule pour les lecteurs peuhabitués aux outils probabilistes : une martingaleest telle que la moyenne de ses accroissementssachant son état à un instant donné est nulle. En

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Modélisation aléatoire de la biodiversité

particulier, son espérance est constante au coursdu temps et nulle dès que la martingale est nulle autemps 0. La deuxième partie de la formule (4) décritla variance de MK

t qui dépend donc de la sommedes taux de saut. On peut le comprendre en obser-vant que cette somme modélise l’accumulation desvariations aléatoires.Supposonsmaintenant que les taux de naissance etmort vérifient ›K(n) = n› (n/K) ; fiK(n) = nfi (n/K),où les fonctions positives › et fi sont lipschit-ziennes sur ë + et ›(z) 6 › ; fi(z) 6 fi(1 + z). Onpourra par exemple garder en tête le cas particulieroù ›K(n) = nb et fiK(n) = n(d + c/Kn) avec b,d > 0et c > 0 (c = 0, cas linéaire et c > 0, cas logistique).

Pour tout T > 0, les processus (ZKt , t 2 [0,T])

prennent leurs valeurs dans l’ensemble des fonc-tions de [0,T] dans ë + continues à droite et ayantune limite à gauche. Cet ensemble, nommé espacede Skorohod et noté É ([0,T],ë +), est muni d’unetopologie qui en fait un espace polonais (voir parexemple [2]). Supposons que l’équation

z0(t) = z(t)(›(z(t))�fi(z(t))) ;z(0) = z0 (5)

admette une unique solution. Nous pouvons alorsmontrer que quand K tend vers l’infini, les proces-sus (ZK) convergent en loi vers cette limite détermi-niste dès lors que c’est le cas pour les conditionsinitiales.Théorème 2. Si (ZK

0 )K converge en loi vers laconstante z0 > 0 et si supK Ñ ((ZK

0 )3) < 1, alors

pour tout T > 0, la suite de processus (ZKt , t 2 [0,T])

converge en loi dans É ([0,T],ë +) vers la fonc-tion déterministe continue (z(t), t 2 [0,T]) solutionde (5).

Dans le cas linéaire, on retrouve l’équation de Mal-thus z0(t) = z(t)(b�d) et dans le cas logistique cellede Verhulst

z0(t) = z(t)(b � d � c z(t)). (6)

Ces deux équations ont des comportements entemps long di↵érents. Dans le cas malthusien et sui-vant le signe de b�d , la solution de l’équation tendvers +1 ou 0, modélisant l’explosion ou l’extinctionde la population. Dans le cas logistique où b�d > 0,la solution converge vers l’équilibre (b � d)/c > 0.La compétition entre les individus entraîne ainsi unerégulation de la taille de la population.La preuve du Théorème 2 est fondée sur un ar-gument de compacité, identification des valeursd’adhérence et unicité de la limite. Donnons-en lesidées principales. On montre que la propriété de

finitude uniforme (en K) des moments d’ordre 3 sepropage dans le temps (uniformément pour t 6 T).En utilisant la structure de martingale (3) du pro-cessus, nous pouvons alors en déduire que les loisdes processus sont uniformément tendues (elleschargent à Í près le même support), et qu’ainsi, parle théorème de Prokhorov (voir [2]), elles sont rela-tivement compactes dans l’ensemble des probabi-lités sur l’espace de trajectoires É ([0,T],ë +). Lessauts de ZK ont l’amplitude 1

K . Ainsi quand K tendvers l’infini, les sauts tendent vers 0 et toute valeurd’adhérence sera continue en temps. Par ailleurs (4)

entraîne que Ñ (|MKt |) 6

Ñ (|MKt |2)

⌘1/2tend vers 0.

Cela justifie le fait que le processus limite est dé-terministe et solution de z(t) = z0 +

R t0 zs (›(zs) �

fi(zs))ds. L’unicité de la solution permet de conclure.On pourra trouver plus de détails de la preuve dansBansaye-Méléard [1, Theorem 3.1].

2.3 – Variations autour du cas critique - Dif-fusions de Feller logistique

Revenons au cas logistique avec l’hypothèse queles taux de naissance et mort hors la compétitionsont égaux à des quantités négligeables près (pourK grand). Plus précisément nous allons supposerque ces taux s’écrivent

›K(n) = n✓

’ +bK

; fiK(n) = n✓

’ +dK+cK(n �1)

, (7)

où ’,b,d ,c > 0 et b > d . Le terme principal du tauxde croissance est donc nul et les paramètres b,d etc caractérisent maintenant une petite perturbationde ce taux de croissance (quand K est grand). Mêmesi le processus de naissance et mort a un compor-tement aléatoire, son approximation quand K!1sur un intervalle de temps fini est constante. Sil’on veut voir les e↵ets de la démographie, il faut at-tendre beaucoup plus longtemps, à savoir un tempsd’ordre Kt.Théorème 3. Supposons que ZK

0 converge en loivers la variable aléatoire Z0 de carré intégrable.Alors, pour T > 0, la suite (ZK

Kt , t 2 [0,T])K convergeen loi, dans É ([0,T],ë +), vers le processus de dif-fusion (Zt , t 2 [0,T]) solution de l’équation di↵éren-tielle stochastique

Zt = Z0 +Z t

0

p

2’Zs dBs +Z t

0Zs(b � d � c Zs)ds, (8)

où B est un mouvement brownien réel. La loi dece processus est caractérisée par l’opérateur de

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di↵usion A défini sur les fonctions de C2b par :

AÊ(z) = ’zÊ00(z) + z(b � d � cz)Ê0(z).

Dans ce cas, le processus limite est un processusaléatoire. En e↵et, il y a tant d’événements de nais-sances et de morts dans cette échelle de temps quela stochasticité ne peut pas complètement dispa-raître à la limite. Le terme

p

2’ZtdBt modélise cettestochasticité démographique. Sa variance 2’Ztdtest proportionnelle à la taille de population renor-malisée. Quand c = 0, nous obtenons l’équation dedi↵usion de Feller.

dZt =p

2’Zt dBt + (b � d)Zt dt. (9)

La preuve de cette convergence est de nouveauconstruite sur un argument de compacité-unicité.L’unicité de la solution de (8) est un corollaire descritères classiques sur les équations di↵érentiellesstochastiques en dimension 1 (cf. [16]). L’identifi-cation de la limite est plus délicate. Donnons-enune idée. Écrivons le générateur infinitésimal de(ZK

Kt , t 2 [0,T]), pour Ê une fonction de classe C2

sur ë +.

LKÊ(z) = Kz2(’ +bK)⇣

Ê(z +1K)�Ê(z)

+ Kz2(’ +dK+cK(Kz �1))

Ê(z � 1K)�Ê(z)

= ’zÊ00(z) + z(b � d � cz)Ê0(z) +O(1/K).

Ce générateur converge (quand K tend vers l’infini)vers le générateur du processus de di↵usion (8). Unthéorème de réprésentation permet de construireun processus de tel générateur sur un espace deprobabilité donné. Pour plus de détails, voir [1],preuve du Théorème 3.2.

Il est à noter que si c,0, le processus (Zt , t>0) so-lution de (8) atteint son point absorbant 0 presquesûrement, quand t tend vers l’infini. En e↵et, il existeune formule explicite de è (T0 < +1) en fonctiondes coe�cients du processus de di↵usion (voir parexemple [11, Chap. VI, Théorème 3.2]) et cette pro-babilité vaut 1 quand c , 0.

2.4 – Comportement en temps long : impor-tance des échelles de temps et detaille.

Nous allons ici nous limiter au cas du processusde naissance et mort logistique (NK

t , t > 0) avec

b > d et c = 1 pour donner des résultats plus ex-plicites. Nous avons deux schémas en tête : le pro-cessus de naissance et mort qui converge presque-sûrement vers 0 quand le temps tend vers l’infini etl’approximation déterministe qui converge vers lalimite finie non triviale z⇤ = b � d . En particulier, leslimites en temps et en taille ne commutent pas. Lesdeux images sont cohérentes, mais cela dépend del’échelle de temps sur laquelle on travaille. En fait,l’approximation déterministe est une approximationtransitoire.Pour le comprendre plus en détail, nous allonsmettre en évidence une phase de quasi-stabilitéde la taille de la population avant son extinction. Lacompréhension d’un tel palier de stabilité est obte-nue en considérant la limite en temps long de la loide la taille de la population conditionnellement àsa stricte positivité au temps d’observation. Remar-quons tout d’abord que puisque T0 est fini presque-sûrement, les événements aléatoires {T0 > t} dé-croissent vers ; quand t tend vers l’infini. Il a étémontré par Van Doorn dans [20] que pour chaqueK 2 ç ⇤ fixé, il existe une unique probabilité flK surç ⇤ telle que pour tous A ⇢ ç ⇤, et z > 0,

limt!+1

èz(NKt 2 A |T0 > t) = flK(A).

Cette probabilité est appelée distribution quasi-stationnaire pour le processus (NK

t , t > 0) et vérifiepour tous A ⇢ ç ⇤ et t > 0

flK(A) = èflK (NKt 2 A |T0 > t) et èflK (T0 > t) = e�‚(K)t .

La loi conditionnelle du processus issu de la distri-bution quasi-stationnaire est invariante et la loi deson temps d’extinction est alors exponentielle. Cesrésultats sont obtenus à partir de l’étude spectraledu semi-groupe (QK

t ) du processus tué en 0, définipar QK

t f (x) = Ñ x(f (NKt );T0 > t), dont e�‚(K)t est la va-

leur propre maximale (simple) et flK est construiteà partir du premier vecteur propre à gauche, voirégalement [8], [17] ou [6] pour une approche plusgénérale.

Très récemment avec Collet et Chazottes, nousavons montré dans [7] que le processus reste untemps très long près de cet équilibre transitoireavant de s’éteindre. Nous obtenons un schémapresque complet des échelles de temps : l’échelle dutemps moyen d’extinction, l’échelle de temps de laconvergence vers la distribution quasi-stationnaireet l’échelle de temps durant laquelle le proces-sus reste proche de l’équilibre rééchelonné [Kz⇤]avec grande probabilité. On montre les résultatssuivants.

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Théorème 4. (i) La mesure flK est proche (à O(1/K)près) d’une loi gaussienne d’espérance [Kz⇤] et devariance Kb.(i) On a èflK (T0 > t) = e�‚(K)t et

Ñ flK (T0) =1

‚(K)

=

p2·pd

(b � d)2pKeK(b�d+d ln(d/b))

1+O⇣ (lnK)3p

K

.

(ii) Considérons t tel que K ln2K ⌧ t ⌧ 1/‚(K).Au temps t, NK

t issu de n = O(K) est nul avec uneprobabilité proche de 1 � ”n(K) ou suit la loi flK

avec une probabilité proche de ”n(K) et ”n(K) =1� (d/b)n +O(1)/K.

L’étude explicite des dépendances en le coe�-cient K est très technique. On montre que ‚(K) ⇡a1pKe�a2K pour des constantes a1,a2 > 0 que l’on

peut calculer et qu’il y a un trou spectral ‚1(K) �‚(K) > 1/ lnK pour le semi-groupe QK , �‚1(K) étantla deuxième valeur propre du générateur associéà Q . En particulier on a ‚(K) ⌧ (‚1(K) � ‚(K)). Lavitesse de convergence de la loi conditionnelle autemps t vers la distribution quasi-stationnaire estdonnée par e�(‚1(K)�‚(K))t . Remarquons que des ar-guments de grandes déviations peuvent permettrede comprendre que le temps moyen d’extinction estde l’ordre de eCK , pour C > 0.Remarque 1. Cette étude des processus de nais-sance et mort est très instructive. Soulignons lesfaits suivants qui permettent d’avoir une idée assezclaire de la situation.(1) Le processus de naissance et mort logistique(NK

t , t > 0) tend presque-sûrement vers 0, pourtoute condition initiale finie O(K).(2) Les limites t!1 et K!1 ne commutent pas.En e↵et, si t 2 [0,T ], la loi du processus renormalisépar 1/K est approché par la solution d’une équationlogistique possédant un unique équilibre z⇤ > 0.(3) Si K ln2K ⌧ t ⌧ 1/‚(K), la loi du processus autemps t peut être proche de sa distribution quasi-stationnaire, qui est proche d’une gaussienne cen-trée en [Kz⇤].

3. Évolution : modèles dediversification d’espèces

Dans le paragraphe précédent, nous avons étu-dié la dynamique d’une unique population où tousles individus sont considérés comme identiques et

montré di↵érents points de vue de modélisation.Il est facilement imaginable de voir comment l’onpeut de même modéliser un nombre fini de sous-populations caractérisées par des types d’individusdi↵érents, en intégrant potentiellement de l’inter-action entre les individus. (Voir par exemple [16] ou[3]). Nous allons ici généraliser notre approche à uncontinuum de types. Cela est motivé par notre butultime, à savoir proposer une classe de modèles,fondée sur les comportements individuels, qui per-mettent de comprendre les mécanismes de l’évolu-tion darwinienne.Darwin, dans son fameux ouvrage « De l’origine desespèces au moyen de la sélection naturelle, ou laPréservation des races favorisées dans la lutte pourla vie », paru en 1859, révolutionne la biologie parsa théorie de l’évolution et de la sélection naturelle.En voici l’essence, extraite de son livre :

Comme il naît beaucoup plus d’individusde chaque espèce qu’il n’en peut sur-vivre et que par conséquent il se produitsouvent une lutte pour la vie, il s’ensuitque tout être qui varie, même légère-ment, d’une façon qui lui est profitable,dans les conditions complexes et quel-quefois variables de la vie, a une plusgrande chance de survivre. Cet être estainsi l’objet d’une sélection naturelle. Envertu du principe si puissant de l’héré-dité, toute variété ainsi choisie aura ten-dance à se multiplier sous sa nouvelleforme modifiée.

Nous allons modéliser les di↵érents mécanismesdécrits par Darwin et faire émerger des phéno-mènes d’évolution, à travers l’apparition et la fixa-tion successives de mutations favorables. Le fon-dement de cette approche consiste à intégrer la di-versité individuelle dans le modèle de naissance etmort que nous avons présenté dans le paragrapheprécédent. Nous supposons que chaque individu estcaractérisé par un vecteur x 2 ë d qui résume demanière quantitative un type génétique ou phéno-typique et qui a↵ecte les taux démographique etd’interaction. Cela peut être par exemple la tailleà la naissance, le niveau d’agressivité, l’aptitude àla prédation, l’âge de la maturité, ou l’ensemble deces caractéristiques. Ce vecteur est classiquementappelé un trait.L’espace des traits X est un sous-ensemble com-pact de ë d (d > 1) et la population est décriteà chaque instant t par le nombre d’individus vi-vant au temps t et par les traits de ces individus.

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À chaque instant, les traits des individus forment unvecteur de ë dN , où N est la taille de la population.Mais cette taille change au rythme des naissanceset des morts et le bon espace dans lequel fairevivre nos processus est l’ensemble des mesurespositives MF (X ) sur X . Soit M le sous-ensemblede MF (X ) des mesures ponctuelles finies, M =n

¥ni=1 ÷xi , n > 0,x1, ...,xn 2 X

o

, où ÷x est la masse deDirac en x. Rappelons que pour toute fonction boré-lienne f sur X , nous avons

R

X fd÷x = f (x).

La dynamique de la population est décrite par leprocessus de Markov (Yt , t > 0) à valeurs dansMdéfini par

Yt =Ntº

i=1

÷Xit, (10)

où la masse Nt de la mesure Yt est le nombre d’indi-vidus vivant au temps t et les éléments du supportX1t , ...,X

Ntt de Yt sont les traits des individus (dansX )

au temps t.

Le processus (Yt , t > 0) est un processus de nais-sance et mort avec mutation et compétition, dontnous pouvons décrire les transitions. Un individude trait x a un taux de reproduction b(x) et un tauxde mort intrinsèque d(x). La pression de compé-tition qu’un individu de trait y exerce sur un indi-vidu de trait x est décrite par le noyau de compéti-tion C(x � y). Ainsi, le taux de mort d’un individu detrait x dans la population fl =

¥Ni=1 ÷xi est donné par

d(x) +¥N

i=1C(x � xi ) = d(x) + C ⇤ fl(x). Remarquonsque les traits les plus favorables à un instant donnéseront ceux qui maximisent le taux de croissancede la sous-population associée. Les traits sont apriori héritables par les descendants qui portentle même trait que leur parent. Toutefois, des mu-tations peuvent se produire dans la transmissiongénétique qui vont perturber cette héritabilité. Nousallons supposer qu’une mutation peut se produire àchaque événement de reproduction d’un individu detrait x avec une probabilité p(x) 2]0,1[. Dans ce casle descendant hérite d’un trait modifié x + h, où hest tiré suivant une loi m(x,h)dh (par exemple uneloi normale centrée en 0).

Par une généralisation naturelle de ce que nousavons vu au chapitre précédent, nous pouvons in-troduire le générateur infinitésimal L du processusde Markov (Yt)t>0. Il est défini pour toute fonction Ê

et toute mesure ponctuelle fl 2M par

LÊ(fl) =N

º

i=1

b(xi )(1� p(xi ))(Ê(fl+ ÷xi )�Ê(fl))

+N

º

i=1

(d(xi ) +C ⇤ fl(xi ))(Ê(fl� ÷xi )�Ê(fl))

+N

º

i=1

b(xi )p(xi )Z

X(Ê(fl+ ÷xi+h)�Ê(fl))m(xi ,h)dh.

(11)

Le premier terme dans (11) capture l’e↵et des nais-sances sans mutation (à la naissance d’un individude trait xi , on ajoute une masse de Dirac ÷xi ), lesecond terme l’e↵et des morts (on retire une massede Dirac ÷xi à la mort d’un individu de trait xi ) etle dernier terme donne l’e↵et des naissances avecmutation.Dans la Figure 1, cas (a–d), nous présentons dif-férentes simulations (issues de [5]) d’un exempleintroduit par Kisdi [14] : le trait x 2 [0,4] est un pa-ramètre de taille, b(x) = 4 � x, d ⌘ 0, C(x � y) =2K

1� 11+1,2 exp(�4(x�y))

et m(x,h)dh est la loi nor-

male N (0,„2). Initialement, il y a K individus demême trait 1,2. La distribution des traits est repré-sentée dans l’image supérieure et celle de la taillede la population dans l’image inférieure. Nous fai-sons croître K dans les figures (a–c). Le cas (d) cor-respond à K grand et petite probabilité de mutation.Dans les cas (e–f), nous supposons que les taux dereproduction et de mort dans la population fl valentrespectivement KŸ+b(x) et KŸ+d(x)+C ⇤fl(x). La loide reproduction est presque critique avec beaucoupde naissances et de morts quand K est grand maisnous supposons par ailleurs que la loi de mutationest une loi normale centrée de variance O(1/KŸ)qui engendre de petits e↵ets de mutation. Cas (e) :Ÿ = 0,5; cas (f) : Ÿ = 1.Nous observons des images extrêmement di↵é-rentes qui sont soit de type déterministe, soit detype stochastique. Ce sont les rapports d’échellesdes paramètres qui changent. Les 3 premières si-mulations illustrent la convergence du processusstochastique renormalisé par 1/K vers l’équationintégro-di↵érentielle avec non linéarité non locale

Åtu(t,x) = ((1� p)b(x)� d(x)�C ⇤ u(t,x))u(t,x)

+Z

b(y)u(t,y)m(y,x)dy, (12)

qui généralise au cas infini-dimensionnel l’équa-tion di↵érentielle ordinaire obtenue au Théorème 2.

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Modélisation aléatoire de la biodiversité

Figure 1 – Simulations issues de Champagnat-Ferrière-Méléard [5]

(a) p = 0,03, K = 100, „ = 0,1. (b) p = 0,03, K = 100000, „ = 0,1. (c) p = 0,00001, K = 3000, „ = 0,1

(d) p = 0,00001, K = 3000, „ = 0,1. (e) p = 0,3, K = 10000, „ = 0,3/KŸ/2, Ÿ = 0,5. (f) p = 0,3, K = 10000, „ = 0,3/KŸ/2, Ÿ = 1.

Les simulations (e) et (f) (de la Figure 1) étudientun cas proche de la criticité. Elles peuvent êtrejustifiées par la convergence du processus discretsoit vers la solution d’une équation de réaction-di↵usion (e), soit vers un processus stochastique àvaleurs mesures (f) qui généralise en dimension in-finie l’équation di↵érentielle stochastique obtenueau Théorème 3. Les preuves de ces convergencesadaptent les preuves des théorèmes 2 et 3 aux pro-cessus à valeurs mesures. Elles consistent en unargument de compacité, identification de la limiteet unicité pour des topologies adaptées, qui sont va-lables sur un intervalle de temps fini [0,T] (voir [1]).

Sur les simulations, nous remarquons que la popu-lation se concentre sur quelques traits ou régionsde l’espace des traits qui optimisent le taux de crois-sance et permettent de prédire l’évolution. Insistonssur le fait que ces objets limites présentent des

propriétés qualitatives très di↵érentes même s’ilssont tous issus du même processus individuel avecune condition initiale concentrée sur un seul trait.Il est donc fondamental de réfléchir aux rapportsd’échelle des paramètres dans le choix de modèleque l’on veut considérer.

4. Le cas des mutations rares

Nous allons nous concentrer sur la justification ma-thématique de la Figure 1 cas (d) qui est la plusétonnante. La simulation est obtenue pour une trèspetite probabilité de mutation et une longue échellede temps. Le processus de saut qui en découle dé-crit en ce cas la succession des fixations de muta-tions favorables et représente l’apparition de paliersévolutifs.

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Comme précédemment, nous introduisons un para-mètre d’échelle K qui permet de décrire le rapportd’échelle des paramètres. Le processus de popula-tion (YK

t , t > 0) est paramétré par K, à travers sacondition initiale YK

0 , la probabilité de mutation pKet le noyau de compétition entre deux individus detraits respectifs x et y, qui vaut C(x�y)/K. Les para-mètres démographiques b et d et le noyau C sontdes fonctions continues sur X et de plus,

infx2X

b(x)� d(x)⌘

> 0 ; infx,y2X

C(x � y) > 0. (13)

Cette hypothèse nous dit que sans compétition,chaque sous-population de trait donné aurait untaux de croissance positif et devrait croître expo-nentiellement, mais sa taille est régulée par la com-pétition.Nous supposons que supK

1K3 Ñ (hYK

0 ,1i3) < +1 etque, quand K tend vers l’infini, 1

K YK0 converge en

loi vers une mesure u0(dx). Nous supposons égale-ment que la probabilité de mutation pK tend vers 0.On peut alors montrer en généralisant la preuve duThéorème 2 à la dimension infinie, que le processus( 1K Y

Kt , t > 0) converge en loi dans É ([0,T],MF (X ))

vers la solution unique de l’équation limite définiesur [0,T] par

Åtu(t,x) = (b(x)� d(x)�C ⇤ u(t,x))u(t,x) ;u(0)(dx) = u0(dx). (14)

Remarquons que sur cette échelle de tempsd’ordre 1, l’e↵et des mutations disparaît. Ainsi, pourpouvoir observer cet e↵et, il faut attendre beau-coup plus longtemps. Nous allons considérer le pro-cessus de population à l’échelle de temps des muta-tions, qui est d’ordre 1/KpK puisque le taux globalde mutations est d’ordre KpK .Avant d’étudier ce processus, revenons à l’équa-tion (14) dans le cas où la condition initiale u0 estune mesure de Dirac ÷x0 . Comme il n’y a pas demutation, toute solution de (14) aura pour sup-port le seul point x0. Ainsi l’équation se réduità l’équation satisfaite par le nombre d’individusnt(x0). Celui-ci satisfait à l’équation (6) avec b =b(x0), d = d(x0) et c = C(0). Nous avons vu quel’unique équilibre stable de cette équation est nx0 =(b(x0)� d(x0))/C(0).Dans le cas où la condition initiale a pour sup-port deux traits x et y, toute solution de (14) aurapour support les seuls points x et y. L’équation (14)se réduit alors aux deux équations satisfaites parles nombres d’individus nt(x) et nt(y) des sous-

populations de traits respectifs x et y. C’est un sys-tème de Lotka-Volterra compétitif8

>

>

<

>

>

:

nt(x) = nt(x) (r(x)�C(0)nt(x)�C(x � y)nt(y)),nt(y) = nt(y) (r(y)�C(y � x)nt(x)�C(0)nt(y))

(15)

où r = b � d est le taux de croissance. L’étude dece système est bien connu et son état d’équilibredépend du signe d’une fonction non symétrique etnulle sur la diagonale, appelée « fitness » d’invasiond’un trait y dans une population résidente de traitx, qui vaut

f (y;x) = b(y)� d(y)�C(y � x)nx

= b(y)� d(y)�C(y � x)b(x)� d(x)C(0)

. (16)

Remarquons que si C est constante, c’est la di↵é-rence des taux de croissance des sous-populationsde trait y et x. Nous savons que si f (x;y) > 0 etf (y;x) < 0, le système converge vers l’équilibre mo-notype (nx ,0) alors que si f (x;y) < 0 et f (y;x) > 0, lesystème converge vers (0,ny). Si les deux valeursde la fonction de fitness sont positives le systèmeconverge vers un équilibre non trivial, ce qui modé-lise la co-existence des deux traits dans la popula-tion.Nous supposons que les paramètres du modèle sa-tisfont à l’hypothèse dite « d’Invasion implique Fixa-tion » (IIF) caractérisée par :

pour toutx 2 X ,pour presque touty 2 X ,f (y;x) < 0 ou

f (y;x) > 0 et f (x;y) < 0⌘

. (17)

Sous cette hypothèse, nous ne pouvons pas avoirco-existence des deux traits et si des individus detrait y existent à la limite, il n’y a plus d’individusde trait x. On dit que le trait y s’est fixé dans lapopulation.

Nous allons faire de plus une hypothèse de sé-paration d’échelles de temps. Pour toute constanteV > 0, nous supposons que

lnK⌧ 1KpK

⌧ eVK . (18)

Cette hypothèse sera expliquée dans les idées depreuve du Théorème 5, dû à Champagnat [4].Théorème 5. Supposons que YK

0 = NK0 ÷x0 soit

tel que NK0 /K converge en loi vers nx0 et que

supK Ñ ((NK0 /K)

3) < +1. Sous les hypothèses (13),(17) et (18), le processus ( 1K Y

Kt/KpK

, t > 0) convergeen loi, au sens des marginales de dimension fi-nie, vers le processus à valeurs mesures (Vt =

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Modélisation aléatoire de la biodiversité

nXt÷Xt ), t > 0), où (Xt , t > 0) est un processus à va-leurs dans X , constant par morceaux, issu de x0,qui saute de x à x +h, pour h choisi suivant la distri-bution m(x,h)dh, au taux

b(x)nx[f (x + h;x)]+b(x + h)

.

(Cette convergence signifie que pour tous temps0 < t1 < · · · < tp, le vecteur des valeurs du processus1K Y

K./KpK

en ces temps fixés converge vers le vecteurdes coordonnées du processus limite pris sur cesmême temps).

Le processus Vt a des trajectoires constantes parmorceaux qui ne chargent à chaque instant t qu’unseul trait. Il représente les invasions successivesde mutations avantageuses au cours de l’évolution.Pour le voir, nous avons dû nous placer sur l’échellede temps très longue des mutations rares t/KpK . Sadynamique est résumée par les deux images de lasimulation Figure 1 cas (d). La figure du haut montrela succession des valeurs de traits (les mutationsavantageuses) et celle du bas les tailles de popula-tion correspondantes. Le processus (Xt , t > 0) décritle support de (Vt , t > 0) à chaque instant t. Il a étéintroduit heuristiquement dans Metz et al. [18] etétudié rigoureusement dans [4]. Il est appelé « TraitSubstitution Sequence ».

Donnons quelques éléments de preuve.

Probabilité et temps d’invasion et de fixation.Comme étape intermédiaire, nous étudions le sortd’un individu nouvellement muté de trait y dansune population résidente monotype de trait x. Noussupposons que le trait y est avantageux, au sensoù la fitness d’invasion f (y;x) définie dans (16) eststrictement positive. La taille Nx,K de la populationrésidente de trait x est proche de son équilibre Knx(cela est justifié au paragraphe précédent). La Fi-gure 2 (due à N. Champagnat) illustre l’invasionet la fixation d’un trait y dans une population detrait x proche de son équilibre. Les courbes oscil-lantes représentent les processus stochastiques etles courbes en pointillé qu’elles suivent sont don-nées par le système dynamique.

Figure 2 – Invasion et fixation du trait y

-

6

0

Kny

Knx

t1 t2 t3 t

Ny,K

Nx,K

Pour quantifier la probabilité d’invasion et le tempsde fixation du mutant, nous allons décomposerl’invasion-fixation du mutant y en plusieurs étapes,en introduisant de manière arbitraire un seuil Ÿ > 0qui va tendre vers 0. Durant la première phase(entre les temps 0 et t1 de la Figure 2), Ny,K est trèspetit par rapport à Nx,K et sa dynamique est trèsstochastique. Il peut être approché par un proces-sus de naissance et mort linéaire issu d’un individuet de taux respectifs b(y) et d(y) + C(y � x)nx , aumoins jusqu’à ce qu’il atteigne le seuil ŸK signifiantqu’il a atteint l’ordre K. Quand K tend vers l’infini,la probabilité pour Ny,K d’atteindre ŸK est approxi-mativement égale à la probabilité de survie de ceprocessus. Nous avons vu précédemment (calculfaisant suite au Théorème 1) que celle-ci est don-née par

P(y;x) =f (y;x)b(y)

=b(y)� d(y)�C(y � x)nx

b(y). (19)

Il est par ailleurs connu (cf. par exemple [16,Chap. 5.4.4]) que pendant cette première phase,l’espérance de Ny,K au temps t vaut ef (y;x) t . Ainsile temps nécessaire à atteindre le seuil KŸ sera del’ordre lnK/f (y;x). Quand Ny,K atteint le seuil KŸ,la seconde phase commence, pendant laquelle leprocessus (Nx,K ,Ny,K) est d’ordre K et reste prochedu système dynamique (15) (à K près). La trajec-toire déterministe atteint son équilibre (0,ny) enun temps d’ordre 1 puisque par (17), f (y;x) > 0entraîne f (x;y) < 0. Au bout d’un temps d’ordre 1,la taille Nx,K de la sous-population de trait x (quisuit nx(t)) atteint le seuil KŸ (au temps t2 de la Fi-gure 2). La troisième phase commence alors et Nx,K

peut être approché par un processus de naissanceet mort linéaire de taux b(x) et d(x) + C(x � y)ny .Comme f (x;y) < 0 par (17), ce processus est sous-critique et il atteint 0 presque-sûrement, après untemps moyen Ñ ŸK [T0] 'K!1 lnK/ |f (x;y)| (cf. Propo-sition 1 ou [16, Chap. 5.5.3]). En sommant, nous

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 17

Page 20: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

obtenons que le temps de fixation du mutant avan-tageux y dans la population résidente de trait x estd’ordre

Tf ix = lnK✓ 1f (y;x)

+1

|f (x;y)|◆

. (20)

Le processus de saut. L’idée principale est la sui-vante : si les mutations sont rares, la sélection ale temps d’éliminer les traits délétères ou de fixerles traits avantageux avant qu’un nouveau mutantarrive. On peut alors combiner les résultats pré-cédents. Par le principe de grandes déviations (cf.Freidlin-Wentzell [10]), le temps pour le processusrenormalisé de quitter un voisinage de son équilibredéterministe est plus grand que exp(VK), pour toutV > 0, avec grande probabilité. Ainsi sous l’hypo-thèse (18) et si la population résidente est mono-type de trait x, le premier mutant apparaîtra avecgrande probabilité avant que le processus renorma-lisé ne quitte le voisinage de nx . Supposons que cemutant soit de fitness (16) positive. Son temps defixation est donné par (20) et du fait de lnK⌧ 1

KpK(hypothèse (18)) , la phase de compétition, stabili-sation de la population y et disparition de la popu-lation x aura lieu avant l’apparition d’une nouvellemutation avec grande probabilité. En utilisant l’as-pect markovien du processus, nous pourrons réité-rer les arguments et obtenir de proche en proche lessauts successifs d’un mutant avantageux à l’autre.Tant que le processus renormalisé Nx,K/K resteproche de nx , le taux de mutation d’un individude trait x est proche de pK b(x)Knx . À l’échelle detemps t

KpK, il vaudra approximativement b(x)nx . La

probabilité de survie de la population mutante estdonnée par (19). Nous obtenons ainsi le processus(Vt , t > 0) décrit dans l’énoncé du Théorème 5.

5. Généralisations possibles

Le modèle que nous avons présenté est trèssimple et les généralisations sont multiples, le butétant de se rapprocher de plus en plus de modèlesréalistes. Nous allons en mentionner quelques-unes.Structure d’âge. Nous avons supposé que les pa-ramètres démographiques ne dépendent que dutype génétique de l’individu. Mais il est souvent im-portant de prendre en compte l’âge de l’individuet de modéliser l’e↵et de l’âge sur la dynamique(ralentissement de la reproduction, mort plus pro-bable). Dans ce cas le processus n’est plus mar-

kovien car l’information s’accumule au cours dutemps. (cf. Tran [19]).

Structure spatiale. Tous les résultats mentionnésprécédemment concernent des populations sansstructure spatiale. Cependant, à l’échelle d’une es-pèce entière les individus sont souvent organisésen communautés, reliées entre elles par des mi-grations. À défaut de sous-populations clairementidentifiables, il peut être important de tenir comptedu fait que deux individus éloignés ont tendanceà interagir beaucoup moins que ne le font deuxvoisins. Le modèle précédent doit alors être mo-difié en conséquence et des outils mathématiquesplus complexes sont nécessaires pour prendre encompte le caractère local de l’évolution. Dans [15],Leman introduit la structure spatiale et montre laco-adaptation en trait et en espace à travers l’évo-lution des lieux de vie des espèces considérées enmême temps que l’évolution de leurs traits.

Communautés. Nous avons vu dans l’introductionque les écosystèmes sont des sytèmes d’interac-tions complexes qui évoluent conjointement. DansCosta et al. [9], nous étudions la co-évolution de ladéfense des proies et de la préférence des préda-teurs et nous montrons que les prédateurs doivents’adapter su�samment vite à l’évolution des proies,faute de quoi ils disparaîtront. Dans la Figure 3, lestraits de défense des proies sont en rouge et lestraits de préférence des prédateurs sont en noir. Lesprédateurs peuvent consommer des proies si leurtrait de préférence coïncide avec celui des proies.Les deux images de gauche montrent des simula-tions dans une asymptotique de grande populationet mutations rares (même type de figure que Fi-gure 1 (d)), mais avec possibilité de co-existence deplusieurs espèces. Dans la figure de gauche, les pré-dateurs ne s’adaptent pas alors que les espèces deproies se diversifient, avec des types de défense queles prédateurs ne reconnaissent pas. La populationde prédateurs ne trouvant plus de proies adaptéesà sa préférence finit par disparaître. Dans la figuredu milieu, l’évolution des prédateurs suit assez ra-pidement celle des proies et l’on observe une co-évolution de la communauté proie-prédateur. Cetteco-évolution est une sorte de course à l’armemententre les espèces, plus connue sous le nom de théo-rie de la reine rouge, tirant son nom d’un épisoded’Alice au Pays des merveilles où Alice et la reinerouge se lancent dans une course e↵rénée pourrester à la même place. La figure de droite résumecette co-évolution.

18 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 21: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Modélisation aléatoire de la biodiversité

Figure 3 – Exemples de co-évolution

Temps

Tra

it p

roie

ou

pré

da

teu

r

Temps

Tra

it p

roie

ou

pré

da

teu

r

Mentionnons pour finir une application dans le do-maine de la santé concernant l’évolution phénoty-pique de certaines cellules tumorales. Sous l’e↵etde l’attaque de lymphocytes, les cellules s’adaptenten augmentant leur résistance aux attaques par

une diminution de leur visibilité ou une augmenta-tion de la division cellulaire. Une immunothérapiee�cace doit prendre en compte l’évolution des phé-notypes.

Références

[1] V. Bansaye et S. Méléard. « Stochastic models for structured populations ». Mathematical Biosciences Institute LectureSeries. Springer edition (2015).

[2] P. Billingsley. Convergence of probability measures. Second. Wiley Series in Probability and Statistics: Probability andStatistics. A Wiley-Interscience Publication. John Wiley & Sons, Inc., New York, 1999, p. x+277.

[3] P. Cattiaux et S. Méléard. « Competitive or weak cooperative stochastic Lotka–Volterra systems conditioned on non-extinction ». Journal of mathematical biology 60, no 6 (2010), p. 797–829.

[4] N. Champagnat. « A microscopic interpretation for adaptive dynamics trait substitution sequence models ». Stochasticprocesses and their applications 116, no 8 (2006), p. 1127–1160.

[5] N. Champagnat, R. Ferrière et S. Méléard. « Unifying evolutionary dynamics: from individual stochastic processes tomacroscopic models ». Theoretical population biology 69, no 3 (2006), p. 297–321.

[6] N. Champagnat et D. Villemonais. « Exponential convergence to quasi-stationary distribution and Q-process ». ProbabilityTheory and Related Fields 164, no 1-2 (2016), p. 243–283.

[7] J.-R. Chazottes, P. Collet et S. Méléard. « Sharp asymptotics for the quasi-stationary distribution of birth-and-deathprocesses ». Probability Theory and Related Fields 164, no 1-2 (2016), p. 285–332.

[8] P. Collet, S. Martinez et J. San Martin. « Quasi-stationary distributions: Markov chains, di↵usions and dynamicalsystems ». Probability and its Applications (2013).

[9] M. Costa et al. « Stochastic eco-evolutionary model of a prey-predator community ». Journal of mathematical biology72, no 3 (2016), p. 573–622.

[10] M. I. Freidlin et A. D.Wentzell. Random Perturbations of Dynamical Systems. Springer, 1984.

[11] N. Ikeda et S.Watanabe. Stochastic di↵erential equations and di↵usion processes. Second. 24. North-Holland Mathema-tical Library. North-Holland Publishing Co., Amsterdam; Kodansha, Ltd., Tokyo, 1989.

[12] J. F. Kingman. « On the genealogy of large populations ». Journal of Applied Probability 19, no A (1982), p. 27–43.

[13] J. F. C. Kingman. « The coalescent ». Stochastic processes and their applications 13, no 3 (1982), p. 235–248.

[14] E. Kisdi. « Evolutionary branching under asymmetric competition ». Journal of Theoretical Biology 197, no 2 (1999),p. 149–162.

[15] H. Leman. « Convergence of an infinite dimensional stochastic process to a spatially structured trait substitutionsequence ». Stochastics and Partial Di↵erential Equations: Analysis and Computations 4, no 4 (2016), p. 791–826.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 19

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Mathématiques

[16] S. Méléard. Modèles aléatoires en Ecologie et Evolution. Springer, 2016.

[17] S. Méléard, D. Villemonais et al. « Quasi-stationary distributions and population processes ». Probability Surveys 9(2012), p. 340–410.

[18] J.Metz et al. « Adaptive dynamics, a geometrical study of the consequences of nearly faithful reproduction ». Stochasticand spatial structures of dynamical systems (ed. SJ van Strien & SM Verduyn Lunel) (1996), p. 183–231.

[19] V. C. Tran. « Large population limit and time behaviour of a stochastic particle model describing an age-structuredpopulation ». ESAIM: Probability and Statistics 12 (2008), p. 345–386.

[20] E. A. Van Doorn. « Quasi-stationary distributions and convergence to quasi-stationarity of birth-death processes ».Advances in Applied Probability 23, no 4 (1991), p. 683–700.

Sylvie Méléard

École polytechnique

Sylvie Méléard est professeur de mathématiques appliquées. Son domaine principal de recherche concerneles processus stochastiques et leurs applications, en particulier à l’étude des sciences du vivant. Ellecoordonne la chaire de formation et de recherche « Modélisation mathématique de la biodiversité » quiréunit de nombreux chercheurs mathématiciens et biologistes autour des problématiques d’écologie etévolution.

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Vol. 8 (nouvelle impression)Dynamique et géométrie complexesD. CERVEAU, É. GHYS, N. SIBONY et J.-C. YOCCOZ

(notes rédigées par M. FLEXOR)

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La théorie des systèmes dynamiques holomorphes a connu un regain d’activité en particulier autour de l’étude fine des ensembles de Julia des polynômes ou des fractions rationnelles en une variable complexe. Parallè-lement, des théories voisines se sont développées de manière importante pendant la même période, comme par exemple l’étude qualitative des équations différentielles dans le domaine complexe. La session « État de la recherche » qui s’est tenue en 1997 se proposait de faire le point sur ce genre de problèmes. Ce volume contient

la rédaction des conférences présentées lors de cette session, destinées aux étudiants ou aux mathématiciens non spécialistes. L’article de D. Cerveau décrit la structure des équations différentielles polynomiales dans le plan complexe en insistant sur l’analyse locale au voisinage des singularités. Le deuxième article, par É. Ghys, propose un survol de la théorie des laminations par surfaces de Riemann qui interviennent dans de nombreux problèmes de dynamique ou de géométrie. N. Sibony s’attache à décrire la généralisation de la théorie de Fatou et Julia aux applications polynomiales ou rationnelles en dimension complexe au moins 2. Enfin, la conférence de J.-C. Yoccoz, rédi-gée par M. Flexor, considère les polynômes de degré 2 en une variable complexe et se consacre en particulier aux propriétés hyperboliques de ces polynômes, autour du théorème de Jakobson.

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Structures de contact vrillées, d’après Borman-Eliashberg-Murphy

Structures de contact vrillées,d’après Borman-Eliashberg-Murphy

• S. Courte

1. La géométrie de contact auquotidien

Je vais d’abord tenter de vous convaincre quevous êtes confrontés quotidiennement à la géomé-trie de contact. Considérons une mathématicienneau volant d’une voiture, ou si vous préférez, au gui-don d’une bicyclette, qui se déplace. Vous observe-rez que, à tout instant, son vecteur vitesse est dansla direction de son véhicule. Si ce n’est pas le cas,elle est en train de déraper et l’histoire pourrait malfinir. Son mouvement est ainsi contraint : alors quel’espace des configurations du véhicule est de di-mension trois (deux pour la position et un pour la di-rection), elle n’a que deux degrés de liberté (avanceret tourner les roues) pour se déplacer infinitésimale-ment (la modélisation serait meilleure avec un mo-nocycle mais cela disqualifierait la plupart d’entrenous). Géométriquement, cela signifie que l’espacedes configurations du véhicule est naturellementmuni d’un champ de plans. L’exemple de champ deplans le plus facile à imaginer est celui constituépar les plans tangents à un feuilletage, c’est-à-direune partition par des surfaces, localement commeë 3 =

F

z2ë ë 2⇥{z}. Si vous souhaitez vous déplacerdans ë 3 avec la contrainte infinitésimale de se dé-placer de façon tangente à ce champ de plans, vousresterez piégé dans une tranche ë 2 ⇥ {z}. Ce n’estpas le cas de notre véhicule, on se convainc facile-ment que l’on peut visiter tout l’espace des configu-rations en se déplaçant depuis n’importe quel pointen respectant cette contrainte. Je dirai même plus,n’importe quel chemin dans l’espace des configura-tions peut-être approché par une vraie trajectoirede véhicule. Autrement dit, on peut faire un créneaudans un espace arbitrairement petit si l’on s’y prendbien. On parle de non-intégrabilité pour désignercette propriété géométrique particulière du champde plans. Donnons maintenant quelques formulespour exprimer tout cela. Tout d’abord l’espace desconfigurations peut s’écrire :

ë 2 ⇥ë /2·ô ,

où un point (x,y,⁄) représente le véhicule au point(x,y) et dans la direction faisant un angle ⁄ avecl’horizontale (voir figure 1).

Figure 1 – Un véhicule simplifié

Ensuite, un déplacement infinitésimal (÷x,÷y,÷⁄) duvéhicule au point (x,y,⁄) n’est pas un dérapage siet seulement si

sin(⁄)÷x � cos(⁄)÷y = 0.

Avec le langage des formes di↵érentielles, le champde plans s’écrit donc

‡ = ker(sin(⁄)dx � cos(⁄)dy).

Observez que les plans tournent lorsqu’on fait va-rier ⁄ (voir figure 2).

©Pa

trickMas

sot

Figure 2 – Une structure de contact. Lesplans tournent autour des droites verticaleslorsque l’on fait varier ⁄

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 21

Page 24: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

Sur une variété de dimension trois quelconqueappelons structure de contact tout champ de planslocalement équivalent à celui ci-dessus. C’est justi-fié par un théorème de Darboux-Pfa↵ : un champ deplans non-intégrable (qui tourne infinitésimalementen chaque point) est localement isomorphe à cemo-dèle. À ce titre la géométrie de contact est radicale-ment di↵érente de la géométrie riemannienne : il n’ya pas de notion de courbure (puisque c’est toujourslocalement la même chose). On ne peut pas nonplus mesurer la distance entre deux points, il n’y apas de notion de géodésique. Par contre, il y a uneclasse de courbes particulières, celles qui sont tan-gentes à ‡ en chaque point ; on les appelle courbeslegendriennes. C’est le cas d’une trajectoire du vé-hicule dans ë 2 ⇥ë /2·ô . En fait, on observe plutôtla projection dans le plan (x,y), qui présente en gé-néral des points de rebroussement, indispensablespour un créneau réussi (voir figure 3).

©Figure 3 – La voiture bleue se gare dans lafile de voiture rouge. La trajectoire noire ap-proche la trajectoire idéale rouge, c’est lecréneau en théorie

La question qui nous occupe ici est une ques-tion que les mathématiciens aiment bien, celle dela classification : quelles variétés portent une struc-ture de contact? Combien à isomorphisme près?Une avancée majeure sur ces questions a été réa-lisée par Borman, Eliashberg et Murphy dans l’ar-ticle [2] publié dans le journal Acta Mathematicaen 2015. Je vais tenter de vous en donner une idéedans la suite de ce texte.

2. En dimension supérieure

On savait déjà beaucoup de choses sur la clas-sification des structures de contact en dimensiontrois. Malheureusement pour la simplicité de cetexte, le théorème de Borman-Eliashberg-Murphytraite le cas des dimensions supérieures. Un petitsaut en abstraction permet de donner des exemplesde structures de contact en dimension cinq, sept, ...(ça ne peut exister qu’en dimension impaire) dansle prolongement naturel de l’exemple de la sec-tion précédente. Pour cela, considérons une variétéM de dimension n et l’ensemble ST⇤M des hyper-plans coorientés tangents àM. Un élément de ST⇤M

consiste alors en un point m 2 M, un hyperplan Hde l’espace tangent TmM et une orientation de ladroite quotient TmM/H. Par dualité on peut aussivoir ST⇤M comme l’ensemble des covecteurs tan-gents non nuls (le fibré cotangent privé de sa sec-tion nulle) modulo multiplication par un nombreréel strictement positif. L’espace ST⇤M est une va-riété de dimension 2n � 1, munie d’une projection· : ST⇤M ! M dont les fibres sont des sphères dedimension n � 1. Par analogie avec l’exemple duparagraphe précédent, pensons à un hyperplan tan-gent comme un objet qui se déplace sur M avecla contrainte naturelle selon laquelle son vecteurvitesse appartient à lui-même à tout instant. Lechamp d’hyperplans ‡ sur ST⇤M exprimant cettecontrainte a donc pour équation

‡ = ker(p �d·)

au point p 2 ST⇤M, interprété ici comme un covec-teur. Dans le cas où M = ë 2, on retrouve l’espacedes configurations du véhicule. Localement prèsd’un point de ST⇤M, on peut trouver des coordon-nées q1, . . . ,qn ,y1, . . . ,yn�1 telles que

‡ = ker(dqn +n�1º

i=1

yidqi ).

Une structure de contact sur une variété (de di-mension impaire) est un champ d’hyperplans loca-lement isomorphe à celui ci-dessus.

3. Le h-principe de Gromov

Le problème de construction et de classificationà déformation près des structures de contact rentredans un cadre très général formulé par Gromov.Voyons comment. Sur une variété V de dimension2n +1, un champ d’hyperplans ‡ donné localementcomme le noyau d’une 1-forme di↵érentielle ” estune structure de contact si et seulement si

”^ (d”)n , 0

en tout point de V . C’est la condition infinitésimalede non-intégrabilité. Dans des coordonnées locales(x1, . . . ,x2n+1), ” s’écrit

” =2n+1º

i=1

”idxi

22 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 25: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Structures de contact vrillées, d’après Borman-Eliashberg-Murphy

et la condition ci-dessus s’écrit

º

k,i1,j1,...,in ,jn

”kÅ”i1Åxj1

· · · Å”inÅxjn

dxk ^dxj1 ^dxi1

· · ·^dxjn ^dxin , 0.

Retenons simplement que c’est une condition ou-verte sur les ”i et leurs dérivées premières. Trou-ver une structure de contact ‡ sur V , c’est doncrésoudre un système d’inéquations aux dérivéespartielles (non linéaires). Cela semble di�cile engénéral mais dans un certain nombre de situationsintéressantes, cela se réduit à un problème homo-topique (pas nécessairement facile à résoudre maisque l’on peut confier à un collègue topologue algé-briste) : dans ce cas on dit que le h-principe s’ap-plique. Gromov ne s’est pas contenté de formulerce principe, il a donné des méthodes pour en éta-blir la validité dans de nombreuses situations. Lesrésultats de Gromov impliquent par exemple que leh-principe est valide dans le cas qui nous occupepour les variétés ouvertes, c’est-à-dire dont aucunecomposante connexe n’est compacte sans bord. Cen’est pas en observant longuement l’équation ci-dessus que l’on établit ce théorème puisqu’en faitla forme particulière de l’équation importe peu : ilsu�t que la condition soit ouverte et invariante pardi↵éomorphisme (voir [13, 15]).

Voici une vague idée de démonstration s’ap-puyant sur le lemme d’approximation holonome dûà Eliashberg-Mishachev (voir le livre [10]). On com-mence par trianguler la variété V . La réunion dessimplexes de dimension inférieure ou égale à 2nconstitue le squelette de codimension 1, notons-le Œ. Du fait que la variété V est ouverte, elle peutse rétracter continûment (par isotopie) sur un voisi-nage arbitrairement petit de Œ. Voyons pourquoi.D’une part, un simplexe privé de son centre serétracte sur son bord simplement en suivant lesrayons depuis le centre. D’autre part, on peut tra-cer dans V des chemins disjoints depuis les centresdes simplexes de dimension 2n + 1 jusqu’à l’infini(ou jusqu’au bord de V) et rétracter V le long deceux-ci pour envoyer V dans le complémentaire descentres de chaque simplexe de dimension 2n+1. Lafigure 4 illustre ce procédé dans le cas où V est undisque muni d’une triangulation.

Figure 4 – Le procédé de rétraction sur unvoisinage du squelette de codimension 1.En pointillés : les arcs disjoints joignant lescentres des faces au bord (figure de gauche)et les rayons émanant du centre de chaqueface (figure du milieu)

Ensuite, il s’agit de construire une structure decontact sur un voisinage de Œ. Remplaçons ici ceproblème par un autre, plus simple à visualiser maisprésentant les mêmes caractéristiques : des condi-tions ouvertes sur une fonction et ses dérivées pre-mières. Pour tout ◊ > 0, on cherche une fonctionf : [0,1]⇥ë ! ë de classe C1 telle que

ÅfÅx

< ◊,�

ÅfÅy

< ◊ et |f (x,y)� x| < ◊.

Le théorème des accroissements finis nous em-pêche de trouver f quand ◊ est trop petit, et cemême en restriction à [0,1]⇥ {0} :

|f (1,0)� f (0,0)| 6 1⇥ sup�

ÅfÅx

6 ◊ et

|f (1,0)�f (0,0)| > |1�0|�|f (1,0)�1|�|f (0,0)�0| > 1�2◊.Par contre, au voisinage par exemple du graphe dehN : [0,1]! ë , donnée par

hN (x) =1pNsin(2·Nx)

avec N entier assez grand, cela devient possible.Pour s’en convaincre, on peut penser au graphe{z = x} comme une montagne qu’un randonneursouhaite franchir doucement, c’est-à-dire par unchemin où la pente est toujours < ◊ (voir figure 5).

Figure 5 – Le randonneur opte pour un che-min sinueux mais moins raide

?

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 23

Page 26: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

Bien entendu la démonstration du lemme d’ap-proximation holonome est plus di�cile mais l’idéeessentielle est là. Si l’on ne peut pas directementconstruire une structure de contact au voisinagede Œ, on pourra le faire après avoir fait osciller for-tement Œ (par isotopie) dans la direction transverse(voir figure 6).

Figure 6 – Le squelette Œ avant et après l’os-cillation

Enfin, on étend la structure de contact à V toutentier en tirant en arrière par une rétraction sur unvoisinage de ce Œ oscillant ; c’est ici qu’intervientl’invariance par di↵éomorphisme.

Attention, ceci n’implique pas que toute variétéouverte admet une structure de contact. Commedit plus haut, le h-principe résout le problème àcondition de savoir résoudre le problème homoto-pique sous-jacent. Ici il s’agit d’étudier les champsd’hyperplans munis de formes bilinéaires antisy-métriques non dégénérées (d”|‡ dans le cas d’unestructure de contact ‡ = ker”). On appelle cela unestructure presque de contact. Déterminer si une va-riété admet une structure presque de contact ousi deux structures presque de contact sont homo-topes est un problème que l’on peut résoudre defaçon systématique moyennant la connaissance dufibré tangent et de certains groupes d’homotopie.On verra un exemple plus loin, mais notons déjàqu’il existe des variétés sans structure presque decontact et nous ne pourrons donc rien faire pourelles.

Le h-principe est valide aussi dans une versionà paramètres et donne ainsi l’unicité à déformationprès de la structure de contact obtenue, voici unénoncé.Théorème 1 (Gromov 69). Sur une variété ouverte,

1. toute structure presque de contact est homo-tope à une structure de contact ;

2. deux structures de contact homotopes parmiles structures presque de contact sont homo-topes parmi les structures de contact.

4. Le théorème deBorman-Eliashberg-Murphy

Le théorème de Gromov ci-dessus ne dit rienau sujet des variétés compactes sans bord. En fait,le deuxième point de l’énoncé ci-dessus est fauxen général, et ce déjà sur la sphère S5. Pour levoir commençons par demander à la collègue detopologie algébrique combien S5 admet de struc-tures presque de contact à homotopie près. Ellenous répond « une seule, car le fibré tangent de S5

est stablement trivial et ·5(SO(6)/U(3)) = 0 » etnous la remercions. Passons maintenant aux struc-tures de contact authentiques. Il y en a une bienconnue : considérons S5 comme la sphère unité deÇ3, dans chaque espace tangent à S5 se trouveun hyperplan canonique ‡ qui est le sous-espacevectoriel complexe maximal. On peut vérifier par lecalcul que c’est une structure de contact : ‡ est lenoyau de la forme di↵érentielle ” =

¥

xidyi � yidxi(en e↵et,

¥

xidxi + yidyi = 0 est une équation del’espace tangent à S5 et on obtient �” en com-posant cette forme di↵érentielle par l’opérateurde multiplication par i) et d” =

¥

dxi ^ dyi vérified”(v, iv) > 0 pour tout v 2 Çn \ {0} (en particulier,d”|‡ est non dégénérée). Cette dernière conditiontraduit la pseudoconvexité de la sphère et fournitau passage un exemple du lien important entre géo-métrie de contact et convexité holomorphe. Pourobtenir d’autres structures de contact, considéronsS5, suivant Brieskorn [4], comme l’intersection dela sphère unité avec une hypersurface singulière deÇ4. Explicitement, pour tout p > 2, l’ensemble

{zp1+z22+z23+z24 = 0, |z1|2+|z2|2+|z3|2+|z4|2 = 1} ⇢ S7

est une sous-variété di↵éomorphe à S5, et commeprécédemment, le champ des tangences complexesest une structure de contact. On a ainsi, pourchaque p > 2, une structure de contact ‡p sur S5.Il se trouve qu’elles sont non isomorphes deux àdeux. C’est un résultat hautement non trivial ob-tenu par Ustilovsky en 1999 (voir [18]) et qui futl’un des premiers succès de l’homologie de contact,un invariant moderne introduit par Eliashberg, Gi-vental et Hofer dans [9]. Le h-principe n’est doncpas valide pour les structures de contact sur lesvariétés compactes sans bord. Ceci fut établi en faitbien avant en dimension trois : Bennequin donna en1983 des structures de contact non isomorphes surS3 (voir [1]). Ce travail de Bennequin est d’ailleurssouvent considéré comme l’acte de naissance de latopologie de contact. En 1989, Eliashberg a établi

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Structures de contact vrillées, d’après Borman-Eliashberg-Murphy

la validité du h-principe pour une classe de struc-tures de contact en dimension trois. Une structurede contact ‡ sur une variété de dimension trois estdite vrillée s’il existe un disque plongé D qui soittangent à ‡ en son centre et le long de son bord(voir figure 7).

©Pa

trickMas

sot

Figure 7 – Un disque vrillé en dimension trois

Eliashberg obtient dans [8] le résultat suivant.

Théorème 2 (Eliashberg 1989). Sur une variété dedimension trois,

1. toute structure presque de contact est homo-tope à une structure de contact vrillée ;

2. deux structures de contact vrillées et ho-motopes parmi les structures presque decontact sont homotopes parmi les structuresde contact vrillées.

Il est assez remarquable que la simple présencedu disque vrillé dans la variété rende la structurede contact flexible. Les structures de contact endimension trois sont depuis lors classées en deuxespèces : les structures vrillées et les autres, ditestendues. Ces dernières sont certainement plus mys-térieuses du point de vue de la topologie de contact.Leur classification est plus di�cile, elle ne se réduitpas à un problème homotopique. On parle de phéno-mènes de rigidité par opposition au monde flexibledes structures vrillées. Comme évoqué précédem-ment, la classification est tout de même possiblesur quelques variétés comme S3, T3 et les espaceslenticulaires par exemple, par des méthodes spéci-fiques à la dimension trois, développées par Giroux(voir [12, 14]). On dispose aussi d’une classificationgrossière permettant notamment de savoir danscertains cas si les structures de contact tenduessont en nombre fini ou infini (voir [7]).

L’étude des phénomènes de rigidité, notammentpar la méthode des courbes holomorphes introduitepar Gromov et utilisée par exemple dans le théo-rème d’Ustilovsky évoqué ci-dessus, a occupé laplupart des topologues de contact jusqu’à très ré-cemment. L’éventualité que le théorème d’Eliash-berg ci-dessus se généralise en dimension supé-rieure était bien sûr envisagé mais semblait horsd’atteinte. Une partie de la di�culté est de de trou-ver la bonne définition de structure de contactvrillée en dimension supérieure. Plusieurs propo-sitions avaient été faites auparavant notammentpar Giroux et Niederkrüger avec des heuristiquesconvaincantes (voir [17]) mais sans pouvoir démon-trer le théorème. On connaissait peu de chosessur la question même de l’existence des struc-tures de contact. Par exemple, c’est seulementen 2002 que l’existence de structures de contactsur les tores de dimension impaire fut démontréepar Bourgeois (voir [3]).

C’est à partir de 2012 que la flexibilité en géomé-trie de contact regagne du terrain : Casals, Pancholiet Presas démontrent l’existence d’une structure decontact dans chaque classe d’homotopie de struc-ture presque de contact sur toutes les variétés dedimension cinq (voir [6]). Borman, Eliashberg et Mur-phy réalisent ainsi une avancée majeure avec lethéorème suivant.Théorème 3 (Borman-Eliashberg-Murphy 2015).Sur une variété,

1. toute structure presque de contact est homo-tope à une structure de contact vrillée ;

2. deux structures de contact vrillées et ho-motopes parmi les structures presque decontact sont homotopes parmi les structuresde contact vrillées.

La définition de structure de contact vrillée don-née par Borman, Eliashberg et Murphy est de laforme suivante : une structure de contact en dimen-sion 2n+1 est vrillée s’il existe un plongement (lissepar morceaux) d’un disque de dimension 2n au voi-sinage duquel la structure de contact se conformeà un modèle précis. Contrairement à la dimensiontrois, ce modèle précis est di�cile à expliquer caril dépend de façon cruciale du schéma de la dé-monstration. Peu de temps après, Casals, Murphy etPresas ont montré dans [5] que cette définition estéquivalente aux propositions faites auparavant parNiederkrüger et Giroux. On dispose donc mainte-nant de critères relativement simples pour assurerqu’une variété est vrillée.

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Mathématiques

5. Conclusion

Le point de départ de la démonstration du théo-rème est l’application du théorème de Gromov :sur le complémentaire d’une boule de la variété(c’est une variété ouverte !), il existe une structurede contact. Il s’agit ensuite d’étendre à la boule lastructure de contact obtenue près de son bord. Jene vais pas aborder la construction afin de garderle suspense intact (et aussi car cela me semble troppérilleux dans ce texte introductif).

Si vous voulez en savoir plus, je vous conseille lalecture (ou le visionnage) du séminaire Bourbaki dePatrick Massot [16], ou l’article original pour les plustéméraires. Signalons aussi le texte [11] d’Eliash-berg décrivant ce résultat et d’autres découvertesimportantes du côté flexible de la géométrie sym-plectique et de contact.

Pour finir voici quelques perspectives connexes.Tout d’abord, pour compléter le tableau, il faudraitclassifier les structures de contact tendues. Uneclassification complète n’est connue sur aucune va-riété de dimension > 5. Déjà sur S5, cela sembledi�cile. On a vu plus haut une infinité d’entre elleset la liste n’est certainement pas exhaustive. Lesméthodes de classification en dimension trois, re-

posant sur la théorie des surfaces convexes dé-veloppées par Giroux, s’adaptent mal en grandedimension. Nous sommes donc encore loin d’uneclassification complète.

La question analogue en dimension paire esttout aussi intéressante : quelles variétés admettentune structure symplectique, c’est-à-dire une 2-forme fermée non dégénérée. Comme dans le cascontact, il y a une condition homotopique néces-saire : une variété symplectique admet en parti-culier une structure presque complexe. De plus,si V est une variété symplectique fermée de di-mension 2n, il existe une classe de cohomologiea 2 H2(V ;ë ) (la classe de la forme symplectique)telle que an , 0 2 H2n(V ;ë ) ' ë . En dimensionquatre, ces conditions ne su�sent pas toujours àl’existence d’une structure symplectique ; c’est lecas par exemple pour la somme connexe de troiscopies de ÇP2 d’après les travaux de Taubes surles invariants de Seiberg-Witten. Comme ces phéno-mènes sont très spécifiques à la dimension quatreon peut légitimement se poser la question suivante.Question. Une variété de dimension 2n > 6 satisfai-sant aux conditions ci-dessus admet-elle une struc-ture symplectique?

Aucun contre-exemple n’est connu à ce jour.

Références

[1] D. Bennequin. « Entrelacements et équations de Pfa↵ ». In : Third Schnepfenried geometry conference, Vol. 1 (Schnep-fenried, 1982). Vol. 107. Astérisque. Soc. Math. France, Paris, 1983, p. 87–161.

[2] M. S. Borman, Y. Eliashberg et E. Murphy. « Existence and classification of overtwisted contact structures in alldimensions ». Acta Mathematica 215, no 2 (2015), p. 281–361.

[3] F. Bourgeois. « Odd dimensional tori are contact manifolds ». International Mathematics Research Notices 2002, no 30(2002), p. 1571–1574.

[4] E. Brieskorn. « Beispiele zur Di↵erentialtopologie von Singularitäten ». Inventiones Mathematicae 2 (1966), p. 1–14.

[5] R. Casals, E. Murphy et F. Presas. « Geometric criteria for overtwistedness ». arXiv:1503.06221 (2015).

[6] R. Casals, D. Pancholi et F. Presas. « Almost contact 5-folds are contact ». Annals of Mathematics. Second Series 182,no 2 (2015), p. 429–490.

[7] V. Colin, E. Giroux et K. Honda. « Finitude homotopique et isotopique des structures de contact tendues ». PublicationsMathématiques. Institut de Hautes Études Scientifiques, no 109 (2009), p. 245–293.

[8] Y. Eliashberg. « Classification of overtwisted contact structures on 3-manifolds ». Inventiones Mathematicae 98, no 3(1989), p. 623–637.

[9] Y. Eliashberg, A. Givental et H. Hofer. « Introduction to symplectic field theory ». Geometric and Functional Analysis,no Special Volume, Part II (2000). GAFA 2000 (Tel Aviv, 1999), p. 560–673.

[10] Y. Eliashberg et N. Mishachev. Introduction to the h-principle. 48. Graduate Studies in Mathematics. American Mathe-matical Society, Providence, RI, 2002.

[11] Y. Eliashberg. « Recent advances in symplectic flexibility ». American Mathematical Society. Bulletin. New Series 52, no 1(2015), p. 1–26.

[12] E. Giroux. « Structures de contact en dimension trois et bifurcations des feuilletages de surfaces ». InventionesMathematicae 141, no 3 (2000), p. 615–689.

26 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 29: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Structures de contact vrillées, d’après Borman-Eliashberg-Murphy

[13] M. Gromov. Partial di↵erential relations. 9. Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete (3). Springer-Verlag,Berlin, 1986.

[14] K. Honda. « On the classification of tight contact structures. I ». Geometry and Topology 4 (2000), p. 309–368.

[15] F. Laudenbach. « De la transversalité de Thom au h-principe de Gromov ». In : Leçons de mathématiques d’aujourd’hui :présentées par Frédéric Bayart et Éric Charpentier. Cassini. Vol. 4. Le Sel et le Fer. Paris, 2010.

[16] P. Massot. « Flexibilité en géométrie de contact en grande dimension ». Séminaire Bourbaki (2017). url : http://www.bourbaki.ens.fr/seminaires/2017/Prog_mars17.html.

[17] K. Niederkrüger. « The plastikstufe—a generalization of the overtwisted disk to higher dimensions ». Algebraic &Geometric Topology 6 (2006), p. 2473–2508.

[18] I. Ustilovsky. « Infinitely many contact structures on S4m+1 ». International Mathematics Research Notices, no 14(1999), p. 781–791.

Sylvain Courte

Sylvain Courte est maître de conférences à l’Institut Fourier de l’université Grenoble Alpes. Ses travauxportent sur la topologie symplectique et de contact.

L’auteur remercie Patrick Massot et Pierre Will pour leur relecture attentive.

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SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 27

Page 30: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

La théorie de Littlewood-Paley :fil conducteur de nombreux travauxen analyse non linéaire

• H. Bahouri Images des Maths en partenariat avec la Gazette , donne laparole à des lauréats des grands prix de l’Académie desSciences. Deux textes sur le même sujet sont publiés parl’auteur, l’un ci-dessous, l’autre prochainement sur le sited’Images des Maths.Le texte qui suit a pour vocation de présenter la théorie deLittlewood-Paley et d’illustrer l’e�cacité de cet outil d’analysemicrolocale dans l’étude des équations aux dérivées partiellesdans un contexte le moins technique possible. Comme on leverra dans ce texte, la théorie de Littlewood-Paley fournit uneapproche robuste pour étudier séparément les di↵érentsrégimes des solutions des équations aux dérivées partiellesnon linéaires, mais aussi pour étudier de manière fine lesinégalités fonctionnelles et de les préciser.

1. La théorie de Littlewood-Paley :un outil devenu indispensable

La théorie de Littlewood-Paley est une procé-dure de localisation en fréquences qui depuis prèsde trois décennies s’est imposée comme un outiltrès puissant en analyse harmonique. Le premierobjectif de ce texte est de présenter aussi simple-ment que possible 1 cette théorie dont l’idée debase est contenue dans deux inégalités fondamen-tales connues sous le nom d’inégalités de Bernsteinet qui décrivent quelques propriétés des fonctionsdont la transformée de Fourier est à support com-pact.

La première inégalité dit que, pour une distri-bution tempérée 2 sur ë d dont la transformée deFourier est supportée dans une couronne de taille ›,dériver puis prendre la norme Lp revient à faire agirune homothétie de rapport › sur la norme Lp. Cettepropriété remarquable découle facilement dansle cadre L2 de l’action de la transformée de Fou-rier sur les dérivations et de la formule de Fourier-

Plancherel. La preuve du cas général Lp fait à la foisappel aux inégalités de Young et au fait que la trans-formée de Fourier échange le produit de convolutionet le produit numérique des fonctions.

La seconde inégalité précise en outre que, pourune telle distribution, le passage de la norme Lp à

la norme Lq , q > p > 1, coûte ›d⇣

1p� 1

q

, ce qui doitêtre compris comme une injection de Sobolev. Ellese démontre comme la première inégalité en invo-quant les inégalités de Young et le comportementde la transformée de Fourier vis-à-vis du produit deconvolution des fonctions.

L’analyse de Fourier est au cœur de la théorie deLittlewood-Paley qui a inspiré un grand nombre demes travaux. C’est en conduisant ses expériencessur la propagation de la chaleur que Joseph Fou-rier à la fin du xviiie siècle a ouvert la voie à cettethéorie qui s’est renforcée au cours du xxe siècleet qui intervient dans la plupart des branches de laphysique.

1. Pour une présentation plus détaillée de cette théorie, on renvoie le lecteur à la monographie [3].2. Une distribution tempérée est un élément du dual topologique de l’espace de Schwartz S (ë d ).

28 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 31: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

La théorie de Littlewood-Paley

Dans cette théorie portant le nom de son inven-teur, on e↵ectue l’analyse en fréquences d’une fonc-tion f de L1(ë d ) par la formule :

bf (‡) =Z

ë de�ix·‡ f (x)dx .

Sous des conditions convenables, bf la transfor-mée de Fourier de f (notée également F f dans cetexte) permet la synthèse de f par la formule d’in-version :

f (x) =1

(2·)d

Z

ë deix·‡bf (‡)d‡ .

Comme conséquence, on obtient l’identité deFourier-Plancherel

Z

ë d|f (x)|2 dx =

1(2·)d

Z

ë d|bf (‡)|2 d‡ .

En e↵et, pour toute fonction f de S (ë d ), on a envertu du théorème de Fubini,Z

ë df (x)f (x)dx=

1(2·)d

Z

ë d

Z

ë deix·‡bf (‡)d‡

!

f (x)dx

=1

(2·)d

Z

ë d

bf (‡)✓

Z

ë de�ix·‡ f (x)dx

d‡ .

Cette représentation a créé une véritable révo-lution dans la manière de penser une fonction. Ladonnée debf est exactement équivalente à celle de fet cette dualité entre analyse en amplitude (dansl’espace physique décrit par x) et analyse en fré-quence (dans l’espace des fréquences décrit par ‡)est d’une grande importance en physique commeen mathématiques.

Un fait fondamental de la théorie des distri-butions est que la transformée de Fourier peutêtre prolongée à l’espace des distributions tempé-rées S 0(ë d ). Le point clef réside dans le fait que Fest un isomorphisme bi-continu sur l’espace deSchwartz S (ë d ) (l’espace des fonctions régulièresqui décroissent plus vite que n’importe quel poly-nôme) et cette extension sur S 0(ë d ) est définie pardualité 3.

La transformation de Fourier a un grand nombrede propriétés que nous ne souhaitons pas énumé-rer ici. Rappelons simplement les deux principesde base de cette transformation qu’on ne peut pas

dissocier du produit de convolution. Le premier prin-cipe de la transformée de Fourier est que la régula-rité implique la décroissance, le second étant que ladécroissance entraîne la régularité. L’utilité de cespropriétés qui jouent un rôle crucial dans l’étude dela transformée de Fourier sur S (ë d ) apparaîtra vitedans ce qui suit.

L’analyse de Fourier permet la résolutionexplicite des équations linéaires à coe�cientsconstants 4. En particulier, en alliant la transforma-tion de Fourier et le produit de convolution, on peutdéterminer explicitement les solutions de l’équationde Schrödinger qui est fondamentale en mécaniquequantique

(S)

8

>

>

<

>

>

:

i Åtv +…v = 0v|t=0 = v0 2 S (ë d ) .

En e↵et, en prenant la transformée de Fourierpartielle de l’équation par rapport à la variable x,on obtient pour tout (t,‡) dans ë ⇥ë d :

8

>

>

<

>

>

:

i Åtbv(t,‡)� |‡|2bv(t,‡) = 0bv(0,‡) =bv0(‡) ,

ce qui implique par intégration que

bv(t,‡) = e�i t|‡|2bv0(‡).

En invoquant la formule de Fourier inverse et lespropriétés de la transformée de Fourier vis-à-vis duproduit de convolution, on déduit que la solutionde (S) s’écrit pour t , 0 sous la forme :

v(t, ·) = ei|x|24t

(4·i t)d2? v0 ·

Par l’inégalité de Young, il en découle la pro-priété fondamentale suivante dite de dispersion :

kv(t, ·)kL1(ë d ) 61

|4·t| d2kv0kL1(ë d ) ·

Cette technique de représentation explicite dessolutions s’adapte à toutes les équations d’évo-lution linéaires à coe�cients constants. Cepen-dant, ce n’est pas toujours aussi immédiat d’en dé-duire des e↵ets de dispersion. En e↵et, établir parexemple des estimations dispersives pour l’équa-tion des ondes dans ë d nécessite des techniquesplus élaborées comportant des intégrales oscil-lantes ce qui exige une hypothèse de localisation

3. Pour une présentation complète de la théorie des distributions, on peut par exemple consulter les références fondamen-tales [34, 36].

4. Les équations à coe�cients variables et surtout les équations non linéaires requièrent d’autres méthodes.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 29

Page 32: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

spectrale dans une couronne des données de Cau-chy.

L’analyse de la dispersion qui est un phénomènecentral en mécanique ondulatoire linéaire fournitun cadre redoutablement e�cace pour la résolutionet l’étude qualitative des équations aux dérivéespartielles non linéaires dispersives. C’est grâce autravail remarquable de Robert Strichartz [37] vers lafin des années 1970 qu’on est parvenu à transcrirele phénomène de dispersion qui est une inégalitéponctuelle en inégalités robustes. La philosophiede ces estimations connues sous le nom d’estima-tions de Strichartz est de passer d’une estimationde décroissance ponctuelle en temps à un gain d’in-tégrabilité spatiale après moyenne en temps adé-quate. Ces estimations de Strichartz qui ont connuun grand essor ces dernières décennies vont depair avec la théorie de Littlewood-Paley : elles s’ex-priment aussi bien dans les espaces de Lebesgueque dans les espaces de Besov qu’on définira dansla suite.

La théorie de Littlewood-Paley fut introduitepar John Edensor Littlewood et Raymond Pa-ley ([29, 30]) dans les années 1930 pour l’analyseharmonique des espaces Lp, mais son utilisationsystématique dans l’analyse des équations aux dé-rivées partielles est plutôt récente. En fait, la percéeprincipale de cette théorie a été réalisée après lepapier fondateur [12] de Jean-Michel Bony en 1981sur le calcul paradi↵érentiel qui relie les fonctionsnon linéaires et la décomposition de Littlewood-Paley.

L’idée principale de cette théorie consiste àéchantillonner les fréquences à l’aide d’un décou-page de leur espace en couronnes de taille 2j , per-mettant ainsi de décomposer une fonction en unesomme dénombrable de fonctions régulières dontla transformée de Fourier est supportée dans unecouronne de taille 2j :

f =º

j2ô…j f , (1)

où les …j f appelés blocs dyadiques homogènesde f sont définis par le filtrage de f aux fréquencesde l’ordre de 2j . Notons que cette décompositiondite de Littlewood-Paley homogène n’est vérifiéeque modulo les polynômes P . En e↵et, comme latransformée de Fourier de tout polynôme est sup-portée à l’origine, l’identité (1) ne peut s’appliqueraux polynômes. Cette restriction sur les basses fré-

quences est levée dans le cas de la décompositionde Littlewood-Paley inhomogène :

f =º

j>�1…j f , (2)

où …j f := …j f pour j décrivant ç et …�1f est un opé-rateur filtrant les basses fréquences, c’est-à-direqu’il ne conserve que les fréquences dans une boulecentrée à l’origine.

Les décompositions de Littlewood-Paley (1)-(2)définies ci-dessus s’obtiennent par un échantillon-nage de l’espace des fréquences grâce à des parti-tions de l’unité dyadiques. Plus précisément, étantdonnée Á une fonction radiale de D(B(0,4/3)) iden-tiquement égale à 1 dans B(0,3/4), nous avonsles identités suivantes Á +

¥

j>0Ô(2�j ·) = 1 dans

ë d et¥

j2ô Ô(2�j ·) = 1 dans ë d \ {0} , où l’on a

posé Ô(‡) = Á(‡/2)�Á(‡).Avec cette normalisation, la fonction Ô est une

fonction radiale de D(C) où C est la couronne cen-trée à l’origine de petit rayon 3/4 et de grandrayon 8/3 et l’on définit les blocs dyadiques homo-gènes …j par 5 …j f := Ô(2�j D )f := F �1(Ô(2�j ·)F f )= 2jd h(2j ·) ? f , où h = F �1Ô et les blocs dyadiquesinhomogènes…j par…j f := …j f = 2jd h(2j ·)? f si j > 0et …�1f := Á(D )f := F �1(ÁF f ) =eh ? f , oùeh = F �1Á.De la même manière, on introduit les opérateurs detroncature en basse fréquence :Sj f :=

¥

k6j�1 …kf := F �1(Á(2�j ·)F f ) = 2jdeh(2j ·) ? f

pour j 2 ô et Sj f :=¥

k6j�1…kf = 2jdeh(2j ·) ? f

pour j 2 ç .

Il est à noter que les blocs dyadiques qui sontdes opérateurs de troncature en fréquences sontdes opérateurs de convolution. Cette propriété quidécoule trivialement du fait que la transforméede Fourier échange le produit de convolution et leproduit numérique des fonctions joue un rôle cen-tral dans les techniques issues de la théorie deLittlewood-Paley. En particulier, tous ces opérateursopèrent sur les espaces Lp de manière uniforme parrapport à p et j .

Il est également important pour la suite de souli-gner que les propriétés de support des fonctions Ôet Á entraînent des relations de quasi-orthogonalitépour la décomposition de Littlewood-Paley, notam-ment

…j …k = 0 et …j…k = 0 si |j � k| > 1 ,

5. Ici F �1 désigne la transformée de Fourier inverse sur ë d et F (Ô(2�j D )f )(‡) = Ô(2�j‡)bf (‡) ce qui montre que F (…j f ) est supportéedans la couronne 2jC.

30 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 33: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

La théorie de Littlewood-Paley

ce qui implique aisément que

8‡ 2 ë d ,126 Á2(‡) +

º

j>0

Ô2(2�j‡) 6 1 et (3)

8‡ 2 ë d \ {0} , 126

º

j2ôÔ2(2�j‡) 6 1. (4)

L’analyse de Littlewood-Paley permet de carac-tériser avec exactitude la régularité d’une fonction fen fonction des propriétés de décroissance de sesblocs dyadiques par rapport à l’indice de somma-tion j . On retrouve ainsi avec plus de précision l’idée,déjà présente dans l’analyse de Fourier, que la régu-larité se traduit par de la décroissance.

En particulier, en invoquant la formule de Fourier-Plancherel et les propriétés de quasi-orthogonalité(3)-(4), il est aisé d’observer que l’appartenanced’une fonction f à L2(ë d ) se caractérise par l’appar-tenance de la suite (k…j fkL2(ë d ))j2ô à Ñ2(ô ) ainsi quepour ses blocs dyadiques inhomogènes. Plus préci-sément, on peut montrer à l’aide d’un lemme élé-mentaire d’analyse hilbertienne l’existence d’uneconstante C > 1 telle que l’on ait

C�1º

j2ôk…j fk2L2(ë d ) 6 kfk

2L2(ë d ) 6 C

º

j2ôk…j fk2L2(ë d )

et

C�1º

j>�1k…j fk2L2(ë d ) 6 kfk

2L2(ë d ) 6 C

º

j>�1k…j fk2L2(ë d ) .

De même, plusieurs normes classiques peuventêtre écrites en fonction de la décomposition deLittlewood-Paley. C’est par exemple le cas desnormes Sobolev ou Hölder, l’appartenance aux es-paces de Sobolev (resp. Hölder) va se traduire no-tamment par des propriétés de décroissance en jde la norme L2 de …j u ou …j u selon qu’il s’agissedes espaces homogènes ou inhomogènes (resp. dela norme L1).

Rappelons que les espaces de Sobolev inho-mogènes Hs(ë d ) qui apparaissent naturellementdans un grand nombre de problèmes liés à la phy-sique mathématique, sont, dans le cas où s = mest un entier naturel, le sous-espace des fonctionsde L2(ë d ) dont toutes les dérivées (au sens des

distributions) d’ordre inférieur ou égal à m appar-tiennent à L2(ë d ). Il est alors clair, au vu de la quasi-orthogonalité de la décomposition de Littlewood-Paley et de l’action de la transformée de Fourier surles dérivations, que l’appartenance d’une fonctionf à Hm(ë d ) se caractérise comme suit :

kfkHm(ë d ) ⇠ k(2jm k…j fkL2(ë d ))kÑ2(j>�1) .

Une équivalence similaire a lieu pour les es-paces de Sobolev homogènes Hm(ë d ) qui sont plusadéquats dans les problèmes invariants par sca-ling tels que le système de Navier-Stokes incom-pressible 6 et diverses variantes de ce système enmétéorologie et océanographie ou les équationsd’ondes non linéaires qu’on a traitées dans [1, 2, 7]et bien sûr diverses autres équations comme cellespar exemple étudiées dans [25, 26].

De manière générale, dire qu’une fonction f ap-partient à Hs(ë d ) signifie en gros que f a s déri-vées (fractionnelles lorsque s est non entier) dansL2(ë d ) et comme précédemment on peut montrerl’existence d’une constante C > 1 telle que l’on ait

C�1º

j>�122js k…j fk2L2(ë d ) 6 kfk

2Hs (ë d )

6 Cº

j>�122js k…j fk2L2(ë d ) .

Cette heuristique s’applique également auxnormes de Sobolev homogènes donnant lieu à lacorrespondance suivante dans le cadre de la théo-rie de Littlewood-Paley

C�1º

j2ô22js k…j fk2L2(ë d ) 6 kfk

2Hs (ë d )

6 Cº

j2ô22js k…j fk2L2(ë d ) .

En examinant ces analyses, on voit qu’il y a troisparamètres qui rentrent en jeu : le paramètre de ré-gularité s, l’exposant de la norme Lebesgue utilisépour mesurer les blocs dyadiques …j f ou …j f et letype de sommation e↵ectué sur ô ou pour j > �1.Cette observation permet plus généralement de ca-ractériser de manière e�cace les normes des es-paces Besov homogènes B s

p,r(ë d ) ou inhomogènesBsp,r(ë d ). Les normes de ces espaces qu’on peut dé-

finir par di↵érence finie ou à l’aide du noyau de la

6. Rappelons que pour le système de Navier-Stokes homogène incompressible, la question de l’apparition éventuelle de singularitésen temps fini fait partie des problèmes du Millenium proposés par le Clay Institute.

7. Notons que les espaces de Besov sont indépendants des blocs dyadiques …j et …j .

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 31

Page 34: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

chaleur (comme on peut le voir par exemple dans[3, 40]) s’expriment comme suit en fonction des dé-compositions de Littlewood-Paley 7 :

kfkBsp,r (ë d ) ⇠

º

j>�12r js k…j fkrLp(ë d )

1r

et

kfkB sp,r (ë d ) ⇠

º

j2ô2r js k…j fkrLp(ë d )

1r.

Bien qu’invariants par scaling, les espaces deSobolev homogènes (et plus généralement les es-paces de Besov homogènes) sont à manipuler avecprécaution, puisque, comme il a été mentionné ci-dessus, la décomposition de Littlewood-Paley ho-mogène (1) n’est vérifiée quemodulo les polynômes.Il n’y a pas de consensus autour de la définition deces espaces. Dans certaines références dont [11],ils sont définis modulo les polynômes de degré ar-bitraire. Dans d’autres références dont [3], ils sontdéfinis moyennant une condition sur les basses fré-quences. Cette condition exige de se restreindreaux distributions tempérées f vérifiant (au sens desdistributions)

kSj fkL1(ë d )j!�1�! 0 .

Les décompositions dyadiques fournissent nonseulement la possibilité de caractériser l’apparte-nance d’une fonction à la quasi-totalité des es-paces classiques (Hölder, Sobolev, Besov, Lebesgue,Triebel-Lizorkin) par des conditions portant unique-ment sur les blocs dyadiques de cette fonction maisaussi permettent de définir une pléthore d’espacesfonctionnels.

Les décompositions de Littlewood-Paley et plussimplement le découpage des fonctions en basseset hautes fréquences sont des techniques qui ontfait leur preuve dans l’étude des inégalités fonction-nelles et dans l’analyse des équations aux dérivéespartielles non linéaires.

Les injections de Sobolev sont parmi les inéga-lités fonctionnelles les plus célèbres. Elles four-nissent des outils clefs dans l’étude des équationsaux dérivées partielles linéaires et non linéaires,que ce soit dans le cadre elliptique, parabolique ouhyperbolique. Les inégalités de Sobolev exprimentune forte propriété d’intégrabilité ou de régularitépour une fonction f en termes de propriétés d’inté-grabilité pour certaines dérivées de f .

Parmi ces inégalités, on peut mentionner les in-égalités de Sobolev dans les espaces de Lebesgue :

Hs(ë d ) ,! Lp(ë d ) , (5)

avec 0 6 s < d/2 et p = 2d/(d �2s).Notons que l’indice p = 2d/(d � 2s) peut être

deviné facilement grâce à un argument d’homogé-néité. En e↵et, en désignant pour toute fonctionvsur ë d et tout › > 0, v› la fonction définie parv›(x) = v(›x), il est facile de vérifier que

kv›kLp(ë d ) = ›�dp et kv›kHs (ë d ) = ›s� d

2 kv›kHs (ë d ) .

Les deux quantités k · kLp(ë d ) et k · kHs (ë d ) ayant doncmême homogénéité dans le cas où p = 2d/(d �2s)(c’est-à-dire qu’elles se comportent de la même ma-nière par changement d’unité de longueur), il estdonc naturel de les comparer et l’on peut supposerdans la suite que kfkHs (ë d ) = 1.On sait que pour tout réel p > 1 et toute fonctionmesurable f , on a, en vertu du théorème de Fubini :

kfkpLp(ë d ) = pZ 1

0›p�1fi

|f | > ›/2⌘

d› .

Pour établir l’injection de Sobolev (5), on va décom-poser f en basses et hautes fréquences en posant :

f = fÑ,A + fh,A avec fÑ,A = F �1(1B(0,A)bf ) .

Comme le support de la transformée de Fourier defÑ,A est compact, la fonction fÑ,A est bornée et plusprécisément, on a, en alliant la formule d’inversionet l’inégalité de Cauchy-Schwarz

kfÑ,AkL1(ë d ) 6 (2·)�dkbfÑ,AkL1(ë d )

6 (2·)�dZ

ë d|‡|s |‡|�s |bfÑ,A(‡)|d‡

6 Cs Ad2 �s kfkHs (ë d ) .

Or, l’inégalité triangulaire implique pour tout A > 0⇣

|f | > ›⌘

⇢⇣

|fÑ,A| > ›/2⌘

[⇣

|fh,A| > ›/2⌘

·Par conséquent, en choisissant

A = A›déf=

✓ ›4Cs

pd ,

on déduit que

kfkpLp(ë d ) 6 pZ 1

0›p�1fi

|fh,A›| > ›/2

d› .

Comme par l’inégalité de Bienaymé-Tchebychev

fi⇣

|fh,A›| > ›/2

6 4kfh,A›

k2L2(ë d )

›2,

32 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 35: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

La théorie de Littlewood-Paley

on obtient

kfkpLp(ë d ) 6 4pZ 1

0›p�3kfh,A›

k2L2(ë d ) d› .

Or, par l’identité de Fourier-Plancherel

kfh,A›k2L2(ë d ) = (2·)�d

Z

(|‡|>A›)|bf (‡)|2 d‡ ,

ce qui entraîne, en vertu du théorème de Fubini, quepour tout p > 2

kfkpLp(ë d ) 64p

(2·)d

Z

ë d

Z 4Cs |‡|dp

0›p�3d›

|bf (‡)|2 d‡

6 CpZ

ë d|‡|

d(p�2)p |bf (‡)|2 d‡ ,

où Cp = (2·)�d 4pp�2 (4Cs)p�2. Comme s = d

✓12� 1p

,

ceci achève la preuve de l’injection de Sobolev.La preuve présentée dans ce texte est emprein-

tée à l’article [16]. On dispose d’autres preuves an-térieures de cette estimation, notamment celle s’ap-puyant sur l’inégalité de Hardy-Littlewood-Sobolevet qui est par exemple détaillée dans [3]. Notonsque les arguments de la preuve ci-dessus ont ins-piré plusieurs autres travaux. Entre autres, on peutciter l’article [5] où les auteurs se sont intéressésaux injections de Sobolev dans les espaces de Lo-rentz Lp,q . Rappelons que les espaces de Lorentz 8

ont été introduits dans les années 1950 par Lorentz,de manière que Lp,1 soit l’espace faible introduitpar Marcinkiewicz dans les années 1930, et que Lp,p

soit l’espace de Lebesgue habituel Lp.Cette technique de découpage en basses et

hautes fréquences a été également pertinente dansl’étude d’équations aux dérivées partielles non li-néaires, notamment pour établir que certains pro-blèmes de Cauchy sont globalement bien posés.Parmi d’autres travaux, on peut citer l’article deFujita-Kato [18] sur le système de Navier-Stokes.Dans ce type de démarche, la philosophie est dedécomposer la donnée de Cauchy (supposée ici parsouci de clarté dans un certain espace de Sobo-lev Hs) en basses et hautes fréquences de sorteque la partie relative aux hautes fréquences soitde norme assez petite dans Hs . Si l’on dispose d’unthéorème d’existence globale pour données petites,la partie relative aux hautes fréquences va donnerlieu à une solution globale du problème et la partie

relative aux basses fréquences (qui va être régu-lière) va satisfaire à une équation modifiée. Après,tout l’enjeu consiste à montrer qu’on peut résoudreglobalement cette équation perturbée.

L’injection de Sobolev (5) est invariante partranslation et par scaling. Mais elle n’est pasinvariante par oscillation, c’est-à-dire par mul-tiplication par des fonctions oscillantes, notam-ment par multiplication par des fonctions de typeu◊(x) = ei

(x|È)◊ Ô(x), où È est un vecteur unitaire de

ë d et Ô est une fonction de S (ë d ). En revisitant lapreuve de l’injection de Sobolev exposée ci-dessus,on peut établir l’inégalité précisée suivante qui estdue à Gérard-Meyer-Oru [20] :

kukLp(ë d ) 6C

(p�2)1pkuk1�

2p

Bs� d21,1 (ë d )

kuk2p

Hs (ë d )· (6)

Cette inégalité de Sobolev précisée est op-timale comme le montre l’exemple oscillantu◊(x) = ei

(x|È)◊ Ô(x). Plusieurs autres exemples illus-

trent l’optimalité de l’estimation (6), en particulierun exemple fractal supporté dans un ensemble detype Cantor construit dans [4] et l’exemple du chirptraité dans [5] et défini comme suit :

f (x) = x�” sin✓1x

, ” > 0 .

L’estimation précisée (6) fait partie des argu-ments clefs dans l’article [19] où Patrick Gérarda caractérisé le défaut de compacité de l’injectionde Sobolev critique (5) à l’aide des décompositionsen profils 9. Rappelons que l’étude du défaut decompacité des injections de Sobolev entre espacesfonctionnels, qui remonte aux travaux fondateursde Pierre-Louis Lions ([27, 28]), répond à des pro-blèmes géométriques et permet de comprendre lecomportement des solutions d’équations aux déri-vées partielles non linéaires. L’analyse non linéairea considérablement progressé ces dernières décen-nies grâce aux décompositions en profils. Notonsque ce type de décompositions a été généralisé pardes approches di↵érentes à d’autres cadres fonc-tionnels.

En particulier, on peut citer les récents travaux[8, 9] concernant la description du défaut de com-pacité de l’injection de Sobolev critique de H1(ë 2)dans L(ë 2) où L(ë 2), appelé espace d’Orlicz, estl’espace des fonctions mesurables u : ë 2! Ç pour

8. Pour plus de détails, on peut consulter [11, 40] .9. Les profils ont apparu dans un travail de Brézis-Coron [15].

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 33

Page 36: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

lesquelles il existe un nombre réel › > 0 tel que

Z

ë 2

e|u(x)|2›2 � 1

dx <1 ,

ainsi que leur généralisation aux dimensions su-périeures dans [10]. Cette injection de Sobolevqui repose sur les inégalités de Trudinger-Moser 10

concerne le cas limite de l’injection de Sobolev (5) etintervient dans plusieurs problèmes géométriqueset physiques, notamment dans la propagation desfaisceaux laser dans di↵érents milieux. L’étude decette injection a été menée dans [10] par des argu-ments reposant sur l’analyse de Fourier qui mettenten évidence 11 le fait que les éléments responsablesdu défaut de compacité dans ce cadre, sont contrai-rement au cas de l’injection de Sobolev (5), étalésen fréquences.

Il est également à noter qu’une approche initiéepar Stéphane Ja↵ard dans [23] a permis d’étendrele résultat de Patrick Gérard dans [19] au cadre desespaces de Triebel-Lizorkin et a inspiré l’analyseabstraite conduite dans [6]. Cette approche reposesur la théorie des ondelettes qui a été inspirée parla théorie de Littlewood-Paley et qu’on évoqueraplus tard.

Comme il l’a été mentionné ci-dessus, la se-conde inégalité de Bernstein doit être comprisecomme une injection de Sobolev. En fait, il est aiséde déduire de cette seconde inégalité que pourtout nombre réel s, pour tous 1 6 p1 6 p2 6 1 et1 6 r1 6 r2 61,

B sp1,r1(ë

d ) ,! Bs�d( 1

p1� 1p2

)p2,r2 (ë d ) , (7)

et il en est de même dans le cadre inhomogène.Notons que ces injections de Sobolev sont

strictes comme l’illustre dans le cas particulierde l’injection de Sobolev Hs(ë d ) ,! B s

2,1(ëd ),

l’exemple suivant qui repose sur l’idée des sérieslacunaires. Étant donnés une fonction Á de S (ë d )dont la transformée de Fourier est supportée dansune petite boule de centre 0 et de rayon ◊0 et unvecteur È de ë d de norme euclidienne 3/2, il s’agitde considérer la suite de fonctions (fn)n2ç définiepar

fn(x) =pnº

j>n

2�js1

j +1ei2

j (x|È)Á(x).

Il est facile d’observer que8

>

>

>

<

>

>

>

:

…j fn = 0 pour j 6 n �1 et

(…j fn)(x) =pn2�js

j +1ei2

j (x|È)Á(x) pour j > n .

Par un calcul élémentaire, il en découle que

kfnk2Hs (ë d ) ⇠ nº

j>n

1(j +1)2

⇠ 1 et kfnkB s2,1(ë

d ) .1pn,

ce qui montre bien la stricte inclusion de Hs(ë d )dans B s

2,1(ëd ).

Les techniques issues de la théorie deLittlewood-Paley permettent aussi d’analyser leproduit (lorsqu’il existe) de deux distributions tem-pérées au moyen du calcul paradi↵érentiel de J.-M.Bony. La façon de les utiliser est la suivante. Étantdonnées deux distributions tempérées u et v, onécrit

u =º

p…pu et v =

º

q…qv .

De manière formelle, le produit, lorsqu’il existe,va s’écrire

uv =º

p,q…pu…qv .

L’idée consiste à décomposer le produit uv entrois parties : la première relative aux termes où lesfréquences de u sont grandes devant celles de v, ladeuxième relative aux termes où les fréquences dev sont grandes devant celles de u et enfin la troi-sième relative aux termes où les fréquences de uet de v sont de taille comparable. Cela conduit à ladéfinition suivante introduite pour la première foispar Jean-Michel Bony dans [12] : on écrit

uv = Tuv + Tvu + R(u,v) avec

Tuvdéf=

º

p6q�2…pu…qv =

º

qSq�1u…qv et

R(u,v) déf=º

|q�p|61…qu…pv .

Cette décomposition dite décomposition de Jean-Michel Bony est fondamentale dans l’étude des loisde produit ainsi que dans l’étude des équations auxdérivées partielles non linéaires. Bien sûr, elle ad-met une version homogène. Rappelons que l’opéra-teur bilinéaire Tuv est appelé paraproduit de v par utandis que l’opérateur bilinéaire symétrique R(u,v)est appelé reste.

10. Pour une intoduction aux espaces d’Orlicz, on peut consulter [35, 41].11. moyennant une hypothèse de compacité.

34 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 37: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

La théorie de Littlewood-Paley

De l’étude précise de la façon dont le parapro-duit et le reste opèrent dans les espaces de Sobolev,de Hölder et plus généralement dans les espaces deBesov vont se dégager quelques principes générauxfacilement énonçables :

– le paraproduit est toujours défini pour deuxdistributions à support compact et la régula-rité de Tuv est principalement déterminée parcelle de v ;

– le reste par contre n’est pas toujours défini,mais lorsqu’il l’est, les régularités de u et dev s’ajoutent pour déterminer la sienne.

Le calcul paradi↵érentiel de Jean-Michel Bonys’est avéré très e�cace dans l’étude des équationsd’évolution, lesquelles décrivent le comportementd’un phénomène physique dépendant du temps. Onva illustrer la pertinence de ce calcul en présentantune méthode de découpage microlocale qu’on aintroduite dans [1, 2] en collaboration avec Jean-Yves Chemin (voir aussi [38, 39]) pour étudier leséquations d’ondes quasi-linéaires du type

(E)(

Å2t u �…u �Å(G (u)Åu) = Q(ru,ru)(u,Åtu)|t=0 = (u0,u1)

avecÅ(GÅu) =

º

16j ,k6d

Åj (Gj ,kÅku),

G désignant une fonction C1, nulle en 0, bornéeainsi que toutes ses dérivées de ë dans l’ensembledes matrices symétriques sur ë d prenant leurs va-leurs dans un compact K tel que Id + K soit inclusdans le cône des matrices symétriques définies po-sitives et Q une forme quadratique sur ë 1+d .

La théorie classique des équations stricte-ment hyperboliques 12 dit que l’on peut résoudreune telle équation pour des données intialestelles que (u0,u1) appartienne à l’espace Hs(ë d )⇥Hs�1(ë d ) pour s strictement supérieur à d

2 +1. Mais,il est important de penser aux invariances d’unetelle équation par scaling. Il est immédiat de véri-fier que, si u est solution de l’équation (E), alors lafonction u› définie par u›(t,x) = u(›t,›x) est aussisolution de (E). Une vaste série de travaux s’estattachée à résoudre des équations d’ondes non li-néaires en essayant de descendre l’indice de régu-larité minimale des données initiales aussi bas quepossible vers un espace de données initiales qui soitinvariant par le changement de scaling ci-dessus,par exemple dans l’espace H

d2 .

Le but ici est de résoudre l’équation (E) pour desdonnées de Cauchy moins régulières que ce qu’im-posent les méthodes d’énergie. Cette démarches’inscrit dans le programme de Christodoulou-Klainerman de la relativité générale, qui comprendégalement des travaux de Klainerman, Bourgain,Tao et leurs écoles. Pour se rapprocher des espacesinvariants par scaling pour la donnée initiale, il estévident qu’il faut utiliser les propriétés particulièresde l’équation des ondes, à savoir les e↵ets de dis-persion évoqués ci-dessus. Ceci exige de démontrerdes estimées de type Strichartz pour cette équa-tion qu’on peut interpréter comme une équationd’ondes à coe�cients variables et très peu régu-liers. C’est l’alliance de l’optique géométrique et del’analyse harmonique à travers le calcul paradif-férentiel de Jean-Michel Bony qui permet d’établirces estimées, d’améliorer l’indice de régularité mi-nimale et de donner une réponse à une questionrestée longtemps ouverte.

Commementionné ci-dessus, les estimations deStrichartz s’obtiennent grâce à un phénomène dis-persif couplé à un argument abstrait d’analyse fonc-tionnelle connu sous le nom de TT ⇤ mis au pointpar Ginibre et Velo dans [21] et élargi à l’ensembledes indices admissibles par Keel et Tao dans [24].Comme également souligné ci-dessus, ce phéno-mène dispersif s’obtient pour l’équation des ondes,dans le cadre de coe�cients constants, par un ar-gument de phase stationnaire sur une représenta-tion explicite de la solution qu’on obtient par l’ana-lyse de Fourier. Le cas des coe�cients variablesnécessite plus d’attention car on ne dispose pasde représentation explicite, et on a recours à desméthodes d’optique géométrique faisant intervenirdes équations d’Hamilton-Jacobi et des équationsde transport. Quand les coe�cients sont peu régu-liers, comme dans le cas quasi-linéaire par exemple,une telle approche ne peut fonctionner car l’équa-tion de Hamilton-Jacobi développe des singularités.C’est la théorie de Littlewood-Paley qui permet desurmonter cette di�culté.

En fait, faire fonctionner une telle méthode dansce cadre nécessite une régularisation des coe�-cients. Plus précisément, en utilisant le calcul pa-radi↵érentiel de Jean-Michel Bony, on se ramène àl’étude de la partie de la solution relative aux fré-quences de taille 2j , qui satisfait à une équationd’ondes à coe�cients réguliers. Par une méthodetout à fait classique, on construit une approxima-tion microlocale de la solution de cette équation,

12. Consulter par exemple Chapitre 4 dans [3].

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 35

Page 38: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Mathématiques

c’est-à-dire valable sur un intervalle de temps dontla taille dépend de la fréquence ce qui permet d’éta-blir une estimation de Strichartzmicrolocale. En fait,il semble impossible de construire une approxima-tion locale de la solution car l’équation de Hamilton-Jacobi associée développe des singularités à un ins-tant lié à la taille de la fréquence : ceci est dû au faitque ces coe�cients réguliers gardent en mémoirela régularité d’origine de la solution. L’estimation deStrichartz locale (avec perte bien sûr) est obtenueen décomposant l’intervalle [0,T] en intervalles oùl’estimation de Strichartz microlocale est vérifiée.

Les applications de la théorie de Littlewood-Paley et plus particulièrement du calcul paradi↵é-rentiel sont très nombreuses et nous ne pouvonstoutes les énumérer ici. Pour un éventail plus largede champs d’applications, que ce soit dans les in-égalités fonctionnelles et leurs formes précisées oudans l’analyse des équations aux dérivées partiellesnon linéaires issues de la mécanique des fluides ouen lien avec la théorie des champs ou la relativitégénérale, on renvoie le lecteur à la monographie [3].

La théorie de Littlewood-Paley a inspiré les on-delettes qui ont été à l’origine de nombreuses avan-cées dans divers domaines appliqués tels que letraitement du signal et de l’image. On peut illustrersimplement la théorie des ondelettes en rappelantle système de Haar introduit au début du xxe sièclepar Alfred Haar dans sa thèse. Ce système est définipar les fonctions

Ëj ,k(x) = 2j2Ë(2j x � k), j ,k 2 ô ,

où l’ondelette génératrice

Ë = Á[0, 12 [�Á[ 12 ,1]

est la fonction constante par morceaux qui vaut 1sur [0, 12 [ et �1 sur [1/2,1[. Ce système constitueune base orthonormée de L2(ë ) et donc il est im-médiat que toute fonction f de L2(ë ) se décomposecomme suit :

f =º

j ,k2ôhf ,Ëj ,kiËj ,k , (8)

où hf ,Ëj ,ki désigne le produit scalaire de f et Ëj ,kdans L2(ë ). Dans la décomposition en onde-lettes (8), les blocs dyadiques homogènes …j f sontremplacés par les projections

Pj f =º

k2ôhf ,Ëj ,kiËj ,k ,

l’indice k apportant ainsi un niveau supplémentairede discrétisation.

Le défaut principal du système de Haar est sonmanque de régularité puisque l’ondelette mère Ën’est pas continue. D’autres bases d’ondelettes plusrégulières ont été construites par la suite, permet-tant ainsi d’obtenir des décompositions en onde-lettes similaires à (8), souvent tenant compte duscaling de l’espace en question.

Comme pour les décompositions de Littlewood-Paley, on peut caractériser l’appartenance d’unefonction à la quasi-totalité des espaces fonction-nels classiques par des conditions portant unique-ment sur les modules des coe�cients de cette fonc-tion dans une base d’ondelettes inconditionnellenormalisée 13.

Par exemple, dans l’espace de Besov B sp,p(ë d )

1 6 p <1 et s <dp, la décomposition en ondelettes

d’une fonction prend la forme :

f =º

›2rd›Ë›, (9)

où › = (j ,k) contient l’indice d’échelle j = j(›) etl’indice d’espace k = k(›) et

Ë› = Ëj ,k = 2j rË(2j ·�k), j 2 ô , k 2 ô d ,

où Ë est l’ondelette mère et r =dp� s · L’analyse

de la théorie des ondelettes permet de caractéri-ser l’appartenance à l’espace de Besov B s

p,p(ë d ) entermes des coe�cients des fonctions dans la based’ondelettes ci-dessus comme suit :

kfkB sp,p(ë d ) ⇠ k(d›)›2rkÑp . (10)

La possibilité de caractériser la régularité d’unefonction par la taille de ses coe�cients d’ondelettesa permis de multiplier les applications de la théo-rie des ondelettes. En particulier, on peut traduirel’équivalence (10) par la décroissance des coef-ficients d’ondelettes à l’exception d’une minoritéd’entre eux. Cette propriété de concentration del’information sur un petit nombre de coe�cients -souvent appelée parcimonie ou sparsity - joue unrôle crucial dans le traitement de l’image. Dans cetype de procédure par essence non linéaire, il estclair que l’ensemble des coe�cients retenus varieselon la fonction que l’on approche. Une théoriegénérale connue sous le nom de théorie de l’ap-proximation non linéaire a été initiée par Ronald

13. Pour plus de détails, on peut consulter [17, 32, 33].

36 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 39: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

La théorie de Littlewood-Paley

DeVore dans les années 1980 pour analyser ce phé-nomène.

Un premier résultat dans la théorie de l’ap-proximation non linéaire consiste à représenter unélément par ses N coe�cients les plus significa-tifs. Plus précisément, étant donné un élément fde B s

p,p(ë d ) admettant la décomposition donnéepar (9) dans la base d’ondelettes (Ë›)›2r, il s’agitde ne conserver que la projection non linéaire QNfdéfinie par :

QNf =º

›2ENd›Ë›,

où EN = EN (f ) est le sous-ensemble de r de cardi-nal N correspondant aux N plus grands coe�cientsd’ondelettes |d›|.

Parmi les nombreuses applications du projec-teur non linéaire QNf , on peut citer l’estimation sui-vante

supkfkBsp,p(ë d )61

kf �QNfkB tq,q (ë d ) 6 CN�

s�td , (11)

qui a joué un rôle clef dans [6] dans l’étude du dé-faut de compacité de l’injection de Sobolev critique :

B sp,p(ë

d ) ,! B tq,q(ë

d ) ,

avec 0 <1p� 1q=

s � td·

En e↵et, étant donnée une fonction f dansB sp,p(ë d ), on obtient en vertu de (10) et en utilisant

(dm)m>0 le réarrangement décroissant de |d›|

kf �QNfkB tq,q (ë d ) ⇠

º

›<EN

|d› |q⌘1/q

=⇣

º

m>N

|dm |q⌘1/q

6 |dN |1�p/q⇣

º

m>N

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6N�s�td k(d›)›2rkÑp ⇠ N�

s�td kfkB s

p,p(ë d ).

Le succès de la théorie des ondelettes n’est plusà démontrer ni dans le traitement du signal et del’image, ni dans le domaine de la simulation numé-rique des équations aux dérivées partielles. Pourun aperçu général des applications de cette théo-rie, on peut consulter la monographie [31] et lesréférences qui s’y trouvent.

La théorie de Littlewood-Paley est considéréecomme l’outil d’analyse microlocale le plus simple.On peut voir l’analyse microlocale comme l’étudedes fonctions par le découpage de l’espace desphases, c’est-à-dire l’espace des (x,‡). De manièregénérale, cette procédure consiste à localiser dansl’espace physique en x puis en variable de Fou-rier ‡, ce qui revient à localiser dans une boulepour une métrique de T?ë d (l’espace cotangentde ë d ) : c’est le calcul de Weyl-Hörmander 14. L’in-térêt de ce type de procédure introduite dans lesannées 1970 est de permettre d’analyser des pro-priétés fines de fonctions définies dans l’espace phy-sique en opérant l’analyse dans l’espace des phasesoù le nombre de variables a doublé. En particuliercela s’est avéré particulièrement utile dans l’étuded’équations aux dérivées partielles non linéaires,par exemple pour prendre en compte certaines spé-cificités géométriques du cadre.

Tout l’enjeu du calcul de Weyl-Hörmanderconsiste à localiser dans l’espace des phases àl’aide de métriques raisonnables dites de Hörman-der. À titre d’exemple, la procédure consistant àlocaliser en x sur une boule euclidienne de taille ”,puis en variable de Fourier dans une boule eucli-dienne de taille ”(1+ |‡0|2)

12 revient à localiser dans

une boule pour la métrique suivante dite la mé-trique (1,0) :

g(x,‡)(dx2,d‡2) = dx2 +

d‡2

1+ |‡|2 ·

Le calcul dit de Weyl-Hörmander qui a trouvéson formalisme actuel à la fin des années 1970dans les travaux de L. Hörmander généralise cettemétrique. Il consiste en fait à décrire les modes dedécoupage raisonnables de l’espace des phases.Ces découpages sont choisis en fonction de la na-ture et de la géométrie du problème à étudier. Lesdécoupages admissibles sont ceux construits surdes métriques dites de Hörmander. Ces métriquessont des fonctions g de T?ë d , muni de sa struc-ture symplectique standard, dans l’ensemble desformes quadratiques définies positives sur T?ë d

qui vérifient :– une hypothèse dite de lenteur disant que lamétrique varie peu sur ses propres boules etce de manière uniforme;

– une hypothèse dite du principe d’incertitudequi interdit de trop localiser. En particulier, leprincipe d’incertitude impose que le volumed’une gX boule de rayon 1 soit supérieur ou

14. Voir par exemple [13, 14, 22].

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Mathématiques

égal au volume de la boule euclidienne derayon 1;

– et enfin une hypothèse dite de tempérance qui

exprime le fait que l’on peut estimer le rapportdes métriques en des points quelconques parla métrique duale.

Références

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[3] H. Bahouri, J.-Y. Chemin et R. Danchin. Fourier analysis and applications to nonlinear partial di↵erential equations.Grundlehren der Mathematischen Wisserchaften 343. Springer Verlag, 2011.

[4] H. Bahouri, J.-Y. Chemin et I. Gallagher. « Refined Hardy inequalities ». Annali della Scuola Normale di Pisa, no 59 (2006),p. 375–391.

[5] H. Bahouri et A. Cohen. « Refined Sobolev inequalities in Lorentz spaces ». Journal of Fourier Analysis and Applications,no 17 (2011), p. 662–673.

[6] H. Bahouri, A. Cohen et G. Koch. « A general wavelet-based profile decomposition in critical embedding of functionspaces ». Confluentes Mathematici, no 3 (2011), p. 387–411.

[7] H. Bahouri et P. Gérard. « High frequency approximation of solutions to critical nonlinear wave equations ». AmericanJournal of Math, no 121 (1999), p. 131–175.

[8] H. Bahouri, M. Majdoub et N. Masmoudi. « Lack of compactness in the 2D critical Sobolev embedding ». Journal ofFunctional Analysis, no 260 (2011), p. 208–252.

[9] H. Bahouri, M.Majdoub et N.Masmoudi. « Lack of compactness in the 2D critical Sobolev embedding, the general case ».Journal de Mathématiques Pures et Appliquées, no 101 (2014), p. 415–457.

[10] H. Bahouri et G. Prelman. « A Fourier approach to the profile decomposition in Orlicz spaces ». Mathematical ResearchLetters, no 21 (2014), p. 33–54.

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[12] J.-M. Bony. « Calcul symbolique et propagation des singularités pour les équations aux dérivées partielles non linéaires ».Annales de l’École normale supérieure, no 14 (1981), p. 209–246.

[13] J.-M. Bony et J.-Y. Chemin. « Espaces fonctionnels associés au calcul de Weyl-Hörmander ». Bulletin de la SociétéMathématique de France, no 122 (1994), p. 77–118.

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[15] H. Brézis et J.-M. Coron. « Convergence of solutions of H-Systems or how to blow bubbles ». Archive for RationalMechanics and Analysis, no 89 (1985), p. 21–86.

[16] J.-Y. Chemin et C.-J. Xu. « Inclusions de Sobolev en calcul de Weyl-Hörmander et systèmes sous-elliptiques ». AnnalesScientifiques de l’École normale supérieure, no 30 (1997), p. 719–751.

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[18] H. Fujita et T. Kato. « On the Navier-Stokes initial value problem ». Archive for Rational Mechanics and Analysis, no 16(1964), p. 269–315.

[19] P. Gérard. « Description du défaut de compacité de l’injection de Sobolev ». ESAIM Contrôle Optimal et Calcul desVariations, no 3 (1998), p. 213–233.

[20] P. Gérard, Y. Meyer et F. Oru. « Inégalités de Sobolev précisées ». Séminaire X-EDP, École polytechnique (1996).

[21] J. Ginibre et G. Velo. « Generalized Strichartz inequalities for the wave equations ». Journal of Functional Analysis,no 133 (1995), p. 50–68.

[22] H. Hörmander. The analysis of linear partial di↵erential equations, 3. Springer Verlag, 1985.

[23] S. Jaffard. « Analysis of the lack of compactness in the critical Sobolev embeddings ». Journal of Functional Analysis,no 161 (1999), p. 384–396.

[24] M. Keel et T. Tao. « Endpoint Strichartz estimates ». American Journal of Mathematics, no 120 (1998), p. 955–980.

[25] C.-E. Kenig et F. Merle. « Global well-posedness, scattering and blow-up for the energy critical focusing non-linear waveequation ». Acta Mathematica, no 201 (2008), p. 147–212.

[26] S. Klainerman et I. Rodnianski. « Rough solutions of the Einstein-vacuum equations ». Annals of Mathematics, no 161(2005), p. 1143–1193.

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La théorie de Littlewood-Paley

[27] P.-L. Lions. « The concentration-compactness principle in the calculus of variations. The limit case. I. » Revista Matema-tica Iberoamericana, no 1 (1985), p. 145–201.

[28] P.-L. Lions. « The concentration-compactness principle in the calculus of variations. The limit case. II. » Revista Matema-tica Iberoamericana, no 1 (1985), p. 45–121.

[29] J. Littlewood et R. Paley. « Theorems on Fourier series and power series I ». Journal of the London Mathematical Society,no 6 (1931), p. 230–233.

[30] J. Littlewood et R. Paley. « Theorems on Fourier series and power series II ». Proceedings of the London MathematicalSociety, no 42 (1936), p. 52–89.

[31] S. Mallat. A wavelet tour of image processing : the sparse way. Sous la dir. d’A. Press. 2008.

[32] Y. Meyer. Ondelettes et opérateurs. I. Hermann, 1980.

[33] Y. Meyer. Ondelettes et opérateurs. II. Hermann, 1980.

[34] W. Rudin. Fourier analysis on groups. Interscience Tracts in Pure and Applied Mathematics 12. New York–London, 20.

[35] B. Ruf. « A sharp Trudinger-Moser type inequality for unbounded domains in ë 2 ». Journal of Functional Analysis, no 219(2005), p. 340–367.

[36] L. Schwartz. Théorie des distributions. Hermann, 1966.

[37] R. Strichartz. « Restriction Fourier transform of quadratic surfaces and decay of solutions of the wave equations ».Duke Mathematical Journal, no 44 (1977), p. 705–714.

[38] D. Tataru. « Strichartz estimates for operators with non smooth coe�cients and the non-linear wave equation ».American Journal of Mathematics, no 122 (2000), p. 349–376.

[39] D. Tataru. « Strichartz estimates for second order hyperbolic operators with non smooth coe�cients II ». AmericanJournal of Mathematics, no 123 (2000), p. 385–423.

[40] H. Triebel. Theory of function spaces. Birkhäuser, Basel, 1983.

[41] N. Trudinger. « On imbedding into Orlicz spaces and some applications ». Journal of Mathematics and Mechanics, no 17(1967), p. 473–484.

Hajer Bahouri

Université Paris-Est Créteil

Hajer Bahouri est directrice de recherches au cnrs à l’université Paris-Est Créteil. Ses recherches portent surl’étude des équations aux dérivées partielles, notamment les équations d’évolution, lesquelles décrivent lecomportement d’un phénomène physique dépendant du temps. Pour les étudier, elle a utilisé et développé denombreuses techniques d’analyse harmonique. Ses travaux ont été plusieurs fois salués par la communautéet en particulier en 2016 avec l’obtention du prix Paul Doistau-Émile Blutet de l’Académie des Sciences.

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Diffusion des savoirs

Esthétopiesune exposition sur les variétés d’espaces sensibles

• P. Berger

Percevoir un espace. Un mathématicien sou-haite définir les espaces qu’il rencontre et décrireleurs propriétés. Un musicien sera sensible aux so-norités d’un espace, au son émis quand on le toucheou quand on y parle. D’autres aimeront le dessiner,photographier la lumière qui y circule, ou encorefilmer ses métamorphoses.

Aimer un espace. Un espace vit s’il est visité.Il peut l’être pour son utilité ; mais aussi poursa beauté et ses mystères. Il peut être parcourupour sa fertilité : une entrée vers d’autres espaces,d’autres curiosités. Aimé pour être sauvage et om-niprésent, ou classique et bouleversant... La décou-verte d’un nouvel espace peut être dérangeante.

Avant propos. Ce texte donne d’abord un aperçudes pièces présentées lors de l’exposition Esthé-topies à l’ihp, du 8 mars 2017 au 17 juillet 2017,e↵ectuées dans le cadre de collaborations avecPierre-Yves Fave, Sergio Krakowski, Vincent Martialet Jimena Royo-Letelier. Le parti-pris est de pré-senter des espaces séduisants et mystérieux. Enfinnous parlerons brièvement des recherches e↵ec-tuées pour résoudre certains problèmes ouvertslaissés ouverts par l’école de Thurston au Geome-try Center (années 1990). Enfin nous discuteronsde la réception de cette exposition et de celles quil’ont précédées.

Pièces exposées

L’exposition Esthétopie propose un parcours im-mersif, un ensemble d’installations sonores et vi-suelles o↵rant des explorations sensibles dans desespaces mathématiques encore incompris.

Courtes vidéos

Deux courtes vidéos présentent une iconogra-phie du concept de variété.

D’abord des exemples de constructions de sur-faces obtenues en recollant les côtés d’un polygone,et d’espaces en recollant les faces d’un polyèdre.

Construction d’une surface hyperbolique.

Puis un court film accompagne la définition ma-thématique de variété (fermée).

Une surface est un espace fermé dont lespoints sont entourés par des disques. Unesurface est une variété de dimension 2.

Une variété de dimension 3 est un espacefermé dont les points sont entourés par des

boules.

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Esthétopies

Sélection de modèles mathématiques

L’exposition à l’ihp a pu profiter de sa collec-tion exceptionnelle de modèles mathématiques duxixe et du xxe siècle. Les objets choisis représententdes surfaces pouvant être munies d’une géométriesphérique (à gauche), plane (au centre), ou hyper-bolique (à droite).

Paysages dans les géométries de Thurston

Thurston proposait de regarder les variétés dedimension 3 en se plaçant à l’intérieur ; on peutalors prendre des photographies (voir encadré).

Photographie d’un ruban rectiligne dans unevariété de géométrie SOL. Il n’y a qu’un ru-ban et il ne s’enroule pas. Cette photogra-phie révèle comment les rayons lumineuxspiralent dans cet espace.

En général, une variété d’espace n’est pas plateet sa topologie n’est pas triviale. Ses courburesforment de multiples lentilles optiques et sa topolo-gie engendre des motifs. La trajectoire de la lumièreest une courbe pouvant s’enrouler une multitude defois. La géométrie d’une telle trajectoire est souventincomprise, bien que générée par une edo relative-ment simple.

L’exposition présentait les premières photogra-phies dans plusieurs géométries de dimension 3.Cela a nécessité de résoudre un problème de l’écolede Thurston au Geometry Center (années 1990),Nous décrirons les techniques de cette solution endernière partie.

Mathématiques des Photographies. Placer un appa-reil photo revient mathématiquement à définir un carrérempli (le film photographique) et un point (le foyer dela caméra). À chaque point du film, il existe un uniquerayon lumineux passant par le foyer. Si ce rayon lumi-neux provient de l’objet photographié, alors le film estcolorié à ce point. Ce principe s’applique aux espacesphysiques et imaginaires.

foyer !lm photo

trajectoire de la lumière dans l’espace

objet

Géométries. Un espace est géométrique a s’il possèdeun nombre maximal de symétries, et pour toute pairede points de l’espace, il existe une symétrie de l’espaceenvoyant l’un sur l’autre.Par exemple une sphère est géométrique, n’importequelle rotation la laisse invariante. Si on la cabosse à unendroit, les seules rotations symétriques sont celles quilaissent la bosse invariante. Or celle-ci ne peut pas êtreenvoyée par une symétrie en un lieu non cabossé de l’es-pace. Une sphère cabossée n’est donc pas géométrique.Pour les surfaces, trois géométries existent : la géomé-trie plane Ñ 2, sphérique í2, et hyperbolique á 2. Pourles variétés d’espaces, il y a huit géométries : Ñ 3, í3,á 3, í2 ⇥ Ñ 1, á 2 ⇥ Ñ 1, íã 2(ë ), íéã , ç à ã .

a. Nous donnons ici la saveur de la définition d’unespace homogène pouvant être muni d’une géométrie.

Conversation dans plusieurs espaces

Entre une paire de canapés confortables estplacé un cube. Sur le cube, un microphone panora-mique et à chacun de ses côtés, un casque en des-sous d’un symbole : í3, í2⇥ë /ô , ë 3/ô 3,á 2/»⇥ë /ôet d’un croquis.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 41

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Diffusion des savoirs

Les plus jeunes aiment s’y poser, s’écouter mu-tuellement dans l’espace associé au casque choisi.

Jimena préparant l’installation.

Classe de Seconde s’amusant avec l’instal-lation.

On peut comprendre un espace par ses sonori-tés. Si l’on tape sur un tambour, il émet un son quidépend de sa forme et de sa matière. Si l’on parledans un espace, le son s’y propage et s’y réverbèresuivant l’acoustique de l’espace. Ces sonorités per-mettent de ressentir l’espace.

Pour calculer les sonorités d’un espace mathé-matique, on adapte l’équation du son de notre es-pace physique. En e↵et, les opérateurs définissantcette équation (Laplacien, dérivée temporelle) sontdéfinis canoniquement pour les variétés. Il restecependant à définir la matière de l’espace (vitessedu son, viscosité cinématique, taille) suivant descritères subjectifs.

Dans l’encadré ci-après, nous donnons les solu-tions de cette équation.

Mathématiques des Sonorités.

À tout espace est associée une infinité d’harmoniquesÈ1,È2, . . . ,Èn . . . appelées fréquences de résonance. Cesharmoniques dépendent de la géométrie de l’espace etsont proportionnelles à la vitesse du son c.

? Espace percussif.Si la matière de l’espace est idéale, quand on tape sè-chement dessus, le son suivant apparaît :

P(t) = cos(È1t) + cos(È2t) + · · ·+cos(Ènt) + · · ·Si la matière est non idéale, le son diminue avec le temps.La dissipation Dn = D ·È2

n est proportionnelle au carréde la fréquence, suivant une constante D qui dépenduniquement de la matière. Le son devient :

P(t) = e�D1t · cos(È01t) + · · ·+ e�Dnt · cos(È0nt) + · · ·

avec È0n =q

È2n �D2

n qui est plus grave que Èn .

(??) Espace acoustique.Quand on émet un son E dans un espace, il se propage etse réverbère pour être entendu comme un son S solutionde :

Å2t S � c2(1 +2DÅt )…S = E . (?)

Cela donne :

S(t) =Z t

0G (t � s) · E(s)ds,

avec G (t) = e�D1t ·sin(È01t)

È01+ · · ·+ e�Dnt · sin(È

0nt)

È0n+ · · ·

Un commentaire sur le logiciel sonore construit.Dans l’encadré ci-dessus, les harmoniques (Èi )isont données par le spectre du Laplacien dans lavariété écoutée. Le spectre est connu explicitementpour les variétés plates, les variétés sphériques,et pour les autres géométries, il a été calculé nu-mériquement (nous remercions Raul Aurich pournous avoir transmis ses estimés numériques pourle spectre de certaines surfaces hyperboliques). Lafonction G dans l’encadré ci-dessus correspond à lafonction de Green de l’équation du son (?). Son ex-pression explicite est donnée par des techniques duxixe siècle. Je profite de l’occasion pour remercierEmmanuel Schenck pour nous avoir redémontréces techniques. Le son entendu S(t) est donné parle calcul en temps réel (44kHz pour le son) de laconvolution avec le son reçu par le micro. Ce calculest e↵ectué par de nombreux logiciels de musique.

Les valeurs de la vitesse du son c et la dissipa-tion D du son ont été choisies suivant des critèresesthétiques et mathématiques (pour exprimer aumieux l’espace). À notre connaissance, il s’agit dupremier logiciel donnant rigoureusement l’acous-tique d’un espace mathématique.

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Esthétopies

Navigation dans les sommes connexes

Les sommes connexes permettent de construirede nouveaux espaces à partir de deux espaces.

Si S et S 0 sont deux surfaces, on enlève d’abordun disque D à S et un disque D 0 à S 0 . On considèrealors la surface S#S 0 obtenue en collant l’intérieurdu bord de S \ D à l’extérieur du bord de S 0 \ D 0 etvice-versa.

Plus généralement, si ï et ï 0 sont deux variétés,on enlève une boule Å à ï et une boule Å 0 à ï 0 , puison considère alors l’espace ï#ï 0 obtenu en collantl’intérieur du bord de ï \Å à l’extérieur du bord deï 0 \Å 0 et vice-versa.

Une installation propose une navigation dansles espaces mis en jeu durant la construction d’unesomme connexe.

Pour la réalisation de cette installation, j’ai pro-grammé un logiciel calculant en temps réel les(premières) vues immersives dans des sommesconnexes d’espace de dimension 3.

Photographie à l’intérieur de ë 3#ë 3.

Une variété est dite première si elle n’est pasla somme connexe de deux variétés étant chacunedi↵érentes de la sphère.

Théorèmes de classification des espaces

Au milieu de l’exposition est placé un tableaunoir, avec écrit dessus les monuments mathéma-tiques suivants :Théorème (Moebius-Jordan - 1866). Toute sur-face fermée (et orientable) est la somme connexed’un nombre (fini) g de tores.

=

Théorème (Klein, Poincaré, Koebe - 1907). Toutesurface fermée peut être munie de l’une des géo-métries suivantes :

Théorème (Kneser - 1929). Toute variété ferméede dimension 3 di↵érente de la sphère est la sommeconnexe de g > 1 variétés premières.

Théorème (Thurston-Perelman - 2002). Toute va-riété première de dimension 3 peut être découpéeselon un nombre fini de 2-tores pour que les par-ties restantes puissent être munies de l’une de cesgéométries :

Vue groupée des paysages exposés degéométries de Thurston.

Plongement de l’Institut Henri Poincarédans l’espace ë 3/ô 3

L’exposition présentait une pièce inédite. Uneinstallation permettant de réaliser un plongementde l’ihp dans le tore ë 3/ô 3. Pour ce faire, pas moinsde 60 micros contacts sont posés dans l’ihp pourenregistrer ses vibrations. Les vibrations sont trai-tées mathématiquement et numériquement poursimuler le son que l’on entendrait si tout le bâti-ment était plongé dans un tore. Enfin, le son estenvoyé par des transducteurs pour faire vibrer lestableaux noirs et produire ces sonorités. La position

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Diffusion des savoirs

de l’ihp dans l’espace ë 3/ô 3 varie pour produireune symphonie esthétique.

Ces tableaux noirs ont une double fonction :d’une part, expliquer les concepts mis en jeu dansl’installation ; d’autre part, servir d’enceintes so-nores.

Recherches e↵ectuées pour lavisualisation des variétés dedimension 3

L’un des buts de l’école de Thurston était deproduire des vues immersives dans les variétés dedimension 3, en temps réel (i.e. 25 images par se-conde).

Ils avaient réussi à le faire pour les variétés ditesisotropes : de géométrie sphérique, plane ou hy-perbolique. Les vues immersives dans les autresgéométries restaient un problème ouvert depuis lesannées 1990.

Aussi, en raison de la croissance exponentielledu groupe fondamental des variétés hyperboliques,la profondeur des images qu’ils obtenaient entemps réel assez était faible. Avec Luiz Velho et AlexLaier, nous avons utilisé 1 un autre algorithme plusrécent (années 2000) pour voir dans les variétéshyperboliques avec plus de profondeur et en tempsréel, nommé le « ray tracing », calculé en parallèle.

Ensuite, j’ai poussé plus loin ces travaux pourcalculer les premières vues immersives dans lesvariétés de géométries ç à ã , íéã , á 2⇥ë et í2⇥ë ,ainsi que les sommes connexes. Le développementconsistait d’une part, à créer un nouveau logicielpermettant de traiter le cas des rayons lumineuxqui ne sont pas des droites ou des cercles (commec’est le cas pour les géométries isotropes), maisplus généralement, des courbes à intégrer suivantl’edo du flot géodésique de la variété. Et d’autrepart, j’ai inclus dans ce nouveau logiciel diversestechniques de rendu 3D par ordinateur (optique,textures, ombres etc.). Je profite de l’occasion pourremercier François Cuvelier pour nos nombreusesconversations, et pour m’avoir initié à la résolutionnumérique des ode.

Arts, mathématiques et pédagogie

Une des mes motivations dans ces expositionsest de pouvoir partager ma passion pour les ma-thématiques. D’un point de vue pédagogique, celame semble une étape cruciale (et initiale?) d’unapprentissage.

Il y a de multiples façons d’aimer les mathéma-tiques. Je suis particulièrement sensible à la beautéde ses objets, la possibilité de les voir brutalementdi↵éremment (d’être dérangé dans mes idées) et

1. P. Berger, A. Laier, L. Velho, An image-space algorithm for immersive views in 3-manifolds and orbifolds, p : 1-12 The VisualComputer, January 18, (2014).

44 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

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Esthétopies

enfin, la liberté des pratiques qu’o↵re son forma-lisme. Ces trois thèmes sont aussi propres à l’Art.

Des pièces de cette exposition ont été montréesà de multiples occasions : happening au milieu del’université Paris 13 en 2013, festival « SavantesBanlieues » en 2014, exposition permanente au Mu-sée des Sciences de Rio de Janeiro depuis 2014(adaptation supervisée par Luiz Velho), Nuit dessciences à l’Éns en 2014, Congrès Européen deMathématiques en 2016... Une partie partira bien-tôt pour une exposition permanente au Musée desSciences de l’unam (Mexico).

J’ai choisi comme sujet des variétés de dimen-sion 3 pour leur capacité à déranger. Pour fairerêver aussi : qu’un espace puisse être courbe, quel’on y voie et entende di↵éremment. En général,les lycéens ont réussi à comprendre assez vite desexemples de variétés de dimension 3, et la percep-tion qu’on y a, avec cependant l’aide d’un animateur.En e↵et, il su�t de présenter le 3-tore comme étantla salle de l’exposition dans laquelle ils sont, avecles murs opposés recollés ainsi que le sol collé auplafond. On continue par la suite en s’y déplaçant,en imaginant ce que l’on y verrait.

Les plus jeunes comprennent souvent mieux lesconcepts mathématiques que leur professeur (peut-être les adultes sont-ils plus inhibés?). Ils ont beau-coup moins peur de rentrer dans une telle exposi-tion que les adultes, quand bien même ils seraientprofesseurs ou conservateurs dans un musée scien-tifique. C’est ce qui di↵érencie l’andragogie de lapédagogie : un adulte préfère comprendre les règlesdu jeu avant d’y mettre les mains, contrairementaux enfants. Mais si nous devrions nous cantonnerà montrer uniquement des mathématiques bien for-mulées et comprises, ne serait-ce pas alors montreruniquement des mathématiques finalisées, non vi-vantes? N’est-ce pas pour cela que les jeunes sontencore surpris d’apprendre que la recherche en ma-thématiques existe?

Bien sûr, nous pouvons toujours montrer desmathématiques simples mais nouvelles. Il est ce-pendant très dur d’en trouver d’aussi belles que les

monuments des mathématiques contemporaines. Ilme semble important de montrer que les mathéma-tiques sont d’abord un art avant d’être un jeu.

Crédits

(1) Courtes vidéos sur la définition et la construc-tion de variétés, Pierre Berger et Pierre-YvesFave, 2013.

(2) Sélection de modèles mathématiques de l’ihp.(3) Paysages des huit géométries de Thurston,

Pierre Berger, 2015-2016.(4) Conversation dans plusieurs espaces, Pierre

Berger, Sergio Krakowski, Jimena Royo-Letelier, 2016-2017.

(5) Navigation dans les sommes connexes, PierreBerger, 2016-2017.

(6) Théorèmes de classification des espaces :Moebius-Jordan, 1866; Klein-Poincaré-Koebe,1907; Kneser, 1929; Thurston-Perelman,2002.

(7) Plongement sonore de l’Institut Henri Poin-caré dans l’espace ë 3/ô 3, Pierre Berger,Vincent Martial, Jimena Royo-Letelier, 2017.

Pierre-Yves Fave est un artiste e↵ectuant ses re-cherches entre montages, performances et pro-grammation multimédia.Sergio Krakowski est musicien et docteur en infor-matique musicale, il mène des recherches entrerythme et informatique.Vincent Martial est musicien, il évolue dans l’ex-périmentation, entre improvisation, composition etdispositifs sonores et visuels.Jimena Royo-Letelier est artiste et chercheuse endata science, apprentissage automatique et mu-sique.

L’exposition Esthétopies était coordonnée parl’auteur de cet article, grâce au soutien des institu-tions suivantes :

Pierre Berger

laga, université Paris [email protected]://math.univ-paris13.fr

Pierre Berger est chargé de recherche à l’université Paris Nord (13). Ses domaines de recherche portent surd’une part sur les systèmes dynamiques, et d’autre part sur les mathématiques comme sujet d’exposition.

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Diffusion des savoirs

Le Concours smf junior 2017

• P. Pansu Cette année a eu lieu la première édition du concours smf

junior, une nouveauté pour la smf. Ce concours, inspiré duconcours Miklós Schweitzer, créé en 1949 en Hongrie, estdestiné à promouvoir la recherche en mathématiques auprèsdes étudiants en licence ou en master. Dix problèmes, reliés àla recherche actuelle mais reflétant les 10 thèmes principauxdu programme de M1, sont proposés aux étudiants inscrits enlicence ou master de mathématiques français. Ils ont 10 jourspour composer. Les copies sont corrigées par les auteurs dessujets.La smf a apporté quelques modifications au modèle hongrois :une inscription préalable, un concours par équipes de 1 à 3étudiants, et une fusion des thèmes combinatoire etcryptographie pour introduire un nouveau thème,modélisation.De l’avis des candidats et du jury, ces innovations étaientbienvenues.

1. La cérémonie

Avant de nous attarder sur les détails duconcours, revenons sur son aboutissement.

La smf avait choisi d’attribuer 3 prix de 750, 500et 250 euros, et de distinguer au plus 3 copies re-marquables. Tous les lauréats ont obtenu une adhé-sion gratuite à la smf et des livres.

La remise des prix a eu lieu le 10 juin 2017 àl’Institut Henri Poincaré, à la suite de l’assembléegénérale annuelle de la smf. La cérémonie, qui s’estdéroulée dans une très bonne ambiance, a réuniplus de 100 personnes. Elle a permis aux lauréatsde rencontrer le jury, d’anciens présidents de la smfdont Jean-Pierre Kahane et Jean-Pierre Bourgui-gnon ainsi que le président actuel Stéphane Seuret.

C’est Jean-Pierre Kahane qui a ouvert la cérémo-nie par une courte conférence qui a séduit tout lemonde, intitulée « Lesmathématiques peuvent-ellesse raconter? ». Sans notes, et sans rien écrire au ta-bleau, Kahane a exposé un problème de géométrieélémentaire mais non trivial, ainsi que sa solution,et des variantes. Pour lui, tous les moyens de trans-mettre sont bons, les nouvelles technologies ne sesubstituent pas entièrement aux méthodes plus an-ciennes.

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La conférence de Jean-Pierre Kahane

Les jeunes lauréats ont pu s’exprimer librement,soulignant notamment qu’ils avaient particulière-ment apprécié le travail en équipe. Deux équipesavaient certains de leur membres qui se rencon-traient pour la première fois lors de la remise desprix ! D’autres ont résolu des questions en utilisantgoogle.docs, les uns comblant les trous dans lespreuves des autres !

Le cocktail, enfin, a vu les jeunes (et passeulement les lauréats) parler avec J.-P. Kahane,J.-P. Bourguignon, les responsables de la smf, et deschercheuses et chercheurs.

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Le Concours smf junior 2017

En bref, un beau succès, et un grand sou✏e dejeunesse à la smf.

Outre les photos insérées dans cette article, l’en-semble des photos de la cérémonie se trouve ac-tuellement sur le site de la smf 1.

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J.-P. Kahane et P. Pansu, président du jury

2. Le déroulement du concours

Le calendrier du concours 2017 a été assezserré. L’appel à la communauté pour proposer dessujets a été lancé en novembre 2016, avec datelimite le 31 janvier 2017. À cette date, 25 proposi-tions ont été reçues, au moins deux par thème.

Le jury souhaite remercier chaleureusementtous les auteurs de sujets, en particulier ceuxqui ont été retenus, et l’équipe de la plateformeSciencesconf.org.

Le jury a choisi de panacher entre sujets d’appa-rence simple ou di�cile, entre énoncés courts oulongs, entre problèmes accessibles aux plus jeunes(certains sujets pouvaient être traités par des ly-céens) et questions nécessitant des connaissancesde M1. Les sujets retenus, dont aucun n’était facile,tous originaux, ont été peaufinés avec soin, chaquemembre du jury étant responsable d’un problème.Un corrigé de chaque problème a été rédigé avantle concours.

Les sujets ont été rendus publics sur le site dela smf 2 dès le 12 mai 2017. Des corrigés commen-tés y ont aussi été déposés 3. Les uns et les autrespeuvent être utilisés par tous ceux qui le souhaitent.

Le site d’inscription 4 a ouvert début février. Lesinscriptions ont démarré timidement, puis sont mon-tées en flèche fin avril. Des inscriptions ont été va-lidées jusqu’au dernier jour du concours. Seulesdeux demandes d’inscriptions complètes ont étérefusées. Le règlement exigeait une inscription enlicence, master ou cpge : le jury a admis aussi lesélèves des grandes écoles. Il y a ainsi eu au total118 équipes inscrites, dont 60% en Île-de-France(quelques équipes étaient à cheval sur plusieursrégions). 59 équipes ont rendu au moins une copie.Au final, 234 étudiants (27 femmes, 207 hommes)ont participé. Notons que les grandes écoles ontété sur-représentées dans cette première édition.

Le 2 mai vers 0h30, les sujets ont été envoyéspar mail aux équipes inscrites. Les équipes devaientdéposer une copie par problème, sachant que le sitepermettait de modifier un dépôt antérieur. Le flux dedépôts est monté en flèche le dernier jour. Seules 2copies sont parvenues quelques minutes après lafin du concours le 11 mai à 23h59. Un contact parmail permettait aux candidats d’être dépannés etde signaler des dysfonctionnements, mais il semblequ’il y en ait eu très peu.

306 copies ont été déposées, soit entre 19 et46 par problème. Chaque auteur pouvait se faireaider pour la correction des copies, mais seul l’und’entre eux a eu besoin d’un assistant. Seules lestrès bonnes copies, contenant la résolution com-plète et presque entièrement correcte d’un pro-blème, ont été notées. L’auteur de ces lignes té-moigne qu’il fallait bien une journée de travail sou-tenu pour rendre une telle copie. Il y en a tout demême eu 133, signe de la très grande qualité dutravail des participants. Pour chacune de ces copies,les équipes ont reçu un commentaire détaillé de lapart des correcteurs.

3. Le palmarès

Le jury a e↵ectué un classement « aux points ».Trois équipes se détachaient mais il a été impossiblede départager un second et un troisième, d’où lesdeux seconds prix ex aequo du palmarès. En outre,les auteurs/correcteurs ont signalé des copies qu’iljugeaient remarquables par leur originalité, ce quia permis de décerner trois prix spéciaux.

1. http://smf.emath.fr/content/concours-smf-junior-2017-le-reportage-photo2. http://smf.emath.fr/files/smf_junior_sujets.pdf3. http://smf.emath.fr/files/rapport_concours_smf_junior_long.pdf4. Sciencesconf.org du cnrs

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Diffusion des savoirs

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Les lauréats sur le perron de l’ihp

Premier prix.– Équipe jtm : Malo Jézéquel, Jean Kie↵er etThomas Massoni, éns/M2.

Deuxième prix ex aequo.– Équipe ame : Arnaud Etève, Elie Studnia etMehdi Trense, éns/M1 et L3.

– Équipe PlouM : Pierre-Louis Blayac, Louise Gas-sot et Matthieu Piquerez, éns/M2.

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Aline Bonami et les jtm, premier prix

Prix spéciaux du jury.– Équipe otis : Davide Facchinelli, Archia Ghia-sabadi, Bart Michels, M1 upmc.Problème d’algèbre : la copie est un petit ar-ticle de 13 pages, qui va bien au-delà de laquestion posée. Comment les auteurs ont-ilspu l’écrire en si peu de temps?

– Équipe Le Geai Audyphe : Colin Davalo, CécileGachet et Viviane Ledoux, cpge et éns/l3.Problème de modélisation : la copie, basée surdes considérations élémentaires, met bien enlumière les hypothèses, qu’il fallait deviner,pour obtenir l’unicité des solutions.

– Équipe Hot Magma : Vincent Bouis, MaximeRamzi et Victor Vermès, cpge Paris et Lyon.Problème de topologie : la solution apportée àcette question de recherche actuelle introduitune idée nouvelle, de l’avis de l’auteur.

4. Le questionnaire de satisfaction

Afin d’avoir un retour sur cette première éditiondu concours, un questionnaire de satisfaction a été

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Le Concours smf junior 2017

adressé aux correspondants d’équipes le 24 mai. Le7 juin 2017, 75 réponses avaient été déposées.

La première question s’adressait aux équipesqui n’ont rien rendu. Le motif le plus souvent invo-qué est le calendrier : la période du 2 au 11 maiétait celle des examens dans de nombreuses fi-lières, universitaires ou dans les grandes écoles.Les réponses au questionnaire indiquent qu’unepériode de petites vacances (Toussaint ou février)serait plus favorable.

Sur 75 réponses, 72 répondent oui à la question :Avez-vous déjà envisagé la recherche scientifiquecomme votre activité future? Cela rassure sur l’étatdu vivier pour les métiers de la recherche : il existe,il s’agit de le cultiver ! De ce point de vue, il sembleque le concours y contribue, puisque 69 répondentque ce concours constitue un bon moyen d’initia-tion à la recherche. De nombreux commentairessoulignent également l’absence d’activités mathé-matiques hors cursus après le bac, ce qui montreque le concours comble partiellement un vide.

Les trois quarts des candidats ont concouru paréquipes, et se disent satisfaits du travail collectif.Les lauréats, en particulier, plébiscitent cette parti-cularité de la version française, qu’il convient doncde conserver.

Les sujets ont été globalement jugés d’un niveauadapté (58 réponses sur 75). Toutefois, deux pro-blèmes ont désarçonné certains candidats : celui desystèmes dynamiques, très concis, et celui demodé-lisation, jugé trop vague. Ce dernier sujet a pourtantdonné lieu à d’excellentes copies. Il nécessitait da-vantage d’initiative, puisqu’il s’agissait de traduireun problème concret en termes mathématiques et

de choisir des hypothèses permettant de démon-trer les propriétés souhaitées. De l’avis du jury, leproblème de modélisation 2017 est une réussiteet il faut conserver ce thème dans les prochaineséditions, en rappelant que le choix des hypothèsesde régularité est laissé au candidat.

Le style des problèmes a donné lieu à des com-mentaires variés, depuis ceux des plus jeunes quise réjouissaient que les énoncés leurs aient été ac-cessibles, jusqu’à ceux des candidats plus mûrs quiauraient préféré des questions plus ouvertes, in-cluant une présentation culturelle du contexte, etéventuellement des pistes de recherche bibliogra-phique.

Un grand nombre de commentaires montre quece n’est pas la compétition qui constitue l’attraitdu concours, mais l’opportunité de réfléchir à fondsur un vaste choix de sujets. Néanmoins, la com-pétition à grande échelle apporte le grain de selindispensable. Tout moyen d’élargir et de diversifierle palmarès en attribuant diverses sortes de prix (entirant parti de la diversité des styles de problèmes,par exemple), serait bienvenu.

En tout cas, la satisfaction est là ! 69 candidatsdéclarent souhaiter participer à la prochaine édi-tion, les 6 autres regrettent d’être déjà en M2...

Le jury : Marie-Claude Arnaud, Julien Bar-ral, Christine Huyghe, Vilmos Komornik, Jé-rôme Le Rousseau, Régine Marchand, Jean-François Marckert, Bertrand Maury, PierrePansu (président), Emmanuel Peyre.

Pierre Pansu

Université Paris-Sud

Pierre Pansu est professeur. Il a été vice-président de la smf de 2012 à 2015.

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Diffusion des savoirs

Annexe : les réflexions des correcteurs

Cette partie résume les rapports plus complets,incluant un corrigé type et une analyse des solu-tions trouvées dans les copies, rassemblées dansun document disponible sur le site de la smf 5.

4.1 – Algèbre

Auteur : Reinhard Schäfke (université de Stras-bourg). Correcteurs : Reinhard Schäfke et AugustinFruchard (université de Haute Alsace).

« Le sujet tournait autour de l’équation h(xp)�h(x) = f (x), d’inconnue h, dans l’espace des poly-nômes en une variable. Deux telles équations (pourdes exposants multiplicativement indépendants)peuvent-elles avoir une solution commune?

35 équipes ont proposé une solution. Pour lacorrection, l’aide d’Augustin Fruchard m’a été pré-cieuse. Dans 21 de ces propositions, on trouve unesolution essentiellement complète. Le sujet n’étantpas trivial, c’est un très bon résultat. Encore plussatisfaisante, presque étonnante, est la diversité etl’originalité des approches utilisées, même si la plu-part des solutions suivent avec quelques variationsla piste de la solution o�cielle : établir l’existenced’une solution série formelle et ensuite montrerqu’elle est en fait polynomiale.

Une solution ramène le sujet à une question decohomologie – malheureusement sans le rendreplus simple.

Une solution traite même en profondeur le cas(non demandé) où les exposants sont multiplicati-vement dépendants et présente une généralisationdu sujet à un certain type de séries formelles. Cettesolution pourrait faire l’objet d’un article.

Le problème s’inspire de la prépublication ré-cente : Schäfke, R. and Singer, M.F., Consistent sys-tems of linear di↵erential and di↵erence equations,Preprint, arXiv:1605.02616v1, 2016. »

4.2 – Analyse

Auteur : Aline Bonami (université d’Orléans).« Le sujet portait sur les multiplicateurs de Fou-

rier des espaces de Sobolev W1,1. Il se présentaitcomme un problème usuel, avec quelques ques-tions élémentaires dans une première partie, puisune accélération dans la seconde dans laquelle on

regroupait les outils nécessaires pour arriver à unequestion finale dans laquelle on n’était plus guidé.

La question qui y est abordée est celle des opé-rateurs de convolution qui préservent l’espace deSobolev W1,1 des fonctions intégrables dont les dé-rivées partielles sont intégrables. Il est plus simplede le faire dans le cadre périodique, ce qui avaitl’avantage supplémentaire qu’il n’y avait pas direc-tement de littérature disponible. Il s’agissait demon-trer qu’alors qu’en dimension 1 les seules convolu-tions qui préservent l’espace sont les convolutionsavec des mesures bornées, il n’en est rien en dimen-sion supérieure. Pour obtenir un contre-exemple,on montrait qu’il était su�sant de considérer ladimension 2 pour laquelle l’espace de Sobolev seplonge dans L2, ce qui permettait d’avoir toute unefamille de telles convolutions. Puis on utilisait lesinégalités de Khintchine pour en déduire l’existencedu contre-exemple. C’est dans cette dernière partieque les étudiants se trouvaient livrés à eux-mêmes,en particulier pour réaliser qu’il fallait d’une façonou une autre raisonner par l’absurde pour dire ques’il n’y avait pas de contre-exemple on aurait uneborne uniforme pour les normes des mesures. Seulela meilleure copie, qui était excellente, a fait appelaux théorèmes d’analyse fonctionnelle à cet en-droit. Les copies qui ont été retenues, au nombre de6, sont celles qui ont compris l’ensemble de la dé-marche, les deux meilleures notes étant réservéesà celles qui se sont réellement attaquées à cettedernière question.

Le fait qu’il y ait de tels contre-exemples a ététrouvé par Poornima dans les années 1980 en uti-lisant les non L1 inequalities de D. Ornstein, c’est-à-dire des exemples de distributions d’ordre 1 donttoutes les dérivées partielles sont d’ordre 1 (ceci évi-demment lorsque la dimension est supérieure à 1).J’ai peu après montré avec elle, toujours en utilisantle théorème d’Ornstein, qu’aucun opérateur d’in-tégrale singulière ne préserve l’espace W1,1(ë d ).J’aurais aimé, et j’aimerais toujours, montrer queles convoluteurs des espaces Wk,1 di↵èrent, nonpas uniquement entre k = 0 et k > 0, mais pourtoutes les valeurs de k. L’espace W1,1(ë d ) est unespace dont on sait bien qu’il réserve des mys-tères, tout comme l’espace BV. Curieusement, laconstruction d’Ornstein a attiré récemment l’atten-tion de plusieurs auteurs. Je suis revenue sur le

5. http://smf.emath.fr/files/rapport_concours_smf_junior_long.pdf

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Le Concours smf junior 2017

sujet ces dernières années grâce à la lecture d’unarticle récent de deux collègues polonais, Kazanie-cki et Wojciechowski, dans lequel ils vont plus loinque nous n’étions allées dans les années quatre-vingts et montrent que les transformées de Fourierdes convoluteurs de l’espace homogène W1,1(ë d )sont continues. Le texte du problème est issu deréflexions récentes. La construction qui est don-née dans le problème permet de montrer qu’il y ad’autres opérateurs de convolution que ceux quisont donnés par des distributions d’ordre 1 dontles dérivées partielles sont aussi d’ordre 1, autre-ment dit que Poornima n’avait pas trouvé tous lesopérateurs de convolution de W1,1(ë d ).

Certaines copies, par ailleurs soignées, ont mon-tré un réel manque de culture sur les séries de Fou-rier. La démarche de la dernière question est évi-demment naturelle si on sait comment démontrerqu’il n’y a pas convergence des séries de Fourierdans L1. Plus élémentaires, les manipulations surles séries doubles n’étaient pas forcément aisées. »

4.3 – Combinatoire-Cryptographie

Auteur : Olivier Poisson (Aix-Marseille univer-sité).

« Ce problème m’a été proposé il y a une dizained’années et à peu près tel quel par un ingénieurd’Intertechnique (actuellement Zodiac ou Safran).Celui-ci a malheureusement perdu la trace de sonorigine.

19 équipes ont rendu une copie. Il s’agissait dedénombrer les points entiers dans l’intersectiond’un hyperplan et d’un parallélépipède de côtés pro-portionnels à des entiers kj . Deux approches ont étéutilisées principalement. D’abord, la méthode géo-métrique, qui compare ce nombre de points entiersavec la mesure (de Hausdor↵) de l’intersection del’hyperplan et du parallélépipède. Il est possible dedonner des estimations simples de la mesure de cegenre d’hypersurface en comparant par exemple leparallélépipède avec des boules euclidiennes cen-trées en 0. Une autre possibilité, moins élémentaire,est fournie dans une copie qui utilise le fait que le(n �1)-volume de l’intersection d’un hyperplan or-thogonal à u avec un pavé de ë n (coupé en soncentre) est minimal lorsque l’hyperplan est orthogo-nal à au i-ième vecteur de la base canonique de ë n ,où i est tel que ki = maxj kj . (La copie se réfère à unrésultat dans le livre d’Alexander Koldobsky : “Fou-rier Analysis in Convex Geometry”, ams, 2014. J’au-rais préféré plus de détails, mais la propriété, bien

que simple à formuler, semble compliquée à démon-trer). Ensuite, la deuxième méthode, probabiliste,part de la considération de n v.a.r Xi indépendantes,de loi uniforme sur [0,ki ], i = 1, . . . ,n. Cette approcheme paraît trop sophistiquée lorsqu’elle se limite àdémontrer la croissance du nombre de points en-tiers. Sinon, à partir de ce point, et en utilisant parexemple l’inégalité de Bienaymé-Tchebytchev (oumême de Hoe↵ding, sans doute plus précise), ellefournit une très bonne estimation. À noter que l’uti-lisation de l’inégalité de Hoe↵ding seule, sans lapropriété de croissance du nombre de points en-tiers, donne un résultat insu�sant.

Un bon lot de copies s’est attaqué à la détermi-nation d’un équivalent du nombre de points entierslorsque p est grand, soit, comme déjà commenté, enprenant la méthode géométrique, qui me paraît laplus élégante, soit par le théorème du crible. Malgréquelques erreurs mineures ou des preuves un peurapides, il est assez satisfaisant de voir apparaîtreun résultat substantiel.

Pour finir, j’ai été agréablement surpris de re-cevoir de nombreuses copies su�samment riches,certaines m’ayant permis d’avoir un nouveau regardsur le problème que j’ai soumis. »

4.4 – Géométrie

Auteur : Nicolas Juillet (université de Stras-bourg).

« Le principe était de proposer un problème ins-piré de la géométrie sous-riemannienne qui puisseavoir une formulation su�samment simple pourse prêter à l’expérimentation. On peut voir ce pro-blème comme un pendant discret d’un exemple clas-sique, celui d’une sphère roulant sans glisser surun plan (l’espace des configurations est de dimen-sion 5 mais la distribution non-intégrable des dépla-cements infinitésimaux est de dimension 2). Cettesituation évoque elle-même le transport parallèlesur une sphère, encore souvent abordé en master.L’étude des variétés roulant l’une sur l’autre est unsujet contemporain d’étude.

Le problème évoque également la notion deconnexion et la théorie de l’holonomie. Certainesdes approches proposées dans le concours peuventd’ailleurs faire songer au théorème d’Ambrose etSinger.

Nous avons reçu 31 propositions pour ce pro-blème. Seulement une dizaine d’entre elles ont étéjugées hors-sujet. Les questions 1, 3 et 4 ont glo-balement été mieux réussies que la question 2, la

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Diffusion des savoirs

plus di�cile, qui concernait l’octaèdre basculantsur le plan. Finalement une douzaine de solutions,complètes, ont été jugées satisfaisantes à très sa-tisfaisantes. Toutes ces douzes sont des solutionscomplètes. Notons finalement que de nombreusesidées originales ou élégantes ont été proposées, ycompris dans des copies moyennes. Cependant cesbelles idées n’ont pas toujours abouti à des démons-trations solides.

Nous avons apprécié que les candidats accom-pagnent leurs démonstrations de figures représen-tant tantôt le plan, tantôt les solides. Cela semblaittout à fait indiqué dans ce problème de géométrie eta été souvent réalisé à l’aide de logiciels permettantun très beau rendu. Toutefois les figures ont parfoiseu tendance à se substituer aux démonstrations.Ce fut le cas notamment dans les démonstrationsfaisant apparaître un coloriage des sommets destriangles pavant le plan. Ici, en toute rigueur il étaitsouhaitable d’indiquer que le coloriage était pério-dique (permettant une définition du coloriage à par-tir de la figure) et que des vérifications en nombrefini (on pouvait donner ce nombre) su�saient à dé-montrer le résultat voulu. Une autre façon consis-tait à définir exactement les couleurs à l’aide deformules et d’e↵ectuer les vérifications nécessairessur les formules. »

4.5 – Modélisation

Auteur : Filippo Santambrogio (université Paris-Sud).

« Le problème portait sur une question très na-turelle et issue de la vie réelle : comment traverserune route lorsqu’on doit en même temps se dépla-cer en direction parallèle à la route elle même. Laplupart des enfants ont envie de traverser tout droiten diagonale pour arriver le plus vite possible, alorsque leurs mères, soucieuses de ne pas les laissertrop longtemps au milieu de la chaussée où ils pour-raient se faire renverser par une voiture, voudraientqu’ils fassent un chemin en L en restant le pluspossible sur le trottoir... où est le juste milieu?

Ce genre de question, qui revient à chercherles géodésiques pour une longueur pondérée, serencontre fréquemment en recherche. Souvent l’es-pace parcouru par la courbe que l’on cherche n’estpas le plan (comme dans cet exercice) mais un es-pace de fonctions (récemment cela a été utilisépour résoudre des problèmes d’edp avec manquede compacité), de mesures (en transport optimal,mécanique des fluides,...)... ou alors il s’agit bien

d’une trajectoire dans l’espace euclidien d’un indi-vidu, mais le modèle demande ensuite à en faireinteragir plusieurs (comme dans les jeux à champmoyen...).

Les réponses à cette question de modélisa-tion ont été très variées, et on y trouve plusieursbonnes idées ainsi que plusieurs erreurs ou ano-malies. La première chose à faire consistait à tra-duire le problème, décrit exprès de manière trèsvague dans l’énoncé, en une question mathéma-tique. À quelques exceptions près cela a été bienfait. Presque personne n’a traduit le problème enune minimisation d’énergie avec le carré de la vi-tesse, qui simplifie beaucoup les arguments d’exis-tence et l’écriture d’une équation d’Euler-Lagrange.

La plupart des copies ont démontré l’existenced’une trajectoire minimisante en évoquant le Théo-rème d’Hopf-Rinow et d’autres notions de géométrieriemannienne. Ceci est correct, mais un peu déce-vant, alors qu’une preuve ad hoc pouvait être faitede manière assez élémentaire, et sous des hypo-thèses de régularité plus faibles.

Au contraire, en ce qui concerne la preuve dufait que la courbe est un graphe ou l’étude de saconvexité, les étudiants ont surtout utilisé des ar-guments “à la main” (remplacer une portion decourbe par un segment et montrer que le segmenta un coût inférieur, ce qui soulevait des di�cultésque les étudiants n’ont pas toujours vues), alorsqu’il était possible d’utiliser davantage l’équationd’Euler-Lagrange : celle-ci entraîne que x0 > 0. Lefait que la courbe soit aussi un graphe par rapportà l’autre variable y était plus compliqué.

En e↵et, il y avait une subtilité, pas forcémentvoulue, dans l’interprétation du sujet (les hypo-thèses étaient, exprès, très vagues). Dans le sujeton parlait d’une fonction “risque”, nulle sur les trot-toirs et régulière : on peut la considérer commedéfinie partout, et donc sa dérivée doit s’annulersur le bord du trottoir, ou définie seulement sur lachaussée, ce qui permet une dérivée non nulle surle bord. La plupart des théorèmes de géométrie rie-mannienne évoqués par les étudiants concernentdes variétés sans bord et lisses. Si on se place dansle premier cas tout marche bien, et on a aussi lerésultat d’unicité demandé ainsi que le fait que lacourbe soit un graphe par rapport à y.

Trois groupes d’étudiants ont bien compris lasubtilité : un a bien clarifié qu’il utilise une dérivéenulle sur le bord comme conséquence du fait quela fonction est nulle sur le trottoir et lisse ; deuxautres ne font pas cette hypothèse mais font la

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Le Concours smf junior 2017

distinction dans les résultats d’unicité d’après la dé-rivée au bord. Ces deux copies trouvent aussi que,dans le cas de dérivée non nulle au bord, l’unicitéest vérifiée si le déplacement vers l’est est su�sam-ment petit. Une de ces copies, par contre, ne prouvepas l’existence, alors que l’autre le fait par des mé-thodes directes, ce qui est remarquable. C’est cettecopie qui a eu la note la plus élevée, sans pourautant atteindre la note maximum, car certainesconstructions géométriques qui sont faites pouraméliorer les courbes ne sont pas 100% justifiées. »

4.6 – Probabilités

Auteur : Olivier Garet (université de Lorraine).« Une question fréquemment posée à propos

d’une chaîne de Markov, c’est de déterminer avecquelle probabilité un événement va arriver avant unautre, ou s’il va arriver un jour.

Ces problèmes peuvent souvent être résolus àpartir de la méthode de l’analyse au premier pas :le point de départ étant considéré comme un para-mètre, en conditionnant par la valeur du premiermouvement de la chaîne, on obtient alors un sys-tème d’équations linéaires.

Dans le cas où la chaîne de Markov est unemarche aléatoire, le système donne une récurrencelinéaire à coe�cients constants. L’exemple le plusclassique est le problème de la ruine du joueur, quiest traité dans tous les cours de M1. Ces systèmesd’équations sont souvent résolus par l’adjonctionde conditions “aux limites”, qui correspondent àdes positions où l’issue est déterministe. Cepen-dant, le succès de la méthode n’est pas assuré carrien n’assure a priori de disposer de su�sammentd’équations pour déterminer le système.

La question ici posée consistait à déterminer laprobabilité qu’une marche aléatoire à support fini,biaisée dans le sens positif, ne passe pas dans lesnégatifs. Ici, les premières conditions au bord sontdéterminées par le fait que partant de valeurs né-gatives, la probabilité est évidemment nulle. Avecun peu de travail, on montre que quand le point dedépart s’échappe à l’infini, la probabilité tend vers 1,ce qui nous donne encore une condition.

A-t-on assez de conditions? La démarche quej’avais envisagée, et qui a été suivie par presquetoutes les copies est la suivante : on résout uneéquation de récurrence linéaire, on l’exprime à

l’aide de la théorie générale ; un s’écrit

un =º

i

Pi (n)›ni ,

où les ›i sont les racines de l’équation caractéris-tique de la marche. Reste à déterminer les poly-nômes qui s’a�chent en face des puissances. Enface des puissances des racines de module dé-passant 1, le polynôme doit être 0, sinon les pro-babilités explosent. Cette “presque évidence” de-mande tout de même un petit travail, qui a été par-fois ignoré, parfois plus ou moins bien fait. Ceciétant fait, ne reste-t-il pas trop de racines? Ce der-nier point est traité avec le lemme de Rouché, quequelques-unsmalmènent, et qu’une copie réinventedans un cas particulier. Le soin donné aux démons-trations des points évoqués ci-dessus départageainsi l’essentiel des copies.

Cependant, une copie sort du lot, qui utilise unargument assez général, et cette fois très probabi-liste, auquel je n’avais pas songé. Je le décris briè-vement. Il est facile de voir que la suite des probabi-lités cherchées constitue une fonction harmoniquebornée de l’opérateur associé à la chaîne de Markov,ce qui permet de lui associer une martingale. Maisen réalité, toute solution bornée du système quel’on a obtenu est aussi une fonction harmonique, etpeut aussi se voir associer une martingale ; ainsi àl’aide d’un théorème de martingale, on peut identi-fier la solution et la suite cherchée, ce qui montreque le système linéaire est bien déterminé. L’argu-ment est très pur, et visiblement généralisable. Lacopie n’utilise pas le vocabulaire des fonctions har-moniques. Que ses auteurs soient cultivés ou trèsmalins reste en débat ; enfin il est clair qu’ils m’ontfait comprendre quelque chose.

Pour un ouvrage en français qui met clairementen lumière la méthode “first step analysis”, je re-commande mes notes de cours de master, Probabi-lités et processus stochastiques. 6 »

4.7 – Systèmes dynamiques

Auteur : Alexei Glutsyuk (cnrs et École normalesupérieure de Lyon).

« La question tenait en une phrase : un champde vecteurs holomorphe du plan peut-il admettreun cycle limite?

La solution aussi était très courte. Pourtant,ce problème n’a donné que 20 copies. La plupart

6. http://www.iecl.univ-lorraine.fr/~Olivier.Garet/livre-pps/

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Diffusion des savoirs

sont satisfaisantes. Une copie contient une mé-thode plus directe que celle que j’avais imaginée, enmontrant que les champs f et i f commutent. Celacontourne la démonstration de l’holomorphie duflot. Une autre copie démontre l’holomorphie en uti-lisant le fait que la dérivée du flot obéit à l’équationaux variations. »

4.8 – Théorie de la mesure

Auteur : Ai-Hua Fan (université d’Amiens).« On proposait de démontrer une inégalité va-

lable sur un espace mesuré (X,fi) quelconque. SiR

X f dfi = 0 et ” 6 g 6 ‘, alors

Z

Xfgdfi

6‘ �”‘ +”

Z

X|fg|dfi.

34 candidats ont répondu, la plupart de façoncorrecte. On a privilégié la rigueur, la clarté et lasimplicité, sans accorder d’importance à la conci-sion. Il y a des copies de 7 ou 8 pages, et d’autres de1 ou 2 pages. Certaines sont faciles à lire, d’autresplus di�ciles à suivre. Certaines copies auraient mé-rité une relecture plus soigneuse par leurs auteurs,car les coquilles y sont nombreuses.

Une copie mérite une attention particulière, elledonne une preuve reposant sur l’inégalité de Bern-stein (la norme sup de la dérivée d’un polynômetrigonométrique est majorée par la norme sup dupolynôme multipliée par le degré). C’est une mé-thode intéressante, à laquelle l’auteur n’avait paspensé. »

4.9 – Théorie des nombres

Auteur : Bruno Deschamps (université du Maine).« Il s’agissait, pour tout n donné, de déterminer

le nombre minimal „(n) tel que tout élément deô /nô soit somme de n carrés.

Il y a eu 45 propositions de solutions, justes dupoint de vue mathématique, et il a été di�cile declasser lesmeilleures. Les critères d’excellence rete-nus ont été l’originalité et le caractère élémentairedes arguments. Plusieurs solutions proposées utili-saient de gros (voire très gros) théorèmes tels queles théorèmes des deux et trois carrés, le lemme de

Hensel, le théorème de progression arithmétiquede Dirichlet. Nous avons donc considéré que “l’uti-lisation de bulldozers pour écraser une mouche”était un critère discriminant pour le palmarès, carpeu en accord avec la tradition de subtilité en théo-rie des nombres. Comme on pourra le voir sur lerapport complet de correction 7, il existait plusieursfaçons totalement élémentaires d’arriver au résul-tat, et plusieurs d’entre elles étaient concises etélégantes. Certaines de ces solutions sont mêmeprésentables à un niveau L1-L2, ce qui est remar-quable.

Pour ce qui est des démonstrations proposées,elles ont toutes, peu ou prou, suivi la même straté-gie. Nous avons toutefois été à la fois surpris et ravisde découvrir une grande diversité d’idées avancéespour la résolution du problème. C’est sur les pointsclé qu’il y a eu des variantes d’arguments. »

4.10 – Topologie

Auteur : Marc Peigné (université de Tours).« Il s’agissait de minorer le nombre de points

d’une orbite d’une action de groupe dans unegrande boule. Ce sujet est inspiré de résultatsconcernant les groupes d’isométries de variétésà courbure négative. L’exposant ÷G est appelé aussiexposant de Poincaré, c’est l’exposant critique dela série du même nom (critique au sens où cettesérie converge pour s > ÷G et diverge pour s < ÷G ).Une question naturelle est de savoir si cette sé-rie diverge en s = ÷G , auquel cas le groupe estdit divergent. Cette question semble au premierabord anodine, elle est en fait très profonde et a desconséquences importantes sur la dynamique du flotgéodésique. Pour les groupes co-compacts, l’argu-ment de sous-additivité, objet du présent énoncé,est la méthode la plus simple.

Sur les 30 copies rendues, 6 ont donné des so-lutions complètes. Une copie a développé une ap-proche personnelle de la question 2, en passant parla métrique des mots. Ce passage n’est pas natureldans le contexte de l’énoncé, même si pour la mé-trique des mots la réponse est plus rapide ; mais jedois avouer que j’ai été surpris qu’on puisse revenirà la distance initiale en introduisant un paramètresupplémentaire, cela m’a beaucoup intrigué et inté-ressé. »

7. http://smf.emath.fr/files/rapport_concours_smf_junior_long.pdf

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Parité

Comment les stéréotypes de genrecorrompent nos perceptions, nos jugementset nos comportements : quelques apportsde psychologie sociale

• V. Bonnot

Ce n’est pas une nouvelle, le parcours des filleset des femmes dans les domaines scientifiques ettechniques est semé d’embûches, et le temps quipasse ne change pas grand-chose à l’a↵aire. Malgréleur meilleure réussite au baccalauréat, elles res-tent sous-représentées dans les filières, puis dansles métiers scientifiques, technologiques ou d’ingé-nierie. Lorsqu’elles y entrent, leur nombre s’ame-nuise souvent au fur à mesure du cursus (un phé-nomène baptisé « leaky pipeline » ou tuyau percé)et leur progression de carrière est loin de suivrecelle des hommes. Par exemple, alors qu’elles re-présentent 30% des étudiant-e-s en Sciences Fon-damentales et Application à l’université, elles nereprésentent plus, pour ce qui concerne les mathé-matiques, que 18% des mcf et 6% des pr en ma-thématiques pures (39% mcf et 18% pr en mathsappliquées), et seulement 14.6% des Chargé-e-s deRecherche, et 21.3% des Directeurs/Directrices deRecherche au cnrs (section 41).

Il ne s’agira pas dans cet article de traiter laquestion des préjugés et de la discrimination spécifi-quement dirigés contre les femmes mais plutôt desbiais auxquels nous sommes toutes et tous soumisdu fait des stéréotypes de genre. Quelques illustra-tions empiriques issues de la psychologie socialeexpérimentale permettront d’appuyer mon proposen mettant en évidence la relation causale liantstéréotypes et carrières féminines, et la diversitédes e↵ets délétères des stéréotypes depuis l’écoleet l’orientation scolaire jusqu’au recrutement etau parcours professionnel des femmes, dans lessciences et au-delà.

Les stéréotypes de genre sont les croyances queles gens partagent concernant les traits de person-nalité, compétences, émotions, comportements queles personnes appartenant à un même groupe so-cial (e.g., les femmes et les hommes, les blancs etles noirs, les Français et les Italiens. . . ) sont cen-sés posséder du seul fait de cette appartenance.On distingue ces croyances (dimension cognitive)des attitudes (dimension a↵ective) à l’égard de cesgroupes qu’on appelle préjugés – sexisme dans lecadre des préjugés à l’égard des femmes. Alors qu’àl’origine des recherches en psychologie sociale desrelations intergroupes les préjugés correspondaientà des attitudes négatives, les recherches plus ré-centes se sont intéressées davantage aux attitudes« positives », dont les conséquences sont aussi voireplus dommageables que leur pendant négatif dufait de la di�culté à en appréhender directementl’aspect pernicieux. On parle alors de sexisme « bien-veillant » (par contraste au sexisme « hostile »), dontl’une des dimensions correspond au paternalisme(par exemple à l’idée que les femmes auraient par-ticulièrement besoin d’être aidées et protégées ;cf. [9]).

Les stéréotypes de genre ont pour fonction delégitimer les inégalités sociales entre femmes ethommes, en d’autres termes, le système de genre(e.g., [13] ; [19]). Pour ce faire, la complémentaritédes stéréotypes est très importante : les hommeset les femmes sont censées posséder des quali-tés et défauts complémentaires les uns des autres.Ainsi, les femmes sont stéréotypées comme plus so-ciables et bienveillantes (tournées vers autrui, em-pathiques, amicales. . . ) que les hommes qui sont à

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leur tour considérés comme plus compétents et as-sertifs (tournés vers l’action, indépendants, possé-dant les qualités de leadership et d’autorité. . . ). Lesdomaines de compétence sont également perçuscomme sexués : les femmes seraient plus douéesdans les domaines verbaux, les hommes dans lesdomaines logico-mathématiques (notez par ailleursle di↵érentiel de valeur sociale des qualités sup-posées et domaines dits « féminins » et « mascu-lins »). Des recherches récentes montrent en outreque les élèves ont connaissance d’un stéréotypeselon lequel les filles doivent faire plus d’e↵ortsque les garçons pour réussir, que leur intelligenceest moins perfectible, moins susceptible de s’amé-liorer, et qu’elles ont donc moins de potentiel queles garçons qui, à l’inverse, et à condition qu’ilsle décident, se révèleront brillants [18]. Ces sté-réotypes sont généralement acquis très jeune ; parexemple dès le cm2 pour celui concernant les dis-ciplines scolaires (maths/français ; [15]). Avant decontinuer la lecture de cet article, n’hésitez pasà évaluer vous-même vos propres stéréotypes (etvos préjugés) grâce par exemple au Test d’Asso-ciation Implicite (ici : https://implicit.harvard.edu/implicit/france/). Confrontés à des ques-tions directes nous sommes généralement moti-vés à contrôler nos réponses de façon à paraîtreexempts de toute pensée stéréotypée ou sexiste.Cet outil permet de mesurer les stéréotypes impli-cites en contournant les stratégies de présentationde soi.

Voyons maintenant quelles sont les consé-quences de ces stéréotypes : d’une part sur la façondont nous considérons les femmes, d’autre part surla façon dont les femmes elles-mêmes peuvent êtreamenées à se considérer.

Les stéréotypes de genre biaisent notre trai-tement de l’information, nos attitudes et noscomportements à l’égard des femmes. Les re-cherches montrent e↵ectivement que les stéréo-types colorent la façon dont nous traitons et mémo-risons les informations. Par exemple, lorsque nouslisons une série de phrases décrivant des compor-tements produits soit par des femmes soit par deshommes, le sexe des protagonistes influence la fa-çon dont nous nous rappellerons l’événement décrit[7]. Dans cette étude on présente plusieurs phrases,par exemple : « Elisabeth ne fut pas très surprise desa note au test de mathématiques » (notez qu’au-cune information sur la note obtenue n’est délivréedans cette phrase). Plus tard, lors d’une tâche de

reconnaissance des phrases lues, mais modifiéespour inclure une information qui va dans le sensdu stéréotype ou dans le sens contraire, il s’avèreque la phrase « Elisabeth ne fut pas très surprisede sa mauvaise note au test de mathématiques »est plus fréquemment reconnue que la phrase « Eli-sabeth ne fut pas très surprise de sa bonne noteau test de mathématiques ». Autrement dit les sté-réotypes nous guident (de façon erronée) dans l’in-terprétation des événements dont nous sommestémoins. J’utilise le « nous » à dessein : en e↵et,les recherches montrent le plus souvent que lesfemmes, comme les hommes, sont soumises auxmêmes biais dans la perception et l’évaluation desfemmes.

Les stéréotypes influencent également la façondont nous allons juger et nous comporter à l’égardde leurs cibles. Prenons l’exemple de cette expé-rience particulièrement illustrative dans laquelledes hommes doivent dans un premier temps vision-ner des publicités au contenu stéréotypé ou neutre[16]. Leur tâche est, dans un deuxième temps, defaire passer un entretien d’embauche à une femme.On mesure ensuite à l’aide de questionnaires lesinformations retenues par les participants au sujetde la candidate, et leur évaluation. En comparai-son de ceux ayant visionné les publicités neutres,les hommes ayant visionné les publicités stéréoty-pées préalablement à l’entretien se rappellent en-suite de moins d’informations permettant une éva-luation des compétences de la candidate par rap-port au poste proposé, mais de plus d’informationsconcernant son apparence physique. Ils la jugentégalement moins compétente, mais plus aimable(cf. complémentarité des stéréotypes), sont moinsfavorables à son recrutement et, lorsqu’ils le sont,lui proposent un salaire plus faible. Enfin, des obser-vateurs indépendants (i.e., n’ayant connaissance nides conditions expérimentales, ni des hypothèses)jugent que les hommes de la condition « publicitésstéréotypées » se sont comportés pendant l’entre-tien de façon plus sexiste que les hommes de lacondition « publicités neutres », interrompant plussouvent la candidate (cf. phénomène qualifié de«manterrupting ») ou regardant plus souvent soncorps. . .

Enfin, notons que les femmes qui se comportentd’une façon qui va à l’encontre des stéréotypes degenre (e.g., des femmes a�rmant leurs idées, négo-ciant leur salaire, une promotion, prenant l’initiatived’un nouveau projet. . . ) sont généralement jugéesplus sévèrement : elles gagnent parfois en com-

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Stéréotypes de genre : quelques apports de psychologie sociale

pétence perçue mais perdent souvent en sociabi-lité (e.g., elles sont perçues comme égoïstes, agres-sives, sournoises, dures. . . ), et on préfère alors nepas travailler avec elles (e.g., [10]). Su�rait-il doncde se conformer au stéréotype pour espérer êtrebien traitée, ou en tout cas pas moins bien qu’uncollègue masculin? Non bien sûr, cela n’est pasnon plus très e�cace pour sa carrière. Par exemple,dans une expérience [11] on demandait à des ma-nagers (femmes et hommes) d’évaluer un employé(dont on faisait varier le sexe) sur la base d’undossier contenant des informations le concernantassorties d’un exemple de comportement censéêtre représentatif des comportements de cet/cetteemployé-e en général. En l’occurrence, le dossierrapportait le témoignage d’un collègue ayant sol-licité l’aide de l’employé-e pour refaire en urgenceune présentation perdue à cause d’un problème in-formatique. Ici aider constitue un comportementde « citoyenneté organisationnelle altruiste » (ap-porter son aide aux autres, accueillir les nouveauxvenus, expliquer le fonctionnement de la structure,contribuer aux tâches collectives. . . ) qui permet unbon fonctionnement de l’organisation. Dans une pre-mière condition expérimentale, l’employé-e en ques-tion acceptait d’aider le collègue. Dans la deuxièmecondition expérimentale, l’employé-e refusait d’ai-der le collègue. Dans une condition contrôle en-fin, aucune information sur le comportement del’employé-e n’était fournie. Les résultats sont trèsclairs. Lorsque l’employée est une femme elle estsanctionnée si elle n’aide pas son collègue : encomparaison de la condition contrôle, sa perfor-mance est évaluée plus négativement et son travailmoins gratifié (i.e., augmentation de salaire, pro-motion, prime, ou nouvelles responsabilités sontmoins recommandées). En revanche, elle ne gagnerien à accepter d’aider son collègue, le fait d’aiderétant un comportement « naturel » et attendu pourune femme. Lorsque l’employé est un homme, c’estl’exact opposé qui se produit : il est récompensés’il accepte d’aider, mais n’est pas sanctionné s’ilchoisit de ne pas le faire. . . Le sexe du manager-évaluateur ne changeant rien à l’a↵aire.

Les stéréotypes de genre conditionnent lesperceptions, attitudes et comportements desfemmes. Ces stéréotypes peuvent finir par êtreintériorisés par leurs cibles. En e↵et, nombre de re-cherches montrent que la socialisation des femmesdans une société imprégnée de ces stéréotypes (parle biais des médias – cf. supra publicités stéréo-typées, parents, enseignants, collègues. . . ), peut

les amener à penser que, parce qu’elles sont desfemmes, elles sont e↵ectivement moins compé-tentes dans les domaines scientifiques. Ces percep-tions de compétence biaisées par les stéréotypesperturbent ensuite la motivation (e.g., « les mathsce n’est pas fait pour moi, ça ne m’intéresse pas,ça m’ennuie, donc je laisse tomber ») et la capacitéà se concentrer uniquement sur la tâche à réali-ser (i.e., l’attention est divisée entre la résolutionde la tâche mathématique et des pensées distrac-tives du type : « je suis nulle en maths, je ne vaispas y arriver, comme d’habitude »), et donc, in fine,la performance (e.g., [1]), et les choix d’orientation(e.g., [8]). Néanmoins, ces e↵ets délétères peuventne se manifester que dans certaines situations oucontextes qui réactualisent les stéréotypes (e.g.,être confrontée à des jeux stéréotypés, à des pu-blicités stéréotypées, à une personne sexiste, à del’« humour » sexiste, être seule femme dans un en-vironnement très masculin. . . ), et indépendammentde l’intériorisation du stéréotype (donc même sil’on n’y croit pas). Par exemple lorsqu’on demandeà des élèves de 14 ans de s’évaluer et de rappe-ler leurs notes passées en mathématiques après(vs. avant) s’être prononcé sur les compétences desfemmes et des hommes dans ce domaine, les fillesse perçoivent moins compétentes et se rappellentde notes en mathématiques moins bonnes qu’ellesn’étaient réellement alors qu’on observe l’inversepour les garçons [6]. Ces biais de perception vontensuite influencer leurs choix d’orientation : en e↵et,contrairement à un garçon qui surestime ses notesen mathématiques, une fille qui sous-estime lessiennes choisira moins volontiers une orientationdans une filière scientifique. La performance elle-même peut être altérée si la situation évaluativeconvoque implicitement le stéréotype ou le risqued’être jugé sur cette base (cf. e↵et de menace dustéréotype, [17]). Ainsi, une tâche présentée à desélèves de 12 ans comme évaluant des capacitésen géométrie sera moins bien réussie par les fillesque par les garçons, alors que cette même tâcheprésentée comme un exercice de dessin fait dispa-raître la di↵érence de performance [12]. De mêmelorsqu’on rend saillante une norme inégalitaire (i.e.,« les étudiants dans cette université pensent queles filles ont un niveau plus faible que les garçonsen maths ») les étudiantes approuvent le stéréo-type, se perçoivent comme moins compétentes, etréussissent moins bien une évaluation en statis-tiques que lorsqu’une norme égalitaire est renduesaillante (i.e., « les étudiants dans cette universitépensent que filles et garçons ont un niveau équi-

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Parité

valent enmaths » ; [2]). Enfin, des recherches plus ré-centes montrent comment le contexte inégalitairepromeut directement ces perceptions et comporte-ments biaisés par les stéréotypes. En e↵et, il existeun besoin psychologique fondamental pour les in-dividus à percevoir le système dont ils dépendentcomme étant juste et légitime, les stéréotypes four-nissant précisément une justification aux inégalitéssociales, notamment de genre, en les essentialisant[13]. Ainsi, par exemple, exposées à un article men-tionnant les inégalités de genre, les femmes se per-çoivent, paradoxalement, de façon plus conformesaux stéréotypes, que lorsqu’elles sont exposées àun article neutre [14] ; voir aussi [3, 5, 4]. Autre-ment dit, plutôt que de contester un système qui lesdésavantage, elles peuvent être amenées à ration-

naliser ces inégalités en s’alignant précisément surces stéréotypes qui légitiment leur position sociale.

Comme vous pouvez le constater, les e↵ets dé-létères des stéréotypes sont précisément de na-ture à renforcer ces stéréotypes, à donner l’impres-sion que les stéréotypes ont un « noyau de vérité »et reflètent la « vraie nature » des hommes et desfemmes (« mais si, c’est vrai, les filles réussissentmoins bien en maths que les garçons ! ! »). Les sté-réotypes servent à légitimer les inégalités sociales,et en biaisant nos perceptions et nos comporte-ments ils créent leur propre réalité (comme uneprophétie qui se réalise). Il est donc plus que jamaisnécessaire de combattre les inégalités et les sté-réotypes – et pour cela aussi la psychologie socialea quelques idées. . .

Quelques ouvrages pour en savoir plus

Bohnet, I. (2016).What works. Gender equality by design. Harvard : Belknap.Croizet, J.C. & Leyens, J.Ph. (2003). Mauvaises réputations – Réalités et enjeux de la stigmatisation sociale. Ed.A. ColinFaniko, K., Lorenzi-Cioldi, F., Sarrasin,O., & Mayor, E. (Eds). (2015). Gender and Social Hierarchies : Perspectivesfrom Social Psychology. London : Routledge.Mathevon, N. & Viennot, E. (2017). La di↵érence des sexes : questions scientifiques, pièges idéologiques. Ed.BelinRudman, L. & Glick, P. (2008). The social psychology of gender – How power and intimacy shape gender relations.NY : Guilford.Toczek, M.C. & Martinot, D. (2004). Le défi éducatif – Des situations pour réussir. Ed. A. Colin.

Références

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[2] V. Bonnot et J.-C. Croizet. « Stereotype threat and stereotype endorsement: their joint influence on women’s mathperformance ». Revue internationale de psychologie sociale 24, no 2 (2011). Retrieved from http://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2011-2-page-105.htm, p. 105–120.

[3] V. Bonnot et J. T. Jost. « Divergent e↵ects of system justification salience on the academic self-assessments of menand women ». Group Processes & Intergroup Relations 17, no 4 (2014), p. 453–464. doi : 10.1177/1368430213512008.

[4] V. Bonnot et S. Krauth-Gruber. « Gender Stereotype-Consistent Memories: How System Justification Motivation Distortsthe Recollection of Information Related to the Self ». The Journal of Social Psychology (2017). doi : 10.1080/00224545.2017.1317232.

[5] V. Bonnot et S. Krauth-Gruber. « System-justifying behaviors: When feeling dependent on a system triggers genderstereotype-consistent academic performance ». European Journal of Social Psychology 46, no 6 (2016), p. 776–782.doi : 10.1002/ejsp.2201.

[6] A. Chatard, S. Guimond et L. Selimbegovic. « “How good are you in math?” The e↵ect of gender stereotypes on students’recollection of their school marks ». Journal of Experimental Social Psychology 43, no 6 (2007), p. 1017–1024. doi :10.1016/j.jesp.2006.10.024.

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Stéréotypes de genre : quelques apports de psychologie sociale

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[10] M. E. Heilman, C. J. Block et R. F. Martell. « Sex stereotypes: Do they influence perceptions of managers? » Journal ofSocial behavior and Personality 10, no 6 (1995), p. 237–252.

[11] M. E. Heilman et J. J. Chen. « Same behavior, di↵erent consequences: reactions to men’s and women’s altruisticcitizenship behavior. » Journal of Applied Psychology 90, no 3 (2005), p. 431. doi : 10.1037/0021-9010.90.3.431.

[12] P. Huguet et I. Regner. « Stereotype threat among schoolgirls in quasi-ordinary classroom circumstances. » Journal ofEducational Psychology 99, no 3 (2007), p. 545. doi : 10.1037/0022-0663.99.3.545.

[13] J. T. Jost et M. R. Banaji. « The role of stereotyping in system-justification and the production of false consciousness ».British journal of social psychology 33, no 1 (1994), p. 1–27. doi : 10.1111/j.2044-8309.1994.tb01008.x.

[14] K. Laurin, A. C. Kay et S. Shepherd. « Self-stereotyping as a route to system justification ». Social Cognition 29, no 3(2011), p. 360–375. doi : 10.1521/soco.2011.29.3.360.

[15] D.Martinot, C. Bagès et M. Désert. « French children’s awareness of gender stereotypes about mathematics and reading:When girls improve their reputation in math ». Sex Roles 66, no 3-4 (2012), p. 210–219. doi : 10.1007/s11199-011-0032-3.

[16] L. A. Rudman et E. Borgida. « The afterglow of construct accessibility: The behavioral consequences of priming mento view women as sexual objects ». Journal of Experimental Social Psychology 31, no 6 (1995), p. 493–517. doi :10.1006/jesp.1995.1022.

[17] C. M. Steele. « A threat in the air: How stereotypes shape intellectual identity and performance. » American psychologist52, no 6 (1997), p. 613. doi : 10.1037/0003-066X.52.6.613.

[18] C. Verniers et D. Martinot. « Perception of students’ intelligence malleability and potential for future success: Unfavou-rable beliefs towards girls ». British Journal of Educational Psychology 85, no 3 (2015), p. 289–299. doi : 10.1111/bjep.12073.

[19] C. Verniers et al. « How gender stereotypes of academic abilities contribute to the maintenance of gender hierarchy inhigher education ». Men and Women in Social Hierarchies, eds K. Faniko, F. Lorenzi-Cioldi, O. Sarrasin, and E. Mayor(London: Routledge) (2015).

Virginie Bonnot

Virginie Bonnot est enseignante-chercheuse en Psychologie sociale au laboratoire de psychologie sociale :Menaces et Société à l’université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité.

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Raconte-moi

... un perfectoïde

• B. Le Stum

Avant de commencer, je tiens à préciser que jen’ai jamais apporté aucune contribution à la théo-rie des perfectoïdes et que je n’ai jamais utilisé cesobjets dans le cadre de mon travail. Je vais doncsimplement tenter de partager en toute innocencemon enthousiasme pour ces idées.

1. Une simple analogie?

Il y a une analogie troublante entre les entiersnaturels et les polynômes. Tout entier naturel s’écritde manière unique comme combinaison linéaire fi-nie

n = adpd + · · ·+ a2p

2 + a1p+ a0 =d

º

i=0

aipi

où p > 2 est un entier naturel fixé et0 6 a0, . . . ,ad < p. C’est l’écriture en base p ou écri-ture p-gésimale si vous préférez. Nous pouvonsprendre p = 10 mais nous supposerons plutôt que pest premier. D’un autre côté, tout polynôme s’écritde manière unique comme combinaison linéairefinie

f (t) = ad td + · · ·+ a2t

2 + a1t + a0 =d

º

i=0

ai ti

avec a0, . . . ,ad 2 k où k est un corps donné. Nouspouvons même transformer cette analogie en unebijection en choisissant k = Öp (c’est-à-dire le corpsà p éléments ô /pô ) :

ç oo // Öp[t]¥d

i=0 aipi �

//

¥di=0 ai t

i

.

Nous disposons d’une addition et d’une multipli-cation de chaque côté. Malheureusement notre bi-jection n’est pas compatible avec ces opérations.Comme nous l’avons tous appris à l’école, lorsque

nous ajoutons des entiers, il ne faut pas oublier laretenue. Lorsque nous additionnons des polynômes,ce n’est plus nécessaire. Si nous considérons çcomme l’objet de base de l’arithmétique (ou plusprécisément de la géométrie arithmétique) et k[t]comme l’objet de base de la géométrie (ou plus pré-cisément de la géométrie algébrique), nous dironsque le versant arithmétique comporte des di�cul-tés qui s’e↵acent en géométrie. Se pose alors laquestion suivante : pouvons-nous modifier notreanalogie de manière à ce que les opérations algé-briques d’un côté et de l’autre se correspondent? Ilsera alors possible de transférer certains résultatsconnus de la géométrie vers l’arithmétique où lesdéfis sont souvent plus ardus. C’est une réponsepositive à cette question que fournit la théorie desperfectoïdes.

2. Un corps perfectoïde (ou deux)

Nous revenons à notre bijection entre ç et Öp[t]et allons tâcher de la prolonger de di↵érentes ma-nières.

Avant toute chose, remarquons que nous pou-vons autoriser les puissances négatives et que nousobtenons ainsi une bijection

ç [1/p] oo // Öp[t, t�1]¥d

i=�e ai pi �

//

¥di=�e ai t

i

entre les p-gésimaux (décimaux en base p) positifset les polynômes de Laurent (fractions rationnellesayant au plus un pôle à l’origine).

Alternativement, nous pouvons autoriser lessommes infinies et obtenir une bijection

ô p oo // Öp[[t]]¥

i>0 aipi �

//

¥

i>0 ai ti

60 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 63: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

un perfectoïde

entre l’anneau des entiers p-adiques et celui desséries formelles (ce sont deux anneaux de valua-tion discrète 1 complets). C’est ce que l’on appellele processus de complétion. Afin de préciser cetteidée, rappelons que nous disposons d’une valeur ab-solue sur l’ensemble des entiers naturels, la valeurabsolue p-adique, donnée par |n| = 1/pv si

n = adpd + ad�1p

d�1 + · · ·+ avpv avec av , 0.

Cela mesure la divisibilité de n par p. Une valeurabsolue va toujours induire une distance en posanttout simplement d(m,n) = |n �m|. Le processus decomplétion provient alors de la théorie des espacesmétriques. Les opérations algébriques, tout commela valeur absolue, se prolongent alors par conti-nuité. Si nous définissons de la même façon la va-leur absolue t-adique du côté des polynômes (nor-malisée par |t| = 1/p), notre bijection est alors uneisométrie.

Nous pouvons autoriser simultanément les puis-sances négatives et les sommes infinies, ce qui four-nit une bijection

êp oo // Öp((t))¥

i>�e ai pi �

//

¥

i>�e ai ti

entre le corps des nombres p-adiques et celui desséries de Laurent (ce sont les corps des fractionsdes anneaux précédents). Cette correspondancen’est toujours pas compatible avec les opérationsalgébriques.

La véritable magie va apparaître quand nous al-lons admettre les puissances fractionnaires. Il s’agitde l’étape de « perfectisation ». En e↵et, nous pou-vons déjà remarquer que, pour n fixé, il existe unebijection

ç [p1pn ] oo // Öp[t

1pn ]

¥di=0 aip

ipn �

//

¥di=0 ai t

ipn

,

et nous pouvons ensuite passer à la limite sur npour obtenir une bijection

ç [p1p1 ] ! Öp[t

1p1 ],

en envoyant une somme finie¥

arpr avec r 2 ç [1/p]sur la somme

¥

artr . Nous pouvons ensuite com-pléter et obtenir une bijection

Ç

ô p[p1p1 ] !

Ç

Öp[[t1p1 ]]

entre deux anneaux (ce sont des anneaux de valua-tion 2 non discrète, c’est-à-dire qu’ils ne sont pasnoethériens). En autorisant les puissances néga-tives, nous obtenons une bijection entre leurs corpsde fractions

Ç

êp(p1p1 ) !

Ç

Öp((t1p1 )).

On dit queÇ

êp(p1p1 ) est un corps perfectoïde 3 et

queÇ

ô p[p1p1 ] est son anneau d’entiers. De même, le

corpsÇ

Öp((t1p1 )) est aussi un corps perfectoïde ap-

pelé le basculé deÇ

êp(p1p1 ). Son anneau d’entiers

estÇ

Öp[[t1p1 ]].

3. Le basculement

Après avoir agrandi nos objets, nous devonsaussi modifier la correspondance de manière à pou-voir retrouver les opérations algébriques.

Cela repose sur l’observation fondamentale sui-vante : nous avons un isomorphisme d’anneaux.

ô [p1p1 ]/(p) '

// Öp[t1p1 ]/(t)

p1/pnoo // t1/p

n.

C’est assez simple à voir si nous construisons enfait l’isomorphisme inverse. Tout d’abord, il existeun unique morphisme d’anneaux

Öp! ô [p1p1 ]/(p)

(car ce dernier est un anneau de caractéristiquep). Nous pouvons le prolonger à Öp[t] en envoyantt sur 0. Si nous fixons n, ce dernier morphisme seprolonge ensuite de manière unique en

Öp[t][X] // ô [p1p1 ]/(p)

X �// p1/pn

dont le noyau est exactement (t,Xpn � t). Nous ob-tenons ainsi un morphisme injectif

Öp[t1pn ]/(t) ,! ô [p

1p1 ]/(p)

1. Un anneau de valuation discrète est un anneau local intègre principal.2. Un anneau de valuation est un anneau intègre A satisfaisant à 8x,y 2 A,x | y ou y | x.3. Un corps perfectoïde est un corps complet K pour une valuation non discrète de rang un dont le corps résiduel est de caractéris-

tique p > 0 et tel que la puissance p-ième soit surjective modulo p sur l’anneau K� des entiers de K.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 61

Page 64: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Raconte-moi

et il su�t de passer ensuite à la limite sur n.L’étape suivante consiste à extraire des racines

p-ièmes de chaque côté. À cette fin, nous écrirons(si G est un monoïde)

lim ��x 7!xp

G =n

(. . . ,x2,x1,x0), xi 2 G ,xpi+1 = xio

.

Nous disposons alors de la suite d’isomorphismes(le premier étant seulementmultiplicatif )

lim ��x 7!xp

Ç

ô p[p1p1 ] ' lim ��

x 7!xpô [p

1p1 ]/(p)

' lim ��x 7!xp

Öp[t1p1 ]/(t) '

Ç

Öp[[t1p1 ]].

Je ne vais pas entrer dans les détails mais nouspouvons dire que la bijection de gauche s’obtient

facilement en utilisant le fait que l’anneauÇ

ô p[p1p1 ]

est complet pour la topologie p-adique et que sonquotient modulo p est exactement ô [p

1p1 ]/(p). C’est

un argument analogue qui sert de l’autre côté mais

nous utilisons de plus le fait queÇ

Öp[[t1p1 ]] est un

anneau parfait (la puissance p-ième est un auto-morphisme). Finalement, nous obtenons un isomor-phisme de corps :

lim ��x 7!xp

Ç

êp(p1p1 ) '

//

Ç

Öp((t1p1 ))

(. . . ,p1/p2,p1/p,p) oo // t

.

Il faut bien sûr préciser les lois à gauche (car il nes’agit pas d’une limite au sens des anneaux). Lamultiplication se fait terme à terme :

(. . . ,x2,x1,x0)(. . . ,y2,y1,y0) = (. . . ,x2y2,x1y1,x0y0).

L’addition demande cependant un peu plus d’atten-tion. Nous aurons

(. . . ,x2,x1,x0) + (. . . ,y2,y1,y0) = (. . . ,z2,z1,z0)

avec, pour tout i 2 ç ,

zi = limn(xi+n + yi+n)

pn ,

la limite étant prise pour la topologie p-adique.

4. Des presque mathématiques

On définit plus généralement la notion de corpsperfectoïde K. Son basculé est un corps perfectoïde

de caractéristique p > 0 donné ensemblistementpar la formule

lim ��x 7!xp

K =: KÉ,

les lois étant celles décrites ci-dessus. Notonsqu’un corps perfectoïde de caractéristique p > 0est parfait, ce qui signifie exactement que KÉ = K.

Le premier résultat significatif montre que lesthéories des équations algébriques sur K et sur KÉ

sont les mêmes (on rappelle que le groupe de Ga-lois classifie les extensions finies séparables d’uncorps) :Théorème 1 (Fontaine, Wintenberger). On dis-pose d’un isomorphisme

Gal(K/K) 'Gal(KÉ/KÉ).

Par exemple, pour étudier une équation algé-brique sur êp, quitte à remplacer p par une racinepn-ième de p assez grande, il su�t de considérerl’équation correspondante sur Öp((t)).

On définit encore plus généralement la notiond’algèbre perfectoïde A. Son basculé AÉ est alorsconstruit de la même façon que dans le cas d’uncorps. La notion qui correspond à celle d’extensionfinie séparable de corps est celle de morphismeétale d’algèbres.

Le théorème de Fontaine et Wintenberger se gé-néralise alors comme suit :Théorème 2 (Scholze). Le basculement induit uneéquivalence entre la catégorie des algèbres per-fectoïdes sur K et celle des algèbres perfectoïdessur KÉ. De plus, un morphisme est étale si et seule-ment si son basculé est étale.

La démonstration repose sur les presque ma-thématiques de Faltings qui ont été développéespar Gabber et Ramero. Désignons par K� l’anneaudes entiers de K et par K�� son idéal maximal. Unepresque algèbre sur K� est une algèbre « à K��-torsion près » (une définition précise demande bienplus de soin). On dispose alors de la suite d’équiva-lences

{K�alg. perf.}

'

n

K�alg. perf.o

'

n

presqueK��alg. perf.

o

'

presqueK��alg. perf.

'

n

presqueK�/·�alg. perf.

o '⇢

presqueKÉ�/·É�alg. perf.

62 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 65: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

un perfectoïde

Ici, · est un élément topologiquement nilpotent nonnul de K tel que · | p et ·É désigne un système deracines pn-ème de ·. L’équivalence du bas résultealors d’un isomorphisme

K�/(·) ' KÉ�/(·É)

qui provient directement des définitions. On remar-quera ensuite que la suite d’équivalences de droiteest un cas particulier de celle de gauche car KÉ estlui même un corps perfectoïde. D’autre part, la pre-mière de ces équivalences résulte immédiatementdes définitions. C’est la seconde qui nécessite uneétude fine des relèvements de presque algèbres.

Il faut ensuite vérifier que la propriété d’êtreétale est préservée, ce qui demande un travailconséquent (théorème de presque pureté généra-lisé).

5. Un peu de géométrie

Comme nous le verrons plus bas, on peutconstruire des espaces perfectoïdes à partir desalgèbres perfectoïdes. Nous disposons encore d’unprocessus de basculement qui va associer un es-pace perfectoïde XÉ à un espace perfectoïde X.

Le théorème 2 prend alors la forme compactesuivante :Théorème 3 (Scholze). Le basculement induit uneéquivalence entre les gros sites étales de K et de KÉ.

Rappelons qu’un site est une catégorie munied’une topologie et qu’un morphisme est dit étale s’ilsatisfait le critère di↵érentiel d’un di↵éomorphismelocal. En particulier, c’est un homéomorphisme lo-cal, si bien que XÉ sera toujours homéomorphe à X.

Voyons comment nous pouvons construire cesespaces perfectoïdes. Les briques de la géométriealgébrique s’identifient aisément à des spectresmaximaux d’algèbres de type fini sur un corps (c’estle Nullstellensatz de Hilbert). La même démarchepeut fonctionner en géométrie analytique commel’a montré Tate avec la géométrie analytique rigide.Mais, ainsi que Grothendieck nous l’a appris, en géo-métrie arithmétique, il est nécessaire de considé-rer plus généralement les spectres premiers (lesidéaux maximaux ne sont pas préservés par imageinverse). Nous pouvons aussi utiliser le langage desvaluations car un idéal premier correspond à unevaluation (additive) de hauteur nulle donnée par

v(f ) = 0, f < p.

Lorsque les anneaux viennent avec une topologie,il apparaît qu’il vaut mieux tenir aussi compte desvaluations de hauteur supérieure, et il faut requérirque celles-ci soient continues. C’est la démarcheentreprise indépendamment par Berkovich (hauteurau plus un) et Huber. Les espaces adiques sontdonc construits ainsi en prenant comme briques,des spectres adiques, qui sont des ensembles devaluations. C’est le langage que nous utilisons ci-dessous.

En partant des algèbres de type fini, nous ob-tenons les variétés « algébriques » : par exemple,K[X] donnera naissance à la droite a�ne Ä 1

K , puisen passant aux produits, à l’espace a�ne Ä n

K , et enrecollant, à l’espace projectif è n

K . De même, avec lesalgèbres ·-adiquement de type fini, nous obtenonsles variétés « rigides » : le disque fermé É à partirde ÄK[X], puis le polydisque, et de nouveau l’espaceprojectif en recollant. En partant des algèbres per-fectoïdes, nous trouvons les variétés (ou espaces)perfectoïdes : l’algèbre ÇK[X1/p1 ] fournit le disqueperfectoïde, puis le polydisque perfectoïde et enfinl’espace projectif perfectoïde que nous noteronslim ��è

nK .

Il est aisé de voir que

(lim ��ènK )

É = lim ��ènKÉ .

En utilisant le théorème fondamental, on en déduitun morphisme (lire de droite à gauche)

è n,etK ⌘ (lim ��è

nK )

et ' (lim ��ènKÉ )

et ' è n,etKÉ

(nous avons utilisé les petits sites étales mais cesont aussi des applications continues). Remarquonsque la flèche de droite est un isomorphisme car KÉ

est de caractéristique p > 0.

6. Et quelques applications

La conjecture monodromie-poids prédit une re-lation précise entre les actions de l’inertie et duFrobenius sur la cohomologie étale d’une variété al-gébrique. On peut alors montrer le résultat suivant :Théorème 4 (Scholze). N’importe quelle hypersur-face projective satisfait la conjecture monodromie-poids.

Ce résultat est plus généralement vrai pourdes intersections complètes dans des variétés to-riques. En caractéristique nulle, celui-ci n’étaitconnu que pour les courbes et les surfaces. La mé-thode consiste à se ramener à la caractéristique po-sitive, où la conjecture a été démontrée par Deligne.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 63

Page 66: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Raconte-moi

On utilise alors le basculement, et plus précisémentl’application

è n,etKÉ ! è n,et

K

introduite ci-dessus. On tire l’hypersurface en ar-rière et on l’approche par une hypersurface algé-brique.

La théorie des perfectoïdes permet aussi d’ob-tenir un analogue ultramétrique du théorème deHodge. Rappelons que celui-ci stipule que si X estune variété kählérienne compacte, on a un isomor-phisme

Hn(X,ô )⌦ô Ç ' �i+j=nHi (X,“ jX ).

La conjecture de Hodge-Tate pour les variétés ana-lytiques rigides est donc maintenant démontrée :Théorème 5 (Scholze). Si X est une variété analy-tique rigide propre et lisse sur une extension finie K

de êp, il existe un isomorphisme équivariant

lim ��Hnet(XK ,ô /p

k)⌦ô pÇ p ' �i+j=nHi (X,“ jX )⌦KÇ p(�j).

Afin de prouver ce théorème, on doit introduirela topologie pro-étale et montrer que les variétésa�noïdes perfectoïdes n’ont presque pas de coho-mologie supérieure modulo p.

Dernier exemple : près de 60 ans après avoir étéénoncée, la conjecture du facteur direct de Hochs-ter est aussi devenue récemment un théorème :Théorème 6 (André). Si A est un anneau régulier,tout morphisme injectif fini A ,! B possède unesection A-linéaire.

L’idée fondamentale consiste à utiliser la trace.On peut se localiser au dessus d’un certain pmaisil faut alors extraire des racines p-èmes et c’est làque les perfectoïdes interviennent.

Références

[1] J.-M. Fontaine. « Perfectoïdes, presque pureté et monodromie-poids (d’après Peter Scholze) ». Astérisque, no 352 (2013).Séminaire Bourbaki. Vol. 2011/2012. Exposés 1043–1058, Exp. no. 1057, x, 509–534.

[2] J.-M. Fontaine et J.-P.Wintenberger. « Extensions algébrique et corps des normes des extensions APF des corps locaux ».C. R. Acad. Sci. Paris Sér. A-B 288, no 8 (1979), A441–A444. issn : 0151-0509.

[3] O. Gabber et L. Ramero. Almost ring theory. 1800. Lecture Notes in Mathematics. Springer-Verlag, Berlin, 2003, p. vi+307.

[4] R. Huber. Étale cohomology of rigid analytic varieties and adic spaces. Aspects of Mathematics, E30. Friedr. Vieweg &Sohn, Braunschweig, 1996, p. x+450.

[5] P. Scholze. « Perfectoid spaces ». Publ. Math. Inst. Hautes Études Sci. 116 (2012), p. 245–313.

[6] P. Scholze. « Perfectoid spaces: a survey ». In : Current developments in mathematics 2012. Int. Press, Somerville, MA,2013, p. 193–227.

Bernard Le Stum

irmar, université Rennes [email protected]://perso.univ-rennes1.fr/bernard.le-stum

Bernard Le Stum est Maître de Conférences à l’université Rennes 1 et chercheur à l’irmar. Ses travauxportent essentiellement sur la cohomologie rigide et les isocristaux surconvergents.

Mille mercis à Alberto Vezzani d’avoir bien voulu lire et commenter une version provisoire de cette note.

64 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 67: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Tribune libre

Un vivier négligé d’étudiants en Sciences

• G. Courtade-Coulomb

La pénurie de professeurs de mathématiquesdans le secondaire, ainsi que la diminution dunombre de jeunes chercheurs de cette disciplineen France sont inquiétantes pour notre pays. Elle ex-plique les engagements tous azimuts des mathéma-ticiens pour inverser cette tendance, tant en popu-larisant les mathématiques auprès du grand publicqu’en intervenant dans les établissements d’ensei-gnement pour faire découvrir la recherche mathé-matique. Ancien enseignant-chercheur en mathé-matiques, je me tiens au courant de leurs actions àtravers de multiples contacts ainsi que la lecture dejournaux grand public et de revues plus spécialisées(Je suis abonnée à la Gazette , à Tangente et à LaRecherche). Je n’ai pourtant eu connaissance d’au-cune action entreprise en direction des bacheliersgénéraux qu’une vocation avait détournés d’un bac-calauréat S et qui cherchaient à se réorienter aprèsun ou deux ans d’études post-bac. Je le regrettais :mon expérience personnelle me conduit à penserque, parmi ces jeunes, un nombre non négligeableaiment les mathématiques et seraient prêts à sereconvertir dans cette discipline si on les aidait à seremettre au niveau du bac S.

Au cours d’une fête de famille, j’ai rencontrérécemment un petit cousin, actuellement élèvedans une École de Commerce. Il m’a fait découvrirl’apils 1, qu’il avait suivie l’année précédente à laFaculté des Sciences de Pau. Il en était personnelle-ment satisfait, mais trouvait regrettable que cetteformation soit peu connue et ne donne pas lieu àla délivrance d’un diplôme : un de ses amis s’est vurefuser l’entrée en bts (alors qu’il avait acquis leniveau mathématique demandé) ; le meilleur de sapromotion, qui souhaitait faire une classe prépara-toire aux grandes Écoles, a été obligé de passer lebaccalauréat en candidat libre pour y être admis. Jelui ai demandé si d’autres enseignements de ce type

existaient en France. Il avait seulement « entenduparler d’une année préparatoire à Montpellier ».

De retour à la maison j’ai fait quelques re-cherches, et je me suis aperçue qu’il existait aumoins une dizaine d’années de ce genre en France(J’en donne une liste non exhaustive à la fin de cetexte). Les noms di↵èrent suivant les universités :à Nantes, elle s’appelle reuscit 2 ; nom qui me pa-raît accrocheur, et décrit bien l’objectif de cet en-seignement. En e↵et il s’agit d’une année, à l’uni-versité, de mise au niveau d’une Terminale S dansles disciplines scientifiques. Certaines formationsn’acceptent que des bacheliers généraux, d’autreségalement des bacheliers technologiques. À l’ex-ception de la préparation aux cursus scientifiquesd’Orsay, les promotions semblent petites (entre 30et 40 élèves).

Il me paraît important que ces formations soientconnues du grand public. Je pense que la smf,et d’autres sociétés savantes amies, pourraient ycontribuer de façon décisive. D’où la rédaction decette « Tribune Libre ».

Il faudrait d’abord faire circuler l’information,dans la communauté scientifique et en particulierentre les universités concernées.

Il faudrait promouvoir la communication sur cesformations auprès du grand public. Cela ne serasans doute possible qu’une fois :

– dégagé les points communs à ces formations ;– bâti un réseau regroupant des filières d’un

an d’études post bac et trouvé un nom accro-cheur pour le réseau;

– créé une association des anciens étudiants,permettant de connaître leur parcours profes-sionnel et de le mettre en valeur ;

– mis au point une formule de validation desconnaissances, reconnaissant que les étu-

1. Année de Préparation à l’Insertion en Licence Scientifique.2. Réorientation vers les Études Universitaires Scientifiques et Technologiques.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 65

Page 68: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

Tribune libre

diants ont acquis le niveau scientifique dela Terminale S, pour leur permettre de pour-suivre les études de leur choix dans n’importequel endroit en France.

Il s’agit là, me semble-t-il, du point le plus important.Une solution devrait pouvoir être trouvée en s’ins-pirant des formules mises au point pour valider auniveau universitaire des acquis professionnels.

Il me paraît souhaitable également, de multiplierde telles remises à niveau universitaires sur toutle territoire national : pour aider des jeunes, maiségalement parce que la présence d’un tel enseigne-ment aidera tous les enseignants de la premièreannée d’études universitaires scientifiques ; directe-ment ou indirectement grâce à l’expertise pédago-gique acquise.

Liste d’années universitaires deréorientations vers les étudesscientifiques et technologiques

Il s’agit naturellement d’une liste non exhaus-tive. J’en ai exclu les universités d’Angers, Rennes 1,Paris Diderot et Lorraine, qui proposent aux bache-liers n’ayant pas le bac S d’e↵ectuer la premièreannée de licence en deux ans (en Mathématiques,Physique, Chimie, Sciences de la Vie et de la Terre).Pour chaque formation, j’ai indiqué l’intitulé de cetteannée de réorientation, ainsi que l’adresse courrieldu secrétariat pédagogique.

– Université de Bordeaux (Centre d’Agen).Mise à niveau Études Supérieures [email protected]

– Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand).Préparation aux Études [email protected]

– Université Le Havre.Diplôme Universitaire de Préparation auxÉtudes [email protected]

– Université Lyon 1.Année Universitaire Pré[email protected]

– Université de Montpellier.Année Préparatoire aux Études Supé[email protected]

– Université de Nantes.Réorientation vers les Études Scientifiques [email protected]

– Université de Paris-Sud (Orsay).Préparation aux cursus scientifiques d’[email protected]

– Université de Pau et des Pays de l’Adour.Année de Préparation à l’Insertion en LicenceScientifiqueufr-sciences-pau.univ.fr

66 SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154

Page 69: OCTOBRE 2017 – N (B[FUUF - e Math

iInformation

L’interdisciplinarité enmathématique-biologie : le rôle de la cid 51

L’interdisciplinarité est au cœur de la politiquescientifique du cnrs, qui y voit une spécificité de larecherche fondamentale, de ses transformationset de ses applications sociétales. L’interdisciplina-rité fait partie des processus d’investigation et decréation scientifiques, la méthode scientifique étantpar nature interdisciplinaire. À quoi ressembleraitla physique sans la mathématique, qui est juste-ment le « langage dans lequel les lois de l’Universsont écrites »? Réciproquement la physique a étéune source inépuisable de questions pour les ma-thématiques, à la base de la création de nombreuxconcepts et théories en analyse, algèbre, géomé-trie, etc.

Les interconnexions de la biologie et des mathé-matiques sont anciennes, avec la modélisation desdynamiques de populations, ou le développementdes fondements de la génétique, construits sur desmodèles probabilistes. Comme dans le cas de laphysique, l’échange des questions et des connais-sances est totalement réciproque avec des retom-bées essentielles pour le développement des deuxdisciplines [2]. À première vue, l’interaction desmathématiques avec la biologie pourrait se résu-mer à la mise à disposition d’outils techniques etde méthodologies mathématiques : calculs analy-tiques et numériques, traitement de données, lo-gique, combinatoire, etc. Cela est vrai dans unecertaine mesure, et peut être considéré comme ba-nal aujourd’hui. Cependant, cette vision ne corres-pond pas aux véritables échanges entre les deuxdisciplines, car l’objet biologique est très di↵èrentde l’objet physique qui continue à inspirer les ma-thématiques. Certaines caractéristiques du vivantnécessitent en e↵et de nouvelles approches et denouvelles techniques mathématiques. Nous pou-vons d’ailleurs raisonnablement imaginer l’émer-gence de paradigmes innovants, qui pourront chan-ger en profondeur la façon de faire de la science.Les exemples sont nombreux et témoignent de pro-cessus en cours rapides et parfois révolutionnairesqui touchent aussi à l’organisation interne de la re-

cherche, avec la création de nouvelles figures pro-fessionnelles. Cette dynamique de création et de(re)-structuration est naturellement et forcémentinterdisciplinaire.

Donnons quelques exemples. Big data : le traite-ment de l’énorme masse de données biologiques,en grande partie produites par les projets de sé-quençage de génomes, nécessite la conception denouveaux algorithmes de compression, de filtrage,d’indexation et de codification de l’information.Comme le souligne E. Candès [1] « les statistiquestraditionnelles ne sont plus e�caces et doiventdonc s’adapter aux grandes dimensions ». Cetteadaptation pose des défis théoriques avec l’éla-boration de méthodes originales et des conceptsqui touchent à di↵érentes branches des mathéma-tiques. « Nous devons mettre en place les outilspermettant une analyse intelligente des donnéesrécoltées (des “Big Data” aux “Smart Data”) et c’estlà que se retrouve la nécessité absolue d’une in-teraction avec des disciplines comme les mathé-matiques ou l’informatique » [3]. L’optimisation desalgorithmes d’apprentissage utilise des techniquesd’analyse convexe pour les edp en régime aléatoirepermettant ainsi des rapprochements inattenduset féconds. L’univers biologique est souvent struc-turé en réseaux qui, par leur nature, ont un ca-ractère évolutif et aléatoire. Pour approcher et ap-préhender ces systèmes complexes, les mathéma-tiques doivent repenser en profondeur la théoriedes graphes sous leurs aspects probabilistes, to-pologiques et combinatoires. Les questions d’infé-rence et de deep learning (apprentissage profond)touchent aux fondements de la théorie de l’infor-mation avec en ligne de mire le fonctionnement ducerveau et sa formalisation dans l’intelligence ar-tificielle. Des méthodes d’analyse fonctionnelle etd’algèbre d’opérateurs sont de plus en plus utiliséespour décrire l’évolution des systèmes biologiquesouverts et loin de l’équilibre avec à l’appui des tech-niques d’homogénéisation, de calcul stochastique,de régularisation et d’approximation non-linéaire.

SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2017 – No 154 67

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Information

L’utilisation des bases d’ondelettes pour la com-pression et le débruitage a permis des avancéesspectaculaires en traitement d’images médicales.Il n’est pas inutile de rappeler que les systèmes dy-namiques ont trouvé dans la dynamique des popu-lations une de leurs sources primordiales. Des phé-nomènes typiques des êtres vivants, comme l’émer-gence, l’auto-organisation, l’auto-régulation, la sta-bilité, continuent d’inspirer et d’interroger la méca-nique statistique rigoureuse et la théorie ergodique,ainsi que l’analyse des processus stochastiques etdes équations di↵érentielles. À cela s’ajoute le ca-ractère multi-échelle, qui traduit l’enchevêtrementde phénomènes couplés à di↵érents niveaux de des-cription du vivant (de la cellule à l’organisme, del’individu à l’écosystème, du développement d’unorganisme à l’évolution d’une espèce). Les modèlesmathématiques sous-jacents nécessitent de nou-velles méthodes, de nouvelles idées, de nouvellesinteractions entre scientifiques de formations di↵é-rentes afin d’apporter des réponses quantitativesaux questions posées.

On voit donc comment les questions que la bio-logie pose aux mathématiques et à l’inverse lescadres formels et heuristiques que les mathéma-tiques adressent à la biologie, ont d’un côté desréférents immédiats et tangibles dans l’objet vi-vant, et de l’autre se configurent comme des dé-fis intellectuels de grande qualité. Ces défis sontde nature à interpeller les mathématiciens de toushorizons, celles et ceux dévoués aux structuresconceptuelles aussi bien que désirant des appli-

cations plus directes de leurs recherches. Cettesynergie des mathématiques avec la biologie, apoussé le cnrs avec ses Instituts insb (biologie),ins2i (sciences de l’information), insmi (mathéma-tique) et inp (physique), à pourvoir des postes dechercheur dont le recrutement est géré par la com-mission interdisciplinaire cid 51 : modélisation, etanalyse des données et des systèmes biologiques :approches informatiques, mathématiques et phy-siques. L’insmi attribue régulièrement des postes àcette cid, à niveau de cr et de dr 2e classe. Nousinvitons la communauté mathématique dans lesuniversités et dans les laboratoires à susciter descandidatures auprès de jeunes chercheurs intéres-sés par cette interface mathématique-biologie quiconstitue sans doute une des plus fascinantes di-rections de la recherche dans les années à venir.Comme l’écrit C. Jessus [3], directrice de l’institutdes sciences biologiques (insb) : « Nous ne sommesqu’au début de cette quête dont le succès dépendd’une rupture avec les approches du passé : ellerequiert des modèles mathématiques prédictifs ali-mentés par les outils de la physique et les donnéesde la cartographie du vivant ».

Pour la cid 51 : Vincent Calvez (Institut CamilleJordan, cnrs et ucb Lyon 1), Franck Picard (lbbe,Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive, ucbLyon 1), Sandro Vaienti (université de Toulon et cptMarseille).Contact : S Vaienti (Président de la cid 51),[email protected]

Références

[1] G. Cariou. « Avec l’acquisition massive de données, la science a changé ». La Recherche, no 513 (2016).

[2] J. E. Cohen. « Mathematics is biology’s next microscope, only better; biology is mathematics’ next physics, only better ».PLoS biology 2, no 12 (2004).

[3] C. Jessus. Étonnant vivant. CNRS Éditions, 2017, p. 328. isbn : 978-2-271-09403-2.

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En pratique...

Petits conseils LATEX entre amis

En ces temps d’économies généralisées, de plus en plus derevues laissent aux auteurs l’entière responsabilité de la miseen forme de leurs manuscrits, parfois pour d’excellentesraisons (journaux gratuits à la fois pour les auteurs et leslecteurs), mais pas toujours. Parallèlement, notre formation àLATEX est souvent un peu approximative, pour ne pas direinexistante. Il nous a donc semblé utile de rassemblerquelques conseils sur ce thème, sous la forme d’un dialogueimaginaire. Les premières questions sont les plus importantes.

• S. Gouëzel

J’ai compilé un fichier tex. Tout s’est bien passé,mais le fichier pdf produit est tronqué ou a des for-mules bizarres.

Êtes-vous sûr que tout s’est vraiment bien passéà la compilation? Ces symptômes sont souvent lesigne d’une erreur dans le fichier source, dont LATEXn’a pas bien réussi à se sortir. Certains éditeurslancent par défaut une compilation non interac-tive du fichier .tex, et informent ensuite des er-reurs ou des avertissements qui se sont produits.Il faut absolument tenir compte de ces erreurs etles éliminer, sans quoi le fichier produit peut avoirtoutes sortes de bizarreries ! Les avertissements(warnings) sont souvent moins problématiques ; ilsindiquent tout de même que quelque chose ne vapas, il vaut mieux les prendre en compte si possible.Ceci dit, un overfull hbox de 0.3pt (un mot qui dé-passe imperceptiblement dans la marge de droite)ne dérange – presque – personne.

À quel moment faut-il utiliser des commandesde mise en forme manuelle comme \textit ou \bfou \vspace?

Jamais, malheureux ! Cette réponse est un peuexcessive mais essentiellement juste. Un des prin-cipes fondamentaux de LATEX est la séparation dufond et de la forme : l’auteur doit s’occuper ducontenu de son texte sans se soucier de la mise enforme, qui sera prise en charge par la classe utilisée.Idéalement, toutes les instructions de forme doiventvenir de la classe ou du préambule, ce qui permet

de modifier la mise en forme (les titres de sectiondoivent-ils être en gras? en petites capitales? cen-trés? etc.) sans toucher au corps du texte.

Il existe des commandes sémantiques qu’onpeut utiliser dans le corps du texte, charge à laclasse de choisir la mise en forme qui correspond.Par exemple, dans la phrase précédente, j’ai tapé\emph{sémantiques} où \emph signifie que je veuxinsister sur le terme qui suit. La classe de la ga-zette le met en italique, d’autres classes pourraientchoisir du gras ou du souligné à la place.

Comme toutes les règles, celle-ci peut bien sûrêtre ignorée du moment que c’est en connaissancede cause et après mûre réflexion !

J’ai entendu dire que l’environnement\eqnarray était à éviter. Qu’en est-il vraiment?

E↵ectivement, eqnarray se contente de créerun tableau en mode mathématique, sans faire at-tention aux espacements ou à la typographie, cequi donne un résultat incohérent par rapport aureste du document. Le paquetage amsmath fournitdes environnements beaucoup plus satisfaisantspour écrire des équations sur plusieurs lignes. Enparticulier, contrairement à eqnarray, son environ-nement align produit des espacements correctset place correctement les numéros des équationsdans les cas délicats. Il remplace avantageusementeqnarray à tous points de vue. Par exemple :

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En pratique...

Avec eqnarray* :

a = b,c = d .

Avec align* :

a = b,c = d .

Avec align, l’espacement autour du signe égalest le même que dans l’équation en ligne a = b.

Au sujet des équations, on déconseille aussil’usage de $$ et \begin{displaymath} : il vautmieux les remplacer par des blocs \[...\], quigèrent mieux les espacements dans les cas di�-ciles.

J’ai toujours fait les bibliographies à la main.Est-ce que cela vaut le coup de changer?

On peut faire ses bibliographies à la main, c’esttout à fait acceptable. Mais on peut aussi utiliserbibtex, qui fait gagner un temps considérable unefois qu’il est mis en place (biblatex, plus récentet plus puissant, fonctionne sur le même principemais il est encore peu accepté par les revues, àpart la Gazette !). Le principe est d’avoir un fichiertexte auxiliaire, disons biblio.bib, qui contient lesinformations sur les articles à citer (on peut lescopier-coller depuis mathscinet ou zentralblatt). Enfin de fichier tex, on met

\ bibliography { biblio }\ bibliographystyle {alpha}

Après avoir ajouté des références (avec la com-mande \cite habituelle), il faut compiler en lignede commande le fichier source (sans son extension)successivement avec pdflatex puis bibtex puis ànouveau pdflatex, ou utiliser les outils correspon-dants de votre éditeur de texte. La bibliographie estalors créée automatiquement, avec les options deformatage et de tri précisées par le fichier de style(alpha dans l’exemple précédent).

L’intérêt de cette approche est double. D’unepart, si l’on réutilise les mêmes entrées d’un articleà l’autre, pas besoin de les recopier. D’autre part, siun journal impose une autre mise en forme de labibliographie, il su�t de changer le fichier de style.

Dans un texte en français, les césures en fin deligne se font correctement, sauf sur les mots accen-tués qui ne sont jamais coupés. Que faire?

Réponse courte : il manque dans le préambulela ligne \usepackage[T1]{fontenc}.

Réponse un peu plus longue : la version initialede TEX ne prévoyait pas les lettres accentuées, quiont été ajoutées ensuite en superposant la lettreinitiale et l’accent. Ainsi, une lettre accentuée n’est

pas un seul caractère, ce qui pose de multiples pro-blèmes (césure impossible, mais aussi recherchedans le texte du pdf déficiente). L’encodage T1 faiten sorte que les lettres accentuées soient des vraiscaractères, et résout donc tous ces problèmes.

Quand je tape un intervalle comme I =]�1,1[, jetrouve les espaces bizarres.

Quel joli euphémisme, bizarre... Oui, ces espacessont vraiment laids (ou laides puisque l’espace dutypographe est normalement féminine). La versioncorrecte serait I = ]�1,1[, obtenue en indiquant àTEX que ] est ici un délimiteur ouvrant, et non fer-mant comme il le présuppose. Ceci peut se faire àla main avec \mathopen{]}.

Ce problème apparaît souvent de manière moinsévidente. Par exemple, |\sin x| donne |sinx|tandis que \mathopen{|}\sin x \mathclose{|}donne |sinx|, avec un espace plus adapté à gauchedu sinus.

Pour séparer fond et forme, il vaut mieux in-troduire dans le préambule des macros qui s’oc-cuperont de bien gérer les espacements. Le pa-quetage mathtools (très utile pour tout ce qui esttypographie mathématique) introduit à cet e↵etune commande merveilleuse, qui s’utilise commesuit : \DeclarePairedDelimiters{\IOuv}{]}{[}définit une macro \IOuv qui encadre son argu-ment avec les délimiteurs ] et [, le premierétant ouvrant et le second fermant. De plus, sontautomatiquement définies des variantes comme\IOuv[\big]{...} (dont les délimiteurs sont detaille \big) ou \IOuv*{...} (dont les délimiteurss’ajustent automatiquement à la taille du contenu,comme avec \left et \right). L’intervalle ]�1,1[s’obtient alors avec \IOuv{-1,1}.

Y a-t-il d’autres pièges avec les espaces?

Dans les textes en anglais (mais pas en français),l’espace entre les phrases est traditionnellementplus grand que l’espace entre les mots. TEX insèreainsi un espace plus grand après un point (saufcas très particulier). Cela pose problème après desabréviations comme e.g. ou i.e. ou i.i.d. Il faut alorspréciser à TEX demettre un espace de taille normaleen tapant par exemple i.i.d.\ random variablesou i.i.d.~ random variables.

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Petits conseils LATEX entre amis

Pour aller plus loin, on trouve en ligne des do-cumentations très recommandables, comme parexemple le paquetage l2tabu qui explique tout cequ’il ne faut pas faire, ou le wikibook sur LATEX 1. Lesforums informatiques comme tex.stackexchange.

com sont également une source précieuse d’infor-mations. Ceux qui sont attachés au papier pourrontconsulter par exemple [1]. Ceci dit, le plus e�caceest certainement d’user et d’abuser d’un collègueexpert, si vous en avez un sous la main !

Références

[1] D. Bitouzé et J.-C. Charpentier. LATEX, l’essentiel. Pour une prise en main rapide et e�cace. 1re éd. Pearson EducationFrance, oct. 2010. 384 p. isbn : 978-2-7440-7451-6. url : http://www.latex-pearson.org.

Revue Astérisque - Nouveautés

Disponibles sur le site de la SMF (boutique en ligne) : http://smf.emath.fr

*frais de port non compris

Vol. 392A Free Boundary Problem for the Localization of EigenfunctionsG. DAVID, M. FILOCHE, D. JERISON, S. MAYBORODA

ISBN 978-85629-863-32017 - 203 pages - Softcover. 17 x 24Public: 45 € - Members: 32 €

We study a variant of the Alt, Caffarelli, and Friedman free boundary problem, with many phases and a slightly different volume term, which we originally designed to guess the localization of eigenfunctions of a Schrödinger operator in a domain. We prove Lipschitz bounds for the functions and some nondegeneracy and regularity pro-perties for the domains.

Vol. 391Voevodsky motives and ldh-descentS. KELLY

ISBN 978-2-85629-861-92017 - 125 pages - Softcover. 17 x 24Public: 35 € - Members: 24 €

This work applies Gabber’s theorem on alterations to Voevodsky’s work on mixed mo-tives. We extend many fundamental theorems to DM(k, �[1/p]) where p is the expo-nential characteristic of the perfect field k. Two applications are an isomorphism of Suslin that compares higher Chow groups and étale cohomology, and calculation of the motivic Steenrod algebra.

1. en.wikibooks.org/wiki/LaTeX/Mathematics

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Carnet

Vie et œuvre scientifiquede Jean-Pierre Kahane

1926-2017

• H. Queffélec

©J.

LeRo

usse

au

Jean-Pierre Kahane, Institut Henri Poincaré,juin 2017

1. Biographie

Jean-Pierre Kahane est décédé à l’âge de 90ans, le 21 juin 2017.

C’est bien tristement que, comme l’un de ses(nombreux) anciens élèves, j’écris ces quelquespages de témoignage sur le mathématicien et surla personne.

Jean-Pierre Kahane est né le 11 décembre 1926dans une famille de rationalistes (son père Ernest aété président de l’union rationaliste de France). Il aeu une vie de famille riche, avec son épouse Agnès,qu’il avait eu la douleur de perdre en 2015, et avecses trois filles Geneviève, Françoise et Catherine,et ses nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants, avec qui il a pu jouer au Père Noël jusqu’àtout récemment. Après la disparition d’Agnès, il aeu la chance d’être très entouré par ses filles et leurfamille.

Voici son parcours professionnel : après desclasses préparatoires au lycée Henri IV, il entreen 1946 à l’École normale supérieure. Il entre en-suite au cnrs en 1950, et prépare sa Thèse d’État(maintenant Habilitation) sous la direction de Szo-lem Mandelbrojt, dont il vantait la gentillesse etla « rondeur », en dehors de ses qualités scienti-fiques. Après sa thèse, il est nommé Professeur àla faculté de Montpellier, puis à la toute récenteuniversité d’Orsay en 1961. Il y fera preuve d’uneactivité et d’un rayonnement considérables, dontvoici quelques aspects.

2. Enseignement

Dans son exposé au Colloque Kahane de juillet2016, Michèle Artigue a donné une description trèsprécise et complète de ses activités liées à l’ensei-gnement. Nous en disons juste quelques mots ici.

Jean-Pierre Kahane ne séparait pas vraimentEnseignement et Recherche, ce qui pouvait donnerà ses cours de Maîtrise, notamment son cours deprobabilités, un aspect « sportif » : il était célèbreauprès des Cachanais pour avoir une année démon-tré la loi forte des grands nombres à son troisièmeessai. Il était également célèbre pour s’être pas-

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Vie et œuvre scientifique de Jean-Pierre Kahane

sionné, une autre année, pour le Loto : des bulletinsde Loto lui sortaient des poches comme chez unparieur compulsif, et il avait pondu un problème au-tour de ce Loto (l’énoncé faisait environ six pages),dont il avait écrit lui-même le corrigé (20 pages en-viron), tout le monde autour de lui ayant déclaréforfait. Dans ce corrigé apparaissaient des formesfines du théorème de séparation de Hahn-Banachpour des convexes de matrices à coe�cients posi-tifs... Mais l’aspect très positif (sans jeu de mots) decette attitude était que ses cours étaient toujoursvivants, passionnants, créatifs, même sur les sujetsles plus arides, comme les premières questions decardinalité.

Par ailleurs, J.-P. Kahane a été directeur de lacollection « Le mathématicien » aux Presses Univer-sitaires de France, collection d’ouvrages de formatmodeste et peu onéreux, mais qui verra des publica-tions remarquables comme par exemple le « Coursd’Arithmétique » de J. P. Serre, ou encore le « Ana-lyse Combinatoire » de L. Comtet, et dont les succèsnécessiteront des retirages avoisinant les 10 000exemplaires, là où au départ les tirages étaient del’ordre de 1000 ! (Il évoquait souvent cela avec amu-sement).

3. Administration et rôle à Orsay

J.-P. Kahane sera Président de l’université d’Or-say de 1976 à 1978 avant d’interrompre cette Pré-sidence pour cause de problèmes cardiaques, qui lehandicaperont jusqu’à la fin. Il restera à Orsay jus-qu’à sa retraite en 1993 (il est également nommémembre correspondant de l’Académie des Sciencesen 1986), retraite qui a donné lieu à un très grandColloque International, dont les Actes sont parusen 1995 au Journal of Fourier Analysis and Appli-cations. Ensuite, il gardera dans cette université(et pas seulement, il devient membre de l’Académiedes sciences en 1998) une présence et une activitéscientifiques très importantes jusqu’à ces derniersjours. Il y donne en e↵et, au fameux séminaire d’Ana-lyse Harmonique qu’il avait créé, un exposé sur lesnombres premiers généralisés de Beurling, en avril2017 !

4. Travaux

J.-P. Kahane se qualifiait volontiers « d’ama-teur », ce qui est à prendre au sens le plus élogieuxdu terme, mais décrit assez bien la variété de ses

centres d’intérêt en mathématiques (sans parler deson intérêt pour l’histoire des mathématiques aubon sens du terme, histoire des individus mais aussides idées, nous y revenons plus loin). Il me sembleplus précisément qu’il a eu trois grands centresd’intérêt mathématiques :

– Analyse Harmonique et Séries de Fourier, etlien avec l’Analyse Fonctionnelle (algèbres deBanach)

– Méthodes Probabilistes en Analyse et produc-tion de phénomènes bizarres (points lents dumouvement brownien, séries de Taylor patho-logiques)

– Théorie Analytique des Nombres et emploides méthodes d’Analyse Harmonique.

Je citerai quatre exemples des travaux correspon-dants, qui ont eu beaucoup d’influence et ont connubeaucoup d’extensions.

4.1 – Le théorème de Kahane-Katznelson-de Leeuw

Ce théorème (1985) énonce qu’en gros, du pointde vue de la taille, on ne peut rien dire de plus surles coe�cients de Fourier d’une fonction continueque sur ceux d’une fonction de carré sommable.Plus précisément : si la suite (cn)n2ô est de carrésommable, il existe une fonction continue et 2·-périodique f telle que pour tout n 2 ô :

|bf (n)| > |cn |.

Beaucoup de résultats partiels traînaient dans lalittérature, on a ici une réponse « définitive » par desméthodes qu’il a↵ectionnait : mélange de probabi-lités et de combinatoire. Les probabilités (inégali-tés de Khintchine) permettent d’avoir |bf (n)| > |cn | etf 2 \p<1Lp, le di�cile étant de passer à f 2 L1, etc’est là qu’intervient la combinatoire. Après quoi lacontinuité d’une autre fonction majorante f nousest donnée par surcroît. Ce théorème a attiré l’at-tention de nombreux chercheurs : par exemple, Kis-liakov a montré que le résultat vaut encore pourl’algèbre du disque et du bidisque, le cas de l’al-gèbre du polydisque de dimension > 3 semble tou-jours ouvert. Par la suite (en 1997), le résultat ana-logue pour les matrices infinies a été démontrépar F. Piquard, et justifie heuristiquement le fait dese concentrer, en théorie des opérateurs, sur desclasses d’exemples, comme les opérateurs de Han-kel, les opérateurs de composition, etc.

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Carnet

4.2 – Les inégalités de Khintchine-Kahane

Il s’agit d’une extension de celles de Khintchineà des variables aléatoires à valeurs vectorielles,l’extension étant tout sauf triviale, et la clé étantexprimée à sa manière ramassée dans son livre« Some random series of functions » « Si la probabi-lité qu’une somme de type Rademacher soit grandeest petite, la probabilité qu’elle soit très grandeest très petite. » De façon plus précise, si M est lesup des normes des sommes partielles d’une sérieS =

¥1n=1 rnxn où les rn sont les fonctions de Ra-

demacher et les xn des vecteurs d’un espace deBanach absolument arbitraire, Kahane montre es-sentiellement que pour t > 0 grand :

P(M > 2t) 6⇣

P(M > t)⌘2.

Autrement dit, quand on passe de t (grand) à 2t(très grand), « l’erreur » est élevée au carré, commedans la méthode de Newton quand on passe d’uneitération à la suivante. On en déduit l’appartenancede S à l’espace d’Orlicz LË1 où Ë1 est la fonctiond’Orlicz Ë1(x) = ex � 1. C’est a priori moins bienque dans le cas scalaire avec la fonction d’OrliczË2(x) = ex

2�1, mais cela s’auto-améliore comme l’aensuite montré Kwapien, et l’on retrouve la fonctionoptimale Ë2.

4.3 – Existence de points lents pour le mou-vement brownien linéaire

Cette existence de points lents a toute une his-toire. Il est connu que le mouvement brownien uni-dimensionnel B(t) a (presque sûrement) des trajec-toires continues et même tout près d’être uniformé-ment höldériennes d’ordre 1/2, mais quand mêmepas d’ordre 1/2 (loi du logarithme itéré). Il étaitégalement connu (Paley-Wiener-Zygmund) que lemouvement brownien est (presque sûrement) par-tout non dérivable, et même partout non höldériend’ordre ” > 1/2. Kahane avait posé à Dvoretzky laquestion du cas ” = 1/2. Et ce dernier a démontréen 1963 le résultat suivant ; posons

L(t) := limsuph!0

|B(t + h)� B(t)||h|1/2 ·

Alors, on a presque sûrement L(t) > 0 pour toutt. Mais cela n’exclut pas la possibilité L(t) = 1, etDvoretzky s’avoue incapable de décider en 1963.D’ailleurs, Orey et Taylor montrent en 1974 qu’on

peut avoir L(t) = 1 et un peu plus (« points ra-pides »). Peu de temps après, par une méthode éton-namment inventive, Kahane montre l’existence de« points lents » pour B(t), des points (aléatoires)en lesquels « le mouvement brownien reprend sonsou✏e » selon la jolie image d’Yves Meyer, c’est-à-dire des points t0 en lesquels l’exposant de Hölderlocal est 1/2 :

L(t0) <1.

La preuve est exposée en détail dans la secondeédition de son livre « Some random series of func-tions ». On assiste à un renversement de perspec-tive analogue à celui des masses de Dirac (f (a) =÷a(f ), et ce n’est plus la fonction f qui agit sur lepoint a, mais le point a qui agit sur la fonction f ).En e↵et, chez Paley-Wiener-Zygmund ou Dvoretzky,le point t est donné et l’intervalle dyadique I den-ième génération « porteur de t » s’adapte, I =[k2�n , (k + 1)2�n] avec k la partie entière de t2n,tandis que chez Kahane les intervalles dyadiques Isont donnés, chacun ayant un poisson-pilote sousforme d’une gaussienne standard gI (avec les gIindépendantes), et l’on décrète que I est noir oublanc selon que gI dépasse ou non un certain seuil› > 0. Dans le cas du résultat de Dvoretzky, que Ka-hane redémontre, le seuil est petit, les intervallesI d’une génération n assez grande sont tous noirs,et c’est le point t qui s’adapte, t 2 I avec donc Inoir. Pour l’existence de points lents, Kahane prendun seuil grand, puis sophistique cette notion blanc-noir, et prouve cette fois l’existence de points « plusblancs que blanc » (c’est assez délicat) puis que lasuper-blancheur implique la lenteur (c’est plus fa-cile, avec le modèle Franklin-Wiener du brownien,une fois cette bonne notion de super-blancheur dé-gagée). Perkins montrera ensuite qu’il y a beau-coup de points lents (leur dimension de Hausdor↵est > 0).

4.4 – Réfutation de la conjecture deBateman-Diamond

J.-P. Kahane m’a toujours semblé fasciné parcette di�culté du métier de mathématicien : dansquelle direction chercher la réponse à une ques-tion? Non, et l’on cherche un contre-exemple. Oui,et l’on cherche une preuve générale... À cet égard,il citait souvent le théorème de Carleson de 1966,de convergence presque partout des sommes par-tielles des fonctions de carré sommable sur lecercle (réponse a�rmative à la conjecture de Lu-sin), et m’avait dit que Carleson croyait plutôt à un

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Vie et œuvre scientifique de Jean-Pierre Kahane

contre-exemple (et à une réponse en termes de ca-pacité, pas de mesure de Lebesgue) : mais chaquetentative dans ce sens avait vu s’élever un mur. Et,concluait Kahane en 2011 : « À la fin, les murs de-vant les contre-exemples avaient presque construitla preuve d’une réponse POSITIVE ! » C’est tout àfait dans cet esprit qu’il a obtenu, et à plus de 70ans comme il se plaisait à le souligner, la réponsepositive à une conjecture de Bateman et Diamondqui concernait les nombres premiers généralisésde Beurling. C’est l’un des résultats dont il était leplus fier, et nous détaillons un peu. On se donneune partie discrète et multiplicativement libre P dela demi-droite ]1,1[ (les nombres premiers géné-ralisés de Beurling), on considère le semi-groupemultiplicatif N engendré par P (les nombres entiersgénéralisés) ainsi que les fonctions de comptagerespectives

P(x) =�

P \ [1,x]�

, N(x) =�

N \ [1,x]�

.

Beurling avait montré que, si on pose N(x) = Dx +xÍ(x) avec D constante > 0, l’hypothèse (naturelle-ment vérifiée pour les entiers naturels avec D = 1et Í(x) = O(1/x)),

Í(x) = O✓ 1(lnx)”

, ” > 3/2

su�t à impliquer le théorème des nombres premiers(tnp)

P(x) ⇠ xlnx·

Dans ce contexte, la condition (moins exigeante quecelle de Beurling)

Z 1

1

Í(x) lnx)2dxx

<1 (1)

s’introduit assez naturellement et Bateman et Dia-mond avaient posé la question de savoir si (1) im-plique le tnp. Après avoir cherché sans succès àbâtir un contre-exemple et avoir analysé les raisonsde son échec, Kahane a été conduit, à la manièrede Carleson, à une réponse au contraire a�rma-tive à cette conjecture. La méthode (très élégante)utilise de l’Analyse de Fourier, et notamment le faitque la fonction zeta naturellement associée à N nes’annule pas sur la droite<s = 1, grâce à l’inter-prétation de l’hypothèse comme l’appartenance det 7! ÿ(1+ i t) à l’espace de Sobolev H1 et aux proprié-tés locales des fonctions de cet espace. Notamment(nous voici en un sens de retour aux points lents du

mouvement brownien !) le fait que, si f est dans cetespace, alors

|f (t0 + h)� f (t0)| = o(|h|1/2).

5. Influence et Rayonnement

Cette influence et ce rayonnement ont été consi-dérables. D’abord, il me semble qu’il ne refusaitjamais rien. Je revois J. P. Serre lui demandant :« Et on se demandait si on pourrait t’arracher unexposé sur le mouvement brownien la semaine pro-chaine? » Il avait instantanément répondu Oui. Et ila fait de nombreux exposés au séminaire Bourbaki,notamment (anecdote qu’il m’a racontée) sur lestravaux de Beurling, à qui il avait d’ailleurs demandél’autorisation. Devant l’absence de réaction de cedernier, il lui a envoyé un message : « dans troisjours, j’expose vos travaux au séminaire Bourbaki »sans plus lui demander d’autorisation, et a reçucelle-ci sous forme laconique, à la manière du « I »de Voltaire : « D’accord ». Beaucoup plus récemment(2014), J.-P. Kahane avait donné à la bnf un exposésur le mouvement brownien, le bruit blanc, et l’équa-tion de Langevin, devant un large public dont unebonne partie de lycéens. Et son aptitude à la fois« à faire des mathématiques » et écrire des équa-tions au tableau, et à rester su�samment généralpour ne pas égarer les lycéens, était impression-nante. J.-P. Kahane a par ailleurs écrit quatre livresde recherche :

« Ensembles parfaits et Séries Trigonomé-triques » avec R. Salem (1963), réédité et actua-lisé en 1994. Ouvrage étonnamment actuel avec unexposé clair des notions de capacité, de dimensionde Hausdor↵ notamment.

« Séries de Fourier absolument convergentes »(1970). Avec notamment des applications magni-fiques des algèbres de Banach (théorème des idem-potents de Shilov) aux ensembles de zéros des fonc-tions analytiques dans la classe de Wiener.

« Some random series of functions » (1968, ré-édité en 1985), livre qui reste une référence incon-tournable pour bien des chercheurs actuels, jeunesou moins jeunes.

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Carnet

« Séries de Fourier et Ondelettes » avec P.-G. Le-marié (1998, réédité en 2016). Ce dernier ouvragemet aussi en lumière le goût et l’aptitude qu’avaitJ.-P. Kahane pour l’histoire des mathématiques etaussi bien celle des idées que celle des mathéma-ticiens. Avant la partie « Ondelettes » écrite par P.-G. Lemarié, Kahane disserte longuement sur lesgrands précurseurs et leur apport : Euler, Fourier, Di-richlet, Weierstrass, Cantor, Riemann, Lebesgue, etson analyse de leurs idées et résultats est passion-nante. J.-P. Kahane a également eu de nombreuxélèves (même s’il m’avait dit une fois ne pas en avoirvoulu trop, pour ne pas faire comme certains de sesprédécesseurs dans l’université française), dont lerécent prix Abel 2017, Y. Meyer. Quant à son rayon-nement international, en quelques mots seulement,il s’est vu dans les visiteurs étrangers (sans parlerdes visiteurs français comme Gilles Pisier, et desétudiants étrangers comme L. Rodriguez-Piazza,Quan Hua Xu, Fan Ai Hua) qui ont défilé à son fa-meux Séminaire d’Analyse Harmonique du Lundi :Bourgain, Wermer, Garnett, Jones, Carleson, Rudin,Helson, Körner, Drury, Konyagin, Kwapien, Picho-rides, Nestoridis, etc. Il est impossible de les citer

tous. Cette période des années 70-80 a vu la solu-tion de plusieurs problèmes fondamentaux : le pro-blème de l’union des ensembles de Sidon (Drury),de l’existence d’ensembles de Helson qui ne sontpas de synthèse (Körner), de la sidonicité des en-sembles À (p) pour tout p avec constante

pp, nous

dirions aujourd’hui sous-gaussiens (Pisier), la so-lution de la conjecture de Littlewood sur la normeL1 des polynômes trigonométriques (partiellementpar Pichorides, puis définitivement par Konyagin, etindépendamment par Smith, puis Mc Gehee-Pigno-Smith), etc. Ce rayonnement s’est vu aussi dans lesdeux grandes conférences qui ont eu lieu en sonhonneur en 1993 et 2016, où des visiteurs presti-gieux se sont presque bousculés et où Bourgain en2016 (absent pour raisons de de santé) lui a renduhommage par skype, et dit son étonnement admi-ratif devant le fait qu’il publiait encore à près de90 ans, âge qu’il a atteint en décembre dernier.

Jean-Pierre Kahane restera un exemple pourbeaucoup de mathématiciens de tous âges, par sonenthousiasme intact même à 90 ans, et par songoût d’inventer, de transmettre et d’expliquer.

Hervé Queffélec

Université de Lille

Hervé Que↵élec est professeur émérite. Ses recherches portent sur l’Analyse harmonique commutative,la théorie analytique des séries de Dirichlet, et les espaces de Banach de fonctions holomorphes et leursopérateurs.

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Maryam Mirzakhani

Maryam Mirzakhani

1977-2017

• A. Zorich

« (...), je dirai quelques mots sur toi, mais je ne tegênerai point en insistant avec lourdeur sur ton

courage ou sur ta valeur professionnelle. C’est autrechose que je voudrais décrire... Il est une qualité qui n’apoint de nom. Peut-être est-ce la “gravité”, mais le motne satisfait pas. Car cette qualité peut s’accompagner

de la gaieté la plus souriante.... »

Antoine de Saint-Exupéry

« You have to ignore lowhanging fruit, which is a littletricky. I am not sure if it is the best way of doing things,actually – you are torturing yourself along the way. But

life is not supposed to be easy. »

Maryam Mirzakhani

Maryam Mirzakhani est décédée le 14 juillet2017. Moins de trois ans plus tôt, elle recevait la mé-daille Fields « pour ses contributions remarquablesà la dynamique et à la géométrie des surfaces deRiemann et de leurs espaces de modules », deve-nant ainsi la première femme à obtenir cette récom-pense. Elle était souvent la première. Par exemple,avec son amie Roya Beheshti, elle fut la premièrefille iranienne à participer aux olympiades interna-tionales de mathématiques. Elle y gagna deux mé-dailles d’or, en 1994 et 1995. Ses hauts faits n’empê-chèrent jamais Maryam de rester extrêmement gen-tille, amicale, modeste, sans jamais se mettre enavant. Si vous la rencontriez à une conférence, vousla preniez à première vue pour une jeune post-doc

plutôt que pour une mathématicienne de renom-mée internationale. Elle travaillait dur, « en gardantprofil bas » selon ses propres mots.

Maryam est née et a grandi à Téhéran, dans unefamille de quatre enfants. Dans l’une de ses raresinterviews (donnée à la demande du Clay Mathe-matics Institute à la fin de sa bourse de rechercheClay), elle expliquait :

Mes parents nous ont toujours soutenuset encouragés. Ce qui comptait pour eux,c’était que nous ayons des professionsenrichissantes et satisfaisantes, ils at-tachaient peu d’importance aux succès,aux distinctions.

Après avoir passé un concours très sélectif, Ma-ryam est entrée à l’école de jeunes filles Farzane-gan à Téhéran. En 1999, une fois ses études prédoc-torales terminées à l’université Shari↵ à Téhéran,elle est partie à l’université d’Harvard, où elle asoutenu sa thèse en 2004. Les résultats qu’elle ydémontrait étaient époustouflants aux yeux de tous,y compris de son directeur de thèse C. McMullen :Maryam avait découvert des liens insoupçonnésentre di↵érents problèmes de comptage à premièrevue complètement di↵érents. En particulier, elle amontré que le comptage des géodésiques ferméessimples sur les surfaces hyperboliques est relié auvolume de Weil-Petersson des espaces de modulesde surfaces hyperboliques à bord. Elle en a déduitune nouvelle preuve de la célèbre conjecture deWitten, initialement démontrée par M. Kontsevich.

La thèse de Maryam Mirzakhani est véritable-ment remarquable. Les preuves ne sont ni trèslongues ni particulièrement compliquées. Cepen-dant, Maryam y entremêle ingénieusement di↵é-rentes idées et techniques récentes provenant dedirections variées en dynamique et en géométrie.Lire les trois articles relativement courts issus de sathèse donne un sentiment euphorique, celui qu’onpeut avoir en écoutant son œuvre musicale favorite,en lisant son poète préféré ou en admirant une pein-ture chère à son cœur. Relire ces articles peut entreren résonance avec des réflexions que vous entrete-

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niez depuis longtemps, et faire surgir des réponsessimples et inattendues. Pour mes collaborateurs etmoi-même, cela s’est déjà produit plusieurs fois : lesarticles de Maryam sont remplis d’idées superbesqui sont encore en train d’être assimilées par lacommunauté mathématique.

Après avoir soutenu sa thèse de doctorat, Ma-ryam Mirzakhani a reçu une bourse de rechercheprestigieuse du Clay Mathematics Institute. 1 Dansl’interview que j’ai déjà mentionnée plus haut, ellecommente cette période de sa vie :

C’était une belle opportunité pour moi ;j’ai passé la plupart de mon temps àPrinceton, ce fut une expérience riche.La bourse Clay me laissait la libertéde réfléchir à des problèmes plus di�-ciles, de voyager librement, de discuteravec d’autres mathématicien(ne)s. Jepense lentement, il me faut beaucoupde temps avant de pouvoir éclaircir mesidées et avancer. J’ai donc vraiment ap-précié de ne pas être pressée pour écriremes travaux.

Ce que Maryam appelle « lenteur » est plutôt dela « profondeur », ou une sorte de qualité que Saint-Exupéry ne réussit pas à décrire en un mot. En 2008,alors qu’elle avait 31 ans, Maryam Mirzakhani estdevenue professeur à l’université de Stanford, oùelle a travaillé depuis lors.

Je voudrais parler d’un des nombreux résultatsde Mirzakhani durant cette période, sur le flot destremblements de terre introduit par Thurston. Étantdonnée une géodésique fermée simple sur une sur-face hyperbolique, on peut couper la surface lelong de la géodésique, tordre les deux côtés de lacoupure l’un par rapport à l’autre, puis les recollerafin d’obtenir une nouvelle surface hyperbolique. Sil’on a l’imagination de Bill Thurston, on peut mêmeconsidérer simultanément l’ensemble de toutes lessurfaces hyperboliques, de toutes les géodésiquessimples (généralisées) sur ces surfaces, et définirun twist global. Pendant de nombreuses années,les propriétés du flot correspondant, appelé flotdes tremblements de terre, sont restées mysté-rieuses. En particulier, on ignorait s’il avait des or-bites denses.

Maryam Mirzakhani a découvert à son sujet unlien encore insoupçonné. Elle a réussi à construireun isomorphisme mesuré entre le flot des tremble-ments de terre de Thurston et un flot beaucoupmieux compris, le flot horocyclique sur l’espace des

modules des di↵érentielles quadratiques. Ce théo-rème a tout de suite eu d’importantes applications ;d’autres n’ont été établies que très récemment, unedizaine d’années plus tard. Je suis sûr que d’autresapparaîtront dans le futur. Les mathématiques sontlentes (dans le même sens que Maryam se traitaitde lente).

Si vous avez vu Maryam assister à un exposédans un grand auditorium, comme au msri, vousaurez remarqué qu’elle se tenait toujours deboutderrière la dernière rangée de sièges. Ce n’était nide l’impatience ni de l’extravagance. Je n’ai jamaisvu chez Maryam la moindre trace de caprices : elleavait juste de sérieux problèmes de dos, qu’elle nemontrait jamais autrement. Elle dirait plus tard avecironie que « sérieux » pouvait devenir très relatif.

En plus d’avoir des idées brillantes, Maryam étaitcapable de travailler très dur, comme lorsqu’elle atravaillé sur le théorème de la baguette magique.Du point de vue des systèmes dynamiques, l’espacedes modules des di↵érentielles holomorphes peutêtre considéré comme un « espace homogène avecdes complications ». Je cite Alex Eskin, qui connaîttrès bien les deux aspects : comment la dynamiquesur les espaces de modules ressemble à la dyna-mique homogène, mais aussi comment les di�cul-tés supplémentaires peuvent être très profondes.

Les théorèmes de rigidité, qui incluent et généra-lisent les théorèmes démontrés par Marina Ratnerau début des années 90, expliquent pourquoi la dy-namique homogène est si spéciale. (Tristement, Ma-rina Ratner est décédée à peine une semaine avantMaryam). En général, les systèmes dynamiques ad-mettent unemultitude de trajectoires curieuses, quirestent dans des parties fractales de l’espace. Ellesne sont pas majoritaires, mais elles sont quandmême en très grand nombre. En particulier, cela n’apas de sens de chercher à classifier toutes les adhé-rences d’orbites, ou toutes les mesures invariantes,pour la plupart des systèmes dynamiques : il y atoute une jungle de trajectoires exotiques. Danscertains cas, cela engendre une di�culté majeure :même si l’on connaît les propriétés fines des trajec-toires issues de presque tout point, il n’y a pas d’al-gorithme qui permet de vérifier qu’une condition ini-tiale particulière, qui vous intéresse, est génériqueou non. Le but de la théorie ergodique est plutôt derépondre à des questions statistiques, mais elle de-vient impuissante si l’on veut utiliser une conditioninitiale spécifique.

1. On peut remarquer que trois des quatre récipiendaires de la médaille Fields en 2014 sont des anciens lauréats de cette bourse.

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Maryam Mirzakhani

La situation est complètement di↵érente dansle cas de la dynamique homogène. Dans certainessituations favorables, on réussit à démontrer quen’importe quelle adhérence d’orbite est un sous-espace homogène sympathique, que n’importequelle mesure invariante est la mesure de Haarcorrespondante, etc. Ce genre de rigidité permet defantastiques applications par exemple en théoriedes nombres, développées entre autres par J. Bour-gain, E. Lindenstrauss, G. Margulis, and T. Tao (pourne citer que les médaillés Fields dans une liste beau-coup plus longue de mathématiciens remarquablesqui travaillent dans ce domaine).

L’action de SL(2,ë ) sur les espaces de modulesde di↵érentielles abéliennes et quadratiques res-semble par certains côtés à une dynamique homo-gène, mais savoir jusqu’à quel point est resté unequestion ouverte pendant des décennies. Pour AlexEskin, qui s’est intéressé à la dynamique dans les es-paces de modules après avoir étudié la dynamiquehomogène, cette question était probablement laplus importante depuis plus de 15 ans. Maryam Mir-zakhani a commencé à travailler avec lui sur cettequestion en 2006, aiguillonnée par les travaux deson directeur de thèse, C. McMullen, qui avait ré-solu la question dans le cas particulier du genre 2.Après plusieurs années de collaboration, Eskin etMirzakhani ont obtenu une première grande avan-cée sur cette question : ils ont classifié les mesuresinvariantes par SL(2,ë ). Nous avons insisté pourqu’Alex Eskin annonce ce résultat à la conférence àBonn durant l’été 2010.

Pour illustrer l’importance de ce théorème, jecite ce qu’Artur Avila en a dit à S. Roberts du NewYorker dans un article en mémoire de Maryam :

Lorsque j’ai entendu ce résultat, etconnaissant ses travaux précédents,j’étais sûr qu’elle serait parmi les favorispour la médaille Fields en 2014, et je nepensais pas avoir beaucoup de chancesde la recevoir.

Je ne crois pas que Maryam pensait beaucoupà la médaille Fields à l’époque (quelques annéesplus tard, lorsqu’elle a reçu le message d’I. Dau-bechies annonçant que la médaille Fields lui étaitattribuée, elle a cru que c’était une plaisanterie etl’a ignoré), mais elle savait assurément à quel pointce théorème était important. Ces dernières années,quasiment tous les articles dans mon domaine uti-lisent le théorème de la baguette magique d’unemanière ou d’une autre.

Cependant, Eskin et Mirzakhani ont eu encorebesoin de plusieurs années de travail acharné pourétendre leur résultat en démontrant les résultats derigidité pas seulement pour le groupe entier SL(2,ë )de toutes les matrices 2⇥2 de déterminant 1, maisaussi pour son sous-groupe formé des matrices tri-angulaires supérieures (qui a la propriété crucialed’êtremoyennable). La di↵érence peut sembler mi-neure. Cependant, cette petite modification est dé-cisive pour la version la plus puissante du théorèmede la baguette magique. La partie de l’énoncé trai-tant des adhérences d’orbites a été prouvée vers lafin du projet avec la collaboration d’A. Mohammadi.Un complément important est dû à S. Filip.

Supposons par exemple que l’on étudie unbillard dans un polygone rationnel (un polygonedont les angles sont tous des multiples rationnelsde ·). Quel objet mathématique pourrait être plussimple et concret qu’un triangle rationnel? Cepen-dant, la seule approche e�cace connue pour étu-dier les billards dans les polygones rationnels sedécrit comme suit. En appliquant les symétries parrapport aux côtés du polygone, on le déplie jus-qu’à obtenir une surface fermée. Les trajectoiresdu billard se déplient et forment des lignes droitessans auto-intersection sur cette surface de trans-lation. Cette astuce est très simple et classique.On peut ensuite toucher la surface de translationainsi formée avec la baguette magique du théo-rème, pour décrire l’adhérence de son orbite sousl’action de SL(2,ë ) dans l’espace des modules detoutes les surfaces de translation qui partagent lesmêmes caractéristiques combinatoires que notresurface de départ. D’après le théorème de la ba-guette magique, cette adhérence d’orbite est unorbifold très spécial. Sa géométrie donne énormé-ment d’informations sur le billard initial. Aussi fortque le carrosse-citrouille de Cendrillon, non?

Un des derniers travaux de Maryam Mirzakhani,en collaboration avec Alex Wright, montre que, tan-dis que la surface obtenue en dépliant un trianglerationnel a beaucoup de symétries, l’adhérenced’orbite qu’on obtient ci-dessus est souvent aussigrande qu’elle peut l’être : c’est tout l’espace desmodules ambiant.

La démonstration du théorème de la baguettemagique est un travail titanesque, qui repose surbeaucoup de progrès récents fondamentaux en sys-tèmes dynamiques. La plupart de ces résultats sontsans rapport direct avec les espaces de modules.Je ne comprends toujours pas comment Eskin etMirzakhani ont réussi à mener cette preuve à bout.

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Carnet

Des di�cultés techniques très importantes ont faitsurface à chaque étape du projet. Sans parler dufait que, dans les quatre ans entre 2010 et 2014,Maryam a donné le jour à une petite fille, et a réussià surmonter une première attaque du cancer. De-puis lors, je pensais que Maryam pouvait tout faire.

Je ne peux m’empêcher de raconter une histoire,symbolique à mes yeux. Alors que M. Mirzakhaniavait reçu la médaille Fields, la Gazette m’avait de-mandé d’écrire un article sur le théorème de labaguette magique, et de contacter Maryam pourqu’elle me procure une photo d’elle pour illustrerl’article. La photo que j’ai reçue était inattenduepour un article scientifique : une petite fille de troisans tenait deux ballons aux formes compliquées(des surfaces de Riemann) presque aussi grandsque la fillette.

L’image m’a semblé parfaite. Elle représentaitexactement la vision que j’avais moi-même de Ma-ryam, j’étais juste surpris qu’elle la propose elle-

même. Maryam avait parcouru toute sa vie avecla curiosité et l’imagination naturelles aux enfants,mais malheureusement perdues par la plupart desadultes.

Puis l’email suivant est arrivé : « Oups, déso-lée, Anton, je t’ai envoyé une photo de ma fille :) ».J’avais confondu Anahita et Maryam.

À l’automne 2016, j’ai appris que sa maladieétait de retour. Mais je savais aussi que Maryamfaisait de son mieux pour rester avec sa fille et safamille aussi longtemps que possible. Je n’étais pasle seul à penser que Maryam pourrait faire plus quequi que ce soit d’autre. Mais, même en admirant lecourage exceptionnel de quelqu’un, on ne peut pasen attendre de miracle. « Une lumière s’est éteinte »a écrit Firouz Naderi en annonçant la mort de Ma-ryam. Ses travaux et sa personnalité ont inspiré etencouragé de nombreuses personnes sur toute laTerre. Des femmes et des hommes. Nous garderonsprécieusement sa lumière en nous.

Anton Zorich

Anton Zorich est Professeur à l’université Paris Diderot. Ses travaux portent sur la géométrie, la topologieet les systèmes dynamiques et sur les interactions entre ces trois domaines. Il fait également beaucoup demathématiques expérimentales.

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Livres

La possibilité des nombresFrédéric Patraspuf, 2014. 320 p. isbn : 978-2130631675

Prévenons tout de suite le lecteur : « La possibilité des nombres » n’est pas un nouveau romande Houellebecq sur une secte ésotérique, mais bien un livre de philosophie des sciences, sourcé,argumenté, passionné. Frédéric Patras, déjà auteur de La pensée mathématique contemporaine,convoque ici Euclide, Platon, Aristote, Descartes, Kant, Wittgenstein, Frege, Gödel, Husserl et biend’autres pour essayer d’élucider la nature du concept de nombre, « émanation directe des lois puresde la pensée » selon Dedekind, et rendre compte des di↵érentes façons de l’approcher.Fonder notre relation aux nombres (ou plus généralement aux bases des mathématiques) n’est passans importance, bien sûr d’un point de vue philosophique, mais aussi pour l’activité de recherche enmathématiques et leur enseignement. La lecture de ce livre m’a ainsi fait réaliser le côté primitif dema conception des fondements des mathématiques, qui était par certains aspects déjà dépasséeau temps d’Aristote, et certainement à la fin du dix-neuvième siècle. Cette réalisation est d’ailleursliée à un phénomène de redécouverte permanente au cœur de notre relation aux nombres qui estbien illustré dans le livre ; des idées que les penseurs de la Renaissance pensaient neuves étaient enréalité déjà présentes chez Aristote ou Platon (ce type de mésaventure n’est bien sûr pas étrangeraux mathématiciens !) On est alors surpris que d’autres idées, qui semblent aujourd’hui élémentaires,aient été d’apparition si délicate ; par exemple j’ai de nouveau eu l’occasion de mesurer l’étenduede mon ignorance en découvrant que la philosophie aristotélicienne défendait l’idée que « un n’estpas un nombre ». Le livre aide ainsi à apprécier toutes les di�cultés épistémologiques posées par laconquête des nombres – accepter que 0 est un nombre à part entière et pas un simple outil de calcul,par exemple.Le rôle de Frege est longuement évoqué et l’admiration que Patras éprouve pour lui emplit de vieles passages qui lui sont consacrés ; bien que son approche logiste ait finalement échoué, ce qui aposteriori semble inévitable, Patras l’érige en père fondateur de la logique mathématique et metlonguement en valeur l’importance de ses contributions et leur importance encore aujourd’hui. Undes grands plaisirs proposé au lecteur par ce livre tient dans les multiples citations qui l’émaillent,par exemple celle de Dedekind mentionnée plus haut ou la suivante de Condillac, dont la clarté de lalangue est justement mise en avant par Patras : « Quand les idées des nombres, d’abord aperçuesdans les objets, ensuite dans tous les objets auxquels on les applique, deviennent générales etabstraites, nous ne les apercevons plus dans les doigts, ni dans les objets auxquels nous cessons deles appliquer. Où donc les apercevons-nous? Dans les noms devenus les signes des nombres. Il nereste dans l’esprit que ces noms, et c’est en vain que l’on y chercherait autre chose ».Si les compétences mathématiques requises pour lire et apprécier ce livre ne poseront aucun pro-blème aux lecteurs de la Gazette , des notions relativement délicates (souvent de niveau L3, parfoisde niveau bien plus avancé) apparaissent de temps à autre, et on peut douter de l’e�cacité desexplications qui sont données en notes de bas de page. Cela n’empêchera pas un béotien en ma-thématiques de tirer profit de sa lecture, mais il sera certainement plus di�cile à un tel lecteur deprendre de la distance avec certaines des assertions de l’auteur. Il en va de même, d’ailleurs, desa�rmations sur les philosophes et leurs positions : même si de nombreuses sources sont fournies, les

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Livres

e↵orts de vérification et d’approfondissement seraient considérables, et on (du moins, je) se trouveobligé d’accepter certaines assertions prima facie.L’auteur écrit (sans doute à raison) que « à dissocier la logique mathématique de ses corrélatsopératoires, voire ontologiques, la philosophie a ainsi bien souvent perdu sa pertinence et sacrédibilité auprès desmathématiciens » ; il serait intéressant de connaître l’accueil que les philosophesdes sciences ont réservé à ce livre, dont on sent en permanence qu’il est écrit par un mathématicien(ce qui, pour l’auteur de ces lignes tout au moins, est tout sauf une critique).En conclusion, non, ce n’est pas du Houellebecq ; c’est du Patras – tou↵u, attachant, passionné, unpeu énervant parfois dans la certitude apparente de ses a�rmations, mais surtout très enrichissantpour qui prendra le temps d’apprendre et de réfléchir avec ce livre, de vivre un peu avec lui, et d’enprofiter pour remettre en question son rapport aux nombres et aux fondements des mathématiques.

Julien MellerayLyon

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Instructions aux auteurs

Objectifs de la Gazette des Mathématiciens . Bulletin interne de la smf, la Gazette constitue un support privi-légié d’expression au sein de la communauté mathématique. Elle s’adresse aux adhérents, mais aussi, plusgénéralement, à tous ceux qui sont intéressés par la recherche et l’enseignement des mathématiques. Elleinforme de l’actualité des mathématiques, de leur enseignement et de leur di↵usion auprès du grand public,de leur histoire, de leur relation avec d’autres sciences (physique, informatique, biologie, etc.), avec pourobjectif de rester accessible au plus grand nombre.On y trouve donc des articles scientifiques de présentation de résultats ou de notions importants, ainsique des recensions de parutions mathématiques récentes. Elle contient aussi des informations sur tout cequi concerne la vie professionnelle d’un mathématicien (recrutements, conditions de travail, publicationsscientifiques, etc.) ainsi que des témoignages ou des tribunes libres.La Gazette paraît à raison de quatre numéros par an avec, de temps en temps, un numéro spécial consacré àun sujet particulier de mathématiques ou bien à un grand mathématicien.Elle est envoyée gratuitement à chaque adhérent. Les numéros actuel et anciens sont disponibles en ligne(http://smf4.emath.fr/Publications/Gazette/).

Articles scientifiques. Les articles scientifiques de la Gazette sont destinés à un large public intéressé par lesmathématiques. Ils doivent donc être écrits avec un souci constant de pédagogie et de vulgarisation. Lesauteurs sont en particulier invités à définir les objets qu’ils utilisent s’ils ne sont pas bien connus de tous, et àéviter toute démontration trop technique. Ceci vaut pour tous les textes de la Gazette , mais en particulier pourceux de la rubrique « Raconte-moi », destinés à présenter de manière accessible une notion ou un théorèmemathématique important.En règle générale, les articles doivent être assez courts et ne pas viser à l’exhaustivité (en particulier dans labibliographie). Sont encouragés tous les artifices facilitant la compréhension, comme l’utilisation d’exemplessignificatifs à la place de la théorie la plus générale, la comparaison des notions introduites avec d’autresnotions plus classiques, les intuitions non rigoureuses mais éclairantes, les anecdotes historiques.Les articles d’histoire des mathématiques ou contenant des vues historiques ou épistémologiques sontégalement bienvenus et doivent être conçus dans le même esprit.

Soumission d’article. Les articles doivent être envoyés au secrétariat, de préférence par courrier électronique([email protected]), pour être examinés par le comité de rédaction. S’ils sont acceptés, il faut alors enfournir le fichier source, de préférence sous forme d’un fichier TEX le plus simple possible, accompagné d’unfichier .bib pour les références bibliographiques et d’un pdf de référence.Pour faciliter la composition de textes destinés à la Gazette , la smf propose la classe LATEX gztarticle fourniepar les distributions TEX courantes (TEX Live et MacTEX – à partir de leur version 2015 – ainsi que MiKTEX), etsinon téléchargeable depuis la page http://ctan.org/pkg/gzt. Sa documentation détaillée se trouve à lapage http://mirrors.ctan.org/macros/latex/contrib/gzt/doc/gzt.pdf. On prendra garde au fait quel’usage de cette classe nécessite une distribution TEX à jour.

Classe LATEX : Denis Bitouzé ([email protected])

Conception graphique : Nathalie Lozanne ([email protected])

Impression : Jouve – 1 rue du docteur Sauvé 53100 Mayenne

Nous utilisons la police Kp-Fonts créée par Christophe Caignaert.

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