organisation territoriale action sociale partie 1
TRANSCRIPT
RAPPORT DâETUDE
INET
LâORGANISATION TERRITORIALE
DE LA REPUBLIQUE EN MATIERE
DâACTION SOCIALE
A LâHEURE DES METROPOLES
(PARTIE 1)
Etude commandée par
Référente
Madame Maud RENON, Directrice des solidarités et de la santé
Ville et Eurométropole de Strasbourg
Rapport rédigé par
Monsieur Vincent GALIBERT
Monsieur Christian GRANGEON
Madame Claire MARTINEAU
Monsieur Sylvain ROCHE
Monsieur Stéphane ROCHON
Le 26 juin 2018
ĂlĂšves administrateurs Promotion Nina Simone
Lâassociation nationale des directeurs d'action sociale et de santĂ© des
départements et métropoles (ANDASS)
Lâassociation nationale des cadres communaux de lâaction sociale
(ANCCAS)
1
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ................................................................................................................. 3
SYNTHESE GENERALE ......................................................................................................... 4
INTRODUCTION GENERALE ................................................................................................. 8
PREMIERE PARTIE : LâORGANISATION TERRITORIALE DE LâACTION SOCIALE EVOLUE EN RAISON DE FACTEURS AUSSI BIEN ENDOGĂNES QUâEXOGĂNES .......... 23
1. La conception de lâaction sociale se retrouve aujourdâhui profondĂ©ment renouvelĂ©e ..................................................................................................................... 23
1.1. Les acteurs font le constat dâune approche cloisonnĂ©e et statique de lâaction sociale ............................................................................................................................. 23
1.2. En rĂ©ponse, une vision large et transversale de lâaction sociale, intĂ©grĂ©e avec les autres politiques publiques, est attendue ........................................................................ 27
1.3. Lâaction sociale, confrontĂ©e Ă des enjeux nouveaux de connectivitĂ© et dâempowerment, se recentre parallĂšlement sur son accĂšs et sa continuitĂ© ..................... 32
2. Le cadre normatif fixe une mĂ©tropolisation de lâaction sociale aux effets limitĂ©s ... 36
2.1. Les derniÚres réformes territoriales se veulent plus incitatives et coercitives ........ 36
2.2. A court terme, les effets des lois NOTRe et MAPTAM restent limitĂ©s en termes de transformation de lâorganisation territoriale de lâaction sociale ......................................... 40
2.3. Les objectifs des lois NOTRE et MAPTAM et les prioritĂ©s en matiĂšre dâaction sociale des collectivitĂ©s divergent ................................................................................... 43
SECONDE PARTIE : LES MUTATIONS DU MODELE SOCIAL, PARALLELEMENT A LâEVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE, ENTRAINENT UNE ADAPTATION DES REPONSES AFIN DE RENCONTRER AU MIEUX LES NOUVEAUX BESOINS EXPRIMĂS PAR LES BĂNĂFICIAIRES ET LES ACTEURS.................................................................... 47
1. Lâorganisation territoriale de lâaction sociale relĂšve dâune « anarchie organisĂ©e » . 47
1.1. Les modalitĂ©s de transfert des compĂ©tences sociales aux mĂ©tropoles renforcent la logique dâĂ©clatement des actions et des acteurs ............................................................. 47
1.2. Lâorganisation territoriale impose une injonction paradoxale aux acteurs de lâaction sociale, entre spĂ©cialisation, coopĂ©ration et coordination ................................................ 49
1.3. La volontĂ© de sâoutiller pour rĂ©Ă©quilibrer lâoffre de services rĂ©pond encore largement Ă une rĂ©flexion en silos ................................................................................... 54
2. Entre questionnement de lâavenir du « dĂ©partement-providence » et recentrement du social sur cet Ă©chelon territorial, la rĂ©forme du modĂšle dâaction sociale peut prendre plusieurs formes ............................................................................................. 57
SCENARIO N°1 - Stabilisation : Vade-mecum dâune rĂ©gulation de lâorganisation actuelle de lâaction sociale (Ă droit constant) ................................................................................ 61
SCENARIO N°2 - Dévitalisation du conseil départemental .............................................. 63
2
SCENARIO N°3 - Renforcement du conseil départemental............................................. 68
CONCLUSION GENERALE .................................................................................................. 76
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 78
ANNEXES ............................................................................................................................. 80
1. Lettre de mission .......................................................................................................... 80
2. Instances de suivi et de pilotage de lâĂ©tude ................................................................ 81
3. Grille dâentretien............................................................................................................ 82
4. Liste des personnalités entendues .............................................................................. 83
5. Personnalités qualifiées entendues............................................................................. 85
6. Questionnaire ................................................................................................................ 86
7. Structures ayant répondu au questionnaire ............................................................... 90
8. Tableau récapitulatif des transferts et/ou délégations de compétences sociales ... 91
9. Tableau des caractéristiques sociodémographiques des métropoles françaises ... 93
10. Tableau rĂ©capitulatif des acteurs publics intervenant dans le champ des politiques de lâenfance ................................................................................................................... 94
3
REMERCIEMENTS
Tout au long de nos travaux, nous avons été amenés à rencontrer de nombreux interlocuteurs dont
les apports nous ont été précieux.
Nous souhaitons ainsi adresser nos remerciements Ă tous nos contributeurs, en particulier les
professionnels qui nous ont accordĂ© de leur temps. A travers une quarantaine dâentretiens et 25
rĂ©ponses aux questionnaires envoyĂ©s par courriel, les professionnels de lâaction sociale locale
présents dans les territoires couverts par les métropoles nous ont ainsi apporté une contribution
décisive.
La contribution de cinq personnalités qualifiées à nos travaux est également à souligner et nous
souhaitons ainsi adresser un remerciement tout particulier Ă M. Philippe ESTEBE, M. Mathieu
KLEIN, M. Robert LAFORE, M. Claudy LEBRETON ou encore Mme Nadine LEVRATTO, dont les
apports thĂ©oriques nous ont permis dâenrichir nos rĂ©flexions et de les mettre en perspective.
Nous souhaitons Ă©galement saluer lâengagement des membres du comitĂ© technique qui a
coordonné nos travaux et notamment Mme Maud RENON, M. Nans MOLLARET et Mme Catherine
PAUL-HARDOUIN ainsi que les membres du comité de pilotage ayant suivi nos travaux, M. Roland
GIRAUD, Mme Claudine PAILLARD, M. Jean DEYSSON et M. Denis GUIHOMAT.
Enfin, un grand merci Ă notre responsable de promotion, Mme Corinne KREMER-HEIN, pour son
Ă©coute et son soutien tout au long de cette Ă©tude.
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SYNTHESE GENERALE
La prĂ©sente Ă©tude est consacrĂ©e Ă lâorganisation territoriale de la RĂ©publique en matiĂšre dâaction
sociale. Elle a Ă©tĂ© commanditĂ©e au printemps 2017 par lâANDASS et lâANCCAS, et sâest dĂ©roulĂ©e
aux cÎtés de France Urbaine et de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Son objectif
principal Ă©tait de rendre compte de la maniĂšre dont les territoires mĂ©tropolitains ont mis en Ćuvre
lâobligation prĂ©vue par la loi NOTRe de transfĂ©rer ou de dĂ©lĂ©guer des compĂ©tences sociales, des
conseils dĂ©partementaux en matiĂšre dâaction sociale aux mĂ©tropoles. Cette modification dans la
rĂ©partition des compĂ©tences sociales a Ă©galement Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme une occasion dâĂ©tudier la
maniĂšre dont la notion de chef de filĂąt de lâaction sociale se renouvelle.
âą Du concept de solidaritĂ© Ă celui dâaction sociale
Les fondements thĂ©oriques et juridiques de lâaction sociale sont les produits dâune longue
sédimentation autour du concept de « solidarité ». Communautaire, religieuse puis étatique, la mise
en Ćuvre des solidaritĂ©s nâa cessĂ© de se transformer en fonction des acteurs qui la portaient. Les
travaux du sociologue Emile DURKHEIM, sur la division du travail, et du député de la TroisiÚme
RĂ©publique LĂ©on BOURGEOIS, sur le solidarisme, font figure de recherches pionniĂšres en la
matiĂšre, Ă lâorigine dâune production intellectuelle dont notre modĂšle dâaction sociale sâest largement
nourri. Ces jalons forment la premiĂšre Ă©tape de la construction de notre systĂšme dâEtat-providence
qui se fonde sur des dispositifs jouant la fonction de protection contre les accidents de la vie, tout
en orientant les comportements des individus aux fins souhaitĂ©es par lâEtat. Protection sociale et
contrĂŽle social sâalimentent mutuellement et les deux premiers actes de la dĂ©centralisation en 1982
puis en 2003, correspondent Ă une rĂ©ponse apportĂ©e aux critiques itĂ©ratives dâun Etat devenu Ă la
fois trop imposant et trop distant.
La recherche de proximitĂ© Ă lâĂ©gard des plus vulnĂ©rables se rĂ©alise Ă travers la constitution dâun
couple historique dĂ©partement-communes. Le dĂ©partement devient le chef de file de lâaction sociale,
organisateur, coordinateur et planificateur, tandis que les communes constituent leurs relais publics
privilĂ©giĂ©s, en particulier via les centres communaux dâaction sociale. Les lois de rĂ©formes
territoriales entre 2007 et 2012 puis entre 2012 et 2017, le constituant et le législateur tendent à faire
Ă©merger de nouveaux acteurs publics. Se profilent ainsi deux dynamiques majeures de la
dĂ©centralisation, toujours observables aujourdâhui, la spĂ©cialisation et la mĂ©tropolisation. Les
métropoles, les grandes régions, les intercommunalités et les communes fusionnées se voient
confier de plus en plus de responsabilitĂ©s dans le renouvellement de lâapproche de lâaction publique
locale.
âą Le secteur public de lâaction sociale fait face Ă des dĂ©fis de plusieurs natures
ParallĂšlement, lâEtat demande aux administrations locales de se transformer pour ĂȘtre plus
stratégiques, moins dépensiÚres, plus agiles. Sous la pression de la crise économique, des
engagements communautaires de la France et de lâaugmentation des dĂ©penses dâaide et dâaction
sociale, lâexigence faite aux collectivitĂ©s de gĂ©rer plus Ă©troitement leurs budgets, critique indirecte
dâune conduite jugĂ©e dispendieuse, se renforce. Ce contexte ne doit cependant pas faire oublier la
situation particuliĂšrement dĂ©gradĂ©e dans laquelle Ă©voluent les acteurs de lâaction sociale et mĂ©dico-
sociale, pris dans un effet tenaille entre la massification des publics et la complexification des
parcours individuels et collectifs. Les effets conjugués des crises financiÚres et migratoires tout
comme lâĂ©volution dĂ©mographique, conduisent irrĂ©mĂ©diablement Ă un « effet ciseau » oĂč les
dĂ©penses augmentent tandis que les ressources sâamenuisent. Au-delĂ de ces aspects
conjoncturels, les acteurs publics font face à des défis techniques, organisationnels et éthiques pour
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faire en sorte de rĂ©pondre aux enjeux paradoxaux dâinclusion des publics prĂ©caires et de rĂ©duction
des moyens publics locaux.
LâentrĂ©e dans lâĂšre du numĂ©rique, les appels Ă davantage de transversalitĂ© et les revendications Ă
plus de participation citoyenne constituent désormais la feuille de route des collectivités territoriales.
En sâappuyant sur des entretiens semi-directifs menĂ©s dans cinq grandes mĂ©tropoles et sur des
questionnaires envoyés aux métropoles et aux conseils départementaux concernés par les
transferts de compĂ©tences sociales, cette Ă©tude vise Ă prĂ©senter lâorganisation actuelle de lâaction
sociale en France. Elle a également pour but de rendre compte des modalités de coordination des
acteurs au sein des mĂ©tropoles (Ă lâexception de celles Ă statut particulier) puis de proposer des
scenarii de court et de moyen terme pouvant amener au renouvellement du cadre dans lequel
exercent les acteurs de lâaction sociale.
Une organisation territoriale de lâaction sociale qui a fortement Ă©voluĂ© en raison de facteurs
aussi bien endogĂšnes quâexogĂšnes
âą La conception de lâaction sociale se retrouve aujourdâhui profondĂ©ment renouvelĂ©e
Dans le cadre des lois de décentralisation, le législateur a réalisé un partage des compétences
sociales par bloc. Trente ans plus tard, le bilan de cette démarche est mitigé. Si cette spécialisation
a permis dâĂȘtre plus en proximitĂ© des publics et offre un maillage territorial fin, elle est toujours source
de cloisonnement, dâĂ©parpillement, de ralentissement et de morcellement. Lâorganisation en silos
des champs de lâaction sociale ne favorise pas le travail en transversalitĂ© et la profusion des acteurs
dĂ©concentrĂ©s de lâEtat multiplie les espaces de coordination sur des enjeux majeurs en alourdissant
les processus de dĂ©cision. La gouvernance partagĂ©e de lâaction sociale souffre ainsi dâun manque
de lisibilité pour les bénéficiaires. Les acteurs de terrain font donc part du caractÚre insatisfaisant de
cette organisation des politiques sociales et appellent de leurs vĆux lâĂ©volution vers un systĂšme qui
mise sur la prévention sociale plutÎt que sur la production de réponses curatives.
Alors que lâĂ©chelon dĂ©partemental a initialement Ă©tĂ© moteur sur le sujet, les grandes villes et leur
bloc communal, par le biais des mĂ©tropoles, semblent aujourdâhui en bonne position pour opĂ©rer
ces changements. Pour mener cette mutation, de nouvelles approches conceptuelles sont
mobilisables comme la distinction entre la solidarité des droits et la solidarité des engagements. Sur
le terrain, les prioritĂ©s dâaction ressortent clairement autour de lâaccĂšs et de la continuitĂ© des droits,
de lâassurance de la connectivitĂ© au sein des territoires et la reconnaissance des capabilitĂ©s par des
processus dâempowerment. Câest au sein de ces trois axes de dĂ©veloppement que se rĂ©alise, au
sein des territoires métropolitains étudiés, une bonne partie des recherches, des projets et des
innovations sociales.
âą Le cadre normatif fixe une mĂ©tropolisation de lâaction sociale aux effets limitĂ©s
Les transferts ou les délégations de compétences sociales des départements en direction des
mĂ©tropoles ont eu pour lâinstant un impact limitĂ©, en raison de faibles montants humains et financiers
en jeu. Ainsi, le poids financier des compétences transférées ou déléguées représente 127 millions
dâeuros soit seulement 0,3% des dĂ©penses dâactions sociales, tĂ©moignant du caractĂšre modeste de
ce processus. Le redĂ©coupage horizontal de compĂ©tences va certes dans le sens de lâĂ©mergence
de métropoles inclusives. Néanmoins, la faiblesse de la volonté des métropoles quant à la
rĂ©cupĂ©ration de prĂ©rogatives sociales interroge. Lâobservation des territoires a plutĂŽt donnĂ© lieu Ă
une stratégie formalisée de façon le plus souvent empirique, a posteriori, autour des compétences
rĂ©cupĂ©rĂ©es, plutĂŽt quâune orientation claire vers la crĂ©ation dâun espace de solidaritĂ© urbaine.
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Si les lois de réforme territoriale constituent une rupture dans la façon de penser la décentralisation,
le lĂ©gislateur a souhaitĂ© ne pas perturber trop fortement lâĂ©quilibre des pouvoirs et des organisations
locales. Dans ce contexte, les enjeux de coordination entre les acteurs, dâaccessibilitĂ© et de
simplification pour les personnes en situation de vulnérabilité restent particuliÚrement prégnants.
Ces évolutions amÚnent le modÚle social à se transformer afin de répondre au mieux aux
nouveaux besoins exprimés par les bénéficiaires et les acteurs
âą LâĂ©tude du terrain montre que lâorganisation territoriale de lâaction sociale relĂšve
dâune « anarchie organisĂ©e »
Sâil est difficile de tirer un bilan exhaustif de la loi NOTRe trois ans aprĂšs sa promulgation, il ressort
quâen matiĂšre dâaction sociale les transferts ou les dĂ©lĂ©gations de compĂ©tences ont une tendance Ă
renforcer lâanarchie organisĂ©e prĂ©alablement constituĂ©e. Certains dispositifs ont vu leur gestion se
complexifier en raison dâun partage de responsabilitĂ© entre diffĂ©rents acteurs, rendant le tout le plus
souvent opaque pour le bénéficiaire.
Surtout, la réforme ne met pas spécifiquement un terme à la logique de spécialisation entretenue
jusquâalors. La gestion par le conseil dĂ©partemental de blocs de compĂ©tences sociales demeure et
perd de sa cohérence, alors que la fin de la clause générale de compétences était censée leur
permettre de se reconcentrer sur leur cĆur dâaction. Le dĂ©veloppement du couple rĂ©gion-
intercommunalitĂ©s, censĂ© pallier lâeffacement du couple dĂ©partement-communes, nâa pas Ă©tĂ©
poussé à son bout. Les départements, bien que confirmés dans leur positionnement de chef de filùt,
se retrouvent alors dans la position de ne plus vraiment disposer des moyens dâorganiser de la
transversalité en leur sein.
Aussi, une multitude dâoutils ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s afin de renforcer la coordination entre les acteurs afin de
prĂ©ciser Ă la fois le diagnostic, les objectifs partagĂ©s et les modalitĂ©s de mise en Ćuvre des actions
Ă dĂ©cliner. En complĂ©mentaritĂ©, les dĂ©cideurs publics tentent Ă©galement dâinterfĂ©rer sur la fracture
territoriale entre rural et urbain, soit en déconcentrant une large part de leur activité, soit en
définissant une séparation plus nette de leurs prérogatives : à la métropole inclusive le soin de
sâoccuper des habitants des villes, au dĂ©partement le soin de sâoccuper des habitants des territoires
ruraux. Dans les faits la segmentation demeure puisque chaque acteur se dote de son observatoire,
de son outil de recueil de besoins sans quâun partage ne soit systĂ©matiquement ni recherchĂ© ni
organisé.
âą Entre questionnement de lâavenir du « dĂ©partement-providence » et recentrement du
social sur cet Ă©chelon territorial, la rĂ©forme du modĂšle dâaction sociale peut prendre
plusieurs formes
Cette analyse critique invite Ă repenser lâorganisation territoriale de lâaction sociale. A lâappui des
rĂ©flexions de lâANDASS et de lâANCCAS en 2015 en la matiĂšre, il a Ă©tĂ© possible de structurer trois
scenarii.
Le premier scenario vise Ă stabiliser lâexercice actuel de lâaction sociale en dĂ©veloppant des
outils complémentaires de coordination et à introduire quelques simplifications de gestion.
Il propose une solution intermĂ©diaire dans lâattente dâune prise de position du Gouvernement et du
Parlement vers lâun des deux autres scenarii. En raison du contexte politique et des dĂ©bats liĂ©s Ă la
suppression des dĂ©partements, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© dâaborder deux hypothĂšses alternatives de leur
dĂ©vitalisation ou de leur renforcement, elles mĂȘme dĂ©clinĂ©es en deux variantes.
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Le deuxiĂšme scenario sâappuie sur lâhypothĂšse dâune « dĂ©vitalisation du dĂ©partement »
choisie par le lĂ©gislateur dâune montĂ©e en puissance du couple rĂ©gion et intercommunalitĂ©
notamment sur les politiques dâinsertion.
En raison des compétences déjà assurées en matiÚre de formation professionnelle, de
développement économique et de gestion des fonds européens, la région pourrait se positionner
comme acteur de rĂ©fĂ©rence pour le pilotage de lâaction sociale. La proximitĂ© serait ainsi assurĂ©e par
les intercommunalités dotées des outils opérationnels.
La seconde variante vise Ă explorer lâapprofondissement de la logique de la loi NOTRe visant Ă
redéfinir le découpage des blocs de compétences. Les missions seraient ainsi réparties entre les
acteurs qui en assurent actuellement la majorité du pilotage et qui désormais en assureraient autant
la conceptualisation que la mise en Ćuvre. Ceci conduirait Ă transfĂ©rer Ă terme lâensemble des
compétences du département aux autres échelons territoriaux et aux services déconcentrés de
lâEtat, qui seraient ainsi renforcĂ©s.
Le troisiĂšme scenario sâappuie sur lâhypothĂšse dâun « renforcement du dĂ©partement » choisie
par le législateur.
Il vise dans la premiĂšre variante Ă faire de cet Ă©chelon territorial un chef de filĂąt pleinement abouti,
en mettant fin Ă la dĂ©concentration des politiques sociales et en lui redonnant un pouvoir dâagir sur
lâĂ©tablissement des droits et leur versement notamment en ce qui concerne le RSA et lâAPA.
Toutefois, cette approche trÚs ambitieuse nécessiterait une prise de position trÚs affirmée du
gouvernement et des présidents de conseils départementaux.
Pour cette raison, la deuxiÚme variante correspond à une situation plus intermédiaire de recentrage
du dĂ©partement sur la solidaritĂ© des engagements. DĂšs lors, le dĂ©partement serait chargĂ© dâassurer
les missions dâaccompagnement des bĂ©nĂ©ficiaires tandis que le versement des droits universels
serait recentralisĂ©. Lâaction dĂ©partementale et les missions des travailleurs sociaux seraient ainsi
dĂ©diĂ©es plus largement Ă lâaccompagnement humain et au parcours de rĂ©insertion.
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INTRODUCTION GENERALE
A lâĂ©tĂ© 2017, lâAssociation nationale des cadres communaux dâaction sociale (ANCCAS) et
lâAssociation nationale des directeurs dâaction sociale et de santĂ© des dĂ©partements et des
métropoles (ANDASS) ont sollicité les élÚves administrateurs territoriaux de la promotion Nina
Simone afin de rĂ©flĂ©chir Ă lâavenir de lâorganisation territoriale de la RĂ©publique en matiĂšre dâaction
sociale. En lien avec lâassociation France urbaine et la Direction gĂ©nĂ©rale de la cohĂ©sion sociale
(DGCS), cinq élÚves fonctionnaires territoriaux se sont alors portés volontaires pour mener cette
Ă©tude et tenter dâapporter une vision globale de la situation.
Il leur a notamment Ă©tĂ© demandĂ© dâapprĂ©cier les Ă©volutions Ă lâĆuvre dans lâunivers des politiques
sociales locales Ă lâaune de lâaffirmation du conseil dĂ©partemental comme chef de file de lâaction
sociale et de la montée en puissance des métropoles. Les interactions entre les différents acteurs
intervenant dans le champ des politiques sociales, et notamment entre les conseils départementaux
et les mĂ©tropoles, se situent donc au cĆur de ce travail. Lâobjectif est de montrer et dâexpliquer
lâinfinitĂ© de modĂšles dâorganisation, puis dâen tirer les enseignements profitables Ă lâĂ©volution des
mĂ©thodes de dĂ©ploiement de lâaction sociale dans les territoires.
Du concept de solidaritĂ© Ă celui dâaction sociale
Lâaction sociale et mĂ©dico-sociale est dĂ©finie juridiquement dans le Code de lâaction sociale et des
familles (CASF) depuis 20021 comme toute action tendant Ă :
« promouvoir, dans un cadre interministériel, l'autonomie et la protection des personnes, la
cohésion sociale, l'exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les
effets. Elle repose sur une Ă©valuation continue des besoins et des attentes des membres
de tous les groupes sociaux, en particulier des personnes handicapées et des personnes
ùgées, des personnes et des familles vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté,
et sur la mise à leur disposition de prestations en espÚces ou en nature »2.
Lâaction sociale et mĂ©dico-sociale recouvre six missions dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral qui sont assurĂ©es par
l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les organismes de sécurité
sociale, les associations ainsi que par les institutions sociales et médico-sociales3. Il existe
Ă©galement une distinction opĂ©rante entre lâaide sociale et lâaction sociale :
⹠l'aide sociale correspond à « une obligation pour la collectivité publique compétente et à un
droit pour le bénéficiaire sans contribution préalable » ;
âą lâaction sociale englobe les interventions librement entreprises par une pluralitĂ© dâacteurs en
sus de lâaide sociale lĂ©gale4.
Dans une perspective historique, le terme dâaction sociale puise son origine dans le concept de
« solidarité », rendu public par deux ouvrages majeurs de la fin du XIXe siÚcle : De la division du
1 Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rĂ©novant l'action sociale et mĂ©dico-sociale. 2 Article L. 116-1 du Code de lâaction sociale et des familles. 3 Les missions dâintĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©rales sont, selon lâarticle L. 311-1 du Code de lâaction sociale et des familles : « 1° LâĂ©valuation et prĂ©vention des risques sociaux et mĂ©dico-sociaux, information, investigation, conseil, orientation, formation, mĂ©diation et rĂ©paration ; 2° La protection administrative ou judiciaire de l'enfance et de la famille, de la jeunesse, des personnes handicapĂ©es, des personnes ĂągĂ©es ou en difficultĂ© ; 3° Les actions Ă©ducatives, mĂ©dico-Ă©ducatives, mĂ©dicales, thĂ©rapeutiques, pĂ©dagogiques et de formation adaptĂ©es aux besoins de la personne, Ă son niveau de dĂ©veloppement, Ă ses potentialitĂ©s, Ă l'Ă©volution de son Ă©tat ainsi qu'Ă son Ăąge ; 4° Les actions d'intĂ©gration scolaire, d'adaptation, de rĂ©adaptation, d'insertion, de rĂ©insertion sociales et professionnelles, d'aide Ă la vie active, d'information et de conseil sur les aides techniques ainsi que d'aide au travail ; 5° Les actions d'assistance dans les divers actes de la vie, de soutien, de soins et d'accompagnement, y compris Ă titre palliatif ; 6° Les actions contribuant au dĂ©veloppement social et culturel, et Ă l'insertion par l'activitĂ© Ă©conomique. » 4 BORGETTO Michel, LAFORE Robert, Droit de lâaide et de lâaction sociales, 7Ăšme Ă©dition, Montchrestien, Paris, 2009, 740 pp.
9
travail social (1893) dâEmile DURKHEIM et SolidaritĂ© (1896) de LĂ©on BOURGEOIS. Le premier
décrit, entre autres, la transformation des pratiques sociales dans le contexte des révolutions
industrielles, entraĂźnant le passage dâune solidaritĂ© mĂ©canique Ă une solidaritĂ© organique. Le second
traduit politiquement et juridiquement « une thĂ©orie dâensemble des droits et des devoirs de lâhomme
dans la société ». Léon BOURGEOIS y développe entre autres le concept de « dette sociale », soit
le devoir qui oblige les individus Ă lâĂ©gard de la sociĂ©tĂ©, entre les gĂ©nĂ©rations et entre les
contemporains. Par ses rĂ©flexions, le pĂšre de lâimpĂŽt sur le revenu ouvre un dĂ©bat considĂ©rable sur
le fonctionnement de la société française qui agite la IIIÚme République. Léon BOURGEOIS donne
alors une place aux pouvoirs publics : celle de dĂ©finir les termes et les modalitĂ©s dâun vaste contrat
fondé sur les acquis, en droits et libertés, de la Révolution française5.
La notion de solidarité irrigue la production législative et jurisprudentielle française dans le champ
de la protection sociale. Celle-ci demeure longtemps une prĂ©rogative d'Ătat. Le systĂšme de solidaritĂ©
nationale naßt sous la forme du droit du travail en se portant premiÚrement sur la sécurité des
ouvriers au travail et dans leur grand Ăąge. Câest ainsi que les premiĂšres lois sociales crĂ©ent le
concept « dâaccident du travail » et les modalitĂ©s de leur prise en charge par la collectivitĂ©. Elles
concernent prioritairement lâencadrement du travail de nuit, la limitation du travail des enfants, la
protection des travailleuses puis les premiers régimes de retraites en 1910. AprÚs la PremiÚre guerre
mondiale, la solidarité nationale se porte au chevet des victimes directes et indirectes des combats :
blessés, infirmes, veuves et de guerre. Durant les années 1930, les assurances sociales et une
extension des droits des travailleurs se développent en parallÚle. Le modÚle français se structure
en 1945 lorsque le Conseil national de la résistance (CNR) crée la Sécurité sociale et ses trois
branches : maladie, vieillesse et famille (lâassurance chĂŽmage correspondant Ă un ajout ultĂ©rieur,
en 1958)6. Ce systĂšme devient lâillustration de la structure sous-tendue par le concept Ă©laborĂ© par
le suĂ©dois ESPING ANDERSEN dâ« Etat-providence » qui dĂ©crit une des formes de lâEtat social
dans lâEurope dâaprĂšs-guerre.
ENCADRE N°1
LES CONCEPTS DE SOLIDARITE MECANIQUE ET DE SOLIDARITE ORGANIQUE
Dans ses travaux, le pĂšre de la sociologie Emile Durkheim, considĂšre la solidaritĂ© comme le fondement de lâordre social.
Cet ordre social est plus facile Ă mettre en Ćuvre lorsque la communautĂ© prĂ©sente dĂ©jĂ une solidaritĂ© mĂ©canique, câest-Ă -dire fondĂ©e sur une solidaritĂ© de communautĂ©s resserrĂ©es (voisinage, famille ou de communautĂ©s religieuses). La solidaritĂ© mĂ©canique sâexerce au sein de groupes manifestant une appartenance commune Ă une culture, Ă des mĂȘmes mĆurs et usages. Dans ce cadre, la conscience collective prime sur la conscience individuelle. Le dĂ©veloppement de lâindividualisme, accĂ©lĂ©rĂ© prodigieusement par les rĂ©volutions industrielles, a provoquĂ© au XIXĂšme siĂšcle le recul des solidaritĂ©s mĂ©caniques et lâaffaiblissement des structures dâautoritĂ© traditionnelles. Les individus se sont alors retrouvĂ©s face Ă un risque important dâanomie7, livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes, en lâabsence de cadres rĂ©gulateurs.
En rĂ©ponse, au sein des sociĂ©tĂ©s modernes, la solidaritĂ© a pris des formes plus organiques. A ce titre, elles sont socialement diffĂ©renciĂ©es Ă travers des dispositifs crĂ©es, organisĂ©s et gĂ©rĂ©s par les pouvoirs publics, en particulier lâEtat sous ses diffĂ©rents aspects. Cette forme de solidaritĂ©, donnant le primat Ă lâindividu sur le collectif, ne peut ĂȘtre garantie que par lâĂ©tablissement de rĂšgles, de procĂ©dures, de normes que lâindividu doit adopter pour faire partie du tout. Lâenjeu de ce modĂšle de solidaritĂ© est de favoriser les liens dâinterdĂ©pendance entre les membres dâune sociĂ©tĂ©.
5 Marie-Claude BLAIS, « Aux origines de la solidaritĂ© publique, l'Ćuvre de LĂ©on Bourgeois », Revue française des affaires sociales 2014/1, p. 12-31. 6 François ESWALD, Histoire de lâEtat-Providence, Edition abrĂ©gĂ©e, Grasset, Paris, 1996, 317 pp. 7 Lâanomie est, selon DURKHEIM, une forme de « dĂ©sorganisation sociale rĂ©sultant de lâabsence de normes communes dans une sociĂ©tĂ© ».
10
DĂ©centralisation et dĂ©centralisation sociale de 1982 Ă aujourdâhui
Avant le grand tournant de 1982, le processus de décentralisation prend peu en compte la question
sociale, reposant sur des initiatives éparses. Avec le premier acte de la décentralisation, les conseils
gĂ©nĂ©raux quittent la tutelle de lâEtat dĂšs lors que le prĂ©fet nâen assure plus la prĂ©sidence. DĂšs 1983,
lâĂ©chelon dĂ©partemental se voit confier la compĂ©tence de droit commun en matiĂšre dâaction sociale.
La rĂ©forme constitutionnelle de 2003, qui introduit le caractĂšre dĂ©centralisateur de la RĂ©publique Ă
lâarticle premier de la Constitution, ouvre la voie Ă de nouveaux transferts de compĂ©tences aux
collectivitĂ©s territoriales et leur accorde le pouvoir dâexpĂ©rimentation. En matiĂšre dâaction sociale, le
conseil gĂ©nĂ©ral se voit reconnaĂźtre le statut de chef de file de lâaction sociale qui se matĂ©rialise par
la prise en charge de nombreuses prestations dâaide sociale8.
Le niveau dĂ©partemental nâest toutefois pas seul Ă dĂ©velopper des actions sociales puisque les
communes peuvent intervenir en la matiÚre à la faveur de leur clause de compétence générale9.
Suite au premier acte de la dĂ©centralisation, la crĂ©ation de centres communaux dâaction sociale
(CCAS) devient obligatoire10. Ces structures permettent aux communes de gérer des services et
des Ă©tablissements, mais Ă©galement de distribuer des aides individuelles facultatives. Le processus
dâintercommunalisation offre la possibilitĂ© de mutualiser les activitĂ©s des diffĂ©rents CCAS par la
crĂ©ation de centres intercommunaux dâaction sociale (CIAS) en intervenant en proximitĂ© Ă
destination de publics tels que les personnes ùgées, les jeunes enfants et les personnes en situation
de handicap. Cette action communale se situe dans une perspective historique plus profonde
puisque le CCAS sâinscrit dans la lignĂ©e des lieux dâaccueil des publics fragiles en milieu urbain,
symbolisés par les bureaux de bienfaisance (1796-1950) puis par les bureaux d'aide sociale (1950-
1986).
8 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales 9 « Le conseil municipal rÚgle par ses délibérations les affaires de la commune » (alinéa premier de la loi municipale du 5 avril 1884) 10 Loi n°86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matiÚre d'aide sociale et de la sante
11
Chronologie de la décentralisation sociale
12
Les années 2010 et la montée en puissance des métropoles
Au tournant des annĂ©es 2010, le dĂ©veloppement urbain pousse le lĂ©gislateur Ă sâinterroger sur les
compétences des grands pÎles urbains et le réaménagement des compétences entre collectivités.
La loi du 16 dĂ©cembre 2010 de rĂ©forme des collectivitĂ©s territoriales (RCT) prĂ©voit dâancrer les
conseils généraux aux conseils régionaux en créant un nouvel élu local, le conseiller territorial, censé
siéger dans les deux instances mais supprimé postérieurement. Cette loi vise également à renforcer
les intercommunalitĂ©s et prĂ©voit la couverture de lâensemble du territoire par ces Ă©tablissements
publics Ă lâhorizon 2013. Dans les zones urbaines atteignant 500 000 habitants, le texte prĂ©voit la
création de « métropoles » absorbant les pouvoirs des communes, intercommunalités et conseils
généraux. Le législateur enclenche également un mouvement vers la spécialisation des
compétences, entre conseil régional et conseil général, en supprimant leur clause de compétence
générale.
Candidat à la présidence de la République, François HOLLANDE affirme, dans un discours à Dijon
le 2 mars 2012, sa volonté de poursuivre la décentralisation trente ans aprÚs les lois Defferre.
Lâ« acte III de la dĂ©centralisation » Ă©tait initialement envisagĂ© comme un seul texte mais les
dĂ©saccords au sein de la majoritĂ© parlementaire ont poussĂ© lâexĂ©cutif Ă le dĂ©cliner en quatre lois
distinctes : la loi du 17 mai 2013 qui réforme les modes de scrutin locaux, la loi du 27 janvier 2014
de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles dite « MAPTAM »,
la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle
organisation territoriale de la République (NOTRe). Initialement envisagée, la suppression des
conseils départementaux à horizon 2020 est finalement abandonnée. Les réformes confirment les
tendances de mĂ©tropolisation et de spĂ©cialisation. Lâarticle 90 de la loi NOTRe impose aux conseils
départementaux de déléguer ou de transférer vers les métropoles plusieurs compétences, une
grande partie ayant trait Ă lâaction sociale. La crĂ©ation de la mĂ©tropole lyonnaise, collectivitĂ© Ă statut
particulier voit lâancienne communautĂ© urbaine absorber pleinement les compĂ©tences
dĂ©partementales sur son pĂ©rimĂštre. Ce choix, pour lâheure unique en France, constitue une premiĂšre
en matiĂšre dâintercommunalisation des compĂ©tences dĂ©partementales et laisse aujourdâhui en
suspens la question de lâĂ©volution des conseils dĂ©partementaux sur le pĂ©rimĂštre des autres
mĂ©tropoles françaises, tout comme celle de la place de lâaction sociale communale volontariste et
de lâarticulation avec lâaction obligatoire des CCAS.
Lors de la campagne présidentielle de 2017, la question de la décentralisation est peu évoquée.
Dans son programme Ă©lectoral, le candidat Emmanuel MACRON sâinscrit dans la dynamique de
mĂ©tropolisation et propose notamment de sâinspirer du modĂšle lyonnais en supprimant le conseil
dĂ©partemental sur le territoire des mĂ©tropoles11. Depuis son Ă©lection, ce projet nâa que peu Ă©tĂ©
abordé. Il concerne uniquement deux métropoles à statut particulier que sont la métropole du Grand
Paris, oĂč les dĂ©bats Ă©voquent plusieurs hypothĂšses, dont la suppression des trois conseils
départementaux de petite couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-
Marne)12 et la mĂ©tropole Aix-Marseille-Provence, susceptible dâabsorber les compĂ©tences du conseil
départemental des Bouches-du-RhÎne13. Le sujet est certes évoqué sur plusieurs autres territoires
(Rouen, Lille, Nantes, Nice) mais il se heurte Ă lâopposition des responsables locaux,
dĂ©partementaux et/ou mĂ©tropolitains14. Plus largement, la rĂ©flexion du gouvernement sur lâĂ©volution
11 « Nous rĂ©duirons le millefeuille administratif. Nous supprimerons au moins un quart des dĂ©partements », programme dâEmmanuel Macron (https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme) 12 BĂ©atrice JERĂME, « Grand Paris : les dĂ©partements mettent Macron sous pression », Le Monde, mis Ă jour le 07 fĂ©vrier 2018 13 François TONNEAU, « Macron prĂ©pare la fusion MĂ©tropole-DĂ©partement », La Provence, mis Ă jour le 31 janvier 2018 14 Michel ABHERVE, « Des nouvelles de la fusion promise entre MĂ©tropoles et dĂ©partements », Alternatives Ă©conomiques, 04 fĂ©vrier 2018
13
de lâarticle 72 de la Constitution, notamment pour y reconnaĂźtre la Corse comme collectivitĂ© Ă statut
particulier, pourrait ouvrir la réflexion sur la prise en compte plus large des spécificités locales.
ENCADRE N°2
COMPARAISONS DE LâETAT DE LA PAUVRETE DANS LES METROPOLES ET EN FRANCE
Les facteurs dâexposition Ă la pauvretĂ©
En fonction de lâĂ©tablissement du seuil de pauvretĂ© Ă 50% ou 60% du revenu national mĂ©dian, la France compte entre cinq (8% de taux de pauvretĂ©) et neuf millions de personnes pauvres (14,2% de taux de pauvretĂ©). Entre 2005 et 2015, le nombre de personnes en situation de pauvretĂ© a augmentĂ© de 600 000 individus pour le seuil Ă 50% et de prĂšs dâun million pour le seuil Ă 60% (INSEE, 2015).
La pauvretĂ© frappe inĂ©galement les catĂ©gories de la population et plusieurs facteurs se rĂ©vĂšlent ĂȘtre aggravants dans lâexposition Ă la pauvretĂ©. On peut ainsi relever que :
⹠deux tiers des personnes en situation de pauvreté vivent dans un ménage avec enfant ; ⹠les familles monoparentales représentent 25% des personnes pauvres (Observatoire des
inégalités, 2017) ; ⹠un tiers des personnes pauvres sont des enfants et des adolescents, soit 1,8 million de personnes ; ⹠les jeunes adultes de 20 à 29 ans représentent 17% des personnes pauvres, en raison de difficultés
dâinsertion sur un marchĂ© du travail dual oĂč les flux de recrutements se font en contrats courts ou prĂ©caires (Observatoire des inĂ©galitĂ©s, 2017) ;
âą lâabsence de diplĂŽme et le milieu social expliquent lâessentiel des situations de pauvretĂ© : le taux de pauvretĂ© atteint 11% pour les personnes ne possĂ©dant pas de diplĂŽme contre 3,7% pour les personnes ayant effectuĂ© deux annĂ©es dâĂ©tude aprĂšs le baccalaurĂ©at, principalement en raison dâune plus forte exposition au risque du chĂŽmage, aux emplois prĂ©caires et aux emplois Ă bas salaire (Observatoire des inĂ©galitĂ©s, 2017).
Concentrations de la pauvreté en milieu urbain
La recherche a plus rĂ©cemment dĂ©montrĂ© la concentration des populations fragiles dans les grands pĂŽles urbains. En prenant en compte le seuil de 60% du revenu mĂ©dian, prĂšs des deux tiers des personnes se situant en situation de pauvretĂ© vivent dans les grands pĂŽles urbains alors quâils ne rassemblent que 57,8% de la population nationale. Les personnes en situation de pauvretĂ© dans un grand pĂŽle urbain se rĂ©partissent quasiment Ă Ă©galitĂ© entre les villes-centres et leurs banlieues.
Grands pĂŽles
urbains PĂ©riurbain
Petits et moyens pĂŽles
Rural non-isolé
Rural isolé
Ensemble
RĂ©partition de la
population pauvre
65,2% 16,6% 7,7% 5,1% 5,3% 100%
Répartition de la population pauvre en fonction du type de territoire (Observatoire des inégalités, 2017)
14
Les métropoles cumulent les facteurs de vulnérabilité à la pauvreté
Les populations mĂ©tropolitaines sont statistiquement plus exposĂ©es Ă la pauvretĂ© que le reste du pays. De plus, les mĂ©tropoles, en raison de leur attractivitĂ©, reprĂ©sentent aujourdâhui la principale porte dâentrĂ©e des populations migrantes (OCDE, « Perspectives migratoires », 2016), particuliĂšrement victimes de la pauvretĂ© et du non-recours aux droits15. Les mĂ©tropoles ne concentrent cependant pas forcĂ©ment tous les facteurs de pauvretĂ© puisquâelles comptent proportionnellement moins de familles avec enfant (52,4% au niveau national contre 51,5% dans les mĂ©tropoles) et une plus faible part de personnes sans diplĂŽme quâau niveau national (31,6% au niveau national contre 27,4% dans les mĂ©tropoles).
L'exposition à la pauvreté dans les métropoles16
15 Le taux de pauvreté des populations immigrées est de 40%, soit prÚs du triple du niveau des populations indigÚne (Observatoire des inégalités, 2017) 16 Voir ANNEXE 9 : Tableau des caractéristiques sociodémographiques des métropoles françaises
0,00%
5,00%
10,00%
15,00%
20,00%
25,00%
Taux de pauvreté Part de famillesmonoparentales
Part des 15-29 ans Taux de chĂŽmage
France Moyenne des métropoles
15
Carte du développement des métropoles françaises entre 2011 et 2018
16
Lâaction sociale : un secteur sensible dans un contexte budgĂ©taire tendu
En parallĂšle des Ă©volutions lĂ©gislatives et constitutionnelles, la gestion de lâaction sociale par les
collectivités territoriales est profondément bousculée par le contexte budgétaire et financier. La
tension exercĂ©e sur les budgets des collectivitĂ©s et, plus largement, des acteurs de lâaction sociale,
trouve son explication dans plusieurs causes : la croissance des dĂ©penses dâaction sociale, le
contexte économique dégradé suite à la crise économique de 2008 et les mesures de maßtrise de
la dépense publique dans le cadre des engagements européens de la France. En effet, dans tous
les champs de lâaction sociale, les dĂ©penses publiques ont augmentĂ© de maniĂšre considĂ©rable
pour les collectivitĂ©s territoriales et lâEtat pour atteindre 714 milliards dâeuros (DREES, 2016). Pour
autant, la décomposition des risques sociaux couverts indique que le risque vieillesse-survie a
reprĂ©sentĂ© 325 milliards dâeuros en 2016 contre 249 milliards dâeuros pour la santĂ©. Les 20% de
dépenses restantes se répartissant entre les risques maternité, emploi, pauvreté, exclusion sociale
et logement.
Alors quâelles ne reprĂ©sentaient quâune part rĂ©siduelle de leurs dĂ©penses, les dĂ©penses dâinsertion
se sont fortement accrues Ă la faveur du transfert de la gestion du RMI de lâEtat vers les conseils
généraux en 2004. En outre, le changement de philosophie quant à la prise en charge des
personnes ùgées a également eu des effets sur le financement des prestations et de
lâaccompagnement, en passant dâun soutien aux personnes en situation de pauvretĂ© Ă un soutien
des personnes en situation de perte dâautonomie. De mĂȘme, le vieillissement de la population et
le développement des maladies chroniques ont entraßné une augmentation rapide des dépenses
(ODAS, 2016). Enfin, sur un autre champ des politiques sociales, la prise en charge des personnes
en situation de handicap se rĂ©vĂšle ĂȘtre celle dont la progression est la plus importante depuis
1984 : elle a été multipliée par plus de sept en trente ans, pour atteindre prÚs de cinq milliards
dâeuros en 2016 (ODAS, 2016). Somme toute, entre 1984 et 2014, les dĂ©penses sociales ont Ă©tĂ©
multipliées par six au niveau départemental. Cette augmentation constitue en partie une réponse
Ă des logiques interventionnistes, volontaristes et de promotion de lâaccĂšs aux droits pour les
personnes fragiles.
La crise Ă©conomique et financiĂšre de 2008 marque une Ă©tape difficile en matiĂšre de gouvernance
locale de lâaction sociale. Le ralentissement gĂ©nĂ©ralisĂ© de lâactivitĂ© Ă©conomique dĂ©montre la
fragilité des finances départementales face au cycle économique. En effet, les conseils
dĂ©partementaux font face depuis 2008 Ă un effet ciseau. Il sâexplique par une croissance trĂšs forte
des dĂ©penses dâinsertion et de lutte contre la pauvretĂ© et lâexclusion Ă lâĂ©gard des victimes de la
montĂ©e du chĂŽmage, ainsi que par lâamenuisement des ressources collectĂ©es en raison de
moindres recettes issues des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Les communes ne sont
pas épargnées par les difficultés budgétaires, ce qui les encourage à réduire leur périmÚtre
dâintervention ou Ă freiner les investissements publics. En plus de ce contexte difficile gĂ©nĂ©ralisĂ©,
les collectivités territoriales sont confrontées à partir de 2008 à une menace nouvelle, celle des
emprunts toxiques. LâenvolĂ©e des taux dâintĂ©rĂȘts des emprunts de plusieurs centaines de
collectivitĂ©s a sĂ©rieusement mis en danger leur Ă©quilibre budgĂ©taire et a poussĂ© lâEtat Ă intervenir
par des fonds de soutien.
La situation dégradée des finances publiques, la pression exercée par les engagements
communautaires de la France et plusieurs rĂ©formes orientent alors lâEtat dans la voie de la maĂźtrise
des dépenses publiques. La fiscalité locale est ainsi revue en 2009 par une transformation de la
taxe professionnelle avec de forts impacts en termes de ressources pour lâensemble des
collectivitĂ©s. Lâoutil privilĂ©giĂ© de maĂźtrise de la dĂ©pense publique locale reste cependant
lâenveloppe accordĂ©e au titre de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Dâabord gelĂ©e entre
17
2011 et 2013, sa baisse de plus de dix milliards dâeuros entre 2014 et 2017 est lâun des principaux
leviers du plan dâĂ©conomies de 50 milliards dâeuros de dĂ©penses publiques. Il convient aussi de
recontextualiser les dĂ©penses dâaction sociale (714 milliards dâeuros en 2016), par rapport aux
dĂ©penses publiques totales (1 257 milliards dâeuros en 2017). En outre, le niveau de dĂ©penses des
administrations publiques locales Ă©tait bien infĂ©rieur en 2016 (245 milliards dâeuros) Ă celui de lâEtat
et des ODAC qui atteignait 438 milliards dâeuros.
Evolution de la dotation globale de fonctionnement entre 2008 et 2017 (en milliards dâeuros)17
Par ailleurs, les collectivités se sont trÚs largement engagées en faveur de la réduction de déficit
public. A ce titre, alors quâelles avaient un besoin de financement de 8,3 milliards dâeuros en 2013,
elles ont prĂ©sentĂ© un solde Ă©quilibrĂ© Ă -0,1 milliard dâeuros en 2015 selon les donnĂ©es du ministĂšre
des finances et des comptes publics. Elles ont ainsi pu dégager en 2016 une capacité de
financement de trois milliards dâeuros.
Solde des administrations publiques locales (DGCL, 2017)
17 Annexes au projet de loi de finances pour 2018
40 40,8 41,1 41,2 41,4 41,540,1
36,6
33,2
30,8
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
-12
-10
-8
-6
-4
-2
0
2
4
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
18
Si une nouvelle baisse de la dotation globale de fonctionnement a été écartée par le nouveau
gouvernement, ce dernier compte poursuivre les efforts de réduction de la dépense publique. Outre
lâobjectif de rĂ©duction de 70 000 postes dans la fonction publique territoriale et la suppression de
la taxe dâhabitation, le sĂ©nateur du Val-dâOise Alain RICHARD et le prĂ©fet honoraire Dominique
BUR ont été chargés de réfléchir à la « refonte de la fiscalité locale » et de développer les modalités
concrĂštes de la contractualisation entre lâEtat et les grandes collectivitĂ©s territoriales sur lâĂ©volution
de leurs dépenses de fonctionnement18.
Ces dynamiques contribuent à réduire la capacité des collectivités à piloter réellement leurs
budgets. En effet, elles sont confrontées, et notamment les conseils départementaux, à un double
dĂ©fi. Lâinstruction ministĂ©rielle du 16 mars 2018, prĂ©voit un retraitement des dĂ©penses rĂ©elles de
fonctionnement des conseils départementaux, visant à annuler l'effet d'une hausse de plus de 2%
des allocations individuelles de solidarité (AIS). Cette approche conduit à assimiler les dépenses
sociales à de simples dépenses de fonctionnement ce qui pénalise les conseils départementaux.
En effet, ils sont contraints dâappliquer les critĂšres d'attribution fixĂ©s par l'Etat et subissent la
dynamique des dĂ©penses liĂ©es aux allocations individuelles dâaide sociale.
Aussi, si nous Ă©voquions plus tĂŽt la croissance des dĂ©penses en matiĂšre dâaction sociale, il
convient également de prendre en compte la charge nette, soit le montant des dépenses totales
desquelles on dĂ©duit les participations de lâEtat. A cet effet, il est clair que les conseils
dĂ©partementaux, qui assurent la majeure partie des dĂ©penses dâaide sociale, ont vu leur charge
nette augmenter, ce qui traduit une dĂ©pendance de plus en plus forte Ă lâengagement de lâEtat en
matiĂšre sociale et interroge donc le concept mĂȘme de dĂ©centralisation sociale. En lâoccurrence, en
trente ans de décentralisation sociale, la charge nette correspondant aux allocations dont les
modalitĂ©s sont fixĂ©es par lâEtat, a Ă©tĂ© multipliĂ©e par trois alors que les autres dĂ©penses sociales
des conseils départementaux (hébergement et autres dépenses) ont été multipliées par quatre
(ODAS, 2015).
18 Rapport intermĂ©diaire de la Mission « Finances locales : les enjeux de maĂźtrise de la dĂ©pense locale et des charges rĂ©sultant des normes », prĂ©sidĂ©e M. Dominique BUR, PrĂ©fet de rĂ©gion honoraire et M. Alain RICHARD, ancien ministre et sĂ©nateur du Val-dâOise, novembre 2017
19
Evolution de la charge nette des conseils dĂ©partementaux par nature de prestation en milliards dâeuros en France
métropolitaine (ODAS, 2015)
Les dĂ©fis de lâaction sociale et mĂ©dico-sociale moderne
Au-delĂ des considĂ©rations budgĂ©taires, la conduite de lâaction sociale rencontre aujourdâhui de
multiples dĂ©fis posĂ©s Ă lâorganisation territoriale des politiques sociales. Le premier dâentre eux
concerne lâĂ©volution des publics bĂ©nĂ©ficiaires de lâaction sociale qui dessine deux tendances
profondes : la massification du public et la diversification des parcours19. Ces deux dynamiques
placent alors les politiques sociales face à un effet tenaille qui leur intime de répondre à des
parcours de plus en plus complexes et individualisés dans un volume autrement plus conséquent.
Le deuxiÚme défi porte sur le décloisonnement des politiques publiques. Cette ambition
transversale a vocation Ă sâexercer Ă deux niveaux : Ă lâintĂ©rieur dâune mĂȘme collectivitĂ©, entre les
politiques sociales et les autres politiques publiques, et entre les différentes collectivités, en
particulier lorsquâelles sont appelĂ©es Ă intervenir dans les mĂȘmes champs. Ainsi, la rĂ©cente Ă©tude
de la direction de la recherche, des Ă©tudes, de lâĂ©valuation et des statistiques (DREES) montre que
« plus de huit communes sur dix, représentant 98 % de la population, mettent en place au
moins une forme dâaction sociale » (notamment Ă destination des personnes ĂągĂ©es et de
lutte contre la pauvreté)
et que
« prÚs de la moitié des intercommunalités ont opté pour la compétence optionnelle
dâaction sociale dâintĂ©rĂȘt communautaire et un tiers pour une compĂ©tence facultative
19 En 2016, les conseils dĂ©partementaux ont attribuĂ© 4,2 millions de prestations dâaide sociale dont deux millions au titre de lâinsertion, 1,4 million au titre des personnes ĂągĂ©es, plus de 519 000 au titre des personnes handicapĂ©es et 332 000 mesures au titre de lâaide sociale Ă lâenfance (Sarah ABDOUNI et Nadia AMROUS, « En 2016, les dĂ©partements ont attribuĂ© 4,2 millions de prestations dâaide sociale », Ătudes et RĂ©sultats, n°1037, DREES, octobre 2017).
2,86
6,03
10,48
1,96
4,83
6,98
0,68
1,24
5,5
0
2
4
6
8
10
12
14
1984 1989 2001 2004 2010 2013
Hébergement Allocations Autres dépenses
x10,7
x4
x3
20
dâaction sociale » (en particulier dans le secteur de la petite enfance, la jeunesse et famille
et à destination des personnes ùgées)20.
Les appels à la simplification et au décloisonnement donnent lieu à des réponses variées de la part
des acteurs. Câest ainsi que la question du revenu universel est revenue en force dans le dĂ©bat
social intellectuel français Ă la faveur de lâĂ©lection prĂ©sidentielle de 201721 ou que le concept de
« mĂ©tropole inclusive », par lequel lâĂ©chelon intercommunal aurait vocation Ă dĂ©velopper les
politiques de solidarité au niveau local22.
Un troisiÚme enjeu porte sur la place du bénéficiaire et du citoyen dans la conception et la conduite
des politiques de solidarités. En effet, la plupart des acteurs souhaitent désormais impliquer le
bénéficiaire dans la constitution de son propre parcours, dans une démarche de co-construction
mais aussi de permettre aux citoyens de participer Ă lâaction sociale en dĂ©veloppant des initiatives
solidaires. Le droit français commence à intégrer cette dimension et favorise le développement
dâinstances consultatives que les collectivitĂ©s et les services dĂ©concentrĂ©s ont la plus grande peine
Ă faire fonctionner. Cette implication de plus en plus forte des bĂ©nĂ©ficiaires apparaĂźt dâailleurs
comme une profonde transformation de lâaction sociale, ce qui a notamment Ă©tĂ© le cas dans le
systÚme britannique avec la derniÚre réforme du National health service (NHS)23.
ENCADRE N°3
LES POLITIQUES DE PRISE EN CHARGE DES PERSONNES AGEES DEPENDANTES, ENTRE MASSIFICATION ET COMPLEXIFICATION
Lâallongement de lâespĂ©rance de vie et le vieillissement de la population en France
PhĂ©nomĂšne touchant lâensemble des sociĂ©tĂ©s occidentales, le vieillissement de la population est une rĂ©alitĂ© qui se poursuit en France. LâespĂ©rance de vie nâa cessĂ© de croĂźtre et atteint aujourdâhui 85,3 ans pour les femmes et 79,5 ans pour les hommes24. Il est prĂ©vu un allongement continu de lâespĂ©rance de vie dâici Ă 2060. Cette annĂ©e-lĂ , elle devrait ĂȘtre de 86 ans pour les hommes et 91,1 ans pour les femmes. Les personnes ĂągĂ©es de 60 ans et plus sont au nombre de 15 millions aujourdâhui. Elles seront 20 millions en 2030 et prĂšs de 24 millions en 2060. Ces mouvements dĂ©mographiques profonds ont provoquĂ© une massification du public des personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes, dont le nombre est estimĂ© Ă prĂšs de 1,5 million. Ainsi, en 2016, les prestations accordĂ©es aux personnes ĂągĂ©es reprĂ©sentent 35% du total des prestations sociales versĂ©es par les conseils dĂ©partementaux25. A horizon 2060, le nombre de personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes pourrait augmenter de 53%.
20 Sarah ABDOUNI, 2017, « En 2014, huit communes sur dix mĂšnent une action sociale - Premiers rĂ©sultats de lâenquĂȘte ASCO », Ătudes et RĂ©sultats, n°995, DREES, FĂ©vrier 2017 21 Brigitte LESTRADE, « Le revenu universel â un substitut aux minima sociaux ? », Revue française des affaires sociales, 2017/3, p. 129-141 22 Cyprien AVENEL, « Les enjeux et les impacts de la rĂ©forme territoriale sur la mise en Ćuvre des politiques sociales », Revue française des affaires sociales, 2017/2, p. 359-392 23 FrĂ©dĂ©ric BOUSQUET et VĂ©ronique GHADI « La participation des usagers aux systĂšmes de santĂ© : la politique du National Health Service dâimplication des patients et du public en Angleterre », Revue française des affaires sociales, 2017/1, p. 128-134 24 INSEE, Estimations de population et statistiques de l'Ă©tat civil, 2018 25 Sarah ABDOUNI et Nadia AMROUS, « En 2016, les dĂ©partements ont attribuĂ© 4,2 millions de prestations dâaide sociale », Ătudes et RĂ©sultats, n°1037, DREES, Octobre 2017
21
Progression de la part des personnes ùgées de plus de 60 ans dans la population française métropolitaine depuis 191026
Les consĂ©quences de lâallongement de lâespĂ©rance de vie sur les personnes accompagnĂ©es au titre de lâaction sociale et mĂ©dico-sociale
Le vieillissement de la population a entraĂźnĂ©, au-delĂ de la massification du public Ă accompagner, une complexification des parcours individuels. Ainsi, si les seuils dâĂąge de 60 ou 65 ans sont usuellement utilisĂ©s pour dĂ©signer les « personnes ĂągĂ©es », les parcours sont plus complexes quâil nây paraĂźt. En effet, câest Ă partir de 75 ans que la santĂ© des personnes se dĂ©grade de maniĂšre plus durable, en raison de lâexposition aux maladies chroniques27. AprĂšs 85 ans, les risques liĂ©s Ă la perte dâautonomie croissent fortement avec le dĂ©veloppement de polypathologies dont la prise en charge sâavĂšre dĂ©licate pour les professionnels de santĂ© et du secteur mĂ©dico-social28. Cette complexification ira dâailleurs en sâaccentuant puisque le nombre des plus de 85 ans passera de 1,4 million aujourdâhui Ă 5 millions en 2060.
Cette complexification cache des disparitĂ©s fortes parmi les personnes en perte dâautonomie. Ainsi, des Ă©carts sont apparus entre hommes et femmes. Ces derniĂšres dĂ©clarent ainsi en moyenne 1,2 fois plus souvent des limitations fonctionnelles que les hommes (DREES, 2017). De mĂȘme, une proportion plus importante de femmes vit seule, ce qui les expose davantage aux risques de perte dâautonomie29. Dâautres publics nĂ©cessitant une prise en charge spĂ©cifique ont Ă©galement fait leur apparition depuis trente ans, Ă lâimage des immigrĂ©s ĂągĂ©s et les majeurs protĂ©gĂ©s. Enfin, la question des aidants familiaux devient de plus en plus prĂ©gnante en matiĂšre dâaction sociale et mĂ©dico-sociale. La caisse nationale de solidaritĂ© pour lâautonomie (CNSA) dĂ©nombre aujourdâhui 8,3 millions de proches aidants, dont une majoritĂ© de femmes (CNSA, 2015). La situation dâaidant proche expose ces personnes Ă des risques importants en matiĂšre de santĂ©, ce Ă quoi les pouvoirs publics ont commencĂ© Ă rĂ©pondre30.
Méthodologie employée
La prĂ©sente Ă©tude vise donc Ă porter un regard sur lâensemble des dynamiques prĂ©citĂ©es, qui
agitent Ă la fois le processus de dĂ©centralisation et la conduite de lâaction sociale. Il sâagira
notamment de se pencher sur la consécration du conseil départemental comme chef de file de
lâaction sociale et de la montĂ©e en puissance des mĂ©tropoles dans diffĂ©rents champs de lâaction
sociale. Nous avons souhaitĂ© montrĂ© la diversitĂ© des modĂšles dâorganisations locales, en mettant
lâaccent sur les expĂ©rimentations originales ou les pratiques inspirantes. Ce travail ambitionne Ă la
fois de promouvoir des modalitĂ©s dâorganisation performantes et innovations tout en passant au
26(p) = projection 27 Selon la dĂ©finition de lâOrganisation mondiale de la santĂ© (OMS), les maladies chroniques (pathologies neurologiques, cardio-respiratoires, ostĂ©oarticulaires et dĂ©ficiences neurosensorielles) sont des affections de longue durĂ©e qui en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, Ă©voluent lentement. Elles sont responsables de 63% des dĂ©cĂšs et reprĂ©sentent la premiĂšre cause de mortalitĂ© dans le monde. 28 Haute autoritĂ© de santĂ© (HAS), Note mĂ©thodologique et de synthĂšse documentaire « Prendre en charge une personne ĂągĂ©e polypathologique en soins primaires », mars 2015 29 Fondation de France, Rapport sur les solitudes, 2016 30 Loi n° 2015-1776 du 28 dĂ©cembre 2015 relative Ă l'adaptation de la sociĂ©tĂ© au vieillissement
12,7
16,2
19
29,4
32,1
1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020(p)
2030(p)
2040(p)
2050(p)
2060(p)
22
crible les nombreux dysfonctionnements visibles au sein du systĂšme dâorganisation territorial de
lâaction sociale en France.
Pour analyser lâorganisation territoriale de lâaction sociale, en particulier au prisme de lâarticulation
des compétences entre le conseil départemental et les intercommunalités, nous avons adopté une
dĂ©marche plurielle. Outre une revue de lâĂ©tat de lâart en matiĂšre de politiques sociales, notre travail
sâappuie sur un envoi de questionnaires Ă la premiĂšre vague des territoires mĂ©tropolitains, Ă
lâexception des trois mĂ©tropoles Ă statut particulier31. Ce mode de questionnement avait pour objet
principal de dresser un panorama des transferts et délégations de compétences et de décrire les
modes dâorganisations locales. Puis, afin dâĂ©pouser au mieux les attentes et les modalitĂ©s
dâintervention des acteurs, nous avons fait le choix de conduire des entretiens semi-directifs dans
cinq territoires (Bordeaux, Nantes, Nice, Strasbourg et Lille) en sollicitant les principaux acteurs
locaux : centre communal dâaction sociale (CCAS), mĂ©tropole (Ă©lus et administration), conseil
départemental (élus et administration), direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) et
agence rĂ©gionale de santĂ© (ARS). Pour approfondir lâanalyse des grands enjeux en matiĂšre
dâaction sociale, nous avons Ă©galement sollicitĂ© plusieurs chercheurs.es et personnalitĂ©s
qualifiées.
Le résultat de ces recherches interroge donc sur la nature de la gouvernance territoriale de
lâaction sociale vers laquelle les Ă©volutions conceptuelles et organisationnelles de ces
politiques publiques nous mĂšnent.
Aussi, aprĂšs avoir montrĂ© que lâorganisation territoriale de lâaction sociale a profondĂ©ment Ă©voluĂ©
au contact de facteurs tant endogĂšnes quâexogĂšnes (I), il convient de constater que ses Ă©volutions
réinterrogent fortement le modÚle social et le poussent à se réinventer pour mieux répondre aux
nouveaux besoins exprimés par les bénéficiaires et les acteurs (II).
31 Soit les métropoles de Nancy, Nice, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Grenoble, Nantes, Rennes, Brest, Rouen, Lille et Strasbourg.
23
PREMIERE PARTIE
LâORGANISATION TERRITORIALE DE LâACTION SOCIALE EVOLUE EN
RAISON DE FACTEURS AUSSI BIEN ENDOGĂNES QUâEXOGĂNES
1. La conception de lâaction sociale se retrouve aujourdâhui profondĂ©ment
renouvelée
1.1. Les acteurs font le constat dâune approche cloisonnĂ©e et statique de lâaction
sociale
A la source des cloisonnements politiques et administratifs
Lâorganisation actuelle des compĂ©tences sociales est issue dâune histoire marquĂ©e par les actes I
et II de la décentralisation et de la « décentralisation du social »32. Ces étapes ont successivement
mis en place une nouvelle répartition des compétences ainsi que le « principe de subsidiarité »33.
Par ce principe, le lĂ©gislateur a cherchĂ© Ă clarifier le rĂŽle de chaque acteur en confiant lâexercice
de certaines compétences aux niveaux de collectivités les plus aptes à les exercer en raison de
leur caractĂšre soit de pilotage stratĂ©gique, soit de proximitĂ©. Cette rĂ©flexion sur la subsidiaritĂ© nâa
toutefois pas permis de répondre aux problÚmes de cloisonnements, qui apparaissent clairement
dans le Code de lâaction sociale et des familles (CASF) entre les publics, classĂ©s entre familles,
enfants, personnes ùgées, personnes en situation de handicap, personnes immigrées ou issues
de lâimmigration. De la mĂȘme maniĂšre, les dispositifs dâaide sont dĂ©clinĂ©s en fonction des publics,
semblant exclure les logiques de complémentarité.
Ces constats issus de lâobservation des textes et des rencontres avec les acteurs locaux, ont Ă©tĂ©
confirmés par plusieurs de nos entretiens avec des chercheurs. A ce titre, Robert LAFORE indique
que
« les cloisonnements voulus entre âblocs de compĂ©tencesâ nâincitent pas Ă la coopĂ©ration
et, surtout, les logiques de concurrence et de protection des champs dâaction respectifs
de chaque collectivitĂ© ou service rendent lâaffirmation dâun â leader â tout Ă fait improbable.
On se heurte ici Ă la limite dâune action publique qui associe de façon non assumĂ©e une
chose et son contraire : les partages que lâon veut âclairsâ dâattributions en mĂȘme temps
que la volonté de connecter celles-ci. »34
Selon lui, il nây a donc pas de doctrine particuliĂšre qui sous-tende lâorganisation actuelle puisque
« la logique reste avant tout politico-administrative. Elle reste sectorielle et verticale bien
que les acteurs reconnaissent lâintĂ©rĂȘt dâune approche transversale et globale des
problématiques. »
Les transferts de compétences ont été réalisés de maniÚre mécanique, sans réflexion particuliÚre
sur les enjeux de lâaction sociale. Cette absence de vision directrice est Ă©galement partagĂ©e lors
de nos entretiens par Nadine LEVRATTO, pour qui « le clivage reste sur le découpage des
compétences », avec des « différences fortes en matiÚre de compétence entre différents
Ă©chelons ». Lâensemble de ces constats conduit, selon lâexpression de Philippe ESTEBE, à « une
atomisation du social ».
32 Michel BORGETTO, « La dĂ©centralisation du « social » : de quoi parle-t-on ? », Informations sociales, 2010/6 (n° 162), p. 6-11 33 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative Ă l'organisation dĂ©centralisĂ©e de la RĂ©publique 34 Robert LAFORE, « OĂč en est-on du « dĂ©partement-providence ? », Informations sociales, 2013/5 (n°179), p. 12-27
24
Rendre intelligible les réalités sociales, en les qualifiant
Les rĂ©centes lois MAPTAM et NOTRe nâapportent pas de vĂ©ritable clarification sur la façon
dâexercer les compĂ©tences sociales confiĂ©es aux acteurs tant du cĂŽtĂ© des collectivitĂ©s que de lâEtat.
A ce titre, le découpage par public (principalement enfance et jeunesse ; bénéficiaires en insertion ;
personnes ùgées et personnes handicapées) apparait comme une déclinaison pratique des
champs sociaux recensés par Philippe ESTEBE qui sont respectivement le champ socio-juridique
(enfance et jeunesse), le champ socio-économique (insertion) et le champ socio-médical
(personnes ùgées et handicapées).
Ainsi, la volontĂ© du lĂ©gislateur Ă englober la complexitĂ© de lâaction sociale se heurte Ă une rĂ©alitĂ©
complexe puisque
« la cohĂ©rence de dĂ©part des blocs de lâaction sociale nâest pas Ă©vidente. Elle est inscrite
historiquement mais elle ne revĂȘt pas dâunitĂ© fondamentale ».
Pour autant, si Nadine LEVRATTO souligne « une dimension pas assez intégrative des différents
paramĂštres de lâinsertion sociale », elle identifie une tension intĂ©ressante entre deux conceptions
de lâaction sociale. Elle oppose lâaction sociale « rĂ©paratrice » Ă lâaction sociale « prĂ©ventive »,
offrant ainsi la possibilité de donner une ébauche de sens plus global :
âą lâaction sociale rĂ©paratrice, dont le coĂ»t est consĂ©quent, vise Ă traiter les problĂšmes des
populations laissĂ©es Ă la marge de lâĂ©conomie ;
âą lâaction sociale prĂ©ventive, dont le coĂ»t est plus limitĂ©, fait du social un facteur dâinclusion
et du développement local.
Les acteurs de terrain font part du caractĂšre insatisfaisant de cette organisation des
politiques sociales
Du cĂŽtĂ© de lâEtat, la rĂ©forme des directions dĂ©partementales interministĂ©rielles et la crĂ©ation des
agences régionales de santé (ARS) et leurs délégations territoriales entre 2009 et 2010 sont parfois
considĂ©rĂ©es comme un Ă©chec. En effet, alors que lâon confiait aux directions dĂ©partementales de
la cohésion sociale (DDCS) un rÎle social, les agences régionales de santé (ARS) récupéraient un
rÎle purement sanitaire, freinant ainsi les rapprochements opérationnels entre les services de
lâEtat.
Dans les DDCS, les missions seraient trop nombreuses et trop diverses jusquâĂ lâĂ©parpillement. Au
sein des ARS, la capacité de décision des délégations territoriales est bien souvent obérée par
lâobligation de rĂ©fĂ©rer au siĂšge rĂ©gional, dans un systĂšme trĂšs centralisĂ©. Par exemple, les
installations et premiÚres prises de décisions des conférences des financeurs de la prévention de
la perte dâautonomie, dont les ARS sont vice-prĂ©sidentes, ont parfois Ă©tĂ© ralenties par lâobligation
des reprĂ©sentants de lâARS de devoir rĂ©fĂ©rer au siĂšge rĂ©gional.
Cette segmentation se retrouve, sous une autre forme, au sein des collectivités, que ce soit dans
les dĂ©lĂ©gations thĂ©matiques des Ă©lus, lâabsence dâĂ©lu rĂ©fĂ©rent « des politiques sociales » dans leur
ensemble ou des organigrammes « en silos ». Si le fonctionnement et la structure dâune collectivitĂ©
ne se résument pas à son organigramme, ces documents renseignent sur la vision la plus
largement rĂ©pandue, dans les collectivitĂ©s, de la maniĂšre dont doit se conduire lâaction sociale.
Lâanalyse dâorganigrammes de conseils dĂ©partementaux comportant une mĂ©tropole sur leur
territoire révÚle ainsi plusieurs éléments, le plus souvent communs35 :
35 Il a Ă©tĂ© choisi de croiser lâanalyse des organigrammes des conseils dĂ©partementaux comprenant une mĂ©tropole sur leur territoire suivants, soit : Alpes-Maritimes, Bas-Rhin, Bouches-du-RhĂŽne, CĂŽte dâOr, FinistĂšre, Gironde, Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Indre-et-
25
âą quatre grands domaines dâaction sociale sont reprĂ©sentĂ©s tels quels presque
systématiquement dans les organigrammes : « enfance et/ou famille » (100%),
« autonomie » (100%), « insertion » (85%) et « action sociale » (80%) ;
âą les approches par secteur cohabitent avec les approches territoriales puisque tous les
conseils dĂ©partementaux Ă©tudiĂ©s disposent dâune organisation territorialisĂ©e, soit
directement rattachée à la direction générale adjointe aux solidarités (70%), soit dans une
direction générale aux territoires indépendante (30%) ;
⹠dans 30% des cas, des compétences « logement » ou « habitat » sont intégrées aux
directions générales aux solidarités ;
⹠plusieurs items sont également présents directement dans les directions générales aux
solidarités, à divers degrés comme la coordination (40%), prévention (20%), santé (15%),
et innovation (10%).
ENCADRE N°4
LE MORCELLEMENT DES POLITIQUES DâINSERTION
Avec plus de 10 milliards dâeuros versĂ©s en 2017 Ă 1,8 million de foyers (CNAF, 2017), le revenu de solidaritĂ© active (RSA) reprĂ©sente la premiĂšre des trois allocations individuelles de solidaritĂ© allouĂ©es et/ou versĂ©es par les conseils dĂ©partements et partiellement compensĂ©es par lâEtat (CNSA, 2016)36. Le RSA constitue le volet financier dâune politique dâinsertion qui vise Ă accompagner vers lâemploi les personnes sans ressources ou disposant de faibles revenus.
Des nombreuses initiatives partenariales départementales peuvent contribuer à une approche plus intégrée de cette politique
Le pilotage de ces politiques est du ressort dĂ©partemental depuis la loi du 18 dĂ©cembre 2003 qui leur a transfĂ©rĂ© le revenu minimum dâinsertion (RMI) et mis fin au copilotage du volet insertion. Pour la mise en Ćuvre de la politique dâinsertion, le conseil dĂ©partemental dispose de plusieurs outils :
âą les conventions dâappui aux politiques dâinsertion, signĂ©es avec lâEtat, qui dĂ©finissent les prioritĂ©s conjointes en matiĂšre de lutte contre la pauvretĂ©, dâinsertion sociale et professionnelle et de dĂ©veloppement social, ainsi que des engagements des parties sur des actions ;
âą le programme dĂ©partemental dâinsertion (PDI), qui dĂ©finit la politique dĂ©partementale dâaccompagnement social et professionnel. Il recense Ă©galement les besoins et lâoffre locale dâinsertion et planifie les actions correspondantes ;
âą le pacte territorial pour lâinsertion (PTI), qui rĂ©unit les acteurs indispensables au PDI.
Une place importante est laissée aux spécificités locales
De nombreuses institutions ont nouĂ© des partenariats afin de dĂ©velopper des approches intĂ©grĂ©es, au-delĂ des accords financiers. Pour autant, il semble que ces nouvelles relations nâaient pas encore donnĂ© lieu Ă une convergence des pratiques dĂ©partementales en la matiĂšre. A ce titre, lâAssemblĂ©e des dĂ©partements de France (ADF), PĂŽle emploi et la dĂ©lĂ©gation gĂ©nĂ©rale Ă lâemploi et Ă la formation professionnelle (DGEFP) ont signĂ© en 2014 un protocole dâ« approche globale de lâaccompagnement » en accordant une place importante aux initiatives et spĂ©cificitĂ©s locales. En 2015, lâADF recensait plus de 65 conseils dĂ©partementaux engagĂ©s dans cette dĂ©marche. Ce protocole prĂ©voit trois axes de coopĂ©ration :
âą la constitution dâune base de ressources sociales ; âą la mise en place dâun double accompagnement effectuĂ© par un conseiller PĂŽle emploi et un
professionnel du social ; âą la mise en Ćuvre dâun accompagnement social exclusif pour certains demandeurs dâemploi.
Loire, IsĂšre, Loire, Loire-Atlantique, Loiret, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nord, Puy-de-DĂŽme, Seine-Maritime et Var (seul lâorganigramme du conseil dĂ©partemental de lâHĂ©rault est manquant car introuvĂ©). 36 Avec lâallocation personnalisĂ©e dâautonomie (5,7 milliards dâeuros pour 1,26 million de bĂ©nĂ©ficiaires) et la prestation de compensation du handicap (1,9 milliard dâeuros pour 184 000 personnes).
26
Les mĂ©tropoles nâont pas pris cette compĂ©tence notamment en raison de la dichotomie entre la cible de performance en matiĂšre dâinsertion et les modalitĂ©s de financement
La loi NOTRe a rendu possible le transfert du PDI aux mĂ©tropoles mais aucune dâentre elles nâa souhaitĂ© reprendre cette compĂ©tence. A lâimage du Grand Lyon, il semble pourtant que les mĂ©tropoles auraient pu chercher Ă concilier dĂ©veloppement Ă©conomique et politique dâinsertion.
A lâoccasion dâune question au gouvernement, le dĂ©putĂ© de lâIsĂšre Pierre BARBIER indiquait en janvier 2016 que « de la performance du plan dĂ©partemental d'insertion dĂ©pendent les sommes Ă verser par le dĂ©partement au titre du dispositif du RSA », qui reste une compĂ©tence dĂ©partementale. De ce fait, « le dĂ©partement serait alors uniquement financeur sans aucune maĂźtrise des actions d'insertion par l'Ă©conomie » ce qui laisse craindre une « dĂ©rive des dĂ©penses du RSA ou d'une mauvaise Ă©valuation des actions engagĂ©es, car celles-ci seront financĂ©es par une autre collectivitĂ© avec des budgets de plusieurs millions d'euros ».37
37 Jean-Noël ESCUDIE, Insertion - Transfert du plan départemental d'insertion aux métropoles : ni automatique, ni irréversible, Localtis, 21 janvier 2016.
27
1.2. En rĂ©ponse, une vision large et transversale de lâaction sociale, intĂ©grĂ©e avec
les autres politiques publiques, est attendue
En matiĂšre dâaction sociale, les logiques sectorielles restent prĂ©dominantes malgrĂ© plusieurs
appels Ă davantage de transversalitĂ©. Aussi, le passage dâune politique de guichet Ă une politique
de projets nécessite de changer de référentiel, ce que les structures organisationnelles tentent,
avec plus ou moins de résultats, de faire.
Les conseils départementaux ont initialement été moteurs sur ce sujet
En avril 2012, trois directeurs généraux des services (DGS) de conseils généraux38 publient un
manifeste signĂ© par 34 de leurs homologues visant Ă orienter diffĂ©remment lâaction sociale. Partant
du constat de la remise en question de lâEtat-providence et des contraintes financiĂšres qui pĂšsent
lourdement, il y est soulignĂ© lâurgence de refonder le travail social en insistant sur la garantie des
droits financés par la solidarité nationale, de mieux mobiliser la capacité des usagers et de favoriser
les logiques de développement social.
Pour répondre à ces défis, les directeurs
généraux proposent que la solidarité des droits
soit pleinement financĂ©e par lâEtat en fonction
de la dépense réelle des conseils
dĂ©partementaux. De mĂȘme, ils prĂ©conisent de
redonner aux communautés de vie (voisinage,
familiale, proximité) toute leur place et de
permettre au pouvoir dâagir des citoyens de
sâexprimer. En cela, les pratiques de
développement social sont à privilégier : elles
sâappuient sur la capacitĂ© des travailleurs
sociaux Ă bien observer et Ă bien diagnostiquer
les besoins sociaux dâun territoire donnĂ©, pour
ensuite mobiliser lâensemble des acteurs Ă agir
en complémentarité et de façon coordonnée.
DĂšs lors, les travailleurs sociaux et les acteurs
de lâĂ©conomie sociale et solidaire (ESS) sont Ă
la fois les médiateurs et les développeurs de
cette refondation, basée sur une volonté
politique forte. Ce retour aux solidarités de
proximitĂ© vient contrevenir Ă lâidĂ©e que toute
forme dâentraide se matĂ©rialise par lâaction
publique et quâil reviendrait Ă lâEtat ou aux
collectivités de prendre en charge tous les
nouveaux droits. Il convient ainsi de sâextraire
dâune logique qui, outre son caractĂšre
déresponsabilisant pour les citoyens, amÚne
les travailleurs sociaux Ă se focaliser
davantage sur des tĂąches administratives au
dĂ©triment de lâaccompagnement social.
38 Laurence QUINAUT, directrice gĂ©nĂ©rale des services du conseil dĂ©partemental dâIlle-et-Vilaine, Denis VALLANCE, directeur gĂ©nĂ©ral des services du conseil dĂ©partemental de Meurthe-et-Moselle et Philippe YVIN, directeur gĂ©nĂ©ral des services du conseil dĂ©partemental de Seine-Saint-Denis
Un organigramme transversal dans le conseil départemental du Bas-Rhin
Le projet dâadministration du Conseil dĂ©partemental du Bas-Rhin prĂ©voit un partage des responsabilitĂ©s pour que la transversalitĂ© ne soit plus seulement un « bonus » mais une condition de mise en place de ces politiques.
Lâorganigramme retravaillĂ© aprĂšs le renouvellement de mars 2015 a supprimĂ© lâĂ©chelon « direction gĂ©nĂ©rale adjointe » et propose une organisation en quatre missions sociales (enfance et famille ; autonomie ; insertion et emploi ; action sociale de proximitĂ©).
La mission « action sociale de proximitĂ© » agit comme un pivot pour lâensemble des projets dâaction sociale et vise Ă reconnaĂźtre lâaction sociale de proximitĂ© comme politique publique Ă part entiĂšre, Ă lâinscrire au cĆur des politiques dĂ©partementales et au centre dâun rĂ©seau partenarial et territorial et Ă incarner la notion de chef de file de lâaction sociale.
Cette mission intervient directement dans certains domaines (prĂ©caritĂ© sanitaire, non-recours) et dĂ©veloppe des actions ressources (tarification, versement des prestations, diagnostics territoriaux, ingĂ©nierie de projet). Cette organisation est adossĂ©e Ă un systĂšme dâinformation transversal avec des entrĂ©es communes afin dâassurer la continuitĂ© du suivi.
28
Six ans aprĂšs ce texte, force est de constater que les politiques sociales dĂ©partementales nâont
majoritairement pas basculĂ© dans le sens escomptĂ© mĂȘme si certains territoires dĂ©veloppent des
dynamiques probantes, par exemple la Meurthe-et-Moselle, la Gironde et la Loire-Atlantique. Les
crises financiĂšres et migratoires maintiennent lâaction sociale dĂ©partementale essentiellement dans
une fonction de guichet. Aussi, le temps pris pour lâaccompagnement des publics par les assistants
sociaux éducatifs départementaux se réduit encore davantage au profit de dispositifs
administratifs, de gestion et dâĂ©valuation.
Le renouvellement politique issu des derniĂšres Ă©lections dĂ©partementales nâouvre pas la voie Ă
une plus forte territorialisation de lâaction sociale. Les territoires dĂ©partementaux dâaction sociale,
reconfigurĂ©s pour sâadapter aux bassins de vie et/ou aux nouveaux dĂ©coupages de
lâintercommunalitĂ©, ne sont pas encore dotĂ©s dâune autonomie suffisante tant au niveau stratĂ©gique
que financier.
Dans un souci de bonne gestion et de maĂźtrise du pouvoir, câest parfois le contraire qui sâest produit,
à savoir une recentralisation des décisions et des orientations de la stratégie infradépartementale.
Ceci pose la question du rÎle que les conseils départementaux doivent adopter, rÎle qui peut aller
du dĂ©veloppeur, au mĂ©diateur, crĂ©ateur, animateur, facilitateur et distributeur dâaides.
ENCADRE N°5
LA SOLIDARITE DES DROITS ET LA SOLIDARITE DES ENGAGEMENTS, UNE NOUVELLE LECTURE DE LâANALYSE DURKHEIMIENNE
Dans le cadre de la concertation annoncĂ©e en octobre pour dĂ©finir une stratĂ©gie de prĂ©vention et de lutte contre la pauvretĂ© des enfants et des jeunes, AgnĂšs BUZYN, ministre des solidaritĂ©s et de la santĂ© et Olivier NOBLECOURT, dĂ©lĂ©guĂ© interministĂ©riel Ă la prĂ©vention et Ă la lutte contre la pauvretĂ© des enfants et des jeunes, ont confiĂ© Ă JoĂ«lle MARTINAUX, prĂ©sidente de lâUNCCAS, et Mathieu KLEIN, prĂ©sident du conseil dĂ©partemental de Meurthe-et-Moselle, la co-prĂ©sidence dâun groupe de travail visant Ă piloter la lutte contre la pauvretĂ© Ă partir des territoires.
La synthĂšse des rĂ©flexions menĂ©es le groupe de travail n°6 montre que le pacte social rĂ©publicain doit ĂȘtre en mesure de mieux conjuguer solidaritĂ© des droits et solidaritĂ© des engagements. Ainsi :
« le nouvel horizon des politiques de prĂ©vention et de lutte contre la pauvretĂ© des enfants et des jeunes doit conjuguer la reconnaissance et lâaffirmation que la solidaritĂ© est constituĂ©e de droits, autant quâelle constitue un investissement social, Ă©ducatif et financier. Cette double affirmation trouve sa traduction stratĂ©gique dans une articulation nouvelle Ă construire entre la solidaritĂ© des droits et la solidaritĂ© des engagements qui sont les deux faces de la mĂȘme piĂšce, celle du pacte social rĂ©publicain dans la RĂ©publique dĂ©centralisĂ©e. »
« Cette double solidaritĂ© poursuit dĂ©sormais un nouvel objectif : celui non pas de rĂ©parer les difficultĂ©s intervenues Ă travers des politiques ciblĂ©es, mais celui bien plus ambitieux de prĂ©venir la survenue de telles difficultĂ©s, dans une approche globale et qui reconnaisse la capacitĂ© dâagir des personnes. »
Les deux concepts sont dĂ©finis comme tels : âą la solidaritĂ© des droits est garantie par lâEtat et permet lâĂ©gal accĂšs aux droits sociaux pour les
individus en situation de vulnĂ©rabilitĂ© sur lâensemble du territoire. Cette solidaritĂ© est un droit inaliĂ©nable, ne dĂ©pendant pas, pour un bĂ©nĂ©ficiaire, de sa rĂ©ussite Ă un des nombreux programmes de normalisation. Elle favorise la solidaritĂ© tout au long de sa vie et la responsabilitĂ© individuelle articulant, de façon juste et Ă©quilibrĂ©e, droits et devoirs ;
âą la solidaritĂ© des engagements correspond Ă la capacitĂ© des individus et des collectifs, des structures privĂ©es et des administrations publiques, Ă crĂ©er les conditions favorisant les pratiques dâentraide, en encourageant les liens sociaux de proximitĂ©. Cette solidaritĂ© des engagements fait appel aux pratiques dâempowerment visant Ă renforcer le pouvoir dâagir des citoyens. Câest Ă
29
lâĂ©chelle territoriale et avec les leviers de proximitĂ© et dâexpertise quâelle sâexerce le mieux. Aussi, il est de la responsabilitĂ© des collectivitĂ©s territoriales et de leurs groupements de lâassurer.
Lors dâun entretien rĂ©alisĂ© avec Mathieu KLEIN, celui-ci souligne la fragilitĂ© de ce couple de solidaritĂ©s. Cette fragilitĂ© se caractĂ©rise par une persistance des acteurs de lâaction sociale Ă inscrire davantage lâaction sociale dans une logique de rĂ©paration, donc de solidaritĂ© des droits, plutĂŽt que dans une logique de prĂ©vention, portĂ©e par la solidaritĂ© des engagements.
Les villes-centre et les blocs communaux apparaissent plus enclins Ă agir
Aujourdâhui, il ressort de nos recherches que les villes-centre, via leurs centres communaux
dâaction sociale (CCAS), apparaissent plus enclines Ă rechercher une plus forte interpĂ©nĂ©tration
des politiques publiques entre elles. Lâaction sociale des communes et des intercommunalitĂ©s se
révÚle en réalité en plein développement comme le montre une étude récente menée par la
direction de lâĂ©valuation et des Ă©tudes statistiques (DREES)39.
Il en ressort notamment, quâen 2018, prĂšs de huit communes sur dix ont mis en place au moins
une forme dâaction sociale. Ce rĂ©sultat est dâautant plus intĂ©ressant quâil nâexiste que peu
dâobligations lĂ©gales applicables aux communes en la matiĂšre qui se fondent donc sur leur clause
de compétence générale pour agir de maniÚre facultative. Somme toute, seules 12% des
communes, représentant autour de 2% de la population, ne mÚnent aucune action sociale, que ce
soit au niveau des services
municipaux, du centre communal
dâaction sociale (CCAS) ou de
lâintercommunalitĂ©. La conduite de
lâaction sociale dans une commune
est corrélée à sa taille puisque toutes
les communes de plus de 5 000
habitants en mettent au moins une en
Ćuvre. Lâaction sociale du bloc
communal prend généralement trois
formes dâintervention : lâoffre de
prestations, la gestion
dâĂ©tablissements spĂ©cialisĂ©s et la
gestion de services Ă la personne.
Parmi les domaines dâaction sociale,
le secteur des personnes ùgées est
celui sur lequel les communes et
intercommunalités sont les plus
mobilisées. Viennent ensuite les
actions en faveur des personnes en
situation de pauvretĂ© et dâexclusion
ainsi quâen direction des familles et
des jeunes. Plus la taille du bloc
communal augmente, plus la diversité
des actions mises en place est forte.
En effet, les deux tiers des petites
39 Sarah ABDOUNI, « En 2014, huit communes sur dix mĂšnent une action sociale - Premiers rĂ©sultats de lâenquĂȘte ASCO », Ătudes et RĂ©sultats, n°995, DREES, FĂ©vrier 2017
Pour la Ville de Strasbourg, lâaction sociale communale constitue une tradition historique
Les premiĂšres politiques sociales, telles que celles pour les enfants et les nourrissons, la nomination dâun directeur dâoffice municipal dâhygiĂšne ou encore la construction des bains municipaux, se dĂ©veloppent entre 1871 et 1914, temps oĂč Strasbourg fait partie de lâempire allemand.
En 1945, le directeur rĂ©gional de la santĂ© et de lâassistance donne lâautorisation Ă la commune de Strasbourg de lutter contre les « flĂ©aux sociaux » puis, deux ans plus tard, le prĂ©fet autorise la Ville Ă gĂ©rer une partie de lâaction sociale, 30 ans avant lâacte I de la dĂ©centralisation.
MalgrĂ© la dĂ©centralisation sociale vers le conseil gĂ©nĂ©ral en 1983, Strasbourg conserve plusieurs prĂ©rogatives et dĂ©lĂšgue, lors de la crĂ©ation de son CCAS en 1998, les actions historiquement menĂ©es en faveur des grands prĂ©caires. En 2005, une premiĂšre convention de dĂ©lĂ©gation est signĂ©e entre le conseil gĂ©nĂ©ral du Bas-Rhin et la ville de Strasbourg. Elle prĂ©cise les contours des politiques de solidaritĂ©s exercĂ©es par la commune : le dispositif dâinsertion relatif au revenu minimum dâinsertion (RMI), lâaide sociale Ă lâenfance, la protection maternelle et infantile et le service social. La convention a Ă©tĂ© revue deux fois, en 2011 et 2018, afin dâactualiser cette relation entre les deux collectivitĂ©s.
30
communes â soit moins de 1 500 habitants â organisent une action sociale dans un Ă six secteurs
dâaction sociale (personnes ĂągĂ©es, lutte contre la pauvretĂ©, personnes en situation de handicap,
hébergement et logement, petite enfance, jeunesse et famille, insertion professionnelle, accÚs aux
soins) alors que les deux tiers des moyennes et grandes communes â soit une population
supĂ©rieure Ă 1 500 habitants â agissent dans plus de sept secteurs.
De mĂȘme, les moyennes et grandes communes sont quasiment toutes pourvues dâun centre
communal dâaction sociale contre les trois quarts au niveau national. Dans une commune sur trois,
la totalitĂ© de lâaction sociale est assurĂ©e par le CCAS, tandis que dans une sur cinq, seuls les
services communaux la prennent en charge. Dans la moitié des communes, la gestion de cette
politique est donc assurée conjointement par les services communaux et le CCAS. La taille de la
commune a une influence sur la répartition des compétences entre les services communaux et le
CCAS.
En dehors du secteur de la petite enfance, la part des communes oĂč les actions sont uniquement
portées par les services municipaux diminue avec la taille de la population.
Lâimportance du portage politique pour dĂ©velopper une politique sociale ambitieuse
La vision que les Ă©lus peuvent avoir de lâaction sociale est fondamentale : elle donne du sens Ă
des dispositifs principalement administratifs de versement dâaides et Ă lâinstitutionnalisation dâun
accompagnement par les travailleurs sociaux. A ce niveau, lâexemple de la vision sociale adoptĂ©e
sur le territoire bordelais est probant.
Alexandra SIARRI, adjointe au maire de Bordeaux chargée de la cohésion sociale et territoriale,
indique que
« lâaction sociale doit prĂ©cisĂ©ment ne pas ĂȘtre vue exclusivement comme une action de
restauration et de rĂ©paration de trajectoires et dâindividus ».
Lâaction sociale doit au contraire jouer le rĂŽle dâoutil de veille et de diagnostic, afin dâĂ©tayer
lâensemble des politiques publiques et Ă©viter le renouvellement des situations de prĂ©caritĂ© et
dâexclusion, qui nĂ©cessite encore une action curative. Selon Alexandra SIARRI, deux idĂ©es
sâautoalimentent.
« La premiĂšre, câest quâune personne ne peut pas ĂȘtre apprĂ©hendĂ©e exclusivement sous
lâangle de sa vulnĂ©rabilitĂ© mais bien sous lâangle de sa citoyennetĂ©. La seconde, câest
notre capacité à aller chercher chez les gens qui ne sont pas vulnérables de la
compréhension, du désir et de la facilitation à créer une densité de relations sociales qui
évitent que des gens ne basculent. »
La mise en cohérence des objectifs de la ville-centre et de la métropole est également une
condition de réussite. Or, il existe une dichotomie certaine entre ces deux acteurs : la ville assure
une action sociale trÚs large en raison de la clause de compétence générale, alors que
lâintervention de la mĂ©tropole est limitĂ©e aux compĂ©tences sociales dĂ©partementales quâelle a
choisi de porter. Cette segmentation et cette approche différenciées des politiques sociales sur
deux échelons territoriaux pourtant avantagés par leur proximité aux usagers semblent inadaptées
Ă lâenjeu dâintĂ©gration des politiques publiques. Ainsi, la mobilitĂ© des habitants doit conduire Ă des
politiques plus intégrées et coopératives pour raisonner en termes de bassins de vie, au-delà donc
des frontiĂšres administratives. Cela peut ĂȘtre favorisĂ© par les progrĂšs effectuĂ©s en matiĂšre de
mutualisation entre les métropoles et leurs communes membres, en particulier les villes centre.
31
Une déclinaison stratégique et opérationnelle qui se formalise dans un document partagé
avec lâensemble des partenaires institutionnels et associatifs
A Bordeaux, le champ dâaction sociale sâest Ă©largi en 2014, suite Ă lâĂ©laboration dâun document
dâorientation, le pacte de cohĂ©sion sociale et territoriale. Il composĂ© de cinq axes et vise Ă
embrasser tous les champs de la politique municipale voire mĂ©tropolitaine en faisant de lâaction
sociale une politique transversale qui se retrouve dans tous les champs de la politique municipale
(culture, sport, dĂ©veloppement Ă©conomique, lâhabitat).
Véronique DELANNOY, directrice générale chargée des solidarités et de la cohésion sociale à la
ville de Bordeaux, insiste sur le travail important de partage des orientations de ce document
élaboré avec les partenaires institutionnels (Conseil départemental et Etat dans toutes ses
composantes â ARS, prĂ©fecture, DDCS) et les acteurs associatifs
« câest un document unilatĂ©ral, ils ne lâont pas signĂ© mais il a Ă©tĂ© co-construit avec des
acteurs de terrain. La démarche a consisté à présenter une analyse des besoins sociaux
que le CCAS a obligation de faire, dâabord dans les quartiers de Bordeaux, puis par des
balades urbaines avec les institutionnels, les habitants et les partenaires associatifs pour
observer ce quâil se passait dans ces quartiers et ensuite avec des sĂ©ances de
brainstorming, de débriefing pour élaborer les axes du pacte. Enfin, le pacte a été décliné
en 25 actions par quartiers sur huit quartiers de Bordeaux. Nous avons réalisé 70 % des
actions du pacte. »
Un Ă©cosystĂšme construit sur cette dynamique dâaction sociale complĂ©mentaire et partagĂ©e
La caisse dâallocation familiale (CAF) de Gironde assure lâensemble des compĂ©tences
rĂ©glementaires, sur dĂ©cision du conseil dâadministration et de la branche famille qui dĂ©finit les
modalités de son intervention auprÚs de ses partenaires. Marie-France HOUILLON, directrice de
lâaction sociale Ă la CAF de Gironde souligne que
« les modalitĂ©s dâintervention auprĂšs de nos partenaires nous permettent Ă la fois de faire
du dĂ©veloppement ou de lâaccompagnement de structures existantes, et dâassurer aux
habitants un service de proximitĂ© accessible Ă tous. [âŠ] A partir du moment oĂč on travaille
avec le territoire, notamment Bordeaux, ce nâest pas notre projet, câest le projet du territoire
que nous allons accompagner avec nos compĂ©tences et les dispositifs quâon peut mettre
à disposition. »
Pour Pascal GOUFLIER, directeur général adjoint aux solidarités du conseil départemental de la
Gironde, lâaction sociale
« sâincarne Ă la fois par une idĂ©e de proximitĂ©, de recherche de travail au plus prĂšs des
habitants. Travailler avec lâhabitant, cela signifie par exemple une politique volontaire,
assumĂ©e et ambitieuse en matiĂšre de dĂ©veloppement social, oĂč les personnes elles-
mĂȘmes sont des acteurs des solutions qui les concernent. Câest le contraire dâune politique
de guichet oĂč on offre des prestations. »
Cette approche centrĂ©e sur lâhabitant induit une nĂ©cessaire territorialisation des activitĂ©s avec neuf
antennes pour le conseil départemental de la Gironde.
32
1.3. Lâaction sociale, confrontĂ©e Ă des enjeux nouveaux de connectivitĂ© et
dâempowerment, se
recentre parallĂšlement
sur son accĂšs et sa
continuité
Passer dâune organisation sectorielle Ă
une organisation permettant une plus
forte interpénétration des politiques
publiques entre elles nécessite de
reconsidĂ©rer les objectifs de lâaction
sociale. Les limites de la catégorisation
des publics, dâune organisation de
lâaction sociale en silos et du caractĂšre
stigmatisant des prestations sociales
sont aujourdâhui bien perçues par les
acteurs. De nouveaux modĂšles de
gouvernance et dâorganisation sont
proposés par les administrations pour
mieux répondre aux besoins de la
population, tout en renouvelant les
modes de coopération avec le secteur
privé.
Les experts et chercheurs persistent
cependant Ă affirmer que les politiques
sociales restent, dans leur ensemble,
au milieu du gué. Ainsi, Nadine
LEVRATTO, perçoit que « le
changement de paradigme est amorcé
mais non abouti » tandis que dâautres comme Robert LAFORE ou Philippe ESTEBE pointent
respectivement « le dĂ©ficit de doctrine » de lâaction sociale et « son explosion comme domaine
dâactions en tant que tel ». A la lecture des entretiens, trois thĂšmes apparaissent dans la transition
Ă opĂ©rer : lâaccĂšs et la continuitĂ© des droits, la connectivitĂ© et la reconnaissance des capabilitĂ©s.
LâaccĂšs et la continuitĂ© des droits sont au cĆur de lâaccueil social inconditionnel
Une majoritĂ© des acteurs des cinq territoires mĂ©tropolitains dâenquĂȘte prĂ©cise que la continuitĂ© des
droits constitue pour eux une prioritĂ©. Cela passe en premier lieu, par lâaccueil social inconditionnel.
InitiĂ© par la fĂ©dĂ©ration nationale des associations dâaccueil et de rĂ©insertion sociale (FNARS) dĂšs
2011, lâaccueil social inconditionnel sâintĂšgre dans le « plan dâaction interministĂ©riel en faveur du
travail social et du dĂ©veloppement social » en octobre 2015. Il sâagit de garantir
« à toute personne rencontrant des difficultés ou souhaitant exprimer une demande
d'ordre social, une écoute attentionnée de la globalité de ses besoins et préoccupations
afin de lui proposer le plus tÎt possible des conseils et une orientation adaptée, dans le
respect du principe de participation des personnes aux décisions qui les concernent. Cet
accueil adapté peut se traduire soit par une information immédiate, soit par une ouverture
immédiate de droits, et/ou encore par une orientation vers un accompagnement social ».
« Carte blanche » pour le Grand Cahors
EngagĂ©e depuis dĂ©cembre 2017, cette expĂ©rimentation vise à « reconstruire un service public adaptĂ© et façonnĂ© aux besoins du territoire » en allĂ©geant les contraintes juridiques et rĂšglementaires. Si cette initiative ne relĂšve pas de lâaction sociale au sens strict, les enseignements Ă en tirer pourront profiter Ă lâorganisation de lâaction sociale Ă lâĂ©chelle dâune mĂ©tropole.
Dans le cadre dâAction publique 2022, les acteurs de terrain sont appuyĂ©s par le ministĂšre de lâaction et des comptes publics, notamment via la direction interministĂ©rielle de la transformation publique (DITP). La mĂ©thode se veut participative et se fonde sur lâĂ©tude de cas pratiques. Cette dĂ©marche associe les habitants aux acteurs locaux afin dâidentifier les problĂ©matiques spĂ©cifiques des usagers. Les questions soulevĂ©es par cette expĂ©rimentation recoupent largement celles que lâon retrouve dans le milieu de lâaction sociale : lâaccessibilitĂ© des services publics, la mobilitĂ© des personnes, la pertinence des rĂ©ponses aux besoins spĂ©cifiques des usagers, la prise en charge de la situation des usagers les plus Ă©loignĂ©s des services.
Le dispositif associe Ă©galement dâautres acteurs de proximitĂ© comme PĂŽle Emploi et La Poste, structures elles-mĂȘmes engagĂ©es dans des logiques dâaccessibilitĂ© et dâĂ©valuation des besoins.
33
Envisagé comme une réponse au
morcellement de lâaccompagnement liĂ©
Ă la complexitĂ© des situations et Ă
lâempilement des dispositifs, le premier
accueil social inconditionnel permet de
traiter la demande quelle que soit la
domiciliation de la personne, sans prise
de rendez-vous préalable. La notion de
parcours est Ă©galement largement
plébiscitée par les acteurs interrogés.
Introduite dans le droit français en 2002
dans le cadre de la loi de rénovation de
lâaction sociale, elle invite Ă penser
lâaccompagnement de la personne dans
le cadre dâune action en chaĂźne oĂč la
complémentarité et la coordination
constituent les conditions sine qua none
de sa réussite auprÚs des personnes.
Elle oblige Ă davantage structurer
lâactivitĂ© des services Ă partir du
territoire, invitant les administrations Ă
construire des rÚgles et des procédures
communes.
Pour Philippe METZ, directeur du CCAS
de Lille, les CCAS et les unités
territoriales des conseils
départementaux constituent les derniers
guichets dâaccueil. Beaucoup
dâadministrations, notamment Ă©tatiques,
se sont en effet désengagées de certains territoires et mettent en place des systÚmes
informatiques pour compenser cette moindre prĂ©sence locale dans un objectif dâaccĂšs aux droits.
On retrouve cette analyse Ă Bordeaux oĂč lâaccueil sâorganise y compris pour des citoyens rĂ©sidant
sur un autre territoire.
LâaccĂšs aux droits sociaux se traduit aussi pour bon nombre dâadministrations par la lutte contre le
non-recours40 : la métropole de Nantes se montre sensible à ce problÚme et initie des actions pour
limiter la stigmatisation des publics en partenariat avec le secteur public et privé. Cette action
sâintĂšgre dans un projet pilotĂ© par la mission « politique de la ville » de Nantes mĂ©tropole. Les
quatre villes de lâagglomĂ©ration concernĂ©es par la politique de la ville (Nantes, Saint Herblain,
Orvault et RezĂ©) ont participĂ© Ă la rĂ©alisation dâun diagnostic sur le non-recours aux droits, et
expérimenteront des actions dans les quartiers prioritaires dans les prochains mois. Le portage
intercommunal est intĂ©ressant en ce quâil permet de mobiliser des partenaires institutionnels
(caisse primaire dâassurance maladie - CPAM -, caisse dâassurance retraite et de la santĂ© au travail
- CARSAT-, CAF) en leur proposant un interlocuteur bien identifié. Ensuite, les expérimentations
sont adaptées à chaque quartier en fonction de leur dynamique propre.
40 LâObservatoire des non-recours aux droits et aux services (ODENORE) dĂ©finit le non-recours comme « toute personne Ă©ligible Ă une prestation sociale [financiĂšre], qui, en tout Ă©tat de cause, ne la perçoit pas ».
Expérimentation du « référent.e de parcours » dans le Conseil départemental du Bas-Rhin
Visant Ă rĂ©unir tous les acteurs Ćuvrant auprĂšs des plus fragiles, cette expĂ©rimentation sâinscrit dans la continuitĂ© de dispositifs prĂ©voyant de dĂ©velopper le maillage partenarial sur le territoire dĂ©partemental.
Le rĂ©fĂ©rent.e de parcours vise Ă ce que chaque usager bĂ©nĂ©ficie dâun interlocuteur unique en charge dâorganiser et de coordonner les diffĂ©rentes formes dâintervention Ă son endroit. Il vise Ă©galement Ă prĂ©venir les ruptures de parcours qui risquent dâĂ©carter durablement certaines personnes des dispositifs dâassistance. Un rĂ©fĂ©rent.e serait dĂ©signĂ© pour tous les parcours engagĂ©s, par dĂ©faut le responsable de lâĂ©quipe territoriale dont dĂ©pend lâusager.
LâexpĂ©rimentation concernera les personnes qui sollicitent les professionnels de lâaction sociale et mĂ©dico-sociale de ces territoires et qui rĂ©unissent plusieurs conditions : plusieurs intervenants mobilisĂ©s, inscription des interventions dans la durĂ©e, situations complexes, existence dâun projet et dâun plan dâaction nĂ©gociĂ© avec la personne.
Le dispositif se développera en quatre étapes : le diagnostic de la situation qui permettra de déceler les potentialités de la personne, la désignation du référent.e par une instance technique partenariale, le suivi de la situation de la personne et le bilan des actions menées.
34
Entre le numĂ©rique absolu et lâobjectif intermĂ©diaire dâinterconnexion des territoires, la
notion de connectivité
Notre entretien avec Nadine LEVRATTO a mis en lumiĂšre le concept de connectique, ensemble
des techniques employées dans le cadre de la transmission de données et de l'alimentation en
électricité. Elle ajoute ainsi que
« souvent, ce qui pose problĂšme dans les systĂšmes, câest moins les Ă©lĂ©ments qui les
constituent que la connectique entre les éléments. »
Cette analyse rencontre un certain écho chez les acteurs des différents territoires métropolitains
étudiés. En effet, deux enjeux majeurs de la connectique se nouent dans les territoires : le premier
liĂ© Ă lâĂ©mergence du recours au numĂ©rique et lâautre liĂ© Ă lâinterconnexion des territoires, des
partenaires et des champs dâactions.
Si lâaccĂšs Ă des guichets uniques dĂ©matĂ©rialisĂ©s constitue un Ă©lĂ©ment de simplification et de
facilitation dans les dĂ©marches dâaccĂšs aux droits41, il bouleverse la maniĂšre de rendre le service
social Ă plusieurs titres. Il reprĂ©sente Ă©galement un facteur dâinĂ©galitĂ©s et il convient de se saisir
des défis posés aux administrations en matiÚre de fracture numérique42.
De plus, le développement des réponses numériques modifie trÚs fortement le contenu des métiers
du travail social. Philippe METZ, directeur du CCAS de Lille, insiste par exemple sur la nécessité
de prendre en compte les conséquences de la dématérialisation sur la relation entre les usagers
et lâadministration :
« plus les administrations fonctionnent de façon dématérialisée, plus il y aura besoin de
personnes pour instruire les demandes ».
Le mouvement de dĂ©matĂ©rialisation des demandes dâaccĂšs aux droits auprĂšs des organismes de
sécurité sociale ou encore de PÎle emploi, entraßne ainsi une sur-sollicitation, voire une saturation,
des travailleurs sociaux. Ces derniers se retrouvent ainsi en difficulté pour accompagner
sereinement les personnes dans cette nouvelle transition. Dans ce contexte oĂč des personnes ne
disposent ni de lâoutil numĂ©rique, ni des compĂ©tences pour sâen servir, la mĂ©diation numĂ©rique
sâavĂšre vitale pour assurer lâaccĂšs aux droits.
A la ville et Ă la mĂ©tropole de Nantes, cette transition numĂ©rique Ă opĂ©rer est lâoccasion de
sâintĂ©grer dans lâĂ©cosystĂšme privĂ© affĂ©rent. Nantes dĂ©veloppe un des Ă©cosystĂšmes numĂ©riques
parmi les plus dynamiques de France sous lâimpulsion dâentreprises comme Lego, iAdvizeou
encore Matériel.net. Tous les acteurs de cet écosystÚme sont liés par un maillage fort, concrétisé
par une approche collective et solidaire du développement de nouveaux gisements économiques.
41 Par exemple, en matiĂšre dâadministration fiscale, en France, seuls 4 500 contribuables avaient dĂ©clarĂ© leurs impĂŽts en ligne en 2000 alors que le tiers dâentre eux lâont fait en 2014 (Yann ALGAN, Maya BACACHE et Anne PERROT, « Administration numĂ©rique », Les notes du conseil dâanalyse Ă©conomique, n° 34, septembre 2016 42 « âLa fracture numĂ©riqueâ est un âoutilâ permettant de marquer, du moins sur le plan communicationnel, la distance entre le local et le global, câest-Ă -dire, la difficultĂ© pour certaines âlocalitĂ©sâ, âindividualitĂ©sâ, voire âparticularitĂ©sâ, de sâinsĂ©rer dans cette âglobalitĂ©â qui serait la âsociĂ©tĂ© en rĂ©seauâ » (Alain KIYINDOU, « Introduction. RĂ©duire la fracture numĂ©rique, une question de justice sociale ? », Les Cahiers du numĂ©rique, 2009/1 (Volume 5), p. 11-17)
35
Evelyne SYLVAIN, directrice générale adjointe aux solidarités du Conseil départemental du Nord,
approuve lâimportance dâinitier des relations diffĂ©rentes avec le monde Ă©conomique aujourdâhui.
Lâinterconnexion des champs dâactions, sur la question de lâemploi par exemple, peut favoriser un
meilleur appariement de lâoffre et de la demande.
Pour dâautres acteurs, la connectivitĂ© prend une dimension clinique dans le sens oĂč il sâagit, face
Ă des situations de plus en plus complexes, de relier les professionnels de lâaction sociale et
médico-sociale entre eux pour une meilleure interconnaissance, une plus forte coordination et
complémentarité.
La reconnaissance des capabilités des usagers comme forme de leur revalorisation
Le concept de capabilitĂ© est dĂ©fini par Paul RICĆUR comme la capacitĂ©, pour chaque ĂȘtre humain
de formuler un « je peux ». Le parcours de la reconnaissance de soi passe en premier lieu par la
La dĂ©marche AGILLE pour amĂ©liorer la gouvernance et dĂ©velopper lâinitiative locale
LancĂ©e en 2014 dans 17 conseils dĂ©partementaux volontaires, il sâagit dâune expĂ©rimentation sur les politiques sociales conduite par la DGCS en partenariat avec lâADF. Selon, Michel DAGOBERT, prĂ©sident du conseil dĂ©partemental du Pas-de-Calais, « elle repose sur la valorisation dâune approche plus ascendante de lâaction publique fondĂ©e sur un projet de territoire et une confiance Ă lâinitiative locale. Elle propose Ă©galement dâexplorer des modalitĂ©s de simplification en donnant la possibilitĂ© de dĂ©roger dans certaines conditions Ă la norme afin de libĂ©rer lâinitiative ».
Le club des expĂ©rimentateurs (aujourdâhui club des territoires) valorise plusieurs expĂ©rimentations Ă lâĂ©chelle nationale : âą le pacte parisien de lutte contre la grande exclusion 2015-2020, caractĂ©risĂ© par : la fusion
commune-dĂ©partement simplifiant le jeu dâacteurs ; une gouvernance plurielle ; une itĂ©ration entre niveau territorial et dĂ©partemental permettant une adĂ©quation entre stratĂ©gie et besoins ; la mobilisation du budget participatif ; une forte Ă©valuation du dispositif ;
âą la rĂ©novation de lâaction sociale de proximitĂ© en Loire-Atlantique autour du projet stratĂ©gique 2015-2021, caractĂ©risĂ©e par une stratĂ©gie appuyĂ©e sur une organisation de proximitĂ© ; la mise en place dâun « accueil social universel » afin de remĂ©dier au non-recours et de recentrer le travail social sur lâaccompagnement et le dĂ©veloppement social ; une recherche sur le rĂŽle de chef de file dĂ©partemental ;
âą la commission dâaction sociale locale (CLAS) de la DrĂŽme-des-Collines-Royans-du-Vercors dont lâobjet est dâamĂ©liorer le service rendu aux usagers des services sociaux par un travail en rĂ©seau collaboratif entre acteurs locaux. AppuyĂ©e sur lâimplication citoyenne, elle est caractĂ©risĂ©e par des diagnostics des besoins Ă©laborĂ©s avec les habitants et par une rĂ©ponse aux besoins individuels et collectifs organisĂ©e sans redondance ;
âą la convention territoriale globale pour le dĂ©veloppement social en Meurthe-et-Moselle signĂ©e par plusieurs acteurs (CAF, Conseil dĂ©partemental, DDCS, ARS et MutualitĂ© sociale agricole â MSA), qui rassemble en un document unique lâensemble des plans, schĂ©mas contrats affĂ©rents et fixe une feuille de route pour quatre ans. Elle vise Ă coordonner lâaction sociale dans plusieurs domaines et sâappuie sur la mise en place dâun « conseil dĂ©partemental du dĂ©veloppement social » et de six confĂ©rences territoriales co-pilotĂ©es par le conseiller dĂ©partemental au territoire et la sous-prĂ©fĂšte ;
âą le schĂ©ma des Hautes-PyrĂ©nĂ©es solidaires « Solidâaction 65 », qui vise Ă intĂ©grer des objectifs de dĂ©veloppement social dans les toutes les politiques publiques et projets dĂ©partementaux. Treize chantiers stratĂ©giques ont Ă©tĂ© lancĂ©s sur les territoires ainsi quâun projet dâadministration incluant une charte de lâaccueil des publics.
36
capacitĂ© de lâindividu Ă se raconter. En second lieu, cette base fondatrice permet de pouvoir se
tenir soi-mĂȘme comme lâauteur de ses propres actes. Lâensemble des acteurs interrogĂ©s insiste
sur lâimportance de sâappuyer sur le pouvoir dâagir et les capacitĂ©s des bĂ©nĂ©ficiaires et de leur
environnement.
A Bordeaux, cela prend la forme de projets oĂč les bĂ©nĂ©ficiaires sont considĂ©rĂ©s comme des acteurs
à part entiÚre. Véronique DELANNOY, directrice des solidarités et de la cohésion sociale à la ville
de Bordeaux sâen fait le tĂ©moin.
« On travaille par exemple avec la métropole sur la gouvernance alimentaire. On a créé
ce quâon a appelle des âârelais popoteââ câest-Ă -dire quâon rĂ©cupĂšre des denrĂ©es
alimentaires et nous mettons Ă disposition des cuisines, les cuisines des centres sociaux
par exemple, pour permettre Ă des parents, Ă des familles â qui sont le plus souvent en
demande du droit dâasile â qui sont logĂ©s Ă lâhĂŽtel donc dans lâimpossibilitĂ© de faire la
cuisine de prĂ©parer des repas pour leurs enfants. Câest dâabord dans une volontĂ© dâune
alimentation saine et Ă©quilibrĂ©e et aussi dans une valorisation de lâimage de soi par rapport
aux enfants, câest important que des parents puissent cuisiner pour leurs enfants. Câest
une action qui marche trĂšs bien et qui est trĂšs simple. Elle se situe dans un programme
alimentaire territorialisé plus large puisque nous travaillons avec la métropole sur cette
action. On a obtenu un prix nous permettant de mettre en place une cartographie de nos
points de distribution alimentaire et des innovations : jardins partagés, fermes urbaines,
culture de pleurotes dans les parkings de la ville. On est dans lâinnovation sociale. »
2. Le cadre normatif fixe une mĂ©tropolisation de lâaction sociale aux effets
limités
2.1. Les derniÚres réformes territoriales se veulent plus incitatives et coercitives
La réorganisation partielle des compétences sociales entre conseils départementaux et
mĂ©tropoles dĂ©coule davantage dâune rĂ©alitĂ© pragmatique que dâune vĂ©ritable rĂ©organisation
de la décentralisation
La réforme territoriale portée par les lois MAPTAM du 27 janvier 2014 et NOTRe du 7 août 2015
vient formaliser la montée en puissance des métropoles, déjà amorcée par la loi de réforme des
collectivités territoriales de 2010.
Cependant, loin de constituer la poursuite dâune dĂ©centralisation verticale et descendante des
compĂ©tences sociales, de lâEtat vers les collectivitĂ©s, comme cela avait pu ĂȘtre constatĂ© dans les
actes précédents, cette nouvelle étape amorce un redécoupage horizontal des compétences, entre
collectivitĂ©s elles-mĂȘmes et/ou vers les mĂ©tropoles. La montĂ©e en puissance des mĂ©tropoles vient
donc se cristalliser dans les dispositions Ă lâarticle L. 5217-2 du Code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s
territoriales (CGCT), qui encadre le transfert ou la délégation de plusieurs compétences
dĂ©partementales aux mĂ©tropoles. Ainsi, le titre IV de lâarticle prĂ©voit :
« par convention passĂ©e avec le dĂ©partement, la mĂ©tropole exerce Ă lâintĂ©rieur de son
périmÚtre, par transfert, en lieu et place du département, ou par délégation, au nom et
pour le compte du département, tout ou partie des groupes de compétences suivants :
1° Attribution des aides au titre du fonds de solidarité pour le logement, en application
de l'article 6 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant Ă la mise en Ćuvre du droit au
logement ;
37
2° Missions confiées au service public départemental d'action sociale en application de
l'article L. 123-2 du code de l'action sociale et des familles ;
3° Adoption, adaptation et mise en Ćuvre du programme dĂ©partemental d'insertion, dans
les conditions prĂ©vues Ă l'article L. 263-1 du mĂȘme code ;
4° Aide aux jeunes en difficulté, en application des articles L. 263-3 et L. 263-4 dudit code
;
5° Actions de prévention spécialisée auprÚs des jeunes et des familles en difficulté ou en
rupture avec leur milieu, prĂ©vues au 2° de l'article L. 121-2 du mĂȘme code ;
6° Personnes ùgées et action sociale en application des articles L. 113-2, L. 121-1 et L.
121-2 dudit code ou une partie de ces compétences, à l'exclusion de la prise en charge
des prestations légales d'aide sociale ;
7° Tourisme en application du chapitre II du titre III du livre Ier du code du tourisme, culture
et construction, exploitation et entretien des équipements et infrastructures destinés à la
pratique du sport, ou une partie de ces compétences ;
8° Construction, reconstruction, aménagement, entretien et fonctionnement des collÚges.
A ce titre, la métropole assure l'accueil, la restauration, l'hébergement ainsi que l'entretien
général et technique, à l'exception des missions d'encadrement et de surveillance des
Ă©lĂšves, dans les collĂšges dont elle a la charge ;
9° Gestion des routes classées dans le domaine public routier départemental ainsi que de
leurs dĂ©pendances et accessoires. Ce transfert est constatĂ© par arrĂȘtĂ© du reprĂ©sentant
de l'Etat dans le dĂ©partement. Cet arrĂȘtĂ© emporte le transfert Ă la mĂ©tropole des
servitudes, droits et obligations correspondantes ainsi que le classement des routes
transférées dans le domaine public de la métropole
ENCADRE N°6
DELEGATION ET TRANSFERT DE COMPETENCES
En matiĂšre de changement dâautoritĂ© pour les compĂ©tences citĂ©es, le lĂ©gislateur a laissĂ© le choix entre transfert et dĂ©lĂ©gation :
dans le cadre dâun transfert, la mĂ©tropole exerce lâensemble de la compĂ©tence, et son titulaire initial ne peut plus ĂȘtre tenu pour responsable des actions dĂ©cidĂ©es, ce qui implique Ă©galement une mise Ă disposition de lâensemble des biens et ressources nĂ©cessaires Ă lâexercice de la compĂ©tence (article L.1321-1 du CGCT) ;
dans le cadre dâune dĂ©lĂ©gation, la mĂ©tropole exerce la compĂ©tence sur la base des orientations fixĂ©es par le conseil dĂ©partemental, ce qui fait porter la responsabilitĂ© juridique et financiĂšre sur ce dernier (article L. 111-8 du CGCT).
La modalitĂ© sĂ©lectionnĂ©e est dâautant plus importante, quâil nâest pas prĂ©vu de clause de revoyure concernant les transferts de compĂ©tences rĂ©alisĂ©s comme le soulignait Frank PERINET, directeur gĂ©nĂ©ral des services du Conseil dĂ©partemental de Loire-Atlantique.
Parmi les neuf groupes de compétences citées par la loi, les six premiers concernent des politiques
sociales. Les groupes de compĂ©tences sociales sont en rĂ©alitĂ© au nombre de sept puisque lâalinĂ©a
6 mentionne à la fois les compétences « personnes ùgées » et « action sociale ».
38
La loi vient également fixer le contenu des conventions de transfert ou de délégation :
⹠compétences ou groupes de compétences concernées ;
âą conditions financiĂšres de transfert ;
âą conditions de transfert en matiĂšre de ressources humaines.
La loi mentionne enfin la procĂ©dure dâĂ©laboration de la convention, dans un dĂ©lai de deux ans
suivant la création de la métropole, comme décrit dans le schéma ci-dessous43.
Selon la lecture qui en est faite, le choix du législateur reflÚte soit une volonté de contraindre les
métropoles à prendre leurs responsabilités dans le domaine social, soit une remise en question de
la gestion départementale des dispositifs concernés.
Le transfert concerne dans la plupart des cas lâaide aux jeunes, le fonds de solidaritĂ©
logement ou encore la prévention spécialisée
Suite Ă lâobligation inscrite dans la loi et sous le coup dâun Ă©ventuel transfert de plein droit de
lâensemble des compĂ©tences prĂ©-ciblĂ©es, conseils dĂ©partementaux et mĂ©tropoles sont parvenus
en 2016 Ă Ă©tablir des conventions de transferts assurant la transmission dâune autoritĂ© Ă lâautre
dâau moins trois des neuf compĂ©tences concernĂ©es.
En ce qui concerne plus spécifiquement les compétences sociales et sur le périmÚtre des douze
métropoles de droit commun, le bilan des conventions fait ressortir que :
âą toutes ont pris en charge le fonds dâaide aux jeunes (FAJ) ;
âą plus de 80% dâentre elles (dix sur douze) ont pris en charge le fonds de solidaritĂ© logement
(FSL) ;
âą plus de 60% dâentre elles (huit sur douze) ont optĂ© pour la prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e ;
43 LâannĂ©e de rĂ©fĂ©rence prĂ©vue est calculĂ©e en n+2 par rapport Ă la date dâacquisition du statut de mĂ©tropole.
39
⹠seule Nantes métropole a opté pour la compétence personnes ùgées ;
âą aucune nâa pris en charge les missions confiĂ©es au service public dĂ©partemental dâaction
sociale, ni le plan dĂ©partemental dâinsertion (PDI).
Fonds solidarité logement
(FSL)
Missions du service public départemental
dâaction sociale
Fonds dâaide aux jeunes
(FAJ)
Plan départemental
dâinsertion (PDI)
Prévention spécialisée
Personnes ùgées
Bordeaux
Brest
Grenoble *
Lille
Montpellier
Nancy *
Nantes *
Nice
Rennes *
Rouen
Strasbourg
Toulouse *
Moyenne des ETP transférés
9,7 1,2 0,4 44 0,25
Moyenne du montant des
dotations annuelles (en
milliers dâeuros)
2 700 440 2 400 530
Bilan des transferts/délégations de compétences sociales en application de la loi NOTRe45
Si le transfert a globalement été le choix privilégié, certains conseils départementaux ont opté pour
la dĂ©lĂ©gation, voire parfois pour un mĂ©lange entre les deux, y compris au sein dâune mĂȘme
compétence :
⹠le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle a par exemple préféré déléguer la
compétence du fonds de solidarité logement (FSL) pour une durée de deux ans seulement.
Les six équivalents temps plein (ETP) correspondants ont donc été mis à la disposition de
la métropole du Grand Nancy ;
âą le Conseil dĂ©partemental dâIlle-et-Vilaine a scindĂ© la compĂ©tence FSL en deux : la partie
« accompagnement social des ménages », qui recouvre notamment les subventions aux
associations, a fait lâobjet dâun transfert Ă la mĂ©tropole de Rennes alors que la partie « aides
financiÚres aux ménages », correspondant par exemple aux aides accordées aux
mĂ©nages, a seulement fait lâobjet dâune dĂ©lĂ©gation.
En matiĂšre de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e, il est Ă noter lâimportant transfert de personnel du Conseil
dĂ©partemental de Haute-Garonne vers la mĂ©tropole toulousaine en comparaison avec dâautres
conseils départementaux ayant opté pour le transfert de cette compétence. Ce sont ainsi soixante
postes et la gestion de huit clubs de prévention que le Conseil départemental de Haute-Garonne
a transféré à Toulouse Métropole.
Il est Ă noter Ă©galement que si certaines compĂ©tences nâont fait lâobjet dâaucun transfert comme le
plan dĂ©partemental dâinsertion (PDI), conseils dĂ©partementaux et mĂ©tropoles ont pu traiter certains
44 Hors mĂ©tropole de Toulouse en raison de lâeffet volume du transfert (soixante postes). 45 Les (*) correspondent aux spĂ©cificitĂ©s relevĂ©es Voir ANNEXE 8 : Tableau rĂ©capitulatif des transferts et/ou dĂ©lĂ©gations de compĂ©tences sociales
40
de ces sujets par des rapprochements formalisĂ©s. A cette image, un pacte territorial pour lâinsertion
et lâemploi a Ă©tĂ© proposĂ© pour la pĂ©riode 2017-2021 entre le Conseil dĂ©partemental de lâIsĂšre et la
métropole grenobloise, faisant notamment suite à la mutualisation en 2015 de dispositifs
dâaccompagnement mis en Ćuvre au titre du plan local pluriannuel pour lâinsertion et lâemploi
(PLIE) ou du revenu de solidarité active sur le parcours emploi renforcé.
Soulignons enfin que le Conseil départemental de Loire-Atlantique est le seul à avoir fait le choix
de transfĂ©rer Ă sa mĂ©tropole une partie de ses compĂ©tences personnes ĂągĂ©es. En lâoccurrence, il
a transfĂ©rĂ© la compĂ©tence relative aux centres locaux dâinformation et de coordination (CLIC) soit
huit structures de niveau 3 présentes sur le périmÚtre de Nantes Métropole, sur vingt et un au total
dans le département.
2.2. A court terme, les effets des lois NOTRe et MAPTAM restent limités en termes
de transformation de lâorganisation territoriale de lâaction sociale
Des compétences aux volumes financiers limités
En observant de plus prÚs les principales compétences sociales transférées des conseils
dĂ©partementaux aux mĂ©tropoles, il apparaĂźt que le volume financier concernĂ© reste extrĂȘmement
limitĂ©. Le poids cumulĂ© des dĂ©penses sociales relatives Ă lâaide aux jeunes (FAJ), au fonds de
solidarité logement (FSL) et à la prévention spécialisée des conseils départementaux représente
Ă peine 5,5% des 2,3 milliards dâeuros de dĂ©penses relatives au RSA dans les dĂ©partements
comptant une métropole de droit commun. Pour donner un autre élément de comparaison, la
compétence « collÚges » transférable dans le cadre de la loi MAPTAM représentait en 2015 978,8
millions dâeuros de dĂ©penses totales46.
Ainsi comme le souligne Evelyne SYLVAIN, directrice générale adjointe aux solidarités du Conseil
dĂ©partemental du Nord, les prises de compĂ©tences par la mĂ©tropole sont extrĂȘmement « cernĂ©es »
et nâont pas dâimpact fondamental sur lâĂ©quilibre financier dĂ©partemental.
Les grandes dépenses sociales des conseils départementaux comptant une métropole de droit commun sur leur territoire47
46 Direction gĂ©nĂ©rale des collectivitĂ©s locales (DGCL), les budgets primitifs 2015 des conseils dĂ©partementaux. 47 EnquĂȘtes DREES 2009, 2013 et 2015 LAQUELLE EXACTEMENT ? sur les dĂ©penses des conseils gĂ©nĂ©raux/dĂ©partementaux des Alpes-Maritimes, Bas-Rhin, FinistĂšre, Gironde, Haute-Garonne, HĂ©rault, Ille-et-Vilaine, IsĂšre, Loire-Atlantique, Meurthe-et-Moselle, Nord et Seine-Maritime
41
Un impact limité sur le contenu des politiques concernées par les transferts à court terme
Dans la démarche de transferts entre conseils départementaux et métropoles, la volonté de limiter
au mieux les perturbations dans les politiques mises en Ćuvre a semble-t-il Ă©tĂ© trĂšs prĂ©sente.
Aussi bien le choix des compétences que leurs modalités de transfert ont été guidés par le souci
de ne pas bouleverser la gouvernance locale.
Sur le fond des compétences transférées, il transparaßt des conventions une volonté pour les
collectivités de se prémunir de changements trop radicaux des dispositifs, à court terme en tout
cas. Ainsi, malgrĂ© les transferts effectifs de compĂ©tences â avec des dotations de compensation
et des moyens en Ă©quivalent temps plein Ă la clef48 â des efforts ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s afin de ne
perturber et ne modifier quâĂ la marge les dispositifs actuellement Ă lâĆuvre.
Plusieurs exemples, observés lors de nos entretiens, montrent bien cette volonté de maintenir le
statu quo malgré les transferts :
⹠Peggy BOURDIN, directrice relations usagers et citoyenneté à la Métropole européenne de
Lille (MEL) rappelle que trois principes ont guidé les transferts de compétence au sein de
la mĂ©tropole lilloise : la dimension stratĂ©gique de la compĂ©tence, lâĂ©valuation dâune plus-
value métropolitaine et enfin, la perturbation limitée des politiques publiques en place. Ceci
a notamment amené la métropole à ne pas se positionner trop fortement sur le transfert de
la prévention spécialisée dont les enjeux financiers étaient trÚs importants pour le Conseil
dĂ©partemental du Nord, quand bien mĂȘme cela lui aurait permis de bĂątir une politique
jeunesse plus complĂšte ;
⹠en ce qui concerne la métropole toulousaine, la convention de transfert liant le Conseil
départemental de Haute-Garonne et Toulouse Métropole précise que pour le FSL, les
rĂšgles de fonctionnement
« sont définies par un rÚglement intérieur départemental que Toulouse Métropole
sâengage Ă adopter et mettre en application sur son territoire afin dâharmoniser les
conditions dâĂ©ligibilitĂ© au dispositif et les conditions de la mise en Ćuvre des actions
en relevant sur le territoire départemental. Le Conseil départemental et Toulouse
Métropole conviennent que toute évolution ultérieure du rÚglement intérieur du FSL
se fera de façon concertée entre eux » et que « le transfert du FSL à Toulouse
Métropole est sans incidence sur les missions des services départementaux
prescripteurs ».
Ainsi, les maisons des solidarités du Conseil départemental restent compétentes sur
lâensemble du dĂ©partement pour prescrire les demandes dâaides et constituer le dossier de
demande avec les usagers ;
âą de la mĂȘme maniĂšre entre le Conseil dĂ©partemental de la Gironde et Bordeaux MĂ©tropole,
la convention précise que
« [pour] garantir une pleine équité départementale entre les jeunes en difficulté
financiÚre résidants sur le territoire de la Métropole et hors du territoire de la
MĂ©tropole, les rĂšglements dâintervention de ces collectivitĂ©s devront veiller Ă une
48 Voir ANNEXE N°8 : Tableau récapitulatif des transferts et/ou délégations de compétences sociales
42
certaine cohĂ©rence dans les critĂšres dâĂ©ligibilitĂ© ayant les mĂȘmes objectifs
dâinsertion. »
En parallĂšle, une volontĂ© du lĂ©gislateur de renforcer le conseil dĂ©partemental en matiĂšre de gouvernance locale de lâaction sociale
ParallÚlement à ce transfert imposé de compétences aux métropoles, des lois supplémentaires
viennent renforcer le rÎle et la position du conseil départemental déjà désigné « chef de file » en
matiĂšre dâaction et dĂ©veloppement social, dâautonomie des personnes ou encore de solidaritĂ© des
territoires par la loi MAPTAM. La loi dâaccompagnement de la sociĂ©tĂ© au vieillissement du 28
dĂ©cembre 2015 ou encore la loi sur la protection de lâenfant du 14 mars 2016 viennent renforcer
plus dĂ©cisivement le rĂŽle des conseils dĂ©partementaux en matiĂšre de gouvernance de lâaction
sociale. Lâimpact financier, en particulier de la loi vieillissement, sâavĂšre bien plus important, avec
la revalorisation de lâAPA annoncĂ©e Ă plus de 450 millions dâeuros par an pour une allocation
reprĂ©sentant 5,5 milliards dâeuros par an.
Deux exemples illustrent ce renforcement relatif des conseils départementaux en matiÚre de
gouvernance :
âą la prĂ©sidence de la « confĂ©rence des financeurs de la prĂ©vention de la perte dâautonomie
des personnes ùgées » confiée aux conseils départementaux par la loi vieillissement,
formalise le rĂŽle de chef de file dĂ©partemental en matiĂšre dâautonomie des personnes49 ;
âą la responsabilitĂ© de lâĂ©laboration dâun protocole avec « les diffĂ©rents responsables
institutionnels et associatifs amenés à mettre en place des actions de prévention » (CAF,
services de l'Etat, communes) confiée au président du conseil départemental par la loi de
protection de lâenfant. Ce protocole, qui « dĂ©finit les modalitĂ©s de mobilisation et de
coordination de ces responsables autour de prioritĂ©s partagĂ©es », s'ajoute Ă celui dĂ©jĂ
prévu pour la centralisation du recueil des informations préoccupantes au sein de la cellule
départementale de recueil, de traitement et d'évaluation de ces informations (CRIP).
Au final, pas de bouleversement mais une Ă©volution de paradigme en cours
La rĂ©forme territoriale ne rĂšgle pas le problĂšme majeur de lâinsertion sociale Ă cause dâune
interpénétration toujours trop faible des compétences économiques et sociales.
En comparaison, lâenjeu de la gestion de lâAPA ou du RSA apparaissent bien plus dĂ©terminants
que tous les transferts de compétences sociales induits par les lois MAPTAM ou NOTRe. Les
montants financiers mis en jeu rĂ©vĂšlent la faible ambition rĂ©formatrice et lâimpact extrĂȘmement
relatif de ces lois sur la gouvernance de lâaction sociale en France. LâĂ©volution de lâAPA, la mise
en place dâun APA 2 pour les aidants ou encore la recentralisation du RSA pourraient avoir un
impact financier bien plus important pour les conseils dĂ©partementaux et lâEtat tout en
rĂ©interrogeant en profondeur la nature de la gouvernance de lâaction sociale.
La loi MAPTAM complÚte des dispositifs qui offraient déjà une latitude importante en termes
dâorganisation et dâexercice des compĂ©tences sociales. Comme le souligne Claudy LEBRETON,
ex-prĂ©sident de lâAssemblĂ©e des dĂ©partements de France (ADF), les dĂ©lĂ©gations de compĂ©tences
Ă©taient dâores et dĂ©jĂ possibles par les conseils dĂ©partementaux avant la loi MAPTAM et rien
nâempĂȘchait lâĂ©mergence de lâintercommunalitĂ© sociale, Ă lâimage des CIAS. En revanche, la loi
MAPTAM introduit une rupture en ce quâelle permet une politique dâincitation et de coercition par
voie législative.
49 Décret n° 2016-209 du 26 février 2016 relatif à la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie des personnes ùgées
43
Par ailleurs, cette loi ne propose pas de renouvellement de lâanalyse politique de lâorganisation de
lâaction sociale locale dont la clef dâentrĂ©e reste avant tout financiĂšre et la logique politico-
administrative, sectorielle et verticale. Or, selon Robert LAFORE, les acteurs eux-mĂȘmes
reconnaissent lâintĂ©rĂȘt dâune approche transversale et globale des problĂ©matiques. Ceci conduit
principalement Ă un partage des rĂŽles sans vision dâensemble. Lâaction sociale nâest plus organisĂ©e
selon une seule unité administrative et ne se conçoit plus comme une politique sectorielle à part.
Elle irrigue dĂ©sormais lâensemble des politiques publiques.
Notons Ă©galement que lâĂ©valuation de lâimpact du transfert de compĂ©tences est difficile Ă Ă©tablir
sur une pĂ©riode aussi courte depuis son effectivitĂ©. Il sâagira dâanalyser dans le temps lâimpact rĂ©el
de ces délégations ou transferts sur le dialogue inter-collectivités ou encore sur les dynamiques
potentiellement créées entre acteurs autour de politiques partagées.
2.3. Les objectifs des lois NOTRE et MAPTAM et les prioritĂ©s en matiĂšre dâaction
sociale des collectivités divergent
Un écart significatif entre les compétences transférées et les priorités annoncées par les
collectivités
Avec lâaffirmation du conseil dĂ©partemental comme chef de file de lâaction sociale et la montĂ©e en
puissance des intercommunalitĂ©s, se dessine dĂ©sormais une concurrence dâinitiatives sur les
territoires.
Sur la base des questionnaires renseignés par le panel de collectivités interrogées, les réponses
indiquent une prĂ©dominance des enjeux de lutte contre lâexclusion et lâaccompagnement des
personnes ùgées. Ces politiques ont été classées avec le plus haut niveau de priorité par
respectivement 19 et 16 collectivités sur un total de 26 interrogées. Or les compétences transférées
dans la majoritĂ© des cas (FSL, FAJ et prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e) nâont que trĂšs peu dâinteractions
avec la compétence « personnes ùgées » et de maniÚre contingente avec la thématique de la
« lutte contre lâexclusion et la pauvretĂ© ». Ainsi, la mention avec le plus haut niveau de prioritĂ© des
problĂ©matiques logement (8), protection de lâenfance (9) et politique de la ville (5), pourtant
complémentaires avec les compétences transférées, montrent que les lois NOTRe et MAPTAM
nâont pas conduit Ă une convergence des initiatives. Les conseils dĂ©partementaux restent ainsi les
acteurs incontournables pour les trois champs dâaction sociale arrivĂ©s en tĂȘte de nos rĂ©ponses
(lutte contre lâexclusion, personnes ĂągĂ©es et handicap).
44
Degré de priorité des acteurs interrogés en fonction du champ d'action sociale
La difficultĂ© de ces rĂ©formes est le cloisonnement quâelles ont induit en nâincitant pas les acteurs Ă
se saisir formellement de champs dâactivitĂ© connexes ou complĂ©mentaires Ă leur cĆur dâactivitĂ©.
La déclaration des priorités sociales par échelon territorial illustre ce phénomÚne repris dans le
graphique suivant.
A ce titre, les conseils dĂ©partementaux placent leur cĆur de mĂ©tier au sommet de leurs prioritĂ©s :
lutte contre lâexclusion, handicap, personnes ĂągĂ©es et protection de lâenfance. Dans ces quatre
domaines, les métropoles sont davantage en retrait, dans une moindre mesure en ce qui concerne
la lutte contre lâexclusion qui comporte un volet de politique Ă©conomique.
A lâinverse, les conseils dĂ©partementaux sont relativement dĂ©sinvestis en ce qui concerne le
logement et la politique de la ville alors que les mĂ©tropoles y dĂ©ploient davantage dâefforts. En ce
qui concerne les villes, elles semblent se positionner en soutien de lâun ou lâautre de ces deux
Lutte contrel'exclusion
Personnesùgées
Handicap Logement Gestion desESMS
Protection del'enfance
Politique dela ville
Droits desétrangers etdroit d'asile
Priorité +++ Priorité ++ Priorité + Priorité +/-
45
acteurs avec une priorisation systĂ©matiquement moyenne. Un champ de lâaction sociale semble
particuliĂšrement dĂ©sinvesti : celui relatif aux droits des Ă©trangers et au droit dâasile50.
Degré de priorité de chaque niveau de collectivité interrogée en fonction du champ d'action sociale
Les communes et mĂ©tropoles ont, en revanche, indiquĂ© quâelles exerçaient des compĂ©tences allant
au-delĂ de celles qui avaient pu leur ĂȘtre transfĂ©rĂ©es ou dĂ©lĂ©guĂ©es. A ce titre et en dehors de tout
cadre spĂ©cifique, elles sont actives majoritairement en faveur de la lutte contre lâexclusion, de
lâaccompagnement des personnes ĂągĂ©es et de la politique du logement. Ceci est parfaitement
concordant avec les prioritĂ©s quâelles ont affichĂ©es prĂ©cĂ©demment. Toutefois, ceci illustre une
réelle dichotomie entre les transferts et délégations officiellement réalisées et les chantiers en
matiĂšre dâaction sociale effectivement mis en Ćuvre localement. La loi nâa donc pas permis
lâĂ©tablissement dâun cadre de coopĂ©ration suffisant et a conduit Ă laisser se multiplier des actions
non coordonnées et potentiellement concurrentes.
50 Le score de zĂ©ro en ce qui concerne lâaction des communes dans lâitem « politique de la ville » sâexplique par contre par des effets statistiques dus Ă lâabsence de rĂ©ponse de la part des communes sollicitĂ©s sur ce domaine.
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
Lutte contrel'exclusion
Handicap Personnesùgées
Protectionde l'enfance
Logement Politique dela ville
Droit desétrangers etdroit d'asile
Gestion desESMS
Conseils départementaux Villes centres et CCAS Métropoles
46
Actions entreprises par les acteurs locaux interrogés en dehors des transferts et délégations