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Master II Sciences du Management
Spécialité Logistique
Lucie GOGUELIN
Sous la direction de Nathalie GUICHARD Année 2010
Participation ou travail du consommateur
Influence sur la logistique
Mémoire de fin d’études
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 1
Participation ou travail du consommateur
Influence sur la logistique
Lucie GOGUELIN
Etudiante en Master II
Sciences du Management Spécialité Logistique
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Année 2010
Résumé :
L‟objectif de ce mémoire consiste à proposer une vision de la participation du
consommateur en tant que forme de travail à travers une exploration des conséquences
qu‟elle peut avoir sur le marketing et la logistique et du contexte dans lequel elle s‟est
développée. Pour ce faire, nous clarifierons dans un premier temps la participation du
consommateur par rapport au travail en proposant plusieurs points de vue qui
rapprochent et opposent ces deux notions. Après avoir cerné le concept de façon
théorique et pratique, nous chercherons à comprendre son essor et ses fondements.
L‟étude des leviers de participation comme l‟éducation et la familiarisation avec
l‟Internet nous conduira à nous interroger sur le futur de la participation. Afin de replacer
la participation dans le contexte pratique dans lequel elle se met en place nous
étudierons enfin les différentes organisations logistiques qui se développent afin de
répondre aux évolutions de la relation entre consommation et production.
Mot clés : participation, consommation, prosumption, amateur, logistique, aliénation
Abstract :
This paper aims to explore the dichotomy between consumption and production and
their tendency to be compared in the recent literature. We will use the concept of
participation of the consumer to show that consumers can participate actively in the
activity of the firm. After a brief study of the theoretical background of the concept, we
will address the issue of consumer empowerment and alienation within participation.
Thus consumer participation brings changes to the organization of the Supply Chain in
which Internet is a key element. Participation should be valued for its benefits for the
customer but also appropriately utilize by firms in order to proceed to a form of
externalization of consumers of certain types of tasks.
Mot clés : participation, consomption, prosumption, amateur, Supply Chain, alienation
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 2
Remerciements
Ce mémoire de fin d‟études marque pour moi le terme de cinq années d‟enseignement
à la Sorbonne. Cinq années riches et rythmées par des cours qui m‟ont passionnée et
amenée à choisir ce sujet qui reprend tous les thèmes qui m‟ont le plus intéressée au
cours de mon parcours.
Il s‟agit d‟un mémoire de Marketing et je voudrais exprimer ma gratitude à ma maitre de
mémoire Nathalie Guichard pour son intérêt et ses conseils qui m‟ont guidés dans la
recherche et la rédaction de ce travail. Je remercie également Jean - Marc Lehu, notre
directeur de master, pour le soutien qu‟il m‟a apporté tout au long de cette année et de
ce mémoire.
Il s‟agit également d‟un mémoire de Logistique, qui n‟aurait pu voir le jour sans Régine
VanHeems qui m‟a incitée à m‟interroger sur la longueur des linéaires à de multiples
reprises au cours de cette année. Je la remercie donc d‟avoir amorcé ce
questionnement qui m‟a conduit à l‟écriture. Je remercie également Pierre Médan pour
m‟avoir communiqué son intérêt pour la discipline il y a deux ans et qui à travers ses
cours, ses conseils et ses livres m‟a toujours énormément influencée.
Je tenais également à remercier sincèrement Thierry Maillet, auteur de génération
participation, pour m‟avoir orientée dans mes recherches bibliographiques et avoir
répondu à toutes mes questions. Sa disponibilité et sa force de conviction font de lui un
interlocuteur des plus intéressants, il aura énormément apporté à ce mémoire.
Enfin, restent ceux qui ont participé à la conception et à relecture du mémoire, ils
trouvent tous leur place au détour d‟une page et se reconnaitront je l‟espère.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 3
Sommaire
Résumé : .............................................................................................................................. 1
Remerciements .................................................................................................................. 2
Sommaire .......................................................................................................................... 3
Introduction ........................................................................................................................ 5
Partie 1: Confusion entre producteur et consommateur ..................................... 6
A. Personnalisation et customisation : Y a - t - il participation ? ..................... 9
B. Le consommateur qui participe : prosumer et amateur .............................. 12
1) L‟amateur de consommation ................................................................................. 12
2) Le prosumer ............................................................................................................ 16
C. Les consommateurs : ces coproducteurs du futur ...................................... 20
Partie 2: Pourquoi en arrive - t - on à la participation du consommateur ? ... 27
A. Leviers de participation du consommateur .................................................... 29
1) Génération Internet et réseaux de passionnés ................................................... 29
2) Implication du consommateur ............................................................................... 32
B. Conséquences pour l’entreprise ..................................................................... 35
1) Du jeu à la réalité et vice versa : l‟éducation des utilisateurs ............................ 35
2) Le knowledge management et le « pouvoir » du consommateur .................... 41
3) L‟évaluation du « travail » et la rémunération ..................................................... 42
C. Les évolutions du marché : y a - t’il une Longue Traîne ............................. 45
1) Le principe de la Longue Traîne ........................................................................... 45
2) Et si la Longue Traîne n‟existait pas ? ................................................................. 49
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 4
Partie 3: Possibilités et challenges logistiques dans le cadre de la
participation du consommateur ................................................................................... 53
A. Les nouvelles formes d’innovation et de production ................................... 54
1) Le crowdsourcing ................................................................................................... 57
2) Vers l‟Open Source et au delà .............................................................................. 61
B. La gestion des stocks ......................................................................................... 64
1) Les stocks virtuels et la production à la demande ............................................... 65
2) Les stocks numériques .......................................................................................... 68
3) La production à la demande .................................................................................. 70
C. Les canaux de distribution ................................................................................. 72
1) Distribution par le canal Internet ........................................................................... 73
2) Réseaux de distribution physique ......................................................................... 74
Conclusion ........................................................................................................................ 77
Annexes ........................................................................................................................ 80
Annexe 1) Statistiques Wikipédia ................................................................................ 80
Annexe 2) Consultation du stock d‟IKEA en temps réel ............................................ 82
Annexe 3) Interview de Thierry Maillet ........................................................................ 83
Annexe 4) Statistiques iTunes ..................................................................................... 85
Biliographie ....................................................................................................................... 86
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 5
Introduction
Qui est le consommateur ? Le marketing et la théorie économique ont cherché et
cherchent encore à cerner sa personnalité et son comportement. Selon Pinto (1990)1 le
consommateur est « un agent économique mû par une logique spécifique souvent
associée à l‟utilité », que la science économique analyse par élimination des facteurs
dits « exogènes » de la décision d‟achat. La nature de cette utilité oppose le
consommateur au producteur : si le consommateur retire une valeur d‟usage de la
consommation (associée à l‟expérience de consommation que vit le consommateur), le
producteur dégage de la valeur d‟échange (prix du bien associé à la transaction). Le
consommateur, selon Marx (Borchardt, 1919)2, n‟a pas conscience de la valeur d‟usage
de son expérience car il tend uniquement vers la consommation. Ces deux figures
classiques semblaient ne jamais se recouper.
Cependant en 1980 apparaissait pour la première fois dans le discours d‟Alvin Toffler3
la notion de prosumer : un individu qui serait à la fois producteur (producer) et
consommateur (consumer). Depuis d‟autres consommateurs alternatifs sont apparus
dans la littérature : le consommateur participatif (Maillet, 2008) 4 , le co-producteur
(Dujarier, 2008)5 ou l‟amateur (Assouly et al, 2010)6. Cette littérature suppose que le
consommateur peut être intégré à l‟entreprise ou que certaines fonctions de l‟entreprise
peuvent être externalisées vers les consommateurs. D‟abord rattachée uniquement au
monde des services, dans lequel les consommateurs se trouvent impliqués dans la
réalisation de l‟offre, cette « utilisation » du consommateur est désormais appliquée à
d‟autres domaines. Au centre de la réflexion : la participation active du consommateur à
la création de valeur est- elle ou non une forme de travail ? Cette nouvelle figure du
consommateur semble échapper à l‟emprise du producteur et créer de la valeur. Mais le
consommateur peut- il « travailler » et alors comment évaluer son travail et quel impact
cela a- t- il sur les différents maillons de la chaine logistique?
Pour répondre à ces questions nous articulerons ce mémoire en trois parties. Dans une
première partie nous verrons d‟abord le rôle classique de la figure du consommateur,
puis nous étudierons le brouillage entre les rôles de consommateur et de producteur à
travers les différentes figures citées plus haut. Notre deuxième partie tentera de
retranscrire le contexte dans lequel évolue cette nouvelle génération de
consommateurs et les leviers qui rendent possible sa participation. Enfin nous axerons
notre troisième partie sur l‟étude de cette participation pour déterminer la place du
consommateur final au sein des maillons de la chaine logistique, les avantages et les
limites de sa collaboration.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 6
Partie 1: Confusion entre producteur et consommateur
La théorie économique considère qu‟un individu est consommateur lorsqu‟il exprime
une demande rationnelle sur un marché. Motivé par la satisfaction qu‟il peut retirer de la
consommation, le consommateur rationnel est capable de d‟identifier et prioriser ses
préférences. Afin d‟étudier ses choix les économistes ont d‟abord raisonné dans un
environnement certain, laissant de côté la réalité de la consommation. Le postulat de la
théorie économique est alors simple : face à un choix entre plusieurs paniers le
consommateur retient celui qu‟il préfère en tenant compte de sa contrainte budgétaire
(Varian, 1982)7 . En environnement incertain il était plus difficile de comprendre le
comportement du consommateur, d‟où le développement de la notion d‟utilité espérée
par Von Neumann et Morgenstern (1944) 8 pour tenter de mieux représenter la
rationalité des choix. Cette approche économique du consommateur est basée sur une
figure de consommateur - optimisateur qui exclut les facteurs dit « exogènes » ou
« subjectifs » de la décision d‟achat, comme les goûts ou les convictions éthiques
(Hirschman, 1983) 9 . Elle cherche à décrire le comportement « objectif » du
consommateur au sein de l‟activité économique.
L‟analyse marketing procède différemment et cherche à expliquer le comportement du
consommateur en tenant compte de l‟aspect psychologique de la décision d‟achat. Les
décisions d‟achat sont prises pour répondre à des besoins, qui doivent être reconnus et
transformés en motivations pour mener à une décision (Guichard et Vanheems,
2004)10. Or si on reprend la pyramide des besoins, développée à partir des travaux de
Maslow (1954) 11 , on constate qu‟ils sont influencés par des facteurs exogènes.
Figure 1 - Pyramide des besoins de Maslow (adapté de Guichard et Vanheems, 2004)
besoin de réalisation de soi
besoin d'estime
besoin d'appartenance
besoin de sécurité
besoin physiologique
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 7
Les besoins supérieurs, comme le besoin de réalisation de soi, d‟estime ou
d‟appartenance, varient énormément d‟un individu à l‟autre. Comme l‟avait souligné
Herbert Simon (1955)12, les individus ne sont rationnels que compte tenu du référentiel
dans lequel ils évoluent. Etudier le comportement du consommateur, dans sa prise de
décision, du point de vue du marketing requiert donc une définition plus large que la
définition de Varian.
Engel, Kollat et Blackwell (1982) 13 définissent le comportement du consommateur
comme l‟« ensemble des actes des individus directement reliés à l'achat et à l'utilisation
de biens économiques et de services, ceci englobant les processus de décision qui
précèdent et déterminent ces actes ». Une fois le problème reconnu, le consommateur
s‟orientera vers la recherche d‟information influencé par ses croyances concernant les
marques qu‟il connait, son environnement, le risque perçu et les facteurs situationnels.
Il faut donc étudier ces facteurs pour mieux le comprendre.
Le premier objet d‟étude du marketing fut la ménagère de moins de 50 ans (Pinto,
1990). Personnage emblématique du marketing elle respecte des vertus domestiques
et est donc chargée de « gouverner » la maison tandis que l‟homme se tourne vers
l‟entreprise (Weber, 1964) 14 . Ce raisonnement oppose l‟environnement privé (ou
« Haushalt ») à celui de l‟entreprise (ou « Beitrib »), auquel est associé une logique
capitaliste d‟acquisition du profit. Le ménage semblait alors soustrait à la logique du
marché (Pinto, 1990).
La figure du consommateur s‟est construite en opposition avec la ménagère, atténuant
le contraste entre masculin et féminin et le lien avec la famille traditionnelle présentée
par la religion. Aujourd‟hui, certains marketers continuent à faire référence à la
ménagère mais la consommation de masse a entraîné « une restructuration de la
sphère domestique » (Pinto, 1990). Auparavant rattachée à cette sphère, la
consommation s‟en détache progressivement pour se rapprocher de la sphère non
domestique (consommation de services de santé, de produits financiers,…). Selon
Cova et Dalli (2009) 15, les consommateurs sont en quête d‟identité et cherchent à se
définir par la consommation. Les choix décrits par la théorie économique sont donc
mûrement réfléchis et font parti d‟une stratégie de construction d‟identité. Cette identité
de consommateur pourrait-elle se confondre avec celle du producteur ?
Comme l‟ont fait remarquer Cova et Dalli, un producteur est celui qui perçoit un revenu
généré par le marché. Le consommateur ne sera donc jamais un producteur à part
entière. Cependant une littérature récente annonce la confusion des rôles et
l‟avènement d‟un nouveau type de consommateur. Qu‟il soit consom‟acteur (Maillet,
2008), co-producteur (Dujarier, 2008), amateur (Assouly et al, 2010) ou prosumer
(Ritzer, 2005 16 ; Ritzer, 2009 17 ; Ritzer et Jurgensen, 2010 18 ), ce nouveau
consommateur crée activement de la valeur. Alors que la théorie classique du
consommateur le suppose passif, on constate son dynamisme. « Ce n‟est plus [le
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 8
producteur qui vend] ce sont les consommateurs qui achètent » a-t-on entendu lors du
lancement de la Logan en 2005 19
*. Ce consommateur actif n‟est plus complètement
dépendant de l‟offre de produit et il l‟influence autant qu‟il la subit. Pour mieux le
comprendre nous nous proposons d‟explorer dans cette partie les différentes facettes
du consommateur actif qui ont été décrites dans la littérature.
* (Maillet , 2010, p136)19
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 9
A. Personnalisation et customisation : Y a-t-il participation ?
Il ne faut pas confondre customisation et personnalisation, car bien que ces deux
notions soient proches elles n‟en demeurent pas moins foncièrement différentes (Merle,
2005)20. Selon Assouly, la personnalisation des produits est « soit la transformation
artisanale d‟un produit en série par un individu, soit l‟intégration des aspirations
individuelles dans la production » (2007)21. Du point de vue du consommateur, elle
« repose sur une signature narcissique sans exiger la moindre compétence »(2010),
tandis que du point de vue de l‟entreprise, elle s‟apparente plus à une recommandation,
qu‟à une réelle modification du produit ou du service (Tseng et Piller, 2003)22. Il s‟agit
d‟une forme de communication en « one - to - one » aux consommateurs.
Traditionnellement la démarche du marketing s‟effectue en trois temps : segmenter le
marché pour identifier les groupes d‟individus ayant des caractéristiques similaires sur
le marché, cibler un ou plusieurs groupes et se positionner sur le marché de façon à
atteindre la ou les cible(s). La personnalisation utilise une communication
individualisée : l‟entreprise en apprend plus sur le consommateur afin de pouvoir
« prédire » ses prochains achats. Amazon, par exemple, l‟utilise en collectant de
l‟information implicitement (suivi des achats et des habitudes) et explicitement
(questionnaires de satisfaction). De ce fait il s‟agit d‟une recommandation de produits
standards, selon le profil du consommateur, et non d‟une adaptation d‟un produit
standard au profil pour en faire un produit non standard. Ce profil est individualisé et va
au - delà d‟une segmentation marketing classique. Ce besoin de personnalisation du
consommateur déclenche une démarche de customisation par l‟entreprise afin de
répondre à ce besoin.
La customisation de masse, apparue dans les années 1980, peut être définie comme la
production des biens et des services pour répondre au mieux aux désirs individuels du
consommateur, tout en étant presque aussi efficace qu‟en situation de production de
masse* (Tseng et Jiao, 2001) 23. Tseng est revenue sur cette définition avec Piller en
2003 pour la résumer en trois mots : „effective product individualization‟. Ce concept est
donc différent de la personnalisation car il s‟appuie sur le consommateur en lui donnant
plus de liberté (co - design du produit) et de contrôle.
* „producing goods and services to meet individual customer's needs with near mass production
efficiency‟
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 10
Figure 2 - Synthèse des différences majeures entre personnalisation et customisation
Il s‟agit d‟établir un équilibre entre différenciation (co - design, degré de contrôle, acteur
à l‟origine de la différenciation), maintien de la loyauté et efficacité (réduction des
coûts). En combinant l‟efficacité de la production de masse avec une utilité
supplémentaire pour les consommateurs l‟entreprise espère maintenir, voir augmenter,
la loyauté.
Cela peut passer par différents types de customisation (Pine II, 1992) 24 :
La customisation collaborative ou co - création dans laquelle l‟entreprise fait appel
à un marketing personnalisé pour mieux identifier les besoins des consommateurs
afin de mieux y répondre,
La customisation transparente dans laquelle l‟entreprise propose des produits
uniques sans préciser qu‟ils sont customisés,
La customisation cosmétique dans laquelle l‟entreprise grâce à des orientations
marketing différentes customise un produit standardisé,
La customisation adaptative dans laquelle l‟entreprise propose un produit
standardisé customisable par le consommateur final.
Merle, A. (2005), p 6
objet de l'individualisation
acteur à l'origine de l'individualisation
co-design du produit
degré de contrôle du consommateur
degré d'information préalable nécessaire sur le consommateur
Personnalisation
offre ou communication
entreprise
non
faible
fort
Customisation
offre
consommateur
oui
fort
faible
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Figure 3 - Quatre approches de la customisation de masse
Cette typologie illustre bien qu‟il n‟y a pas une stratégie de customisation mais bien de
nombreuses stratégies, qui dépendent du degré auquel l‟entreprise souhaite voir le
consommateur intégrer le centre de la stratégie. Elles peuvent être utilisées
conjointement ou séparément car leur objectif est commun : générer une expérience de
consommation qui amènera le consommateur à acheter de nouveau. De plus il est
possible de combiner personnalisation et customisation de masse afin de démultiplier
leurs effets.
Le cas de Starbucks:
personnalisation et customisation
Créé dans les années 1970, Starbucks connait un succès phénoménal à partir des années
1990. Connu pour ses efforts concernant la relation client, Starbucks a toujours déclaré que
ses salons offraient une « expérience de café » (Starbucks France). De fait, la marque
Starbucks est l’objet d’un engouement, alimenté par une série d’outils mis en place afin de
faire augmenter la loyauté des clients. L’entreprise fait appel { une démarche de
personnalisation et de customisation: { l’aide de la carte de fidélité Starbucks peut suivre {
la trace les achats de ses clients et faire des propositions de nouvelles boissons
standardisées à essayer ou de produits dérivés. Starbucks peut également envoyer au client
des emails personnalisés et des offres adaptées { son profil. Dans ce cas il s’agit bien d’une
opération de personnalisation : le client n’est pas un partenaire actif, il n’a pas le contrôle et
c’est l’entreprise, qui grâce { l’information qu’elle détient sur lui, fait des propositions.
Gilmore et Pine II, 1997, p.95
Changement de produit
Pas de changement de produit
Pas de changement de représentation
customisation transparente
customisation adaptative
Changement de représentation
customisation collaborative
customisation cosmétique
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En termes de customisation, les boissons Starbucks peuvent toutes êtres adaptées à la
demande du client (ajout d’un shot d’expresso, choix du lait, changement de l’arôme du
sirop, …). A partir de composants standards la boisson est adaptée au goût des clients et
mémorisée pour des achats futurs. Dans ce cas le consommateur est actif car il créé sa
propre boisson, le site http://mystarbucksidea.force.com/ propose ensuite aux abonnés de
collecter leurs idées de recettes et de sélectionner les meilleures pour les ajouter à la carte.
La combinaison de cette personnalisation et customisation permet { Starbucks d’avoir une
relation individualisée avec ses consommateurs et contribue largement à son succès.
Selon Tseng et Piller (2003), la combinaison de la personnalisation et de la
customisation de masse a été développée afin de remettre le consommateur au centre
de la stratégie de l‟entreprise. L‟adaptation aux désirs du consommateur est rendue
possible grâce à des systèmes de production avec différenciation retardée et des
réseaux de distribution adaptés, mais c‟est la firme qui vient à lui pour s‟enquérir de son
besoin et adapte son offre. Selon Assouly (2007) cette forme de personnalisation ne
serait qu‟une forme de segmentation poussée à l‟extrême, qui ne requiert pas
l‟intervention réelle du consommateur. Le consommateur ne deviendra actif que lorsque
les segments auront disparus pour laisser la place à un consommateur - amateur, qui
construit lui - même son profil.
B. Le consommateur qui participe : prosumer et amateur
1) L‟amateur de consommation
L‟amateur se définit comme celui « qui aime, recherche (certaines choses, certaines
activités) pour son seul plaisir (et non par profession) » (Heilbrunn, 2010) 25 . Par
conséquent, c‟est une personne non professionnelle, mais qui s‟autorise le jugement
car elle a développé une forme d‟expérience par rapport à l‟objet de son « amour ».
Historiquement cette notion apparaît avec les amateurs de l‟académie de peinture
autour du XVIIe siècle. Ceux - ci jouaient alors un grand rôle dans la diffusion et
l‟appréciation des œuvres d‟arts se faisant porte paroles de leurs peintres de
prédilection (Guichard, 2010)26. L‟amateur d‟alors médiatise la peinture en s‟appuyant
sur sa pratique de cet art. C‟est cette pratique qui lui permet d‟apprécier réellement la
nature de l‟art et de justifier son jugement. Au XVIIIe siècle, l‟amateurisme s‟étend à
d‟autres arts comme la littérature, le discours de l‟amateur repose alors non plus sur
une pratique mais sur l‟appréciation des qualités de l‟œuvre. On se dirige alors vers un
jugement plus abstrait qui n‟est plus basé sur une pratique de l‟activité aimée.
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Aujourd‟hui, cette définition s‟est étendue à d‟autres domaines, artistiques ou non,
toutefois est-il possible d‟être amateur de consommation?
Avec le développement des produits standardisés, la consommation se massifie et le
rapport aux objets change. Les consommateurs doivent donc établir un rapport aux
objets autre que subjectif pour reprendre le contrôle de leur consommation. Cela passe
par un développement de « compétences » qui permettent au consommateur actif
d‟être juge de la consommation. Cela implique également une réappropriation des
objets convoités, selon le marketing expérientiel.
Le marketing expérientiel apparait au milieu des années 80 dans un article de Holbrook
et Hirschman (1982)27, il marque la fin de la conception utilitariste de la consommation.
Repris ensuite par plusieurs auteurs (Badot et Cova, 199528 ; Firat et Dholakia, 199829),
il est pour Hetzel (2002)30 une piste de réflexion pour le marketing du futur, une rupture
avec le marketing traditionnel. Selon le marketing expérientiel l‟individu consomme « le
sens des produits » et non les produits en eux - mêmes (Cova et Caru, 2006)31. De ce
fait, l‟expérience de consommation est « une immersion dans des moments
expérientiels faits de rencontres enchantées, spectaculaires et multi - facettes » (Firat et
Dholakia, 1998). Ce courant rapproche marketing et sociologie, posant le ré -
enchantement comme une échappatoire à l‟aliénation de Marx (Borchardt, 1919). Le
consommateur, en vivant une expérience de consommation, va au - delà de la valeur
d‟usage. Si l‟objet peut être apprécié pour sa valeur fonctionnelle ou hédoniste * ,
l‟expérience créé également de la valeur en permettant au consommateur d‟être
autonome dans sa création et de se réapproprier l‟objet.
Le marketing expérientiel s‟appuie sur différents types d‟expérience de consommation :
les expériences conduites presqu‟entièrement par les consommateurs
dans lesquelles le rôle des consommateurs est de projeter des valeurs
(culturelle, symbolique ou fonctionnelle) sur les objets ordinaires,
les expériences qui impliquent un partage des rôles entre consommateurs
et producteurs (comme le tourisme),
les expériences pour lesquelles l‟entreprise fournit les produits ou services
auxquels elle attache des valeurs. C‟est souvent ce que font les marques
de sport ou de mode en intégrant le consommateur dans une expérience
(Firat and Dholakia, 1998).
* Relève de l‟hédonisme, c'est-à-dire un système philosophique qui fait du plaisir le but de la vie, une motivation de l'activité économique par la recherche du maximum de satisfaction par le minimum d'efforts. (Source : dictionnaire Larousse)
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On distinguera toutefois la production d‟expérience du marketing expérientiel : le
marketing expérientiel cherche à faire vivre aux consommateurs des expériences
inoubliables et à les transformer par l‟expérience. Trop souvent le marketing
expérientiel a réduit son champ d‟analyse à l‟expérience en elle - même, biaisant ainsi
la réflexion, car l‟expérience se poursuit avant et après l‟action. Le consommateur
s‟approprie l‟expérience de consommation en transformant et personnalisant cette
expérience (Filser, 200232; Ladwein, 200233), ainsi que la réflexion qui la précède et la
suit. Cependant «comment […] donner du sens à un produit industriel dupliqué à l‟infini
de façon identique? » (Heilbrunn, 2010).
De ce fait, le marketing expérientiel atteint ses limites : projeter des significations est
une action du consommateur. Ces significations ne peuvent être influencées par le
produit mais la projection en elle - même vient du consommateur. Maillet parle alors de
marketing participatif (2008). Le marketing participatif va au - delà du marketing tribal
(Cova et Cova, 2002)34 , qui donne pour tache au marketer d‟identifier les liens de tribus
qui existent dans les sociétés d‟aujourd‟hui, et du marketing comportemental, qui se
base sur la segmentation. Il propose de prendre en compte le degré d‟implication
volontaire du consommateur dans le processus, se rapprochant ainsi du courant de
societing (Cova, Badot et Bucci, 2006)35. Encore une fois marketing et sociologie sont
rapprochés pour sortir le consommateur du marché et s‟intéresser à lui au sein de la
société. La consommation de masse ne serait plus alors créatrice de produits communs
et indifférenciés mais source d‟authenticité pour le consommateur, qui en se
réappropriant ces objets détournerait la banalité du quotidien.
Le cas de Mi Adidas :
les amateurs de chaussures
Adidas est l’une des cinq plus grandes marques de chaussures de sports sur le marché avec
Nike, Puma, Reebok et Asics. Depuis de nombreuses années ces marques se sont
concentrées sur le développement de nouveaux produits et la reconnaissance de tendances
sur le marché, externalisant la production chez des partenaires afin de pouvoir réaliser des
économies d’échelle. En 1999 le marché est en perte de vitesse, les consommateurs se
tournent de plus en plus vers des marques plus orientées mode ou moins chers.
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Adidas réagit en proposant plus de choix, créant ainsi des stocks de produits inutiles à
obsolescence rapide. Ces produits alourdissaient la Supply Chain en nécessitant une
production en quantités plus petites et des transports adaptés. Adidas réalisa bientôt que
ce mode de production basé sur des stocks non seulement ne lui permettait pas de
regagner les parts de marché perdues au profit d’autres marques, mais représentait
également des coûts supplémentaires. L’entreprise se tourna donc vers la customisation de
masse au milieu des années 1990 et lança Mi Adidas en 2001. Le programme propose aux
consommateurs de créer leurs chaussures à partir de composants standards Adidas et de
les personnaliser en magasin ou lors d’évènements organisés par Adidas, pour un prix
environ 30% supérieur à la moyenne. Les chaussures commandées sont faites à la
commande (made - to - order au lieu de made - to - stock) en Asie puis expédiée en trois
semaines maximum chez le client.
Les consommateurs savent souvent mieux qu’Adidas ce qui leur convient et segmentent
d’eux - mêmes le marché bien plus précisément que ce qu’Adidas aurait pu faire sans leur
aide. Sur le site de design des chaussures http://www.miadidas.com/, on retrouve les
critères de segmentation habituels : sport pratiqué : golf, basketball, football, course,
tennis ; sexe : féminin ou masculin ; modèle : microbounce, indoor, supernatural, … ; couleur,
… Mais grâce { l’étude des achats des utilisateurs du site, Adidas a été capable de proposer
plusieurs axes de segmentation supplémentaires, comme des chaussures adaptables à tous
les sports associés à des styles de vies : Mi Samba USA, Mi Samba Blue ou Mi Nizza Leather.
Ces chaussures ne sont pas associées à un modèle, un sport ou une couleur en particulier,
elles sont associées à un style de vie ou lifestyle, dans lequel le consommateur se reconnait.
D’autres consommateurs avant lui ont personnalisé la chaussure, leurs contributions
apparaissent dans la marge afin de l’orienter dans son choix. Ces consommateurs créent
alors une communauté d’amateurs autour de cette chaussure { la fois unique et commune.
Dans notre exemple, le consommateur avait du mal à s‟approprier la chaussure
devenue un produit commun et peu différencié. Les amateurs de chaussures en créant
leur propre objet changent sa valeur. Ils projettent par conséquent des symboliques
collectives et individuelles sur les objets de consommation pour en redéfinir le sens. Ce
n‟est plus une chaussure : c‟est « la chaussure » du client, ce qui représente un
supplément de valeur, lié à l‟expression de soi (Merle, 2005) permettant d‟exprimer son
identité. Au - delà de la projection de symboliques et de la relation du consommateur
avec la marque ou le produit, le consommateur redevient un sujet qui se caractérise par
sa capacité de choix. Ce sujet échappe au schéma classique de consommation par le
biais de ruses et de tactiques qui lui permettent de s‟approprier les objets. C‟est
notamment vrai dans le cadre de participation du consommateur à la réalisation
physique de l‟offre. Bien que nous nous concentrions sur la customisation par le biais
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 16
d‟une offre marchande, il en existe d‟autres types. L‟amateur peut également
« bricoler » lui - même le produit (De Certeau, 1980) 36 . La participation du
consommateur fait partie intégrante de l‟offre de meubles en kit à monter soi - même
des fournisseurs d‟ameublement (IKEA, Conforama, Fly, …). Dans son étude de
l‟expérience de coproduction des meubles en kit, Antoine Carton (2008)37 a montré
qu‟en participant à la réalisation de l‟offre de produit, le consommateur était à l‟origine
de sa propre expérience. Or dans son étude chacun des participants s‟est réapproprié
l‟objet d‟une manière différente, le rapport au manuel notamment différait sensiblement
d‟un individu à l‟autre. En utilisant le mode d‟emploi à sa manière le consommateur
reprend le contrôle sur son expérience. Peut-on cependant dire qu‟il s‟agit d‟une
révolution ? En ce qui concerne l‟offre marchande de customisation, Internet bouleverse
la relation classique entre production et consommation. Pour l‟amateur c‟est une
nouvelle forme de médiation entre production et consommation : « nouvelles forme de
partage, production et diffusion des compétences » (Assouly, 2010). L‟avenir est-il dans
la prosumption ?
2) Le prosumer
Ritzer (2009) définit la prosumption comme un équilibre entre production et
consommation. Selon cet auteur, à partir de la révolution industrielle la production a
dominé la consommation (Ritzer et Jurgensen, 2010). Bien que complémentaire, la
consommation ne devient dominante que deux siècles plus tard, après la seconde
guerre mondiale. Elle donnera naissance à la société de consommation (Baudrillard,
1970) 38 dans laquelle les individus cherchent à s‟entourer d‟objets. Le terme de
prosumer est attribué à Alvin Toffler (1980), qui le définit comme faisant partie d‟une
troisième vague qui met fin à la séparation entre production et consommation. Pour lui,
la prosumption est née dans les sociétés pré - industrielles. La première vague, celle de
l‟industrialisation des sociétés, y mit fin et assura la domination de la production sur la
consommation. Il n‟y a pas de consommateur dans le discours du XVIIIe siècle, celui - ci
n‟apparait que par la suite lors de la seconde vague. Le XIXe siècle marqua un retour
vers la consommation, séparant les consommateurs et les producteurs, tels que nous
les connaissons. La prosumption préexistait donc aux autres formes de dominance.
La troisième vague réintégrerait le consommateur dans le processus de production afin
de rééquilibrer production et consommation. Elle prend son essor avec la naissance du
fast-food (Ritzer, 2009) pour poursuivre son développement à travers la télé - réalité ou
l‟encyclopédie collective (Wikipédia). Est-ce pour autant une révolution?
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 17
Robert H. Anderson a dit: “The most creative thing a person will do 20 years from now
is to be a very creative consumer… Namely, you’ll be sitting there doing things like
designing a suit of clothes for yourself or making modifications to a standard design, so
the computers can cut one for you by laser and sew it together for you by NC
machine…” *
Cette description de la prosumption donne une importance nouvelle aux
consommateurs, qui en devenant créatifs s‟approprient leur liberté (Zwick et al, 2008)39
et suppriment des intermédiaires. Les seuls intermédiaires entre l‟entreprise et le
prosumer sont les ordinateurs qui permettent la production. Il est important de retenir
leur rôle dans la citation de Robert H. Anderson, car c‟est sur cette base que Ritzer et
Jurgensen distinguent deux types de prosumers.
Les prosumers traditionnels, qui se servent eux - mêmes de l‟essence, jettent leurs
déchets après un repas au fast-food (Ritzer, 2008)40 ou déclenchent la production de
leurs tickets de métro, sont opposés aux nouvelles formes de prosumption (notamment
celles associées à l‟utilisation du web). Les prosumers traditionnels ne constituent pas
un changement radical dans l‟économie (ou le capitalisme)†, d‟ailleurs Kotler (1986)41
les considère comme des consommateurs (« Prosumers : A New Type of Consumer »).
Dans cette forme de prosumption, il est difficile pour le consommateur d‟exercer les
options de « voice » ou « exit » (Hirschman, 1983).
Les prosumers traditionnels :
le cas des caisses automatiques chez Casino
En 2005, le groupe Casino est le premier à lancer sur le marché français les caisses « self
check out » (SCO), grâce à la collaboration de TOSHIBA TEC et Scangineers, dans toutes ses
formes de distribution.
* Robert H. Anderson, Head Information Systems, RAND Corporation, cité dans “Third Wave”, de Toffler,
A. (1980) p. 274
† Le point de vue adopté par Ritzer et Jurgensen est de démontrer l‟influence de la prosumption sur le
capitalisme
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 18
Regroupant au sein du groupe des hypermarchés (Géant Casino), des supermarchés et des
enseignes de proximité (Supermarché Casino, Monoprix, Petit Casino, Franprix, Naturalia,
Spar), et des discounters (Leader price), le groupe a pu s’imposer rapidement comme le
leader dans la proposition de ce type de caisse.
Leur utilisation est une forme typique de prosumption traditionnelle : arrivé { l’étape finale
de l’expérience de consommation (la transaction), le consommateur est l’artisan principal
de sa satisfaction. Une fois parvenu devant la caisse, il procède à la lecture des codes barres
des articles qu’il a choisi puis au choix du mode de paiement et éventuellement { la
construction de panels de consommation grâce au scan de sa carte fidélité. Ce faisant, il met
à jour les stocks du magasin en temps réel, grâce au lien par EDI, et accomplit le travail
simple d’un caissier. La réalisation de cette tâche s’accompagne toujours d’une implication
importante du client : volonté d’être rapide, pression sociale due aux autres clients qui
patientent et au regard de l’hôte de caisse résolvant les problèmes, … Pour cette forme de
« production » il ne reçoit ni salaire, ni reconnaissance : il est « normal » qu’il effectue ce
travail puisque c’est lui qui recherche ce type de caisse, que ce soit par impatience, pour
éviter l’échange avec les caissiers ou par volonté de « travailler ». Le consommateur peut
refuser de faire appel à ces caisses : il passera alors par des caisses traditionnelles et aura
un contact avec l’hôte de caisse.
Depuis ce premier pas, plus de 80% des enseignes de grande distribution développeraient
des projets de SCO. Dans ce domaine deux grandes innovations sont attendues : l’évolution
du code à barre et les progrès de la RFID* (radio frequency identification), ainsi que
l’abaissement des coûts associés { cette technologie. Malgré tout, Casino rappelle que les
deux formes de caisse sont complémentaires : le SCO ne remplacera pas les caisses
traditionnelles, (opinion également partagée par Giovanni Bandi, vice président Europe
NCR, dans LSA en mai 2008).
A l‟inverse les nouvelles formes de prosumption sont une source unique de surplus de
valeur. Ces nouveaux prosumers semblent réunir les deux rôles : à la fois producteur et
consommateur. Son rôle de producteur dans le processus de consommation peut
prendre plusieurs formes : finir la conception du produit (télécharger, installer et
démarrer un logiciel de composition de musique amateur), apprendre à utiliser le
produit (ce nouveau logiciel pourra être simplifié à l‟extrême, le consommateur devra
* « Le terme RFID désigne un système d'identification qui comprend une étiquette électronique (ou tag),
pour mémoriser des informations, et un lecteur. […]. Une solution complète de RFID comprend les
étiquettes, les lecteurs et encodeurs et l'intergiciel (middleware). Ce dernier permet d'intégrer le flux des
données dans le système d'information de l'entreprise. » Source : www.rfid.org
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 19
toujours faire un effort pour le comprendre et le maitriser), participer à l‟expérience de
consommation, … (Ritzer, 2009). Le web permet à de nombreux consommateurs de
devenir des prosumers en mettant à leur disposition des outils et des modèles de
production adaptés à leur échelle. Cependant, dans ces formes de prosumption, les
consommateurs sont bien producteurs mais la majeure partie du profit ou sa totalité
appartient à l‟entreprise.
Les nouveaux prosumers :
le cas de l’encyclopédie Wikipédia
L’encyclopédie Wikipédia a été fondée le 23 mars 2001, elle repose sur l’idée de proposer
« un contenu libre, neutre et vérifiable que chacun peut éditer et améliorer ». Aujourd’hui
Wikipédia est alimentée par 282 887 auteurs actifs et compte plus de 9,25 millions
d’articles en ligne dans 250 langues. Si elle était imprimée sur papier elle représenterait
1058 volumes (Source : Wikipédia.com). Bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, elle
représente une expérience de prosumption intéressante : simple d’utilisation, elle est
interactive et très complète. Pour agir sur le contenu, l’internaute n’a qu’{ s’inscrire au site,
puis procéder à ses modifications et à publier. Celles - ci sont ensuite accessibles à la
modification pour d’autres utilisateurs, qui se corrigent les uns les autres : comme le
précise le message de bienvenue aux nouveaux utilisateurs : « N'ayez aucune crainte
d'abîmer Wikipédia : toutes les modifications sont suivies par des contributeurs plus
expérimentés qui pourront corriger vos éventuelles erreurs. Ne vous offensez pas de ces
interventions ni des messages destinés à vous aider à comprendre le projet et ses règles.
Suivez leurs conseils et n'hésitez pas à demander simplement plus d'explications ».
Wikipédia divise chaque article en plusieurs parties et propose { l’utilisateur de procéder
aux modifications { l’aide d’un outil proche d’un traitement de texte classique, uniquement
accessible aux membres inscrits. L’utilisateur peut ainsi décider de suivre l’article, de
consulter l’historique de modification ou de participer { une discussion le concernant en
cas de désaccord. De cette participation de la communauté découle une forme d’émulation,
qui améliore la qualité globale du site. Cette forme de prosumption est exécutée par des
utilisateurs pour leur bénéfice propre et celui des autres, cependant c’est Wikipédia qui, en
agissant comme une plateforme, retire la majeure partie du profit associé à cette
prosumption.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 20
Cependant, ces nouveaux prosumers, ou prosumers digitaux, ne peuvent pas être
contrôlés comme le seraient des employés : ils résistent et cherchent leur intérêt
individuel plutôt que l‟intérêt collectif. De plus, la contrepartie du travail de ces
prosumers est faible ou nulle et pas forcément monétaire, puisque les prosumers
semblent aimer et rechercher cette collaboration (Ritzer et Jurgensen, 2010). Ce point
de vue, qui rejoint la notion d‟amateur que nous avons vue dans le paragraphe
précédent, est déroutant : comment gérer des prosumers qui ont des buts différents et
ne travaillent pas pour une rémunération ? Selon Keen (2007)42 le règne de l‟amateur et
donc la confusion entre consommation et production n‟a pas lieu d‟être : « If we are all
amateurs, there is no experts »*. Non seulement les prosumers sont incontrôlables mais
la qualité de leur travail ne peut être garantie. Pour lui le prosumer propage l‟ignorance
et la désinformation par le biais d‟outils web comme Wikipédia. Cependant, la
prosumption est un tournant car elle n‟est pas basée sur la rareté (Weber, 1968)43,
concept à la base de toute domination de l‟offre ou de la demande (de la production ou
de la consommation). Au contraire, la prosumption suppose une économie d‟abondance
dans laquelle il est inutile de maximiser (le profit) ou de minimiser (les coûts). Le but de
la prosumption est donc d‟améliorer l‟adéquation des produits aux besoins des deux
parties grâce à des ressources illimitées. La qualité de certains articles Wikipédia est
certainement assez médiocre, mais la qualité moyenne de l‟ensemble du site est plutôt
bonne (Anderson, 2008). En effet le site internet est régulièrement mis à jour et
complété par des prosumers zélés†. Contrairement aux encyclopédies papiers ou sur
cd - rom, qui sont publiées chaque année, Wikipédia n‟est pas limitée par des délais de
publication, de nouveaux articles sont écrits quotidiennement. Les amateurs ou
prosumers sont et restent des non professionnels mais leur capacité collective dépasse
celle que pourraient avoir des employés payés à produire le même type de résultat. On
peut alors se demander si les consommateurs d‟aujourd‟hui ne sont pas les employés
de demain : des coproducteurs.
C. Les consommateurs : ces coproducteurs du futur
Précédemment dans ce mémoire nous avons considéré que lorsque le consommateur
- amateur participe à la consommation il s‟agit pour lui d‟une forme de réappropriation
des objets et de mise en adéquation de biens de consommation indifférenciés à ses
goûts propres. Dans cette hypothèse le consommateur reste un non professionnel : « il
cultive son dilettantisme » (Assouly, 2010). Or lorsqu‟il « prosume » l‟individu n‟est-il
* Voir à ce sujet le reportage de BBC 2 Newsnight accessible en ligne :
http://www.bbc.co.uk/blogs/newsnight/2007/06/the_cult_of_the_amateur_by_andrew_keen_1.html
† Voir Annexe 1 – Statistiques de mises à jour de Wikipédia
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 21
pas mis à contribution ? Selon Dujarier (2008), il y a bien un travail du consommateur :
lorsqu‟il devient coproducteur l‟individu s‟engage dans la réalisation de l‟offre et effectue
donc une forme de travail. Mais qu‟est ce qu‟un coproducteur ?
La notion de coproducteur est issue du monde des services, dans lequel les
consommateurs peuvent être engagés dans la production du service dont ils font
l‟acquisition. En effet leur accord est nécessaire pour mener à bien la production.
Présenté en termes de personnalisation (Solomon et al, 198544; Surprenant et Solomon,
198745) par certains le rôle du consommateur n‟est pas toujours clair. Brudney et
England définissent le « producteur consommateur » (1983) 46 , par opposition aux
employés des entreprises qui offrent le service, définis comme des « producteurs
habituels ». La valeur perçue du service et la satisfaction du client augmentent avec son
implication. Lorsque le « consommateur - producteur » et le « producteur habituel »
sont réunis en un seul individu, Brudney et England considèrent qu‟il coproduit. Une fois
cette définition de la coproduction de service établie, elle est étendue aux produits,
suivant la logique d‟Alderson (1957)47 « ce n‟est pas tant la possession des biens en
eux - mêmes qui importe, mais le service qu‟ils peuvent nous rendre ». Rodie et Kleine
(2000)48 définissent alors la coproduction comme « les actions du consommateur qui
participent à la production et à la délivrance d‟un produit ou d‟un service », élargissant
ainsi son spectre.
Cette idée est renforcée par un courant de pensée marketing appelée « service -
dominant Logic » (S - D Logic) dont Lusch et Vargo (2004)49 sont les pionniers. Ils
définissent le marketing comme une série de processus qui permettent à l‟entreprise
d‟être compétitive en utilisant les ressources à sa disposition. L‟une des caractéristiques
de cette approche réside dans son opposition à la séparation traditionnelle entre biens
et services. Celle - ci définit les biens comme matériels (unités de biens de la théorie
microéconomique) par opposition aux services immatériels. De ce fait, alors que le
marketing classique (ou goods - dominant) voit les consommateurs comme des objets
qu‟il faut influencer et capturer, l‟approche S - D Logic les voit comme des partenaires,
au même titre que les autres membres de la Supply Chain. Lusch et Vargo (2006)50
considèrent que le consommateur est toujours cocréateur de valeur et Grönroos
(2000)51 ajoute que « les fournisseurs ne délivrent pas de valeur aux consommateurs,
mais supportent la création de valeur faite par les consommateurs en générant des
processus pour ces consommateurs. »*
C‟est donc une collaboration proche d‟une intégration du consommateur au sein de la
firme (Moeller, 2008)52. Selon Cova et Dalli (2009), en participant à la réalisation de
* „suppliers do not deliver value to customers; they support customers‟ value creation in value-generating
processes of these customers‟
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 22
l‟offre les consommateurs développent des compétences et se transforment en
employés partiels (working consumers), notamment grâce à Internet. Ce travail s‟appuie
alors sur l‟implication des consommateurs, définie comme « l‟importance objective et
relative d‟un produit pour un consommateur » (Cermak et File, 1994)53. C‟est cette
implication qui permet au consommateur d‟avoir une meilleure expérience du service
(Groth, 2005)54 et entraîne une réduction des coûts pour l‟entreprise. Celle - ci peut
alors considérer le consommateur comme un agent interne (Manolis, 2001)55 et non
plus comme un simple receveur externe de valeur. Il est un partenaire actif, qui
participe à la production d‟une offre de produit ou de service. Avec le développement du
C2C (customer to customer), la perception de ce travail se renforce. Les
consommateurs - amateurs revendent leurs acquisitions et deviennent des
professionnels. Sur eBay, par exemple, de nombreux acheteurs sont également
vendeurs et vice - versa. Le consommateur, qui produit le bien développe des
compétences spécifiques (promotion de l‟annonce, capacité de négociation,
optimisation des livraisons, …) qui lui permettent de se positionner comme un
producteur presque à part entière.
Une coproduction de meubles en kit
Le cas des meubles IKEA
IKEA fait parti des leaders sur le marché de l’ameublement { bas prix, avec un chiffre
d’affaire de 21,5 milliards d’euros en 2009. En France, le géant suédois est en concurrence
avec d’autres grands magasins d’ameublement tels que Fly, Conforama ou Alinéa sur des
meubles du même format. Ces meubles doivent leur apparition dès 1956 { l’invention des
paquets plats, qui facilitent le stockage et réduisent les emballages. Les paquets plats
seront la marque de fabrique d’IKEA pendant de nombreuses années jusqu’{ ce que l’idée
en soit copiée par la concurrence.
De ce fait, les produits doivent par la suite être montés par les acheteurs des meubles, qui
réalisent ainsi une coproduction active. Les consommateurs participent en se déplaçant
dans le magasin - entrepôt pour récupérer leur produit, puis en mettant à disposition le
transport qui l’acheminera { destination et en donnant de leur temps pour procéder au
montage. En échange, IKEA offre une gamme de produits diversifiés à un prix inférieur à la
moyenne.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 23
Plus les consommateurs seront investis dans le processus de coproduction, plus leur
expérience de consommation se révèlera positive et les engagera à renouveler leur achat.
IKEA ne construit aucun meuble en magasin (sauf ceux dédiés à servir de vitrine) et
dispose d’un service de montage { domicile (pour un prix supplémentaire). Les clients
d’IKEA sont donc des partenaires { part entière { qui on offre de l’aide (vis ou plans de
montage supplémentaires) mais qui doit faire face seul à un problème (« mon meuble est
monté et il me reste une vis, qui n’a { priori aucune utilité »). De ce point de vue, on peut
donc considérer les clients IKEA comme des employés partiels qui n’ont pas d’équivalents
dans l’entreprise, mais qui sont tout de même encadrés dans la réalisation de leur mission.
Toutes les coproductions ne sont pas pour autant créatrices de valeur : elles doivent
prendre une certaine forme. Ritzer (2009) parle de mettre le consommateur au travail
(« put the customer to work ») dans son étude de la McDonalisation, selon lui pour que
le consommateur devienne un employé efficace il doit être encadré et on doit lui donner
les outils qui lui permettront de s‟organiser. Dujarier (2008) formalise ce point en
proposant plusieurs formes de travail :
L‟autoproduction dirigée : forme d‟externalisation dans laquelle l‟entreprise
délègue au consommateur des actions simples qu‟il peut réaliser à l‟aide d‟un
automate,
La coproduction collaborative : collecte d‟informations par l‟entreprise avec
l‟accord explicite du consommateur afin de réaliser des panels pour l‟entreprise,
Le travail d‟organisation : solutions pratiques élaborées par le consommateur
pour répondre à un problème ou résoudre une contradiction.
Dans ces deux premières formes de « travail » l‟entreprise donne au consommateur
des outils (automate et outil de collecte de données) qui lui permettent de réaliser sa
mission. En ce qui concerne la dernière forme, elle s‟apparente à un véritable travail du
consommateur, en lui demandant un rôle actif dans la réalisation de l‟offre. La
coproduction est une notion peu reconnue : qu‟il s‟agisse d‟un travail d‟organisation, de
coproduction collaborative ou d‟autoproduction dirigée, consommation et production
semblent être séparées, car le travail créé une possible aliénation. Est - ce parce que le
travail du consommateur est immatériel (Lazzarato, 1997)56 qu‟il n‟est souvent pas
reconnu ? Evan et Cova (2008)57 déclarent que le marketing devrait prendre en compte
cette forme de travail, bien qu‟elle soit immatérielle, et la rémunérer. Selon ces auteurs,
ne pas le faire revient à disposer de ce « travail » comme d‟une ressource gratuite au
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 24
lieu de reconnaitre sa valeur. Le consommateur n‟est pas roi, il ne serait qu‟un
instrument entre les mains d‟une entreprise qui chercherait à faire de lui une nouvelle
forme d‟employé. Cette critique de la consommation postule que, stressé par un
contexte d‟hyperchoix, le consommateur a peu de portes de sorties. Il lui est difficile de
faire reconnaitre son travail dissimulé (comment demander un paiement ou la
reconnaissance du montage de son propre meuble) ou de résister (refuser de passer à
la caisse automatique pour éviter les tâches simplistes que les entreprises cherchent à
externaliser).
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 25
Conclusion de la partie I : Y a- t- il ou non un travail du consommateur ?
On constate que les notions de « customiseur », d‟amateur, de prosumer et de
coproducteur sont proches, elles se différencient selon le point de vue adopté par les
auteurs. Si certains considèrent que le consommateur est « objectivement davantage
instrumentalisé, contrôlé et dépendant du système marchand » (Dujarier, 2008),
d‟autres affirment que par la participation le consommateur s‟approprie quelque chose
autant qu‟il le rend propre à son usage (Heilbrunn, 2010). Y a - t - il pour autant travail
du consommateur ? Reprenons les différentes figures du consommateur que nous
avons étudiées :
Figure 4 - Récapitulatif des différents avatars du consommateur
avatar du consommateur
auteurs étudiés
travail du consommateur ?
consommateur coproducteur
M.A Dujarier B. Cova
ouile consommateur est intégré à
l'entreprise et considéré comme un employé partiel
consommateur amateur
O. Assouly et alT. Maillet
nonle consommateur participe
activement à la consommation mais cette participation ne peut être assimilée à une véritable
coproduction
avatar du consommateur
auteurs étudiés
travail du consommateur ?
consommateur coproducteur
Ritzer G. et Jurgenson N.
ouila prosumption apporte un
équilibre entre consommation et production, le consommateur cumule alors les deux rôles
consommateur amateur
M.M. Tseng F. T. Piller
nonle consommateur apporte sa
touche personnelle aux produits qu'il consomme sans que cela lui
coute un véritable effort
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 26
Il est vrai que les consommateurs sont source de valeur et responsables de sa création
lorsqu‟ils participent à la réalisation d‟une offre de produit ou de service. Toutefois les
consommateurs choisissent indépendamment leurs objectifs et leurs stratégies, à ce
titre leur lien avec l‟entreprise ne peut être assimilé à un véritable partenariat. Comme
nous le disions plus haut concernant le prosumer : personne ne contrôle les
consommateurs dans leur production et la qualité ne peut en être assurée. Cependant,
ce travail immatériel permet au consommateur - producteur d‟influencer l‟offre de
l‟entreprise, seul ou par le biais de communautés d‟amateurs. Cova et Dalli concluent
ainsi leur essai „Working consumers, the next step of marketing theory?‟ : « les
consommateurs ne sont pas des partenaires, ils ne coproduisent pas, mais produisent
une forme de travail immatériel ». Pas de coproducteurs donc mais des travailleurs tout
de même.
Dans ce mémoire nous posons l‟hypothèse qu‟il existe une participation du
consommateur, qui peut s‟assimiler à une forme de travail mais qui s‟affranchit de
l‟aliénation qui lui est traditionnellement associée. Nous l‟étudierons et tenterons de
déterminer son influence sur la distribution de biens de consommation d‟aujourd‟hui et
de demain et sur la logistique qui la soutient. Nous nous intéresserons tout
particulièrement aux formes de participation qui font appel au web.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 27
Partie 2: Pourquoi en arrive-t-on à la participation du consommateur ?
Pourquoi les rôles du consommateur et du producteur se confondent-ils?
Pour étudier la participation du consommateur nous pensons qu‟il est nécessaire de
comprendre le contexte dans lequel elle se développe.
En ce qui concerne la théorie économique, une question importante est soulevée : quel
est l‟avenir du capitalisme ? (Ritzer et Jurgensen, 2010) Les consommateurs qui
participent, semblent se dégager de l‟influence des producteurs et résister à
l‟exploitation. C‟est donc la fin de l‟aliénation par le travail et le renforcement de l‟idée
que le travail fait par les consommateurs est d‟une nature différente. De plus, selon
Anderson (2009), nous sommes passés d‟une économie de consommation de masse à
une massification de la consommation de niches. En d‟autres termes les besoins
individuels des consommateurs, qui forment des niches de marchés, pourront
désormais trouver une réponse adaptée au lieu d‟être agrégés en segment. Ce modèle
économique est basé sur l‟efficience plutôt que sur l‟efficacité, puisque, comme nous
l‟avons vu en première partie, la rareté, c'est - à - dire la « limitation physique des
ressources utiles à l‟homme » (Langlois, 1997)58, tend à disparaitre de la littérature.
L‟analyse d‟Anderson est centrée sur l‟économie numérique des biens culturels et il
affirme que ce raisonnement peut s‟étendre à tous les biens de consommation,
matériels ou immatériels, ce qui est discutable comme nous le verrons par la suite. Son
analyse dessine cependant un futur possible : une « économie - fiction » qui décrit de
manière réaliste un modèle d‟échange entièrement dématérialisé (Perret, 2010)59. Une
vision un peu utopique si on y réfléchit puisqu‟elle s‟accompagne d‟une
démocratisation, qui met sur le même plan consommateur et producteur et qui n‟est
valable que pour les produits échangeables à l‟aide du web. Tous les consommateurs
peuvent participer à cette nouvelle économie, grâce à une diminution des échanges
d‟argent, remplacés par des échanges d‟information.
Du fait de ces échanges, le consommateur souffre de moins en moins de l‟asymétrie
d‟information. Ce phénomène, mis en lumière par Akerlof (1970)60 dans son étude
« Market for Lemons », démontre l‟existence d‟un risque pour le consommateur dû à
son manque de connaissance lorsqu‟il achète. Selon lui, le vendeur, étant un
spécialiste, il dispose d‟un avantage sur le consommateur lors de la transaction. Dans
la vision d‟Anderson, l‟asymétrie est moins forte car le consommateur utilise Internet,
qui lui permet de s‟informer et de consulter les expériences d‟autres consommateurs.
Selon Perret (2010), cette idée s‟applique au consommateur - amateur, qui aurait trois
formes d‟activités complémentaires : l‟apprentissage, l‟expertise et la recommandation.
Le réseau donne l‟occasion au consommateur d‟explorer ses goûts, en lui fournissant
une information quasi illimitée qu‟il peut compléter, l‟apprentissage de ses « vrais
goûts » commence alors pour lui à travers de nouvelles expériences de consommation.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 28
Le consommateur se sert ensuite du réseau pour enseigner à ses pairs à mieux l‟utiliser
et à l‟améliorer. Il devient un expert et renverse l‟asymétrie d‟information lorsqu‟il
participe à la consommation. Dans ce cas, c‟est le producteur qui ne peut pas contrôler
la qualité du travail que lui fournit le consommateur - participateur.
Le producteur doit donc faire appel à une nouvelle forme de marketing : le marketing
participatif, basé selon Maillet (2007) sur un nouveau marketing mix. En effet le
marketing mix apparu dans les années 60 (McCarthy)61, est, selon Kotler, surtout utile
d‟un point de vue pédagogique. Le marketing mix proposé par Maillet pour le marketing
participatif transforme les 4 P traditionnels :
Le Produit devient Puce : cette évolution est liée à l‟avènement de l‟économie
numérique citée plus haut
Le Prix devient Plaisir : c'est - à - dire que le consommateur sera plus disposé à
payer un prix selon ce qu‟il peut retirer de l‟expérience plutôt que selon le coût de
production
La Place devient Proximité : l‟entreprise se rapproche du client et s‟intéresse à
l‟ensemble de sa personne et non plus seulement à ses besoins
La Promotion devient Participation : le consommateur s‟implique de plus en
plus dans la vie des produits et construit de nouvelles relations avec l‟entreprise
Nous nous trouvons donc face à un changement du produit et de la stratégie de
l‟entreprise sur son marché. Ces changements de paradigme économique et de
marketing mix sont étroitement liés à l‟évolution de trois composantes: les leviers de
participation du consommateur, les conséquences pour l‟entreprise et les
transformations du marché. Nous nous proposons dans cette deuxième partie, de les
explorer en détail pour déterminer les avancées et les limites de la participation du
consommateur dans le contexte économique actuel.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 29
A. Leviers de participation du consommateur
1) Génération Internet et réseaux de passionnés
Selon Howe et Strauss (2007) 62 , il existe une nouvelle génération ou « Millennial
generation », qui ne suit pas l‟évolution des générations précédentes (baby boomers et
génération X) pour consommer et travailler. Bien que leur étude soit centrée sur les
Etats Unis, on retiendra quelques points d‟analyse qui permettent de replacer la
participation du consommateur dans son contexte :
La génération « Millennial » est née entre 1982 et 2005
La génération « Millennial » a grandi avec le développement de la technologie
digitale,
La génération « Millennial » recherche constamment les interactions avec ses
pairs et utilise les réseaux sociaux à un niveau international,
La génération « Millennial » est plus proche de ses parents et plus confiante face
au futur.
La génération « Millennial » consomme donc différemment : pour Tapscott (1998)63,
c‟est la « génération du net », qui n‟est pas en proie au doute face à ces technologies,
que l‟on appelait nouvelles il y a encore quelques années. Elles font désormais partie
de son quotidien: ordinateurs, baladeurs mp3 et Smartphones ne révolutionnent pas sa
consommation. Ce phénomène est rendu possible par une « éducation à la
technologie » qui se fait en communauté, dès le plus jeune âge. La communauté
encadre l‟internaute dès son entrée sur le web, entre 5 et 14 ans, en fournissant aux
enfants une grande quantité d‟information en libre accès. En grandissant avec Internet
ces jeunes internautes développent un sentiment de maitrise de l‟outil, ce qui les
prépare à acheter et à participer aux achats par le biais du web.
Entre 15 et 24 ans, les internautes ont grandi côte à côte avec les plateformes
communautaires (Facebook, Myspace, Skyblog, …) et la messagerie instantanée (MSN
Messenger, Yahoo Messenger, …). Internet est pour eux un lieu de recherche
d‟information et de divertissements: blogs, journaux, jeux vidéo, radios ou vidéos en
ligne génèrent un trafic intense. Cette génération se sent libre et en confiance pour
surfer sur le web à son aise mais aussi à ses risques et périls. En effet, grâce à sa
meilleure maitrise de l‟outil, la jeune génération devance ses parents et fixe ses propres
règles, négligeant souvent la protection de ses données et la vérification de ses
sources. Ces jeunes sont attirés de plus en plus tôt par la publication et l‟échange
d‟information mais également par l‟achat en ligne, bien que limités par des moyens de
paiement plus réduits que leurs aînés. Ils utilisent tout de même Internet pour se
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 30
renseigner ou comparer avant d‟acheter et ne sont pas choqués d‟avoir à participer à la
réalisation de l‟offre. Les internautes âgés de plus de 25 ans, achètent également de
plus en plus facilement par Internet, comme l‟illustre un sondage Nielsen fait en 200864 :
seule 14% de la population mondiale n‟aurait jamais acheté par Internet.
Au - delà de l‟achat en lui - même, les recommandations faites aux autres internautes
sont un outil important de la participation du consommateur à la production (Dujarier,
2008). Selon une étude Ipsos65, faite en mars 2010, 35% des internautes laissent une
évaluation après l‟achat et 37% transmettent l‟information à leurs proches: le pouvoir du
bouche à oreille n‟a jamais été aussi fort. Selon Gauthier et Leggett - Dubé66 (2010),
cela s‟explique par la relation d‟égal à égal qu‟entretiennent les internautes en formant
des réunions virtuelles d‟amateurs, reliés par leur intérêt commun. Ces amateurs ne
sont hiérarchisés que par leur degré de connaissance, ils se sentent proches les uns
des autres, comme appartenant à une même communauté. Les outils de collaboration
mis en place par l‟entreprise pour les consommateurs aident à bâtir ces communautés
et à les animer. Elles sont dynamiques, sources d‟une information illimitée et modifient
le contexte de consommation. Les prix sont comparables, les produits ont déjà été
testés et l‟information donnée peut être rattachée à un profil d‟utilisateur : de ce fait
l‟information est plus crédible car elle est faite par des utilisateurs « désintéressés ».
Bien sûr la qualité de cette information fait l‟objet de critiques et sa quantité soulève
encore une fois la question de la capacité de l‟amateur à produire un contenu
professionnel (Keen, 2007). Cette question de la valeur de l‟information a donné le jour
à des communautés plus professionnelles, qui s‟engagent sérieusement et deviennent
des spécialistes reconnus.
Les amateurs - spécialistes de mode :
le cas des blogueurs
En octobre 2009, au premier rang du prestigieux défilé Dolce & Gabbana se trouvaient
quatre journalistes bloggeurs, en lieu et place de rédactrices de journaux papier ou de PDG
de grands magasins. Ceux - l{ par contre, n’avaient pas pu tous s’y assoir, relégués aux
deuxième et troisième rangs. Une saison auparavant, au même défilé, ces quatre bloggeurs
attendaient patiemment devant la porte pour pouvoir prendre quelques clichés volés. C’est
un phénomène qui tend à se généraliser : la popularité d’Internet en tant que média est
plus forte que celle ses homologues imprimés, de ce fait les bloggeurs entrent peu à peu
dans l’industrie de la mode comme des acteurs { part entière et sont donc courtisés par les
créateurs.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 31
L’une des égéries de cette évolution est française : Garance Doré tient un blog amateur
ouvert en 2006, sollicitée depuis peu par des marques (Burberry, DKNY, Celine, …) et des
magazines prestigieux (Vogue, Glamour, …) pour ce qu’elle faisait hier { titre personnel.
Elle, qui publiait ses illustrations ou photos accompagnés de textes intimistes, traverse
maintenant le monde en avion pour des shootings { l’autre bout de la planète, accompagnée
par son prince charmant également bloggeur de mode: un vrai compte de fée pour petite
fille moderne. Au - del{ de son expérience presque parfaite, d’autres bloggeurs ont
également accédé au monde professionnel et cette nouvelle autorité fait peur : Anna
Wintour (Vogue) n’est plus la seule référence en matière de jugement. Certains créateurs
n’hésitent pas { s’inquiéter publiquement de ces changements, comme Alber Elbaz
(Lanvin) en 2009 : « I’m really scared of bloggers ». Internet démocratise l’accès { un
environnement propice { une forme de critique libre pour les amateurs. C’est un espace
d’expression et d’interaction : les bloggeurs se relient les uns aux autres par des liens entre
blogs et transmettent l’information formant une communauté. L’opinion n’a pas besoin
d’être fondée ou justifiée, c’est un sentiment personnel de l’amateur dilettante, qui n’a nulle
responsabilité et ne doit rien à personne. De ce fait, la critique est plus dure, plus sèche et
très rapidement en ligne.
Avec en moyenne un à deux articles par jour, Garance Doré tient les lecteurs au courant des
dernières tendances des défilés en donnant son avis personnel, qu’il soit positif ou non.
Christopher Kane (Versace) s’inquiète qu’aucun contrôle ne puisse être exercé sur ces
jugements: « les gens peuvent dirent ce qu’ils veulent { propos de qui ils veulent sur un
blog, sans que cela engendre la moindre conséquence sur eux et c’est ce qui est effrayant.
Pour les designers il y a de réelles répercutions en cas de fuite : si une photo quelconque
est diffusée sur un blog, la création peut être copiée en quinze jours et cela peut réellement
leur nuire. Il faut être plus prudent désormais » (Vogue UK)*. Pour lui, ces avis manquent
de professionnalisme et de sérieux, néanmoins ces amateurs disposent de ce qui manque
aux journalistes professionnels : des réserves de temps illimitées et une motivation
importante.
* Source: Milligan, L. (2009), „Kane and Able‟, Vogue UK 1
st dec 2009
« people can say what they want about anyone on a blog without consequences and that’s quite scary.
There are real repercussions for a designer if a photo of something is leaked by a blog; it can be copied in
a fortnight and that can really harm a business. You have to be much more careful now »
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 32
En plus de cette génération Millennial, Howe et Strauss (2007) identifient une
« homeland generation », née à partir de 2005. Qui peut dire dans quelle direction cette
génération se dirigera ? Cependant on peut déjà supposer que, baignée dans la
technologie dès la naissance, elle percevra encore moins la séparation entre
consommation et production. Il sera d‟autant plus facile pour elle de passer du jeu de
consommation à la consommation réelle par l‟éducation.
2) Implication du consommateur
Si les statuts d‟amateur et de spécialiste en viennent à se confondre, ce n‟est pas
seulement grâce aux compétences du consommateur amateur mais également grâce à
tous les efforts mis en place par les entreprises pour impliquer le consommateur dans la
participation. L‟implication est « un état de motivation, d‟excitation, ou d‟intérêt. Elle est
créée par un objet ou une situation spécifique. Elle entraîne des comportements:
certaines formes de recherche de produit, de traitement de l‟information et de prise de
décision » (Rotschild, 1984)67. Elle dépendra du consommateur, de l‟objet ou de la
marque concerné(e) et du contexte situationnel. Participer c‟est une forme d‟implication
forte, une preuve d‟un intérêt soutenu accordé à l‟entreprise, c‟est pourquoi celle - ci
doit l‟encourager.
Afin de conduire le consommateur à s‟impliquer, l‟entreprise doit démontrer son intérêt
pour le consommateur, autant que lui pour elle. L‟implication est un concept central
dans l‟étude du comportement du consommateur (Sabadie, 1999)68. Cela se traduit par
un dialogue personnalisé et l‟évolution de l‟entreprise avec le consommateur et par son
action. Les consommateurs sont des parties prenantes, c'est - à - dire des « individus
ou groupes d‟individus qui peuvent affecter ou qui peuvent être affectés par la
réalisation des objectifs de l‟entreprise » (Freeman, 1984) 69 . Les consommateurs
participateurs sont affectés et affectent les objectifs de l‟entreprise : en recevant l‟offre
ils supportent le risque que celle–ci puisse ne pas être menée à bien, une non
réalisation de l‟objet de l‟entreprise. De plus, les consommateurs participateurs affectent
l‟objectif et sa réalisation en contribuant à l‟accomplissement final de la production.
Mesurer le degré d‟implication est difficile du point de vue de la méthode : il faut bien
fixer l‟implication que l‟on mesure. Est-ce l‟implication dans l‟achat de ce produit
particulier, l‟implication dans la situation de participation ou l‟implication générale de
l‟individu dans la consommation ? Un indicateur unique, qui ne tiendrait pas compte de
cette différence, serait inutile à l‟entreprise pour comprendre l‟implication des
consommateurs participateurs et l‟encourager. Pour comprendre l‟origine de
l‟implication dans la participation il faudra tenir compte de plusieurs composantes en
aval et en amont.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 33
En ce qui concerne les composantes mesurables en aval, on en dénombre deux :
La fidélité par rapport à la marque (Robertson, 1976)70:
La participation est souvent l‟œuvre d‟amateurs qui sont proches de la marque mais
pas toujours engagés dans une relation durable avec elle. En effet un lien très fort
entre la marque et le consommateur n‟est pas obligatoirement source de
participation, cela peut même lui nuire,
Le temps consacré à la recherche de produit (Engel, Blackwell et Miniard, 1995) :
Internet a modifié la recherche, il est plus facile de comparer et de chercher de
l‟information sur le produit qu‟auparavant. L‟implication dans la participation sera
donc facilitée par cet accès libre aux renseignements.
Les composantes mesurables en amont on été mises en évidence par Kapferrer et
Laurent (1986)71 et elles correspondent aux facettes de l‟implication* :
L‟intérêt pour la catégorie de produit
L‟importance de la catégorie de produit varie selon le type de participation. Une
participation très sérieuse est plus susceptible de se développer pour des
catégories de produits qui sont importantes et significatives pour le consommateur,
celui - ci aura besoin de reconnaitre chez lui une forme d‟expertise avant de
procéder à ses premières collaborations. Plus la participation est complexe, plus le
consommateur aura de l‟intérêt pour la catégorie,
Le risque perçu associé à la participation
Celui - ci est lié à la gravité des effets consécutivement à une mauvaise
participation. Lorsqu‟un consommateur participe, il n‟est jamais sûr de la maitrise
des outils mis à sa disposition par l‟entreprise, de ce fait il y a donc toujours un
risque qu‟il n‟en tire aucun avantage. Plus l‟outil est difficile à utiliser, plus le risque
perçu est important pour le consommateur,
La probabilité subjective de faire une erreur et la gravité associée
Bien que le consommateur soit censé influencer le résultat, celui - ci peut ne pas
correspondre à ses attentes, soit parce qu‟il les a mal exprimées ou identifiées, soit
parce qu‟elles ont changé. De ce fait, la probabilité de faire une erreur, même si elle
est faible, a une portée importante,
* Adaptation de la classification de Kapferrer et Laurent au cas de la participation du consommateur
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 34
L‟intérêt et la valeur hédonique du produit
Comme nous l‟avons vu au niveau du marketing expérientiel, il y a une notion de
plaisir associé à la participation. Le consommateur participe parce qu‟il y est
encouragé mais également parce qu‟il en retire une forme de satisfaction. Cette
satisfaction a été mise en évidence par exemple dans le cas de la co - création
d‟un produit : lorsque le consommateur s‟implique dans le design de sa cuisine la
valeur hédonique du produit croît avec la difficulté du projet.
Maillet (2007) a une vision différente de l‟implication, pour lui il y a une classification de
six niveaux de relation entre entreprise et consommateur :
Figure 5 Adapté de la classification des niveaux d'implication (Source : Génération Participation, 2007)
Dans cette classification, Maillet considère que l‟implication est une étape avant la
participation. La participation implique une formation du consommateur et non pas une
simple sollicitation. Cette formation devra éduquer les consommateurs pour leur
permettre de participer. Néanmoins, la génération X ne pourra participer que si elle est
préparée à ce « travail » car comme nous l‟avons vu, elle est moins familière de la
technologie que les jeunes internautes. Dans ce contexte l‟éducation et la
communication jouent un grand rôle.
• service de dialogue avec le client ex : l'onglet "Suggestions" des services consommateur des
sites web
Niveau 1 : la suggestion
• suivi personnalisé des idées du client ex: le site my Starbucks ideas informe les clients des ajouts
de boissons suite à leur suggestions
Niveau 2 : la suggestion personnalisée
• adaptation des structures internesexemple: le nouveau parfum de Danette choisi par vote
Niveau 3 : la réponse à une
sollicitation
• sollicitation du consommateur puis gratificationexemple: intégrer le jeu FIFA Street en tant que personnage
Niveau 4 : l‟implication
• former le consommateur sur les outils pour lui permettrent de consommer
exemple: le Kitchen Planner
Niveau 5 : la participation
• ouvrir son laboratoire à une certaine cible de consommateurs - participateurs compétents
exemple: la création de Linux
Niveau 6 :la co-innovation
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 35
B. Conséquences pour l‟entreprise
1) Du jeu à la réalité et vice versa : l‟éducation des utilisateurs
Etroitement liée au développement d‟internet, l‟éducation est un levier important de la
participation (Maillet, 2007). Elle enrichit l‟apprentissage des consommateurs en leur
apprenant à se coordonner sans pour autant les aliéner. Internet est devenu un vecteur
de partage pour les consommateurs. La diffusion de l‟information est un cercle
vertueux : plus elle est large plus elle améliore la compréhension de l‟environnement
numérique lui - même, ce qui la stimule d‟autant plus. Comme nous l‟avons dit, les
générations ne sont pas sur un pied d‟égalité face à la technologie : il est nécessaire de
les former à un outil pour qu‟elles en fassent un meilleur usage.
Si on prend l‟exemple des réseaux sociaux : de nombreuses personnes résistent
encore à l‟appel de Facebook. Dans une présentation Dial72 analyse avec humour les
six raisons principales qui le conduiront à ne pas utiliser l‟outil :
« c‟est dangereux,
c‟est une perte de temps,
mes enfants y sont,
ça ne sert à rien,
ça ne durera pas,
je ne sais pas comment ça marche. »
Bien sûr, Dial*, spécialiste des marques, consultant et coach, est présent sur Facebook,
cependant les raisons qu‟il avance correspondent à l‟état d‟esprit des parents
d‟aujourd‟hui. Il est vrai que si la génération Millennial s‟est inscrite spontanément à ce
type de plateforme, la génération de leurs parents y est venue avec plus de difficultés.
Incompréhension et fossé générationnel expliquent cette lenteur de diffusion. Selon le
journal The Guardian UK (2008) 73 , les enfants de 8 à 12 ans, qui devraient
normalement ne pas être autorisés à s‟inscrire à Facebook avant 13 ans, contournent
l‟interdiction et s‟inscrivent avec facilité. Quand leurs aînés peinent à entrer les
informations qu‟ils souhaitent partager, eux s‟exposent, parfois trop même, au monde
extérieur. Au - delà de la question de protection de ces utilisateurs non autorisés, cet
exemple illustre la familiarité des jeunes internautes avec la technologie. Il faut donc
pouvoir s‟adresser à l‟ancienne génération et la former pour pouvoir la faire participer.
*Président de The Myndset company
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 36
En termes de formation, il existe un jeu qui fait l‟unanimité : il s‟agit de Second Life.
Selon le slogan du site Internet, « Second Life est un monde virtuel en trois dimensions,
construit et animé par ses habitants ou avatars, ouvert au grand public en 2003 et
comptant aujourd'hui 18 millions de résidents » (mars 2010). Pour son fondateur Philip
Rosedale, Second Life est un monde utopique, une alternative au monde réel, mais
surtout au départ un monde vide auquel les utilisateurs ont donné vie. A l‟exception de
la plateforme, le jeu est « créé » par les usagers selon leur degré d‟imagination et
d‟implication dans le travail (Bonsu et Darmody, 2008)74. La forme d‟apprentissage
dépend de l‟âge de l‟utilisateur : entre 13 et 17 ans le jeune internaute est orienté vers
la version adolescente du site : Teen Second Life. Cet environnement dédié « est plus
qu‟un jeu vidéo et bien plus qu‟un logiciel de messagerie instantanée - c‟est un monde
sans limite de surprises et d‟aventures, qui encourage les adolescents à travailler
ensemble et à utiliser leur imagination »*. Ils sont donc amenés à travailler, tout en étant
pris en charge par la communauté de leurs pairs, dans un cadre plus protégé que celui
réservé aux adultes. Ce site est un entrainement pour le site original de Second Life,
lorsque les utilisateurs ont 18 ans leur profil est automatiquement transféré à la version
adulte.
La première étape de cet apprentissage est la création d‟un personnage virtuel qui
représente le consommateur dans le jeu : son avatar. Ensuite le joueur prend
connaissance de l‟unique règle du jeu : il n‟y a pas de limite à l‟imagination tant que
l‟utilisateur reste dans le cadre fixé par le site, qui prohibe les comportements à risque
(intolérance, harcèlement, indécence, ..). Pour le reste, la dynamique du jeu est créée
par la communauté elle - même, le jeu ne définit ni mission ni but aux joueurs : ce sont
eux qui décident de leur stratégie, ce qui leur demande un investissement personnel
important. Il leur faut apprendre à développer des stratégies et à analyser leurs besoins
et leurs objectifs. C‟est au joueur de définir les moyens à mettre en œuvre pour réaliser
sa stratégie. Il peut créer ou utiliser les ressources déjà présentes, dont les ressources
monétaires qui font partie du jeu. L‟argent virtuel créé par Second Life peut être changé
en argent réel et vice - versa : Ailin Graef ou Anshe Chung (nom de son célèbre avatar)
est ainsi devenue la première millionnaire de Second Life en 2006. Célèbre pour avoir
tiré d‟un monde virtuel un revenu réel, elle a créé une société réelle pour exploiter son
patrimoine virtuel. Second Life peut donc être une source de profit réel pour certains
utilisateurs, cependant on constate que ce n‟est pas la raison principale qui détermine
les « résidents » du site à rester actifs. Au contraire, la majorité des résidents semblent
surtout attirés par la possibilité d‟acquérir des connaissances et de trouver leur place
socialement (Bonsu et Darmody, 2008), la possibilité d‟un gain n‟étant que secondaire.
Second Life est donc un phénomène et un formidable levier d‟apprentissage pour de
* Source : http://teen.secondlife.com/whatis
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 37
nombreux internautes. A la limite entre vie réelle et vie virtuelle, les internautes
pourraient s‟y perdre et les entreprises n‟hésitent pas à s‟engouffrer dans la brèche, en
s‟intégrant dans la vie du consommateur en passant par le jeu.
Être présent dans la vie virtuelle et réelle du consommateur :
le cas de Thalys :
Thalys international a bien compris l’opportunité des mondes virtuels. Entreprise
européenne (possédée par la SNCF, la SNCB et la DB) d’exploitation de trains { grande
vitesse, elle propose une offre bien réelle de transport. Parallèlement, elle a fait le pari du
numérique dès 2005 et fournit depuis une offre virtuelle à travers Second Life. La Thalys
Teleport Station est un espace de transport virtuel, qui propose aux résidents une sélection
de destinations classées par genre (actualités, marques, shopping, tourisme, culture,
divertissements). Elle se trouve sur l’île de Thalys et n’est pas une simple vitrine de
produits, en effet l’offre virtuelle est différente de l’offre réelle. Développée par l’agence
Barnes & Richardson pour Thalys, le but de cette station était de transposer les
engagements qualité de Thalys, concernant son transport réel, (rapidité, sécurité et
internationalité) dans Second Life. La station, qui change d’offre une fois par mois, a été
conçue comme un guide des destinations virtuelles auxquelles les résidents peuvent
accéder. Une fois dans la salle de téléportation, les résidents sont amenés à choisir une
destination puis à cliquer deux fois pour être transportés, une procédure très simple et une
architecture web qui rappelle le site officiel. Thalys, avec cette offre totalement séparée de
son service réel, influence le jeu des utilisateurs de Second Life. La station facilite le
transport virtuel et créé du trafic sur le site officiel de la compagnie. Pour Thalys, c’est donc
l’occasion de toucher de nouveaux consommateurs et de les rapprocher des outils qui leur
permettent l’achat dans la vie réelle.
Comme l‟illustre cet exemple, les entreprises sont largement présentes dans Second
Life (Kraft Foods, Brussel Airlines, IBM, Dell, Mercedes…), elles colonisent cet espace
de « loisirs » et tentent d‟exercer une forme d‟ascendant sur le jeu. Pour elles, la
plateforme peut représenter une possibilité de tester les consommateurs, comme l‟a fait
Toyota avec le modèle Scion xB. Dans un univers où la plupart des avatars volent ou se
téléportent le pari était plutôt risqué, mais cela a cependant permis à Toyota d‟être
perçue comme une marque jeune et de proposer des voitures customisables, sources
d‟inspiration pour l‟avenir de ses modèles réels. Second Life s‟intègre dans la vie
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 38
professionnelle, le site original se décline dans une nouvelle version
http://work.secondlife.com/, censé « catalys[er] l'innovation tout en réduisant les coûts
et l'impact environnemental des déplacements ». Dans cet environnement il est
possible d‟organiser une réunion, d‟assister à une formation ou de simuler une situation,
c‟est ainsi qu‟en juin 2008, Arcelor Mittal a tenu son assemblée générale en
« présence » virtuelle de 70 avatars d‟actionnaires.
Si on se concentre uniquement sur les interactions entre consommateurs et entreprises,
l‟enjeu est de taille pour ces dernières: selon une étude menée par la société Gartner
Inc.* en 2007 80% des internautes actifs utiliseront un univers 3D en 2011, ils auront
donc une « seconde vie » mais pas obligatoirement dans Second Life. Il est difficile de
définir qui sont les internautes actifs, ce qui permet de nuancer cette affirmation, mais
on peut penser que le nombre des consommateurs sera amené à augmenter. Les
entreprises investissent donc afin d‟entrer en contact avec eux à travers des univers en
trois dimensions mais pas obligatoirement à travers Second Life, qui détient pourtant
90% du marché. En effet si l‟inscription est gratuite, un continent coûte en moyenne
1000 US$ et nécessite des frais de maintenance mensuels de 295 US$.† Certaines
entreprises préfèrent donc créer leur propre outil, adapté à leurs besoins spécifiques et
à ceux de leurs consommateurs.
Eduquer le consommateur par le biais du jeu:
Le cas du Kitchen Planner
* Gartner est une entreprise américaine fondée en 1979, spécialisée dans la recherche et le conseil en
technologie de l‟information http://www.gartner.com/it/page.jsp?id=503861
† Source : http://work.secondlife.com/fr-FR/products/workingfaq/#faq1
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 39
IKEA a fait le pari de lancer son propre outil afin d’amener le client { créer lui - même le
design de sa cuisine { l’aide d’un logiciel. Lorsque l’on connait le prix facturé par un
cuisiniste pour ce genre de service, on peut se demander s’il n’y a pas erreur. Concevoir une
cuisine est un savoir faire, comment un simple consommateur pourrait il l’acquérir ?
IKEA a depuis longtemps une communauté d’admirateurs passionnés (le site IKEA Fans*
aux Etats Unis par exemple, comptait 65 094 membres en 2008), ce sont eux qui seront les
premiers utilisateurs de cet outil. Mais avant cela, ils avaient probablement fait leurs
premiers pas sur un jeu vidéo, dans lequel les joueurs ont élevé l’aménagement intérieur au
rang d’un art : les Sims. Ce jeu, lancé en 2000, a été développé { partir d’une idée simple :
gérer la vie virtuelle ordinaire d’avatars créés par le joueur. Le jeu n’est ni très complexe, ni
très dynamique et pourtant c’est le jeu sur ordinateur le plus vendu au monde (plus de 100
millions de jeux vendus entre 2000 et 2008). Il n’y a pas d’objectifs précis, il s’agit d’évoluer
(changer d’emploi, vieillir, déménager,…): le joueur choisit de lui - même son plan de
carrière, son quartier et surtout l’aménagement intérieur de son logement. Le jeu est centré
sur la sphère domestique (on ne voit pas le sims lorsqu’il se trouve au travail),
l’ameublement est donc un élément essentiel du jeu. Dès le départ, un marché parallèle du
meuble virtuel se met en place sur internet, les joueurs possédant une connexion pouvaient
télécharger en ligne, gratuitement ou non, des meubles créés par des amateurs, dont une
série de meubles IKEA inspirés de la réalité.
Parallèlement, dans le début des années 2000, IKEA lance « IKEA Kitchen Planner » †, un
logiciel permettant aux clients de créer des plans en trois dimensions, d’y installer des
meubles virtuels, en essayant différentes dispositions ou couleurs, tout en ayant en
permanence une vision du prix. Une fois terminés les plans peuvent être sauvegardés sur le
serveur web d’IKEA, puis téléchargés en magasin pour acheter les meubles correspondants.
L’outil se décline ensuite sous sa version chambre (Bedroom Planner) et bureau (Office
Planner), qui permet de toucher également les entreprises. La conception 3D n’est pas un
jeu: il faut d’abord entrer la taille de la pièce et ses spécificités, ensuite placer les meubles
sur un plan en 2D ou en 3D, on en choisit les couleurs (le choix de la couleur de chaque
tiroir d’un meuble qui en compte 10 peut être un peu fastidieux) et enfin lorsque le plan est
terminé on le sauvegarde sur le serveur d’IKEA.
Cependant le chemin est semé d’embuches: tout d’abord l’outil n’est pas toujours { jour en
ce qui concerne les prix et les meubles disponibles : une fenêtre s’ouvre { chaque
connexion pour prévenir les utilisateurs :
* http://www.ikeafans.com/press-room/89-facts-and-figures.html
† http://kitchenplanner.ikea.com/DK/UI/Pages/VPUI.htm?Lang=en-GB
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 40
« IKEA ne peut être tenu responsable des plans. Les prix sont valides jusqu’au 1/08/10 dans
les régions NSW, QLD, VIC et sont susceptibles de varier. Les prix n’incluent pas la livraison,
l’assemblage ou l’installation… »*. De plus, concevoir un plan peut être très long et bien plus
complexe qu’il n’y paraît.
La communauté d’IKEA Fans a dédié une section complète { cet outil pour permettre aux
usagers du site d’obtenir l’aide d’utilisateurs plus avancés ou des avis sur leurs plans. Bien
que l’outil soit très complet (il prévient du sens d’ouverture des portes, permet de placer
des radiateurs dans la pièce ou de changer la couleur des poignées), il faut avoir une
certaine maîtrise pour s’en servir au mieux. Le site internet d’IKEA propose de devenir
« son propre architecte d’intérieur », on se demande s’il ne serait pas plus simple parfois
d’aller en magasin.
Malgré l‟affirmation de Gartner Inc., le cas d‟IKEA reste spécifique, la société a
développé un outil dédié à un usage bien particulier. Pour l‟instant dans l‟univers de la
communication et du travail sous environnement 3D, Second Life reste le leader du
marché. Le monde qu‟il propose est souple, riche et sophistiqué, et de plus la sécurité y
est assurée. Mais qu‟il s‟agisse d‟IKEA ou de Second Life, les environnements 3D ne se
sont pas encore imposés dans l‟esprit des consommateurs et des entreprises : en effet
il y a un vrai risque de perte de leur temps. La simple présence dans le monde virtuel
ne suffit pas à dégager du profit, selon Gartner il était difficile pour les entreprises de
créer une réelle valeur ajoutée en 2007. L‟année 2010 devait marquer le début d‟une
ère de rentabilité pour les entreprises qui auraient investi dans le monde virtuel. Les
mondes virtuels ne sont plus des jeux mais ne sont pas encore des univers : derrière
l‟aspect du jeu se trouve un canal de vente, qui n‟a pas fini son développement.
Cependant il y a des risques pour l‟entreprise: les activités dématérialisées pourront
avoir des conséquences sur les activités réelles car derrière chaque avatar se trouve
une personne réelle. L‟entreprise doit donc gérer la connaissance acquise par chaque
consommateur réel et tenter de maintenir le rapport de force en sa faveur.
2) Le knowledge management et le « pouvoir » du consommateur
La connaissance est une chose difficilement mesurable, Davenport et Prusak (1998)75
la voit comme « un mélange d‟expérience, d‟information et d‟intuition, qui forment un
cadre pour évaluer et intégrer les nouvelles expériences et informations ». Les
* Notes traduites de l‟anglais – Home Planner US version 2010 2.0.3 téléchargé le 11 mars 2010
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 41
entreprises doivent donc favoriser son développement et la canaliser afin de la gérer le
mieux possible. Elles doivent identifier les experts et les détenteurs du savoir dans des
environnements vastes et complexes. La gestion des connaissances (ou knowledge
management) répond donc à cette problématique en réunissant l‟ensemble des
méthodes et tactiques qui permettent de développer, partager, transmettre et appliquer
la connaissance, tout en procurant aux membres de l‟organisation l‟information dont ils
ont besoin pour prendre des décisions (Nonaka, 1991)76.
La connaissance de l‟entreprise vient à la fois de sources internes et externes, dans le
cadre de la participation du consommateur on peut le percevoir comme une source
externe qui tend vers l‟intérieur. Il existe également la notion de gestion de la
« connaissance du consommateur » (Joshi et Sharma, 2004)77 mais il s‟agit en fait de
« développer une compréhension des préférences du consommateur »* et non pas du
consommateur lui - même. Nous nous intéressons ici à la compétence et la
connaissance obtenue par le consommateur, qui pourra être utile à l‟entreprise. Le
consommateur créé naturellement de la connaissance en suivant le schéma classique :
il collecte des données, qu‟il trie et organise pour en faire de l‟information, qui est
interprétée et regroupée pour créer de la connaissance.
La gestion de cette connaissance doit alors être optimisée:
lorsqu‟un nouveau consommateur participe, il ne doit pas avoir à « réinventer la
roue » : il faut qu‟il puisse participer avec la rapide formation et les outils que
l‟entreprise met à sa disposition. Dans le cas du Kitchen Planner dont nous parlions
plus haut, il est assez difficile de commencer seul,
un consommateur participateur, qui décide de quitter l‟entreprise, ne doit pas
posséder de connaissances susceptibles de mettre l‟entreprise en danger :
partager la connaissance est une chose, dépendre des participants en est une
autre.
Second Life, qui fournit une plateforme modifiable tout en gardant le contrôle
dessus, a bien compris ce danger,
il faut identifier les « experts » et les encourager à participer et à former les autres
utilisateurs. Sur Wikipédia par exemple les utilisateurs experts corrigent
régulièrement les nouveaux articles,
il est inutile de surinformer un consommateur - participateur, l‟information à
communiquer au consommateur pour l‟amener à participer doit être triée en
fonction de son utilité pour cette participation.
* « the development of an understanding of customer preferences » p47
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 42
Concernant ce dernier point, Foucault (1975)78 considère que la connaissance est un
instrument du pouvoir. Il existerait alors un risque pour l‟entreprise que le
consommateur renverse le rapport de force qui les lie. La connaissance du
consommateur participateur doit donc être développée mais jusqu‟à quel point ? Une
prise de pouvoir du consommateur (ou consumer empowerment) redistribuerait le
pouvoir et le contrôle sur les ressources. Il s‟agit de permettre au consommateur de
devenir un sujet autonome et responsable de ses choix de consommation (Shankar,
Cherrier et Canniford, 2006) 79 . Selon Shaw, Newholm et Dickinson (2006) 80 , le
consumer empowerment s‟explique par le contexte de concurrence accrue et de
convergence technologique. Ce contexte s‟applique en fait aux trois leviers de
participation du consommateur : le facteur générationnel, la nouvelle forme d‟éducation
et le changement dans l‟équilibre du rapport de force. Le consommateur détient donc
une forme de pouvoir dont l‟entreprise doit tenir compte lorsqu‟elle évalue son travail.
3) L‟évaluation du « travail » et la rémunération
Lorsque l‟entreprise évalue le travail des consommateurs, il y a toujours un cadre
d‟évaluation : la participation est encadrée par des règles : par exemple un article
autobiographique sur Wikipédia n‟est jamais publié. Il est arrêté par les critères de
publication : un article que le consommateur écrirait à propos de lui - même par
exemple est systématiquement averti par un message du site que cette publication
n‟est pas conforme. Il existe deux types de problème (Knight, 1921) 81 auxquels
l‟entreprise pourra être confrontée lorsqu‟elle décide de faire participer le
consommateur :
un risque probabilisable d‟un client qui refuse la participation ou qui participerait
partiellement,
une incertitude quant à la qualité du résultat.
A ce jour, il n‟existe pas de chiffres qui mesurent le risque et l‟incertitude associés à la
participation, cependant le risque perçu par l‟entreprise est fort. En ce qui concerne
l‟incertitude, selon Larsson et Bowen (1989)82, pour éviter d‟en souffrir il faudrait pouvoir
évaluer le contenu, le temps et le lieu de la participation. Le schéma ci - dessous illustre
bien le lien entre niveau d‟incertitude et création de valeur (efficacité et efficience).
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 43
Plus la volonté de participer et la diversité de la demande sont grandes, plus le degré
d‟incertitude quant à la qualité est fort. Lorsque le degré d‟incertitude est fort : les
consommateurs sont le siège principal de la création. Au contraire, lorsque le niveau
d‟incertitude est faible, les consommateurs sont moins disposés à participer et il s‟agit
alors de customisation ou de produits standardisés.
La participation apparait donc lorsque la demande est complexe et l‟incertitude forte, de
ce fait, l‟entreprise doit redoubler d‟attention pour évaluer la qualité à sa juste valeur.
Dans sa théorie des coûts de transactions, O. E. Williamson (1975) 83 souligne
l‟existence d‟un problème d‟opportunisme, lié à l‟asymétrie d‟information : lors d‟un
échange l‟une des deux parties à plus d‟information que l‟autre. Comme nous l‟avons dit
cette asymétrie pourrait être renversée par le consommateur participateur en sa faveur.
Figure 6 - Changement d’interfaces dans la participation des consommateurs (adaptation de Larsson et Bowen, 1989, p121)
Diversité
de la
demande
Volonté de participer Volonté de participer
Efficience
Consommateur:
peu disposé à
participer (manque de
temps ou de volonté)
Entreprise:
propose au client une
offre adaptée à son
besoin
Consommateur:
peu sensible au prix,
participe pour améliorer
la qualité de l'offre
Entreprise:
fournit au client des
outils adaptés à la
diversité de la demande
Consommateur : peu
intéressé par la qualité
Entreprise: tente de
dominer ses
concurrents en volume
Consommateur: sensible au prix,
participe pour les faire baisser
Entreprise: tente de standardiser le
processus de participation, pour
rogner sur les coûts
Efficacité
Niveau
d‟incertitude
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 44
Il y a plusieurs formes d‟évaluation :
Tout d‟abord l‟entreprise a des règles (par exemple pour Wikipédia ou Second
Life), qui forment un cadre au sein duquel le consommateur participe,
Le consommateur évalue ensuite sa participation, selon ses propres critères, liés
aux critères d‟implication,
La communauté des amateurs peut également être amenée à intervenir dans
des projets communs (comme Wikipédia) ou pour fournir une appréciation
(comme pour les plans dans IKEA Kitchen Planner), cela constitue une forme
d‟évaluation,
Enfin l‟entreprise peut également être amenée à évaluer le travail, comme dans
le cas des applications iPhone : c‟est Apple qui décide de la commercialisation
ou non des applications créées par les consommateurs.
Une fois passées toutes ces étapes d‟évaluation du « travail », l‟entreprise peut
« rémunérer » le consommateur participateur. Cette contrepartie n‟est pas
systématique, selon le marketing expérientiel, le consommateur qui participe reçoit une
forme de compensation à travers son expérience de participation. Il existe plusieurs
formes de valorisation de la participation :
L‟entreprise peut simplement encourager la participation, en renvoyant au
consommateur des messages positifs,
Comme nous l‟avons vu avec l‟implication, l‟entreprise peut également donner
au consommateur une gratification, qui peut être monétaire (rabais sur d‟autres
produits ou monnaie réelle) ou non (accès à un niveau supérieur de
participation, mise à disposition de nouveaux outils, …)
L‟entreprise peut enfin rémunérer réellement le « travail » du consommateur, ce
qui est généralement le cas lorsque le consommateur a une réelle connaissance
et un réel pouvoir.
La rémunération n‟est pas toujours nécessaire, selon Maillet, « la participation du
consommateur fait partie de l‟offre des entreprises, c‟est un assouplissement de la
domination »* des entreprises décrite par le Marxisme. En définitive l‟entreprise doit tout
de même évoluer en éduquant, contrôlant et évaluant le consommateur. Cependant, il
n‟y a pas que le consommateur qui change, le marché est également en plein
bouleversement.
* Voir l‟interview de Thierry Maillet en Annexe 3
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 45
C. Les évolutions du marché : y a - t‟il une Longue Traîne
1) Le principe de la Longue Traîne
L‟entreprise doit changer de stratégie, affirme Anderson (2010), la loi de Pareto a été
mal utilisée. Selon Pareto, pour bien des phénomènes 80% des conséquences sont le
résultat de 20% des causes, en marketing cela s‟est traduit par l‟hypothèse selon
laquelle 20% des produits amèneraient 80% du chiffre d‟affaire. Or, selon lui, la loi a été
mal interprétée dès le départ : utiliser 20% et 80% pour tomber sur un chiffre rond
(100%) n‟a pas de sens, si l‟on regarde les chiffres on constate qu‟il s‟agit en fait de
10% des produits qui font 80 à 95% du chiffre d‟affaire. De plus, cette loi s‟applique aux
produits « hits », c'est - à - dire les meilleures ventes. Les entreprises devraient
s‟intéresser au contraire aux « bides » et pas aux best sellers, ces produits, qui n‟ont eu
qu‟un succès limité, seraient la source d‟une nouvelle profitabilité. C‟est ce qu‟Anderson
appelle la Longue Traîne.
Cependant beaucoup d‟entreprises tentent toujours de cibler ces 20% gagnants. Selon
Anderson, cela s‟explique par la prise en compte de la rotation des stocks dans le choix
des produits. Les entreprises pensent que si le produit n‟est pas un « hit », il ne se
vendra pas. De ce fait elles croient que les 80% restants ne méritent pas de figurer
dans l‟assortiment qu‟elles proposent, car les coûts d‟acquisition sont supérieurs aux
profits. Anderson s‟est appuyé sur une analyse des biens de consommation culturels
tels que les livres, les musiques ou les films, pour conclure que le choix de cibler les
20% des produits à forte rotation est une conséquence de la vente physique et que la
vente partiellement ou purement numérique n‟aura pas besoin de respecter cet
impératif.
Toutefois la loi part d‟un principe simple : les ventes des produits sont fonction de leur
popularité, plus un produit est populaire plus il sera vendu, à l‟inverse les produits
impopulaires auront des taux de rotation de stock faibles. Or, Anderson a constaté que
ces taux ne sont jamais nuls. Aussi impopulaire soit - il, un produit est toujours vendu
au moins une fois. En partant de ce constat, il a étudié la courbe des ventes de livres,
dans le commerce physique et dans le commerce numérique. L‟assortiment proposé
dans le commerce traditionnel est d‟environ 130 000 titres qui tournent rapidement,
représentant les 20% de Pareto. Mais sur Amazon.com (référence de la vente sur
internet), la moitié des ventes se fait sur des livres, qui ne font pas parti de cet
assortiment. Autrement dit l‟assortiment physique est insuffisant, pour satisfaire la
demande potentielle. Pour Anderson, les 20% (ou 10%) de produits les plus vendus
forment la « tête » de la courbe des ventes alors que les 80% (ou 90%) restants
constituent la traine, qui tend vers zéro mais ne l‟atteint jamais. Il illustre ce principe par
le schéma suivant :
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 46
Figure 7 - - La Longue Traîne d'Anderson
*
Le phénomène est le même pour les ventes de DVD ou de CD, pour Anderson le
linéaire est limité. Les économies de diversification (ou scope economies)
peuvent être aussi intéressantes que les économies d‟échelle (Ramirez, 1999) 84. Le
commerce sur Internet a la possibilité de répondre à cette demande potentielle.
Figure 8 - Enrichissement de l'assortiment (Source : Anderson, 2004, Wired Magazine)
* Source : http://www.wired.com/wired/archive/12.10/tail.html?pg=3&topic=tail&topic_set
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 47
Pour Anderson cela se traduit dans l‟entreprise par la mise place une forme de
démocratisation des différentes activités, à laquelle on peut rattacher la participation du
consommateur. Cette démocratisation prend trois formes :
Force Acteurs Exemple
Démocratisation
de la production
Producteur et
outilleur de la
Longue Traîne
Produire ses propres vidéos à l‟aide d‟un
caméscope numérique et de logiciels de
retouche musicale et vidéo
Démocratisation
de la distribution
Agrégateurs de
la Longue
Traîne
Amazon, eBay ou iTunes distribuent toutes les
chansons à tous les internautes de la planète
Connexion entre
l‟offre et la
demande
Filtre de la
Longue Traîne
Google books, les recommandations Rhapsody
ou les listes de best sellers permettent de
connecter l‟offre et la demande plus rapidement
La première force allonge la traine en permettant de proposer davantage de produits,
Youtube a par exemple permis à de nombreux films amateurs ou peu connus de trouver
un public. La production est ouverte à tous les internautes et chacun peut utiliser les
outils dont il dispose pour prolonger la Longue Traîne. La seconde force s‟applique à la
distribution, elle permet à chaque internaute de disposer des produits quelque soit le
lieu. Anderson estime que les coûts de stockage sont faibles et que la capacité est
infinie. De ce fait tous les contenus peuvent être distribués à tous les consommateurs,
les niches deviennent moins inaccessibles pour les consommateurs comme pour les
entreprises. Enfin la dernière force permet de glisser des hits vers les niches en utilisant
les recommandations. Les recommandations sont des outils qui permettent d‟adapter la
réponse à la demande, donc de permettre à certains produits de la Longue Traîne, dont
la popularité n‟est pas très élevée, d‟évoluer. Amazon, par exemple, propose toujours à
ses clients, une liste de recommandation de titres semblables, mais le consommateur
peut surtout prendre une part active et recommander certains titres. La popularité a
donc bien une influence sur les ventes, mais le choix de l‟assortiment peut permettre de
mettre en valeur certains produits pour les faire remonter dans la traine. Cette évolution
du marché conduit à une forme de démocratisation favorable à la participation du
consommateur.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 48
Figure 9 - Processus de recommandation sur Amazon.com (Source : Anderson, 2004 - Wired Magazine)
Certains produits méconnus peuvent alors devenir populaires, grâce à une forme de
bouche à oreilles sur le web. On entre donc dans une économie de réputation, dans
laquelle Internet est le principal média de communication. Comme l‟a dit en 2008
Jonathan Carson, le président de Nielsen International Online, « Internet n‟est plus une
technologie de niche - c‟est un média de masse et une partie intégrante importante de
la vie moderne. Alors que nos vies sont de plus en plus fracturées et chargées, il n‟est
pas surprenant que les consommateurs se tournent vers la disponibilité immédiate et
sans égal de l‟Internet lorsqu‟il s‟agit de rechercher et d‟acheter des produits. » *
Cependant, certains auteurs (Elberse et Oberholzer - Gee, 200885; Kaplan, 200986;
Maillet, 2010) doutent qu‟Internet constitue un réel tournant dans l‟économie, la Longue
Traîne est pour eux un raisonnement intéressant mais qui débouche sur des
conclusions inexactes.
2) Et si la Longue Traîne n‟existait pas ?
Un important changement, souligné par Anderson, réside dans l‟émergence d‟un
nouveau raisonnement économique : au lieu d‟étudier le consommateur dans le
contexte d‟une économie de rareté, à la base de la consommation au sens de Weber,
on l‟étudie dans le contexte d‟une économie d‟abondance. Pour Anderson il s‟agit
surtout de la fin de ce qu‟il appelle : la tyrannie du localisme des linéaires physiques.
Ces linéaires ont en effet de nombreuses limites : la première étant qu‟il leur faut
* “The Internet is no longer a niche technology – it is mass media and an utterly integral part of modern
life. As our lives become more fractured and cluttered, it isn‟t surprising that consumers turn to the
unrivalled convenience of the Internet when it comes to researching and buying products.” – Source:
rapport de février 2008, Trends in Online Shopping, a global Nielsen consumer report
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 49
répondre à une demande exclusivement locale. Il faut justifier la présence des produits
dans les rayons : un livre qui n‟est pas suffisamment vendu n‟a pas sa place dans le
magasin. Ainsi, la diversité de la demande est réduite car l‟offre qui pourrait
potentiellement y répondre n‟existe pas. Une fois dépassée la limite de la clientèle, il y a
une autre limite importante due au fait que les linéaires ne sont pas extensibles. Dans
les supermarchés, les mesures des étagères sont fixes, peu importe le produit vendu :
c‟est à lui de s‟adapter aux linéaires et pas l‟inverse. Il doit donc justifier sa présence
car les places sont rares. Le commerce sur Internet dépasse ces deux limites : il peut
trouver de la clientèle pour n‟importe quel produit, les stocks sont peu chers ou gratuits
pour lui, il n‟a donc pas à justifier l‟existence de certains produits dans l‟assortiment. Le
produit peut attendre son acheteur en ligne indéfiniment et le linéaire virtuel peut
évoluer tous les jours et vendre tous les produits. Il n‟y a donc ni limite de temps, ni
limite de lieu, ni limite de personne. On peut donc penser que même le commerce
internet ne vient pas remplacer le commerce physique mais exploiter une partie de la
traine que le commerce physique ne peut se permettre d‟assurer pour des raisons de
coûts.
Figure 10 - La Longue Traîne du marché de la musique
*
* Source : http://www.wired.com/wired/archive/12.10/tail.html?pg=3&topic=tail&topic_set
PO
PU
LA
RIT
E
Faible
Fort Commerce physique:
magasin traditionnel
ex : La FNAC
Commerce hybride:
magasin sur Internet vendant des
produits matériels - ex : Amazon.com
PRODUITS
Commerce numérique pur:
magasin sur Internet vendant des produits
dématérialisés - ex : iTunes Store
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 50
Cependant les conclusions d‟Anderson ne sont pas confirmées par des chiffres, il est
revenu sur les chiffres à la base de la théorie plusieurs fois sur le blog qui a suivi son
livre. Pour certains auteurs ces rectifications ne sont pas suffisantes :
- Page (2008)87 se base sur une étude des ventes de musique réalisée aux Etats -
Unis
- Benghozi et Benhamou (2008)88 ont réalisé une étude du marché français et
arrivent aux mêmes conclusions
Pour eux, il y a une forme d‟effet Longue Traîne mais cela n‟a pas un impact
déterminant sur les ventes. Page a analysé les ventes de musique en ligne, constatant
que 77% des titres disponibles au téléchargement ne sont jamais achetés*. Selon une
étude du ministère de la culture français le phénomène de la Longue Traîne est minime
et ne peut constituer un véritable marché parallèle. La vente en ligne a en effet un
éventail plus large de titres vendus, mais l‟effet de diversification ne surpasse pas la
nécessité de vendre du volume. Pour Page, il est déterminant de vendre les titres pour
que cela puisse présenter le moindre intérêt, « show me the money » disent selon lui
les PDGs. Benghozi et Benhamou ont étudié le marché français des ventes de CD sur
tous les canaux de distribution. Il y aurait un phénomène marginal de Longue Traîne
mais la saisonnalité des ventes représente des variations bien plus importantes. Il n‟y a
plus de rareté au sens de la disponibilité des produits mais on se dirige vers un capital
culturel des utilisateurs : ils doivent pouvoir choisir les produits. Pour Page (2009),
l‟analyse d‟Anderson basée sur Rhapsody est biaisée, la définition des « hits » et des
« bides » n‟est pas la même selon les auteurs. Pour lui le futur de l‟industrie musicale
n‟est certainement pas de « vendre plus de moins de produits† ».
D‟ailleurs le « marché noir » de l‟industrie musicale est encore plus concentré que le
marché officiel. De plus la recommandation par un internaute à ses pairs permet bien
sûr une forme de diversification mais n‟est pas synonyme de « diversité consommée »
(Kaplan, 2009). Le marché du DVD est également soumis à la même logique (Elberse
et Oberholzer - Gee, 2008), la traine des titres impopulaires est plate et les linéaires
limités discriminent leur entrée dans l‟assortiment. La vente virtuelle peut se permettre
de les garder sur les étagères, cependant quel en est l‟intérêt ? Si ces produits ne sont
jamais vendus, les maintenir ou les enlever des rayonnages virtuels revient au même
du point de vue commercial. Ils seront peut être un jour vendus, le vrai dilemme vient de
la logistique, du stockage et du transport. C‟est donc l‟objet de notre troisième partie.
* Source : http://www.internetactu.net/2009/01/22/que-faire-de-la-longue-traine/
† Sell less of more
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 51
Conclusion de la partie 2 : Pourquoi en arrive t’on à la participation ?
Que la participation soit une forme de travail ou non, elle s‟est développée dans un
contexte générationnel bien particulier. Internet est à la fois le vecteur et le symbole de
consommateurs nouveaux, qui peuvent faire partie de l‟entreprise mais aussi la juger
d‟un œil extérieur. La consommation de masse a été profondément modifiée lorsque les
limites du marché ont été atteintes : les linéaires ne sont pas extensibles et le
commerce sur internet a permis de dépasser la frontière entre best seller et produit
quelconque. Le raisonnement d‟Anderson marque l‟entrée dans une ère d‟abondance,
dans laquelle la rareté n‟est réservée qu‟au commerce physique. Si les biens peuvent
être dématérialisés alors l‟économie prend un nouveau tournant.
Ce raisonnement reste pour l‟instant réservé à certains biens, puisqu‟on ne peut pas
concevoir une dématérialisation totale de l‟économie mais il constitue également un
regard nouveau sur les échanges et les relations entre les acteurs du marché. Les
économies de diversifications prennent le pas sur les économies d‟échelle et le
consommateur entre dans un univers d‟hyperchoix.
Si la génération « Millennial » est prête pour ce changement, la génération précédente
peine à prendre ses marques face aux évolutions rapides de la technologie digitale. Les
amateurs prennent le pouvoir, cela s‟illustre par l‟entrée des blogs dans la sphère
professionnelle ou l‟influence croissante des réseaux sociaux sur la consommation et la
vie en général. Les entreprises l‟ont bien compris et elles investissent pour faire passer
les internautes de la consommation au travail grâce à un levier simple : l‟éducation.
Dans cet univers numérique, celle - ci est extrêmement importante : elle est le vecteur
de compréhension et doit s‟adapter à ses interlocuteurs selon leur âge. Travailler
ensemble et consommer ensemble sur Internet, dès le plus jeune âge, est possible,
encouragé et souhaité par certains. Que ce soit grâce à Second Life ou à d‟autres
mondes en trois dimensions, il semble que l‟univers des possibles s‟agrandisse et que
chaque consommateur grâce à une éducation adaptée soit capable de s‟intégrer dans
l‟entreprise.
Il faudra ensuite que l‟entreprise multiplie les efforts pour impliquer le consommateur,
en encourageant sa participation active, tout en veillant à ce que la connaissance reste
la propriété de l‟entreprise. L‟évaluation de la performance du consommateur, que ce
soit par lui - même, par sa communauté ou par l‟entreprise, conditionnera une forme de
contrepartie qui l‟encouragera à s‟investir d‟avantage. Le rapport de force entre
entreprise et consommateur évolue et l‟entreprise doit considérer autant la menace que
cela pourrait représenter que l‟opportunité qu‟elle tente d‟exploiter.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 52
Si les possibilités qu‟apporte la participation du consommateur sont nombreuses, nous
souhaitons également nous intéresser aux conséquences de celles - ci sur un élément
central de l‟entreprise : la logistique. Anderson (2009) déclare qu‟il est possible pour
chacun d‟utiliser Internet pour être livré en tout point de la planète : réalise-t-il les
conséquences sur la logistique ? Produire à distance, stocker virtuellement et livrer
réellement sont des problématiques que la logistique d‟aujourd‟hui rencontre et résout
avec succès. Dans notre troisième partie nous allons nous attacher à expliquer ces
évolutions logistiques.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 53
Partie 3: Possibilités et challenges logistiques dans le cadre de la
participation du consommateur
Dans « The Long Tail: Why the Future of Business is Selling Less for More », Anderson
(2009) explore les possibilités offertes par internet. Selon lui il est possible de repenser
la dynamique d‟un marché en exploitant la Longue Traîne. Que celle - ci existe ou non,
un point déterminant de ce raisonnement est l‟absence de prise en compte du taux de
rotation des produits. Traditionnellement celui - ci se calcule en comparant le nombre
de sorties du produit par rapport à une durée fixe. Par la suite on l‟utilise pour gérer les
stocks : les produits à forte rotation sont exploités en priorité car ils représentent un
volume de commande plus important que les articles à faible rotation. Du point de vue
commercial, les articles à forte rotation ne sont pas toujours ceux qui font la marge la
plus importante, mais en logistique l‟analyse doit s‟intéresser aux deux aspects. Le
volume des sorties est donc un point de réflexion autant que le profit réalisé. Dans la
logique d‟Anderson, le taux de rotation des produits ne détermine plus leur présence
dans les linéaires, puisque ceux - ci sont virtuels il est possible de proposer tous les
produits à tous les consommateurs. C‟est ce qu‟il expose dans un chapitre important de
son livre intitulé : « splendeurs et misères du linéaire » et c‟est pour lui c‟est l‟occasion
d‟étudier en détail le commerce virtuel et d‟en démontrer les avantages sur la vente
classique. Le développement de nouvelles formes de vente entraine des mutations
importantes pour les activités logistiques de l‟entreprise, Anderson les met en évidence
en étudiant surtout les marchés de biens culturels (musique, livres, films, …). La
dématérialisation à laquelle ils sont associés explique en partie ces changements,
cependant, selon lui, ils sont également applicables à d‟autres marchés.
Dans le cadre de la participation du consommateur, nous allons étudier les
conséquences sur la Supply Chain, c'est - à - dire sur toutes les étapes qui séparent le
fournisseur de l‟utilisateur final (Médan et Gratacap, 2008). La Supply Chain peut être
définie comme la fonction de l‟entreprise qui englobe la planification,
l‟approvisionnement et la production, cela implique selon Mentzer (2004) 89 , une
coordination de tous les acteurs de la chaine qu‟ils soient fournisseurs, prestataires de
services ou clients. « Le Supply Chain Management a donc pour mission d‟améliorer
l‟efficacité (c'est - à - dire réduire les coûts) et l‟efficience (c'est - à - dire le service au
consommateur) dans un contexte stratégique (c'est - à - dire créer de la valeur pour le
consommateur et de la satisfaction grâce au management d‟une chaine logistique
intégrée) afin d‟obtenir un avantage compétitif qui permettra à l‟entreprise d‟être
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 54
profitable »* (Mentzer et al, 2001)90. En participant le consommateur s‟inscrit dans la
gestion de la Supply Chain, ce qui permet à l‟entreprise de réduire les coûts de
stockage, de transport et même de conception du produit. La participation du
consommateur n‟aura donc pas uniquement des conséquences marketing, mais sera
également associée à des changements dans la production, le stockage et la
distribution. Ce mémoire est centré sur la participation par le biais d‟Internet et dans ce
chapitre Internet est encore une fois le point central de notre analyse. Selon nous, il
permet d‟accélérer l‟échange d‟information et le flux logistique physique. La logistique
n‟est plus alors seulement un centre de coût mais également un centre de profit. Dans
son analyse, Anderson aborde la dématérialisation comme une réponse à la répartition
géographique des consommateurs : bien que les amateurs soient dispersés dans le
monde ils peuvent participer en utilisant le web et en conséquence la production et la
livraison se distancient. Comment coordonner le travail des milliers de collaborateurs,
sur un même projet ? De même comment livrer à tous les consommateurs de la
planète ? Anderson survole seulement ces problématiques dans son livre. Ce mémoire
va donc s‟attacher à explorer dans une dernière partie, les nouvelles formes
d‟innovation et de production liées à la participation active du consommateur. Puis,
nous nous intéresserons aux nouvelles formes de stockage. Enfin nous nous
considèrerons la distribution et les nouveaux canaux qui se sont développés avec
Internet. La participation du consommateur est en effet étroitement liée à son essor et la
Supply Chain sera certainement amenée à évoluer dans le futur avec le développement
de la participation.
A. Les nouvelles formes d‟innovation et de production
L‟innovation est un processus complexe, qui repose sur l‟expertise, comment l‟amateur
pourrait-il y participer ? Elle s‟appuie sur les connaissances et les technologies
possédées par l‟entreprise et suit un schéma simple : rechercher, développer et lancer
sur le marché. C‟est ce que Chesbrough (2003) 91 appelle le modèle d‟innovation
fermée :
* “As such, SCM is concerned with improving both efficiency (i.e., cost reduction) and effectiveness (i.e., customer service) in a strategic context (i.e., creating customer value and satisfaction through integrated Supply Chain management) to obtain competitive advantage that ultimately brings profitability.”
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 55
Figure 11 Innovation fermée (Chesbrough, 2003) *92
C‟est le management de l‟innovation, qui s‟intéresse le premier au rôle du
consommateur final dans le développement de nouveaux produits (Von Hippel, 1986)93.
L‟innovation dans un modèle fermé restait alors dans les limites de l‟entreprise (en
rouge sur le schéma) qui conduisait les recherches et on voit bien que les
consommateurs n‟interviennent que dans la troisième et dernière partie du processus.
Au départ, la réflexion se concentre donc sur le rôle d‟acteurs clés ou de groupes
d‟acteurs recherchés par les entreprises pour leur dynamisme et leur créativité
supérieure à la moyenne : ce sont les leaders d‟opinion (Franke et al. 2006)94. Ceux - ci
ont le pouvoir d‟influencer les achats des autres consommateurs. La participation du
consommateur pouvait donc être encouragée par la participation de leader et leur retour
d‟opinion sur le sujet.
Par la suite, la littérature a étendu l‟analyse à l‟étude de tous les utilisateurs et
consommateurs susceptibles de collaborer avec les entreprises pour le développement
de nouveaux produits. Dans ces collaborations entre les consommateurs et les
entreprises, la connaissance (qui doit être gérée par le knowledge management) est
partagée entre les deux parties. Les consommateurs participateurs peuvent en être la
source ou travailler sur cette connaissance pour la transformer et créer de la valeur. Ce
partage entraine des questions de propriété intellectuelle et les premières
communautés de développeurs ont souvent flirté avec l‟illégalité (Bretthauer, 2001)95.
* Source : http://www.goldenlinks.fr/ang/index.html
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 56
Pour Chesbrough (2003) la réponse se trouve dans l‟innovation ouverte ou Open
Innovation, qui suit un schéma différent de celui vu précédemment.
Figure 12 L’innovation ouverte de Chesbrough 2003 *
Selon Chesbrough (2006) 96 l‟innovation ouverte repose sur le principe que les
entreprises pourraient et devraient intégrer des connaissances extérieures afin
d‟enrichir la recherche et développement. Par rapport au schéma vu plus haut,
l‟innovation ouverte dépasse les limites de l‟entreprise, autant en amont qu‟en aval. Elle
utilise des sources extérieures de connaissances et cherche à atteindre de nouveaux
marchés. Elle peut prendre plusieurs formes :
Le crowdsourcing
L‟Open Source
Dans ces deux approches, la professionnalisation des lead users de Von Hippel (1978)
(usagers experts à l'avant - garde d'un domaine ayant intérêt à ce que celui - ci évolue
pour répondre à leurs attentes et imaginant des solutions pour améliorer les produits
existants) démontre que les communautés prennent le pas sur l‟environnement
technique, qui paraissait pourtant nécessaire à l‟innovation. L‟exemple des logiciels
* Source : http://www.goldenlinks.fr/ang/index.html
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 57
libres illustre bien ce changement, des programmateurs amateurs, attirés par le défi que
représente la réalisation d‟un produit professionnel, sortent des formes classiques
d‟innovation. Certains y voient une forme de démocratie dans l‟innovation (Levy,
1997 97 ; Pimbert et Wakeford, 2001 98 ; Brabham, 2009) 99 , une valorisation de la
connaissance des non - experts. Si ces formes de travail ne constituent pas
obligatoirement un accès à l‟égalité, on peut tout de même souligner que les coûts de
transaction, mis en évidence par Coase (1937)100, diminuent sensiblement grâce à une
coordination des participants, de ce fait les entreprises n‟ont pas à restreindre l‟accès à
la participation. Dans cette partie, nous nous intéresserons à ces formes nouvelles
d‟innovation et de production et à l‟influence d‟internet sur ces pratiques.
1) Le crowdsourcing
Néologisme apparu dans un article de Howe (2006)101 dans le numéro de Juin 2006 du
magazine Wired, le mot crowdsourcing désigne un modèle d‟innovation, qui repose sur
un réseau d‟amateurs. « Une définition simple du crowdsourcing pourrait être102: l‟acte
d‟une entreprise ou d‟une institution de déléguer, sous forme d‟un appel ouvert, une
activité autrefois réalisée par des employés à un réseau indéfini (et généralement large)
de personnes »*. Dans les premiers temps d‟Internet, les logiciels de partage « peer - to
- peer » ont été conçus, afin de proposer l‟échange (souvent à titre gratuit) de fichiers
entre utilisateurs. Par la suite on a vu apparaitre des communautés de « peer
production », littéralement « production avec la communauté de ses pairs ». Ce sont les
groupes qui permettront aux utilisateurs d‟échanger sur le sujet d‟innovation, de
progresser et parfois de créer collectivement sur la base d‟une forme d‟intelligence
collective.
* « Simply defined, crowdsourcing represents the act of a company or institution taking a function once
performed by employees and outsourcing it to an undefined (and generally large) network of people in the
form of an open call ».
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 58
Le réseau joue donc le rôle d‟intermédiaire et le processus peut se résumer à trois étapes :
Figure 13 - Processus de crowdsourcing
Le crowdsourcing apparait donc lorsqu‟une entreprise désire impliquer un nombre
important d‟individus non identifiés, dans une forme de rencontre entre demande et
offre où la connaissance et la créativité peuvent s‟exprimer. Il s‟appuie sur des
plateformes pour combiner la création de valeur et la capture. Howe et Robinson
précisent également qu‟on ne peut parler de crowdsourcing que lorsque la compagnie
prend ensuite possession de ce qui est créé et le produit à grande échelle. Ce
processus s‟est donc développé pour de nombreux domaines, comme la recherche
médicale par exemple.
La recherche médicale collective par le Web :
Le cas d’
InnoCentive* a été fondé en 2001, dans le but de faire bénéficier la recherche scientifique
d’aides extérieures. Le marché regroupe plus de 160 000 chercheurs majoritairement
américains et est basé sur un principe simple : des entreprises (Procter & Gamble par
exemple) payent le site pour participer et des chercheurs (qui trouvent) entre 10 000 et
100 000 dollars par solution. Le site connait un succès assez important, 30% des
problèmes trouvent une solution.
* http://www.innocentive.com/
•lancer une problématique sur
internet
Entreprise
•proposer de multiples solutions
solution1, solution 2, solution 3 , ... , solution n
Réseau d'amateurs •sélectionner la meilleure idée
•acquiérir les droits d'exploitation
•exploiter massivement la solution
Entreprise
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 59
La plupart des chercheurs du site ne sont pas des scientifiques aguerris, de nombreux
amateurs participent activement à la recherche. La richesse de la plateforme vient de la
diversité de leurs profils. Les solutions élaborées vont du véritable apport en recherche et
développement au simple petit détail, cependant même les plus simples des solutions
élaborées par des amateurs auraient coûté bien plus cher ou n’auraient même pas été
trouvées si la recherche était restée interne. Les budgets de recherche et développement
augmentant plus rapidement que les ventes, la plupart des innovations ne peuvent souvent
même pas être financées.
Partant de ce constat, le site se veut un support d’échange, entre des chercheurs connectés
qui ne remplacent pas le département interne de R&D mais travaillent avec lui sur des
problématiques qu’il n’a pas le temps de traiter ou qui semblent insolubles. Pour trouver
des solutions, InnoCentive élabore en collaboration avec les entreprises des défis en
suivant trois étapes. La première consiste à développer le défi pendant environ 2 semaines
avant de le poster sur le site accessible aux chercheurs, l’important étant de pouvoir
garantir une confidentialité pour les entreprises et de comprendre le problème. Ensuite le
défi est posté et reste en ligne pendant un à trois mois, donnant une chance à tous les
membres qui le souhaitent de poster une solution, les chercheurs sont autorisés à poser
des questions dans une partie dédiée sur site, l’étude du problème préalablement menée
par InnoCentive lui permet d’y répondre. Les défis sont classés par catégories (biologie ou
programmation SAP, tout existe), afin d’orienter les participants et de faciliter la prise de
contact.
L’entreprise ne paye que pour les solutions qu’elle accepte, le risque est donc mutualisé (de
nombreux chercheurs se penchent sur le même problème) et réduit (pas de paiement pour
la recherche pure). La dernière phase consiste à évaluer et récompenser les solutions, ce
qui prend entre deux semaines et deux mois. Les solutions sont transmises { l’entreprise et
c’est elle qui choisi la meilleure. Par la suite le site assure lui - même le transfert de
propriété intellectuelle du « trouveur » { l’entreprise et le récompense.
Dans une démarche de crowdsourcing, le problème rencontré par l‟entreprise est résolu
par un réseau d‟employés amateurs, la communauté est donc au centre de la création
de valeur. L‟intérêt du crowdsourcing est de pouvoir obtenir une solution originale à bas
prix sans qu‟aucun filtre ne soit appliqué pour garantir la qualité, c‟est la communauté
qui s‟auto - corrige. En effet celui - ci offre un espace privilégié pour l‟échange
accessible sans restriction géographique et fournit aux amateurs les outils dont ils ont
besoin pour élaborer une solution. Internet a donc vu émerger de nouvelles
opportunités de participation à l‟innovation de la part d‟amateurs, à la fois pour des
produits et des services. Ce sont les participants qui doivent se structurer, le choix et
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 60
l‟amélioration des apports relèvent d‟un travail d‟organisation qu‟ils doivent mettre en
place seuls (Dujarier, 2008). Selon Surowiecky (2004)103, dans un groupe d‟individus
brillants, l‟intelligence de groupe dépasse souvent l‟intelligence individuelle des
membres du groupe. Le web permet de regrouper les idées du groupe et de les
agréger, c‟est un réseau de communication et un outil interactif, qui permet de stimuler
l‟innovation et la création (Brabham, 2008). Si l‟on reprend l‟exemple d‟Anderson, le
livre « The Long Tail : Why the Future of Business is Selling Less for More » découle
des conclusions qu‟il a pu tirer de réflexions postées sur son blog, qui ont été
commentées abondamment par les internautes. Professeur d‟université, professionnel
chevronné ou simple internaute, tous ont été invités à réfléchir sur sa thèse,
indépendamment de leur connaissance préalable du sujet. Bien sûr une forme
d‟émulation naturelle s‟est exercée : ceux qui avaient la meilleure compréhension du
sujet se sont exprimés plus souvent que les autres. Cependant des amateurs ont
également pris parti pour poser des questions pertinentes qui ont fait avancer la
réflexion dans un sens que n‟auraient pas pu lui donner des professionnels ou des
académiques. Ce schéma d‟innovation bottom - up (de l‟internaute vers l‟entreprise)
s‟oppose à la démarche classique (top - down), dans laquelle la firme allait au
consommateur. Dans le cas d‟InnoCentive les participants sont des scientifiques certes,
cependant il existe d‟autres formes de crowdsourcing dans lesquelles les amateurs ont
une compétence limitée et participent pourtant pleinement à la résolution du problème.
Les reporters amateurs :
le cas de Citizenside
« Citizenside a pour but de créer la plus grande communauté de reporters amateurs et/ou
indépendants. Tout le monde peut partager sa vision de l’actualité, avec ses photos et ses
vidéos. »*. Fondée en 2005, cette agence photographique originale propose à tous de
vendre des photos et vidéos en utilisant le site comme intermédiaire.
Youtube pour les vidéos et Facebook pour les photos, la nouvelle génération semble
aujourd’hui ne plus chercher de l’information que sur le net. Citizenside s’engouffre donc
dans la brèche en proposant { chacun de créer de l’information. L’objectif, selon l’un de ses
fondateurs, est « de professionnaliser l’information amateur, non de professionnaliser
l’amateur ».
* Source : http://www.citizenside.com/fr/
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 61
Que ce soit pour créer ou pour consulter de l’information Citizenside semble prendre peu à
peu sa place dans le paysage des médias, c’est ainsi qu’en 2007 l’Agence France Presse
prend une participation dans la société. La communauté Citizenside compte environ 50 000
participants en 2010, dont 10 000 contributeurs actifs. Disponible sur iPhone et Androïd
(de Google), Citizenside tente de couvrir la population mondiale (actuellement les
contributeurs viennent de 100 pays différents) afin d’atteindre les informations partout où
elles se trouvent. Ces contributeurs ne sont pas des professionnels : passionnés d’actualité
ou simples passants peu importe, Citizenside est un intermédiaire entre eux et les médias
traditionnels du monde entier. Les participants permettent à Citizenside de proposer un
service à ces médias sans les remplacer.
Le site propose de se charger de la transmission et de la négociation des tarifs pour les
contributeurs. En échange il faut légender soigneusement chaque apport et en indiquer
l’intérêt par rapport { l’actualité. En effet, une fois mise en ligne, une image ou une vidéo
peut rapidement échapper à tout contrôle. De ce fait, ensuite vient un travail de contrôle de
la qualité : vérifier le compte de l’auteur, interroger d’autres témoins potentiels et
contrôler les détails techniques liés { l’image ou la vidéo (heure, lieu, …). Citizenside peut
ensuite publier l’apport sur la galerie publique de Citizenside, il sera alors mis en vente {
un prix fixe pour une durée indéterminée et devra être exclusif (c’est - à - dire réservé à
Citizenside pendant trois mois). Lorsqu’il s’agit d’un scoop pour lequel Citizenside peut
négocier un droit d’exclusivité ou qui présente un problème de droit { l’image, il ne sera
pas affiché dans la galerie publique.
Les contributeurs reçoivent ensuite une contrepartie (jusqu’{ 75% du prix). C’est ainsi que
des images de Jérôme Kerviel, prises par un anonyme, auraient été vendues près de
100 000 euros.
Le crowdsourcing est donc une forme d‟innovation basée sur la performance d‟amateurs,
aguerris ou non, dans laquelle le web joue un grand rôle. Il est important de souligner que dans
le processus de crowdsourcing les informations qui aident à la résolution du problème ne sont
pas essentielles, autrement dit l‟internaute n‟a pas accès au cœur du problème. La seconde
forme d‟innovation ouverte, l‟Open Source, repose sur le principe opposé.
2) Vers l‟Open Source et au delà
Comme pour le crowdsourcing, l‟Open Source est basé sur la mise à disposition des
ressources aux internautes afin qu‟ils créent ou améliorent une solution. L‟Open Source donne
aux participants l‟accès aux ressources clés du produit, dans le cas des logiciels les
programmeurs amateurs modifient le code source des logiciels. Le site officiel de l’Open
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 62
Source Initiative justifie cet accès par la nécessité d‟instaurer une relation transparente avec
les usagers. Les produits distribués librement et continuellement accessibles à tout stade du
développement.
Le terme Open Source, est traditionnellement associé au monde du logiciel,
il est souvent confondu avec le logiciel libre ou free software. Open Source
permettait de lever l‟ambiguïté du mot anglais free, qui peut désigner à la fois
la liberté et la gratuité. Au départ réservé aux logiciels dont on pouvait obtenir
librement le code source, l‟expression Open Source a également été utilisée
pour faire référence aux versions béta des logiciels, qui se sont multipliées ces dernières
années. Les versions béta sont des pré - versions d‟un logiciel que l‟on donne à tester à
certains utilisateurs afin qu‟ils puissent en détecter les bugs et les faiblesses. Les logiciels Open
Source les plus connus sont le navigateur Mozilla Firefox ou le système d‟exploitation Linux.
Brabham affirmait en 2008104 la supériorité de la vision crowdsourcing, moins risquée selon lui
que l‟Open Source. Cependant l‟Open Source connait ses heures de gloire avec les
applications iPhone.
Aller au - delà de l’Open Source : le pari d’Apple
Apple s’est lancé dans l’Open Source avec Darwin en 1999, en suivant l’exemple d’Adobe ou
de SUN, la compagnie trouvait dans l’Open Source une nouvelle façon de se distinguer de
Microsoft. Pour Apple c’était l’occasion d’établir un premier contact avec les développeurs
et de casser auprès d’une certaine communauté son côté simpliste. Apple excelle en effet
dans la création de produits grand public mais l’époque où les Macs étaient réservés aux
artistes et aux créatifs est définitivement révolue. Or Apple peinait à attirer une population
plus orientée vers la technique. L’utilisation de l’Open Source était donc l’occasion pour la
compagnie de s’ouvrir vers l’extérieur pour la création de logiciel et leur enrichissement.
Cependant Apple a gardé une stratégie extrêmement prudente : la compagnie intégra les
apports des contributeurs mais ne communiqua jamais tous les codes sources, restreignant
ainsi le champ autorisé de l’Open Source.
Cela s’explique par le coût élevé de l’administration des contributions directes et du report
des bugs qu’Apple refusa de prendre en charge (West et Gallagher, 2006)105. Elle utilisa le
site http://www.opensource.apple.com/ pour communiquer les sorties aux amateurs et
donner l’accès aux codes sources de certaines applications. Le premier contact avec les
développeurs était pris, par la suite lors du lancement de l’iPhone a Apple pu de nouveau
faire appel { eux pour le développement d’applications dédiées mais également aux
amateurs en général.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 63
Pour Apple, il s’agit d’un pari gagnant puisque sur 950 millions d’applications créées en
neuf mois, 60% ont été développées par des amateurs qui n’avaient jamais approché une
plateforme Apple auparavant. Des débutants en somme se lancent, comme ce garçon de
neuf ans qui a créé une application de peinture au doigt pour iPhone et iTouch. Apple garde
donc la simplicité qui a fait son succès, tout en se tournant vers le monde des amateurs
aguerris. La clé de voute de ce système c’est la plateforme d’Apple dédiée { la création.
Accessible en ligne afin d’expliquer aux nouveaux utilisateurs comment créer une
application, c’est un outil de création, de promotion et de critique.
La programmation se fait dans l’environnement Xcode, application native Mac. On ne
s’improvise pas programmateur : le Xcode est en anglais et s’apparente au codage VBA sous
Excel par exemple. Même si Xcode permet de programmer dans tout langage le processus
reste assez complexe pour les néophytes. Le site www.cuk.ch illustre bien cette difficulté en
proposant un manuel de création d’un « petit utilitaire » en pas moins de 40 étapes.
La création est complètement externalisée chez le consommateur, qui reçoit sa part de la
rémunération mais pour Apple c’est un marché qui s’auto - entretient. Le lancement a été la
partie la plus risquée, désormais les consommateurs - producteurs d’applications ne
communiquent avec Apple que par la plateforme Appstore, pour le partage des gains:
Apple (30%) et les développeurs (70%). Au - del{ de l’innovation, Apple a donc réussi {
lancer une véritable production professionnelle par des amateurs. En partageant des
applications qu’il possédait en propre, Apple a transféré la charge de la propriété sur les
amateurs, qui sont désormais responsables de leurs applications. Apple a su se servir de
l’Open Source pour établir le contact avec une communauté particulière, créer l’échange
d’information et proposer une externalisation de la possession et de la conception, qui
puisse être soutenue par cet échange.
L‟Open Source démocratise donc l‟accès aux ressources clés de l‟entreprise, c‟est d‟ailleurs la
raison pour laquelle Apple a refusé d‟y souscrire totalement. L‟entreprise a préféré utiliser des
stratégies hybrides pour combiner les apports de l‟Open Source, tout en gardant le contrôle de
la propriété intellectuelle. En effet, bien que l‟Open Source soit censée garantir la
reconnaissance des apports précédents à la nouvelle version, il arrive fréquemment qu‟on ne
puisse établir la parenté de certaines améliorations. Les individus perdent alors l‟envie de
travailler, le travail n‟étant pas reconnu. De ce fait, l‟Open Source est moins souvent plébiscité
que le crowdsourcing, lorsque l‟entreprise externalise sa recherche et développement et/ou sa
production sur des amateurs. Après l‟étape d‟innovation, vient celle de la production puis celle
de l‟organisation de la logistique. Or lorsque l‟on demande au consommateur de concourir à la
conception de l‟offre de produit (ou de service), la production doit s‟adapter à son rythme de
production. Ce rythme est fonction de la motivation du consommateur - amateur et du temps
qu‟il peut ou veut consacrer à la production. L‟Open Source est une solution adaptée à la
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 64
conception de logiciels, car ils ne sont pas stockés : ils existent de façon virtuelle, mais la
gestion des stocks de produits physiques ne peut pas suivre cet exemple.
B. La gestion des stocks
Si l‟on reprend notre exemple des applications iPhone, crées par les développeurs - amateurs,
la production peut prendre énormément de temps et il n‟y a aucune pression de la part d‟Apple
puisque le revenu potentiel généré par ces applications est substantiel pour lui. De ce fait ce
sont les créateurs d‟applications qui décident de la date de mise sur le marché et de la durée de
vie du produit, la production serait donc en flux poussés : les utilisateurs poussent vers d‟autres
utilisateurs un produit qu‟ils ont conçu. Cependant dans l‟exemple du Kitchen Planner* il s‟agit
bien d‟une demande du client, qui conçoit lui - même son plan et déclenche la livraison des
meubles correspondants, à défaut de déclencher la production en elle - même : donc une sorte
de flux tirés. La participation pourrait donc réconcilier ces deux modèles de gestion : l‟un (les
flux poussés), reposant sur une production en vue d‟un stock et l‟autre (les flux tirés ou tendus)
sur une production à la commande. La gestion en flux tendus d‟une marchandise vendue sur
Internet implique une localisation de la marchandise à tout instant, il faut donc prendre en
compte la mise en stock et le transport.
Traditionnellement il existe deux modèles de gestion des stocks :
la méthode First In First Out ou FIFO: les produits entrés les premiers en stock sortent
préférentiellement par rapport à ceux entrés ensuite, cette méthode est la plus utilisée
la méthode Last In First Out ou LIFO : les derniers produits entrés sont les premiers à
sortir du stock
L‟entreprise prévoit en général une marge, appelée stock de sécurité, de produits qui restent en
stock et permettent de pallier à toute variation inattendue de la demande. Il existe également
des stocks non voulus, qui se forment lorsque le flux connait un arrêt maitrisé par l‟entreprise ou
non. La participation du consommateur lui permettant d‟adapter l‟offre à son besoin propre,
l‟entreprise doit entretenir une gestion des stocks flexible afin de pouvoir répondre rapidement
et efficacement à la demande. Pour cela il existe plusieurs solutions pour gérer les stocks:
le stockage virtuel
la production à la demande
le stockage numérique
* Voir Partie 2, B. 1)
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 65
1) Les stocks virtuels et la production à la demande
Les stocks virtuels sont utilisés par de nombreuses entreprises qui se livrent au commerce sur
Internet. L‟entreprise est séparée en deux : d‟une part la partie « front office »* c'est - à - dire le
site web, qui est l‟interface entre les consommateurs et l‟entreprise et d‟autre part le « back
office »† c'est - à - dire la gestion physique des ventes. Sur le site web la gestion de stocks
virtuels se traduit par une date de livraison approximative associée à chaque produit et de
conditions de ventes sur lesquelles l‟entreprise s‟engage. Parmi les engagements figure celui
de livrer dans un délai raisonnable approchant cette date. L‟entreprise est transparente vis - à -
vis de ses clients et doit donc avoir une gestion physique en relation constante avec la gestion
virtuelle. IKEA propose même à ses consommateurs de consulter l‟état des stocks avant de se
déplacer. Le consommateur peut donc voir le nombre de pièces en magasin à un instant T‡.
Les stocks virtuels sont donc un outil important de la vente qu‟elle soit physique ou numérique.
Cela signifie donc que le stock réel de produits c'est - à - dire le stock physique plus les encours
de commande doit être suivi de très près. Le site internet des entreprises, qui est leur vitrine
sera connecté à leur zone de stockage virtuelle, elle - même connectée à leur zone de stockage
physique via un ERP§. Pour chaque produit, le processus est le même : lorsqu‟une commande
a lieu, elle est intégrée dans l‟ERP 106 et la demande de sortie de stock est envoyée à l‟interface
physique. Le produit est ensuite sorti du stock et le stock est mis à jour en physique comme en
virtuel. Lorsqu‟un client passe la commande il prend alors possession du stock et l‟entreprise
doit donc lui apporter sa propriété en utilisant son réseau. Les commandes sont suivies le long
de la Supply Chain et les factures sont traitées en temps réel, afin d‟imputer le stock de
l‟entreprise.
* « Le front office est composé de toutes les infrastructures électroniques des systèmes d‟information
nécessaires au fonctionnement du site mais aussi des collaborateurs qui vérifient, enregistrent, trient et
transmettent les commandes en provenance du réseau Internet » (Mevel, 2002)
† « Le back office a pour objectif de faire naître la valeur en transformant peu à peu le flux d‟informations,
en provenance du site, en flux physique de produit du point d‟origine au point de consommation finale. »
(Mevel, 2002)
‡ Voir Annexe 2 – Consultation du stock en temps réel d‟IKEA
§ Enterprise resource planning ou progiciel de gestion intégrée, c‟est une technologie structurante qui
aide à la gestion des stocks, « le logiciel de gestion détermine […] quelles sont les pièces en stock et quelles sont celles qu‟il faut fabriquer. » (Gérard, 2000)
105
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 66
Figure 14 - Gestion des stocks et intégration de la commande
Gestion d’un stock virtuel en flux tendus :
le cas d’IKEA
Après avoir conçu une cuisine { l’aide de l’outil de planification 3D Kitchen Planner, le
consommateur peut se diriger vers plusieurs canaux de distribution : le retrait des articles
en magasin ou la livraison directe. La livraison directe ou Home delivery permet au client de
faire ses courses de chez lui et d’être livré { son domicile. Le montant du panier d’achat doit
dépasser un montant palier en dessous duquel il n’est pas intéressant pour IKEA de livrer
le client. Certains articles peuvent être produits spécialement sur commande et ne seront
pas remboursés, pour les autres, les clients ont droit à 90 jours pour les rapporter. Il existe
dans ce cas plusieurs interfaces entre entreprise et client : d’une part l’interface du Kitchen
Planner et d’autre part le site d’IKEA où le consommateur effectuera le paiement.
site internet
commande prise en compte dans l'ERP
suivi des stocks, des commandes et des
encours
validation de la date de la commande en accord avec le niveau
de stock
demande de sortie du stock physique
imputation sur le stock virtuel
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 67
La commande suit donc un parcours un peu complexe, transféré du Kitchen Planner dans
Internet puis { l’interface de paiement. Le prix de la livraison est fonction de l’éloignement
vis - à - vis d’un magasin. Autrement dit, pour toute commande passée concernant des
meubles de l’IKEA Kitchen Planner, le stock physique se trouve en magasin et sera déduit
de ses réserves. Le stock virtuel lui est fonction des différents magasins alentours. Pour
chaque commande il y aura une mise à jour du stock virtuel, afin de permettre de nouvelles
commandes dans le respect des niveaux de stock, et du stock physique afin que les
magasins qui ont permis la livraison de la commande ne tombent pas en rupture.
Cette gestion virtuelle est extrêmement complexe pour IKEA et la compagnie n’investit plus
depuis 2007 dans l’innovation pour l’e - shopping. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, la
principale est qu’IKEA a toujours misé sur la participation du consommateur: l’assemblage
des meubles, par exemple, est toujours le travail des clients. Le Kitchen Planner n’est qu’une
étape de plus dans cette direction, la livraison { domicile par contre va { l’encontre de ce
principe. Les derniers kilomètres jusqu’au client coûtent aussi cher { IKEA que d’apporter
l’objet en magasin. C’est pourquoi l’entreprise encourage les clients { venir retirer leurs
achats en magasin avec leur voiture ou à louer une camionnette IKEA pour se livrer eux -
mêmes. Les clients peuvent donc acheter à partir du stock virtuel mais devront participer
au processus d’acheminement jusque chez eux.
Ainsi que le montre cet exemple, les entreprises prennent parfois la responsabilité du transport mais
ce n‟est pas la norme. La gestion des stocks dépend des acteurs qui la gèrent, il existe plusieurs
types de sites Internet. Selon leur nature ils prennent en charge ou non la gestion des stocks :
•l‟entreprise ne vend pas les produits
•exemple : ebayPlateforme d‟échange
•l‟entreprise prend les commandes pour le consommateur,
•ce sont les fournisseurs qui acheminent le produit vers le client
•ce sont les transporteurs qui acheminent le produit vers le client
Plateforme de commande
•l‟entreprise prend à sa charge le contrôle des opérations physiques
Plateforme de commande et de transport
• l'entreprise centralise la plupart des activitésPlateforme de commande,
de transport et de production
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 68
La première forme de site Internet suppose que les internautes gèrent de façon autonome leurs
stocks sans l‟intervention du site. En ce qui concerne, les trois dernières formes, le site web, qui
sert d‟interface avec les clients, doit intégrer une part de logistique plus ou moins importante.
Ooshop, la filiale e - commerce de carrefour, fait ses livraisons à partir d‟un dépôt dédié à
l‟activité sur le web. Le dépôt est en relation avec les sorties de stock virtuelles et avec l‟ERP de
l‟enseigne au niveau national afin de pallier aux ruptures en faisant appel à la maison mère. La
plupart des acteurs sur Internet dispose d‟un dépôt, cependant cela implique des coûts de
stockage importants et une gestion des phénomènes d‟obsolescence ou de péremption. La
logistique ne pourra faire abstraction de ces contraintes que dans le cadre de la gestion de
stocks entièrement numérique.
2) Les stocks numériques
Qu‟il s‟agisse de musiques, de livres ou de films, la dématérialisation fait désormais partie du
quotidien. Bien qu‟elle ait conduit à de nombreux débats au début de son existence, dus à
l‟illégalité dans laquelle elle s‟est développée, elle permet une distribution de masse flexible,
basée sur l‟absence de support, inimaginable auparavant. Lorsqu‟elle est légale, les droits
d‟auteurs sont respectés et les contenus s‟accompagnent toujours d‟informations telles que
l‟auteur, l‟année de parution, le poids pour le stockage numérique, etc. A la différence d‟une
gestion de stock physique, lorsqu‟un produit est acheté dans un stock virtuel, il ne sort pas du
stock : il est simplement dupliqué et ajouté au stock du client. Les titres achetés légalement
peuvent être protégés, ce qui évite que les duplications multiples. Cependant il arrive souvent
qu‟ils ne le soient pas, iTunes, par exemple, propose depuis 2009 de nombreux titres sans
DRM (digital right management), autrement dit transférables d‟un utilisateur à l‟autre. Apple
freine ce phénomène de transfert en vendant des baladeurs mp3, qui ne peuvent être
synchronisés que sur un ordinateur à la fois. De ce fait, il est plus complexe de partager sa
musique avec un autre utilisateur et le client est encouragé à s‟adresser à l‟entreprise en
priorité.
La relation entre l‟entreprise possédant un stock numérique et son client est très simple : il n‟y a
pas d‟intermédiaire entre les deux parties, qui sont connectées par le biais d‟Internet. Du point
de vue de la gestion des stocks, l‟un des enjeux principaux réside dans le maintien d‟un niveau
de qualité optimale. Lorsque les logiciels de « peer to peer » ont vu le jour, la qualité des
premiers contenus mis en ligne était déplorable. Il fallait améliorer cet aspect et donc
augmenter la taille des fichiers. Les fichiers de qualité et les fichiers qui sont longs (films et
musiques) ou qui comportent de nombreuses pages (livres) ont tendance à voir leur poids
augmenter. Or si le coût des sorties de stock n‟augmente pas avec le nombre de sorties, le coût
d‟hébergement en ligne augmente lui significativement, c‟est un deuxième enjeu capital pour la
gestion des stocks. Plus l‟entreprise propose de contenus au client, plus elle utilise de bande
passante dont le prix est facturé par un hébergeur Internet. Plus le contenu est populaire, plus il
y a de demandes et donc plus la bande passante utilisée est importante. C‟est pourquoi
certaines compagnies font partager ce coût au consommateur.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 69
Le stockage numérique : le cas d’iTunes Store
iTunes Store est le premier magasin de musique en ligne du monde, il commercialise 12
millions de chansons, 55000 épisodes de séries télévisées, 8500 films et des applications.
Centralisé il gère les droits (digital rights management) de tous les contenus disponibles
sur iTunes. En 2010 cela représentait 10 millions de chansons téléchargées*. Apple a
compris avant Microsoft l’opportunité que pouvait représenter la musique digitale, il mise
donc très tôt sur le succès de cet outil. Microsoft a re - lancé Zune le 12 avril dernier aux
Etats Unis, qui comporte l’opportunité de réaliser des transferts de musique d’utilisateur {
utilisateur contrairement à iTunes.
Lors de son premier lancement en 2006, l’outil n’avait pas été adopté par les internautes,
iTunes s’étant déj{ imposé comme le leader sur le marché. Disponible seulement aux Etats
Unis et au Canada, Zune connaitra peut être le succès avec le Windows phone qui devrait
être commercialisé { une date ultérieure. Il est vrai qu’avec le lancement de l’iPhone
l’iTunes store a fait face { un trafic plus important et de ce fait un supplément d’utilisation
de la bande passante. Ceci explique certainement que le tarif unique de 0,99€ par chanson,
qu’Apple pratiquait depuis le lancement de l’iTunes store il y a cinq ans, ait été abandonné
en 2009 au profit d’un tarif qui tient compte de la popularité des chansons. Les chansons
classiques (London calling des Clashs par exemple) sont vendues 0,69€, ensuite viennent
des chansons { 0,99€ qui sont restées au même tarif compte tenu de leur popularité et des
chansons { 1,29€, parmi les « hits » du moment.
Les chansons sont stockées au format AAC, (Audio Advance Coding, format de compression
de données), pour éviter la perte de qualité, entrainant du même coup une surcharge des
fichiers. Les premiers baladeurs mp3 proposés par Apple étaient donc limités car leur
capacité d’hébergement était assez faible, en comparaison des capacités désormais
disponibles. Pour l’iTunes store la problématique était la même, il fallait posséder la
capacité de stockage numérique pour toutes les données et les maintenir disponibles en
permanence. De ce fait la bande passante mobilisée est l’un des coûts les plus importants
de la gestion des stocks numériques d’iTunes store. Ces coûts sont compensés par les
économies réalisées sur les coûts de fabrication, le coût de transport et les coûts de
distribution. L’internaute participe à la production, au transport et à la distribution en
réalisant la transaction et en téléchargeant lui - même. Le stock se trouve donc à la fois
chez iTunes et chez le client, il y a donc duplication du stock à chaque achat.
* Selon une source Apple : http://www.apple.com/itunes/10-billion-song-countdown/
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 70
Pour éviter ces duplications, l‟ambition de certaines entreprises est d‟externaliser le stock sur
les consommateurs. C‟est le cas de Google avec sa bibliothèque digitale, la compagnie
américaine a scanné 7 millions de livres dont elle vend l‟accès aux internautes. Face à la
déferlante numérique, Amazon.com peut difficilement faire face. Mais comment Google peut il
héberger tant d‟informations ? L‟entreprise a divisé son parc de 450 000 serveurs en mini parcs
de 40 à 80 serveurs, appelé « server farms », chacun affecté à une mission précise (Barroso,
Dean et Hölzle, 2003107). Il est difficile d‟avoir des chiffres car la compagnie considère que le
contrôle et la protection des données lui donne un avantage concurrentiel. En tous les cas la
gestion des stocks même numérique est un travail colossal et très coûteux. La solution pourrait
être alors de ne pas avoir de stocks, comme le préconise le Juste - à - temps.
3) La production à la demande
La philosophie du Juste - à - temps est une organisation de la production développée par Ohno
chez Toyota en 1978108, qui propose de déclencher le processus de fabrication du produit au
moment de la commande. Selon Médan (2008)109 il s‟agit de « livrer juste au bon moment, c'est
- à - dire ni trop tôt, ni trop tard ». « Ni trop tôt pour éviter les stocks qui coûtent cher à
l‟entreprise, ni trop tard pour éviter les ruptures qui atteignent l‟image de marque de
l‟entreprise ». La gestion des stocks qu‟ils soient numériques ou physiques aura un impact sur
les coûts supportés par l‟entreprise. Cependant est - il possible de produire uniquement
lorsqu‟une commande ferme est passée ?
Le Juste - à - temps est rarement appliqué au pied de la lettre, les entreprises ont en général
des stocks de produits semi - finis ou de matière première, afin de réduire le délai de
fabrication. Le Juste - à - temps recommande de réduire les stocks, pas de ne pas en avoir
(Zipkin, 1991)110, or il a souvent été mal interprété Burmeister (2000)111 et donc décrié.
En étudiant, la participation du consommateur on constate qu‟il serait possible d‟appliquer le
Juste - à - temps à la production. Internet permet une communication plus rapide entre les
acteurs et les consommateurs - participateurs sont prêts à attendre un délai raisonnable pour
obtenir un produit qui corresponde exactement à leurs besoins. De plus la demande pour ce
type de produit fluctue énormément, ce qui rend la production à la demande plus attrayante
encore. En termes de gestion des stocks cela veut donc dire que les stocks sont réduits au
minimum.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 71
L’impression à la demande :
le cas du partenariat On Demand Books et Google
Google Books a été lancé en 2004, afin de démocratiser l’accès aux livres grâce { la
numérisation des textes et { leur hébergement en ligne. Aujourd’hui les internautes
peuvent rechercher 7 millions d’ouvrages via Google Books, puis, s’ils font parti du
domaine public les consulter, les exporter sous format pdf ou même les faire imprimer. Les
autres livres sont soumis { des droits d’auteurs, ce qui empêche leur libre consultation.
Cependant la consultation est possible à titre payant puisque Google a signé des accords
avec de 28 grandes bibliothèques et plus de 20 000 éditeurs* afin de pouvoir mettre à
disposition des internautes les dernières sorties en librairie. Google a également établi un
partenariat avec On Demand Books† ou ODB en septembre 2009. Fondé en 2003, ODB
propose d’imprimer et de relier des livres, la compagnie utilise pour cela des machines qui
impriment en couleurs et dans une qualité équivalente { celle des presses d’impression.
Chaque machine peut imprimer un livre de 300 pages en 4 minutes, cependant malgré
cette performance impressionnante le nombre de machines est pour l’instant réduit : 35
machines en service dans le monde, notamment dans des universités ou des bibliothèques.
L’intérêt pour ces établissements est de posséder une machine qui puisse fabriquer les
titres ayant une faible rotation des stocks. Héberger en ligne n’est plus alors nécessaire, il
suffit d’avoir un lien vers un serveur fixe qui envoie l’information { l’imprimante et le livre
sera créé. Grâce à Google, ODB a accès à deux millions de livres du domaine public‡,
auxquelles les machines peuvent accéder via le logiciel Express.net, qui permet de
connecter la machine au réseau de titres disponibles chez ODB. Pour l’instant il y a donc
toujours une forme de stockage en ligne, cependant dans le futur, les ouvrages numérisés
pourraient être stockés hors du net et imprimés uniquement lorsqu’une demande pour
l’ouvrage serait formulée.
* Source : http://googleblog.blogspot.com/2008/10/new-chapter-for-google-book-search.html
† http://www.ondemandbooks.com/home.htm
‡ Source ODB : http://www.ondemandbooks.com/EBM_Brochure.pdf
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 72
On constate donc que les stocks existent toujours, le Juste - à - temps complet auquel fait
référence Burmeister (2000), dans lequel il n‟y aurait aucun stock, n‟existe pas. Cependant la
numérisation des livres et leur impression à la demande semble se situer à mi chemin entre la
gestion virtuelle et la gestion dématérialisée des stocks. Elle suppose donc un retour vers une
gestion physique des stocks : une fois les livres imprimés par une machine comme celle
proposée par ODB, le consommateur n‟a qu‟à récupérer l‟objet de sa demande sur place et à
l‟utiliser. Cependant cette gestion est simplifiée grâce à un canal de distribution très court, qui
comporte peu d‟intermédiaires. Le consommateur est l‟un d‟eux puisque c‟est lui qui agit : le
canal de distribution évolue donc avec l‟intégration du consommateur dans la chaine.
C. Les canaux de distribution
Les canaux de distribution forment des réseaux ou des circuits de distributions dans lesquels
les producteurs peuvent choisir un ou plusieurs canaux. Ceux - ci forment des « sous -
ensemble[s] du circuit constitué[s] par des magasins d‟un même type (les supermarchés, les
hypermarchés, …) ou caractérisé[s] par l‟utilisation d‟une méthode de vente particulière (vente
à domicile, vente par correspondance, …). » (Vandercammen et Pernet, 2005). Le circuit doit
être maitrisé et permettre le transfert rapide du flux d‟information et de produits. Internet avait
d‟abord été considéré comme un canal de vente, il permettait d‟offrir aux consommateurs un
large choix, devenu un canal de distribution il a donnée naissance de nouvelles formes de
distribution (Jallat et Ancarani, 2005112):
Les distributeurs traditionnels (brick and mortar)
Les pure players (click only)
Les distributeurs multicanaux (brick and click)
Selon Anderson (2009), les deux dernières opportunités permettent aux consommateurs de
« devenir distributeurs » car elles concernent des produits dématérialisés. Cependant le
consommateur - amateur ne devient pas toujours distributeur, il fait appel à une entreprise
professionnelle qui en général prend en charge la distribution. La distribution évolue pourtant et
comme nous l‟avons vu pour la gestion des stocks, il existe de nouvelles possibilités grâce à la
dématérialisation. En ce qui concerne les autres produits, comment livrer à des milliers de
consommateurs à travers le monde des commandes individuelles ? L‟internet a changé de
nature : ce n‟est plus son caractère dématérialisé qui est important mais « les transformations
organisationnelles qu‟engendrera à terme [son] utilisation » (Kessous, 2001)113. Devenu un
intermédiaire dans le canal de distribution à part entière, les enjeux logistiques qui lui sont
associés ont longtemps été ignorés au profit de la gestion des risques ou de la sécurité des
paiements. Dans cette partie nous nous proposons d‟étudier les changements organisationnels
apportés par Internet dans le cas de la distribution numérique et de la distribution physique.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 73
1) Distribution par le canal Internet
Figure 15 - Le coût réel de la musique
(Source: Anderson, 2009)
Internet n‟est pas un canal de distribution
pour tous les produits, cependant les
biens culturels étudiés par Anderson
(2009) tels que la musique, les films ou les
livres en ligne peuvent l‟utiliser. Selon
Anderson, les formes de commerce
dématérialisées (type iTunes) ont des
coûts de distribution nuls. Or comme le
démontrent Benghozi et Benhamou
(2008), ces coûts sont loin d‟être annulés
par la dématérialisation : il faut prendre en
compte les coûts du catalogage, du
codage et de la constitution de la base de
données. Selon eux, les coûts associés à
la mise en ligne de musique sont peut être
marginaux, cependant au niveau de la
vidéo, ils sont significativement plus
élevés et la numérisation ne constitue pas
une économie pour les entreprises.
L‟atout majeur d‟Internet est la réduction du nombre d‟intermédiaires, dans le cas de la
musique les artistes et leurs maisons de disques passent directement par des hébergeurs
qui vendent les titres sur Internet, comme iTunes. De même pour les revues ou les journaux
disponibles sur le web, ils sont disponibles à la vente sans autre intermédiaire que le site
web. Le seul enjeu qui se présente pour ces produits accessibles en ligne réside dans la
facilité de l‟accès c'est - à - dire la performance des interfaces informatiques entre producteur
et client. Les produits doivent être toujours disponibles et téléchargeables rapidement.
L‟exemple d‟iTunes est manifeste*, selon la configuration de l‟Internet du client (Haut débit ou
Modem), un même fichier peut mettre entre 4 secondes et 10 minutes à être téléchargé. Le
consommateur, qui télécharge, participe à l‟offre de l‟entreprise mais n‟est pas prêt à
attendre trop longtemps, c‟est pourquoi les entreprises travaillent énormément sur le temps
de téléchargement acceptable qui constitue la seule étape de distribution par le biais du
canal Internet uniquement.
* Voir Annexe 4 – Statistiques iTunes
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 74
Il existe également des formes de distribution multicanals, qui utilisent Internet pour une
partie de la distribution (enregistrement de commande, remontée d‟information, …) mais pas
comme un canal de distribution unique. En général pour ces formes hybrides, intervient une
distribution physique, qui présente les enjeux logistiques identiques à ceux qu‟elle
présenterait pour une distribution classique.
2) Réseaux de distribution physique
La distribution physique varie fortement selon la nature des produits et doit s‟adapter à
chaque envoi en fonction du volume transporté ou des relations entre le producteur et ses
partenaires. Pour encourager la réappropriation des produits par les consommateurs
(Certeau, 1980) la logistique ne doit pas faire d‟erreur, interrompre le flux peut gravement
nuire à son image de marque. Elle doit donc planifier les flux, implanter et gérer des
installations de distribution. Elle peut décider de posséder ses propres entrepôts (Vente
Privée, Amazon.com, …) et d‟utiliser ceux de prestataires (Fnac.com, Sarenza, …).
Le commerce électronique fait usuellement appel à quatre sortes d‟acteurs (Gratadour,
2001)114 :
Les postes :
Un acteur en perte de vitesse car les services qu‟elles proposent ne sont pas
uniques. Autrefois protégées par les gouvernements, elles sont désormais soumises
à la concurrence d‟autres acteurs concernant certaines branches de leurs activités,
notamment concernant les envois express. De plus les services postaux seront
libéralisés totalement en 2011, plaçant la poste française par exemple dans une
position délicate. Vulnérable face à la concurrence, la poste française a perdu des
parts de marchés au profit de Deutsche Post DHL ou de TNT*. Cela s‟explique par
l‟efficacité des services qui n‟est pas toujours optimale. Des biens fragiles, exigeants
des conditions de transports spécifiques ou avec une destination éloignée rendent
parfois la livraison difficile : « L'Europe postale n'existe pas encore»†.
L‟express :
Opérateurs de messageries express ou intégrateurs (DHL, UPS ou Fedex), ils ont
l‟avantage d‟avoir été les premiers à investir dans des outils de suivi des envois
(tracing - tracking). Ces outils évitent des erreurs de la logistique qui
compromettraient la satisfaction client et décourageraient sa participation. Au - delà
de ces outils de suivi les « expressistes » ont également une bonne implantation
géographique qui leur permet de livrer d‟un pays à l‟autre grâce à des accords de
* Selon Julien Piscionne – intervention Laposte dec 2009
† Selon Henri de Maublanc, co-Président et fondateur d‟ Aquarelle - dans L'Europe une opportunité
pour l'e-commerce © Acsel – 04/06/2008
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 75
dédouanement. Cependant, un envoi express a un coût important et est donc
souvent un frein à l‟utilisation de ces partenaires.
Les logisticiens et transporteurs :
Véritables spécialistes, les logisticiens - transporteurs adaptent leur offre à la
demande des entreprises. Si certains transporteurs se concentrent sur des
échangent B2B (business to business) les spécialistes messagerie, comme
Calberson ont une activité de transport B2C (business to customer), depuis le début
du commerce électronique et s‟évertuent à offrir un service personnalisé.
Les e - logisticiens :
Acteurs spécialisés dans le e - commerce (CrossLog par exemple) pour des
livraisons vers des particuliers, ils s‟appuient sur une forme maitrisée de
l‟informatique et un pilotage de flux sur délais courts. Ce sont généralement de
jeunes acteurs de petite taille qui essaient de se distinguer par des EDI (échanges de
données informatisées) simples et un investissement dans les nouvelles
technologies.
Selon le choix de l‟entreprise d‟externaliser ou non sa logistique, elle fera appel aux
transporteurs pour une logistique interne et aux postes, aux expressistes ou aux e -
logisticiens pour une logistique externe. Le principal enjeu réside dans la destination : dans
le cas d‟une livraison à domicile, le coût par rapport au volume de la livraison finale peut
rapidement augmenter. De plus, il est très difficile de livrer sans avoir une présence locale.
Dans notre exemple d‟IKEA Kitchen Planner la livraison coûte plus cher au fur et à mesure
qu‟elle s‟éloigne de la zone de chalandise du magasin le plus proche. Des solutions
s‟organisent au niveau du transport : le transporteur peut faire des camions complets en
organisant plusieurs livraisons dans un même département, le camion fera plusieurs arrêts
selon un itinéraire de multidrop. D‟où la nécessité d‟avoir un logiciel de transmission et de
suivi des informations et d‟utiliser la RFID, (radio frequency identification), afin de contrôler la
Supply Chain.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 76
Conclusion de la Partie III
Le consommateur - participateur a prouvé qu‟il pouvait faire partie de l‟entreprise : innover,
produire et distribuer, rien n‟est impossible pour lui. Il s‟appuie sur les communautés
auxquelles il appartient pour échanger de l‟information et « travailler » efficacement, tandis
que l‟entreprise lui offre un cadre et des outils qui permettent ce travail. Cependant cette
collaboration ne suffit pas à faire disparaitre les contraintes physiques que la logistique doit
surmonter. Chaque achat sur Internet s‟accompagne d‟un flux d‟information et d‟un flux
physique, chaque participation en ligne donnera un jour lieu à un transfert ou une vente et
aura donc un coût pour l‟entreprise. Internet est un canal de vente et un canal de distribution,
mais il n‟est pas un canal gratuit.
Ce canal de vente permet à chaque consommateur du monde entier d‟accéder à une offre,
qui n‟est pas limitée par des linéaires physiques. Cette offre large, le consommateur peut la
compléter en y participant, en recherchant par exemple de nouveaux médicaments ou en
composant de nouveaux morceaux de musiques, il s‟intègre au monde professionnel auquel
Internet lui donne accès. En tant que canal de distribution, Internet rend possible l‟échange
de biens immatériels tels que la musique, les revues ou les logiciels. Le fait que ces
échanges puissent se faire de façon dématérialisée ne signifie pas qu‟ils soient gratuits,
l‟hébergement et l‟échange de données informatisées sont facturés et comptabilisés,
donnant un poids aux échanges invisibles. Quand Anderson postule que les coûts de
distribution d‟un morceau de musique sont nuls, il ne prend pas en compte les coûts fixes
que doit supporter l‟entreprise lorsqu‟elle propose ce morceau à la vente. La logistique en
ligne existe toujours, elle est simplement plus rapide que la logistique hors ligne, mais pas
moins coûteuse. En ce qui concerne les échanges qui s‟accompagnent d‟un déplacement
physique, plus la destination est lointaine plus le coût est important. La Supply Chain
comporte alors plus d‟intermédiaires, alors que les contraintes de temps ne sont pas
modifiées. La participation fait partie de l‟offre (Maillet, 2010), les consommateurs sont donc
prêts à attendre mais pas éternellement. L‟entreprise doit donc gérer ses stocks et sa
production et faire le choix de produire en flux tendus ou non.
Il existe un rapport de force entre les différents acteurs (entreprise, consommateur et
partenaires) que l‟entreprise doit maitriser. Dépendre de ses partenaires (qu‟il s‟agisse de
partenaires professionnels ou d‟amateurs) peut représenter pour elle un danger et lui coûter
bien plus que ce qu‟elle a économisé en optant pour la participation. Mettre en place la
livraison à domicile, faire appel à la recherche en ligne ou dématérialiser son offre, sont des
options risquées que les entreprises choisissent afin de diminuer les coûts que la production,
le stockage et la distribution font peser sur elles. Les risques doivent donc être mesurés et
évalués.
Il n‟y a pas de suprématie du linéaire virtuel sur le linéaire physique, seulement des
opportunités offertes en parallèle d‟une forme de commerce qui ne disparaitra probablement
jamais. L‟entreprise sera toujours soumise à des contraintes liées à son métier, qu‟elle
l‟exerce en ligne ou non. Le rôle des consommateurs - participateurs est de l‟aider à
surmonter une partie des contraintes, tout en la laissant exercer son expertise en ce qui
concerne la partie qui n‟est pas externalisable. L‟entreprise en retour s‟ouvre sur l‟extérieur
et profite du retour d‟expérience d‟amateurs en apprentissage.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 77
Conclusion
L‟objectif de ce mémoire était de faire le point sur une réalité difficile à appréhender : la
participation du consommateur. Elle est pour certains comme Dujarier, un travail des clients
et une source d‟aliénation, et pour d‟autres comme Maillet, une possibilité de liberté pour ces
mêmes clients et une opportunité pour les entreprises. Ce mémoire ne choisit pas entre ces
deux thèses et préfère proposer un troisième point de vue, le consommateur peut
« travailler », tout en arrivant à une sorte de compromis avec l‟entreprise dans lequel le
rapport de force est stable et donc il ne souffre pas de la domination de l‟entreprise. En
étudiant la participation du consommateur, on entrevoit toutes les difficultés qui s‟opposent à
sa reconnaissance en tant que forme de « travail ». L‟amateurisme a longtemps été associé
au non professionnalisme, or les consommateurs sont les amateurs par excellence, eux qui
ne font pas de profit et dont les entreprises cherchent à deviner les envies et les besoins.
Toutefois, pour les consommateurs de la génération « Millennial », il semble normal et même
souhaitable de participer à l‟offre de certains produits. Internet est pour eux une formidable
source d‟information et un outil pour consommer au quotidien. Être amateur en
consommation, c‟est désormais consommer en connaissance de cause et pouvoir s‟intégrer
dans l‟entreprise tout en la contemplant de l‟extérieur.
La participation du consommateur se fait à travers la construction d‟une expertise en
communauté, par l‟échange avec ses pairs et l‟éducation. Beaucoup d‟entreprises ont
compris que la séparation entre production et consommation n‟est plus aussi nette
qu‟auparavant, si elle l‟a jamais été. Il existe des formes de consommations productives, qui
« mettent le consommateur au travail » et des formes de production qui se rapprochent du
ludique, donnant le jour à de nouvelles formes de travail. Dans le futur les environnements
3D et Internet en général seront certainement amenés à prendre une plus grande place dans
la vie quotidienne des consommateurs, et pas seulement pour les consommateurs des pays
occidentaux. L‟accès Internet via un ordinateur reste pour l‟instant un comportement des
consommateurs des pays riches, les consommateurs de pays en développement accédant
plus souvent à Internet par le biais de téléphone mobile * . Dans ces pays ce sont les
Smartphones qui seront les principaux instruments de la participation : la suggestion, la
recommandation et l‟expertise pourront être exprimées à partir de ces instruments mais les
structures de participation devront être simplifiées et adaptées aux problématiques de
connectiques liées à l‟usage des Smartphones. Les applications développées pour ces
appareils seront crées par les utilisateurs eux - mêmes et soumises à des tests par la
communauté, l‟entreprise aura un rôle de plateforme et n‟interviendra que de façon
marginale dans la production. Elle sera le cadre et fournira les outils, puis elle
commercialisera les créations. En passant à l‟arrière plan, elle pourra se concentrer sur les
* Selon un responsable de Google interviewé par la chaine CNBC dans le cadre du reportage : Inside
the mind of Google, accessible en ligne :
http://www.cnbc.com/id/15840232?video=1348337793&play=1
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 78
fonctions de soutien et développera son expertise sur des domaines qui ne peuvent être
confiés au consommateur.
Pour garder le contrôle sur sa relation avec le consommateur, l‟entreprise doit choisir avec
précaution les tâches qu‟elle lui confie. La création de produits innovants est-elle un élément
central de sa stratégie? Demander au consommateur - participateur d‟exercer sa créativité
pour y participer c‟est s‟assurer une source d‟idées qui n‟auraient pas pu éclore dans le
cadre d‟un département de recherche et développement mais c‟est également confier entre
les mains d‟un inconnu des informations précieuses sur lesquelles l‟entreprise construit son
profit quotidien. Le consommateur sera incité dans le futur à participer de plus en plus à
l‟offre, cependant il existera toujours pour lui des portes de sorties. Exercer l‟exit ou le voice
restera possible, il lui suffira de ruser (De Certeau, 1980) ou de refuser la participation. Nul
n‟est obligé de faire appel à Internet ou de participer s‟il ne le souhaite pas, tout le monde ne
sera pas amené à faire pas ses courses en ligne ou à monter ses meubles soi - même.
Cependant chaque consommateur de la génération « Millennial » y a été fortement
encouragé dès l‟enfance, et on en constatera probablement les effets encore plus fortement
les effets sur la génération « Homeland », née après 2005. L‟entreprise pourra profiter de ce
courant pour mieux communiquer avec ses consommateurs, comme avec des partenaires.
Chaque partie cherchera toujours à dominer l‟échange et à garder le contrôle et la
participation semble être un compromis intéressant pour chacun. Nous ne pensons pas qu‟il
s‟agisse d‟une forme de démocratisation, qui mette les entreprises et les consommateurs sur
un pied d‟égalité, simplement il s‟agit d‟une évolution de la consommation qui permet de
recentrer l‟échange sur la relation la plus importante : celle qui lie le produit à celui qui va en
faire l‟usage. Elle n‟oublie pas non plus la relation entre celui qui fabrique et ce qui est
fabriqué mais considère toute la Supply Chain et non plus chaque étape indépendamment.
La logistique a été profondément modifiée par l‟essor d‟Internet, le développement de son
rôle de canal distribution et la dématérialisation des échanges. Elle s‟adapte et tient compte
de nouvelles contraintes, comme l‟hébergement ou la gestion de la bande passante. Elle
repose sur les systèmes d‟informations et l‟échange de données informatisées, la distribution
physique et virtuelle a pu de ce fait prendre une nouvelle dimension, en s‟adressant à une
clientèle plus diversifiée. Les difficultés de ces nouvelles formes de commerce influencent la
coordination de la chaine logistique toute entière.
La participation du consommateur introduit des spécificités plus subtiles encore dans les
échanges, en posant une nouvelle fois la question de l‟utilité des stocks. Le consommateur
sera peut être amené à participer de façon active à la logistique dans le futur. Choisir ses
entrepôts, mutualiser ses achats avec ceux de ses voisins ou retarder ses livraisons pour
permettre la livraison en camions complets pourraient faire partie des prochains actes de
participation, qui amélioreraient la coordination tout au long de la chaine. Pour l‟instant ces
comportements s‟apparentent plutôt à des ruses d‟écologistes mais il serait possible
d‟encourager le consommateur à agir en lui proposant de coordonner lui - même son
transport, quitte à attendre ses achats un peu plus pour réduire l‟impact environnemental et
diminuant aussi les coûts pour l‟entreprise.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 79
A quand le consommateur - logisticien ? Peut être pour jamais mais la participation n‟a pas
dit son dernier mot et s‟étend aujourd‟hui à de nombreux secteurs de consommation. Les
consommateurs qui se sentiront exploités la refuseront, ceux qui veulent en profiter
l‟exploiteront. Ce phénomène est trop complexe pour être assimilé à une démocratisation de
la consommation ou à une aliénation des consommateurs, l‟enjeu à notre sens n‟est pas de
le réduire à l‟une ou l‟autre des définitions mais d‟en mesurer l‟étendue. Nous espérons avoir
atteint au moins en partie ce but.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 80
Annexes
Annexe 1) Statistiques Wikipédia
Le nombre de révisions par article à énormément augmenté depuis le lancement de Wikipédia en 2001.
En juillet 2009, on atteint une moyenne de 37, 5 révisions par articles. (Source Wikipedia.fr)
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 81
Le suivi des modifications se fait sur une page dédiée, http://en.wikipedia.org/wiki/Special:RecentChanges, sur laquelle on peut observer les
changements du jour
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 82
Annexe 2) Consultation du stock d’IKEA en temps réel
Cette page invite les clients d‟IKEA à se connecter pour consulter les stocks avant de se déplacer. Déjà
pionnier en matière de participation, IKEA a lancé plusieurs solutions innovantes de participation du
consommateur en ligne, en plus de la participation qui accompagne déjà l‟achat des meubles. Le géant
suédois développe ses outils en interne et utilise peu les apports externes, cependant il essaie d‟instaurer
une relation particulières avec les consommateurs. Les faire participer est un levier de ce rapprochement.
L‟outil est conçu comme une aide à la vente, auparavant uniquement disponible pour les vendeurs en
magasin, elle permettait de consulter le stock sur le territoire national et d‟orienter les clients. Mettre cet
outil à leur portée permet de responsabiliser et de les amener à venir en magasin pour des raisons
précises. La stratégie d‟IKEA qui consiste à implanter des magasins à la périphérie des villes rend cet
outil d‟autant plus pertinent, les clients font généralement le déplacement en voiture et sont toujours
extrêmement mécontents d‟avoir à changer de magasin lors de ruptures de stock. Cependant l‟outil n‟est
pas parfait, il y a en général un écart entre le stock informatique et le stock physique et il arrive que les
chiffres soient supérieurs à la réalité. De ce fait, l‟outil n‟est pas encore utilisé à grande échelle.
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 83
Annexe 3) Interview de Thierry Maillet
Dans le cadre de ce mémoire, j‟ai envisagé le consommateur sous un jour auquel je ne m‟étais jamais intéressée auparavant, de ce fait mes bases théoriques dans le domaine restaient à construire. J‟ai donc lu un certain nombre d‟ouvrages (surtout de marketing) sur la participation et le travail du consommateur. L‟ouvrage qui m‟a incitée à choisir ce sujet de mémoire est celui de Marie - Anne Dujarier sur la coproduction. En effet plus j‟ai débattu de ses théories avec mes proches plus je trouvais d‟arguments pour et contre. L‟ouvrage qui m‟a poussée à continuer dans cette voie, pourtant chaotique, est celui de Thierry Maillet sur la génération participation, j‟y ai trouvé des réponses à certaines de mes interrogations et des pistes pour d‟autres questions. J‟ai donc souhaité l‟interroger sur certaines d‟entre elles, afin de faire avancer ma réflexion. Le contenu de cet entretien, retranscrit ici, m‟a beaucoup aidée à structurer ma pensée et à revenir sur des notions complexes comme le travail, l‟aliénation et la Longue Traîne. Lucie Goguelin : « Lors de mes recherches j'ai abordé divers avatars du consommateur dont, entre autres, le coproducteur décrit par Marie - Anne Dujarier. Dans le livre dirigé par Olivier Assouly, auquel vous avez participé, à la page 141, vous niez l'existence d'une forme de "travail" du consommateur*, pourquoi? Ne pensez vous pas que votre exemple de proposition de modèle de jouet lego constitue une forme de "travail" du consommateur, bien qu'il soit immatériel et non professionnel? » Thierry Maillet : « Il existe deux « thèses » à ce sujet, celle de Marie - Anne Dujarier et la mienne. Selon la théorie marxiste, il existe une domination des entreprises, une forme d‟asservissement des consommateurs. Pour moi la participation du consommateur fait partie de l‟offre des entreprises, c‟est un assouplissement de la domination. On ne peut donc se satisfaire à la fois cet assouplissement et considérer que c‟est une forme d‟asservissement. Lorsque l‟on se sert soi - même au self certains considérerons que c‟est une forme de liberté, d‟autres une forme de domination. » Lucie Goguelin : « Ne peut-on justement penser que la participation du consommateur est une forme de réconciliation entre le travail et la consommation, qui ferait disparaitre l‟association de l‟asservissement au travail ? » Thierry Maillet : « Il y aura toujours un dominant et un dominé, les marxistes ont raison sur ce point. Cependant on constate que certaines personnes à la retraite regrettent de ne plus travailler, il y a donc un paradoxe quelque part. La participation peut être vue comme une forme de contribution apportant la maitrise de son pouvoir d‟achat. Par exemple sur le marché de l‟immobilier la demande concerne particulièrement des pavillons en bordure de ville. Si on prend un prix égal à 1000 euros du mètre, il pourrait diminuer de moitié si l‟acheteur assemblait lui - même le pavillon. Il y a de réelles possibilités dans le domaine
* « dès lors la nouvelle relation entre amateur et producteur n’est pas forcément source de travail
(une terminologie peut être elle-même à la révolution industrielle) mais bien matière à relation
motivée par les objets nouvellement fabriqués en laboratoire »
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 84
de l‟assemblage, elles existent déjà dans l‟alimentaire, lorsqu‟on assemble la boisson ou le plat au self par exemple. Cela permet de diminuer les coûts, comme c‟est déjà le cas au Club Med par exemple. Peut-on considérer que tous les vacanciers du Club Med sont aliénés ? Je ne suis pas de cet avis. » Lucie Goguelin: « Dans le livre de Chris Anderson "The Long Tail: Why the Future of Business Is Selling Less of More", celui - ci prend les échanges dématérialisés de biens matériels comme objet d'étude. Il prétend que l‟on peut étendre les résultats de son étude à tous les secteurs de consommation, pensez vous que ce soit exact? Si oui quelles conséquences cela aurait il sur l'amateur ? » Thierry Maillet : « Les résultats auxquels il arrive ne reposent pas sur des statistiques exactes, à ce sujet il faut lire la critique de Daniel Kaplan sur le site de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération). Il est vrai que la traine s‟allonge, il y a plus de choix et donc plus de diversité dans les achats. Cependant, un des points qu‟Anderson a négligé c‟est l‟aspect social de la vente, depuis le moyen âge les commerces sont des lieux de socialisation, il existe de nombreuses personnes âgées, par exemple, dont les seuls contacts sociaux se font avec les commerçants. Etant donné le vieillissement de la population, le contact avec les commerçants locaux ne disparaitra probablement pas. De plus, de nombreuses marques qui se sont créées sur Internet, en viennent à créer un lieu physique pour reprendre contact avec les clients. Le travail de Michel De Certeau illustre bien ce point : chacun « bricole » sa vie. Le commerce internet se fera toujours en parallèle du commerce physique. »
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Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 85
Annexe 4) Statistiques iTunes
Produits concernés - iTunes Store
Longueur et type de
média Taille approximative
Vitesse de téléchargement
Haut débit1 Par modem
5 Mbit/s 1 Mbit/s Modem 56 K
Morceau de 4 minutes 4 Mo 4 - 5 secondes 20 à 30 secondes Environ 10 minutes
Clip vidéo de 5 minutes 30 Mo 30 à 40 secondes Environ 3 minutes Environ 1 heure et
10 minutes
Livre audio de 9 heures 110 Mo 2 minutes Environ 10 minutes Environ 4 heures et
15 minutes
Émission de télévision de
45 minutes 200 Mo 3 à 5 minutes 15 à 20 minutes
Environ 7 heures et
45 minutes
Émission de télévision HD
de 45 minutes 600 Mo 10 à 15 minutes
Entre 45 minutes et 1 h
environ s/o2
Film de 2 heures 1,0 à 1,5 Go 18 à 24 minutes Environ 1,5 à 2 heures s/o2
Film HD de 2 heures 3,0 à 4,5 Go 54 à 72 minutes3 Environ 4,5 à 6 heures3 s/o2
Jeu iPod 10 à 60 Mo Environ 30 à 70 secondes Environ 3 à 6 minutes Environ 1 à 2 heures
Remarques
1. Les vitesses du haut débit peuvent être de 256 kbit/s ou plus. Ces estimations sont basées sur une connexion haut débit de
5 Mbit/s et d‟1 Mbit/s. Les vitesses de téléchargement varient selon votre connexion Internet.
2. Une connexion haut débit est obligatoire pour les téléchargements de médias HD et de films.
3. Consultez la page Apple TV - Caractéristiques techniques pour plus d‟informations sur le temps nécessaire au démarrage
d‟une location de film.
http://www.wired.com/wired/archive/14.06/crowds_pr.html
Lucie GOGUELIN Année 2010
Participation ou travail du consommateur : influence sur la logistique 86
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