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1 PARTIE 1 : VISION ÉCONOMIQUE DU SECTEUR DES JEUX DE HASARD

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PARTIE 1 : VISION

ÉCONOMIQUE DU SECTEUR

DES JEUX DE HASARD

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Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

La Commission des jeux de hasard a demandé à mr. Karel Volckaert du Bureau riverrun d’approfondir l’angle économique d’une façon que les grandes tendances économiques s’éclaircissent.

Différentes questions étaient à l’ordre, qui sont réunies en cette partie.

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Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

RÉSUMÉ POUR LES RESPONSABLES POLITIQUES Le passé du secteur des jeux de hasard à l'échelle mondiale était caractérisé par l'interdiction, et en conséquence de cette dernière, par des zones grises sans cadre réglementaire en matière de contrôle, et par l'illégalité. Grâce à l'augmentation du revenu disponible dans la population et à la libéralisation sur le plan éthique, une structure de marché plus ouverte est apparue après la 2e Guerre mondiale où les monopoles publics traditionnels en matière de loteries cherchaient un modus vivendi concernant les jeux de hasard qui étaient également exploités par des opérateurs privés. L'autorité de réglementation essaie tant bien que mal de combiner la mission sociale des monopoles d'État visant à canaliser la dérive des jeux de hasard avec la protection des consommateurs dans un écosystème économique durable d'opérateurs privés dont les activités sont régulées. Cette recherche de protection du consommateur par le biais de la canalisation et de la faisabilité économique contrôlée s'est accélérée ces dix dernières années compte tenu de l'avènement de l'ère de l'information. La numérisation et l'« économie de l'expérience » (pensez gamification) ont entraîné des modifications structurelles rapides dans le secteur des jeux de hasard. Un nouveau débat sur les jeux de hasard s'impose. La viabilité d'une entreprise ou d'une organisation est déterminée de plus en plus par l'équilibre entre l'expérience des utilisateurs, la valeur de la marque et le modèle d'entreprise. La surenchère technologique pour proposer aux joueurs l'expérience qu'ils souhaitent a fait prendre conscience à tous les opérateurs que tout le monde n'avait pas le savoir-faire et la spécialisation nécessaires. Compte tenu des avantages d'échelle et des effets de réseau liés à la technologie numérique, le pouvoir se déplace vers des plateformes (étrangères) de technologies de paris de plus en plus grandes. Les acteurs locaux (opérateurs, loteries nationales et autorités de réglementation) devront faire front commun s'ils ne veulent pas être réduits à une boîte aux lettres, une devanture, voire à un dumb pipe (simple fournisseur d'accès) pour l'offre de magnats mondiaux. Il s'avère que notre pays n'est pas à l'avant-garde sur le plan technologique (des paris). Sur le plan réglementaire, le bilan est plus positif. Sous l'œil vigilant de la Cour européenne de Justice, les États membres peuvent en effet développer leur propre politique en tenant compte de la particularité culturelle du pays1. En 1999, le législateur belge a créé ce type de cadre, qui sera mis à jour ultérieurement en fonction des développements technologiques. La dichotomie entre la Loterie nationale et le secteur privé réglementé par la Commission des jeux de hasard est aujourd'hui à nouveau confrontée à de grands défis extérieurs. Comment les lords of the cloud (les plateformes technologiques générales comme Apple, Google, Amazon et Facebook), mais également les plateformes de technologies de paris spécifiques (comme GTECH/igt ou Amaya/Rational) peuvent-ils être intégrés dans le modèle belge ?

1 Un point important spécifique au pays est, par exemple, la propension belge à l'anonymat : le modèle essentiellement scandinave où les joueurs doivent être enregistrés rebute de nombreux concitoyens.

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Vision économique du secteur des jeux de hasard (Commission des jeux de hasard)

Si les États membres veulent également faire appel à l'avenir au principe de la subsidiarité, ils doivent démontrer qu'ils sont à la hauteur de cette bataille. Une politique légitime en matière de jeux de hasard exige en particulier une Commission des jeux de hasard résolue disposant des moyens et de l'expertise nécessaires pour assumer pleinement son rôle en tant qu'« organisme d'avis, de décision et de contrôle en matière de jeux de hasard ». Un organisme de réglementation pouvant intervenir sur le plan réglementaire pour réagir à l'innovation et l'accroissement d'échelle dans le secteur, tout en surveillant les développements économiques, sociaux et technologiques plus vastes qui peuvent avoir un impact sur le secteur. L'importance sociale est double : en maintenant en place le tissu socio-économique local du secteur, un contrôle peut être réalisé plus efficacement et les flux d'argent pour nos économies nationales et/ou régionales sont préservés autant que possible. En l'absence de modification de la politique, le spectre de la non-pertinence menace tant la Loterie nationale, la Commission des jeux de hasard que les opérateurs privés locaux. Dans une chaîne de valeur globalisée où le producteur et le distributeur coïncident de plus en plus souvent, même un monopole d'État ne peut rien faire contre la violence avec laquelle des sociétés proposant des jeux de hasard font du forcing pour promouvoir leurs produits à travers le canal de distribution. Le fonctionnement de l'organisme régional de réglementation est paralysé par des batailles de procédure. Les exploitants locaux ne sont rien de plus qu'un jouet des oligopoles qui deviennent systématiquement plus forts par le biais de fusions. Dans notre pays, les gens ont encore trop souvent l'impression que la Commission des jeux de hasard est « du côté » des opérateurs privés, contre la Loterie nationale. C'est le mauvais champ de bataille ; la menace émane d'au-delà des frontières nationales. La mission sociale de la Loterie nationale est d'être un facilitateur, pas un distributeur. La rente de monopole, les subsides et les cotisations spéciales lui permettent de créer des opportunités pour le tissu social et économique social. De plus, la Commission des jeux de hasard est son allié objectif, en particulier en imposant lourdement les excess rents (bénéfices excessifs basés sur le pouvoir du marché) que les plateformes de technologies de paris tirent de leurs oligopoles. Un organisme de surveillance indépendant pouvant travailler at arm’s length (sans lien de dépendance) des autorités peut rassembler les forces locales. Un secteur des jeux de hasard local attrayant a besoin d'un organisme de réglementation qui ne se limite pas au contrôle des opérateurs autorisés, mais qui effectue des études approfondies et indépendantes sur l'évolution de la structure du marché, sur l'« élasticité » de l'offre et de la demande, sur la prévention et l'accompagnement des comportements problématiques, sur l'équilibre adéquat entre l'expérience des utilisateurs, la valeur de la marque et le modèle d'entreprise de tous les opérateurs ; et enfin qui peut agir de manière proactive sur le plan réglementaire – bien sûr en rendant des comptes au pouvoir parlementaire et au gouvernement.

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SAMENVATTING VOOR BELEIDSMAKERS .................................................................... 2

1. Inleiding. Een sterk staaltje blufpoker.................................................................. 6

2. Een “bijzondere” economische activiteit ............................................................. 9

1. De evolutie van het begrip kansspel ........................................................................................................................................... 9

Financialisering en gamification van de kansspelsector: spread betting en binaire opties ............................... 11

2. Mededinging in de kansspelsector ............................................................................................................................................. 13

De Nationale Loterij en de Belgische Kansspelcommissie .............................................................................. 14 De houding van Europa .................................................................................................................................. 16 Het strijdtoneel verplaatst zich ........................................................................................................................ 17

3. Kansspelen in het informatietijdperk ................................................................. 20

3. De experience economy ..................................................................................................................................................................... 20

Always on: live, hybrid, social, community gaming en betting ......................................................................... 22

4. Traditionele trekkingsspelen verliezen marktaandeel ................................................................................................ 24

Instant gratification en live experience hertekenen de sector .......................................................................... 26

4. Competitieve analyse van de kansspelsector ..................................................... 29

5. Een ‘holistische’ kijk op kansspelen ........................................................................................................................................... 29

De economische samenhang van de kansspelsector – het begrip elasticiteit ................................................. 30

6. De dynamiek in de waardematrix ............................................................................................................................................... 34

Marktvermogen en interdependentie .............................................................................................................. 35

7. Gevalstudie: kanaliseren zonder marktverruimend te werken ............................................................................ 39

Hoe “doorlatend” mogen de schotten tussen de marktsegmenten zijn? .......................................................... 39

5. Welvaartsanalyse van kansspelen ..................................................................... 42

8. Hoe mensen omgaan met probabilistische keuzes ....................................................................................................... 42

9. Maatschappelijke wenselijkheid van kansspelen ............................................................................................................ 44

Inspraak en legitimiteit – waar is het maatschappelijke debat? ....................................................................... 44

10. ‘Negatief’ consumentensurplus (verslaving, uitbuiting) en producentensurplus (fraude, criminaliteit) ............................................................................................................................................................................................................ 47

Rol van de overheid – negatieve externaliteiten en paternalisme ................................................................... 54 Belastingen op kansspelen ............................................................................................................................. 55

6. Een economische kijk op de regulator ............................................................... 58

11. Een kansspelbeleid dat het evenwicht houdt tussen principes en regels .................................................... 58

Alle evoluties die de kansspelsector aanbelangen opvolgen .......................................................................... 58 De sector segmenteren tussen criminalisering, private mededinging en staatsmonopolie .............................. 59 Reguleren en controleren van de vergunninghouders .................................................................................... 60 Het algemeen belang borgen door gericht de markt te verstoren .................................................................... 61

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1. Introduction. Un bel exemple de poker menteur En juin 2014, la petite société Amaya Gaming de Montréal (chiffre d'affaires de moins de 150 millions de dollars) a racheté le géant des paris Rational Group pour 4,9 milliards de dollars en espèces2. Les fleurons de Rational Group, PokerStars et Full Tilt Poker, possèdent plus de deux tiers du marché mondial du poker en ligne. Comment est-ce possible ? Plus de 100 milliards de mains de poker ont été distribuées par la plateforme technologique de Rational. Plus de 90 millions de joueurs sont enregistrés chez eux – en dehors des États-Unis. C'est là que le bât blessait. Les difficultés rencontrées par Rational pour obtenir une licence en ligne dans le New Jersey a déclenché la transaction. L'autorité américaine de réglementation (tout comme les autres opérateurs privés de jeux de hasard) n'a pas caché que cette licence ne serait pas accordée tant qu'Isai Scheinberg, actionnaire et père du CEO de Rational, était encore en activité. En 2011, Isai Scheinberg a été inculpé pour avoir enfreint l'Illegal Gambling Business Act (loi sur les entreprises de jeux illégaux) et l'Unlawful Internet Gambling Enforcement Act (loi d'application concernant les jeux de hasard illégaux sur Internet) en permettant aux joueurs américains d'accéder à PokerStars alors que les paris en ligne étaient interdits. En 2006, cette loi UIGEA avait détruit l'hégémonie de PartyPoker, évaluée à plusieurs milliards, d'un trait de plume. Le plus petit concurrent, PokerStars de Scheinberg, ne voulait pas renoncer et a eu recours à des méthodes « peu orthodoxes » pour déplacer quand même de véritables espèces de et vers des comptes de joueurs. Full Tilt l'a fait aussi, mais cela a été découvert lorsque le tribunal les a mis sur la sellette. PokerStars a conclu un accord avec les autorités pour 731 millions de dollars en promettant d'indemniser également les joueurs dupés de Full Tilt. Depuis cette époque, Isai Scheinberg a été considéré comme un « bad actor » et le marché américain est resté fermé pour PokerStars. Lors du refus de la demande de licence en ligne de Rational (basée sur l'île de Man) dans le New Jersey, le jeune CEO d'Amaya Gaming y a vu une occasion. Des années auparavant, il avait convaincu le private equity powerhouse Blackstone, un des grands pontes absolus de Wall Street, de prêter à Amaya 110 millions de dollars en vue de racheter le fabricant de jeux Cadillac Jack. L'action Amaya cotée à la Bourse de Toronto a doublé en quelques mois. Rational était cependant une proie vingt fois plus grande. Amaya Gaming a quand même réussi à convaincre Blackstone de promettre un financement d'au moins trois milliards de dollars. Avec cet engagement, elle a pu convaincre les Scheinberg de ne pas lâcher la proie pour l'ombre. L'achat serait finalement financé grâce à

2 4,5 milliards de dollars ont été payés en espèces ; les 400 millions restants concernaient des paiements reportés qui devraient être effectués 30 mois après la conclusion du contrat ou au plus tard en 2017. Le fait que la transaction ait eu lieu en espèces témoigne de la confiance extraordinaire qu'Amaya et notamment les financiers de Blackstone et de BlackRock avaient dans la réussite du projet. Sinon, au moins une partie du montant aurait été payée sous la forme d'actons d'Amaya.

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un prêt en premier rang de 2 milliards auprès de la Deutsche Bank, de la

Barclays Bank et de Macquarie Capital (USA), avec un crédit permanent de 100 millions ;

encore un prêt de 800 millions au deuxième rang, entièrement souscrit par la Deutsche Bank, Barclays et Macquarie, avec des participations de Blackstone et du gestionnaire de patrimoine BlackRock ;

1 milliard obtenu grâce à l'émission d'actions privilégiées obligatoirement convertibles chez notamment Blackstone (600 millions) et le gestionnaire de patrimoine BlackRock (270 millions), qui seraient converties en actions à 24 dollars canadiens ;

500 millions de dollars canadiens grâce à l'émission de droits de souscription qui pouvaient aussi être convertis en actions ordinaires, avec l'option pour les bailleurs de fonds d'acheter des droits de souscription pour 140 millions de dollars canadiens supplémentaires ;

une promesse de Blackstone d'acheter des actions ordinaires pour 55 millions de dollars US supplémentaires.

Après exercice de tous les droits, Blackstone posséderait 20 % et BlackRock, 10 % du capital social d'Amaya3. C'est l'objet de cette transaction, et la raison pour laquelle cette transaction se poursuit : Wall Street a fait tapis (all-in) car elle voit son intérêt dans les jeux de hasard, ou plus précisément : la fusion furtive des jeux de hasard avec les jeux tout court. L'affaire a valorisé PokerStars et Full Tilt à plus de quatre fois le chiffre d'affaires et plus de onze fois le « cash-flow brut » : l'argent gagné par Rational pour les charges d'intérêt, les amortissements et les charges qui ont été facturées. Ces « multiples » ne sont justifiés que quand Amaya (lisez : Blackstone) part du principe que la nouvelle entreprise dispose d'un potentiel de croissance important. Les marchés des actions ont d'ailleurs partagé le même avis : le cours de l'action d'Amaya a bondi d'environ 10 dollars canadiens avant l'acquisition à 20 quand les initiés ont eu connaissance de la transaction et à 30 dollars canadiens, qui est toujours la cote de l'action. La vision de David Baazov d'Amaya est très claire :

We are a consumer–tech–focused company. We didn’t buy Rational because of gambling; we wanted it badly because it had 89 million consumers. I wouldn’t call them players or gamblers – they are consumers. […] Vision for Amaya is based on acquiring customers and cross selling ecosystem of offerings.

Au moment de la rédaction de ce rapport, Amaya avait déjà remboursé plus d'un demi-milliard de dollars de financement avec les recettes de la vente de leurs

3 David Baazov d'Amaya a remercié son bienfaiteur Blackstone avec des warrants quasiment gratuits qui ont attribué encore 11 millions d'actions d'Amaya aux investisseurs.

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précédentes activités business-to-business, comme Cadillac Jack. Le nouveau modèle d'entreprise vise dorénavant l'expérience des utilisateurs et l'expérience de la marque liée aux plateformes de technologies de paris. Encore plus important que le jeu de poker lui-même : PokerStars peut héberger plus de 600 000 joueurs en même temps sur sa plateforme. Outre ce player liquidity (nombre de joueurs sur le site), la confiance des consommateurs dans Poker Stars est inédite : la majorité des joueurs considère Poker Stars comme une organisation respectant la vie privée avec des mesures complètes de sécurité concernant l'identification et la protection des données, qui développe et propose à la fois des jeux de hasard attrayants. Le prix qu'Amaya et Blackstone paient pour Rational est comparable à de récents rachats de plateformes technologiques comparables comme Whatsapp ou Instagram. Par le biais du social gaming comme PokerStars Play sur Facebook, promu par Cristiano Ronaldo et Neymar, Amaya/Rational veut également conquérir d'autres segments du secteur des jeux de hasard. Un sondage interne a montré que près de la moitié des joueurs PokerStars ont également des comptes de casino ou de paris sur des plateformes concurrentes. En pénétrant également dans ces segments, le groupe espère devenir un « one-stop shop for gaming ». Cette stratégie de plateforme est fructueuse jusqu'à présent dans le monde entier. Plus de 60 % des gross gaming revenue proviennent d'Europe. Plus de 60 % des nouveaux utilisateurs s'inscrivent par le biais d'appareils mobiles. Pourtant, les États-Unis restent encore un terrain inexploré un an après pour le nouveau groupe. Amaya ne parvient pour le moment pas à utiliser ses bonnes relations comme fournisseur de jeux aux casinos comme Caesar’s pour exploiter également des licences en ligne. Le cross-selling bafouille pour le moment aux États-Unis, et l'immense player liquidity pool de PokerStars.com reste inaccessible pour les joueurs américains. Le cas d'Amaya illustre de nombreuses facettes (opportunités et menaces) qui concernent le secteur des jeux de hasard et en particulier son organisme de surveillance. La dynamique sur le marché du poker en ligne fait office de microcosme pour tout le secteur : défendant les valeurs de l'expérience des utilisateurs, l'expérience de la marque et la stratégie de monétisation ; avec la structure de marché monopolistique ou au moins oligopolistique ; la préoccupation sociale des problèmes financiers liés à l'addiction aux jeux, du respect de la vie privée ; l'enchevêtrement des jeux de hasard avec les jeux et la détente en général ; et avec les organismes de surveillance qui tentent proactivement de réagir aux développements technologiques et à l'avènement des plateformes mondiales de technologies de paris. Cette étude vise, d'un point de vue économique, à inscrire le rôle de cet organisme de surveillance dans ce plus grand ensemble d'évolutions (révolutions) socio-économiques qui ont guidé notre société dans l'« ère de l'information ».

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2. Une activité économique « particulière »

1. L'évolution du concept des jeux de hasard

Pourquoi les gens participent-ils depuis des millénaires aux jeux de hasard ? Depuis tout ce temps, la réponse n'a probablement jamais été différente que celle du Culture, Media and Sport Committee de la House of Commons britannique4 au début de ce siècle : « that for many people it is good fun » (pour beaucoup de gens, c'est de l'amusement). Les scientifiques et les législateurs tentent depuis presque aussi longtemps de répondre aux deux questions centrales concernant les jeux de hasard : (1) jusqu'à quel point les jeux de hasard peuvent-ils être tolérés sans pour autant être encouragés, et (2) dans ce cas, quelle est alors la « juste » répartition des bénéfices de ces derniers ? Ces deux considérations ne peuvent d'ailleurs pas être examinées de manière indépendante. Nous savons que les statistiques et les calculs de probabilité trouvent leur origine dans les jeux de hasard. À partir du seizième siècle, des mathématiciens comme Cardan, Tartaglia et Galilée, et plus tard les Français Pascal et Fermat ont cherché la « bonne » manière de répartir entre les joueurs le jackpot constitué pendant les jeux de cartes et de dés souvent particulièrement compliqués. La branche économique respectable qui s'appelait à juste titre la théorie des jeux est issue d'un jeu de cartes. En 1713, le noble anglais Charles Waldegrave a en effet développé pour la première fois une « stratégie mixte », un des concepts clés de la théorie des jeux. Charles Waldegrave a démontré que la même manière de gagner le jeu de cartes Le Her (coucou ou as qui court) consistait à faire varier votre stratégie de façon arbitraire : cinq fois sur huit, vous remplacez les cartes les plus faibles de votre main, et trois fois sur huit, vous les conservez… La théorie des jeux est essentielle dans chaque politique sur les jeux de hasard : elle décrit en effet la structure de marché dans le secteur des jeux de hasard, où les oligopoles interagissent de façon tactique et stratégique. Plus généralement, cette branche de l'économie traite également de la répartition équitable du bénéfice entre les joueurs, les opérateurs et la contribution à la société. Ce rapport approfondit un peu plus ce sujet. La promesse du jackpot a, par ailleurs, un revers : les jeux de hasard n'excluent pas un comportement problématique en matière de jeux. Les autorités paient le prix d'un secteur des jeux de hasard attrayant. Les législateurs luttent pour maintenir l'équilibre entre l'interdiction et la tolérance des jeux de hasard. L'histoire a vu passer presque toutes les réactions possibles par rapport aux jeux de hasard. La colonie britannique puritaine du Massachusetts a interdit la possession de dés et de cartes (ainsi que les danses et les promenades « inutiles » le dimanche) alors que, plus à l'Ouest, les jeux de hasard symbolisaient l'aspect aventureux et la disposition aux risques correspondant au frontier spirit. Les partisans soulignaient la

4 House of Commons Culture, Media and Sport Committee (2002), The government’s proposals for gambling: nothing to lose?, 7th report of session 2001-2002.

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caractéristique démocratique, à savoir que tous les participants avaient une chance égale dans les jeux de hasard ; les opposants affirmaient que les paris entraînaient tous les inconvénients, mais pas les avantages de la spéculation financière. Déjà durant la période des Lumières, la participation aux jeux de hasard était réprouvée comme un comportement pathologique qui devait être traité comme une maladie transmissible. Les moralistes considéraient la possibilité de profit pécuniaire sans aucun effort comme un fléau pour l'éthique du travail. La loi anglaise Unlawful Games Act de 1541 a interdit les jeux de hasard, mais également les jeux d'adresse comme le bowling, le cricket et le tennis car ils ont mené au déclin de la fierté de l'Angleterre depuis la bataille d'Azincourt – le tir à l'arc5. Cette loi n'a été abolie qu'après la Deuxième Guerre mondiale. Cela n'empêche que les organismes caritatifs et les autorités locales collectaient beaucoup d'argent par le biais des loteries. Le dramaturge (et plus tard magistrat) anglais Henry Fielding a connu en 1732 un succès phénoménal sur scène avec The Lottery. Dans la première scène, il décrit déjà la loterie (nationale) comme un impôt dans cet extrait souvent cité : A Lottery is a Taxation Upon all the Fools in Creation; And Heav’n be prais’d, It is easily rais’d. Credulity’s always in Fashion; For, Folly’s a Fund, Will never lose Ground; While Fools are so rife in the Nation. Nous ne pouvons pas non plus perdre de vue que, malgré les opérateurs (privés) réglementés frauduleux, les loteries nationales avaient à l'origine bonne réputation et les nantis y participaient pour des considérations éthiques. C'était une forme plus acceptable et plus volontaire de « cotisations sociales » que des impôts explicites. Jusqu'en 1826, les autorités britanniques obtenaient leurs revenus par le biais de loteries avant que l'inefficacité et l'abus ne mettent fin à cet usage. Une loterie nationale n'a de nouveau été possible qu'en 1993. Dans de très nombreux autres pays, les autorités n'ont pas non plus réussi à réglementer les opérateurs et les loteries étaient interdites. Aux États-Unis par exemple, les loteries ont été interdites entre 1894 et 1964. Mais après la Grande dépression, l'aide publique a augmenté et, en 1964, une consultation populaire dans le New Hampshire a de nouveau approuvé une loterie nationale à 76 %. New York et le New Jersey ont suivi quelques années plus tard.

5 Comparez cela à l'exception des jeux (C.C. art. 1965-7) du Code civil belge qui n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari sauf si cela concerne les « jeux propres à exercer au fait des armes, les courses à pied ou à cheval, les courses de chariots, le jeu de paume et autres jeux de même nature qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps, ainsi que les jeux de hasard autorisés par la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs. »

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Dans chacun de ces cas, un objectif important de la loterie était d'éviter la hausse d'un impôt sur le chiffre d'affaires (une sorte de TVA). Les partisans d'une loterie ne considèrent pas la recette comme un impôt, car il s'agit d'une cotisation volontaire. Toujours est-il, lors de chaque achat d'un ticket de loterie, une partie souvent considérable du prix de ce ticket est reversée au Trésor public. Cela s'applique a fortiori quand les recettes de loterie servent expressément à soutenir l'intérêt général par le biais d'œuvres caritatives dirigées par l'État et de subsides. À cause des points de convergence entre loteries et impôts, il semble évident que l'État possède le monopole sur ces activités. La Cour européenne de Justice a signalé clairement que l'utilisation des recettes à des fins caritatives ne peut constituer en soi une raison de limiter la libre circulation des services. L'Europe considère néanmoins le transfert du bénéfice d'une offre de jeux d'argent « canalisée » aux autorités comme un meilleur moyen que la levée d'impôts6. Cela n'empêche pas non plus que d'autres pistes sont aussi envisageables et correspondent peut-être davantage à la mission sociale d'une loterie nationale : des emprunts à lots, où le hasard détermine la durée ou le taux, ont également été émis en 1921 dans notre pays pour financer la reconstruction. Ou des comptes de loterie-épargne, où le public cible souvent vulnérable des jeux de hasard est dirigé subtilement vers l'épargne (nudging).

Financiarisation et gamification du secteur des jeux de hasard : spread betting et options binaires

Les questions centrales du monde des jeux de hasard (la répartition « équitable » et la tolérance ou la réglementation) ont été récemment exacerbées par l'augmentation de la financiarisation et de la gamification des « jeux de hasard », pour ne pas dire : toutes les « transactions » humaines. Les limites entre les jeux de hasard, les jeux en général et la spéculation sur les marchés financiers s'estompent. Les techniques et les instruments sont comparables dans de nombreux cas ; seules les variables sous-jacentes varient. Alors que les paris concernent souvent des événements sportifs, les titres comme les options (financières) prennent des positions concernant des variables financières comme des indices boursiers ou les cours d'action. Cela n'empêche pas que les marchés financiers réglementés dans des instruments dérivés comprennent également les évolutions de prix de matières premières réelles, allant des prix du bois à la poitrine de porc. Même si les « salons » de jeu de hasard ne sont pas encore légalement réglementés partout, il ne semble être qu'une question de temps avant que l'organisation des jeux de hasard ne prenne la voie des marchés des capitaux où les salles de marchés emblématiques avec des traders se dématérialisent en plateformes de trading

6 Il existe une littérature importante sur le caractère fiscal implicite, notamment, des loteries nationales. Voir notamment le travail de Charles Clotfelter et Philip Cook (1987), Implicit Taxation in Lottery Finance, National Tax Journal 40, p. 533-546, et de 1990 On the Economics of State Lotteries, Journal of Economic Perspectives 4.4, p. 105-119. Une question importante est aussi de savoir si ces impôts sont régressifs, et plus généralement dans quelle mesure les recettes et les dépenses des autorités sont réparties équitablement entre les classes de la population.

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électroniques avec clearing central. La conséquence la plus intéressante est que les frontières entre les pays s'estompent aussi. Les lords of the cloud (les plateformes technologiques mondiales Google, Apple, Facebook et Amazon, et leurs équivalents dans le secteur des jeux de hasard comme GTECH/igt ou SGI) sont maintenant suffisamment grands pour remettre en question la souveraineté des États-nations. Cela s'applique peut-être encore plus pour leurs plus petits challengers, comme Netflix, Alibaba et Uber. Pour tout nouveau produit situé à la frontière entre effet financier et jeu de hasard, l'organisme de contrôle financier et l'organisme de réglementation des jeux de hasard doivent se mettre d'accord : s'agit-il d'un instrument de placement ou d'un jeu de hasard ? Ils doivent aussi chaque fois se demander ce qu'est un revenu équitable et comment l'offre doit être tolérée ou réglementée. Lors de la rédaction de ce rapport, l'accent est mis sur les options binaires et le spread betting. Les options binaires sont des instruments de placement dont le revenu ne dépend que de savoir si la variable sous-jacente dépasse ou pas un prix d'exercice prédéfini pendant la durée du contrat. La plupart du temps, toute la mise est perdue en cas d'évolution défavorable de la variable sous-jacente ; en cas de bénéfice, une part importante de la mise est versée comme gain. Le spread betting est comparable aux contracts for difference (contrats financiers de règlement de différences) même si les modalités (nature de la variable sous-jacente, date d'exercice, revenu potentiel) sont parfois différentes. Demain, il s'agira d'autres produits. Selon nous, la discussion ne peut être réellement tranchée qu'en examinant les caractéristiques intrinsèques, pas en se concentrant sur les caractéristiques extérieures. La forme évoluera toujours plus rapidement que le législateur. La manière dont un produit est commercialisé et le nom qu'on lui donne ne constituent finalement qu'un phénomène de deuxième rang. Intrinsèquement, il s'agit de la distinction fondamentale que le législateur veut faire ou non entre les instruments de placement et les jeux de hasard (et les jeux en général – voir ci-dessous). Le cadre de ce bref aperçu ne remplace bien sûr pas une discussion approfondie. Nous voulons simplement donner ici quelques directions où une solution peut éventuellement être trouvée. Ainsi, une condition indispensable pour un commerce rentable des options (financières) n'est pas tant que l'opérateur puisse faire une meilleure estimation que la moyenne de la direction dans laquelle la variable sous-jacente évolue, mais bien de la rapidité avec laquelle cela a lieu avant l'échéance du contrat financier. Les options ont de moins en moins de valeur au fil du temps. Une raison importante est que cela coûte de l'argent de garder une position dans une option. La variable sous-jacente doit parfois être conservée physiquement, pensez au pétrole ou au bois. Par ailleurs, il y a toujours le coût d'opportunité de l'argent qui est « bloqué » dans l'option pendant la durée du contrat et ne permettant pas de viser d'autres solutions alternatives rentables. Compte tenu de ces carrying costs, il est indispensable que le trader d'options ait rapidement raison… La mesure dans laquelle le cours de la variable sous-jacente peut varier et le coût de conservation d'une position (d'option)

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peuvent-ils constituer une manière d'établir une distinction entre des instruments de placement et des jeux de hasard ? Deuxièmement : les instruments de placement comme les options n'« existent » généralement pas réellement, même s'ils font l'objet de transactions. Ces contrats sont synthétisés (de facto simulés) en négociant en permanence dans la variable sous-jacente. Seules de très grandes banques d'investissement peuvent en effet aussi développer réellement des millions de types d'instruments dérivés qui sont proposés sur les marchés financiers. Concernant la « méthode de production », il y a peut-être aussi une différence essentielle à établir avec les jeux de hasard. De plus, la sensibilité de l'option à l'évolution des cours, l'intervalle de la valeur et la façon dont l'option est synthétisée sont liés de manière compliquée, ce qui n'est pas autant le cas pour les jeux de hasard. Finalement, le débat doit aboutir à une définition précise de l'instrument de placement et du jeu (de chance). Non seulement l'organisme de contrôle surveillant les produits, mais également le rôle de l'organisme de réglementation sont liés de manière inhérente à cette définition. Nous renvoyons à la définition actuelle de jeu de hasard dans la loi belge sur les lieux de hasard (art. 2.1) :

tout jeu pour lequel un enjeu de nature quelconque est engagé, ayant pour conséquence soit la perte de l'enjeu par au moins un des joueurs, soit le gain de quelque nature qu'il soit, au profit d'au moins un des joueurs ou organisateurs du jeu et pour lequel le hasard est un élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain ;

et de pari (Art. 2.5) :

jeu de hasard dans lequel chaque joueur mise un montant et qui produit un gain ou une perte qui ne dépend pas d’un acte posé par le joueur mais de la vérification d’un fait incertain qui survient sans l’intervention des joueurs ;

Notamment « le hasard » et la « vérification d’un fait incertain »7 sont sujets à interprétation et peuvent servir de levier. Les vastes possibilités où, par exemple en ligne et dans le social gaming, 'intelligence artificielle peut « adapter » le cours du jeu en fonction du joueur imposent une correction de la définition. Tout ce qui ne relève pas du contrôle direct du joueur doit-il être considéré comme du « hasard » ou de l'« incertitude » (ou un risque) de son point de vue ? Jusqu'où peut aller le producteur à ce niveau ? Et tous les jeux de hasard sont-ils de facto des paris ?

2. Concurrence dans le secteur des jeux de hasard

7 Ainsi, depuis la célèbre thèse de Frank Knight Risk, uncertainty and profit, publiée en 1921, les économistes établissent une distinction fondamentale entre risque et incertitude.

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La Loterie Nationale et la Commission belge des jeux de hasard

En 1934, la Belgique a créé la Loterie coloniale, dont les recettes étaient destinées à des œuvres sociales et humanitaires dans la précédente colonie. En 1962, elle est devenue la Loterie Nationale et a été confiée au ministre des Finances. Avec la loi sur les jeux de hasard de 1999, une Commission des jeux de hasard a aussi été créée ; la politique belge concernant les loteries, les concours, les jeux de hasard et les paris cherche depuis lors un équilibre entre deux entités. D'une part, il y a la Commission des jeux de hasard, qui autorise un nombre limité d'opérateurs et en contrôle les activités ; et, d'autre part, la Loterie Nationale proposant des services publics de la part des autorités afin que les joueurs disposent d'un exutoire socialement responsable, en vue de la prévention et de l'aide en cas de comportement problématique en matière de jeux d'argent. La Loterie Nationale veille dans un certain sens à réutiliser les fonds « mal alloués » (à savoir les mises aux jeux proposés par la Loterie Nationale) de manière constructive pour la société. Le gouvernement fixe chaque année la rente de monopole que la Loterie Nationale doit payer. Dans le même temps, un pourcentage du bénéfice est destiné sous la forme de « subsides » au financement de la coopération au développement et à des « fins d'utilité publique », comme une dotation à la Caisse nationale des Calamités, à la Fondation Roi Baudouin et au Fonds belge de Survie, et des « contributions spéciales » à d'autres organisations et institutions désignées. Une part importante en revient aux Communautés et aux Régions qui soutiennent à leur tour des organisations culturelles et sportives comme le BLOSO/l'ADEPS.

Schéma 1 Rente de monopole et subsides de la Loterie Nationale [MEUR]

De manière similaire, les membres communs des European Lotteries donnent plus de 2 milliards d'euros par an à, par exemple, des organisations sportives.

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Le Parlement a tenté de justifier la séparation entre la Loterie Nationale et la Commission des jeux de hasard en expliquant8 que

La Loterie Nationale n’est PAS un opérateur de jeux de hasard, ni un concurrent de ces derniers. Une concurrence déloyale entre les deux est inexistante. La ligne de démarcation se situe à un tout autre niveau. La Loterie Nationale est chargée par la loi de l’exploitation des loteries publiques, paris, concours et jeux de hasard afin de canaliser l’instinct du jeu […]. Ceci est un service public. La commission des jeux de hasard est chargée de la surveillance des opérateurs de jeux de hasard, c’est-à-dire des entreprises privées à but lucratif […]. Les deux institutions se trouvent donc l’une à côté de l’autre, et rapportent à des ministres différents, qui par ailleurs sont également leurs égaux.

Le législateur voulait que la Commission des jeux de hasard contrôle le secteur commercial et que le gouvernement (la Loterie Nationale) contrôle le secteur non lucratif. La Loterie Nationale effectue et exploite ce que vise le ministre chargé de la Loterie Nationale. Même si le gouvernement désignait des opérateurs privés pour prester le service public indispensable au bien-être général, il ne serait autrement dit pas question de concurrence comme grosso modo dans un marché libéralisé pour des services d'utilité publique. Du point de vue du consommateur, il est impossible de comparer une libéralisation du marché des jeux de hasard et une libéralisation du marché, par exemple, de l'énergie ou du transport. Cette dernière se doit, en effet, de donner lieu à un meilleur service et à des frais moins importants. Dans le premier cas, ces considérations sont peut-être même contreproductives : que signifie un meilleur produit de jeu pour le consommateur ? Un produit grâce auquel le joueur peut gagner (ou perdre) davantage et plus vite ? Le législateur distingue les loteries et les concours qui ne relèvent pas de la Commission des jeux de hasard, et les jeux de hasard et les paris pour lesquels c'est le cas, même s'ils sont organisés par la Loterie Nationale. Les segments des autres jeux de hasard se distinguent toutefois légalement en fonction du canal de distribution : casinos et champs de courses, autres débits de boissons, agences de paris, les médias et Internet où la Commission des jeux de hasard utilise un numerus clausus. Ainsi, le nombre maximal de licences de classe A (les casinos) est fixé à 9, même si le dernier accord gouvernemental souhaite augmenter ce nombre à 11 et l'ouvrir aux bateaux de croisière. Les jeux de tirage à la télévision ont connu un apogée en 2007, mais passent maintenant systématiquement au second plan au profit d'établissements de jeux de hasard fixes et, surtout, des jeux de hasard en ligne. Ces dix dernières années, la législation sur les jeux de hasard en Belgique a été adaptée plusieurs fois sous la pression de l'Europe et compte tenu des (r)évolutions

8 2000-2001 DOC 50 1339/001.

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technologiques. Le rôle de la Loterie Nationale y a été à chaque fois affiné. L'avènement d'Internet a notamment changé beaucoup de choses, avec la possibilité de proposer des jeux de hasard transfrontaliers. En excluant les jeux de hasard, les loteries et les paris de la directive concernant le commerce électronique, l'Europe a permis de limiter ces activités au territoire de chaque État membre. Le Traité de Lisbonne a précisé que le « libre-échange » peut être restreint quand il est remplacé par un droit « équivalent ».

L'attitude de l'Europe

Le Conseil européen d'Édimbourg en 1992 avait déjà précisé que cela n'entraînerait pas une harmonisation européenne de la législation sur les jeux de hasard. Un certain nombre de décisions de la Cour européenne de Justice, à commencer par le crucial arrêt Schindler durant la même période, expliquait encore la vision de l'Europe : les monopoles dans ce secteur ne sont pas en contradiction avec le droit européen sur la concurrence, et les pays disposent d'une liberté considérable pour interpréter la politique sur les jeux de hasard à leur gré, à condition que ce soit pour l'intérêt général, la lutte contre la fraude et de manière adaptée, proportionnelle et non discriminatoire. Les limitations du libre-échange des services sont possibles, tant qu'elles s'inscrivent dans une politique cohérente. La législation européenne laisse généralement le bénéfice du doute aux opérateurs privés. Compte tenu du principe de subsidiarité, les législations nationales sont très différentes, d'un modèle de monopole bétonné mais innovant en Finlande qui comprend l'ensemble des loteries et des jeux de hasard à une politique de licences très libérale au Danemark. Une reconnaissance mutuelle transfrontalière des opérateurs n'est pas la règle générale, c'est le moins qu'on puisse dire. L'élément crucial est que la Cour rejette la présupposition habituelle selon laquelle le libre-échange est toujours bénéfique pour l'économie9 :

« Le droit communautaire, selon nous, n’a pas pour objet de soumettre les jeux de hasard et d’argent aux lois du marché. La construction d’un marché aussi ouvert que possible a été voulue par les États membres comme le fondement de la Communauté économique européenne parce que la concurrence, lorsqu’elle est loyale, assure, en général, le progrès technologique et améliore les qualités d’un service ou d’un produit tout en garantissant une baisse des coûts. […] Cependant, ces avantages ne se vérifient pas dans le domaine des jeux de hasard et d’argent. La mise en concurrence de prestataires de services dans ce domaine, qui les conduirait nécessairement à proposer aux consommateurs des jeux toujours plus attractifs afin d’en tirer les meilleurs profits. ne nous paraît pas être une source de progrès et de développement. De même, nous ne voyons pas quel progrès il y aurait à favoriser la possibilité

9 Conclusions de l'avocat-général Bot dans l'affaire C-42/07, Recueil de la jurisprudence Co2009 I-07633, §245-249.

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pour les consommateurs de participer aux loteries nationales organisées dans chacun des États membres et de parier sur toutes les compétitions hippiques ou sportives organisées au sein de l’Union. […] Les jeux de hasard et d’argent, quant à eux, ne peuvent fonctionner et perdurer que si les joueurs, dans leur très grande majorité, perdent plus qu’ils ne gagnent. […] L’encadrement de la compétence des États membres dans le domaine des jeux de hasard et d’argent n’a donc pas pour objectif la réalisation d’un marché commun et la libéralisation de ce domaine d’activités.

Le secteur des jeux de hasard est donc une « activité économique particulière » où la concurrence n'a pas de sauf-conduit. À première vue, il est surprenant que le législateur parte du principe que le problème est réglé grâce à l'émission et à la gestion d'un nombre limité de licences. Un économiste aurait pu prévoir qu'une structure de marché dérogeant consciemment d'un modèle de concurrence pure est réglementée de manière très active : la dynamique qui règne dans les monopoles ou les oligopoles a en effet un impact particulièrement grand, souvent négatif, sur le surplus des consommateurs et le bien-être général. Les « solutions » caractérisant ces structures de marché sont généralement très éloignées d'un optimum social. Le fait que la tentative de faire valider un code de conduite sur un comportement responsable en matière de jeux d'argent par tous les opérateurs ne se déroule pas bien n'aide évidemment pas.

Le théâtre des opérations se déplace

Cela fait partie intégrante de la mission d'un « organisme d'avis, de décision et de contrôle en matière de jeux de hasard » d'accorder l'attention nécessaire aux règles économiques auxquelles on peut s'attendre dans un tel secteur. Dans ce rapport, de très nombreux points seront abordés, notamment la décision de la Cour européenne de justice décrétant qu'il s'agit ici d'une « activité économique particulière ». Nous avons déjà cité quelques-uns de ces points, voici déjà un avant-goût de ce qui suivra :

Le fait que les monopolistes veulent, d'une part, protéger leur marché en compliquant l'arrivée des plus petits opérateurs, alors que, d'autre part, ils aiment laisser entendre qu'ils ne peuvent bénéficier de ce monopole que dans une petite niche ;

Que les séparations entre les niches du secteur du jeu de hasard ne sont pas imperméables et que l'élargissement à des marchés voisins donne généralement lieu à des litiges ;

Que la concurrence entre oligopolistes est dominée par des considérations stratégiques, plutôt que par des comparaisons purement pécuniaires ;

Que les effets de réseau dans l'ère de l'information facilitent la consolidation mondiale ;

Que le cloud et l'internet-of-things (pensez aux video-lottery terminals) permettent aux plateformes de technologie mondiales de jeux d'argent, mais

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également au circuit informel ou illégal de contourner (by-pass) des établissements de jeux spécifiques au pays ;

Que la prépondérance croissante des producteurs-fournisseurs de jeux de hasard pourrait réduire même des organisations comme la Loterie Nationale à une simple vitrine pour leurs produits. Une même plateforme de technologies de jeux d'argent peut, si nécessaire, proposer dans chaque région ou pays des jeux de hasard qui tournent sur le même game engine, mais se cachent chaque fois derrière un front-end shell adapté localement, avec par conséquent une fragmentation.

C'est à l'organisme de contrôle et aux autorités en général de gérer ces évolutions. Une intervention trop répressive stimule le circuit informel et illégal. Les consommateurs, en particulier les accros aux jeux de hasard, qui n'ont pas assez avec l'offre existante iront chercher d'autres options auprès d'opérateurs privés étrangers. Un manque d'opérateurs privés (nationaux) sains scindera le secteur en deux entre un monopole d'État traditionnel, d'une part, et la zone grise, d'autre part. L'État peut et doit mettre l'innovation en avant dans l'agenda numérique ; n'oublions pas qu'une grande partie du savoir-faire technologique, qui est à la base de cette ère de l'information, en particulier Internet, émane de programmes publics10. Si la Belgique veut faire partie du top 3 de l'indice européen relatif à l'économie et à la société numériques (Digital economy and society index),11 une stratégie numérique est indispensable, comprenant également une législation compatible avec le numérique (« Digital-friendly legislation »), une confiance dans le numérique et une sécurité numérique (« Digital confidence and digital security ») et l'Internet mobile pour tous (« Mobile internet for everyone »). Un fil rouge dans ce rapport est que la lutte se déplace petit à petit. Alors que la polarisation entre le monopole d'État et les opérateurs privés locaux réglementés était auparavant exacerbée, la ligne de front se situe maintenant davantage entre l'écosystème local (y compris la loterie nationale, l'organisme de contrôle et les opérateurs privés) et les plateformes étrangères de technologies de jeux d'argent. Cette évolution a des conséquences tant sur la répartition équitable des pertes et profits, que sur la manière dont le secteur des jeux de hasard peut être réglementé. Le passé du secteur des jeux de hasard est marqué par l'interdiction et l'illégalité. Cet héritage pèse toujours sur le secteur, et sur les établissements chargés du contrôle avec la libéralisation. Les économistes partent du principe que l'offre de jeux de hasard est en général plus faible que ce qu'un marché complètement libre proposerait. Cela entraîne une grande responsabilité pour l'organisme de contrôle gérant cette structure de marché et le législateur qui décide le montant de la rente de monopole, mais également le bénéfice excédentaire oligopolistique qui doit rentrer dans les caisses de l'État. La tentation pour les œuvres caritatives vers

10 Voir notamment Mariana Mazzucato (2013), The Entrepreneurial State, Anthem. 11 Nous renvoyons à Digital Belgium (2015), la stratégie numérique du ministre belge pour l'Agenda numérique.

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lesquels ces fonds sont canalisés de se révéler être, de manière assez paradoxale, des rent-seekers n'est pas illusoire.

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3. Jeux de hasard dans l'ère de l'information

3. L'experience economy

La demande de jeux de hasard augmente. Plusieurs raisons ont été identifiées dans des études économiques : un revenu disponible plus élevé qui est davantage consacré au luxe et aux loisirs ; une plus grande disposition de la part des autorités d'autoriser les (opérateurs privés de) jeux de hasard sous conditions et moyennant le transfert de parties importantes du bénéfice ; et une aversion morale moins prononcée pour les jeux de hasard. Le principal facteur ayant favorisé cette évolution ces dix dernières années est la combinaison de deux tendances séculières : l'avènement de l'économie de l'expérience, où les jeux de hasard sont associés au sport, aux médias et aux loisirs ; conjointement à l'explosion de la technologie de l'information et de la communication dont tout le monde peut disposer.

La numérisation a, avec la mondialisation et la financiarisation qui en résultent, entraîné la disparition de ce que les économistes appellent la friction ou l'inertie. De nombreuses barrières qui compliquaient le commerce et la négociation auparavant ont disparu. Les frais de négociation ont tellement baissé qu'une seconde représente une éternité pour un trader financier. Les coûts de production et, dans certains cas, les coûts de transport sont réduits (presque) à zéro pour les softwares et autres produits de connaissances. L'accès asymétrique aux informations importantes entre producteur et consommateur est aplani. L'utilisateur final peut comparer et commenter l'offre presque immédiatement, ce que Google a appelé le zeroth moment of truth. Le plus accessible dans ce monde est la viralité sur les médias sociaux. La réputation vaut de l'or. Outre la pression exercée par la Commission européenne de promouvoir la liberté d'établissement des prestataires de services dans d'autres États membres et d'autoriser le libre-échange de services (et la réaction de la politique nationale), c'est le consommateur même qui ouvre le marché. Il ou elle apprécie d'être aidé par les géants de la technologie et les magnats des médias. Les point-of-sales terminals (terminaux points de vente) qui automatisaient au départ l'offre et la demande nationales pour ainsi décharger le libraire sont maintenant devenus des véhicules pour la virtualisation extrême des jeux de hasard par les acteurs mondiaux. Quand des applications mobiles et des VPN permettent des jeux de hasard entièrement personnalisés, où les autorités doivent-elles mener leurs campagnes contre l'addiction aux jeux ? Sur Twitter ?

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Schéma 2 Gross Gaming Yield (rendement brut des jeux) de jeux interactifs [GEUR]12

Ceux qui pensaient se retrouver dans un type de paradis pour le consommateur ont tort. Le rêve de pionniers de l'Internet d'une société horizontale aplanie a fait place à une économie où de nouveaux monopoles mondiaux dominent, avec comme figures de proue les lords of the cloud (Google, Apple, Facebook et Amazon). Les biens et les services qu'ils nous fournissent sont peut-être révolutionnaires, mais il y a un prix élevé à payer. En échange, nous proposons à ces magnats un accès incomparable à notre vie privée, nos amis, nos achats, notre comportement tout court. Ces informations valent de l'or pour les annonceurs, mais surtout également pour des parties comme les opérateurs de jeux de hasard qui peuvent valoriser l'accès à ces informations en développant les « bons » produits ou nous lier plus longtemps à leur jeu. Dans le secteur des jeux de hasard, une récente vague de consolidation a, à son tour, créé des plateformes spécialisées de technologies de jeux d'argent qui dominent le secteur. Citons à titre d'exemple l'entreprise italo-américaine GTECH/igt ou Amaya/Rational mentionnées dans l'introduction. L'objectif est la conversion en clients à vie qui présentent de plus en plus un engagement in-app ; la privacy est donc devenue la nouvelle monnaie d'échange. La satisfaction des clients au 21e siècle signifie : l'expérience des utilisateurs. La clé de voûte entre un modèle d'entreprise viable et une marque intéressante est constituée par la manière dont un bien ou un service correspond parfaitement aux attentes de l'utilisateur et constitue de cette manière un prolongement de ses propres possibilités. Pensez à la manière dont le one-buy click d'Amazon réduit le processus d'achat parfois compliqué à une seule opération. La barre en matière de qualité est mise chaque jour plus haut et ceux qui ne peuvent pas suivre vont irrémédiablement en pâtir.

12 Source : h2GC Global Summary, mars 2015. Ce graphique concerne tant les jeux réglementés que non réglementés. La part des jeux réglementés évoluera d'environ un sur trois en 2010 à, selon les prévisions, un sur deux en 2018.

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L'impact sur le secteur des jeux de hasard de cet objectif d'expérience parfaite des utilisateurs est particulièrement important. Cet objectif n'a pas été défini lors de l'arrivée de l'ordinateur : la manière dont le modèle de casinos de Las Vegas est apparu au milieu du siècle dernier était déjà un cas d'école. Mais l'ère de l'information a encore accéléré cette évolution et proposé encore plus d'instruments aux opérateurs pour proposer cette fonctionnalité. Les acteurs locaux, même s'ils sont du niveau de la Loterie Nationale, ne peuvent plus suivre cette surenchère spécialisée. Il est donc très important pour l'organisme de contrôle de pouvoir surveiller tout le contexte. La technologie permet notamment au circuit informel et illégal d'atteindre les joueurs et de leur faire une offre (« perte horaire illimitée ! ») que les joueurs à problèmes peuvent difficilement refuser. La moindre tolérance pour cette offre illégale hypothèque la viabilité des opérateurs réglementés. Dès lors, la politique des jeux de hasard doit pouvoir intervenir activement pour infléchir cette spirale négative qui pousse le consommateur final dans les bras d'une gam(bl)ing experience excessive.

Toujours ouverts : jeux et paris en direct, hybrides, sociaux, communautaires

La plupart des évolutions dans le secteur des jeux de hasard peuvent s'inscrire dans la tendance d'augmentation de l'expérience de jeu. Les jeux ou paris en direct, hybrides, sociaux, communautaires (Live, hybrid, social et community gaming ou betting) relèvent tous du même phénomène. Les opérateurs visent une intégration la plus fluide possible des différents canaux de distribution et appareils pour garder le joueur captive à tout moment. C'est un sign of the times que la fusion fin juillet entre Ladbrokes et Gala Coral s'est produite à l'aide de Playtech, le fournisseur de services mobiles et online, et dans le but formel d'accélérer la croissance de la « multi-channel technology ». Ils essaient ainsi de faire habilement disparaître la limite entre jeux informatiques et jeux de hasard. Le social gaming est une stratégie préméditée des développeurs de jeux pour monétiser leur produit sur les médias sociaux. Non seulement le jeu en soi, mais toute l'expérience est importante. La coopération européenne en matière de protection des consommateurs (CPC) a sommé Apple (iTunes) et Google (Play) de ne commercialiser des jeux en ligne gratuitement que quand le consommateur peut y jouer comme il s'y attend raisonnablement, sans devoir effectuer d'achats dans le jeu13. Les utilisateurs doivent donner expressément leur autorisation à des in-app purchases et peuvent, s'ils le souhaitent, définir un plafond maximal. Entre-temps, Google a effectué les premières modifications en ce sens ; l'enthousiasme d'Apple était d'ailleurs (encore) nettement moins important. En substance, la force du réseau analogique de vendeurs des acteurs nationaux traditionnels se déplace vers les plateformes virtuelles sans limites. Cela entraîne de

13 CPC Position commune du 9 décembre 2013.

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petites guerres à différents niveaux. Dans le canal de distribution physique, les rares endroits où les gens vont quand même sont très précieux. D'« anciens » canaux comme des cafés sont dans le même temps revalorisés avec des point-of-service terminals proposant ces mêmes jeux à l'aide de la nouvelle technologie dans le décor habituel. La Loterie Nationale est, par exemple, connue dans notre pays de presque tous ceux qui participent aux jeux de hasard. Elle soutient aussi en particulier le réseau complet de distribution des librairies. Cependant, ce débouché traditionnel souffre également de la violence numérique. Par conséquent, certains canaux analogues (comme les caisses des supermarchés, des cinémas ou des stations-essence) « où viennent de nombreuses personnes ou où elles doivent attendre longtemps » sont maintenant impliqués, en veillant au réseau existant des distributeurs. Les opérateurs traditionnels rencontrent aussi des difficultés à un autre niveau : comment atteindre le joueur ? Les opérateurs de jeux de hasard technologiques savent que leur groupe cible apprécie particulièrement les live experiences. Outre leurs canaux mobiles et sociaux naturels relativement peu onéreux, ils augmentent leur présence sur les médias traditionnels comme la télévision et ils font également du marketing sportif. Les publicités pour les activités de jeux d'argent y sont pour le moment autorisées et elles touchent des joueurs potentiels dans les pays où ces activités ne peuvent officiellement pas être présentes. Les loteries traditionnelles sont obligées de suivre cette tendance. L'organisme de réglementation et le législateur doivent aussi suivre, ne fût-ce que parce que le phénomène en ligne impondérable contribue à l'illégalité ou au moins au caractère informel. Le tourisme des jeux d'argent et la menace du digital by-pass anonyme entravent en effet les organismes de surveillance nationaux qui restent liés aux frontières du pays. La Commission des jeux de hasard veut maîtriser la situation en injectant consciemment de la friction et de l'inertie dans le système : les opérateurs peuvent exploiter des jeux de hasard en ligne à condition qu'ils disposent d'une licence du type A (casinos), B (machines de jeux automatiques) et F1 (paris) pour un établissement national. L'événement virtuel sur lequel des paris sont réalisés doit être développé et dispensé par une organisation indépendante. De plus, le serveur front-end comprenant un certain nombre de données de connexion en temps réel doit être localisé en Belgique pour permettre un contrôle ciblé et opportun. De cette manière, il est également possible de lutter contre l'abus de la technologie comme des thin clients qui tentent de contourner le blocage du site. En canalisant les joueurs vers des opérateurs sous licence, le taux du secteur illégal reste dans la plupart des pays européens de 5 % à maximum 10 %. En Belgique, il y a plus d'un demi-million de joueurs enregistrés. Les pays ayant un monopole strict ou appliquant des autorisations online-only très réglementées semblent avoir plus de difficultés à endiguer le circuit illégal. Il en va de même pour le système dispersé dans les lands allemands.

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4. Les jeux de tirage traditionnels perdent de la part de marché

Le chiffre d'affaires mondial du marché de la loterie a été estimé à quelque 250 milliards de dollars en 201414 et augmenterait de près de 9 % par an au cours des prochaines années. Cette croissance s'explique notamment par l'émergence de la classe moyenne en Extrême-Orient ; en Europe, la croissance reste limitée à environ 7 % (de 90 milliards de dollars aujourd'hui à près de 130 en 2019). Les marchés du sud de l'Europe et, dans une certaine mesure, de l'Europe de l'Ouest sont proches du point de saturation ; la croissance attendue viendra donc de l'est.

Schéma 3 Gross Gaming Yield (rendement brut des jeux) dans le segment de la loterie [par personne, par PIB] 15

La part de la Loterie Nationale dans les dépenses totales pour les jeux de hasard dans notre pays diminue systématiquement : de plus de quatre euros sur cinq euros auparavant à moins de deux sur trois. Ce sont surtout les jeux de tirage traditionnels qui souffrent de l'élargissement de l'offre. Le Lotto a récemment été éclipsé par l'Euro Millions dans le chiffre d'affaires de la Loterie Nationale, un exemple de l'effet winner-takes-all qui peut finalement mener à un monopole parmi les monopoles16.

14 Source : Technavio (2015), Global lottery market 2015-2019. 15 Source : GTECH/igt. GGY est le gross gaming yield, mises moins prix payés. 16 Cette même considération a récemment incité Camelot, l'opérateur du loto au Royaume-Uni, à faire passer le tirage traditionnel de 6 chiffres sur 49 à 6 chiffres sur 59. La chance de remporter le gros lot est passée de 1 sur 14 millions à 1 sur 45 millions, de manière à pouvoir accumuler le jackpot sur plusieurs semaines et ainsi rendre l'expérience du jeu encore plus intense.

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Schéma 4 Ventes Loterie Nationale – total et en ligne (axe de droite) [MEUR]

L'évolution rapide en matière de technologie et de structure de marché complique la mission de la Loterie Nationale de jouer son rôle et de proposer une alternative à l'offre privée (à plus forte raison au circuit illégal). Les jeux de hasard doivent rester attrayants, et le pay-out ratio (taux de distribution) plus élevé des opérateurs qui ne soutiennent pas directement des œuvres caritatives y joue aussi un rôle considérable. Sur les 1,2 milliard de revenus de la Loterie Nationale, 53 % vont aux joueurs, 10 % à l'assistance des commerçants et 28 % à des œuvres caritatives. (à titre de comparaison : le pay-out ratio des opérateurs privés dépasse parfois les 90 %.) Le principal bénéficiaire reste les autorités qui encaissent près de 400 millions d'euros sous la forme de taxes et de TVA, 135 millions d'euros de subsides et 205 millions d'euros de rente de monopole. Les revenus des loteries nationales modernes sont d'ailleurs répartis de manière très comparable : la loterie du New Hampshire distribue, par exemple, 53 % aux joueurs, 35 % reviennent à l'État et 12 % couvrent les frais de fonctionnement. Ces pourcentages sont très similaires à ceux de notre Loterie Nationale. En prenant en compte des effets d'échelle présents, l'opérateur de loterie britannique Camelot est peut-être le plus rentable : il verse également plus de 50 % aux joueurs, mais ses frais de fonctionnement s'élèvent à 4 %, et 5 % sont versés en commissions aux petits commerçants17. 12 % sont versés en taxes et 28 %, à des œuvres caritatives. À chaque élargissement de l'offre par des opérateurs privés, la question est de savoir si la Loterie Nationale doit développer de nouvelles activités. Il a ainsi fallu dix ans

17 Les commissions versées aux distributeurs varient selon l'opérateur. Certains opérateurs prennent en charge le coût de la licence de petits commerçants, généralement en échange de l'exclusivité. Le pourcentage de commission est parfois calculé sur la base de la mise : Stanleybet (3-13 %), la Loterie Nationale (6 %), Bingoal et Ladbrokes (en moyenne 11 %) utilisent notamment ce système. D'autres donnent un pourcentage sur le résultat net, à savoir la mise moins les bénéfices et les taxes : Betfirst (30-45 %), Golden Palace et Betting Service (20 %) travaillent notamment de cette manière. Ces autres jeux de hasard alimentent aussi le Trésor public. Pour les paris, 15 % des mises brutes doivent être versés aux Régions. Pour les machines de jeux automatiques, il faut acheter des signes fiscaux. Les casinos versent en général 33 % à 44 % des revenus nets des jeux, avec des règles divergentes pour le baccara et la roulette et certains jeux de cartes.

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pour que la Loterie Nationale accède au marché des paris sportifs. Le but de la loi de 2002 était cependant expressément de donner plus de liberté d'action à la Loterie Nationale dans la politique de canalisation. Le législateur a permis à la Loterie d'utiliser la nouvelle technologie et ainsi de proposer une offre attrayante aux joueurs en ligne/numériques. De cette manière, plus d'argent serait versé aux autorités et pas aux opérateurs privés pour mieux gérer cette politique de canalisation. Nous ne pouvons pas nous défaire de l'impression que la politique envisagée par le législateur n'a pas été une stratégie gagnante. Une réévaluation s'impose.

L'instant gratification et la live experience redéfinissent le secteur

Il est intéressant que l'expérience du consommateur soit renforcée de deux manières apparemment opposées : soit en le confrontant plus vite au gain ou à la perte, soit en reportant un bénéfice net (plus important). La Loterie Nationale perd notamment du terrain chez les 20-30 ans, et les dirige vers les jeux à gratter et les jeux électroniques et vers les jeux d'argent numériques mobiles. Le fait que les billets à gratter préservent leur part dans le chiffre d'affaires de la Loterie Nationale est très lié à leur caractère instantané18. Même si l'Euro Millions et le Lotto représentent encore 75 % du chiffre d'affaires, les jeux à gratter dépassent les 20 %. La Loterie Nationale réagit par ailleurs au souhait croissant (ou mieux aux possibilités croissantes de répondre à ce souhait) d'instant gratification.

Schéma 5 Les mises sur le billet à gratter « Gratta e Vinci » selon différents opérateurs [MEUR]

La Loterie Nationale mise donc maintenant aussi sur les jeux de tirage quotidiens, comme le Keno et le Pick3, et cherche à percer sur le marché des paris (sportifs). L'implication en temps réel (real-time) du spectateur/joueur n'est en effet nulle part

18 Une loterie instantanée est une loterie où le lot gagnant est déterminé avant l'émission des lots. Les billets à gratter sont des loteries instantanées, mais peuvent également générés par RNG (générateur de nombres aléatoires), de sorte qu'ils peuvent plutôt être considérés comme un jeu de hasard.

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plus importante. Les statistiques in-play augmentent l'expérience du streaming interactif des concours et stimulent l'innovation dans des jeux de hasard (en direct, hybrides, interactifs, sociaux) qui peuvent être puisés de cette expérience. Le chiffre d'affaires dans le secteur sportif mondial représente quelque cent cinquante milliards de dollars19. Près d'un tiers vient de la vente des billets, mais les droits des médias et les accords de sponsoring constituent plus de la moitié du chiffre d'affaires et enregistrent la croissance la plus rapide. Outre les quatre ligues sportives nord-américaines, les grandes compétitions européennes de football représentent la part du lion des droits de diffusion. Les accords de sponsoring sont aussi de plus en plus liés aux droits de diffusion et aux annonces dans les médias. De plus, ces deals présentent un enchevêtrement de plus en plus important entre les sportifs individuels et les grands clubs, les organisateurs de compétitions et les events, et les opérateurs du secteur des jeux de hasard. Le nombre d'opérateurs de jeux de hasard intervenant comme (principal) sponsor maillots dans les principales compétitions européennes a été multiplié presque par 30 ces dix dernières années. Une évolution inquiétante est également qu'une dynamique winner-takes-all fausse ici finalement les compétitions sportives, car les oligopoles minent littéralement le fair play et le level playing-field. Les organisations sportives regardent avidement les marchés en pleine éclosion dans l'espoir d'avoir une part du gâteau de « leur » sport. Si elles ne peuvent pas obtenir d'argent pour leur « right to consent to bet » sur leurs compétitions, elles veulent une rémunération équitable pour l'utilisation des noms des clubs et des joueurs, le copyright et le droit d'utilisation des statistiques de matchs, les droits de portraits… Les « indemnisations d'intégrité » constituent une piste alternative. Les opérateurs de jeux de hasard devraient payer les organisations sportives pour garantir le bon déroulement des épreuves sportives, et assurer l'intégration sociale plus vaste du sport en redistribuant les revenus en conséquence, comme pour l'allocation des recettes des loteries nationales. La possibilité qu'offre l'évolution technologique de miser également sur des événements in-play négatifs (cartes jaunes et rouges par exemple) contribue au caractère enflammé de la discussion. Avec le match fixing, les organisateurs et les participants des paris sportifs ne sont pas les seules victimes. À long terme, le sport perdra en crédibilité, et donc aussi en potentiel de gain. L'intégrité n'est donc pas seulement une affaire morale, mais menace également le modèle d'entreprise du sport. Nous ne devons tout de même pas surestimer le risque. D'après les estimations, 1 % des matchs de football européens feraient l'objet de match fixing, un pourcentage qu'on retrouve également dans le college basketball américain20. Durant la période de 2009 à 2014, près de 1 500 matchs de football européens ont été signalés par le système de

19 PwC, Changing the game – Outlook for the global sports market to 2015. 20 IRIS (2012), Sports betting and corruption: How to preserve the integrity of sport, Paris: l'Institut de Relations Internationales et Strategiques. Forrest, D. (2012, The threat to football from betting-related corruption, Int J Sport Finance 7, p. 99-116.

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détection de fraude de Sportradar. Parmi eux, 1 000 ont été joués dans la catégorie la plus élevée de la compétition nationale de football21. Il convient de relever que le marché européen suit les évolutions de l'immense marché asiatique non réglementé des paris, même quand il s'agit de matchs européens ! Compte tenu de la structure pyramidale du marché asiatique des paris, où des acteurs de plus en plus grands combinent les mises dans le style des clearing houses sur les marchés financiers, la traçabilité des paris frauduleux individuels est impossible. Les organismes de surveillance européens ne peuvent donc, dans la plupart des cas, que contrôler de manière passive.

21 T.M.C. Asser Instituut (2015), The odds of match fixing: facts & figures on the integrity risk of certain sports bets.

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4. Analyse concurrentielle du secteur des jeux de hasard

5. Une vision « holistique » des jeux de hasard

Le gross gambling yield (le rendement après versement des prix) du secteur des jeux de hasard réglementé mondial est estimé à environ un demi billion22. (Le marché non réglementé serait au moins aussi important.) L'Europe reste encore pour le moment le principal marché, mais stagne juste sous les 100 milliards. À l'échelle mondiale, nous constatons un glissement de l'épicentre vers l'Asie, avec Macao comme porte-drapeau qui usurpe petit à petit le rôle emblématique de las Vegas (et Atlantic City). Notamment dans les paris (sportifs) principalement non réglementés, l'Asie éclipse ses rivaux. Interpol estime le chiffre d'affaires sur ce marché à 500 milliards par an… L'Europe a tout de même encore de justesse la plus grande part de marché dans le segment réglementé, avec près de 40 % du marché mondial des paris. Même si l'ensemble du marché enregistre une forte croissance, la segmentation entre les loteries, les casinos et les machines automatiques, et les paris reste en grande partie constante. En Europe, les loteries, les paris et les machines de jeux automatiques ont cependant une place relativement plus importante que les casinos : Monaco ne fait pas le poids contre des paradis comme Las Vegas ou Macao. Cependant, dans chaque segment, ce sont les jeux en ligne (mobiles) qui ont le vent en poupe. Les avantages d'échelle et les effets de réseau du modèle d'entreprise numérique ne restent pas limités aux opérateurs online purs. Depuis quelques années, le secteur des jeux de hasard constate également une vague de consolidation dans le segment hybride. Paddy Power fusionne avec Betfair, représentant ensemble près de cinq milliards de livres et un chiffre d'affaires de plus d'un milliard ; nous avons déjà mentionné Ladbrokes et Gala Coral ; GVC a récemment gagné le combat pour Bwin avec 888 Holdings. La lutte pour la domination du marché est principalement stimulée par les évolutions en coulisse, au propre et au figuré. Les fournisseurs de technologies sont le moteur de la consolidation : ce sont les premiers qui tirent profit de l'accroissement d'échelle. Leur mission est la customer acquisition et consiste ainsi à découvrir autant que possible des marchés pour leur gamme de produits. Nous avons ainsi constaté que Scientific Games a d'abord racheté WMS (1,5 milliard de dollars) en 2013 et Bally Technologies (5,1 milliards de dollars) un an plus tard. GTECH, le leader du marché italien en matière de technologie de loterie, a fusionné en 2014 à 80 %/20 % avec le producteur américain de jeux igt pour 6,4 milliards de dollars, constituant ainsi la plus grande plateforme de technologies de jeux d'argent 22 Global Betting and Gaming Consultants.

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au monde. La stratégie de la nouvelle entreprise a été, selon le site, définie comme suit « to take full advantage of governments’ growing need for revenue and desire to regulate gaming activity » (tirer pleinement parti du besoin croissant de revenus et du souhait de réglementation de l'activité des jeux de la part des gouvernements). Outre la prépondérance dans le segment de la loterie, GTECH/igt prend aussi en charge DoubleDown, le principal social game sur Facebook, et le slot title le plus réussi de tous les temps : Wheel of Fortune, pour pouvoir mettre en œuvre cette stratégie sur plusieurs segments de marché. Les montants ne sont pas négligeables et démontrent à nouveau que le grand capital considère le secteur des jeux de hasard (ou plus précisément le secteur du divertissement en général) comme un territoire conquis. Pour financer la fusion complexe, les banques Barclays, Credit Suisse et Citigroup ont injecté plus de 10 milliards de dollars. Pour financer la suite de la croissance, un groupement de 20 banques était prêt à mettre encore 2,6 milliards de dollars de capital à disposition. Lors d'un examen trop fragmenté du secteur des jeux de hasard, toutes ces forces sont aveuglantes. La compréhension du lien entre les différents segments et avec les secteurs économiques « annexes » comme les médias, les loisirs ou les assurances23 s'avérera indispensable pour une politique intégrale sur les jeux de hasard.

La cohérence économique du secteur des jeux de hasard – le concept d'élasticité

Du point de vue économique, la cohésion du secteur des jeux de hasard (et son attrait pour le consommateur et le producteur) est décrite en grande partie par le concept d'élasticité. Ce concept désigne la tendance des consommateurs à anticiper les différences de prix au fil du temps et entre les différents jeux de hasard : combien de pourcentages en moins un consommateur dépensera-t-il quand le prix augmente de 1 % ? Les élasticités sont liées à une des questions centrales sur les jeux de hasard : quel est le prix « équitable » d'un jeu de hasard, d'un point de vue absolu et relatif 24 ? La littérature de recherche économétrique25 tente donc depuis des décennies d'évaluer

23 L'analogie entre la participation à un jeu de hasard et la conclusion d'une assurance est évidente : vous payez un plus petit montant mais fixe pour recevoir un pay-out si et quand un « événement » incertain se produit et qui (jusqu'à un certain point) ne dépend pas de l'intervention du participant. La science économique, avec M. Friedman et L. Savage (1948), Utility Analysis of Choices Involving Risk, Journal of Political Economy 56.4, p. 279-304 en tête, se préoccupe depuis des décennies de savoir pourquoi les mêmes personnes participent tant aux jeux de hasard qu'elles s'assurent. Ces deux secteurs ont ainsi un objectif commun de partager des connaissances et une expertise concernant la mesure de la tolérance du risque, la structuration des accords, la psychologie des consommateurs ou les comportements problématiques comme moral hazard. 24 Le concept « prix » d'un jeu de hasard n'est d'ailleurs pas facile à définir – voir également la définition même des jeux de hasard. Ce que le consommateur doit « donner » est traditionnellement considéré comme le gross gambling revenue de l'opérateur (à savoir la mise qui n'est pas versée). Le revers de cette médaille est que le prix aux yeux du joueur est inversement proportionnel avec le rendement attendu pour le joueur. Vous pouvez calculer ce rendement de manière inconditionnelle en tenant compte de la chance de gagner a priori quelque chose, ou de manière conditionnelle, à savoir l'importance du jackpot que le joueur est supposé gagner. En tout cas, le prix est en grande partie défini par le jeu entre la demande et l'offre, plutôt que comme une donnée exogène. La part de la mise qui n'est pas versée varie d'un segment à l'autre : pour les paris et les jeux de casinos nationaux au RU, elle varie aux alentours de 16 %, pour les paris et les jeux remote, cette part tourne autour des 4-6 %. Pour les produits de loterie, le prix est assimilé à la perte attendue d'un peu moins de 50 cents par livre de mise. 25 Voir notamment : Institut suisse de droit comparé (2006), Study of gambling services in the internal market of the European Union à la demande de la Commission européenne, ou Frontier Economics (2014), The UK betting and gaming market: estimating price elasticities of demand and understanding the use of promotions pour HM Revenue and Customs.

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cette sensibilité aux prix. C'est en effet sur la base de ces paramètres que l'organisme de contrôle doit évaluer le modèle de coûts de la politique sur les jeux de hasard. Quel est le prix d'un jeu de hasard ? Lorsque les économistes analysent l'offre et la demande des jeux de hasard, à l'instar de tout autre produit ou service, il faut définir ce qui signifie le « prix » et le « volume » du produit ou du service en question. En ce qui concerne les jeux de hasard, ces concepts ne sont pas des plus évidents. Pour le volume, un critère tangible, comme le nombre de formulaires d'une loterie ou le nombre de paris hippiques n'est en soi pas suffisant. En effet, le montant de la mise est tout aussi important. C'est pourquoi les économistes travaillent avec des volumes exprimés en termes monétaires, comme le « montant total des mises au cours de la période étudiée ». Le prix aussi n'est pas clair et évident, si bien que les économistes sont revenus au concept de prix étant défini comme ce que l'acheteur donne au vendeur en échange du bien fourni ou du service presté26. Cela fait que le prix d'un jeu de hasard correspond au take-out rate, l'avantage de la maison, c'est-à-dire la partie de la mise que le fournisseur garde pour lui. D'un point de vue macroéconomique, les dépenses faites au profit des jeux de hasard sont donc définies comme étant le produit du volume par le prix, c'est-à-dire le montant, au cours de la période en question, gagné par les fournisseurs de jeux de hasard : le gross gaming revenue. Évidemment, ce montant correspond à ce que les joueurs perdent collectivement. Ce sont ces dépenses faites au profit des jeux de hasard, les montants que les joueurs injectent contre lesquels les coûts sociaux pour la prévention et le traitement de l'addiction aux jeux de hasard qui doivent être réduits. L'addiction aux jeux de hasard est d'ailleurs liée aux difficultés financières (produit du volume par le prix), plutôt qu'uniquement au volume, ou uniquement au prix. Ainsi, un prix inférieur ne se traduit pas nécessairement par des dépenses au profit des jeux de hasard plus (ou moins) importantes. Tout dépend de la mesure dans laquelle le volume change en réaction à un changement de prix, donc de l'élasticité de la demande à ce niveau de prix Il est important de remarquer que cette élasticité n'est pas la même pour chaque gamme de prix. La demande pour les gammes de prix plus élevés est typiquement plus élastique, et l'élasticité diminue plus nous descendons sur la courbe de la demande. Dans les niches où seul un nombre limité d'opérateurs de jeux de hasard est présent, c'est la structure du marché qui dictera à quel point la demande sera élastique. Dans le cas extrême d'un monopole par exemple, celui-ci peut fixer le prix-repère à sa guise et ainsi, déterminer en même temps l'élasticité de la demande. Son fil conducteur est le suivant : plus haut est le prix de la création d'une offre supplémentaire, plus haut ce prix sera fixé, et par conséquent, plus élastique sera la demande à ce niveau de prix. Puisque ce coût marginal est souvent très faible, la demande est généralement peu élastique. Grâce à une éventuelle diminution du prix, par exemple en conséquence de l'entrée de plusieurs opérateurs dans cette niche, le

26 David Forrest (2010), Competition, the price of gambling and the social cost of gambling, EGBA Briefing Paper.

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prix-repère peut alors rapidement correspondre à une demande non élastique, dans laquelle un prix plus faible ne se traduit plus par un gross gaming revenue plus élevé. À nouveau, si les pertes des joueurs augmentent ou diminuent globalement en raison de modifications dans le prix ou dans la structure de marché de différentes niches du secteur des jeux de hasard, l'élasticité ne peut être validée que sur la base d'une étude empirique. La théorie économique ne peut que proposer le cadre pour cette étude que l'organisme de contrôle doit effectuer. De plus, cet organisme sera intéressé par la protection des consommateurs les plus vulnérables, et donc, par la mesure selon laquelle ils réagissent à des changements de prix27. Le projet d'étude le plus évident est si, sur la base de la montagne de données toujours croissante des jeux en ligne, il y a plus d'indications permettant d'évaluer l'élasticité des joueurs accros aux jeux de hasard. Il y a une différence entre la sensibilité « prix propre » et « prix croisés » : la première élasticité mesure la sensibilité des consommateurs à une modification de prix du produit même ; la deuxième, à une modification de prix par rapport aux autres jeux de hasard. La difficulté dans l'évaluation des élasticités est que, dans le secteur des jeux de hasard, la réglementation est si stricte que les modifications de prix (modifications de l'avantage de la maison donc) sont rares. Les économétriciens doivent donc, par exemple, examiner le comportement des consommateurs en cas de promotion. Une autre source intéressante est de savoir comment le comportement de jeux d'argent évolue quand le jackpot d'une loterie comme l'Euro Millions est remis en jeu tant qu'il n'y a pas de gagnant. À titre d'illustration, voici les dernières estimations pour le marché au Royaume-Uni. Une étude a montré que le consommateur est le plus sensible au prix quand il s'agit de produits de la loterie (tirages traditionnels et billets à gratter) et de remote gaming comme les casinos ou le poker en ligne. Concernant les sensibilités prix croisés, Frontier Economics a constaté un effet de substitution entre les produits de la loterie et les paris spécifiques au pays quand le prix varie, mais peu ou pas entre les autres segments du secteur des jeux de hasard. Une étude récente suggère pourtant que, par exemple, le joueur peut difficilement considérer les casinos nationaux et le poker en ligne comme complémentaires28. Aux États-Unis, où les casinos sont plus importants qu'en Europe, la présence d'un casino à proximité serait néfaste pour les paris (nationaux). La première matrice présente les élasticités calculées par Frontier sur la base de leurs propres mesures (pour le Short Run et le Long Run, à savoir après stabilisation des chocs de prix) :

27La Productivity Commission australienne a suggéré que les joueurs accros aux jeux de hasard étaient moins sensibles aux diminutions de prix que les joueurs moyens. Cela signifierait que des prix plus faibles réduiraient leurs pertes totales. Productivity Commission (1999), Australia’s Gambling Industries, Report no. 10, Canberra: AusInfo.

28 Philander, K., & Fiedler, I. (2012), Online poker in North America: Empirical evidence on its complementary effect on the offline gambling market, Gaming Law Review and Economics 16(7-8), p. 415-423.

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Schéma 6 Estimations mesurées des élasticités dans le secteur des jeux de hasard

Après comparaison des données de la littérature, les chercheurs ont abouti aux estimations préférentielles suivantes :

Schéma 7 Estimations préférentielles des élasticités dans le secteur des jeux de hasard

L'avènement d'Internet a accentué la concurrence entre les opérateurs en ligne. La possibilité de comparaison a fait augmenter le surplus des consommateurs (une offre plus variée à des prix moins élevés). La perte attendue par mise diminue ainsi systématiquement, au détriment des organisateurs de paris. Comme le marché pour les paris est caractérisé par une demande élastique, une baisse de prix entraîne une augmentation plus que proportionnelle de la mise totale. La structure de marché (combien et quel type d'opérateurs proposent un type déterminé de jeu) et l'élasticité sont liées de manière indissociable. Ce sont notamment les modifications de cette structure de marché (la libéralisation d'un segment, ou l'arrivée de nouveaux opérateurs) qui constituent la principale source de données pour estimer les élasticités. Dans un secteur « particulier » comme celui

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des jeux de hasard, cette structure de marché constitue à la fois un défi et une opportunité pour l'organisme de contrôle. La présence de monopoles et d'oligopoles exige que l'organisme de réglementation stratégique et tactique « perturbe » le fonctionnement du marché. Il n'est pas recommandable, dans cette « activité économique particulière », de se fier au présupposé libre-échange qui s'autorégulerait et qui augmenterait la prospérité. Dans le même temps, cette complexité donne un certain nombre d'outils à un organisme de réglementation comme la Commission des jeux de hasard. Dans ce qui suit, nous discutons d'abord de la structure de marché. Nous aborderons ensuite la manière dont l'organisme de réglementation peut y réagir.

6. La dynamique dans la matrice des valeurs

Nous répartissons le secteur des jeux de hasard selon la matrice des valeurs ci-dessous

Loteries et concours Paris

Casinos et salles de

jeux Zone grise Illégalité

Caractéristiques

Marque

Monopole

Expérience des utilisateurs Oligopole

Live experience Social gaming

Pay-out rules

Innovation

Physique Librairies… Agences de paris Établissements fixes « Poker dens »

Numérique VLT Applications

mobiles Hybrid gaming Médias sociaux Internet

Chaîne de valeur

Vendors – Terminals – Telco’s – Gambling platform – Game developers & Fintech

Big Data Données personnelles des joueurs et réseaux – Logs sur apps et établissements fixes – Stratégie de jeu

(historique de mise et d'offre, achats in-app…) – Segmentation des joueurs et offre personnalisée

Schéma 8 Une matrice des valeurs pour le secteur des jeux de hasard

Dans cette matrice des valeurs, un certain nombre de dynamiques sont visibles, en fonction des tendances que nous avons expliquées ci-dessus :

Les monopoles d'État ont la possibilité d'étendre leur mission de prestation de services publics à d'autres segments du secteur des jeux de hasard ;

Inversement, il y a une tendance d'innovation, qui apparaît souvent dans l'illégalité ou dans la zone grise, à valoriser dans le milieu légal ;

Il y a la tendance à étendre le canal physique avec une offre numérique ou hybride dans tous les segments ;

Il y a enfin au contraire une tendance, notamment des plateformes technologiques à la traîne, à saper les acteurs traditionnels (physiques) de jeux de hasard en reprenant (virtuellement) la chaîne de valeur29.

L'image qui en résulte est celle d'un marché segmenté où un monopole ou au moins un oligopole domine dans la plupart des segments. Dans ce paragraphe, nous voulons aborder brièvement l'analyse économique générale de ces structures de marché, tant sur la base des acteurs existants dans chaque segment que la possibilité (menace) d'arrivée d'acteurs de segments annexes. Le but est de définir

29 La réglementation belge n'exclut pas à cet égard qu'un établissement de jeux de hasard national autorisé sous-traite l'exploitation de jeux de hasard en ligne (similaires) à des opérateurs en ligne spécifiques.

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clairement quelles connaissances et quelle expertise sont indispensables pour un organisme de contrôle recherchant une vision holistique du secteur des jeux de hasard.

Pouvoir de marché et interdépendance

L'élément économique caractéristique qui distingue la structure des monopoles et des oligopoles de l'environnement théorique de la concurrence parfaite est que les entreprises ont le pouvoir de fixer le prix d'un produit ou d'un service au-dessus de son coût marginal, sans que cela n'entraîne nécessairement une perte du chiffre d'affaires. Ils disposent de ce qu'on appelle le market power (pouvoir de marché). La domination d'un nombre restreint d'opérateurs dans différentes niches du secteur des jeux de hasard entraîne là aussi ce type de comportement. Le chiffre d'affaires et le volume ne sont pas forcément proportionnels comme dans un marché concurrentiel. Quand la demande d'un produit est très sensible en termes de prix, un monopoleur demandera un prix un peu plus faible pour ainsi augmenter son chiffre d'affaires ; quand le consommateur est moins sensible aux prix, il augmentera suffisamment le prix pour compenser la baisse de demande et augmenter le chiffre d'affaires. Cette hausse de prix peut limiter la demande de produits en dessous du niveau que souhaite le consommateur. Les économistes appellent cette limitation le deadweight loss, ce qui n'est peut-être pas nécessairement indésirable dans le cas des jeux de hasard. Il s'agit des bénéfices potentiels qui ne reviennent pas au consommateur, mais pas non plus au producteur/monopoleur. L'estimation de la sensibilité aux prix et du deadweight loss correspondant est une des missions importantes d'un organisme de contrôle comme la Commission des jeux de hasard. Les différents acteurs des jeux de hasard puisent leur pouvoir de marché dans différentes causes. La plus évidente est que le fournisseur (ou un groupe de fournisseurs) contrôle une part considérable du marché, avec comme cas extrême le monopoleur étant le seul à pouvoir proposer un produit déterminé. Cependant, même une part de marché excessive ne permet pas forcément de se comporter comme un monopoleur : dans des marchés « douteux » où les barriers to entry sont suffisamment faibles, la menace d'arrivée d'autres acteurs sur ce marché peut suffire à empêcher l'incumbent d'augmenter ses prix au-dessus du prix concurrentiel. Les quasi-monopoleurs feront donc de leur mieux pour maintenir ces barrières (ou au moins leur perception) suffisamment élevées pour décourager les nouveaux arrivants. Des tactiques comme le dumping, la vente couplée ou la création délibérée de surcapacité ne sont pas autorisées en Europe (TFEU 102). Cependant, d'autres barrières sont autorisées. Les avantages d'échelle sont l'exemple par excellence : les riches et grandes entreprises deviennent encore plus grandes et plus riches jusqu'à ce qu'elles aient un avantage irrécupérable en exploitant leur supériorité technologique, les effets de réseau ou les avantages de coûts.

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Leur propre technologie qui est d'un meilleur ordre de grandeur que celle du voisin s'applique comme base plus durable pour le pouvoir de marché. La connaissance de l'avantage technologique précis de tel ou tel opérateur de jeux de hasard offre la meilleure compréhension de la dynamique concurrentielle que nous avons décrite ci-dessus. Les effets de réseau (où la valeur d'un bien ou d'un service augmente de manière exponentielle avec le nombre d'utilisateurs) commencent généralement dans une petite niche, dont vous ne percevez pas à première vue l'opportunité. Il s'agit souvent de joueurs chevronnés qui apprécient ce petit quelque chose en plus qu'aucun autre opérateur ne peut leur proposer. Comme le coût de production marginal d'une copie supplémentaire d'un software est proche de zéro, un simple événement qui, par exemple, devient viral peut catalyser une croissance exponentielle. Le mot disruption est (trop) vite présent dans ces milieux ; apprendre une leçon aux vieux crocodiles. Pourtant, la plus grande promesse ne consiste généralement à se dresser par rapport à ce qui existait déjà, mais dans la création d'une nouvelle demande d'expérience des utilisateurs qui ne peut simplement pas être satisfaite dans le modèle d'entreprise dominant. Avec la stratégie de marque adaptée, vous irez déjà très loin. Il s'agit donc d'identifier le plus vite possible toutes les évolutions sociales et technologiques qui pourraient influencer de près ou de loin le secteur des jeux de hasard. Pour l'organisme de réglementation d'un monopole visant l'intérêt général, ce qui suit est important. Le deadweight loss résulte du fait qu'un monopole ne peut utiliser par défaut qu'un seul prix, même si certains sont prêts à payer plus30. Dans le fond, cette « perturbation » peut être « compensée » par le biais d'une discrimination en matière de prix : si le monopoleur pouvait identifier chaque consommateur individuel avec sa disposition individuelle à payer pour un volume donné, le deadweight loss disparaîtrait. (Pensez à la commercialisation d'un même vaccin dans le tiers monde versus par rapport aux riches pays occidentaux.) Cependant, le surplus des consommateurs disparaît dans le même temps. Autrement dit, le monopoleur absorbe toute plus-value sociale dans son surplus des producteurs. Il revient donc aux autorités d'imposer fiscalement et de redistribuer le surplus des producteurs dans la société. Il convient de plus d'examiner si la technologie comme les cartes de joueurs permettent à un organisme de réglementation d'identifier de manière anticipée les comportements problématiques de jeux d'argent. Il est évident que la consignation de la sensibilité individuelle aux prix des in-app purchases est, par exemple, déjà utilisée maintenant à des fins moins nobles (plus précisément transférer le surplus des consommateurs de l'utilisateur au producteur).

30 Le State Gaming Control Board du Nevada a ainsi constaté que l'avantage de la maison sur les slot machines sur The Strip à Las Vegas (où des touristes jouent de l'argent) était nettement plus important que sur le Boulder Strip où se trouvent les locals…

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Dès qu'il y a plus d'un opérateur en jeu, la théorie des jeux apprend que la structure de marché résultante peut être très différente entre les extrêmes monopolistiques et concurrentiels. L'analyse de prospérité des oligopoles est particulièrement sensible aux paramètres spécifiques du comportement du marché, de la mesure dans laquelle la différenciation de produits est stimulée pour laisser supposer quand même des monopoles artificiels, de la manière dont la technologie peut diriger l'offre et la demande, etc. L'essence de l'oligopole est l'interdépendance : la décision d'une partie influence celle de toutes les autres. L'interaction stratégique est plus importante que les considérations individuelles de prix et de coûts. Une baisse de prix entraîne, par exemple, rapidement des guerres de prix. Dans d'autres cas, une hausse de prix par l'un d'eux n'incitera pas ses concurrents à une hausse de prix de sorte que la part de marché du premier va en pâtir. Dans le même temps, la situation peut être différente en cas de baisse de prix. Comme personne ne proposera une transparence complète aux opérateurs, l'affaire est encore plus complexe. Seule la théorie des jeux31 peut ici nous aider à comprendre, au moins partiellement. Dans le cas le plus simple, mentionné par Bertrand 32 , les oligopoleurs font concurrence sur les prix. Le résultat notable est que, dès que nous quittons le monopole, même s'il ne s'agit que de deux opérateurs, nous nous retrouvons dans la situation concurrentielle pure où la différence de prix la plus minime entre les deux aboutit à un seul gagnant. Pensez aux loteries qui sont sous-traitées à plusieurs opérateurs privés : un monopole est aussi presque inévitable. Plus le prix est élevé, plus les joueurs sont attirés, jusqu'à ce que le point de basculement soit atteint et finalement qu'une seule loterie reste. Winner takes all. La leçon est que (l'apparence de) la différenciation de produits ou de limitations de capacité est la clé pour comprendre les oligopoles. Il s'agit parfois de petites choses qui ont une grande signification : la distance jusqu'à la librairie était auparavant le facteur prépondérant de différenciation de produits qui dirigeaient nos achats de loto. L'arrivée d'établissements de jeux de hasard en ligne et mobiles a donné une interprétation tout à fait différente au concept de distance comme différenciateur de produits. Les librairies « fictives » et la problématique des salles de jeux zombie en font cependant aussi partie, tout comme les établissements qui servent des boissons qui contournent la mesure de dispersion et concurrencent de manière déloyale les établissements légitimes dans leur environnement immédiat. Les noms des modèles intégrant ces caractéristiques viennent de Cournot33 et d'Edgeworth34. Sans entrer dans les détails, ces modèles économiques démontrent que la capacité des oligopoleurs et la courbe des coûts correspondante sont

31 Voir notamment le travail du lauréat du prix Nobel Jean Tirole : Fudenberg, D. et Tirole, J. (2004), Game theory, Cambridge: MIT Press, et The theory of industrial organization, 1988. 32 Bertrand, J. (1883), Théorie mathématique de la richesse sociale, Journal des Savants 67, p. 499-508. 33 Cournot, A. (1838), Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses. 34 Edgeworth, Y. (1897), La teoria pura del monopolio, Giornale degli Economisti 40, p. 13-31. (traduction anglaise dans Papers relating to political economy I, London: Macmillan, 1925.)

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cruciales pour comprendre la dynamique. Un organisme de contrôle comme la Commission des jeux de hasard devra donc accorder l'attention nécessaire à ces paramètres. Dans le même temps, l'importance de la menace que représentent ces plateformes technologiques globales mondiales pour les acteurs locaux dans un marché relativement petit comme le marché belge est claire. Quand l'interaction entre opérateurs de jeux de hasard se répète dans une niche oligopolistique, le jeu est dynamique. La décision de mener aujourd'hui une politique agressive de prix ou d'investissement dépend alors de l'importance de l'influence des éventuels futurs bénéfices de monopole. Il n'est pas étonnant que l'interaction répétée semble mener à des structures de marché plus coopératives que la lutte âpre des modèles one-off théoriques ou des modèles hit-and-run. Les focal points35 déterminent beaucoup de choses : des éléments qui, à première vue, sont accessoires mais qui, par exemple pour des raisons historiques, suggèrent où un compromis est possible. Un secteur mature sera davantage caractérisé par une concurrence de prix modérée, alors qu'une nouvelle niche est caractérisée par des investissements en capacité (et en volume). Dans la plupart des segments de marché, le nombre maximal d'opérateurs est fixé par le législateur et l'organisme de réglementation. Tant que l'entrée est déterminée de manière endogène, elle est encouragée (ou non) en fonction des coûts de lancement. Mais la dynamique n'est pas non plus triviale ici : il se peut tout à fait que la prévision d'une concurrence plus intense après l'entrée fasse a priori en sorte que peu de participants ou un seul (voire aucun) participant envisage(nt) d'opérer finalement dans ce segment. Les precommitments stratégiques comme des investissements en capacité ou un nouveau développement de produits peuvent influencer fondamentalement l'agressivité des autres acteurs. Dans un modèle de volume (un nouveau segment), une telle attitude agressive aidera généralement, comme en témoigne la politique que pas mal de monopoleurs appliquent encore dans des marchés annexes. Dans un secteur mature qui fait déjà face à une surcapacité, c'est plutôt un inconvénient. Un exemple intéressant est le développement de l'industrie des casinos à Las Vegas par rapport à Atlantic City. Alors que peu de limitations (voire aucune) sont imposées au secteur dans le Nevada (avec tous les excès que cela implique), le New Jersey a choisi en 1976 d'imposer aux exploitants de casinos des exigences spécifiques en termes d'ampleur, par exemple, pour ainsi créer expressément un oligopole. Grâce aux avantages d'échelle, dans le Vegas concurrentiel, une poignée de majors sur The Strip se sont emparés rapidement de la part du lion des gross gaming revenues et des bénéfices36.

35 Schelling, T. (1960), The strategy of conflict, Cambridge : Harvard University Press. 36 Il convient de souligner également que, du côté de la « demande » notamment de jeux de casinos, un nombre limité de high rollers ou de whales peuvent dominer le marché. Les casinos font le maximum pour attirer ces individus en leur fournissant gratuitement tous les services « complémentaires » imaginables. Au fur et à mesure que le centre de gravité se déplace aussi dans les casinos des tables de jeux aux slot machines, l'impact des whales semble diminuer.

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Pour l'organisme de réglementation, il est important que, selon la théorie, le nombre d'opérateurs ne doive en tout cas pas être socialement optimal. Il peut y en avoir plus que ce qui est souhaitable, ou un de moins que nécessaire. Cette dernière situation pose notamment problème s'il n'y a une situation rentable que pour un seul acteur de monopole : s'il ne participe pas de sa propre initiative, la société ne reçoit pas d'offre. La supposition cruciale est à nouveau de nature stratégique et est appelée business stealing37. Dans quelle mesure des opérateurs supplémentaires diminuent-ils le chiffre d'affaires attendu de toutes les entreprises déjà actives ? Si c'est effectivement le cas, il y a une incitation supplémentaire à être actif dans ce segment, ce qui peut mener de nouveau à un trop grand nombre d'acteurs présents. Le questionnement actuel sur le nombre de licences de casinos s'inscrit dans ce cadre. La problématique d'autres situations physiques, fictives et réelles, où des jeux de hasard sont proposés n'y est pas non plus étrangère.

7. Étude de cas : canalisation sans élargissement de la taille du marché

À quel point les séparations entre les segments de marché sont-elles « perméables » ?

L'article 5 du contrat de gestion entre la Loterie Nationale et la Belgique stipule :

L'obligation de canalisation de la Loterie Nationale implique qu'elle attire les amateurs existants de loteries, paris, concours et jeux de hasard au moyen d'une offre moderne et attrayante, sans qu'elle élargisse la taille du marché.

Généralement, cela suppose que la Loterie Nationale peut (ou peut-être doit) proposer toutes les formes existantes des jeux de hasard au sens large. Néanmoins, il a fallu par exemple plus de dix ans pour la Loterie se risque aux paris sportifs. Les loteries organisées par les autorités n'ont historiquement toléré qu'un minimum de jeux d'argent avec des opérateurs professionnels en parallèle. L'exploitation a été combattue en faisant en sorte que les opérateurs retirent le moins possible de « frais » des stakes. La loterie nationale en Grande-Bretagne a encore prouvé il y a quelques années que l'autorisation du side betting sur le tirage et la déréglementation des initiatives locales de loterie réduiraient fortement les recettes finales pour le Trésor public. De la même manière, selon ce raisonnement, la soumission d'une loterie nationale à un organisme de contrôle unifié entraînerait un conflit d'intérêts entre la maximisation des recettes en faveur des œuvres caritatives et les exigences commerciales du reste du secteur. Les économistes ne choisissent pas nécessairement une solution « institutionnelle » pour éviter un éventuel conflit d'intérêt. L'avantage de maintenir une séparation stricte des parties dans des institutions exceptionnelles ne compense parfois pas les effets secondaires négatifs d'un tel bétonnage. La plupart des conflits d'intérêts dans l'économie, qu'il s'agisse

37 Mankiw, G. & Whinston, M. (1986), Free entry and social inefficiency, RAND Journal of Economics 17, p. 48-58.

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de l'économie politique derrière une consolidation ou une réforme de l'État ou des intérêts parfois contradictoires, par exemple, d'entreprises pharmaceutiques dans un consortium, sont maîtrisés par des personnes compétentes et intègres qui rétablissent le bon équilibre sur la base de checks and balances bien réfléchis. De bons accords au sujet de la collaboration sont souvent plus efficaces que des structures rigides avec lesquelles il est impossible de travailler dans la pratique. L'idée que les monopoles en soi seraient mauvais est fausse. Même celui qui a émis le principe de creative destruction, l'économiste autrichien Joseph Schumpeter38, a attribué un rôle important aux monopoles : leur position privilégiée leur a permis d'innover plus longtemps et de manière plus approfondie, au bénéfice de tous. La devise de Google (Don’t be evil, Ne soyez pas malveillants) est un gimmick de marketing, mais reflète également la mesure dans laquelle un monopole fructueux peut se permettre de se préoccuper de l'éthique sans compromettre sa propre existence. Cela devrait aussi être le cas des monopoleurs dans le secteur des jeux de hasard. La « fertilisation croisée » entre le monopole de loterie spécifique au pays et l'élargissement aux autres segments du secteur des jeux de hasard, notamment en ligne, attire notamment l'attention des autorités de la concurrence. En France, l'Autorité de la concurrence a signalé il y a quelques années au Pari Mutuel Urbain et à la Française des Jeux que leur monopole des paris dans les agences de paris ne devait pas être utilisé pour enterrer la concurrence en ligne et occuper plus de 80 % du marché. En associant la mise dix fois plus grande du canal physique avec celle du canal numérique, le PMU a pu ainsi proposer un pay-out plus élevé, en particulier pour les paris plus complexes.

Afin de prevenir toute distorsion de concurrence dans l’hypothese de la diversification des activites du titulaire d’un monopole legal, le Conseil, puis l’Autorite de la concurrence ont regulierement recommande une separation etanche entre les activites liees au monopole et celles relatives a la diversification, une telle separation devant etre « a la fois juridique, materielle, comptable, financiere et commerciale »39.

Une question importante à laquelle la Commission des jeux de hasard est confrontée à cet égard est de savoir dans quelle mesure les différents segments du secteur des jeux de hasard intéressent différents profils sociodémographiques ? Paradoxalement, l'hypothèse que les joueurs en ligne viennent d'autres classes de la société40 que les amateurs de loterie traditionnels est utilisée tant par les monopoles

38 Schumpeter, J. (1942), Capitalism, socialism and democracy, Londres : Routledge. Pour un défenseur moderne inattendu : Thiel, P. & Masters, B. (2014), Zero to One: Notes on Startups, or how to build the future, Crown Business. 39 Avis n° 11-A-02, art. 175, 20 janvier 2011. 40 L'étude complète réalisée par l'Institut suisse de droit comparé sur le secteur des jeux de hasard en Europe en 2006 mentionne que les « remote gaming companies […] reported an aggregate of 63% of all registered players to be within the 18-35 age group, 32% to be within the 36-55 age group, and 5% to be of age 56 and over » (les entreprises de jeux à distance […] ont signalé que 63 % de tous les joueurs inscrits faisaient partie du groupe 18-35 ans, 32 %, du groupe 36-55 ans et 5 % avaient 56 ans et plus). Une analogie peut être faite avec les (r)évolutions dans le secteur des médias en général. Selon les enquêtes annuelles à l'aide du Digimètre, la même dynamique est constatée en Flandre que celle qui existe depuis plus longtemps sur les marchés de médias plus avancés des États-Unis ou de l'Extrême-Orient : il y a un clair schéma de vague où les adolescents et les

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de loterie que par les opérateurs privés dans leur plaidoyer. Le monopoleur tente ainsi de minimiser consciemment sa prépondérance sur le marché. L'opérateur privé accuse le monopoleur avec ce même argument d'élargissement de marché. La situation dans notre pays se concentre trop souvent sur le duel entre la Loterie Nationale et les organisateurs privés opérant sous la protection de la Commission des jeux de hasard. Les questions suivantes doivent certainement être posées : quelle est l'importance du cross-over entre les segments ? L'extension de l'offre de la Loterie Nationale est-elle indispensable pour lutter contre la cannibalisation ? Dans quelle mesure les opérateurs privés portent-ils préjudice au potentiel de la Loterie Nationale de soutenir des œuvres caritatives ? Mais au vu de la domination croissante des plateformes mondiales de technologies de jeux d'argent, nous devrions surtout nous demander comment la structure de marché belge peut fonctionner au profit de tout le monde dans l'écosystème local. Les monopoles ont une raison d'être dans un monde en pleine mutation, où ils utilisent leur surplus de producteurs pour créer davantage de surplus des consommateurs à l'avenir. D'autres opérateurs locaux de jeux de hasard ne pourraient-ils pas, par exemple, être rattachés à la plateforme et au canal de distribution existants de la Loterie Nationale dans le cadre du service public qu'offre cette dernière ? La Commission des jeux de hasard peut-elle jouer un rôle dans l'union des forces ?

jeunes dans la vingtaine font des expériences avec toutes les applications possibles de la nouvelle technologie tant que c'est gratuit (si nécessaire illégales ou aux frais des parents). C'est la cohorte des trentenaires et jeunes quarantenaires qui est systématiquement reprise dans cette vague et, dans le même temps, ont les moyens et la volonté de payer pour ces produits et services. Enfin, les cinquantenaires sont convertis, ou disparaissent des échantillons démographiques…

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5. Analyse de prospérité des jeux de hasard

8. Comment les gens gèrent-ils les choix probabilistes ?

Près de neuf personnes sur dix ont déjà participé à un jeu de hasard, ne fût-ce que sporadiquement. La majorité a participé à des jeux de la loterie nationale (environ trois sur quatre ont participé à des jeux de tirage, alors que les jeux à gratter sont en hausse proportionnellement) ou à des loteries locales similaires, souvent inspirées par une œuvre caritative. Même si presque tout le monde a un jour participé à un jeu de hasard, une petite minorité de la population représente quasiment plus de la moitié du montant total des mises. Ce phénomène, que les économistes associent aux « lois du pouvoir », est typique de nombreux produits de consommation. Les spécialistes du marketing pour les jeux de hasard se focalisent donc sur cette population de joueurs ; l'innovation des produits dans le secteur est donc principalement destinée à convaincre les joueurs moins actifs de faire partie de ce groupe de joueurs fréquents. Les caractéristiques socioéconomiques des joueurs sont intéressantes, même si c'est sujet d'étude quelque peu controversé pour les économistes et les spécialistes du marketing. Il y a donc clairement un lien entre la classe sociale et les (différents) jeux de hasard, bien qu'il soit moins marqué qu'on le suppose généralement. Indépendamment de la période étudiée ou du pays, il en ressort à chaque fois un lien inversement proportionnel avec le niveau de formation. Par ailleurs, le lien entre le montant misé et le revenu disponible n'est à nouveau pas cohérent, de sorte que la taxation (implicite), par exemple, des loteries nationales est régressive. Mais même après contrôle pour ces caractéristiques socioéconomiques, il s'avère tout de même qu'une partie de la population est attirée « de nature » par les jeux de hasard. La réforme du secteur en Belgique a été boostée par une recherche sur la prévalence des jeux d'argent chez les jeunes en 2009. Un quart de tous les adolescents ont déjà participé à un jeu d'argent : cette information a fait grand bruit. Dans le giron de la Loterie Nationale, le « Comité de Jeu Responsable » a été créé et composé d'experts internes et externes. Il devra être renforcé à l'avenir et être davantage étayé par des études scientifiques, déjà en cours à ce sujet, selon la ministre du Budget en 2014. Les exigences minimales imposées aux programmes pour des jeux responsables41 sont des indicateurs d'impact spécifiques prédéfinis afin que la réussite du programme (faire en sorte que les gens participent aux jeux de hasard dans les limites de leur temps et de leurs revenus disponibles) puisse être évaluée, une description précise du groupe cible, un objet valable d'interventions et une méthode d'évaluation permettant d'en définir l'efficacité, la rentabilité et les bénéfices. De nombreux pays connaissent bien ces programmes, mais qu'ils n'appliquent généralement pas de cadre conceptuel et, par manque de données empiriques, en basent le contenu sur des idées générales.

41 Blaszczynski A., Collins P., Fong D., Ladouceur R., Nower L., Shaffer H., Tavares H., & Venisse J-L (2011), Responsible Gambling: General Principles and Minimal Requirements, J Gambl Stud 27, p. 565–573.

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Il est important de signaler que le risque d'addiction est spécifique à la personne, mais dépend également des caractéristiques du jeu même, ainsi que de l'environnement de jeux de hasard (contrôle social, accessibilité des établissements de jeux illégaux et autres, et de facteurs comme la possibilité de fumer ou l'atténuation de la lumière du jour). Des informations adéquates et un déroulement honnête du jeu ne suffisent pas, comme nous allons le voir. Certaines personnes doivent être protégées contre elles-mêmes (voir ci-dessous). Malgré toutes les mesures, le mystery shopping a montré que des mineurs pouvaient acheter des produits de la Loterie Nationale dans 26 % des points de vente contrôlés. Les développeurs et les annonceurs de jeux de hasard utilisent au maximum (abusent) des connaissances étayées scientifiquement sur la manière dont les genres gèrent les choix probabilistes. Du point de vue évolutionnaire, les gens préfèrent les histoires pour identifier le plus vite possible leur conception du monde qui les entoure. Nous supposons des rapports causaux linéaires et cherchons des similitudes, même quand il n'y en a pas. Nous sommes très mauvais dans les raisonnements comprenant plusieurs données en même temps. Les raisonnements statistiques en sont l'exemple par excellence. Une telle activité cérébrale exige tellement d'efforts que nous préférons les réprimer en faveur de résultats « rapides » de réflexion qui sont « suffisamment bons ». Les paris où le délai entre le moment de la mise et la découverte du résultat est relativement court sont particulièrement risqués en matière d'addiction. Pensez aux jeux d'argent en ligne, aux paris en direct, aux loteries instantanées… Le fait que nous disposons (devons disposer) de toutes les informations pertinentes comme la probabilité statistique réelle de gain ne nous aide paradoxalement pas. Ironiquement, il est difficile pour nous de déduire précisément une grandeur linéaire importante des données disponibles, à savoir la valeur attendue. On entend par là la somme de tous les résultats possibles, chacun pondéré par la probabilité qu'il se produise42. Les gens confondent en revanche la valeur attendue avec le résultat le plus courant, ou avec un résultat possible qui attire l'attention d'une manière ou d'une autre. Le framing, la manière dont les résultats possibles sont présentés, est donc déterminant. Cela peut être utile, comme de présenter le don d'organes comme option par défaut, mais également préjudiciable. En proposant dans des jeux sociaux de très grandes quantités d'éléments de jeu à un prix unitaire extraordinairement faible, la mise totale est encadrée (framed) pour ne pas être trop importante. Inversement, un gros jackpot incite plus de gens à participer. Les développeurs renforceront l'illusion de contrôle, incitant les gens à surestimer l'influence du savoir en faveur de l'influence de la chance et de l'aspect arbitraire43.

42 La valeur attendue d'un coup de dés est donc égale à 3,5, ce qui semble difficile à comprendre pour beaucoup de gens. 43 Le célèbre chapitre 11 « The belief in luck » de Theory of the leisure class de Thorstein Veblen en 1899 commence par : “The gambling propensity is another subsidiary trait of the barbarian temperament […] This trait also has a direct economic value. It is recognized to be a hindrance to the highest industrial efficiency of the aggregate in any community where it pre- vails in an appreciable degree. […] In so far as the individual’s inherited aptitudes or his training incline him to ac- count for facts and sequences in other terms than those of causation or matter-of-fact, they lower his productive efficiency or industrial usefulness.”

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Les gens partent du principe qu'ils ont plus de chance de gains s'ils peuvent choisir eux-mêmes les chiffres du loto. Les jeux électroniques donneront l'impression que les participants gagnent parce qu'ils le font bien (continuent à le faire) et perdent parce qu'ils ne sont pas suffisamment impliqués, de manière littérale et figurée. La ligne de séparation entre jeux d'adresse et jeux de hasard est ainsi effacée le mieux possible. Le lien par le biais de l'effet sunk cost ou disposition est renforcé. Dans ces jeux, le caractère massive multi-player est essentiel. Notre souhait inné de faire mieux que les voisins est ici renforcé par la présence de nombreux « co-joueurs » au même moment. Les participants considèrent que les récompenses non pécuniaires dans ces jeux (la réputation par exemple) sont aussi importantes que les récompenses pécuniaires. La possibilité de varier les mises encourage généralement les joueurs à miser davantage et plus souvent, surtout quand ils sont sous pression de compenser une perte. Les concepteurs de ces jeux intègrent en outre artificiellement des hordes (comme des temps d'attente) qui ne peuvent être contournées que par un paiement (en espèces). Cela entraîne une surenchère entre joueurs, où seule la différence relative de « mise » détermine la possibilité de gain et de perte. Nous sommes arrivés dans un dilemme de théorie de jeux au sens strict où le résultat ne dépend pas seulement de la stratégie choisie, mais tout autant, sinon plus, de la réaction correspondante des autres. Comme dans le dilemme des prisonniers, le « bon » équilibre où tous les joueurs créent une level playing field en ne contribuant pas à la surenchère est concevable. Mais généralement, la situation de jeu dégénère en « choix » pour l'équilibre « onéreux » où l'un tente de surenchérir sur l'autre (tous les autres). Dans le pire des cas, les autres joueurs misent autant, de sorte qu'il y a aussi un level playing field, même si c'en est un où les exploitants du jeu sont en train de gagner : les chances de gains ne sont en effet pas meilleures maintenant pour les joueurs que dans l'équilibre bon marché.

9. Opportunité sociale des jeux de hasard

Participation et légitimité – où se situe le débat social ?

Les jeux de hasard laissent peu de gens insensibles. Le débat présente de nombreux aspects sociaux et donne lieu à différentes questions de nature juridique, économique mais également morale :

Qu'est-ce qu'un jeu de hasard ? Un jeu avec la possibilité d'un gain, ou est-ce plus complexe que cela ?

Les jeux de hasard doivent-ils être autorisés, lesquels, et à quelles conditions ?

Qui peut participer aux jeux de hasard et cette participation peut-elle être anonyme ?

Qui peut (ou doit) proposer ces jeux de hasard : l'État ou des opérateurs privés ? Par le biais d'acteurs locaux ou étrangers ?

Un bénéfice peut-il être réalisé en proposant des jeux de hasard ? De la publicité peut-elle être faite pour les jeux de hasard ?

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Comment les recettes (plus-values) de ces jeux de hasard sont-elles taxées et redistribuées ?

Quel est le rapport entre le secteur des jeux de hasard et d'autres, comme le sport, les assurances, la technologie… ?

Comment la société gère-t-elle les jeux d'argent à risque et à problème, la fraude et les délits ? Une addiction aux jeux est-elle une affection individuelle ou un problème de société ?

Qui doit surveiller le secteur des jeux de hasard : la justice, les affaires intérieures, la santé publique, l'économie, les finances, le budget et les entreprises publiques – ou tous ces niveaux à la fois ?

Le débat social autour du secteur des jeux de hasard doit déboucher sur une base conceptuelle sur laquelle la politique des jeux de hasard est fondée. En l'absence de consensus sur les concepts et les principes les plus fondamentaux, il est difficile de développer, d'exécuter et de défendre une politique cohérente. Vous pouvez, par exemple, voir une loterie comme une manière de décider dans des situations dans lesquelles le filtrage sur la base d'arguments ne fonctionne plus. Le rôle du hasard dans la collectivité et dans l'économie en particulier est en effet plus important que ce que l'on est généralement prêt à admettre44. L'incertitude, par exemple, fait partie de l'essence même de l'entreprenariat. Il ne s'agit même pas du risque au sens strict, selon lequel la science considère la réalisation d'un évènement comme faisant partie d'un nombre précis de résultats possibles ; l'incertitude concerne plutôt les unknown unknowns, les évolutions futures qui, souvent, ne peuvent être que devinées45. Les jeux de hasard ne sont pas un « phénomène marginal » dans la société. Lors de chaque crise boursière, l'exigence de plus d'attention consacrée à l'éducation et aux médias au sujet de la connaissance financière ressurgit, tout comme l'indignation suscitée par les coûts colossaux nécessaires pour l'assainissement du système financier. De la même manière, la politique des jeux de hasard doit être sensible à la protection du consommateur avant l'apparition d'une possible addiction aux jeux de hasard et au suivi des individus ayant connu des difficultés financières en raison d'une telle addiction. Dans le secteur des jeux de hasard, l'addiction aux jeux est moins la résultante d'une sorte de théorie de la première étape. Le danger se cache plus précisément dans les propriétés structurelles des jeux de hasard et autres qui rendent le joueur « prisonnier » : celles qui l'aspirent systématiquement dans le jeu grâce à des fonctionnalités d'achat intégré (in-app purchases), une succession rapide des notifications de gains et de pertes, etc. L'organisme de contrôle doit posséder une liberté de manœuvre suffisante pour surveiller d'un œil vigilant ce type de dynamique néfaste dans tout le secteur ainsi

44 Nassim Nicholas Taleb (2001), Fooled by randomness. The Hidden Role of Chance in Life and in the Markets, Random House. 45 Frank H. Knight (1921), Risk, uncertainty, and profit, Hart, Schaffner & Marx; Houghton Mifflin Co.

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que dans les domaines adjacents, comme les médias sociaux ou les jeux numériques. Un degré suffisant de contrôle et de surveillance efficace est nécessaire pour identifier au plus vite cette dynamique structurelle et pouvoir la prendre à bras-le-corps. La mission de l'organisme de contrôle est rendue plus difficile par le fait que la technologie de jeux d'argent est de plus en plus concentrée entre les mains d'un nombre limité d'acteurs (étrangers). Les bonnes intentions du législateur belge à la fin du dernier millénaire ne se sont malheureusement pas traduites par une politique des jeux de hasard efficace. Cette politique n'a pas toujours fait des choix suffisamment clairs, ou libéré les moyens nécessaires pour concrétiser ces derniers. Sur la base d'un débat social, certains éléments de la politique des jeux de hasard peuvent être reconsidérés. La légitimité des jeux de hasard a en effet aussi des répercussions sur la manière dont le secteur doit être structuré et réglementé. La « solution » belge où la Loterie Nationale gère les segments not-for-profit et la Commission des jeux de hasard gère les segments for-profit n'est pas sans faille. Au cours de ces dernières années, ces deux institutions ont essuyé certains reproches dans la société, surtout parmi les élus politiques. Le sujet des jeux d'argent est sensible. Il mérite donc un débat pragmatique approfondi auquel la société au sens large devrait davantage participer. Les leçons de la fin du siècle dernier46 n'ont été que difficilement apprises : la plupart des pays mènent toujours une politique sur les jeux de hasard qui n'est pas suffisamment transparente, qui obtient plutôt ses informations des groupes de lobby (également dans le système politique) que d'une consultation publique, et qui est donc trop peu réactive aux évolutions sociales et technologiques. La Cour européenne de Justice a invoqué le principe de subsidiarité pour permettre aux autorités nationales de protéger leur secteur des jeux de hasard de ce qui devrait être, selon les normes européennes, un single market (marché unique) comme pour les autres biens et services. Toutefois, la Cour a obligé les États membres à utiliser le « bon » argument à cette fin. Les monopoles d'État historiques sur les loteries et la rente de monopole correspondante, sont encadrés par l'État en tant qu'actionnaire, par le biais d'impôts ou de redevances de concessions. Les autorités pourraient être tentées, « dans l'intérêt général », de maintenir le statut de ces monopoles traditionnels et les flux de trésorerie correspondants. Des raisons moralistes à paternalistes y sont souvent associées. La Cour rejette donc toute justification de ne pas ouvrir le marché ayant ouvertement ou non une base fiscale. La Cour a voulu contrer l'argumentation selon laquelle l'augmentation du surplus des consommateurs serait écrasée par le coût social plus élevé du jeu (compulsif), en insistant sur une politique « proportionnellement » limitative sur les jeux de hasard.

46 Wynne, H. (1997), Gambling as a public policy issue, The 2nd Bi-Annual Ontario Conference on Problem and Compulsive Gambling (June 2), Toronto. Dense, J. (1997), State lotteries, commercial casinos, and public finance: An uneasy relationship?, Gaming Law Review 3(5/6), p. 317-328.

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Pour pouvoir mener ce débat sur le fond, des raisonnements économiques objectivés et des chiffres sont donc aussi nécessaires pour rendre les trade-offs entre surplus des consommateurs et coût social transparents. Une libéralisation, même contrôlée, fera-t-elle diminuer les prix des jeux d'argent et varier l'offre ? Ces prix plus faibles mèneraient-ils à une participation plus active aux jeux de hasard, en particulier par des personnes du groupe à risques par rapport aux participants récréatifs ? Cela dépend essentiellement de l'élasticité de la demande47. Grâce à ces chiffres étayés, la société peut choisir sérieusement quel secteur des jeux de hasard elle souhaite et quelle forme il doit avoir.

10. Surplus des consommateurs « négatif » (addiction, exploitation) et surplus des

producteurs (fraude, criminalité)

Les avis dans la société concernant les jeux de hasard sont donc très divergents. Rien qu'en évaluant les avantages et les inconvénients, nous pouvons arriver à un jugement équilibré. La littérature socioéconomique est encore imparfaite à ce sujet et le bon sens doit finalement permettre de se faire une opinion en tenant compte autant que possible de tous les résultats scientifiques. Il n'y a actuellement pas encore d'unanimité concernant la quantification des effets sur la santé, la cohésion sociale, la sécurité ou d'autres domaines. De plus, les valeurs et les orientations morales varient selon le contexte culturel. La discussion se concentre souvent sur deux limites. La première est la distinction entre coûts privés et sociaux. Un coût privé implique tout au plus un transfert entre individus ou organisations dans un pays. Certains de ces « transferts » ont cependant aussi une dimension sociale. Le vol, par exemple, implique aussi des coûts sociaux : la valeur qu'on attache à tous les biens dans la société diminue en effet si le risque de vol est nettement plus important. L'autre point litigieux est la distinction entre l'impact sur le bien-être et celui sur le budget public. Les recettes fiscales n'augmentent pas simplement le bien-être pour un pays si les moyens de ceux qui doivent payer les impôts sont effectivement réduits. Un « emploi créé » peut également non seulement être considéré comme un avantage, mais il peut aussi être argumenté que, en l'absence d'activité dans le secteur notamment de jeux de hasard, le travailleur aurait trouvé un emploi ailleurs. La décision politique sur la mesure dans laquelle la réglementation doit limiter l'activité de jeux de hasard n'a donc qu'un rapport partiel avec l'impact budgétaire : les bénéfices nets pour toute la société sont le critère adapté. Un certain nombre de pays ont mené une évaluation économique à grande échelle, dirigée par leur commission des jeux de hasard ou des organisations comparables48.

47Notez à nouveau que, pour les parieurs à problèmes, les dommages sociaux sont causés en particulier par des problèmes financiers ; en cas d'abus d'alcool, par exemple, le volume est le facteur prépondérant du coût. Dans le premier cas, la grandeur pertinente est la dépense totale dans les jeux de hasard (prix x nombre); dans le deuxième cas, le nombre est déjà pertinent en soi. 48 UK Gambling Review Body (2001), Gambling Review Report, Department for Culture, Media and Sport Cm 5206; voir aussi Australian Productivity Commission (2010), Inquiry Report into Gambling.

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Ces « analyses de prospérité » identifient systématiquement les conséquences d'une activité comme les jeux de hasard pour la société. Le tableau ci-dessous49 donne un aperçu des éléments qui sont abordés dans la plupart des analyses de prospérité.

Schéma 9 Éléments d'une analyse de prospérité (Azmier et al.)

Ce schéma présente comment l'organisme de réglementation peut évaluer de manière conceptuelle le volume optimal de l'activité de jeux de hasard compte tenu des bénéfices et des coûts. Une donnée importante est que, si le solde des bénéfices et des coûts est négatif, cela ne signifie pas en soi que les jeux d'argent doivent être interdits, mais que la réglementation doit limiter l'offre de jeux d'argent. Pour un volume Q0 de jeux de hasard, le secteur génère un bénéfice B0 net pour la société. Pour un volume Q2, c'est (B0 + B1 –C1), ce qui est plus que souhaitable car, pour le

49 Azmier, J. J., Kelley, R, & Todosichuk, P. (2001), Triumph, tragedy or trade-off? Considering the impact of gambling, Calgary, AB: Canada West Foundation.

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volume supérieur à Q1, les coûts sociaux supplémentaires sont supérieurs aux bénéfices sociaux. La réglementation ne doit pas se focaliser sur la prémisse que les jeux de hasard sont en soi souhaitables ou non, mais viser un équilibre où l'offre est juste suffisamment freinée, dans le cas du schéma jusqu'à Q1.

En 1999, la commission de recherche australienne a comparé, pour chaque type de jeux de hasard, les bénéfices et les coûts pour la société dans un rapport important50. Un « avantage » à ne pas négliger est la constatation que les gens ressentent du plaisir et de la détente lors de la participation aux jeux de hasard comme défini ci-dessus. Le montant qui y est consacré n'est pas significatif. Il convient cependant de signaler que, dans la discussion économique sur les biens immatériels, les partisans des jeux de hasard se réfèrent immédiatement aux effets secondaires comme l'emploi et les investissements tout en perdant de vue la base de cette activité, à savoir le surplus des consommateurs.

Les économistes calculent l'avantage que le consommateur tire de son revenu, le « surplus des consommateurs », comme la différence entre le montant qu'il était prêt à payer au maximum et ce qu'il paie réellement. Quand un consommateur consomme cinq boissons, l'économiste part du principe que le plaisir d'une sixième boisson ne compense plus le prix demandé. Pour la première boisson, la différence entre la valeur ressentie et le prix payé était la plus élevée. La suite de l'évolution du surplus des consommateurs dépend essentiellement de la mesure dans laquelle la consommation est sensible au prix (l'élasticité du prix). Pour des estimations typiques de l'élasticité du prix (qui ne sont pas sans incertitude), on arrive aux alentours d'un surplus des consommateurs qui concerne la moitié des dépenses des consommateurs 51 . (Les recettes fiscales peuvent être considérées comme un surplus (imposé) des consommateurs.) Bien sûr, les dommages causés par le jeu compulsif doivent être déduits. En général, la littérature part du principe que des limitations économiques, juridiques ou concurrentielles moins strictes du secteur des jeux de hasard font augmenter les dépenses et accentuent dans le même temps le rapport entre les gross gambling

50 Productivity Commission (1999), Australies gambling industries, Report No 10, AusInfo : Canberra. 51 C'est exactement le cas quand l'élasticité du prix prend la valeur-1. Si la sensibilité aux prix est inférieure, le surplus des consommateurs augmente.

Volume activité de jeux d'argent

EUR

Coût par activité supplémentaire de jeux d'argent

Bénéfice par activité supplémentaire de jeux d'argent

Schéma 10 Représentation schématique des coûts et bénéfices

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revenues et le PIB. Les limitations qui pèsent sur l'offre créent en effet une tarification monopolistique ou oligopolistique qui ne joue pas en faveur du consommateur.

La commission de recherche australienne est arrivée dans son rapport à une estimation de ces bénéfices d'au moins 4,4 milliards de dollars par an. Cette estimation tenait compte des dépenses excessives des joueurs compulsifs. Le principal avantage pour les amateurs individuels de jeux de hasard donc est la valeur de divertissement. Une motivation importante de participation est le « rêve de gagner »52 :

Motivation Tous les joueurs (%)

Rêve de gagner 59

Raisons sociales 38

Pour des œuvres de charité 27

Dépasser les chances de gains 9

Activité privilégiée 10

Ambiance/excitation 13

Foi en sa propre chance 12

Ennui/passe-temps 9

Les utilisateurs sont prêts à payer plus quand leur chance de gain augmente. Tant que les joueurs ont bien conscience qu'ils ne peuvent pas attendre de revenu positif, cela reste un passe-temps qui peut être considéré comme faisant partie d'une économie de temps libre devenant très importante53. Bien entendu, le gain est un peu plus intéressant, mais ces utilisateurs des machines de jeux automatiques tirent autant de plaisir du jeu en cas de perte 54:

Satisfaction Gagnant Perdant Égal Incertain

Beaucoup de plaisir 58 26 16 0

Assez de plaisir 22 57 19 1

Pas vraiment de plaisir 6 94 0 0

Pas du tout de plaisir 0 100 0 0

Quand il n'est pas question de libre choix ou s'il n'y a pas suffisamment d'informations sur les chances de gain et le prix, les conditions ne sont plus satisfaites pour parler d'« avantages pour l'utilisateur ». Les inconvénients

52 Roy Morgan, dans : Productivity Commission (1999), op.cit. 53 La société de private equity Waterland a, par exemple, des participations dans le CasinoRoyal en Allemagne, le JVH Gaming (Jack’s Casino) aux Pays-Bas et dans Napoleon Games en Belgique. Cet investissement se focalise sur la consolidation de marchés « en pleine évolution » résultant d'une ou plusieurs tendances « outsourcing & efficiency », « temps libres & luxe » et durabilité. 54 Productivity Commission (1999), p. 159.

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l'emportent sur les avantages. Un des principaux arguments pour la tolérance d'un secteur légal des jeux de hasard est d'éviter tous les inconvénients liés à la réalisation illégale de ces activités. Ces inconvénients ne comprennent pas seulement le surplus des consommateurs négatif personnel, mais également les conséquences sociales de l'addiction aux jeux, des coûts de traitement à la perte de productivité au travail. Contrairement à d'autres comportements largement répandus mais potentiellement nocifs (comme le tabagisme et l'alcoolisme), très peu d'informations fiables sont disponibles sur les comportements de jeu normaux et à problèmes. Selon la British Gambling Prevalence Survey de 2010, environ 0,7-0,9 % de la population de plus de 16 ans présentent un comportement à problèmes. Le même pourcentage s'appliquait en 2011 aux Pays-Bas55 pour les joueurs à risques (92 000), avec environ 20 000 joueurs à problèmes. Des estimations similaires dans d'autres pays donnent généralement des chiffres un peu plus élevés : Ce pourcentage s'élèverait à 2,3 % pour l'Australie, 1,1 % pour les États-Unis et 1,4 % pour l'Espagne. Chez les jeunes, ce pourcentage s'élèverait à 3-5 %. Nous constatons aussi que l'addiction aux jeux reste toujours bien moins fréquente que l'addiction à l'alcool (15x) ou au cannabis (5x). Les jeunes sont confrontés plus de 100 fois plus à l'addiction au cannabis qu'à l'addiction aux jeux de hasard. La Gambling Prevalence Survey britannique sonde en même temps l'impression générale de bonheur du participant : “Taking all things together, on a scale of 1 to 10, how happy would you say you are these days?” Les personnes confrontées à des problèmes avec les jeux d'argent donnent une réponse nettement inférieure à cette question que la moyenne générale, même après contrôle pour des facteurs environnementaux comme la santé ou l'emploi. Ceux qui participent de manière « sûre » ou justifiée aux jeux de hasard donnent une réponse un peu plus élevée pour le bonheur général… Trois instruments de mesure sont souvent utilisés pour identifier des joueurs à problèmes :

Le South Oaks Gambling Screen (SOGS, Lesieur & Blume, 2000) utilise 20 questions pour estimer le profil d'addiction. Les joueurs récréatifs obtiennent 0-2, les joueurs à risques, 3-4 et les joueurs à problèmes obtiennent plus de cinq points ;

Le Canadian Problem Gambling Index (CPGI, Ferris & Wynne, 2001) mesure pour chaque activité de jeux d'argent le lieu, la fréquence, la durée et les dépenses durant les 12 derniers mois, mais soumet également aux joueurs un questionnaire de 9 points avec chaque fois 4 possibilités de réponse destinées à estimer la gravité de la problématique (PGSI) ;

55 Intraval (2011), Gokken in kaart: Tweede meting aard en omvang kansspelen in Nederland.

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Les critères de diagnostic DSM-IV et DSM-5 pour le gambling disorder. En 2000, une étude a eu lieu au Canada pour évaluer les bénéfices et les coûts des jeux d'argent56. Les auteurs sont arrivés à un pourcentage de 5 % de cas à risques qui pouvaient entraîner un comportement problématique. En tenant compte de ce chiffre, ils ont conclu que les bénéfices nets pour la société canadienne s'élevaient à 3 milliards de dollars. L'étude affirmait de plus qu'un assouplissement de la réglementation entre 1989 et 1995 a entraîné une hausse de ces bénéfices nets de 526 millions. Nous insistons sur le fait que ces chiffres doivent être examinés avec la prudence nécessaire. Les coûts sociaux des joueurs à problèmes sont très difficiles à définir. Grinols et Omorov57 ont estimé un montant annuel par parieur pathologique entre 15 000 et 33 500 USD. Une complication est la comorbidité : les jeux à problèmes sont en effet souvent liés à d'autres problèmes psychosociaux58 comme l'abus d'alcool ou l'augmentation de la criminalité dans les centres de divertissement. Certains parlent même du rôle que jouent les facteurs génétiques59. Il est très problématique d'attribuer la seule cause de différences dans la population aux jeux d'argent. En 2000, le congrès Whistler a conclu des accords pour définir une méthode convergente sur le plan international concernant l'estimation des coûts et des bénéfices. Comment la moins bonne qualité de vie des joueurs pathologiques est-elle prise en compte ? Et les coûts de l'aide et de l'assistance publiques ? Même si le sujet n'est pas encore clos, les chercheurs tentent d'établir un cadre conceptuellement rigoureux adapté avec des définitions claires pour étudier l'impact socioéconomique des jeux d'argent. Concernant l'addiction aux jeux, une expérience internationale montre que ce n'est pas le type d'exploitant qui détermine les risques (monopole d'État versus opérateurs privés par exemple), mais le type de jeu. Un facteur très important qui exige plus de recherche est la différenciation selon le type de jeux de hasard et de joueurs. Les machines de jeux automatiques présentent, par exemple, un plus grand risque d'addiction, quel qu'en soit l'exploitant60. Les joueurs qui estiment pouvoir compenser une perte précédente en jouant à des jeux qui n'ont pas de fin automatique sont particulièrement problématiques61. Selon des études pour Nova

56 Vaillancourt, F. en A. Roy (2000), Gambling and Governments in Canada, 1969-1998: How Much? Who Plays? What Payoff?, Canadian Tax Foundation: Toronto, Ontario. 57 Grinols, E., et J.D. Omorov (1996), Development or Dreamfield Delusions? Assessing Casino Gambling’s Costs and Benefits, Journal of Law & Commerce, 16.

58 Shaffer H.J., Hall M.N., & Bilt J.V. (1997), Estimating the Prevalence of Disordered Gambling Behavior in the Untied States and Canada: A Meta-analysis, Harvard Medical School Division on Addiction: Boston. 59 Commings D. E., Gade R., Wu S., Chieu C., Dietz G., Muhlleman D., Saucier G., Ferry L., Rosenthal R. J., Lesieur H. R., Rugie L. J., en MacMurray P. (1997), Studies of the potential role of the dopamine D1 receptor gene in addictive behaviours, Molecular Psychiatry 2, p. 44-56. 60 Fisher S. & Griffiths M. (1995), Current Trends in Slot Machine Gambling: Research and Policy issues. Special issue: Slot Machine Gambling, Journal of Gambling Studies 11(3), p. 239-249. 61 Lesieur H.R. (1984), The Chase:The Compulsive Gambler, Rochester: Schenkman Books.

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Scotia, 96 % des dépenses pour des jeux de video lottery terminal proviennent de seulement 25 % des joueurs. Les joueurs à problèmes représenteraient 50 % des recettes62. Selon des études réalisées pour les casinos, 65 % du chiffre d'affaires seraient même générés par 7 % des joueurs63. Sur le plan international, Internet et les casinos sont les lieux par excellence où l'addiction est constatée, alors que les loteries numérotées sont le moins considérées comme une « étape » vers des activités risquées. Une politique sur les jeux de hasard pouvant s'appuyer sur ce type d'analyses de prospérité peut trouver un meilleur soutien dans la population et chez les représentants de cette population. Les questions sur le rapport optimal entre investissements dans le marketing et la prospection versus l'assistance et la prévention y sont abordées. Des annonces voyantes d'opportunités de jeux de hasard de la part des autorités contribuent souvent aux problèmes avec les jeux d'argent64. Le surcoût social de l'addiction aux jeux contrebalance-t-il les recettes de sa canalisation ? Pour ceux qui en douteraient : outre le surplus des consommateurs, il existe bien sûr aussi un surplus des producteurs, autrement dit le bénéfice après déduction des coûts. Il faut une certaine capacité de jugement pour éviter les duplications résultant de l'effet de substitution où les montants consacrés aux jeux de hasard pourraient alternativement être dépensés dans un autre divertissement. Selon l'organisation du secteur, ce bénéfice peut être réinvesti dans de nouveaux emplois et une activité supplémentaire. L'idée que le bénéfice d'une activité économique peut être assimilé aux moyens dont elle a besoin est cependant un malentendu. Cela n'empêche pas que l'emploi dans le secteur des jeux de hasard doit être estimé en termes de valeur aussi bien qu'ailleurs dans l'économie. Si l'économie peut de plus en acquérir un avantage concurrentiel par rapport aux autres pays, l'activité peut être un levier important pour la future prospérité. En l'absence de concurrence efficace, une partie peut également se traduire par des avantages favorables supplémentaires pour le personnel et le management : « the best of all monopoly profits is a quiet life »65. Dans le cas de fournisseurs étrangers, ce surplus ne doit, de plus, pas rester dans le pays, avec toutes les conséquences qui en résultant pour les recettes fiscales et les effets annexes dans l'économie. Les autorités tentent tout de même de capter une part importante de ce surplus par le biais de toutes sortes de prélèvements.

62 Hayward K. en R. Colman (2004), The costs and benefits of gaming: a summary report from the literature review, Nova Scotia Gaming Foundation. 63 Fisher S. (2000), Measuring the prevalence of sector-specific problem gambling: a study of casino patrons, Journal of gambling studies 16(1), p. 25-51. 64 Hertzke (1998), The theory of moral ecology, Review of Politics 60(4), p. 629-659. Campbell, F., & Lester, D. (1999). The impact of gambling opportunities on compulsive gambling, Journal of Social Psychology 139(1), p. 126-127. Clotfelter, C., & Cook, P. (1989), Selling hope: State lotteries in America, Cambridge, MA: Harvard University Press. 65 Hicks, J. R. (1935), Annual Survey of Economic Theory: The Theory of Monopoly, Econometrica 3(1), pp. 1-20.

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Tout comme nous mettions un bémol pour le surplus des consommateurs, des facteurs négatifs doivent potentiellement aussi être pris en compte du côté du fournisseur. Il convient de vérifier où des phénomènes criminels comme la violence, la fraude ou le blanchiment d'argent se produisent dans les établissements de jeux de hasard réglementés par rapport aux établissements illégaux.

Rôle des autorités – externalités négatives et paternalisme

Des visions conflictuelles sur l'importance de la liberté individuelle et la gravité des dommages causés par le jeu compulsif sont à la base d'importantes différences d'intervention des autorités dans cette activité dans le monde entier. D'après une enquête de Gallop, 29 % des personnes interrogées aux États-Unis plaidaient pour une réduction à une interdiction complète, 22 % pour une expansion et 47 % acceptaient le statu quo. Chaque pays cherche son propre équilibre et la Belgique semble en ce moment choisir une attitude tolérant les jeux d'argent s'ils sont canalisés. Il ne faut pas oublier à quel point le jeu compulsif peut causer des dommages psychologiques aux joueurs et leur entourage. Surtout en cas d'« externalités » (coûts sociaux qui dépassent l'individu joueur), personne ne conteste plus la nécessité d'une réglementation. Dans notre pays, il y a également une base pour intervenir quand des joueurs individuels deviennent tellement obsédés par le jeu qu'ils semblent oublier toute forme de jugement rationnel et présentent tous les signes d'addiction. Alors qu'il y a depuis toujours des idées polarisées sur les jeux de hasard, il y a des leçons pratiques à tirer dans le monde entier. De cette manière, les erreurs des choix extrêmes sont ainsi évitées. Une déréglementation complète est caractérisée par les excès correspondants, notamment sur le plan du jeu compulsif. Par contre, une interdiction totale entraîne une activité illégale avec toutes les conséquences criminelles qui s'ensuivent. Chaque commission des jeux de hasard sera alors probablement immanquablement critiquée pour être trop restrictive ou trop laxiste. Il faut tout de même considérer comme un signal d'alarme que même des succès éclatants de la police contre des organisations criminelles utilisant le marché des jeux de hasard online difficile à réglementer pour blanchir de l'argent entraînent la demande d'une libéralisation contrôlée du secteur sous la surveillance d'un organisme de réglementation efficace. Des voix s'élèvent pour que l'introduction d'un nouveau jeu de hasard puisse être similaire à la commercialisation d'un nouveau médicament. La question cruciale est de savoir si, par manque de preuve que le produit est « sûr », l'autorisation doit être donnée ou, inversement, si, par manque de preuve qu'il est « dangereux », si la concurrence peut veiller au prix et à la qualité. Dans cet examen, de nombreux facteurs seront abordés :

Les jeux de hasard doivent être exempts de fraude et de criminalité, et être « fair » (honnêtes). Outre les facteurs humains (pensez : le screening du

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personnel), cela exige un Random Number Generator vraiment arbitraire qui est correctement utilisé ;

Les participants doivent savoir à quoi ils peuvent s'attendre et y faire confiance ;

La prospection doit être « adaptée » – en matière de fourniture d'informations, framing… ;

Les groupes vulnérables dans la société doivent être protégés contre le risque d'addiction et de dettes de jeux d'argent. Le coût social des effets préjudiciables du jeu compulsif et de l'assistance doivent être pris en compte ;

L'application de ces principes ne doit pas être sous-estimée durant une période de développements technologiques mondiaux rapides auxquels il faut réagir de manière adéquate. Elle exige une familiarité approfondie avec différentes disciplines scientifiques, combinée à une grande connaissance du terrain. Un des objectifs doit donc être la préservation d'une réputation internationale pour l'intégrité. La réglementation des jeux de hasard est compliquée par le caractère social délicat du comportement de jeu, pas le moins chez les politiciens. Malgré le fait que des siècles d'expérience ont démontré qu'une interdiction totale est contre-productive. Il n'est pas simple d'expliquer le caractère paradoxal de la « canalisation » : pourquoi un secteur des jeux de hasard attrayant protège mieux la société ? Il est encore plus difficile de mener un débat ouvert sur le choix politique de réaliser cette canalisation par le biais d'un monopole d'État (dans certains secteurs partiels ou tout le secteur) ou de faire appel à des opérateurs privés. Le secteur privé, si l'organisme de contrôle peut jouer pleinement son rôle, peut-il créer lui-même un environnement de jeux de hasard réglementé, fiable et contrôlable ? Les autorités doivent-elles proposer des jeux de hasard comme un service public, ou plutôt créer le cadre dans lequel des tiers peuvent le faire de manière efficace et rentable ?

Impôts sur les jeux de hasard

Les impôts sur les jeux de hasard ne devraient à première vue pas engendrer de discussions. Outre, et dans certains cas au lieu de, la réglementation et la criminalisation de l'utilisation de biens dont l'effet préjudiciable ne concerne pas que le joueur même, un incitant financier/économique peut être particulièrement efficace. Ce « prélèvement Pigou »66 adapte le coût de production et/ou le prix pour l'utilisateur final des jeux de hasard afin que le prix après prélèvement intègre encore les « dommages marginaux ». Les coûts pour la société, allant de la prévention et de l'assistance à la perte de la productivité du travail, sont pour ainsi dire privatisés. Les économistes parlent d'externalités négatives. La question est de savoir dans quelle mesure les prélèvements doivent être appliqués ad valorem (« à la valeur ») ou de manière spécifique (par exemple par jeu

66 Arthur Pigou (1920), The economics of welfare, Macmillan. Voir également : William Baumol (1972), On taxation and the control of externalities, American Economic Review 62(3), p. 307–322.

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pour autant que le prix ne soit pas proportionnel). Les prélèvements ad valorem encouragent la recherche et le développement, mais stimulent d'autre part la concurrence en matière de prix. Ils semblent donc les plus appropriés quand des monopoles sont en jeu et qu'il y a peu de différenciation de produits. Des prélèvements spécifiques sont privilégiés quand la qualité est primordiale ou quand l'externalité est liée plutôt au volume qu'à la valeur du jeu de hasard en question. Cependant, des impôts ou d'autres hausses de prix ne sont pas toujours préférables à la réglementation. En général, des prélèvements sont privilégiés quand ils peuvent réellement stimuler des opérateurs de jeux de hasard à résoudre eux-mêmes les externalités négatives. (Ils sont aussi moins prédisposés à la regulatory capture (captation de la réglementation) par les lobbyistes qu'à la réglementation des entreprises individuelles.) Idéalement, le prélèvement a ainsi lieu le plus tôt possible dans la chaîne de valeur : plutôt chez les fournisseurs comme les plateformes de technologies de jeux d'argent que dans l'agence de paris. La captation des excess rents, le bénéfice oligopolistique excédentaire souvent réalisé aussi dans des zones grises par ces plateformes souvent étrangères, constitue un défi important pour la politique sur les jeux de hasard. De plus, les mécanismes de marché (prix plus élevés) se distinguent des prélèvements, car les coûts que l'utilisateur final doit payer (ou quel utilisateur final paie les coûts) sont incertains. L'estimation des coûts totaux liés aux comportements de jeux, y compris donc de ceux pour les proches, n'est pas de l'arithmétique élémentaire. Il est très controversé que les joueurs à problèmes se retrouvent davantage en moyenne chez les jeunes et dans les groupes vulnérables de la société67 : est-il juste et efficace de toucher précisément ces utilisateurs ? En revanche, les prélèvements entraînent un coût plus élevé connu, mais sans garantie de résultat. Tout comme les taxes environnementales sont parfois appelées « doubles dividendes »68 : elles sont favorables pour la société et pour le fisc qui, grâce à cet argent, pourrait réduire d'autres impôts. Mais si plus personne ne jouait aux jeux d'argent, l'État perdrait une source considérable de revenus. Paradoxalement, ces prélèvements légitimeraient les jeux précisément « parce que nous devons quand même payer pour. » Ou nous pouvons faire moins d'efforts pour lutter contre l'addiction « parce que les autorités le font pour nous. » 69 Les autorités (la Commission des jeux de hasard) doit donc travailler prudemment et mesurer et suivre les élasticités dans le secteur des jeux de hasard. Si le comportement de jeux d'argent est insensible aux hausses de prix, le premier dividende (l'impact sur la société) sera donc faible, et cela donnera vite l'impression

67 Un juge irlandais l'a formulé comme suit : « the evil of tempting poor people to part with their limited resources in the remote expectation of gaining substantial rewards » (Seamus Flynn v. Michael Denieffe, Independent Newspapers plc and Eason and Son Ltd., [1989] IR 722, [1990] ILRM 391. 68 Voir la discussion entre : A. Lans Bovenberg en Ruud A. de Mooij (1994), Environmental Levies and Distortionary Taxation, Am Econ Rev 84. 4, pp. 1085-1089 et Don Fullerton et Gilbert Metcalf (1998), Environmental Taxes and the Double-Dividend Hypothesis: Did You Really Expect Something for Nothing?, Chicago-Kent Law Rev 73.1, p. 221-256. 69 Agnar Sandmo (2011), Environmental taxes. Commentary, In: Institute for fiscal studies, Dimensions of tax design. The Mirrlees review, Oxford Univ Press, p. 536-547.

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que les autorités ne le font que pour le deuxième dividende (hausse de recettes fiscales).

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6. Une vision économique de l'organisme de réglementation

11. Une politique sur les jeux de hasard qui maintient l'équilibre entre principes et

règles

Le statut et le rôle de l'organisme de réglementation diffèrent fortement d'un pays à l'autre en Europe. Le lien historique entre les autorités et la loterie nationale a souvent entraîné des conflits d'intérêts, qui n'ont pas été abordés partout de la même manière70. Au Royaume-Uni, après consultation du public, la National Lottery Commission a ainsi fusionné avec la Gambling Commission le 1er octobre 2013. L'organisme de surveillance unifié doit ainsi mieux réagir et plus rapidement au « rapid change and innovation » (au changement et à l'innovation rapides) dans tout le secteur des jeux de hasard, et proposer une « common regulatory response to similar issues and risk factors » (réponse réglementaire commune à des problèmes et des facteurs de risques similaires). Un comité qui défend spécifiquement la Loterie nationale est par ailleurs protégé par des Chinese walls et firewalls (pare-feu chinois) des considérations commerciales sensibles des autres opérateurs de jeux de hasard. La Commission belge des jeux de hasard a été constituée comme un « organisme d'avis, de décision et de contrôle en matière de jeux de hasard. » Cette fonction ne se limite pas à délivrer et contrôler des autorisations aux opérateurs de jeux de hasard. Cela donne ainsi l'impression que la commission n'agit que comme chien de garde pour les titulaires d'autorisation privés, un chien de garde qui ne peut pas toujours disposer des compétences et des moyens nécessaires pour montrer les dents, et risque donc d'être considéré davantage comme un percepteur que comme un co-acteur à part entière dans le secteur des jeux de hasard. La politique sur les jeux de hasard mise en œuvre par la Commission des jeux de hasard devrait comprendre, sur le plan économique, au moins les dimensions suivantes :

Suivre toutes les évolutions concernant le secteur des jeux de hasard

Ce qui précède montre clairement que le secteur des jeux de hasard n'a pas une place à part dans l'économie. Les jeux de hasard ont par excellence un caractère multidisciplinaire, entremêlant la technologie (numérique), le droit, les médias, la psychologie sociale, l'assurance et les produits financiers. Les opérateurs disposent d'une vaste expertise (ou y font appel) mais pas pour résoudre les externalités négatives pour la société. Un organisme de surveillance comme la Commission des jeux de hasard doit pouvoir disposer de ces mêmes connaissances et compétences. Par exemple, les Big Data apportent aux plateformes technologiques l'évolutivité qui leur promet à moindres frais un public gigantesque. Comment l'organisme de réglementation peut-il veiller à l'équilibre entre la collecte d'informations qui, d'une

70 Campbell, C. S., & Smith, G. J. (1998), Canadian gambling: Trends and public policy issues, Ann Am Acad Pol Soc Sci 556, p. 22- 35: “The conflicting role of gambling operator and regulator played by governments is perhaps the biggest impediment to public interest-oriented gambling policies.”

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part, protège des joueurs contre la fraude et contre eux-mêmes, mais qui est, d'autre part, le moteur du modèle d'entreprise des opérateurs de jeux de hasard ? Dans quelle mesure la réglementation doit-elle être cohérente avec le risque d'addiction d'une forme de jeux ? Toutes les parties prenantes, comme les autorités mais aussi les différents opérateurs de jeux de hasard et titulaires d'autorisation devraient, outre une intervention dans les frais de fonctionnement de la Commission des jeux de hasard, également contribuer au financement de sa recherche et de son développement. Non seulement les évolutions technologiques mais également les évolutions sociales menaçant de saper les objectifs de la politique sur les jeux de hasard ou, au contraire, qui les encouragent, devraient être étudiées par (le département de recherche de) la Commission des jeux de hasard. Pour pouvoir mener une politique proactive sur la base de ce savoir-faire, l'organisme de surveillance devrait pouvoir intervenir de manière autonome sur le plan réglementaire, en tenant bien sûr compte du gouvernement et du parlement. La législation et la réglementation ne peuvent en effet jamais être au même niveau que les échappatoires que crée l'évolution technologique. Une approche pragmatique mais conforme aux principes s'impose, où l'organisme de surveillance donne une grande liberté aux acteurs dans le secteur pour développer des produits et des services innovants, tout en adoptant un agenda clair.

Segmenter le secteur entre la criminalisation, la compétition privée et le monopole d'État

Le secteur des jeux de hasard est une activité économique particulière : la structure de marché est caractérisée par la coexistence du monopole et de l'oligopole, plutôt que par une concurrence libre. Contrairement à un organisme de réglementation d'entreprises d'utilité publique par exemple, la libéralisation de la concurrence dans le secteur des jeux de hasard n'est pas une mission explicite pour la Commission des jeux de hasard. Cela laisse de la place pour des considérations stratégiques et tactiques. En Allemagne, par exemple, le débat porte sur le numerus clausus pour les autorisations délivrées par l'organisme de surveillance. La question est de savoir s'il faut passer « de l'émission quantitative de licences à l'émission [illimitée] qualitative de licences ». Derrière ces discussions et d'autres se cache l'hypothèse que des opérateurs similaires devraient être soumis à une réglementation similaire. Jusqu'à un certain point, nous pouvons affirmer que presque tous les jeux de hasard sont devenus des paris « produisant un gain ou une perte qui ne dépend pas d’un acte posé par le joueur. » Cela n'empêche pas l'organisme de réglementation de segmenter le secteur en délivrant différents types d'autorisations, chacune avec leurs propres possibilités et leurs propres exigences71. De cette manière, l'organisme

71 En matière de spécifications de produits (random number generators, algorithmes adaptatifs), la surveillance (visites sur place, conservation des données de jeu), les profils pay-off, la protection des consommateurs, l'identification des joueurs, les informations juridiques et financières d'entreprises, les tests fit and proper pour dirigeants et collaborateurs, le marketing…

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de surveillance peut avoir plus d'emprise sur les forces concurrentielles déterminant le secteur de manière interne et externe. Une arme ultime est le naming & shaming (désignation et dénonciation) de ceux qui enfreignent la loi avec obstination. L'importance du capital en matière de réputation et de la perception de la marque doit être davantage mise en évidence, surtout pour les entreprises cotées. Les procédures pénales constituent un moyen de dissuasion efficace, à condition d'être mis en œuvre de manière pertinente et crédible. Inversement : le public doit également savoir clairement qui respecte les règles. Grâce à la technologie, le consommateur peut découvrir l'offre de jeux de hasard disponible dans le monde entier et y accéder pour y miser de l'argent réel et réinjecter le bénéfice dans le circuit réel. Le consommateur ingénieux trouvera et exploitera toute ouverture laissée par l'organisme de réglementation vers le circuit informel ou illégal. La santé (et in extremis le compas éthique) du segment légal du secteur des jeux de hasard en est affaiblie. Il n'est pas évident de canaliser l'offre illégale. Une perte horaire moyenne illimitée peut notamment, par exemple, diriger le parieur problématique vers les jeux illégaux. La meilleure réaction ne consiste pas nécessairement à autoriser simplement et à contrôler les « meilleures » entreprises proposant des jeux. Compte tenu du manque de limitations, le segment illégal fait partie des plus innovants. Comment cet inconvénient peut-il être transformé en avantage ? Un nouveau modèle d'entreprise s'impose peut-être, reprenant les éléments adéquats de l'offre illégale et les intégrant dans une structure de marché acceptable72 agréée par l'organisme de réglementation.

Réglementer et contrôler les titulaires d'autorisation

La réglementation vise historiquement à protéger le joueur, contre la fraude et contre lui-même. La manière dont le secteur des jeux de hasard évolue structurellement déplace l'accent d'une approche concentrée sur le consommateur (B2C) à une approche davantage tournée vers les aspects B2B sous-jacents dans la matrice des valeurs. Notamment la liaison belge des licences en ligne aux établissements de jeux de hasard et aux opérateurs nationaux (belges). Il est important que l'autorisation reste pertinente, même pour les grands acteurs étrangers. La procédure de délivrance doit rester claire, mais insister sur la transparence et le respect des exigences liées à la fonction. Il va de soi que l'organisme de réglementation doit pouvoir disposer des compétences, des capacités et des moyens nécessaires pour réglementer et contrôler efficacement les titulaires d'autorisation. Les aspects multidisciplinaires du secteur des jeux de hasard (de la psychologie des consommateurs, la législation sur le respect de la vie privée jusqu'à la théorie du jeu) peuvent aussi être présents en

72 Le lecteur compare la révolution que l'industrie musicale a subie pour faire face aux peer-to-peer sharing networks (réseaux de partage entre pairs) illégaux. Il n'est pas réducteur d'affirmer qu'une entreprise technologique (Apple avec iTunes) a (aussi) finalement imposé un modèle d'entreprise viable aux incumbents de la musique.

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interne, mais la Commission des jeux de hasard doit aussi pouvoir faire appel à des experts externes. Ces connaissances peuvent alors être partagées avec les départements santé publique, justice et intérieur, économie, finances et entreprises publiques.

Garantir l'intérêt général en perturbant le marché de manière ciblée

Le législateur a créé la Commission des jeux de hasard en vue de faire appliquer une politique sur les jeux de hasard mettant en avant l'intérêt général et protégeant, par exemple, les joueurs vulnérables contre le blanchiment dans le secteur. La surveillance de l'équilibre entre les différents acteurs monopolistiques et oligopolistiques exige des connaissances approfondies de l'équilibre théorique du jeu (en tant que discipline économique) que vise la politique et des stratégies best response qui permettent cet équilibre. Il semble inévitable que la Commission des jeux de hasard établisse activement ces stratégies. Le système des jeux de hasard est ainsi orienté vers un good equilibrium. Cette approche ne se limite pas uniquement à marginaliser et criminaliser le circuit illégal. À la lumière tant de la protection du consommateur que de la garantie de la faisabilité économique, l'organisme de contrôle doit accorder une attention toute particulière à l'impact des plateformes de technologies de paris sur ses opérateurs régionaux et nationaux. L'approche .pays (au lieu de .com) vise à ce que les grandes entreprises s'adaptent aux habitudes dans chaque État membre et à donner une chance aux plus petites entreprises locales dans des marchés fragmentés. La Commission des jeux de hasard n'a bien sûr pas été créée pour servir d'enseigne aux opérateurs réglementés. Mais comme son but est que l'ensemble du secteur reste sain, la crédibilité et la légitimité de la Commission des jeux de hasard sont très importantes pour les opérateurs privés. Notre pays doit éviter à tout prix, d'autre part, de donner l'impression aux sièges internationaux des plateformes technologiques que le « cost of doing business » est trop levé. Le risque est en effet que le secteur des jeux de hasard se polarise entre, d'une part, la Loterie nationale, qui est trop petite à l'échelle mondiale pour continuer à innover en matière de jeux de hasard et, d'autre part, une zone grise ou noire étendue qui est à peine viable. Le résultat final pour l'offre, la protection des consommateurs et le fisc devrait dans ce cas être particulièrement négatif.

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La personne centrale responsable de l'exécution des analyses susmentionnées était M. Karel Volckaert (Bld Bisschoffsheim 36 B- 1000 Bruxelles + 555 – (0)474-555 555, [email protected]) de la société de conseil riverrun.

riverrun riverrun a été fondée en avril 2014 pour informer les investisseurs, les organisations et les entrepreneurs sur les opportunités et les risques de la société de l'information dans laquelle nous vivons. La révolution numérique qui a mené à cette société rassemble un grand nombre de développements étroitement liés qui mettent sous pression ou même taclent de nombreux modèles d'entreprise existants, de médicaments personnalisés à la production d'énergie décentralisée, et même la financiarisation et la numérisation croissantes des interactions humaines. Mais il ne serait pas judicieux de limiter l'impact de ces (r)évolutions aux entreprises, technologiques et autres, ou même à l'économie. Il faut une refonte complète de la manière dont toute notre société est organisée. Le grand paradoxe avec lequel la société « high-tech high-touch » de demain lutte est que la démocratisation du pouvoir, de la technologie, de l'énergie, de l'information, augmente parallèlement l'inégalité dans la société et polarise la société, dans et entre les pays, les régions, les cultures. La solution de ce paradoxe semble hors de portée. Il mènera cependant à la nécessité de réinterpréter les concepts ayant défini la société précédente : travail et capital, salaire équitable, limites de la croissance et de la Terre, vie privée et communauté, demande et offre, argent et endettement, bien-être et prospérité… Nous coachons des investisseurs, conseillons des organisations et, lorsque des organisations existantes ne peuvent pas répondre à une demande du marché, nous mettons même des ventures en place avec des équipes multidisciplinaires. Johan Peeters est partenaire chez riverrun. Il aide les entreprises et les organisations à créer un lien entre la communication numérique, la stratégie (de marques) et le développement de produits. En tant que Strategic Planner pour notamment Young & Rubicam Brands Belgium et These Days, Johan a élaboré la stratégie sur l'expérience de marque pour de grandes marques comme Miele, BNP Paribas Fortis ou Telenet. Karel Volckaert a obtenu un diplôme d'ingénieur civil physicien à l'Université de Gand. Après avoir travaillé quelques années en tant que chercheur à l'Université, il s'est tourné vers le monde financier en 2001. Il a travaillé comme stratège quantitatif à la Banque Corluy (qui appartient maintenant à ABN-AMRO) et, à partir de 2004, comme Senior Consultant et Director of Research dans un bureau d'évaluation indépendant (Strategus). Chez Econopolis, à partir de 2012, il était membre du Comité stratégique et responsable et de la stratégie générale de portefeuilles et de l'analyse de risques. Nikolaas Bellens était auparavant institutional portfolio manager et senior consultant chez Econopolis. Chez Strategus, Nikolaas évaluait des modèles d'entreprise et encadrait des projets d'investissement. Avant cela, il gérait le fonds technologique à la Bank Corluy Effectenbankiers NV (maintenant ABN Amro). Nikolaas est également chargé de cours pour différentes formations MBA sur la valeur, le risque et le comportement cyclique du marché. Gerrit Verlodt a assumé différentes tâches en tant que banquier d'affaires et banquier privé. Il a aussi obtenu d'excellents résultats en tant que CEO de la private banking Van Lanschot Bankiers NV. Il est également intervenu en tant que crisis manager du stock broker britannique Williams de Broë. Gerrit a acquis une expérience internationale à Londres, à Paris, à Toronto et à New York. Ses grandes connaissances en matière de gestion de patrimoine et de financement d'entreprise lui ont permis de travailler pour Econopolis ces deux dernières années.