pasteurelloses et pasteurella : évolution des idées et classification

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Pasteurelloses et Pasteurella: 6volution des id6es et classification par H.H. MOLLARET** Peu de bact~ries sont autant charg~es d'histoire que les Pasteurella, une des premieres esp~ces pathog~nes ~tu- di~es et celle qui permit ~ Pasteur sa plus (~clatante in- vention : le principe g~n~ral de la vaccination par virus att~nu~s. Peu de bact~ries ont connu autant d'avatars, tant dans leur taxinomie que dans leur nomenclature, sans que leur sort soit pour autant d~finitivement r~gl~ puisqu'elles restent encore sp. incertae sedis. Peu de bact~ries, enfin, ont un comportement in vivo aussi particulier et continuent de poser aux physiopatho- Iogistes comme, aux ~pid~miologistes, autant de questions,. toujours saris r~ponse. Yr ~r yr Connu depuis deux si~cles au moins, comme <<typhus)) ou <( peste des volailles )), - d~nominations montrant que le caract&e contagieux en avait ~t~ observ~ depuis long- temps - le cholera des poules fut ainsi d~nomm~ par Maillet Iors de I'~pizootie de 1835-1836. Chabert, qui I'~tU- dia d~s 1782, I'avait alors rapproch~ de la fi~vre charbon- neuse. En 1851, Benjamin d~montra exp~rimentalement sa contagiosit~ par cohabitation et Delafond et Renault reproduisirent la maiadie chez la poule par inoculation de divers produits pathologiques. Le <( bacille bipolaire )) entrevu pour la premiere fois, selon Pasteur, par Moritz, ~< v~t&inaire dans la Haute-Alsa- ce )), fut observ~ dans divers pr~l~vements de cadavres de poules par Rivolta en 1877 puis par Perroncito et Seuner, I'ann~e suivante. Nous verrons, par la suite, combien cette malheureuse bipolarit~ devait entrainer de confusion. C'est en 1879 que Toussaint r~alise la premiere culture du bacille du cholera des poules, en urine neutralis~e, milieu qui ne lui permet pas d'obtenir de subsultures. Pasteur les obtiendra en utiiisant le bouillon de muscle de poule. On salt les usages qu'il en fit : d'abord un argument suppl(~- mentaire (~ pour d~montrer I'inexactitude des opinions de Liebig )) et clore d~finitivement la vieille querelle sur la g~n~ration spontan~e. Ensuite la d~monstration de ia possibilit~ de vacciner : (( qu'il me soit permis, ~crit-il, d'employer le mot vacciner pour exprimer le fait de I'ino- culation ~ une poule du virus att~nu~ )) ; enfin le principe de I'att~nuation des virus par simple vieillissement au contact de I'air ; de I~ d~coulera la vaccination contre la rage. Ce que I'on salt moins c'est que le bacille du cho!~ra des poules fut la premiere bact~rie utilis~e comme agent de lutte biologique : pour d~truire les lapins qui d~vastaient les Nouvelles Galles du Sud, Pasteur proposa de d~clencher une ~pizootie : le 27 novembre 1887, il ~crivait : (( Pour d~truire des ~tres qui se propagent scion les lois d'une progression de vie effrayante, q(Je peuvent les poisons min~raux ? Ceux- ci tuent sur place I~ off on les d~pose ~ mais en v~rit~, pour atteindre des ~tres vivants, ne faut-il pas plutft, si'j'ose le dire, u n poison comme eux dou~ de vie et, c0mme eux, pouvant se multiplier avec une surprenante f~condit~ ? Je voudrais donc que I'on cherch~t ~ porter la mort dans ies terriers en essayant de communiquer aux tapins une maladie pouvant devenir ~pid~mique. H en existe une, que I'on d~signe sous le nom de <( cholera des poules )) et qui a fait I'objet d'~tudes tr~s suivies dans mon laboratoire. Cette maladie est ~galement propre aux lapins ... I1 est facilede cultiver, sur une ~chelle aussi grande qu'on peut le d~.iser, te microbe du cholera des poules dans des bouillons de viande ... dont on arroserait la nourriture des lapins qui, bientSt, iraient p&ir iciet I& et rapandre le mal partout )). Le gouvernement australien, apr~s avoir fait venir des cultures et le docteur Loir, neveu de Pasteur, pour les r~pandre renonga finalement ~ cette tentative. Si le cholera * Communication prasent6e au Colloque Pharmuka organis~ sous le patronage de la Soci~t~ de Pathologic infectieuse de Langue fran- (;aise, sur le th~me des (( Pasteurelles et leur Pathologic )) & Paris, le 14 mars 1986. ** tnstitut Pasteur, Unit~ d'Ecologie bact6rienne, 25 rue du Dr Roux, F-75724 Paris cedex 15. Mddecine et Maladies Infectieuses - 1986 -- Numdro Spdcial -- 4 ~ 9

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Pasteurelloses et Pasteurella: 6volution des id6es et classification

par H.H. MOLLARET**

Peu de bact~ries sont autant charg~es d'histoire que les Pasteurella, une des premieres esp~ces pathog~nes ~tu- di~es et celle qui permit ~ Pasteur sa plus (~clatante in- vention : le principe g~n~ral de la vaccination par virus att~nu~s.

Peu de bact~ries ont connu autant d'avatars, tant dans leur taxinomie que dans leur nomenclature, sans que leur sort soit pour autant d~f ini t ivement r~gl~ puisqu'elles restent encore sp. incertae sedis.

Peu de bact~ries, enfin, ont un comportement in vivo aussi particulier et cont inuent de poser aux physiopatho- Iogistes comme, aux ~pid~miologistes, autant de questions,. toujours saris r~ponse.

Yr ~r yr

Connu depuis deux si~cles au moins, comme <<typhus)) ou <( peste des volailles )), - d~nominations montrant que le caract&e contagieux en avait ~t~ observ~ depuis long- temps - le cholera des poules fut ainsi d~nomm~ par Mail let Iors de I'~pizootie de 1835-1836. Chabert, qui I'~tU- dia d~s 1782, I'avait alors rapproch~ de la fi~vre charbon- neuse. En 1851, Benjamin d~montra exp~rimentalement sa contagiosit~ par cohabitat ion et Delafond et Renault reproduisirent la maiadie chez la poule par inoculat ion de divers produits pathologiques.

Le <( bacille bipolaire )) entrevu pour la premiere fois, selon Pasteur, par Mori tz, ~< v~t&inaire dans la Haute-Alsa- ce )), fu t observ~ dans divers pr~l~vements de cadavres de poules par Rivolta en 1877 puis par Perroncito et Seuner, I'ann~e suivante. Nous verrons, par la suite, combien cette malheureuse bipolarit~ devait entrainer de confusion.

C'est en 1879 que Toussaint r~alise la premiere culture du bacille du cholera des poules, en urine neutralis~e, mil ieu qui ne lui permet pas d 'obtenir de subsultures. Pasteur les obtiendra en uti i isant le boui l lon de muscle de poule. On salt les usages qu' i l en f i t : d'abord un argument suppl(~- mentaire (~ pour d~montrer I ' inexacti tude des opinions de

Liebig )) et clore d~f ini t ivement la vieil le querelle sur la g~n~ration spontan~e. Ensuite la d~monstration de ia possibilit~ de vacciner : (( qu' i l me soit permis, ~crit-il, d 'employer le mot vacciner pour exprimer le fait de I' ino- culat ion ~ une poule du virus att~nu~ )) ; enfin le principe de I 'att~nuation des virus par simple vieillissement au contact de I'air ; de I~ d~coulera la vaccination contre la rage.

Ce que I'on salt moins c'est que le bacille du cho!~ra des poules fut la premiere bact~rie utilis~e comme agent de lutte biologique : pour d~truire les lapins qui d~vastaient les Nouvelles Galles du Sud, Pasteur proposa de d~clencher une ~pizootie : le 27 novembre 1887, il ~crivait : (( Pour d~truire des ~tres qui se propagent scion les lois d'une progression de vie effrayante, q(Je peuvent les poisons min~raux ? Ceux- ci tuent sur place I~ off on les d~pose ~ mais en v~rit~, pour atteindre des ~tres vivants, ne faut- i l pas p lu t f t , si'j'ose le dire, u n poison comme eux dou~ de vie et, c0mme eux, pouvant se mult ip l ier avec une surprenante f~condit~ ? Je voudrais donc que I'on cherch~t ~ porter la mort dans ies terriers en essayant de communiquer aux tapins une maladie pouvant devenir ~pid~mique. H en existe une, que I'on d~signe sous le nom de <( cholera des poules )) et qui a fait I 'objet d'~tudes tr~s suivies dans mon laboratoire. Cette maladie est ~galement propre aux lapins ... I1 est fac i lede cult iver, sur une ~chelle aussi grande qu'on peut le d~.iser, te microbe du cholera des poules dans des boui l lons de viande ... dont on arroserait la nourr i ture des lapins qui, bientSt, iraient p& i r i c i e t I& et rapandre le mal partout )). Le gouvernement australien, apr~s avoir fait venir des cultures et le docteur Loir, neveu de Pasteur, pour les r~pandre renonga f inalement ~ cette tentative. Si le cholera

* Communication prasent6e au Colloque Pharmuka organis~ sous le patronage de la Soci~t~ de Pathologic infectieuse de Langue fran- (;aise, sur le th~me des (( Pasteurelles et leur Pathologic )) & Paris, le 14 mars 1986. ** tnstitut Pasteur, Unit~ d'Ecologie bact6rienne, 25 rue du Dr Roux, F-75724 Paris cedex 15.

M d d e c i n e et Maladies I n f e c t i e u s e s - 1 9 8 6 - - N u m d r o Spdcial -- 4 ~ 9

des poules ne rut pas r~pandu en Australie, il le rut pros de Reims o0 Madame Pommery se d~solait de ce que les lapins qui creusaient leurs terriers au<lessus de ses caves, fassent tomber les pierres des voOtes sur ses bouteilles. Pasteur a relate, & I"Acad~mie des Sciences, le r~sultat de la pre- miere ~pizootie volontairement d~clench~e par I 'homme : (( le vendredi 23 d~cembre 1887 j 'envoyais ~ Reims M. Loir arroser le repas des lapins d'une culture r~cente du microbe du cholera des poules. Le r~sultat en fut , pour ainsi dire, surprenant. Madame Pommery m'~crivit le 26 d~cembre : ~( Samedi matin (par consequent d~s le lendemain du repas mortel), on compta 19 morts en dehors des terriers ; le lundi matin, on compte encore 13 morts et depuis samedi on n'a pas vu un seul lapin vivant courir sur le sol. En g~n~- ral les lapins meurent dans leurs terriers. Les 32 cadavres trouv~s sur le s01 devaient donc representer une tr~s faible minori t~ parmi les morts ... Les ouvriers estiment ~ beau- coup plus de 1.000 le nombre des lapins qui venaient manger ... )). Ainsi les Pasteurelles auront-elles constitu~ la premiere arme biologique.

Parall~lement aux travaux de Pasteur, v~t~rinaires et bact~riologistes vont s'attacher, de 1880 jusqu'au d~but du si~cle, ~ rechercher le bacille bipolaire, la bact#rie ovoi'de du cholera des poules, chez de nombreuses autres esp~ces : bovins, porcins, ovins, ~quins, etc ; ils vont en faire I'agent des infections les plus vari~es :barbone du buff le en Italie et en Roumanie, entequ# du b~euf et Iombriz du mouton en Am~rique du SLid, (( affections typhoi'des 7) du cheval, etc. Le domaine cl inique attr ibu~ ~ I'agent du cholera des 3oules s'~tend alors d~mesur~ment,

Hueppe, en 1886, tente d 'y mettre bon ordre en indi- vidualisant le groupe des septic#mies h#morragiques oO il rapproche du cholera des poules la Wildseuche des animaux sauvages du parc zoologique de Munich, la Schweineseuche d~crite par L(~fler, la septic#mie des lapins de Gafky, etc, toujours au vu de la seule morphologie de la bact~rie isol~e, qui l l nomme Bacillus bipolaris septicus, appellation g~n~- rique compl~t~e selon I'esp~ce animale d'origine, par un quatri~me qual i f icat i f : avisepticus, bovisept'icus, bubali- septicus, etc.

Ligni~res, qui eut le m~rite de montrer I ' importance v~t~rinaire des pasteurelloses (le terme est c r ~ en 1898, d~- coulant de I ' individualisation du genre Pasteurella par Toni et Trevisan, en 1897), tout en tentant d'en l imiter te cadre nosologique - par exemple en les s~parant des salmonel- loses - n'en admettra pas moins, lui aussi, I'existence de pasteurelloses distinctes caus~es par des bact~ries qu' i l clas- se selon I'esp~ce-hSte : P. aviseptica, P. suiseptica, P. bovi- septica, P. equiseptica et P. caniseptica. Ce nouvel essai de synth~se devait aboutir, en fait , ~ augmenter la confusion. Sch~matiquement I'on peut dire que tandis que les pasteu- relloses tendaient lentement vers leur uni f icat ion anatomo- cl inique, le genre Pasteurella se t rouvai t engag~ dans la vole de la diversif ication, malgr~ son apparente unit~. Parall~le- ment, deux conceptions s'opposaient : d 'une part celle d 'un

genre Pasteurella dont les membres seraient adapt~s ~ cha- que espece animale, d'autre part celle selon laquelie une m~me Pasteurella pourrait infecter plusieurs esp~ces dont chacune pourrait h~berger indiff~remment plusieurs Pas- teurella diff~rentes.

Nous pouvons comprendre ais~ment, maintenant, les raisons de I'extr~me confusion qui r~gna parmi les pasteu- relloses et leur agent, jusqu'aux travaux de Chamberland et Jouan en 1906. Elles sont de deux ordres : d'une part, les ressources limit~es de la bact~riologie naissante n'offraient aucune possibilit~ d ' ident i f icat ion valable ; (les mi l ieux g~- loses ne furent introduits qu'en 1882, seule ~tait alors ut i l i - s~e la g~latine ; la colorat ion de Gram n'entra en pratique qu'~ partir de 1884 ; il n 'y avait pas de mi l ieux permettant une dif f~renciat ion : I'eau de levure fut utilis~e par Pasteur comme crit~re de puret~ des cultures, non comme crit~re d' ident i f icat ion). C'est donc au vu de la seule morphologie que les premiers observateurs individualis~rent le genre Pasteurella d~fini comme rassemblant toutes les (( bact~ries ovoi'des ~ centre clair )) (Tr~visan, 1887).

C'est en fonct ion de cette d~f in i t ion morphologique que, pendant des d~cennies, furent successivement intro- duites dans le genre Pasteurella toute une s~rie de bact~ries : les unes ~taient plus ou moins apparent~es :P. haemolytica (ex Bacillus bovisepticus de Jones et Lit t le, 1921 ) ; P. pneu- motropica (1948) ; p. gallinarum (1955) ;P. ureae (1960) P. bett i i (1968) ; P. salpingitidis (1968) ; P. anatipestifer (1969) ex Pfeiferella anatipestifer de Hendrikson et Hilbert (1932) ; P. aerogenes (1974) ;P. testudinis (1982) ', P. canis (1985). D'autres, quoique nettement plus ~loign~es, n'en furent pas moins ini t ialement d~nomm~es Pasteurella : ainsi le bacille de Malassez et Vignal : P. pseudotuberculosis (1884) ; le bacille de Yersin (P. pestis, 1894) ; I'agent de la tular~mie :P. tularensis (1912) ; et les premieres Yersinia enterocolitica : P. (( x )) en 1963.

Une seconde cause de confusion tenait au polymor- phisme des aspects anatomocliniques des pasteurelloses ani- males : si les septic~mies h~morragiques r~alisaient chez la plupart des esp~ces un tableau relativement homog~ne, les formes Iocalis~es (forme broncho et pleuro-pulmonaires, formes avec atteinte isol~e des s~reuses, suppurations cir- conscrites, arthrite purulente, etc) ou les formes propres certaines esp~ces (eed~me des barbil lons chez la poule, coryza du lapin, ced~me de la gorge chez le boeuf) d~rou- talent les tentatives de synth~se car il ~tai t encore di f f ic i - lement admissible qu 'un m~me germe puisse entraTner des aspects cliniques aussi varies.

D'autre part tant que furent ignor~es la fr~quence du portage de Pasteurella par des animaux sains et son apti tude

~( sortir )) ~ I'occasion des circonstances les plus diverses, il ~tait inevitable que cette bact~rie soit tenue pour I'agent responsable. L'~tiologie r~elle de nombre de maladies para- sitaires et surtout virales eut quelque peine ~ se d~gager de la surinfection pasteurellienne.

Cette not ion de portage et d'opportunisme fut affirm~e par Nocard en 1903 : (( Les Pasteurella peuvent s'accoutu- mer peu ~ peu ~ cette vie parasitaire nouvelle et se montrer

de plus en plus aptes ".a crier une nouvelle infection )). Elle rut reprise par Chamberland et Jouan en 1906 : ~( Pasteu- rella est un microbe tr~s banal, r~pandu dans la nature, I"intestin et les muqueuses des voles a~riennes des animaux sains )>.

A Chamberland et Jouan revient encore le m~rite d'avoir d6nonc~ les classifications fond~es sur les esp~ces animales h6tes et affirm~ Yunicit6 de Pasteurella septica, << bact6rie qui s'adapte b une esp~ce d~termin~e et pro- voque une pasteurellose sp~ciale b I'esp~ce )>. IIs appuient cette conception uniciste sur des observations ~pid~miques (~pizootie dans un ~!evage de poules apr~s introduction dans la ferme de porcs infect~s) et sur I'inoculation exp~ri- mentale de diverses souches b des esp~ces vari~es, enfin sur la r~alisation d'agglutinations crois6es,

En 1939, Rosenbusch et Merchant proposent I'appel- lation P. multocida (qui atteint toutes les esp~ces) apr~s avoir d~montr~ r'identit~ des caract~res biochimiques des souches quelle qu'en soit I'esp~ce h6te d'origine, animate ou humaine.

Quand furent isol~es les premieres souches humaines ? Quand furent diagnostiqu~es chez I"homme les premieres pasteurelloses ?

Les observations classiques de Raynaud et Lannelongue (1884), Fraenkel et Pielsticker (1900), Lorey (1911), Bru- gnatelli (1913), Besredka (1915), von Boer (1917), Debr~ (1919), bien que r6guli~rement cities et recopi~es de ma- nuel en manuel, doivent ~tre 6cart~es faute de description bact~riologique ~convaincante. Elles montrent toutefois que I'~ventualit~ d'une pasteurellose humaine avait ~t~ envisag~e d~s le d~but du si~cle.

Plus acceptables sent les observations publi~es ~ partir de 1920 : il s'agit soit de pleuropneumopathies (Ortscheit 1921, Tessier et coll. 1922, Carpano 1924, Foerster 1928, Rimbaud et coil, 1931), soit de m~ningite (Grekowitz 1928), soit de conjonctivite (Aubaret et coll. 1923), peut- ~tre de p~ricardite. Une relation ~pid~mique avec les ani- maux commence b se faire jour, soit parce qu'il s'agit le plus souvent de malades ruraux, soit parce que certaines circonstances sent troublantes, tel le cas de I'op~r~ de Clovis Vincent dent I'h~mostase c~r~brale avait ~t~ assur~e par des fragments de muscles de lapin.

Le r61e de la morsure fut r~v~l~ par I'observation princeps des danois Kapel et e lm (1930). Parue dans le Zentralblatt fdr Chirurgie, elle entraina route une s6rie de publications allemandes (Jaeger 1937, Leuze 1937, Rim- pau 1937, Foerster 1938, Schenk 1938, Weber 1941). En France, la premiere observation de Levy-Bruhl et coll. (1936) passa inaper~ue et ce n"est qu'apr6s la revue g~n~- rale de Lenormand (1941), que la pasteurel!ose d'inocula- tion, syst~matiquement d~pist~e Iors de morsures, r~v~la sa fr~quence.

Parall~lement ~tait mise en ~vidence la fr~quence du portage salivaire de Pasteurella chez toutes les esp~ces ani- males 6tudi~es (l'homme exceptS, aucune enqu~te n'ayant

6t~ faite chez lui. Mais aucun cas de Pasteurellose apr~s morsure humaine n'a ~t6 publi~ ~ notre connaissance). La fr~quence de ce portage varie, selon les auteurs, de 30 60 % chez le chien, de 60 ~ 90 % chez le chat ; elle est beau- coup plus faible chez les autres carnivores, les herbivores, les rongeurs et les oiseaux. II semble exister des variations saisonni6res avec r~gression du portage I'~t~ et augmenta- tion I'hiver. L'~tude syst~matique de ce portage et de sa dur~e reste & faire.

Durant les trois derni~res d~cennies, les connaissances cliniques, ~pid~miologiques et bact6riolgiques se sent con- sid~rablement ~tendues : les grandes formes cliniques de I'infection humaine se sent d~gag~es des descriptions anecdotiques :dominent largement les formes secondaires I'inoculation par effraction cutan~e, morsures ou griffades, mais aussi plaies en milieu rural, par 6pines, f i l de fer bar- bel~, outils, etc. Cette inoculation aboutit soit bun tableau non sp~cifique (abc~s, panaris, phlegmon des gaines, arthri- te suppur~e) qui fut Iongtemps le seul connu parce que le diagnostic bact~Hologique y ~tait le plus alsO, soit I'aspect de la pasteurellose dite Ioce-r6gionale, avec son tableau en deux temps, amenant les malades ~ consulter tardivement en rhumatologie ou en neurologie ; la fr~- quence de cet aspect fut d~montr~e ~ partir de 1952 par l'emploi de I'antig~ne pasteurellien, ia (( Pasteurelline )) de Reilly, qui non seulement permettait le diagnostic r6tros- pectif, mais constituait la seule th~rapeutique efficace des s~quelles de I'inoculation. Soulignons que leur m~canisme est encore inexpliqu~.

A c6t~ de ces pasteurelloses d'inoculation, de Lavergne et coll. (1961) ont individualis~ sous la d~nomination << for- mes par infection seconde )) des aspects cliniques varies (septic~mie, m~ningite, pleur~sie, etc) ayant en commun de survenir sur un terrain d~ficient entraTnant la sortie des Pasteurella, comme les v~t~rinaires I'avaient observ~ depuis Iongtemps. Cette origine endog~ne de I'infection impliquait un portage latent ; Boivin et Leterme (1974) I'ont confirm~ en montrant qu'en milieu rural I'homme pouvait h~berger des Pasteurella dans son rhinopharynx.

Les septic~mies rel~,veraient en grande partie de cette origine endog~ne : parmi 39 observations collationn~es par Brisou et coll. (1981), 14 succ~daient ~ une morsure, une grillage ou une plaie par esquille osseuse et 25 ~taient d~- pourvues de tout antecedent de ce genre. Le r61e du terrain ~tait ~vident : 14 cirrhoses, 1 leucose, 2 dr~panocytoses, etc. La gravit~ en est impressionnante : 18 d~c6s sur 39.

Cependant que s'individualisaient les tableaux clini- ques, les connaissances bact~riologiques progressaient elles aussi : le genre Pasteurella, d6mesur~ment gonfl~, on I'a vu, d'esp~ces ~ I'~vidence ~trang~res, ~clate enfin : apr~s les propositions de d6membrement de Van Loghem (1944) et de Dorofeev (1947), i'~tude de taxinomie num6rique de Talbot et Sneath (1960) diff~rencie les divers agents de pasteurelloses de ceux de la peste et de la pseudotubercu- lose. Le Sous~Comit~ international des Pasteurella (Mollaret 1967) individualise trois genres : le genre Yersinia, rattach~

la famille des Ent#robacteriaceae, rassemble Yersinia pestis, Yersinia pseudotuberculosis et Yersinia enterocoli- tica. L'agent de la tulardmie prend place dans le nouveau genre Francisella, rapprochd des Brucella et des Bordetella ; enfin le genre Pasteurella, que la derni~re ~dition du Ber- gey's Manual rapproche des Actinobacil lus et des Haemo- phi~us, est ainsi ddfini : <( Petits coccobacilles de forme ovoi'des ou allongde, ~ Gram ndgatif, avec coloration bipo- laire, ~ immobiles et asporul~s, a~ro-ana~robies facultatifs, r~duisant les nitrates en nitrites. IIs fermentent les glucides, poss~dent une catalase, ne produisent ni lysine ni arginine d~carboxylase et sont sensibles au compos~ vibriostatique 0/129. Leur G+C% est compris entre 40 et 45 )>. Ce genre comprend six esp~.ces : une esp~ce-type, P. multocida sui- vie de P. pneumotropica, P. haemolytica, P. ureae, P. galli- nature et P. aerogenes.

OO situer ce genre ?Sneath et Johnson (1973) con- cluent aprOs ~tude de taxonomie num~rique que les genres Pasteurella, Actinobacillus et Haemophilus appartiennent

une m~me farnille, ce que confirment les hybridations ADN/ADN. Les Pasteurella entrent dans la nouvelle famille des Pasteurellaceae (Pohl 1981 ; Mannheim 1984).

Les nombreuses dtudes de la structure antigdnique de P. multocida, parmi lesquelles celles de Roberts (1947),

Carter (1952, 1955, 1961), Namioka et Murata (1961, 1964), Perreau (1979, 1980) individualisent des s~rotypes capsulaires et somatiques ayant une ubiquitY, des hStes et des r~partitions g~ographiques diff~rents (tableau I). Ainsi le s~rotype 6 est surtout responsable des septic~mies des bovins, les s~rotypes 5, 8 et 9 du cholera aviaire, et les s~ro- types 1,2, 3 et 4 des pneumonies du porc et du mouton.

Apr~s une ~tude num~rique et g~nomique de 125 sou- ches de Pasteurella et d'Actinobacillus, F. Escande (1985) a propos~ les modifications suivantes : P. anatipestifer, P. bett i i et P. ureae doivent ~tre ~cart~es du genre Pasteurella qui pourrait comprendre les esp~ces suivantes !

• Pasteurella multocida, esp~ce type du genre. • Pasteurella multocida, biotype 6 (ou Pasteurella canis,

Mannheim), • Pasteurella gallinarum, • Pasteurellaaerogenes, • Pasteurella pneumotropica, biotype Jawetz, • Pasteurella pneumotropica, biotype Heyl, • Pasteurella pneumotropica, biotype Henriksen (ou Pas-

teurella dagmatis, Mannheim), • Pasteurella haemolytica, biotype A, • Pasteurella haemolytica, biotype T.

TABLEAU I

Classification des Pasreure//a mu/tocida - - Equivalence en t re les divers types,

Acide hyaluro- nique dans la capsule

Quant i t~

Importante

J A II I I I I V 1 - - 3 - 5

7 - - 8 - 9

variable D V 1 - - 2 ~- 3 4 -- 11 --12

Absence B I 6 - 11

d'acide

hyaluronique E 6

Tr~s ubiquiste

- Pasteurellose humaine - Pasteurellose bovine - Pasteurellose porcine

- Pasteurellose des rongeurs

- Pasteurellose des oiseaux

- Pasteurellose des petits ruminants

Moins ubiquiste - Moins frequent

d 'Am~rique.

orientate.

Parmi ces esp~ces, P. multocida << type >~ reprdsente 50 60 % des souches isoldes chez I 'homme, quelle que soit la

forme cl inique, P. multocida b io type 6 (P. canis) et P. pneumotropica b io type Henriksen (P. dagmatis) sont isol~es presque uniquement apr~s morsure de chien. P. haemolytica et P. aerogenes sont tr~s rarement isol~es chez I 'homme. P. gallinarum n'a ~td isolde que chez les volailles.

Les pasteurelloses survenant apr~s morsure rel~vent donc des varidt~s multocida, canis et dagmatis (tableau II). Les bactdries EF~ sont isoldes dans les m~mes condi t ions*. Nous ne savons pas encore si I ' inoculat ion, par morsure ou autre, de P. canis, de P. dagmatis ou de bactdries EF, en- t ratne les m<}mes manifestations secondaires, rhumatologi- ques ou neurologiques que P. multocida ni si elles rdpon- dent de la m~me fa~on b la Pasteurelline.

* Parmi les souches isol~es apr~s morsures et reques b I'lnstitut Pasteur, figuraient dgalement deux Eikenella corrodens (morsure de singe) et un Actinobacillus capsulatus (morsure de lapin).

La frdquence des pasteurelloses est d i f f ic i le b pr~ciser. La l i t tdrature n'apporte g u~re d'dl~ments car elle refl~te beaucoup plus I 'activitd individuelle ou des phdnom~nes de mode que la situation rdelle. Ainsi Lenormand (1941) inter- prdtait- i l tou te la sdrie de cas observds et publi~s b Munich de 1937 b 1941 : ~ peut-~tre les morsures de chats y sont- elles plus frdquentes qu'ai l leurs .., mais je crois surtout que le fa i t s 'expl ique parce qu'un bactdriologiste, Rimpau, s'est attachd particuli~.rement b I 'dtude de la question e ta prati- qud des examens systdmatiques de routes les morsures observdes )). Un autre exemple est donnd par les septicdmies

Pasteurella, classiquement exceptionnelles ; on remar- quera dans les 39 observations collationndes par Brisou et col l . (1981) et publides de 1936 b 1980, 10 cas seulement furent publids en 34 ans, de 1936 b 1970 et 29 cas en d ix ans seulement, de 1970 b 1980. Pic dpiddmique ou maladie

la mode ? Parmi 91 souches de Pasteurella revues b I'lns- t i t u t Pasteur durant 1984-1985, 14 provenaient de septi- c~mies. Aucune n'a ~t~ publi~e.

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TABLEAU II

O r i g i n e e t esp&ces d e 91 souches d e P a s t e u r e l l a re(;ues t~ I ' l n s t i t u t Pasteur en 1 9 8 4 e t 1 9 8 5 .

Plaie par : -- Morsure de chien 10 -- Morsure de chat 6 -- Griffade de chat 1 - Epine v~j6tale

Abc~s • C~r6bral 1 * - Maxillaire 1 - Brachial 1

- - Septic~mie -- L.C.R. -- Expectoration - Aspiration bronchique - Pleur(~sie - Appendicectomie - Vagin ou u t e r u s

--Otite -Conjonctivite - Cance~ du sein - Cancer de la verge -- P a n a H s

- - U r i n e s

- - Ulc~re variqueux

12 2 1 *~

3 6 1

- - 2

6 1 1 1 1 1 1 1 1

* Souche so ~e ~galement dans I'expectoration. Souche tsol~e ~ga~ement dans le sang et I'asClte.

9 5 9 1

1 1

Comment concevoir maintenant, un si~cle apr~s la d~couverte du bacille du cholera des poules, le monde des Pasteurella ?

Parasites obligatoires des vertebras, les Pasteurella peu- vent survivre quelque temps dans le milieu ext~rieur, mais elles ne peuvent s'y multiplier. Pr~sentes dans la salive ou le rhino-pharynx de la plupart des esp~ces animales, elles cir- culent d'individu ~ individu par simple contact et sans dom- mage pour I'h6te.

Le pouvoir pathog~ne se r~v~le dans deux circonstan- ces : soit la morsure, soit la sortie sous I'influence de fac- teurs classiques : froid, humiditY, transport, surnombre, sous~alimentation, affections ou infections intercurrentes, etc.

Le r61e de r~servoir du milieu ext~rieur contamin~ par les fientes, le pus, les s~rosit~s, est toujours limit~ dans le temps.

Les pasteurelloses humaines surviennent apr~s effrac- tion cutan~e et essentiellement par morsure de chat (qui peut ~galement inoculer par griffade), de chien, ou de n'im- porte quelle esp~ce domestique ou sauvage. La contamina- tion per cutan~e est ~galement possible, ~ partir d'esquilles osseuses, de plaies caus6es par un materiel inerte temporai- rement contamin~.

II ne semble pas que la contamination de I'homrne par la voie de I'alimentation m~rite d'etre retenue, malgr~ quel- ques observations d'appendicite ~ Pasteurella (Ludlam 1944).

L'inhalation de pasteurelles a peut-~tre ~t~ responsable, jadis, de formes pleuro-pulmonaires massives (maladies des plumeurs de volailles). Elle est ~ craindre chez les travail- leurs des ~levages industriels modernes.

L'infection endog~ne, l'auto-infection de sujets por- teurs sains de Pasteurella dans leur rhino-pharynx ou leurs voles a~riennes sup~rieures constitue le second m~canisme de la pasteurellose humaine. La sortie du germe ~ I'occasion de toute circonstance d~bilitante est le grand trait commun des pasteurelloses humaines et animales.

Les m~ningites ~ Pasteurella succ~dent, le plus souvent, un traumatisme cr~inien, mais peuvent ~galement relever

de ce m~canisme de sortie.

Les pasteurelloses occupent donc une place particuli~.re parmi les maladies infectieuses : si ce sont bien des ortho- zoonoses, ou zoonoses directes, dans teurs formes secon- daires apr~s une morsure, elles se rapprochent des sapro- zoonoses Iorsqu'elles surviennent apr~s contamination partir du milieu ext~rieur et deviennent de simples auto- infections Iorsqu'elles sont dues £] la sortie d'une Pasteurella chez un porteur sain, homme ou animal. •

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