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Pédagogies différenciées et pédagogies coopératives Florence Saint-Luc [email protected] 12 décembre 2012
Professeure des écoles dans le Var – Docteure en Sciences de l’Education – chargée de cours à l’université d’Aix-
Marseille
Table des matières
Pédagogies différenciées et pédagogies coopératives ...................................................................... 1 1. Définitions .............................................................................................................................. 2
1.1 Pédagogie ......................................................................................................................... 2 1.2 Pédagogie différenciée ...................................................................................................... 2
1.3 Pédagogie coopérative ...................................................................................................... 3 1.4 L’hétérogénéité et ses formes multiples ............................................................................ 4
2. Les pédagogies différenciées ................................................................................................... 4 2.1 Enseignement simultané et enseignement mutuel .............................................................. 4
2.1.1 Du préceptorat à l’enseignement simultané .................................................................... 4 2.1.2 L’enseignement mutuel .................................................................................................. 5
2.2 Des formes de pédagogies différenciées au XXème siècle................................................. 5 2.2.1 Le plan Dalton ................................................................................................................ 5
2.2.2 Le système de Winnetka ................................................................................................ 6 2.2.3 Dottrens et les fichiers de travail individualisé ................................................................ 6
2.2.4 Célestin Freinet .............................................................................................................. 7 2.3 Des théories qui ont beaucoup influencé les prescriptions officielles ................................. 8
2.3.1 La pédagogie par objectifs : de Skinner à De Landsheere .............................................. 8 2.3.2 Louis Legrand et la pédagogie différenciée .................................................................... 8
2.3.3 La pédagogie de maîtrise : de Bloom à Hubermann ....................................................... 9 L’importance de l’évaluation pour la pédagogie différenciée....................................................... 9
2.3.4 Les pratiques de différenciation pédagogique ............................................................... 10 2.3.5 Philippe Meirieu : du diagnostic a priori vers l’inventivité régulée ............................... 11
2.4 La pédagogie des compétences ....................................................................................... 12 2.4.1 Le socle commun de compétences et le livret personnel de compétences ...................... 13
Sept compétences...................................................................................................................... 13 Le livret personnel de compétences ........................................................................................... 14
2.4.2 Les instructions officielles et les programmes de 2008.................................................. 16 3. Les pédagogies actives et coopératives .................................................................................. 17
3.1 Le schéma des méthodes pédagogiques........................................................................... 17 3.2 Le triangle pédagogique .................................................................................................. 19
3.3 Pédagogie active et Education Nouvelle ......................................................................... 20 3.4 La pédagogie coopérative, ou la coopération au cœur des apprentissages ........................ 22
3.4.1 La coopération.............................................................................................................. 22 3.4.2 La posture d’auteur dans la coopération et l’éducation à la démocratie ......................... 24
3.4.3 Les apprentissages coopératifs ..................................................................................... 26 3.4.4 Intérêt des apprentissages coopératifs pour les adultes en formation ............................. 27
3.4.5 Du conflit socio-cognitif à la confrontation coopérative .............................................. 27 3.4.6 L’apprentissage situé et l’organisation apprenante ...................................................... 29
3.4.7 L’intelligence collective ............................................................................................. 30 3.4.8 La communauté d’apprentissage ................................................................................. 31
3.4.9 Les courants de la pédagogie coopérative ..................................................................... 31 4. Pédagogie coopérative pour les adultes ................................................................................. 33
4.1 Les objectifs de la pédagogie coopérative (Parodi M et Penven A.) ................................. 33 4.2 Les pouvoirs de l’éducateur ou pour une éducation coopérative ...................................... 34
5. Conclusion ............................................................................................................................ 35 6. Bibliographie : ...................................................................................................................... 36
2
L’apport décisif de Célestin Freinet a consisté à « articuler un souci permanent de finalisation des
apprentissages dans des activités collectives (« motiver », « donner du sens ») avec la volonté de
faire progresser chacun et de garantir ses acquisitions ». Meirieu, P. (2001). Célestin Freinet.
Comment susciter le désir d’apprendre ? Mouans-Sartoux : PEMF, p. 14.
Introduction
Les pédagogies différenciées reposent sur le constat de l’hétérogénéité des apprenants, et sur la
nécessité de la prendre en compte pour l’organisation de l’enseignement et des apprentissages. La
diversité, souvent vécue comme une difficulté pour les enseignants, est gérée dans le cas des
pédagogies différenciées ; dans le cas des pédagogies coopératives, elle est recherchée car
considérée comme une source d’enrichissement. Les apprentissages coopératifs peuvent donc être
un moyen de différencier la pédagogie. Quelles peuvent être les points communs et les spécificités
des pédagogies différenciées et des pédagogies coopératives ?
Le champ d’application pourra être l’éducation, mais aussi la formation. Durant La présentation lors
du cours, il sera fait appel aux représentations initiales des auditeurs, au début du cours. Les aspects
théoriques seront illustrés par des documents (textes, vidéo) en montrant des applications pratiques
aussi bien dans le champ de la pédagogie que de l’andragogie.
1. Définitions
1.1 Pédagogie
« Science de l’éducation des jeunes et l’ensemble des méthodes qu’elle met en œuvre (du grec
paidagôgos : esclave chargé de conduire les enfants à l’école) » Dictionnaire historique de la
langue française Le Robert.
« Projet d’intelligence de l’action éducative » ‘Encyclopédie Universalis Vol. 17/p.725).
« La pédagogie est l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducative
par la même personne sur la même personne. » (Houssaye, 1993, p.13)
1.2 Pédagogie différenciée
Une définition générique : « La pédagogie différenciée désigne l’ensemble des actions et des
méthodes diverses susceptibles de répondre aux besoins des apprenants »
(Legrand, L. (1995). Les différenciations de la pédagogie. Paris : PUF).
Deux définitions descriptives : « La pratique de la différenciation pédagogique consiste à
organiser la classe de manière à permettre à chaque élève d’apprendre dans les conditions qui lui
conviennent le mieux. Différencier la pédagogie, c’est donc mettre en place dans une classe ou
dans une école des dispositifs de traitement des difficultés des élèves pour faciliter l’atteinte des
objectifs de l’enseignement. (…) Remarque importante : il ne s’agit donc pas de différencier les
objectifs, mais de permettre à tous les élèves d’atteindre les mêmes objectifs par des voies
différentes » (Laurent, S. (2001). Pédagogie différenciée. Site de l’IUFM d’Aix-Marseille. [En
ligne]. http://recherche.aix26-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/laurent2/index.html (page consultée le 24
octobre 2008)
« Elle est une démarche qui cherche à mettre en œuvre un ensemble diversifié de moyens, de
procédures d’enseignement et d’apprentissage, afin de permettre à des élèves d’âges, d’aptitudes,
de comportements, de savoir-faire hétérogènes mais regroupés dans une même division,
d’atteindre, par des voies différentes, des objectifs communs, ou en partie communs » (Raymond,
3
H. (1989). Du « soutien » à la différenciation. Cahiers Pédagogiques, « Différencier la pédagogie »,
p. 47).
. Une définition qui insiste sur le dilemme entre activité collective et apprentissages individuels, où
la pédagogie différenciée est bien plus une dynamique qu’une méthode : « Différencier, c’est avoir
le souci de la personne sans renoncer à celui de la collectivité... être en quête d’une médiation
toujours plus efficace entre l’élève et le savoir... C’est pourquoi, il ne faut pas parler de la
"pédagogie différenciée" comme d’un nouveau système pédagogique, mais bien plutôt comme d’une
dynamique à insuffler à tout acte pédagogique... un moment nécessaire dans tout enseignement…
celui où s’insinue la personne dans le système... » (Meirieu, P. (1989). Introduction. Cahiers
Pédagogiques, « Différencier la pédagogie »).
. Une définition qui met l’accent sur la variété des actions proposées par l’enseignant :
« Pour les formateurs qui prônent ces pratiques, différencier n’est pas répéter d’une autre manière,
mais varier le plus possible leurs actions, pour que chacun puisse rencontrer, à un moment ou
l’autre de son cursus, des situations dans lesquelles il puisse réussir » (Fournier, M. (1996, février-
mars). La pédagogie différenciée. Sciences humaines, Hors-série 12, p. 26).
1.3 Pédagogie coopérative
« Une pédagogie coopérative peut se définir comme une forme d'enseignement dont les
apprentissages sont possibles par la coopération entre les personnes qui composent le groupe ou
celles qui interagissent avec lui. Par coopération, on entend toutes les situations où des individus
ont la possibilité de s'entraider par et dans la rencontre éducative ». Connac Sylvain (2009).
Apprendre avec les pédagogies coopératives Démarches et outils pour l’école. Issy-Les-
Moulineaux : ESF p.21
Pédagogie coopérative pour les adultes :
1. La pédagogie coopérative est fondée sur une interaction entre action et réflexion (recherche) ou
entre pratique et théorie (savoir ou connaissance).
- L’action (ou la pratique) renvoie au vécu de l’apprenant, à ses expériences, ses savoirs-faire, à
son trajet et à son projet.
- La réflexion (ou la théorie) renvoie au stock de connaissances capitalisées dans les divers
champs du savoir (sciences, disciplines).
- La recherche-action et la formation-action (ou formation-développement) sont
particulièrement appropriées à la relation dialectique entre action et réflexion.
2. La personne adulte en formation est le sujet de son histoire et l’acteur premier de sa formation
dans une interdépendance positive avec les autres (les pairs de son groupe et les formateurs).
3. La relation entre la personne en formation et le formateur (l’accompagnateur) est fondée sur le
respect mutuel et la coopération.
4. Le formateur est un accompagnateur et un « facilitateur d’apprentissage » :
-Il n’a pas de position dominante par rapport à « l’apprenant ».
- Il apprend lui-même de l’expérience et des savoirs ou savoirs-faire de l’apprenant.
- Il facilite l’accès à la connaissance des savoirs-faire capitalisés.
- Il facilite la mutualisation des expériences et des savoirs-faire des apprenants du groupe par une
organisation des échanges au sein du groupe et entre les groupes du réseau.
5. Les échanges entre pairs (apprenants) du « groupe d’apprentissage coopératif » ou « groupe-
classe » et entre
les groupes du réseau (ici l’UCE) sont au cœur d’une pédagogie coopérative ; les échanges entre les
formateurs-accompagnateurs de chaque équipe pédagogique et entre les équipes pédagogiques du
réseau le sont tout autant. Ces échanges sont intégrés (font partie intégrante) dans le dispositif et la
démarche de formation.
4
Parodi Maurice et Penven Alain Pour une pédagogie coopérative Université Coopérative
Européenne [en ligne] http://www.ccb-formation.fr/telecharger/PedagogieCooperative.pdf consultée
le 9 12 12
1.4 L’hétérogénéité et ses formes multiples
L’hétérogénéité peut prendre des formes multiples.
La prise de conscience de la nécessité de prendre en compte ces différentes formes d’hétérogénéité
dans les classes a généré des formes de pédagogies différenciées, mais aussi de pédagogies actives
et coopératives.
2. Les pédagogies différenciées
Il est intéressant de faire un rappel historique pour contextualiser les pédagogies différenciées, dans
une optique d’analyse institutionnelle.
2.1 Enseignement simultané et enseignement mutuel
Comenius, théologien protestant tchèque, (1592-1670) « prône un enseignement général, qui soit le
même pour tous les humains, quels que soient leur sexe et leur condition sociale » (Barnier, 2001,
p.19). Son principe est de « tout enseigner à tous » (Comenius, 1657/1992, p.29). Il pense qu’une
très bonne façon d’apprendre est d’enseigner : « Trois choses donnent à l'élève la possibilité de
dépasser le maître : poser beaucoup de questions, retenir les réponses, enseigner.1 » Des écoles
s’ouvrent en Europe, en suivant ces préceptes, (Europe du Nord, Nord de la France, et Queyras).
2.1.1 Du préceptorat à l’enseignement simultané
1 Jan Amos Coménius , La Grande didactique ou l'art universel de tout enseigner à tous (1627-1632)
5
Le premier mode d’enseignement est individuel, à travers le préceptorat. Les frères des Ecoles
Chrétiennes inventent le mode simultané au XVIIème siècle. Jean-Baptiste de La Salle partage la
classe en 3 groupes : les plus faibles, les médiocres et les intelligents.
2.1.2 L’enseignement mutuel
L’enseignement mutuel, au début du XIXème est destiné à instruire les pauvres avec un minimum
de moyens. Le maître formait des répétiteurs / élèves qui formaient à leur tour leurs camarades dans
des groupes dont ils étaient responsables. Deux auteurs présentent de manières très différentes les
raisons de sa disparition.
Jean-Marie Gillig écrit, dans Les pédagogies différenciées que l’enseignement mutuel : «… permet au maître de diriger l’ensemble d’une classe de plusieurs dizaines, voire quelques centaines
d’élèves, divisée en sous-ensembles de niveau encadrés par des moniteurs, choisis parmi les plus
avancés. Ce dispositif réunissait les avantages de la simultanéité et de l’individualité présente également
l’intérêt de proposer des activités d’enseignement correspondant au niveau réel de connaissance des
écoliers. Il est abandonné vers 1850 en raison de l’incompétence des moniteurs et des excès d’une
organisation jugée trop militaire. On réadopta donc l’enseignement simultané, généralisé par le vote de
l’obligation scolaire en 1882. » (Gillig, 1999, p. 16)
Anne Querrien, dans L’enseignement mutuel Une pédagogie trop efficace, lui oppose une toute
autre vision. Isabelle Stengers assure la préface de son livre. Elle écrit : « L’école mutuelle a été une réussite, et une réussite contingente, non recherchée. D’après un débat
parlementaire rapporté par Anne Querrien, elle a bel et bien été supprimée pour cause de réussite. ON
lui reprochait en effet deux choses. D’abord, les élèves apprenaient en quelque deux ans le curriculum
prévu pour six. Or, c’étaient des pauvres, à maintenir hors de la rue, et il n’était pas question de les initier à des savoirs qui n’étaient pas de leur classe. D’autre part, les élèves apprenaient effectivement,
au sens de la compétence, mais ce qu’ils apprenaient n’était pas le respect dû au savoir. Et Anne
Querrien remarque que beaucoup des organisateurs du mouvement ouvrier sont en effet issus de l’école
mutuelle, où ils n’avaient pas seulement appris à lire et à écrire, à compter, mais aussi à avoir confiance
en eux-mêmes et en leurs camarades. En d’autres termes, l’école mutuelle a produit des « pauvres »
capables d’oser leur propre rêve, non les rêves de ceux qui les avaient instruits, et qui ont su, pour les
faire exister, affronter un monde qui leur assignait un destin de soumission. » (Stengers, in Querrien,
2005, p. 9-10).
La question de la réussite scolaire fait ici apparaître des logiques politiques implicites, rarement
évoquées quand il est question de pédagogies différenciées. Elles sont sous-jacentes dans des
recherches pédagogiques appliquées menées au XXème siècle.
2.2 Des formes de pédagogies différenciées au XXème siècle
2.2.1 Le plan Dalton
Helen Parkhust, à Dalton, dans le Massachusetts, prenant conscience des aptitudes et rythmes de
travail différents de ses 40 élèves, expérimente un plan entre 1910 et 1920. Il est ensuite appliqué à
la Children’s University School de New-York. Le groupe-classe éclate, et chaque élève suit un
contrat, qui les engage à appliquer une programmation pour l’acquisition de leurs savoirs. L’élève
peut travailler seul, avec des manuels, il peut être aidé d’un maître, ou travailler en groupe de
niveau. Chacun avance à son rythme. Le plan Dalton fut mis en place en Angleterre (1500 Dalton
schools en 1930), davantage qu’aux USA (200 écoles).
« Indéniablement, le Dalton Laboratory Plan présente l’avantage de responsabiliser l’apprenant, de lui
permettre d’aller aussi loin qu’il le peut, et de ne pas lui donner un sentiment d’infériorité par rapport
aux autres élèves d’une classe traditionnelle. L’inconvénient, c’est que l’idée d’une communauté est
sacrifiée, la classe étant supprimée en tant qu’entité, et que de ce fait, toute coopération entre élèves devient aléatoire, le système ne cultivant pas le lien social, mais l’émulation, le dépassement de soi-
même, en vue d’établir des records. » (Gillig, 1999, p. 18)
Bruno Robbes (2009) présente les avantage et inconvénients de cette méthode dans un tableau.
6
Le mode pédagogique mis en place à Winnetka est moins individualiste que le plan Dalton : il
essaie d’établir un équilibre entre travail individuel et collectif.
2.2.2 Le système de Winnetka
Wasburne, responsable du département des sciences, à Winnetka, reprend, vers 1913, les idées de
Frederick Burck (formateur à l’institut de formation des maîtres de Californie), pour les mettre en
place dans l’organisation des écoles de cette ville de la banlieue de Chicago.
Des activités différentielles peuvent être organisées en travail individualisé ou en petits groupes. La
lecture, les travaux artistiques et manuels et l’éducation physique et sportive sont organisés sous
forme d’activités collectives. L’élève travaille sur des fiches en fonction de tests-exercices, et il
contrôle ses résultats avec un livre présentant les corrections. Toutes les matières peuvent donner
lieu à des découpages progressifs et linéaires par étapes, évaluées sous forme d’autocontrôle assisté.
Toutes les 10 semaines, les enseignants présentent les résultats de tests, avec une liste d’objectifs
pour la période suivante. A partir du 4ème
degré, un groupe nommé advisory rassemble 25 enfants et
un instituteur, qui peuvent coopérer dans le cadre de projets. Les self-reliant children élaborent leurs
propres programmes et leur emploi du temps. Ceux qui souhaitent accéder à ce statut en font la
demande. Leur candidature est examinée par le conseil de l’école. Après un vote, elle est soumise à
la direction de l’école.
2.2.3 Dottrens et les fichiers de travail individualisé
Robert Dottrens met au point des fichiers de travail individualisé à Genève sans pour autant
supprimer l’enseignement collectif.
Les savoirs nouveaux sont présentés sous forme d’une leçon collective. Elle est suivie d’une
première évaluation formative permettant de corriger les erreurs ou d’approfondir les
7
connaissances. Une nouvelle évaluation permet de voir si l’élève a besoin de fiches
supplémentaires. L’élève se sert ensuite lui-même du fichier. Il existe un jeu de fiches auto-
correctives.
Trois types de fiches existent :
- récupération (la remédiation, selon un vocabulaire qui n’existait pas encore à l’époque),
- développement pour que les meilleurs puissent aller plus loin
- auto-instruction : ce travail peut précéder ou suivre celui du maître.
2.2.4 Célestin Freinet
Célestin Freinet, né en 1896 dans les Alpes-Maritimes, met en place l’imprimerie à l’école avec une
pédagogie ouverte sur la vie après la Première Guerre Mondiale. Il lit de nombreux ouvrages et
articles, il rédige des recensions pour présenter les idées pédagogiques qui lui paraissent
intéressantes dans des journaux syndicaux. Il visite les écoles libertaires de Hambourg dans les
années 20. Il rejette l’individualisme du Plan Dalton et intègre les idées de Washburne et Dottrens,
en mettant au point un ensemble de fiches auto-correctives élaborées coopérativement au sein du
mouvement qu’il fonde, et éditées par la Coopérative de l’Enseignement Laïc. Il met au point la
technique du plan de travail individualisé, et propose l’idée de contrat. Il s’inspire de Skinner pour
les bandes enseignantes, qui seront abandonnées après sa mort.
Les fichiers sont utilisés dans le cadre d’une évaluation formative : la structure est généralement
conçue sur la base de 4 types de fiches : demandes, réponses, tests, et corrections. Les tests doivent
être corrigés par le maître.
Mais à côté de ce travail formel, une véritable pédagogie fondée sur les projets individuels, de petits
groupes ou collectifs est proposée. Elle met en œuvre une différenciation fondée sur des
apprentissages structurés en rapport avec des objectifs précis, une voie didactique, mais complétée
par une approche heuristique offrant ainsi d’autres situations fondées sur un réel désir d’apprendre,
une forme de travail choisie, valorisant l’expression, la communication, la création, et la
coopération. Dans les deux cas, une véritable articulation peut se faire avec le tâtonnement
expérimental (Lèmery, 2010). Ce dernier s’appuie sur différentes théories de l’apprentissage :
behaviorisme, mais surtout constructivisme, socioconstructivisme, apprentissage social, et modèle
allostérique. L’apprendre est fondé sur deux moteurs : chercher et entreprendre. (Andrieu, 2005). La
dimension coopérative y tient une place essentielle, tant pour la réalisation de projets que pour
l’entraide, dans les situations de tutorat.
De multiples outils sont proposés pour individualiser le travail, comme les fichiers, les plans de
travail, les revues particulièrement adaptées à la recherche documentaire. Des techniques comme le
journal scolaire, les exposés, la correspondance, sont complétées par la mise en œuvre de principes
articulés de manière complexe, comme la coopération, le tâtonnement expérimental, l’ouverture sur
le milieu, l’expression, la communication et la coopération, mis en œuvre dans le cadre de projets
personnels, coopératifs et collectifs amenant à valoriser les créations. L’expression libre peut
Pédagogies différenciées
Pédagogies coopératives
Prendre en compte
l’hétérogénéité
Voie
didactique
Voie
heuristique
Gérer
l’hétérogénéité
Faire de la diversité
une source de
richesse
8
prendre de multiples formes, facilitant la découverte d’autres types de cultures, après avoir acquis
une posture d’auteur. L’appropriation des moyens technologiques nouveaux suscitent de nouveaux
développements intégrant l’informatique, par exemple avec des sites ou blogs révélant la richesse
créative des productions des élèves. Le travail comme transformation de soi et du milieu
environnant produit une forme d’émancipation, renouant avec certains des effets de l’enseignement
mutuel, loin des procédures de standardisation d’où provient la pédagogie par objectifs.
2.3 Des théories qui ont beaucoup influencé les prescriptions officielles
2.3.1 La pédagogie par objectifs : de Skinner à De Landsheere
Skinner est à la base d’un courant appelé behaviorisme, ou comportementalisme. L’apprentissage
est considéré comme une modification du comportement obtenue par encouragement ou
renforcement positif ou punition (renforcement négatif). Il s’agit d’une forme de conditionnement.
Les tâches proposées à l’apprenant sont de complexité croissante, que cela soit par l’enseignant ou
par l’intermédiaire d’un ordinateur.
La pédagogie par objectifs est issue du taylorisme et de la stratégie militaire. Il s’agit d’atteindre un
objectif en suivant une trajectoire connue à l’avance. Elle est en lien avec le behaviorisme.
La définition des objectifs apparaît alors comme essentielle sous la plume de G. et V. De
Landsheere, en 1976.
Il faut définir les objectifs généraux, les objectifs spécifiques, et pas se contenter de préciser les
conditions matérielles prévues pour le bon déroulement.
La critique de cette vision est liée au conditionnement dont est issu cette pédagogie : le but est fixé
à l’avance. L’enseignant va donc écarter tout ce qui n’a pas été prévu à l’avance, favoriser une
pensée convergente, éliminer la pensée créative et divergente. L’ensemble est pensé par le
concepteur de l’enseignement.
2.3.2 Louis Legrand et la pédagogie différenciée
Dans les années 70, la massification liée au collège unique va générer la naissance d’un nouveau
concept, issu de l’enseignement spécialisé et de la pédagogie de soutien : la pédagogie différenciée.
Louis Legrand, directeur de l’INRDP lance ainsi en 1967 des expériences liées à la mise en place de
pédagogies de soutien dans 28 CES. En 1970, le protocole de Saint-Quentin repose sur
l’organisation de groupes différenciés, groupes de niveau-matières en français, mathématique et
langue vivante. On peut lire dans la formulation de ce projet : « Une pédagogie différenciée peut se traduire, au niveau :
-Des contenus ;
-Des horaires ;
-Du volume numérique du groupe d’élèves ;
-Des méthodes. » (Legrand, INRDP, 1975)
Les conclusions font apparaître qu’il n’y a pas de fluidité entre les groupes, que l’écart entre les
forts et les faibles se creusent, et que la démocratisation est compromise.
En 1975, la mise en place du collège unique entraîne le constat d’une hétérogénéité jamais perçue
auparavant au sein d’une même classe d’âge. Une circulaire exhorte à la pédagogie différenciée en
1977. En 1979, pédagogie de soutien et pédagogie différenciée sont prescrites au collège.
Les conférences pédagogiques appelant à la différenciation dans le cadre de séances magistrales,
l’absence de formation des formateurs et des enseignants ne vont pas produire de réels
changements. De nombreuses manières de contourner les mesures de sectorisation vont apparaître
pour éviter la mixité sociale dans certains quartiers.
La conception du collège unique, fondée sur la vision imposée par le lobby des agrégés (Mons,
2007) va écarter les élèves issus de milieux populaires et générer une immense déception pour les
familles de milieux modestes. Les enquêtes internationales d’évaluation vont confirmer ce
phénomène et même faire apparaître une amplification de l’échec scolaire dans les catégories socio-
professionnelles défavorisées (enquête PISA 2009).
9
2.3.3 La pédagogie de maîtrise : de Bloom à Hubermann
Ce sont les travaux de taxonomie de Bloom et de J. Carrol à l’université de Chicago qui ont conduit
à la pédagogie de maîtrise, décrite dans un ouvrage dirigé par Michaël Huberman, dans lequel L.
Allal, J. Cardinet, P. Perrenoud, L. Rieben, de Suisse ont collaboré, ainsi que A. Grisay en
Belgique.
Jean-Marie Gillig, en 1999, présente le modèle conceptuel de Carrol repris par Bloom. Les
concepts traditionnels (aptitude, intelligene) y ont été ajoutés, avec leur traduction chez Carrol, et le
détail de la qualité d’enseignement.
La pédagogie de maîtrise à partir du modèle conceptuel de Carrol enrichi par Bloom (Gillig, 1999,
p. 187) repris par Huberman « L’importance du facteur temps :
Commençons par la variable « temps requis ». Bloom et ses collègues (1973) ont pu constater, lors
d’analyse des performances à l’école primaire, qu’un niveau pré-établi de performances, atteint par 20%
des élèves en fin d’année, n’est atteint que par 50% un an plus tard, et par 80% que 2 ans plus tard. La
variabilité entre les rythmes d’apprentissage individuels, dans les recherches fondamentales (cf Glaser,
1968), tourne autour de la proportion 5 :1. Autrement dit, les élèves les plus lents passent environ 5 fois
le temps à atteindre le même niveau que les élèves les plus rapides. Le pari de la pédagogie de maîtrise
est qu’en assurant la maîtrise initiale des premières tâches d’une séquence donnée d’apprentissage l’on
pourra réduire cette variation au sein d’une classe à environ 3 :1. » (Huberman in Gillig, 1999, p.188)
« Définition du seuil de maîtrise
L’enseignant commence par spécifier ce qu’il entend par maîtrise de son sujet. Tout d’abord, il rend
opérationnelles ses attentes en formulant les objectifs pour un cyce, un semestre, l’année, etc. Ensuite, il
prépare un examen « final » ou « sommatif » dérivé des objectifs, et il établit le niveau de performance
souhaité. Ce niveau est typiquement à 85-90%. Ensuite, l’enseignant décompose le programme annuel
ou semestriel en de plus petites unités, chacune contenant environ 2 semaines. Il formule alors les
objectifs de chaque unité. » (ibid, p. 193)
L’importance de l’évaluation pour la pédagogie différenciée
10
L’évaluation est une dimension essentielle de la pédagogie différenciée. « l’évaluation (…) constitue un préalable essentiel à la différenciation : c’est elle qui permet de
construire une méthode appropriée et d’intervenir opportunément dans une progression ».
On distingue :
- l’évaluation diagnostique : avant d’engager un apprentissage, l’enseignant inventorie
« pour chaque élève, ses ressources et ses besoins dans deux domaines bien déterminés : ses
capacités (méthode de travail, familiarité avec tel outil, maîtrise de telle situation) et ses
compétences acquises dans la matière qu’il est chargé d’enseigner » (p. 128) ;
- l’évaluation formative : en cours d’apprentissage, elle permet à l’enseignant d’ « observer
les points qui bloquent la progression, les outils qui fonctionnent comme obstacles, les
situations qui handicapent l’élève… Grâce à ces clignotants, il est alors possible d’intervenir de manière à ajuster plus précisément la méthode », et Meirieu d’ajouter : « Cette fonction
régulatrice est essentielle ; c’est elle qui empêche que la différenciation ne se fige dans une
sectorisation provisoire et, par définition, contestable » (p. 132) ;
- l’évaluation sommative critériée enfin, est indispensable pour mesurer les apprentissages effectués.
En outre, parce qu’elle « peut ouvrir à la mise en place de nouvelles stratégies (…) elle est (…) aussi,
un outil précieux de différenciation » (p. 134). » (Robbes, 2009, p. 18)
Le numéro 56 du bulletin pédagogique de l’Institut Varois de l’Ecole Moderne traite du thème
« évaluation et travail personnalisé ». Il présente des formes concrètes de ces évaluations,
complétées par des évaluations certificatives, appliquant les principes de la pédagogie de maîtrise,
mais avec un niveau de maîtrise fixé à 80%.
2.3.4 Les pratiques de différenciation pédagogique
Deux types de différenciation sont proposés :
La différenciation successive ou alternative est la plus fréquente :
Différenciation successive ou alternative (Gillig, 1999, p. 60)
Dans ce mode de travail, l’enseignant conserve la totale direction du processus pédagogique, mais il
introduit une souplesse dans le déroulement, en alternant les formes de travail proposées : variation
des supports, des consignes, des situations (de la manipulation à l’abstraction), les
expérimentations, les modélisations…
La différenciation simultanée est plus rare. Elle nécessite l’autorégulation et le pédagogue circule
pour voir les groupes fonctionner : elle est mise en œuvre dans les classes coopératives mettant en
œuvre la pédagogie Freinet.
11
La différenciation simultanée (Gillig, 1999, p. 62)
« La situation est plus complexe. L’idée de simultanéité signifie qu’au même moment, les élèves sont
occupés à des tâches différentes, et leur réalisation évoque très précisément le mode de fonctionnement
d’une classe où l’on pratique les techniques Freinet ou le travail individualisé type Dottrens. Par
exemple, pendant que certains élèves rédigent un texte individuellement ou en commun, d’autres
travaillent sur des fiches auto-correctives en mathématiques indiquées sur le plan de travail, d’autres
encore réalisent une expérimentation en sciences avec des fiches-guides, pendant qu’un petit groupe fait
une recherche documentaire au moyen de livres qu’ils sont allés chercher librement à la BCD. » (Gillig,
199, p. 61)
La combinaison des deux peut conduire à offrir une différenciation simultanée en proposant des
groupes de besoin quand les élèves sont suffisamment autonomes, ce qui demande un temps de
mise en place de 2 à 3 mois dans une classe n’ayant jamais travaillé de cette manière.
2.3.5 Philippe Meirieu : du diagnostic a priori vers l’inventivité régulée
Les deux grands courants théoriques de la différenciation
D’après Meirieu, P. (1996). La pédagogie différenciée : enfermement ou ouverture ? (pp. 1-32). Site de Philippe
Meirieu. [En ligne]. http://www.meirieu.com/ARTICLES/pedadif.pdf (Page consultée le 7 janvier 2008), p. 7-10 ; et pour la Mise en oeuvre pédagogique, Meirieu, P. (non daté). La gestion de l’hétérogénéité et la différenciation
pédagogique dans la classe (grille de travail) (pp. 1-3) Site de Philippe Meirieu. [En ligne].
http://www.meirieu.com/ARTICLES/gestionhete_peddif.pdf (Page consultée le 7 janvier 2008).
différenciation pédagogique dans la classe (grille de travail) (pp. 1-3) Site de Philippe Meirieu. [En ligne].
http://www.meirieu.com/ARTICLES/gestionhete_peddif.pdf (Page consultée le 7 janvier 2008).
Le diagnostic a priori
(ou la gestion technocratique des différences)
L’inventivité régulée
(ou la tension « invention/régulation »)
Principes théoriques
L’information contient en germe la remédiation. L’information est un indicateur parmi d’autres qui
permet simplement de faire des propositions et
d’observer leurs effets.
L’éducateur cherche à atteindre une sorte de « nature profonde » du sujet qui lui permet de le
classer dans une catégorie pour laquelle il dispose
d’un ensemble de solutions.
L’éducateur prend des indices qui lui permettent seulement de statuer sur les besoins du moment et
d’avancer une proposition particulière dont on ne sait
jamais d’avance comment elle sera accueillie et quels effets elle produira.
L’effet est décidé d’avance et le parcours si balisé
que l’on n’agit qu’à coup sûr.
L’effet est possible, parfois probable, mais comporte
toujours une part d’aléatoire liée au caractère
inévitablement partiel et provisoire des
12
informations recueillies.
Le développement du sujet est déjà inscrit dans
une logique inéluctable.
Le développement du sujet est ouvert et
l’intervention du moment se sait un palier qui devra
être dépassé, voire subverti.
Intentions pédagogiques
L’École est une institution permettant de donner à
chacun la place correspondant à ses « aptitudes
naturelles ou sociales ».
L’École se refuse de dicter l’avenir de l’élève à partir
de la considération de son présent.
Mise en œuvre pédagogique
L’enseignant a une connaissance exacte des
besoins de chacun, au risque d’un enfermement dans sa « nature » supposée.
L’enseignant prend des indices sur les
caractéristiques saillantes des élèves.
L’enseignement est strictement individualisé, au
risque d’être atomisé.
L’enseignement comprend des situations
différenciées puisées dans la « mémoire pédagogique
» de l’enseignant ou élaborées pour l’occasion.
La mise en œuvre est techniquement très difficile. L’enseignement observe ce qui fonctionne et régule
son action en temps réel. Il ajustera progressivement
les situations ultérieures.
Ce sont la programmation et l’outillage
didactiques (supposés sans faille) qui prévalent.
La réflexion métacognitive des élèves est facilitée.
Pédagogues de référence
Édouard Claparède (1921). L’école sur mesure.
Description des types généraux d’esprits et
proposition d’organisation des classes en
fonction de typologies préalables.
Adolphe Ferrière (1941). Vers une classification
astrologique des types psychologiques.
L’école comme projection de typologies caractérologiques : « the right man at the right
place ».
Henri Bouchet (1933). L’individualisation de
l’enseignement.
Récusation de toute « pédagogie a priori » et de
toute tentative pour organiser les apprentissages en
fonction des « lois de l’individualité ».
Maurice Debesse (1947). Types et groupes de
caractères.
Les classifications sont des outils « pour éviter
l’éparpillement du travail » qui doivent être sans
cesse révisées.
2.4 La pédagogie des compétences
La logique de compétences a été introduite dans la loi d’orientation de 1989. Les pédagogues y ont
vu la possibilité de former davantage à des savoir-faire utiles pour la vie, avec des visées
démocratiques opposées à la une école républicaine méritocratique, sélective, essentiellement
fondée sur les savoirs, mais très peu adaptée à un monde en constante évolution. Le socle commun
permettait de penser le développement de savoir-faire indispensables pour l’apprentissage tout au
long de la vie. C’est dans un premier temps l’OCDE qui a a déterminé les compétences clés
attendues par le monde économique.
13
« La plupart des pays de l’OCDE accordent une grande importance à la flexibilité, à l’esprit d’entreprise
et à la responsabilité personnelle. On attend non seulement des individus qu’ils aient des capacités
d’adaptation, mais également qu’ils soient novateurs, créatifs, autonomes, et capables de se motiver
eux-mêmes. »2
L’Union Européenne sert d’intermédiaire entre l’OCDE et les différents pays qui la composent, en
proposant 8 compétences clés européennes. 1/ Communication dans la langue maternelle ; 2/
communication dans une langue étrangère ; 3/ Culture mathématique et compétences de base en
sciences et technologie ; 4/ culture numérique ; 5/ Apprendre à apprendre ; 6/ compétences
interpersonnelles, interculturelles, et compétences sociales et civiques ; 7/ esprit d’entreprise ; 8/
sensibilité culturelle.
2.4.1 Le socle commun de compétences et le livret personnel de compétences
Le socle commun de connaissances et de compétences inclut un certain nombre de points
directement repris des compétences-clés dont la liste a été établie par l’Union Européenne. Il est
présenté sur le site officiel education.gouv.fr de la manière suivante :
Le "socle commun de connaissances et de compétences" présente ce que tout élève doit savoir et maîtriser à la fin de la
scolarité obligatoire. Introduit dans la loi en 2005, il constitue l'ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d'individu et de futur citoyen. Un livret personnel de compétences
permet de suivre la progression de l'élève. Depuis 2011, la maîtrise des sept compétences du socle est nécessaire pour
obtenir le diplôme national du brevet (D.N.B.).
Le socle commun de connaissances et de compétences, inscrit dans la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005, est le cadre de
référence de la scolarité obligatoire. Chaque élève doit parvenir à la maîtrise du socle commun au terme de sa
scolarité. La conception et les composantes du socle commun seront repensées. La réécriture des programmes de
l'école primaire et du collège suivra cette révision et se fera dans un cadre concerté et transparent.
Source : Lettre de Vincent Peillon et de George Pau-Langevin à tous les personnels de l'éducation nationale, 26 juin
2012
Sept compétences Le socle s’organise en sept grandes compétences : chacune est composée de connaissances essentielles, de capacités à
les utiliser et d’attitudes indispensables tout au long de sa vie, comme l’ouverture aux autres, la curiosité, la créativité,
le respect de soi et d’autrui. Depuis 2009, les programmes du collège intègrent les éléments du socle commun, dans la
continuité de ceux de l'école primaire publiés en 2008.
1/ La maîtrise de la langue française
Priorité absolue, elle passe par :
la capacité à lire et comprendre des textes variés
la qualité de l’expression écrite
la maîtrise de l'expression orale
l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire
l’enrichissement quotidien du vocabulaire
2/ La pratique d’une langue vivante étrangère
L'élève doit être capable :
de comprendre un bref propos oral ainsi qu’un texte écrit court et simple
de se faire comprendre à l’oral et à l’écrit en utilisant des expressions courantes
3/ Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique
En mathématiques, en s'appuyant sur la maîtrise du calcul et des éléments de géométrie, l’élève apprend à mobiliser des
raisonnements qui permettent de résoudre des problèmes.
En ce qui concerne la culture scientifique et technologique, l’élève étudie :
la structure et le fonctionnement de la Terre et de l’Univers
2 OCDE « La définition des compétences clés », 2005, p. 10 http://oecd.org/dataoecd/36/55/356932273.pdf
14
la matière et ses propriétés physiques et chimiques, l'énergie
les caractéristiques du vivant (cellule, biodiversité, évolution des espèces)
la conception, la réalisation et le fonctionnement des objets techniques
Il est initié à la démarche d'investigation tout en acquérant des connaissances et apprend à agir dans une perspective de
développement durable.
4/ La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication
Chaque élève apprend à faire un usage responsable des technologies de l’information et de la communication (TIC). À
l'école et au collège, le Brevet informatique et Internet (B2i) confirme la maîtrise de ces techniques.
5/ La culture humaniste
La culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité et permet d’acquérir des repères :
en histoire (événements fondateurs)
en géographie (paysages et territoires, populations, etc.)
en littérature et en arts (les grandes œuvres)
Une approche sensible des œuvres initie l'élève à l'histoire des arts. Il est engagé dans des pratiques artistiques
personnelles.
6/ Les compétences sociales et civiques
Il s’agit de maîtriser, comme individu et comme citoyen, les règles élémentaires de la vie en société et de les mettre en
œuvre dans le cadre scolaire. L’élève acquiert des repères dans plusieurs domaines :
les droits et les devoirs du citoyen
les notions de responsabilité et de liberté et le lien qui existe entre elles
les principes d’un État de droit, le fonctionnement des institutions, de l’État, de l’Union européenne
7/ L'autonomie et l’initiative
L'autonomie et l'initiative s'acquièrent tout au long de la scolarité, dans chaque matière et chaque activité scolaire. On
apprend ainsi à :
être autonome dans son travail
s'engager dans un projet et le mener à terme (construire un exposé, rechercher un stage, adhérer à un club ou une
association, travailler en équipe)
construire son projet d'orientation
En développant cette compétence, l’élève se donne les moyens de réussir sa scolarité et son orientation, de s’adapter
aux évolutions de sa vie personnelle, sociale et professionnelle.
Le livret personnel de compétences De l'école primaire à la fin de la scolarité obligatoire, les élèves acquièrent progressivement les compétences et les
connaissances du socle commun. Elles sont validées à trois moments-clés de la scolarité : CE1, CM2 et troisième.
Le livret personnel de compétences actuel est inutilement complexe. Il est trop tard pour le modifier pour la prochaine
rentrée, mais il connaîtra des simplifications indispensables et des évolutions pour tenir compte des forces et des
faiblesses de son format et de son usage. Il faut, pour le dialogue avec les parents, des outils de suivi des élèves clairs et
compréhensibles.
Source : Lettre de Vincent Peillon et de George Pau-Langevin à tous les personnels de l'éducation nationale, 26 juin
2012
Le livret personnel de compétences est un outil de suivi personnalisé de l'élève et de validation des compétences. Il suit
l'élève tout au long de sa scolarité obligatoire. C'est aussi un outil de dialogue avec les familles. Utilisé dans les écoles
primaires depuis 2008, il est généralisé à tous les collèges à la rentrée 2010.
La version informatique utilisée au collège est en cours d'expérimentation à l'école.
Les attestations du livret
Pour chaque élève, le livret personnel de compétences atteste l'acquisition des compétences du socle commun. Le livret
comporte trois attestations :
la première est renseignée en fin de CE1
15
la deuxième est renseignée en fin de CM2
la dernière, qui correspond à la maîtrise du socle commun, est renseignée en troisième ou en fin de scolarité
obligatoire
À l’école primaire
À l'école primaire, le livret personnel de compétences fait partie du livret scolaire.
Sur quoi sont évalués les élèves ?
En CE1, les élèves sont évalués en français, en mathématiques et sur leurs compétences sociales et civiques.
En CM2, les élèves sont évalués sur les sept compétences du socle.
Dialogue avec les familles
À chaque étape, l'école transmet les résultats de l'élève à sa famille. Si un élève éprouve des difficultés, l'équipe
enseignante peut lui proposer une aide personnalisée. À la fin du CM2, elle remet le livret au responsable légal.
Accompagnement des écoliers
Les élèves peuvent suivre deux heures par semaine d'aide en petits groupes, en plus de la classe : l'aide personnalisée.
En CM1 et en CM2, les élèves qui en ont besoin peuvent aussi participer à des stages de remise à niveau, organisés
pendant les vacances scolaires.
Un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) coordonne toute forme d’aide mise en œuvre. Il est formalisé dans un document qui précise les objectifs, les ressources et les moyens mis œuvre.
Des "PPRE passerelles" peuvent être formalisés dès la fin du CM2 en prévision de la sixième, dans le cadre des
commissions de liaison. Ils définissent les modalités de poursuite des aides engagées dès le début de la sixième, ils
incluent notamment les stages de remise à niveau avant l’entrée au collège. Ils constituent une alternative au
redoublement.
Au collège
Quand est complété le livret ?
Le livret personnel de compétences est complété au plus tard en fin de troisième. Tous les enseignants participent à
l’évaluation des élèves, sur les sept compétences du socle.
La maîtrise des compétences est validée par l’ensemble de l’équipe pédagogique et attestée par le chef d’établissement.
À partir de 2011, la maîtrise du socle commun est obligatoire pour obtenir le diplôme national du brevet.
Le livret personnel de compétences inclut aussi :
l'attestation de compétences aux premiers secours, "Prévention et secours civiques de niveau 1"
les attestations scolaires de sécurité routière (ASSR), passées par tous les élèves en cinquième et en troisième
Pour tous les candidats nés après le 1er janvier 1988, l’ASSR de niveau 1 ou, à défaut, l’ASSR de niveau 2 est
nécessaire pour s’inscrire à l'épreuve pratique du brevet de sécurité routière (BSR) afin de conduire un deux roues motorisé, à partir de l'âge de 14 ans. L’ASSR de niveau 2 est obligatoire pour s'inscrire au permis de conduire.
Dialogue avec les familles
Le collège informe régulièrement les familles sur la base du livret personnel de compétences. L'entourage familial peut
ainsi suivre les progrès de l'enfant.
En fin de troisième ou de scolarité obligatoire, le livret est remis au responsable légal. Si l'élève ne maîtrise pas toutes
les compétences du socle, le livret est aussi transmis au lycée ou au CFA où il poursuit sa formation.
Accompagnement des collégiens
Les collégiens qui éprouvent des difficultés peuvent bénéficier d'une aide individualisée.
En classe de sixième, une aide est apportée durant les heures de classe dans le cadre de l’accompagnement personnalisé,
en remplacement de l’aide au travail personnel. Il s’adresse à tous les élèves mais il concerne en priorité les élèves qui
en ont le plus besoin pour répondre à des difficultés, qui demandent temps et rigueur pour être combattues efficacement,
durant les horaires de classe.
Les élèves volontaires peuvent bénéficier d'une aide aux devoirs dans le cadre de l'accompagnement éducatif, hors
temps scolaire. Ils peuvent aussi participer à des activités culturelles, artistiques ou sportives.
Le livret personnel de compétences est une collection de compétences hétéroclites. La conception
événementielle de l’histoire proposée dans les livrets, inspirés des programmes de 2008, est l’objet
actuellement d’une discussion basée sur un aggiornamiento dans ce domaine. Il est l’objet de
tensions entre des conceptions opposées, en fonction des finalités attribuées à cette matière,
opposant par exemple les tenants d’une histoire destinée à forger une « identité nationale »
16
républicaine à ceux d’une éducation à la recherche documentaire, au traitement de l’information et
au développement de l’esprit critique dans une visée démocratique.
2.4.2 Les instructions officielles et les programmes de 2008
Les programmes élaborés en 2008 présentent une avalanche de concepts et notions à présenter de
manière trop précoce, mettant ainsi en échec une grande partie des élèves. Les enseignants sommés
de les mettre en œuvre se voient face à une injonction paradoxale : faire réussir le maximum
d’élèves, avec des plans personnalisés de réussite à l’école, en perdant trois heures de cours par
semaine, justifiés par l’aide personnalisée pour un petit groupe d’élèves, censés compenser la
suppression des postes de RASED.
Alors que le temps d’enseignement s’est réduit, le nombre des contenus à enseigner a augmenté de
manière notable, avec une demande d’évaluation certificative chronophage : livrets avec des critères
à remplir en éducation routière (dès l’école primaire), en histoire de l’art, en anglais, en
informatique : à la fin du CM2, les enseignants sont obligés de remplir ce qui correspond à
l’enseignement de 5 ans et qui souvent n’a pas été traité ou pas évalué. Les critères à renseigner
dans le cadre du livret personnel de compétences sont en nombre impressionnant également.
Matériellement, l’évaluation tient tellement de place qu’il n’y a presque plus de temps pour
l’apprentissage, ou alors il faut orienter l’apprentissage pour cibler immédiatement son évaluation,
quitte à n’évaluer que des manifestations parfois éphémères, et pas de réels apprentissages.
La pression évaluative devient une part cauchemardesque en fin de cycle pour les enseignants.
L’évaluation est conçue pour piloter le système : l’évaluation des élèves prend un visage nouveau :
de diagnostique pendant les années 90 et le début des années 2000, elle est proposée en janvier pour
évaluer les acquis de l’ensemble de l’année en CM2, suscitant des taux d’échec considérables, et
générant une culpabilisation pour les élèves, leurs parents, et les enseignants. La comparaison (entre
élèves, entre classes, entre établissements), proposée dans une logique de contrôle managérial, est
censée augmenter la productivité.
Il existait un malaise engendré par la double contrainte élitisme / égalitarisme républicain, décrit par
Jean-Marie Gillig en 1999 : « Claude Seibel l’a démontré3, le pédagogue est en effet pris dans une situation où il perçoit deux types
de messages, dont l’un contrdit l’autre, ce qui entraîne pour lui l’impossibilité de reconnaître clairement
celui auquel il doit répondre. Il lui est demandé à la fois de :
-Mettre la priorité de l’accès à la réussite au profit des élèves les plus défavorisés
-Mener à des réussites correspondant à leurs aptitudes tous les élèves, de manière à permettre également à l’élite de profiter de sa supériorité. » (Gillig, 1999, p. 86-87)
L’impossibilité de choisir conduira le sujet à se sentir coupable quelle que soit la posture qu’il
adoptera, ce qui engendre un phénomène de dépression ou de sortie du système scolaire. Le
dilemme est particulièrement évident avec les programmes de 2008 : soit tous les points sont traités,
mais la majorité des élèves sont perdus, car une très faible minorité est capable de suivre le rythme,
soit l’enseignant choisit d’approfondir pour construire les savoirs et savoir-faire d’une manière plus
solide, et dans ce cas, il ne peut tenir les progressions prévues !
La pédagogie de maîtrise permet de donner un temps différencié selon les élèves… Mais tout voir
suppose de ne pas consacrer un temps suffisant aux apprentissages pour un maximum d’élèves,
d’autant que le niveau d’abstraction est en général trop élevé pour la majorité des élèves d’une
classe d’âge, puisqu’il a été conçu pour les meilleurs d’entre eux.
Face à une volonté affichée de faire réussir le maximum, ces éléments convergent dans le sens
d’une méritocratie de plus en plus dure visant à générer une élite de qualité au détriment du plus
grand nombre, tout en remettant en cause les acteurs du système éducatif en stigmatisant le manque
d’efficacité d’un enseignement fondé sur une performance impossible à atteindre.
3 Claude Seibel, « Genèse et conséquence de l’échec scolaire : vers une politique de prévention ». Revue française de
pédagogie n°67, avril-mai-juin 1984.
17
En partant d’une vision proche des pédagogies différenciées, un glissement s’est opéré, suscitant
une résistance importante, visible à travers le mouvement des désobéisseurs : la logique des
compétences s’est appuyée sur une vision de l’évaluation qui peu à peu s’est transformée en outil de
contrôle managérial, de pilotage du système et d’assujettissement normatif des enseignants avec un
fonctionnement autoritariste. Les partisans d’une différenciation continue des apprentissages,
opposés à la pédagogie de soutien, promue dans le cadre de l’aide personnalisée, se sont ainsi vus
largement sanctionnés par l’administration.
Les sociologues qui ont écrit « La nouvelle école capitaliste » (2011) décrivent l’absence de
réactions significatives face à la mise en place progressive de la logique des compétences à l’école,
en mentionnant qu’elle s’appuyait sur les démocrates et les réformateurs. La réforme de la
formation des enseignants a, par contre, fait l’unanimité contre elles, reliant dans un même
mouvement de protestation les « Républicains » et les « Pédagogues », jusque-là opposés.
La concertation pour la refondation de l’école, l’élaboration de la nouvelle loi d’orientation
et la transformation des programmes modifieront sans doute certains aspects. La place des
mouvements pédagogiques, vecteurs d’innovation, semblerait être reconnue d’après les documents
préparatoires disponibles sur de nombreux sites. L’importance accordée à l’éducation pré-scolaire,
en particulier dans les milieux populaires, les moyens accordés à l’enseignement primaire et à la
formation des enseignants semblent montrer un changement d’orientation très sensible. Les
pédagogies actives et coopératives pourront sans doute jouer un rôle plus important et moins
marginalisé que depuis 2007, en apportant ainsi une dynamique innovante.
3. Les pédagogies actives et coopératives
Selon François Tilman et Dominique Grootaers, « les méthodes pédagogiques regroupent des choix
d’objectifs clairs, sous-tendus par une philosophie de l’éducation. Elles reposent également sur une
conception de l’apprenant et du formateur, et en déduisent pour eux des rôles spécifiques ».
(Grootaers et Tilman, 2006, p. 97).
3.1 Le schéma des méthodes pédagogiques
Jean Vial a créé un schéma et ses commentaires reproduits dans l’ouvrage de Grootaers et Tilman
en p. 68.
18
a) Axe des maîtres ou agents (valeurs d’intervention décroissantes)
1. Au départ, le « maître » justifie son titre, souverainement, magistralement. Unique détenteur
du savoir (par formation) et du pouvoir (par délégation) dans la classe. Il organise le milieu,
impose les objectifs et les méthodes, dispense l’énergie, fixe, dirige et contrôle le travail
pédagogique, il domine la relation éducative, surtout didactique.
2. Simplement incitateur, l’enseignant oriente le travail de l’élève : nous passons de la sujétion
à la suggestion.
3. En ne s’affirmant que comme arbitre des conflits et conseiller de méthodes, l’agent laisse
l’enfant agir, « faire et, en faisant se faire » - cet enfant qui passe de l’initiation à
l’initiative.
4. Enfin, celui que le terme d’animateur ne désigne qu’imparfaitement, peut en quelque sorte
s’évader de l’activité d’éducation, en renonçant à peser aussi bien sur les objectifs que sur
les méthodes.
b) Axe des sujets (valeurs d’intervention croissantes)
1. Dans le premier cas, l’enfant est littéralement « gommé » : à la limite, il peut disparaître de
la relation pédagogique (nous n’osons dire éducative) sans que celle-ci ait à changer dans sa
formulation.
2. Cependant, l’élève peut être orienté vers la simple redécouverte des vérités établies que
détient le maître.
3. La pression du maître diminuant, l’enfant sera encouragé à l’action personnelle : il pourra
alors s’engager selon ses motivations et ses possibilités.
4. Au-delà, il apparaîtra comme entièrement libre de ses objectifs et de ses problèmes.
c) Axe des objectifs (valeurs d’originalité croissantes)
1. Tout d’abord, il s’agit d’un objet préfabriqué, d’une idée pré-établie, clairement définis et
qu’il suffit de reproduire ou de répéter textuellement.
2. Mais il s’agit parfois de retrouver, de reformuler cette idée après un travail, somme toute
personnel, de rédécouverte.
19
3. Ce travail personnel s’accroît dans la situation pédagogique suivante : il convient de
proposer un objet nouveau ou, à propos d’un objet défini, d’appliquer une procédure propre
au sujet ; le développement autonome de ce dernier peut même constituer l’objectif profond
de l’activité encouragée, l’objet apparent n’étant qu’un moyen de parvenir à cet
épanouissement de l’enfant, de l’adolescent.
4. Finalement, il peut y avoir création absolument originale, soit de l’objet voulu, soit de la
procédure adéquate soit, plus rarement, des deux en même temps.
d) Synthèse provisoire
Fait à noter nous n’avons pu procéder à l’analyse séparée d’un axe sans faire de références
expresses aux autres. Lors même que nous employons le mot « gommé », à propos du rôle de
l’agent ou du sujet dans certaines situations pédagogiques extrêmes, nous découvrons l’interaction
de ces trois éléments : l’enfant ou le maître restent de toutes façons présents – et cette présence ne
peut être neutre.
Au moins dirons-nous que cette interaction se justifie fortement, apparemment selon la formulation
de l’objectif.
1. L’enseignement dogmatique se caractérise à la fois par l’importance des objectifs scolaires
fixés une fois pour toutes et la prédominance du maître.
2. L’enseignement dit socratique fait davantage appel à l’élève constamment guidé par le
maître dans la découverte d’un savoir non moins fixé que précédemment.
3. Avec les méthodes dites d’éducation active, le maître atténue sa pression, sinon son travail,
en laissant l’enfant prendre en charge une partie de la poursuite d’objectifs, souvent définis
en dehors des programmes scolaires.
4. Dans les méthodes dites de non-directivité, le maître s’efface devant l’élève qui, en toute
responsabilité, crée en quelque sorte ses propres motifs et procédures de travail (Vial, 1986,
p.16-17).
Selon Grootaers et Tilman, une méthode devient une pédagogie quand elle est dotée de finalités
sociales. Jean Houssaye parle pour sa part de pédagogie.
3.2 Le triangle pédagogique
Jean Houssaye (1993) a construit un triangle pédagogique très proche de celui de Jean Vial.
Pour Jean Houssaye, toute méthode pédagogique privilégie deux aspects et en délaisse en troisième.
Dans ce triangle pédagogique, il situe trois principaux processus : enseigner, former et apprendre.
20
Selon les positionnements dans les côtés des triangles, Houssaye détermine 6 catégories de
pédagogies.
2 cours vivant, ou cours dialogué. Apprentissage par imprégnation
3 Pédagogies libertaires inspirées par la psychanalyse : enseignant thérapeute dans la dynamique
relationnelle. Apprentissage par la recherche secondaire
4 pédagogies institutionnelles et non-directives : apprentissage par la recherche de construction
d’attitudes et de production de normes de comportement.
Acquisition de connaissances, habiletés et compétences :
-à Summerhill, transmission traditionnelle de la connaissance
- PI : inspiration pédagogie active Freinet
- pédagogie non-directive : toutes catégories d’apprentissages.
5 Pédagogies actives et de la construction des savoirs : initiative de l’élève, tâtonnement
expérimental, échanges, coopération de groupe. Apprentissage par la synthèse et la recherche.
6 Enseignement assisté par ordinateur, enseignement individualisé, pédagogie par objectifs
Il existe un axe privilégié, mais pour le maintien du processus, il faut laisser du jeu au deux autres :
si ce n’est pas le cas, le mort se met à faire le fou. Un processus pédagogique dans ce cas ne peut
être univoque.
Jean Houssaye fait donc apparaître clairement la différence entre les pédagogie différenciées qui
organisent les apprentissages de manière individualisée, mais à partir d’un pilotage complet de
l’enseignant, à la manière d’une trajectoire à suivre de manière linéaire, avec une conception
cartésienne, et les pédagogies actives, coopératives, institutionnelles et non-directives, qui
supposent la possibilité d’un trajet non linéaire, fondé sur une voie heuristique, avec une approche
complexe, qui s’appuient sur le projet de l’apprenant.
3.3 Pédagogie active et Education Nouvelle
Johann Pestalozzi (1746-1827), pédagogue suisse protestant, s’inspire de Comenius, mais aussi de
l’Emile de Rousseau. Il souhaite faire « le bonheur du peuple » (Soétard, in Houssaye, 2000, p.39).
Il promeut une pédagogie active : « Ce qui est essentiel, c’est de mettre les enfants en action, de
solliciter leur capacité à prendre des initiatives afin de les rendre plus autonomes. C’est dans le
prolongement de ces principes que les échanges, la communication entre les enfants sont suscités.
Sans nier la nécessité d’efforts individuels, et sans renoncer à l’émulation et à la compétitivité,
Savoir
Elève Professeur
3
2
1
4
5
6
Cours vivant
Cours vivant
Pédagogies libertaires
inspirées par la
psychanalyse
Pédagogies non-
directives
Pédagogie traditionnelle
magistrale
Pédagogies actives et de la
construction des savoirs
Méthodes
interactives
21
Pestalozzi encourage la coopération, la solidarité entre les enfants » (Barnier, 2001, p. 21). Il
s’appuie largement sur le tutorat, et sur deux séries de trois mots :
- trois noms : tête (intelligence), cœur (valeurs morales), et main (activités en prise avec le
réel, technologiques, éducation physique),
- trois verbes : connaître, vouloir, pouvoir.
L’école d’Yverdon devient, jusqu’à sa fermeture, en 1825, le laboratoire pédagogique de l’Europe.
Owen (1771-1858), considéré comme le père fondateur du mouvement coopératif, la visite et s’en
inspire et met en place la méthode mutuelle pour l’enseignement de la lecture. Pour lui, c’est plus
qu’une méthode pédagogique : il s’agit de promouvoir la solidarité, la coopération, et l’entraide.
L’école mutuelle parvient à enseigner à un grand nombre d’élèves, grâce à la formation de tuteurs /
enfants qui animent l’enseignement dans les groupes d’élèves. L’apprentissage de la lecture est
efficace et rapide, mais ces écoles sont ressenties comme des menaces pour l’ordre social établi.
Dans la seconde partie du XIXème siècle, l’enseignement mutuel disparaît au profit de
l’enseignement frontal simultané (Querrien, 2005).
Adolphe Ferrière (1879-1960) est le coordonnateur et le théoricien de l’Ecole Active. Il considère
que « le partage des tâches est de nature à favoriser l’éducation morale des enfants. » (Baudrit,
2005, p.13). La coopération est donc pour lui l’art de rendre les enfants autonomes pour « former
des citoyens pour la nation et pour l'humanité » (Ferrière, 1920). Il s’appuie sur le récit que lui fait
Mr Chatzky pour exprimer une forme d’auto-gestion sous la responsabilité d’un « adulte doué d'une
intuition psychologique exceptionnelle, capable de semer au bon moment et au bon endroit la
graine du sain bon sens et de la raison et d'appuyer de son autorité les bonnes initiatives prises par
les meneurs naturels du petit groupe.» (Ferrière, cité par Hameline, Houssaye, 1995, p.183). Il cite
une vision de l’apprentissage coopératif qui sera reprise largement par Célestin Freinet : « Les
enfants font la critique de chaque objet produit par l'un d'eux et le résultat de cette critique est que
chacun apprend à voir clair, à estimer les capacités des camarades et à être indulgent pour les
moins capables. L'intérêt général qu'ils apportent à leur travail rend leur caractère à la foi
exigeant dans le sens de la perfection, solidaire et indépendant » (Ferrière, reprenant les propos de
Mr Chatzki, cité par Hameline, Houssaye, 1995, p.183).
Jean Piaget (1896-1980) présente l’intérêt d’une coopération autonome, librement choisie, pour le
développement intellectuel : elle permet de sortir de la pensée égocentrique, « elle est apte à
favoriser « toutes les conduites susceptibles d’éduquer l’esprit critique, l’objectivité, et la réflexion
discursive. » (Piaget, 1969, p.263, cité par Baudrit, 2005, p.14). Dès 1935, il se fera le défenseur
des méthodes actives qui favorisent l’autonomie nécessaire à l’enfant pour développer ses structures
intellectuelles. Il est à la base du constructivisme, qui a beaucoup influencé les changements dans
certains systèmes éducatifs.
John Dewey (1859-1952), philosophe de l’éducation, est à la base de la création du courant de
l’Education Nouvelle. Pour lui, la vie démocratique pratiquée à l’école fait partie de l’éducation de
citoyens éclairés. Learning by doing : on apprend par l’expérience. Les apprentissages sont liés aux
centres d’intérêts des élèves et à la vie.
De nombreuses idées s’apparentent à celles de Célestin Freinet (1871-1966), fondateur du
mouvement de l’Ecole Moderne. La pédagogie qu’il met en place peut être analysée sous la forme
d’une organisation systémique, où le tâtonnement expérimental et la méthode naturelle sont en
interaction avec l’expression, la communication et la création, les apprentissages individualisées, et
la coopération. L’ouverture sur l’environnement et la vie, et l’éducation du travail jouent un rôle
fondamental. Il définit le terme de complexe d’intérêts par opposition à Ovide Decroly (1871-
1932), qui propose une organisation de l’enseignement à partir de centres d’intérêts. Il attache une
grande importance à la vie au grand air, et théorise la méthode globale de lecture. Maria
Montessori (1870-1952), met au point un matériel spécifique éducatif individuel, qui, utilisé
librement, permet d’accéder à des compétences intellectuelles. L’adulte travaille essentiellement en
relation duelle avec les enfants, et le groupe ne tient aucune place dans la vie de la classe, au
contraire des choix pédagogiques de Roger Cousinet (1881-1973), qui construit l’essentiel des
activités autour des travaux libres de groupe, sans pour autant pratiquer la vie coopérative.
22
H. Piéron, P. Langevin et H. Wallon ont été les principaux animateurs du Groupe Français
d’Education Nouvelle, qui compte beaucoup d’universitaires et de chercheurs, se définit comme
une organisation de recherche pratique et théorique. Ses valeurs reposent sur l’importance d’une
école démocratique. Le point de départ est l’utilisation des acquis de la psychologie pour définir des
techniques pédagogiques.
Les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active (CEMEA), proposent de la
formation en milieu scolaire comme dans le péri-éducatif, et dans les centres de loisirs avec ou sans
hébergement : « L’étude du milieu est un élément de formation de l’individu motivant des activités
d’expression, suscitant des apprentissages ou de nouvelles investigations, obligeant à l’observation
et au questionnement du réel. » (Pastiaux G et J, 1997, p.30)
3.4 La pédagogie coopérative, ou la coopération au cœur des apprentissages
La pédagogie coopérative est une forme de pédagogie active mettant en jeu la coopération dans les
apprentissages, mais également dans les projets et l’organisation de la classe.
3.4.1 La coopération
La définition de la coopération de Madeleine Grawitz, donnée dans « Le lexique des sciences
sociales », est la suivante : « lat. cooperatio : participer avec d’autres à une œuvre commune.
Implique une réciprocité des services (psycho soc) Conséquence du fait social et de la division du
travail. (éco.) Institutionnalisation d’une volonté commune : « coopération économique
européenne », service militaire « en coopération » »…
Coopérer (du latin coopérari : faire quelque chose conjointement avec quelqu’un. Dictionnaire
historique de la langue française Le Robert) ; entreprise coopérative née de l’expérience conduite en
Angleterre par R. Owen en 1824, en France la première coopérative de production « L’Association
chrétienne des bijoutiers en doré » est née dans la mouvance du socialisme utopique et associatif, voir
du catholicisme social. En 1844, à Rochdale, Faubourg de Manchester, vingt-huit ouvriers tisserands fondent la Société des équitables pionniers de Rochdale,coopérative de consommation. En 1864 à
Heddensdorf (Rhénanie) le Bourgmestre Raiffeisen, pour libérer les paysans de l’usure crée la première
coopérative de crédit… (Encyclopédie Universalis. Vol. 6/p. 508). (Parodi et Paven, 2003)
Coopérer signifie opérer ensemble, avoir une œuvre commune. La coopération suppose la libre
adhésion de l’individu au projet d’une autre personne ou d’un groupe. Elle sous-entend la
réciprocité, la parité de statut : si celle-ci n’est pas constante, elle peut être de l’entraide mutuelle,
c'est-à-dire le fait d’entrer dans des relations successivement en position haute et basse, sur un mode
de complémentarité.
Ce point est essentiel au bon fonctionnement de la coopération. L’école de Palo Alto le décrit dans
le mode de communication comme antagoniste de la symétrie. Elle s’est intéressée à l’intégration
de la théorie générale des systèmes dans les effets pragmatiques de la communication humaine,
c'est-à-dire ses effets sur le comportement. Dans « Une logique de la communication », P.
Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D. Jackson décrivent l’interaction humaine comme « Un
système de communication, régi par les propriétés des systèmes généraux : la variable temps, les
relations système-sous-système, la totalité, la rétroaction et l’équifinalité. » (Watzlawick et Al,
(1967) 1972, p. 147). La notion d’homéostasie y est appliquée, en distinguant rétroactions positives
et négatives. Les rétroactions positives peuvent amener la destruction du système, son entropie, ou
une amplification, une bifurcation, les rétroactions négatives ont un effet de régulation visant à la
stabilité, la néguentropie.
La problématique commune des chercheurs de cette école peut être formulée ainsi : à quelles
conditions la communication entre les êtres humains est-elle possible ? Quels sont les obstacles, les
difficultés qui peuvent la perturber ? Comment expliquer ses ratés, ses échecs ?
23
Le point qui nous concerne ici est que les chercheurs de l'école de Palo Alto étudient l'interaction
communicative entre les membres d'un groupe, comment ils échangent des messages qui sont pour
eux significatifs. Toute communication est une interaction significative, verbale et non verbale,
dans un contexte défini, et elle met en jeu une pluralité complexe de codes et de modalités de leur
application. Condition sine qua non de toute vie sociale humaine, cette interaction suppose un
processus complexe d'acquisition des règles de la communication. De ces règles, nous avons très
peu conscience quand nous les appliquons.
L’interaction entre deux personnes se situe sous deux formes : la symétrie et la complémentarité,
avec des variantes quand elle est manipulée par l’un au moins des protagonistes. Une interaction
symétrique se caractérise donc par l'égalité et la minimisation de la différence, tandis qu'une
interaction complémentaire se fonde sur la maximalisation de la différence. Dans l’interaction
symétrique existe un effet de miroir, un positionnement sur un mode égalitaire. Cela peut conduire à
une surenchère destructrice, et peut donc amener des rétroactions positives, produisant
l’emballement du système. L’interaction complémentaire se construit sur une concordance des
positionnements, même si l’un est placé en position haute, et l’autre en position basse, comme dans
la relation mère/enfant ou médecin/malade.
Transformer les relations de symétrie en relations complémentaires est un enjeu essentiel de la
réussite de la coopération. Paradoxalement, même dans un mouvement coopératif, il n’est pas
suffisamment théorisé, analysé et appliqué, ceci pouvant conduire à l’explosion de groupes. Il est
important de prendre en compte ces phénomènes pour réguler la communication et faire du conflit
sociocognitif une confrontation coopérative féconde.
Le thème de la coopération dans la pédagogie Freinet a été traité lors d’une rencontre régionale de
l’Ecole Moderne à Solliès-Pont, les 30 et 31 janvier 1993. Le groupe a échangé à partir de
l’intervention de Jean Roucaute. L’ensemble les travaux a été restitué sous la forme d’une synthèse,
parue dans le bulletin pédagogique de l’IVEM n°33.
« Les relations au sein du groupe oscillent entre 4 pôles: l'auto-suffisance, la confrontation, la
coopération et le parasitisme. L'auto-suffisance et le parasitisme vont être remis en question par la
confrontation. De la confrontation à la coopération apparaît la notion de contrat. Lorsqu'il y a coopération, peut s'installer la notion de mutualité. Elle peut glisser vers la solidarité, puis la "charité‚"
(l'assistanat, à un niveau social) et au parasitisme (un ou plusieurs individus s'inscrivent dans un groupe
et profitent du travail des autres sans assurer la part qui leur incombe (nt). Ce parasitisme se maintient
grâce au cynisme.
Il peut se trouver en parallèle avec
une relation de soumission.
A l'autre extrémité‚ de la
coopération peut s'installer le
leadership, où une personne va
apporter une compétence au groupe
qui va lui permettre une dominance
momentanée sur un sujet précis. Mais cette dominance peut se
transformer par une prise de pouvoir
en domination, qui à l'échelon
suivant va se transformer en auto-
suffisance. Figer une équipe risque
de fixer le parasitisme ou
l'autosuffisance. » (Saint-Luc, 1993)
L’individu émet une idée sous la forme d’une hypothèse, d’un projet, d’une production. Elle
représente une impulsion pour le groupe, qui va permettre la verbalisation et le raisonnement, sous
la forme d’une expression coopérative. La coopération se construit quand le sujet a besoin du
groupe pour se réaliser. L’impulsion, c'est l'idée (hypothèse, projet, production) de l'individu. C'est
grâce au groupe qu'elle peut être verbalisée puis raisonnée (elle devient l'expression coopérative). Il
y a coopération quand le sujet a besoin des autres pour se réaliser. L’impulsion va se transformer
leadership
24
grâce à la confrontation, c'est à dire la mise en place d'un dispositif expérimental pour tester
l'hypothèse, ou le renvoi critique du groupe. Les interactions coopératives vont construire un
« tâtonnement expérimental » conduisant à l’élaboration de lois validées par le groupe coopératif
qui seront confrontées au réel, dans des situations de communication ou d’expérimentation, et
pourront obtenir une infirmation ou une validation à plus grande échelle par la suite.
Les groupes coopératifs sont constitués de personnes, et pas seulement d’individus (c'est-à-dire
d’opposition entre un et le collectif) : de tailles et de durées variables, ils se constituent autour de
projets, et se séparent lorsque le but est atteint. Il y a création d'un réseau, dont chacun est un
élément, avec des relations comportant des niveaux variés d’implication entre les membres.
La vie coopérative permet l’instituant, et développe l’esprit critique, assorti de forces de
propositions, dans un esprit de création. Il s'établit un équilibre entre le groupe et l'individu.
L'individu qui propose un projet, produit un objet, émet une hypothèse, reçoit un renvoi du groupe.
Le groupe se trouve enrichi par l'apport de la personne. La critique du groupe enrichit l'individu.
Pour un même sujet, cette interrelation avec enrichissement réciproque pourra s'effectuer plusieurs
fois. Il y a là la réalisation du tâtonnement expérimental; c'est cette démarche que l'on va observer
dans la mise en place de la méthode naturelle. C’est l’ensemble de ces processus qui caractérisent
les apprentissages coopératifs.
Ces apprentissages peuvent passer par l’entraide, ou le tutorat, qui reposent sur une posture
asymétrique. Une succession de postures peut permettre de ne pas garder la position haute ou basse,
par une réciprocité éducative : échanges entre deux personnes en positions successives d’offres et
de demandes, ou échanges entre plusieurs personnes, qui ne rendent pas systématiquement l’aide à
celui qui l’a apportée, mais qui peuvent distribuer l’entraide sur un groupe (tableaux d’entraide
mutuelle), pratiques en vigueur dans les Réseaux d’échanges Réciproques de Savoirs. Mais elles
reposent en général, sous les différentes formes, sur un esprit coopératif, une libre adhésion, une
certaine solidarité, et semblent écarter la compétition.
3.4.2 La posture d’auteur dans la coopération et l’éducation à la démocratie
En Ukraine, Makarenko développa une conception collectiviste des apprentissages au sein de la
colonie Gorki. Pour lui, le travail joue un rôle éducatif dans la formation d’un homme nouveau,
mais il n’existe aucune prise en compte des centres d’intérêts et de l’individu. La conception de
Ferrière suppose par contre la libre adhésion de l’individu, sous la forme du partage des tâches, pour
favoriser l’éducation morale des enfants. La coopération est donc pour lui l’art de rendre les enfants
autonomes pour « former des citoyens pour la nation et pour l'humanité » (Ferrière, 1920). Il
s’appuie sur le récit que lui fait Mr Chatzky pour exprimer une forme d’autogestion sous la
responsabilité d’un enseignant intuitif apte à s’appuyer sur les leaders de groupes pour construire
des situations d’apprentissage appropriées. Il cite une vision de l’apprentissage coopératif qui sera
reprise largement par Célestin Freinet, construite sur la critique coopérative d’objets produits par
chacun d’eux. Ils se montrent indulgents pour les moins capables, tout en étant exigeants, solidaires
et indépendants.
Jean Piaget, en 1969, présente l’intérêt d’une coopération autonome, librement choisie, pour le
développement intellectuel : elle permet de sortir de la pensée égocentrique, de développer l’esprit
critique, l’objectivité, et la réflexion discursive. Sa conception repose sur une parité de statut. Cette
idée est reprise, sous la forme de situations interactives symétriques, caractérisées par une égalité
des savoirs et des pouvoirs, une égalité portant sur les personnes, leurs relations, leurs statuts, leurs
compétences face à cette tâche, par Winnykamen, en 1990.
La coopération suppose, dans la vision de Freinet, une posture d’auteur, dans le sens défini par
Ardoino. Pour ce dernier, comme pour Freinet, éduquer à la démocratie suppose former des
citoyens co-souverains, ce qui repose sur la constitution du sujet, et son autorisation : « L'autonomie des sujets et leur autorisation (capacité pour chacun de devenir le plus pleinement
possible auteur, à tout le moins co-auteur, de ses actes) en dépendent donc aussi au plan microsocial. A
la faveur des interactions sociales, ce sont justement des processus d'altération qui vont influer sur la
modification progressive de la personne, associant sa réflexivité et ses possibilités de s'assumer à
25
l'évolution de ses relations aux autres (pris individuellement et collectivement). Les visées de
l'éducation devraient normalement rejoindre pour s'y articuler les ambitions du projet politique. »
(Ardoino, 2000, p.129)
Jacques Ardoino intègre cette importance de l’acculturation couplée au processus d’autorisation
dans la formation des enseignants, en la reliant à l’éducation à la citoyenneté, l’éthique,
l’épistémologie. La culture des formateurs et des éducateurs inclut enseignement, instruction,
pédagogie, didactique. Mais elle doit redonner au désir, à la sensibilité, et à l'affectivité leurs places
légitimes dans les situations d'apprentissage. Il s’agirait de les initier à la complexité dans le cadre
de la formation initiale et continue.
Devenir auteur passe par le fait de s’autoriser à s’exprimer, ceci pouvant prendre des formes très
diverses (artistique, langagière, scientifique, technologique…). Le processus se construit dans la
valorisation de toutes formes de créations, progressivement, grâce à un réseau de communication
très dense, une ouverture sur les autres et le monde, une valorisation accordée à cette expression : ce
sont ces procédés récursifs qui construisent peu à peu une posture d’auteur.
L’émergence et la gestion de projets constituent ainsi une tâche essentielle et complexe dans la mise
en œuvre de la pédagogie Freinet.
Il est essentiel que l’adulte, investi dans des situations éducatives, devienne lui-même auteur, en
ressente les effets, les analyse, pour qu’il puisse transférer dans ses pratiques, en accompagnant ses
élèves dans leur processus d’autorisation. C’est d’ailleurs un des problèmes des étudiants en
formation à l’IUFM qui dénonçaient de manière récurrente l’infantilisation qu’ils ressentaient.
Michel Fabre, de l’université de Nantes, a présenté une communication dans un symposium du
colloque du CERFEE-LIRDEF de Montpellier, "Les enjeux épistémologiques et politiques des
sciences de l’éducation : quelle implication des acteurs ?" le 4 septembre 2009. «C’est d’abord l’infantilisation qui est dénoncée. L’obligation de présence au cours, l’évaluation
délicate de certains aspects de la formation (en particulier les formations générales et communes), un
certain « chantage » à la certification sont particulièrement visés. Bref, l’IUFM ne permettrait pas,
malgré ses intentions affichées, le développement d’une véritable autonomie professionnelle. » (Fabre
M., 2009)
26
Devenir auteur est une posture difficile à acquérir si l’on a été formé dans un système visant plus la
reproduction que la création. Le processus d’autorisation vise à développer la créativité et
l’autonomie. La possibilité de travailler en groupe démultiplie les possibilités d’expression et de
communication, en fournissant des interactions coopératives, afin de construire une posture
d’auteur. C’est donc l’un des nombreux intérêts de la coopération mise en œuvre dans le cadre des
apprentissages.
3.4.3 Les apprentissages coopératifs
Le socio-constructivisme a théorisé l’importance des interactions sociales dans le processus
d’apprentissage. Selon Alain Baudrit, l’apprentissage coopératif est une « Activité réalisée à
plusieurs, orientée vers un but commun, qui permet d’optimiser les apprentissages de chacun ».
(Baudrit, 2005).
Pour Bruner (1996), l’enfant, comme l’adulte, est un penseur qui construit un modèle du monde
pour parvenir à analyser son expérience. Cette compréhension évolue grâce à la rencontre de
l’altérité, par la discussion et la coopération. L’enfant, comme l’adulte, peut corriger ses idées et
conceptions grâce à la réflexion, et à la confrontation, dans un modèle d’éducation de type mutuel et
dialectique. Il définit 4 axes de recherche en interrelation pour cette perspective d’enseignement /
apprentissage :
L’intersubjectivité : il s’agit de développer chez l’enfant l’aptitude à lire dans l’esprit d’autrui pour
savoir ce que les autres pensent et ressentent.
Les théories de l’esprit : elles permettent de saisir les états intentionnels d’autrui, ses croyances,
ses promesses, ses intentions, ses désirs…
La métacognition s’intéresse à la manière dont l’apprenant perçoit sa manière de penser et
d’apprendre, et les évolutions qu’entraîne le fait d’en prendre conscience.
L’apprentissage coopératif et la résolution de problèmes : la recherche porte sur la manière dont
les enfants expliquent et révisent leurs croyances par le discours.
Selon lui, les théories intersubjectives cherchent à élaborer des théories psychologiques qui « soient
aussi utiles aux enfants pour organiser leur apprentissage et mener leur vie qu’aux adultes qui
travaillent avec eux. » (Bruner, 1996, p.85). Il met donc en évidence l’intersubjectivité comme
processus commun à l’éducation et à la formation, qui pourrait être étendu à la recherche. Edgar
Morin définit la multiréférentialité de la connaissance tout en faisant apparaître des dimensions
transpersonnelles et collectives : « Tout développement cognitif nécessite la conjonction de processus énergétiques, électriques,
chimiques, physiologiques, cérébraux, existentiels, psychologiques, culturels, linguistiques, logiques,
idéels, individuels, collectifs, personnels, trans-personnels et impersonnels qui s'engrènent les uns dans
les autres. [...] La connaissance est donc bien un phénomène multidimensionnel, dans le sens où elle est
de façon inséparable, à la fois, physique, biologique, cérébrale, mentale, psychologique, culturelle,
sociale. » (Morin, 1986, p.12)
La définition de l’apprentissage par Georges Chapouthier en 2004, citée au début du paragraphe sur
l’apprentissage, ouvre sur le processus d’accommodation tel que le définit Piaget, mais aussi sur des
savoir-faire, que l’on pourrait considérer comme des « techniques de vie ». Parmi celles-ci, Dewey
souhaite développer l’habitude de faire réfléchir de façon critique sur l’expérience vécue dans un
cadre de vie communautaire démocratique. La culture américaine, basée sur la compétition, ne met
en œuvre que très ponctuellement ses idées, qui sont cependant reprises par Bruner, dans le cadre de
la psychologie culturelle. La psychologie sociale, par l’intermédiaire de Lewin, ouvre une
deuxième porte sur une forme de recherche sur les apprentissages coopératifs aux USA. La
coopération est liée, à travers ces expériences, à une structuration rigide des rôles, et fonctionne
essentiellement avec une motivation extrinsèque. Le but recherché est la recherche d’une plus
grande efficience dans les apprentissages, sans aucune finalité sociale. L’expérience « Jigsaw »,
menée par Arons, Blaney, Stephan, Sikes et Snapp, en 1978 (Baudrit, 2005, p.32) a permis de sortir
de la compétition intergroupale, ou intragroupale, sous la forme de la coopération en puzzle ;
chaque membre du groupe était chargé d’une partie d’un travail, qu’il devait ensuite restituer aux
27
autres, en se les enseignant mutuellement, l’évaluation se faisant ensuite de manière individuelle, et
portant sur les apports de tous les membres du groupe. L’interdépendance obtenue était le fait d’une
volonté extérieure, et pas d’une libre adhésion. Elle repose sur un découpage des savoirs. Alain
Baudrit présente les conclusions de Brown et Campione (1995, p.25) sous la forme suivante : « Plus largement, ce type de fonctionnement peut être resitué dans le contexte d’une « communauté
d’apprenants » à l’intérieur de laquelle chaque membre est un « expert chargé de faire partager ses
connaissances. », (ibid, p.34)
Cette vision est commune au « Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs »,
sauf que dans ce cas, la réciprocité éducative repose sur un choix des personnes, et pas sur une
décision arbitraire.
3.4.4 Intérêt des apprentissages coopératifs pour les adultes en formation
Etienne Bourgeois aborde la question des apprentissages coopératifs avec des adultes en formation.
Ils supposent une interdépendance positive entre les participants. Ils excluent une supervision
directe du formateur et s’opposent aux apprentissages compétitifs. Ils requièrent un maximum
d’interactions entre les pairs. Ses travaux de recherche ont comparé les trois types de dispositifs et
ont montré de manière générale une plus grande efficacité des apprentissages coopératifs, mais sous
certaines conditions. Les interactions coopératives sont corrélées avec la performance, mais
seulement pour des tâches complexes demandant des opérations cognitives de haut niveau, comme
l’inférence inductive et déductive, la comparaison, la conceptualisation, l’évaluation, etc.
Par contre, des tâches plus simples comme l’application d’algorithmes, la restitution d’information,
montrent des taux de réussite égaux ou légèrement supérieurs pour les apprentissages individuels.
Une autre étude a fait apparaître, à travers un dispositif avec deux groupes engagés dans une tâche
coopérative complexe, que la performance de l’apprentissage est inférieure si les points de vue
opposés ne peuvent être confrontés et débattus à l’aide d’arguments et de contre-arguments.
Au niveau de la formation, il est donc essentiel de proposer le recours aux interactions coopératives
en les structurant, en favorisant la gestion constructive des conflits socio-cognitifs. Dès lors, même
dans les situations d'apprentissage coopératif, le rôle du formateur reste fondamental, à la fois pour
le choix des tâches proposées et la gestion des échanges dans l'exercice de cette tâche.
3.4.5 Du conflit socio-cognitif à la confrontation coopérative
Le sujet souhaitant se coordonner avec les autres, est amené à se décentrer lors du conflit entre
points de vue. Ce conflit produit une restructuration cognitive révélée par l’expérimentation. Les
dispositifs ont été mis en place avec des enfants, mais les conclusions sont tout à fait transposables
aux adultes. Dans la « cinquième discipline », Peter Senge met en évidence ce phénomène entre
chercheurs physiciens, de même qu’Aumont et Mesnier en 1992. Selon ces auteurs, l’hétérogénéité
du groupe présente des centrations différentes qui peuvent constituer des conditions privilégiées
d’apprentissage. L’accentuation des points de vue permet d’éviter de fuir sans que l’un des
protagonistes ait le sentiment d’être dominé. L’incompatibilité des réponses est beaucoup plus
difficile à ignorer que dans le cas des conflits interindividuels. Lorsque l’apprenant sort de la
situation conflictuelle par acceptation complaisante de la réponse de l’enseignant, il y a peu de
chance qu’il y ait apprentissage, au sens d’un réaménagement des conceptions (accommodation et
équilibration).
Etienne Bourgeois présente l’apprentissage comme résultante d’une nécessaire confrontation à
l’altérité : « L'apprentissage a ceci de paradoxal qu'il est un acte éminemment individuel, intime, mais qu'en même
temps, cet acte s'inscrit nécessairement dans une relation -ou plus précisément, une interaction à autrui.
Construire ou transformer des connaissances est un processus qui n'appartient en définitive qu'au sujet
apprenant mais ce processus ne peut se réaliser que dans la confrontation interactive à l'autre, au « non-
identique à soi ». (Bourgeois, 2004, p.302-303).
28
Pour lui, cette altérité peut surgir d’une émission de télévision, d’un CD ROM, d’un livre, de
l’observation d’une situation, de personnes. Si la perturbation produite conduit à un réaménagement
des structures cognitives, il y a apprentissage grâce à l’interaction cognitive. Si cette altérité surgit
de la rencontre de l’autre, d’une tâche coopérative, il y a une interaction sociale, et si elle suscite un
apprentissage, elle devient une interaction socio-cognitive.
Cette interaction socio-cognitive peut prendre la forme d’un conflit socio-cognitif. Si deux
personnes sont en désaccord sur un point donné, cela ne débouche pas toujours sur un
apprentissage. Trois possibilités existent :
- la régulation « socio-cognitive » du conflit socio-cognitif : La confrontation des points de vue des
partenaires les engage dans l’argumentation, ce qui les pousse à une transformation du point de vue
initial, soit dans le sens d’un ralliement au point de vue de l’autre, soit dans l’élaboration d’un point
de vue inédit, différent de celui des partenaires au départ de l’échange.
- la régulation relationnelle de type 1 : Les partenaires ne parviennent pas à trouver un terrain
d’entente mais il est mis fin à la discussion car la situation leur est désagréable ou pénible pour au
moins l’un des deux.
- la régulation relationnelle de type 2 : « l'un et l'autre des partenaires campent «cordialement » sur
leurs positions initiales respectives, manifestant extérieurement un accord tout en continuant à
exprimer des positions différentes et sans qu'il y ait réellement, « en interne », remise en question de
celles-ci. Les apparences extérieures de l'accord sont sauves mais chacun «n'en pense pas moins». »
(Bourgeois, 2004, p.306) C’est le « dialogue de sourds cordial » ; l’accord relationnel est préservé,
mais les positions des partenaires n’ont pas évolué, il n’y a pas eu apprentissage.
Cette régulation relationnelle est d’autant plus susceptible de se produire que la relation est
asymétrique, ce qui est le cas entre un élève et un professeur, un étudiant et un formateur, un salarié
et son supérieur hiérarchique, des personnes de statuts socio-culturels différents… La personne ne
position basse ne peut argumenter sa position, pour des raisons de différences de statut ; la
régulation relationnelle lui permet de rétablir la relation sans pour autant changer de point de vue.
La situation de formation présente en général cette asymétrie dans les relations. La mise en place
de pédagogies actives et coopératives pour les adultes est susceptible d’en corriger certains effets.
Le statut de parité ou de symétrie permet aux apprenants de modifier les conceptions en
profondeur : chacun argumente face au point de vue divergent de l’autre en tentant de justifier ses
propres arguments. Patrick Rayou décrit un conflit socio-cognitif dans une situation de co-
observation entre pairs : « Fabien suggère ainsi à Nadia de ne pas interroger un élève qui a réussi le devoir dont on fait la
correction : cela n'apporte ni à lui-même ni aux autres même si, grâce à cela, le cours avance
apparemment plus vite. Cette remarque donne lieu à une confrontation des points de vue qui dépasse généralement la complaisance sans pour autant aller jusqu’à l’affrontement. Le changement de regard
sur soi est facilité par la proximité entre pairs, les expériences communes, l'introduction du point de vue
des élèves. Il aide à proposer d'autres possibles, à accepter ou refuser la modification ou la conversion
suggérées. Mais il ne prémunit pas des possibles humiliations, des risques de préservation de la face et
de conservatisme. Il peut susciter des stratégies d'évitement, des dénis correspondant à ce qui s'observe
dans des situations de conseil pédagogique classique.» (Rayou, 2007, p.5)
Les stratégies d’évitement peuvent être réduites ou disparaître grâce à la confrontation coopérative :
le conflit socio-cognitif conduit à une confrontation de ses propres conceptions avec celles des
autres. Elle a donc un impact sur l’identité cognitive, mais également et surtout affective de la
personne. Elle génère donc une fragilité, un sentiment d’insécurité. Une trop forte déstabilisation
peut créer un blocage. La transformation se réalise s’il existe une confiance en soi et en l’autre
perçu comme facilitateur. André Giordan (1998) parle de l’importance d’être assuré par un
accompagnement. La confrontation au sein d’un groupe coopératif, et l’accompagnement assuré par
l’appreneur est donc essentiel au processus de l’apprendre.
La réorganisation cognitive chez l’apprenant peut ne pas se faire s’il s’agit seulement d’oppositions
verbales à propos de jugements. La régulation de l’apprentissage et la réorganisation cognitive ont
beaucoup plus de chances de s’effectuer si :
29
« … les acteurs du partage des tâches jouent un rôle déterminant sur les processus cognitifs, dans la
mesure où les acteurs du partage (du fait de l’enjeu social de ce dernier) quêtent les regards des
partenaires pour réguler leurs actes successifs et se trouvent en situation de modifier individuellement
leurs procédures de résolution. » (Aumont & Mesnier, p. 192)
Cela conduit à une auto-socio construction des savoirs (site du GFEN, 2010). Les erreurs des
apprenants peuvent être un des éléments des parcours didactiques, c’est-à-dire, toujours selon les
mêmes auteurs, en situation d’entreprendre et de chercher.
Chercher, parce que la co-élaboration permet des approches et des expérimentations pour cerner
une réalité initialement conçue de manière différente.
Entreprendre, quand il est nécessaire de coopérer de manière active, à partir d’une déstabilisation, et
lorsque le bénéfice des interactions paraît lié au contrôle mutuel des procédures.
La confrontation coopérative sous-entend une conception démocratique des interactions sociales et
cognitives, caractéristique de l’apprentissage coopératif. Elle peut produire un apprentissage situé
au sein d’une organisation apprenante.
3.4.6 L’apprentissage situé et l’organisation apprenante
Pour Peter Senge, l’apprentissage peut être collectif, et développer une forme d’intelligence fondée
sur l’intersubjectivité. Cet apprentissage collectif peut être situé dans des organisations apprenantes
ou des communautés d’apprentissage.
Pour Bruner, c’est l’apprendre et le penser qui sont des activités situées ; elles sont inscrites dans
une culture. « Ainsi, la culture, même si elle est elle-même un produit humain, façonne, en même temps qu'elle les rend possibles, les activités d'un esprit spécifiquement humain. Dans cette perspective, apprendre et
penser sont des activités toujours situées dans un cadre culturel, et elles dépendent toujours de
l'utilisation de ressources culturelles. Il n'est pas jusqu'aux variations individuelles dans la nature ou
l'usage de l'esprit qui ne puissent être attribuées aux diverses possibilités que proposent différents cadres
culturels, même si ce ne sont pas les seules variables du fonctionnement mental. » (Bruner, 1996, p.18)
L’apprentissage situé se fait dans l’intersubjectivité. Il y a un «choc des pensées » qui est à l’origine
de la réflexion comme processus dynamique d’intégration des points de vue. La centration serait à
l’origine du processus du « Faire œuvre » individuel (processus introspectif), alors que la
confrontation des points de vue, par la négociation de sens, serait à l’origine de la décentration. Elle
serait ainsi porteuse d’interaction sociale et de lien social fort. L’apprentissage est situé dans un
quotidien culturel, mais il peut être aussi situé comme étant celui qui se fait dans les communautés,
à l’opposé de l’apprentissage scolaire, en contexte, autour d’échanges ouverts sur des problèmes
communs concrets. Il est contextualisé au sein d’un domaine d’action, et lié aux buts à court et à
long terme des individus, à leurs raisons d’agir et aux sentiments qui leur sont associés.
Les apprentissages au sein d’un groupe coopératif en font une organisation apprenante. Ce
concept est utilisé dans des milieux professionnels et de recherche. Jeanne Mallet en distingue deux
sens :
- Le premier est lié à l’apprentissage individuel.
- Le deuxième établit un lien entre apprentissages individuels et apprentissage collectif, au sein d’un
système vivant ouvert et auto-éco-organisé, « système dans lequel les principes de dialogie, de récursivité et d’hologramme, chers à Edgar Morin,
pourront être retrouvés, ainsi que des phénomènes de nouvelles propriétés émergentes. » (Mallet, 1998)
Cette émergence née de l’intelligence collective peut être aperçue en filigrane dans les propos de
Freinet, en 1937, quand il considère que c’est de la confrontation que surgiront les orientations à
proposer aux éducateurs et aux pouvoirs publics.
Michel Liu a écrit en 2003 un article sur « La recherche-action et la constitution des acteurs
sociaux ». Pour lui, toute recherche-action débouche sur l’émergence de personnes ou de collectifs
qui deviennent des acteurs sociaux, alors qu’ils ne l’étaient pas au départ. Le projet de recherche-
action repose sur une volonté de transformation sociale, et sur l’élaboration de connaissances (voir
plus loin le paragraphe sur la recherche-action). Ce processus s’effectue car la recherche-action
développe petit à petit des compétences en termes d’existence et d’action sociale. Pour créer ces
30
transformations, il est nécessaire d’inciter à faire des apprentissages en créant des situations
permettant d’articuler l’individu et le groupe.
L’évolution produite par cette création de situations d’apprentissage en vue du changement a été
analysée par M. Liu, sous la forme d’une série de 5 étapes : à la 4ème
étape, les groupes qui
coopèrent constituent une organisation apprenante. La dernière étape confère le statut d’auteur au
sein de groupes, créations dans la construction d’une organisation multiculturelle.
L’intelligence collective est une des caractéristiques de cette construction.
3.4.7 L’intelligence collective
Peter Senge aborde ce concept sans réellement le nommer en 1991, dans « La cinquième
discipline ». Il est présenté dans deux livres publiés à peu près au même moment, en 1994, mais
abordant la question sous deux angles différents. Le premier est celui de Bonabeau et Théraulaz, qui
définissent l’intelligence collective comme la capacité d’un groupe à résoudre collectivement un
problème, ce dont un agent isolé ne serait pas capable. Ils fixent quatre propriétés émergeant des
interactions entre individus et permettant de dépasser par exemple les faibles capacités cognitives
des insectes. Dans le livre de Bonabeau et Théraulaz, la notion d’intelligence collective est
volontairement restreinte à des agents ou des systèmes d’intelligence artificielle distribuée,
systèmes multi-agents. Elle émergerait des interactions entre individus. Partant de l’exécution de
tâches réputées complexes, ils s’intéressent aux actions, modes de communication, de coopération
et de compétition mises en œuvre par les membres de groupes. Ils déterminent que l’intelligence
manifestée dans ces situations émerge des interactions des « agents ».
Pierre Lévy utilise aussi le concept d’intelligence distribuée, mais semble dépasser l’idée d’agent
pour aller vers les acteurs ou auteurs de ces phénomènes. Il s’intéresse au monde des relations
humaines et à l’aspect coopératif. « Chaque être humain est, pour les autres, une source de connaissances. « Tu as d’autant plus à
m’apprendre que tu m’es étranger. » L’intelligence collective n’est donc pas la fusion des intelligences
individuelles dans une sorte de magma communautaire mais, au contraire, la mise en valeur et la relance
mutuelle des singularités. Actuellement, non seulement les structures sociales organisent souvent
l’ignorance sur les capacités des individus, mais elles bloquent les synergies transversales entre projets,
ressources et compétences, elles inhibent les coopérations. Pourtant, la multiplication des intelligences
les unes par les autres est la clef du succès économique, à l’échelle aussi bien des régions que des
entreprises. Ce serait également une des voies du renouveau de la démocratie.» (Lévy, 1995)
Lévy associe donc coopération, intelligence collective et démocratie. Olfa Zaïbet, ATER à
l’université de Nice Sophia Antipolis, travaillant à l’Institut d’Administration des Entreprises, a
publié sur Internet un article, « Collaboration dans l’entreprise et intelligence collective ». Elle
donne la définition suivante de l’intelligence collective, en page 15 :
« Ensemble des capacités de compréhension, de réflexion, de décision et d’action d’un collectif de
travail à taille humaine issu de l’interaction entre ses membres et mis en œuvre pour faire face à une
situation donnée présente ou à venir. » (Zaïbet, 2006, p.15)
Selon elle, pour parvenir à une capacité à innover en même temps qu’à une réflexivité dans la
formation, dans la recherche, ou dans tout groupe, une des voies possibles pourrait être le
fonctionnement suivant :
- s’autoriser à présenter son travail, à recevoir des retours des autres, sachant que le groupe
s’implique dans la recherche de la dysfonction, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif,
sans normativité, sans contrôle de conformité,
- après avoir pointé des aspects positifs et négatifs, dégager des pistes constituant des points
d’appui permettant de surmonter la difficulté, dans une mise en œuvre de l’intelligence collective,
pour éventuellement atteindre un objectif commun, construire une œuvre commune.
Les critères de construction d’une dynamique de confiance et de coopération, ainsi que les
indicateurs de l’intelligence collective, permettraient de suivre l’évolution du groupe. Des allers-
retours entre théorie et pratique dans l’expérience vécue pourraient être des éléments transférables
dans d’autres contextes.
Cette intelligence collective peut fonctionner dans le cadre d’une communauté d’apprentissage.
31
3.4.8 La communauté d’apprentissage
Mélanie Bos-Ciussi s’est intéressée à ce concept dans le cadre de sa thèse, en 2007. Pour Wenger,
en 1998, des processus d’apprentissages situés et de construction identitaire se réalisent à l’intérieur
de communautés. Le niveau d’engagement amène de la notion du groupe à celle de la communauté.
Cet engagement peut donc ici être déterminé en fonction de la force du lien. La transformation d’un
réseau ou d’un groupe en communauté passe par la construction d’une culture commune. Cela se
fait d’autant mieux que le groupe devient coopératif, c'est-à-dire capable de mener de pair des
projets individuels et un projet collectif, portés par l’envie de s’accomplir dans une ou plusieurs
œuvres, et dans une co-élaboration de normes et de sens.
Cette création comporte une dimension d’originalité. L’œuvre, dans la vision de Meyerson,
considéré comme un psychologue culturel important par Bruner, rejoint ici la notion de travail. « Ce qui se traduit dans les notions de travail, d’expérience, d’œuvre, c’est donc la participation de
l’homme au milieu physique et social, avec tout ce que cette participation implique d’actions
réciproques, et la construction par lui d’un monde, de mondes humains, mondes médiats : sa création.
(Meyerson, 1987, p.70) »
La coopération suppose le travail sur une œuvre commune. S’appuyant sur la définition précédente,
la notion de « Faire œuvre » peut être entendue comme la puissance de création propre à
l’individu. Cela correspond à ce que Nicolas Go appelle « Puissance de vie », proche de la notion
d’élan vital de Bergson (1941). Faire œuvre s’appuie sur les apprentissages individuels et sociaux;
ils mettent en jeu et en tension les notions d’autoformation, ou autoréférence, hétéroformation et
coformation, notions incluses dans l’hétéroréférence.
3.4.9 Les courants de la pédagogie coopérative
L’Office Central de la Coopération à l’Ecole (OCCE) promeut les pratiques de pédagogie
coopérative, dont l’institution de base est la classe coopérative.
La coopération est inscrite délibérément dans l’intitulé de l’Institut Coopératif de l’Ecole
Moderne, pour qui elle correspond à un projet éducatif librement choisi. Le point de vue de Freinet
concernant la coopération comporte plusieurs aspects : il se distingue d’une conception purement
économique de coopérative de production, mais aussi de la conception du travail en groupe de
Cousinet ; « précisément, c'est la transformation du groupe en une coopérative de production
scolaire (production mentale et production matérielle) qui fait l'originalité du travail libre par
groupe tel que Freinet le conçoit, c'est-à-dire du travail coopératif aboutissant à la production
d’outils et à un système d’échanges. » (Launay, 1977, p.23). La coopération est pour lui un véritable
projet de transformation du système éducatif : « La coopération et nos techniques ne sont en
définitive que deux branches indissolubles d’un même problème qui est la modernisation et
l’efficience de l’Ecole du peuple ». (Freinet F cité par Freinet E., 1977, p.19). Mais elle constitue
aussi un fondement des apprentissages, en apportant une motivation intrinsèque, en même temps
qu’une organisation du travail : « Cela à tous les niveaux de l’action éducative ; un moyen spontané
de donner vie et élan à l’enseignement, certes, mais plus encore à la vie profonde de la
communauté enfantine et adulte qu’est l’école. La coopération dans les classes Freinet prend tous
les aspects de la pédagogie Freinet, de l’expression libre au plan de travail, de la correspondance
aux enquêtes sur le milieu, du chef d’œuvre individuel devenu collectif à l’autogestion de la
classe. » Une spécificité très forte de Freinet est le lien très fort entre travail et coopération. La
classe coopérative et l’éducation du travail apportent selon lui des clés pour l’épanouissement
individuel et social,: «…mais ce sera dans la mesure où aura triomphé la conception moderne de la
vie et du travail, tout entière fondée sur la Coopération. » (Freinet, 1946, p.22).
La pédagogie institutionnelle, tendance issue de Fernand Oury, utilisant le cadre psychanalytique,
se sépare du mouvement Freinet entre 1962 et 1965. En s’inspirant de Makarenko, Lewin, Freud,
Freinet, le GET propose « l'analyse du milieu éducatif », comportant « trois dimensions au moins
:
32
-Matérialiste: le matériel, les techniques, le type d'organisation, déterminent les activités, les
situations, les relations.
-Sociologiques et psycho-sociologiques : la classe, groupe et ensemble de groupes, fait partie
d'autres ensembles.
-Psychanalytique: reconnu ou nié, l'inconscient est dans la classe et parle. » (Oury, 1972)
Les concepts de base en sont les suivants :
« -Un ensemble de techniques, d'organisations, de méthodes de travail, d'institutions internes, nées
de la praxis des classes actives, qui place les enfants et les adultes dans des situations nouvelles et
variées qui requièrent de chacun engagement personnel, initiative, action, continuité...
Ces situations souvent anxiogènes -travail réel, limitation de temps et de pouvoir -débouchent
naturellement sur des conflits qui, non résolus, interdisent à la fois l'activité commune et le
développement affectif et intellectuel des participants.
-De là cette nécessité d'utiliser, outre des outils matériels et des techniques pédagogiques, des outils
conceptuels et des institutions sociales internes capables de résoudre ces conflits par la facilitation
permanente des échanges matériels, affectifs et verbaux. »
Les changements techniques, les relations interindividuelles et de groupe à des niveaux conscients
et inconscients, la structuration du milieu, créent des situations qui, grâce à des institutions variées
et variables, favorisent la communication et les échanges... » (Oury, 1972, p.103).
Ces bases relationnelles peuvent être réinvesties dans la coopération entre adultes, dans une
situation d’enseignement aussi bien que de recherche, et donc, à fortiori, de recherche-action
coopérative.
- L’auto-gestion pédagogique : Elle est plus inspirée de théories sociales et politiques, et par
Rogers. « Lobrot, Lapassade, Lourau, Fonvieille ont participé à cette tendance de la
pédagogie institutionnelle pour laquelle l'important est de tendre vers une autogestion de
tout ce qui peut être autogéré dans la classe. » (Authier, Hess, 1981). C’est dans ce courant
qu’est née la socianalyse.
Ces pratiques d’interventions institutionnelles pourraient donc être utilisées aussi bien dans des
groupes coopératifs d’enfants, que dans des groupes d’adultes en formation ou dans le cadre de
recherches-actions.
Sylvain Connac, docteur en sciences de l’Education, pratique la pédagogie Institutionnelle,
tendance Oury, au sein du mouvement de l’Ecole Moderne (ICEM), ainsi que les discussions à
visée philosophique. Il vient de publier aux éditions ESF un livre appelé « Apprendre par les
pédagogies coopératives. ». Dans le cadre d’une interview donnée au café pédagogique, il définit la
différence entre pédagogie active et pédagogie coopérative de la manière suivante :
« Qui dit méthode active ne dit pas nécessairement pédagogie coopérative. D’abord parce qu’on
n’aborde pas une méthode valable pour un enseignement précis. Il s’agit plutôt d’un espace organisé et
enrichi de telle manière que les élèves soient au minimum en situation d’ennui et d’inactivité. Il est très
difficile de prévoir ce qu’ils vont en faire, tant le principe est de s’appuyer sur le caractère complexe et
aléatoire du vivant.
Ensuite parce que ce qui demeure au centre de ces approches est la permission quasi permanente de
travailler à plusieurs, de demander de l’aide ou de la proposer. Les pédagogies actives, bien que
développant la plupart du temps de l’interaction entre l’enfant et son milieu, se contentent de cette
activité pour accroître la portée pédagogique du projet. Les pédagogies coopératives développent en
plus l’idée que c’est en enseignant que l’on apprend le mieux, en grande partie parce qu’on est alors en
position de mobilisation de ses propres connaissances. S’engage alors le processus d’adaptation à un contexte de transfert, ce qui ancre davantage la connaissance (ou la compétence), et qui a notamment
pour impact d’en renforcer le caractère durable. En plus de permettre aux élèves d’agir, les pédagogies
coopératives les invitent à faire acte d’enseignement. »
Il faut ajouter à cela la dimension de lien social, de dynamique créative dans la conception et la
réalisation de projets coopératifs, qui dépasse la notion d’entraide.
33
4. Pédagogie coopérative pour les adultes
Charles Gide crée en 1921 la « Revue des Etudes Coopératives », et il fonde en 1930 la première
association de recherche coopérative française d'importance propre aux chercheurs d'économie
sociale : l'Institut international d'études coopératives (IIEC), qui s'adresse aux chercheurs et
enseignants « qui auront publié au moins un livre sur la coopération ou donné un
enseignement régulier dans une université ou des écoles spéciales 4
». C. Gide donnait à cet
institut la mission de « constituer une philosophie de la coopération5 ».
Henri Desroche s’appuie sur Gide, Profit, Owen, Fourier, Freinet, pour constituer une pédagogie
coopérative pour les adultes.
Desroche et les collèges coopératifs
Henri Desroche met en place dans les collèges coopératifs, une méthodologie en partie inspirée de
la pédagogie Freinet, reposant sur l’utilisation de la recherche-action (les différentes acceptions du
terme seront décrites plus loin), intégrée à une forme « d’auto-formation assistée ». Il décrit son
projet de la manière suivante : « (…)La méthodologie de cette opération s'apparente à celle des
pédagogies Freinet (telles qu'elles ont été testées pour les enfants du primaire ou du secondaire),
mais en les réinterprétant et en les projetant pour un cercle d'adultes sollicités pour un parcours
pédagogique au niveau de l'enseignement supérieur ou/et de la recherche (en fait, diplôme
E.H.E.S.S., maîtrises professionnelles, D.E.S.S. ou D.E.A., voire thèses du 3ème cycle). »
(Desroches, 1978)
4.1 Les objectifs de la pédagogie coopérative (Parodi M et Penven A.)
La pédagogie coopérative permet d'atteindre les objectifs suivants :
a- Diversifier les situations pédagogiques - auto-formation, co-formation, hétéro-formation, éco-
formation (1) -, créer une pluralité d'opportunités formatives,
b- Maximiser les apprentissages en assurant la participation de tous les étudiants (recherche
d'efficacité, démarche d'implication),
c- Développer les compétences (2) coopératives : communication, mutualisation, co-production, co-
apprentissage,
d- Renforcer les logiques collectives d'entraide et de solidarité et modérer les logiques
individualistes,
e- Offrir des temps de régulation.
Principes coopératifs Transposition aux principes pédagogiques
1. Libre adhésion
(ou libre entrée, libre sortie).
L’entrée dans un cursus de formation ne peut être que le
résultat
d’une libre démarche de « l’apprenant » qui renvoie à ses
motivations
et à son projet personnel.
« Liberté pour apprendre » de Carl ROGERS.
2. Gestion démocratique
(un homme, une voix)
Dès lors que l’apprenant est reconnu comme un sujet (et
non comme un objet) et comme l’acteur principal de sa
formation dans une interdépendance active avec ses pairs
(les autres apprenants de son groupe), on doit admettre
que le « groupe-classe » doit être gouverné et régulé démocratiquement. Ce principe renvoie donc aux droits et
devoirs des apprenants individuels et à la responsabilité
4 C. Gide, Lettre circulaire du 30 décembre 1930, cité par H. Desroche,
(5) C. Gide, « La création d'un Institut international d'études coopératives », in Revue des études coopératives, 1931,
p. 9.
34
collective du groupe.
La coopération à l’école, Célestin FREINET.
ICEM Institut coopératif de l'école moderne
http://www.icem-pedagogie-freinet.org/
OCCE Office central de la coopération à l'école
www.occe.net
Pédagogie de l'opprimé, Paolo Freire www.infed.org 3. Principe de lucrativité limitée (coopératives) ou de
non lucrativité (mutuelles, associations) ou
Finalité de service aux membres ou à la collectivité
plutôt que de profit.
Sans exclure le bénéfice personnel que l’apprenant pourra
retirer de sa formation (en terme de qualification, de
professionnalité et de promotion), le profit escompté
(attendu) d’un dispositif de formation des entrepreneurs
sociaux est avant tout l’enrichissement collectif du
groupe d’apprenants et aussi de leurs entreprises sociales
elles-mêmes.
Le profit retiré de la formation est donc à la fois
« partageable » entre les membres individuels du groupe
et « non partageable » au niveau des entreprises sociales
et du capital social du réseau. La formation n'est pas un produit mais un processus individuel et collectif
d'acquisition de connaissances, de développement de
capacités dans une perspective de transformation.
4. Principe d’inter-coopération _ « Les « équitables pionniers de
ROCHEDALE ».
Ce principe trouve aisément son application dans les
échanges intergroupes
du réseau UCE. C. FREINET l’avait appliqué aux correspondances interclasses (au niveau national et
international).
_ Co-éducation (co-éducation entre les classes
sociales et entre les sexes) : concept développé
par Francisco Ferrer
(www://perso.wanadoo.fr/ihpl/ferrer.htm),
pédagogue et anarchiste espagnol fondateur de
l'école moderne en Espagne
5. L’éducation coopérative des membres (adhérents)
_ « Les équitables pionniers de ROCHEDALE ».
L’ambition du projet UCE va au-delà d’un objectif de
formation professionnelle des entrepreneurs sociaux. Par
la confrontation des pratiques aux valeurs, principes et
règles de l’économie sociale, on s’engage bien dans un
projet éducatif qui vise les managers et, à terme aussi, les
« dirigeants » élus et les adhérents.
4.2 Les pouvoirs de l’éducateur ou pour une éducation coopérative
Jean Roucaute a soutenu une thèse en 1981 sur les pouvoirs de l’éducateur, pour une éducation
coopérative, à l’université de Grenoble. « Nous avons dit qu’éduquer, c’est créer des situations propres à favoriser l’acquisition de pouvoirs par
des sujets. Pour être éducateur, il est donc utile de reconnaître ces pouvoirs pour en rechercher les
conditions d’acquisition. Autrement dit, il est bon de pratiquer, ne serait-ce qu’en novice, ces pouvoirs
avant d’y initier d’autres sujets.
La formation des éducateurs présente donc deux volets : d’une part, l’esquisse d’une éducation
fondamentale, d’une culture générale, et la recherche des méthodes pour en faciliter l’accès à ceux qui
ont généralement reçu une autre formation ; d’autre part, la définition des conditions d’acquisition des pouvoirs spécifiques nécessaires pour créer des situations éducatives ; ces deux orientations étant
d’ailleurs structurellement imbriquées comme nous le verrons. »
35
Formation et éducation coopératives : Compétences à atteindre
Schéma réalisé par Florence Saint-Luc à partir de la conclusion de la thèse de Jean Roucaute
« Les pouvoirs de l’éducateur Pour une éducation coopérative » (1981)
Formation
et éducation
coopératives
Pouvoir être soi-même
Pouvoir
raisonner
Pouvoir
s’engager
socialement
Pouvoir
se conduire
coopérativement
Pouvoir
distinguer
fins et moyens
La pédagogie coopérative en éducation et formation développe des compétences liées à des
attentes correspondant aux compétences 6 et 7 du socle actuel de compétences. Le tâtonnement
expérimental apporte la réflexivité et la créativité, à partir de la confrontation au réel. L’apprendre
est fondé sur deux aspects essentiels dans un monde en constant changement : chercher et
entreprendre.
La confrontation coopérative aux autres développe l’esprit critique. Le conflit socio-cognitif est
un facteur déterminant pour l’apprentissage. Les phénomènes d’intelligence collective génèrent des
formes émergentes facilitant la pensée divergente et la création. (Saint-Luc, 2011) L’articulation de
ces principes développe des compétences définies par l’OCDE par rapport aux attentes du monde
économique, mais avec une vision humaniste, appelant à une forme d’éducation émancipatrice
préservant le lien social : une forme possible de mise en œuvre des « sept savoirs nécessaires pour
l’éducation du futur » ?
5. Conclusion Il semble nécessaire de réaliser une synthèse de l’ensemble de ces considérations sous la forme de
deux modélisations.
Au niveau éducatif, il est souhaitable de faire apparaître certains points communs aux pédagogies
différenciées et aux pédagogies coopératives, sous la forme d’une modélisation.
36
6. Bibliographie :
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Mathématiques au collège. Lyon : CRDP.
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Moderne, juillet 2003
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Pourquoi ? Comment ?, Paris, L’Harmattan
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