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  • AUTANT EN EMPORTELE TORRENT

    Dans la boîte où je bosse, on ne choisit pas sa sonnerie de téléphone. Avant, les tests psychotech-niques des sous-traitants en ressources humaines vérifiaient si votre tempérament collait à celui de l’entreprise. Aujourd’hui c’est la personnalité de la firme qui est sans cesse modifiée en fonction des utilisateurs, ce mot vide qui fédère mollement ex-clients, employés, consommateurs, cadres et managers. Voilà pour l’aplatissement lexical e-voté il y a six mois à 32% par les petits investisseurs de IGV.com. International Global Village, mon employeur.

    Crôa crôa, tchiiiitchiiip. Crôa crôa, tchiiiitchiiip.

    L’ajustement constant aux utilisateurs, c’est le credo du marketing social et citoyen auquel ma boite adhère de manière très concrète : à 65 décibels, au doux son de croassements et pépiements dénaturés. C’est bien parce que cette sonnerie a été téléchargée 65 402 fois la semaine dernière que l’entreprise l’a uploadée sans prévenir sur les portables de tous les employés, pardon, « utilisateurs opérateurs ». Et ça n’arrête pas : les messages qui déferlent, signalés par ce concert animal free-jazz, sont du même ordre:

    « Ton statut a changé. Qu’est-ce qui se passe ? »

    Un seul œil ouvert, j’essaie de me connecter à mon compte IGV pour vérifier mon statut social. Sur l’écran de mon iPhone, un austère message bleu sur fond blanc m’annonce « Erreur. L’utilisateur n’existe pas». Mon second œil s’ouvre. J’appuie frénétiquement du doigt sur l’écran tactile qui finit par me demander de prouver que je suis un humain : je dois suivre le contour d’un genre de test de Rorschach (aujourd’hui en forme de tête de clown) tout en récitant le poème de Verlaine qui défile en arrière-fond. J’accède enfin aux paramètres de mon profil, pour constater que l’indice de mon statut social a en effet dramatiquement baissé. Pourtant, aucun des paramètres réels sur lesquels il est calculé n’a bougé : nombre de contacts enregistrés, types de produits commandés, services rendus à la communauté…

    Pas de panique, il doit y avoir un bug. C’est pas que je sois inquiet, mais il faut que je trouve une solution. Un statut aussi éloigné du score médian signifie, en gros, que j’ai été viré. Je suis tenté d’appeler mon supérieur direct mais, d’une part, il est 6h du matin, d’autre part, tout mon réseau professionnel a été automatiquement supprimé du répertoire. Une visite au syndicat de modé-ration s’impose.

    Le véritable drame de la situation, c’est que mon abonnement gold aux Transports Personnalisés vient d’être bloqué. En fait, tous mes abonnements le sont : mobilité, musique, shopping, télévision. Me voilà revenu à l’offre par défaut, gratuite, celle – horreur - proposée par le service public, ce qui équivaut à goûter à tout sans en profiter. Je fouille un peu pour me familiariser avec l’interface des transports en commun: connexion au Doodle qui super-vise les horaires collaboratifs en temps réel. Si un minimum de six personnes demandent que le bus passe dans le quartier dans le quart d’heure qui vient, il y a des chances pour qu’il arrive juste en bas de chez moi. Avec à peine trois connexions ce matin, c’est raté. L’arrêt collectif le plus proche est à des plombes, va falloir marcher. Comme prévu, ma base de données musicale – celle qui est conçue pour coller très précisément à mes goûts, même ceux que j’ignore encore – est inaccessible. Reste le top 100 suédois, « écouté par 125 526 personnes en ce moment ». Au bout de trois titres, j’éprouve finalement une certaine reconnaissance envers l’offre gratuite : chaque chanson est automatiquement coupée après une minute.

    CRÔA CRÔA, TCHIIIITCHIIIP. CRÔA CRÔA, TCHIIIITCHIIIP

    PAR GRÉGORY MEURANT& ELEA VON PICNIC

    THEN CAME THE LAST DAYS

    OF MAYL’AMOUR

    ET UNE PARTIE À TROISPAR PIERRE MIKAÏLOFF

    Puis, avec les derniers jours de mai, vint Catherine.

    Je l’avais beaucoup regardée au cours de l’hiver, la prenant pour un garçon. Si c’était une fille, me di-

    sais-je, elle serait la girlfriend parfaite. Fine comme Keith Richards, sombre comme Johnny Thunders,

    écorchée et craintive comme… Peu importe comme qui finalement. Elle traînait alors avec un fils de

    bonne famille qui jouait du jazz chaque vendredi, sous l’égide d’un prof de lettres vaguement beat.

    Je pensais donc qu’il s’agissait d’un couple de garçons. De toute façon, il avait l’air beaucoup moins

    dangereux qu’elle avec son Burberry’s. Et puis, ils n’ont plus traîné ensemble. Enfin, elle, je ne l’ai plus

    trop vue. Dans un lycée qui compte un gros millier d’élèves, il arrive de ne pas croiser pas certains

    visages pendant plusieurs semaines. Un jour que j’étais assis dans le grand hall à côté

    du réfectoire, elle avait fait sa réapparition. Pas de doute, c’était bien ma direction qu’elle prenait. Elle

    fonçait droit sur moi. Avant que j’ai pu réalisé ce qui m’arrivait, elle était en train de me parler. Putain, oui, elle me parlait ! Sa voix était incroyablement

    douce en me demandant cette cigarette que je n’avais pas. Je ne me doutais pas qu’une fille pouvait

    avoir cette voix. Ou plutôt : c’est ainsi que les filles parlaient dans mes rêves les plus fous, mais je ne savais pas que ça existait dans la réalité. Comme

    je n’avais pas de cigarettes, que je ne trouvais rien à dire de plus qu’un stupide « Désolé, je n’en ai

    pas… » et qu’elle semblait avoir épuisé ses réserves d’audace, elle avait disparu.

    Dès lors, bizarrement, on a plus cessé de se croiser. Et plus besoin de prétextes idiots pour se parler.

    On restait simplement ensemble, à se regarder, à deviser et à oublier de manger. Ce genre de choses.

    Fatalement, on avait évoqué le « guitariste de jazz ». D’un mot, elle l’avait taillé en pièce : « Ce puceau, il n’était bon qu’à mal jouer du jazz. Incapable de

    te sortir un riff saignant ! » Catherine était bien la femme de ma vie.

    Il lui arrivait aussi de jouer à un jeu bien particulier quand elle prenait le bus avec moi. Un jour, par un chaud début d’après-midi, alors que nous retournions au lycée et qu’elle chantonnait Then came the last days of may, du Blue Öster Cult, elle avait remarqué que le chauffeur ressemblait à Eric Bloom. C’était un peu vrai, chevelure frisée assez longue et Ray Ban fumées… Elle m’avait dit : « Comme c’est facile ! Je suis en train de fixer ce connard à travers son rétroviseur depuis cinq bonnes minutes. Au début il n’a rien remarqué, mais depuis qu’il a saisi mon regard, il ne surveille plus la route que par intermittence, je suis sûre que si je continue, il va finir par envoyer son bus et ses quarante passagers dans le décor. Amusant, non ? »

    On ne se quittait plus. Catherine était très fière de l’influence néfaste qu’elle prétendait avWir sur moi. Elle jubilait tandis que ma Telecaster restait désespérément dans son étui. Elle me provoquait en prédisant que bientôt je serais incapable d’aligner trois notes sur une guitare. Et elle avait raison, je ne pratiquais plus. Je commençais à m’en inquiéter. Elle savourait sa victoire sans modestie aucune, j’étais sur le point de devenir sa chose et je n’avais pas assez de volonté pour l’éviter. De temps en temps, je m’éner-vais, je la foutais dehors en lui disant : « Il faut que je joue maintenant ! » Et cela me faisait terriblement mal de la voir partir. Nos jeux n’étaient pas si drôles que ça, tout compte fait.Un après-midi, on avait été chez elle. Son père était un ancien contrebassiste devenu énorme et alcoolique. Son instrument était appuyé contre un mur dans le petit vestibule de leur appartement. Il ne devait plus en jouer beaucoup. Il avait d’autres occupations : vider des litres de mauvais vin et traiter sa fille de salope. On s’était assis autour de la table pour partager son déjeuner et il devisait aimablement avec moi, me parlant de Gainsbourg qu’il avait accompagné jadis, etc. Ca se passait pas si mal. Jusqu’au moment où il était entré dans une fureur incontrôlable. Et toute sa rage était dirigée

    s’est déroulé un jour dont j’ai oublié le nom et la date. Un matin. J’ai été réveillé par l’urgence. Ma mère me secouait comme la fois où un voisin s’était fait sauter avec le gaz. Il était barbu et brun dans mes souvenirs. Il vivait quelques étages plus haut, je crois, un peu plus sur la droite de la barre. Cette nuit-là, nous avions cru qu’un avion s’était écrasé sur notre cité en briques rouges. A cause de la puissance de la détonation. Ce ne pouvait être que cela. Je crois que sa femme l’avait quitté. Tous les habitants étaient sortis en pyjama dehors. Ils attendaient au pied des immeubles et regardaient les flammes aux fenêtres. Cette fois-ci, ce fut une explosion silencieuse. Elle eut lieu dans la tête dans mon père. C’était un matin. Cela avait dû réveiller ma mère. Cette année-là, je dormais encore dans le canapé-lit du salon, je n’avais toujours pas de chambre. Nous vivions au sixième étage d’un immeuble avec vue sur l’A4. Et plus loin, sur la Seine et de l’autre côté, Ivry. Ce qui avait explosé en mon père l’avait rendu gogol, il bavait je crois. Mes souvenirs sont imprécis sauf la puissance du sentiment de panique. L’inéluctable a le visage de l’évidence. Il a cette façon de vous remplir toutes les veines et conduits d’un même liquide primordial. Mon père ne pouvait pas parler, il était allongé dans le lit comme pétrifié. Avec un rictus indéchiffrable sur le visage. Puis, pendant qu’une ambulance devait se précipiter vers notre cité en briques rouges, il est peu à peu revenu à lui. Il m’a parlé. Très difficilement. D’abord, je ne le compris pas. Comme s’il bégayait. Je devais énormément pleurer ou être figé par la terreur. Il n’a prononcé qu’une seule phrase intelligible, je crois. Des choses qu’on dit quand on sait que l’on va mourir dans quelques instants. Et qu’on ne répète pas, plus de vingt-cinq ans après, même quand on décrit la scène en question pour une revue. Je ne me souviens pas de l’arrivée des secours. Je ne revois qu’une seule autre chose : moi en train de courir en bas de la cité en briques rouges, passant devant les ateliers, pleurant et tentant sans doute pour la première fois de m’adresser à la personne qui plane au-dessus de toutes les cités, moi qui, déjà, ne croyais pas en son existence, je lui adressai une prière, pour que cette personne, même si elle n’existait pas, sauvât mon père. Je courrais vers une autre cité en briques rouges, située en contrebas, plus près de l’autoroute, celle où vivait ma grand-mère. La mère de mon père. Ma mère à moi m’avait laissé seul la rejoindre.

    Signe que c’était bien la fin.

    Quelques jours plus tard, les médecins trouvèrent dans la tête de mon père un autre vaisseau prêt à exploser. Différent de celui qui nous avait réveillés ce matin-là. Le premier avait servi de sentinelle violente, le second conclurait l’affaire. Pour empêcher la prochaine détonation, ils trépanèrent mon père. Dans l’immense hôpital de la Pitié-Salpétrière près de la gare d’Austerlitz. Prendre ce petit vaisseau et l’entourer d’un clip protecteur. Je crois que le chirurgien s’appelait le Dr Philippon, à moins que ce fut le professeur de neurologie. Un mot nouveau pour moi. Après, mon père dût subir des artériographies, un examen qui consiste à envoyer de l’iode dans les vaisseaux du cou et du cerveau pour mieux les radiographier. Un peu comme quand le Professeur, Dr Cornelius et Carol Hines, font couler de l’adamantium dans les os de Logan pour en faire Wolverine dans « l’Arme X », la bande-dessinée de Barry Windsor-Smith.

    C’est du moinsce dont je me souviens.

    Mon père devait avoir à peu près mon âge quand cela s’est rompu en lui. Je le revis plus tard dans le jardin du Luxembourg près d’une statue. Il portait un bonnet. Et dessous, il avait la tête rasée, sa boîte crânienne était bosselée, creusée et parcourued’une longue cicatrice. Certains disent que ce genre de détonation est héréditaire. Ainsi, il y a peut-être un autre vaisseau qui bat la chamade là-hautdans ma tête.

    Si tant est qu’il y soit et qu’il s’apprête à me faire hara-kiri, il n’aura pas réussi à empêcher que je parle ici pour la première fois de la première rupture de ma vie.

    MY OWN PRIVATE SEPTEMBER THE 11THRÉCIT D’UN VAISSEAU ROUGE ÉCARLATE

    PAR ARNAUD SAGNARD

    L’événement

    SOMMAIRE

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    On dit que beaucoup d’enfants ont été conçus pendant la grande coupure d’électricité de 2012, quand la lumière n’est vraiment revenue qu’au bout de deux semaines. C’est en tout cas vrai pour Krystal, ma fille, qu’on a conçue avec sa mère la dernière nuit de la panne. À l’époque on vivait encore près de chez mes parents, à Soubazac dans le Gers, dans une petite ferme retapée où c’était tout le temps le squat avec la Play, la Wii et Warcraft. Caroline avait fini son école de coiffure et commençait à bosser comme stagiaire dans un salon. Moi je vendais des fringues sur les marchés avec mon oncle, et surtout je faisais pousser de la ganja. Krystal est née dans les odeurs de beu, pas qu’on l’ait voulue, mais Caro avait oublié de prendre la pilule. Après il y a eu l’hiver — j’ai finalement passé le niveau 800 de la Guilde de Paladins et j’ai pu accéder au Monde suivant.

    Quand l’autoroute à Très Haut Débit est passée par Soubazac, on a pas tardé à rouler double et à permuter vers Los Angeles Californie, dans le luxe et la décadence, à foutre le ouaille à Beverly Hills et Wisteria Lane sur des grooves gangsta métal. On a eu les premières playlists de mix intelligent, avec le truc cognitif, karaoké à la demande — on a eu les Mondes tamagotchi japonais, directement jouables sur téléphone — Supermario les courses de kart intégrées sur Facebook dans les forums de jeux sur Windows Live — c’était incroyable. J’ai regardé toutes les premières séries interactives avec Caro, même celles de romance à deux balles - c’était hallucinant la façon dont on avait vraiment l’impression que les gens du film te parlaient à toi.

    Et quand on a tapé la discute avec Michel Drucker en 4D dans l’émission après sa mort, et qu’on l’a fait bugger à force de dire des conneries, je te dis pas la barre de rire.

    Je sais pas trop comment c’est arrivé, mais à un moment mon oncle est mort et on s’est retrouvés dans la merde. Caro faisait du mi-temps pour pas trop lâcher la petite, et quelques coupes à domicile, mais ça suffisait pas pour tout payer, la bouffe, les couches, l’essence pour qu’elle aille au salon qui était à 16 kilomètres. Et puis Krystal était tout le temps malade, mes parents m’ont dit on en a marre, on est trop vieux pour vos conneries, et c’est vrai que mes parents commençaient à fatiguer, avec leur écran géant, leurs charentaises, jamais contents de rien, tristes français de souche, cons et pauvres. Ensuite on est venu me faire chier pour les plantations et la revente — il y a eu une histoire de délation, les gendarmes sont venus. C’était

    I.R.L.(2010-2020)IN REAL LIFE PAR ALEX D. JESTAIRE

    ALEX D. JESTAIRE EST ADAPTATEUR DE DOUBLAGES POUR LE CINÉMA, MAIS ON LE CONNAÎT SURTOUT COMME AUTEUR AU STYLE DÉPOUILLÉ-DÉCAPÉ AYANT ACCOUCHÉ DU PAVÉ D’ANTICIPATION SOCIALE « TOURVILLE » EN 2007.

    ILLUSTRATION : POCHEP

    Tout ça remonte à loin, près de 30 ans, et la mé-moire n’est pas infaillible, c’est en partie quelque chose que nous construisons. Je ne peux donc être sûr que ce que je dis là est conforme aux choses telles qu’elles se sont passées.

    A ma sortie d’hôpital j’essayais juste de mettre en forme les idées que j’avais accumulées durant ce séjour. J’avais passé presqu’un an sans autre chose à faire que rester au lit et écouter ce qui se passait dans ma tête. Au bout d’un moment j’avais fini par visualiser un ensemble. Ça devait représenter quarante minutes de musique. Je ne pouvais pas retenir plus. Je m’étais dit que ça pourrait faire un album. J’étais donc content de pouvoir me remettre au travail. Mon ambition était des plus modestes : trouver le moyen de continuer à faire de la musique alors que je ne pouvais plus être batteur. A l’hôpital, dès que j’avais repris conscience, je l’avais dit aux musiciens « Je crois que vais rester là un moment. Je ne vais pas pouvoir continuer Matching Mole. » La vie de groupe, les tournées, tout ça pour moi c’était fini. En un sens c’était libérateur, mais c’était une liberté effrayante. Sans les musiciens de talent qui m’avaient accompagné, je n’étais pas sûr de pouvoir refaire un disque.

    J’avais toujours fait partie d’un groupe. A mes débuts, dans les années 60, avec un groupe local, nous reprenions des standards de pop, de country et de rythm’n’blues pour faire danser les gens dans les bars. J’essayais de chanter ça en y mettant ma patte. Des mecs comme Joe Cocker et Rod Stewart excellaient à ce jeu-là. S’approprier l’accent américain et les voix viriles de Sam Cook et de Ray Charles, c’était vraiment leur truc. Moi pas. J’avais un timbre trop androgyne et j’aimais trop les voix de femmes comme celles de Dionne Warwick et du label Motown. Il fallait que je trouve ma propre façon de chanter et de faire de la musique. Les aléas de ma vie m’ont poussé dans ce sens. Aujourd’hui ma musique n’est ni rock ni vraiment jazz et j’utilise ma voix comme un instrument. Ça ne veut pas dire que la voix est un instrument comme les autres. La voix n’est pas un instrument comme les autres. C’est un instrument plus limité que les autres, mais c’est le seul que tout le monde entende et que tout le monde sache jouer. A notre naissance, via notre mère, c’est même notre contact privilégié avec le monde. Tout ça en fait un instrument spécifique, qui implique certaines attentes et certaines responsabilités.

    Je ne me suis jamais considéré comme un chanteur mais peu de temps avant mon accident, j’avais com-mencé à développer ma propre idée de ce que je devais chanter. Ça impliquait que je me mette au clavier et que je me considère comme un compositeur-arrangeur malgré mes maigres compétences techniques. Avant de faire éventuellement appel à d’autres musiciens, je devais pouvoir retranscrire seul les atmosphères que j’avais en tête. A l’époque je m’étais remis à composer, je travaillais sur le matériel censé nourrir le troisième album de Matching Mole, j’avais des bouts, des liens entre les morceaux. Je fréquentais Alfie depuis peu. Elle me disait qu’elle aimait ce que je jouais depuis dix ans, mais qu’elle trouvait ça trop dense, trop crispé. Pour elle, j’avais tout à gagner à ralentir le tempo, simplifier les structures. Aller vers l’espace, vers la lumière. Elle m’avait offert un petit clavier. C’est la base du son de Rock Bottom. De mon côté, je m’étais lancé dans des improvisations vocales avec des amis comme Gary Windo. Ce genre de chant se retrouve sur le disque.

    Peu importe ce qui a été fait avant ou après l’accident. Peu importe que je sois en train de jouer du clavier à Venise auprès d’Alfie ou cloué sur mon lit d’hôpital à réfléchir et rêver.

    L’album se situe sur un autre plan. Je ne dis pas que l’accident n’y est pour rien. En un sens, j’ai eu de la chance d’être allé à l’hôpital. Pendant près d’un an je n’avais eu aucune responsabilité. Je n’avais pas eu à chercher de travail, à me faire à manger, à payer de loyer. Ne pouvant plus marcher, je n’avais rien d’autre à faire qu’à rester au lit et écouter ce qui se passait dans ma tête. Curieusement, il y avait un piano dans la salle des visites. Elle était constamment vide parce qu’en toute logique les visiteurs restaient dans la chambre de leurs proches. Mais c’est là que j’ai composé tous les passages de piano de Rock Bottom. Les paroles, elles, ont autant été écrites avant qu’après l’acci-dent. Elles n’en découlent pas. Souvent les mots n’y ont d’ailleurs aucun sens précis. Je me suis juste projeté dans l’espace que j’avais en tête, j’ai chanté et c’est ce qui est sorti.

    Le 1er juin 1973, l’esprit chantant des cymbales de Soft Machine et de Matching Mole fait une chute de quatre étages qui le laisse paraplégique ad vitam. Six mois avant c’était un amant transi vénitien ; un an plus tard ce sera l’auteur du monument progressif Rock Bottom.

    ROCKBOTTOM L’ESPACE DU DEDANS PAR ROBERT WYATT PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN FESSON, AVEC L’AIDE DE BERTRAND BURGALAT

    CHEESEBURGERL’ESTHÉTIQUE DU MOUVEMENTPAR LITTLE JOHNNY JET

    Notre époque est une chrysalide qui évolue, et maintenant que tout le monde baigne dans le pessimisme, j’ai plus de plus en plus de plaisir à être 100% le contraire. La crise passera, la société se transforme à la vitesse de l’humain, nous sommes déjà en gestation de la nouvelle. L’économie qui s’écroule ? C’est merveilleux,

    Je fais confiance à l’être humain, parce que je m’observe, parce que je suis plein de bons sentiments, et que les réactions humaines comme la générosité, la créativité, l’amour, tout ce qui donnent espoir… tout cela existe. Pourquoi ne pas y croire ? J’ai dépassé l’art de l’absurde, et cette histoire de fin de siècle en malaise me semble totalement artificielle. Le temps est une notion crée par l’homme, mais le temps n’existe pas en dehors de nos consciences.

    L’homme vit dans un développement continuel, et les mouvements de contestation tels que le futurisme, tout en étant incontournables, restent marginaux et terriblement fasciste. Le futurisme reste un mouvement qui chante la guerre, tellement stupide que ses fondateurs partirent se faire tuer à la guerre ! Comme toutes les révolutions ont échoué, il y a un changement collectif qui s’opère en nous, nous nous dirigerons vers une communication mondiale et le mouvement collectif. Internet, le téléphone portable, toutes ces choses nouvelles datent du 21° siècle, ce ne sont que des prolongements de notre développement, nos mutations.

    SURE REALISM COMMENTDÉPASSER LE FUTURPAR ALEJANDRO JODOROWSKY

    Etre positif au 21ème siècle, c’est l’état de rébellion avancé.La vulgarité, dans le monde actuel, c’est être négatif.

    Comme ma recherche de l’Incal voilà quarante ans, le livre portable, la télépathie, et les nouveaux jeux vidéos sauront guider vers l’illumination, Dieu appelle ces technologies les « impensables », le chemin vers la conscience universelle. L’univers est une entité qui pense, et nous, humains, avons été programmé pour développer les techniques, les intégrer à notre fonctionnement. L’individu est mortel, l’humanité lui survit, et ces renouveaux, ne sont pas l’annonce d’un nouveau futur. Comme l’acte de psychomagie que je pratique, ce n’est pas dire la vérité, c’est un art, pas un travail. Il aide les gens à se réaliser, les pousser vers leurs réalisations. Le guide va toujours devant, moi je pousse vers la réalisation.

    Je ne vois pas le futur, je ne donne pas de conseils, ma voix c’est de proposer des options. L’esprit doit être dans un premier degré androgyne, puis dépasser cette étape, atteindre le niveau de la conscience pure, Mais il ne faut pas confondre les corps, l’esprit est androgyne, mais le physique, lui, doit rester masculin ou féminin. Une société de transsexuels et d’androgynes n’a pas d’avenir, alors que l’univers, dans un sens, possède paradoxalement une conscience qui dépasse le problème de la reproduction.

    Comme le karaté, la conscience a des degrés, des développements majeurs de la technique représentés par des niveaux à dépasser. Quand on arrive au sommet de la conscience, tout disparaît, la sexualité avec. La pornographie, par exemple, n’est qu’une partie de la relation humaine, ce n’est pas une relation complète.

    L’apocalypse de St Jean n’est pas négative, elle donnera à l’être humain l’immortalité. Il faut comprendre l’apocalypse comme l’arbre qui donnera l’immortalité aux hommes, comme la résolution de la genèse biblique. Adam et Eve mangent les fruits de l’arbre de la connaissance, ils connaitront la mort, l’apocalypse est donc une mutation vers l’éternel, c’est l’autre versant. Dans une époque religieuse, la musique suit, dans une époque rationnelle, la musique se joue sur sept notes, quand l’époque est spirituelle, on va vers du soufi, dans une époque sans valeurs, c’est le disco, quand l’humanité est angoissée, c’est la musique actuelle, technologique.

    La musique, les chansons, sont le reflet des époques, et l’état de conscience de l’homme l’amènera simplement à d’autres musiques, le retour au divin dans le sens de conscience.

    A travers les nouvelles technologies, nous devenons simultanément des méta-humains et des méta-idiots. La technologie offre tout cela à la fois. Les vrais mutants sauront contrôler les débordements technologiques.

    L’avenir de l’humanité, c’est l’interactivité artistique.

    Pouvoir créer grâce aux machines des musiques qui lui sont propres, chanter parfaitement l’opéra et « être » Edith Piaf à travers les machines. Il y aura des salons silencieux et 100.000 personnes danseront à leurs propres rythmes, sur leurs propres mélodies, dans le grand silence collectif. C’est la notion de public qui disparaitra, et si l’artiste ne peut mourir, il se réinvente. Tout le monde sera artiste, et les gens se regrouperont par famille. C’est cela l’avenir ; un sentiment extrêmement positif.

    Alejandro Jodorowsky est essayiste, réalisateur, acteur, scénariste, poète, auteur de bande dessinée, disciple dumime Marceau et expert en psychomagie. Quatre-vingts ans, dont cinquante de carrière au compteur, et il reste l’un des piliers de la science-fiction du XXième siècle. Vi-sion-naire.

    PROPOS RECUEILLIS PAR BESTER L.

    ARCHIPELDans les années 80, le rock alternatif était à la province, ce

    que le zouk est aux îles. Une bande-son, un folklore. « Le monde est une vraie porcherie/ Les hommes se comportent

    comme des porcs ! », bienvenue à Vesoul, Laval, Montpellier, Roubaix, Carpentras… Aloha !

    Dans l’archipel de Saint-Étienne, il était hors de question de contourner les Béruriers Noirs, Ludwig Von 88, Parkinson Square, Washington Dead Cats, OTH,

    les Sheriffs, Mano Negra, Los Carayos, Les Rats ou les Garçons Bouchers… Et, finalement, tant mieux. Sans eux, nous étions bons pour Uzeb à la MJC, des groupes de quarantenaires du cru, les têtes d’affiches de la variété « qualité

    France » ou, pire que tout, les troupes de théâtre.

    Les groupes alternatifs montaient des labels avec une volonté d’acier, écumaient le moindre coin de France pour se faire entendre. Cet acharnement était leur

    force et leur immense mérite. Aujourd’hui, le Velvet et Coltrane s’écoutent à 15 ans et il est de bon ton de railler cette scène. Mais chaque adolescent provincial

    des 80’s le sait bien, au fond : il a une dette envers ces groupes. On peut tordre le nez et lever le petit doigt en se remémorant les salles dégueulasses, les sonos de

    bal, les stands anarchistes, les bandes de punks à chiens et les Doc Martens basses mais tout cela a sauvé pas mal de nuits. Régulièrement, une baston concluait la

    soirée. On revenait sourds, on avait eu les foies, merci mon Dieu…C’était aussi une période un peu schizophrène. Les playlists du jour ne

    correspondaient pas forcément à celles de la nuit. Tomber en arrêt à l’écoute de The world won’t listen des Smiths, le faire tourner des heures durant avant d’aller voir Les Rats le soir même nécessitait une maîtrise certaine du grand écart. Il ne

    fallait pas y penser plus que ça et, de toute façon, Morrissey semblait éprouver quelques difficultés à situer Saint-Étienne sur une carte. Et puis Les Rats ne

    lisaient peut-être pas Oscar Wilde avec un bouquet de fleurs dans les fesses mais ils ne jouaient pas à l’économie. Glaïeuls contre glaviots ? C’était tranché.

    Mieux vaut un vendredi soir dans une salle de concert qu’à la table familiale. Non ?

    MOELLONS- Parabellum joue samedi, on se retrouve devant ?- Ils sont avec qui ? - Je sais pas, on verra.

    Vers 1988, l’enthousiasme s’émoussait. Revoir Parabellum pour la cinquième ou sixième fois, forcément… Mais le permis de conduire était encore loin et les boîtes de nuits ne constituaient même pas une option (« je te jure, ils passent U2, ils dansent sur cette merde ! Ils lèvent les bras et tout… »). Alors, Parabellum, one more time, pourquoi pas ?

    A tout seigneur, tout honneur, ils jouaient en dernier. Il fallait donc s’envoyer d’abord 45 minutes de percussions africaines, accompagnées de danses tribales. Insupportables, même écoutées de l’extérieur, à travers les couches de béton. Il faisait beau, la fin d’après-midi s’étirait et le soleil descendait derrière un panneau de basket. « Panier » a murmuré Jean-François, une fois le soir tombé, en essayant de retenir la bouffée du jointencore quelques secondes.

    - Ces trous du cul de percus de merde ont joué de jour, même pas eu l’idée d’attendre… Vraiment de gros nazes. - C’est qui après ?- Les Thugs.

    Je connaissais. Un certain Sylvain m’avait passé un maxi, intitulé Dirty white race et même un album à la pochette rouge et jaune. J’avais rapidement classé ça dans la catégorie « hardcore », sans doute parce que c’était l’appartenance officielle du Sylvain en question. Il devait ranger les disques que je lui prêtais dans la case « pop, trop mélodique, un peu pédé » puisque je défendais les Smiths en public.

    - Bon on va voir ce que ça donne ? Ca ne peut pas être pire. Nous avons regagné la salle en montrant le coup de tampon sur nos poignets à un type au crâne rasé, en grande discussion sur le « straight edge » avec un punk en fauteuil roulant. Un vendredi soir, un de plus. Il allait pourtant être le dernier de son espèce.

    Ce concert a fait voler en éclats quatre ou cinq ans – sans doute beaucoup plus, en réalité – d’habitudes, de prudence, de fainéantise précoce. Les Thugs n’étaient pas du tout impressionnants au moment de monter sur scène, en t-shirts et même pour l’un d’entre eux en bas de survêtement je crois. Aujourd’hui, ce détail me fait l’effet d’une ruse pour bénéficier de l’effet de surprise.

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    LA GUERRE TIÈDE NEW-YORK, BERLIN, ENGHIEN-LES-BAINS… OU LA GUERRE DES TRONCHÉS.PAR GUY-MICHEL THOR

    Ancien blouson noir des sixties reconverti « hippie par dépit », Guy-Michel Thor reste un acteur incontournable de l’underground français. En cinquante ans, l’essayiste rock’n’roll a rencontré les plus grands, de Ringo à Johnny en passant « par Grace Jones (« croisée par hasard ») et l’androgyne Marie France (« baisé pas rasée »). Depuis son bunker d’Enghien-les-Bains, Guy-Michel analyse le monde tel qu’il n’est plus.

    5En fixant les vinyles posés au sol du parquet flottant, soixante-deux ans après ma naissance, je sens bien que quelque chose a déconné. Faut pas croire pourtant, passé un certain âge, on s’habitue presque à tout. Le mariage, la calvitie, les mauvaises rééditions des Stones (et Charden hein), bobonne qui veut plus parce qu’elle met plus de tampon, Johnny en chaise roulante…

    Ce matin là, en me grattant l’entrejambe, je suis retombé sur mon fils Brandon. Par hasard hein ; passé un certain âge on cherche aussi à éviter sa descendance. Y’avait son futal descendu jusqu’aux genoux (la mode, moi j’y comprends plus rien depuis la fin du perfecto, ceux de mon ami Mourousi), le téléphone qui fait haut-parleur et ses albums de fiottes joués par trois garçons coiffeurs de seconde zone.

    « Comment ça s’appelle ce truc-là, ouais là, le truc avec des guitares de tarlouze pas branchées et la voix de canard passée au 220V. SOAN, tu dis ? »

    Faire du sport, manger des légumes, boire de l’eau minérale. Aller voir mamie à l’hospice, regarder les remakes d’émissions déjà ringardes dans les années 1980 présentées par des types qui ont raté leur vocation de VRP. S’affaler dans son canapé rose saumon acheté chez La Foir’Fouille un dimanche de pluie, écouter les gouttes résonner contre la vitre en rythme sur le dernier des cédés des Enfoirés. Perdre ses pupilles dans le reflet d’une vie sans relief. S’en griller une, et envier les volutes de fumée qui s’envolent, libres dans l’air.

    Arrête de rêvasser, Philippe. Ta télé, ta femme et ton chat persan t’accusent du regard. T’avais raccroché depuis un quart de siècle. Les Camel et les dents jaunes, c’est rien qu’un vestige de ta jeunesse. Quand, au lycée, ton prof de philo vous encourageait à suivre ses théories au son des cigarettes qu’on allume. Barbu et imbu, maoïste et individualiste, fumiste et hédoniste ; le seul instant de bravoure de ce pauvre connard c’était d’avoir osé – quand ses hormones se sont affolées et ses neurones l’ont démangé – à prendre la parole en amphi un jour de mai, une année en huit. Il pensait changer les hommes en leur enseignant la liberté, mais c’était sans compter qu’il passait après Dylan (l’autre chevelu là, qui raconte des trucs pas clairs, tu t’es ressorti Blood On The Tracks lors du dernier bouchon sur le périph’). A la liberté en microsillon, t’avais rajouté le style. Parce que tous mariaient les tiges blanches incandescentes aux Wayfarers, aux Richelieu, aux regards hallucinés typiques des Mods. T’as fait les 400 coups avant d’aller travailler chez Truffaut, t’as tenté de ressembler à Keith Richards avant d’imiter Lecanuet, t’as même récité les paroles d’Initials B.B. à ton premier flirt.

    Et puis t’as rencontré Sylvianne.

    JAUNE POUMONLE GRAND TABAC SCHISME PAR VIC VEGA

    31Ian F. Svenonious (nom masculin d’origine américaine, Washington D.C.) : Chanteur des Nation of Ulysses dès 1988, puis auteur et animateur télé placide, le Svenonious porte bien le costume, n’aime pas l’Amérique capitaliste et reste un maillon fiable dans l’histoire du post-punk sécessionniste.

    Jacques Now1853-2019

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    crÉdIts, (de)LUXe INTÉRIeUR NumÉro ILuxe INtÉrIeur est uNe revue dIgItaLe pILotÉe par Le sIte

    GoNzaI.com et ÉdItÉe par Le dIabLe vauvert.

    Gonzaï, 11 rue Duvergier 75019 Paris, [email protected] Au Diable Vauvert, Route de la Laune 30600 Gallician, [email protected]

    Directeur de publication : Bester LangsRédacteur en chef : Hilaire PicaultConception graphique et direction artistique :Terreur Graphique & JüülMaquette : Terreur Graphique

    Rédacteurs :Benoit Bidoret, Bester L., Syd Charlus,Colocho, Sylvain Fesson, Dav Guedin, Stéphane Guinet, Johnny Jet, Grégory Meurant, Ursula Michel, Guy-Michel Thor, Pierre Mikaïloff, Hilaire Picault, Loic H. Rechi, Arnaud Sagnard, Clément Sakri, Marjolaine Sirieix, Serlach, Vernon, Vic Vega, Eléa Von Picnic.

    Ont contribué à ce numéro :

    Alejandro Jodorowsky, Robert WyattRemerciements :Bertrand Burgalat, Dieu, Google©, Marion Mazauric, Charles Recoursé, Louise Rossignol, Nicolas Ungemuth

    Garanti sans encre ni papier, ce numéro n’est techniquement pas je-table sur la voie publique.Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs, tous droits de reproduction réservés, mais nous partageons leurs opinions et vous demandons d’essuyer vos pieds avant d’entrer.

    Pour toute réclamation, insulte ou

    Dans « Gonzaï », on voit bien d’où vient la première partie du mot (de gonzo, genre journalistique subjectif et speedé créé par Hunter S. Thompson). Mais la terminaison vient-elle de banzai (pour le côté rentre-dedans) ou de bonsaï (la devise du site : «Seul le détail compte») ? (Télérama, novembre 2008)

    A l’origine, Gonzaï est un site internet tourné vers les

    cultures de demain et celles « cultes » devenues depuis intemporelles. Brandissant depuis mars 2007 le parti-pris comme un dogme rédactionnel, Gonzaï s’inspire du gonzo journalism (H. S. Thompson, Lester Bangs, Bukowski, etc) et s’affirme comme un prescripteur en matière de tout et n’importe quoi (rock, pop, littérature, art et ses différents mouvements). Persuadés qu’on n’attrape pas les mouches

    avec du vinaigre, Bester Langs, Little Johnny Jet, Syd Charlus (fondateurs du site) s’interpellent par des noms

    étrange(r)s et fédèrent depuis une frange d’auteurs fiers et plus ou moins jeunes (Hilaire Picault, Pierre Mikaïloff, Arnaud Sagnard, Sylvain Fesson, etc) pour monter ensemble ce qui reste aujourd’hui l’un des seuls sites tout autant réactionnaire que musical, subjectif et littéraire. Toutes les semaines, une horde de fans maniaque des journaux à la papa s’escriment con-tre ces auteurs aux pseudos « pompés

    et prétentieux» lorsque d’autres vieux briscards s’émerveillent « des prou-esses réalisées avec presque rien ».

    Aujourd’hui reconnu par les médias dits « traditionnels » (Technikart, Le Mouv, Télérama, Magic, Le Monde, Libéra-tion, Elle, etc), Gonzaï a su prouver qu’il existait non seule-ment un public pour le journalisme subjectif et pointu mais également qu’il n’était pas nécessaire de poster des vidéos de chiens unijambistes dans des caddies et autres inter-views fleuves de gens ratés pour susciter l’émotion digitale.

    Conçue par le « clan » Gonzaï comme un bras d’honneur à tout et n’importe quoi, Luxe Intérieur contient en son nom l’essence même de ce que

    doit être une revue ; peu de discours mais beaucoup de sujets, tous réunis autour d’une thématique semestrielle. Disponible gratuitement en digitale sur www.luxe-interieur.com,

    la revue éditée au Diable Vauvert propose de rendre intemporels des sujets accessibles à

    tous mais pas à n’importe qui. Dépourvue de papier, la revue permet de perdurer et de ne plus être seulement lue par une poignée de lecteurs. Faisant fi des « maquettes épurées et du ton corrosif légèrement gratte-poil », Luxe Intérieur reste une occasion de ne plus seulement évoquer le Culte mais de toucher enfin au Sacré. Seul, face à son écran lumineux. Dans ce PDF teaser sobrement intitulé (de)Luxe Intérieur,

    vous pourrez ainsi trouver une compilation des meilleurs textes illustrant le post-présent, un mot compliqué illustrant l’incapacité de l’homme moderne à penser la rupture autrement qu’avec des mots de yuppie en manque de lexique. Bref. Le post-présent, un thème qui vous va si bien au teint, vu par une tripotée d’auteurs pour la majeure partie non publiée qui ne trinquent pas au ralenti au Café de Flore mais utilisent quand même des citations en italique (souvent incompréhen-sibles) pour introduire leurs pensées. Et qu’y trouver, dans ce

    premier numéro ? En ouverture, un excel-

    lent essai - plutôt bâclé si vous voulez mon avis - de Guy-Michel Thor sur la guerre tiède vue d’Enghien-les-Bains, entre le Solex et la bombe H. Plus loin, un témoign-age exclusif de Robert Wyatt sur la genèse de « Rock Bottom » racontant son passage à l’horizontal après une nuit trop arrosée. Pas mal. Plus loin, on trouve les prophéties futuristes d’Alejandro Jodorowsky (très connu chez les plus de quinze ans) en-chainées avec une échappée romanesque à

    St Etienne pour revivre l’apogée des Thugs en concert. Pour faire une pause dans ce PDF qui donne mal aux yeux (surtout chez les plus de quinze ans), une incompréhen-sible BD qui crayonne l’incroyable histoire

    d’amour entre un ours nu et un Davy Crockett complètement gay. Très drôle. Suivront, dans le dernier virage, un flashback pas très clair (mais la fin est bien quand même) sur le Guinness book des records comme mètre-étalon de l’homme invincible, puis un essai jaune poumon contre les non-fumeurs qui

    reste l’une des pièces maitresses de cette magnifique revue. En clôture, parce que c’est déjà presque la fin, un dossier histoire très Google Books © sur Ian Svenonious (rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul à ne pas connaître cet homme) et enfin l’histoire touchante d’une rupture d’anévrisme

    Luxe Intérieur est une revue digitale éditée par le Diable Vauvert dont le premier numéro a pour thématique le post-présent, un concept flou où s’entrechoquent rock’n’roll, art de la rupture et liquidation des stocks. Comme chez Gonzaï, Luxe Intérieur c’est l’art de connaître beaucoup sur peu de choses. Car dans un monde globalisant et réducteur, seul le détail compte.

    Présentation critique du premier numéro deLuxe Intérieur à l’adresse du journaliste en mal

    d’inspiration pour son article dithyrambique.Par Bester Langs

    Disponible gratuitement en avril 2010 sur www.luxe-interieur.com, la revue pilotée par le collectif Gonzaï donne la parole à Robert Wyatt, Alejandro Jodorowsky, Alex D.

    Gonzaï Au DiableVauvert

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    Entre les désastres industriels de Vaulx-en-Velin et le parfum chimique de Feyzin, la bien nommée bourgade de Saint-Romain-au-Mont-d’Or ne se trouve pas sur toutes les cartes au trésor. En zoomant sur ce point du nul part, on décèle pourtant très clairement la croix qui cache un butin: marquée d’un X par son fondateur Thierry Ehrmann, la Maison du Chaos, est ici belle comme un bouton de pus au milieu du paysage.

    A l’entrée du village, on est d’abord frappé par la concentration quasi record de citoyens assujettis à l’I.S.F. ceux dont on devine les berlines sportives parquées dans les garages luxueux. Vision idyllique d’un pays où les trottoirs sont toujours propres, les serre-têtes de jeunes cathos bien sous tous rapports. Saint-Romain-au-Mont-d’Or, c’est d’abord un exemple pour le sain futur de nos jolies petites têtes blondes. Un modèle pour saluer une réussite bien de chez nous, dénichez une mine d’or chabrolienne, sortir quelques joyaux façonnés pour l’élite nationale qui porte le pull noué sur les épaules.

    Seulement prudence. A la simple évocation de Thierry Ehrmann, la star locale, le village aux allures d’American Beauty version bocage est sujette aux tremblements. Ca hoquète au pays des jacquards et du Lacoste, et on les comprend : Salamandre, Artprice, 12 kangourous, Minitel rose, loi Malraux, Voie sèche, 11 Septembre, machine à sous, échangisme, 999, indignation, franc-maçon, procès, boites de nuit, secte, satanisme, banque de données, borderline biennale, ésotérisme, Rolls Royce bétonnée, chapelle protestante, Hummer, plasticien, bourgeois, Opus Dei, mégalo, musculation, millionnaire fou, viol architectural, caméras, surveillance, République du chaos et encore et encore… bienvenue à la Demeure du Chaos, debout depuis 1999.Une fois le nom lâché, le cliché du village du bonheur à la française se transforme en son négatif. Une musique an-goissante jaillit comme dans une reconstitution poubelle des émissions judiciaires de la TNT, la voix off est monocorde, le ton tragique, les enfants se réfugient derrière les jambes de leurs mères, les médias braquent leurs caméras, la théorie du complot prend forme, la maladie revient sur les poules et le fruit de la discorde pourrit ce jardin d’Eden aux allures d’image d’Épinal. Sûr que le petit village ne pourra désormais plus concourir pour le bourg le mieux fleuri de France, la tâche noire de Rorschach est là, machiavélique.

    LA MAISON DU CHAOS THIERRY EHRMANN : DU DÉSORDRE, AVANT TOUTE CHOSE.PAR SERLACH

    DENNIS HOPEDARK SIDES OF A MOON PAR LOÏC H. RECHI

    Trente piges. Trente pour devenir multi-million-naire. Dans un monde qui défait aussi rapidement les hommes et les fortunes qu’un atelier de production chinois élabore une paire de pompes, trente années constituent un espace-temps bien long. Mais en devenant multi-millionnaire en com-mercialisant la Lune, oui, ce bout de caillasse, la notion de temporalité devient soudainement vaine. Car au delà du crédit financier tout relatif, Dennis Hope restera assurément comme le premier. Le premier à avoir à avoir entubé la Terre entière grâce un concept simplement lunaire.

    Accrochez vos ceintures, ce conte n’est pas une fiction. Dennis Hope est un enfant des sixties. Comme tout bon rejeton du hippisme, la contestation constitue une marque indélébile de sa conception de l’eugénisme, un marqueur de son époque. Là où certains de ses camarades, habités par une volonté de changer le monde, prennent le parti d’attaquer l’establishment de front, Dennis Hope décide de se farcir les institutions en attaquant à revers, s’ingéniant à trouver la faille juridique plutôt que physique. Pas autant par idéologie que par cupidité, car Dennis a déjà

    une idée derrière la tête. Et un peu d’espoir aussi, cela va sans dire.Pourtant, son fascinant délire mégalomaniaque aurait dû tourner au fiasco. Dennis Hope – dont il est difficile de croire qu’il puisse s’agir de son vrai patronyme – aurait alors terminé sa vie dans une ferme texane à bêcher des grains de sable. C’était sans compter sur son astre de fortune. Car des mecs connus – probablement autant intrigués par la démarche d’un illuminé que blindés de blé – allaient le suivre et investir dans son affaire. Des mecs connus répondant aux noms de Ronald Reagan, Jimmy Carter ou John Travolta. L’affaire décollerait bientôt et Hope en profiterait pour donner une dimension supplémentaire à ce qui commençait à ressembler à son oeuvre.

    «En 2001, j’avais environ 163 000 emails de clients et nous avons commencé à nous demander com-ment nous pourrions protéger ces terrains que nous vendions aux gens. La réponse fut de créér une république démocratique, le Gouvernement Galactique. Nous avons passé trois années à rédiger une constitution. Une fois terminée, elle fut mise en ligne, à la disposition de nos 3,7 millions de propriétaires en mars 2004 et sa ratification fut

    plébiscitée à hauteur de 99,9% des votes. Depuis, j’ai passé la majorité de mon temps à sceller des alliances avec les autres gouvernements de cette planète.»

    Personnage farfelu mais doté d’une foi invétérée dans son projet, Dennis Hope est depuis devenu un inénarrable businessman, intégrant à mer-veille le potentiel énergétique infini et de l’Hélium 3, une source d’énergie quasiment inexistante sur Terre. La Lune en abriterait des millions de tonnes dans ses sous-sols, une vingtaine suffirait à assurer les besoins énergétiques d’un pays comme les Etats-Unis pendant une année entière. Rêvant tout à coup non plus de petits millions mais plus de gros milliards, Hope – vraisemblablement perdu pour le monde des vivants – se révéla tout à coup être le digne héritier idéologique d’un Ray Bradbury.

    «En se basant sur les tests théoriques et techniques que nous avons réalisé, je suis en mesure de vous annoncer que nous avons breveté un vaisseau qui nous permettra de rejoindre la Lune en une trentaine de minutes. Nous avons désormais comme grande ambition de coloniser la Lune en construisant une ville pyramide de trois kilomètres de long de large et de hauteur. Cette pyramide abritera exactement le même genre d’infrastructures que l’on peut trouver dans une ville terrestre tout en bénéficiant des protections nécessaires contre les radiations du soleil et autres contraintes inhérentes à la lune. Nous planifions de commencer à bâtir dès fin 2011 ce qui deviendra de facto la première ville lunaire. Nous pensons dans la foulée être capables de proposer des allers-retours entre la Terre et la Lune pour un prix aux alentours

    de 15 000 dollars.»A l’écouter disserter, la conduite de Hope serait guidée avant tout par un souci profondément humaniste, une volonté de créer un nouvel ordre mondial. Les humains y seraient des êtres heureux, habités par des sentiments honorables, loin des querelles guerrières et velléitaires qui ont toujours fait le sel et le poivre de notre espèce. Son obsession pour ses terres, sa Lune, et surtout l’hélium 3 pourrait pourtant bien causer sa perte.

    «Désormais, l’exploitation des ressources de la Lune ne pourra se faire sans un accord préalable négocié entre nos deux nations. S’ils choisissaient de ne pas conclure cet accord d’exploitation, ceux-ci ne doivent pas rester sans ignorer que nous possédons déjà les moyens techniques de détruire n’importe quel vaisseau s’approchant de nos planètes.»

    «Nos deux nations»? Dennis Hope me parle ici de la Chine, qui envisage très sérieusement aussi de forer la surface Lune pour ramener de l’Hélium 3 sur Terre. Pas la trace d’un sentiment anti-chinois, car Hope dans son esprit clair comme de l’eau de Mars, envisage réellement de défoncer la gueule de tout ceux qui tenteraient d’exploiter les ressources de la Lune. On aimerait y croire. Parce qu’être le mec qui déclencherait la première guerre lunaire, ça aurait quand même vachement

    «On était en 1980, je venais juste de divorcer, j’étais complètement fauché. Je me suis rappelé d’un cours de sciences politiques à la fac en 1968 durant duquel on avait étudié le Traité de l’Espace de l’ONU signé une année auparavant. Un truc en rapport avec l’article II avait interpellé mon attention. Cet article stipulait que les Etats n’avaient pas le droit de clamer la souveraineté ou d’occuper la Lune ou n’importe quel autre corps céleste, ce qui signifiait qu’ils ne pouvaient pas posséder de terrains, créer de lois. En d’autres mots, ils n’avaient aucun pouvoir. J’ai donc décidé de revendiquer la possession de la Lune et les autres planètes.»

    Aujourd’hui, le journalisme d’investigation est simplement devenu un pléonasme apparent. Pas de vague, juste du consensus. Pas d’en-quête, juste du suivisme. Pas de traitement, juste de la médiatisation. La presse a rendu les armes ? Qu’importe, elle les aura peut-être vendues, aussi, qui s’en soucie ? Ecrire que les comptes d’exploitation des rédactions sont dans le rouge, voilà donc une autre évidence. La dégringolade des tirages (800 000 lecteurs en moins entre 1997 et 2003 selon l’EuroPQN) a depuis obligé la presse à pactiser avec les annonceurs. Les grands industriels comme Lagardère (liste trop longue), Rothschild (pour Libération) Dassault (pour le Figaro) ou encore Arnault (pour les Echos) sont désormais les nouveaux patrons de rédaction. Soumise aux diktats de rentabilité de ses nouveaux diktats, la presse modifie ses contenus pour survivre, ne pas déplaire. Et l’Etat, philanthrope patenté, offre 282 millions d’euros sous forme de subventions. Evidemment, pas de contrepartie, ni de renvoi d’ascenseur. Tout le monde sait bien que l’on peut mordre sans honte la main nourricière. Le lecteur sait mais ne dit rien. Les journa-listes non plus. Qui s’en offusque ?

    Combien de couleuvres faut-il avaler pour pouvoir être nommé responsable d’une rubrique, ou pire, rédacteur en chef ?

    Dans ce marasme de silence et d’autocensure, rares sont les plumes à encore oser mouiller l’encre. Exception confirmant la règle, le rédacteur en chef d’un hebdo du Mercredi, Claude Angelli résiste à l’ancienne, vieux war-rior d’une autre époque à la tête d’un Canard plus déchaîné que jamais. Avec des sources qui abreuvent sa mare, le Canard Enchaîné dis-tille chaque semaine le off des arrière-cours,

    les cuisines d’un monde politico-financier omnipotent. Alors que la presse généraliste entame sa dégénérescence annoncée, normal que le lecteur se tourne vers d’autres pourvoyeurs d’histoires, forcément gratuites. Quitte à lire la chronique des chiens écrasés, autant que ça ne coûte pas un centime. « En temps de crise, économisez », c’est la presse qui le dit, qui saurait la contredire ?

    Le monde tourne à l’envers. Les journalistes qui ne veulent pas distraire mais informer (ils ne peuvent quand même pas tous bosser au Canard !) se tournent vers l’édition. Plutôt que du papier journal, du papier livre.

    Embouteillages au rayon essais. On lit des journalistes en sortant d’une librairie et des écrivains en s’éloignant du kiosque. BHL squatte les pages des quotidiens, libérant des espaces d’étagères pour Denis Robert. Vases communicants entre presse et littérature, il fallait y penser. Pourtant, subsistent quelques professionnels, déontologie et éthique sous le bras. Loin de Lundi Investigations, Paul Moreira a crée sa propre agence : Premières Lignes. Il enquête sur l’argent occidental qui coule à flot sur l’Afghanistan, signe des livres sur Les nouvelles Censures dans les médias (Robert Laffont 2007). Répercussions publiques ? Ca fait pschitt… Pire : Denis Robert, le poil à gratter du Luxembourg, démonte un système de « blanchiment » (ah tiens, je m’autocensure…) sensé alarmer les juges. Mission réussie : Denis Robert subit procès à répétition, perquisitions, cassation. Toute l’armada judiciaire contre un seul homme, même journaliste, cela fait beaucoup. Rencon-tré au fond de son refuge (près d’un cimetière, un signe ?) il explique : « on ne peut isoler la question du journalisme et de la justice. C’est parce que la justice n’est plus indépendante que nous [les journalistes] sommes attaqués de la sorte ». Justice sous financée, dépendante du pouvoir exécutif (hérésie républicaine qui devrait faire bondir tout citoyen),

    1915-2001 :CI-GÎTNOTRE

    REGRETTÉEINVESTIGATION

    Investigation (nom féminin) : désigne la capacité à chercher la vérité. Recherche minutieuse qui prend la forme d’une enquête. Les grands journaux nationaux ont troqué l’investigation contre des pactes de collusion avec l’industrie.

    Journalisme (nom masculin) : fonction de celui qui creuse les apparences, qui porte son attention là où personne ne regarde, qui lutte contre le consensus. Il est loin le temps où le grand reporter Albert Londres décrivait de l’intérieur le régime soviétique naissant de Lénine et rendait compte des conditions d’emprisonnement à Cayenne.

    A bas les définitions.

    Chez Matin Bonsoir, l’information n’a pas de prix. C’est même pour ça qu’on la donne. C’est la punchline du journal, depuis sa création, affichée en gros sur tous les murs porteurs de l’immeuble racheté en urgence dans la banlieue parisienne. «Pendant que les crève-la-dalle de la presse payante pensent encore qu’on peut faire un journal sans publi-rédac’ pour Haribobo, nous, chez Matin Bonsoir, on révolutionne le journalisme». Ca les avait d’abord faire sourire, Sylvie et Mathilde, mais après le speech de bienvenue du directeur, il avait bien fallu se mettre au travail. Bah oui, mettre en branle un journal neutre, faut dire que ça demande beaucoup de temps quand on a le Q.I. d’une pintade et l’ambition d’un Albert Londres. Cahier des charges et esprit Matin Bonsoir oblige, la maxime d’Albert («Le journalisme, c’est porter la plume dans la plaie») s’était rapidement transformée en pub allégée pour cicatriser les angoisses du lecteur. Mais pas de jugement, c’est déjà l’heure de préparer le sommaire du lendemain: - « Pfiou... trop crevant c’métier» souffle Sylvie. - « Bah oui, et c’est que lundi matin» répond Françoise.

    - Heureusement qu’on est payées comme les mecs maintenant. Comme quoi mai 68 a eu du bon, dans le fond. - « Ah ça... c’est pas faux.

    Collées comme deux bonbons, Sylvie et Françoise ont désormais les dents longues avec du petit four coincé entre les dents. Et plus question de se laisser

    UNE JOURNÉE CHEZ MATIN BONSOIR PAR BESTER L.

    Soirées showcase, pots de départ ou réunions

    d’anciens étudiants avec des «demi-grosses de la Presse

    Quotidienne Régionale», elles le répètent à qui veut l’entendre: Sylvie et Mathilde sont JOUR-

    NA-LISTES. Aspirées par la nouvelle presse gratuite

    et fraîchement embauchées par Matin Bonsoir, Sylvie et Mathilde tutoient leur

    rêve au quotidien: Informer gratuitement le peuple,

    devancer l’actualité avec de l’info objective et de grandes

    photos pour faire rêver les «connards du métro de 8h du mat». Professionnalisme

    aidant, Sylvie et Mathilde sont toujours les premières arrivées à la cantine.

    dicter des choix par un directeur marketing qui «aurait même pas fait Bac+3». L’avenir il est droit devant mais il doit partir à l’impression à «17H grand max’ sinon après c’est trop tard».

    - Bon alors, on met quoi pour la couv’, demain, Françoise? - J’sais pas, j’ai pas encore allumé Google.

    - T’es con Françoise, faut qu’on se magne. Ce midi c’est pizza à la cafet’. - Ce serait pas mal de titrer sur la mort de Super Nanny non? TOUT LE MONDE EN PARLE ! Hier soir avec Jean-Marc on a regardé les rediffusions, y’avait même l’épisode où elle avait foutu sous l’eau froide le gamin qui voulait foutre un balai dans le cul de sa mère. Trop touchant quoi.- « Pas bête, on pourrait même titrer «Super Nanny: Nounou quitte pas», un truc dans le genre.- Ah ça... c’est pas faux. Quelle icône quand même.

    Le café finit de couler, un avion passe dans le ciel et un ange dans la salle de réunion. Mince, impossible d’ouvrir sur Super Nanny, Matin Bonsoir n’est plus sous contrat avec M6 depuis que la chaîne refuse de payer l’achat des couv’. Vite, un déca’ et une clope au menthol, l’information n’attend pas:

    Comme à la grande époque de la presse intraitable et présente sur tous les fronts, Sylvie éponge le sien à la recherche d’une idée. Aïe, impossible d’ouvrir sur un portrait de ministre, dejà deux semaines que Matin Bonsoir cire les pompes ministérielles avec du portrait et des dossiers détournés. A force, ça risquerait de se voir.

    - Tu sais Françoise.. des fois je regrette de pas gagner trois fois plus que les journalistes du Monde, eux au moins ils peuvent écrire ce qu’ils veulent... Dès fois j’me dis que tout ces publi-rédac de merde sur Le Coq Sportif, Bricomarché ou EDF, ça ne remplacera jamais la véritable investigation de terrain, les mains dans la boue ... - Nan mais attend t’es sérieuse là? - Mais non Françoise, je déconne, ah ah ah! Tu crois

    qu’ils partent aux Maldives deux fois par an tout ces culs-serrés?

    Sylvie et Françoise rient de bon cœur sur le coin de bureau du septième étage. A défaut d’avoir des bagages,

    Sylvie et Françoise possèdent quand même une trousse à idées. Logique, chez Matin Bonsoir, y’a toujours du monde au balcon; l’info elle-même y est pigeonnante.

    - T’as vu le biopic sur Gainsbourg? Tout le monde m’a dit que c’était vachement émouvant et que l’acteur, mince, c’est quoi déjà son nom, était vachement ressemblant. Comme le sosie de l’original.

    - En plus parait qu’il y avait beaucoup de monde à la projection presse. Et puis Gainsbourg, tout le monde connaît en plus, c’est vachement actuel. Elle fumait pas Super Nanny, par hasard? Nan parce que sinon on pouvait faire un encart sur ... - Attend, ta gueule! Je vois le titre d’ici: «Gainsbourg, une vie sans filtres». Pas mal non? - J’ai pas compris. Mais il se finit comment le film au fait? - J’sais pas moi, tu crois que j’ai le temps de voir les films? Bon allez, contacte la production du film, qu’ils nous faxent un dossier de presse. Après tu demandes au service marketing de faire son boulot, z’auront qu’à écrire un questions/réponses avec Joan machin et on botte Charlotte en album de la semaine, pas grave si elle chante comme un autiste en sourdine. En plus c’est très «valeurs de droite» tout ça, le jeune immigré qui réussit tout seul pour s’élever au rang d’icône, la moche qui chantonne avec un américain, on va péter les scores Françoise, ça sent bon l’augmentation! Pense bien à ressortir le portrait d’Eric Besson en page 3, ça fera kiffer les actionnaires. Putain, passe moi une menthol, j’suis crevée là. - Ah ça... c’est pas faux. On va manger maintenant?

    Bienvenue dans la nouvelle presse qui lave plus blanc que blanc, usine à rêves pour les gens qui se lèvent tôt : Une accroche sur un film kleenex sans intérêts, une news sur le nouveau Meetic pour les couples en manque d’adultère, des doubles-pages qui narrent la vie d’entreprises partenaires... Chez Matin Bonsoir, c’est la loterie du désespoir. Qu’on gratte un ticket ou qu’on lise des pages vierges, difficile de dire qui est le grand perdant. Mais tout cela n’a pas d’importance. Chez Matin Bonsoir, cela fait déjà longtemps que l’information n’a plus de prix. C’est même pour cela qu’on la vend gratuite.

    UNE DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DU CYBERESPACE

    PAR JOHN PERRY BARLOW

    HOTPLACES ! BE THEREOR BE SQUARE,BAROMÈTRE DES VILLES OÙ IL FAU-DRA ÊTRE EN 2109.

    PAR B. BIDORET / HILAIRE PICAULT

    13°La Mecque (Arabie Saoudite): L’étroitesse, la transparence sans nudité de la peau : le Burqatichism ne pouvait trouver son refuge que dans les créations ahurissantes de la Mecque. Sa fashion-week est à présent le haut lieu de la mode pour tous les stylistes en vue. Plein feu sur les rayons ultravoilés.

    20° Le Périphérique (France) :Dans le but de restreindre les émissions de gaz à effets de serre, la circulation des véhi-cules individuels a été restreinte. De 1h à 5h du matin le périph n’est plus qu’une auréole déserte, l’after idéal pour choper, toper ou errer. La périphérique-party est devenu le repère des néo-yuppies: tous les dix mètres, des cercles d’inconnus papillonnent entre feux de joie et balades à pleine vitesse contre les glissières de sécurité. Ahhh Parisiennes

    24° Le Vatican (Vatican) : L’Eglise a bien dû se rénover et son premier Cyber-Pape a pris ses fonctions en l’an 2100 en organisant d’immenses soirées prosélytes au Saint-siège. Aux ‘S.S. White Nights’, les jeunes catholiques viennent prier comme des forcenés au milieu d’apparitions holographiques de la Sainte Vierge. Attention à la crise de foi.

    25° Jérusalem (Israël) :Grâce à la grande réconciliation israélo-palestinienne en 2051 et l’inondation de Stockholm pour cause de Gulfstream défaillant, Jérusalem est devenu le nouveau lieu de remise du Nobel de la paix. Elle abrite à cette occasion le festival ’Pro-fête’, réservé à tous les néo-hippies en mal d’amour et de spiritualité. Gaza n’en débande pas.

    37°Pyongyang (Corée du Nord) : Le miracle coréen ! Depuis la chute de la dictature en 2032, Pyon-Yang est enfin prête à accueillir les délocalisations chinoises en travaillant pour une misère. La Corée du Nord est alors devenue le creuset de toute une génération de techniciens-bidouilleurs à l’origine de la SiliDrone Valley, scène électro minimaliste révolutionnaire sur réseaux sociaux. Quand l’Asie mute, les baffles dégustent. A essayer une fois : la tibetan transe-goa !

    39°Barrow (Alaska) :Les allumés de la nature se rejoignent tous au bord de l’Alaska, au-dessus du cercle polaire. Le trip ultime ? Amener un max de Bankise – une drogue de synthèse mélangeant cocaïne et azote liquide – et se laisser dériver sur les morceaux de glace qui se détachent jusqu’à la fonte. Plus excitant que les vacances de Mr N. Hulot ! Ma friandise c’est Mister freeeeeeeeze.

    42°La mer Caspienne (Iran/ Russie) :Avec l’assèchement des nappes de pétrole, les plates-formes Offshores doré-navant obsolètes se sont transformées en squats. Hôtes d’un underground pirate, leurs’Offshore sessions’ clandestines sont devenues le lieu privilégié des expérimentations post-liquidStone rock. People like you just fuel my fire !

    46°Khartoum (Soudan) :Pour découvrir le mélange Chœurs de l’Armée rouge/garage-rock des fjords, rendez-vous à la Cave Blanche de Khartoum. Si le réchauffement climatique a engendré la grande migration du continent Africain, personne n’avait prévu le contre-exode massif de blondinets russes et scandinaves indisposés par la noirceur du nouveau monde. Depuis, ils cohabitent plus ou moins bien avec les locaux, leur apport monétaire a permis de rénover la plupart des infrastructures. Pour échapper à la chaleur infernale, les suédois ont même creusé cette excitante cité souterraine en dédale de galeries, niche de véritables renouveaux artistiques pour les albinos. C’est ici que la subculture (under)gronde.

    52°Chichen Itza (Mexique): L’effondrement de l’économie comme de tout service public a permis la dépénalisation de la non-assistance à personne en danger. La bonne nouvelle ? L’ancien temple Maya est redevenu le lieu de fêtes orgiaques démentielles où les désespérés de la Terre viennent s’achever au suicide collectif. Tumeur

    18° VerticalHattan (U.S.A.) : Après la destruction du second World Trade Center, plus beau et plus haut, le jeu de ’qui a la plus grande’ a vu la victoire provisoire des kamikazes. Manhattan sous l’eau et New-York en cendres, il ne restait qu’une solution. La reconstruire en une seule tour, un bloc par étage, sur le New-Jersey. I

  • LA GUERRE TIÈDE NEW-YORK, BERLIN, ENGHIEN-LES-BAINS… OU LA GUERRE DES TRONCHÉS.PAR GUY-MICHEL THOR

    Ancien blouson noir des sixties reconverti « hippie par dépit », Guy-Michel Thor reste un acteur incontournable de l’underground français. En cinquante ans, l’essayiste rock’n’roll a rencontré les plus grands, de Ringo à Johnny en passant « par Grace Jones (« croisée par hasard ») et l’androgyne Marie France (« baisé pas rasée »). Depuis son bunker d’Enghien-les-Bains, Guy-Michel analyse le monde tel qu’il n’est plus.

    5En fixant les vinyles posés au sol du parquet flottant, soixante-deux ans après ma naissance, je sens bien que quelque chose a déconné. Faut pas croire pourtant, passé un certain âge, on s’habitue presque à tout. Le mariage, la calvitie, les mauvaises rééditions des Stones (et Charden hein), bobonne qui veut plus parce qu’elle met plus de tampon, Johnny en chaise roulante…

    Ce matin là, en me grattant l’entrejambe, je suis retombé sur mon fils Brandon. Par hasard hein ; passé un certain âge on cherche aussi à éviter sa descendance. Y’avait son futal descendu jusqu’aux genoux (la mode, moi j’y comprends plus rien depuis la fin du perfecto, ceux de mon ami Mourousi), le téléphone qui fait haut-parleur et ses albums de fiottes joués par trois garçons coiffeurs de seconde zone.

    « Comment ça s’appelle ce truc-là, ouais là, le truc avec des guitares de tarlouze pas branchées et la voix de canard passée au 220V. SOAN, tu dis ? »

  • PPDA annonçait la chute du communisme et Guy-Michel poussait fort pour ouvrir les portes d’un autre paradis, ah ah ah ! Cette nuit-là, je l’avais limé très fort la démocratie, c’était une ex-groupie de Téléphone devenue fan de Goldman sur le tard. Là aussi, j’aurais pourtant dû me méfier, tous les signes étaient au rouge, moi y compris. « On l’appellera comment s’il y a un accident ? J’ai oublié ma pilule » avait-elle crié, sur la face B de Lou, en sueur. « Ce sera Brandon, en l’honneur des américains », avais-je répondu l’air très solennel, mi-sérieux mi-vidé par tant d’émotions.

    How do you think it feels / when you’re speeding and lonely, come here baby / How do you think it feels / when all you can say is if only

    (How do you think it feels, in Berlin)

    Alors, après Berlin, quoi ? Mon espoir s’était simplement perdu au fond d’une impasse, d’un vagin, appelez ça comme vous voulez, ce serait la fin des doctrines, le début des idées au logis : On aurait des enfants, des écrans plus plats que nos femmes et des implants pour frimer dans les galeries marchandes en écoutant U2. Ca rappelait la guerre, c’était déjà ça de gagné, pour nous les réformés du rock’n’roll.

    Comme tous les vieux empapaoutés de 68, j’ai tout connu. De loin, bien sûr. A chaque époque ou presque, des riffs, des filles et des guerres, parfois même tout à la fois. Et sans payer. Oh bien sûr, je vous lis d’ici : « Qu’est-ce qu’il vient nous bassiner le vieux Guy-Michel, avec ses histoires d’anciens combattants et son bol de Ricoré qui refroidit ? ». Bande de jeunes cons, vous êtes tous des Brandon en puissance, dépourvus de combats et d’ennemis. Pourtant, jusqu’à votre naissance, la guerre c’était comme la moustache : honteuse, plus personne n’en voulait mais on la voyait partout. C’était surtout l’assurance des lendemains meilleurs. Pendant trente ans, tout s’était enchaîné aussi facilement qu’une cystite à Woodstock, on y avait cru dur comme barre de fer à nos révolutions :

    On avait vécu l’après-guerre, VLAM, les débuts du rock’n’roll, la crise de Cuba en 1962, HOP, le début des Beatles, la guerre du Viet-Nam, ZWIM, c’était les Who à l’Isle de Wight (pour les copains, moi j’étais malade. Naturisme + Guy-Michel = bronchite aigüe). Quoi, le choc pétrolier de 1973 ? Ca donnait les New York Dolls pardi ! Pour les nostalgiques de la première guerre en Afghanistan en 78 (contre les soviets, bang bang !), restaient les débuts du Disco et pour les autres… le punk. Les années 80. Silence ou presque, déjà plus difficile de trouver une bataille, c’était le tressautement des fusils, plus personne n’y croyait vraiment et Bowie jouait hélas du synthé pendant que je « libérais » les dernières groupies du Palace. Jusqu’à ce maudit soir de 1989… Vous connaissez la fuite.

    Mes derniers jeans troués, ils datent de la dernière vraie guerre, en 1991. Enfin, si seulement… Les débuts du grunge plutôt, pour une poignée d’irakiens sans piste de dance, foi de Guy-Michel, avant le silence radio. La suite, vous la connaissez mieux que moi. Les années du vide, vos années zéro, un Boeing qui s’écrase sur un malentendu, des remakes d’affrontements qui n’existent pas dans des pays déjà visités et une tripotée de lopettes en jeans serrés avec une cuillère d’argent coincée au fond du gosier. Alors ouais, une bonne guerre… Mais qu’on ne parle plus jamais de température. Souvent le soir, quand bobonne et Brandon sont au pieu, il m’arrive parfois de me relever pour remettre un vinyle sur la chaine, remettre quelques instants encore le doux son de la guerre froide sur les enceintes. Vingt ans plus tard, je comprends enfin, foi de rockeur, que le monde ne fut plus jamais pareil après la chute du mur. Et surtout plus un seul bon album de Lou Reed. Voilà, en fait, la fin de la guerre froide, ça se résume à cela :

    plus jamais un seul disque potablede cette grosse feignasse

    de Lou Reed.

    Caught between the twisted stars the plotted lines the faulty map / that brought Columbus to New York / Betwixt between the East and west he calls / on her wearing a leather vest.(Romeo Had Juliet, in New York)

    BAM. Même pas dix heures du matin et voilà Brandon avec sa première trempe de la journée, direction les jupes plissées de sa vieille fripée. De mon temps au moins, ça cravachait à la ceinture, ça partait faire son service militaire, ça partait en Indochine pour faire la... Bordel ! J’avais tout compris d’un coup. « Les jeunes d’aujourd’hui, il leur manque surtout une bonne guerre », comme disait déjà mes vieux. Tout ça pour dire qu’après la torgnole au morveux, j’ai repris un Temesta, le LSD des anciens yéyés. Pour tout oublier.

    N’empêche. On pourra vous enfoncer toutes les bondieuseries du monde au fond du rectum, le meilleur ami de l’Homme, c’est le vinyle. Plus précis qu’une femme, moins encombrant qu’un chien, ça fait remonter le souvenir plus vite qu’un album photo. Le gamin, on l’avait conçu en 1989, à la chute du Mur de Berlin, en écoutant Lou Reed, justement. Cette fois-ci c’était New-York, comme un signe, déjà, que le monde avait changé. Je me souviens très bien, on en avait parlé avec les potes au studio de Bagnolet : « Incroyable le retour du LouLou hein, son meilleur album depuis Street Hassle ».

    On l’avait même passé à notre gala de province pour la reformation de notre groupe, les Saint-Etienne Dolls. Bref. Cette soirée là, le vinyle tournait en boucle, c’était déjà ma dernière soirée d’homme libre :

    « Tiens prend-toi ça entre les jambes, tu la sens ma liberté au fond de tes reins ? Et là, tu l’aimes mon monde réunifié ? ».

  • Notre époque est une chrysalide qui évolue, et maintenant que tout le monde baigne dans le pessimisme, j’ai plus de plus en plus de plaisir à être 100% le contraire. La crise passera, la société se transforme à la vitesse de l’humain, nous sommes déjà en gestation de la nouvelle. L’économie qui s’écroule ? C’est merveilleux,

    Je fais confiance à l’être humain, parce que je m’observe, parce que je suis plein de bons sentiments, et que les réactions humaines comme la générosité, la créativité, l’amour, tout ce qui donnent espoir… tout cela existe. Pourquoi ne pas y croire ? J’ai dépassé l’art de l’absurde, et cette histoire de fin de siècle en malaise me semble totalement artificielle. Le temps est une notion crée par l’homme, mais le temps n’existe pas en dehors de nos consciences.

    L’homme vit dans un développement continuel, et les mouvements de contestation tels que le futurisme, tout en étant incontournables, restent marginaux et terriblement fasciste. Le futurisme reste un mouvement qui chante la guerre, tellement stupide que ses fondateurs partirent se faire tuer à la guerre ! Comme toutes les révolutions ont échoué, il y a un changement collectif qui s’opère en nous, nous nous dirigerons vers une communication mondiale et le mouvement collectif. Internet, le téléphone portable, toutes ces choses nouvelles datent du 21° siècle, ce ne sont que des prolongements de notre développement, nos mutations.

    SURE REALISM COMMENTDÉPASSER LE FUTURPAR ALEJANDRO JODOROWSKY

    Etre positif au 21ème siècle, c’est l’état de rébellion avancé.La vulgarité, dans le monde actuel, c’est être négatif.

    Comme ma recherche de l’Incal voilà quarante ans, le livre portable, la télépathie, et les nouveaux jeux vidéos sauront guider vers l’illumination, Dieu appelle ces technologies les « impensables », le chemin vers la conscience universelle. L’univers est une entité qui pense, et nous, humains, avons été programmé pour développer les techniques, les intégrer à notre fonctionnement. L’individu est mortel, l’humanité lui survit, et ces renouveaux, ne sont pas l’annonce d’un nouveau futur. Comme l’acte de psychomagie que je pratique, ce n’est pas dire la vérité, c’est un art, pas un travail. Il aide les gens à se réaliser, les pousser vers leurs réalisations. Le guide va toujours devant, moi je pousse vers la réalisation.

    Je ne vois pas le futur, je ne donne pas de conseils, ma voix c’est de proposer des options. L’esprit doit être dans un premier degré androgyne, puis dépasser cette étape, atteindre le niveau de la conscience pure, Mais il ne faut pas confondre les corps, l’esprit est androgyne, mais le physique, lui, doit rester masculin ou féminin. Une société de transsexuels et d’androgynes n’a pas d’avenir, alors que l’univers, dans un sens, possède paradoxalement une conscience qui dépasse le problème de la reproduction.

    Comme le karaté, la conscience a des degrés, des développements majeurs de la technique représentés par des niveaux à dépasser. Quand on arrive au sommet de la conscience, tout disparaît, la sexualité avec. La pornographie, par exemple, n’est qu’une partie de la relation humaine, ce n’est pas une relation complète.

    L’apocalypse de St Jean n’est pas négative, elle donnera à l’être humain l’immortalité. Il faut comprendre l’apocalypse comme l’arbre qui donnera l’immortalité aux hommes, comme la résolution de la genèse biblique. Adam et Eve mangent les fruits de l’arbre de la connaissance, ils connaitront la mort, l’apocalypse est donc une mutation vers l’éternel, c’est l’autre versant. Dans une époque religieuse, la musique suit, dans une époque rationnelle, la musique se joue sur sept notes, quand l’époque est spirituelle, on va vers du soufi, dans une époque sans valeurs, c’est le disco, quand l’humanité est angoissée, c’est la musique actuelle, technologique.

    La musique, les chansons, sont le reflet des époques, et l’état de conscience de l’homme l’amènera simplement à d’autres musiques, le retour au divin dans le sens de conscience.

    A travers les nouvelles technologies, nous devenons simultanément des méta-humains et des méta-idiots. La technologie offre tout cela à la fois. Les vrais mutants sauront contrôler les débordements technologiques.

    L’avenir de l’humanité, c’est l’interactivité artistique.

    Pouvoir créer grâce aux machines des musiques qui lui sont propres, chanter parfaitement l’opéra et « être » Edith Piaf à travers les machines. Il y aura des salons silencieux et 100.000 personnes danseront à leurs propres rythmes, sur leurs propres mélodies, dans le grand silence collectif. C’est la notion de public qui disparaitra, et si l’artiste ne peut mourir, il se réinvente. Tout le monde sera artiste, et les gens se regrouperont par famille. C’est cela l’avenir ; un sentiment extrêmement positif.

    Alejandro Jodorowsky est essayiste, réalisateur, acteur, scénariste, poète, auteur de bande dessinée, disciple dumime Marceau et expert en psychomagie. Quatre-vingts ans, dont cinquante de carrière au compteur, et il reste l’un des piliers de la science-fiction du XXième siècle. Vi-sion-naire.

    PROPOS RECUEILLIS PAR BESTER L.

  • Tout ça remonte à loin, près de 30 ans, et la mé-moire n’est pas infaillible, c’est en partie quelque chose que nous construisons. Je ne peux donc être sûr que ce que je dis là est conforme aux choses telles qu’elles se sont passées.

    A ma sortie d’hôpital j’essayais juste de mettre en forme les idées que j’avais accumulées durant ce séjour. J’avais passé presqu’un an sans autre chose à faire que rester au lit et écouter ce qui se passait dans ma tête. Au bout d’un moment j’avais fini par visualiser un ensemble. Ça devait représenter quarante minutes de musique. Je ne pouvais pas retenir plus. Je m’étais dit que ça pourrait faire un album. J’étais donc content de pouvoir me remettre au travail. Mon ambition était des plus modestes : trouver le moyen de continuer à faire de la musique alors que je ne pouvais plus être batteur. A l’hôpital, dès que j’avais repris conscience, je l’avais dit aux musiciens « Je crois que vais rester là un moment. Je ne vais pas pouvoir continuer Matching Mole. » La vie de groupe, les tournées, tout ça pour moi c’était fini. En un sens c’était libérateur, mais c’était une liberté effrayante. Sans les musiciens de talent qui m’avaient accompagné, je n’étais pas sûr de pouvoir refaire un disque.

    J’avais toujours fait partie d’un groupe. A mes débuts, dans les années 60, avec un groupe local, nous reprenions des standards de pop, de country et de rythm’n’blues pour faire danser les gens dans les bars. J’essayais de chanter ça en y mettant ma patte. Des mecs comme Joe Cocker et Rod Stewart excellaient à ce jeu-là. S’appro-prier l’accent américain et les voix viriles de Sam Cook et de Ray Charles, c’était vraiment leur truc. Moi pas. J’avais un timbre trop androgyne et j’aimais trop les voix de femmes comme celles de Dionne Warwick et du label Motown. Il fallait que je trouve ma propre façon de chan-ter et de faire de la musique. Les aléas de ma vie m’ont poussé dans ce sens. Au-jourd’hui ma musique n’est ni rock ni vraiment jazz et j’utilise ma voix comme un instrument. Ça ne veut pas dire que la voix est un instrument comme les autres. La voix n’est pas un instrument comme les autres. C’est un instrument plus limité que les autres, mais c’est le seul que tout le monde entende et que tout le monde sache jouer. A notre naissance, via notre mère, c’est même notre contact privilégié avec le monde. Tout ça en fait un instrument spécifique, qui implique certaines attentes et certaines responsabilités.

    Je ne me suis jamais considéré comme un chanteur mais peu de temps avant mon accident, j’avais commencé à développer ma propre idée de ce que je devais chanter. Ça impliquait que je me mette au clavier et que je me considère comme un compositeur-arrangeur malgré mes maigres compétences techniques. Avant de faire éventuellement appel à d’autres musiciens, je devais pou-voir retranscrire seul les atmosphères que j’avais en tête. A l’époque je m’étais remis à composer, je travaillais sur le matériel censé nourrir le troisième album de Matching Mole, j’avais des bouts, des liens entre les morceaux. Je fréquentais Alfie depuis peu. Elle me disait qu’elle aimait ce que je jouais depuis dix ans, mais qu’elle trouvait ça trop dense, trop crispé. Pour elle, j’avais tout à gagner à ralentir le tempo, simplifier les structures. Aller vers l’es-pace, vers la lumière. Elle m’avait offert un petit clavier. C’est la base du son de Rock Bottom. De mon côté, je m’étais lancé dans des improvisations vocales avec des amis comme Gary Windo. Ce genre de chant se retrouve sur le disque.

    Peu importe ce qui a été fait avant ou après l’accident. Peu importe que je sois en train de jouer du clavier à Venise auprès d’Alfie ou cloué sur mon lit d’hôpital à réfléchir et rêver.

    L’album se situe sur un autre plan. Je ne dis pas que l’accident n’y est pour rien. En un sens, j’ai eu de la chance d’être allé à l’hôpital. Pendant près d’un an je n’avais eu aucune responsabilité. Je n’avais pas eu à chercher de travail, à me faire à manger, à payer de loyer. Ne pouvant plus marcher, je n’avais rien d’autre à faire qu’à rester au lit et écouter ce qui se passait dans ma tête. Curieusement, il y avait un piano dans la salle des visites. Elle était constamment vide parce qu’en toute logique les vi-siteurs restaient dans la chambre de leurs proches. Mais c’est là que j’ai composé tous les passages de piano de Rock Bottom. Les paroles, elles, ont au-tant été écrites avant qu’après l’accident. Elles n’en découlent pas. Souvent les mots n’y ont d’ailleurs aucun sens précis. Je me suis juste projeté dans l’espace que j’avais en tête, j’ai chanté et c’est ce qui est sorti.

    Le 1er juin 1973, l’esprit chantant des cymbales de Soft Machine et de Matching Mole fait une chute de quatre étages qui le laisse paraplégique ad vitam. Six mois avant c’était un amant transi vénitien ; un an plus tard ce sera l’auteur du monument progressif Rock Bottom.

    ROCKBOTTOM L’ESPACE DU DEDANS PAR ROBERT WYATT PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN FESSON, AVEC L’AIDE DE BERTRAND BURGALAT

  • A l’époque de sa sortie Alfie l’ignorait ; elle ne savait même pas que Sea Song parlait d’elle. Elle pensait que ça parlait de choses plus abstraites. En un sens c’était vrai, mais c’était surtout une description d’elle et de ce que ça signifie de vivre avec une femme. C’est un immense privilège. Leur sang est lié avec la lune et la mer. Comme elles, elles ont des cycles qui les affec-tent. Ce n’est pas un scoop de le dire. D’ailleurs beau-coup de clichés ont déjà été écrits à ce sujet. Mais Sea Song en remettait une couche ! Tout ça pour dire que ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un au point de former cet animal qu’on appelle « un couple » qu’on sait tout de lui. Notre partenaire peut traverser des choses dont on n’a pas idée, ne serait-ce parce qu’elle a son propre espace, ses pensées. C’est quelque chose qu’il ne faut pas l’oublier.

    Pour la pochette de Rock Bottom, Alfie – qui réa-lise seule l’artwork de mes disques – voulait quelque chose de sobre pour prendre le contre-pied de tous ces disques psychédéliques et colorés qui envahissaient les bacs à l’époque. Elle s’était mise en tête de faire une image nostalgique, évoquer ces souvenirs issus de l’enfance qui incarnent une certaine conception du bonheur, de l’innocence, ce genre de choses archaïques qui restent dans l’inconscient collectif. Le dessin du Steam Ship en est une par exemple. C’est un gros bateau à vapeur, ça ne se fait plus aujourd’hui.

    Alfie a eu l’idée de deux enfants qui jouent sur la plage, d’une fille et d’un garçon qui passent un moment comme ça, isolés.

    Elle a aussi dessiné des reproductions de dessins de flore sous-marine. Elle avait trouvé ça dans de vieux livres de sciences naturelles. C’était des ouvrages

    Pendant la fin de l’enregistrement – qui a surtout eu lieu au studio The Manor de Richard Branson – Mike Oldfield était souvent là. Le gros son à base de gui-tares et de claviers de la dernière partie du disque, c’est son idée. Je n’y avais pas pensé car je ne suis pas porté sur instruments électriques, je préfère les acoustiques. C’est en partie pour ça que j’écoute peu de rock. Aujourd’hui je n’écoute quasiment pas de musique chantée.

    Le chant qu’on entend sur le dernier morceau du disque est d’Ivor Cutler, un poète écossais qui venait nous voir jouer presque tous les week-ends du temps de Matching Mole, et qui montait souvent sur scène pour réciter ses poèmes sur fond d’harmonium. Sa participation à Rock Bottom est un hasard. Il avait une voix très particulière. Je ne m’étais pas préoccupé de savoir si la mienne convenait au texte que j’avais écris, je lui ai demandé de le lire et comme ça rendait bien j’ai laissé sa voix. Du coup je n’y chante rien, mais ce n’est pas grave. Je me fichais que ce soit ma voix ou pas, je voulais juste retrouver le son que j’avais en tête. Le transport. Je ne pense pas m’en être éloigné. Enfin je dis ça, je n’ai vraiment su ce qui m’habitait que le jour où j’ai commencé l’enregistrement avec les musiciens.

    Il y a environ