philippe askenazy, damien cartron, frédéric de coninck et michel gollac (dir.), organisation et...

2
92 Comptes rendus Il est regrettable, enfin, d’avoir à mentionner les nombreuses coquilles et l’absence fréquente des références bibliographiques pour les études mentionnées dans le texte. Le corps du texte s’avère au final mal articulé, voire sans lien, avec la bibliographie de fin d’ouvrage. De tels problèmes d’édition sont particulièrement problématiques dans le cas d’un manuel universitaire. Arnaud Mias Groupe de recherche innovations et sociétés (Gris), département de sociologie, université de Rouen, rue Lavoisier, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex, France Adresse e-mail : [email protected] doi: 10.1016/j.soctra.2007.10.006 Philippe Askenazy, Damien Cartron, Frédéric de Coninck et Michel Gollac (dir.), Organi- sation et intensité du travail, Octarès Éditions, Toulouse, 2006 (532 p.) L’ouvrage regroupe les communications à un colloque international sur l’intensité, l’organisation et la qualité du travail. « Prendre la mesure des liens qui unissent aujourd’hui organisation et intensité du travail» par la mise en perspective d’une pluralité de travaux per- mettant d’aller au-delà des clivages disciplinaires et théoriques, tel est l’objectif de celui-ci. Le nombre important des contributions (48 au total) et leur diversité témoignent du fait qu’à cet égard le pari est réussi. La multiplicité des approches (empiriques et théoriques), des terrains étudiés (du secteur industriel aux services, en France et au-delà), des méthodes employées (monographies, études statistiques, etc.), des disciplines (sociologie, ergonomie, économie, etc.) permet d’établir une synthèse des connaissances sur la question. L’ouvrage est organisé en six parties. Les deux premières étudient les relations entre les mutations organisationnelles et technologiques et l’intensification du travail. L’accent est tout particulièrement mis sur l’irruption du client au sein du processus de travail qui entraîne une com- plexification du travail et un élargissement des tâches. L’intensification prend alors un nouveau visage. Elle est à la fois vécue sous la forme d’une contrainte extérieure s’imposant à l’individu, mais également sous une forme intériorisée que l’on peut qualifier d’« auto-intensification du travail». L’autonomie conquise par les salariés se paie ainsi en retour d’une pression accrue, d’un sentiment d’urgence. Pour Nicolas Hatzfeld, l’intensification du travail s’exprime en termes « d’emprise croissante de l’usine sur les ouvriers » ; on ne peut dès lors se satisfaire de l’étudier sous le seul angle temporel. Mais dans ce cas, parle-t-on vraiment d’intensification ? Dans la troi- sième partie de l’ouvrage, les contributions se focalisent sur certains segments de main d’œuvre, en particulier sur le lien entre le sexe ou l’âge et l’intensité. Il apparaît ainsi que le processus d’intensification n’épargne personne et que pour tous il participe à l’accroissement de la péni- bilité du travail. C’est là l’objet de la quatrième partie de l’ouvrage qui porte sur les effets de l’intensification du travail sur la santé et le bien-être. Les exigences nouvelles envers les salariés, dont on attend un engagement total dans le travail, entraînent une dégradation des conditions de travail qui prend surtout la forme d’un accroissement de la charge mentale et du stress. Alors qu’il était courant de dénoncer le manque d’autonomie des salariés dans les travaux classiques de sociologie du travail, c’est aujourd’hui cette autonomie qui est dénoncée comme préjudiciable aux salariés. Le risque n’est-il pas de conclure systématiquement que le travail se dégrade toujours ? Dans la cinquième partie de l’ouvrage, l’accent est mis sur le lien entre le vécu de l’intensification

Upload: sophie-bernard

Post on 28-Oct-2016

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Philippe Askenazy, Damien Cartron, Frédéric de Coninck et Michel Gollac (dir.), Organisation et intensité du travail, Octarès Éditions, Toulouse, 2006 (532 p.)

92 Comptes rendus

Il est regrettable, enfin, d’avoir à mentionner les nombreuses coquilles et l’absence fréquentedes références bibliographiques pour les études mentionnées dans le texte. Le corps du textes’avère au final mal articulé, voire sans lien, avec la bibliographie de fin d’ouvrage. De telsproblèmes d’édition sont particulièrement problématiques dans le cas d’un manuel universitaire.

Arnaud MiasGroupe de recherche innovations et sociétés (Gris), département de sociologie,

université de Rouen, rue Lavoisier, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex, FranceAdresse e-mail : [email protected]

doi: 10.1016/j.soctra.2007.10.006

Philippe Askenazy, Damien Cartron, Frédéric de Coninck et Michel Gollac (dir.), Organi-sation et intensité du travail, Octarès Éditions, Toulouse, 2006 (532 p.)

L’ouvrage regroupe les communications à un colloque international sur l’intensité,l’organisation et la qualité du travail. « Prendre la mesure des liens qui unissent aujourd’huiorganisation et intensité du travail » par la mise en perspective d’une pluralité de travaux per-mettant d’aller au-delà des clivages disciplinaires et théoriques, tel est l’objectif de celui-ci. Lenombre important des contributions (48 au total) et leur diversité témoignent du fait qu’à cet égardle pari est réussi. La multiplicité des approches (empiriques et théoriques), des terrains étudiés (dusecteur industriel aux services, en France et au-delà), des méthodes employées (monographies,études statistiques, etc.), des disciplines (sociologie, ergonomie, économie, etc.) permet d’établirune synthèse des connaissances sur la question.

L’ouvrage est organisé en six parties. Les deux premières étudient les relations entre lesmutations organisationnelles et technologiques et l’intensification du travail. L’accent est toutparticulièrement mis sur l’irruption du client au sein du processus de travail qui entraîne une com-plexification du travail et un élargissement des tâches. L’intensification prend alors un nouveauvisage. Elle est à la fois vécue sous la forme d’une contrainte extérieure s’imposant à l’individu,mais également sous une forme intériorisée que l’on peut qualifier d’« auto-intensification dutravail ». L’autonomie conquise par les salariés se paie ainsi en retour d’une pression accrue,d’un sentiment d’urgence. Pour Nicolas Hatzfeld, l’intensification du travail s’exprime en termes« d’emprise croissante de l’usine sur les ouvriers » ; on ne peut dès lors se satisfaire de l’étudiersous le seul angle temporel. Mais dans ce cas, parle-t-on vraiment d’intensification ? Dans la troi-sième partie de l’ouvrage, les contributions se focalisent sur certains segments de main d’œuvre,en particulier sur le lien entre le sexe ou l’âge et l’intensité. Il apparaît ainsi que le processusd’intensification n’épargne personne et que pour tous il participe à l’accroissement de la péni-bilité du travail. C’est là l’objet de la quatrième partie de l’ouvrage qui porte sur les effets del’intensification du travail sur la santé et le bien-être. Les exigences nouvelles envers les salariés,dont on attend un engagement total dans le travail, entraînent une dégradation des conditions detravail qui prend surtout la forme d’un accroissement de la charge mentale et du stress. Alorsqu’il était courant de dénoncer le manque d’autonomie des salariés dans les travaux classiques desociologie du travail, c’est aujourd’hui cette autonomie qui est dénoncée comme préjudiciable auxsalariés. Le risque n’est-il pas de conclure systématiquement que le travail se dégrade toujours ?Dans la cinquième partie de l’ouvrage, l’accent est mis sur le lien entre le vécu de l’intensification

Page 2: Philippe Askenazy, Damien Cartron, Frédéric de Coninck et Michel Gollac (dir.), Organisation et intensité du travail, Octarès Éditions, Toulouse, 2006 (532 p.)

Comptes rendus 93

du travail et le rapport au travail et à l’emploi. Avec intérêt, on constate ainsi que pour certainespopulations, l’intensification peut être considérée comme attrayante et excitante, à l’image d’untravail vécu comme une vocation comme dans le cas du danseur contemporain. Enfin, la dernièrepartie de l’ouvrage aborde la question du droit et des actions syndicales. Un certain nombre de cescontributions portent sur l’impact des lois Aubry de réduction du temps de travail sur l’intensité dutravail et concluent que la RTT s’est soldée le plus souvent par une intensification du travail. Lesautres font le constat d’un relatif échec des syndicats à intervenir dans le champ de l’organisationdu travail. Au final, le bilan est donc bien sombre.

Un même constat traverse ainsi la quasi-totalité des contributions de l’ouvrage : l’intensificationdu travail est un phénomène majeur des années 1980–1990. La principale cause en reviendrait àla complexification du travail et des objectifs. À la forme taylorienne d’intensification du travail,entendue comme la simple accélération de la cadence d’un travail supposé homogène et maîtrisé,s’ajouteraient d’autres formes d’intensification par la fixation des objectifs et des moyens. Lecumul des contraintes industrielles, marchandes et évènementielles, et les difficultés à concilierles injonctions contradictoires qui en résultent seraient à l’origine de l’intensification. Celle-ciprendrait essentiellement la forme d’un accroissement de la charge mentale qui entraînerait unedégradation des conditions de travail et aurait de ce fait des répercussions négatives sur la santédes salariés.

Peut-on pour autant conclure à une intensification du travail ? Se pose là l’épineuse questionde la mesure du phénomène, de manière d’autant plus accrue que l’on compare deux situationsorganisationnelles totalement différentes. Tout d’abord, d’un point de vue quantitatif, hormis lescas exceptionnels où l’intensité augmente caeteris paribus, il est impossible de distinguer ce quirelève d’une augmentation de l’intensité des autres modalités du travail. Pour pallier ce problème,beaucoup prennent donc le parti de s’en remettre à la perception qu’en ont les salariés. Lesdéclarations sur les conditions de travail vont ainsi dans le sens d’une dégradation des conditionsde travail. Mais le problème reste entier : s’agit-il d’une dégradation objective ou du reflet d’uneévolution de la perception ? Comment savoir si l’on assiste vraiment à une dégradation du travailou à une transformation des formes de pénibilités au travail ? En tous les cas, comme le note ÈveCaroli, rien ne nous permet de conclure « que toute détérioration des conditions de travail est uneconséquence de l’augmentation de son intensité » (p. 488). Au final, tout cela démontre que lesoutils pertinents pour mesurer l’intensité du travail restent à construire.

L’ouvrage a le mérite de nourrir la réflexion et nous offre un matériau riche et diversifié décrivantfinement les nouvelles formes d’organisation du travail. En revanche, la question de la mesure del’intensité reste entière, remettant en cause le constat d’intensification du travail ; l’intensité dutravail demeure une « boîte noire ». Le débat sur l’intensification serait-il aporétique ?

Sophie BernardIDHE Paris-X Nanterre et CERSO, université Paris-Dauphine, place du

Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 75775 Paris cedex 16, FranceAdresse e-mail : [email protected]

doi: 10.1016/j.soctra.2007.10.005